L'assurance-maladie au Canada: les raisons de l'implication de l‘État

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L‘assurance-maladie au Canada: les raisons de l’implication de [‘itat

Sornmaire: Cet article souligne d’abord brikvenient l’importance politique de I’assurance-maladie a11 Canada, de mGme que son importance en tant qu’objet de recherche. .4 la suite d’un tour d’horizon des principaux champs d’intkrgt de la recherche sur les politiques, l’auteur propose de s’attarder plus longriement it la question de savoir poiirquoi le Canada s’est dote de programmes d’assurance- maladie. Cette question est abordee par le biais d’nne etude comparative d’hthony King, publiee en 1973, qui attribuait l’absence de programmes universels d’assurance- maladie aux Etats-Unis h l’influence prepondermte des Idees, c’est-h-dire des valeurs collectives de la nation ainericaine. Pouvons-nous egalement expliquer la presence de tels programmes au Canada par cette variable? L’examen du contexte dans lequel chacun des onze gouverneinents impliques a pris la decision d’implanter un programme d’assurance-maladie perinet d’affirmer que le r6le des Idees a ete determinant pour seulement trois de ceux-ci: le gouvernement federal, celui de la Saskatchewan et celui du Quebec. La decision du gouvernement federal a etd fortement influencee par les initiatives britanniques en la niatiere; la Saskatchewan est intervenue en mison de I’ideologie socialiste de son gouvernement; quant itii

Quebec, il a agi sous I’impulsion d u n inter\~entionnisme en rupture avec le passe. Cependant, puisque les huit autres gouvernements en sont venus h croire iikcessaire d’otfrir de tels programmes i came des initiatives du gouvernement federal e t de celrii de la Saskatchewan, on peut neanmoins considirer p e la variable des Idees consti tue fondanientalement la variable cle qui explique la creation de programmes dassurance-maladie au Canada. Parini les trois phenomenes d’Idees distingues, c’est l’influence de la Crande-Bretagne qui s’est probahlement av6rde la plus importante.

Abstract: First of all, this article underlines briefly the political significance of health insurance in Canada. After reviewing the main areas of interest for policy research, the author considers at greater length the reasons why Canada opted in favour of a health insurance plan. This question is introduced through a comparative study by Anthony King, published in 1973. which attributes the absence of a universal health insurance plan in the United States to the preponderont influence of Ideas, which is

L’auteur est agent de recherche au ministere de la Shin-d’oeuvre rt de la Seciirite du revenu du Piebec. Trois personnes ont ete particulierement utiles a cette entreprise: Suzanne D’Annunzio, Emile Duhois et .4ndre Blais. L’auteur les reniercic sincerement. Llpport du corniti de lectrire doit egalement Ptre souligne, qui a sit tirer le meilleur parti de la version qui lui fnt present&. 11 va de soi cependant qire cet article n’engage que l’autenr.

C.4NADIAN PUBLIC AD~~lNISTRATION/ADMiINISTRATIO~ PUBLIQUE DU CANADA. VOLUME 27, NO. 1 (SPRING/PRIKTEMPS 19844), PP. 24-17.

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to say, the collective values of the American nation. Likewise, can we explain the existence of such programs in Canada on the basis of this variable? A study of the context in which each of the eleven governments involved made the decision to set up a health insurance plan shows that Ideas have played a decisive role for only three of them: the federal government, the government of Saskatchewan and the govern- ment of Quebec. The federal government's decision had been strongly influenced by the British example; Saskatchewan acted because of the socialist ideology of its government; as to Quebec, it moved under the impulse of an interventionist movement breaking with its tradition. However, since the eight other governments came to believe that they had to offer such programs because of the initiatives of both the federal government and the government of Saskatchewan, one can consider nevertheless that the ideas variable was basically the key to the creation of health insurance programs in Canada. A further examination of the three Ideas phenomena indicates that it is probably Great Britain's influence which has been most important.

S'il est un domaine OG l'identite canadienne ne semble pas faire problkme, c'est bien celui de la prise en charge par I'Etat des depenses des individus pour leur sante, ckst-i-dire tout le domaine de l'assurance-maladie. Avec ses deux programmes universels, l'assurance-hospitalisation et l'assurance-soins medicauxl, en vigueur depuis respectivement vingt-cinq et quinze ans, le Canada fait ni plus ni moins figure de leader. Desormais, peu detudes comparees sur les systkmes de soins ou sur l'assurance-maladie ne pourront se permettre de negliger l'exp&ience canadienne2. Cette reconnaissance est 6galement confirmee par l'inthrht qu'un certain nombre de gouvernements &rangers, notamment celui des Etats-Unis3, ont su porter aux politiques canadiennes en la matiere. Rares sont les autres champs de politique ou le Canada serve autant de point de reference a des Etats etrangers.

Mais l'experience canadienne n'a pas seulement suscith PinterBt des &rangers: les Canadiens eux-mGmes semblent se montrer fort satisfaits de leurs programmes d'assurance-maladie. Si bien que depuis leur implanta- tion, aucun parti politique Btabli n'a jamais os6 les remettre en question, malgre les montants enormes, et constamment i la hausse, qui doivent y 1 Dans ce texte, le terme "assurance-maladie" rev& son sens genkrique, ce qui lui permet denglober I'ensemble des programmes de services institutionnels ou professionnels de sante offerts aux particuliers. Parmi ceux-ci, il ne sera question que des deux programmes les plus importants, soit l'assurance-hospitalisation et l'assurance-soins medicaux. Au Canada, l'assurance-hospitalisation designe I'ensemble des frais de sejour en centre hospitalier, a Pexception des honoraires des medecins, qui eux sont assumes par l'assurance-soins medicaux. Ce second programme couvre egalement les actes medicam poses en bureau prive ou a domicile. 2 Voir, par exemple, l'btude de Milton I. Roemer, Health Care Systems in World Perspectiw, Ann Arbour, Health Administration Press, 1976. Le chapitre XI1 (pp. ll6-122) porte sur l'expkrience de la Saskatchewan. 3 Voir entre autres: Gordon H. Hatcher, Uniwrsal Free Health Care in Canado, 1947-1977, U.S. Department of Health and Human Services, 1981; - Spyros Andreopoulos, ed., National Health Insurance: Can we learn from Canada, New-York, John Wiley & Sons, 1975; - Charles Berry et al., A Study of the Responses of Canadian Physicians to the Introduction of Universal Medical Care Insurance: The First Fiw Years in Quebec, Report submitted to U.S. Depart- ment of Health, Education and Welfare, Hyattsville, Maryland, 1978.

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ktre consacres chaque annee. Face a la constance du soutien de la population, les divers gouvernements ont cherche a prevenir toute crise majeure dans le fonctionnement de ces programmes. C’est ainsi que quelques annees seulement apres leur mise en place, des commissions denqukte ou groupes d’ktude ont ete form& pour faire le point sur leur evolution et particulikreinent l’6volution des coGts, le souci majeur. Cet effort de prevention est assez exceptionnel si l’on considkre qu’en general les commissions d’enquiite chargees devaluer des politiques ne sont creees qu’apres la mise a jour de problkmes vraiment embarrassants.

Les mandats miimes qui ont ete donnes a ces commissions devaluation t6moignent eux aussi de la popularite des programmes. En effet, qu’il s’agisse par exemple du Comite d6tude sur le coGt des services sanitaires au Canada, Cree a la suite de la Conference des ministres canadiens de la Sante de 19684, ou qu’il s’agisse du Comite sur la remuneration des professionnels de la sante form6 par le gouvernement du Quebec en 197g5, on constate que les gouvernements ont evite de demander a ces commissions de s’interroger sur l’opportunite de maintenir les principaux acquis des citoyens: universa- lite de la couverture, libre choix du professionnel, absence de copaiement, etc. Les commissaires ont en gbneral ete respectueux du cadre ainsi trace et ont en consequence fait porter l’essentiel de leurs recommandations sur les dispensateurs de services (etablissements de santk et professionnels). Mkme les commissions dotees d u n inandat tres large s’en sont tenues ‘a cette orientation. Ainsi, le Livre Hlanc manitobain de 1972 misait sur une tneilletire integration tant des professionnels que des itablissements, et sur une plus grande interaction entre ceux-ci et la population, dans le but de corriger les deux problemes fondamentaux identifies par elle: le gaspillage et I’inegalite d’acces6. Quant au juge Hall, le bilan qu’il a depose en 1980 voyait dans les entorses tolerees par certaines provinces aux acquis des citoyens le principal problkme de l’assurance-maladie et proposait diverses mesures pour les suppriiner et consolider le systeme actuel’.

La popularite de l’assurance-maladie a initme gag& les chercheurs. De toutes les politiques gouvernenientales, l’assurance-maladie est probable- ment celle qui a ete la plus etudiee, notamment dans les disciplines des

1 Ottawa, ministere d e la Sante et du Bien-etre social, Rapport du Comite‘ d’dtude sur le cotit d e s sertiices sanitaires au Canada; president du comite: Joseph W. Willard, novembre 1969. Le mandat formel du coniite etait tout siinplement d”‘enquCter sur les moyens denrayer la hausse du coiit de ces services”, p. \’I1 du preambule du volume I . 5 Quebec, Comite sur la remuneration des professionnels; president: Fernarid J. Hould, Lc! s y s t h e d e s honoraires tnodulds, Rapport 1980. Le mandat, reprodtiit a la page VIII, ne parle en definitive que de “modes de remuneration”: etude de cenx qui ont cours an Quebec et proposition dalternatives. 6 Government of Manitoba, White Paper on Health Policy, Jnly 1972. 7 Emmett M. Hall, Le programme de santi natwnal et protiincia1 d u Cnnada pour les annees 1980, Ottawa, 1980. Ce rapport semble avoir inspire la “Loi sur la sante au Canada” presentee ‘a la Chambre des Communes en decernbre 19x3 par le ministre de la SantC nationale et dti Bien-ktre.

