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Littérature Lautréamont : structure autistique ou clivage du moi-corps ? Lautréamont: autistic structure or splitting of bodys ego? Eliane Allouch * Psychanalyste, professeur de psychopathologie, Université Paris-XIII, Membre titulaire de léquipe « recherche des cliniques psychanalytique, sociale et culturelle » EA 3413 de lUniversité Paris-XIII, UFR LSHS, avenue Jean-Baptiste-Clément, 93430 Villetaneuse, France 10, rue Erard C371, 75012 Paris, France Reçu le 16 novembre 2006 ; accepté le 26 mars 2007 Disponible sur internet le 08 juin 2007 Résumé Lœuvre du Comte de Lautréamont, Les Chants de Maldoror et Poésies I et II, est repérée avec celle de Mallarmé comme lavant-garde qui, à la fin du XIX e siècle, a révolutionné le langage poétique. Dans leur ouvrage, La distinction de lautisme, Robert et Rosine Lefort présentent cette œuvre comme relevant dune structure autistique, quils définissent selon trois points : la destructivité, lexpulsion de lAutre et le double dans le réel. Intéressée par cette hypothèse et intriguée par létrangeté des Chants de Maldoror, après une étude approfondie de nombreuses recherches qui ont porté sur lœuvre et la vie dIsidore Ducasse, dit Comte de Lautréamont, lauteur propose lidée dun rapprochement entre lunivers de la structure autistique et celui engendré par un clivage du moi, notamment du moi corporel précoce. Dans les Chants de Maldoror, la résurgence récurrente de la mort, du crime et de la mère morte, « celle qui aime le plus et trahit tôt ou tard », constitue le pivot dune telle proposition, qui fait lien entre la théorie http://france.elsevier.com/direct/EVOPSY/ Lévolution psychiatrique 72 (2007) 271287 Toute référence à cet article doit porter mention : Allouch E. Lautréamont : structure autistique ou clivage du moi-corps ? Evol psychiatr 72;2. * Auteur correspondant. (E. Allouch) Adresse e-mail : [email protected] (E. Allouch). 0014-3855/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.evopsy.2007.04.002

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L’évolution psychiatrique 72 (2007) 271–287

Littérature

Lautréamont :structure autistique ou clivage du moi-corps ? ☆

Lautréamont:autistic structure or splitting of body’s ego?

Eliane Allouch*

Psychanalyste, professeur de psychopathologie, Université Paris-XIII,Membre titulaire de l’équipe « recherche des cliniques psychanalytique,

sociale et culturelle » EA 3413 de l’Université Paris-XIII, UFR LSHS, avenue Jean-Baptiste-Clément,93430 Villetaneuse, France

10, rue Erard C371, 75012 Paris, France

Reçu le 16 novembre 2006 ; accepté le 26 mars 2007Disponible sur internet le 08 juin 2007

Résumé

L’œuvre du Comte de Lautréamont, Les Chants de Maldoror et Poésies I et II, est repérée avec cellede Mallarmé comme l’avant-garde qui, à la fin du XIX

e siècle, a révolutionné le langage poétique. Dansleur ouvrage, La distinction de l’autisme, Robert et Rosine Lefort présentent cette œuvre comme relevantd’une structure autistique, qu’ils définissent selon trois points : la destructivité, l’expulsion de l’Autre etle double dans le réel. Intéressée par cette hypothèse et intriguée par l’étrangeté des Chants de Maldoror,après une étude approfondie de nombreuses recherches qui ont porté sur l’œuvre et la vie d’IsidoreDucasse, dit Comte de Lautréamont, l’auteur propose l’idée d’un rapprochement entre l’univers de lastructure autistique et celui engendré par un clivage du moi, notamment du moi corporel précoce. Dansles Chants de Maldoror, la résurgence récurrente de la mort, du crime et de la mère morte, « celle quiaime le plus et trahit tôt ou tard », constitue le pivot d’une telle proposition, qui fait lien entre la théorie

☆ Toute référence à cet article doit porter mention : Allouch E. Lautréamont : structure autistique ou clivage dumoi-corps ? Evol psychiatr 72;2.

* Auteur correspondant. (E. Allouch)Adresse e-mail : [email protected] (E. Allouch).

0014-3855/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.evopsy.2007.04.002

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lacanienne de la structure autistique et la théorie freudienne du clivage du moi. Enfin l’écrit, de par sa« matérialité abstraite », est présenté à l’instar de la centration sur la sensation comme possible sup-pléance à un positionnement autistique global ou partiel.© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Abstract

The works of the Count de Lautréamont, the Songs of Maldoror and Poésies I and II, is located withthat of Mallarmé like the avant-garde, which at the end of the XIXth century, revolutionized the poeticlanguage. In their book, The distinction of the autism, Robert and Rosine Lefort present this work likeconcerning an autistic structure, defining it as based on three points: destructiveness, the expulsion ofthe Other and double in reality. Interested by this assumption and intrigued by the strangeness of theSongs of Maldoror, after a thorough study of many research which related to the works and the life ofIsidore Ducasse, said Count de Lautréamont, the author proposes the idea of bringing together the uni-verse of the autistic structure and the one issued of the action of ego splitting, more precisely body egosplitting in an archaic moment. In the Songs of Maldoror, the recurring resurgence of death, crime and ofthe dead mother, “who loves most and betrays you soon or last”, constitutes the pivot of such a proposalwhich establishes a link between the lacanian theory of the autistic structure and the freudian theory one-with splitting mechanism. Lastly, the writing, from its “abstract materiality” is presented like the centra-tion on the sensation as possible substitution to a total or partial autistic positionning.© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Lautréamont ; Autisme ; Structure ; Clivage du moi-corps ; Écrit ; Substitution

Keywords: Lautréamont; Autism; Structure; Splitting of the body’s ego; Writing; Substitution

Le texte de Lautréamont, Les Chants de Maldoror [1]1, qui résonne si fort avec ceuxd’écrits d’autistes, tels D. Williams [2], B. Sellin [3], T. Grandin [4] et de F. Zorn [5] entreautres, témoignerait magistralement (si l’on peut soutenir, comme l’affirment Rosine et RobertLefort [6], que l’auteur présente une structure autistique), que l’autisme n’est pas antinomiqueà la pensée, mais à la vie, plus précisément à la pulsion de vie au profit de la seule pulsion demort. Mais la problématique n’est peut-être pas aussi simple dans la mesure où la productionpoétique d’avant-garde d’une époque donnée déconstruit le style de langage qui a cours, pouren remanier en son fond l’idéologie sous-jacente et ouvrir sur des horizons politiques nou-veaux. Il est vrai que l’horizon proposé par les Chants prête le flanc à un tel rapprochementavec une production autistique étant donné qu’il repose sur une négativité destructrice absolue,effectuée « volontairement » hors de tout affect humain pour soi ou pour l’autre (sauf à uneexception près dans le Chant premier : la compassion pour la prostituée) sur fond d’une jouis-sance sans âme, empreinte de rage et de désespoir. Est-ce là suffisant pour soutenir qu’IsidoreDucasse, dit comte de Lautréamont, relève d’une structure autistique ? La proposition deRosine et Robert Lefort est séduisante autant qu’audacieuse, mais pousse à aller vérifier parsoi-même une telle hypothèse.

1 Ouvrage de référence dans cet article, pour la pagination. Textes établis, présentés et annotés par Pierre-OlivierWaltzer pour cette édition.

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1. Lautréamont dans le monde de la littérature

Écrits à partir de 1868 et achevés en 1869, les Chants plus que les deux autres textes del’œuvre d’Isidore Ducasse, Poésies I et Poésies II éditées un an plus tard, ont fait l’objet, envi-ron 50 ans après la mort de l’auteur en 1870 jusqu’à nos jours, de controverses extrêmes, lesunes enthousiastes, à commencer par celles de Valéry Larbaud, Léon-Paul Fargue, Max Jacob,puis des surréalistes, les autres dédaigneuses pouvant aller jusqu’à rapporter l’œuvre à une pro-duction de potache. Encore en 1973, J.-M.-G. Le Clézio dénonçait dans sa préface aux Chantsde Maldoror [7] un usage de la littérature pour nier la littérature de par « les imperfections,l’insécurité et la démesure du système verbal, le continuel trébuchement de la pensée » ([7],p. 8). Cependant, dans son article de 1980 intitulé « Le rêve de Maldoror » [8], l’analyse deLe Clézio ne laisse plus émerger de réticences, il s’engage au contraire à le situer dansl’histoire de la littérature, notamment avec le surgissement au XIX

e siècle du récit de rêvedans le roman… et l’intérêt montant pour l’inconscient, venu subvertir la conception du sujet.

