L’ÉRABLE À SUCRE - SHFQ · seigneurial. Les conquérants et les immigrants originaires des...

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www.shfq.ca ISSN1918-1760 5 $ CAN Printemps-été 2010 Vol. 2, n° 2 L’ÉRABLE À SUCRE du QUÉBEC UN PIONNIER RACONTE RECHERCHE Le chaulage des érablières ESSENCES FORESTIÈRES Les Canadiens et la feuille d’érable à sucre : portrait d’un symbole avec Miroslav Grandtner

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Printemps-été 2010

Vol. 2, n° 2

L’ÉRABLE À SUCRE

du QUÉBEC

UN PIONNIER RACONTE

RECHERCHELe chaulage des érablières

ESSENCES FORESTIÈRESLes Canadiens

et la feuille d’érable à sucre :

portrait d’un symbole

avec Miroslav Grandtner

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PRINTEMPS-ÉTÉ 2010 - 3

ÉDITEUR

Société d’histoire forestière du Québec

RÉDACTEUR EN CHEF

Patrick Blanchet

COORDINATION

ET RÉVISION LINGUISTIQUE Prose communication

CONCEPTION VISUELLE

ET INFOGRAPHIE

Imagine Communication Marketing

RÉDACTION

Éric AlvarezPatrick BlanchetJean-Louis BlouinPierre GrondinMartin HébertGisèle LamoureuxMyriam LandryAnne-Marie LapointeGuy LessardPierre J. H. Richard

COLLABORATEURS

Emmanuelle BoulfroyAndré Thériault

IMPRIMEUR

Publicité Presco

MEMBRES DU CONSEIL

D’ADMINISTRATION DE LA SHFQ

Denis Robitaille, Ph. D., présidentLuc Bouthillier, ing. f., Ph. D., vice-présidentMylène Moisan,secrétaire-trésorièreJulie Fortin, ing. f., M. Sc., administratriceGérard Lacasse, administrateurGuy Lessard, ing. f., M. Sc., administrateur Martin Hébert, Ph. D., administrateur

COORDONNÉES

627, 14e rueQuébec ( Québec ) G1J [email protected] 640-1705

Printemps-été 2010, vol. 2, n° 2

SOMMAIRE

ESSENCE FORESTIÈRELes Canadiens et la feuille d’érable à sucre : portrait d’un symbolePar Patrick Blanchet et Martin Hébert

L’érable à sucre : grandeur et misères d’un feuillu noblePar Guy Lessard

RECHERCHELe chaulage des érablières : une technique pour maintenir

la représentativité de l’érable à sucre sur les sites peu fertilesPar Jean-David Moore, Rock Ouimet et Louis Duchesne

PIONNIER DE LA FORESTERIEEntrevue avec Miroslav GrandtnerPropos recueillis par Patrick Blanchet, Anne-Marie Lapointe et Myriam Landry

L’école Grandtner, un héritage précieuxPar Jean-Louis Blouin, Pierre Grondin, Gisèle Lamoureux et Pierre J. H. Richard

CHRONIQUE ANTHROPOLOGIQUELes pluies oubliéesPar Martin Hébert

LES ÉCRITS RESTENTL’érable à sucre ( 1928 )Par Fagot

CHRONIQUE D’OPINIONAller jusqu’au bout de la révolutionPar Éric Alvarez

p. 11

p. 20

p. 26

p. 32

p. 36

p. 38

p. 5

p. 41

du QUÉBEC

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4 HISTOIRES FORESTIÈRES

MOT DU DIRECTEUR GÉNÉRAL

Patrick Blanchet

Directeur général SHFQ

Je suis heureux de vous présenter, en ce printemps nouveau, notre numéro tout indiqué sur l’érable à sucre. Cette parution d’Histoires forestières du Québec est la dernière avant la sortie de notre premier livre intitulé Cent ans d’enseignement et de recherche en foresterie à l’Université Laval, de 1910 à nos jours, rédigé par l’historien Cyrille Gélinas. Je prends un peu d’avance pour vous souligner les mérites de ce livre unique et pour vous signaler l’offre de prévente qui vous sera envoyée d’ici la fin du mois de mai. La publication du livre est une des activités consacrées au 100e anniversaire de l’École forestière, auxquelles participe activement la SHFQ.

En effet, notre organisme s’implique sous différentes formes à cette commémoration, notamment par sa participation au dîner-bénéfice organisé par le doyen de la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique, M. Robert Beauregard, qui fut également un hommage mémorable aux fondateurs de Forêt Montmorency. C’est sous la présidence d’honneur de M. John Porter, ancien directeur général du Musée des beaux-arts du Québec, que s’est déroulée cette soirée qui a fait salle comble. La SHFQ est fière d’y avoir collaboré et, par conséquent, d’avoir mis en valeur l’initiative du premier forestier québécois, Gustave-Clodomir Piché.

Les festivités qui entourent le 100e nous incitent à promouvoir la préservation et la diffusion de la mémoire forestière au Québec et à agir en ce sens. L’équipe de la SHFQ travaille ardemment pour établir, dans cette visée, un observatoire sur la mémoire forestière dans un édifice patrimonial, dans lequel elle installera aussi ses bureaux administratifs. Nous avons d’ailleurs bien hâte de pouvoir vous y accueillir !

En attendant, bonne lecture.

4 HISTOIRES FORESTIÈRES

J. Weston, « Scènes de sucrerie », L’Opinion publique, vol. 11, no 17, p. 195 (22 avril 1880).

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PRINTEMPS-ÉTÉ 2010 - 5

LES CANADIENS ET LA FEUILLE D’ÉRABLE À SUCRE :

Par Patrick Blanchet, directeur général, Société d’histoire forestière du Québecet Martin Hébert, Ph. D., professeur d’anthropologie à l’Université Laval et administrateur de la SHFQ

PORTRAIT D’UN SYMBOLE

ESSENCE FORESTIÈRE

Les Canadiens viennent de traverser une période de grande effervescence nationale. Hôte des Jeux olympiques d’hiver, la ville de Vancouver a été inondée d’une véritable mer rouge de drapeaux unifoliés. Malgré la présence marginale du « Bigleaf Maple » ( Acer macrophyllum, Pursh ) indigène à la province, le nombre de feuilles d’érables imprimées pour l’événement a probablement représenté, pendant deux semaines, le plus gros peuplement du genre Acer de la Colombie-Britannique !

« Comment la feuille de l’érable à sucre, un arbre

pourtant écologiquement associé à l’Est du Canada,

en est-elle venue à jouer le rôle d’un symbole national unificateur ad mare usque

ad mare ? »

Les origines du gentilé

« Canadien »

Pour mieux comprendre le choix de l’usage de la feuille d’érable comme emblème des Canadiens, il est nécessaire, d’abord, de retracer l’origine de ce gentilé. Les premières mentions écrites du mot « Canadien » remontent à la Nouvelle-France. Elles permettaient alors de distinguer les natifs de la vallée du Saint-Laurent des coloniaux en provenance du Vieux Continent. En fait, l’appartenance aux territoires fut le premier trait distinctif du peuple canadien. À la suite de la Conquête anglaise et jusqu’au milieu du 19e siècle, les descendants des premiers colons français furent les seuls à être identifiés comme des Canadiens. À titre d’exemple, l’un des premiers romans à exposer les mœurs des Canadiens, écrit par Philippe-Joseph Aubert de Gaspé ( 1786-1871 ) en 1863, Les anciens Canadiens, décrivait une société d’origine française, de religion catholique et vivant sous l’ancien régime seigneurial. Les conquérants et les immigrants originaires des îles Britanniques étaient, quant à eux, identifiés en fonction de leur mère patrie sous l’ethnonyme « British ». Dans les années 1830, époque de grands tourments, les Canadiens choisirent un saint patron et une date pour célébrer leur nation en formation.

La feuille d’érable,

symbole de la fête de la

Saint-Jean-Baptiste !

Au moment de la fondation de la Nouvelle-France, les colons d’origine française soulignaient la fête de la Saint-Jean-Baptiste. Cette pratique remontait au moins jusqu’à l’époque antique où les peuples païens avaient comme tradition d’accueillir le solstice d’été en allumant de grands feux de joie.

Le « Bigleaf Maple » - Acer macrophyllum, Pursh - Foliage.

Tableau représentant la première célébration de la Saint-Jean-Baptiste à Montréal, en 1834.

Présentation d’un concours de la Société Saint-Jean-Baptiste. On peut voir que le symbole de l’érable est toujours, en 1910, un symbole canadien-français.

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6 HISTOIRES FORESTIÈRES

En 1834, inspirés par les Irlandais qui célébraient leur nation à la Saint-Patrick, des patriotes entreprirent de faire de la Saint-Jean-Baptiste une fête proprement nationale, célébrant le peuple canadien et introduisant, dans le processus, la feuille d’érable comme symbole identitaire :

« Après le repas, on « enlève la nappe », comme le veut une expression de l’époque, pour passer à la partie patriotique de la soirée. À la fin de son discours, Ludger Duvernay lance le célèbre toast en l’honneur du « peuple, source primitive de toute autorité légitime ». Ce faisant, il vient de doter le peuple canadien d’une fête nationale qui se perpétuera comme symbole de notre continuité historique, puisque la fête de la Saint-Jean était célébrée à Québec aux premiers temps de la colonie. À cette occasion, Duvernay aurait aussi proposé d’adopter la feuille d’érable comme emblème national du Bas-Canada1. »

Deux ans plus tard, le journal Le Canadien, dirigé par Étienne Parent, changea les emblèmes de sa première page pour l’agrémenter de la feuille d’érable et de l’image du castor. Dans le numéro où apparurent ces symboles, celui du 24 novembre 1836, les dirigeants du journal expliquaient ainsi

leur choix : « Ce frontispice n’a guère besoin d’explications : les emblèmes qu’il renferme sont tous faciles à comprendre. Le principal, la feuille d’Érable, a été comme on sait, adopté comme l’emblème du Bas-Canada, de même que la Rose est celui de l’Angleterre, le Chardon de l’Écosse et le Trèfle de l’Irlande ». Le journal portait alors comme devise « notre langue, notre foi et nos lois » représentant les intérêts de la communauté canadienne essentiellement francophone, ca- tholique et régie par le système seigneurial et les lois civiles françaises.

Un territoire, une nation,

un symbole

La feuille d’érable sembla un choix sensé pour symboliser cet attachement dans la mesure où la totalité de la population canadienne de l’époque était installée à l’intérieur de l’un des trois sous-domaines écologiques de l’érablière ( voir l’article de Miroslav Grandtner ). Les Montréalais et les nouveaux riverains de la région de l’Outaouais étaient établis dans l’érablière à caryer cordiforme, les Trifluviens et les Québécois,

dans l’érablière à tilleul, et quelques colons plus aventureux commençaient à défricher dans l’érablière à bouleau jaune. L’identification au territoire était un élément essentiel au nationalisme canadien du 19e siècle.

Pour un Canadien de l’époque, la nature était la forêt, la forêt était une érablière et dans l’érablière, l’érable à sucre était l’espèce la plus importante tant au niveau économique qu’esthétique. Jean-Charles Chapais, dans son Guide illustré du sylviculteur canadien publié en 1883, écrivait à son sujet :

« Nous voici arrivé à l’arbre le plus intéressant peut-être de notre pays. Les nombreux côtés utiles de cette essence, tels que l’excellence de son bois pour la menuiserie, l’ébénisterie et le charronnage, sa bonne qualité comme combustible, la précieuse propriété que possède sa sève à donner à peu près cinq pour cent d’un sucre d’une qualité supérieure, et la beauté sans rivale de son feuillage, l’ont fait adopter conjointement avec l’industrieux castor, comme emblême de la nationalité canadienne française2. »

Une sève protectrice

Si le bois d’érable fut utile et recherché, c’est manifestement la production de sucre qui distingua cette espèce de toutes les autres plantes forestières. L’érable est à la fois un produit agricole et un produit forestier, dualité à l’image de la nation d’agriculteurs et de forestiers dont faisaient partie les Canadiens. Qui plus est, si la forêt a toujours été un ennemi à combattre pour les défricheurs, l’érablière tint une place à part dans l’imaginaire forestier canadien. Le

1. Denis Monière, « Les deux fondations de la SSBJ », Le Devoir, 13 juin 2009.

2. Jean-Charles Chapais, Guide illustré du sylviculteur canadien, Montréal, Eusèbe Sénécal et Fils, 1883, p. 43.

Le Canadien, premier journal à utiliser la feuille d’érable en frontispice, le 15 novembre 1839.

Gravure illustrant les symboles de l’Association forestière de la province de Québec en 1890.

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roman d’Antoine Gérin-Lajoie ( 1824-1882 ), Jean Rivard, défricheur, publié pour la première fois en 1862 dans Les Soirées canadiennes, traduisait formidablement cette différence. Voici comment l’auteur décrivit la lutte de deux héros défricheurs contre la forêt :

« […] tous deux étaient armés en guerre, marchant ensemble contre l’ennemi commun ; cet ennemi, c’était la forêt qui les entourait, et à travers laquelle les deux vaillants guerriers devaient se frayer un passage. Les travaux de nos défricheurs n’étaient plus autre chose que des batailles sanglantes ; chaque soir on faisait le relevé du nombre des morts et on discutait le plan de la campagne du lendemain. Les morts, c’étaient les arbres abattus dans le cours de la journée ; les plus hauts étaient des généraux, des officiers ; les arbrisseaux n’étaient que de la chair à canon3. »

Mais un sort différent fut

réservé aux érables :

« À l’une des extrémités de la propriété de Jean Rivard se trouvait, dans un rayon peu étendu, un bouquet d’environ deux cents érables ; il avait dès le commencement résolu d’y établir une sucrerie. Au lieu d’immoler sous les coups de la hache ces superbes vétérans de la forêt, il valait mieux, disait Pierre, les faire prisonniers et en tirer la plus forte rançon4. »

La conservation d’érablières pour produire le sirop semble donc avoir profité à la sauvegarde de plusieurs boisés dans la vallée du Saint-Laurent. Elle aurait ainsi contribué à façonner les paysages qui allaient inspirer le choix d’un symbole national.

Un symbole pour deux

peuples fondateurs

Après les rébellions de 1837-1838, le mouvement national identitaire des Canadiens, dirigé par les patriotes, fut écrasé par le pouvoir en place. Toutefois, le mouvement eut pour conséquence l’élaboration de nouvelles constitutions, soit l’Acte d’Union en 1842 et l’Acte d’Amérique du Nord britannique en 1867. Graduellement, les natifs d’origine anglaise du pays commencèrent à s’identifier à ce territoire. L’idée des deux peuples fondateurs et de l’indépendance du Canada vis-à-vis du Régime britannique naquit dans le cœur de l’autre solitude. Chez les habitants du Haut-Canada se consolidait alors une identité propre, qui allait, elle aussi, prendre la feuille d’érable comme emblème.

Le premier usage de la feuille d’érable comme symbole identitaire au Canada anglais remonterait à 1848, dans une publication littéraire de Toronto, The Maple Leaf, qui la présentait comme l’emblème choisi pour représenter les deux Canada. Cent ans plus tard, la feuille d’érable sera officiellement consacrée unique symbole de la fédération canadienne.

La consécration officielle

du symbole canadien

Le 15 février 1965, des dignitaires de tout le Canada se réunirent sur la colline du Parlement, à Ottawa. Sur le coup de midi, le Canada devint, cette journée-là, le deuxième pays au monde, après le Liban, à utiliser une espèce forestière comme symbole de son identité nationale. On descendit le « Red Ensign », portant l’Union Jack britannique et l’écu des

3. Jean-Charles Chapais, Guide illustré du sylviculteur canadien, Montréal, Eusèbe Sénécal et Fils, 1883, p. 43.

4. Antoine Gérin-Lajoie, « Jean Rivard, défricheur », publié pour la première fois dans Les Soirées canadiennes, en 1862.