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sciences de la sante et des sciences sociales. Cet inter& a etC stimule en partie par les gouvernements eux-mcmes, qui n’ont en general pas menage les fonds pour la recherche dans ce secteur. Ainsi, s’il y a maintenant des commissions ou comitks mandates pour evaIuer l’evolution de ces pro- grammes, avant m&me la creation de ceux-ci deux commissions gouverne- mentales vedettes avaient 6te creees, qui ont suscitk un grand nombre d’itudes, &ant chargkes de se prononcer sur l’opportunite pour leur gouver- nement de skngager dans l’assurance-maladie, et, dans I’afffrmative, sur la facon de le faire*. En plus de ces commissions, l’apport gouvernemental a l’etude de cette politique comprend Bgaleinent les travaux statistiques et analytiques effectues par les fonctionnaires.

Parmi les sciences sociales, la science politique en est une qui s’est particulierement distinguee dans I’etude de l’assurance-maladie. Cela est bien comprbhensible, puisqu’il s’agit 1a dune politique bien documentee et intbressante sous plus d u n aspect. Un des themes qui ont le plus attire les politicologues a ete celui des relations mouvementees qui ont exist6 entre 1’Etat et les organisations medicales la suite des propositions d’implantation de programmes d’assurance-soins medicaux. La question etait kvidemment d’une importance cruciale. D’une part, il est rare que le gouvernement ait eu autant besoin, pour implanter un programme, de la collaboration d u n groupe de la societi comme il a eu besoin de celle des medecins, et, dautre part, peu de groupes peuvent rivaliser avec ceux-ci sur le plan de la puissance et de la force de frappe. Dans cette confrontation, les strategies de chaque camp, les moyens de pression utilises et les arguments avances pour gagner l’opinion publique ont donc constitue un theme p r i ~ i l e g i ~ ~ .

L’assurance-maladie se pr&te egalement tres bien a l’etude de l’evolution du federalisme canadien. Le cas ne manque certes pas d’originalite. Partant pour une fois d’un partage de compktences relativement clair dans la Constitution, qui fait de la sante un champ de juridiction essentielleinent provincial’0, la question a quand mkme suscit.4 de frkquents tiraillements

8 On aura reconnu dans ces deux commissions la Commission royale denqukte sur les services de santk, mise sur pied par le gouvernement federal en 1961 sous la presideme du juge Emmett M. Hall, dont I’essentiel du rapport (le volume 1) fut puhlid en 1964, e t la Commission denqubte sur la sante e t le hien-btre social du gouvernement du Qubhec, presid6e par MM. Claude Castonguay e t Gerard Nepveu, qui occupa la scene d e 1966 i 1970. Tres schematiquement, on peut dire que ces deux commissions ant orient6 les recherches selon deux axes principaux: premikrement, avons-nous hesoin d e l’assurance-maladie, ou, autrement dit, tine fraction importante de la population se voit-elle ou se verra-t-elle, a cause d e l’augmentation des coGts, privee d e soins, et, deuxiemement, avons-nous les inoyens (financiers, main-d’oeuvre, etc.) davoir de tels programmes? Ces recherehes convergeaient g6neralement dans le sens dune intervention poussee d e l’Etat en assurance-maladie. 9 Ce theme constitue probahlement le noeud central du considerable ouvrage d e Malcolm G. Taylor, Health Insurance and Canadian Public Policy, Montreal, McGill-Queen’s University Press, Institut d’administration puhlique du Canada, 1978. 10 La sante n’est pas un ohjet enumere en tant que tel dans 1’Acte d e 1’Amerique du Nord britannique. Toutefois, deux attributions concourent donner une primatit6 6minente aux provinces. Premierement, cellcs-ci sont responsables d e “l’etablissement, I’entretien e t l’admi-

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entre le gouvernement federal e t les provinces. A cause de son implication financigre substantielle, le gouvernement federal a ainsi pu definir de facon assez contraignante le contenu et les modalites des programmes d’assurance- maladie”. Dans les faits, l’assurance-maladie est donc devenue un domaine a juridiction partagee, dans lequel d’ailleurs les deux niveaux de gouverne- ment font preuve dune assez grande vigilance l’un envers l’autre.

En plus de laborieux compromis et ajustenients aux deux niveaux de gouvernement, l’assurance-maladie a entrain6 une revision de structures assez importante au sein de ceux-ci. La plus visible est l’elargissement considerable du r6le des ministeres de la S a n k L’assurance-hospitalisation e n particulier a modifie considerablement les relations entre l’organisme central (le ministere de la Santd) e t les etablissements de sante. Obliges de suppleer au seul mecanisme des subsides annuels, les ministkres de la SantC ont consacrd passablement d’energie i la creation de structures mieux appropriees d’encadrenient et de transmission de directives. MGme si cette revision des structures a souvent ete presentee par certains cornme un simple acte de modernisation, d’autres n’ont pas manque de souligner avec justesse que “la mise en place de ce systeme dassurance-hospitalisation entrahe une regulation des postes et des pouvoirs*”. L’assurance-soins medicaux a egalement engendre un certain besoin de revision plus global du systeme de sante lui-mgme, certaines provinces percevant le besoin de mettre sur pied un systeme duni t is de soins de premiere ligne, qui serviraient de porte d’entree generale aux services de sante et qui s’efTorce- raient de mettre davantage l’accent sur la pl-eventionl3.

nistration des hbpitaui, asiles, institutions et hospices de charitl . .” (article 92, paragraphe 7). Deuaibnienient, les pwniiers actes Gle jurisprudence relies :a cctte question ont difiiii la sante coninic tine matikre dc nature “1oc;tle oii privee”, procurant ainsi aus provinces, en vertu du paragraphe 16 de I’article 92, L I I I deuxienie le\.ier juridique inajeur pour asseoir leur cornpCtence. Le gorivernement federal. pour sa part, rie petit invoquer que des attribntions 1,raucoup plu5 spicifiques, telles rpe la qtrarantaine, les h6pitaus marins, les populations aritochtorres, etc. Cr miit finalemerit les ententes ia frais partages, fondees sur son pouvoir de dlpenser. qui ont permis au gouvernement federal de s’imposer dans ce secteur. Cette note s’inspire de I’exposl d‘hndree Lajoie et de Patrick A. !vlolinari, “Partage constitutioniiel ties compktences e n niatitre tle sante a11 Canada”. La Rectre du Burreutr canadien, vol. LVI, no 4, decernhre 1978, pp. 579-602. 11 Au sujet plus particuliereinent de l‘assurance-soins medicaux, Sidney S. Lee nientionne que les quatre conditions. en apparence simples, posees par le gouvernement federal H \’intention des provinces ont intrcduit une rigidite qu’on lie so1ipc;onnait pas: “For example, a province that \\<shed to develop coordinated home care AS ii substitute for or supplement to hospital care would haie to do so largely at its own expense.” S.S. Lee, Quebec’s. Health System: A Decade of Change, 1967-1977, Toronto, Institut d’adniinistration puhliqne du Canada, Uonographies w r l‘administration piblique canadienne, n” 4, 1979, p. 2. 12 Vincent Lemieux. Francois Renarid et Brigitte von Schoenberg, “La regulation ties aff’aires sociales: line analyse politique“, .kIministration publique du Canada, 1971, vol. 17, n” I, p. 42. 13 G. R. W’eller obser\e que, dans la foulee du programme national d’assurance-soins niedicaus, I’Ontario, Ie Qirebec et le Xlanitoba ont propose eapliciternent, darn dea documents cl’orientation de politique. la formation de telles unites, les trois provinces misant toutes sur: “one-stop care. regionalization, increased community participation and greater use of‘ para-

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Pourtant, en d6pit de cette febrilite dans la recherche, la question de savoir pourquoi des programmes gouvernementaux dassurance-maladie ont 6t6 implant& partout au Canada n’a pas r e p toute l’attention voulue. Cela est sans doute attribuable en partie au climat de grande expectative qui a suivi la creation de ces programmes, lequel invitait davantage a aller avec le present qu’h se tourner vers le passe. Toutefois, maintenant que ces programmes ont franchi depuis longtemps le stade des premiers pas et que nous disposons d u n recul appr6ciable face aux evenements ayant conduit ‘a leur mise en place, le temps est propice pour revoir plus en profondeur ce qui a motive les gouvernements canadiens i s’engager dans l’assurance-maladie.

Une typologie de variables explicatives

I1 y a dix ans paraissait une etude comparative assez remarquable dAnthony King, qui essayait dkxpliquer les differences de politiques suivies par les Etats-Unis, le Canada, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne de l’Ouest dans un grand nombre de domaines, la prestation de services medicaux incluse14. En premikre analyse, King observait que les Etats-Unis faisaient vraiment bande a part, puisque dans la plupart des secteurs, la participation de 1’Etat 6tait beaucoup plus restreinte qu’ailleurs. Par exemple, en matikre de services medicaux, seuls les Etats-Unis n’avaient pas de programme universe1 (ou quasi-universel, comme en France) dassurance- maladie. Expliquer le comportement particulier des Am6r icains est donc devenu l’objectif de King, et pour ce faire, il a pass6 en revue un certain nombre des grandes variables c16s mises en 6vidence par la recherche. A la suite de cette discussion, King a conch que les Idkes, c’est-a-dire les valeurs collectives dominantes dune nation, 6taient le facteur primordial qui expliquait l’orientation et le contenu de ces politiques. Dans ce contexte, l’auteur a kte frappi par le manque de confiance des Am6ricains envers I’Etat, qui se rkpercute kvidemment sur les politiques adopt6es: “The State plays a more limited role in America than elsewhere because Americans more than other people, want it to play a limited role15.”

