LAUTEL DE SAINTES

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L'AUTEL DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES (Note lue à l'Académie des inscriptions en décembre 1879). J'ai l'honneur de soumettre à l'examen de l'Académie un autel gaulois d'époque romaine, qui m'a piru mériter toute son attention. Cet autel, découvert à Saintes (I), a éI.Ô acheté par M. Benjamin Filtôn. M. Fillon, frappé de l'importance historique d'un pareil monu- ment, l'a gracieusement offert à notre Musée des antiquités nationa- les (e). L'autel est à double face, et mesure O',82 de. haut sur 0m,79 dg lai geetom,30 d'épaisseur. Il est sculpté dans un bloc de pierre co- quillière blanche. Son état de conservation laissant beaucoup à dé- sirer, jemé suis hâté de le faire photographier, puis mouler avec le plus grand soin; ce moulage et ces photographies sont sous vos yeux. (Voir Pl. I et IL) Le personnage principal, sur chaque face, est un dieu assis, tes jambes croisées à la manière orientale, accosté de deux divinités •foi'mant avec lui une triade. La tête du dieu ù attitude bouddhique, je ne saurais mieux le désigner (et je demande la permission de me servir de cette expression laconique sans que cela tire autrement il conséquence), manque également sur l'une et l'autre face (3). Les attributs qu'il tient à la main sont fort mutilés. Toutefois on recon- naît facilernentque sur la face principale (pl. 1) il porte le saguin (4), attaché sur l'épaule (5y par une fibule. La main droite tient un tor- (1) Au faubourg Saint-Vivien, non loin de la route de Sain tes â Ecurat. (I1onsei- gnements do M. l'abbé Laferriêre.) (2) Musée Je Saint-Germain-en-Laye. (3) Ces têtes semblent avoir été brisées intentionnellemr.nt. () On sait que le sagu;n est non nue blouse, mais une sorte de plaid écossais. (5) Epaule droite. Document D 11111111 lI D!D il Ill il 1011 0000005622832

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L'AUTEL DE SAINTESET

LES TRIADES GAULOISES

(Note lue à l'Académie des inscriptions en décembre 1879).

J'ai l'honneur de soumettre à l'examen de l'Académie un autelgaulois d'époque romaine, qui m'a piru mériter toute son attention.

Cet autel, découvert à Saintes (I), a éI.Ô acheté par M. BenjaminFiltôn. M. Fillon, frappé de l'importance historique d'un pareil monu-ment, l'a gracieusement offert à notre Musée des antiquités nationa-les (e). L'autel est à double face, et mesure O',82 de. haut sur 0m,79dg lai geetom,30 d'épaisseur. Il est sculpté dans un bloc de pierre co-quillière blanche. Son état de conservation laissant beaucoup à dé-sirer, jemé suis hâté de le faire photographier, puis mouler avecle plus grand soin; ce moulage et ces photographies sont sous vosyeux. (Voir Pl. I et IL)

Le personnage principal, sur chaque face, est un dieu assis, tesjambes croisées à la manière orientale, accosté de deux divinités•foi'mant avec lui une triade. La tête du dieu ù attitude bouddhique,je ne saurais mieux le désigner (et je demande la permission de meservir de cette expression laconique sans que cela tire autrement ilconséquence), manque également sur l'une et l'autre face (3). Lesattributs qu'il tient à la main sont fort mutilés. Toutefois on recon-naît facilernentque sur la face principale (pl. 1) il porte le saguin (4),attaché sur l'épaule (5y par une fibule. La main droite tient un tor-

(1) Au faubourg Saint-Vivien, non loin de la route de Sain tes â Ecurat. (I1onsei-gnements do M. l'abbé Laferriêre.)

(2) Musée Je Saint-Germain-en-Laye.(3) Ces têtes semblent avoir été brisées intentionnellemr.nt.() On sait que le sagu;n est non nue blouse, mais une sorte de plaid écossais.(5) Epaule droite.

Document

D 11111111 lI D!D il Ill il 10110000005622832

L'AUTEL DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.

quos. L'objet que serre la main gauche, plus difficile b déterminer, pa-raîtêtre une bourse; Sur cette, face le dieu occupe la droite de l'autel (1).

A la gauche du dieu est assise une déesse drapée. Une corned'abondance repose sur le bras gauche. Dan's la main droite est unobjet de carac&re douteux, peut-être un ciseau. 'La tête de la déesses'est retrouvée, détachée du tronc, à peu prs intacte. La chevelurepend par derrière en chignon ovale.j

A gauche de la déesse et presque sur la: tranche de l'autel unepetite divinité un tiers de grandeur des deux autres, se tientdeboutet complète latriade. Cette petite divinité est mutilée. On a peine àdistinguer les détails du costume et les dttributs. On y reconnaît,toutefois, une divinité féminine portant la robe talaire. La tête man-que. Le bras gauche est plié sur la poitrine. La main lient unesorte de fruit, pomme ou grenade. Le bras droit soutient une corned'abondance dépassant t'épaule.

La face postérieure, dont les personnages , sont de plus petite diinen--sien, n'a pas moins d'importance pour noùs. (Voir Pl. 11.)

Le dieu à attitude bouddhique tient ici le centre de l'autel. Dansla main droite est une bourse. L'objet que 1 tient la main gauche estméconnaissable. Deux tétés de taureau orient la base du siège surlequel le dieu repose I

A la droite du dieu se voit une divinit féminine à longue rabe.Celte divinité est debout; le bras droit tombe le long du corps etparaît libre. Le bras gauche est recourbé t sur la poitrine. La mainporte un vase ou plus probablement un fruit. La base qui soutientla divinité est sans ornement. I

A la gauche du dieu central se tient debout un personnage nu,de sexe masculin, la main droite appuyée sur une massue, unepomme (2) dans la main gauche. La base 'sur laquelle repose ce per-sonnage, est ornée d'une tête de taureau.'

L'autel de Saintes nous met donc, 'a première vue, en présence desfaits suivants

4 0 Une divinité masculine accroupie à l'orientale, vêtue du sagumcl ayant pour attributs certains le torqueset la bourse (3);

Cette divinité, sur chaque face, est S ielation avec deux autresdivinités formant avec elle une triade;

(1) La gauche du spectateur qui regarde l'autel.(2) Cet objet est très mutilé et petit être dirûcilcment déterminé.() Nous ne parlons pas des autres attribtits dont le caractère est trop con-

jectin.t. 1'-

L'AUTEL DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.

3' L'a triade est c'oSp6sée d'un côté du dieu à altitude bouddhiqueet de deux déesses de l'autre, du même dieu accosté d'une déesseseulement et d'un personnage masculin armé de la massue.

Aucun texte ancien ne s'applique directement à l'ensemble de cesreprésentations. Nous devons donc chercher la lumière d'un autrecôté, et procéder par voie de comparaison et d'analyse.

Cemonument est-il unique? S'il existe des monuments analogues,que nous apprennent ces monuments? Telle est la question que nousavons dû nous poser tout d'abord.

L'autel que nous examinons n'est pas unique. Des monumentsanalogues, sinon semblables, ont été découverts antérieurement àcelui de Saintes. De plus, nous retrouvons en Gaule, sur plusieurspoints du territoire, unis ou séparés, les divers éléments mythologi-ques qui caractérisent les personnages de l'autel de Saintes. Permet-tez-moi de passer en revue ces monuments dont les originaux ou lesmoulages se voient au musée de Saint-Germain (salle XIX). Endehors du dieu de Saintes, nous connaissons six divinités à atti-tude bouddhique (I).

N' 1.— Autel ddcotèvett à fleims(2) eu 4837. (Voir pl. 11h)

La divinité accroupie, comme celle de Saintes, fait partie d'unetriade dont elle occupe le centre, ayant Apollon à droite, Mereuré àgauche. Cette divinité, comme à Saintes est un dieu (3). Commele dieu de Saintes, le dieu de Reims porte le torques, non plus àlamain, mais au cou. La tête, cette fois, existe : elle est barbue (4) et:était ornée de magnifiques palmes de cervidé dont !es. traces sontencore trèsvisibles (5). De ses deux mains le dieu presse 'une outred'où s'échappent, en abondance, des glands ou des faînes que sem-blent attendre un boeuf et un cerf placés au-dessous. Sur le frontonde l'autel est sculpté un' rat (6).

(1)Depuis la lecture de cette note un septième monument des plus curieux m'aété signalé.

(2) Voir ilagan'n Øittoresque, 1847, p' 164 ; Revue arc/,éot,, 1852, p. 561; Revuenumismatique, nouvelle série, t. III, Isas, etc.

(3) La triade, ici, se compose donc de trois dieux sans déesse.(4) Le dieu, outre la barbe, porte de fortes moustaches,(5) Nous les avons fait rétablir, mens à l'état mobile, sur le moulage du musée;

on peut ainsi se rendre compte de l'état, actuel et de l'état primitif présumé. Ledessin ci-joint donne une idée exacte des cornes avant la mutilation.

(G) M. le baron de Witte voit dans le rat, dont la demeure est souterraine, un des

L'AUTEL DE SAINTES ET- LES TRIADES- GAULOISES.

Le dieu de l'autel de Saintes et le dieu de l'autel de Reims ne fontqu'uni Les attributs de l'une de ces divinités peuvent légitimement

Tête du dieu de Relias avec ses cornes. -

servir 'o expliquer ou compléter ceux de l'autre.. Le dieu de Saintesdevait étre, comme celui de Reims,- barbu et cornu (1)

N°2. - Statuette d'Autun (2).-

(Voir pi. IV et les dessins ci-joints.)

Le second monument n'est plus un autel, mais une simple sta•tuette. La posture accroupie du dieu, assis les jambes croisées surun coussin, le torques qu'il porte au cou, la tête barbue et vrai-embiabiement cornue (3), permettent de le rapprocher sans hési-

tation des deux divinités prééédentes.Ce dieu, le plus complet, le mieux conservé de tous, donne sur le

mythe dont il relève de nouveaux et précieb renseignements.

symboles do Pluton, dieu des enfers et des richesses minérales. cc. Revue archée!,,S52,l.c.(t) En y regardant de près, on voit sur la face postérieure de l'autel des traces

qui semblent être celtes d'une des cornes du dieu à attitude bouddhique, corne dontl'extrémité seule a échappé à la destruction. La suite de cette étude montrera coin-Liée ta conjecture que nous faisons ici est vraisemblable.

(2) L'original appartient au musée de Saint-Germain.(3) L'attache des cornes se voit encore; elles étaient fixées par des tiges en fer

q61 ôllt.'laissé des traces d'oxyde dans les deux petites cavités qui les recevaient.

L'AUTEL DE SAINTES ET LES-TRIADES GAULOISES.

