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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France L'auberge des Adrets : histoire véridique de Robert Macaire et de son ami Bertrand / [Benjamin Antier, Amand Lacoste, [...]

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L'auberge des Adrets :histoire véridique de Robert

Macaire et de son amiBertrand / [Benjamin Antier,

Amand Lacoste, [...]

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Antier, Benjamin (1787-1870). Auteur du texte. L'auberge desAdrets : histoire véridique de Robert Macaire et de son amiBertrand / [Benjamin Antier, Amand Lacoste, AlexandreChapponnier] ; préf. de Jules Lermina,.... 1887.

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Original an couleur

NF Z 43-1X0-8

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L'AUBERGE DES ADRETS

J-STO!REVÉR!D!qUE

DE ROBERT MACERE & DE SON AiH) BERTRAND

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L'AUBER&E DES ADRETS

~ISTOIRE VÉRIDK~UE

M ROBERT MACA!RE ET DE SON AM RERTRM))

COURT PREAMBULE

Ames sensibles, écoutez l'histoiredouloureuse d'unhomme criminel, mais aimable poursuivi par lesort. et les gendarmes, et apprenez une fois de plusque, si la vertuest toujours récompensée dans l'autremonde. le vice n'en procure pas moins quelquesagréments en celui-ci.

Un mot d'abord sur la famille de nos deux hérosMacaire (Robert-Raymond) s'il eût été philoso-

phe ou critique, on l'eût appflé R.-R. comme ondénomma Rousseau et Janin J.-J. descendait d'unetatnitte astique dont l'origine se perd dans ia nuit

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des temps fabuleux; que dis-je? des temps préhis-toriques, alors que le premier singe, notre ancêtre, as-somma son congénère pour lui voler une noixde coco.

Et si Robert Macaire manqua totalement du senti-ment du tien et du mien ou du moins, pour parlerplus juste, estima toujours que ce qui était à autruiétait encore plus à lui, qui pourrait l'accuser ? N'est-point à la nature qu'il faut faire le procès, à cettenature marâtre qui, mal organisée, a produit chezl'homme comme chez le singe les instincts que lepréjugé qualifie de mauvais, et qui ne sont en sommeque des aptitudes aussi respectables que la vertu?

Chipeur dans son enfance, filou dans son adoles-cence, voleur dans l'âge mur, Macaire suivit lalogique de sa situation, et, ayant étudié la vie desgrandsconquérants, comprit qu'on ne fait pas d'ome-lette sans casser des. têtes. Il acheva ses victimespour n'avoir point à rougir devant elles.

D'ailleurs spirituel jusqu'au bout des ongles, il eutla générosité d'adoucir et au besoin d'égayer leursderniers instants par des plaisanteries que la par-tiatité seule les empêchait de trouver excellentes.

Bertrand, ou pour parler comme son extrait denaissance, Strop, débaptisé par lui-même pour lesfacilitésde son commerce, était Prussien, ainsi quele prouve le mot célèbre par lui adressé aux gen-darmes

« Emportons chacun une pendule et que çafinisse 1 »

Macaire, forte race, torse épanoui, mollet vain-queur, portant beau, le geste arrondi, l'œil provo-quant et la moustache en croc d'amour. Oh! labelle jeunesse

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Bertrand, long, famélique, même lorsque repu,trembleur et btanehâtre de la race fouinarde.

Macaire. regardant la société sous le nez, et, lepoing sur la hanche, saluant ses objurgations d'unAs-tu fini? ma vieille

Bertrand, rampeur, glissant, visqueux, ayant l'ha-bit d'un bandit et l'âme d'un laquais.

Beau, Macaire. Bertrand, vilain.Pourts.nt. Bertrand accroché à Macaire, le complé-

tant, faisant groupe. Mameluckde ce Napoléon.Ah si Robert Macaire eût été lieutenant d'artille-

rie à Toulon, quel bel EmpereurMais la Providence, qui avait d'autres vues sur lui

– desseinsimpénétrables, comme dit l'autre le fitnaître trop tard.

Assez tôt cependant pour qu'en certain jour del'année 1823 il pût accomplir t'œuvre mémorable

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mais canaille et au fond mémorable parce que ca-naille qui devait lui assurer l'immortalité.

Mais n'anticipons pas sur les événements et entronsau vif de la question, toute question ayant un vif, cequi ne veut rien dire, mais fait bien dans la phrase.

ENTREE EN SCÊaîE

Belle auberge, l'Auberge des Adrets, et cossue endiable toute en vieux chêne, dirigée par un cœurd'or battant dans une poitrine honnête, et dénommé(un cœur baptisé !) Dumont.

Confiance! confiance Pas de murs sur le devant,une haie bénigne d'aubépine asile printanier deschenilles. Dans le milieu de la haie, une porte enbois à claire-voie, mais fermant à solide verrou.Cour plantée d'arbres, tables à cour et à jardin, beau-coup de couleur verte, symbole de l'espérance.

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Entronsdans l'auberge: horloge cartel ne marchantpas, selon l'habitude invétérée de ces intéressantsengins, plats de faïence prévoyant l'imitation future,brocs d'étain, tables brunes, escalier de chcne,!etoutdéjà confortable avant 1 invention du mot.

Un domestique,Pierre, bête mais honnête, ou peutêtre honnête parce que bête. Ne creusons pas cesquestions profondes.

Or, Dumont étant père d'un fils pt Germeuil pèred'une fille, ces deux cœurs d'or (abondance d'or nenuit pas !) avaient imaginé, eux malins, d'unir leursdeux enfants, à savoir Chartes et Clémentine.Charles,autre cœur d'or, Clémentine, fleur d'oranger odo-rant la vertu 1

Mais Dumont, un peu lambin, comme on va levoir, avait totalement négligé d'avertir Germeuil queson fils n'était pas son fils, mais qu'il avait ramasséledit Charles, un jour d'hiver, sur la route, paquethumain semé dans la poussière par la main dudestin, Moïse gans le fleuve et le panier.

Germeuil cœur sensible et homme à chaîne demontre donnant à sa fille douze mille francs dedot -une fortune en 1823, heureuse époque!–n'étaitpas homme à se préoccuper de si mince détail. Aussise contentât il d'adresser à Dumont ces questionsraisonnables. mais passablement égoïstes

– Personnene connaît ce funeste sacret ?.– Personne. si ce n'est un parent.– Un parent 1

– Qui est mort 1

– Je respire, s'écrie l'honnête et sensible Germpuilà qui la constatation de ce décès fait le plus grandplaisir.

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En somme, tout est pour le mieux Charles, quoi-que n'étant pas le fils de Dumont, passe pour son fil s,et grâce à ce mensonge, pieux mais bizarre au pointde vue de l'état civil, Charles peut épouser la nlle deGermeuil, dont la chaîne d'or tressaille d'aise sur sonventre d'homme sensible.

Mais voici que du fond de l'inconnu deux hommessurgissent. Ils sont en haillons.

Robert Macaire porte le nom de Rémond, un lor-gnon et, sur l'ceil, un bandeau qui ie rend mécon-naissable. Il a le chapeau tromblon sur le coin del'oreille, une cravate rouge, une redingote verte àrevers,des bottes et un vigoureux gourdin à la main.H est grand, porte beau et cambre le mollet

Bertrand, enfoui dans une houppelande grise àpoches énormes et ballantes, est surmonté d'un cha-peau à tuyau de poêle qui, pareil au pantalon àgalons de la chanson, n'a plus de fond.

Macaire se dresse, Bertrand se courbe Macairemarche, Bertrand trottine.

Holà fait Macaire. assommant une table d'unformidable coup de gourdin, n'y a-t-il donc personneen cette cassine.

Pierre accourt. Les deux amis ont faim et Macairefait le menu Du poulet ? il est blasé sur le pouletDu lapin ? il respecte cet animal timide et douxQu'on lui serve du gruyère et, pour dessert, despommes de terre à l'huile.

Pendant que Pierre s'empresse à les servir, Macairedajgne communiquer à son compagnon quelques-unes des idées qui hantent son cerveau puissant.

Evadés tous deux des prisons de Lyon que

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voulez vous ? il n'est si bon logis qu'on ne quitteils cherchent fortune.

Vois-tu, dit Macaire à Bertrand qui l'écouteavec admiration, la nature ne me fut point marâtre.Je suis beau, intelligent. Ne me dis pas que j'ai dugénie. C'est inutile, j'en suis convaincu. J'aime toutce qui est grand, j'aime la civilisation à ce point queje voudrais la mettre tout entière dans ma poche. etla revendre à bénéfice. Mais la civilisation se rebiffe.elle fait des manières, la petite rusée! J'entendsla réduire à merci- Archimède as-tu connu Ar-chimède, un homme qui courait en chemise encriant du grec? –Archimède a dit Qu'on me donneun point d'appui, et je soulèverai le monde Moi, jene m'appuie que sur ma conscienceet je soulèverai.

tout ce que je pourrai. Es-tu prêt à m'obéir? Prêtonsà nous deux le serment des trois Horaces Et mar-

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chons marchons! comme chante la Marseillaise.Tiens, une noce J'aime ces fêtes familiales Ber-trand, de la distinction et ouvre l'œil!

L.A. FEMME MYSTÉRIEUSE

Douce harmonie!Voici les violons crincrinantsousles doigts exercés des ongles noirs des méné-triers 1

Voici les paysans, modestes agriculteurs qui se-raient trop heureux, comme dit Virgile, s'ils connais-saient leurs bonheur, mais qui ne le connaissentpoint, et par conséquentne sont pas heureuxà l'excès.

Voici les paysannes, gaillardes et égrillardes cam-pagnardes à qui plus d'une fois des bottes de foinservirent à la fois de sommier élastique et de ciel delit, touchantes innocences d'un pays à loups où on envoit beaucoup.

Et Dumontet Germeuil,l'homme sensible, et Char-les, distribuentdes poignées de main avec une pro-digalité qui use leurs paumes bienveillantes.

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Clémentine, rougissante sous sa couronne d'oran-ger, prête ses joues de pêche aux baisers amicaux.

Quand tout à coup.(Musique à l'orchestre.)Une femme apparaît à la porte de l'auberge. Elle

est hd.ve, elle chancelle, s s vêtements ont des piè-ces. Elle s'affaisse. On s'élance. Elle a faim, elle estépuisée.

Le bon Germeuil s'approche, s'enquiert. Elle ré-pond d'une voix faible qu'elle vient d'Italie et cher-che à se mettre en service. Elle n'a ni ~amilte niamis. Pleine de délicatesse,d'ailleurs, elle fait remar-quer à ses sensibles interlocuteurs que sa présencenuit à leurs plais rs.

Au contraire. Elle passera la nuit dans l'auberge.Macaire se penche pour la regarder et tressaille.

Mystère.Naturellement,commeilyalàbeaucoupde monde,

Germeuil s'empresse de déclarer tout haut qu'il a surlui, dans un portefeuille, une somme considérableDouze mille francs en billets de banque. C'est la dotde sa fille.

Macaire ne perd pas un mot de ce dialogue ins-tructif.

M. Germeuil occupera la chambre n" 13, et cellequi est à côté, et qui par une singulière combinaisonarithmétique porte le n° 8, sera occupée par la men-diante.

M. Germsuit, avant de s'aller coucher avec sesdouze mille francs, et son cœur sensible, tient à faireun bout de causette avec 1 inconnue dont il constatesams mauvaise intention d'ailleurs, étant un vieillardvertueux – les manières douces et réservées. Il veut

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avoir son passé. H lui pose cette question indis-crète « Avez-vous un mari ?') Elle tressaille. « Etdes enfants ? » continue le curieux. Elle retressaille.Oui, elle avait un fils, qu'elle a perdu. elle a toutperdu d'ailleurs, ce qui prouveraitun manqne absolude soin si la fatalité. Mais n'en disons pas plus.

Germeuil comprend qu'elle a commis des fautesgraves, et après quelques paroles empreintes d'unesévérité tempérée par la sensibilité de son cœur, illui remet une bourse contenant quelques louis, et ill'envoie coucher, tandis que lui-irême va cohabiteravec ses douze mille francs.

L'HORRIBLE COMPLOT

Bertrand,dit Macaire,écoute- moi. L'or peut n'êtrequ'une chimère, ainsi qu'il se chantera dans quel-ques années, cependant cette chimère a du bon. Seu-lement il est fâcheux qu'une simple question.de lo-calité inSue autant sur les destinées humaines.Suis-moi bien. Un homme sensible, M. Germeuil, adans un portefeuille douze mille francs. Joli de-nier. Ce portefeuilleest dans sa poche, à lui. Et noussommes pauvres, nous. Suppose que, par un chan-gement de localisation tu me suis bien -ce porte-feuille, y compris les papiers d'état, soit transféré desa poche dans la nôtre. Dis-moi dabord, en regar-dant la voûte céleste, en l'élevant par la pensée jus-qu'aux plus hautes sphères, en rêvant à ces mondesinfinis qui tournoient dans l'espace, si ce déplace-ment- car il ne s'agit que d'un simpledéplacementtroublerait en quoi que ce soit la marche de l'uni-vers. Je ne me permettraispas d'ailleurs de la trou-

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bler. Ce serait une action fâcheuse aux yeux du créa-teur. Mais, je le répète, il ne s'agit là que de déplacerun misérable atome, sans qu'il en résulte aucun ca-taclysme cosmique. Ma conscience étant en repos, jete propose d'opérer cette légère mutation, cette nuitmême.

Mais si l'homme sensible se réveille t

Tiens-tu à la vie?.–Sij'ytiens!I

A la tienne, soit. mais à celle des autres1Macaire subtilise au garçon Pierre, de plus en plus

honnête, mais aussi de plus en plus bête, la clef dunuméro 13.

Tout va bienMonsieur Pierre, dit poliment Macaire à Pierre,

veuillez avoir l'obligeance de nous faire bassinernos lits.

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Avec du sucre, ajoute Bertrand. Caramélisonsnos rêves

LE FORFAIT

Il est minuit, l'heure sombre.Macaire et Bertrand se glissent hors de leur cham-

bre, et, doucement,pénètrent dans celle de l'hommesensible..

Pourquoi aussi lui avoir donné le numéro 13? Çaporte malheur.

M. Germeuilronfle, indice d'une bonne conscience,fait observer Macaire.

Le portefeuille est là, sur la t~hie de nuit. Macaireavance la main.

Hein qui va là ? murmure Germeuil.Indiscret 1 fait Macaire en lui plongeant son

couteau dans la poitrine. Jusqu'à la garde, ajoute-t-il, ça t'empêchera de l'appeler.

Plaisanterie cynique que nous n'hésitons pas àtaxer de mauvais goût.