I1 nous semble appropri6 dentamer la discussion concernant les raisons qui expliquent l’apparition de programmes dassurance-maladie au Canada a partir des conclusions de King. Celles-ci nous invitent a nous poser deux

medical personnel”. G.R. Weller, “Health Care and Medicare Policy in Ontario”, in G. Bruce Doern et V.S. Wilson, Issues in Canadian Public Policy, Macmillan of Canada, 1974, p. 112. A ces trois provinces devrait 6tre ajoutee la Saskatchewan, qui a lank en tant que projet-pilote une unite de ce genre dans la region de Swift Current en 1946 (Commission Hall, op. cit., vol. 1, 1964, p. 397). Notons de plus que l’etude de Weller contient une description des change- ments administratifs survenus au sein de 1’Etat ontarien, pp. 106-109. 14 Anthony King, “Ideas, Institutions and the Policies of Governments: a Comparative Analysis”, British Journal of Political Science, vol. 3, 1973, no 3 (juillet) et no 4 (octobre), pp. 291-313 et pp. 409-423. 15 A. King, op. cit., p. 418.

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questions en particulier. D’abord, King a-t-il raison, par deduction, d’attri- buer aux Idees l’avknement des programmes d’assurance-maladie au Canada? Sinon, quelle autre grande variable doit-on privilegier? Si oui, il faut alors preciser quelles sont ces Idees, ce que King n’a pas fait, se contentant tout simplement de suggirer qu’elles sont differentes de celles qui prevalent aux Etats-tinis.

Pour repondre a ce5 questions, nous nous sommes inspires du cadre conceptuel developpe par Richard Simeon. En effet, Simeon a retravaille la classification de King et a propose cinq variables qui font mieux le tour des differentes possibilit6s’6. Ces cinq variables ou approches sont: l’Environne- ment, le Pouvoir, les Idees, les Institutions e t le Processus de prise de decision, L’Environnement privilkgie les grands parametres socio- economiques et geopolitiques d’un Etat: richesse, niveau de scolarisation, niveau de developpement technique, contraintes engendrees sur le plan interne par les poiitiques des Etats limitrophes. Dans l’approche du Pouvoir, qui n’est peut-Gtre pas l’expression la plus appropriee etant donne que la notion de pouvoir est intrinskquement liee 8 chacune des variables expli- c a t i v e ~ ~ ~ , Simeon semble vouloir circonscrire l’activite concertee de groupes bien identifies et identifiables a l’interieur de la societe, qui agissent en vue de promouvoir leurs inter& propres. L’approche des Idees englobe Ies manifestations de la culture politique dominante d’une societe, cksti-dire ses valeurs et ses orientations fondamentales vis-a-vis le domaine politique, de m&me que l’influence des ideologies explicites. Celle des Institutions met l’accent sur le cadre formel et juridique d’un Etat: la division des pouvoirs, le niode de representation, etc. Le Processus de prise de decision s’interesse plus specialement au r6le joue par les individus niches dans la structure du pouvoir, leurs orientations personnelles, leurs inter&, leur capacite a faire des concessions et des alliances, etc.

L‘implication des gouvernements canadiens

L’approche du Pouvoir constituerait probablement l’approche la moins fnictueuse. I1 nous semble que les programmes canadiens d’assurance- maladie se prktent tres bien a l’observation generale de King a l’effet de quoi: “It is hard to think of any act of nationalization in Canada or Europe that took place as the result of widespread public demand for it18.” De fait, les seuls groupes vraiment organises et mobilises sur cette question etaient generalement des groupes opposes a de tels programmes. On peut bien sGr faire etat du support des centrdes syndicales en faveur de l’assurance-

I6 Le lecteur poiirra retroirver I’expose de R. Simeon dans: “Studying Public Policy”, Revue r.unad~enne dc science politiytre, vol. IS (1), dec. 1976, pp. 549580. 17 Ainsi, seul un Etat Iimitrophe puissant peut engendrer des contraintes pour ses voisins. D e la m h e facon, lorsqu’ils Claborent siir la variable des Idees, tant King que Simeon precisent cine ce wnt bien les idees “dominantes” qu’il but prendre en consideration. 18 A. King, op. c i t . , p. 411.

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maladie a partir des annees quarante, mais puisque plusieurs syndicats de grandes entreprises disposaient dera de regimes privks dassurance-maladie pour leurs membres, on peut douter que l'engagement des centrales dans ce dossier ait et6 a ce point profond et marquant. De plus, il serait difficile de dissocier ces prises de position de consid6rations politiques bien terre a terre, visant a accroitre la visibilite du C.C. F. (Cooperative Commonwealth Federation, devenu le Nouveau Parti Democratique en 1961). De facon plus generale, malgrk la Ires grande implication politique de plusieurs centrales syndicales depuis quelques decennies, aucune etude de cas specifique ne permet de soutenir qu'elles ont pu avoir un impact decisif sur une quel- conque politique a l'exterieur de leur champ (quand m6me assez vaste) traditionnel de preoccupation, c'est-a-dire les legislations affectant les conditions et les relations de travail.

Par ailleurs, le Canada &ant une federation, e t l'assurance-maladie un champ ob participent les deux niveaux de gouvernement, la variable Institutions est assurement presente. I1 nous semble toutefois que sa presence se limite a une influence dappoint. Lorsque la Loi sur l'assurance- hospitalisation et les services diagnostiques du gouvernement federal a finalement ete adoptbe, en 1957, quatre provinces avaient deja un programme en operation (Terre-Neuve, la Saskatchewan, 1' Alberta et la Colombie- Britannique)l9 et l'Ontario venait tout juste de conclure une entente de principe assurant le gouvernement federal de sa participation au pro- gramme20. L'approche institutionnelle ne peut donc guere &re invoquee pour expliquer l'adhesion de l'Ontario. Par contre, c'est l'adhesion de cette province qui donne a l'approche son influence d'appoint. Puisque l'opposi- tion du gouvernement du Quebec au programme dassurance-hospitalisation etait notoire, l'ontario, de par son importance, tenait en ses mains l'issue du programme. EGt-elle aligne sa position avec celle du Quebec que le gouvernement federal n'aurait jamais depose son projet de loi en la matiere. De toute evidence, les pressions institutionnelles a l'intkrieur de ce triangle cle de la federation canadienne ne peuvent ittre efficaces que si l'un des trois gouvernements se retrouve isole. Au mieux donc, l'approche institutionnelle pourrait expliquer l'adhesion du Quebec, ce que m6me la elle ne parviendra pas a faire de facon suffisante, comme noys le verrons plus loin. Des lors, son apport r6el se limite a des influences mineures telles qu'une acceleration du rythme dadoption des programmes dassurance-maladie par les provinces, de m6me qu'a une assez grande uniformite dans leur contenu.

L'approche du Processus de prise de decision peut igalement paraitre tentante, a cause du r61e assez visible joue par un certain nombre de hauts

19 I1 faut dire toutefois qu'aucune de ces provinces n'offrait une couverture aus i large que celle prevue dans la loi federale. La Saskatchewan se rapprochait le plus dune couverture universelle et 1'Alberta le moins. Voir Howard C. Shillington, The Road to Medicare in Canada, Toronto, Del Graphics Publishing Department, 1972, pp. 82-87, et M.G. Taylor, op. cit . ,

20 pp. 167-170.

Voir M.G. Taylor, op. cit. , p. 225.

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fonctionnaires dans le processus d’adoption des programmes d’assurance- maladie, ce qui en a amen4 certains i leur attribuer une influence determinante. Tout en ne niant pas l’apport important de ces individus, il nous semble cependant deplack de faire de ce facteur la raison principale de l’adoption des programmes. Dans m e certaine mesure, les programmes ont autant Cree les individus que ceux-ci les programmes. La complexite e t l’envergure de ces programmes ont favorise un certain effacement du politicien au profit du technocrate.

N e restent donc en lice que l’approche de 1’Environnement e t celle des Idees. En faisant un decompte purement arithmetique du facteur pri- mordial qui a incite chacun des onze gouvernements canadiens a embarquer dans l’assurance-maladie, le resultat serait le suivant: trois seulement ont agi sur la base d’Idees, soit le gouvernement federal e t ceux de la Saskatchewan et du Quebec; les huit autres, une confortable niajorite, ont plut6t obei aux pressions de 1’Environnement (auxquelles on peut combiner une certaine mesure de pressions institutionnelles). Pourtant, si l’on veut caracteriser I’experience canadienne, il faut donner raison Anthony King et choisir les Idees, parce que les deux premiers gouvernements canadiens a &re plonges dans l’assurance-maladie, le federal et celui de la Saskatchewan, l’ont fait sur la base d’Idees, e t que ce sorit ces deux gouvernements qui ont Cree la pression eiiviroiineineiitale devant laquelle les huit autres ont dii s’incliner. Nous allons rnaintenant exposer plus en detail le cheniinement qui nous a amene a cette conclusion.

Le gouvernement federal Comme I’a rapporte la commission la premiere initiative gouverne- mentale officielle au niveau federal remonte a 1928, alors qu’un des comites permanents de la Chambre des Communes fut mandate pour etudier tonte la question des assurances contre le chGmage, la maladie et l’invalidite. Ce comite deposa son rapport I’annee suivante, en suggerant que le recense- ment de 1931 soit l’occasion cle mener une enquiite approfondie sur les conditions de santk des Canadiens. Cependant, cette reconimandation resta sans suite, ce a quo1 le changement de gouvernement survenu en 1930 ne fut sans doute pas etranger. En 1935, le gouvernement Bennett propose son “New Deal”. La Loi sur le placement et les assurances sociales - un train de mesures de securite sociale prevoyant entre autres un programme partiel d’assurance-maladie - fut adoptee par la Chambre des Communes. Cepen- dant, les provinces contestkrent la constitutionnalite des attributions que s’octroyait ainsi le gouvernement federal, e t le Conseil Prive de Londres leur donna raison en janvier 1937. k la suite de cet echec, le gouvernement federal semble avoir complete-

inent delaisse le dossier de l’assurance-maladie. Dans un geste conciliatoire,

21 Rapport Hall de 1964, yo!. 1. p. 401 et srii\.antes

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il crea une commission denquhte sur les relations f6derales-provinciales (la commission Rowell-Sirois), dans l’espoir evident qu’elle puisse delimiter un terrain d’entente autour du partage des “nouveaux” champs dintervention des gouvernements. Sur la question precise de l’assurance-maladie, la Commission, dans les recommandations qu’elle deposa en 1939, n’offrit guere de caution a de nouvelles initiatives federales puisqu’elle endossa le principe de la competence legislative des provinces, ne menageant au niveau federal qu’un r6le essentiellement administratif(percepteur de fonds, etc.).