L'étude de la statuette d'Autun permet d'affirmer, en premierlieu,que L'idée de trinité était essentiellement liée à la légende dont cedieu est le héros. S'il n'y a point place, ici, pour les deux divinités

acolytes, comme sur les autels (4), la divinité unique porte avec -elle, je pourrais dire en elle-même, son symbole trinitaire. Deuxpetites tètes, dont une bien ccnservûe, sont accolées au crâne du -

(1) II se peut qué dans le laraire où ce dieu était placé il fût- accompagné dedeux autres divinités qui formassent avec lui la triade. On n'a aucun détail sur les'ciicoustances de la découverte faite par un paysan dans tes environs d'Autun.

10L'AUTEL DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.-

dieu, ,un6 à gauche et une à droite, au-dessus des oreilles (I). Ledieu-est un tricépbalo. I

En second lieu, l'importance du2 '. torques est particulièrement aceen-

tuée. Non seulement le dieu portele lorgnes au cou, mais un autretorques dressé dur un coussin que

)fla divinité tient,sur ses genoux est-. offerten adoration à deux monstres,

serpents ou dragons à écailles ayanttête de tôlier (). Les deux corps

n de ces serpents forment une sorteh

de ceinture au dieu.La série des symboles groupés

autour de notre 'divinité s'augmenteç ainsi d'un élément nouveau : le (ira-

'. gon à tôle de bélier.

Nos, 3 et4t

Les statuc3 de Vekux.

Les deux statues de Velaux, ap.partenant n M. 6111es (3), qui en a

\publié le dessin avec commenta-i t res, vont compléter no-

Ut instruction. Ces sta-_________- - tuesdLcouvej Lesau lieu

dit laRoehepertusc,près- LuiiI Velaux (Bouches - du.

Rhône), sont de gran-deur naturelle (4). Les

(t) J'avais d'abord cru reconnaître trois petites têtes, mais M. de Longpérier m'afait observer que deux petites têtes seulement soin reconkaissablcs; la place ap-parente de la troisième (celle de l'occiput) est prodoitepar une écaille du métaldétachée accidentellement. La triade se compose donc colla tête principale et. dedeux petites. .

(2) Ces dragôns sont probablement desmonstresmarins. ilè ont une queue de poisson.(3) Les Saliens arant la conqudte romaine, par Gifles.(4) Je n'ai pu examiner ces statues ni m'en procurer de piiotograpliles prises

directement sur les originaux. Les photographies déposées sur le bureau ont étéexécutées d'après un dessin de M. Ed. Flouesi. 1 -

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têtes manquent. Je copie, en l'abrégeant, la description de M. Gilles« Les deux statues sont en calcaire coquillier d'un grain fin et blanc,provenant d'une carrière située entre Calissane et (Jondoux, commu-nes voisines de Velaux (1). Ces statues, dont le torse est long, fluet etarrondi, sont assises sur leurs jambes à la manière des divinités del'Inde. Elles ont dans cette position 0 1 ,95 de liant, cc qui leurdonnerait, étant debout, une taille de

« Les bras et les jambes sont nus, le bras droit incliné en avant,la maisi appuyée sur la cuisse, tandis que le bras gauche porte lamain sur la poitrine dans l'attitudede la prière. La poitrine • est cou-

ecverte d'un pectoral superposé à laftunique. Ce pectoral est orné detMrla ^ ^, ̂2grecques et de quadrillages sculptésen relief.» - « Les deux statues,ajoute M. Gilles, paraissent avoir&éidentiques. Toutefois le collet de latunique de l'une, qui est relevd(2),semble indiquerque le cou avait étéorné d'un collier que l'autrene por-tait pas. »

Les points de rapprochement sontici moins nombreux et, h part l'hy-pathétique collierou torques, se bar-nent 'n l'attitude bouddhique des di-vinités. Mais je ne puis m'empêcherd'attacher une certaine importanceau pectoral orné non d'une simple grecque, mais de l'une desplus ordinaires modifications' du Swastika ou croix gammée, dont,j'espère le démontrer, le rôle n été très grand en Occident commesigne hiératique, dès une époque bien antérieure à notre ère(3).

J'ai h mentionner comme cinquième exemple la monnaien° 232 des planches du Dictionnaire archéologique de la Commis-sion de la topographie des Gaules (4), où cette monnaie est ainsi dé-crite «Figure de face accroupie, tenant de la main droite un torques,et de la gauche un objet indéterminé. Revers Sanglier à droite;

(1) Canton de Berro (Bouches-du-Rhône).(2) Je ne comprends pas bien te que M. Cilles veut indiquer par ce mot relevé.(3) Dés le vi' Ou vii' siècle avant J.-C. polir le moins.(t) Aujourd'hui Commission de la géographie historique de l'ancienne France.

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nu-dessus, un symbole (1). » Cette monnaie a été'découverte au moxt.Beuvray (2).

Je signalerai enfin, une divinité féminine figurée dans Dom Mar-tin (3). Les jambes sont croisées SOUS elle, elle porte la corne d'abon-dance, et la tête est ornée de deux beaux rameaux de cerf. 1k tempsde Dom Martin, elle faisait partie de la collection • des Jésuites deBesançon. On ne sait ce qu'elle est devenue (). Ces monuments denous connus nedoivont pas être les seuls ponant représentation pro-bable de la divinité principale de l'autel de. Saintes. Ils suffisentà prouver l'importance et l'étendue de ce culte en Gaule (S).

Mais à quelle époque, sous quelle influence cc culte a-t-il été in-troduit chez nos pères? A- quelcourant religieux doit-on le rattacher? Je ne parle pas de la date à laquelle chacun de ces monumentsparticuliers a pu être sculpté, fondu, ciselé ou frappé; niais de lapériode à laquelle ils appartiennent en tantque mythe, que ce mythedoive être considéré comme indigène ou comme importé du dehorset naturalisé en Gaule.

Nous ne connaissons aucune représentation figurée de divinitésgauloises notoirement antérieures à la conquête romaine. Bienque César affirme que de son temps les Gaulois possédaient des sta-tues de Mercure Deum maxime ihercuriu'nz colunt, Itujus sunt plu-rima simulera, tout porte à croire que donner un corps aux dieuxétait en Gaule, cinquante ansavant notre [ére, un usage exceptionnelet récent. Aucune statue ou statuette, que nous sachions, ne s'est.

I) ce symbole est vraisemblablement un dragdn.(2) 0e en connais plusieurs autres de type analogue; elles sont attribuées par les

uns aux Catalaun i, par les autres ans Lingons.(3) Dom Martin, ikligion des Gaulois, t. li, p. 185.(t) M. CasIno, correspondant 'de l'institut et bibliothécaire de la ville de Besançon,

n'a pu recueillir aucun renseignement concernant cet antique, qui parait perdu.(5) Un nouvel autel portant représentation du dieu t attitude bondhique nous a

été déjà signalé, comme nous l'avons dit plus tient, depuis la communication faite•A l'Acachjn,ie. 1

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rencontrée dans les nombreux oppida explorés depuis vingt-cinqans, au milieu d'antiquités purement gauloises non mêlées à desmonnaies romaines, à des tuiles à rebords ou des vases dits sa-miens (1).

L'omnipotence des Druides, dont les doctrines étaient en désaccordsi complet avec l'anthropomorphisme tel qu'on le pratiquait en Grèceet à Rome, était un suffisant obstacle à l'introduction - en Gaule dereprésentations figurées des dieux nationaux, dans les contrées, dumoins, où l'influence de ces mattres des consciences était domi-nante(2).

Mais au-dessous des doctrines, assez vagues poui' nous,- que pro-fessaient officiellement les collèges de druides, toute une mythologieexistait,- on- n'en saurait douter aujourd'hui, chez le petit peuple,ainsi que cela devait être an sein de tribus d'origine aryenne. Nousn'avons aucune raison de croire que la race celtique ait, sous ce rap-,port, constitué une exception. - Que se passa-t-il, en effet, après laconquête romaine, quand la main autoritaire des -Druides ne se fitplus sentir? Tout un panthéon nouveau, cri apparence du moins,mais dont les éléments préexistaient certainement, sort de terre toutà coup. Cet épanouissement de la religion pipulaire parait mêmeavoir été favorisé par les Romains. Home , désorganisa ètdispersa lescollèges sacerdotaux, persécuta peut-être tes Druides, mais ne fitpoint la guerre aux dieux nationaux. Les dieux chers aux petitesgens furent surtout respectés par cette habile politique qui, en frap-panZ h divers degrés l'aristocratie (3) militaire et religieuse, tendaità émanciper la plèbe, tenue jusque-là dans une sorte d'esclavagePI-ebes poene servorunt /iaetur loco (4).- home exigeait seulementque ses dieux et avant tout l'empereur divinisé fussent honorable,-

(1) Les statuettes du Cltûtelet et notamment la statuette dite Jupiter gaulois duLouvre ont été recueillies dans une couche qui contenait de nombreuses monnaiesromaines. Voir Grignon : fouilles de I7711. -

(2) Quand il s'agit d'ut, grand pays comme la Gaule et dont la population étaitcomposée d'éléments très divers, il faut se tenir en garde contre toute généralisa-tien. Plus la science avance, plus on est amené reeonnaltro que la plupart des ren-seignements à nous transmis par les auteurs anciens ont un caractère purementlocal et chronologiquement très limité. Il ne faut jamais dire d'uS manière absolue:les Gaulois avaient tel usage; mais : à telle époque,les Gaulois de telle ou telle par-tie de ta Gaule avaient telle coutume.

(J) Les Rottaihs ne persécutèrent pas les equit es'; ils leur enlevèrent seulementleurs privilèges, tout disposés, d'ailleurs, à bien accueillir ceux qui consentaient àservir leur politiqua et à accepter le régime nouveau.

(à) Cmrsar, D. G., VI, C. la.

4 iL'AUTEL DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.

ment placés à côté des dieux gaulois. Avant la fin du premier sièclede notre ère une foule de divinités inconnues du mon' de grec

et latin

prennent place b côté des dieux romains dans les tari ires et les tem-ples des Trois Gaules.

Le nom des dieux ABELLIO, Abinius,- Arixo (1), BELENUS,Borvô, Cernunnos, Edelates, Erge, Esus, Esumus, ErumusGnANNus Ilixo, Lavaratus, Leheren, Lussoius ou Luxovius, Ma]ur-rus, Orevaius, iludiobus, Segomo, Sinquatus, Sucllus, TiRANTs,TEnTÂTES, et Vintius (Vintius, distinct du Mars Vintius de Vence),figurent sur divers ex-voto ou autels ().