Germeuil, s'abstenant de toute réplique, Macaire leconsidère un instant avec intérêt

Etrange fait-il. Qui scrutera le mystère de lavie et de la mort? Cet homme était vieux, mais in-gambe. Il avait bien encore une dizaine d'annéesdevant lui, peut êtreplus, peut-être moins. Et il suffitde l'introduction dans son organisme d'une misé-rable lame, chose longue et étroite, mais qui tient sipeu de place dans la boutique d'un coutelier, pourque jamais plus il;ne puisse prendreson café au lait.La vie est chosebienfragi!e 1.

Bertrand le tire par son habit; il a hâte de sortir

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Un instant, dit Macaire, nous ne pouvons laisserce malheureux expirer dans la solitude et l'abandon.L'humanité a ses exigences. H est mort je le re-grette. J'aurais eu plaisir à lui serrer une dernièrefois la main 1. Et maintenant. Bertrand, allons dansnotre chambre méditer sur l'immortalité de l'âme.

LE LENDEMAIN DU CRIME

La douce mendiante, aux manières réservées, avaitmal dormi. Germeuil lui ayant dit la veille qu il dé-sirait encore causeravec elle, elle avait peur qu'il nevoulût scruter les arcanes de sa vie privée d'ailleursayant reçu de lui une bourse et quatre louis, ellen'avait plus grand'chose à en attendre et préférait sesoustraire à un pénible interrogatoire.

D'où sa résolution de déguerpir avant l'aurore etsans être vue.

Seulement,voyez la màlechance. Elle ne pouvaitpas parvenir à ouvrir la porte.Pierrearrive au bruit,et, moins bête que d'ordinaire, s'étonne de la voir sipressée de partir. Il la rabroue un peu durement.Ellepleure, tire son mouchoir pour s'essuyer les yeuxLa bourse de Germeuil tombe.

Pierre, de moins en moins bête – c'est son tempé-rament du matin remarque caustiquement qu'ellen'fstpas aussi pauvre qu'elle en a l'air.

Au fort de cette conversation, Macaire et Bertrandsortent de leur chambre.

Macaire fredonne

Quandon fut toujoursvertueux,On aiine à voir lever l'aurore.

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Il aperçoit Marie, affalée sur une chaise et, plein dedésinvolture, vient s'accouder sur le dossier. N'ou-blions pas que naguère il avait tressailli, et on netressaille pas sans avoir des motifs de tressaillement.

Il pose à la mendiante cette question captieuseConnaissez-vousGrenoble ?

Ça n'a l'air de rien au premier coup d'œil. Il y a desgens à qui on demanderait s'ils connaissent Greno-ble et qui resteraient parfaitement tranquilles. Pointn'est le cas de cette femme aux manières douces etréservées.

Il parait qu'elle a connu Grenoble. Bien plus, ellea connu Robert Macaire. et connu comme Sarahconnut Abraham dans la Bible, le livre des livres.Elle fut son épouse.

Il l'a bien reconnue, lui. Mais comme il a un ban-deau sur l'œil, elle ne le reconnaît pas, elle 1

Il paraît que ce mariage n'eut qu'une courte-lunede miel. Pourquoi est-elleen miel, d'ailleurs ? Ça fondsi vite à la chaleur. Bref, Macaire lui rappelant dou-cement son nom, elle réplique par ces mots qui nesont pas à double entente

Ne répétez pas le nom d'un monstre qui troublele repos de ma vie

Macaire se tord de rire. mais se tord intérieure-ment, sans que Marie s'aperçoive de la torsion.– Voua avez donc connu cet infâme? demande-

t eUc.

– Un chenapan, répond Macaire, qui n'a faitqu'une bonne action dans sa vie, c'est de mourir.

– H est mort Mon Dieu. pardonnez-lui 1

–Mais très volontiers, réplique Macaire, je nelui en veux pas.

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Sur ce, Macaire la quitte avec un salut régence.Ainsi, lui dit Bertrand, c'est ta femmeTu l'as dit! Que ceci,Bertrand, te serve de leçon.

N'aie jamais l'égoïsme de prendre une femme à toiseul.

Mais l'amour!L'amour, c'est la femme des autres.

Soudain Bertrand bonditSapristi 1 des gendarmes

LES GENDARMESCes gendarmes sont à cheval. Ils ont des bicornes

en bataille, des buffleteries jaunes et des bottes.Pierre court à eux, les aide à descendre de leurs

montures et conduit les bêtes celles à quatre pieds– à l'écurie.

Bertrand veut s'enfuir. Il trembleBertrand, lui dit Macaire, pourquoi t'émouvoir?1

Tu sais bien ce que c'est qu'un gendarme.Oh oui 1

Eh bien! trois gendarmes, c'est deux gendarmesde plus qu'un gendarme. Voilà tout. Du calme etsonge que le respect du gendarme est le commence-ment de la sagesse. Hetas ) l'éducationdes collèges t

on y apprend tout,excepté ce qui est nécessaire. Ber-trand 1

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–Ami!T'a-t-on jamais appris à avoir peur des gen-

darmes ?.–Ça m'est venu tout seul.

Preuve que l'instruction est inutile! Pierre!accélérez le déjeuner.

Roger était un beau gendarme, non point un gen-darme d'opérette, mais unbuffletier sérieux. Il avaitl'œilde faucon.

Grande qualité pour un gendarme que d'avoir l'œilde faucon.

Et ledit œil de faucon, il le dirigeait sur RobertMacaire et sur son ami Bertrand.

Quels sont ces hommes demanda-t-i) à Pierre.

L'heureétait passé où Pierre n'était qu'honnête.Maintenant il était profondément bête. Il répondit:des voyageurs.

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– Etrange fit Roger, brigadier, il me sembleque.

– Je ne crois pas.– Pourtant.– A votre service, brigadier.Or Macaire, canaille, donc malin, donnait le

change en chantant sur le mode aiguLa tendre AnnetteS'en va seuletteSur la coudrette

Chanter du Robin des Bois.Pourcfuoi ?

Bertrand, bieii stylé, répétait le Pourquoi ? enbasse-taille à quoi Macaire répondait

C'est pour savoir si le printemps s'avance,Pour chasser l'échéanceDe nos printemps d'hiver.

Ce que Bertrand traduisait en sourdine par ces verspornographiques ci-après cités. en rougissant

C'est pour savoir si la fille à ma tanteElle a du poil au ventrePour passer son hiver.

Quelle voix! s'écrie Pierre; il en fait tout cequ'il veut.H ferait bien, réplique le brigadiergrincheux,de

s'en faire un pantalonEt bref, net, sec, allant à Macaire,Roger, brigadier,

représentantde la loi, ditVos papiers ?Brigadier, fit Macaire, ne nous connaissez-vous

pas ? C'est étrange mais il me semblait vous avoir

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déjà fait l'honneur de vous déplier ces parchemins.Voyez Rémond d'une part, Bertrand de l'autre. Enrègle, brigadier, en règle

C'est que, voyez-vous, reprit Roger, je rechercheen ce moment des bandits qui se sont échappés de laprison de Lyon.

– Vous poursuivez ?– Oui.– Des bandits ?.– Certes.– Évadés.

Oui.– Des prisons de Lyon~

– Lyon (Rhône) ?– Rhône!Un silence.

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Macaire reprendGendarmerie géograptiie ô grandeur de la

France1

Puis, s'adressant à RogerBrigadier, que diriez-vous d'un déjeuner con

fraternel ?– Vous dites ?– Où nous romprions, moi, citoyen de la libre

Gaule, vous, représentantde la loi, le pain de l'amitié,en l'arrosant du vin de la confiance.

Tout de même 1.PREMIÈRE DE ROBERT MACAIRE AUX

CtEKtOARMES

Messieurs, je suis heureux qu'en cette cir-constance il me soit permis de vous adresser quel-ques paroles. Non que j'aie plaisir à lâcher la brideau dieu de l'éloquence.Non quoi qu'il piiifïe en moi,je saurai le contenir.

x Je veux seulement rendre hommage à cette admi-rable, vénérabteetrespectableinstitution qui s'appellela gendarmerie.

« Ah messieurs pardonnez à mon émotion t Lasociété se divisa en deux catégories: les poursuiviset les poursuivants, les coupables et les gendarmesQui n'est gendarme est criminel Vous êtes gen-darmes t Je laisse à la justice sociale le soin d'appré-cier quels sont les autres.

« Saint Augustin l'a dit, messieurs (ou s'il ne l'apas dit, c'est un tort de sa part) le crime n'a d'autreraison d'être que l'existence dugendarme. Car enfin,s'il n'y avait pas de voleurs, il n'y aurait pas de

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gendarmes 1 Et alors réftechisspz un peu –que deviendrait cette institution qui est le pivot dela société ? Pas de gendarmes Bertrand Y as-tusongé Pour moi, j'en frémis et s'il est permis à unhomme perspicacede rappeler le nom des Cartouche,des Mandrin. et autres, c'est pour les remercier. jele dis hautement de nous avoir conservé, à tra-vers les âges et jusqu'au dix-neuvième siècle, l'au-guste, j'ai dit auguste et ne m'en dédis pas, l'augustecorporation de la gendarmerie !))n

– Bravo crient les gendarmes.– Vous allez trop loin, murmure Roger.– Trop loin s'écrie ~acaire. Vous oubliez, briga-

dier, que le gendarme est à cheval. Eh bien est-ceque le premier venu est à cheval. Moi, Bertrand, lesplus grands génies, est ce que nous sommes à cheval?ï'Un cheval ) un cheval criait Richard III, un royaume

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pour mon cheval! Périclès, Tacite,Horace, Rabelais.toutes les gloires intellectuelles. est-ce qu'ellesétaient à cheval. Menteur qui le dirait Tandis que legendarme! toujours sur son destrier, toujours lamain au pommeau, toujours les jambes en arc!Donc le gendarme est supérieur à Périclès, à Tacite,à Horace, à Richard IH etàRabe)ais.C.q. f. d.c'est-à-dire. j. f. qui s'en dédit.

Roger était profondément ému. et donnait à boireà ses bottes.

Bertrand souriait. mais d'un sourire jaune, sinis-tre couleur. Il avait une peur bleue. tout un arc-en-ciel, d'autant que le bon gendarme, un momentensorcelé par les exquises manières de RobertMacaire, commençait à reprendre son dada. d'or-donnance.

Nous recherchons, dit-il, deux coquins qui sesont évadés des prisons de Lyon.

Que c'est misérable fit Macaire. I)'s risquent defaire perdre leurs places aux geôliers– Mais nous les retrouverons. Car on m'a affirmé

qu'ils se cachent dans la forêt des Adrets.En vérité, fait Macaire, si ces gens se cachent,

c'est évidemment qu'ils n'ont pas la conscience tran-quille. Vous ne vous cachez pas, nous ne nous ca-chons pas, donc nous avons la consciencetranquille.

-Evidemment, réplique Roger. Mais, ajoute-t-ilenapercevant la jeune Clémentine,voici la beauté quse lève avec l'aurore. Amis,u port d'armes.

L'honnête Dumont informe le gendarme que c'estjour de noce. Le gendarme félicite l'honnête Dumont.Justement voici Charles qui revient de faire une pe-tite course dans les environs.

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scène aelanutieDientemaruc pour mi ~euuoniiiHau cœur pur. Mais la consigne les recherches à fairedans la forêt Vite, le coup de l'étrier et en route

Robert Macaire, aveu un soupir satisfaitVa, bon gendarme! excuse-moi si je ne te re-

conduis pas'Ami Bertrand, rentrons dans notrechambre/que des ablutions multiples et parfuméesraniment les roses de notre teint et raffermissent nostissus.

PÉRIPÉTIE

Quoi dit le jeune Charte- M. Germeuil n'est-ilpas encore descendu de sa chambre ?

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Que veux-tu II n'est plus jeune et dort la grassematinée.

Ainsi répond l'honnête Dumont,qui s'exprime tou-jours avec une simplicité pleine de bon sens.

Arrivée des villageoiset villageoises,citoyens naïfset purs qu'on trouve toujours dès qu'il s'agit de man-ger et de boire. et à l'Auberge des Adrêts, encore,la premiersdes cuisines à vingt lienes à la ronde.

Charles poursuit son idée avec une ténacité quil'honore il trouve que M. Germeuil fait la matinéenon seulement grasse, mais obèse. Clémentine appuieces considération&ingénieuses de sa douce voix devierge. L'honnête Dum,mt manifeste quelques in-quiétudes.

Ma foi, dit Charles, je n'y Liens plus! Je vaisenfoncer sa porte

Et, rapide comme le taureau se ruant sur la capadu toréador, il bondit sur la porte, qui cède &ous lapression de son épaule vigoureuse.

Si ce malheureuxGermeuil eût dormi du sommeildu juste, il y avait dans cette violence de quoi ludonner une congestion. Par bonheur, il avait étéassassiné.

N'envisageant pas la question à ce point de vue,Charles, Clémentineet Dumont redescendent quatreà quatre en criant que l'homme sensible avait étémassacré.

Charles qualifia l'incident de « crime horrible » etRoger, le bon gendarme, émit cette réflexion prou-vant une perspicacité peu commune

-.Quel événement affreux Lui connaissez-vousdes ennemis t

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Aucun, répond Dumont, il ne vivait que pourfaire le bien.

Et les douze mille francs Disparus selon touteapparence, remarquent ces gens sagaces, il y a eumeurtre compliqué de vol ou vol doublé de meurtre.

Or, il ne faut pas oublier que la douce Marie,l'épouse peu reconnaissantede Robert Macaire, avaitpris le large afin de ne pas subir, de la part deM. Germeuil, un nouvel interrogatoire. Pierredont la bêtise s'accroît fait remarquer qu'il l'asurprise voulant fuir dès l'aurore.

Plus de doute 1 cette femme est suspecte 1 On lancesur sa trace un gendarme et les paysans.

Ainsi l'innocence a toujours maille à partir avecl'injuste partialité

Pendant ce temps, Germeuil avec une ténacitéqui fait son éloge continue à ne donner aucunsigne de vie.

MPLOMATtECependantRoger sent le besoin d'échanger quel-

ques réptiques avec Robert Macaire et, son ami Ber-trand.

Ici, que notre humble personnalité d'historien

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s'efface Soyons les simples sténographes de ce dia-logue que disons-nous de ce trialogue génial

RoGER à Afaea; Un assassinat a été commisdans cette maison.

MACAIRE.- Vraiment, monsieur Et qui donc a étéla victime ?

ROGER. Le malheureuxGermeuil.BERTRAND. Qui a assassiné ?.MACAIRE. Eh non qui a été la victime. Mais nous

le connaissions beaucoup M. Germeuil N'est-cepas ce monsieur qui était hier à la fête ?

BERTRAND. –Tiens tiens tiens qui avait desbas de coton et une culotte beurre frais.

