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Chers lecteurs, C onvaincue de la richesse ex- ceptionnelle de la liturgie ro- maine « traditionnelle », la Fraternité Saint-Pierre y a puisé sa spiritualité sacerdotale et l’a toujours considérée comme une source d’évangélisation intarissable. Loin de cultiver un attachement passéiste et étroit à ce chef d’œuvre de l’Église occidentale, les prêtres de la Fra- ternité Saint-Pierre le considèrent comme une voie particulièrement missionnaire pour exprimer et trans- mettre la foi catholique dans toute sa force et toute sa pureté. Comme vous pourrez le lire dans ce numéro, le cardinal Robert Sarah, Préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, a rappelé récem- ment, à l’occasion d’une allocution, la finalité propre de la liturgie ca- tholique, laquelle « n’est pas une assemblée humaine ordinaire (…), n’est pas le lieu où nous célébrons notre propre identité (…) mais concerne et appartient d’abord et avant tout à Dieu et célèbre ce qu’il a fait pour nous ». En insistant sur la dimension essentiellement théocentrique de la liturgie catho- lique, le Cardinal Sarah a voulu inviter les prêtres et les laïcs à revenir à des cérémonies plus sacrées où le célébrant et les fidèles soient tournés ensemble vers le Seigneur, où la langue latine soit bien présente et où le silence soit véritablement respecté. Si la Fraternité Saint-Pierre se réjouit évidement de ces directives données à l’Église tout entière par celui qui est justement responsable du Culte divin, elle y voit aussi un encouragement pour la mission qu’elle mène depuis bientôt 30 ans à travers la célébration de l’ usus L'appel du cardinal Sarah ÉDITORIAL - 1 - N°X ABBÉ BENOÎT PAUL-JOSEPH Supérieur du district de France de la Fraternité Saint-Pierre

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Chers lecteurs,

C onvaincue de la richesse ex-ceptionnelle de la liturgie ro-maine « traditionnelle », la

Fraternité Saint-Pierre y a puisé saspiritualité sacerdotale et l’a toujoursconsidérée comme une sourced’évangélisation intarissable. Loinde cultiver un attachement passéisteet étroit à ce chef d’œuvre de l’Égliseoccidentale, les prêtres de la Fra-ternité Saint-Pierre le considèrentcomme une voie particulièrementmissionnaire pour exprimer et trans-mettre la foi catholique dans toutesa force et toute sa pureté.

Comme vous pourrez le liredans ce numéro, le cardinal RobertSarah, Préfet de la Congrégationpour le Culte divin et la Disciplinedes Sacrements, a rappelé récem-ment, à l’occasion d’une allocution,la finalité propre de la liturgie ca-tholique, laquelle « n’est pas une

assemblée humaine ordinaire (…),n’est pas le lieu où nous célébronsnotre propre identité (…) maisconcerne et appartient d’abord etavant tout à Dieu et célèbre cequ’il a fait pour nous ». En insistantsur la dimension essentiellementthéocentrique de la liturgie catho-lique, le Cardinal Sarah a vouluinviter les prêtres et les laïcs àrevenir à des cérémonies plus sacréesoù le célébrant et les fidèles soienttournés ensemble vers le Seigneur,où la langue latine soit bien présenteet où le silence soit véritablementrespecté.

Si la Fraternité Saint-Pierrese réjouit évidement de ces directivesdonnées à l’Église tout entière parcelui qui est justement responsabledu Culte divin, elle y voit aussi unencouragement pour la missionqu’elle mène depuis bientôt 30 ansà travers la célébration de l’usus

L'appel du cardinal Sarah

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ABBÉ BENOÎT PAUL-JOSEPHSupérieur du district de France de la Fraternité Saint-Pierre

antiquior. En effet, le CardinalSarah n’hésite pas à dire que la cé-lébration de la forme ancienne durit romain devrait être enseignée àtous les futurs prêtres car il n’estpas possible de comprendre et decélébrer les rites réformés dansl’herméneutique de la continuitési l’on n’a jamais fait l’expériencede la beauté de la tradition litur-

gique que connurent les Pères duConcile (Vatican II) eux-mêmes etqui a façonné tant de Saints pendantdes siècles.

Puisse l’allocution du Cardi-nal Préfet recevoir un bon accueilen France, pour le bien de tous lesbaptisés et la plus grande gloire deDieu !

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La déclarationde Cuba

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Le 12 février dernier, une rencontre inédite réu-nissait à Cuba le Saint-Père et le patriarche orthodoxede Moscou. Dans l’actualité chargée de cette année,leur « déclaration commune » n’a pas beaucoup retenul’attention des médias. Elle est pourtant du plus grandintérêt et porte en germes l’avenir de la Chrétienté enEurope. Tu es Petrus vous invite à la lire intégralement.En introduction, nous reproduisons avec sa bienveil-lante autorisation un communiqué de Bernard Antony,président de « Chrétienté Solidarité », qui permet d’ap-précier d’emblée la portée de la déclaration de Cuba.

La déclarationde Cuba

LA DECLARATION DE CUBA

L es cheminements de l’histoire,si souvent humainement im-prévisibles, auront été marqués

ce vendredi 12 février 2016 par larencontre dans l’aéroport de Cubadu chef de l’Église catholique, lepape François, avec le patriarcheKirill, le chef d’un des neuf patriarcatsbyzantins orthodoxes, le plus im-portant aujourd’hui sous bien desaspects, celui de Moscou.

La rencontre a été d’autantplus marquante qu’avec ce patriarcatbyzantin de Moscou, à la différencede certains autres, et notamment decelui de Constantinople, elle a été lapremière après le millénaire de ruptureconsécutif au grand schisme de 1054du patriarche de Constantinople Mi-chel 1° Cérulaire.

La Déclaration commune entrente points qui s’en est suivie aus-sitôt, simultanément publiée en italienet russe, et traduite en bien deslangues, est un texte d’une très grandeclarté et lisibilité, à la différence decertains autres du pape François né-cessitant un effort de clarification.On en retiendra pour le moins lestraits essentiels que voici :

- Un texte placé dans le rappeldu partage de « la tradition spirituelledu premier millénaire du christianisme »

Déclaration commune à Cuba du pape François et du patriarche Kirill

Un très grand texte pour l’avenir du christianisme

BERNARD ANTONYPrésident de Chrétienté-Solidarité

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dans l’invocation de « la Très SainteMère de Dieu, la Vierge Marie, dessaints et des innombrables martyrsayant manifesté leur fidélité au Christ ».

- Dès le 8° point, François etKirill expriment : « Notre regard seporte avant tout vers les nombreuxpays où des chrétiens subissent la per-sécution ».

- Ils évoquent « les nombreux paysdu Proche-Orient et d’Afrique du Nordoù nos frères et sœurs en Christ sontexterminés par familles, villes et villagesentiers ».

- Très clairement, au point 9, ilsappellent « la communauté interna-tionale à des actions urgentes pourempêcher que se poursuive l’évictiondes chrétiens du Proche-Orient ».

- On retrouve là, mille ans après,avec les formes actuelles, les accentsdes appels pour faire cesser les ef-froyables abominations en Terre Saintedes Turcs Seldjoukides et les perver-sions massacreuses du calife al-Hâkim,modèles des terroristes de l’État isla-mique aujourd’hui. Les « actions ur-gentes » contre les barbares à l’appeldu pape et des patriarches s’appelaientalors « croisades ».

- François et Kirill dénoncentaussi vigoureusement (point 15) « larestriction de la liberté religieuse dans

tant de pays, du droit de témoigner deleurs convictions et de vivre conformé-ment à elles ». Ils déplorent « la limi-tation actuelle des droits des chrétiens,voire leur discrimination, lorsque cer-taines forces politiques, guidées parl’idéologie d’un sécularisme souventagressif s’efforcent de les pousser auxmarges de la vie publique ». Commentne pas voir que cette préoccupations’applique explicitement à bien despays d’occident et particulièrementà la France ?

- François et Kirill poursuiventtrès fermement en effet : « Nous met-tons en garde contre une intégrationeuropéenne qui ne serait pas respectueusedes identités religieuses ». Tout en de-meurant ouverts à la contributiondes autres religions à notre civilisation,nous sommes convaincus que l’Europedoit rester fidèle à ses racines chré-tiennes. Et sans ambiguïté encore :« Nous appelons les chrétiens européensd’Orient et d’Occident à s’unir pourtémoigner ensemble du Christ et del’Évangile pour que l’Europe conserveson âme formée par deux mille ans detradition chrétienne ». Nous retrouvonslà les accents de Saint Jean-Paul IIqui, le 10 avril 1985, à Rome m’en-courageait : « Oui, opposez-vous avecvigueur à la décadence de l’Eu-rope ! ».

- La Déclaration continue ensuitenotamment (points 19 et 20) avec

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les propos d’une réitération impérativede la commune doctrine chrétiennesur la famille « fondée sur le mariage,acte d’amour libre et fidèle d’un hommeet d’une femme ». On y lit : « Nousregrettons que d’autres formes de co-habitation soient désormais mises surle même plan que cette union, tandisque la conception de la paternité et dela maternité comme vocation particu-lière de l’homme et de la femme dansle mariage, sanctifiée par la traditionbiblique, est chassée de la consciencepublique ». On ne peut avoir plusclaire condamnation de la loi Taubiraet autres législations semblables.

- Enfin, le point 21 rappelle l’exi-gence du respect du droit inaliénableà la vie. « Des millions d’enfants sontprivés de la possibilité même de paraîtreau monde. La voix du sang des enfantsnon nés crie vers Dieu. (cf. Gn 4,10). Ces lignes se poursuivent avecla totale condamnation de « la ma-nipulation de la vie humaine, atteinteaux fondements de l’existence del’homme, créé à l’image de Dieu ». Sur-tous les points essentiels de la doctrinesociale, la Déclaration est donc trèsencourageante pour les chrétiens fi-dèles, aussi bien orthodoxes que ca-tholiques.

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- Ces derniers pourraient en re-vanche considérer que le pape a faitune inutile concession historique aupatriarche qui se manifeste dans leslignes exprimant le regret de la mé-thode de « « l’uniatisme » du passé.On le sait, ce fut là un des pointsd’achoppement entre Moscou etRome alors que les uniates ukrainiensgréco-catholiques ont payé très lour-dement leur fidélité à la papauté.