Feu à brimbale, technique ancienne de cuisson et de transformation de la sève d’érable en sucre.

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armoiries royales du Canada, pour y hisser l’unifolié canadien. Ce drapeau à la feuille d’érable, symbole de la minorité francophone depuis plus d’un siècle, avait été proposé par le premier ministre Leaster B. Pearson lui-même dans l’espoir d’offrir un plus grand sentiment d’appartenance en cette période d’effervescence identitaire des Québécois.

Au jour de l’inauguration, le président du Sénat de l’époque, Maurice Bourget, un Canadien français notoire, s’enorgueillit de ce que le nouveau drapeau représentait « sans l’ombre d’un doute » l’unité de la nation et de tous les citoyens du Canada « sans distinction de race, de langue, de croyance ou d’opinion ». Ironiquement, la date choisie pour hisser l’unifolié au mât du parlement canadien coïncidait avec une autre date, beaucoup plus sombre, de l’histoire du pays : celle de la pendaison, cent vingt-six ans plus tôt jour pour jour, de François-Marie-Thomas Chevalier de Lorimier et de quatre autres patriotes condamnés pour avoir lutté au nom de ceux qui, de leur temps, étaient les seuls à porter le nom de Canadiens.

On peut s’imaginer la surprise des initiateurs de la Saint-Jean-Baptiste de 1834 s’ils avaient appris qu’un jour le symbole national dont ils venaient de se doter figurerait au centre même du drapeau d’une majorité de descendants britanniques. Pour un œil averti, par contre, la « feuille d’érable » de l’unifolié est à peine reconnaissable. Elle n’a ni les lobes palmés et ni les sinus arrondis ( entre les lobes ) qui caractérisent la feuille de l’Acer saccharum. Les anciens Canadiens n’auraient probablement pas été surpris de constater que l’ambiguïté de la feuille d’érable comme symbole « canadien » se reflète jusque dans la morphologie même de la feuille représentée sur le drapeau actuel. Ils auraient compris que pour représenter une unité nationale largement imaginaire, il n’y a rien de mieux qu’une feuille largement imaginée.

« Les plaies de mon pays se cicatriseront après les malheurs de l’anarchie et d’une révolution sanglante. Le paisible canadien verra renaître le bonheur et la liberté sur le Saint-Laurent ; tout concourt à ce but, les exécutions mêmes, le sang et les larmes versés sur l’autel de la liberté arrosent aujourd’hui les racines de l’arbre qui fera flotter le drapeau marqué de deux étoiles des Canadiens. Je laisse des enfants qui n’ont pour héritage que le souvenir de mes malheurs. »

- De Lorimier, 14 février 1839, prison au Pied-du-Courant, à Montréal.

Le « Red Ensign », drapeau du Canada avant 1965.

François-Marie-Thomas Chevalier de Lorimier.

Pendant les rébellions de 1837-1838, le drapeau dit de « Saint-Eustache » ou de « Deux-Montagnes » flotta au moment de la bataille de Saint-Eustache, le 14 décembre 1837. On peut y voir de haut en bas un maskinongé au centre d’une couronne d’aiguilles et de pommes de pin. En bas de ce groupe d’icônes, un dernier symbole est présent, soit une branche de feuilles d’érable.

Le drapeau canadien : une feuille d’érable stylisée.

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5. Lucien Campeau, « Les origines du sucre d’érable », dans La Société des Dix, no 45 (1990), p. 55.

6. Ligon, Richard ( 1673 ) A true & exact history of the island of Barbadoes: illustrated with a map of the island, as also the principal trees and plants there, set forth

in their due proportions and shapes, drawn out by their several and respective scales: together with the ingenio that makes the sugar, with the plots of the several

houses, rooms, and other places, that are used in the whole process of sugar-making. [microfiche] Londres : Peter Parker et Thomas Guy.

QUELLE EST L’ORIGINE DU

SIROP D’ÉRABLE ? L’origine du sirop d’érable : Autochtones et Français à l’époque de la Nouvelle-France

L’historien jésuite, Lucien Comeau, est l’un de ceux qui a le plus creusé la question des origines du sucre d’érable. Selon lui, cette question reste posée depuis longtemps : « Comment a commencé l’exploitation du sucre d’érable ? ». Un témoignage de 1722 du Jésuite Joseph-François Lafitau ( 1681-1746 ) serait à l’origine d’une idée préconçue, celle que les Européens auraient appris des Amérindiens le procédé de production. Pour l’historien, ce témoignage seul ne peut certifier cette transmission, d’autant plus que la totalité de la très abondante littérature des Relations des Jésuites au 17e siècle ne traite jamais de ce procédé de transformation de la sève en sucre. En fait, la plupart des mentions relèvent que les Amérindiens connaissaient le goût sucré de l’eau d’érable qu’ils recherchaient, mais ne semblent pas avoir utilisé le procédé de production du sucre. L’historien explique : « Ce silence sur le sirop et le sucre d’érable, productions si spéciales du nouveau continent, ne serait pas naturel si ces aliments avaient déjà été connus et usuels avant 1672 […] tout compte fait, jusqu’en 1670, seule la connaissance de l’eau d’érable est établie, non la production du sirop et du sucre à partir d’elle. Le silence, sur une invention aussi remarquable, fait conclure à l’inexistence du procédé5. »

En contrepartie, les nations autochtones avaient les technologies appropriées pour réduire de petites quantités de sève en résine, notamment la sève de bouleau, pour fabriquer un adhésif permettant de fixer les pointes de flèches aux flèches elles-mêmes. Il est aussi fort probable que les Premières Nations « épaississaient » l’eau d’érable à l’aide de pierres chauffées déposées dans des récipients de céramique. Cependant, même si ce processus avait pour effet de rendre l’eau plus concentrée en sucre, le point d’ébullition nécessaire pour fabriquer le sirop ne pouvait être atteint de cette manière. Par ailleurs, le sucré n’a jamais été au goût des Amérindiens ; c’est une saveur très peu présente dans les diètes traditionnelles, à part dans les fruits consommés. La production du sirop d’érable, telle que nous la connaissons, est probablement une technique empruntée à la production de mélasse dans les Caraïbes. Dès le XVIIe siècle6, les colonies françaises de cette région possédaient déjà une industrie sucrière bien développée, fondée sur une plante, la canne à sucre, et des techniques millénaires importées d’Asie et du Moyen Orient. Des colonies françaises du sud vers celles du nord, le procédé consistant à produire de la mélasse en faisant bouillir l’eau tirée du pressage de la canne à sucre a pu se transformer en celui permettant la transformation d’eau d’érable en sirop.

« La fabrication du sucre d’érable au Canada », gravure publiée dans L’Opinion publique du 31 mai 1877.

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10 HISTOIRES FORESTIÈRES

197, boulevard St-MichelC.P. 1081Dolbeau-Mistassini (Québec) G8L 6A4Téléphone : 418.276.7557Sans frais : 1.877.631.2777Télécopieur : 418.276.1124

DENIS TROTTIERDéputé de Roberval

Porte-parole de l’opposition officielle en matière de mines et de forêtsCourriel : [email protected]

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PRINTEMPS-ÉTÉ 2010 - 11

L’ÉRABLE À SUCRE : GRANDEUR ET MISÈRES D’UN FEUILLU NOBLEPar Guy Lessard, ing.f., M. Sc., directeur de l’aménagement forestier durable et de la sylviculture, CERFO et administrateur de la SHFQ

ESSENCE FORESTIÈRE

Dans l’imaginaire populaire, l’érable à sucre est un feuillu unique et noble. Les érablières sont des endroits de choix pour la randonnée pédestre, la raquette, le ski de fond ou simplement pour la contemplation. Lorsque l’automne arrive, la gamme exceptionnelle de couleurs augmente l’achalandage des lieux récréatifs. Qui plus est, l’érablière contribue, d’un point de vue environnemental, à la captation de CO2, à la production d’oxygène ainsi qu’au contrôle de la température et de l’humidité en milieu périurbain et urbain. Les produits de l’érable, tout en comblant le palais des petits et des grands, représentent, quant à eux, une ressource lucrative et une richesse collective exportable. Le bois au teint clair de l’érable a longtemps été recherché pour la fabrication de meubles. Le bois et le charbon de l’érable sont reconnus pour leurs qualités combustibles, et sa feuille est devenue l’inspiration du symbole canadien, l’unifolié reconnu et apprécié sur plus d’un continent ( voir article de Patrick Blanchet et de Martin Hébert ).

Or, ce noble représentant de la flore canadienne entraîne bien malgré lui un dédale de complications pour qui désire l’aménager. Ce texte propose un tour d’horizon des diverses dimensions de la mise en valeur de cette fascinante ressource.

Une espèce bien établie

Alors que la zone feuillue ceinture la planète d’une large bande, dans le nord-est de l’Amérique du Nord, les érablières y occupent une place prépondérante. Au Québec, trois domaines bioclimatiques se succèdent du nord au sud : l’érablière à bouleau jaune, l’érablière à tilleul et l’érablière à caryer ( voir entrevue avec Miroslav Grandtner ). Les érables se seraient installés dans la vallée du Saint-Laurent, il y a environ 5 500 ans.

L’érable à sucre a une longévité moyenne de 80 ans, mais peut atteindre de 150 à 250 ans. C’est une espèce dite plastique, c’est-à-dire qu’elle peut s’adapter à des conditions variées. S’il y a un manque de lumière, les jeunes tiges peuvent attendre de nombreuses années avant de croître parce que l’érable tolère d’être à l’ombre. Et dès que la lumière pénètre dans le sous-bois, elles sont capables de rapidement prendre la relève. En général, l’érable à sucre a une grande facilité à se régénérer. Il installe sous couvert une importante banque de semis qui ont un cycle de vie de deux ans. Pour sa part, la graine, appelée disamare ( les « hélicoptères » ), possède la propriété de percer la coriace litière de feuilles et de permettre aux semis de s’installer.

L’érable à sucre est reconnu comme une espèce climacique, c’est-à-dire capable de présenter une certaine stabilité dans le temps, dans un milieu donné. Trois caractéristiques sont liées à cette capacité : sa longévité, sa tolérance à l’ombre et sa capacité à se régénérer sous couvert.

Habituellement, on trouve l’érable à sucre sur les pentes et les sommets des collines. Il occupe plus particulièrement les sols profonds, fertiles à texture moyenne et de modérément à bien drainés.

Régénération d’érables à sucre.Ré é é i d’é bl à

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12 HISTOIRES FORESTIÈRES

Les ennemis de l’érablière

Plusieurs insectes ou maladies affectent les érables, s’attaquant souvent aux arbres affaiblis ou blessés, dans une sorte de processus de sélection naturelle. On pensera, entre autres, aux perceurs de l’érable qui creusent des galeries horizontales juste sous l’écorce ou encore à ces chancres qui forment des cibles ou des nécroses du bois.

Le phénomène de ce dépérisse-ment, qui consiste en une diminution de la santé et de la vigueur des

érablières, a fait la manchette il y a quelques années ( voir article de Martin Hébert ). Ayant souvent été attribué aux pluies acides ou à un épisode hivernal exceptionnellement sans neige, entraînant alors la destruction des racines de surface par le gel, il serait en fait associé à la convergence d’une série de facteurs prédisposants, de facteurs déclencheurs et de facteurs aggravants. Le phénomène serait actuellement en régression au Québec, notamment par la disparition de cette convergence et par la diminution des pluies acides. Cependant, la capacité tampon des sols de plusieurs

érablières en serait affectée à la suite des années d’accumulation : certains correctifs sont proposés, dont le chaulage ( voir l’article de Jean-David Moore ).

Cette acidification des sols pourrait être corrélée au phénomène d’envahissement de certaines espèces au détriment de l’érable. Le cas le plus commun est l’envahissement du hêtre à

grandes dents. Certaines fougères, dont la Dennstaedtia en Estrie ou encore le sapin baumier, sont d’autres espèces envahissantes observées dans les érablières.

Envahissement d’un parterre par la Dennstaedtia punctilobula http ://williamcullina.com/files/Download/Dennstaedtia_punctilobula.jpg.

Chancre eutypéléen.

scdJ

CppcdCh t élé

D’autres menaces sont apparues au Québec et risquent maintenant de se propager avec l’augmentation des changements climatiques et à la suite de la croissance des échanges internationaux de biens et de services. On pense notamment aux insectes ou aux maladies, comme :

- le longicorne asiatique ;- l’agrile du frêne ;- le scolyte européen associé à la maladie hollandaise de l’orme ;- la spongieuse ;- le dépérissement du hêtre avec la cochenille ( dont le front, en provenance des États-Unis, avancerait de quelques kilomètres par année ).

Une dynamique de succession à deux

vitesses

Il existerait deux grands types de dynamique de succession dans les érablières. On reconnaît d’abord une dynamique de mortalité naturelle d’individus ou de petits groupes d’individus induisant la formation de trouées de diverses dimensions dans la canopée. Des Américains ont estimé un rythme annuel de renouvellement par cette dynamique de 0,5 % de la superficie d’une érablière. Mais il existerait également une dynamique de perturbations naturelles affectant de plus grandes superficies, tels les chablis ( renversement par le vent ), les épidémies d’insectes, le verglas ou même les incendies forestiers. Et ces perturbations majeures et dévastatrices sont essentielles à la régénération de tout un cortège de plantes, d’arbustes et d’arbres, par exemple le chêne rouge et le pin blanc qui dépendent du feu pour se régénérer. Cette variété de dynamiques crée une diversité de compositions et de structures qui font la richesse de l’écosystème. Les montagnes cuivrées, à l’automne, dans les collines au nord de Gatineau ou encore les grands massifs de pins blancs dans le Pontiac évoquent les brasiers dont ils sont issus. Cette disparité de perturbations et d’états oblige l’aménagiste qui serait attiré par un modèle de conduite de peuplement unique à varier le type d’interventions qu’il préconise.

Longicorne asiatique dont les plus récentes invasions ont pu être contrôlées grâce à l’intervention musclée de l’Agence canadienne de l’inspection des aliments.

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PRINTEMPS-ÉTÉ 2010 - 13

du bois : des minéraux comme la silice pénètrent dans l’arbre et forment des taches noires à la suite du sciage des billes. Non seulement les bois sont déclassés, mais la silice entraîne aussi une usure prématurée des dents de scie. Les causes du phénomène sont peu documentées, mais les zones où il apparaît sont de plus en plus connues.

Actuellement, la valeur des bois d’érable est faible, les marchés sont difficiles et, souvent, les autres espèces compagnes ont beaucoup plus de valeur. Ainsi, non seulement les préoccupations d’aménagement écosystémique, mais également les impératifs du marché, incitent à promouvoir la présence de différentes espèces en forêt. La présence du bouleau jaune, du cerisier tardif, du chêne et même du peuplier faux-tremble ou du peuplier à grandes dents contribue à l’augmentation de la valeur des érablières. La possibilité forestière à rendement soutenu de l’érable à sucre et de l’érable rouge est de 1 313 600 m3/an, ce qui représente une diminution de 26 % par rapport à la période précédant 20081. Différents facteurs ont expliqué cette réduction, notamment une croissance réelle plus faible qu’escomptée. De plus, la dispersion des peuplements récoltables rend la récolte économiquement peu viable.

Papiers et pâtes

Plusieurs compagnies forestières, comme Domtar, Tembec et Fraser Papers, utilisent la fibre d’érable pour produire des pâtes et papiers. Comme chez les autres feuillus, sa fibre est courte, favorisant un égouttage rapide et un bouffant supérieur. Si on la compare à d’autres fibres feuillues, elle est résistante à la compression. Elle a longtemps été utilisée pour la production de pâte Kraft blanchie qui sert à la fabrication de papier ménager, de carton, de papier couché pour publications de même que de papier spécial d’impression et d’écriture. De nouveaux marchés ont été développés pour des papiers destinés aux photocopieurs, des papiers à haut brillant, du papier photo, etc.