Lés déesses Acionna, .Erecura, Attaubodua, Belisama, Bortona,Brïciaou Brixia, Clutonda, Damona, Epona, Lahe, Romerta, Sirona,Soïon, Ura(3), étalent leur nom sur des inscriptions dont le musée deSt-Gei'mafn possède ou tes originaux ou les moulages. Sans compterles dieux et les déesses presque complètement absorbés par les divi-nités romaines et dont le nom gaulois ne figure sur lesiutels qu'à Litrede surnom: ApolloCobledulitavus; ApolloToutiorix; ApolloVerotu-tus; Jupiter Baginatus; Mars Camulus; Mars Cocosus ;1Mars Iludianus;Mercurius Atesmerius ou Atusmerius; Mercurius Artaius; Mercu-nus Cissonius; Mercurius Dumias; Mercunius vasscicaletus (Éfl.

Ajoutons à celte liste les divinités plus particutiêrdment topiques:-Mars Bolvinus (de Bouy); Mars Vintins (de Vence); les dieux Sexarbor etBwserte (à Basert dans les Pyrénées); les déesses éponymesdes rivières et des forêts : Icauna (l'Yonne); Matrona (la Marne);Mosa (la Mense); Sequana (la Seine); Arduina, ta déesse des Ardennes

: dt,les . nombreuses déesses mères et prostitues dont le culte était siétendu et si varié, et dont lesautels le plus souvent ne portent pasdnscriptions.

L'existence de-toutes ces divinités nous est révélée par des monu-ments authentiques, élevés en leur honneur durant l'espace de deuxcents ans qui sépare le régne de Tibère de celui de Caracalla.-

Cr, Messieurs, ces divinités personne ne prétendra qu'elles fus-sent en majorité, du moins, de création récente, d'importation ro-maine. Tout nous induit à supposer que ce sont de veilles divinités-celtiques. -j

(HOu Ilarixo.(2) Vingt-cinq dieux. Nous citons seulement ceux dont les inscriptions recueillies

nu musée de Saint-Germain nous donnent le nom. --(3) Quatorze déesses. -(4) Douze dieux.- --

L'AUTEL DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.W

Un dieu portant le sagum et le torques, un dieu dont l'effigiefigure sur des monnaies gauloises antérieures à Auguste ou tout aumoins contemporaines de ce prince, doit avoir plus particulièrementce caractère. L'intérêt qui s'attache aux divinités de l'autel de Sain-tes en grandit singulièrement. Reprenons donc un à un et étudionsséparément chacun des symboles groupés autour de notre gratidedivinité:

P L'ttitude accroupie;2° Les cornes;30 Le torques;"La triade et la tricéphalic

L'outre ou Ji bourse;6° Le dragon à queue de poisson et à tête de bélier.

'V

L'étude des particularités et symboles groupés autour de la prin-cipale divinité de l'autel de Saintes suffit à prouver que cette divi-nité n'est point une importation en Gaule ou une imitation directedes divinités adorées sous l'empire eu Grèce et à Borne.

L'attitude accroupie.

L'attitude accroupie, l'attitude bouddhique, pour être plus clair,ne se rencontre chez aucune des divinités du Panthéon classique,hellénique, latin ou étrusque; aucun texte classique ne mentionnecette particularité.

Deux contrées seulement, en dehors de la Gaulé, nous offrent desexemples connus d'une divinité accroupie, les jambes croisées. Cesdeux contrées sont l'Inde et l'Egypte. - En Egypte une seule divi-nité, le dieu Imhotep, 1' 'JtLoOz; des historiens grecs, jouit de ceprivilège. L'attitude de ce dieu s'explique parcelle desscribes, dontil est le patron (t). - Une série de statuettes de femmes, - de basse

(t) Je dois ces renseignements à M. Maspero..

16L'AUTEL DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.

•époque,'présentent, il est vrai, là mème singularité. M. Heuzey nouscira signalé plusieurs au musée du Louvre; le musée de Marseilleen possède également un certain nombre. Mais Je caractère de cesstatuettes est incertain. Ce sont plutôt des femmes en prière, desprêtrcsses,'que des déesses. li est d'ailleurs impobable qu'aucuneinspiration soit venue en Gaule de cc côté.

Les analogies entre notre dieu gaulois et certaines divinités indien-nes sont beaucoup plus frappantes. Le n° 14 de la planche.!!, t. idel'Atlas du dreuzer-Guigniaut (t) en est une saisissante démons-tration. /-

- « Une divinité tricéphale, tes jambes croisées1 représentant sui-.vant Creuzer Brak.md l'ancien avec sa-longue barbe, Vichnou et Siva,tient d'une main, la main droite, une sorte dechapeletoude collier,-de l'autre un petit pot semblable à celui que porte dans la mêmemain le Jupiter gaulois. - On sait que le Bouddha se présente encore

• aujourd'hui à l'adoration des fidèles dans la même attitude. Plusieursde ces idoles portent le.swastika ou croit gamiiiée en pleine poi-•trine (2). - Constatons le fait, sans en tirer d'ailleurs aucune lit-

(1) -Creuzer-Guigniaut, Atlas, t. I, pi. II, n' 14.(2) Plusieurs de -ces Bouddha ont figuré a l'exposition o;'iùtate du Palais de Fin-

duatrie en 1873. ils faisaient partie de la riche collection Cernuschi. Ces Bouddhamodernes ne sont que la reproduction d'un type probablement ant&ieur à l'èrechrétienne.

L'AUTEL DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.47duction prématurée (4). En tout cas il est permis d'affirmer quel'attitude accroupie est une attitude hiératique particulière à l'Orient.Les artistes gaulois qui ont sculpté les autels de Reims et de Saintesavaient ou eertainementsous les yeux des représentations semblablesD'où venaient ces représentations, nous , l'ignorons. Le culte publiede home et d'Athènes n'en offrait aucun exemple.. Nous ne pouvonsrien affirmer de plus. il est au contraire très probable que ces repré-sentations venaient d'Asie. Cette altitude .est trop particulière pourqu'on l'attribue à l'imagination d'un artiste gaulois ivré'a lui-mêmeen dehors de tout modèle (2).

Les Cornes,

Voire éminent confrère M. le baron de Witte vous dira qu'il est•permis de voir dans l'attribut des cornes porté par les dieux gauloisun souvenir ou une tradition orientale (3). Les exemples les plusnombreux de l'usage de ce symbole se retrouvent en Orient. Le dieuBolus est, sur les cylindres), représenté avec des cornes sur la tête.Ces cornes, les rois d'Orient s'honoraient d'en orner leur tiare. Séleu-cus Nicator, à l'exempte des anciens monarques, s'était fait représen-ter sur ses monnaies avec un casque décoré de cornes et d'oreillesde taureau (5).

Nous sommes en présence d'un symbole oriental, signe de lapuissance ou de la royauté, ertÀdœç pawov, selon l'ex$res-sion d'Eusèhe, symbole qui semble avoir conservé en Gaule unevaleur hiératique bien supérieure à celle que lui reconnais-saient les Grecs et les Romains. Non seulement les dieux gau-lois dont la tète est ornée de cornes sont relativement nombreux,

(1) II serait dangereux de tirer de ces faits la conclusion qu'une communicationdirecte quelconque a existé entre l'Inde et la Gaule. Le fait que nous signalons n'apoint cette portée. Nous croyons devoir prémunir contre toute , exagéretioa de notrepensée à cet égard.

(2) On pourrait aussi conjecturer que cette attitude était de tradition dans cer-tains mystères dont l'usage aurait pu pénétrer jusqu'en Gaule.

(3) De Witte, Revue w'chéol., 1852, p. 501 et sq.(4) Félix Lajard, Culte rie Mith ra, p]. xxix, 2; XXXII, 8.(5) ,Monun. médits de l'inst. a"ch. de Rorne, t. III, pi. xxxv, n' 24. On sait

que Séies,cus Nicator régnait dans la dernière moitié du iv e siècle av. J-C. LesGaulois ou Galette avaient déjà à cette époque de nombreux rapports avec l'AsieMineure,

2

18L'AUTEL DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.

mais les chefs gaulois de la Narbonnaise, sous Auguste, portaientencore en signe d'autorité des casques à cornes (I).

Les seuls dieux du panthéon hetiéniqée ayant parfois des cornessont Atvuao; et les divinités secondaires qui tui'.font cortège,comme Pan (2) et les satyres. L'atlas Creuzer offre plusieurs exem-ples de ce Bacchus cornu pi. CXXVI, fig. 46, Dionysos'se montresous ta forme d'un taureau à face humaine (3). Même représentation,fig. 464 bis, sur une monnaie portant aurevers la figure de Proser-pine avec le serpent. PI. CXXVII, fig. 465 o, figure analogue auxdeux précédentes,mais représentée seulement mi-corps. PJ.CXXVIII,fig. 462, Dionysos, avec de petites cornes au front, est assis près de.Déméter (4); figure 462a, même planche,buste de Bacchus cornu (5).

Ce Dionysos n'est point le jeune et brillant Iutsde Jupiter et de Sé-mélé, un dieu nouveau. Il appartient à une mythologie plus ancienne.C'est un dieu infernal, le Bacchus des mystères d'origine orientale:

Te vides jasons Cerberus aureoCornu decorum (6).

Aux cornes de taureau sont quelquefois substituées des cornes 4ebélier ('fl

L'idéé de l'attribut des cornes donné à une grande divinité semble,Comme l'attitude accroupie, puisée à des sources asiatiques. L'art desHellènes aurait répugné 'n représenter une des grandes divinités del'Olympe homérique, le Jupiter d'Olympie, l'Apollon de Délos oude Delphes, avec des cornes. La conception d'un dieu de haut rangaux jambes croisées et cornu n'a point une origine hellénique.

Le Torqnes

Le torques, chacun le sait, était en Gaule le signe •et la récom-

(I) Diodore de Sicile, V, 30, parle très expressément de ce détail du costume mili-taire gaulois. Un monument bien connu, l'arc d'orange, rend témoignage de la vé-racité de rhistorien grec. On petit voir au musée de Saint-Germain (salle B) un mou-lage de ces bas-reliefs. li serait peut-être permis de. considérer ces casques è cornescomme une importation des Tectosages après leurs expéditions d'Asie.

(2) Pan, dans le principe, était une grande divinité pélasgique d'origine orien-tale. Elle était descendue chez les Hellènes au dernier rang.

(3)On voudra bien se rappeler que divers animaux à face humaine sont repré-sentés sur des monnaies gauloises.

(4) Démêler s le modius sur la tète et porte dans ta main la corne d'abondance.(5)Baccbns do Vatican.(6)Horace, ode à Race Itus, liv. Il, ode 10, y. n.17) Nattet, Al SCItVS Veronense, Pl. CCXXIIi, 6.

L'AUTEL DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.II)

pense de ),a (]).On ne peut s'étonner de leren contrer commeattributd'unegrandedivinitégauloise. Mais pou rquoi le (orques paraIt-il être, en Gaule, plus particulièrement l'attribut des divinités cor-nues et des divinités à attitude bouddhique? Cernunnos sur l'autelde Paris, comme Te dieu de Reims et le dieu d'Autan, comme Te dieude la monnaie du fleuvra y , est orné du (orques, suspendu à chacunede ses cornes (2). Aucune de ces divinités ne saurait être identifiée àMars. Le torques a donc ici une autre valeur.