- Mais le texte lève toute ambiguïtésur le présent en réaffirmant leur« droit d’exister et d’entreprendre toutce qui est nécessaire pour répondre auxbesoins spirituels de leurs fidèles, re-cherchant la paix avec leurs voisins. »

- On y lit : « Orthodoxes et gréco-catholiques ont besoin de se réconci-

lier » et plus loin, le clair appel à nepas soutenir un développement ul-térieur du conflit ukrainien.

C’est là bien sûr le dossier danslequel le Vatican et le patriarcat deMoscou devront exemplairements’employer à œuvrer pour la paix.

La Déclaration est d’une por-tée immense. Elle constitue commeune réanimation de la réalité etd’une conception moderne de lachrétienté. Les militants et amis deChrétienté-Solidarité, catholiqueset orthodoxes, l’accueillent avec unegrande et confiante ferveur.

(Communiqué publié par « ChrétientéSolidarité » et reproduit avec la bien-veillante autorisation de l’auteur)

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« La grâce de Notre Seigneur JésusChrist, l’amour de Dieu le Père et lacommunion du Saint-Esprit soit avecvous tous » (2 Co 13, 13).

1. Par la volonté de Dieu le Père dequi vient tout don, au nom de NotreSeigneur Jésus Christ et avec le secoursde l’Esprit Saint Consolateur, nous,Pape François et Kirill, Patriarche deMoscou et de toute la Russie, noussommes rencontrés aujourd’hui à LaHavane. Nous rendons grâce à Dieu,glorifié en la Trinité, pour cette ren-contre, la première dans l’histoire.

Avec joie, nous nous sommesretrouvés comme des frères dans lafoi chrétienne qui se rencontrentpour se «parler de vive voix» (2 Jn12), de cœur à cœur, et discuter desrelations mutuelles entre les Eglises,des problèmes essentiels de nos fidèleset des perspectives de développementde la civilisation humaine.

2. Notre rencontre fraternelle a eulieu à Cuba, à la croisée des cheminsentre le Nord et le Sud, entre l’Est etl’Ouest. De cette île, symbole desespoirs du «Nouveau Monde» et desévénements dramatiques de l’histoiredu XXe siècle, nous adressons notreparole à tous les peuples d’Amériquelatine et des autres continents.

Nous nous réjouissons de ceque la foi chrétienne se développeici de façon dynamique. Le puissantpotentiel religieux de l’Amérique la-tine, sa tradition chrétienne séculaire,réalisée dans l’expérience personnellede millions de personnes, sont legage d’un grand avenir pour cetterégion.

3. Nous étant rencontrés loin desvieilles querelles de l’»Ancien Monde»,nous sentons avec une force parti-culière la nécessité d’un labeur com-mun des catholiques et des ortho-

Texte intégral de la déclaration commune

du Pape Françoiset du Patriarche Kirill

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doxes, appelés, avec douceur et res-pect, à rendre compte au monde del’espérance qui est en nous (cf. 1 P3, 15).

4. Nous rendons grâce à Dieu pourles dons que nous avons reçus par lavenue au monde de son Fils unique.Nous partageons la commune Tra-dition spirituelle du premier millénairedu christianisme. Les témoins decette Tradition sont la Très SainteMère de Dieu, la Vierge Marie, etles saints que nous vénérons. Parmieux se trouvent d’innombrables mar-tyrs qui ont manifesté leur fidélitéau Christ et sont devenus «semencede chrétiens».

5. Malgré cette Tradition communedes dix premiers siècles, catholiqueset orthodoxes, depuis presque milleans, sont privés de communion dansl’Eucharistie. Nous sommes diviséspar des blessures causées par desconflits d’un passé lointain ou récent,par des divergences, héritées de nosancêtres, dans la compréhension etl’explicitation de notre foi en Dieu,un en Trois Personnes – Père, Fils etSaint Esprit. Nous déplorons la pertede l’unité, conséquence de la faiblessehumaine et du péché, qui s’est pro-duite malgré la Prière sacerdotale duChrist Sauveur : «Que tous soient un.Comme toi, Père, tu es en moi et moien toi, qu’eux aussi soient un ennous» (Jn 17, 21).

6. Conscients que de nombreux obs-tacles restent à surmonter, nous es-pérons que notre rencontre contribueau rétablissement de cette unitévoulue par Dieu, pour laquelle leChrist a prié. Puisse notre rencontreinspirer les chrétiens du monde entierà prier le Seigneur avec une ferveurrenouvelée pour la pleine unité detous ses disciples ! Puisse-t-elle, dansun monde qui attend de nous nonpas seulement des paroles mais desactes, être un signe d’espérance pourtous les hommes de bonne volonté !

7. Déterminés à entreprendre toutce qui nécessaire pour surmonter lesdivergences historiques dont nousavons hérité, nous voulons unir nosefforts pour témoigner de l’Evangiledu Christ et du patrimoine communde l’Église du premier millénaire, ré-pondant ensemble aux défis dumonde contemporain. Orthodoxeset catholiques doivent apprendre àporter un témoignage unanime à lavérité dans les domaines où cela estpossible et nécessaire. La civilisationhumaine est entrée dans un momentde changement d’époque. Notreconscience chrétienne et notre res-ponsabilité pastorale ne nous per-mettent pas de rester inactifs faceaux défis exigeant une réponse com-mune.

8. Notre regard se porte avant toutvers les régions du monde où les

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chrétiens subissent la persécution.En de nombreux pays du ProcheOrient et d’Afrique du Nord, nosfrères et sœurs en Christ sont exter-minés par familles, villes et villagesentiers. Leurs églises sont détruiteset pillées de façon barbare, leursobjets sacrés sont profanés, leurs mo-numents, détruits. En Syrie, en Iraket en d’autres pays du Proche Orient,nous observons avec douleur l’exodemassif des chrétiens de la terre d’oùcommença à se répandre notre foi etoù ils vécurent depuis les temps apos-toliques ensemble avec d’autres com-munautés religieuses.

9. Nous appelons la communautéinternationale à des actions urgentespour empêcher que se poursuivel’éviction des chrétiens du ProcheOrient. Elevant notre voix pour dé-fendre les chrétiens persécutés, nouscompatissons aussi aux souffrancesdes fidèles d’autres traditions reli-gieuses devenus victimes de la guerrecivile, du chaos et de la violence ter-roriste.

10. En Syrie et en Irak, la violence adéjà emporté des milliers de vies,laissant des millions de gens sansabri ni ressources. Nous appelons lacommunauté internationale à mettrefin à la violence et au terrorisme et,simultanément, à contribuer par ledialogue à un prompt rétablissementde la paix civile. Une aide humanitaire

à grande échelle est indispensableaux populations souffrantes et auxnombreux réfugiés dans les pays voi-sins.

Nous demandons à tous ceuxqui pourraient influer sur le destinde ceux qui ont été enlevés, en parti-culier des Métropolites d’Alep Paulet Jean Ibrahim, séquestrés en avril2013, de faire tout ce qui est nécessairepour leur libération rapide.

11. Nous élevons nos prières vers leChrist, le Sauveur du monde, pourle rétablissement sur la terre duProche Orient de la paix qui est «lefruit de la justice» (Is 32, 17), pourque se renforce la coexistence frater-nelle entre les diverses populations,Églises et religions qui s’y trouvent,pour le retour des réfugiés dans leursfoyers, la guérison des blessés et lerepos de l’âme des innocents tués.

Nous adressons un fervent ap-pel à toutes les parties qui peuventêtre impliquées dans les conflitspour qu’elles fassent preuve de bonnevolonté et s’asseyent à la table desnégociations. Dans le même temps,il est nécessaire que la communautéinternationale fasse tous les effortspossibles pour mettre fin au terro-risme à l’aide d’actions communes,conjointes et coordonnées. Nousfaisons appel à tous les pays impliquésdans la lutte contre le terrorismepour qu’ils agissent de façon res-ponsable et prudente. Nous exhor-

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tons tous les chrétiens et tous lescroyants en Dieu à prier avec ferveurle Dieu Créateur du monde et Pro-vident, qu’il protège sa création dela destruction et ne permette pasune nouvelle guerre mondiale. Pourque la paix soit solide et durable,des efforts spécifiques sont nécessairesafin de redécouvrir les valeurs com-munes qui nous unissent, fondéessur l’Évangile de Notre SeigneurJésus Christ.

12. Nous nous inclinons devant lemartyre de ceux qui, au prix de leurpropre vie, témoignent de la véritéde l’Évangile, préférant la mort àl’apostasie du Christ. Nous croyonsque ces martyrs de notre temps, issusde diverses Églises, mais unis parune commune souffrance, sont ungage de l’unité des chrétiens. A vousqui souffrez pour le Christ s’adressela parole de l’apôtre :«Très chers !…dans la mesure où vous participez auxsouffrances du Christ, réjouissez-vous,afin que, lors de la révélation de Sagloire, vous soyez aussi dans la joie etl’allégresse» (1 P 4, 12-13).

13. En cette époque préoccupanteest indispensable le dialogue interre-ligieux. Les différences dans la com-préhension des vérités religieuses nedoivent pas empêcher les gens defois diverses de vivre dans la paix etla concorde. Dans les circonstancesactuelles, les leaders religieux ont

une responsabilité particulière pouréduquer leurs fidèles dans un espritde respect pour les convictions deceux qui appartiennent à d’autrestraditions religieuses. Les tentativesde justifications d’actions criminellespar des slogans religieux sont abso-lument inacceptables. Aucun crimene peut être commis au nom deDieu,«car Dieu n’est pas un Dieu dedésordre, mais de paix» (1 Co 14,33).

14. Attestant de la haute valeur de laliberté religieuse, nous rendons grâceà Dieu pour le renouveau sans pré-cédent de la foi chrétienne qui seproduit actuellement en Russie eten de nombreux pays d’Europe del’Est, où des régimes athées dominè-rent pendant des décennies. Au-jourd’hui les fers de l’athéisme militantsont brisés et en de nombreux endroitsles chrétiens peuvent confesser libre-ment leur foi. En un quart de siècleont été érigés là des dizaines demilliers de nouvelles églises, ouvertsdes centaines de monastères et d’éta-blissements d’enseignement théolo-gique. Les communautés chrétiennesmènent une large activité caritativeet sociale, apportant une aide diver-sifiée aux nécessiteux. Orthodoxeset catholiques œuvrent souvent côteà côte. Ils attestent des fondementsspirituels communs de la convivancehumaine, en témoignant des valeursévangéliques.