Mais notre industrie de transformation de pâtes et papiers provenant de feuillus doit maintenant tenir compte de nouveaux joueurs, notamment en Amazonie ( voir l’encadré ). La grande capacité des usines, les faibles coûts de main-d’œuvre et l’utilisation de plantations à croissance très rapide ( maturité en moins de dix ans ) en font de redoutables concurrents.

La production de bois d’œuvre :

un potentiel mitigé

L’érable à sucre produit un bois dur et lourd utilisé dans la fabrication de meubles, de planchers ou d’autres produits, comme les quilles ou les planches à découper. Le bois d’érable est remarquable par sa compacité, la finesse de son grain et la beauté de ses veines. Il est souvent utilisé dans la fabrication d’instruments de musique ( violons, guitares ) et de marqueterie. Certaines malformations du bois deviennent même décoratives, tels les mouchetures de l’érable piqué ( voir l’encadré ) et les dessins de l’érable ondé.

Plusieurs défauts affectent le bois d’érable. On trouve le cœur noir et le cœur étoilé, qui sont une coloration à la suite d’une blessure. Cette coloration n’affecte en rien les propriétés du bois, mais déclasse complètement sa valeur, alors que les marchés demandent de l’érable clair. Lorsque la coloration est causée par un champignon de carie de cœur, la qualité de la fibre est par contre affectée. La minéralisation affecte également la qualité

Le cas de l’érable piqué

Connaissez-vous l’érable piqué ? Il s’agit d’une malformation du bois d’érable, qui présente un aspect décoratif lorsque l’on scie le bois. Les recherches récentes ont éliminé la présence d’un champignon en renforçant les hypothèses d’une concentration d’hormones ( éthylène ) non expliquées pour l’instant.

Pendant plusieurs années, les billes de qualité présentant des mouchetures uniformes étaient vendues à fort prix, ce qui a malheureusement entraîné de nombreux cas de braconnage. Avec la baisse de la demande, la pression est moins forte sur la ressource. Le phénomène demeure à documenter.

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1. Calculée par le Bureau du forestier en chef pour la période 2008-2013.

Érablière à chêne rouge en automne.

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14 HISTOIRES FORESTIÈRES

Maintenant, beaucoup d’espoirs reposent sur l’utilisation de la cellulose dite « de spécialités » pour la fabrication de produits textiles, pharmaceutiques et chimiques industriels ainsi que pour celle des additifs alimentaires et des produits absorbants.

Produit de combustion

Le bois d’érable à sucre possède l’un des pouvoirs calorifiques les plus élevés parmi les espèces feuillues québécoises ( tout de suite après les champions que sont le chêne blanc et le caryer ovale ). Il génère en effet 29,7 millions de Btu par corde séchée à l’air, ce qui correspond à 8703 KW d’électricité ou 173 gallons d’huile. En plus de produire une combustion excellente, il libère une bonne odeur. Par contre, son allumage est médiocre, car il produit très peu d’étincelles. Son charbon est également recherché : il s’allume plus rapidement et facilement que la briquette et contient moins de substances chimiques, en plus de procurer un goût unique par la caramélisation des sucres naturels et des protéines. La venue des bois d’énergie ( éthanol cellulosique, granules, biomasse résiduelle ) utilisés pour la cogénération de même que pour le chauffage industriel et commercial est explorée.

L’or blond

Vous connaissez probablement le phénomène de coulée de la sève. Par la photosynthèse, les feuilles d’érables produisent des sucres. À la fin de l’été et au début de l’automne, ces sucres sont transformés en amidon et stockés dans les racines. Au printemps, l’alternance des conditions de gel la nuit et de dégel le jour, associée à la présence de neige au sol, provoque, pendant le jour, le flux de la sève en raison d’une importante pression positive à l’intérieur de l’arbre. Au cours de la journée, la pression décroît et la coulée ralentit, et la nuit, la pression devient négative.

L’industrie du sirop d’érable et d’autres produits dérivés occupe une place importante en foresterie. Cependant, les grands écarts de production d’une année à l’autre demeurent un haut facteur de risque pour la stabilisation des prix et des marchés. Au début des années 1970, les producteurs ont profité des nouvelles recherches scientifiques sur la collecte et la production. Grâce aux tubulures, aux techniques d’osmose inversée et à l’importante augmentation de la performance des évaporateurs, l’industrie est devenue beaucoup plus efficace. Une étude de 2005 mentionnait que les entreprises de taille moyenne ( plus de 5000 entailles ) ou de grande taille ( plus de 19 000 entailles ) sont plus compétitives.

Il faut quarante litres de sève pour faire un litre de sirop. La classification du sirop, sa qualité et surtout sa salubrité sont surveillées par l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Il est interdit, depuis 1991, d’utiliser les pastilles de paraformaldéhyde qui servaient, comme inhibiteurs de croissance ou agents de désinfection, à empêcher la cicatrisation hâtive des entailles pour allonger la période de coulée ( document fédéral ).

Parmi les produits de l’érable, on trouve le sirop, le beurre, le sucre et les bonbons. Plusieurs produits alimentaires utilisent l’érable comme aromatisant naturel ou édulcorant. Il est plus cher que les autres agents sucrants, mais comparable au miel. De nouveaux produits à valeur ajoutée apparaissent sur le marché, comme les alcools et liqueurs d’érable.

La menace amazonienne

Plusieurs pays autour de l’Amazonie ont développé, au cours des deux dernières décennies, leur capacité de production de pâte à partir de feuillus. On pense notamment au Brésil où l’État et la compagnie Anacruza approvisionnent maintenant les papetiers du monde entier en fibres d’eucalyptus. Anacruza est passée de 400 000 tonnes/an, au début des années 80, à 2 000 000 de tonnes/an, en 2002. Le consortium finlandais Metsä-Botnia dans l’ouest de l’Uruguay produit, quant à lui, 1 000 000 tonnes/an de pâte blanchie d’eucalyptus. Les fibres d’eucalyptus confèrent au papier un bouffant, une main, une opacité et une rigidité tout à fait remarquables pour un feuillu. Ces propriétés, alliées à une bonne blancheur, rendent la fibre d’eucalyptus vite incontournable pour les papiers à photocopies laser. La douceur et l’absorbance de ces mêmes fibres sont également largement recherchées pour la fabrication de la ouate destinée aux mouchoirs et aux papiers hygiéniques.

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PRINTEMPS-ÉTÉ 2010 - 15

Quelques chiffres sur la production

de sirop

Le Canada produit 85 % de la production mondiale de sirop d’érable. La grande partie de cette production est vendue en vrac. De 2000 à 2008, la valeur des exportations a plus que doublé, passant de 105,9 MM$ ( 25,5 Mkg ) à 233,7 MM$ ( 34,20 Mkg ). En 2008, la majorité des exportations sont dirigées vers le marché américain, mais l’Europe ( particulièrement l’Allemagne et le Royaume-Uni ) et l’Asie ( Japon et Corée ) occupent une place de plus en plus importante. Le Canada exporte maintenant dans 45 pays. De 2000 à 2005, le Québec a augmenté sa part d’exportation de 62 à 97 % par rapport à l’ensemble des exportations canadiennes ; suivent, nettement derrière lui, l’Ontario, le Nouveau-Brunswick et la Colombie-Britannique. La région de la Chaudière-Appalaches domine la production québécoise, suivie par le Bas-St-Laurent/Gaspésie, l’Estrie et la Mauricie/Centre-du-Québec.

Depuis 1990, un plan conjoint des producteurs acéricoles permet à la Fédération des producteurs acéricoles de réglementer et d’organiser la production et la mise en marché ( améliorer la commercialisation et le développement de nouveaux marchés, équilibrer la production et les besoins des marchés, etc. ). Avec le vieillissement des populations, des baisses de consommation sont anticipées, sauf dans les pays en émergence, particulièrement en Asie.

Les érablières et les produits forestiers

non ligneux

Parmi les productions liées aux érablières, il faut maintenant compter sur les produits forestiers non ligneux ( PFNL ) dans les considérations sur la productivité. Les PFNL regroupent les produits qui ne sont pas liés au bois des arbres : produits biopharmaceutiques et nutraceutiques ( suppléments alimentaires naturels ), produits alimentaires ou produits ornementaux manufacturés. On pense notamment au ginseng, au gingembre sauvage, aux champignons, comme les shiitakes ou les pleurotes, et à l’if du Canada ( célèbre pour la production de taxol utilisé dans la lutte contre le cancer ). L’Union des producteurs agricoles de la région Gaspésie– Îles-de-la-Madeleine a produit trente fiches descrip-tives, en collaboration avec le gouvernement du Canada, disponibles sur la toile. En Montérégie, un nouvel engouement s’est développé autour des arbres à noix. En effet, avec l’évolution des technologies de greffes et le développement de cultivars, une variété de noix peut être produite. Le développement de l’agroforesterie, c’est-à-dire les productions conjointes de plantes et d’arbres, est d’ailleurs en plein essor.

Les érablières et la faune

Les érablières abritent une diversité faunique étonnante. Cependant, puisque chaque espèce a ses propres besoins, cette diversité ne peut être maintenue que par la diversification des conditions d’abris et de nourriture. Il est donc nécessaire pour celui qui aménage la forêt de rechercher l’éventail de ces conditions favorables aux espèces.

Principaux marchés en 2008.

Asaret ou gingembre sauvage.

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16 HISTOIRES FORESTIÈRES

Actuellement, à l’échelle d’un paysage, le morcelle-ment et la diminution des massifs forestiers sont parti-culièrement décriés : les domaines vitaux diminuent, la connectivité entre les milieux naturels diminue, la quantité de chemins augmente, les forêts d’inté-rieur régressent. L’ensemble de ces modifications nuisent à certaines espèces qui, justement, nécessitent un grand domaine vital

( ours noir, loup gris, lynx du Canada ), ou exigent peu de dérangement ou peu de fragmentation du paysage, en raison de leurs faibles déplacements ( grand pola-touche, campagnol à dos roux de Gapper, salamandre tachetée ). À l’échelle du peuplement, on cherche aussi à restaurer, dans les érablières, certaines caractéristiques ( attributs ) nécessaires au maintien de la biodiversité, comme la présence de bois mort au sol, de chicots ou d’arbres à valeur faunique sur pied ( sites de nidification, d’abri ), d’arbres de grandes dimensions ( perchoirs, etc. ), une certaine variabilité des hauteurs et des diamètres des arbres, la régénération d’essences en régression, tels plusieurs feuillus nobles à fruits convoités par la faune, comme les chênes, le cerisier tardif, etc.

La salamandre tachetée

L’érablière est un endroit de prédilection pour plusieurs amphibiens, dont un amphibien fascinant et méconnu, la salamandre. Celle-ci se cache souvent dans des endroits frais et humides, comme sous les pierres ou autour de vieilles souches. Insectivore, elle préfère les larves, les petits vers et les petites limaces. Pour se défendre, la salamandre peut projeter

une toxine à partir de glandes situées sur son dos. La présence et l’abondance des salamandres constituent souvent de bons indicateurs de l’état de santé des sols des érablières ( acidification ou perturbation ).

Outre ces préoccupations de diversité faunique, le propriétaire d’érablières doit aussi gérer certains dommages liés à la faune. En acériculture, la présence

d’animaux sauvages peut engendrer des dégâts sur le matériel ( tubulures rongées par les rongeurs ou arrachées par les cervidés ). On peut nommer également le broutage des semis prévus pour le renouvellement de la forêt. De plus, les cerfs et les lièvres ont la fâcheuse habitude de préférer certaines espèces, comme le bouleau jaune et le chêne rouge, ce qui compromet particulièrement leur retour dans le peuplement puisqu’elles sont des espèces difficiles à régénérer dans les érablières. Pour les érablières en milieu rural, le bétail peut également entraîner certains dommages : compactage, broutage et piétinement.

Le défi de l’aménagement

et de la sylviculture des érablières

Comme évoqué précédemment, l’aménagiste doit rechercher une diversité de régimes sylvicoles lorsqu’il s’inspire de la dynamique naturelle. Certains peuplements d’érables peuvent être conduits de manière équienne ou régulière, du rajeunissement jusqu’à la maturité ( présence d’arbres du même âge et de mêmes dimensions ). Dans d’autres situations, il peut être particulièrement intéressant de maintenir une diversité d’âges ou de dimensions de tiges. On parlera alors d’une conduite en futaie jardinée ou d’une conduite en futaie irrégulière.

Une plantation d’érables à sucre de dix ans sur des terres à tabac de Norfolk, en Ontario, connaît une bonne croissance sans irrigation. Les arbres ont été transplantés au préalable d’un terrain boisé adjacent au début du printemps, quand leur diamètre était de 2,5 cm ( 1 po ) à hauteur de poitrine.

Pour varier les espèces, le dosage de la lumière constitue un outil sylvicole des plus performants. Ainsi, la diminution de la densité du couvert et la création de trouées ou même de lisières favorisent le recrutement d’espèces plus exigeantes en lumière que sont souvent les feuillus nobles, tels les chênes, les frênes, le cerisier tardif ou le bouleau jaune, et le pin blanc à titre de résineux. Il faut cependant respecter l’autécologie de l’espèce, comme le type de lit de germination ( souvent, un mélange d’humus et de sol minéral est nécessaire ), le cycle des années semencières, les distances de dispersion, la croissance juvénile, etc.

Le sylviculteur doit toujours repérer en premier les plus belles tiges des essences désirées. Sa première action sera de prélever les arbres gênants, ce qui permettra

Salamandre tachetée.

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PRINTEMPS-ÉTÉ 2010 - 17

de détourer les cimes d’avenir pour favoriser une croissance régulière en vue d’une production accrue de qualité ( éclaircie ). Il pourra en même temps compléter sa récolte par le prélèvement de tiges défectueuses, attaquées par les insectes, maladies ou matures ( amélioration du boisé ).

Dans les érablières où une variété de dimensions ou d’âges est souvent recherchée, un souci particulier doit être consenti à assurer le rajeunissement. En Franche-Comté, le sylviculteur professionnel recherche trois éléments dans la structure de tels peuplements : « la salle d’attente » ( régénération ), « les sprinters » ( jeunes tiges de petite et de moyenne dimensions en plein essor ) et « l’ossature » ( arbres matures ou près de la maturité servant de semenciers, de couvert protecteur ). Comme déjà mentionné, le problème d’envahissement de la régénération du hêtre est traité dans l’article de Jean-David Moore.

L’acériculture et la production de bois d’érable peuvent cohabiter. Il est proposé de synchroniser la récolte avec les changements de tubulure tous les quinze ans. Évidemment, la qualité des billes de pied est inévitablement affectée par les nécroses générées par la pose de chalumeaux. Un appauvrissement en espèces compagnes est souvent remarqué dans les érablières à production acéricole, le propriétaire ayant tendance à éliminer tout ce qui ne produit pas d’eau pour le sirop :

le maintien d’au moins 10 % d’espèces compagnes est recommandé, tant pour varier la production que pour augmenter la valeur des terres et enrichir la diversité végétale. Un autre phénomène est souvent observé dans les érablières acéricoles : leur vieillissement sans que des mesures suffisantes de rajeunissement soient mises en place, ce qui a pour conséquence d’engendrer des questionnements importants sur la pérennité de la ressource. Deux stratégies peuvent être explorées : l’ouverture du peuplement pour permettre la constitution d’une nouvelle cohorte de jeunes érables qui s’élèveront sous le couvert actuel ou encore l’affectation d’une portion de la terre ( ex. : un quart de la superficie par quarante ans ) pour faire l’objet d’un rajeunissement draconien afin de constituer un futur peuplement vigoureux de haute qualité ( rotation de superficies ).