Gaston Bachelard, par contre, ainsi que d’autres comme Julia Kristeva, Maurice Blanchot,mais aussi Le petit Robert, reconnaissent sans conteste aux Chants un statut poétique voire,comme pour Mallarmé, le statut d’une pratique de l’excès révolutionnant, au moyen de l’écrit,à la fois la position du sujet et l’horizon politique. Aussi bien, dans son ouvrage La révolutiondu langage poétique. L’avant-garde à la fin du XIX

e siècle : Lautréamont et Mallarmé, JuliaKristeva précise à propos du texte de Lautréamont « qu’il n’est plus un langage (symbolique),ou qu’il est autre chose qu’un langage. En utilisant le moyen de la communication ou « l’outilsymbolique », l’expérience textuelle y inscrit tout un continent translinguistique, sémiotiqueayant mis en jeu la position du langage, ce qui veut dire mis en cause l’unité du sujet au risquede la psychose… » ([9], p. 582).

Pour G. Bachelard, Les Chants de Maldoror constituent « une poésie de l’excitation, del’impulsion musculaire non une poésie visuelle des formes et des couleurs » ([10], p. 14), oubien encore, « un cinéma accéléré auquel, exprès, on enlèverait les formes intermédiaires »([10], p. 23). Ils auraient donc à voir avec ce que Freud désigne à propos du jeu de l’enfantet de la danse comme des hallucinations motrices ([11], p. 201) et que Piera Aulagniernomme l’activité psychique originaire étayée sur le sensoriel [12] et auquel j’adjoins le gestuel([13], p. 382). Les formes animales, qui prolifèrent dans les Chants et renvoient à notre primi-tivité, comme le remarque Bachelard, ne sont pas reproduites, mais produites ([10], p. 14),présentifiées (darstellend et non vorstellend), dirait-on en termes psychanalytiques. Bachelardsignifie par-là que l’action, c’est-à-dire que la pensée en acte (ici, captée par l’écrit) prime surla pensée intellectuelle secondaire dans la mesure où il rappelle que « c’est par le dedans quel’animalité est saisie, dans son geste atroce, irrectifiable, issue d’une volonté pure […]. Il s’agitd’une poésie de la violence pure qui s’enchanterait des libertés totales de la volonté […]. Cetteviolence pure n’est pas humaine (insiste-t-il) ; prendre des formes humaines serait la ralentir, laretarder, la raisonner. Mettre à la base de la violence une idée, une vengeance, une haine, seraitperdre son ivresse immédiate, indiscutée, son CRI » ([10], p. 15). Mais, si pour Bachelard, ilémane de cette poésie de la violence pure, de l’agression « une sûreté musicale par sa tonalitéprofonde » ([10], p. 15), il considère qu’« à la différence de Sade, de Casanova, les frontièreshumaines sont franchies et (qu’) il y a prise de possession de psychismes nouveaux » ([10],p. 16), celui de « l’enfer du psychisme » ([10], p. 48) représenté par la faune et la suranimalité.S’il rapproche les chants de Maldoror du texte de La Métamorphose de Kafka pour son usagequasi exclusif de la métamorphose (rendant compte d’un imaginaire musculaire) plutôt que dela métaphore (moins primitive), il précise toutefois que, « chacun de ces textes se trouve aux

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pôles extrêmes de l’expérience des métamorphoses : les formes s’appauvrissent chez Kafkaparce que le vouloir-vivre s’épuise. Elles se multiplient chez Lautréamont parce que levouloir-vivre s’exalte : elles sont l’instant d’un vouloir-attaquer, la réalisation d’une fouguemétamorphosante. En effet, chez Lautréamont, la métamorphose est urgente et directe : elle seréalise un peu plus vite qu’elle n’est pensée » ([10], p. 15–22). Il donne à entendre l’idée (idéeque je mets en correspondance avec le fonctionnement défensif autistique, mais aussi avectoute la clinique de l’agir) que, dans les Chants de Maldoror, rien n’est passif, rien n’estreçu, rien n’est attendu, rien n’est suivi. Aussi, soutient-il à juste titre que « Maldoror (lehéros et porte-parole de l’auteur) est au-dessus de la souffrance ; il donne la souffrance, il nela reçoit pas. Aucune souffrance ne peut durer dans une vie dépensée dans la discontinuité desactes » ([10], p. 147). Pour Bachelard, Maldoror échappe ainsi à une sorte d’emprise mortifèrereprésentée en particulier par les étreintes « chastes et visqueuses » (notamment celle avec lafemelle requin) dans lesquelles ce dernier se retrouve à faire l’amour au fond de l’océan,océan qui fait penser à une sorte de matrice, d’intérieur du corps de la mère où le bien et lemal seraient confondus ([1], p. 122). Maldoror (ou un double ou bien encore l’auteur, on nesait jamais clairement qui est le sujet !) est lui-même d’ailleurs transformé en poulpe avechuit pattes monstrueuses, dont chacune, lanière solide, aurait pu embrasser facilement la cir-conférence d’une planète, ou bien encore, en pourceau, jouissant de se retrouver au paroxysmede l’avilissement, et de sa destruction en tant qu’humain : « Je rêvais que j’étais entré dans lecorps d’un pourceau, qu’il ne m’était pas facile d’en sortir, et que je vautrais mes poils dansles marécages les plus fangeux. Était-ce comme une récompense ? Objet de mes vœux, jen’appartenais plus à l’humanité ! », ([1], p. 175). Autres aspects qui peuvent le faire se compa-rer à un animal : comme l’autiste Birger Sellin, qui se compare aussi à un animal à propos deses crises clastiques, Maldoror est « celui qui ne sait pas pleurer (car, il a toujours refoulé lasouffrance en dedans) » ([1], p. 69) ni rire (comme B. Sellin ou Mars de Fritz Zorn) : « …mon rire ne ressemblait pas à celui des humains, c’est-à-dire que je ne riais pas » ([1], p. 48).

Mais autant, G. Bachelard insiste sur l’animalité et le caractère biologique, impulsif desChants, autant M. Blanchot loue la « raison » si étonnamment ferme avec laquelle ils sont écrits.Aussi, intitule-t-il son texte « Lautréamont ou l’espérance d’une tête » […]. « De fait, unefurieuse lucidité vient éclairer la plus grande obscurité des abîmes du psychisme. Il s’agit, pré-cise Blanchot, d’un travail géant d’un homme enfoui, qui, peu à peu, se lève, s’édifie et, à la fin,paraît au jour. (…) Par cette œuvre, l’être absent qu’est Lautréamont s’est lentement et dans uncombat qui représente bien le dur travail de la naissance, dans cet écoulement de sang,d’humeurs, dans cette collaboration de la patience et de la violence qu’est la naissance, Lautréa-mont, repoussant définitivement Isidore Ducasse, s’est donné le jour : maintenant, il existe, Lau-tréamont existe »2. Les termes de Maurice Blanchot sont forts (homme enfoui, travail géant, êtreabsent, naissance, patience, violence…). Ils rendent bien compte du dégagement hors de l’enva-sement biologique qu’Isidore Ducasse effectue pour ex-sister au jour. Est-ce, comme le ditl’autiste Birger Sellin, pour exister comme « une personne-sans-moi qui est sortie de l’obscuritédu monde des autistes pour entrer en contact avec des terriens humains de votre genre. [car…]Écrire est mon premier pas pour sortir de l’autre monde » ([3], p. 208).

Qu’en est-il vraiment de cette poésie de l’animalité la plus radicale, qui expulse et attaquel’humain sans discontinuer, qui relève en quelque sorte d’une activité psychique originaire derejet ressaisie par un travail d’une logique digne de celle des « saintes mathématiques » ([1],

2 Blanchot M. Lautréamont ou l’espérance d’une tête. In : ([8], p. 58–59).

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p. 108)3 auxquelles Maldoror/Lautréamont rend un hommage aussi passionné4 qu’au Mal ? Sil’activité fantasmatique est prolifique, elle ne se présente pas comme un discours psychotiqueavec néologismes et conviction délirante, mais bien comme fiction littéraire, ce qui écartel’hypothèse de la psychose. Est-elle par contre l’œuvre d’un autiste ainsi que l’affirmentRosine et Robert Lefort ? Poursuivons notre recherche.