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15. Dans le même temps, noussommes préoccupés par la situationde tant de pays où les chrétiens seheurtent de plus en plus souvent àune restriction de la liberté religieuse,du droit de témoigner de leurs convic-tions et de vivre conformément àelles. En particulier, nous voyonsque la transformation de certainspays en sociétés sécularisées, étrangèreà toute référence à Dieu et à savérité, constitue un sérieux dangerpour la liberté religieuse. Noussommes préoccupés par la limitationactuelle des droits des chrétiens,voire de leur discrimination, lorsquecertaines forces politiques, guidéespar l’idéologie d’un sécularisme sisouvent agressif, s’efforcent de lespousser aux marges de la vie pu-blique.

16. Le processus d’intégration eu-ropéenne, initié après des siècles deconflits sanglants, a été accueilli parbeaucoup avec espérance, commeun gage de paix et de sécurité. Ce-pendant, nous mettons en gardecontre une intégration qui ne seraitpas respectueuse des identités reli-gieuses. Tout en demeurant ouvertsà la contribution des autres religionsà notre civilisation, nous sommesconvaincus que l’Europe doit resterfidèle à ses racines chrétiennes. Nousappelons les chrétiens européensd’Orient et d’Occident à s’unir pourtémoigner ensemble du Christ et de

l’Évangile, pour que l’Europeconserve son âme formée par deuxmille ans de tradition chrétienne.

17. Notre regard se porte sur lespersonnes se trouvant dans des si-tuations de détresse, vivant dans desconditions d’extrême besoin et depauvreté, alors même que croissentles richesses matérielles de l’humanité.Nous ne pouvons rester indifférentsau sort de millions de migrants etde réfugiés qui frappent à la portedes pays riches. La consommationsans limite, que l’on constate danscertains pays plus développés, épuiseprogressivement les ressources denotre planète. L’inégalité croissantedans la répartition des biens terrestresfait croître le sentiment d’injusticeà l’égard du système des relationsinternationales qui s’est institué.

18. Les Églises chrétiennes sont ap-pelées à défendre les exigences de lajustice, le respect des traditions despeuples et la solidarité effective avectous ceux qui souffrent. Nous, chré-tiens, ne devons pas oublier que «cequ’il y a de faible dans le monde,voilà ce que Dieu a choisi, pourcouvrir de confusion ce qui est fort ;ce qui est d’origine modeste, méprisédans le monde, ce qui n’est pas, voilàce que Dieu a choisi, pour réduire àrien ce qui est ; ainsi aucun être dechair ne pourra s’enorgueillir devantDieu» (1 Co 1, 27-29).

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19. La famille est le centre naturelde la vie humaine et de la société.Nous sommes inquiets de la crise dela famille dans de nombreux pays.Orthodoxes et catholiques, partageantla même conception de la famille,sont appelés à témoigner que celle-ci est un chemin de sainteté, mani-festant la fidélité des époux dansleurs relations mutuelles, leur ou-verture à la procréation et à l’éducationdes enfants, la solidarité entre les gé-nérations et le respect pour les plusfaibles.

20. La famille est fondée sur le ma-riage, acte d’amour libre et fidèled’un homme et d’une femme.L’amour scelle leur union, leur ap-prend à se recevoir l’un l’autre commedon. Le mariage est une école d’amouret de fidélité. Nous regrettons qued’autres formes de cohabitation soientdésormais mises sur le même planque cette union, tandis que la concep-tion de la paternité et de la maternitécomme vocation particulière del’homme et de la femme dans le ma-riage, sanctifiée par la tradition bi-blique, est chassée de la consciencepublique.

21.Nous appelons chacun au respectdu droit inaliénable à la vie. Des mil-lions d’enfants sont privés de la pos-sibilité même de paraître au monde.La voix du sang des enfants non néscrie vers Dieu (cf. Gn 4, 10).

Le développement de la pré-tendue euthanasie conduit à ce queles personnes âgées et les infirmescommencent à se sentir être unecharge excessive pour leur famille etla société en général.

Nous sommes aussi préoccupéspar le développement des technologiesde reproduction biomédicale, car lamanipulation de la vie humaine estune atteinte aux fondements de l’exis-tence de l’homme, créé à l’image deDieu. Nous estimons notre devoirde rappeler l’immuabilité des principesmoraux chrétiens, fondés sur le respectde la dignité de l’homme appelé à lavie, conformément au dessein de sonCréateur.

22.Nous voulons adresser aujourd’huiune parole particulière à la jeunessechrétienne. A vous, les jeunes, ap-partient de ne pas enfouir le talentdans la terre (cf. Mt 25, 25), maisd’utiliser toutes les capacités queDieu vous a données pour confirmerdans le monde les vérités du Christ,pour incarner dans votre vie les com-mandements évangéliques de l’amourde Dieu et du prochain. Ne craignezpas d’aller à contre-courant, défendantla vérité divine à laquelle les normesséculières contemporaines sont loinde toujours correspondre.

23. Dieu vous aime et attend dechacun de vous que vous soyez sesdisciples et apôtres. Soyez la lumière

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du monde, afin que ceux qui vousentourent, voyant vos bonnes actions,rendent gloire à votre Père céleste (cf.Mt 5, 14, 16). Eduquez vos enfantsdans la foi chrétienne, transmettez-leur la perle précieuse de la foi (cf.Mt 13, 46) que vous avez reçue devos parents et aïeux. N’oubliez pasque vous «avez été rachetés à un cherprix» (1 Co 6, 20), au prix de la mortsur la croix de l’Homme-Dieu JésusChrist.

24. Orthodoxes et catholiques sontunis non seulement par la communeTradition de l’Église du premier mil-lénaire, mais aussi par la mission deprêcher l’Évangile du Christ dans lemonde contemporain. Cette missionimplique le respect mutuel des mem-bres des communautés chrétiennes,exclut toute forme de prosélytisme.

Nous ne sommes pas concur-rents, mais frères : de cette conceptiondoivent procéder toutes nos actionsles uns envers les autres et envers lemonde extérieur. Nous exhortons lescatholiques et les orthodoxes, danstous les pays, à apprendre à vivre en-semble dans la paix, l’amour et àavoir «les uns pour les autres la mêmeaspiration» (Rm 15, 5). Il ne peutdonc être question d’utiliser des moyensindus pour pousser des croyants àpasser d’une Église à une autre, niantleur liberté religieuse ou leurs traditionspropres. Nous sommes appelés àmettre en pratique le précepte de

l’apôtre Paul : «Je me suis fait un hon-neur d’annoncer l’Évangile là où Christn’avait point été nommé, afin de ne pasbâtir sur le fondement d’autrui» (Rm15, 20).

25.Nous espérons que notre rencontrecontribuera aussi à la réconciliationlà où des tensions existent entre gréco-catholiques et orthodoxes. Il est clairaujourd’hui que la méthode de l’«unia-tisme» du passé, comprise comme laréunion d’une communauté à uneautre, en la détachant de son Église,n’est pas un moyen pour recouvrirl’unité. Cependant, les communautésecclésiales qui sont apparues en cescirconstances historiques ont le droitd’exister et d’entreprendre tout ce quiest nécessaire pour répondre aux be-soins spirituels de leurs fidèles, re-cherchant la paix avec leurs voisins.Orthodoxes et gréco-catholiques ontbesoin de se réconcilier et de trouverdes formes de coexistence mutuelle-ment acceptables.

26. Nous déplorons la confrontationen Ukraine qui a déjà emporté denombreuses vies, provoqué d’innom-brables blessures à de paisibles habitantset placé la société dans une grave criseéconomique et humanitaire. Nousexhortons toutes les parties du conflità la prudence, à la solidarité sociale,et à agir pour la paix. Nous appelonsnos Églises en Ukraine à travaillerpour atteindre la concorde sociale, à

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s’abstenir de participer à la confron-tation et à ne pas soutenir un déve-loppement ultérieur du conflit.

27. Nous exprimons l’espoir que leschisme au sein des fidèles orthodoxesd’Ukraine sera surmonté sur le fon-dement des normes canoniques exis-tantes, que tous les chrétiens orthodoxesd’Ukraine vivront dans la paix et laconcorde et que les communautés ca-tholiques du pays y contribueront,de sorte que soit toujours plus visiblenotre fraternité chrétienne.

28. Dans le monde contemporain,multiforme et en même temps unipar un même destin, catholiques etorthodoxes sont appelés à collaborerfraternellement en vue d’annoncer laBonne Nouvelle du salut, à témoignerensemble de la dignité morale et de laliberté authentique de la personne,«pourque le monde croie» (Jn 17, 21). Cemonde, dans lequel disparaissent pro-gressivement les piliers spirituels del’existence humaine, attend de nousun fort témoignage chrétien dans tousles domaines de la vie personnelle etsociale. De notre capacité à porter en-semble témoignage de l’Esprit de véritéen ces temps difficiles dépend engrande partie l’avenir de l’humanité.

29. Que dans le témoignage hardi dela vérité de Dieu et de la Bonne Nou-velle salutaire nous vienne en aidel’Homme-Dieu Jésus Christ, notre

Seigneur et Sauveur, qui nous fortifiespirituellement par sa promesse in-faillible : «Sois sans crainte, petit trou-peau : votre Père a trouvé bon de vousdonner le Royaume» (Lc 12, 32) !

Le Christ est la source de la joieet de l’espérance. La foi en Lui trans-figure la vie de l’homme, la remplitde sens. De cela ont pu se convaincrepar leur propre expérience tous ceux àqui peuvent s’appliquer les paroles del’apôtre Pierre : «Vous qui jadis n’étiezpas un peuple et qui êtes maintenant lePeuple de Dieu, qui n’obteniez pas mi-séricorde et qui maintenant avez obtenumiséricorde» (1 P 2, 10).