MACAIRE.-Ce que tu dis est hors d'œuvre. H avaitl'air de jouir d'une parfaite santé. Oh les auteurs dece crime sont des monstres Détruire un homme quise portait si bien.

ROGER. Vos passeports.MACAIRE(il <t<! donne M/ïg ~~<?). Voici le mien.

Ah oh i oh 1 Pardon t le voici (J~ reprend la lettreet donne ~OK~a.-sepor~. va à ~r~~M~.) Une lettrede la baronne

BERTRAND. Elle te fait des reproches.ROGER (regardant ~pas~o~). Vousvous nom-

mez ?2MACAIRE. Toujours.ROGER. Je vous demande votre nom.MACAIRE. De Saint-Rémond.ROGER. Où allez vous ?l

MACAiRE. – A Bagnères, prendre les eaux de ce pas.Ma santé est un peu délabrée.RoGER.–Comment!vous allez à Bagnères prendre

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les eaux de Spa? Cela ne se peut pas. Bagnères estdans les Pyrénées et Spa à sept lieues de Liège.

MACAIRE. M.!e brigadierne perd pas la carte.mais je vous dit que je vais de-ce-pas prendre leseaux de Bagnères.

ROGER. C'est différent. Votre profession ?MACAiRE. Ambassadeurdu roi du Maroc. Vous

êtes peut-être étonné de ne pas me voir en maro-quin.

RoGER.–Fort bien (a~yaM~~M! secac~e~ery~r~Macaire). Le vôtre) Est-ce que vous n'en avez pas ??

MACAIRE. Monsieur te fait l'honneur de te de-mander ton passeport.

BERTRAND.– Voila voilà C'est que nous les avonsdéjà montrés hier.

MACAIRE. Eh bien, qu'est-ce que cela signifie ?Est-ce que monsieurn'est pas dans l'exercice de sesfonctions ? Monsieur a le droit de t'interroger,tu n'aspas celui de lui répondre.

BERTRAND (~ra~ ses papiers). Voilà, voilà. (Ilen laisse ~om&er MM.) Ah c'est la reconnaissance demon manteau; j'ai eu cent soixante-dix francs des-sus. (Il ~OMM~ son passeport.)

ROGER. Vous vous nommez ?l

BERTRAND. Bertrand1

RoGEp. – Et vous allez ?BERTRAND. Pas mal et vous?1ROGER. Je vous dis Et vous allez ?9BERTRAND. Pas mal et vous ?1MACAIRE. Monsieur me suit.BERTRAND. Je le suis, je suis de sa suite, de sa

suite j'en suis, je le suis.ROGER. Vdjtre profession ?

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BERTRAND. Orphelin. (C~s~~K~A peine au sortir de l'enfance.

RoGER. – Mais, monsieur, je vous demande votreprofession.

BERTRAND.

A peine au sortir de l'enfance.MACAfRE. – Ah ça 1 Veux tu bien te taire (~ Ro-

ger) Je vous demande pardon, mais mon ami est unpeu lunatique.

BERTRAND. Oui, je suis fabricant de lunettes 1

RoGER. – H n'y a rien à dire à ces papiers. lis sontfort en règle.

Donc le bon gendarme est roulé comme un merlandans la farine et c'est avec politesse qu'il prie cesdeux amis de ne point s'éloigner avant la fin de l'en-quête.

Ce gendarme aurait pu, en des temps meilleurs,remplir agréablement l'office de chef de la sûreté.

LE CRIME ET LA VERTU

Mais voici que le gendarme et les paysans qui sesont lancés à la poursuite de la douce Marie revien-nent en la traînant de façon peu courtoise.

Robert Macaire, dont la délicatesse laisse décidé-%nent beaucoup à désirer, se frotte les mains en mur-murant « Heureux hasard a»

Tout le monde accuse très carrément la douce Ma-rie d'avoir porté le trouble dans le cœur sensible deM. Germeuil en y introduisantune lame de couteau.

Pierre, dans sa stupidité naïve, mais chronique,

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rappelle que ce matin elle avait de l'or Et elle avoueelle-même que M. Germeuil ne la connaissait pas,qu'it l'avait vue la veille pour la première fois.

Pardon, fait observer Macaire, cette malheu-reuse femme n'occupait-elle pas une chambre à côtéde l'infortuné Cerfeuil.

Germeuit! rectifie ('honnête Dumont.RHe occupait le n° 8, dit Pierre, et M. Germeuil

le n° 13.8 et 13 font 21, constate Macaire. Donc elle a

dû entendre du bruit.Je n'ai rien enten tu, s'écrie Marie. Si je voulais

partir ce matin, c'était dans la crainte de gêner.Roger, trouvant cette réplique peu concluante

toujoursmalin, legendarme 1 ordonne d'empoignerMarie, qui veut embrasser les genoux de Dumont etde Charles.

Cette accolade aux guêtres est repoussée avechorreur.

Sur quoi, Dumont, dans un éclair de génie, luiadresse cette question profonde

Comment vous appelez-vous ?Marie Beaumont.Mais alors s'écrie Dumont en qui la lumière se

fait, vous avez eu un enfant. et cet enfant, c'est celuique je ramassai sur la route. et c'est Charlest

Qaelle révélation 1 Et comme elle est amenéeMa mère crie Charles Mon fils crie Marie

TableauMais où la situationse complique, c'est que Macaire

–étant le mari de Marie -est fort marri de constaterque Charles est son fils 1

Non qu'il n'ait point quelque velléité de se jeter

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dans ses bras il lui plairait de couper une mèche deses cheveux

Mais la Providence qui jusque-là, il faut !e recon-naître, a quelque peu sommeillé ce qu'expliqueson âge avancé – apparaît sous la forme d'un briga-dier qui remet un papier à Roger. Roger cligne del'œU.

Et désignantMacaire et BertrandEmpoignez ces deux hommes

Ici, Macaire, se souvenant des immortels princ ipesde 89, proteste au nom de la liberté individuelle.Hélas trois fois hélas le brigadier Providence aremis à Roger, le bras de la loi, un mandat décerné

par la justice contre Robert Macaire et Bertrand.Tout ça, c'est des bêtises 1 s'écrie Bertrand. Je

ne demande plus qu'une chose, c'est que tout lemonde s'embrasse et que ça finisse

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Roger arrache le bandeau noir qui couvre rœii deRobert Macaire.

La douce Marie pousse un cri.Un seul œil ne lui avait pas suffi pour reconnaître

son époux scélérat. Mais ces deux yeux sont unerévélation.

Dieu c'est lui! s'écrie-t-elle, et elle s'évanouit,ce qui prouve un bon naturel.

Comme Germeuil, c'est un cœur sensible.Macaire est ému, mais comme ces émotions le fa-

tiguent, il juge que le moment est venu de s'arracherà cette scène poignante.

Il ouvre sa tabatière, met du tabac dans la main deBertrand et tous les deux, une, deux, trois! jettentledit tabac dans les yeux des gendarmes.

Macaire et Bertrand se sauvent à toutes jambes.On court après. On les rattrape. Macaire tue un gen-darme. Mais que peut la valeur contre le nombre.

Ils sont pris et Macaire fredonne

Tuer les mouchards et les gendarmesÇa n'empêche pas les sentiments. (Bis.)

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MORT VIVAITDonc Robert Macaire et son ami Bertrand sont

tombés sous la coupe de dame Justice Thémispour les vieux juges qui ne serait pas fâchée d'en-tretenir des relations plus ou moins intimes avecd'aussi beaux hommes. Elle guigne les mollets deRobert Macaire, cette futée de Thémis.

Mais, d'autre part, et pour une foule de raisonsqu'il serait trop long d'expliquer, le fils de RobertMacaire l'excellentCharles,ne tient pas du tout à ceque petit papa comparoiase en place de Grève. Pré-jugés, soit. Mais Charlesy tient. Et, par un truc ingé-nieux, il trouve le moyen de plonger ledit papa dansun état cataleptique qui ressemble à la mort, et luicommande un enterrement de première ou deseptième classe les documents font défaut sur lechiffre.

1Tout le monde coupe dans ce trépas non moins

subit que surprenant. On met dans le coffre en sapinun paquet de chiffons, allusion délicate au costumede Macaire, et, aux chants nasillards d'un clergé con-vaincu et obèse, on descend la chose dans un trousoigneusement creusé. On jette par-dessus cette dé-pouille trois tombereaux de terre, ce qui, fait observerPierre dont la bêtise a fait place à une aimable go-guenardise,contraste avec la phrase du curé Que laterre lui soit légère – et, ceci fait, on revient à lamaison. L'honneur est sauf.

Mais.Toute la vie n'est qu'un composé de mais –

jetés par le hasard ou la Providence dans les combi-naisons les mieux ourdies, l'excellentPierre a compté

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sans p~pa qui, pendant que passait sous ses fenêtresle douloureux cortège, s'est flanqué une formidablecuite, et, rond comme une pomme, s'est livré à unmonologue philosophique et alcoolique, et, aprèsréflexions, en est arrivé à cette conclusion qui dénoteune certaine logique

Ii faut que je m'évade.Mais. (toujours!) Charles s'y oppose formelle-

ment. Il n'a pas envie que son père se fasse repren-dre. Son père est enterré. Et il pourrait paraître sur-prenantqu'un cadavre si bien bé~i tout à l'heurepar M. le curé déambule par les champs et lesroutes.

Pardon, ô premier-né de mes entrailles, par pro-curation, s'entend, tu me parais ignorer les lois quirégissent notre belle France.

Je ne comprendspas.Fils de mes œuvres aimables, suis mon raison-

nement la Constitution de 91, celle de 93, celle del'an VMI et enfin la Charte immortelle reconnaissent-elles, oui ou non, à tout citoyen le droit de circulerlibrement dans toute l'étendue de la République, del'Empire ou du Royaume, selon le vent des révolu-tions~

C'est exact. mais.– Et où donc, s'écrie Robert Macaire avec un geste

que lui eût envié Mirabeau vilain jaloux oùdonc est-il dit que, pour jouir, user et abuser de cedroit, le citoyen doive posséder la qualité, après toutfutile et secondaire, de vivant.

Mon père [

Ce mot me touche. repète-le souvent, bien sou-vent Mais garde-toi bien de vouloir humilier ton

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père parce qu'il exerce la profession, peu lucrative ilest vrai, mais après tout fort honorable de cadavre.ne lui refuse pas l'exercice de ce droit de circulationqu'il partage avec les vins et alcools et dont nullepuissance humaine ne peut le dépouiller.

Mais on vous croit mort. vous ne l'êtes pas Etsi vous êtes vivant, on vous arrête.

– Voità bien l'injustice des hommes 1 Cette sociétéest cruelle. parce que je respire encore l'air natal,parce que mon pectoral s'épanouit encore aux brisesembauméesde la patrie, on veut me faire arriver desmisères. Soit! plus un mot! je ne prendrai plusconseil que de ma conscience. je la connais, ellen'est pas contrariante

Et Macairemajestueux rentre dans sa chambre.

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Là il songe0 liberté, sainte liberté 1 murmure-t-il,pour qui

tant de hérus ont combattu, liberté qu'un musicienn'a pas hésité à qualifier de chérie, je t'invoqueécoute-moi donc et tâche de ms comprendre.Je L'aimeet te désire, non en raison de ton sexe je ne suispas en train de rire-mais parce que je commence àavoir les jambes engourdies. Tu me diras il y a làune fenêtre, au-dessous de cette fenêtre, un mur.Au delà de ce mur, tu me tends les bras et me faisdes agaceries aussi provocantes que peu pudiques.Je te vois venir, tu veux m'attirer dan~ le bois. Jene hais pas l'ombrage, tu le sais, mais, liberté mamie.. je n'ai pas le sou encore une injustice.Mort, on m'eût donné un viatique. vivant, on me re-fuse de l'argent de poche. Si j'avais seulement l'huilede l'extrême-onction, je la vendrais' mais chut.on parle. écoutons.

Or un dialogue nécessaire à l'action s'est en-gagé en'rs l'excellent Charles et Pierre le garçond'auberge.

Charles -dontle plus grand titre dans l'avenir serad'avoir été le prédécesseur de Mousseau Charles ena plein le dos de l'auberge. Et comme naturellementl'auberge est beaucoup plus grande que son dos, celale gêne entre les omoplates.

Par un hasard que nous qualifierons de l'épithèteoriginale de providentiel, Pierre a hérité d'un sienoncle une somme de huit mille francs. Il l'offre àCharles en échange de l'auberge, provisions et ma-tériel compris.

Remarquons au point de vu" de la statistique qu'ences temps heureux une auberge ne coûtait pas cher.

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Huit mille francs 1 Charles n'hésite pas. Donnant,donnant, l'argent, les clefs.

Et Charles, avec cette somme, s'en ira à travers lemonde loin de ces lieux où il a tant souffert.

Vous me direz: Et Marie? et sa mère 1 qu'est-cequ'il en a fait? Et sa douce fiancée qui pliait sous lefaix des fleurs d'oranger et ne demandait qu'à êtresoulagée de son fardeau ? Il n'y songe donc },Ius?t

Je l'ignore, l'histoire est muette. 11 y a dans les ré-cits des époques passées des lacunes que rien n'ex-plique. Savez-vous comment est mort Thoutmo-sès IV? Non. A'ors pourquoi me demander ce qu'estdevenue la fille du sensible Germeuil ? Laissons quel-que chose à glaner aux Oppert et aux Maspéro del'avenir t

Seulement Charles éprouve le besoin de mettre deschaussettes de laine. Avant de s'embarquer pour unlong voyage, c'est de règle absolue. Quel voyageurdepuis Malte-Brun jusqu'à Brazza s'est mis en routesans changer de chaussettes ? Il pourrait vous arriverun accident, et il faut, par sa propreté, en imposeraux populations primitives qu'on peut être appelé àconvertir à la civilisation. Seulement, je ne sais passi vous avez remarqué comme moi que rien-n'estplus difficile que de changer de chaussettes quand ona sur les bras huit mille francs en éeus de six livres.Si cela ne vous est pas arrivé, faites appel à votreimagination et vous comprendrez sans peine que l'ex-cellent Charles ait eu la velléité mettons l'impru-dence si vous voulez de se débarrasser de sacs sus-indiqués, et de les avoir placés provisoirement aufond d'une armoire.

Pourquoi imprudence ?

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C'est que Robert Macaire veille, c'est que son oreilled'Apache a surpris la conversation engagée entrePierre et l'excellent Charles, c'est que son œil de fau-con a aperçu par le trou de la serrure la manœuvredes sacs déversés dans l'armoire, c'est que sa griffe 'Jelion brûle de s'appesantir sur ce magot qui n'a riende chinois

Charles se retire discrètement, pour changer dechaussettes en un lieu où sa pudeur soit à l'abri desindiscrets.