Mais les choses changent a partir de 1941. MalgrC les dbcisions du Conseil Prive et de la commission Rowell-Sirois, le gouvernement federal reprend le collier, et de facon resolue cette fois-ci. Comites, commissions et confe- rences se succedent presque sans reliche22. I1 se constitue dans la fonction publique des noyaux dexpertise a toutes fins pratiques permanents (mcme en l’absence de programme). Sur la scene electorale, l’assurance-maladie devient subitement une denr6e tres populaire, puisque des la premiere election generale federale aprks 1941, soit celle de 1945, tous les partis politiques fkderaux, et non plus seulement le c.c.F., prennent des engage- ments qu’ils vont renouveler et preciser au fil de chacune des elections generales federales, jusqu’a l’adoption finale dune loi-cadre sur l’assurance- soins medicaux en 196823.

Que s’est-il donc passe au debut des annees quarante pour que l’assurance- maladie devienne une telle priorite? Au Canada, peu de choses, mais en Grande-Bretagne, une commission presidke par Lord Beveridge fut formee en 1940. Le rapport qu’elle deposa en novembre 1942 proposait, entre autres, l’instauration d u n regime d’assurance-maladie complet e t universe1 comme l’un des fondements d u n nouveau contrat social a mettre en place au terme de la guerre. L’ensemble et l’esprit des reformes proposees dans ce rapport, qui n’etaient pas sans evoquer un certain parallele avec les desseins des Forces Allikes en vue de l’ktablissement d u n nouvel ordre international fonde sur le droit, frapperent l’imagination et connurent ainsi une grande diffusion24.

Que l’apparition d u n inter& soutenu de la part du gouvernement federal

22 On trouvera un resume concis de ces developpements dans I’introduction ecrite pour la reedition du rapport Marsh de 1943: Leonard C. Marsh, Report on Social Securityfor Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1975, pp. XXJ-XXII en particulier. 23 Voir D. Owen Carrigan, Canadian Party Platforms 1867-1968, University of Illinois Press, Urbana, the Copp Clark Publishing Company, 1968. 24 S’il est vrai que ce rapport a pu susciter certaines initiatives au Canada, cela n’implique nullement qu’il a 6t6 determinant en Grande-Bretagne mkme. Cest du moins I’opinion dHarry Eckstein, pour qui ce sont davantage les failles du programme dassurance-maladie de 1911, qui devenaient de plus en plus flagrantes, et aussi, quoique dans une moindre mesure, les insuffisances du systeme de sant6 telles que r6velees par la Deuxieme Guerre, qui ont veritablement prepare le terrain en vue de la reforme de I’assurance-maladie de 1946: H. Eckstein, The English Health Seruice, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1958; voir en particulier le chapitre VI.

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dans I‘assurance-maladie cciincide avec les travaux de cette commission n’est pas qu’un simple concours de circonstances. A l’epoque, s’il existait iin Etat qui ait pu influencer Ottawa, c’etait bieii la Crande-Bretagne. Cette orientation fut assuree au point de depart par le h i t qiie les principaux dirigeants canadiens, tant au niveau des partis politiques qu’a celui de la fonction publique, etaient d’origine anglo-saxonne et restaient sentinientale- merit attach4s i la “Old C0untrp”~5. Mais plus subtilement, cette orienta- tion reposait egalement sur l’approbation (ou l’absorption) par l’elite d’Ottawa de la tangente politique prise par la Grande-Bretagne dans la premikre moitie c h i S S ~ sickle, car ce pays wait cherche plus activenient que d’autres a faire une place dans la structure du pouvoir aux travailleurs et a leurs organisations. L’ouvrage de lfackenzie King, publie en 1918, avant qu’il n’entreprenne sa carriere tfe premier ministre, illustre assez bien cette communaute d’espritZ6. Dam cet ouvrage, Mackenzie King elabore une philosophie politique gkiierale d’accommodement social et ideologique, et enjoint le gouvernement canadien d’accorder aux inoins iiantis plusieurs des iwantages qiie la Crande-Bretagne consentait dejh. L’attrait exerce par ce pays sur les dirigeants d’Ottawa, qui lui ni&iie refletait un sentiment populaire assez largement repandu, a fait en sorte clue lorsque ce pays a annonce ses intentions en inatikre d’assur;uice-maladie, cela a ete suffisant pour faire d’une telle entreprise, qui etait jusqu’alors apparue coinme un ideal lointain, iin article respectable et relativement prioritaire stir l’agenda politique de la capitale federale.

Ce qui a e te i la base de l’initiative du gouvernement federal est done un phenomene d’importation d’agenda politique d’un Etat a l’autre. Bien que Simeon, dans sa nomenclature des principales approches utilisees pour expliquer l’action des gouver~iements, classe de facon g6nerale de tels phknoinknes parnii les facteurs eiivironnc~iientaux~~, nom croyons que l’importation volontaire et selective d’une proposition de politique en cette matiere, de la part d’un pays aussi geographiquement 6loignC que la Graride-Bretagne, releve esseiit iellement du doniaine des Idees. I1 ne peut s’agir aucunement de pressions eri\~ironnemcntales, car rien dam 1’Environ- nemen t politique iminediat de YAinerique du ~ o r d , ni des Etats-Unis ni d’aucune des pro\.inces caiiadiennes, ne forcait les dirigeants fkdkraux s’erigager dans cette voie (chi inoins en 1941). I1 ne peut s’agir non plus de pressions institutionnelles, car le Canada etait depuis belle lurette pleine- ment souserain vis-h-\.is hn t f res quant au contenu de ses politiques internes, sous seule reser\.e de leur constitutionnditb. Cet engagement, qui

15 Eupre\\iim ic l a q i i < ~ l l e o i r t 5etnbl4 ai-oir iissez frPrpemtnent rrcours certaines persoitiralites politiqries cairadieiinrs-ariglaires dc I’i.poque, du i n o i i i \ en laigage 6pistolaire. p o u r designer 13 Graiitfe-Bretagite. 26 \V. L. SficckenLie King. I i i d f t s t r - y u r d Hiirriuriity. Toronto, SLacrnillair, 1947 (edition i1l>reg6ei . On troriwra 4galemeiit confirniatiort de I’iinportanct. de l i t connexiorr 1)ritatiiriqur clan9 1. L Gr;uiat.\teiii. The Otfntccr Meti. Toronto. Oxhrd fniwrsit!. Press, 1982. 17 H. Sinwon. o p c i t . , 1) 56h.

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devait finalement s’avkrer irreversible, du gouvernement federal a partir de 1941 dans le domaine de l’assurance-maladie n’etait donc rien d’autre, ‘a l’origine, qu’une manifestation de la culture politique des gens qui gravi- taient dans les cercles du pouvoir a Ottawa.

La Saskatchewan L’implication du gouvernement de la Saskatchewan dans le domaine de l’assurance-maladie, ou un programme universe1 d’assurance-hospitalisation entra en vigueur des le 1“ janvier 1947, releve aussi du domaine des Idees. Mais a la difference du gouvernement federal, qui cherchait a imiter un modkle etranger, le gouvernement de la Saskatchewan etait plut6t inspire par une ideologie particuliere, a savoir l’ideologie socialiste. Le parti alors au pouvoir, le Cooperative Commonwealth Federation (c. C. F.) avait etd fond6 en 1932 e t constituait le prolongement des mouvements cooperatistes de fermiers qui s‘ktaient repandus dans l’Ouest ‘a partir du debut du siecle. Ce parti avait egalement su depasser ses preoccupations d’ordre agraire e t se rendre suffisamment attrayant pour ktre en mesure d’incorporer le mouve- ment ouvrier de tendance travailliste. Lorsque, pour la premiere fois de son histoire, le C.C.F. parvint a prendre le pouvoir en 1944, il s’empressa de former une commission chargke de concevoir un programme de medecine socialisee.

Pour S.M. Lipset, qui a suivi de pres le C.C.F. durant cette p6riode2s, cette volonte de passer aux actes reposait essentiellement sur le fait que “the C.C.F. has been committed to state medicine since its origin”29. Sur plusieurs autres fronts, le parti avait modifie son tir au fil des campagnes electorales. Ainsi, Lipset relkve l’abandon graduel des charges contre le “systeme capitaliste” et la mise au rancart des plans de nationalisation massive, non seulement la nationalisation du sol, qui n’enthousiasmait aucunement les fermiers, mais aussi les nationalisations dans les secteurs industriels, ou le parti se fit passablement ~pec i f ique~~ . Toutefois, ce revisionnisme n’affecta pas la sante.

Lipset, comme d’autres, voit egalement un lien entre certains facteurs environnementaux propres a la Saskatchewan (c’est-&-dire l’eparpillement et la faible densite de sa population) et l’adoption de programmes dassurance- maladie. A notre avis cependant, I’Environnement ne peut btre percu comme le facteur primordial. D’une part, c’est l’etablissement en 1921 d u n programme de “docteurs municipaux” pour les milieux ruraux qui a constitue la reponse specifique du gouvernement a ce probleme environne- mental. En 1944, environ le quart de la population avait acces gratuitement h ces medecins salaries; une telle proportion assurait toutes fins pratiques

28 Ce qui a amen6 S . M . Lipset a publier Agrarian Socialism, Berkeley and Los Angeles, University of California Press, 1950. 29 S . M . Lipset, ibid., p. 238. 30 S . M . Lipset, ibid., p. 150 et suivantes.