30. Remplis de gratitude pour ledon de la compréhension mutuellemanifesté lors de notre rencontre,nous nous tournons avec espérancevers la Très Sainte Mère de Dieu, enl’invoquant par les paroles de l’antiqueprière : «Sous l’abri de ta miséricorde,nous nous réfugions, Sainte Mère deDieu». Puisse la Bienheureuse ViergeMarie, par son intercession, conforterla fraternité de ceux qui la vénèrent,afin qu’ils soient au temps fixé parDieu rassemblés dans la paix et laconcorde en un seul Peuple de Dieu,à la gloire de la Très Sainte et indivi-sible Trinité !

FrançoisÉvêque de Rome

Pape de l’Eglise Catholique

KirillPatriarche de Moscou et de toute la Russie

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LUTURGIE

Dieu au centre de la Liturgie

L'appel du Cardinal Sarah

LITURGIE

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Le cinq juillet 2016, lors du troisième congrès internationalSacra Liturgia, le cardinal Robert Sarah, préfet de la Congrégationpour le Culte Divin et la discipline des Sacrements, a prononcé àLondres une conférence qui revêt une particulière importance dèslors que l’on se soucie de placer Dieu au centre de la Sainte Liturgie.Même si le propos du Cardinal concerne d’abord la forme ordinairedu rite romain, les principes énoncés et vigoureusement défendusvalent pour toute liturgie, laquelle n’est jamais œuvre simplementhumaine mais bien plutôt action sacrée destinée à rendre à Dieu leculte qui lui est dû et à favoriser la sanctification des fidèles.

La Sainte Liturgie est par sa nature même orientée versDieu. Le Cardinal demande pour bien le signifier de revenir à lacélébration de la messe versus orientem, tournée vers l’Orient. Cetappel est l’une des propositions les plus significatives qu’il lance.On lira avec profit l’intégralité de ses propos car c’est l’ensemblede la conférence qui est instructif. La salle de presse du Saint-Siège a donné l’impression d’en relativiser la portée voire d’en in-firmer les déclarations. Toutefois, le cardinal Sarah a pris soin aucours de sa conférence de mentionner que le Pape lui avait de-mandé de « continuer l’œuvre liturgique extraordinaire entreprisepar Benoît XVI ». La conférence de Londres peut constituer unmoment important de ce nouveau mouvement liturgique qui veutrendre son caractère théocentrique à la Sainte Liturgie.

Dieu au centre de la Liturgie

L'appel du Cardinal Sarah

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SALUTATIONS

Excellences, messieurs les abbés,mes révérends pères, chers frères etsœurs dans le Christ,

Je souhaite tout d’abord expri-mer mes sincères remerciements àSon Eminence le Cardinal VincentNichols pour son accueil dans l’ar-chidiocèse de Westminster et pourses aimables mots de salutation. Jesouhaite également remercier SonExcellence Mgr Dominique Rey,évêque de Fréjus-Toulon, pour soninvitation à être présent avec vouspour cette troisième conférence in-ternationale Sacra Liturgia, et à pro-noncer le discours d’ouverture ce soir.

Excellence, je vous félicite decette initiative internationale pourpromouvoir l’étude de l’importancede la formation et de la célébrationliturgique dans la vie et la missionde l’Eglise.

Je suis très heureux d’être avecvous tous aujourd’hui. Je remerciechacun de vous pour votre présencequi reflète votre haute considérationpour ce que, encore le Cardinal, Jo-seph Ratzinger appelait « la questionde la liturgie » aujourd’hui, à l’oréedu XXIe siècle. C’est un grand signed’espérance pour l’Eglise.

INTRODUCTION

Dans son enseignement du 18février 2014 au symposium célébrantle 50e anniversaire de la Constitutionsur la Sainte Liturgie SacrosanctumConcilium du Concile Vatican II, lePape François faisait observer quecélébrer les 50 années écoulées depuisla promulgation de la Constitutiondevrait « nous [pousser] à relancernotre engagement à accueillir et àmettre en œuvre de manière toujours

Allocution de son eminence le Cardinal Robert Sarah

Préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la discipline des sacrements

lors de la conférence “Sacra Liturgia 2016”

Vers une authentique mise en œuvre

de Sacrosanctum Concilium

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plus complète [l’]enseignement [deSacrosanctum Concilium]. » (traduc-tion : zenit.org) Le Saint-Père a ainsipoursuivi : « Il est nécessaire d’unirnotre volonté renouvelée d’avancersur le chemin indiqué par les Pèresconciliaires, parce qu’il reste encorebeaucoup à faire pour parvenir à uneassimilation complète de la Consti-tution sur la Sainte Liturgie de lapart des fidèles et des communautésecclésiales. Je veux parler en particulierd’un engagement en vue d’une ini-tiation et une formation liturgiquessolides et équilibrées des fidèles laïcscomme des prêtres et des personnesconsacrées ». (traduction : zenit.org)

Le Saint-Père a raison. Nousavons beaucoup à faire pour réaliserla vision des Pères du Concile VaticanII pour la vie liturgique de l’Eglise.Nous avons vraiment beaucoup àfaire si, aujourd’hui, après plus decinquante ans de la fin du ConcileVatican II, nous voulons parvenir à« une correcte et complète assimilationde la Constitution sur la Sainte Li-turgie ».

Dans cette intervention, je sou-haite vous présenter quelques consi-dérations sur la manière dont l’Egliseoccidentale pourrait avancer vers unemise en œuvre plus fidèle de Sacro-sanctum Concilium. Ce faisant, jeme propose de poser quelques ques-tions : « Quelle était l’intention desPères du Concile Vatican II lorsqu’ils

envisageaient la réforme liturgique ?» Ensuite, je souhaite examiner com-ment leurs intentions ont été misesen œuvre à la suite du Concile.Enfin, j’aimerais vous proposerquelques suggestions pour la vie li-turgique de l’Eglise aujourd’hui, afinque notre pratique de la liturgiepuisse refléter plus fidèlement les in-tentions des Pères du Concile.

A. QU’EST-CE QUE LA SAINTE LITURGIE ?

Avant toute chose, nous devonsexaminer une question préalable :« Qu’est-ce que la sainte liturgie ? »En effet, si nous ne comprenons pasla nature propre de la liturgie catho-lique, ce en quoi elle se distinguedes rites des autres communautéschrétiennes et d’autres religions, nousne pouvons pas espérer comprendrela Constitution sur la Sainte Liturgiedu Concile Vatican II, ni avancer fi-dèlement vers sa plus parfaite miseen application.

Dans le Motu proprio Tra lesollecitudini du 22 novembre 1903,le Pape Saint Pie X enseignait que« les saints mystères » et « la prièrepublique et solennelle de l’Eglise »,c’est-à-dire la sainte liturgie, sont la« principale et indispensable source »pour acquérir « le vrai esprit chrétien ».Par conséquent, saint Pie X appelaità une réelle et fructueuse participation

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de tous dans les rites liturgiques del’Eglise. Comme chacun le sait, cetenseignement et cette exhortationont été repris dans l’article 14 deSacrosanctum Concilium.

Le Pape Pie XI, vingt-cinq ansplus tard, s’était clairement prononcésur le même sujet, dans la Constitu-tion apostolique Divini Cultus du20 décembre 1928, enseignant que« la liturgie est, en effet, chose sacrée.Par elle, nous nous élevons jusqu’àDieu et nous nous unissons à lui,nous professons notre foi, nous rem-plissons envers lui le très grave devoirde la reconnaissance pour les bienfaits

et les secours qu’il nous accorde etdont nous avons un perpétuel be-soin ».

Le Vénérable Pie XII consacrala Lettre encyclique Mediator Dei du20 novembre 1947 à la sainte liturgie.Dans celle-ci, il enseignait que :

« La Sainte Liturgie est […] leculte public que notre Rédempteurrend au Père comme Chef de l’Église ;c’est aussi le culte rendu par la sociétédes fidèles à son chef et, par lui, auPère éternel : c’est, en un mot, leculte intégral du Corps mystique deJésusChrist, c’est-à-dire du Chef etde ses membres » (n. 20).

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Le Pape fit valoir que « lanature et l’objet de la sainte liturgie »est qu’« elle vise à unir nos âmes auChrist et à les sanctifier dans le divinRédempteur afin que le Christ fûthonoré et, par lui et en lui, la trèssainte Trinité. » (N. 171)

Le Concile Vatican II enseignequ’au travers de la liturgie « l’œuvrede notre rédemption est accomplie »(Sacrosanctum Concilium, 2) et que :« la liturgie est considérée commel’exercice de la fonction sacerdotalede Jésus Christ, exercice dans lequella sanctification de l’homme est si-gnifiée par des signes sensibles, estréalisée d’une manière propre à chacund’eux, et dans lequel le culte publicintégral est exercé par le Corps mys-tique de Jésus Christ, c’est-à-dire parle Chef et par ses membres.

Par conséquent, toute célébra-tion liturgique, en tant qu’œuvre duChrist prêtre et de son Corps qui estl’Église, est l’action sacrée par excel-lence dont nulle autre action del’Église ne peut atteindre l’efficacitéau même titre et au même degré »(n. 7).

A la suite de ces assertions,Sacrosanctum Concilium enseigneque : « la liturgie … est le sommetauquel tend l’action de l’Église, eten même temps la source d’où découletoute sa vertu. Car les labeurs apos-toliques visent à ce que tous, devenusenfants de Dieu par la foi et le bap-tême, se rassemblent, louent Dieu

au milieu de l’Église, participent ausacrifice et mangent la Cène du Sei-gneur » (n. 10).

Il serait possible de poursuivrecet exposé du magistère sur la naturede la sainte liturgie en le complétantavec l’apport des Papes post-conci-liaires et du Catéchisme de l’Eglisecatholique. Mais pour l’heure, te-nons-nous en au Concile Vatican II.A mon sens, l’enseignement de l’Egliseest très clair : la liturgie catholiqueest le lieu privilégié et singulier del’action salvifique de Dieu dans lemonde, aujourd’hui. Et elle le fait àtravers une participation réelle parlaquelle nous recevons la grâce et laforce qui nous sont si nécessairespour persévérer et croître dans la viechrétienne. C’est un lieu d’institutiondivine où nous venons accomplirl’offrande du sacrifice dû à Dieu, leseul véritable sacrifice. C’est l’endroitoù nous prenons conscience de notreprofond besoin d’adorer le Dieu tout-puissant.