La mythologie grecque CL romaine ne nous doane aucun éclair-cissement à cet égard. Ni les dieux, ni les rois, ni les magistrats n'yconnaissent l'emblème du torques ou du collier. En Grèce et à tiomele collier n'est le signe ni de la valeur ni de Ta puissance (3).

Si nous tournons nos regards du côté de l'Asie, la question changed'aspect. Il suffit de jeter les yeux sur Tes bas-reliefs des palais élu-

vés en Perse par les Achéménides, et bien plus tard encore par les.Sassanides, pour acquérir la conviction que l'anneau, le collier,le torques jouait un rôle important dans les cérémonies publiquespolitiques et religieuses.

Ouvrez l'atlas de Flandin et Coste, Voyage en Pcrse(4), vous trou-

() Polybe, 11, 20-31.(2) Voir le bas-relief déposé au musée Cluny ou le moulage au Musée des anLiqui-

tés nationales à Saint-Germain (salle XIX).(3) Nous devons rappeler cependant que tes personnages de haut rang portaient

(quelquefois) le torques, en Étrurie.(4) Flandin et Caste, Voyage en Perse, particulièrement pi. ccxxiv, à laquelle

est empruntée la figure ci-jointe.

20L'AUTEL lUt SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.

verez l'anneau grand et petit dans la main des personnages les plusdivers. Je citerai particulièrement un personnage sculpté surla faceCdu chapiteau dessiné pi. XVII (bis), 1111 second personnage analoguesur un autre chapiteau, face.À, pi. XXVII bis).

Planche XLIV, deux rois saisissent chacun de larnain droite éten-due un même anneau; probablement l'anneau du serment—Mémoreprésentation, pl. CLXXXII. - Enfin, pi. CCXXIV, une femme,reine ou déesse, couchée à l'orientale sur une sorte de sopha, tientde la main droite un grand anneau ouvert ayant le plus grand rap-port avec un lorgnes.

Nous soumettons ces observations aux orientalistes. Il ya, croyons-nous, de ce côté des recherches à faire, qui nesont point de notrecompétence et sur lesquelles nous attirons l'attention des érudits.

La Triade cites Tricéphales.

Nous ne devons chercher ni en Grèce, ni à Home (nous sommesobligé de répétercette observation commeurt refrain monotone), l'idéemère de la triade (1). Cette idée est étrangère aux çonceptions desHellènes et des Latins. Comme les autres symboles et emblèmes dontnous venons de parler, l'idée de la triade a une origine orientale oupélasgique en Grèce nous la retrouvons uniquement dans les mys-1ères.

Les triades helléniques ou latines appartenant à la mythologie età l'art classique, les trois Grâces et quelques autres groupementsternaires de divinités secondaires, doivent être rangés au nombredes légendes poétiques. Elles ne font point partie de ce que Fortpeut appeler la traditi,on mystique. o Dieux nouveaux, auraient puleur dire les Euménides avec plus de droit encore qu'à Apollon età Artémis, ne vous comparez pas à d'antiques déesses (i) . » Les véri-tables triades il faut les chercher dans les plus anciennes cosmogo-nies, dont Hésiode est en Grèce à peu près le seul et dernier repré-sentant. On compte, au moins, sept triade dans la Théogonie (3).

(1) Dom Martin, dont on ne fait peut-être pas assez de cas, était arrivé au mêmerésultat dans ses recherches sur la religion des Gaulois e Je crois, dit-il, qu'on voità présent Jusqu'où il faut pousser pour trouver la véritable religion des Gaulois. Jlfaut passer tout ce qui s'apeile grec et romain et aller fouiller dans 1'Lutiquité laplus reculée. u Dom Martin, t. I, p. O.

(2) Eschyle, Eumén., vers O et 19.(a) M. d'Arbois de Jubainville, qui nous les u signalées, ajoute que ta mythologie

irlandaise présente également de nombreux exemptes de triades

L'AUTEL DE SAINTES ET LES TRIADES CAULOISES. 2!

Mais aux beaux temps de la Grèce le souvenir de ces groupementsternaires dont Hésiode fait encore mention par tradition était à peuprès complètement effacé. Il ne s'était mai htenu que dans le cultedes mystères, où, nous avons de graves raisons de le croire, les triadesavaient au contraire conservé toute leur importance. En Italie legroupement ternaire des vieilles divinités se montre uniquementdans quelques anciennes formules de prières (1).

Tous ceux qui se sont occupés des religions de l'antiquité connais-sent la triade des grands dieux cabiriques Axieros, Aaiokersa etAxiolcersos (2), honorés sous divers noms (3) sur tant de pointsde la Grèce et des lies. On sait que le culte des Cabires était toutoriental. Nous retrouvons en effet la triade dans toutes les vieillesreligions de l'Orient, en Egypte ( /i), en Chaldée (s), en Perse (6).Nous retrouvons la Trimourti dans l'Inde (7).

Cette manière de concevoir les différentes énergies de la puissancedivine a, deplus, étéconstatée, suivant la remarque de M. AIL Maury,chez presque tous les peuples européens d'origine aryenne, en parti-culier chez les irlandais, chez les Scandinaves et chez les Germains.Les Etrusques avaient également leur triade. Il est difficile de nepas voir là une idée puisée au berceau commun de toutes ces races

Les tricéphales, modification abrégée des triades, ont le nièmecaractère oriental (8). M. le baron de Witte, qu'il faut toujours citerquand il s'agit de mythologie, a mis en lumière cette vérité dans unbeau mémoire sur le mythe de Géryon (9). Je n'insisterai pas.

(s) M. Miche! Bréal, en dehors de la triade du Quirinal où Jupiter, suivant Var-ron, n'était point honoré séparément de Junon et de Minerve (Votre, De ling. lu-tina, V, 458), triade qui se retrouvait au capitale comme I'indiquentles plus anciennesformules de serment ('lit. Liv., Vi, ioj, nous sigfia!e cefait curieux que suries Tableseugubines le dieu Poiniouus est toujours invoqué avec les déesses Vesona et Torse,et le dieu Certus Mortius tonjours associé aux déesses Prestita et Tursa. Voilh devieux mythes qui se rapprochent singuliérement de nos triades, et cela chez une po-pulation ombrienne, apparentée aux Gaulois.

(2) Cf. Naury, Religion de la Grèce antique, t. I, V. 453 ; Creuzer-Cuigniaut,t. il, p. 203, 300-313, et note 2 du livre V, sert. 1.

(3) L'assimilation des divinités helléniques avec les divinités cabiriques a beau-coup varié suivant les localités.

(4) Maspero, 111:1. ancienne, p. 28-150.(5) F. Lenormant, Manuel d'hist. une., p. 518.(0) Lajard, Culte de Milhra, P. 43.(7) Creuzer-Guigniaut, t. I. p. 150 et sq., p!. H ; fig. 14.(8) La triade brahmanique en particulier est tricéphalique. cc. Creuzer-Gui-

gn!aut, 1. C.(9) 11e Witte, Jacta. oral., de Rame, sect. f' . , 1337.

22L'AUTEL DE SAINTES fl LES TRIADES GAULOiSES.

Le seul exemple d'une divinité tricéphale en Grècee est l'Hermès,'Epp.ç tpixc)o; dont parlent Lycophron etllarpocralion, monument

(lue Prociide, amant dhipparque, avait élevé près d'Athènes sur larouta de Vesta (t). Il ne semble pas que, dans la suite, l'art grec aitconservé ce type autrement qu'à titre de grande exception.

En Gaule, au contraire, dès que l'art s'empare de la mythologie,les Iriades et les tricéphales jouissent d'une grande faveur. 9e nom-breux monuments en têtnoignenl. Nous ne sommes pas en mesurede donner une liste, même approximative, des autels où figurentiroisdivinités associées, dieux ou déesses ('2), autels dont un petit nom-bre seulement ont pu, jusqu'ici, élit réunis par nos soins au muséedc saint-Germain; mais nous croyons connaitre les principaux tri-céphales découverts eu Fiance. Nous les avon faitmouler ou photo-graphier presque tous (3)

Ces monuments sont au nombre de quinze. Nous devons rappelerd'abord

N' 4.La statuette d'Autun, sur laquelle nous n'avons pas àrevenir (4). (PI. 1V,)

Puis:N° 2.— Dans la même contrée, pays éduen, l'autel découvert au

faubourg Saint-Jacues à Beaune, où le dieu tricéphale fait partielui-même d'une triade (.

No 3.Toujours datisla même contrée, loujôurs chez les Eduens,l'autel de Dennevy conservé au musée d'Autun (pl. V) (6). Letricéphale forme également ici un des éléments d'une triade.

Du pays éduen nous passons dans t'! le-de-France, chez les Pansu.N°4. - Tricéphale découvert il dans le libage des bâtiments

du nouvel Hôtel-Dieu, en 4871, et signalé h l'Académie des inscrip-lions par N. Adrieù de Longpérier. Cc tricéphale a pour symboleune tète de bélier (7).

(t) liarpocrat., lits!. G, me. Çn'qm., édit Didot t.!, P. 36. L'tlippai'qie dont IIest question ici parait eue le fils de. Pisistrate, ce qui ferait remonter t'exéeutfonde cette statue au sixième siècle a yant nôtre ère. (Observation de NI. d'Arbois de)ubainville.)

(2) Ce sont, le plus souvent, des déesses.Voir ait des antiquités nationales, salle XIX, là série des tricéphales.

(4) On se rappelle que ta tricéphalie consiste ici en deux petites tûles accoléesà la tête principale.

(5) Le moulage de cet autel existe, salle XIX, au musée de Saint-Germain.J6) Voir le moulage, môme musée, môme salle.(7) L'original est âL musée Carnavalet, à l'ens. Un moulage existe au musée de

Saint-Germain, salle XIX. -

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24L'AUTEL 0E SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.

N° 5. - Le cinquième tricéphale nous conduit chez les.Dcllovaci,chez lesquels nous rencontrons la borne-autel de la Malmaison(Aisne),Ileux divinités placées au-dessous du tricéphale, dans uncartouche, forment avec ce dernier, comme dans les précédents, unetriade (1).

j, t

Mais.la contrée jusqu'à présent la plus fertile en tricéphales estle pays rémois, d'où sont sorties huit stèles ayant ce caractère, avecdes variétés dont quelques-unes ont leur importance.

Six de ces stèles font aujourd'hui partie de la collection flaque-nelle, de Reims (2); une appartient au musée de Reims. Elles sonttoutes,sauf une, de môme type. Nous ignorons ce que la huitièmeest devenue.