Un travail professionnel

à ne pas négliger et à valoriser

Ce bref tour d’horizon des préoccupations, des objectifs et des composantes à prendre en compte pour l’aménagement des érablières exprime bien la

http://www.cerfo.qc.ca/index.php?id=19

La Loi sur la protection du territoire

agricole : un couteau à deux

tranchants

Cette loi a été instaurée afin de protéger la superficie du territoire destinée à la production agricole. Elle peut être particulièrement intéressante pour limiter l’expansion urbaine, mais cette protection peut entraîner de très curieuses aberrations. Il a déjà été possible de raser un boisé complet pour étendre du lisier de porc ou planter du maïs, alors qu’il n’était pas permis de reboiser une terre agricole pour restaurer un couvert forestier.

Par ailleurs, le propriétaire d’une érablière en zone agricole, utilisée ou non pour la production acéricole, doit maintenir un nombre minimal d’entailles en permanence et des règles très strictes sont imposées. Un peu comme un chirurgien qui n’aurait la possibilité d’utiliser qu’un type de bistouri, l’ingénieur forestier se trouve parfois limité dans les possibilités d’optimiser son action sylvicole.

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18 HISTOIRES FORESTIÈRES

complexité de la tâche de l’aménagiste qui doit définir les grandes stratégies d’aménagement ( objectifs et produits, moyens financiers, main-d’œuvre, équipement, choix et séquence des activités, impacts, etc. ) et de celle du sylviculteur qui, à l’échelle du peuplement, doit déterminer une conduite et des modalités d’intervention pour atteindre les divers attributs recherchés.

La culture et la production de ce feuillu noble qu’est l’érable à sucre et de ses essences compagnes nécessitent maintenant de profonds changements pour être plus performantes :

Changement de paradigmes dans la manière de traiter les érablières :

On ne doit plus chercher un traitement unique ( plus de traitements « one size fit all » ). Le jardinage n’est donc plus la seule manière de traiter une érablière, tant pour la production de matière ligneuse que pour la recherche d’une plus grande biodiversité, donc. Les conduites de peuplements en futaie irrégulière peuvent offrir plusieurs avantages, dont la création d’une diversité de hauteurs, d’âges et de façons de distribuer des tiges dans un peuplement.

L’acharnement thérapeutique doit être évité dans les secteurs avec peu de qualité sur pied ou peu de densité : dans certains cas, une coupe de régénération est peut-être la solution.

L’aménagement en futaie régulière est possible, par exemple par la réalisation de plantations en érable sur des friches.

Assouplissement des encadrements des actes professionnels et de la législation pour permettre aux ingénieurs forestiers et aux techniciens forestiers de mieux performer face à la complexité croissante des attentes, des préoccupations et des connaissances.

Renforcement des compétences de tous les intervenants pour les nouvelles approches holistiques, intégratrices et alliées au développement durable.

Harmonisation des conflits d’usage.

Exploration des nouveaux marchés, notamment celui des produits forestiers non ligneux.

Optimisation de l’utilisation des bois de moindre qualité et développement de nouveaux marchés pour ces bois ( bioénergie, papiers fins, produits cellulosiques, etc. ).

Remerciements

L’auteur tient à remercier Emmanuelle Boulfroy, André Thériault ainsi que Patrick Blanchet pour leurs précieux commentaires.

Références :

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http ://www.forestierenchef.gouv.qc.ca/fichiers/documents/contenu/resultats-

provinciaux.pdf

[page consultée le 16 mars 2010].

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CERFO et MRNF, 1996. Guide - Améliorez votre boisé : La récolte du bois de chauffage, un outil efficace. Brochure. Min. ISBN 2-550-25820-7. RN96-3035. 26 p.

Charbons de bois francs basques. Page d’accueil : http ://www.charbonbasques.

com/avantages.php. [page consultée le 16 mars 2010].

DESSUREAULT, M., 1985. « Le Dépérissement des arbres : nature, causes et

mécanismes », Phytoprotection, vol. 66 : 71-81.

Domtar [page consultée le 16 mars 2010]. http ://www.domtar.com/fr/pate/

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Réimpression 1998. Rapport d’information LAU-X-92F1990.

JULIEN, S.-S. et D. RICHARD, agroéconomistes, 2006. Monographie de l’industrie acéricole au Québec. Direction des études économiques et d’appui aux filières

du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec.

ISBN-13 : 978-2-550-78978-9 ; ISBN-1- : 2-550-78978-4. 56 p.

MRNF ( en préparation ). Guide sylvicole provincial et fiches d’autécologie des

espèces préparées par le CERFO.

Ressources naturelles Canada, Service canadien des forêts, gouvernement du

Québec, ministère des Ressources naturelles, ministère de l’Agriculture, des

Pêcheries et de l’Alimentation 1995. L’érable à sucre : caractéristiques, écologie et aménagement.

RIOUX, D., 2006. « L’érable piqué : une question d’hormone ? » CFL L’Éclaircie, no 30,

2 p. http ://cfs.nrcan.gc.ca/nouvelles/407 [page consultée le 16 mars 2010].

ROY, M.-È., MCCULLOUGH, V., FORGET, É. et F. DOYON, 2009. La détermination des enjeux écologiques régionaux liés à la mise en oeuvre de l’aménagement écosystémique sur le territoire des unités d’aménagement forestier 064-52 et 061-51.

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PRINTEMPS-ÉTÉ 2010 - 19

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20 HISTOIRES FORESTIÈRES

Par Jean-David Moore, Rock Ouimet et Louis Duchesne

LE CHAULAGE DES ÉRABLIÈRES :

Des travaux effectués par des chercheurs de la Direction de la recherche forestière du ministère des Ressources naturelles et de la Faune montrent que le chaulage1 favorise la régénération de l’érable à sucre et améliore la vigueur des arbres à maturité. À ce jour, le chaulage demeure l’outil sylvicole le plus prometteur pour maintenir la représentativité de cette essence dans les érablières situées sur des stations acides et peu fertiles2.

INTRODUCTION

Au cours des années 1980, les forestiers ont observé que plusieurs érablières au Québec présentaient des symptômes de dépérissement ( figure 1 ). Ils ont alors noté que le feuillage des érables à sucre ( Acer saccharum, Marsh. ) était soudainement moins

abondant et que les arbres semblaient en mauvaise santé. Malgré la diminution de ces symptômes dans de nombreuses érablières au cours des dernières années, certaines ont continué à dépérir. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer l’apparition de ces symptômes pendant cette période : le statut nutritif déficient de l’érable à sucre, les défoliations par les insectes et les évènements climatiques extrêmes ( Bernier et al., 1989 ; Payette et al., 1996 ). Bien qu’un ou plusieurs de ces facteurs aient pu contribuer à l’apparition soudaine des symptômes de dépérissement au cours de cette période, les dernières études effectuées au Québec ont montré que la perte de croissance et de vigueur de certaines érablières a été initiée une à deux décennies avant l’apparition des symptômes visuels et que les précipitations acides ont joué un rôle majeur dans leur apparition. En effet, l’acidité des précipitations a accéléré la perte de calcium et de magnésium de ces sols déjà très acides et peu fertiles ( Houle et al., 1997 ). Les travaux de recherche, menés sur le dépérissement des érablières dans le nord-est de l’Amérique du Nord, ont permis de conclure qu’une carence en calcium du sol était l’une des principales causes à l’origine de la baisse de croissance et du dépérissement de l’érable à sucre depuis plus d’une quarantaine d’années ( Duchesne et al., 2002 ; Duchesne et al., 2003 ; Long et al., 2009 ).

Ainsi, dans le contexte du dépérissement de l’érable à sucre sur les stations acides et peu fertiles, une étude de chaulage a été entreprise en 1994. Le but de cette étude était de : 1 ) démontrer le lien entre les carences en calcium et en magnésium du sol et la faible vitalité des érables à sucre en régénération et à maturité et 2 ) documenter la réaction à long terme ( ~10 ans ) de cette espèce au chaulage.

UNE TECHNIQUE POUR

MAINTENIR LA

REPRÉSENTATIVITÉ

DE L’ÉRABLE À SUCRE SUR LES SITES PEU FERTILES

Figure 1. Symptômes visuels de dépérissement de l’érable à sucre.

20 HISTOIRES FORESTIÈRES

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PRINTEMPS-ÉTÉ 2010 - 21

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Pour les besoins de l’étude, 98 érables à sucre ( 14 érables non chaulés et 12 arbres pour chacune des sept doses de chaux ) ont été sélectionnés dans une érablière adjacente à la station expérimentale du bassin versant du lac Clair ( Duchesnay ) dans les Basses-Laurentides, située à environ 50 km au nord-ouest de la ville de Québec. De la chaux dolomitique ( CaMg( CO3 )2 ), un produit riche en calcium et en magnésium, a été appliquée manuellement à différentes doses ( 0, 0,5, 1, 2, 5, 10, 20 et 50 tonnes/ha ) sur un rayon de cinq mètres autour de chaque érable. Des échantillons de sol, de feuillage et des barrettes de bois ont été prélevés au cours de l’étude afin de déterminer le statut nutritionnel et la croissance des érables. Le pourcentage de feuillage manquant dans la cime des érables a aussi été évalué. Les tiges en régénération ont été dénombrées en 2005, à l’intérieur de la zone chaulée sous les érables, et leur diamètre au collet ainsi que leur hauteur ont été mesurés. Finalement, l’interception de la lumière par les arbres et la quantité de lumière qui atteint le sol ont été mesurées à l’aide d’un appareil conçu à cette fin. La méthode détaillée est décrite dans Moore et Ouimet ( 2006 ) et Moore et al. ( 2008 ).

RÉSULTATS

Amélioration de la fertilité du sol de

l’érablière

Les principaux indicateurs de fertilité des premiers 20 cm des sols chaulés ( pH, calcium et magnésium échangeables ) étaient toujours à des niveaux plus élevés que ceux des sols non chaulés, dix ans après le chaulage. Le traitement a eu peu d’effet à plus de 20 cm de profondeur. Ces résultats démontrent l’effet bénéfique et durable d’une application unique de chaux dolomitique sur la couche de sol où se trouve une bonne partie des racines responsables de la nutrition de l’érable à sucre.

Amélioration de la nutrition et de la

vigueur des cimes

Les résultats des analyses chimiques du feuillage des érables échantillonnés avant le traitement ( 1994 ) et de celui des érables non chaulés ( 1995 à 2004 ) ont confirmé une carence en calcium et en magnésium

( figure 2 ). De plus, ces analyses ont montré que les concentrations de ces deux éléments dans le feuillage des érables non chaulés sont à la baisse

depuis 1998. Toutefois, l’ajout de chaux dolomitique au sol a eu un effet bénéfique à long terme sur la nutrition des érables, puisque les arbres ainsi traités avaient une concentration foliaire en calcium de 21 à 108 % et en magnésium de 39 à 215 % plus élevée que celle des arbres non chaulés, dix ans après l’application de la chaux dolomitique. Depuis 1998, on constate cependant une baisse plus marquée des concentrations foliaires en calcium et magnésium des érables ayant reçu de faibles doses de chaux comparativement à ceux ayant reçu de fortes doses.

La proportion de feuillage manquant évaluée sur les érables non chaulés en 2004 a doublé depuis le dernier mesurage effectué en 1998 et a quadruplé

Figure 2. Concentrations foliaires en calcium et en magnésium de l’érable à sucre avant le chaulage ( 1994 ) et après le chaulage ( 1995-1998, 2002 et 2004 ) et leur seuil critique de santé ( 0,6 % pour le calcium et 0,12 % pour le magnésium ). Pour alléger la figure, seules les doses de 0, 1, 2, 5 et 20 tonnes par hectare sont représentées.

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22 HISTOIRES FORESTIÈRES

depuis celui fait en 1995, alors que la progression de ce symptôme de dépérissement a été enrayée pour les arbres chaulés ( figure 3 ). Bien que le statut nutritionnel en calcium et en magnésium des érables soit, en général, fonction de la dose de chaux reçue, pareil constat ne peut être fait pour le dépérissement, alors que les résultats montrent un effet similaire de la chaux, et ce, peu importe la dose appliquée.

Amélioration de la croissance

En 2004, soit dix ans après le traitement, la chaux ajoutée influençait toujours positivement la croissance de l’érable à sucre ; la croissance des érables traités était en moyenne 96 % plus élevée que celle des érables non chaulés ( figure 4 ). De plus, on constate que le chaulage effectué à l’automne 1994 a permis d’accentuer le taux de croissance des érables, comparativement à celui présenté entre 1970 et 1994. Ces résultats confirment donc l’effet bénéfique à long terme du chaulage sur la croissance de l’érable à sucre. Toutefois, comme dans le cas des symptômes de dépérissement, les résultats montrent un effet similaire de la chaux sur la croissance des érables, et ce, peu importe la dose appliquée.

La progression du dépérissement de la cime et la diminution de croissance des érables à sucre non chaulés ne peuvent être expliquées par une quelconque perturbation naturelle, comme la défoliation par les insectes ou les dommages causés par le gel ou la glace, étant donné qu’aucun de ces phénomènes n’est survenu à Duchesnay au cours de la période d’étude. De plus, bien que deux épisodes de sécheresse ( 1995 et 2002 ) soient survenus durant cette période, aucun de ces épisodes n’était de forte intensité. Nos résultats suggèrent plutôt que les sols de Duchesnay ont atteint un seuil critique de faible fertilité, issu de l’effet combiné d’une faible qualité de sites et de l’occurrence des dépôts acides, ce qui a conduit à une baisse de vitalité de l’érable à sucre, sans manifestation de facteurs déclenchants. Les résultats obtenus confirment donc le lien entre la diminution de la fertilité du sol et la baisse de vitalité de l’érable à sucre à Duchesnay.

Amélioration de l’état de la régénération

en érable à sucre

L‘étude a aussi démontré que l’amélioration de la vigueur des cimes des érables chaulés était accompagnée d’une plus grande interception de la lumière et, par conséquent, d’une baisse d’environ 75 % de la luminosité au sol par rapport aux érables non chaulés.

Figure 3. Pourcentage de feuillage manquant de l’érable à sucre de 1994 à 2004, selon le taux de chaux dolomitique.

Figure 4. Carotte de bois montrant l’effet du chaulage, réalisé en 1994, sur la croissance radiale d’un érable à sucre ( à droite du point rouge ) ayant reçu une dose de chaux de deux tonnes à l’hectare. L’année du chaulage est indiquée par un point rouge.

22 HISTOIRES FORESTIÈRES

Figure 5. Régénération sous un érable à sucre ayant reçu un traitement de chaux dolomitique.

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PRINTEMPS-ÉTÉ 2010 - 23

L’amélioration de la fertilité du sol, conjuguée à la baisse de la luminosité au sol, a eu un effet bénéfique sur la régénération de l’érable à sucre ( figure 5 ). En effet, la proportion de cette essence est passée de 60 % sous les érables non chaulés à plus de 95 % sous les érables ayant reçu un traitement de 20 tonnes/ha. À l’opposé, la proportion du hêtre en régénération a diminué, passant de 13 % sous les érables non chaulés à 3 % sous les érables ayant reçu un traitement de 20 tonnes/ha. Nos résultats suggèrent que les améliorations observées, pour la régénération de l’érable à sucre, sont liées à une meilleure fertilité du sol plutôt qu’aux conditions de luminosité ( Moore et al., 2008 ).

Considérations relatives à la composition

forestière et à l’aménagement forestier

À la lumière des résultats de cette étude, il est peu probable que le déséquilibre nutritionnel des érables observé à la forêt de Duchesnay soit temporaire. En effet, l’érable à sucre est une essence relativement exigeante en éléments nutritifs et préfère habituellement des sols riches et fertiles. Cependant, avec ses sols acides et pauvres en cations basiques, les conditions édaphiques de Duchesnay sont tout autres. De plus, les dépôts atmosphériques en cations basiques sont très faibles, alors que leur perte par drainage est élevée ( Houle et al., 1997 ). Ce déséquilibre nutritionnel risque alors d’engendrer un changement de la composition de la forêt en favorisant des espèces moins exigeantes en calcium. D’ailleurs, il a été démontré que la diminution du calcium dans le sol de l’érablière, et son influence

sur la régénération, peuvent provoquer une diminution importante de la dominance de l’érable à sucre dans le couvert forestier au cours d’une seule rotation ( Kobe et al., 2002 ).