La liturgie catholique est unechose sacrée, une chose sainte danssa nature même. La liturgie catholiquen’est pas une assemblée humaine or-dinaire.

Je souhaite souligner, ici, unfait très important : c’est Dieu etnon l’homme qui est au centre de laliturgie catholique. Nous venons pourl’adorer. Dans la liturgie, il ne s’agitpas de vous ou de moi. Ce n’est pas

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le lieu où nous célébrons notre propreidentité, nos réalisations, où nousexaltons ou promouvons notre propreculture et les valeurs de nos coutumesreligieuses locales. La liturgie concerneet appartient d’abord et avant tout àDieu et célèbre ce qu’il a fait pournous. Le Tout-Puissant, dans sa divineProvidence, a fondé une Eglise etinstitué la sainte liturgie. A traverselle, il nous est possible de rendre unauthentique culte à Dieu, en confor-mité avec la Nouvelle Alliance établiepar le Christ. En faisant cela, en en-trant dans les exigences des rites sacrésdéveloppés dans la tradition de l’Eglise,nous trouvons notre véritable identitéet le sens de notre existence en tantque fils et filles de Dieu.

Il est essentiel que nous com-prenions cette spécificité du cultecatholique, parce que dans les der-nières décennies nous avons vu beau-coup de célébrations liturgiques aucours desquelles des personnes et desréalisations humaines ont été tropprééminentes, excluant quasimentDieu. Le Cardinal Ratzinger a écritque « Si la Liturgie constitue d’abordun lieu d’expérimentation pour réa-liser nos activités, alors l’essentiel estoublié, c’est-à-dire Dieu. Ce n’estpas nous qui sommes le sujet de laliturgie : c’est Dieu. Oublier Dieuest le plus grave danger de notreépoque. » (Joseph Ratzinger, Theologyof the Liturgy, Collected Works vol.11, Ignatius Press, San Francisco

2014, p. 593, traduction libre)Nous devons être très clairs

quant à la nature du culte catholiquesi nous voulons faire une lecture cor-recte et une mise en application fidèlede la Constitution sur la Sainte Li-turgie du Concile Vatican II. LesPères du Concile avaient été imprégnésde l’enseignement magistériel desPapes du XXe siècle que je viens deciter. Saint Jean XXIII ne convoquapas un Concile œcuménique poursaper cet enseignement qu’il défendaitlui-même. Les Pères du Concile nevinrent pas à Rome, en octobre 1962,dans l’intention de produire une li-turgie anthropocentrique. Bien plutôt,le Pape et les Pères du Concile re-cherchèrent des voies par lesquellesles fidèles du Christ pourraient puisertoujours plus profondément à la« principale et indispensable source »afin d’acquérir « le vrai esprit chrétien »nécessaire à leur propre salut et àcelui des hommes de notre temps.

B. QUELLE ETAIT L’INTENTION DES PERES DU CONCILE VATICAN II ?

Nous devons examiner les in-tentions des Pères du Concile dans ledétail, surtout si notre volonté au-jourd’hui est de leur être plus fidèles.Qu’ont-ils voulu apporter à travers laConstitution sur la Sainte Liturgie ?

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Commençons par le tout pre-mier article de Sacrosanctum Conci-lium :« Puisque le saint Concile se proposede faire progresser la vie chrétiennede jour en jour chez les fidèles ; demieux adapter aux nécessités de notreépoque celles des institutions quisont sujettes à des changements ; defavoriser tout ce qui peut contribuerà l’union de tous ceux qui croient auChrist, et de fortifier tout ce quiconcourt à appeler tous les hommesdans le sein de l’Église » (n.1).

Souvenons-nous que lorsquele Concile s’ouvrit, la réforme litur-gique avait imprégné la réflexion dela décennie qui l’avait précédé, et lesPères en étaient très familiers. Sur

cette question, ils n’avaient pas desvues purement théoriques, détachéesde tout contexte. Ils espéraient pour-suivre le travail déjà commencé etétudier les altiora principia, les prin-cipes fondamentaux les plus impor-tants de la réforme liturgique qu’avaitévoqués saint Jean XXIII dans leMotu proprio Rubricarum Instructumdu 25 juillet 1960.

Ainsi le premier article de laConstitution donne quatre raisonspour entreprendre une réforme li-turgique. La première, « faire pro-gresser de jour en jour la vie chrétiennechez les fidèles ». C’est là le souciconstant des pasteurs de l’Eglise, àchaque époque.

La deuxième, « mieux adapteraux nécessités de notre époque cellesdes institutions qui sont sujettes àdes changements », nous invite ànous arrêter et à méditer un instant,en tenant compte, en particulier, del’esprit du temps des années 1960.Mais en vérité, si nous lisons celadans l’esprit de l’herméneutique dela continuité, qui est, assurément,conforme aux intentions des Pèresdu Concile, cela signifie que le Concilea désiré un développement liturgiquelà où cela était possible, pour faciliterune vigueur toujours croissante dela vie chrétienne. Les Pères du Concilen’ont pas voulu changer les chosesuniquement par simple désir duchangement !

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De même, la troisième raison,« favoriser tout ce qui peut contribuerà l’union de tous ceux qui croient auChrist » nous amène à faire unepause pour réfléchir de peur quenous pensions que les Pères auraientsouhaité instrumentaliser la sainteliturgie et en faire un outil pour pro-mouvoir l’œcuménisme, en un motun simple moyen pour parvenir àune fin. Cela peut-il être le cas ?Bien sûr, après le Concile, certainsl’ont essayé. Mais les Pères eux-mêmes savaient que cela n’était paspossible. L’unité dans le culte etdevant l’autel du sacrifice est la finsouhaitée des efforts œcuméniques.La liturgie n’est pas un moyen pourpromouvoir la bonne volonté ou lacoopération dans l’œuvre apostolique.Ici, les Pères du Concile affirmentqu’une réforme liturgique peut fairepartie d’un élan qui aide les personnesà réaliser l’unité dans l’Eglise catho-lique sans laquelle une pleine com-munion à l’autel n’est pas possible.

La même motivation se litdans la quatrième raison donnéepour une réforme liturgique : « for-tifier tout ce qui concourt à appelertous les hommes dans le sein del’Église ». Ici, toutefois, nous allonsau-delà de nos frères séparés dans leChrist et considérons toute l’huma-nité. La mission de l’Eglise s’adresseà chaque homme ! Les Pères duConcile croyaient en cela et espéraientqu’une participation plus fructueuse

à la liturgie pourraient faciliter unrenouveau dans l’activité missionnairede l’Eglise.

Permettez-moi de donner unexemple. Pendant de nombreuses an-nées, avant le Concile, tant dans lespays de mission que dans les paysplus développés, on a beaucoup dis-cuté de l’opportunité d’un usage pluslarge des langues vernaculaires dansla liturgie, principalement pour leslectures de l’Ecriture sainte, et égale-ment pour tel ou tel autre élémentde la première partie de la messe(que nous appelons désormais « li-turgie de la parole ») et pour leschants liturgiques. Le Saint-Siègeavait déjà largement donné la per-mission pour l’usage de la languevernaculaire dans l’administrationdes sacrements. Voilà le contextedans lequel les Pères du Concile par-laient de possibles effets positifs dela réforme liturgique pour l’œcumé-nisme et la mission. Il est vrai que lalangue vernaculaire a un effet positifdans la liturgie. Les Pères recher-chaient cela, et non à autoriser uneprotestantisation de la sainte liturgieou à en faire l’objet d’une mauvaiseinculturation.

Je suis Africain. Permettez-moide le dire clairement : la liturgie n’estpas le lieu pour promouvoir ma cul-ture. Bien plutôt, c’est le lieu où maculture est baptisée, où ma cultures’élève à la hauteur du divin. À travers

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la liturgie de l’Eglise (que les mis-sionnaires ont apportée partout dansle monde) Dieu nous parle, Il nouschange, et nous donne de prendrepart à sa vie divine. Quand quelqu’undevient chrétien, quand quelqu’unrentre dans la pleine communion del’Eglise catholique, il reçoit quelquechose de plus, quelque chose qui lechange. Certes, les cultures et lesnouveaux chrétiens apportent des ri-chesses dans l’Eglise : la liturgie desordinariats pour les anglicans désor-mais en pleine communion avecl’Eglise catholique en est un belexemple. Mais ils apportent ces ri-chesses avec humilité, et l’Eglise,dans sa sagesse maternelle, les utilisesi elle le juge approprié.

Mais il me semble opportunde bien nous préciser ce qu’on entendpar inculturation. Si vraiment nouscomprenons la signification du termeconnaissance comme pénétration duMystère de Jésus Christ, nous possé-dons alors la clé de l’inculturation,qui n’est pas à présenter comme unequête ou une revendication pour lalégitimité d’une africanisation oud’une latino-américanisation ou asia-nisation à la place d’une occidentali-sation du christianisme. L’incultura-tion n’est pas une canonisation d’uneculture locale ni une installation danscette culture au risque de l’absolutiser.L’inculturation est une irruption etune épiphanie du Seigneur au plusintime de notre être. Et l’irruption

du Seigneur dans une vie provoqueen l’homme une déstabilisation, unarrachement en vue d’un chemine-ment selon des références nouvellesqui sont créatrices d’une culture nou-velle porteuse d’une Bonne Nouvellepour l’homme et sa dignité d’enfantde Dieu. Quand l’Evangile entredans une vie, il la déstabilise, il latransforme. Il lui donne une orien-tation nouvelle, des références moraleset éthiques nouvelles. Il tourne lecœur de l’homme vers Dieu et versle prochain pour les aimer et lesservir absolument et sans calcul.Quand Jésus entre dans une vie, il latransfigure, il la divinise par la Lumièrefulgurante de Son Visage, tout commeSaint Paul l’a été sur la Route deDamas (cf. Act 9,5-6).