2. Quelques repères bibliographiques5

Lautréamont est le nom d’emprunt d’Isidore Ducasse né le 4 avril 1846 à Montévidéo (Uru-guay) en pleine guerre entre la confédération argentine du dictateur Rosas et la Républiqueorientale de l’Uruguay, guerre qui dura de 1843 à 1851. Sa mère, Célestine, Jacquette Dave-zac, fille de cultivateur du Bigorre en Aquitaine, « d’une beauté troublante » (d’après Masque-lez cité par Alvaro Guillot-Munoz, [14], p. 19) obtient un passeport pour Montévidéo en Uru-guay à 20 ans, en 1841, où elle sera mal admise socialement pour son ex-statut de servante. Lepère d’Isidore, François Ducasse, fils aussi de cultivateur bigourdan comme sa future femme, afait des études primaires supérieures. À 30 ans, en 1839, il émigre à Montévidéo où il travail-lera durant plusieurs années à la Chancellerie du Consulat de France en qualité de commis.Grâce à la situation de guerre, il sera hissé au poste de « chancelier ». Il est décrit comme« un homme sociable et d’une culture peu ordinaire », amateur de littérature et de belles fem-mes, ainsi qu’adepte du positivisme d’A. Comte. À peine est-il nommé chancelier en 1845,Célestine est enceinte. Il l’épouse le 2 février 1846, (elle a 24 ans, lui 36) à sept mois de gros-sesse, ce qui fit scandale. Elle meurt 22 mois plus tard (par suicide selon la famille) alorsqu’Isidore n’a que 20 mois. Jusqu’à 13 ans, plus ou moins confié à un couple ami de sonpère, Eugène et Eulalie Baudry, parrain et marraine d’Isidore, celui-ci grandira dans la tour-mente montévidéenne qui débute en 1843 avec le siège de la ville par les Argentins, puis en1856 par la paix boiteuse entre les belligérants, et en mars 1857, par la peste qui, entre autres,immobilisa le « chancelier » durant deux mois. Durant ses cinq premières années, écrit EnriquePichon-Rivière cité par F. Caradec ([14], p. 47), il aurait entendu le récit de boucheries etd’écartèlements dont les victimes étaient bien souvent des amis de son père. Combien de foisaura-t-il entendu conter, poursuit ce dernier, le martyre subi par Mirquete et Etcheverry auxmains des forces de Rosas6. Remarquons que le récit de ce martyre donne exactement le ton

3 « Ô mathématiques saintes, puissiez-vous par votre commerce perpétuel, consoler le reste de mes jours de laméchanceté de l’homme et de l’injustice du grand-tout ». cf. [1] Chant deuxième, strophe 10, p. 108.

4 « Ô mathématiques sévères, je ne vous ai pas oubliées, depuis que vos savantes leçons, plus douces que le miel,filtrèrent dans mon cœur, comme une onde rafraîchissante. J’aspirais instinctivement, dès le berceau, à boire à votresource, plus ancienne que le soleil, et je continue encore de fouler le parvis sacré de votre temple solennel, moi, leplus fidèle de vos initiés. Il y avait du vague dans mon esprit, un je-ne-sais-quoi épais comme de la fumée ; mais, jesus franchir religieusement les degrés qui mènent à votre autel, et vous avez chassé ce voile obscur, comme le ventchasse le damier. Vous avez mis, à la place, une froideur excessive, une prudence consommée et une logiqueimplacable. » cf. [1] Chant deuxième, strophe 10, p. 105. (C’est moi qui souligne).

5 D’après l’ouvrage de F. Caradec [14].6 Dépouillés de leurs vêtements – dit un chroniqueur – ils reçurent un coup de lance et ensuite furent promenés à

travers champs où ils furent l’objet des plus grands outrages. Ensuite on leur attacha les pieds et les mains et on leurouvrit le ventre longitudinalement, on leur arracha les entrailles et le cœur et on les mutila de manière honteuse. Onleur enleva des lambeaux de peau des côtes pour en faire des sabots pour les chevaux et enfin on leur coupa la têteet on les laissa exposés au milieu des champs. […] Et jointes à cela : la faim, la misère, les négociations, lesaccusations… » ([14], p. 48).

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et le style des atrocités pratiquées à jet continu par Maldoror qui, entre autre chose, arrache lecœur d’un enfant endormi, la chevelure d’un jeune adolescent… Toutefois, précise F. Caradec([14], p. 49), grâce aux témoignages recueillis auprès de Montévidéens, on sait aussi parAlvaro Guillot-Munoz, qu’Isidore pouvait jouer aux boules dans un terrain vague avecd’autres enfants, qu’il parlait aussi bien l’espagnol que le français. Le témoignage du pèrePlantet de quatre ans plus âgé qu’Isidore est le plus émouvant, souligne F. Caradec :

« C’était un garçon qui ne manquait de rien. Souvent il montrait son vrai caractère, parmoments un peu mélancolique, mais surtout gai et généreux (traits de caractère qui n’ontrien d’autistique !). Parfois, il tombait dans la méditation. C’est là qu’il témoignait de saprécocité de petit gars intelligent. D’ailleurs, il était grand pour son âge et d’un physiqueagréable et sympathique. Un dimanche d’automne, nous nous promenions tous les deux àcheval […]. Cet épisode devait se passer vers 1857 (Isidore a donc 11 ans) […]. On galopapendant une demi-heure sur une route poussiéreuse. À un moment donné, la puanteurirrespirable d’une charogne nous frappa. Sous un datura, une vache couverte de grossesmouches et d’urubus (apparentés aux vautours) pourrissait éventrée par les griffes d’unfélin. […] Isidore voulut voir de plus près la charogne. Il arrêta son cheval […]. Isidoreavait pris un air taciturne. Il scrutait l’horizon sans rien dire. Il me posa une questionbizarre : - ‘est-ce que les cadavres humains puent comme les charognes animales ?’–‘ Sans me rendre compte du mal que je lui faisais, j’ai répondu : bien sûr !’ – ‘Alors,maman… Elle aussi ?’ » ([14], p. 51–52) (difficile ici d’identifier Isidore, trop envahi parl’affect, comme un autiste !).

F. Caradec prend soin aussi de préciser qu’Uruguayens et Argentins retrouvent dans lesChants de Maldoror une faune familière et qu’enfant, Isidore s’y intéressait trèsactivement : les nuits d’été, il chassait les fulgores porte lanterne (mis en scène dans lesChants) ; il observait à la loupe des aoûtats vivants… Mais, bien d’autres animaux plusinquiétants de l’Amérique du sud sont mis en scène dans les Chants : les grues frileuses, leschauves-souris liées aux récits de contes de vampires (Lautréamont est surnommé levampire dans le Chant Premier), l’araignée, le scorpion… À dix ans, quand la paix futsignée, Isidore, selon G. et A. Guillot-Munoz, prisait fort les courses de taureaux, le dres-sage des chevaux, les combats de coqs, la chasse des râles d’eau, des hérons et des grandséchassiers…

Ainsi, l’existence d’Isidore en Uruguay, était particulièrement intense, violente et libre,quoiqu’enrichie d’une éducation intellectuelle sous le contrôle d’un précepteur exigeantet d’une ouverture sur la littérature grâce à son père, lequel avait une bibliothèque trèsfournie.

En 1959, à 13 ans, Isidore est envoyé comme interne au lycée impérial de Tarbes, ville oùdemeure encore un de ses oncles. Il rattrapera son retard scolaire avec brio et connaîtra sonami Dazet « à la fière allure et à la chevelure blonde », futur communard à Paris dans lesannées 1868–1870 (années de l’installation d’Isidore à Paris). Dazet est la figure privilégiéede l’amour adolescent dans les Chants. En 1863, à 16 ans, avec une réputation de gamininsupportable, il intégrera le lycée impérial de Pau où il sera très marqué par son jeune profes-seur de rhétorique Gustave Hinstin, spécialiste de l’École d’Athènes au ton professoral etdidactique. Celui-ci blessera profondément Isidore en le punissant durement après la lectured’une de ses compositions, déjà par trop négativiste sans doute. Aussi bien, Lautréamont feradire à son porte-parole Maldoror que « si quelqu’un a du génie, on le fait passer pour un

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idiot » (Chant I, p. 58)7. Dans Poésies I, pourtant dédicacées en premier lieu à son ami Dazetet en dernier lieu à son professeur, Isidore Ducasse (il reprend pour Poésies I et II, fin 1869,son appellation patronymique) critiquera l’enseignement de son maître, dont il gardera la nos-talgie de ne pas en avoir été compris (relevons ici l’importance de l’opinion d’autrui pour Lau-tréamont, ce qui fait douter une fois de plus d’un fonctionnement psychique autistique leconcernant !).