(t) L'original appartient au musée dé Saint-Germain, mème salle XIX,(2) cinq des monuments appartenant à Ni. Ouquencile ont été, avec son autorisa-

tion, moulés pour la série du Musée des antiquités nationales; salle XIL Cesmoulages portent les numéros 24,417, 24,415, 2AÀI 9, 24,20, 2,421.

L'AUTEL DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.25

No 6. - Stèle en formé d'autel, découverte à Reims ({).Sur ta face principale, trois têtes sont accolées, dont une de face et

deux de profil, en sorte que le tricéphale a trois nez et trois bouches,mais seulement deux yeux. Barbe et moustaches très prononcées.

Sut la race droite de la stèle, c'est-à-dire à la gauche du spectateur,est une quatrième tête également barbue, avec moustaches. Sur laface gauche, un couteau à sacrifice.

Sur la partie supérieure de la stèle se voient une tête de bélier en-core reconnaissable quoique mutilée, etuneauire figure dans laquelleM. Maxe-Werly croit reconnal Ire un oiseau (2).

N°7. - Stèle découverte à Reims près l'usine de M"° Houzeau-Muiron (3).

Les trois tètes sont sensiblement semblables aux précédentes, maislaurées. Elles ont barbe et moustaches. Sur le dessus de la stèle,tête de bélier très reconnaissable.

N°8. - Stèle découverte h Reims (4).Ressemble à la précédente; les têtes y sont également laurées. Sur

le dessus est une sculpture indéterminable (5).N°9. - Stèle découverte à Relias (6).

(1) M. DuqueneiM, moulage n' 24,421 du musée de Saint-Germain.(2) Cf. Maxc.Verly, M,ninnatiquc rémoise, Paris, 1862.

Coli. Duqueuel]e, n' 24,419 du musée de Saint-Germain, salle XIX.() Colt. Duquenelte, n' 24,418 du musée de Saint-Germain.(5) Cf. Maxe. Wer]y, Numismatique rémoise, p!. IX.(6) Col]. Duquenelle, 0° 24420 du musée de Saint-Germain, tajême salle XIX.

L'AUTEL DE SAlrTES ET LES TRIADES GAULOISES,

Analogue aux numéros 6, 7 et 8, mais très mutilée; les têles pa-raissent avoir été laurées.

N° 10.— Stèle découverte à Reims (1).Analogue à la précédente.N° 41. - Stèle découverte à Reims ().Analogue aux précédentes, mais plus grossière. Sur le dessus, tète

de bélier et une antre figure ihdéterminableNo 1. - Stèle découverte à Reims près l'arc de triomphe de la

porte de Mars (3).Analogue aux précédentes. Trois tètes barbues sur la face princi-

pale. Sur chacune des laces latérales, profil informe dont la tète estceinte d'une couronne de feuillage. Sur le dessus, vestiges d'unetête de bélier et d'un corps d'oiseau.

N° 13.— Ce monument se distingue des précédents. Ce n'est plus

(J) CoU. Loess, aujourd'hui col!, Ouqueneile. CL ?o?axe-Wcrly, Numismatique,'é,noise, pl. XI. Le musée de Saint-Germain n'en possède pas le moulage.

(2) CoI!. Lucas, aujourd'hui au musée de Reims. Cf. Maxe-Werly, t. e. Le mou-lage manque à la col!ect. du musée de Saint-Germain.

(3) Cette stèle n'a été ni moulée, ni dessinée. Cf. Maxe-Werly, Numigmat. ré-moite, P. 17.

L'AUTEL 0E SAINTES ET LES TRIADES GAtJLOISRS.21

une stèle en forme d'autel, mais une colonne, lia été, comme les septprécédents, découvert à Reims (1).

Sur cette colonne les trois têtes sont seulement juxtaposées et dis-tinctes. Le style en est beaucoup plus soigné. Barbe et moustaches;cheveux bouclés sous ûne coiffure, aujourd'hui trop mutilée pourque la tonne en puisse être reconnaissable.

No 1.1. - Tête à trois faces, d'un style grossier, découverte à Nimes, actuellement au musée de Lyon M.

N° 45. - Nous n'hésitons pas, enfin, à ajouter à celle liste unquinzième monument d'un tout autre genre : le petit bronze desRend qui, avec la légende REMO Sur les deux faces, porte d'un côtétrois tûtes accolées. Nous y voyons avec M. Hucher un tricéphale.

Le caractère tricéphaliqite de la statuette d'Autun à attitudebouddhique, la présence tic divinités tricéphales sur deux de nos au-tels à trois personnages, indiquent suffisamment les corrélationsintimes existant entre les tricéphales et les triades. Ces monumentsse complètent mutuellement. La tête de bélier (3), attribut ordinairedes tricéphales, les relie encore plus intimement à la légende donotre dieu. L'étude des tricéphales était une annexé nécessaireà l'étude tIcs dieux de l'autel de Saintes.

Continuons l'étude des symboles.

La Bourse.

L'objet que nous désignons sous le nom (le bourse, niais qui estplutôt un sac ou une outre, est le symbole d'un dieu dispen-sateur des richesses. li est l'équivalent de la corne d'abondanceque portent quelquefois Mercure et Pluton. La bourse du Mercureclassique lui-même, qui le plus souvent affecte la forme dune outre,semble avoir eu, dans le principe, une autre valeur que celte qui enfait simplement la représentation du commerce.

(I) col]. liuquenelle. Mouage au musée de Saint-Germain, u' 2!i,417.(2) cataloguée au musée do Lyon sous le u 875.(3) Le tricéphale du musée Carnavalet tient à la main une ttc de bélier.

28L'AUTEL DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.

Le -vieux Mercure, le Mercure cabirique CEpLÇj; fils de Coeluset de Dia, au rapport de Cicéron (1), l'amant de Proserpine, repré-sentait, selon Porphyre, la force génératrice au physique et au mo-ral. L'outre convient très bien à cet antique dieu pélasgique. L'idéemère appartient à la mythologie la plus ancienne.(2).

Le Dragon à tôle de tôlier.

Le dragon h téta de bélier ne figure pas seùleihent sur l'originalestatuette d'Autun (y . pl. 1V), nous le retrouvons sur une statue dumusée d'Epinal dont le moulage est à Saint.Gerihain (y . ci-contre);

Sur les faces latérales du Mercure barbu de Beauvais (voir ci-contre)

Et sur un intéressant bas-relief inédit de Montluçon (3) (voir ci-contre).

Ce n'est donc point un symbole indifférent. Le dragon de la Cérèsd'Epinal, du Mercure de Beauvais et de la divinité de Montluçon estcertainement l'animal symbolique de la statuette d'Autun. -

La déesse d'Epinal est môme très'probableinent un des personna-ges de la triade de Saintes. On nous permettra d'insister sur cepoint. - La déesse est assise. Malheureusement la tête manque.Deux longues boucles de cheveux tombant en avant sur les épaulessont tout ce qui en reste.reste. Sur les genoux de la déesse, vêtue d'unerobe talaire, repose une corbeille remplie jusqu'au bord de menusfruits. Un monstre, espèce de dragon à tête de bélier dont le corpsécailleux se dissimule, en partie, sous les plis du corsage, s'allongecomme endormi sur le dessus de la corbeille.

Une corne d'abondance accompagne le bras droit de la déesse. Lamain tient une grenade. Le catalogue du musée d'EpinaL désignecette statue sous le nom de Gérés. Au cou est un collier ressemblantbeaucoup à un torques. I

Le dragon des deux autres monuments est aussi nettement carac-térisé. Nous sommes pci-sondé qu'un nous en signalera d'autressemblables. Le dragon à tête de bélier peut donc être à bon droit

(1) Cicér., De natura deoru,n, III, 27:(2) Alfred Mamy, Belig. de la Gréer antique, t. I, p. 20!,.(3) Ce monument nous a été signalé par M. Soulier, ji'ge do paix à Montluçon.

Nous Lut en exprimons ici toute notre gratitude. - II nous parait démontré quo leserpent à tête de bélier était. un des attributs de la divinité gauloise ideutiliéc iiMercure par les Romains.

Autel de Beauvais.

Statue d'Epinal.

Autel dede Montiuçon.

30L'AUTEL DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.

considéré comme un des éléments constitutifs du mythe dont nouspoursuivons la reconstitution et cherchons le sens primitif. Les têtesde bélier de nos tricéphales jouent, sans doute aucun, sur les stèlesde Reims le rôle que le dragon joue sur les autres monuments.Pausanias (Connut., III, 3) nous apprend que dans les mystères dela Mère des dieux le bélier était associé à Jienrncs. Cette association

Autel de Montluçon.

cachait, ce semble, une légende qu'il n'était pas pe'mis de révéler. Jeconnais bien le sens de ce mythe, dit Pausanias, mais je n'en dirairien : tbv t h 're)crr' nrp id 'E& Àzyo1dvov ni r xpt ht-cty.evo, où lLyr». Nous aurons à revenir sur ce fait dans la dernièrepartie de notre mémoire. Quant à présent nous nous bornerons

L'AUTEL DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.31

à ces rapprochements pour ne point entrer dans le domaine des hy-pothèses hasardées. IL appartiendra â M. le baron de Witte et àM. Alfred Maury de vous dire s'il existe en dehors de la Gaule desexemples de ce dragon à tête de bélier. Un seul fait analogue se pré-sente à notre mémoire. Sur un bas-relief dessiné dans Creuzer .Gui-gniaut, pi. XCV, bas-relief romain d'interprétation obscure, se voitun serpent à tête de bélier sans cornes, qui se dresse derrière unpersonnage féminin portant la corne d'abondance. Ce bas-relief,dont Winckelmann s'est occupé, est un bas-relier scénique.

Mais le rôle du serpent ou dragon, marin ou non, a été si multipledans les religions de l'antiquité que l'espoir est permis de retrouverl'origine de ce détail de notre mythe. Le serpent figurait dans cer-taines cérémonies des mystères (1).

Le Swastika.

Nous ne dirons rien aujourd'hui du swastika, qui, si l'Académiele veut bien, fera l'objet d'une communication spéciale. Nous nous

contenterons de mettre sous les yeux de 'illustre Compagnie un petitautel choisi entre une vingtaine de nous connus, où le caractère

(t) Nous voyons te serpent ou dragon jouantun rôle dans l'anl.re de Troplionius;associé aux Cabires; en rapport avec les mystères des Grandes déesses. La figure doterpeut se retrouve également dans les védas. Cf. A. Maury, Relig. de la Grâceantique, t. 1, P. 130 et 213, t. li, p. 487, t. III, p. 103 et 320 (ilote).

32L'AUTEL DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.

r.

hiératique de ce signe nous semble d'une évidence incontestable. Cesymbole no parait pas, d'ailleurs, faire partie intégrante du mytheau même titre que les précédents. fi ne figure que sur les seulesstatues de Velaux, et nous pouvons le négliger ici.