Contrairement à ce qui a été observé pour l’érable à sucre, l’absence de réaction positive du hêtre à grandes feuilles ( Fagus grandifolia, Ehrh. ), en ce qui a trait à la croissance et à la régénération, à la suite de l’ajout de chaux ( Long et al., 1997 ; Moore et al., 2008 ), ainsi que l’absence de symptômes de dépérissement à grande échelle de cette essence, laissent penser que le hêtre n’est pas autant limité par une faible fertilité des sols. Des études réalisées récemment suggèrent d’ailleurs que les précipitations acides, par leurs effets sur la fertilité du sol conjugués à la baisse de vigueur de l’érable, sont à l’origine de l’augmentation importante des jeunes tiges de hêtre observée dans certaines érablières du nord-est de l’Amérique du Nord au cours des dernières décennies ( figure 6 ; Jenkins, 1997 ; Duchesne et al., 2005 ; Duchesne et Ouimet, 2009 ). La faible vigueur des érables à sucre, combinée à l’augmentation des jeunes tiges de hêtres en sous-étage dans les érablières situées sur des sols peu fertiles, laisse croire que la proportion de hêtres augmentera de façon marquée dans le couvert forestier, au détriment de l’érable à sucre ( Duchesne et al., 2005 ; Duchesne et Ouimet, 2008 ; Duchesne et Ouimet, 2009 ), si aucune action n’est prise pour prévenir les carences observées dans le sol de ces forêts. Il s’agit d’une situation préoccupante pour les aménagistes puisque la valeur économique de l’érable à sucre est beaucoup plus élevée que celle du hêtre. Renverser ces changements représente un défi de taille pour assurer la pérennité de l’érable à sucre dans plusieurs écosystèmes soumis aux précipitations acides. Dans ce contexte, le chaulage apparaît comme un traitement prometteur si l’on veut favoriser la régénération de l’érable à sucre et limiter la progression du hêtre.

Pour les acériculteurs dont les érablières se trouvent sur des sols acides et peu fertiles, l’amélioration de la vigueur des érables à sucre à la suite du chaulage ne pourrait être que bénéfique. Ainsi, bien que les paramètres d’un éventuel traitement opérationnel ne soient pas encore entièrement connus ( ex. : coûts et méthodes d’application ), notre étude indique qu’une application de deux tonnes de chaux à l’hectare est suffisante pour améliorer de façon notable la vigueur des érables. L’ampleur de la réaction des érables, dix ans après le chaulage, laisse présager que l’effet de ce traitement se poursuivra encore plusieurs années.

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24 HISTOIRES FORESTIÈRES

L’application d’amendements pourrait, par exemple, être répétée tous les quinze à vingt ans, lors du renouvellement du système de tubulure.

Même si l’ajout de calcium et de magnésium favorise la régénération d’érables à sucre et améliore la vigueur des érables à maturité ( Moore et Ouimet, 2006 ; Ouimet et al., 2008 ), il est fort probable qu’il soit insuffisant pour assurer la dominance de la régénération de cette essence en présence d’une forte régénération de hêtres préétablie. Dans ces conditions, le contrôle mécanique des jeunes tiges de hêtres s’avérerait nécessaire pour assurer le libre développement de l’érable à sucre à la suite du chaulage. Une étude sur l’efficacité de la combinaison de ces deux traitements est en cours, tout près du dispositif de chaulage que nous avons étudié, et elle devrait nous éclairer davantage à ce sujet dans un avenir rapproché.

NOTES

1. Le chaulage est une pratique souvent utilisée en agriculture pour corriger les problèmes d’acidité du sol. Il permet également d’amender ce dernier en calcium et en magnésium.

2. Il est essentiel d’effectuer une analyse du sol et du feuillage avant d’entreprendre un programme de fertilisation ou de chaulage. Cette précaution permet de prévenir le déséquilibre du statut nutritif des arbres susceptible de survenir à la suite de l’ajout de nutriments non limitatifs.

Références

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Figure 6. Cohorte de jeunes tiges de hêtres dans une érablière dépérissante de Duchesnay.

Les auteurs sont ingénieurs forestiers et chercheurs scientifiques à la Direction de la recherche forestière du ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec. Pour de plus amples renseignements, vous pouvez communiquer avec Jean-David Moore à : [email protected].

NNOOTTEESS

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PRINTEMPS-ÉTÉ 2010 - 25

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en économie forestière et en transformation des bois

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26 HISTOIRES FORESTIÈRES

PIONNIER DE LA FORESTERIE

MIROSLAV GRANDTNER

29 février 2010. Entrevue réalisée avec la collaboration de Anne-Marie Lapointe et de Myriam Landry, étudiantes en anthropologie de l’Université Laval et stagiaires à la SHFQ.

SHFQ : Pouvez-vous préciser l’origine de vos premiers contacts avec l’environnement forestier ?

M.G. : Je suis né en Slovaquie, le 23 août 1928, où j’ai passé ma jeunesse dans une forêt de l’État qui s’appelait la forêt de Benkovo, située dans le massif des Basses Tatras, un des deux principaux massifs montagneux de la Slovaquie. De cette jeunesse, je retiens une expérience d’isolement dans notre « maison forestière » qui servait de résidence à mes parents. Mon père était alors gestionnaire de ce district forestier de Benkovo.

SHFQ : Quelle était la responsabilité de votre père ?

M.G. : Le district, dont la responsabilité de gestion revenait à mon père, était une portion d’un plus grand massif forestier d’État. Mon père n’était pas ingénieur forestier, mais un forestier d’expérience qui a progressivement gagné ses galons. C’était donc un forestier d’expérience et un administrateur de cette forêt, responsable notamment de son aménagement, de sa sylviculture, de son exploitation, ainsi que de la chasse et de la pêche, qui s’y pratiquaient.

SHFQ : Vous avez développé, à cette époque, un très grand intérêt pour le milieu forestier ?

M.G. : Dans ma jeunesse, je n’avais pas beaucoup d’amis. Non pas à cause d’un mauvais caractère, mais parce qu’il n’y avait aucun voisin et aucune personne de mon âge avec qui me lier d’amitié. C’est l’environnement qui me servait en quelque sorte de contact, et dans l’environnement, les deux éléments principaux étaient la faune et la flore. Et avec cela, j’avais beaucoup de possibilités d’échanger ! C’est ainsi que je me suis vite rendu compte que la forêt était un environnement extrêmement riche, diversifié et qui méritait d’être bien connu, bien administré, non seulement pour rester en bon état de fonctionnement, mais aussi pour profiter à la nation qui en était responsable.

PRÉSENTATION

De 1958 à 1993, M. Grandtner a été professeur et chercheur de botanique, d’écologie et de foresterie internationale à la Faculté de foresterie et de géomatique de l’Université Laval et conseiller scientifique, collaborateur, coordonnateur ou responsable de projets gouvernementaux liés à l’écologie et à la foresterie, tant au niveau canadien qu’international. Le grand apport de Miroslav Grandtner à la foresterie québécoise est d’avoir ajouté une perspective dynamique à la compréhension des écosystèmes forestiers en montrant que les groupements végétaux qui les constituent évoluent par successions, afin de parvenir à leur plein potentiel : le climax. Les applications de cette connaissance en foresterie ont pour fonction d’aménager la forêt à partir d’une plus grande compréhension des mécanismes naturels et d’aider les forêts situées aux stades inférieurs à atteindre leur plein potentiel, plus productif du point de vue économique. M. Grandtner, en plus de se consacrer à la classification des groupements forestiers, fut le premier à produire des cartes dites phytodynamiques représentant le stade actuel et le stade potentiel d’une forêt. En 1994, l’Université Laval lui décerna le titre de professeur émérite et, en 2001, il reçut un doctorat honoris causa de l’Université de Zvolen, en plus de nombreux autres hommages et récompenses à travers le monde. Maintenant âgé de 81 ans, M. Grandtner se rend tous les jours à son laboratoire de la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique, afin de terminer son dernier opus : le Dictionnaire mondial des arbres. Cette oeuvre est une étude quantitative de la biodiversité taxonomique mondiale des arbres et de sa répartition continentale. L’objectif de M. Grandtner est de transmettre une connaissance actuelle de la biodiversité des arbres et d’établir ainsi une base comparative pour son suivi à l’échelle planétaire, dans le contexte du réchauffement climatique appréhendé.

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PRINTEMPS-ÉTÉ 2010 - 27

SHFQ : Vous avez, par la suite, entamé des études en foresterie ?

M.G. : Oui, j’ai fait mes études secondaires supérieures dans une école technique de foresterie. En 1948, après ce qu’on appelait, « l’examen de maturité », c’est-à-dire la dernière année des études secondaires, je suis allé à l’université poursuivre mes études à la Faculté de foresterie de Kosice.

SHFQ : Après la Seconde Guerre mondiale, la Slovaquie est tombée sous le joug d’un régime politique communiste ; est-ce que ce fut une période plutôt difficile pour vous ?

M.G. : J’ai fait un peu plus de deux ans en foresterie. Chaque matin, nous avions des rencontres politiques obligatoires, à la faculté, pour discuter de l’idéologie. Je fus rapidement stigmatisé comme un ennemi du régime et les responsables décidèrent que je devais aller me rééduquer parce que j’avais encore des choses à apprendre des travailleurs, du prolétariat. La fonction de mon père et mon attitude critique faisaient de moi, d’office, un ennemi. On a vite compris que mes idées et leurs idées étaient très différentes. On a alors décidé de m’expulser de l’université et m’obliger à faire des travaux forcés. Donc, au lieu de gérer une forêt, je me suis retrouvé à couper des arbres. Je n’avais rien contre le travail manuel, mais je pouvais faire plus et ça m’a forcé à quitter mon pays.

SHFQ : Par quel moyen ?

M.G. : En partie en train, jusqu’à proximité d’une zone frontalière surveillée de la Bohème et à partir de là, à pied, à travers ce qu’on appelait à l’époque le « rideau de fer ».

SHFQ : J’imagine que vos connaissances du milieu forestier, de la forêt, acquises depuis votre enfance, vous ont aidé dans votre fuite ?

M.G. : Bien entendu, mais pas seulement mon expérience d’enfance. J’avais déjà une vingtaine d’années et davantage lorsque j’ai commencé l’université, et entre mon enfance et cette époque, j’ai toujours vécu en forêt, avec des préoccupations forestières. Donc, oui, effectivement, ma connaissance de la forêt m’a permis de réussir à quitter le pays et à traverser l’Autriche, et ensuite l’Allemagne, pour enfin aboutir en Belgique.

SHFQ : La Belgique, était-ce par choix ?

M.G. : Oui, par choix, parce que j’ai appris, en Allemagne, d’un jeune étudiant slovaque, originaire de la région proche de la forêt de Benkovo, qu’en Belgique, il y avait déjà des étudiants d’origine slovaque, à l’Université de Louvain, qui avaient été bien accueillis et à qui l’Université avait trouvé des bourses des Nations Unies afin qu’ils puissent poursuivre leurs études. Donc, avec ce nouvel ami, nous avons continué à traverser d’autres frontières, toujours de manière illégale, car nous n’avions pas de passeport ni de visa. Il fallait se débrouiller comme on pouvait, sans perdre la vie. De cette façon, je me suis finalement rendu en Belgique où encore là, il fallait survivre. Après un certain temps, j’ai décidé de gagner ma vie en le faisant selon les lois de l’époque en Belgique qui interdisaient aux étrangers de faire autre chose que du travail au fond des mines de charbon. C’est comme cela que j’ai été amené à travailler dans une mine pendant un certain temps et finalement à apprendre le français et à recommencer mes études.

SHFQ : Alors vous avez donc repris vos études en foresterie ?

M.G. : J’ai repris mes études en foresterie parce que l’Université de Louvain a reconnu mes deux années d’études en Slovaquie ; j’ai donc été directement admis en troisième année, dans une formation de cinq ans. C’est là que j’ai obtenu mon diplôme d’ingénieur des eaux et forêts.

SHFQ : À partir du moment où vous obtenez votre diplôme, comment se fait la transition vers le Québec ?

M.G. : Au début, mes professeurs ont reconnu une certaine capacité chez moi et m’ont procuré du travail dans le domaine de la recherche ; ils m’ont aussi trouvé des stages à l’étranger. Je suis allé en Allemagne et en Espagne. En Belgique, ce qu’on m’offrait, c’était du travail de six mois sur douze. Pour les autres six mois de l’année, je devais aller travailler au Congo belge, qui était à ce moment-là une colonie de la Belgique. Or, si la liberté était importante pour moi, elle l’était aussi pour les autres. Aller travailler dans une colonie était contre mes principes. Donc je me suis mis à chercher un pays qui n’avait pas de colonies. Le Canada n’en avait pas et le Québec était francophone. Je me suis orienté vers cette source de liberté.

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28 HISTOIRES FORESTIÈRES

SHFQ : Vous avez fait des rencontres ?

M.G. : Tout d’abord, ce qui m’a aidé à prendre la décision de venir au Québec, c’est le contact d’un de mes professeurs belges avec l’écologiste Pierre Dansereau. Cette relation n’a cependant pas abouti, vu que Pierre Dansereau était à l’époque sous-directeur du Jardin botanique de New York. Une fois rendu à Montréal, des connaissances m’ont mis en contact avec un ingénieur forestier de la Canadian International paper : Félicien Rivard. Monsieur Rivard a alors jugé qu’un travail dans le secteur forestier, sans une connaissance de la forêt québécoise, n’était pas à propos et que j’avais intérêt à être formé préalablement à la Faculté d’arpentage et de génie forestier de l’Université Laval. J’ai alors rencontré le doyen de l’époque, Louis-Zéphirin Rousseau. M. Rousseau était un forestier à la confluence d’un monde ancien et nouveau. Il me racontait comment il partait jadis avec son traîneau de chiens, l’hiver, son sac de farine et de sel et un fusil pour avoir de temps en temps de la viande fraîche. Cette époque était cependant révolue au moment où moi j’arrivais. Il m’éclairait alors de sa longue expérience du terrain et de ses grandes qualités de botaniste forestier. Dès mon arrivée, la première ou la deuxième journée après l’avoir rencontré, nous étions déjà à la chute Montmorency à herboriser des plantes qui vivaient sur les falaises. C’est donc avec lui que j’ai eu ma première initiation à la flore du Québec. Au même moment, il m’orienta vers le professeur André Lafond. Grâce à une offre du Fonds de recherches forestières de l’Université Laval, j’ai rejoint une équipe dont le travail consistait à étudier les terres abandonnées du Québec, les terres dites « marginales » qui avaient été cédées pour la colonisation, mais dont le potentiel n’était pas agricole. Ces terres, tombées à l’abandon, le Fonds de recherches voulait mieux les connaître pour les retourner à la forêt. Après un premier été

de travail avec Gilles Ladouceur, responsable de ce projet et avec qui j’ai publié, en 1961, les résultats de nos recherches sous le titre Les terres à reboiser du Québec méridional, je me suis inscrit à la maîtrise, sous la direction d’André Lafond, en écologie forestière. Mon terrain d’étude devenait la forêt de Beauséjour, à Saint-Jean-Chrysostome.

SHFQ : Ce projet de recherche sur les terres marginales portait-il spécifiquement sur l’érablière ?