De même que, par l’Incarna-tion le Verbe de Dieu s’est fait entout semblable aux hommes, saufdans le péché (He 4,15), ainsi l’Evan-gile assume toutes les valeurs humaineset culturelles, mais refuse de prendrecorps dans les structures de péché.C’est dire que plus le péché individuelet collectif abonde dans une com-munauté humaine ou ecclésiale,moins il y a de place pour l’incultu-ration. Au contraire, plus une com-munauté chrétienne resplendit desainteté et rayonne de valeurs évan-géliques, plus elle a des chances deréussir l’inculturation du messagechrétien. L’inculturation de la foi estdonc un défi de sainteté. Elle permet

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de vérifier le degré de sainteté et leniveau de pénétration de l’Evangileet de la foi en Jésus Christ dans unecommunauté chrétienne. L’incultu-ration n’est donc pas un folklore re-ligieux.

Elle ne se réalise pas essentiel-lement dans l’utilisation des langueslocales, des instruments et de la mu-sique latino-américaine, des dansesafricaines ou des rites et symbolesafricains ou asiatiques, dans la liturgieet les sacrements. L’inculturation,c’est Dieu qui descend et entre dansla vie, les comportements moraux,dans les cultures et coutumes deshommes pour les libérer du péché etles introduire dans la Vie Trinitaire.Certes la foi a besoin d’une culturepour être communiquée. C’est pourcela que Saint Jean-Paul II a affirméqu’une foi qui ne devient pas uneculture est une foi qui se meurt. «L’inculturation correctement menéedoit être guidée par deux principes :la compatibilité avec l’Evangile et lacommunion avec l’Eglise universelle» (Lettre encyclique, Redemptoris mis-sio, 7 décembre 1990, n. 54).

J’ai passé du temps à examinerle premier article de la Constitutionsur la Sainte Liturgie parce qu’il esttrès important que nous lisions vrai-ment Sacrosanctum Concilium dansson contexte, comme un documentqui devait promouvoir un dévelop-pement légitime (tel que le plusgrand usage des langues vernaculaires)

dans la continuité de la nature, del’enseignement et de la mission del’Eglise dans le monde moderne.Nous ne devons pas y lire des chosesqui ne s’y trouvent pas. Les Pèresn’avaient pas l’intention de faire larévolution, mais une évolution, uneréforme modérée.

Les intentions des Pères duConcile s’expriment clairement dansd’autres passages-clefs.

L’article 14 est un des plus im-portants de toute la Constitution :

« La Mère Église désire beau-coup que tous les fidèles soient amenésà cette participation pleine, conscienteet active aux célébrations liturgiques ».Cette participation du peuple chré-tien, comme « race élue, sacerdoceroyal, nation sainte, peuple racheté »(1 P 2, 9 ; cf. 2, 4-5) est une respon-sabilité et un droit qu’il a acquis depar son baptême.

« Cette participation pleine etactive de tout le peuple est ce qu’ondoit viser de toutes ses forces dans larestauration et la mise en valeur dela liturgie. Elle est, en effet, la sourcepremière et indispensable à laquelleles fidèles doivent puiser un espritvraiment chrétien ; et c’est pourquoielle doit être recherchée avec ardeurpar les pasteurs d’âmes, dans toutel’action pastorale, avec la pédagogienécessaire.

Mais il n’y a aucun espoir d’ob-tenir ce résultat, si d’abord les pasteurseux-mêmes ne sont pas profondément

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imprégnés de l’esprit et de la forcede la liturgie, et ne deviennent pascapables de l’enseigner ; il est doncabsolument nécessaire qu’on pourvoieen premier lieu à la formation litur-gique du clergé ».

Dans ce passage, nous enten-dons la voix des Papes telle qu’elles’exprimait avant le Concile, recher-chant une réelle et fructueuse parti-cipation à la liturgie. Mais pour par-venir à cela, il s’est avéré nécessaireet urgent de mettre l’accent sur l’en-seignement et une formation litur-gique approfondis. Les Pères font icipreuve d’un réalisme qui a peut-êtreété perdu par la suite. Ecoutonsencore les mots du Concile et pesonsleur importance : « il n’y a aucun es-poir d’obtenir ce résultat [la partici-pation active], si d’abord les pasteurseux-mêmes ne sont pas profondémentimprégnés de l’esprit et de la forcede la liturgie, et ne deviennent pascapables de l’enseigner ».

Au début de l’article 21, l’in-tention des Pères du Concile se ma-nifeste très clairement : « Pour quele peuple chrétien bénéficie plus sû-rement des grâces abondantes dansla liturgie, la sainte Mère l’Égliseveut travailler sérieusement à la res-tauration générale de la liturgie elle-même. » Ut populus christianus insacra Liturgia abundantiam gratiarumsecurius assequatur... Ceux qui connais-sent le latin savent que le mot « ut »signifie un but clair qui advient

presque immédiatement. Quelle étaitl’intention des Pères du Concile ?Que le peuple chrétien bénéficie plussûrement des grâces abondantes dansla liturgie. Comment se proposent-ils d’y parvenir ? En travaillant sé-rieusement à la restauration généralede la liturgie elle-même. (ipsius Li-turgiae generalem instaurationem sedulocurare cupit). Notez bien que lesPères évoquent une « restauration »,pas une « révolution » !

L’une des plus claires et desplus belles expressions des intentionsdes Pères du Concile se trouve audébut du deuxième chapitre de laConstitution qui traite du mystèrede la très Sainte Eucharistie. Onpeut ainsi lire dans l’article 48 :

« Aussi l’Église se soucie-t-elled’obtenir que les fidèles n’assistentpas à ce mystère de la foi comme desspectateurs étrangers et muets, maisque, le comprenant bien dans sesrites et ses prières, ils participentconsciemment, pieusement et acti-vement à l’action sacrée, soient forméspar la Parole de Dieu, se restaurent àla table du Corps du Seigneur, rendentgrâces à Dieu ; qu’offrant la victimesans tache, non seulement par lesmains du prêtre, mais aussi en unionavec lui, ils apprennent à s’offrir eux-mêmes et, de jour en jour, soientconsommés, par la médiation duChrist, dans l’unité avec Dieu etentre eux pour que, finalement, Dieusoit tout en tous ».

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Mes frères et sœurs, voilà quelleétait l’intention des Pères du Concile.Certes, ils discutèrent et votèrent surles manières spécifiques de réaliserleurs objectifs. Mais soyons clairs :les réformes des rites proposée dansla Constitution, telles que la restau-ration de la prière des fidèles à lamesse (n. 53), l’extension de la concé-lébration (n. 57), la simplificationdemandée dans les articles 34 et 50,sont toutes subordonnées aux inten-tions fondamentales des Pères duConcile que je viens de mettre enlumière. Ce sont des moyens dirigésvers une fin, et c’est la fin qu’ilimporte de réaliser.

Si nous voulons avancer versune mise en œuvre authentique deSacrosanctum Concilium, ce sont lesbuts, les fins que nous devons garderà l’esprit d’abord et avant tout. Il sepeut que si nous les étudions avecun regard nouveau et le bénéfice del’expérience de ces dernières cinq dé-cennies, nous verrons certaines ré-formes des rites et certaines règles li-turgiques sous un jour différent. Si,aujourd’hui, pour « faire progresserde jour en jour la vie chrétiennechez les fidèles » et pour « appelertous les hommes dans le sein del’Église », certaines réformes doiventêtre reconsidérées, demandons alors

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au Seigneur de nous donner l’amour,l’humilité et la sagesse de le faire.

C. QUE S’EST-IL PASSE APRES LA PROMULGATION

DE SACROSANCTUM CONCILIUM ?

Je soulève la nécessité de com-parer encore la Constitution et la ré-forme qui suivit sa promulgationparce que je ne pense pas que nouspouvons honnêtement lire au-jourd’hui, ne serait-ce que le premierarticle de Sacrosanctum Concilium,et se satisfaire de ce qui a été fait.Mes frères, où sont les fidèles dontparlaient les Pères du Concile ? Beau-coup des fidèles de naguère sont au-jourd’hui « infidèles ». Ils ne viennentplus du tout à la messe. Pour reprendreles mots de saint Jean-Paul II : « L’ou-bli de Dieu a conduit à l’abandonde l’homme, et c’est pourquoi, dansce contexte, il n’est pas surprenantque se soient largement développésle nihilisme en philosophie, le relati-visme en gnoséologie et en morale,et le pragmatisme, voire un hédonismecynique, dans la manière d’aborderla vie quotidienne. La culture euro-péenne donne l’impression d’une‘apostasie silencieuse’ de la part del’homme comblé qui vit comme siDieu n’existait pas » (Exhortationapostolique Ecclesia in Europa, 28juin 2003,9). Qu’est-il advenu de

l’unité que le Concile espérait réaliser ?Nous n’y sommes pas encore parve-nus. Avons-nous fait des progrèssubstantiels dans l’appel lancé à toutel’humanité à rejoindre le grande fa-mille de l’Eglise ? Je ne le pense pas.Et pourtant, nous avons beaucoupfait dans le domaine de la liturgie.

Au cours des 47 années de mavie de prêtre, et après plus de 36 ansde ministère épiscopal, je peux attesterque beaucoup de communautés ca-tholiques et d’individus vivent etprient avec ferveur et joie la liturgietelle qu’elle a été réformée après leConcile, puisant en son sein beau-coup, sinon la totalité des biensqu’envisageaient les Pères du Concile.C’est un fruit magnifique du Concile.Mais, par ma propre expérience, et àprésent en tant que Préfet de laCongrégation pour le Culte divin etla Discipline des Sacrements, je saisaussi qu’il y existe actuellementmaintes altérations de la liturgie ende nombreux lieux de l’Eglise. Beau-coup de situations pourraient êtreaméliorées de sorte que les objectifsdu Concile soient réalisés.

Avant de méditer sur de pos-sibles améliorations, examinons cequi s’est passé après la promulgationde la Constitution sur la Sainte Li-turgie.

Au XVIe siècle, le Pape avaitconfié la réforme liturgique vouluepar le Concile de Trente à une com-mission spéciale qui prépara la nou-

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velles édition des livres liturgiquesqui furent in fine promulgués par lePape. Cela est une procédure parfai-tement normale, et c’est à celle-cique recourut le Bienheureux PaulVI en 1964 en établissant le Consiliumad exsequendam constitutionem desacra liturgia. Nous connaissons l’es-sentiel des travaux de cette commis-sion parce que son secrétaire, MgrAnnibale Bugnini, les décrivit dansses mémoires (La réforme de la liturgie,1948-1975, Desclée de Brouwer, Pa-ris, 2015).