Passons aux triades.

vi

L'étude des attributs divers du grand dieu de l'autel de Saintesnous a conduit h des rapprochements qui, fortuitement ou non, lemettent en rapport avec les Cabires, Platon, Dionysos, Mercure,Déméter, Persdphoné et Art émis.

Abordons l'étude des personnages que les autels nous montrentassociés au dieu principal et formant triade avec lui.

Un fait frappe d'abord, fait attesté par l'autel de Saintes lui-mêmeles personnages des triades gauloises ne sont pas fixes. Sur l'une desfaces de l'autel le dieu a pour acolytes deux déesses, très probable-ment la mère et la fille; sur l'autre face, une déesse seulement et undieu ou héros au, portant la massue. Le dieu principal qui, sur cer-tains monuments, se montre à nous à l'état de tricéphale, varie éga-lement d'aspect suivant les localités.

L'autel de Reims, le pins voisin de celui de Saintes commeensemble, offre un nouveau groupement de personnages. Les aco-lytes du dieu, très nettement déterminés ici, sont à droite, Apol-lon, l'Apollon classique; à gauche, Mercure, un vrai Mercure homé-rique (voir, pi. III).

Les autels de Beaune et de Dennevy préientent de nouvelles va-riantes de la triade. Il suffit de jeter un coup d'oeil sur ce3 autelspour le reconnaître (voir pi. V, l'autel de Dennevy, et p. 23 et371e bois représentant l'autel de Beaune).

Cette divergence dans l'économie de la composition religieuse desgroupes déconcerte d'abord quelque peu et fait craindre que l'on soiten présence de fantaisies artistiques sans lien commun entre elles.On aurait tort de s'arrêter à cette pensée décourageante. « IL fauts'attendre à ce que dans la mythologie celtique la ligne de démar-cation qui sépare chaque divinité, chaque dieu de son voisin, soitbeaucoup moins nette que dans les mythologies grecque et latine,où la culture des arts et le sentiment approfondi des nuances afait attribuer à chaque nom divin un type nettement défini que ni

LAUTEL DE SAINTES ET LES TBIADES GAULOISES.33l'Inde

ancienne, ni le monde pélasgique, ni la race celtique ne pou-vaient et n'ont possédé avec la même précision. La race celtique,l'Inde ancienne et les Pélasges ne concevaient pas la pluralité desdieux de la même manière que les Grecs et les Romains de l'époqueclassique. n

Ces réflexions, qui sont de M. d'Arbois de Jubainville, me parais-sent très justes.

Les transformations subies en Crête pat' la triade cabirique leprouvent surabondamment pour le monde pélasgique (4).

Quo deviennent en effet, chez les Hellènes, les divinités primiti-ves de la triade: Axicros, Axioltersos et Axiokersa, y compris Cas-milos qui leur fut adjoint de très bonne heure? Nous les trouvonsassimilées aux personnages divins les plus divers, suivantles circons.lances et suivant les lieux:

AxIERos se montre h nous sous les formes helléniques de: Déméter,Athéné, Aphrodite, Héré et Dia.

AxloIERsA, sous celles de Coré ou Perséphoné, Hagna et Hécaté.AxioxEusos, sous celles de Héphaistos, Apollon-Carneios, Hélios,

Hadès, Zens et Pan-Phaos (e); tandis quo CA5MILOS devient tour àtour Hermès, Dionysos, Eros, et Pothos, divinités analogues maisdont aucune ne répondait parfaitement au caractère plus vague etplus compréhensif des grandes divinités qu'elles étaient appelées hreprésenter.

Qui croirai[ au premier abord que ces divinités helléniques denoms si variés se résument toutes, au fond, dans l'une ou l'autre desquatre grandes divinités cabiriques? On ne peut en douter cepen-dant. L'étude des textes et des monuments le démontre.

Voyons si sous l'apparente variété des triades gauloises ne se ca-che pas aussi le sentiment d'une unité primitive.

Triade de Saintes (3).

Rappelons la disposition des personnages. - Face antérieure de

(1) Le célèbre texte dIlérodote concernaut'l'origine des dieux hellènes est enparfaite eonrormité avec tes observations que nous présentons ici. Cf. !{érod., liv.li, ci. 50 et 53

(2) Voir pour plus do détails l'article Cobires du Jhctionn. det anUq. g»ecq. etlatines de MM. Oareniberg et Saglio, article rédigé par M. F. Lenormant.

(3) voir pi. I et Il.

N

L'AUTEL 0E SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.

ra.•utel A droite (gauche du spectateur), le dieu du torques, les jam-bes croisées. A ta gauche du dieu, une déesse assise sur un coussin,avec corne d'abondance sur le bras gauche; dansia main droite, unobjet cjui peut être un oiseau. (La déesse est de même dimensionque le dieu.) A la gauche de la déesse, une petit divinité debout, at-teignant à peine dans cette attitude les genoux des deux grandes di-vinités.• La conjecture la plus naturelle estque la grande et la petite déessereprésentent la mère et la fille, groupe qui fait penser immédiate-ment à Cérès et à Proserpine. Si l'on rapproche de la déesse deSaintes la déesse d'Epinat (1), on n'aura guère de doute à ceégard et nous y verrons une Déméter (2) accompagnée de Coré, ou,pour donner au groupe le nom despersonnages cabiriques, Axieroset Axioliersa. Le dieu à attitude boud(ihiqub serait Axiokersos etnous nous trouverions en présence de la triade primitive dans toutesa pureté.

Face postérieure. Que la face postérieure représente un épisodedu même mythe, vous en étes, comme moi, convaincus. Or, si nousne nous sommes pas trompés, si le dieu ded autels de Saintes et deReims est bien un tricéphale (3), comme semble le prouver la sta-tuette d'Autun, la mythologie nous fourniune explication naturelledes trois divinités parmi lesquelles figure Hercule. Un dieu tricôphsteest mentionné à l'occasion de la Gaule et mis dans la légende en rap-port avec Hercule. Vous avez nommé le triple Géryon. - Mais le tri-ple Géryon, que parait-il être? Géryon n'est qu'une épithète de fladûs,une des formes que revêt le Cabire) Axiokersos. Ce n'est pasmoi qui vous le dis c'est M. le baron de Witte (4). Je ne pro-pose donc pas cette identification pour .4 besoin de la cause. -Géryon est d'ailleurs une des vieilles divinités de la Théo-gonie (5). r.

Les têtes de boeufs sculptées qui ornent les bases sur lesquelles

(t) Nous avons vu quo la présence du dragu à tête de bélier reposant sur sesgenoux range celte déesse au nombre des diviiités du mythe dont nous nous occu-pons. (Voir plus haut, p. 45.)

(2) Le conservateur du musée d'Épinal n Jbstement qualifié de Gérés la déessedont nous venons de parler. i-

(3) n faudrait plutôt dire le tricéphale. /(A) De Witte, le Mythe de Gdryon (lest. archée!, de fonte, sect. franç., 1837

(5) Hésiode, TAéog.,v. 204.-

r

1

L'AUTEL DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.

reposent le dieu et le héros sont en parfait accord avec le mythe deGéryon (t). -.

La triade de Dennery (pi. V).

Deux triades proviennçnl, comme la petite statuette tricéphalique,du pays éduen. La première, celle de lJennevy, semble d'interpréta-tion facile. - A droite, le tricéphale debout et drapé dans le sa-gum (2). Les têtes sont barbues et les moustaches se distinguent trèsnettement. Les mains croisées à la hauteur de la ceinture tiennentun objet, aujourd'hui méconnaissable.

A la gauche du tricéphale, une déesse debout, drapée et ponantla robe talaire, un sein, le sein droit, à découvert. La main gauchepend négligemment appuyée sur un pli du vêtement. Le bras droitnu et collé au corps s'allonge pour prendre un gâteau ou un fruitdéposé sur un autel. La déesse porte diadème.

Le dernier personnage (3), debout comme les autres, imberbe, àlongue chevelure, est nu jusqu'à la ceinture. Une draperie attachéeaux reins descend jusqu'aux genoux. Les jambes sont chaussées dubrodequin. Dans la main gauche, une corne d'abondance; la droite,allongée comme celle de la déesse, présente à un serpent, qui lève latète pour le saisir, une sorte de gâteau plat..

Je ne puis n'empêcher de voir dans ces trois personnes divinesHadès-Pluton, Proserpine et Mercure une combinaison nouvellemais non inconnue de la triade cabirique. - Nous ne sortons pasdu même cycle religieux, nous restons plongés dans le monde desmystères.

L'autel de Beaune affecte un caractère si particulier que je croisdevoir (aire passer avant lui, pour conserver un ordre logique, letricéphale de la Malmaison (Aisne).

Triade de ta Malmaison.

La triade, ici, est tout autrement groupée.Au-dessous d'une énorme tête de tricéphale très grossièrement

(I) On pourrait voir dans les proportions des têtes de banal, deux pour Géryon,une pour Hercule, le signe de la suprématie du dieu vainqueùr sur le héros vaincu,

(2) On voit très bien la fibule qui attache le vôtement sur l'épaule droite.(3) A la gauche de la déesse.

36L'AUTEL DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.

représentée, deux petites divinités assises, uneemme et un hommenus, co semble, sont sculptés sur le fond d'une sorte de niche creusée dans la masse du piédeslal.

Les attributs de la femme ont complètement disparu. L'hommetient un coq sur ses genoux. Le coq est un des attributs de Mercure.

Tout porte donc à croire que la triade de 'la Malmaison reproduit,avec variantes, les mêmes personnages que celle de Dennevy.

La Triade de Beaune.

La triade de Beaune est la seule qui ndus ait, d'abord, que iquepeu troublé. On la prendrait, au premier coup d'oeil, pour une cari-cature des précédentes. Son état de mutilation en rend, de plus,l'étùde difficile. Ah fond d'un autel à fronton orné d'une tête d'itt'-ternis, trois personnages sont assis, complètement nus. Au milieu, un

L'AUTEL DE SXENTFS ET LES TRIADES GAULOnES.-3:7

iricéjfta1e à rois tôles distinctes montées sur des cous • d'une lon-gueur démesurée; impossible de dire si les !êtes sont barbues ohimberbes.

Sur les-genoux (le CC personnage triple est un grand plat ou corSbeille qu'il tient des deux mains.

A la droite du dieu, autre figure mâle, h sexe apparent. La maindroite allongée s'appuie sur un objet dont la partie supérieure o seuleété conservée et qui eut être le haut d'une lyre. Le bras gauchedescend lelong du corps et la main semble appuyée sur la tête d'undauphin.

A la gauche du tricéphale se lient un personnage barbu et cornu.La posture des bras est indéterminable; dans la main gauche, unecorne d'abondance.