Durant toutes ses années de pensionnat, si radicalement opposées à son mode de vie enUruguay, Isidore souffrira de la discipline abusive des surveillants si contraire à son mode devie uruguayen8. Le 25 mai 1867, Isidore, âgé de 21 ans, prend le bateau pour Montevideo.Après huit ans d’absence, il va revoir son père pour le convaincre de financer les débuts desa carrière d’homme de lettres en France, car à cette époque, il n’est pas question de se fairepublier lorsqu’on est inconnu : « Une fois connu, ça ira tout seul », écrit-il en 1869.

Après trois à quatre mois passés à Montevideo, vers le début de l’automne 1867, Isidorerevient en France. Après un passage à Bazet et à Tarbes où se trouve encore son ami Dazet,il s’installe dans un hôtel, 23, rue Notre-Dame-des-Victoires à Paris, hôtel à proximité desGrands Boulevards, centre alors du tourisme de luxe et de la vie littéraire. Le « Chancelier »,son père, lui verse une pension confortable par l’entremise du banquier Darasse auquel Isidores’adressera de manière assurée, voire hautaine, comme un jeune bourgeois. À l’encontre detous, F. Caradec soutient qu’Isidore n’était pas un solitaire : « Il est difficile dans le quartierqu’il a choisi d’habiter, d’être un solitaire […] et la liste des dédicataires de Poésies, prouveau contraire qu’il se fit, à Paris, des amis » ([14], p. 174). Certes, il écrit la nuit en rythmantses phrases en les chantant et en s’accompagnant au piano, ce qui lui laisse du temps la jour-née pour sortir et se tenir au courant de la vie littéraire et de tout ce qui se passe en ce tempsde la fin de l’Empire Napoléon III, qui précède la guerre de 1870–1871 contre la Prusse.

En arrivant à Paris, Isidore est lesté d’un encombrant bagage littéraire, qui l’amène dans lesChants à faire du plagiat des nombreux auteurs qui l’ont marqué. Parmi ceux-ci, citons les plusinfluents, dont Alfred de Musset, Byron, Goethe, Baudelaire, Michelet, Shakespeare…9. AvecPoésies I et II, l’œuvre de Ducasse cesse d’être lyrique pour devenir critique et moralisatrice.En une volte-face radicale, Ducasse dénonce la description des passions et le roman comme ungenre faux. Il prône dès lors la logique du jugement pour éduquer les jeunes dans le sens dubien et, in fine, caractérise les chants du mal comme simple illusion et imitation. Dans Poésies,

7 Mais, il fera de nombreux emprunts à son professeur et Maldoror s’exprimera à plusieurs reprises avec un ton pro-fessoral et didactique, notamment au début du Chant VI, devant « les sincères amateurs de la littérature » : « En consé-quence, mon opinion est que, maintenant la partie synthétique de mon œuvre est complète et suffisamment paraphrasée.C’est par elle que vous avez apprise que je me suis proposé d’attaquer l’homme et Celui qui le créa. Pour le moment, etpour plus tard, vous n’avez pas besoin d’en savoir davantage ! […] ce n’est que plus tard, lorsque quelques romansauront paru, que vous comprendrez mieux la préface du renégat, à la figure fuligineuse » ([1], p. 220–221).

8 « Quand un élève interne dans un lycée, est gouverné, pendant des années, qui sont des siècles, du matin jusqu’ausoir et du soir jusqu’au lendemain, par un paria de la civilisation, qui a constamment les yeux sur lui, il sent les flotstumultueux d’une haine vivace, monter, comme une épaisse fumée, à son cerveau, qui lui paraît près d’éclater. Depuisle moment où on l’a jeté dans la prison, jusqu’à celui, qui s’approche, où il sortira, une fièvre intense lui jaunit laface, rapproche ses sourcils, et lui creuse les yeux. La nuit, il réfléchit, parce qu’il ne veut pas dormir. Le jour, sapensée s’élance au-dessus des murailles de la demeure de l’abrutissement, jusqu’au moment où il s’échappe, ouqu’on le rejette comme un pestiféré, de ce cloître éternel » ([1], Chant I, p. 71–72).

9 Il précise sa démarche par rapport à tous ces auteurs dans une lettre au libraire belge Verboeckhoven associé del’éditeur français Lacroix, qui renonce à publier en France des textes aussi follement « libres » que sont les Chants(Lacroix a déjà des problèmes avec la police impériale à propos d’une affaire dénoncée par le jeune Zola). Les Chantsne seront pas publiés du vivant d’Isidore Ducasse.

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il se met aussi à serrer de près l’actualité : l’affaire Troppmann, l’assassinat de Victor Noir etles derniers livres parus. F. Caradec commente non sans pertinence un tel revirement avecreprise de son nom comme le signe « qu’il a surmonté ses fantasmes d’enfance, ses souvenirsconscients ou non » ([14], p. 316).

Le 19 juillet 1870, Napoléon III déclare la guerre contre la Prusse. Le siège de Paris affamela population qui, pour se nourrir, fait la chasse aux rats, aux chats et aux chiens. Le nombrede morts se multiplie. La pension versée par le père d’Isidore ne lui parvient plus. C’est dansce contexte de guerre et de famine, qu’Isidore Ducasse âgé de 24 ans meurt le 24 novembre1870 à huit heures du matin à son domicile, 7, rue du Faubourg Montmartre, « emporté endeux jours par une fièvre maligne » précise son concierge Dupuis au successeur du banquierDarasse. Sa mort n’a donc rien de mystérieux ou de lié au suicide comme certains se sontplus à le croire. Il n’est pas question non plus de continuer à dire qu’on ne sait pas grand-chose sur son histoire, laquelle est pétrie de violences intimes et historiques. D’après LesChants, la mort de sa mère, entre autres, alors qu’il atteignait 20 mois semble avoir eu, aprèsla puberté (notamment à partir de son radical changement de mode de vie à 13 ans, véritablerupture relationnelle qui pouvait réactiver la première), des retentissements dans sa difficulté àse comporter et penser de manière positive et à réaliser un choix d’objet amoureux aussi bienhomosexuel qu’autre car, déclare Maldoror/Lautréamont « celle qui aime le plus trahit tôt outard… » ([1], Chant I, p. 50). Nous reviendrons sur ce point plus loin.

3. Structure autistique

Dans leur ouvrage sur La distinction de l’autisme [6], Rosine et Robert Lefort n’hésitentpas à dire que Lautréamont-Ducasse relève d’une structure autistique et que son œuvre consti-tue la Bible de l’autiste. « Tout y est, écrivent-ils, : l’auteur mort à 24 ans, à peine identifiable,sans histoire, qui n’a laissé aucune image (c’est moi qui souligne) ; son personnage Maldoror,un combiné du mal et de l’horreur, instrument d’une cruauté sans jouissance, au pôle opposéde Sade. La Bible, enfin, fait signe de Dieu, constamment présent dans ces Chants, certes sousla forme blasphématoire la plus extrême ; il n’est cependant pas l’être suprême en méchancetédu marquis, mais bien plutôt le but toujours vain d’un immense amour déçu que le canniba-lisme promu au réel tout au long des Chants laissera sans espoir » ([6], p. 107).

La radicalité du discours de ces deux psychanalystes à propos de Lautréamont est exces-sive, entre autres lorsqu’ils affirment qu’il est sans histoire. De plus, l’intense désird’I. Ducasse d’être compris et reconnu par ses pairs exclut in fine le diagnostic de structureautistique. Toutefois, l’idée de structure autistique qui viendrait en quelque sorte s’ajouter autrio névrose, psychose et perversion en fonction « de la dialectique du signifiant et des mathè-mes de Lacan, c’est-à-dire à partir du sens et du réel » ([6], p. 8) plutôt que d’en référer uni-quement à la description phénoménologique de l’autisme par Léo Kanner (défini avant tout parlui comme trouble fondamental du contact affectif) [15]10 est une démarche, qui peut nousaider à penser autrement cette psychopathologie, et ainsi, à l’approfondir. Aussi bien, concer-nant l’exemple clinique de Marie-Françoise (deux ans et demi) présenté par Robert et RosineLefort au début de leur ouvrage ainsi que leurs commentaires d’après les témoignages écritsd’autistes tels que de Temple Grandin, Donna Williams et Birger Sellin, la perspective d’une

10 Trad. Fr. de Berquez G., in : L’autisme infantile ([16], p. 217–265).

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structure s’ajuste bien. Mais, pour Lautréamont et les cinq autres écrivains (Edgar Poe, FedorDostoïevski, le Président Wilson, Blaise Pascal, Marcel Proust) qu’ils répertorient comme rele-vant d’une structure autistique, il ne peut être question d’établir pour eux le même diagnostic,en particulier d’après leurs œuvres par trop largement fictionnelles et, par là, trop riches enimaginaire, y compris lorsque celui-ci relève plus de la métamorphose que de la métaphore(je reviens sur ce point un peu plus loin). Mais, examinons tout d’abord cette structure. Ils lacaractérisent selon trois points :

● la violence auto- ou hétérodestructrice ;

● l’expulsion de l’Autre ;

● un double dans le réel.