Robert Macaire médite un instantPuisque je suis mort, se dit-il, mon fils a hérité

de moi or, comme je ne suis pas mort, j'ai le droit derécupérer le patrimoine. C'est une avance d'hoirie àrebours. A mon prochain décès, je lui restituerai cettesomme au centuple.

Il tire de sa poche divers instruments, familiers auxpartisans de la circulation monétaire

Un rossignol! dit-il, doux nom qui rappelle lechantre de la nature. Un monseigneur! Ah messentiments libéraux se révoltent à cette qualificationféodale. N'a-t-on donné ce nom aux outils de la re-vendication personnelle que parce qu'il était porté

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autrefois par les affameurs du peuple Mais assez dephilosophie. à l'œuvre.

Dextrement, avec une énergie qui n'exclut pas lagrâce, Robert Macaire fait gauter la serrure de l'ar-moire filiale il cueille ainsi l'amant fait de la rosequ'il offrira tout à l'heure à la biec-aimée – les sacsaux écus, et sans plus d'hésitation, il détale, jetant enl'air le cri du matelot qui se livre aux Océans

– A Dieu vat

DANS LA FORET

Mais BertrandH est des instantsoù il est doux d'avoir une famille,

de se voir entouré de bras caressants, réchauffé pardes regards afîeet..eux.

L'âme de RobertMacaire lui-mêmes'était un instantépanouie à ces joies délicates, et au moment où ilpinçait les huit mille francs- en écus il n'avait pus'empêcher de murmurer, comme Fidès dans lePropre

0 mo.i fils, sois béniMais il est d'autres instants où il est savoureux

d'être dégagé de tout lien terrestre, d'être libre detoute attache et de se trouver seul et fier en face dudestin

Tel était le cas de Bertrand, qui, dans son indépen-dance morale, n'avait pas hésité à quitter subreptice-ment mais rapidement les lieux que déflorait laprésence de gendarmes odorants et vengeurs.

Bien qu'il fût plus primesautier, moins observateurque son ami Macaire, cependant il se disait, dans songros bon sens, qu'on oublie trop souvent cette vérité

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quele malfaiteurest le gagne-pain du gendarme, etque c'est de sa part la pire des ingratitudes que demalmener aussi durementcelui qui le fait vivre.

Bertrand s'était senti blessé dans ses sentiments lesplus intimes.

D'où sa fuite.Ces élans du cœur ne se commandent pas.Bertrand avait erré dans la foret. D'ici, de là, en

face et à côté.Certes il aurait pu. comme nos ancêtres simies-

ques, se nourrir de noix de coco.Mais la forêt des Adrets n'en produisait pas. la na-

ture prévoyante n'a pas encore suspendu de côtelettesaux branches des chênes et les truffes sont si bienenfouies qu'il faut pour les découvrir des qualitéstoutes particulièreset qui ne sont pas données à toutle monde.

Aussi Bertrand avait-il une faim de loup.En ce temps-là, les jeûnes d'un mois ou de cin-

quante jours étaient rares.Après avoir passé la nuit dans une voiture à char-

bon, Bertrand s'était affalé doucement derrière unpaquet de broussailles et attendaitdu généreux hasard

le dieu des joueurs une aubaine qui lui permîtde se réconforter un peu, quand passa par là un sal-timbanque qui avait une valise.

Ça n'a l'air de rien au premiercoup d'ceil. Ça paraîttout simple. Mais la Providence sait embarliûcoterles moindres circonstances de façon à renouer lesévénements. Jugez-en.

Bertrand subtilise la valise.Il s'agenouille pour briser la serrure.Un homme survient qui le surprend dans cette

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position respectueuse et se met en devoir de lui casserla tête.

Bertrand voit la silhouette du survenant et tire unpistolet de sa poche.

Et tous deux, mus par une de ces pensées qui nais-sent simultanément dansies âmes les plus honnêtes,appliquent sur la poitrine de ieur vis-à-vis lepistoletd'arçon. en question, en ajoutant à ce g~ste signifi-catif cette phrase qui n'est pas à double entente

La bourse on la vie

Toi 1

Toi!1Macaire

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– Bertrand– Dans mes bras I

– 0 sainte amitiéEt voilà à quoi, dans les desseins cachés de i'Kter-

nel, devait servir la valise dont il a été parlé. Si leRoi des Rois était un vulgaire auteur dramatiqueSardou, par exemple, ou Dennery comme on luireprocheraitses ficelles

Les deux amis s'étreignent, et après s'être étreints,ils causent.

Tout d'abord surprise naturelle, chacun croyantl'autre occupé à étudier les mystères de l'alcôve destaupes.

Macaire est quelque peu sévère. Dame! Bertrandl'a abandonné. alors qu'il était livré aux indiscré-tions de la justice.

Mais la reconciliation est complète.Passons une éponge sur le passé, dit Macaire,

exprimons-la dans le fleuve de l'oubli et regardonsun peu derrière ce mur opaque qui cache l'avenir.

Ah s'il passai', une somns.th.bute murmuruBertrand.

Pas de vaines superstitions. L'avenir est auxforts. D'ailleurs j'ai marché tout à l'heure dans quel-que chose de spongieux. je suis tranquille. Tiens,imbécile, et cette valise à laquelle tu ne songes pasQui te dit qu'elle ne renferme pas le secret de notredestinée. Fouillons ses arcanes.

La valise, un peu rudoyée, montre ses flancs ou-verts.

Hélas trois ou même quatre fois hélas Des effetsde saltimbanque un habit jaune, des bottes, une po-olnaise à brandebourgs.

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On a partagé la Pologne, dit tristement Ber-trand.

Raison de plus pour ne pas partager la polo-naise, réplique Macaire, je l'endosse. Mais l'habitjaune..

Fi donc on me prendraitpour un domestique.Tu es bien dégoûté J'en connais de plus voleurs

que nous et qui n'en sont pas plus fiers.Les voilà habillés, méconnaissabtest, si l'on veut.

Des gendarmes! s'écrie Bertrand.– Ces buftletiers sont donc ubiquistes ?

Ubi. quoi?Cachons-nous. il est bon de ne pas gaspiller

inutilementson courage.Ils se dissimulent.Les gendarmes passent et échangent quelques

mots. Pandore fut toujours communicatif. Maisaussi, comme toujours, ils ont le foie sec et sententle besoin de l'humecter. Ils entrent chez d'obscursvillageois pour procéder à cette opération d'arrosage.

Ils auraient pu d'ailleurs attendre un peu car unorage éclate, le tonnerre gronde, la pluie tourbil-lonne.

Macaire et Bertrand reparaissent, prêts à filer,quand là-bas, sur la route tout a. l'heure poudreuse,mais maintenantaqueuse, Macaire aperçoit des che-vaux qui s'emportent, entraînantdans leur galop ver-tigineux une calèche qui se brise.

Ciel! grands dieux à la rescousselMacaire bondit comme le jeune faon à son premier

amour.Et reparaît un instant après soutenant dans ses

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bras vigoureux une créature du sexe opposé, à demiévanouie.

La belle enfant elle doit être belle est accom-pagnée d'un solide gaillard poivre et sel qui se con-fond en remerciements.

Macaire se montre tout à fait homme du monde.Ah monsieur, s'écrie l'mconnu (entre nous, le

baron de Wormspire, un vieux filou), que de recon-naissance Vous avez sauvé l'ange de ma vie.

Ah monsieur, ajoute Eloa (entre nous, unegourgandinede la plus belle eau), c'est à vous que jedois la vie.

ROBERT MACAIRE, modeste. Point ne babillez surce sujet. Je m'élançai, Dieu vous sauva.

LE BARON. Quelle force 1 quelle poigne

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ELOA, baissant les yeux. Monsieur est vigou-reux.

MACAIRE.Onfait ce qu'on peut (RegardantEloa,)La vigueur ne fait pas le bonheur.

ELOA, rougissant. Mais elle y contribue.LE BARON. Ça, notre sauveur, vous nous direz,

j'espère, quel nom nous devons inscrire sur les ta-blettes de notre reconnaissance.

ELOA. -Et que je répéterai dans mes prières.MACAIRE. C'est le soir que vous priez.ELOA. En me mettant au lit.MACAIRE, avec ~smco~M~g. Les anges ont de la

chance! (Au baron.) Donc,messire,vous me fites l'hon-neur de me demander mon nom. Je n'en ai qu'un,monsieur, celui de mes pères qui furent aux croisa-des. je descends d'un croisement, monsieur. jem'appelle de Saint-Rémond.

LE BARON. – Je n'ai pas l'honneur de connaîtrecette famille.

·MACAiRE.– C'était la mienne Et vous?.LE BARON. Baron de Wormspire, je voyage avec

ma fi.le Eloa.MACAIRE. Eloa. J'ai beaucoup connu un saint de

ce nom.LE BARON. Un saint.MACAIRE. Et saint Eloa. lui dit, ô mon roiLE BARON. – C'était notre aïeulMACAipE.–Cefut un sage conseiller de la royauté.

pus d'impôts et la culotte à l'endroit. toute la politi-que est là ).

LE BARON. Et votre profession t.MACMRE. – Je glane dans le vaste champ de l'in-dustrie. je creuse l'économiepolitique.

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LE BARON. Banquier, peut-être ?MACAiRE. – Je taquine le capital, c'est mon faible.

Et vous, Baron!LE BARON. J'ai de grandes capacités qui feraient

éclater mon cerveau si parfois je ne leur donnaisissue pour le bien de ma patri e.

MACAiRE.– Indigestion de génie. je connais celail faut évacuer.

LE BARON. J'y songe. et c'est dans ce but que jeme rends à Paris.

MACAIRE Comme cela tombe je m'y rends éga-lament. ô Paris, nombrii du monde Mais, à ja-boter d'affaires, nous oublions la beauté qui pan-tèle.

LE BARON. Pantelez-vous donc, EloaELOA. Relativement. mais je me sens bien fai-ble. Ne pourrions-nousremonter en voiture ?.BERTRAND. La voiture. elle est recalée.MACA:RE. Que soit faite la volonté de mademoi-

selle Bertrand, appelle les gendarmes.BERTRAND. Moi. queMACAiRM. – Obéis. sans un mot. sans un geste.

vaBertrand va tout tremblantappeler les gendarmes

qui, réconfortés par une rincette prolongée, arriventtout souriants– Messieurs, leur dit Macaire, à la droite, à la

gauche du char divin chevauchent les cohortes desséraphins radieux. Consentiriez-vous,à la droite, àla gauche du carrosse qui va entraîner vers le villagevoisin deux voyageurs, une faible femme et un vul-gaire domestique, chevaucher de telle sorte que nous

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sentions sur nos fronts la protection de vos loyalesépées?.

Volontiers t répondent les gendarmes qui flai-rent à l'arrivée une forte rasade.

Et la forêt, étonnée, vit ce spectacle rare et conso-lant les voleurs et les assassins respectueusementescortes par les gendarmes.

PARIS FARtS

N'en déplaise aux capitales jalouses, c'est à Parisseulement que les génies se développent, que lescerveaux s'élargissent, que les poumons se dilatentL'eau y est mauvaise; soit, n'en buvezpas. mais l'airparisien a des qualités sublimes qui décuplent l'é-nergie, centuplent l'audace et milluplent si j'osem'exprimer ainsi l'activité humaine.A Paris, l'idéegigogne enfante des millions d'idées, le talent courtles rues, le génie estencomDrant et, à ce carrefourdel'univers, il faut poster des sergents de ville pour lacirculation du sublime. Les écrasés sont les imbé-ciles.

Les Parisiens sont maigres,étriqués,pâles. qu'im-porte Ce sont des cerveaux qui marchent, qui trot-

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t~nt, qui courent.Les muscles sont d'acier, les tendonsde laiton, les nerfs de platine. Paris est une machineélectrique dont la pensée est la balle de sureau, tou-jours attirée, toujours en branle, toujours gigotantau bout du fil qu'en sa dextre tient le Progrès.

Ah comme Macaire a bien compris la grand'-ville t

Dans la cohue, il a joué des coudes, fait sa trouéeà la Bourse, dans le monde, dans la haute et bassevie. Boulet de canon, il a défoncé les consciences lesmieux blindées. Torpille, il a fait sauter les intégritésles plus cuirassées.

Les plus pudibonds le saluent et les journalisteslui. serrent la main.

Aux premières, il se pavane, gilet boutonné àl'oesophage – pas de gants, c'est mauvais genre AuBois, il conduit le four in hands avec une maestriaqui lui vaut un sourire de la petite duchesse et unbaiser de Nina de Louveciennes.! Aux courses, iljoue du tuyau avec une désinvolture qui arrache auxbookmakers des cris d'admiration

Mais si vous voulez le voir dans sa beauté, dans sasplendeur, dans son rayonnement, pénétrez dansl'admirablepalais Bourse humiliant la Boursequ'il s'est fait construire au centre des affaires. Cettemerveille a été bâtie en trois mois, l'hiver, sous unecage da verre, aux lueurs aveuglantes du foyerJablockoff.

Un /M:/< royal, des laquais plus galonnés que deschambellans, des guichets innombrables, gueulesd'or qui avalent, avalent toujours, portefeuilles cre-vant sous le papier à vignettes. écoutez! c'est letéléphonequi marche 1 La voix du banquier crie aux

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quatre coins du ciel « Hallo Hallo Achetez Ven-dez t Paypz » Des milliers d'ahuris se bousculent?ur les escaliers de pierre, des milliers de badaudscontemplent, émus, ce flot qui toujours s'engouffreettoujours ressort, pour s'engouffrer encore. C'est leMaelstrom de la spéculation.

Et dans la vaste salle qui rappelle nos Parlements,au-dessus des bancs garnis de centaines d'action-naires, Robert Macaire, debout, le bras étendu, latête orgueilleuse, crie de sa voix retentissante:

Non, messieurs, nous ne nous laisserons pasarrêter par les clameurs haineusesd'adversairesquenous pourrionsnommeret qu'irritent nos succès.

« Oui, nos succès, je le dis bien haut.« Que nous reproche-t-on ? Seize cents millions

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dépensés Seize cents millions 1 En vérité, messieurs,j'ai honte de proclamer devant vous ce chiffre ridi-cule. dépensés, dit on. Je vais plus loin, moi, mes-sieurs, je dis perdus. oui, perdus, engloutis. et jele dis. c'est là notre force (~M~~seme~)

« Oui, nous les avons gaspillés,oui, nous les avonsvolés dans vos poches, nousavons léduit des famillesà la misère. et qu'est-ce que cela prouve, sinon quenous avons l'audace. un mot de plus, et sans soucid'une fausse modestie. j'ajoute nous avons le génie.(Bravo t Bravo !))