Nous sommes, si je ne Ïiie trompe pas sur la -nature des at-

38L'AUTEL DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES,

tributs de ces divinités, en présence du tricéhale accosté d'Apoi-ion et de Pan.

Or, Messieurs, euillez vous rappeler le beau vase Blacas (I) sibien inlerprété par Guigniut et Panofka, et sur lequel est peint Or-pliée au milieu des divinités de Samothrace vous y verrez figurerPan aux pieds de bouc aussi bien qu'Orphée et Mercure.

Pan, après avoir Ôté une des grandes divinités pé!asgiques,.unede celles que l'on ne craignait pas d'assimiler à l'un des Cabires,joua toujours un rôle, quelque secondaire qu'il fût, dons les mys-tères.

jTriade de l'autel de ficiins (p!. 111).

La triade de Reims nous montre notre grande divinité entre deuxdieux absolument assimilés par le sculpteur aux divinités romainesimportées par la conquête Mercure et Apolldn. On saitqu'Apoilon,sous le surnom de Carneios, rcmplaçaità Andania (2) un des person-nages cabiriques.

Les rapports existant entre les triades de la Gaule (3)et les divi-nités cabiriques des mystères nous semblent,' après tous ces rappro-chements, acquérir un degré de probabilité «ni s'impose à notre at-tention.

Les divergences ne dépassent pas celles que nous rencontrons chezles Hellènes pour les mômes assimilations. Quelque supposition quenous fassions concernantl'introduction du culte de la triade en Gaule,nous ne devions certes pas nous attendre à plus d'homogénéité dansle mode de représentation de ces divers persnnages. Le cercle danslequel se meuvent ces transformations est même plus restreint qu'onne le supposerait apriori.

Au-dessous ou à côté du grand dieu tricéphale contenant dans satriplicité les trois personnes divines primordiales, nous.n'avons eneffet rencontré que Mercure; Apollon, :Pan et Hercule (personnagesmasculins), Déméter et Coré (personnages féminins). Toues ces di-

(1) Cuigniaut, Mém, de l'Acad. des ftzscript., nouvelle série, t. XXI, 2° partie,

p jOJ. - panofka, Musée Places, pi. VII, sujet reprôduit dans le met. des antiq,grec q . et hill». do MM. Daroiuberg et Sagilu, P. 760.

(2) Ports., lfessdnïc, eh. Ili.• (3) M. Rigollot, professeur de philosophie au collège de Vendôme, nous signale

une autre triade représentée sur un autel conservé à la mairie de ClJftteaOux etoù le dieu cornu figure comme divinité principale. Ce dieu, comme celui de Sainte.!>s l'attitude bouddhique.

L'AUTEL DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.39

vinités, à l'exception d'Hercule, en rapport avec le tricéphale, entant que Géryon, rentrent dans le cycle, même le plus étroit, des mys-tères.

VI

Quel nom les Gaulois donnaient-il4à ces divinités?

Vous aurez sans doute remarqué, Messieurs, que pas un desvingt monuments dont nous avons eu occasion de parler, sauf l'au-tel de NotreDame de Paris qui n'appartient pas à la série des tria-des, ne porte d'inscription. Le fait s'étend à tous les monumentsse rattachant à nos tricéphales. Les autels ornés du swastikaprésen-lent la même singularité. Plusieurs de ces petits autels sont évidem,ment des ex-voto. Le nom du consécrateur y est absent aussi bienque celui du dieu (4).

Nous n'avons donc aucune lumière à attendre de ce côté. Les au-teurs anciens, grecs et latins, gardent également sur ce sujet unsilence presque générai;

Un texte, toutefois, se présente immédiatement à la mémoire, quenous ne pouvons négliger. Chacun se rappelle les beaux vers deLucain (2):

Et quibus immitis placatur sanguine direTeutats, horrensque feris altaribus 'F'susEt Tarànis Seythtcm non mitior ara DIan.

« Cette triade, dit Ragot de Belloguet (3), fut le fondement detoute la religion extérieure des Druides.

lioget de Belloguet, s'il avait en en main les documents que nouspossédons, n'aurait pas maqué crtainement de rapprocher de latriade du poète les triades des monuments. Dire que la triade Esus,Teutatès, Taranis était le fondèment de la religion des Druides est,sans doute, une opinion contestable. Il y aurait bien des réserves h

(1) Il y s là, ce semble, les traces d'un culte en partie secret.(2) .Lucain, Phare., I. 41z6.(5) fleget de Belloguet, El1,nngdnie gauloise, t. 111, p. I110.B. de Il. revient

sur ce sujet, p. 20. « Toute la religion extérieure des Druides était fondée sur ta(j'iode Taranis, Esus, Teutatès. Les Druides n'eurent pas, dal!, le principe, d'autresdieux que ces trois représentants de l'ancien être suprême dès lndo-Européens..n

n-

4OL'AUTEL nn SA1rTE5 ET LES TRI,Çt)ksi GAULOISES.

fiife sous ce rappoi't. Roget de Bellogiet aurait été plus près de lavérité en se contentant d'affirmer d'une manière générale que latriade était de tradition celtique. Le rapprohenitnt entre la triadedu poète et celle des monuments ne s'en impose pas moins 's l'esprit.

Ce rapprochement est-il légitime?Rendons-nous d'abord bien compte del'économie de la triade,

telle que les plus anciennes religions Vont conçue, telle que nousla trouvons en Egypte et dans les mystères du culte hellènico-pélasgique, - I

Le fÔnCI d6 te mythe si antique à la fois et si étendu; ptiique,comme L'a fàit Peinarquer M. Alfred Matiry,it se retrouve non seule-'Sn't en' Egypte; en Chaldée, en Perse, dans l'Inde, mais chez lesCeltes, les Brusques, les Scandinaves et les Germains, tefohd 'dece mythe, dis-je, consiste cula conception d'un dieu unique en sonessence sans dire unique en personnes. « Ce dieu, dit M. Maspero (I) enparlant de la triade égyptienne (la plus ancienne de tôutbs, selontoute vraisemblance), est Père par cela seul qu'il est, et la' puissancede sanatiiré est telle qu'il engendre éternellement sans jamais s'af-faiblir 'épuiser,. H est à la fois le père; la mère et le fils. Engen-drées de Dieu, enfantées de Dieu, sans sortir de Dieu, ces trois per-sonnes sont:Dieti tu Dietl, et, loin de diiser l'unitéde' la naturedivine, concourent toutes trois â son infinie perfection: On ndsaurait mieux dire.

La conception de la triade pélasgique 'pst analogue. -Une grandedéesse principe et mère universelle des dieux et (les autres êtres,une terre-mère; puis à ses côtés, deux diew ndlesç issus d'elle parvoie d'émanation ou de génération divine, et prenant dans la reli-gion extérieure la qualité d'amant; d'époux ou de fils dc la déessemère avec laquelle ils engendrent une fille, destinée, dans certainessectes, par élimination d'un des dieux mâles, à prendre rang elle.même dans la triade; tel est, si je puis dire, le jeu du mystère pétas-

On comprend à combien de manifestations extérieures diverseces conceptions primitives durent donner lieu dès que l'art s'en em-para (2). Si la représentation du dieu triple unique en sou essence futconçue à peu près partout de la même manière, sous la forme d'untricéphale d trois tétes semblables, q uand on voulut lui donner un

(t) Maspero, Hist. ane' , p. 26.(2) La déesse mère, par exemple, est tour à tour Cybèle, Dméter, Artémb et

Apbrodlte.

L'AUTEL DE SAINTES ET LES TCIADFS GAULOISES.41curés; quand il s'agit de figurer les personnes divines séparément etde leur appliquer des attribuls, la diversité devint extrême; la triade'développée se composa, suivant les contrées et les lieux d'un dieuet de deux déesses; d'une déesse et de deux dieux; de trois: dieux.Puis un des personnages se dédoublant, la triade, sans perdre son ca-ractère mystique, se composa matériellement de quatre personnes,.Axiéros, Axiokersa, Axiokersos et Casmitos. -

-Nulle part, cependant, l'idée première ne parait s'être complète-ment perdue, et le sens de la triade persiste toujours, à peiné Voilé, teque VARRON l'interprète G1vni œternurn et terra ,natet s'unissantpour créer toutes les autres puissances, et en particulier les puissan-ces du monde souterrain. - Le cycle des dieux ternaires, conformé-ment aux exigences du mythe primitif, met, d'aiIleûr, liniquement en action les dieux de la lumière céleste Zeus, Apollon,Pan-Phaos, ceux de ta lumière et des feux souterrains Hadès-Pluton, Hermès-Mercure, Dionysos et Héphaistos' auxquels vientnent se joindre quelquefois des dieux de même caractère, Ero, etles Anactes Castor et Pollux les déesses se résolvent, daqs presquelotis les cas, en une Déméter, une Proserpine ou une Astarté.

Les triades gauloises, pelle de Lucain comme celles de nosautels,rentrent-elles dans ces données? Le fait ne me parait pas douteux,'

Qu'est-cc que Teutatès, Esus, Taranis?Taranis, notreconfière et ami M. Anatole de Barthélemy l'a récern-

ient mis en lumière, Taranié est le dieu du tonnerre et de la foudre,lé dièu de la lumière céleste, le Jupiter gaulois (4), une des pe.rson-fles de la triade primitive idenlifiable à Zeus, Apollon et Pan.

Le caractère de Teutatès passe pour plus obscur. Je crois avecdom Martin (2) et Rwet de flelloguet (3) que Teutatès estle Mercureinfernal, une sorte de Hadès-Pluton. - Vous reconnaîtrez égale.ment en lui une des trois personnes des triades. Aucune autre identi-fication n'a d'ailleurs été proposée qui eût quelque vraisemblance.

Esus (4), il est vrai, est moins bien déterminé; Mais si Esus était

(1) Le dieu Taranç, par Anatole do Bartltélomy ; extrait du 31usde archéojo.gique, 1877. Nous nous séparons de l'auteur en ce que 'tous ne croyons pas queTarente soit le Dis-Pater de César.

(2) Dom Mania, flel. des Goul., t. II, p. 17-18.(8) Ragot de Belloguet, E(/tnogdme gauloise, t. III, p. lita.(A) Dom Martin, t. U, p. 68. e Esus n'était pas d'abord le nom d'un dieu Îrnr'

ticulier. Par ce mot, nos pères entendaient un dire au-dessus des sens, qui ne poû-vait étre enfermé dans [ encein te des temples.» Cf. Roget de Belioguel, Etltuogéaie,t. III, l• 127 et passim. -

ra

42L'AUTEL DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.

la troisième Personne de la triade, le dieu un contenant les antresn son essence éternelle et immuable, ce caractère vague et indécis

du dieu qui était à l'origine le dieu sans nom ne devrait pas nous

étonner. Esus sur les autels de Notre-Dame de Paris est en: rapportavec le gui. Le dieu est représenté au moment où il va cueillir oucouper la plante sacrée. Ragot dei3ellogueL (I) fait remarquer quele gui est, sous une autre forme, le soma des brahmanes, le hem desPersans, la source de tous les biens, de la santk, etmme de la vie et del'immortalité.