3.1. La Violence auto- ou hétérodestructrice

La Violence auto ou hétérodestructrice, autrement dit en termes psychanalytiques, la miseen jeu de la pulsion de mort totalement désintriquée de la pulsion de vie et qui donne la pos-sibilité d’atteindre une jouissance apocalyptique, telle en effet celle du viol et de l’éviscérationde la jeune fille qui dort à l’ombre d’un platane (Chant III, p. 137-110) ou celle de la mise enscène au Chant VI, qui relate avec minutie, voire de manière obsessionnelle (pour ne rien per-dre de cette jouissance sans âme) la mise à mort de l’adolescent Mervyn « coupable d’aucunforfait » ([1], p. 249) envoyé s’écraser (attaché par les pieds au moyen d’une corde épaisse de60 m de longueur), tel une comète, de l’obélisque de la place Vendôme contre le dôme duPanthéon ([1], p. 251).

Il est vrai, que Birger Sellin, l’autiste allemand qui écrit avec la méthode assistée par ordi-nateur, relève à maintes reprises sa propension à une « force destructrice » ([3], p. 170), qui lepousse à « disjoncter sans arrêt », mais précise-t-il, « je vis tellement sous tension quej’explose souvent ce qui signifie des hurlements bestiaux – sans crier je ne peux plus rienfaire » ([3], p. 203). D’après lui, ce sont les « griffes » de l’angoisse et le manque de limites(psychiques, préciserais-je) les responsables de ses accès de violence, lesquels lui font écrireà la manière de Maldoror : « Je suis cruel et sans sentiment capable de tout le mal… » ([3],p. 190). Comme Maldoror encore, pour essayer de contrer et contrôler cette poussée pulsion-nelle brute, il s’agrippe à une hyperactivité non pas musculaire (puisqu’il est caparaçonné dansun « phénomène de deuxième peau ») mais mentale, en se récitant intérieurement des poèmeset des nouvelles ou bien en « compose beaucoup dans l’esprit » ([3], p. 188).

L’autiste australienne Donna Williams signale aussi ses accès de violence qui l’empêchaientde se « concentrer sur le monde du travail » ([2], p. 131). Seule, la haine lui permettaitd’« éprouver sa propre réalité, précise-t-elle. Et quand je renonçai à la haine comme à lacolère, il ne me resta plus qu’à demander pardon pour tout, pardon pour respirer, pour simple-ment exister » ([2], p. 130).

Ainsi, comme dans les Chants de Maldoror, la haine, la cruauté, les hurlements, les agrip-pements traduisent la prégnance de la pulsion de mort et le recours désespéré à ses différentesexpressions. Celles-ci maintiennent malgré tout une sensation (plutôt qu’un sentiment) d’êtreun peu existant et non seulement un « spectre », ([2], p. 157) comme l’écrit D. Williams enécho à Lautréamont présentant Maldoror comme « le seul véritable mort » ([1], p. 210). Àl’arrière d’une telle violence, la solitude est immense pour de tels fonctionnements psychiques

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et « le chemin criblé de trous noirs » ([2], p. 271)… Toutefois, le critère de la violence auto-ou hétérodestructrice ne se retrouve pas uniquement dans l’autisme. Avec les addictions, lesgraves somatisations, la clinique de l’agir, la désintrication de la pulsion de mort est toutaussi active et atroce.

3.2. L’expulsion de l’Autre

L’expulsion de l’Autre (au sens du grand Autre symbolique lacanien), comme Robert etRosine Lefort le soulignent, représente bien le point fondamental de la structure autistique.Elle permet aussi de théoriser métapsychologiquement la définition du trouble du contactaffectif de Kanner. Mais s’en référer à Freud comme je l’ai fait en désignant l’autismecomme l’échec de « l’expression première du lien affectif à une autre personne »11, définitionfreudienne de l’identification primordiale ou de l’assise du processus identificatoire, c’est-à-dire du devenir sujet, est tout aussi explicite.

Mais ici, je ne pense pas qu’il s’agit, dans l’autisme, de l’expulsion du grand Autre sym-bolique, mais plutôt de l’expulsion (Ausstossung, envers de la Bejahung12 et non Verwerfung,envers de l’instauration du Nom-du-père ([19], p. 387)13 de l’autre primordial (leNebenmensch)14, l’autre des premières rencontres avec la libido humaine. Au lieu de venirs’étayer sur la libido hautement symbolisée de l’Autre au travers des supports corporels (voixcomprise), Autre qui, normalement, en l’accueillant avec sollicitude, tempère la pulsion (lacivilise, la détoxique, disent certains), la libido indifférenciée du tout-petit (ou de l’enfant,voire du patient) se rétracte dans l’organisme jusqu’à secréter parfois un phénomène de« deuxième peau » ([21], p. 60)15 par kinesthésie négative ou, au contraire, à s’agiter de façonfrénétique : « l’expression première du lien affectif à une autre personne » (définition freu-dienne de l’identification primordiale) ne peut s’établir, faisant avorter le processus de la sym-bolisation primaire (l’inscription de S1, selon Lacan). L’érogénéisation du corps et la satisfac-tion hallucinatoire (positive) de désir (en termes lacaniens, la constitution de l’objet petit a) quien est issu ne se produisent pas, privant le sujet d’une corporéité imaginaire et de toute figura-bilité (à l’encontre de ce qui se passe avec Lautréamont !), produit du bon fonctionnement desprocessus primaires régis eux-mêmes par la prévalence de la pulsion de vie. Aussi bien, la pul-sion ne devient pas désir. La sensualité brute et le processus d’autoconservation suppléent

11 Freud S. Psychologie des foules et analyse du moi (1921). In : ([17], p. 167).12 Dans son article La négation (1925) ([18], p. 137), Freud explicite l’affirmation primitive de la pulsion de vie(Behajung) ou du principe de plaisir, qui est aussi la première forme du jugement, comme l’introjection dans le moide ce qui est bon (constitution d’un premier corps de signifiants). L’opération psychique contraire concomitante estl’expulsion (Ausstossung) hors du moi de ce qui est mauvais, sous l’impact de la pulsion de mort. La Verwerfungpour Freud désigne le déni que Lacan a traduit par le terme de forclusion, laquelle porte essentiellement sur un signi-fiant maître, celui du phallus ou du nom-du-père.13 Lacan écrit page 387 des Ecrits que ce qui s’oppose à la Bejahung primaire doit être identifié au procès désignésous le nom de la Verwerfung. Ainsi, tout à sa théorisation de la psychose, Lacan ne distingue pas l’Ausstossung dela Verwerfung au profit de cette dernière. Pour ma part, je dirai que l’autisme relève de l’Ausstossung (non-constitution d’un premier corps de signifiants) alors que la psychose dériverait de la Verwerfung (forclusion d’unsignifiant maître, le phallus).14 Freud S. Esquisse d’une psychologie scientifique (1895). In : ([20], p. 336).15 Cette notion a été introduite par Esther Bick et reprise par Frances Tustin. Elle désigne la manière dont un nour-risson, qui n’a pas pu intérioriser un pare-excitations, contient ses pulsions sur le mode d’une hypertonicité muscu-laire.

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l’autoérotisme et ses dérivés psychiques, ce qui permet de saisir que l’autiste ne délire pas etqu’il est bien différent du sujet psychotique ! Le corps fonctionne (quand il n’y a pas de phé-nomène de « deuxième peau ») selon le schéma corporel neurologique et non selon unmoi-corps16 (nommé souvent image du corps) dérivé de l’instauration du principe de plaisir-déplaisir, c’est-à-dire du processus de l’érogénéisation à même le corps, processus qui échouechez l’autiste. Taraudé par la pulsion de mort, le corps (informé par un moi-corps peu différen-cié) ne peut que s’agripper et être perçu comme dévorant, monstrueux à la manière, il est vrai,qu’a su le mettre en scène Lautréamont sous les formes et les métamorphoses d’animaux féro-ces et méchants ou de monstres armés de becs, de griffes, de ventouses ou de tout attribut sus-ceptible de lacérer, disloquer, étouffer l’autre humain, source de terreur à annihiler par hantised’être aspiré dans un « trou noir » [22]. « Oui, précise Lautréamont dans le Chant troisième, jesens que mon âme est cadenassée dans le verrou de mon corps, et qu’elle ne peut se dégager,pour fuir loin des rivages que frappe la mer humaine, et n’être plus témoin du spectacle de lameute livide des malheurs, poursuivant sans relâche, à travers les fondrières et les gouffres del’abattement immense, les isards humains. Mais, je ne me plaindrai pas. J’ai reçu la vie commeune blessure, et j’ai défendu au suicide de guérir la cicatrice. Je veux que le Créateur encontemple, à chaque heure de son éternité, la crevasse béante. C’est le châtiment que je luiinflige » ([1], p. 136).