« Ah! il fait beau venir nous opposer des chiffres.En voulez-vous d'autres ? Les seize cents millions sedécomposentcomme suit. prenez le rapport de notreconseil d'administration. (on entend un bruit formi-dable de papiers pliés et dépliés) Queyoyez-vous?Frais d'établissement: 696mitlions 825mf~e732 francs83 centimes 83 et non 85. Pas un centime dontnous ne vous i~ndions compte Courtages sursouscriptions, 137 millions, Matéfiet. 329 millions tProfits et pertes. Ahc'est M, messieurs, que j'at-tends nos contradicteurs, et de. pied fe.rme. j'ose ledire.Profits et partes 437,174,267,15 faites l'addi-tion, messieut-~ vérifiez. vous 'retrouverez les1,600 millions. îîs y sont! De q'olse plaindrait-on ? (Ecoutez'Ejoutez!)1

« Et méditezbien ces mots Profits et Pertes. nousne disons pas Pertes. il y a Profits. et pertes. Alorspourquoi pertes plutôt que profits ou profits ptutôtque pertes?. Ne touchez-vous pas du doigt la mau-vaise foi de nos ennemis ?. Entre ces deux mots, ilsont l'audace de choisir. et naturellement, tant il y a

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de bassesse dans l'âne e humaine, ils choisissent.pertes (Rumeurs d'indignation.)

« Ah messieurs, toute une vie de labeur, toute uneexistence d'efforts ne répondent-ils pas d'avance àces insinuations ? (Si t Si ) Je vous l'avoue, parfois,je me sens las de iutter et je song~ à me retirer. oui,à revenir à mes chères études que j'ai abandonnéespour me consacrer aux intérêts de notre chère France.(Bravo 1)

« La France! Ah 1 parlons d'elle Est-ce au mo-ment où le flanc de la Sainte Patrie saigne encore, aumoment où l'étranger jaloux cherche à déraciner ledrapeau industriel dont nous tenons fièrement lahampe, que nous déserterions. car ce serait déser-ter. et, messieurs, qui de vous nous conseilleraitcette lâcheté? (Personne! Non! non! pas de déser-tion )

M. GoGo. – Enfin. et des dividendesMACAIRE, ironique. Ah 1 des dividendes du

gain des bénéfices toujours toujours cette aviditêrévoltante qui compromet les plus belles causes! Desdividendes Ah pardonnez moi, messieurs, un mo-ment d'émotion. Cette interruption égoïste, aumoment où je parlais de la patrie, m'a frappé aucœur (Ne répondez pas Remettez-vous )

« Des dividendes 1 Eh mon Dieu 1 s'il vous en fautabsolument. (Non 1 non 1 ) Si fait! parlons-en.Vousen voulez ô mesquinerie humaine Eh bien j'yconsens, on va vous en distribuer. des dividendes.

(Mouvementde surprise dans l'auditoire. M. Goco:Bravo 1)

« Comme s'il était difficile de distribuer des divi-dendes 1 Le premier venu peut faire cela 1. j'avoue

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plutôt le poignet ce poignet harassé de travail –plutôt que d'y porter une main téméraire.

«Mais, messieurs, la dividende. c'est vous quiallez le fournir. Pour vous donner cinq pour centde votre capital que vous faut-il? Cent millions, unemisère! Nous émettonsdeux cents millions de bonsà cinq an?. remboursables par voie de tirage ausort, avec luts d'un million, de cinq cents, de deuxcent cinquante, de cent mille francs Et sur cettesomme qui n'est pas le capital. car elle n'est pas en-core versée. et qui ne sera pas le même capital quele capital antérieur. je vous distribuerai cinq pourcent. voulez-vousdix pour cent. que m'importe(Non t non cinq seulement !)

« Huissier, faites circuler les listes« Et maintenant,messieurs, permettez-moi de vous

remercier encore une fois. car encore une fois vousnous avez vengés de calomnies indignes, vous avezdéjoué des manoeuvreshonteuses.J'ai confiance envous, ayez confiance en moi. et comme le dit l'exer-gue de nos pièces de cent sous

« Dieu protège la France 1 »Acclamations on escalade la tribune pour em-brasser Robert Macaire, auquel on décerne le titre

d'Immense Gaulois 1.Tableau 1

Et la Bourse montait toujours

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AMOTURÏ

Eloa n'était pas un parangon de veriu, mais c'étaitune bonne fille, po'elée et capitonnée, appétissanteet personnellement en appétit d'amour.

Robert Macaire, grand, râblé, au nez plein de pro-messes, lui avait comme dit le doux Virgiletapé dans l'œii. et il lui tardait d'être unie par desliens indissolubles à ce fort gaillard qui- semblableau chassepot de Mentana devait faire merveille.

On n'avait pas encore inventé le fusil à répétition.Impatiente et langoureuse à la fois, elle attendait le

solide banquier qui lui avait promis de venir, aprèsl'assemblée d'actionnaires,échanger aves elle quel-ques doux propos d'amour, préliminairesde la céré-monie définitive fixée, au lendemain.

Elle avait arboré le costume blanc, neigeux de sonhomonyme Eloa (d'Alfred de Vigny),et commel'angeamoureuse du démon, elle méditait les gracieuseschoses qui viendraientrasséréner son âme roman-tique.

Robert Macaire entra, le torse bien dressé, ayantau front le diadème orgueilleux de son derniersuccès.

Oh t fit Eloa en l'apercevant et en se cachant der-rière son éventail.

Et elle ajouta tout bas, si bas qne son ange gar-dien l'entendaità peine

Qu'il est beau, cet homme, qu'il est beau 1

Macaire s'approche lent, il s'agenouille sur lecoussin qui gît aux pieds d'Eloa et doux, il lui prendla main.

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Elle tressaille.Lui parle:

Ecoute, mignonne. sais-tu ce qu'est l'amour'~Non. eh bien 1 je vais te l'apprendre. Rien de plusniais que l'ignoranfc!. Nous ne sommesplus au tempsde l'imbécile romantisme, alors qu'on jonglait avecles étoiles et qu'on jouait au bilboquet avec les fi.messœurs.

« N'attends pas de moi ces protestations ridiculesdans lesquelles passent. comme tes paillettes dans lekaléidoscope, des mots brillants, mais vides desens.

« L'amourest une science. »Eloa ne peut réprimer un léger frisson

Une science et en même temps un art, continueMacaire. Une science, car ce n'est qu'en connaissantà fond l'anatomie de la femme, en ayant pendant de

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longues heures étudié, le scalpel à la main, les mys-tères de sa constitution interne, c'est alors seulementqu'on a le droit de se dire véritablement apte à célé-brer dignement le mystère d'amour.

Robert mais je ne comprends pas.Tu comprendras avant d'être ton époux, ton

amant, je serai ton éducateur. As-tu jamais dissé-qué un homme ??

Moi moi balbutie Eloa prête à pleurer. Oh t levilain avec ses questions

Pas d'enfantillage. Si tu étais mineure, je pour-i'ais admettre une ignorance dont ma science mêmesaurait profiter, pour faire jaillir plus vivementl'étincelle. Mais j'ai passé moi-même l'âge de cesbillevesées. Je reviens à ma théorie. car, vois-tu,Eloa, sans théorie, pas d'amour. demande au doc-teur Guyot.

Je ne connais pas.–C'est un tort. Tu liras dès ce soir le bréviaire de

l'amourexpérimentât. Donc tu n'a pas disséqué decadavre humain. et tu prétends, présomptueuse,savoir faire vibrer la harpe infinie des sensations. enexacerber les prurits aig' et provoquer les spasmeslancinants.

Lancinants 1

As-tu du moins, dans les livres suggestifs quenous a légués l'antiquité, dans les études âcres dudivin marquis, tenté de t'approprier les notions pro-fondes qui constituent la science d'amour. Que dis-tu de Sjdome?

-Oh!i

Des cris de l'horreur voiià bien le préjugéSodome fut une ville où l'on eut de l'agrément et sur

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laquelle il tonna très fort.. Et Sapho, ou plutôt Sapphopar deuxp pour être correct! Et la divine Lesbia Etles orgies sanglantes des patriciennes de Rome Eloa,connais-tu tout cela ?

– J'avoue que. mais vous me parlez hébreu–Les Hébreux avaient du bon. la Bible en fait

foi.Laissez la Bible. dites-moi que vous m'aimez.Banalités Je t'ai dit que l'amour était un art.

As-tu jamais vu le pianiste effleurer de ses doigtsnerveux les touches d'ivoire? As-tu vu Paganini fairegrincer sous l'archet, dans une titillation vibrante,les cordesqui se pâment jusqu'à se briser? As-tu vule bourreau tordre les membres de ses victimes jus-qu'à leur mettre aux lèvres une écume de sang etde jouissance?.As-tu vu tout cela? Eloa

–Non! assez t

Ainsi ferai-je de tes divines beautés.Ainsi dansles spasmes atroces et doux de la surexcitation cen-tuplée ferai-je tressaillir tes fibres tendues jusqu'àéclater.tandisqu'auprès de nous, sous nos yeux'pour entretenir en nous le feu dévorant des saintesextases, d'autres êtres s'enlaceront en des craque-ments de squelettes.

Eloa sursautantAh mais vous m'ennuyez à la fin moi, je veux

faire l'amour tout bêtement, à la bonne franquette.commepapa et maman ).

Eloa ne me comprendrais-tu pas ?.La porte s'ouvre et le baron apparaît

Ah 1 je vous y prends, petit polisson dit-il àMacaire. Vous demandez des avances 1 arrachez-vous à ces exquises niaiseries. La foule emplit les

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salons. je vous convie à une folle partie d'écai/Lé.Soit dit Macaire. Au revoir, Eloa, nous repren-

drons cet entretien.ELOA, ap~. Ça ne serait pas à faire!1

A PARTIE Ht'H CARTE

Qui touche à l'œuvje du génie est un misérableDonc ne voulant pas mériter cette épithète, nousnous contenterons de copier servilement l'admirablescène dont le récit nous a été légué par nos maîtres.

Le baron et Macaire sont à une table de jeu, face àface.

LE BARON. -Je propose.MACAIRE. Impossible 1

LE BARON. Allons piqueMACAIRE. Atout Atout Vous êtes volé, beau-

père.

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LE BARON, <x~M! – Si je n'étais pas sûr de ta pro-bité de mon gendre, je croirais qu'il a fait filer lacarte. Coupez. le roi

M~cAiRE.– Ah ça! mais, est-ce que le beau-père.?Je vous en demanderai.

LE BARON. Jouons. Atout! Atout! Atout!Atfmt!1

.M~cAiRE. Ma revanche.LE BARON. Volontiers.MACAiRE. –A qui fera. (~j'OMe~.) On voit beau-

père, que vous êtes l'enfant chéri de la victoire. (~j9a') J'espère bien que tu paieras les frais de laguerre. (Il donne.) Le roi

LE BARON. – C'est singulier Quand c'est à lui àfaire, je n'ai pas un atout. Je propose.

MACAIRE. Non! je prends. le roi! Atout'Atout et atout

LE BARON. Si c'est du bonheur, il peut se flatterd'en avoir. A moi la main. le roi

MACAiRE.–Plus de doute. le beau-pèreme filoute,c'est clair. Cœur t

LE BARON. Je prends. Atout trois fois. GagnéMACAIRE, à part. – Quelte singulière manie Etre

riche comme Crésus et tricher au jeu Le roi!LE BARON. C'est une véritable sainte alliance.

Je proposé.MACAIRE. Jouons Atout 1 Atout Atout t

LE BARON. Eh bien, nous sommes quittes, mongendre. (Il ramasse les deux enjeux.)

MACABRE. Je ne dis pas le contraire mais vousramassez tout l'enjeu.

LE BARON. Mais puisque nous sommes quittes.MACAIRE. Faites donc attention C'est l'enjeu.

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LE BARON. Mon Dieu quelle distraction par-don, pardon

MACAIRE. Oh! cela arrive tous les jours.Légèreerreur.

LE BARON, à pa~. – Décidémentje suis floué 1

MACAIRE, à ~r~. – H n'y a pas d'eau à boire avecle beau-père.

Tout à coup, à travers les salons en fleurs, un crretentit

Les gendarmes

SECRET D'ÉTAT

La scène se passe 'chez te premier.ministre, quitravaille, seul, le nez courbé sur des monceaux defactures.

LE PREMIER MINISTRE.- 596,627 francs 35 centimes.

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Cette Nichette me coûte cher. mais quel galbe t. etquel chien 1

(On frappe à la porte. C'est le ministre des finances.)LE PREMIER MINISTRE. Ah c'est vous, cher ami

Quel bon vent.?LE MINISTRE DES FINANCES. Entre nous, on peut

parler franchement. je ne puis arriver à équilibrerle budget de.

De la France.Non 1 de Paula la Savoyarde 1

Diable Et quelle somme.227.694 francs 48 Centimes.Un chiffre Moi-même, je suis un peu gêné. On

frappe. je n'y suis pas.LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQOE.–C'estmoi.

Je vous dérange.LE PREMIER MINISTRE.- Non pas. entrez donc, vos

conseils sont de poids.~FINANCES. – En tout cas, ils sont académiques.

(Ils rient.)INSTRUCTION. -Je vais droit au fait. je ne vous

apporte pas de conseils. j'en viens chercher. As-pasie me coûte les yeux de la tête. je m'enfonce. etsi je ne trouve 193,888 francs 95 centimes

LE PREMIER. Diable diable diable 1 Eh voilà cecher collègue des Travaux publics

TRAVAUX puBLics. Je suis vanné, ruiné, tué. Bi.biche me lâche.

Tous. Bah Et pourquoi ?.TRAVAUX puBLics. – Je n'ai pas pu payer sa der-

nière note de couturière;222,223francs 22 centimes.FINANCES. – Les huit cocottesTous. Que faire? Nous sommes nettoyés.

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LE MINISTRE DE LA -JUSTICE, GARDE DES SCEAUX, O~~a-n~M~. Je vous sauve

Tous. Lui ah parlez, cher collègue, parlez.LA JusTicE.–Moi-mêmeje suis quelque peu rati-

boisé. mais j'ai un moyen.Tous.- Lequel?LA JUSTICE. Vous connaissez Robert Macaire?Tous. Je crois bien. je lui dois de l'argent.LA JUSTICE. Vous savez que c'est un ancien for-

çat. et un assassin.Tous. Oui, oui.LA JUSTICE. Jusqu'ici, comme il nous ouvrait sa

caisse, nous avons cru devoir le ménager. Aujour-d'hui le bras de la justice doit s'appesantirsur lui.(Marques de surprise.)Suivez-moi bien Primo, nouslui devons de l'argent secundo, nous avons besoind'argent. Or, pour ne lui plus rien devoir, le mieux

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est de le faire disparaître. il n'a pas de titres entreles mains. c'est élémentaire. Maintenant, pouravoir de l'argent, nous n'avons qu'à en gagner. Co m-ment ? C'est bien simple L'arrestation de RobertMacaire jettera le désarroi sur le marché. la Boursebaissera considérablement. Comme nous n'agironsqu'à notre heure, nous aurons pris soin de vendredes quantités formidables de valeurs. nous réali-serons des bénéfices énormes nous serons remis àflot. et la morale sera sauvée.