M.G. : Pas vraiment, même si, en se limitant au Québec méridional, il recouvrait, essentiellement, ce que j’allais appeler, plus tard, le grand domaine de l’érablière ( figure 1 ). Au début de ce projet, il fallait non seulement faire l’inventaire de ces terres devenues abandonnées, mais aussi s’interroger à savoir comment il se faisait qu’elles soient devenues abandonnées, comment il se faisait que la colonisation n’ait pas réussi. On ne pouvait trouver la réponse autrement qu’en s’intéressant aux facteurs écologiques. À partir de cela, le travail nous a menés à reconnaître des unités de végétation, des types de climat, des types de relief, des types de dépôt de surface, des types de sol, de manière à faire le lien entre ces facteurs et le potentiel agricole. L’érablière nous préoccupait donc, indirectement. L’érablière est une forêt fantastique, extrêmement riche et très diversifiée. Différentes espèces végétales y vivent. En fait, il y a, dans ce que j’appelle le grand domaine de l’érablière, 1600 espèces végétales différentes, dont une cinquantaine d’arbres. Je me suis rendu vite compte qu’il y avait là une diversité écologique extraordinaire. Dans ses travaux, Pierre Dansereau, pionnier de la connaissance de cet écosystème, avait regroupé, dès 1948, toutes les forêts dominées par l’érable à sucre dans une seule unité qu’il appelait « l’érablière laurentienne ». Toutefois, dans cette grande région, le climat variait de 7 à 3 degrés Celsius de moyenne annuelle entre Montréal et le sud de la Gaspésie. Il y avait, en fait, une très grande variabilité de conditions environnementales : une grande plaine dans la vallée du Saint-Laurent, formée d’argile et de limon, des sols à texture très fine, alors que quelques kilomètres plus au nord, les dépôts étaient formés de moraines rocailleuses, sablo-limoneuses.

SHFQ : Quand vous est-il venue l’idée d’étudier plus en détail ce type de végétation ?

M.G. : Quand je me suis attelé à ma maîtrise, à la forêt de Beauséjour, il y avait une petite partie où l’on trouvait une érablière. Je me suis dit que cette érablière et celle que j’ai vue autour de Montréal n’avaient rien en

Figure 1. Le grand domaine de l’érablière lors du changement automnal des couleurs. Source : Miroslav Grandtner, figures 1 à 5.

Fi 1 L d d i d l’é bliè l d h t

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commun, du point de vue de leur composition et du point de vue écologique, particulièrement si l’on voulait en comprendre le potentiel économique. J’ai donc poursuivi l’étude, au cours de ma thèse de doctorat, qui portait sur l’ensemble de la végétation forestière du Québec méridional, et que j’ai publiée, en 1966, sous ce dernier titre. Bref, déjà dans ma tête, l’érablière laurentienne était devenue un ensemble de différentes associations d’érablières qui avaient en commun la dominance de l’érable à sucre. Je l’ai donc progressivement subdivisée en trois associations climatiques contrôlées par le climat régional car colonisant des sols mésiques des pentes moyennes et à plusieurs autres associations édaphiques, contrôlées par des sols plus humides ou plus secs que les sols mésiques. Les trois premières étaient l’érablière à caryer cordiforme, l’érablière à tilleul d’Amérique et l’érablière à bouleau jaune. Elles sont devenues, avec le temps, des porte-drapeaux des territoires plus larges qu’elles ne l’étaient en réalité, en leur donnant le nom de « domaines ».

SHFQ : Pourriez-vous poursuivre là-dessus ?

M.G. : Oui. Je vous les présente en commençant par celui de l’érablière à caryer cordiforme. Ce domaine se trouve adossé à l’Ontario et avance, sous forme d’un triangle, jusqu’à, grosso modo, Trois-Rivières. Qu’est-ce qu’il a de particulier ? Une température moyenne annuelle de 7 degrés Celsius, des dépôts argileux et limoneux, donc très fins, très bons pour la culture. Les sols sont riches parce que les feuilles se décomposent rapidement et que, dès le printemps suivant, d’autres plantes en bénéficient. Il y a donc, sur les sols mésiques de cette forêt, un cycle de matières nutritives très actif, qui les rend très fertiles. Il y a bien

sûr d’autres types de sols que les sols mésiques. Par exemple, des sols organiques très humides portant des tourbières. Mais même ces tourbières, une fois drainées, peuvent donner de très bonnes terres, pour l’agriculture maraîchère par exemple. Bref, c’est le domaine nettement agricole dans lequel la forêt a été presque partout défrichée et transformée en de très grandes cultures ( figure 2 ). Les Québécois s’y sont établis nombreux, à cause de la clémence du climat, de la richesse des sols et d’un relief accessible. C’est dans ce domaine que se trouve la plus grande ville du Québec : Montréal.

SHFQ : Et le second domaine ?

M.G. : Le second domaine est celui de l’érablière à tilleul d’Amérique. Il est situé plus au nord et plus à l’est que le premier. Sa température moyenne annuelle est de 5 degrés Celsius, donc déjà un peu plus fraîche. Les sols sont moins fertiles parce qu’avec une température plus basse et des pluies plus abondantes, les sols se délavent et les éléments minéraux qui devraient servir à d’autres plantes commencent à s’accumuler en profondeur. Donc, sa vocation est à la fois agricole et forestière. Les forêts y reprennent peu à peu du terrain et les deux composantes majeures du paysage sont à peu près à égalité. Dans ce domaine agroforestier, les forêts peuvent produire évidemment du bois de qualité, du bois de sciage et des produits de sucre d’érable ( figure 3 ). Les autres sols, plus secs, peuvent être plantés en conifères qui, généralement, ont une bonne croissance, une bonne productivité. On y trouve aussi de vastes tourbières, comme partout, et c’est dans ce deuxième domaine que se trouve une autre grande ville, celle de Québec.

Figure 2. Le domaine agricole de l’érablière à caryer cordiforme.

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30 HISTOIRES FORESTIÈRES

SHFQ : Finalement, en quoi diffère le troisième domaine ?

M.G. : Le troisième domaine est celui de l’érablière à bouleau jaune qui peut être qualifié de sylvo-pastoral parce que la forêt est prédominante et que l’agriculture s’y trouve sous forme d’herbages pour nourrir les animaux d’élevage ( figure 4 ). Le climat y est plus rude, avec une moyenne annuelle de 3 degrés Celsius. Le relief est plus accidenté. Regardez plus au nord de la ville de Québec : les versants des Laurentides font partie du domaine de l’érablière à bouleau jaune. Les sols sont plus pauvres parce qu’il pleut beaucoup et que la température plus basse rend plus difficile l’évaporation. Conséquemment, l’eau traverse le sol et l’appauvrit en amenant des éléments nutritifs en profondeur. Les arbres qui composent cette érablière, notamment le bouleau jaune et l’érable, sont des arbres de bois précieux. Bref, la foresterie peut utiliser ces espèces pour la production forestière et les terres agricoles, qui sont souvent abandonnées, peuvent être retournées à la forêt par le reboisement ou par des traitements sylvicoles appropriés.

SHFQ : Est-ce que ce sont ces trois domaines qui forment le grand domaine de l’érablière ?

M.G. : Exactement. Les trois domaines ensemble forment le grand domaine de l’érablière, et c’est dans ce grand domaine que se trouvent, finalement, les conditions spatiales du territoire les plus favorables pour l’homme. L’homme, comme les espèces animales et les espèces végétales, fait partie de l’environnement. Même s’il possède des capacités de le transformer en sa faveur, il reste fondamentalement influencé par cet environnement.

Ainsi, ce grand domaine de l’érablière, appelé d’abord érablière laurentienne, représente la plus importante partie de l’œkoumène québécois ( figure 5 ). Alors que

si vous veniez avec moi dans le massif des Laurentides, juste à 100 km d’ici, vous verriez qu’à mesure que l’on monte dans le massif et que le climat se refroidit, les sols s’appauvrissent. Les phénomènes que j’ai décrits, à l’aide des domaines de l’érablière, se poursuivent plus intensément dans la sapinière qui est une forêt de conifères, et ensuite dans la pessière qui se termine par la taïga. Dans la sapinière, c’est la forêt, la faune et la pêche ; dans la pessière, c’est encore la forêt et l’orignal, mais la forêt basée presque sur une seule espèce : l’épinette noire. Dans la taïga, ce sont surtout les lichens, mais c’est aussi la beauté, c’est l’attrait touristique, écologique, c’est le caribou. Et au sommet du mont du Lac-des-Cygnes, c’est la toundra alpine. Bref, vous verriez de moins en moins de traces de l’homme parce que, comme les autres espèces, ça ne lui convient pas de vivre dans n’importe quelle situation écologique et environnementale.

SHFQ : Quel est le rôle de l’être humain dans la nature, dans ces associations végétales-là ? De plus en plus on entend des discours qui nous donnent l’impression que l’être humain est un élément perturbant et qu’il fait régresser les associations végétales. Pouvez-vous nous expliquer un peu ce rôle-là ?

M.G. : C’est tout à fait vrai ce que vous dites. L’homme a la capacité de modifier l’environnement, mais il ne le modifie pas toujours en faveur de ce dernier, ni en faveur de ce qui pourrait ensuite se traduire par un avantage pour lui-même. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’est pas capable pour autant de le comprendre et de le faire adéquatement. Que voulez-vous, je suis un de ces écologistes qui pensent que l’homme n’est pas totalement mauvais ni totalement bon, et que c’est à nous de faire peser la balance un peu plus du côté du bon qu’on ne le fait actuellement, et de protéger ainsi notre environnement pour qu’il nous soit encore plus favorable, plutôt qu’il ne nous mène à la catastrophe.

Figure 4. Le domaine sylvo-pastoral de l’érablière à bouleau jaune.

Figure 3. Le temps des sucres dans le domaine agroforestier de l’érablière à tilleul d’Amérique.

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SHFQ : Et pour vous, protéger l’environnement, j’imagine que c’est d’abord le connaître, très bien le connaître ?

M.G. : Je le dis d’ailleurs dans l’introduction de ma thèse de maîtrise, qu’il faut d’abord connaître l’environnement, le décrire, le cartographier et ensuite penser à son utilisation plutôt que se lancer dans la colonisation à tête perdue. Oui, effectivement, il faut connaître l’environnement et agir de pair avec lui et non en s’opposant à ses tendances naturelles, parce que les tendances naturelles sont souvent les meilleures. Est-ce qu’elles doivent-être exclusives ? Je ne le pense pas. On peut toujours penser améliorer l’environnement si nous avons des moyens appropriés, puisque nous travaillons dans une ressource qui est naturellement renouvelable. Couper un arbre, ce n’est pas un crime, mais il faut s’assurer que cet arbre a eu le temps de fructifier, que ses graines sont tombées au sol, ont trouvé un lit de germination et ont donné naissance à un jeune arbre qui remplacera un vieil arbre qui est tombé sous l’action de la scie. Tout cela s’enseigne, s’apprend, se fait.

SHFQ : Vous nous avez expliqué le phénomène de successions dans l’espace. Est-ce qu’il y a un phénomène similaire après des perturbations à l’intérieur des associations végétales ?

M.G. : Pour chacun des types de forêts, il y a une succession que j’appellerais secondaire. Si l’on détruit la forêt et qu’on laisse les herbes et les arbustes envahir la coupe, les essences pionnières, comme le peuplier faux-tremble, ou de transition, comme l’érable rouge, s’installeront avant que l’érablière ne se soit réinstallée. Et c’est ce phénomène qui intéresse les forestiers. Par exemple, à Matane, il y a une cartonnerie où l’on fabrique du carton avec le bois de peuplier faux-tremble. Cette essence est donc économiquement importante. C’est une forêt pionnière, c’est la première à s’installer, et si l’on veut maintenir cette activité, il va falloir couper souvent pour maintenir la lumière. Si l’ombre s’installe, le faux-tremble ne se régénérera plus. Il faut donc choisir

vers quoi l’on veut diriger nos forêts, tenir compte des besoins de l’industrie, et si c’est le bois de faux-tremble qui est important, alors il faut faire de l’aménagement et une sylviculture pour le faux-tremble, pas pour l’érable ou pour le sapin. Il faut donc connaître la succession dans le temps et non pas seulement dans l’espace. Si l’industrie forestière est intéressée à avoir un groupement d’aboutissement, il faut s’organiser pour y arriver le plus vite possible. Et si, au contraire, c’est un groupement pionnier, comme dans le cas du peuplier faux-tremble, il faut que l’aménagement soit adapté à cette réalité.

SHFQ : Dans la perspective des changements climatiques, quelle serait la bonne attitude à avoir en écologie forestière ?

M.G. : Le climat va changer et nous avons vu abondamment que le climat est un des facteurs importants pour la composition d’une forêt et pour sa productivité. Il va falloir, soit adapter la forêt, soit laisser la voiture à la maison. Je crois qu’il faudra adapter notre forêt à l’augmentation du gaz carbonique et donc au réchauffement de la planète. Donc, cultiver des arbres auxquels ce climat convient et qui nous sont utiles en même temps. Pour cela, il faut connaître les espèces, la diversité, les conditions physiques et adapter notre manière d’aménager la forêt en évitant qu’elle soit dommageable pour l’environnement.

SHFQ : Vous venez de dire qu’il faut connaître la forêt pour l’aménager. J’ai l’impression qu’il y a un décalage entre la perception de la population et les connaissances scientifiques.

M.G. : Je suis tout à fait d’accord et ce n’est pas la faute de la population, c’est la faute de ceux qui connaissent la forêt. Qui peut expliquer la forêt mieux que les forestiers ? Ils devraient l’expliquer plus souvent et répondre à ces questions que vous posez. Je ne suis pas forestier de pratique, ni aménagiste, ni sylviculteur. Je suis un écologiste forestier, je travaille sur les connaissances de base. Les forestiers devraient toujours faire partie des délibérations. C’est donc entre les forestiers, la population et les politiciens, qui détiennent la bourse, que les choses doivent se passer. Parce que sans argent, on ne fait ni des plans d’aménagement confortables, ni une culture adéquate de la forêt qui puisse en même temps donner des produits. Ce vers quoi l’on doit se diriger, c’est de continuer à faire produire la forêt sans la détruire ; c’est ce que l’on appelle l’aménagement durable. Prendre ce que la forêt nous donne et rien de plus…

Figure 5. La capitale du Québec située au cœur de l’œkoumène québécois.

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32 HISTOIRES FORESTIÈRES

l’Université Laval ( 1958-1993 ), M. Grandtner contribua à la formation de près de 2 000 ingénieurs forestiers qui bénéficièrent à la fois de son enseignement et de sa passion pour la forêt.

M. Grandtner enseigne aussi régulièrement à l’Université du Québec à Rimouski, dans d’autres facultés de l’Université Laval et surtout à l’Université de Montréal. À l’heure où le corps professoral de l’Université de Montréal ne compte aucun spécialiste en écologie végétale depuis le départ précipité de Pierre Dansereau, M. Grandtner devient professeur invité et dispense un cours intensif sur le terrain, au début de la session d’automne, à la Station de biologie de l’université, à Saint-Hippolyte.

Former des spécialistes

en écologie végétale

Sa passion pour la forêt incite plusieurs ingénieurs forestiers à entreprendre des études supérieures en phytosociologie. Par exemple, durant ses études de premier cycle, l’un d’entre nous attrape la piqûre pour l’écologie végétale; encouragé par M. Grandtner, il s’éprend des grains de pollens et de l’analyse pollinique qui lui permettront d’écrire l’histoire de la végétation du Québec depuis la dernière glaciation et de créer un laboratoire de palynologie à l’Université du Québec à Chicoutimi, puis à l’Université de Montréal.