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que les communautes les plus aec tees fussent rejointes par le programme. D’autre part, &me en mettant au credit de 1’Environnement des “incitatifs” de ce genre, il n’en reste pas moins que l’approche compte un certain nombre de “desincitatifs” assez visibles, notamment une insuffisance de medecins, de reelles possibilites pour eux d’aller se reetablir ailleurs, de m6me que I’absence totale de savoir-faire et de donnees fiables quant au coiit eventuel du programme, la Saskatchewan etant le premier Etat a se lancer dans une telle aventure en Amerique du Nord. Seul un attachement assez ferme a un cadre ideologique pouvait permettre de releguer a l’arriere-plan ces obstacles environnementaux combien rdels.

Une fois son programme d’assurance-hospitalisation en marche, la Saskat- chewan a elle-m&me constitui une force environnementale, d’abord aupres du gouvernement federal, qui a fini par remanier ses propositions aux provinces selon le plan arr& a Regina: assurance-hospitalisation en pre- mier, et assurarice-soins medicaux par la suite. La pression continue de ces deux gouvernernents a permis de creer un c h a t qui faisait de I’adoption de tels programmes quelque chose non seulernent de realisable, mais &gale- nient d’iniluctable a relativement breve echeance. Ce climat d’ordre essentiellement environnemental a ainsi entrain6 l’adhesion de tous les autres gouvernements impliques dans l’assurance-maladie, a I’exception de celui du Qudbec.

Le Quebec I1 serait en effet bien etrange de vouloir attribuer l’adhesion du Quebec aux facteurs environnementaux qui ont joue pour les autres provinces. Un apercu histori p e PIUS general en cette matiere montrerait probablement que ce qui a pii paraitre inevitable aux autres provinces a rarement ete perGu de la mGme facon par le Quebec. Pour celui-ci, l’approche institutionnelle semble plus prometteuse. Le Quebec a quand mGme ete la seule province a maintenir une position officielle de refus, mGme aprks que les fonds du gouvernement ftderal eurent commence i Gtre verses atix provinces partici- pantes. Cette approche est egalement renforcee par la teneur du debat politiqiie qui entoura cette question. Les partisans de l’adhesion au pro- gramme ont mise abondamment sur l’urgence pour le Qudbec de ne plus laisser les fonds federaus lui filer sous le nez, alors que les partisans de l’abstention invoquaient la necessite prioritaire de ne legitimer daucune facon cet empietenient du gou\Fernement feddral dans tin champ de juridiction provincial.

Rien que l’un et I’autre de ces arguments reposelit stir des faits difficile- ment contestables, ils n’etaient essentiellenient que l’expression spnntande d’une divergence beaucoup plus profonde entre les protagonistes, car le Q ~ i b e c etait alors i la croisee des chemins en ce qui concernait une de ses orientations politiques fondamentales. En effet, jusqu’en 1960, tous les gouvernements quebecois ont t t6 foncikrement tributaires de ce qu’un

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observateur durant les ann6es cinquante percevait encore comme l’un des traits dominants de la pensee politique canadienne-fianGaise: l’anti-etatisme31. Cependant, l’election de 1960 marqua l’arriv6e au pouvoir d’un noyau de personnes qui avanpient un point de vue fort d86rent. Pour eux, cette carence des interventions 6tatiques avait 6te n6faste aux Qu6becois franco- phones, et ils voyaient dans I’Etat un instrument qui pourrait permettre aux francophones non seulement de combler les &carts qui les’ siparaient des anglophones sur le plan des services collectifs (education, sante, etc.), mais aussi de participer enfin pleinement au d6veloppement 6conomique de la province.

Un processus de renversement des valeurs etait donc en marche au sein de la collectivit6 queb6coise. L’une des premikes manifestations de l’exis- tence de ce courant de pensee interventionniste ht probablement le manifeste de l’Action Lib6rale Nationale lors de l’election de 1935. Mais ce nkst qu’aprks la guerre que le mouvement prit vraiment son envol e t que l’orientation anti-etatique dominante commenca B 6tre skrieusement con- testbe. Les conflits ouvriers en particulier, qui reussirent m6me a 6branler le monolithisme de I’Eglise, viendront alimenter e t aviver cet antagonisme. Les intellectuels 6galement s’impliqukrent activement dans cette lutte, eux dont l’opposition g6n6ralisee a l’anti-etatisme 6tait exacerb6e par les succes electoraux de l’Union Nationale, qui avait ddtenu le pouvoir de faGon ininterrompue pendant seize ans. Sa d6faite 6lectorale en 1960 a veritable- ment symbolis6 la fin d’une epoque, puisqu’aucun gouvernement du Quebec depuis ce temps n’a cru possible de fonctionner a l’interieur des limites definies par l’ancien systbme de valeurs.

31 Michel Brunet, “Trois dominantes de la pensbe canadienne-franqaise: I’agriculturisme, l’anti-etatisme et le messianisme”, Ecrits du Canada franpais, tome 111, Montreal, 1957, pp. 31-117. Dans une etude recente, Ralph Heintzman conteste cette notion danti-6tatisme. Plutbt qu’une phobie de I’Etat, c’est une phobie de la politique en gen6ral qui aurait caracte- rise les Canadiens franqais, et cette phobie serait essentiellement attribuable a I’ubiquite du patronage politique. M&me si Heintzman 6toffe bien son argumentation, celle-ci n’est pas entik- rement convaincante. I1 nous semble qu’Heintzman ne tient pas compte du fait que l’activite des instances locales de pouvoir - fabriques paroissiales, commissions scolaires, conseils municipaux - n’a jamais 6t6 mise en question par la population. Cette forme dau- torite etait acceptee, et c’est uniquement celle des gouvernements “superieurs” (Quebec et Ottawa) qui soulevait des reticences. A moins que I’on ne puisse demontrer que le patronage etait I’apanage en propre de ces gouvernements superieurs - ce qui nous apparait hautement improbable - l’acceptation des instances locales de pouvoir ne peut s’expliquer que parce que leurs activites s’articulaient mieux avec les valeurs fondamentales des Canadiens franqais. Dans Parenti et Politique, (Quebec, Presses de I’Universite Laval, 1971), Vincent Lemieux nous livre de precieuses indications sur ce qu’ont ete ces valeurs. L’Etat provincial et l’Etat federal n’etaient toleres qu’a la condition qu’ils se fassent distants et n’entreprennent rien qui puisse concurrencer ou modifier le cadre de vie communautaire des individus. Cette realite, c’est bien la notion d“anti-&tatisme” qui peut le mieux la refleter. L’argument de Heintzman souere egalement de ne pas &re confirm6 par la relation inverse. La resorpticn de la plu- part des pratiques trks voyantes de patronage qui sevissaient naguere au Quebec ne semble pas avoir entrain6 une hausse appreciable de confiance dans la politique. Heintzman est conscient de la chose, mais fait apparemment le choix difficile den traiter comme d’une survivance transitoire. Voir R. Heintzman, “The Political Culture of Quebec, 1840-1960”, Reoue canadienne de science politique, mars 1983, vol. XVI (l), pp. 3-59.

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L’attitude du gouvernement du Quebec face aux propositions du gouver- nement federal en matiere dassurance-hospitalisation illustre de facon eloquente ce renversement des valeurs. Dans le domaine de la santk, l’anti-etatisme se manifestait par une conception selon laquelle 1’intkri.t public etait mieux servi en laissant la responsabilite des initiatives et de l’administration de la sante aux communautes religieuses ou aux autres groupes prives oeuvrant sans but l ~ c r a t i f ~ ~ . L’Etat devait skn tenir a un r d e suppletif, ne repondant qu’aux besoins particuliers des etablissements (deficits irrkcouvrables, depenses extraordinaires dimmobilisations, etc.) e t des individus (depuis 1921, le gouvernement provincial et les municipa- lites se partageaient les cofits d’hospitalisation des indigents). L’Union Nationale sous Maurice Duplessis etait particulierement imbue de cette conception. Elle preferait grandement les interventions concrktes et ponc- tuelles (construction dhijpitaux, de sanatoriums, etc.) aux programmes exigeant une implication a long terme de I’Etat, et consequemment se montrait tres peu receptive aux propositions du gouvernement federal. Son seul geste douverture fbt de creer discretement, en mars 1960, a l’approche dune nouvelle election generale, une commission pour htudier la question de 1’6tablissement d u n programme dassurance-hospitalisation au Q ~ k b e c ~ ~ . 32 Une telle orientation n’etait certainement pas unique au Quebec. Ainsi, G.R. Weller a observe line orientation similaire dans la province voisine de l’Ontario (Weller, op. c i t . , p. 86). Par contre, ce qui a pu caracteriser le Quebec est que son adhesion ’a l’une puis a l’autre orientation a ete plus tranchee et plus resolue qu’ailleurs au Canada, ce qui incidemment a rendu tres peu “incrementaliste” le passage de l’une a I’autre. Les meilleures hypotheses pour expliquer ce phenomkne resideraient sans doute dans l’approche environnementale et dans son interaction avec I’approche des Idees. L’influence prolongee de l’anti-etatisme indique que l’industrialisation et l’urbanisation n’ont pas et6 en soi des conditions suffisantes pour amener les Quebe .ois h rompre avec I’ensemble des valeurs leguees par leur mode de vie anterieur. Seule la prosperite reelle, engendree par cette industrialisation a partir des annees 1940, leur a donne graduellement le sentiment de skurite necessaire pour disposer de ces valeurs et se r6clamer d u n nouveau type de soci6t6. Quant a I’etatisme plus prononce qu’on retrouverait maintenant au Quebec, il s’apparente ’a la position privilegiee occupee par l’Eglise jadis. Les conditions precaires de survie collective et l’inferiorite economique des Canadiens francais semblent favoriser l’emergence d’un centre de pouvoir actif. 33 Soit la Commission denquite sur l’assurance-hospitalisation, cr&e en vertu de la Loi concernant l’assurance-hospitalisation (Statuts de la Province de Quebec, Partie 1, 1959-1960, chap. 12, pp. 83-85). I1 est interessant de noter que cette commission a ete la troisieme an Quebec a traiter dassurance-maladie. La Commission des assnrances sociales, mise sur pied en 1930, en fut la premiere. Son septieme (et dernier) rapport, publie en 1933 (ministkre du Travail), portait sur “L’assurance-maladie-invalidit6”. Prudemment, la commission invitait le gouvernement a amorcer une action dans le secteur, de concert avec les “mutualites existantes”, din den faciliter l’accessibilite aux bas-salaries. La derrxieme fut la Commission provinciale denqnite sur les hirpitaux, creee en 1941. Son rapport, publie en fevrier 1943, recommandait

1 instauration d’un systeme $assurance-maladie generalise” (p. 31) comme solution aux problemes eprouves par les hirpitaux. Des trois commissions, c’est celle-ci qui eut le plus de suites. Dks le mois de jnin de la m h e annee, la Loi instituant une Commission dassurance- maladie etait adoptee (Statuts de la Province de Quebec, Partie 1, 1943, chap. 32, pp. 187-190). Le mandat initial confie i cet orgaifisme permanent etait de “preparer un plan d’assurance- maladie g6neralise. , .” (article 14). Etrangement toutefois, le premier rapport public de cette commission, paru en 1944, porta sur le problbme des garderies et de la protection de l’enfince. De propositions sur l’assurance-maladie il n’y en eut point, car cette Commission dassurance- maladie ne survecut pas au changement de gouvernement de 1944.