Tous. Bravo Bravo C'est admirableLA JUSTICE. Entendez-vous avec vos agents de

change. Moi, je vais réunir les dossiers de RobertMacaire. Ah ce misérable a trop longtemps trompé

-!a conscience publique Il est temps qu'elle soitvengée.

BÉNÉDICTION

Tout passe, tout casse, tout lasse.Robert Macaire a été condamné à mort. La société ta

senti le besoin de s'affirmer par ce raccourcissementet la justice des hommes demande à être satisfaite.

Robert Macairea passé sa dernière nuit de la façonla plus agréabledu monde.Maismoins agréable pour

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son gardien, qu'il a empêché de dormir par des ron-flements que tout philosophe eût considérés commel'indice d'une conscience pure,et qui pourtantn'étaientque la preuve d'un vaste rhume de cerveau sur lepoint d'éclore, mais auquel le temps devait manquerpour s'épanouir.

A cinq heures du matin, le directeur de la prisonentre dans la chambre de Macaire, avec le chef de lapolice de sûreté.

n pose doucement la main sur l'épaule du con-damné et l'appelle

Macaire (~.prë.s une pow-.se.) Macairo'Macaire ouvre un œil

Qu'y a-t-il ? qui se permet de troubler mon som-meil ?

Macaire. du courage t Votre pourvoi a été re-jeté et.

Ah bah 1 fait Macaire en se dressant sur sonséant. Pas possible ces braves gens ont commis cettelégère imprudence. eh bien! mon pourvoi étantrejeté, je n'ai plus à me préoccuperde rien. Ces for-malités me fatiguaient. Oh la procédure

Pardon mais vous ne comprenez pas.C'estpour ce matin.

– Matin. chagrin Soir. espoir.Voyons, monsieur Macaire, encore une fois,

armez-vous de résignation. La vindicte publique.Ah ah ah fait Macaire, la vindicte publi-

que. cela veut dire sans doute que.Et il a un geste significatif.Justement, fait le directeur en baissant la tête.

– Quette heure est-il donc ?– Cinq heures

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Vous êtes sûr que votre montre n'avance pas ?..Absolument.

–Ces horlogers sont si insouciants. Ennn!comme cela, on me trouve trop long ?.

Hein ?Dame puisqu'onveut me diminuer d'un pied.

du côté de la tête. Mais voyons, sapristi 1 ne me fai-tes pas cette mine-tâ! Au fond, qu'est-ce que celavous fait qu'on me guillotine? Moi encore, je seraispincé, grincheux. cela se comprendraitjusqu'à uncertaint point. mais vous, représentant de l'admi-nistration, soyez impassible.Vrai! vous me donnezmauvaise opinion de l'autorité française.et ça m'en-nuie pour ma douce patrie

Enfin. veuillez vous lever.Devant vous, jamais et ma pudeur! Je

sais bien qu'on est décidé à froisser m&s sentimentsles plus intimes. mais je proteste contre cette im-mixtion dans ma vie privée.

H faut pourtantbien.– Oh certes. je n'ai pas l'intention de marcher

à l'échafaud in ~Q~Mr~M6MS. je sais trop ce que jedois au souverain qui nous gouverne si paternelle-ment. mais je veux.

Vous voulezJe veux que vous, directeur, et ce monsieur qui

vous accompagne vous alliez vous mettre en péni-tence, dans le coin, le nez du côté du mur.

– Mais.– C'est mon derniermot. ou je ne me laisse pas

guillotiner. Ah ça serait d'un joli effet sur lesmasses.

Le directeur et son acolyte échangent un regard.

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Mieux vaut en finir. Ils vont se placer comme Ma-caire le désire.

Celui-ci saute en bas de son lit, et en un tour demain passe sa culotte

Demi-tour rompez le rang commande Ma-caire. Voyons combien ai-j e de temps devant moi?.

Une demi-heure, trois quarts d'heure au plus.Si vous désirez quelque chose

Oui, fait mélancoliquement Robert Macaire,cela me rappelle le jour où je suis entré pour la pre-mière fois dans cette auberge. qui a porté malheurà M. Germeuil et à moi. Dire que si cette aubergen'avait pas existé, si elle ne s'était trouvée sur maroute, il ne m'aurait pas assassiné. et il n'aurait pasà répondre devant la société.

Pardon, monsieur Macaire, vous confondezHomme cruel, pourquoi ne me laissez-vous pas

cette illusion. J'aimerais à croire que c'est ce sen-sible vieillard qui va porter sa tête sur l'échafaud.

Vous savez que, d'après les règlements, vouspouvez réclamernourriture ou boisson.

Manger boire à quoi bon ? puisque les fonc-tions corrélatives n'auront pas le temps de s'exercer.Je désirerais seulement deux choses.

Parlez 1

– D'abord un bon cigare. mais pas de la came-lotte un cigare de dix sous. Vous mettrez ça sur lanote des frais.

Vous aurez le cigare dans deux minutes.Bien 1

Et la seconde choseJe ne suppose pas que la société veuille lésiner

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au préjudice d'un malheureux qu'elle va retrancherde son sein.

Non, certes. et si votre demande. est raison-nable.

Raisonnable 1 dites qu'elle est justifiée par tousles précédents. Je veux. un prêtre

Ah vraiment votre demande me comble dejoie Enfin le repentir.

Ne dites donc pas de bêtises Le repentir est lagastrite de la conscience. J'ai l'estomac libre. seule-ment je sens le besoin de causer avec un vénérableecclésiastique.

M. l'aumônier de la prison attend, ici près, dansle corridor.

Est il vénérable? S'il n'est pas vénérable, vousirez m'en chercher un autre.

Oh jusqu'ici personne ne s'est plaint.Soit. Amenez-le

Tout en devisant, Robert Macaire a achevé satoilette Il a vraiment très bon air.L'aumônier, hélé par le directeur, apparaît sur le

seuil.Macaire l'examine en plaçant sa main au-dessus

de ses yeuxPas mal, fait-il. Une vénérabilité de secondchoix. mais très suffisante..

L'aumônier fait quelques pas.Macaire, avec un geste majestueux, invite les assis-

tants à les laisser seuls.La porte se referme.L'ABBÉ. – Mon frère.MACAIRE. – Tiens, vous êtes de ma familleL'ABBÉ. En notre Sauveur.

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MACAiRE.–On va nous sauver. bonne chose.Vous, ça'm'est égal mais moi, ça m'irait assez!

L'ABBÉ. – Oui, vous sauver dans i'étermté.MACAiRE. – Oh je n'en demande pas tant. je n'ai

plus qu'un petit quart d'heure. Ça, ma petite vieille.L'ABBÉ Appelez-moi mon pèreMACAIRE. Jamais ce serait une insulte à la mé-

moire de ma mère.L'ABBÉ. Vous avez vous-même désiré me voir.

j'en suis heureux, car cela dénote en vous d'excel-lentes dispositions Vous allez vous confesser. jesuis prêt à vous entendre.

MACAipE. – Vous n'êtes pas dégoûté Je racontetrès bien. Qu'est ce que vous voulez savoir ? Aimez-vous les histoires. gaillardes ? J'ai un joli stock.

L'ABBÉ.– Mon frère, l'instant est solennel. re-cueillez-vous.

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MACAitE. – Ah ça, dites-moi, est-ce que c'est unebonne place, celle d'aumônier ?..

L'ABBE.–Heu! heu 1 mais ne nous occupons pas.MACAIRE. Vous me direz à cela. quand on n'a

pas de charges Vous n'êtes pas marié?..L'ABBÉ. – Mon frère. la religion.MACAIRE, digne. Je n'en connais qu'une. la re-

ligion de l'humanité. la propagation de l'espèce.L'ABBÉ.– Ah de grâce. songez à votre âme!MACAIRE.- J'y ai quelque peu travaillé pour mapart. et j'emporte cette satisfaction morale d'avoir

enrayé, autant qu'il était en moi, la dépopulation dela France. J'ai supprimé un de mes semblables, medirez vous! Pardon!Soyezjuste! M. Germeuilétait un homme sensible, mais épuisé. il n'était pluschacune utilité à la grande genèse sociale.

L'ABBÉ, ~~e~MM~eM~~e. Je vous en conjure.que de semblables pensées soient écartées. en cemoment suprême.

MACAIRE. Il est vrai que, pour ma part, elles res-teront à l'état de théorie. mais vous n'êtes pas sivénérable que vous le paraissez. Quel âge avez-vous ?.

L'ABBÉ.– Cinquante-quatre ans. mais.MACAiRE.–Cinquante-quatreans. mais c'est la

belle âge 1 Mon cher ami, raisonnons. Jusqu'ici,j'ai le regret de vous le dire, vous avez fait fausseroute. ouvrez-moivotre cœur. confessez-vous!Vous n'avez jamais aimé ?.

L'ABBÉ.– Oh pouvez vous m'adresser semblablequestion.

MACAiRE. Au moment de paraître devant le jugeéternel, je suis revêtu d'ult sacerdoce.Qu'est-ce.que

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vous êtes, vous ? Un vivant qui, sur le coup de midi,déjeunera tranquillement et sirotera un moki' brû-lant Moi, à la même heure, je circulerai à traversles sphères célestes. donc j'ai une autorité moralequi vous manque. Voyons. oui ou non, avez-vou.coopéré à la conservation de la race?.

L'ABBÉ, avec /6rrgu?'. – Jamais jamaisMACAIRE. Je ne vous en fais pas mon compli-

ment. Heureusement l'avenir vous appartient. Ahmon cher enfant, combien il est heureux pour vousque j'aie eu l'occasion de vous donner quelques con-seils Vous pataugez dans le bourbier de l'erreur,dans le marécage de l'egoïsme. sans compter quevous vous privez bêtement – je dis bêtement et jemaintiens le mot de mille petits agréments trèsappréciables.

L'ABBÉ. –Assez assezMACAIRE.- Non, jamais assez Je suis le prêtre de

l'humanité et tu m'entendras. oui. tu m'enten-dras jusqu'au bout Ah tu crois qu'il est toutsimple de venir dire à un citoyen français « Vousallez être guillotiné dans un quart d'heure. pensezà l'éternité et d'attendre que justice soit faite pourprendre une prise et s'en retourner chez soi. Pas deça, Lisette Prêtre, je veux que ma voix résonneéternellement à ton oreille. Donc je te dis «Il n'ya sur terre qu'une seule chose digne de l'estime d'ungalant homme, c'est une petite femme. ou unegrosse femme, au choix. Aimer aimer sentir contreson sein un sein palpitant, entendre glisser dans satrompe d'Eustache des mots doux comme le gazouil-lement du rossignol. Et tu m'appelles criminel-ôpetit impertinent parce que j'ai rayé de la liste

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des vivantsunvieillard qui avait les genoux ankyloséset le crâne dépeuplé. Mais toi toi car, envérité, je ne sais pas pourquoi je me contiendraisplus longtemps. mais tu es un assassin

L'ABBÉ epoMM~e. – Moi moiMACAiRE. – Combien d'êtres as-tu supprimés par

ta funeste, par ta crimineUe abstention ? Ah 1 il s'agitbien de M. Germeuil qui aujourd'hui ~ans ran-cune contre moi pince de la harpe au pied destrônes sublimes. Il s'agit, homme, de la cohorted'enfants roses et blonds auxquels, par une impéritiequejetereproche sars ambages, tu as négligé fraudu-leusement de donner la vie. où sont les têtes dechérubins qui devraient t'entourer?.Où sont les sol-dats que tu as donnés à la patrie, où sont les magis-trats, les banquiers, les gendarmes–oui, les gen-darmes, dont tu as doté la société ?.

« Car si tout le monde l'imitait, ô paresseux '1 n'yaurait pas eu de gendarmes pour m'arrêter, pas dejuges pour me condamner. tu ne serais pas là, toi,pour courber devant moi ton front pâte et repentant.

« Ah 1 on me traite d'assassin c'est bientôt dit J'aicréé plus de vies que je n'en supprimai. Donc, enbonne comptabilité, on me doit du retour?. tandisque toi oh tu frémis, tu tressailles, tu pleuresA genoux,prêtre, à genoux et frappe de ton front cetteterre que tu n'a pas fécondée.

L'ABBË.–Ah 1

MAC UNE Tiens!,avec toi point ne veux être cruelIl est par le monde une inhumaine qui m'honoraitdequelques menues faveurs. Soudain elle apprit quej'avais quelques péeadilles à me reprocheret, obéis-sant à d'anciennes routines, elle me repoussa. Une

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de ces nuits dernières – je dirais suprêmes si je neredoutais de réveiller de pénible souvenirs le som-meil fuyant mes paupières, je rimai les quelquesstrophes que voici. Ecoute

A celle ~tt: )!'e~t y~MS ELLE

Je t'aime tant ma mignonne, aime-moi 1

N'est battement en mon cœur que pour toi.Tu t'es donnée et tu te veux reprendre?Pourrais-tu donc, dis-moi, mon cœur me rendre?Non! la douleur que laissa ton baiser,Seul, ton baiser la saurait apaiser.

· Point ne m'abandonneEt si j'ai mal fait, me pardonne.

Rappelle-toi tu ne peux oublier.Ta main savait à ma main se lier.Ma lèvre, étant toute chaude de fièvre,Douf ettement s'unissait à ta lèvre,Et point n'était en ton corps doux secretQui librement à moi ne se livrait

Point ne m'abandonneFt si j'ai mal ait, me pardonne

Tu consentais tu dis non aujourd'huiN'était-il pas plus doux murmurer ouiL'amour donné ne se peut pas reprendreEteint, le feu ne laisse que la cendre,Eteint, l'amour ne laisse que la mortAimons-nous donc, mignonne, aimons encor

Point ne m'abandonneEt si j'ai mal fait, me pardonne.

(Entraîné par son délire,Macaire saisit l'abbé dansses bras et lui fait exécuter quelques tours de valse).

L'ABBÉ. Grâce i grâce

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MACAi):E. Et je ne sais en vérité ce qui retient surmes tèvrcs la malédiction prête à s'en échapper.