Plusieurs ingénieurs forestiers deviennent écologistes et œuvrent dans des ministères du gouvernement du Québec et du Canada ainsi que dans des firmes de génie-conseil à titre de consultants. Ils utilisent les principes de la phytosociologie acquis sous la tutelle de M. Grandtner pour réaliser des travaux portant sur l’inventaire, la classification et la cartographie écologique du territoire, sur la conservation des

Au Québec, si les premières foulées exploratoires en phytosociologie remontent à Robert Bellefeuille, Pierre Dansereau et André Lafond, les études approfondies et de grande envergure de Miroslav Grandtner en font le plus grand promoteur de cette facette de l’écologie végétale. Son apport scientifique prend de l’importance particulièrement en cartographie de la végétation, utilité fondamentale de la méthode phytosociologique. Son premier livre, qui fera école, La végétation forestière du Québec méridional ( 262 pages, paru en 1966 ) constitue une œuvre d’envergure visant à définir, nommer et cartographier les paysages forestiers québécois selon un cadre rigoureux. Utile pour la compréhension du milieu forestier, cette oeuvre d’intégration des facteurs environnementaux sert, entre autres, à quantité d’interventions en forêt.

Former des ingénieurs forestiers

et des biologistes

Ses assises en écologie forestière, M. Grandtner les tire principalement de sa formation à l’Université de Louvain, en Belgique, et de la consultation des travaux des écologistes français Paul Rey et Henri Gaussen. Au cours de sa carrière, il bonifie les concepts et notions acquises, tout en les adaptant aux conditions existant au Québec.

Homme de terrain, M. Grandtner conçoit son enseignement de l’écologie végétale d’une façon particulière. Il le concrétise par des visites répétées de milieux forestiers diversifiés et par l’interprétation des paysages directement sur le terrain. Cette initiative de « tournées écologiques » à travers le Québec prend graduellement de l’envergure, notamment par l’organisation d’un colloque international de phytosociologie au Québec, à l’été 1976, de même que de nombreux stages de foresterie, à l’extérieur du Québec. En 35 ans de carrière à la Faculté de foresterie de

L’ÉCOLE GRANDTNER,

UN HÉRITAGE PRÉCIEUX

Miroslav Grandtner dans son bureau de la Faculté de foresterie de l’Université Laval, vers 1989, au début de l’aventure du Dictionnaire mondial des arbres.

Par Jean-Louis Blouin, Pierre Grondin, Gisèle Lamoureux

et Pierre J. H. Richard, de l’école Grandtner

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écosystèmes et des espèces, sur la sylviculture des érablières et des pinèdes ainsi que sur la mise en oeuvre de l’aménagement forestier écosystémique.

Auprès des biologistes, le charisme de M. Grandtner suscite aussi le désir de poursuivre des études graduées sous sa direction. Plusieurs sont des agents multiplicateurs importants qui diffusent les acquis reçus. Certains deviennent professeurs d’écologie ou de botanique, à l’Université du Québec à Trois-Rivières, à Rimouski, à l’Université de Sherbrooke et à Laval. L’un d’entre eux devient spécialiste des sphaignes et de l’écologie des tourbières; grâce aux étudiants qu’il forme, se développe l’important Groupe de recherche sur l’écologie des tourbières, de réputation mondiale. Un autre développe l’important domaine de l’analyse macrofossile en soutien aux reconstitutions archéologiques et paléoécologiques.

Issu de l’école Grandtner, un actuel sous-ministre adjoint au ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs contribue à la rédaction de plusieurs lois à portée environnementale, après avoir dirigé les travaux de la Direction du patrimoine écologique ( réserves écologiques, Centre de données sur le patrimoine naturel, protection des espèces menacées ou vulnérables, cartographie écologique, etc. ). Une autre pupille coordonne le Groupe Fleurbec et publie neuf guides d’identification sur les plantes sauvages du Québec, des livres à succès ( plus d’un tiers de million d’exemplaires ), où sont vulgarisées des informations sur l’écologie de chaque espèce et des notions de base sur la végétation du Québec. Trois autres biologistes se rattachent à des firmes d’experts-conseils en écologie ou en environnement.

Tous contribuent à élargir les connaissances de base acquises au contact de M. Grandtner et à les diffuser.

Faire école

Au total, M. Grandtner aura dirigé 26 maîtrises et 7 doctorats. Avec ses étudiants gradués et les personnes qu’ils influencent, se forme une véritable école, avec ses valeurs, ses méthodes, ses fruits, une tradition, une réputation, etc. Bien que la méthode utilisée par la majorité des étudiants gradués soit sensiblement la même, les particularités de l’habitat et de la flore étudiés ( forêts, prairies et pâturages, tourbières, rives et littoraux, landes maritimes, dunes, monts, étages alpins, etc.) permettent à chacun d’exprimer sa créativité. Ces travaux mettent l’accent sur les

aspects écologique et dynamique des relations entre la végétation et les variables du milieu, d’où l’emploi des termes « phytoécologie » et « phytodynamique ». Plusieurs études portent aussi sur l’évaluation du potentiel d’utilisation et sur des propositions de mise en valeur. Certaines réalisations demeurent des modèles de classification et de cartographie écologique ( végétations potentielles ), notamment l’étude écologique du comté de Rivière-du-Loup et celle du comté de Lévis.

Au cours des années 1970, certains perçoivent les études sur la phytosociologie comme théoriques et peu pratiques. Visionnaire, M. Grandtner persiste à croire à l’utilité des connaissances sur la végétation, la flore et les sols et que ces connaissances seront un jour valorisées… comme c’est aujourd’hui le cas dans la mise en place d’une foresterie écosystémique. Il encourage des études paléoécologiques actuellement considérées, dans le contexte de l’aménagement écosystémique, comme le chaînon manquant de la connaissance de la variabilité naturelle des écosystèmes. Il croit aussi fermement à la valeur de la phytosociologie qui, encore aujourd’hui, fournit les unités écologiques de la classification écologique ; ces unités viennent en appui aux nouvelles tendances des études écologiques basées sur la dendrochronologie, la paléoécologie, l’étude des perturbations naturelles et la modélisation de la croissance forestière.

L’influence du professeur Grandtner s’étend au système actuel de classification écologique du ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec, qui garde l’empreinte de l’école Grandtner, notamment en

Pierre J. H. Richard, Gisèle Lamoureux ( gauche ) et Estelle Lacoursière,

en 1969 au mont Albert ( Gaspésie ). Alors jeunes

étudiants, ils faisaient déjà partie de l’école Grandtner. Une vraie histoire de famille…

depuis 41 ans !

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34 HISTOIRES FORESTIÈRES

ce qui a trait à l’utilisation de la végétation potentielle ainsi qu’à la délimitation des domaines bioclimatiques et des régions écologiques. Ce système et celui de la Colombie-Britannique ( influencé par Krajina ) partagent une même approche et sont considérés comme des modèles à l’échelle mondiale. Au Québec, la définition des associations forestières au sein de la Classification nationale de la végétation du Canada ( depuis 2004 ) s’appuie aussi sur les travaux effectués, suscités ou réalisés dans la lignée de ceux du professeur Grandtner et de l’approche phytosociologique. Par ailleurs, la mise en place de l’aménagement écosystémique, proposée par la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier, repose sur une bonne connaissance de la dynamique des écosystèmes forestiers. Ce nouveau mode d’aménagement forestier tire son origine de multiples sources, dont l’école Grandtner.

Seul, ou en collaboration avec ses étudiants gradués, M. Grandtner possède à son actif plus de 350 publications relevant de différentes catégories. Son désir de diffuser les connaissances en écologie prend également forme dans son rôle d’éditeur de 11 « Études écologiques » ( totalisant 3530 pages ) et de 12 « Dossiers de foresterie internationale » ( 427 pages ). Jamais assouvie, sa passion pour l’acquisition et la transmission de connaissances s’épanouit maintenant dans un projet titanesque débuté il y a 20 ans et en voie de réalisation : le premier dictionnaire mondial des arbres, dont le volume 1, North America, est paru en 2005 ( 1529 pages ).

Par ses étudiants gradués, l’école Grandtner exerce une influence au moins dans cinq universités québécoises ( Laval; Montréal; Sherbrooke ; du Québec à Trois-Rivières, à Rimouski ), dans trois ministères du Québec ( Agriculture et Alimentation ; Ressources naturelles et Faune; Développement durable, Environnement et Parcs ), dans deux ministères fédéraux ( Ressources naturelles, Parcs Canada ) et dans une société d’État ( Hydro-Québec ). Cette influence touche aussi le monde des affaires qui consulte les biologistes ou les ingénieurs forestiers-conseils, de même que le grand public, par le biais des ouvrages de vulgarisation de Fleurbec. Son influence étend aussi une aile jusqu’en Pologne et en Afrique : leurs études terminées, trois de ses étudiants sont retournés pratiquer dans leur pays.

Un être exceptionnel

Doué d’une rigueur scientifique à toute épreuve, d’un esprit de synthèse remarquable, d’une sage vision d’ensemble, d’une aisance à intégrer les données provenant de variables écologiques complexes, M. Grandtner n’a pas son pareil pour ramener à l’essentiel la complexité des paysages ou des écosystèmes. C’est la personne toute désignée pour comprendre et enseigner l’écologie végétale, dans le concret du terrain. Ajoutons qu’à ses yeux, tout travail mérite toujours d’être très très bien fait.

Enfin, c’est un être exceptionnel.

Pour ses étudiants gradués débutant en recherche scientifique, vivre auprès d’un tel modèle n’est pas une mince affaire ! Cela se fit rarement sans douleur. S’ajoutent les différences culturelles et ses antécédents personnels tellement particuliers. Une fois l’étape du diplôme passée et l’adaptation à la culture universitaire québécoise aidant, « notre patron » sut établir une relation amicale détendue, se prolongeant bien au-delà de l’obtention d’un diplôme. Quel cheminement scientifique et humain extraordinaire depuis son enfance dans la « maison forestière » familiale !

Nous sommes fiers d’appartenir à son école et nous sentons qu’il est fier de nous. Et puis, nous savons que nous pouvons compter sur son appui indéfectible… ce qui est réciproque.

Miroslav Grandtner et Colette Ansseau lors d’un stage de foresterie internationale en Slovaquie.

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PRINTEMPS-ÉTÉ 2010 - 35

LES�PREMIÈRES�NATIONS�ET�LE�SECTEUR�FORESTIER�AU�QUÉBEC��REGARDS�COMPARATIFS�ET�INTERDISCIPLINAIRES�

Colloque�thématique�organisé�dans�le�cadre�du�78e�Congrès�de�l’ACFAS�

Vendredi�14�mai�2010�

Organisé�par�:�

Martin�Hébert,�département�d’anthropologie,�Université�Laval�Stephen�Wyatt,�faculté�de�foresterie,�Université�de�Moncton�(campus�d’Edmundston)�

Luc�Bouthillier,�département�des�sciences�du�bois�et�de�la�forêt,�Université�Laval�Jean�Michel�Beaudoin,�department�of�forest�resource�management,�University�of�British�Columbia�

Jean�François�Fortier,�département�de�sociologie,�Université�Laval�

�Thème�du�colloque�

Au� Québec,� comme� dans� les� autres� provinces� canadiennes,� les� forêts� font� parties� intégrantes� de� la� richesse�collective.� La� majorité� des� territoires� forestiers� sont� du� domaine� public� et� ils� offrent� des� avantages� aussi�nombreux�que�diversifiés.�Pensons�notamment�aux�emplois�qui�proviennent�du�secteur�forestier,�aux�diverses�activités� récréo�touristiques� ainsi� qu’aux� multiples� services� écologiques� que� procurent� les� forêts.� Dès� lors,�l’aménagement� forestier� durable� requiert� une� harmonisation� des� intérêts� économiques,� sociaux� et�environnementaux� afin� de� maintenir� ces� bénéfices� pour� les� générations� actuelles� et� futures.� Toutefois,� la�colonisation� � et� l’accroissement� subséquent� de� la� pression� sur� les� ressources� naturelles� ont� exclu� les�communautés� autochtones� du� développement� forestier.� La� forêt� constituait� et� constitue� toujours�l’enracinement�de�leur�identité,�de�leur�culture�et�de�leurs�valeurs.�Pour�réaliser�un�aménagement�durable�des�forêts,�une�place�particulière�doit�être�tenue�par�ces�autochtones.�Mais�laquelle?�

Le�présent�colloque�aborde�les�enjeux�de�la�participation�autochtone�au�secteur�forestier�québécois.�L’objectif�de�cette�activité�consistera�à�explorer,�selon�une�perspective�interdisciplinaire,�les�différents�enjeux�liées�entre�autres�aux� institutions�de�gouvernance�territoriale�autochtones,�à� l'occupation�et�à� l'utilisation�du�territoire,�à�l’adaptation� de� la� gestion� forestière� dans� une� perspective� autochtone,� à� la� participation� économique� des�autochtones� dans� l'industrie� forestière,� aux� effets� des� traités� et� des� ententes� (Cri� et� Innu)� sur� l'accès� et� la�gouvernance� territoriale.� Nous� chercherons� ainsi� à� mieux� comprendre� les� processus� qui� engendrent� une�dynamique� conflictuelle� ou� partenariale,� à� identifier� certaines� caractéristiques� de� pratiques� qui� ont� connu� du�succès�et�à�regarder�vers�l’avenir�à�la�lumière�d’initiatives�naissantes.�

Enfin,� puisque� de� plus� en� plus� de� chercheur(e)s� provenant� de� diverses� disciplines� (foresterie,� géographie,�sociologie,�sciences�politiques,�etc.)�investissent�leurs�efforts�dans�ce�champ�de�recherche,�une�des�missions�de�ce� colloque� consiste� à� les� réunir� afin� de� développer� et� de� renforcer� ce� réseau,� d’examiner� l’état� des�connaissances�et�d’identifier�de�nouvelles�pistes�d’enquête�et�de�recherche�pour�le�futur.�

Description�de�l’activité�

Ce�colloque�se�déroulera�sur�une�journée�complète�et�prendra�la�forme�de�conférences�plénières� incluant�des�périodes� de� discussions.� Des� représentants� autochtones� seront� également� invités� à� témoigner� des� efforts� de�leurs�communautés�à�participer�au�développement�du�secteur�forestier.�Enfin,�l’organisation�d’une�table�ronde�est�prévue�et�clôturera� l’événement.�Cette�activité�permettra�de�synthétiser� les�discussions�et� les�constats�qui�auront�été�réalisés.�Au�final,�cette�journée�rassemblera�environ�une�douzaine�de�conférenciers(ères).�

Inscription�au�congrès�

Vous� devez� préalablement� vous� inscrire� au� congrès� afin� de� pouvoir� assister� à� ce� colloque� au� plus� tard� le� 31�mars�:�http://www.acfas.ca/congres/2010/pages/inscription.html��

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36 HISTOIRES FORESTIÈRES

LES PLUIES OUBLIÉES Par Martin HébertPh. D., professeur d’anthropologie à l’Université Laval et administrateur de la SHFQ

CHRONIQUE ANTHROPOLOGIQUE

Écrire sur les pluies acides en 2010 semble un véritable anachronisme. Peut-on imaginer un enjeu envi-ronnemental plus associé aux années 80 dans la conscience des gens ? Je me rappelle ces campagnes de conscientisation à l’imagerie apocalyptique, ces têtes de morts nous fixant de leurs yeux vides, ces cheminées industrielles crachant une épaisse fumée noire en contre-jour : « Les pluies acides tuent ! », pouvait-on lire sur les parechocs de voitures.

Je me rappelle aussi une partie de baseball au parc du coin, interrompue par une soudaine pluie torrentielle. L’un de mes petits voisins de l’époque, légèrement hypocondriaque, se mit alors à crier : « Les pluies acides ! Les pluies acides ! Vite, on va brûler ! ». Pas de chance à prendre, nous nous mîmes tous à courir vers notre refuge habituel en de pareilles circonstances : les Trois Érables. Trois érables à sucre centenaires trônaient au milieu du parc et leur feuillage d’été formait un parapluie sous lequel deux équipes de baseball d’enfants de huit ans pouvaient facilement se réfugier. Les trois érables étaient notre bouclier contre les démoniaques pluies acides qui nous arrivaient de l’Ontario…

Quelques années plus tard, le premier des Trois Érables fut coupé. Toute la rue s’était rassemblée, silencieuse, pour assister à l’abat-tage de cet ancêtre. « Il est malade », me dit simplement l’employé de la ville, « si nous ne le coupons pas, il

finira par tomber sur quelqu’un ». Les mythiques Trois Érables devinrent donc simplement deux érables et une souche. De là, la décrépitude n’a fait que progresser. Le second érable centenaire est tombé au combat en 1988 et le troisième, au début des années 90.