“ 3

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Le 22 juin 1960, l’Union Nationale perd le pouvoir aux mains du Parti Lib6ral de Jean Lesage. Soucieux de d6montrer a la population qu’un Etat qa peut Gtre utile34, le nouveau gouvernement saisit au vol cette occasion e t annonce, sans m6me attendre les recommandations de la commission mandatee par l’ancien gouvernement, qui est ainsi larguke sans autre formalit&, que le programme dassurance-hospitalisation va entrer en vigueur dks le ler janvier 196135. Or, cet engagement fut pris alors qu’il n’existait absolument rien au ministbre de la Sant6 pour voir a l’implantation d’un tel programme; ni service, ni expertise, ni mkme une 6tude de coiit3? Malgre les quinze ans de pourparlers fed6ral-provincial sur l’assurance- hospitalisation, malgr6 l’adoption dune loi-cadre par le gouvernement f6dhral en 1958 et lkxistence de programmes dans les autres provinces, le gouvernement de l’Union Nationale s’ktait refuse a tout prkparatif. Voil’a qui rend bien dificile de soutenir que la participation du Qu6bec serait due a des facteurs environnementaux ou institutionnels.

L‘evaluation de la typologie de King et Simeon

Dans l’ensemble, il faut donc reconnaitre qu’hthony King a eu raison d sugg6rer que l’adoption de programmes dassurance-maladie au Canada devrait skxpliquer par I’approche des Id6es. Le gouvernement de la Saskatchewan h i t mii par I’ideologie socialiste, le gouvernement fedkral, a l’origine du moins3’, par la Grande-Bretagne et le modele d’Etat-Providence qui s’y articulait, et ces deux gouvernements ont entrain6 le reste du Canada anglais dans leur sillon. Quant au gouvernement du Quebec, c’est l’kmer- gence dune nouvelle attitude par rapport aux possibilit6s de l’Etat qui

34 11 y aurait certes un parallele interessant a tracer entre le Parti Liberal de cette 6poque et le c C.F. au lendemain de sa premikre victoire electorale en Saskatchewan. Ainsi, pour Lipset, la nationalisation rapide de certaines entreprises en Saskatchewan, sans attendre I’avitnement d u n Cventuel gouvernement C.C.F. a Ottawa, comme I’auraient prefer6 certains thioriciens, s’expliquait par le fait que “large sections of the party and its leadership were eager to demonstrate the value of government ownership”, (S.M. Lipset, op. c i t . , p. 249). 35 Pour le Parti Liberal, il s’agissait en fait d u n engagement Blectoral: “Contrairement a I’Union Nationale, qui parle peu de la sante et du bien-ktre, le Parti Likral consacre a la sant6. . . trois articles de son programme” de 1960, dont I’un promet “l’institution immediate . . . d’un systkme gouvernemental d’assurance-hospitalisation”: Vincent Lemieux et a]., Quatre e‘lections provinciales au Que‘bec, 1956-1966, Quebec, Presses de l’universitb Laval, 1969, p. 41. 36 Jean-Yves Rivard et al.. L’6oolution des services de sand et des modes de distribution des soins au Que‘bec, Annexe 2 de la Commission Castonguay-Nepveu, 1970. La description de la facon dont s’est realisee l’adhesion du Quebec a ce programme apparait a la page 70. C‘est egalement dans ce document (i la page 20) qu’est Cvoquee l’amorce en 1921 de I’implication du gouvernement quebdcois. 37 Etant donne le laps de temps qui s’est CcoulC entre le moment ou la volonti dagir du gouvernement est apparue, soit le debut des annees quarante, et le moment ou un premier projet s’est concrktise, soit I:assurance-liospitalisation a la fin des annkes cinquante, il est bien evident que dautres facteurs ont pu travailler ce gouvernement en cours de route. Toutefois, le facteur qui s’est trouve mettre un gouvernement en marche reste celui qui doit 6tre privilBgiC dans I’analyse de I’origine d’une politique.

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explique son engagement dam l’assurance-maladie. Le fait que chacune de ces Idees soit, ii un niveau formel, distincte des autres, illustre L sa manikre ‘a quel point le Canada peut 6tre traverse d’influeiices differentes.

L’implication du Canada en matiere d’assurance-maladie confirme Ggale- ment I’impoi-tance de la variable identifiee par Anthony King pour expliquer la particularite des politiques aniericaines, L savoir la conception du rGle de 1’Etat qui prevaut a l’int~rienr d’une societe. M&me lorsqiie cette variable n’est pas la plus visible, comnie dans ie cas du gouvernement federal et de la Saskatchewan, elle est n6anmoins toiijours implicitetnent presente, car la creation d’un programme gouvernemental d’assurance-inaladie procede n6cessairement d’une orientation fk.orable par rapport h 1’Etat. I1 s’agit la d’un denominatew eoinmun reliant la Saskatchewan, le gouvernement federal et le Quebec. La demarche particnliCre du gouvernement federal permet egalement de

mettre en reliefune dimension theorique plut6t escarnotite tant par Anthony King que par Simeon. En effet, ni l’un ni l’autre n’ont vraiment percu que l’action d u n Etat puisse en arriver L etre conditionnee par l’action d u n autre Etat dans ui i domaine oil ils sont environnenientalement in dependant^^^. Or, l’impiication du gouvernement federal dans I’assurance-inaladie inontre qu’il s’agit d’une possibilite bien reelle. Pour diverses raisons, qui toutes seraient sans doute reliees au champ des Idees, certains Etats sont consideres par d’antres conime des chefs de file, et leurs initiatives ne tardent pas a ktre imitees.

Enfin, l’experience canadienne en assur;~nce-maladie permet de recon- naitre h nne autre approche que celle des Idees, soit I’approche environne- mentale, une influence d’appoint reelle. Une majorite des provinces se sont quand m6me jointes a u x programmes nationaus parce qu’il leur paraissait necessaire d’emboiter le pas. De plus, l’eiitree en scene soiidaine de la Saskatchewan dam le champ de l’assurance-hospitalisation, apres que le gouvernement federal eut coiiimence B se compromettre sur la question, en est probablement venue L constituer un obstacle environnemental au desengagement de ce dernier. Et enfin, l’existence prealable de l’assurance- hospitalisation a sans doute fiacilit4 le passage, plus difficile, vers l’assurance- soins medicaus.

La necessite d’une certain? complementarite entre ces differentes ap- proches a ete entre\.ue tant par Anthony King que par Simeon, quoique avec plus dacuite peut-6tre par ce dernier. Le r d e joue par I’Environne- ment dans l’adoption des programmes d’assurance-maladie au Canada vient confirnier leur point. Cette complementarite serait encore plus appa- rerite si les politiques d’assnrance-maladie avaient e t e ktudiees de facon 38 Certains ti-a\aris pltis r6cents n’ont cependant 1x1s rnancpe d r hire etat de cette possibilite. \oil en particdier Ira contributions de Peter Flora r t Jells lUber (chapitre 2) et celle de Stein Krihnle (rliapitrr 4) du reeuril etlite par Peter Flora et Arnold J. Heindenheiiiicr, Thc Dereloprnent of \\’elfare States in Europe cr t id Atwricct, Xcw Brunswick and London, Transaction Books. 1981

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plus large. En effet, les conclusions rapportkes sont intimement likes a la question posee, a savoir quelle approche rend compte au mieux de l’adoption de programmes dassurance-maladie au Canada. Si nous avions elargi ce cadre, pour tenter d’expliquer egalement le contenu des politiques par exemple, le poids des approches autres que celle des Id6es se serait accru.

Ainsi, si la Saskatchewan skst effectivement engagbe dans I’assurance- maladie pour des raisons tenant a des Idkes, le programme concret dassurance-hospitalisation tel qu’il emergea en 1947 n’est pas a proprement parler une emanation directe de celles-ci. Ce que le gouvernement envisa- geait initialement etait un programme global d’assurance-maladie, campe dans une reforme du systeme de sante orientee vers le preventifplutbt que le curatif. Cependant, pour contrer I’opposition farouche des medecins, le gouvernement a dii se rabattre sur un programme dassurance-hospitalisation uniquement, renvoyant le reste a plus tard39. L’approche du Pouvoir a donc kt6 plus determinante que celle des Idees sur le contenu de la politique.