L'AsuE. Non nonLa porte s'ouvre.Le ûirecteur de la prison reparaît,– Macaire, l'heure a sonné.L'ABBE, prosterné, tendant ses mains vers Macaire

Bénissez-moi, mon pèreMacaire étend les mains sur sa têtu,puis it le saisit

par les épaules, le redresse, passe son bras sous tusien, et l'entraîne en lui disant bas à l'oreille

Allons du courage! le repentir efface bien desfautes Tiens-toi convenablement. en route, jete donnerai des adresses.

SUR L.'HCMA.FAtJD

Comment mon brave Bertrand, c'est toi qui esbourreaumaintenant?

BERTRAND. – Que veux-tu? il faut vivre.MACAiRE.–Vitpréjugé! dont je me suis débar-

rassé à temps. Ah ç~, pas de bêtises. tu vas tra-vailler convenablement. ces messieurs et ces da-mes qui se sont dérangés ont droit à de l'ouvragebien fait.

BERTRAND. –Sois tranquille. j'ai pris des leçons.MACAIRE. Et chez toi. ça va bien ?BERTRAND. Ça boulotte.MACAIRE. Prête-moi cent sous.BERTRAND. En ce moment. pourquoi faire ?MACAiRE. Que t'importe ? t'ai-je habitué à te ren-

dre des comptes.BERTRAND. Non, non Voilà.

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MACAIRE..yf?MM~M!)MU<& et lui ff~~Mf ?pièce de cinq /y<j;Mcs. REMEMBER

BERTRAND.–Es-tu prêtMACAiRE, M~e~s?~ tête ~~s ~<~e~. Cordon,

s'il vousplaît.Un bruit sourd. Une clumeur. Puis rien rienrien!La justice des hommes est satisfaite. il n'y a

qu'elle

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LE BOULEVARD SAINT-MARTIN

HT

L'AUBERGE DES ADRETS

Le coin du boulevard Saint-Martin appuyé à la rue deBondy, est depuis plus de cent ans une des intéressan-tes curiosités de Paris. Origine modeste, cela s'appelaitau milieu du dix-huitième siècle le chemin de la Voirie, puisrue des Fossés-Saint-Martin, et onSn, vers 1760, rue deBondy. Cette rue se composaitde quatre maisons et étaitéclairée par un réverbère. Pourquoi ce nom qui rappelle laîprêt oùfut assassinél'iniortuné Childéric II (pleurons sur cemonarque un peu oublié) ? C'est ce que toutes nos recher-

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cnes n'ont pu nous laire découvrir. Le monument ae laPorte-Saint-Martin, élevé en 167~, par Pierre Bullet, surl'emplacement de l'ancienne Porte de Philippe-Auguste,pa-taugeait alors au milieu d'un véritable cloaque.

Mais soudain le décor change. En 1781, après l'incendiedu 8 juin qui détruisit l'Opéra, au Palais-Royal, et laissas es divinités presque nues, au dire de Sophie Arnould, la.reine Marie-Antoinette ordonna à l'architecte Lenoir debâtir uns nouvelle salle, boulevard Saint-Martin, livrable le30 octobre suivant. Elle lui promettait, s'il accomplissait cetour de force architectural, le cordon de Saint-Michel etune pension de 6.000 livres. On travailla à la lueur des tor-ches. L'Opéra fut bâti en trois mois. Et pour s'assurer dela solidité de la salle on y donna, le 27 octobre 1781, unereprésentation gratuite On jouait un opéra de Picomi.Adèle de Ponthieu. Si le théâtre s'écroulait, tout au moins iln'y eût eu d'écrasée que la canaille. Ce trait est charmant etpeint bien l'ancien régime. Et la salle faillit s'écrouler, ellefléchit de deux pouces à droite et de quinze lignes à gauche.Il fallut travailler encore. L'Opéra resta dans cette sallejusqu'au 5 avril 1794. Parmi les étoiles de cette époque,rappelons la belle Mlle Maillard,qui personnifia la Libertédisons aussi que c'est dans cette salle de la Porte-Saint-Martin que, pour la première fois, fut chantée la Marseillaise,dans l'Offrande à la Liberté, de Gossec.

Le théâtre de la Porte-Saint-Martinfut alors mis en ventecomme bien national et fut adjugé pour S77,(00 francs. Ilresta fermé de 1794 à 1802 mais quelle décadence, hélas 1

L'Opéra était remplacépar l'acrobatie, et le théâtre portaitle nom de Jeux Gymniques, que l'on baptisaitpar antiphrase,sur le boulevard, l'Opéra du Peuple. Il arriva cependant quel'autorité prit ombrage de cette scène où, au lieu de jeuxacrobatiques.on s'efforçaitde glisser de temps a autre qùol-

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Un ga.Mon, à l'Auberge des Adrets.

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que œuvre dramatique. Guilbert de Pixérécourt y avaitdonné, en 1805, son Robinson (7}'tMoe, mélodrame en troisactes, à grand spectacle. Ce fut un scandale, en ces tempsde despotismematériel et moral où les théâtres étaient sou-mis a une régIementatioE absurde, fixant Id nombre despersonnages, la forme du dialogue, le geare des piècesjouées. Le théâtre déjà révolutionnaire de l'art futfermé par ordre supérieur en 1807, et ne put rouvrir qu'en1810, à la condition qu'il n'y aurait jamais, dans une pièce,que deux acteurs ~M:WaM<.s'. les autres devant seulements'exprimer par gestes On croit rêver, et cependant rienn'est plus réel.

Ecrasé sous ces restrictions, le théâtre ferma de nouveauet ne rouvrit plus qu'en 1814, mais cette fois avec le droit dejouer le mélodrameet la féerie. Les Petites Danaïdes ou 99victimes, imitation burlesque de l'opéra de Saliéri, et repré-sentées le 14 décembre 1819, sont en réalité le prototype desopérettes telles qu'Orphéeaux En fers ou la Belte Hélène. Cefut, dans le rôle du père Sournois. le triomphe de Potierqui avait débuté on 1818, à la Porte-Saint-Martin,dans lesOriginauxau café, et devait bientôt quitter ce théâtre pourles Variétés.

Le VatKptre, drame anonyme, mais auquel avait colla-,bore Nodier (qui, dit-on, vint siffler dans une baignoire, ausoir de la première), commença une série de succès qui nedevait plus s'interrompre. C'était en juin 1820, et cette dateest intéressante,quand on trouve déjà la phraséologie ro-mantique. Ecoutez ce fragment de dialogue

ITURIEL. Serait-il vrai que d'horribles fantômes vien-nent quelquefois,sous l'apparence i~as droits de l'hymen,égorger une vierge timide et s'abreuver de son sang ?Osc&R. – 'Ces monstres s'appellent les Vampires. Une

puissance, dont il ne nous est pas permis de scruter les

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arrêts irrévocables, a permis que certaines âmes funestes,dévouées à des tourments flue leurs crimes se sont attiréssur la terre, jouissent de c~ droit épouvantable qu'ellesexercent de préférence sur la couche virginale et sur le ber-ceau.

Le Vampire, c'était Philippe, sa victime, Mme Dorval.En 1822, le Solitaire, -inspiré du très étonnant roman du

vicomte d'Arlincourt (et pas si mauvais q!i'on le croit sansl'avoir lu) attira la foule.

En 1825, Jocko ou le <y~e du Brésil, joué par le célèbreMazurier qui sous la peau du quadrumane fit verser tant delarmes à nos mères, obtint 200 représentations et réalisa unmillion de recettes La duchesse de Berry honora la Porte-Saint-Martin de sa présence

En 1827, nous inscrivons le nom d'un des plus grandssuccès du drame moderne, succès mérité T/~t<f ans ou ~tVie d'un joueur fut représenté le 19 juin 1827. Grande date,car Frédérick Lemaître, en cette création de Georges deGermany, incarna le drame poignant, humain, véritable-ment réaliste.

Et puisque ce nom est enfin venu sous notre piume, arrê-tons-nousà cette figure typique de l'art dramatique.

Et ici, une parenthèse A cette histoire dd la Porte-Saint-Martin est liée celle du café de la Porte-Saint-Martin quipendant cinquante ans, de 1820 à 1871 époque où lethéâtre fut détruit par un incendie. politique vit dénierdevant ses tables tout ce que l'art de la scène compte degrands noms. Cette Aubergedes ~a!reM, si ingénieusement,si artistiquement créée par Mousseau, dont nous parleronsplus lofh s'est élevée sur l'emplacement même où jadissont passés Frédérick Lema.ître et tant d'autres que nousnommerons. Dans la salle de gauche qui naguère commu-mquait avec le théâtre,bien souvent, pendant les entr'actes

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les artistes de la Porte-Saint-Martin sont venus à la hâteprendre quelque consommation,pour se rafraîchir ou seréconforter.Le souvenir de Frédérick enveloppe l'Aubergedes Adrets

C'est que le Frédérick qui venait en 1827 créer Trente ansétait déjà l'acteur célèbre dont la renommée ne faisait quegrandir. Né en 1800, il avait débuté aux VaWe'tM amusantesdans une comédie-vaudevitia à trois personnages, Pyrameet Thisbé. it faisait. le lion De là il était passé au CirqueOlympique, où se trouvait alors Bouffé, puis aux Funambu-les, en 1821 à l'Odéon et enfin en 1823 à l'Ambigu où on luiconfia le rôle de Robert Macairedans t'J.M6~e des Adrets.

Frédérick raconte lui-même l'histoire de l'Auberge des~Id'f~:

« C'était en 1823. Lorsque la lecture, qui eut lieu au théâ-tre, fut terminée, je partis découragé en songeant que cerôle de Macaire devait être ma première création. Com-ment faire accepter au public cette intrigue sombreet téné-breuse développée dans un style rien moins qu'académi-que ?. J'en étais arrivé à ne plus savoir vraiment & queparti m'arrêter, lorsqu'un soir, en tuurnant et retournantles,pages de mon manuscrit, je me mis à trouver excessive-ment bouffonnes toutes les situations et toates les phases

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des rôles de Robert Macaire et de Bertrand, si elles étaientprises au comique.

« Je fis part à Firmin, garçon d'esprit et qui, comme moi,se trouvait mal à son aise dans un Bertrand sérieux, del'idée bizarre, folle qui avait traversé mon imagination. Il latrouva sublime Mais il fallait bien se garder de songerà proroser cette transformation aux auteurs, convaincusd'avoir fait un nouveau Cid.

<f Bien résolus cependant à mettre, coûte que coûte, notreplan à exécution, nous arrêtâmes, Firmin et moi, tous noseffets fntre nous, sans en, souffler un mot à. personne, et lesoir de la première représentation venu, nous fimes notreentrée que nous n'avions même pas simulée aux répétitions.

« Quand on vit ces deux bandits venir se camper sur l'a-vant-scène dans cette position tant de fois reprc;it",affublés de leurs costumes devenus légendaires Bertrand,avec sa houppelande grise, aux poches démesurément lon-gues, les deux mains croisées sur le manche de son para-pluie, debout, immobile, en face de Macaire qui le toisaitcrânement, son chapeau sans fond sur le côté, son pantalonrouge rout rapiécé, son bandeau noir sur l'œi!, son jabot dedentelleet ses souliersde bal, l'effet fut écrasant.

« Les auteurs, BenjaminAntier et Saint-Amand,qui de-vaient plus tard devenir mes collaborateurs dans Robertj~cotfe, prirent leur parti en hommes d'esprit. Seul, leurtroisième complice, un certain docteur Polyanthe, auteurdramatique par circonstance,qui, s'il ne s'était fort heureu-

sement arrêté, fut arrivé à tuer autant de mélodrames quede malades, me voua une haine implacable. »

Enl83~,Mourier, directeur des Folies-Dramatiques, vintdâmander a Frédérick la suite de l'Auberge des Adrets. Lapremière représentationeut lieu le 26 juin, et le succès fut

;<:o!ossat. Les types du baron de Wormspireet d'Eloa de-

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vinrent promptement aussi cé)cbres que ceux de RobertMacaire et Bei'Ltand.

C'était précédé de cette réputation originale, de cessouvenirs déjà légendaires que Frédérick-Lemaitrearrivait& la Porte-Saint-Martin.Après Trente ans, dont le succèsfut colossal et dans lequel Ménier, père de Paulin Ménier,créa le rôle de Warner, tandis que Marie Dorval électrisaitle puNic sous les traits d'Amétip, il créa Ravenswood, dela Fiancée de Lamermoor, Méphistophélès de Faust où ildàusa certaine valse qui a ravi nos mères. Après une courteexcursion à l'Ambigu et à l'Odéon, il revint en 1831 à laPorte-Saint-Martinoù il créa JV~o~oK et le Moine.

En même temps, la troupe de la Porte-Samt-Martinavai!.recruté tout ce qu'il y avait à Paris de talents de premierrordre, Déjazet (dans le Fils de ~oMtme) Mlles Georges, Bo-cage, Ligier, Marie Dorval!

Crosnier, puis Harel avaient pris la directionet alors, surl'aîache de la Porte-Sain'Martin,on vit dénier ~MtoMy, la

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Tour de ~VM~e, Lucrèce ~o;a;, Jfe~e ?'!f<~0)', Angèle, tous leschefs-d'œuvre du romantisme.

Antony, c'était Bocage, que Dumas caractérisait par cesmots intelligenced'esprit, noblesse da cœur, expressionde visage. Quant à Mme Dorval, elle n'était pas belle, a ditencore Dumas, elle. était pire. Le nom du régisseur lui-même n'est pas oublié, c'était Moëssard, le vertueux Moës-sard. Après la représentation, c'étaient au café de la Porte-Saint-Martin des cris d'effroi, de douleur. Le public empoi-~te s'élançait sur le trottoirpour faire une ovation à Dumas.

Et la Tour de ~s~e/c'étaientBocage,Lockroy, Delafosse,Mlle Georges, l'admirable femme qui avait connu d'impé-iiales amours.

Dans Lucrèce Borgia, Frédérick jouait Gennaro, si beau,si.entraînant que jamais depuis lors le rôle n'a été tenu avec

-cotte ampleur. Et je n'ai point parla de Richard d'Arlington,cette maîtresse création de Frédérick qui, à ce même café,véritable succursale des coulisses, trouva le mouvementsuperbe par lequel il jetait sa femme par la fenêtre.

Faire l'histoire de la Porte-Saint-Martin,de 1830 à 1850,c'est écrire le livre d'or du théâtre romantique. Force nous~st de. nous borner. Comment, cependant, ne pas nommer

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tout au moins Don C<M<u' de Bazan, Ms~e-JeaMMe, un desderniers triomphes de Marie Dorval, rrs~aMa&a~qui attendencore sa revanche et qui n'aura plus Frederick.ni Coquelin ? La directionHarel finit avec Vautrin, le drame de Balzac,dans lequel Frédérick s'était fait une tête rappelant le typainoubliable de Louis-Philippe.