Rosine et Robert Lefort écrivent qu’il n’y a pas d’Autre dans l’autisme ([6], p. 14). Certes,pas d’Autre au sens du grand Autre symbolique lacanien ! Oui, il est expulsé, mais pas inexis-tant, comme il est souvent dit. Je dirai qu’il est plutôt négativisé, c’est-à-dire halluciné négati-vement [24] sous le sceau de la seule pulsion de mort et perçu, de ce fait, comme puissanceabsolue : un dieu tout-puissant17 anthropophage (appelé aussi par Lautréamont, Elohim, leCréateur, le grand-Tout, ou bien encore l’Éternel), qui est à l’origine des « saintesmathématiques », mais « prêt à détruire à tout moment le monde qu’il a créé »18. Lautréamontle rend responsable entre autres d’« être accablé d’une espèce de folie originelle depuis sonenfance » ([1], p. 65), aussi, doit-il le combattre, le maintenir à distance, voire le prendre enflagrant délit de luxure et de meurtre comme dans le couvent/lupanar, délit digne d’une scèneprimitive cruelle et mortelle ([1], p. 148). En filigrane et à plusieurs reprises dans les Chants,ce dieu tout-puissant vient à la place de la mère de l’auteur, morte 20 mois après sa naissance :il s’agit, précise-t-il, de « celle qui aime le plus et trahit tôt ou tard… » ([1], p. 50) et qui lui ainsufflé « le besoin de l’infini […] qu’il ne puit contenter » ([1], p. 54). Autrement dit, est

16 À propos du moi, Freud précise que « Le moi est avant tout un moi corporel, il n’est pas seulement une surface[c’est-à-dire une surface érogénéisée], mais il est lui-même la projection d’une surface [c’est-à-dire le produit desreprésentations psychiques issues des zones érogènes ouvertes au cours de la rencontre avec l’autre primordial] » [23].17 « Je voudrais t’aimer et t’adorer ; mais, tu es trop puissant, et il y a de la crainte, dans mes hymnes. Si, par uneseule manifestation de ta pensée, tu peux détruire ou créer des mondes, mes faibles prières ne te seront pas utiles ;si, quand il te plaît, tu envoies le choléra ravager les cités, ou la mort emporter dans ses serres, sans aucune distinc-tion, les quatre âges de la vie, je ne veux pas me lier avec un ami si redoutable. Non pas que la haine conduise le filde mes raisonnements ; mais, j’ai peur, au contraire, de ta propre haine, qui, par un ordre capricieux, peut sortir deton cœur et devenir immense, comme l’envergure du condor des Andes. Tes amusements équivoques ne sont pas àma portée, et j’en serai probablement la première victime. Tu es le Tout-puissant ; je ne te conteste pas ce titre,puisque, toi seul, as le droit de le porter, et que tes désirs, aux conséquences funestes ou heureuses, n’ont de termeque toi-même. Voilà précisément pourquoi il me serait douloureux de marcher à côté de ta cruelle tunique de saphir,non pas comme ton esclave, mais pouvant l’être d’un moment à l’autre. » cf. [1], Chant deuxième, strophe 12, p. 114.On ne peut pas éviter d’entendre en parallèle ce qu’il dit de « celle qui aime le plus et trahit tôt ou tard » !18 « Je vous ai créé, donc j’ai le droit de vous faire ce que je veux » ([1], p. 96). L’autiste Donna Williams fait direquasiment les mêmes paroles à sa mère !

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pointée là la trahison et la nostalgie le plus souvent déniées de l’autre primordial ou, peut-êtreen deçà, de la matrice maternelle, la Chose, l’impossible selon Lacan, ce que ne manquent pasde noter Robert et Rosine Lefort ([6], p. 121).

Mais au cœur de la révolte fougueuse et désespérée de Lautréamont, le tout-puissant, cetteforme abstraite (recouverte d’un réel trivial et obscène) de l’ordre de l’hallucination négativereprésente toutefois l’instance unitaire, totalisante, l’identité, qui est en défaut pour lui d’unecertaine manière. Par cette construction, il introduit la dimension symbolique, c’est-à-dire del’Autre qui, dès lors, n’est pas expulsé comme dans l’autisme. Il est vrai, qu’elle correspondassez avec ce que J.-C. Maleval a repéré chez les autistes comme un « Autre de synthèse »[25] (un double dans le réel pour Robert et Rosine Lefort) qui vient suppléer l’incapacité àsortir de l’indifférencié, à se séparer, pour pouvoir se percevoir comme Un, c’est-à-direcomme sujet séparé et non infini. Au contraire, Lautréamont aspire à la permanence, à l’immu-tabilité totale, sans limite, jouissive à la manière du « vieil océan, symbole de l’identité : tou-jours égal à [toi] soi-même. Tu n’es pas comme l’homme […] qui est ce matin accessible et cesoir de mauvaise humeur ; ([1], p. 57). […] Ta grandeur morale, image de l’infini, estimmense comme la réflexion du philosophe, comme l’amour de la femme, comme la beautédivine de l’oiseau, comme la méditation du poète » ([1], p. 61). Soulignons, d’une part, la pro-pension de Lautréamont à se tourner vers des identifications à des objets « naturels » commel’océan, (monde inhumain, minéral, fluide) plutôt qu’à des personnes ce qui est assez caracté-ristique du fonctionnement autistique, et d’autre part, son aspiration et sa capacité à évoquerl’amour, la beauté la méditation, valeurs humaines par excellence, qu’il a donc peu ou prou puappréhender !

3.3. Un ou des doubles dans le réel, (troisième et dernier point de la structure autistique)

Face à la toute-puissance écrasante du Grand Tout, Lautréamont lance sa créature, Maldo-ror, (condensation poétique qui pourrait signifier horreur du mal ou aurore du mal dans unerésonance hispanique) un double de lui-même analogue aux prothèses sociales (Caroll et Vil-lie) créées par l’autiste Donna Williams pour s’adapter en surface au monde humain ([2],p. 61). Robert et Rosine Lefort qualifient ces dernières de doubles dans le réel et non pas dedoubles spéculaires, qui supposent l’aliénation dans le désir de l’Autre. Tantôt humaine tantôtanimale, douée d’une force sans limite, violente et sans état d’âme, la créature-prothèse deLautréamont, elle, s’oppose au Tout-Puissant et détruit tout ce qui existe de vivant, plus parti-culièrement, le plus tendre, le plus innocent, le plus beau de la race humaine : le jeune enfantqu’on réveille et à qui on arrache le cœur avec les ongles ([1], p. 49) ; la fillette de dix ans àqui il pourrait en coûter cher de repasser dans la rue étroite ([1], p. 89) ; la jeune fille endormiesous un arbre, « gracieuse comme un chat », violée par Maldoror et par son bouledogue puis,éviscérée vivante avec un canif américain par « le trou élargi de son vagin » tel un « pouletvidé » ([1], p. 139–141) ; La petite fille qui « se penchait vers les eaux du lac pour cueillir unlotus rose » expédiée par un regard de Maldoror « dans la pourriture » du fond ([1], p. 174) ;l’arrachage, dans un accès de rage, de la chevelure de l’ami Falmer, « aux cheveux blonds etaux traits majestueux », chevelure qui reste dans la main de Maldoror ([1], p. 185) ; enfin,dans le petit roman du Chant sixième, la traque et le massacre du jeune Mervyn, (l’un desnombreux adolescents blonds évoqués de façon lancinante tout au long des Chants) contre ledôme du Panthéon, après moult tortures plus horribles les unes que les autres…

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Un tel acharnement contre des innocents marque la volonté inflexible de Lautréamont de neplus se faire piéger par l’autre. Il prend le parti radical du mal pour éradiquer toute trace deconfiance et d’espoir en l’humain ainsi qu’il avait pu le croire dans son enfance : « J’établiraidans quelques lignes comment Maldoror fut bon pendant ses premières années où il vécutheureux ; c’est fait. Il s’aperçut ensuite qu’il était né méchant : fatalité extraordinaire ! Ilcacha son caractère tant qu’il put, pendant un grand nombre d’années ; mais, à la fin, à causede cette concentration qui ne lui était pas naturelle, chaque jour le sang lui montait à la tête ;jusqu’à ce que, ne pouvant plus supporter une pareille vie, il se jeta résolument dans la carrièredu mal… atmosphère douce ! » ([1], p. 46–47). Ainsi, tel un manichéen, sur le mode du toutou rien (sans transitionnalité disent les winnicottiens), ou encore sur le mode du clivage, Lau-tréamont/Maldoror serait passé d’un état heureux et normalisé à un agir pulsionnel en deçà detout interdit à la manière du dédoublement de Docteur Jekyll et Mister Hyde dans le roman deR. L. Stevenson (1885), dédoublement qui revient comme un leitmotiv tout au long desChants, ce que Rosine et Robert Lefort repèrent donc comme un double dans le réel et nonpas dans le spéculaire. Mais, ce n’est pas toujours vrai, à commencer par la référence àl’amour d’Isidore pour Dazet et l’attirance de Lautréamont/Maldoror pour tous les jeunes ado-lescents blonds (doubles spéculaires de Dazet) qu’il met en scène.