L’Environnement aussi a faconnk le contenu des politiques canadiennes dassurance-maladie. On ne peut mieux en illustrer son r6le qukn se demandant pourquoi, s’il est vrai que la Grande-Bretagne a influence le Canada en matikre d’assurance-maladie, celui-ci ne remunere pas ses omnipraticiens selon le mode de la capitationm. Pour expliquer cette dissemblance, il faut etudier le contexte dans lequel la capitation est apparue en Grande-Bretagne. Au cours du X I X ~ sikcle, de multiples clubs ou societes de secours s’y ktaient constitues dans les milieux populaires afin de perinettre a leurs membres de s’offrir certains services, dont ceux de medecins, sur une base dassurance-groupe. Comme i cette epoque les ni6decins n’ktaient pas sollicites autant qu’ils l’auraient voulu, et comme en plus ils n’etaient pas toujours payes, les sociktks disposaient d u n bon pouvoir de marchandage. ConsBquemment, elles avaient habituellement pour politique de payer leur(s) medecin(s) selon le mode de la capitation. Cela, les tarifs consentis et leurs intrusions dans la pratique professionnelle, avaient suscite un mecontentement assez generalise a I’endroit des sociktes parmi les medecins qui y oeuvraient. Lorsqu’en 1911 fbt depose le projet de loi instituant un programme partiel dassurance-maladie, Tune des exigences des medecins, a laquelle consentit le gouvernement, fut que chaque

39 S . M . Lipset, op. c i t . , pp. 238-243. 40 Le principe de base du mode de la capitation est qu‘un omnipraticien est remunerd selon le nombre de personnes qui le choisissent en tant que medecin de famille et se font inscrire sur sa liste. Les gens peuvent toujours changer domnipraticien, mais ne peuvent les cumuler. En Crande-Bretagne, il y a un maximum (3500) de personnes qu’un omnipraticien peut prendre en charge. Le systeme a Bte passablement assoupli en 1965-1966. Une allocation de base a et6 introduite, de m h e que plusieurs supplements destines a rendre plus attrayants le travail de nuit, le travail dans les regions sous-dotees en medecins, etc. La capitation n’est evidemment pas appliquee aux specialistes, qui, dans le cadre du programme dassurance-maladie (ils peuvent egalement exercer a l’exterieur du programme), sont des salaries des hhpitaux. Voir M . J . Roemer, op. c i t . , pp, 107-108 et London England, Central Office of Information, Health Seroices in Britain, oct. 1974, pp. 16-18.

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regrotipement regional de inedecins puisse decider lui-m6me du mode de remuneration qu’il \-orilait. Cependant, conme le gouverneinent en vint B faire des offres assez allechantes sur la base d’un tarif i capitation4I, il n’y eut pas de retour en masse vers le paiement h l’acte, deux regions seulernent - Manchester et Saiford - optant en sa faveur.

Ce qui se passa dam ces deux regions n’aida en rien la cause du paiement h l’acte. En effet, la logique dti financement du programme etait la capitation, le salarie admissible pa!ait u n e prime fixe, geste que son’ employeur repktait. Selon des modalites bien difyerentes, 1’Etat y allait de sa contribu- tion, plus inodeste**. Chaque regroupement regional de midecins se retrouvait donc a\’ec uii montant global bien delirnite B se partager pour les ser\.ices fournis aux benkficiaires du programmern. Les dirigeants des medecins de ces deus regions, conscients du danger que le paiement h l’acte ne recompensht les inoins efficaces d’entre eux, resolurent de compiler des mo!wines sur le nombre de visites par beneficiaire, et, ainsi, de bloquer le paiement des visites excedentaii.es. On imagine aisement les complications et Ies recriminations engendrees par iin teI systkme. k cela s’ajoutaient, toujours comparati\,ement h la capitation, les fardeaux de la tenue de livres, de la facturation et, pour I’Adrninistration, de la verification de la dispensa- tion reelk des actes factures. Non seuleinent ce mode de remuneration ne se gagna-t-il la faveur d’aucun autre regroupement regional de medecins (qui pouvaient toiijours changer), mais il fut bientGt abandonne, e t par Salford (19273 et par \larichester (I928). Lors des pourparlers en vue de l’introduc- tion du programme universe1 d’assurance-inaladie (circa 1946) , le paiemeiit b l’acte n’a m6me pas emerge i l’ordre du jour. Voyant le gouveriiement flirter avec le salariat, la reaction des ornnipraticiens a ete de se cabrer derrihre la capitation, que le gouvernement devait leur conceder.

Les forces environnenientales qui ont mine le paieinent a l’acte en Grande-Bretagne durant la phase du programme partiel, c’est-a-dire une enveloppe hudgetaire strictement limitee et des tracasseries administratives netteinent superieures, iie se sont nullemelit Inanifestees au Canada. D’abord, les gouvernements ont plonge directement dam des programmes

-41 La capitatiorr etait qiiand miine rest& le denominateur coininun dans les pourparlers entre l e h medecins r t Ir goweriienient. L,a capitation nioyenne obtenue des societes vers cette 6poqur hit sommairrmerit 15 iduet,, du chi- gou\ernemental, i quatre shillings. Le gouverne- ment en consentit sept. plns Line r&ser\e pour les frais de deplacement lors des visites a domicile. \air 6. F. SfcCleary, Ycitiorrul Health Itistrrunce, London, Lewis & Co, 1932, pp, 88 rt 96. 42 klcCle;u-) rqpor t e r l i i ’en 1930. I’Etat a b i i b e n i i , au total, i 19% du coGt du progranime. ld . , ihrd., 1). 102 (la mecarque de cette contribution y est egalement expliquee). -13 M‘illiain J . Braith\\-aitr. qui fut I’un des fonctionnaires cles de l’opkration, se fait 1111 point ci’li~~nne~ir de rappeler. dans $a chroniqiie, les eflorts qn‘il a deployes ponr convainere Lloyd George. le ministre parrainant le projet, de la necessite de ne pas engager la responsabilite financii.re de I’Etat tlms le programmr. Le fait que cette position avait I’heur de plaire aux clubs et societks de secours, qiii craigiiaient de perdre trop d’autonomie, a sans donte joue tortement dmh la derision de Lloyd George de faire sien ce point de \ue. Henry N. Bunbury, ed., Lloyd George’.% Atn~~i i /unce Q’ugon, London, Xletliuen, 1957, voir aux pages 87, 93-95 et E6-127.

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L‘ASSURANCE-MALADIE AU CANADA

centralises et universels, pour lesquels ils ont dii se porter garants de tous les coGts. I1 n’y a donc guere eu de pressions financieres pour amener les inddecins h se discipliner eux-mgmes. Ensuite, la crhation de ces pro- grammes au Canada a coincide avec l’avenement de la technologie informa- tique, un outil enfin a la mesure des complexites administratives de ce mode de remuneration. Notons en particulier que cette technologie a elimini le besoin de recourir aux contrdes tatillons, les administrateurs du regime pouvant assez facilement reconstituer a quoi s’occupe un professionnel. Tout dans la politique de l’assurance-maladie au Canada ne s’explique donc pas par l’approche des Idies, mais, nkanmoins, comme celle-ci situe pour nous les grands parametres de l’origine de cette politique, elle nous livre une contribution capitale.

L‘influence de la Grande-Bretagne Puisque trois facteurs relevant des Idees ont 6td recenses dans l’emergence de la politique canadienne d’assurance-maladie, nous pouvons maintenant nous demander lequel a eu le plus dimpact au Canada. De toute evidence, le debat doit se faire entre l’ideologie socialiste (Saskatchewan) et l’influence de la Grande-Bretagne (Ottawa). Pour notre part, nous sommes port& a privilegier ce dernier facteur, non pas parce qu’il s’est exerce sur le gouvernement “central”, mais bien parce que l’essor de I’ideologie socialiste dans 1’Ouest etait dans une certaine mesure un sous-phenomene de l’influence de la Grande-Bretagne.

Comme en thmoignent les nombreuses references que Lipset est amen6 a en faire, le Parti Travailliste britannique a fortement influen& le C.C.F.44. Les premiers noyaux dorganisateurs et de dirigeants de ce parti ktaient souvent composes de personnes n6es en Grande-Bretagne et ayant emigre dans 1’Ouest au debut de leur ige adulte. Parce que laculture anglaise y etait la culture d0minante4~, ces personnes n’ont pas eu a passer par la phase d’acculturation et de retrait que subissent en ghneral l’ensemble des immigrants et ont pu poursuivre l’action politique ou s’y engager des leur arrivee. De fait, le C.C.F. de cette epoque ne parvenait pas b projeter une image conforme h la mosaique des cultures qu’on retrouvait alors dans l’Ouest. En analysant l’ensemble de ses performances electorales, Lipset a montre que ce n’est pas dans les districts pauvres que le C.C.F. a fait bonne figure sa premiere presence electorale (l’election de 1934), mais bien dans les districts aises, tant ouvriers que ruraux, et ou les anglo-Saxons protes- tants constituaient l’element ethnique p r i n ~ i p a l ~ ~ .

I1 nous apparait donc de facon generale que ckst par le rayonnement de la Grande-Bretagne que l’assurance-maladie a pu s’implanter au Canada. I1 est 44 De m6me que le mouvement syndical canadien, ainsi que l’ont remarque Robert T. Kudrle et Theodore R. Marmor dans “The Development of Welfare States in North America”, p. 112, in P. Flora et A. J. Heidenheimer, op. cit. 45 46

Voir S .M. Lipset, op. cit . , p. 184. Voir S . M . Lipset, op. cit., pp. 163-165.