Le travail de cette commissionpour mettre en œuvre la Constitutionsur la Sainte Liturgie fut sans aucundoute soumis à des influences, desidéologies et à de nouvelles proposi-tions qui ne se trouvaient pas dutout dans les textes de SacrosanctumConcilium. Par exemple, il est vraique le Concile n’avait pas proposél’introduction de nouvelles Prièreseucharistiques, mais que cette idéeémergea et fut adoptée, et que denouvelles Prières eucharistiques furentpromulguées par l’autorité du Pape.Il est vrai également, comme MgrBugnini le dit clairement, que cer-taines prières et certains rites furentconstruits ou révisés à partir de l’espritdu temps, en particulier à partir dessensibilités œcuméniques. Qu’on soitallé trop loin ou non, ou que ce quia été fait ait vraiment aidé à réaliserles buts de la Constitution, ou que,par contre, ceux-ci ont été des graves

entraves, voilà autant de questionsque nous devons étudier. Je me réjouisde ce qu’aujourd’hui les savants vontau cœur de ces sujets.

Néanmoins, il est importantde se rappeler que le BienheureuxPaul VI jugea convenables les réformesproposées par la commission et qu’illes promulgua. Par son autorité apos-tolique, il les rendit normatives etassura leur licéité et leur validité.

Pourtant, pendant que le travailofficiel de réforme suivait son cours,des mauvaises interprétations signi-ficatives de la liturgie apparurent ets’enracinèrent en de multiples lieuxà travers le monde. Ces abus auniveau de la sainte liturgie augmen-tèrent à cause d’une compréhensionerronée du Concile. Cela donna lieuà des célébrations liturgiques sub-jectives et qui étaient plus centréessur les souhaits des communautéssingulières que sur le culte sacrificieldû au Dieu Tout-Puissant. Mon pré-décesseur à la tête de la congrégation,le Cardinal Francis Arinze, appelaitcette sorte de célébration, le « do-it-yourself Mass » (qu’on pourrait tra-duire par « messe artisanale »). SaintJean-Paul II a même jugé nécessaired’exprimer sa peine et sa tristessedans sa Lettre encyclique Ecclesia deEucharistia du 17 avril 2003 en cestermes:« Une croissance intérieure de lacommunauté chrétienne a réponduà ce souci d’annonce de la part du

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Magistère. Il n’y a pas de doute quela réforme liturgique du Concile aproduit de grands bénéfices de par-ticipation plus consciente, plus activeet plus fructueuse des fidèles au saintSacrifice de l’autel. Par ailleurs, dansbeaucoup d’endroits, l’adoration duSaint-Sacrement a une large placechaque jour et devient source iné-puisable de sainteté. La pieuse parti-cipation des fidèles à la processiondu Saint-Sacrement lors de la solennitédu Corps et du Sang du Christ estune grâce du Seigneur qui remplitde joie chaque année ceux qui y par-ticipent. On pourrait mentionner icid’autres signes positifs de foi etd’amour eucharistiques.Malheureusement, à côté de ces lu-mières, les ombres ne manquent pas.Il y a en effet des lieux où l’on noteun abandon presque complet duculte de l’adoration eucharistique.À cela s’ajoutent, dans tel ou telcontexte ecclésial, des abus qui contri-buent à obscurcir la foi droite et ladoctrine catholique concernant cetadmirable Sacrement. Parfois se faitjour une compréhension très réduc-trice du Mystère eucharistique. Privéde sa valeur sacrificielle, il est vécucomme s’il n’allait pas au-delà dusens et de la valeur d’une rencontreconviviale et fraternelle. De plus, lanécessité du sacerdoce ministériel,qui s’appuie sur la succession apos-tolique, est parfois obscurcie, et lecaractère sacramentel de l’Eucharistie

est réduit à la seule efficacité de l’an-nonce. D’où, ici ou là, des initiativesœcuméniques qui, bien que suscitéespar une intention généreuse, se laissentaller à des pratiques eucharistiquescontraires à la discipline dans laquellel’Église exprime sa foi. Comment nepas manifester une profonde souf-france face à tout cela ?L’Eucharistie est un don trop grandpour pouvoir supporter des ambi-guïtés et des réductions.J’espère que la présente Encycliquepourra contribuer efficacement à dis-siper les ombres sur le plan doctrinalet les manières de faire inacceptables,afin que l’Eucharistie continue à res-plendir dans toute la magnificencede son mystère » (n. 10).

Autant il y avait des pratiquesabusives, autant il y avait des réactionshostiles aux réformes officiellementpromulguées par l’autorité papale.Des personnes estimaient que les ré-formes avaient été trop loin et troprapides, d’autres les accusaient d’êtresuspectes sur le plan doctrinal. Onse souvient de la controverse quiéclata en 1969 suite à la lettre envoyéeau Bienheureux Paul VI par les Car-dinaux Ottaviani et Bacci. Ils expri-maient dans ce document des in-quiétudes sérieuses et le Pape jugeaopportun d’apporter certaines pré-cisions doctrinales. Ces questions,également, doivent être étudiées avecprécaution.

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Mais il y avait aussi une réalitépastorale : que ce soit pour de bonnesraisons ou non, des personnes pou-vaient ou ne voulaient pas participeraux rites réformés. Ils demeuraient àl’extérieur, ou participaient seulementà la liturgie non-réformée là où ilspouvaient la trouver, y comprislorsque ces célébrations n’étaient pasautorisées. De cette manière, la liturgiedevint l’expression de la division ausein de l’Eglise, au lieu d’être le lieude l’unité de l’Eglise catholique. LeConcile n’avait pas voulu que la li-turgie nous divise les uns des autres !Saint Jean-Paul II œuvra pour guérircette division, avec l’aide du CardinalRatzinger, qui, devenu Benoît XVI,chercha à faciliter la nécessaire ré-conciliation au sein de l’Eglise.

Par le Motu proprio Summo-rum Pontificum, du 7 juillet 2007, ildéclara que les individus ou lesgroupes qui souhaitent puiser dansla forme ancienne du rite romain lesrichesses qu’elle contient, peuvent lapratiquer librement. Grâce à la Pro-vidence divine, il est désormais pos-sible de célébrer notre unité catholiquetout en nous respectant, et même ennous réjouissant, de la légitime di-versité des pratiques rituelles.

Finalement, je souhaite noterqu’au milieu du travail de la réformeet de traduction qui eut lieu après leConcile (et nous savons qu’une partiede ce travail fut accompli trop rapi-dement, nous conduisant aujourd’hui

à revoir les traductions pour les rendreplus fidèles au texte original latin), iln’y eut peut-être pas assez d’attentionaccordée aux intentions fondamentalesdes Pères du Concile : pour que laparticipation liturgique qu’ils dési-raient soit réalisée : à savoir les prêtresdoivent être « imprégnés de l’espritet de la force de la liturgie, et […]capables de l’enseigner ». Nous savonsqu’un bâtiment reposant sur des fon-dations branlantes risque de s’altérer,voire de s’effondrer.

Peut-être avons-nous bâti uneliturgie nouvelle et moderne en languevernaculaire, mais si nous ne l’avonspas faite sur de solides fondations –si les séminaristes et le clergé ne sontpas « imprégnés de l’esprit et de laforce de la liturgie » comme le Concilel’exigeait – alors le peuple qui leurest confié ne pourra pas être formé.Il faut prêter attention aux parolesdes Pères du Concile : il serait «futile » d’espérer un renouveau li-turgique sans une formation liturgiqueapprofondie. Sans une formation es-sentielle, le clergé pourrait même al-térer la foi des fidèles dans le mystèreeucharistique.

Je ne voudrais pas que l’on meconsidère trop pessimiste. Et je redisencore : il y a beaucoup de laïques,de membres du clergé et de religieuxpour qui la liturgie issue de la réformepostconciliaire est la source d’un ex-traordinaire zèle apostolique et spi-rituel. Pour cela, je remercie le Sei-

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gneur Dieu Tout-Puissant. Pourtant,à partir de la brève analyse que jeviens de soumettre à votre attention,je pense que vous vous accorderezavec moi pour reconnaître que nouspouvons mieux faire. La sainte liturgiedoit vraiment devenir la source et lesommet de la vie et de la mission del’Eglise aujourd’hui, à l’orée du XXIe

siècle, comme les Pères du Concilel’ont ardemment désiré.

De toute façon, c’est cela quele Pape François nous demande defaire : « Il est nécessaire, dit-il, d’unirnotre volonté renouvelée d’avancersur le chemin indiqué par les Pères

conciliaires, parce qu’il reste encorebeaucoup à faire pour parvenir à uneassimilation complète de la Consti-tution sur la Sainte Liturgie de lapart des fidèles et des communautésecclésiales. Je veux parler en particulierd’un engagement en vue d’une ini-tiation et une formation liturgiquessolides et équilibrées des fidèles laïcscomme des prêtres et des personnesconsacrées ».

D. COMMENT DEVRIONS-NOUS AVANCER VERS UNE MISE EN ŒUVRE

VRAIMENT AUTHENTIQUEDE SACROSANCTUM CONCILIUM DANS LECONTEXTE ACTUEL ?

A la lumière des souhaits fon-damentaux des Pères du Concile etdes différentes situations que nousavons vu apparaître après le Concile,j’aimerais présenter quelques consi-dérations pratiques quant à la façonde mettre en œuvre SacrosanctumConcilium plus fidèlement dans lecontexte actuel. Quand bien mêmeje suis à la tête de la congrégationpour le Culte divin et la disciplinedes sacrements, je le fais en toutehumilité, comme prêtre et commeévêque, dans l’espoir qu’elles susci-teront des études et des réflexionsmûres ainsi que de bonnes pratiquesliturgiques partout dans l’Eglise.