4. Une barrière autistique plutôt qu’une structure : un clivage du moi corporel précoce

Certes, Maldoror présentifie la rage et le désespoir de Lautréamont. Par rapport au Tout-Puissant, il n’en est qu’une partie, c’est-à-dire le fini, voire l’objet partiel qui, faute d’être infini,a fait le choix du mal, c’est-à-dire de la négativité, de la révolte (le chant contre le vice :« j’arrache le masque […] je fais tomber les mensonges » ([1], p. 79)) valorisées par le poèteen lutte contre le principe unitaire et l’ordre établi (les pions, les professeurs-juges, la guerre, lecholéra, la mort…) dans lequel il ne peut exister. Lautréamont/Maldoror prend consciemment leparti de pousser au paroxysme la négativité, la destructivité, sans doute, par peur de la hainequ’il prête à l’Autre, pour, malgré tout, exister (« si j’existe, je ne suis pas un autre » [1],p. 114). Cette phrase, qui n’a rien à voir avec celle de Rimbaud, « Je est un autre », écrite deuxans plus tard (lettre à Demeny, 15 mai 1871) [26] trahit surtout la profonde angoisse d’anéanti-ssement qui menace de manière sous-jacente et tenace Lautréamont/Ducasse : qui est le mort ?Une telle recherche pour Être, pousse à penser que le petit Isidore de 20 mois, à la mort de samère, n’a pas éprouvé la perte de l’Autre, pas assez différencié, mais plutôt une sorte de dispa-rition quasi corporelle de lui-même ou d’une partie de lui-même, une sorte d’agonie primitived’avant le langage comme dirait Winnicott, ou bien encore, selon Freud, un clivage du moidans le processus de défense [27], au temps, insisterais-je où « le moi est avant tout moicorporel » ([28], p. 238). Lorsque Lautréamont/Ducasse écrit « J’ai reçu la vie comme une bles-sure, et j’ai défendu au suicide de guérir la cicatrice. Je veux que le Créateur en contemple, àchaque heure de son éternité, la crevasse béante » ([1], p. 136), cette crevasse ne désigne-t-ellepas ce même repérage d’une « déchirure dans le moi qui ne guérira jamais plus, mais grandiraavec le temps » ([27], p. 284), ainsi que Freud définit le clivage ? Les poètes, précise Freuddans l’Interprétation des rêves (il s’agit ici de Sophocle et Shakespeare) ([29], p. 228–231),sont capables de rendre compte de processus psychiques que la psychanalyse découvre à partird’un long travail d’analyse. N’est-ce pas ce qui se passe avec Lautréamont/Ducasse à propos decette déchirure du clivage qui l’habite ? De plus, le clivage, ai-je soutenu ailleurs, porte élective-ment sur la capacité poétique d’être réceptif à l’Autre, aux autres en résonance à soi, capacité

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que j’ai désignée comme le lieu du féminin élémentaire [30]. L’entreprise des Chants constituepar excellence le contre-pied farouche d’une quelconque réceptivité à l’autre, dans une tentativeextrême d’éradiquer une fois pour toutes l’atroce souffrance issue de la « déchirure » provoquéepar la disparition brutale de l’autre primordial.

D’autre part, dans le même ordre d’idée, s’acharner à détruire l’autre à la manière de Mal-doror/Lautréamont, n’est-ce pas essayer de se convaincre que c’est l’autre qui est mort et nonsoi, d’où l’affirmation insolite à propos de Maldoror : « Mais, sachez au moins, que celui-là,dont vous apercevez la silhouette équivoque emportée par un cheval nerveux […] quoiqu’ilait beaucoup vécu, est le véritable mort » ([1], p. 210). Pire encore, l’un des revers possiblesde la centration sur la mort de la mère peut être aussi la conviction d’en être le meurtrier, car àplusieurs reprises dans les Chants, Lautréamont s’accuse d’un crime sans en préciser l’objet.Ainsi, dans le Chant I par exemple : « Est-ce un délire de ma raison malade, est-ce un instinctsecret qui ne dépend pas de mes raisonnements, pareil à celui de l’aigle déchirant sa proie, quim’a poussé à commettre ce crime ; et pourtant, autant que ma victime, je souffrais ! » ([1],p. 50). On peut se demander si l’inscription de la déchirure (ou du clivage) analogue à celleque l’aigle impose à sa proie, provoquée par la disparition de la mère, n’est pas à l’origined’un fantasme d’avoir commis un crime.

Deux autres passages vont encore dans le sens de cette reconstruction des origines du malqui taraude Lautréamont et que les Chants expulsent en une mise en mots si singulière. Ils’agit en premier lieu de la douleur éprouvée « quand une femme, à la voix de soprano, émetses notes vibrantes et mélodieuses, (il poursuit), à l’audition de cette harmonie humaine, mesyeux se remplissent d’une flamme latente et lancent des étincelles douloureuses, tandis quedans mes oreilles semble retentir le tocsin de la canonnade » ([1], p. 196). Autrement dit, ladisparition de la voix de sa mère ne l’a-t-elle pas figé, glacé, terrorisé comme le faisaitl’annonce du grondement sourd et prolongé des canons lors du siège de Montevideo (autresource de réactivation de la trace traumatique) pendant sa deuxième enfance ? On peut mêmesupposer que ces deux phénomènes le rendaient sourd et sans voix, si l’on tient compte de cequ’il rapporte quelques lignes plus loin : « On raconte que je naquis entre les bras de lasurdité ! Aux premières époques de mon enfance, je n’entendais pas ce qu’on me disait.Quand, avec les plus grandes difficultés, on parvint à m’apprendre à parler, c’était seulement,après avoir lu sur une feuille ce que quelqu’un écrivait, que je pouvais communiquer, à montour, le fil de mes raisonnements » ([1], p. 97). Ainsi, petit, une partie de lui n’était pas là ; iln’entendait plus les voix puisque la principale s’était tue et lui avec. Il fallait le stimuler par lavue pour le rendre présent ! Une telle absence au monde apprésente bien de l’autisme, mais nepourrait-on pas parler de repli, de positionnement ou bien encore, selon Francès Tustin, de bar-rière autistique [22] pour obturer le clivage du moi plutôt que d’une structure, qui embrasseraittout le fonctionnement psychique du sujet ? Le plaisir de penser et de dire, qui s’est développéchez Isidore Ducasse jusqu’à lui faire choisir la carrière d’homme de lettres, n’est-elle pasmanière de suppléer à cette déchirure inscrite en ses assises tout en la transposant dans lechamp de la littérature contestataire… mais que son rationalisme sans faille, digne des« saintes mathématiques » pourrait faire classer à première vue en tant qu’autiste intelligent ?