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vrai par ailleurs que cette relation est obscurcie par le fait que l’implication du gouvernement federal chevariche de tres pres la periode ou le C.C.F. a acquis une respectabilite politique certaine en devenant successivement opposition officielle en Ontario (1943) et parti gouvernemental en Saskatche- wan (1944), ce qui en amene plusieurs a voir dans la competition electorale le facteur premier de l’implication du gouvernement federal. Cependant, cette interpretation ne respecte pas strictement la chronologie des evenements puisque, comme nous l’avons vu plus haut, le gouvernement federal s’etait ressaisi du dossier des 1941. Si par la suite, devant la percee electorale du c.c.F., le Parti Liberal (au pouvoir) a pu i t re hante et aiguillonni. par la perspective de connaitre le m6me etiolement que le Parti Liberal britan- nique aux mains du Parti Travailliste, il est aisi. aujourdhui de constater que cette crainte s’alimentait, en partie du moins, d’une perception cultu- relle, a savoir que le cours de la politique en Grande-Bretagne pouvait pr6- luder a ce qui allait se passer ail Canada, puisque les performances electo- rales du C.C.F. dans les annkes quarante et cinquante sont restees voisines de celles du Credit Social. Dans les faits, la classe ouvriere canadienne s’est revelbe plus proche de l’americaine que de la britannique, avec comme resultat que “by 1955, (on pouvait constater) the stagnation both numer- ically and politically of the labour movement in Canada4”’. Pourtant, c’est en 1957, alors que le C.C.F. semblait de plus en plus enlise dans un r6le de tiers-parti au niveau federala. que la Loi sur I’assurance-hospitalisation fut adoptee. L’argument de la comp6tition politique comme facteur expli- catif est egalement mis ‘a l’epreuve par le comportement du Parti Conser- vateur, qui s’est revel4 favorable a l’assurance-maladie des 1945, et qui fut finalement celui qui donna l’aval final au programme d’assurance- hospitalisation apres sa prise du pouvoir en 1957, aucun reglement dapplica- tion n’ayant ete adopte par le gouvernement precedent.

Bien que la Grande-Bretagne ait eu tine influence determinante sur l’adoption de l’assurance-maladie au Canada, cela ne signifie pas pour autant que l’histoire de l’assurance-maladie chez nous n’est que la replique de l’autre. Au contraire; l’exempk: de la Grande-Bretagne s‘est revel6 crucial durant la phase de l’implication de l’Etat dans ce champ, ce qui n’empiche pas toutefois le developpement plus general de l’assurance-maladie dans ces deux pays d’avoir eniprunte des routes parfois bien dif€&entes. Nous avons vu plus haut comment la capitation a pu s’implanter en Grande-Bretagne, sans parvenir a percer au Canada. Mais ces differences ont des racines encore plus profondes, qui meritent d’6tre evoquees brievement a cause de leur potentiel de contribution a une meilleure comprehension de la politique canadienne.

47 Donald Swartz, “The politics of reform: conflict and accommodation in Canadian health policy”, in Leo Panitch, ed., The Canadian State, Toronto and Buffalo, University ofToronto Pres , 1977, p. 323. 48 Cet enlisement du C: c F ( X P L I I ne peut certainement plus echapper a personne dix ans plus tard, en 1968, lorsque le gouvernement fedCral lance definitivement le programme national dassurance-soins medicauu.

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En Grande-Bretagne, le developpement de I’assurance-maladie s’est fait de longue date et y apparait beaucoup plus intimement lie a la trame sociale du pays. Les clubs et societes qui ont lance les premiers plans d’assurance- groupe pour les services mddicaux au X I X ~ siecle etaient des organismes solidement ancrks en milieux populaires. I1 est mime arrive qu’ils aient ete administres a partir de pubs. Ces plans ont progressivement gag& en popularite, et l’adoption d’une premibre loi dassurance-maladie par le gouvernement anglais en 1911 ne faisait qu’etendre l’ensemble des travailleurs a faible revenu ce modble dassurance. Les gains veritables pour ceux-ci ktaient, premitrement, que les employeurs allaient devoir cotiser a ce programme et, deuxitmement, que des mesures etaient prises pour que chaque bas-salarie, mime les mauvais risques actuariels que les societks avaient eu tendance a rejeter, soit integrd quelque part. Les tentatives syndicales pour obtenir de leurs employeurs des plans d’assurance de groupe, de mime que la creation de polices individuelles par les compagnies dassurance privees n’etaient venues se greffer que par la suite aux efforts des sociktes de secours. Le Canada, pour sa part, n’a connu que ces deux dernieres formes de developpement, qui, s’adressant surtout a des clienteles plus favoriskes, n’ont pas su donner h l’assurance-maladie une assise populaire comparable a celle dont elle jouissait en Grande-Bretagne.

Cette distinction fondamentale entre les deux pays peut nous faire faire un bon bout de chemin pour expliquer pourquoi, si la Grande-Bretagne avait cette force dattraction sur les dirigeants politiques canadiens, ceux-ci n’ont pas aussi copi6 la loi de 1911. Effectivement, plusieurs, dont le plus illustre fut sans doute Mackenzie King, ont 6t6 fortement tent&. En 1919, des que King fut devenu chef du Parti Li&ral (alors en opposition), il fit inscrire une resolution en ce sens dans un manifeste dorientation politique. Pourtant, a peine deux ans plus tard, la plate-forme electorale du parti, elle, se rkvela beaucoup plus vague sur le sujet et, comme le laissait prksager ce recul, rien ne se fit aprks la prise du p o u v ~ i r ~ ~ . Qu’est-ce qui a pu amener King a licher prise? Encore une fois, la reponse doit passer par I’orientation ideologique

49 Les gouvernements de deux provinces composerent des scenarios tres semblables durant les annees trente. Apres deux commissions d’enqugte sur l’assurance-maladie, l’une en 1929, l’autre en 1933, le gouvernement de l’lllberta adopta une loi en ce sens en 1935, mais la mise en vigueur de cette loi fut irremediablement compromise par la defaite du gouvernement a l’election generale tenue la m6me annee. En 1936, ce fut au tour de la Colombie-Britannique de se donner une loi sur l’assurance-maladie, aprbs s’gtre elle aussi distinguee par la tenue dune commission denqu2te sur le sujet a une p6riode tres precoce (1929-1932). Mal recue par les medecins, cette loi devint le theme central dune election-surprise declenchee des l’annee suivante. Quoique triomphant, le gouvernement se revela trop divise pour passer aux actes. Tous les employes embauches par l’organisme charge d’administrer le programme furent mis i pied, sauf ceux a la tgte, que le gouvernement laissa en place pour ne pas donner I’image dune retraite totale. La similarite dans le denouement de ces diverses tentatives n’a guere su retenir l’attention jusqu’a maintenant, et la plupart des analystes se sont contentes d y voir les inevitables rates de depart dans la lan&e d’un projet si ambitieux et novateur. Voir M.G. Taylor, op. cit. , p. 6. La tentative de la Colombie-Britannique est examinee plus en detail dans Harry M. Cassidy, Public Health and Welfare Reorganization, Toronto, the Ryerson Press, 1945, pp. 90-92.

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doininante vis-h-vis 1’Etat dans une societe. M&ne si en 1911 le gouverne- inent britannique se lan~ait dans un champ d’action nouveau pour lui (l’assurance-maladie), il le faisait d’une facon tres peu etatiste”. Le gouver- neinent ne s’etait nullenient substitue acix societes de secours, se contentant plutat d’instaurer iin processiis d’accreditation de celles-ci, pour s’assurer de la conformite du regime particulier d’assurance-inaladie de chacune par rapport aux prescriptions generales de la loi. Le prograinme d’assurance- maladie ainsi erige restait intinieinent lie aux particularites britanniques. King, pour sa part, ne pouvait compter sur Line infrastructure equivdente et n’avait d’autre alternative que celle de 1’Etat pour assumer ici les responsabi- lit& devolues aux societes de secours en Grande-Bretagne.

L’evidence d’un tel recours a I’Etat s’ecartait trop dn scheme de valeurs des Canadiens. Des sa panition, le Manifeste liberal devint “The jibe of opposition King comprit tres rapideinent coinbien il aurait ete perilleux de s’entGter B parler d’assurance-maladie dam ces conditions, e t c’est ainsi qu’il n’y eut plus que des forniations politiques marginales pour caresser ouverteinent un tel projet au ni\.eau federal. Le deblocage ne survint qiie lorsque la Grande-Bretagne manifesta sa volonte de s’engager dans iin prograinme d’assurance-maladie resolument interventionniste. Les politiciens federaus canadiens quant h eux n’hesiterent pas a reconnaitre d’emblee l’iniportance de la Grande-Bretagne dans la formation des opinions au Canada anglais, puisqu’h l’election federale de 1945, le C.C. F. n’etait plus le seul i parler d’assiirance-maladie: tant le Parti Liberal que le Parti Conservateur (fraichemcnt rebaptise Yrogressiste Conservateur) s’etaient preniunis en l’incluant dans leur plate-forme electoralr.

“ ,

Conclusion L’historiographie canadienne reconnait generalernent ii la Grande-Bretagne uiie iniportance profonde pour le Canada, qui s’etend bien au-del’a de la periode coloniale et qui lie s e limite pas non plus au contrble juridique iiltime qur Londres s’etait rkserve. Le Canada n’est sans doute pas le seul i accuser cet te influence puisqu’on en retrouverait assurement la marque dans des pays coinme l’Aiustralie et la Nouvelle-Zelande, dont I’elite est long- temps rest$e tournee \.ers la Grande-Bretagne nialgre I’emancipation poli- tique dn pays. Au Canada, cette inflyence ne s’est pas que repercutee sur l’eventail des politiques adoptkes; pendant longtemps, elle a aussi constitue un elPment nevralgique en soi du debat politique interne, puisqu’en contrepartie e lk flit une des sources irnportantes du nationalisme canadien- franpisS1. Pourtant, la recherche en sciences sociales, peut-gtre parce que son de\~eloppenient est plus recent et coincide avec la periode ou l’influence de la Grande-Bretagne s’est passablenient estompee, a 6te moins portee h

50 51 I’iiiti.r<=t du Canada etait le sells \erit;ible du nationalisme “canadien” d’lienri Rourassa.

H.C. Shillington, 01). cif . . p. 20. Qiie l e \ ;&ire\ ciu Canada soient contiees i des gens qui ont pour seule perspective

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reconnaitre la pertinence de ce f a ~ t e u r ~ ~ . Cette etude sur l'assurance- maladie montre la nbcessite dune certaine revision a cet 6gard.

52 Avec I'exception probable de l'etude des relations internationales, qui a cependant davantage present8 le phenornkne sous I'angle dune obligation juridique liant le Canada que sous I'angle dune recherche didentit6 eminemment politique.

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