Je n’étais pas présent lorsque le troisième des Trois Érables a été abattu. Mais je suis prêt à parier qu’aucun des enfants rassemblés autour de la scène ne s’est posé la question à savoir si cette mort prématurée avait quelque chose à voir avec les anciennes luttes épiques entre le géant et les maléfiques pluies acides. Au début des années 90, on ne pensait déjà plus en ces termes. Un nouveau fléau environnemental se présentait à l’horizon : le réchauffement climatique.

La lutte aux CFC, puis ensuite au CO2, allait rapidement pousser le soufre et l’azote aux marges de notre conscience collective. Les sociologues du risque parlent de « mise à l’agenda public » des menaces, mais je n’ai jamais aimé ce terme. La « mise à l’agenda » est le processus par lequel un danger environnemental est porté à l’attention du public en général et des décideurs en particulier. Elle est la manière dont un donné empirique, comme l’acidification des précipita-tions ou le réchauffement climatique, est construit socialement selon qu’il est « important », « préoccupant » ou, inversement, la manière dont ce donné est graduellement écarté des préoccupations du public. Pour le

dire, simplement, se pourrait-il qu’en mettant le réchauffement climatique à l’agenda, nous ayons collectivement oublié que le problème des pluies acides n’était pas réglé ?

Quand je dis « nous », je parle du grand public. Car une revue de littérature sur la question montre rapidement, à qui se donne la peine de chercher, qu’une poignée d’irréductibles chercheurs et com- mentateurs n’ont jamais cessé de tenter de remettre les pluies acides « à l’agenda » public au Québec. Un simple survol des titres de leurs textes ( et celui de la présente chronique ) nous donne la mesure du problème. Dans la première moitié des années 90, les textes traitant du sujet tentent de mettre le dossier des pluies acides à jour par des textes-bilans du genre : « Où en sommes-nous dans le dossier des pluies acides au Québec ? ».

Après le milieu des années 90, les textes produits se font de plus en plus insistants. On semble comprendre que pour rappeler le sérieux de ce problème environnemental, il faudra davan tage qu’une simple mise à jour de l’information disponible. Les textes prennent alors un ton de cri d’alarme : « Les pluies acides : un problème persistant ; « Coup d’épée dans l’eau ; « Alerte aux pluies acides… encore ! » ; ou bien « Pluies acides : le problème persiste ».

Le problème n’est pas que les pluies acides ne sont plus « à l’agenda » des décideurs, mais plutôt qu’elles

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www.fm.ulaval.ca

La Forêt Montmorency :

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disparaissent graduellement de notre imaginaire commun. C’est sur cet imaginaire que se branche le discours politique « vert ». Ce sont les préoccupations vives du public qui font leur chemin dans les politiques publiques, et pas nécessairement les problèmes persistants, mais momentanément éclipsés, d’une autre décennie. La première fois où j’ai voulu parler de cette dynamique avec mes étudiants, je l’ai abordée en leur posant la question suivante : « Pourquoi ne parle-t-on plus des pluies acides ? Est-ce parce que le problème a été réglé ou bien parce que nous avons oublié qu’elles existent ? ». La réaction générale n’a pas été de se prononcer pour l’une ou l’autre des options, mais en fut plutôt une de surprise : les pluies acides ? Parle-t-on encore vraiment de ce sujet rétro ?

Pourtant, un déclin marqué des populations d’érables à sucre dans les forêts du nord-est de l’Amérique en général, et du Québec en particulier, a été constaté par les chercheurs depuis la fin des années 70, et il se poursuit. Pour la seule décennie allant du milieu des années 80 au milieu des années 90, il est estimé que la densité des peuplements d’érables à sucre dans la vallée du Saint-Laurent a diminué en moyenne de 14,2 %, avec un taux de décroissance encore plus alarmant chez les jeunes pousses ( 17 % ). Cette

diminution a profité au hêtre qui, lui, a vu sa population bondir de près de 50 % sur les mêmes territoires. Cette transformation importante semble attribuable à la dégradation des sols, qui prive les érables à sucre de minéraux riches en calcium et en magnésium essentiels à leur développement. La cause de cette dégradation ? La persistance des précipitations acides.

Les résultats de cette étude ont été mis à la disposition du public dans un format accessible tant sur le site Internet du ministère des Ressources naturelles que dans les médias. Mais la perception sociale de la dégradation envi ronnementale ne dépend pas seulement de l’information dis po nible ou même de l’information que l’on tente activement de communiquer au public. Elle dépend de facteurs complexes qui ont beaucoup à voir avec la manière dont les imaginaires circulent dans notre société.

Malheureusement, au cours des dernières décennies, notre cons-cience de la gravité du problème des pluies acides et de leurs impacts directs sur nos forêts s’est considérablement émoussée. Les enjeux se détrônent les uns les autres dans une concurrence constante pour l’attention du public. Encore plus préoccupants, les enjeux sur lesquels les avancées

sont historiquement modestes ou nulles, comme c’est le cas pour la lutte contre les pluies acides, en viennent à créer une « fatigue de la compassion », comme l’appellent les humanitaires : « Quoi ? Encore ce problème qui revient ? Nous croyions que nous étions passés à autre chose… ».

Hé oui ! On parle encore des pluies acides, mais ce qu’on en dit ne trouve plus son chemin jusqu’à l’imaginaire des enfants de huit ans, qui jouent au baseball dans un parc. Ces enfants pourront certainement vous parler de l’importance du recyclage, voire de ce voisin louche « qui ne recycle pas bin bin »… Ils pourront certainement vous parler du réchauffement climatique. Mais s’il se met à leur pleuvoir sur la tête, je vous parie qu’ils ne courront plus prendre refuge sous le grand hêtre au milieu du parc en criant « Pluies acides ! Pluies acides ! ».

CONCERNANT L’AUTEUR

Martin Hébert est professeur d’anthropologie à l’Université Laval. En 2007, il a dirigé un numéro spécial de la revue Recherches amérindiennes au Québec intitulé « Les Premières Nations et la forêt ». Il vient égale-ment de publier, en codirection avec Pierre Beaucage, un ouvrage intitulé Images et langages de la violence en Amérique latine, aux Presses de l’Université Laval.

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LES ÉCRITS RESTENT

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CHRONIQUE D’OPINIONALLER JUSQU’AU BOUT

Par Éric Alvarez Ing.f., Ph. D.

Les chroniques d’Éric Alvarez portent sur un sujet de son choix et sont traitées sous un angle qu’il privilégie. Toutefois, l’opinion de l’auteur ne représente pas nécessairement celle des membres de la SHFQ ni de son personnel. La Société n’est donc aucunement responsable des propos qui y sont tenus.

« 100 ans en foresterie, l’âge d’une révolution ». C’est le slogan entourant les célébrations liées aux cent ans d’enseignement de la foresterie à l’Université Laval. Clin d’œil à la fois à l’âge auquel on peut récolter un peuplement forestier et à la réforme politique en cours. En effet, cette réforme créera certainement une petite révolution dans notre monde forestier. À cet égard, le projet de loi 57 sur l’aménagement durable des forêts1 est certainement un grand avancement pour l’acceptation sociale de l’aménagement des forêts publiques en permettant à des groupes autres que le ministère des Ressources naturelles et de la Faune ( MRNF ) et l’industrie forestière d’avoir un droit de parole, et ce, au-delà d’une consultation.

Là où j’ai des inquiétudes, c’est quand j’analyse la situation sous l’angle de la préservation et de la valorisation de la mémoire forestière dans l’aménagement. Plus largement, je dois avouer m’inquiéter pour l’existence même des ingénieurs forestiers en tant qu’aménagistes forestiers professionnels. En fait, à la suite de L’Erreur boréale, les ingénieurs forestiers ont été placés dans un état de disgrâce aux yeux de l’opinion publique. L’image des professionnels forestiers en a été profondément affectée, et leurs savoirs et méthodes sont devenus suspects, alors que leurs compétences scientifiques et professionnelles les placent au cœur de la solution pour un aménagement durable des forêts. Il apparaît essentiel que cette situation malheureuse soit corrigée. Le retrait de la planification de l’aménagement par l’industrie et son transfert au MRNF, en milieu « contrôlé », sont des effets directs de cette disgrâce. Voilà une perte nette de mémoire et d’expertise. Et ça n’a rien à voir avec la compétence intrinsèque des personnes !

Je reste convaincu qu’un aménagement durable n’est possible qu’à la condition express de placer les professionnels au centre du système, de leur fournir les moyens de s’exprimer et de faire valoir leurs compétences et leurs responsabilités. Aussi, il s’avère impératif de mettre à leur disposition des structures d’aménagement basées sur la responsabilité professionnelle qui, par conséquent, permettraient à des forestiers d’être amoureux d’une forêt, de créer des vocations où des professionnels s’investiraient pleinement, de marier l’art et la science, enfin de stimuler une vraie réflexion et de préserver la mémoire.

Je ne vois rien de cela dans ce qui est proposé, au contraire. D’un côté, le travail des professionnels sera étroitement balisé. En effet, plutôt que de conjuguer l’art et la science, les bases seront la science seule traduite par le biais de guides ou de règlements. L’expérience professionnelle de terrain sera peu valorisée. D’un autre côté, la mise en place des tables de gestion intégrée, même si elles accroîtront l’acceptation sociale, auront pour effet de créer des structures où l’aménagement sera orienté par des groupes pour qui la forêt sera considérée selon leurs intérêts propres. La présence d’aménagistes professionnels qui envisageraient la forêt dans sa globalité serait ici fondamentale pour offrir un contrepoids.

Lors de la commission parlementaire du projet de loi 57, j’ai proposé une structure de ce type, mais je fus le moins illustre à le faire ! M. Robert Beauregard, doyen de la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique fit de même, à l’instar de Nature Québec qui souhaitait que l’on reconsidère l’établissement des sociétés d’aménagement, proposé en juin 2008, dans le document de travail.

1. Au moment d’écrire ces lignes, le projet de loi était en étude article par article. Je me base sur les grandes lignes qui sont ressorties des versions de juin et de

décembre 2009 du projet de loi.

DE LA RÉVOLUTION

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CONCERNANT L’AUTEURNé à Toulouse ( France ) en 1969, il possède un baccalauréat en aménagement forestier de l’Université Laval et une maîtrise dont le thème est « Impact de la stratégie d’aménagement de la Forêt Montmorency sur la martre d’Amérique ». De 1997 à 2000, il a travaillé au sein d’une firme de consultants en forêt privée, dans les Laurentides, en tant que spécialiste des questions multiressources. En 2000, il a entamé une thèse de doctorat sur l’impact historique des coupes forestières à l’échelle du paysage en Mauricie, qu’il a terminée en 2009. Il a maintenant rejoint la SHFQ à titre de chercheur.

Sans faire d’effort de recherche particulier, j’ai retrouvé ce type de proposition de la part d’un professeur en aménagement et en écologie forestière de l’Université du Montana2. Son « illumination » est venue à la suite d’une expérience dans les forêts bavaroises, des forêts aménagées de façon suivie depuis près de trois cents ans. À la lumière de ses expériences, il lui est apparu clairement qu’il fallait favoriser une vision à long terme ( 20-30 ans ) « stewardship » pour garantir un aménagement forestier adéquat au jour le jour et déléguer une bonne partie des responsabilités d’aménagement à des acteurs locaux imputables. Au fond, comme le soulignait ce professeur, dans tout cela, il y a une simple logique : pour un aménagement durable écosystémique, les structures d’aménagement doivent être adaptées aux cycles et à la dynamique des forêts.

Nous sommes à l’aube d’une petite révolution forestière mais, personnellement, je l’espèrerais plus grande, plus complète. J’espèrerais surtout une révolution qui laisserait transparaître une véritable confiance envers les professionnels forestiers, les ingénieurs forestiers au premier chef, une révolution qui redonnerait des lettres de noblesse à l’expérience sur le terrain et à la mémoire forestière. Sans mémoire, il ne peut y avoir d’aménagement durable !

2. http://www.nxtbook.com/nxtbooks/saf/forestrysource_200908/index.

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TRÉSORS EN VOIE D’ÊTRE PERDUS ?Vous possédez des archives

ou connaissez la localisation d’archives forestières risquant d’être perdues ?

Communiquez avec moi à :

[email protected] 640-1705

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PRINTEMPS-ÉTÉ 2010 - 43

Croyez-vous aux prévisions météo-rologiques ? Personnellement, j’ai toujours un petit sourire en coin quand on nous annonce la météo cinq jours à l’avance. Il est vraiment amusant de voir comment les prédictions changent dans les jours qui suivent. Pourtant, ce n’est pas que les météorologistes n’ont pas de bons outils pour faire des prédictions avec précision ! Ils disposent de modèles mathémati-ques très sophistiqués et d’ordina-teurs à la mesure de la complexité de leurs modèles. Toutefois, au-delà de deux ou trois jours, leurs prévi-sions perdent beaucoup de leur précision.

Une raison fondamentale expliquant ce fait s’énonce sous la jolie expres-sion « effet papillon ». Décrit par un chercheur en météorologie ( M. Edward Lorenz ), le principe veut que le battement d’ailes d’un papillon au Brésil puisse provoquer une tornade au Texas. Ce principe exprime le fait qu’il suffit de différences parfois infimes entre un modèle mathéma-tique et la réalité, mais multipliées de nombreuses fois, pour que le résultat théorique s’avère erroné. La connaissance de ce phénomène, assez répandu pour qu’Hollywood en fasse un film !, devrait nous amener à rester humbles dans nos capacités à prédire l’avenir dans des systèmes complexes, des systèmes, comme celui du monde forestier, où « l’effet papillon » semble cependant inconnu.

La Loi sur l’occupation du territoire forestier déposée en juin dernier a de nombreux et ambitieux objec-tifs. Pour les atteindre, elle trans-formera radicalement les relations entre les différents acteurs liés à la forêt et la forêt elle-même. Après avoir lu de nombreux commentaires et explications sur le sujet, et après avoir écouté quelques architectes clés de la réforme, je n’ai pu m’em-pêcher de me poser cette question :

Venez visiter ou revisiter un centre unique au Québec :

le Centre d’interprétation de la protection de la forêt contre le feu de MANIWAKI.

Découvrez plus !

Apprenez davantage !

Ouvrez grand les yeux !

8, rue ComeauManiwaki (Québec)

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Venez aussi gravir la fameuse TOUR D’OBSERVATION des feux de forêt, admirer des oeuvres en art visuel et visiter les nouvelles salles de l’exposition permanente.

Le Centre d’interprétation a repensé son accueil et a ajouté une salle d’exposition.

Vous pouvez maintenant revivre les GRANDS FEUX DE FORÊT du Québec !

AMOUREUX DE LA FORÊT Planifiez vos vacances et vos escapades !

Ouvert du 8 mai au 10 octobre 2010

Les grands feux du Québec La forêt exploitée La forêt protégée : des outils et des hommes

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44 HISTOIRES FORESTIÈRES

Nous sommes un peuple forestier.

La forêt fait partie de ce que nous sommes.

Nos premières entreprises étaient forestières et, de génération en génération, dans presque toutes nos régions, la vie quotidienne a été dictée par la forêt.

Elle a été et demeure pour nous habitat, mode de vie, source de matières premières et de développement économique depuis 400 ans.

Si puissamment associée à notre passé, nous voulons qu’elle le soit tout autant à notre avenir, dans le plus grand respect de la faune, des communautés et des générations futures.