Par ailleurs, pour Lautréamont, la mère est un refuge, il le sait pour écrire : « Plût au cielque le contact maternel amène la paix dans cette fleur sensible » ([1], p. 93). Aussi bien, lesnombreuses mises en scène de fusion ou de symbiose que Lautréamont évoque dans lesChants, indiquent qu’il n’est pas sans avoir connu un tel état de symbiose et qu’il en est vio-lemment nostalgique, ce qui va à l’encontre d’un diagnostic d’autisme primaire structurant tout

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le psychisme. L’une des scènes les plus marquantes, mais aussi les plus violentes, qui évo-quent sans conteste les combats de coqs que le jeune Isidore prisait si fort à partir de l’âge dedix ans, est celle du combat entre Maldoror métamorphosé en aigle et le dragon, délégué duTout-Puissant, porteur de l’Espérance ([1], p. 142–143) qui, pour Lautréamont/Ducasse, pour-rait le sauver du mal. Aussi bien, écrit l’auteur « je m’aperçois que l’aigle, collé à lui (au dra-gon) par tous les membres, comme une sangsue, enfonce de plus en plus son bec, malgré denouvelles blessures qu’il reçoit, jusqu’à la racine du cou, dans le ventre du dragon. On ne luivoit que le corps. Il paraît à l’aise ; il ne se presse pas d’en sortir. Il cherche sans doutequelque chose, tandis que le dragon, à la tête de tigre, pousse des beuglements qui réveillentles forêts. Voilà l’aigle qui sort de cette caverne… » ([1], p. 143). Parfois l’aspiration à lafusion est moins agressive, mais fragilisante, comme la rencontre de Maldoror et du crapaud,qui représente en fait Dazet, l’ami d’Isidore si tendrement aimé pendant et après l’adolescence,dont les sonorités du nom sont si proches de celles du nom de sa mère (Davezac), comme lefait remarquer Pierre-Olivier Walzer dans ses notes de fin de page19 : « Quel est cet être, là-bas, à l’horizon, et qui s’approche de moi, sans peur, à sauts obliques et tourmentés ; et quellemajesté, mêlée d’une douceur sereine ! son regard, quoique doux, est profond […]. En fixantses yeux monstrueux, mon corps tremble ; c’est la première fois, depuis que j’ai sucé lessèches mamelles de ce qu’on appelle une mère. […] Puisqu’il te plaît de venir à moi, commeattiré par un aimant, je ne m’y opposerai pas. Qu’il est beau ! » ([1], p. 75).

Ou bien encore, ce passage où Lautréamont évoque sans ambiguïté l’état de fusion :

« Adolescent pardonne-moi. Une fois sorti de cette vie passagère, je veux que noussoyons entrelacés pendant l’éternité ; ne former qu’un seul être, ma bouche collée à tabouche » ([1], p. 51–52).

Un autre aspect qui va dans le sens de l’hypothèse du clivage du moi chez Lautréamont/Ducasse à partir de son œuvre consiste d’une part, en sa capacité de distanciation ou sa« volonté », comme il le formule, de choisir sa démarche (qu’il appelle méthode) et, aussi, depouvoir en changer, notamment de l’inverser. Ainsi, dans les Chants, il décide de « crétiniser »(hypnotiser) les humains, encore plus qu’ils ne le sont, - bien entendu, dans l’espoir non avouéde les faire réagir et qu’ils aient le courage d’être lucides20, de ne plus obéir à la loi symbo-lique courante aussi vicieuse et meurtrière que le Tout-Puissant – qui n’est pas pour lui le dieulénifiant des religions, mais plutôt l’ordre du langage (l’Autre du langage selon Lacan). Alorsque, d’autre part, dans Poésies I et II, il prend le parti du Bien et devient moraliste.

Une autre dimension de l’écrit de Lautréamont me confirme aussi dans l’hypothèse d’unclivage du moi, plus précisément d’un clivage du moi-corps, d’avant l’étayage sur le langageverbal. Il s’agit de l’intensif usage de la métamorphose par Lautréamont plutôt que de la méta-

19 Walser PO. D’Isidore Ducasse au Comte de Lautréamont (Introduction). In : ([1], p. 1141).20 Au début de la dernière strophe des Chants, Lautréamont explicite sa méthode : « pour construire mécaniquementla cervelle d’un conte somnifère, il ne suffit pas de disséquer des bêtises et abrutir puissamment à doses renouveléesl’intelligence du lecteur, de manière à rendre ses facultés paralytiques pour le reste de sa vie, par la loi infaillible de lafatigue ; il faut, en outre, avec du bon fluide magnétique, le mettre ingénieusement dans l’impossibilité somnambu-lique de se mouvoir, en le forçant à obscurcir ses yeux contre son naturel par la fixité des vôtres. […] Si la mortarrête la maigreur fantastique des deux bras longs de mes épaules, employés à l’écrasement lugubre de mon gypse lit-téraire, je veux au moins que le lecteur en deuil puisse se dire : ‘‘Il faut, lui rendre justice. Il m’a beaucoup crétinisé.Que n’aurait-il pas fait, s’il eût pu vivre davantage ! c’est le meilleur professeur d’hypnotisme que je connaisse ! »([1], p. 247).

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phore, qui relève d’une opération psychique plus abstraite et moins en prise directe avecl’action. Cet usage de la métamorphose produit cet imaginaire ou cette poésie que Bachelarddit de « l’impulsion musculaire » et qu’en termes freudiens j’ai rapporté à l’ordre de« l’hallucination motrice » (cf. supra). L’inscription traumatique qui a fait « crevasse » pourl’auteur date sans doute du temps de ses 20 mois, lorsque le moi s’élabore à partir des signi-fiants issus de l’étayage sur l’autre primordial et sur les fonctions du corps.

5. Conclusion : l’écrit comme suppléance de la faille autistique issue du clivage du moi-corps

Toujours est-il, que Lautréamont, hanté par la mort, met à mal le langage romantique etpostromantique de son époque : en deçà de la violence de ses récits dans lesquels sévit la cru-dité des termes et s’impose un réalisme fictionnel décapant, transgressant l’interdit de l’incesteet le meurtre du père, le sujet de l’énonciation est pulvérisé. Le « je », le « tu » et le « il » glis-sent de manière incessante de l’un à l’autre mettant à mal le lecteur, qui se demande constam-ment qui parle. Dans « Instances du discours et altération du sujet », Julia Kristeva ([9],p. 335) considère à juste titre à propos des Chants, que « l’irruption pulsionnelle dans ledomaine symbolique perturbe la position thétique et, de ce fait, tout le dispositif ordonné desinstances discursives que celle-ci commande. […] Au niveau de l’énonciation, la pulsionéclipse la position du « je », mais pour reproduire dans le discours ses dépendances des autres(« tu », « il »). […] Non pas que les frontières de ce dispositif soient effacées ; mais des per-mutations et des superpositions s’opèrent, signifiant que l’unité du sujet se divise et se multi-plie, de sorte qu’il peut occuper en même temps toutes les instances du discours. Ces instancesne sont plus alors que des charnières, qui permettent d’arrêter un instant le procès signifiantmais pour le relancer immédiatement vers d’autres ‘instances’ » ([9], p. 316–317). Une tellepulvérisation du sujet, (division et multiplication du sujet), qui vient recouvrir de manièrefolle le clivage, est rendue par la multitude des « personnages » ou, plutôt, des formes méta-morphosables mises en scène. Il s’agit d’objets (poil, océan, cheveu géant…), de bêtes (arai-gnées, poux, aigles, pourceau, rhinocéros, chiens, requins, crabe, serpents, la queue d’un pois-son…), d’êtres imaginaires (anges, dragons…), de figures doubles (les jumeaux, le visagecoupé en deux…), des auteurs ou des personnages de la littérature anticonformistes (Lohen-grin, Hozer, Lombano…). À noter que toutes ces formes transformables ou à détruire rendantcompte d’un pulsionnel brut relevant de l’asymptote entre langage et jouissance (sorted’« hallucinations motrices » ou de « pictogramme », cf. supra [11] et [13]) dérivent plus deperceptions visuelles et kinesthésiques ainsi que d’informations scientifiques ou littéraires quede l’imaginaire proprement dit. Comme la trame narrative, ces formes archaïques sont ferme-ment reliées entre elles par un raisonnement logique sans faille, qui vient re-saisir et maîtriserl’abîme intérieur (le trou noir du clivage) qui terrorise Lautréamont/Ducasse. Il s’accroche enfait à la « ravissante clarté » du texte, à sa logique aussi implacable que la toute-puissancedivine comme l’autiste ou l’alpiniste en danger, qui n’est suspendu que par une seule priseau-dessus du gouffre, à un réel, la sensation ([22], p. 121). À l’instar de la sensation, l’écrit,ce réel à la fois concret et abstrait une « matérialité abstraite » comme le nomme SergeLeclaire [31] donne un accès, ainsi que le précise Birger Sellin, à une « réalité d’un secondordre » ([3], p. 188)21, qui permet aux autistes dits intelligents ou d’Asperger, mais aussi au

21 Expression de l’autiste Birger Sellin in Une âme prisonnière [3].

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survivant du clivage du moi-corps, tel Ducasse/Lautréamont, d’émerger de manière créative,donc singulière, au monde de la signifiance humaine (y compris sur le mode négativiste) aulieu d’être aspiré et anéanti dans le trou noir de la structure autistique ou de la « crevasse »du clivage du moi-corps.

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