Il n'est point invraisemblable que le gui doit devenu le symboledu dieu qui résumait en lui toutes les énergis divines.

Bien que la triade de Lucain soit formée de trois dieux mâlesexelusivenient, les inscriptions et les bas- reliefs nous enseignent quedeux des personnes diyines de la triade avaient leur parèdre féminin.Le nom gulois de ces déèsses nous est connu. Nous ne devons doncpas nous étonner de retrouver ces déesses sur certains autels. L'uneest .eErccura (2),

TERRIE MÂTRI!iE R EC V RA EMATRI DEVM MAIGNJE IDEAE

identifiée pir les Romains eux-mêmes, coMhie ce texte le démontre,à Déméter ou Cybèle. - Il est difficile de ihéconnattre ici la grandedéesse des autels de Saintes et de Denney, la Cérès du muséed'Épinal. . I

L'autre déesse est llosmcrta, si souvent associée à Mercure danslés ex-voto des Vosges (4.),

DEO MERCVRIO ET ROSMERTÂE

dont la figure en pied se voit, très bien conservée sur le curieuxautel de Paris, aujourd'huiaumusée de Samnt-Germain(5). Rosmerta

(i) Iloget de flelIog., Elhnog. petit., t. III, p. 13.(2) Voir Anatole de Barthélemy, Le dieu Taran, I. e.(3) Léon Renier, Jnscn)1. de l'A lgdrie, n 0 2570.(li) Voir te Catalogue du musée d'Jtpiial, et au rnusde de Saint-Gcrmain,les

moulages réunis d'ans la salle XIX. -(5) Cet, autel, k quatre faces, parait se rattacher au mythe des triades. Les

Personn ages sont Mercure, Rosmerta, Apollon CL, selon toute vraisemblance, Eros.

L'AUTEL' DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.43

diadémée y porte le caducée comme Mercure. VOUS y reconnaîtrezavec moi, j'en ai confiance, la Proserpinede nos triades.

Les noms gaulois des divinités représentées sur l'autel de Sainteset sur les monuments analogues peuvent donc être déterminés avecune probabilité satisfaisante. Ces noms sont ceux d'Esus, TeutatèsTaranis, Rosmerta et JErecura, assimilables et assimilés à l'épdqueromaine 'n Jupiter, Pluton, Apollon, Mercure, Pan, Gérés etProser-pine; peut-être aussi aux Obscures, à Vulcain et à Éros.

Vil

A quelle époque le culte des triades a-t-il été introduit en Gaule?

En reconnaissant en Gaule, sur des autels d'époque romaine, destriades analogues à celles qui figuraient dans les représentations degrands mystères de Phrygie, de Samothrace et de Lemnos, le pre-tmier mouvement est d'attribuer à ces représentations une originerelativement récente en les associant aux bas-reliefs inithriaques ettauroboliques, signe extérieur des cultes orientaux dont les provinces.romaines furent inondées dans le courant du second siècle .de notreère. L'initiation de nombreux légionnaires à ces divers mystères estun faitdont les inscriptions portent l'irrécusable témoignage. Pres-que tons ceux qui avaient fait campagne en Syrie, en Phrygie ou en,Cappadoce adressaient à leur retour des voeux à la mère des dieux,MAT RI I DEÂE,'ou au soleil invincible, SOLI IN VI CTO, c'est-à-dire à Mithra, dont pendant leurs années de service ils avaient.reconnu la puissance.

De petits sanctuaires consacrés à ces dieux et déesses 's'étaientélevés Sur divers points de la Gaule et de la Germanie (t), mais,les autels de ces sanctuaires sont tout asiatiques. Les bas-reliefs,mithriaques des bords du Rhin ne diffèrent guère de ceux dePersépolis. C'est un culte importé de toutes pièces par des initiés;adopté sans modification par les populations de la Germanie CL «Qla 'Gaule.

Tel n'est point le caractère des autels de Saintes, de Reims, de

(1) Ieaourè en Gaule, \Vicsbsden en Germanie, paraissent avoir été des centreseUgieux de ce genre. .-

cair; DE SA!rTI5 'ET F.ES TIIIAbES c:u;LolsEs.

DenhevyetddBeaune.— UnSyrien, un Persan 'n'eM red trduvd'insolite dans lesreprésentations mitlrriatihué s de Wiàshadenil&y eussent reconnu le culte dû leur pays. Nos autels n'ont pdiutte caractère nettement tranché. Ils ne sont ni persans, ni yrienhnihdlléiiiques, ni romains, sans être ouvertement gaulois. Si nousyrtroùv6ns des divinités classiques bien .connues de nous, tinApollon,'unMércure, une Cérès, ]'attitudc boii&'hiqve la tricéptalie,les cornes, le torques, Ieserpent 4 tête de bélier, le swastilca, sont dessymboles dont l'usage et le sens n'étaient faniliers ni des Cites nides Romains, et qui en Gaule seulement se ti'puv ent réunis sur unmême personnage divin.

Il y a plus : quelques-uns de ces symboles appartiennent à desmonuments notoirement antérieurs h l'abaissem ent du druidisme età l'invaîion de'supePstitiohS nou qelles. U mofl1 naie de Bibracte avecson dieu accroupi tenant le torques à la main, le petit bronze (roistètes de Reims, précèdent d'un quart de siècle hu moins les décretsdé Tibère'iitdd Clhude (1). La perfection du trhvil de l'autel dekcimssenible également indiquer une époque voisine d'AugusteEnfin le toques estun attribut spécialement gaulois. Dans résreprè-g entatièn l'élément celtique ne saurait être méconnu.

M.d'ArbôideJubainvillevous dira d'Un autre côté que nulle partla tiiade ne oe un r6leausi grand que danslla mythologie irlandaie. Ce ièùx groUpe celtique avait conservé cette vieille traditionavec une persistance particulière. Nous avons le droit de supposerqu'il en était de' mêmedans les autres groupes de la raceinbins biénohaiqs de nous;'

L'introductton au deuxième siècle de notre oie d'un culte dont nosAutels auraient été la manifestation extérieure n'est donc pas unee, plicatioii ébtiMeinent satisfaisante dû prôblèdie qui nous occupe;ce culte, Joui nous conduit à admettre qu'il existait bien plus ancien-néent daits ses éiéientsprincipux et remonte, en Gaule, à uneépoque antérieure h l'ère chrétienne, antérieure à Auguste. Nosautels sont lus'écltiques qu'helléniques, plus celtiques que latins;plus celtiques que phrygiens ou persans.

DanSqdclieux mystères l'auteur de nos sculptures a-t-il puiséla connaissance singulière de l'attitude qu'il u donnée au dieu'cornu? Nous l'ignorons: mais l'enveloppe hellénique dont le mythe'

(1) Le to;'que», outre son rôle historique comme emblème de la valeur militaire,flgdrè sot' àn' tSin'ubinbre d6) biflïaiés gauioisàs; ' vôiVndterminent sur lés 'nos47,217 et 285 des pl, du Dia. arc hdol, de la Gaule (époque celtique).:--

L'AUTEL DE SAINTES 1T LES TRIADES GAULOISES.45

se revêt ne doit point nous faire illusion. Nous som mes en-présenced'une -traduction, en langage grec on latin, d'une pensée celtiqued'origine visiblement orientale, avec toutes les -bizarreries dontusent les traducteurs quand te génie de leur langue estimpuissantk rendre naturellement les idées qu'ils sont chargés de traduire. Letricéphale, en particulier, est un dieu éminemment gaulois oucette.Les divinités qui l'accompagnent, sous leur enveloppe helléniquesont des divinités celtiques Esùs, Teutatès, Taranis, hrecura -etIlosmerta. Telle me pâralt être la vraisemblance.

Par quelle voie eS légendes religieuses, ces représentations niys-tiques ont-elles pénétré en Gaule, en dehors de la Grèce et de 1'l ta-lie -d'où- certainement elles ne viennent pas?r---

Trois hypothèses sont possibles,-{Te hypothèse. Leslies Britanniques étaient, nous dit César, le foyer

du druidisme. Là semble devoir être placé le centre de la révoluliânqui transforma le vieux culte de la Gaule, le régénéra et en fit unepuissance à la fois politique et religieuse. Les druidesbratons avaientcertainement conservé - le dépôt des traditions orientales. L'idée denos triades peut venir de là,

2' hypothèse. Du septième au quatrième siècle avant notre ère, desrapports constants eurent lieu par la voie du Danube entre la Celti-que et l'Asie. Par cette voie nous parvint la connaissance desmétaux,bronze et fer. De nombreuses expéditions conduisirent successi-vement les Cimmériens, les D'ères, les Celtes, les Galàtes des sour-ces du Danube en Asie Mineure et avec Cyaxare jusqu'à Ninive. Autroisième siècle les Tectosages s'établirent en Phrygie sans cesserd'être en rapport avec leurs frères de Toulouse. L'archéologie esten mesure de prouver, aujourd'hui, combien ces -rapports entre laGaule et l'Asie ont été nombreux et intimS (1). — Le culte de nostricéphales peut trouver là son origine. -

3' hypothèse. La tradition dans ses traits généraux, comme beau-coup d'autres traditions communes à la race indo-européenne, peutenfin avoir été apportée directement d'Asie par les premièresmigra-lions celtiques, puis ravivée au contact de nouveaux groupes demême race; les traits de ressemblance entre la légende celtique etles légendes phrygiennes, pélasgiques, étrusques, ne proviendraientpoint d'un emprunt plus ou moins récent, nais découleraient d'unesource commune,

(1) 3e me propose de traiter très prochainement cette question spéciale et de tasounicLire à l'Académie.

46L'ÀUTIL DE SAINTES ET LES TRIADES GAULOISES.

- Je ne chercherai point à prendre parti entre ces conjectures. Jelaisse au temps le soin de résoudre le problème do, nt je me suisefforcé de déterminer les principales données.

Un fait seulement me parait hors de doute:Notre autel'représente une légende celtique habillée à la romaine.L'Académie voudra bien me pardonner de lui avoir apporté un

travail rédigé à la hâte et sur bien des points incomplet. Le désir de• mettre sous ses yeux un monument aussi important ést mon excuse.

Je n'avais à lui présenter que des hypothèses; mais en pareille ma-tière peut-on avoir,jusqu'à nouvel ordre, une autre Àmbition? Avoirrecours aux lumières deda compagnie la plus compétente en pareillematière, n'est-ce pas d'ailleurs le meilleur moyen â la

•-vérité? J'attendrai pour être plus affirmatif vos obervations et vos• .critiques.

ALEXANDRE BERT8ÀND.

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