Après lui, les frères Coigniard prirent la direction. Ici, iln'est plus question d'art. à proprement parler la Biche au~oM s'empare de l'affiche et la tient jusqu'au jour où MarcFournier obtient le privilège du théâtre. Personnalité bienremarquable, fine, élégante, autoritaire. On aurait pu l'ap-peler le dernier gentilhomme. Il avait l'imagination vive,parfois même exubérante il rêvait des mises en scènemerveilleuses.Pas un trait dramatique ne se présentait àson esprit, sans son cortège de décors et de figuration.Dans les coulisses,it semblait un capitaine de navire, maîtreà son bord après Dieu. On lui a souvent reproché d'avoirabaissé le niveau de l'art dramatique, parce qu'à la fin desa direction, aux prises avec une désastreuse situationfinancière, il sacrifia à la féerie mais que d'efforts il avaittentés avant de descendre à ce genre secondaire En 1852,il donnait Be~cenM~ Cellini, de Paul Meurioe,superbe résur-rection de la Renaissanceitalienne et dans laquelle Mélingue

encore un grand nom disparu fut merveilleux d'élan,d'émotion et de gaîté vibrante. Tous les titis du boulevardont encore dans l'oreille cette apostrophe « As-tu jamaisentendu rugir le lion, ma bonne petite ? » Puis c'étaitRichard /77, de Victor Séjour, qui fut un triomphe pourLigier; c'était cette audacieuse tentative de l'Orestie, tra-gédie antique d'Alexandre Dumas, dans laquelle MarieLaurent avait rendu d'une façon magistrale le sinistre rôlede Cassandre c'était l'épopée de Paris, par Paul Maurice.En oette oeuvre magistrale apparaissaient tous les épisodes

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de l'histoire parisienne. Un des effets les plus grands étaitdû à la censure impériale. Un des tableaux montrait laSaint-Barthélémy. La scène représentait la fenêtre duLouvre donnantsurloueuse. Cbaries IX ctajtlà, et derrièrelui sa mère, Catherine de Medicis, lui mettant aux mainsl'arquebuse qu'il devait décharger sur les protestants.Lacensure coupa impitoyablementcette scène. Fournier, ron-geant ses moustaches, était descendu au café de la Porte-Saint-Martin. Supprimer ce tabteau, c'était perdre un décorsuperbe, un des é)éments de succès. Cette Seine vue lanuit, charriant des cadavres, était formidable. Fournier nebuvait pas. Il regardaitle verre qu'il s'était fait servir parcontenance. Tout à coup il se frappa le front « Ils ne vou-lent pas de dialogue,cria-t-il,eh bien il n'y en aura pas! »II remonta sur le théâtre et voici ce qu'il inventa. C'était lanuit de la Saint-Barthélémy. Le fleuve glauque coulait sousune lueur étrange, presque fantastique. Catherine seules'avançait sur le balcon. Alors des profondeurs de la Seine,lentement s'élevaient des cadavres, verdâtres. spectraux,livides. et la reine-mère, épouvantée, affolée, se rejetait enarrière en poussantun cri horrible. Catherine, c'était MarieLaurent. L'effet fut prodigieux.

Rappelons encore,sous la direction de Marc Fournier,lesChevaliers du .BroM:M<:fd, où Marie Laurent créa avec tantd'originalité et d'énergie le rôle de Jack Sheppard; la ReineCotillon, avec Laforrièro le Fils de la Nuit, avec Fochterles Mères, repenties, de Mallefille; Faustine, de Bouilhet; lesFunéraillesde l'honneur, de Vacquerie, ce drame splendideque ne comprirent point les habitués d'opérettes.

Et quelle troupe avec Marie Laurent, Lucie Mabire,Mme Guyon, Mlle Rousseil, Mélingue, Bignon, Laurent,Rouvière, Vannoy, Cnarly, Clarence, Werner, Boutin et,comme danseuse, Mariquita 1

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Le drame de cape et d'épée s'était relevé avec le Bossu etl'inimitable Lagardère-Mélingue. CoiCaMasso-Vannoy etPassepoil-Lauront. Etait-ce là une direction qui n'eût pointde préoccupations artistiques? Mais les dépenses de miseen scène, mais des prodigalités peut-être excessives, ren-daient l'exploitationde plus en plus difficile. Marc Fournierchercha le succès d'argent dans !? résurrection des féeries;Io'PM~de ~tfoM~oM, la Biche au Bois avec ses lions et la belleAïka-Delval, puis une grande revue 1867, qui fut un in-succès complet. Ce fut la faillite.

La Porte-Saint-Martin devait encore enregistrerun grandsuccès, Patrie, de Victorien Sardou, avec Dumaine, Berton,Charly, Paul Clèvos, Mmes Fargueil et Léonide Leblanc.

Pui~ VtM la guerre, et sur la scène de la Porte-Saint-Martin retentirentles strophes enflammées des Châtimentsqui, héta.s ne sauvèrent pas le théâtre, incendié en mai1871.

Adieu les souvenirs du passé, adieu le vieux café de laPorte-Saint-Martin,adieu le Deffieux, restaurateur légen-daire, tout est détruit, rasé, anéanti.

Non. Le terrain de Paris est de ceux où toute antiouosemence repoiïsso. Au lieu d'un théâtra, il y en aura deux.Au lieu du esté noir et étroit, il y aura ta superbe Aubergedes Adrets.

Le théâtre <~e la Porte-Saint-Martin,réédiué, rouvrit sesportes le 27 septembre 1873 par la reprise de Marie Tudor.La troupe s'est reconstituée avec Taillade, Laray, MmesLa-cressonnièr~ Doche, Dica-Petit, et, en janvier 18~4, lesDe«.c Orphelines, de MM. Dennery et Cormon, relèvent lafortune du théâtre, qu'augmente encore le Tour du mondeenSO jours (7 novembre 1874).

Voici la liste des œuvres représentées depuis cetteépoque

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1876

Le succès du Tour du monde sa prolonge jusqu'à la fin del'année. La ~15~ représentation est donnée ~e 20 décembre.

23 décembre. Reprise de la Jeunesse des mousquetaires.Pendant cette même année, M. Ballande donna, le di-

manche, des matinées littéraires qui obtinrent un grandsuccès. Il y fut représenté deux pièces nouvelles.

24 octobre. La A~rs de Rubens, drame en 4 actes, en vers,de M. Potvin.

25 décembre. J~m Sobieski, (tiame en 5 actes, en vers, deM. Christian Ostrowski.

1876

25 février. Reprise de Vingt ans après.12 avril. Reprise de Jean la Poste.22 mai. L')to)t du roi, drame en.5 actes de M. E. Blum.28 mai. Le Médecin de son honneur, drame en 5 actes, de

M. J.-N. Coufnier.28 juin. Reprise de ~oMM XI, de Casimir Delavigne.2t juillet. Reprise du jMh:t-d!, de Touroude.17 août. Le Miroir magique, féerie, de M. C. Dreyfus.5 octobre, Coq-Hardy, drame en 7 actes, de M. Louis

Davyl.4 novembre. Reprise des Bohèmiens de Paris.23 décembre. Reprise de la Reine Margot.Aux matinées de M. Ballande, nous signalerons23 janvier. -Ht~MM Capet, drame, de M. Crémieux.17 mars. Lo~ G~aM~s devoirs, drame, de M. Ballande.

1877

31 mars. Les Exilés, drame en 5 actes, de MM. E. Nus etprince Lilbomirski.

11 août. Reprise du Juif-Errant.

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10 novembre. Reprise du Bossu.27 décambre.Reprise d'Une cause célèbre.

1878

22 mars. Les Misérables, drame, de Charles-Victor Hugo.~l"'juin. Reprise du Tour du monde en quatre-vingts jours.27 décembre. Les Enfants du capitaine Grant, pièce en 15

tableaux, de MM. d'Ennpry et Verne.

1879

DIRECTION DE M. PAUL CLÊVES

3 avril. Reprise dé la Dame de Monsoreau.14 juin. Reprise des Mystères de Paris.20 septembre. Cendrillon, féerie en 30 tableaux, de MM.

Clairville, Monnier et Blum.

1880

17 mars. Les Étrangleurs ~g\P<:t* dramô en 5 actes oi3 tableaux, de M. Ad. Belot.

1" juin. Reprise de la Mendiante, drame en 5 actes, deMM. A. Bourgeois et Michel Masson.

9 juillet. Reprise de la Bouquetièredes Innocents.6 octobre. L'Af&)'e~eJVb~, féerie en 3 actes et 30 tableaux,

de MM. A. Mortier, Leterrier et Vanloo.

1881

11 février. Reprise des Chevaliersdu brouillard.6 avril. Reprise de 7*t'eM<e <tK.! CM Me <MM~ot<eMr.1er mai. Reprise des Mystères de fŒ/M.2imai.LoPf~<re,drameen 5 actes et 8 tableaux, de

M. Ch. Buet.10 septembre. Reprise de la Biche au bois.

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1882

11 février. Reprise du Petit F~Mst. fpara-boufïe fantasti-que, musique de M. Hervé.

22 avril. Reprise du Donjon des étangs, f!e M. F. Dugué.23 avril. Davenant, comédie en 1 acte, en vers, de M. Jean

Aicard.13 mai. Reprise du ~oMM..26 août. Reprise de Michel S<ro~o~25 novembre. Voyage à travers l'impossible, pièce fantasti-

que en 3 actes et 22 tableaux, de MM. A. d'Ennery et JulesVerne.

1883

16 février. Reprise du jM~B'aMt.14 avril. Le J°aM de Paris, pièce en 12 tableaux, de

M. Ad. Belot.2 juin. Reprise de la FaW~oM~tme.4 août. Reprise du Crime de Faverne.17 septembre. Reprise de ~oM/oM.20 décembre. Nana Sahib, drame en 7 tableaux, en vers,

de M. Jean Richepin.

1884

26 janvier. Reprise de la Dame <tM.N Camélias, avec SarahBernhardt.

21 mai. Macbeth, traduit en prose, par M. Jean Richepin.

DIRECTION DE M. DUQUESNEL

2 octobre. Reprise des D<MM~26 décembre, Théodora, drame en 5 actes et 8 tableaux,

de M. V. Sardou, qui a tenu t'af5ohe pendant les six pre-miers mois de 1885.

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En 1885, 7'Mo~a~, 'nMo~oro, yMo~ofa, puis quelques re-prises, et fin 1886 le Crocodile, de M. Sardou.

N'avions-nous pas raison de dire que l'histoire de cecoin de Paris est l'histoire de l'art dramatique français.

Maintenant un dernier mot sur l'Auberge des Adrets.C'est une idée bien parisienne empreinte decatart

primesautiér et vivace qui jaillit de notre macadam. ou denotre pavé en bois que cette reconstitution d'une vieilleauberge de campagne non point le débit sombre, étroit,fumeux des coins de province -mais l'auberge large, spa- °

cieuse,cossue des gros villages,l'aubergeà l'escalier solidequi ne plie pas sous le poids des plus robustes buveurs: elleest bien française, cette auberge, et nous l'avons connue autemps des dernières diligences.ce qui ne nous rajeunit pas,par parenthèse. Mousseau, son fondateur, est un artistedramatique que tout Paris connaît j jadis, il a fait courir lafoule avec sa chanson des Gestes, où sa volubilité de gaminde Paris mettait un entrain endiablé. On l'a vu et applaudidansB:'&Cf:7Me,deT~Mo~tMo~et Pomponnet, de laMère AK~o<, et je me souviens de certain rôle, la sergentRosamel de Turenne, où il enlevait,la salle en criant audrapeau.

Chez Mousseau, renonçant au théâtre, il y a à ht fois lanostalgie du décor et cet amour que tout Parisien portede loin à la campagne. Il s'est créé cette illusionde l'Au-berge il semble qu'à travers les vitrauxon entende claquerle fouet des rouliers et on attend la trompette du conduc-teur de la patache et pour que l'illusion soit réelle, il aréuni, avec une habileté de collectionneur,nombre de bibe-lots dont la plus-grande valeur est de n'en avoir point, ensoi, et cependant de composer un ensemble parfait, platsenluminés,brocs d'étain, armoires de chêne sculpté, che-

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mijnée de haulto graisse, tables, chaises, rampes de chêne,solives plafonnantes.

Au sous-sol, l'Auberge confine au vieux château. Ici cesont des vastes salles où pourraient circuler des hommesd'armes et des chevaliers d'un autre âge. Tout cela d'ungoût sûr, rien de criard, rien de faux.

Et les déjeuneurs, les dîneurs, les buveurs s'attablent,sous l'oeil paternel et unique de Robert Macaire,campé au fond, sa trique à la maia, ûanqué'de son fidèle etmaigre Bertrand.

L'Auberge d~ Adrets a pris place parmi les curiosités deParis et ajoute une note fantaisiste à cet angle, de la grand'-ville, devant lequel viennent errer la nuit les revenants duromantisme français,depuis le grand Dumas jusqu'au grandFrédérick.

Qu'on ne l'oublie pas, l'Aubergedes Adrets occupe exacte-nient l'emplacementde l'anciencafé de la Porte-Saint-Mar-tin. A des tables occupant la place même où sont les tablesd'aujourd'hui se sont assis tous les hommes, auteurs ouartistes,qui, depuis cinquante ans; se sont fait un nom dansl'art dramatique, Dennery, le maître incontesté du théâtredu boulevard, Victor Séjour, Ferdinand Dugué, AlexandreDumas Musset, Gérard de Nerval, qui y parut laveillemême de son suicide – (était-ce bien un suicide ?) et

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Murger, et Privat d'AngIemont,'et Méry, et Lambert Thi-boust. C'est un défilé de toutes les renommées voici Jean-Baptiste Deshayes, le créateur de la B~e du Bon Dieu,Gemma, Clarence, Grailly, Fechter, Schey, Brésil, Boutin,le Bluskine des CAecaMe~ du BrouilLard, Colbrun, le petitColbrun, et aussi le gros Laurent l'inoubliable Jonas dePa'fi'e! Bignon, Courtes voici encore Dumaine, le beau Du-maine, et le gai Durandeau, caricaturiste et humoristeCarjat, artiste et citoyen, comme il a fièrement intitulé sonlivre le commandantRoland, dont le nom a retenti dansParis à l'heure du triste siège, et Emile Blavet, et LouisDavyl, et Emile Coh!, et Jules Lermina. qu~ sais-je encore?Et .qui donc oublions-nous ? Clément Just, Cbilly, PaulinMénier. et Lassagne, dont la triste légende a attristé cesmurailles. et enfin. Rigolbochequi fut une des habituéesdu café I

Et aujourd'hui l'Auberge des Adrets est devenue lerendez-vous des écrivains et des artistes.Regardez autourde vous et vous reconnaîtrezle Tout-Paris qui pense et quitravaille.

Excusez du peu!1