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Vous ne serez pas surpris si jerecommande que nous puissionsavant tout examiner la qualité et laprofondeur de notre formation li-turgique, la manière dont nous avonsaidé le clergé, les religieux et leslaïques à s’imprégner de l’esprit etde la force de la liturgie. Trop souvent,nous supposons que les candidats àla prêtrise ou au diaconat en « savent »assez en matière liturgique. Mais ici,le Concile n’insistait pas sur les savoirsacadémiques, quoique, naturellement,la Constitution souligne l’importancedes études liturgiques (cf n. 15-17).La formation liturgique est avanttout et essentiellement une immersiondans la liturgie, dans le profond mys-tère de Dieu Notre Père bien-aimé.Il s’agit de vivre la liturgie dans toutesa richesse, de s’enivrer en buvant àune source qui n’éteint jamais notresoif pour ses délices, ses lois et sabeauté, son silence contemplatif, sonexultation et adoration, son pouvoirde nous relier intimement avec Celuiqui est à l’œuvre dans et par les ritessacrés de l’Eglise.

C’est pourquoi ceux qui sonten « formation » pour le ministèrepastoral devraient vivre la liturgieaussi pleinement que possible dansles séminaires et les maisons de for-mation. Les candidats au diaconatpermanent devraient être immergésdans une intense vie de prière litur-gique pour une période prolongée.J’ajoute que la célébration pleine et

riche de la forme ancienne du riteromain, l’usus antiquior, devrait êtreune part importante de la formationliturgique du clergé. Sans cela, com-ment commencer à comprendre et àcélébrer les rites réformés dans l’her-méneutique de la continuité si l’onn’a jamais fait l’expérience de labeauté de la tradition liturgique queconnurent les Pères du Concile eux-mêmes et qui a façonné tant deSaints pendant des siècles ? Une sageouverture au mystère de l’Eglise etsa riche tradition pluriséculaire etune humble docilité à ce que l’EspritSaint dit aux Eglises aujourd’hui sontun vrai signe que nous appartenonsà Jésus Christ : « En effet Jésus leurdit : Ainsi donc tout scribe devenudisciple du Royaume des Cieux estsemblable à un propriétaire qui tirede son trésor du neuf et du vieux »(Mt 13,52).

Si nous y parvenons, si nosnouveaux prêtres et diacres ont vrai-ment soif de la liturgie, ils seront àmême de former ceux qui leur sontconfiés, et ce, même si les circons-tances et les possibilités de leurmission ecclésiale sont plus modestesque celles d’un séminaire ou dansune cathédrale. Je connais beaucoupde prêtres, qui, dans de telles cir-constances, forment leurs fidèles dansl’esprit et la force de la liturgie, etdont les paroisses sont des exemplesde grande beauté liturgique. Nousdevrions nous souvenir que la noble

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simplicité n’est pas un minimalismeréducteur, ou un style négligé voirevulgaire. Le Pape François l’a rappelédans l’exhortation apostolique Evan-gelii Gaudium : « L’Église évangéliseet s’évangélise elle-même par la beautéde la liturgie, laquelle est aussi célé-bration de l’activité évangélisatriceet source d’une impulsion renouveléeà se donner » (n. 24).

Deuxièmement, je pense qu’ilfaut être clair au sujet de la partici-pation à la liturgie, de la participatioactuosa qu’appelait le Concile. Celaa généré beaucoup de confusions aucours des dernières décennies. L’article48 de la Constitution expose que :« L’Église se soucie […] d’obtenirque les fidèles n’assistent pas à cemystère de la foi comme des specta-teurs étrangers et muets, mais que,le comprenant bien dans ses rites etses prières, ils participent de façonconsciente, pieuse et active à l’actionsacrée […]. » Pour le Concile, laparticipation est d’abord intérieure,obtenue en « comprenant bien [lemystère de l’Eucharistie] dans sesrites et ses prières ». La vie intérieure,la vie plongée en Dieu et intimementhabitée par Dieu est la condition in-dispensable à une participation fruc-tueuse et féconde aux Saints Mystèresque nous célébrons dans la liturgie.La Célébration eucharistique doitêtre essentiellement vécue de l’inté-rieur. C’est au-dedans de nous que

Dieu désire nous rencontrer. LesPères voulaient que les fidèles chan-tent, qu’ils répondent au prêtre, qu’ilsassurent les services liturgiques leurappartenant. Mais les Pères insistentégalement pour que les fidèles « par-ticipent de façon consciente, pieuseet active à l’action sacrée ».

Si nous comprenons la prioritéd’intérioriser notre participation li-turgique nous éviterons le bruyantet dangereux activisme liturgique quis’est rencontré trop souvent dans lesdernières décennies. Nous n’allonspas à la messe pour se donner enspectacle, nous y allons pour rejoindrel’action du Christ à travers une inté-riorisation des rites, prières, signeset symboles qui font partie des ritesextérieurs. Nous prêtres, nous pour-rions nous en souvenir plus souventque les autres, nous dont la vocationest le service liturgique ! Nous devonsaussi former les autres, en particulierles enfants et les jeunes, à la véritablesignification de la participation, à lamanière de prier la liturgie.

Troisièmement, j’ai évoqué lefait que certaines réformes introduitesaprès le Concile ont pu être élaboréesconformément à l’esprit du temps.Depuis lors, un nombre croissantd’études critiques menées par des filsde l’Eglise posent la question desavoir si ce qui a été fait mettait au-thentiquement en œuvre les buts dela Constitution sur la Liturgie, ou

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si, en réalité, ces réformes avaientmanqué l’objectif. Ce débat a parfoislieu sous l’intitulé de « réforme de laréforme », et je sais que le Père Tho-mas Kocik a présenté une étude éru-dite à ce sujet lors de la conférenceSacra Liturgia à New York, il y a unan.

Je ne pense pas qu’on puissedisqualifier la possibilité ou l’oppor-tunité d’une réforme officielle de laréforme liturgique. Ses promoteursfont des remarques judicieuses dansleur tentative d’être fidèle au souhaitdu Concile exprimé dans l’article 23de la Constitution qui souhaite «que soit maintenue la saine tradition,et que pourtant la voie soit ouverteà un progrès légitime ». Il faudratoujours commencer par une soi-gneuse étude théologique, historique,pastorale et qu’« on ne fera des in-novations que si l’utilité de l’Égliseles exige vraiment et certainement,et après s’être bien assuré que lesformes nouvelles sortent des formesdéjà existantes par un développementen quelque sorte organique. »

Pour appuyer cela, je souhaitedire que lorsque je fus reçu en au-dience par le Saint-Père en avril der-nier, le Pape François m’a demandéd’étudier la question d’une forme dela réforme et la manière dont lesdeux formes du rite romain pourraients’enrichir mutuellement. Ce sera untravail long et délicat et je vous de-mande de la patience et l’assistance

de vos prières. Si nous voulons mettreen œuvre Sacrosanctum Conciliumplus fidèlement, si nous voulons réa-liser ce que le Concile souhaitait,cela est une question qui doit êtreétudiée avec attention et examinéeavec la clarté et la prudence requisesdans la prière et la soumission àDieu.

Nous, prêtres et évêques, por-tons une grande responsabilité. Autantnotre exemple vertueux produit debonnes pratiques liturgiques, autantnotre négligence, notre routine ounos mauvaises manières de faire bles-sent l’Eglise et sa liturgie !

Nous, prêtres, devons avanttout être des ministres du culte. Lesfidèles savent différencier un prêtrequi célèbre avec foi d’un autre quicélèbre en hâte, regardant souventsa montre, manifestant peut-être parlà qu’il veut retourner à ses activitéspastorales, à d’autres engagements,ou aller regarder sa télévision au plusvite ! Mes frères dans le sacerdoce,rien n’est plus important que de cé-lébrer les saints mystères. Prenonsgarde à la tentation de célébrer avecindolence ou tiédeur, parce que c’estune tentation du diable.

Nous devons nous souvenirque nous ne sommes pas les maîtresde la liturgie, mais ses humbles mi-nistres, sujets à une discipline et àdes lois. Nous sommes responsablesde la formation de ceux qui nous as-sistent dans le service liturgique, tant

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en ce qui concerne l’esprit et la forcede la liturgie que ce qui touche à seslois. Parfois, j’ai vu des prêtres s’écarteret se mettre de côté pour laisser desministres extraordinaires distribuerla sainte communion : cela n’est pasacceptable parce que c’est autant unenégation du ministère du prêtrequ’une cléricalisation des laïques.Lorsque cela se produit, c’est le signeque la formation a été particulière-ment médiocre, et cela doit être cor-rigé (cf. Mt 14,18-21). « Jésus prisles cinq pains et les deux poissions…il les donna à ses disciples pour qu’ilsles distribuent à la foule… et tousceux qui avaient mangé les painsétaient cinq mille hommes » (Mc6,30-44).

J’ai également vu des prêtres,des évêques, habillés pour célébrerla sainte messe, sortir leurs téléphonesou leurs appareils photos et s’en servirau cours de la sainte liturgie. Celaest révélateur de ce qu’ils croient as-sumer comme mission lorsqu’ils re-vêtent les vêtements liturgiques quinous habillent et nous transformenten alter Christus, et plus profondémentencore, en ipse Christus, c’est-à-direle Christ lui-même. C’est un sacrilège.Aucun évêque, prêtre, ou diacre ha-billé pour le service liturgique ouprésent dans le sanctuaire ne devraitprendre de photographies, mêmependant les messes avec un grandconcours de concélébrants. Le faitest que tristement cela arrive souvent

au cours de ces messes, ou encoreque des prêtres parlent entre eux ouque d’autres s’assoient nonchalam-ment. C’est urgent, à mon sens, deréfléchir et de poser la question del’idonéité de ces immenses concélé-brations, surtout si des prêtres adop-tent des attitudes si scandaleuses etindignes du mystère célébré, ou si lataille extrême de ces concélébrationsconduit à un risque de profanationde la Sainte Eucharistie.

Il est également un scandaleet une profanation de la part des fi-dèles laïcs de prendre des photos lorsde la célébration de la Sainte Eucha-ristie. Ils doivent participer par laprière, et non pas en passant leurtemps à prendre des photos !

Je veux lancer un appel à tousles prêtres. Peut-être avez-vous lumon article dans L’Osservatore Romanoil y a un an (12 juin 2015), ou monentretien donné au journal Famillechrétienne au mois de mai de cetteannée. A chaque fois, j’ai dit qu’ilest de première importance de re-tourner aussi vite que possible à uneorientation commune des prêtres etdes fidèles, tournés ensemble dans lamême direction – vers l’est ou dumoins vers l’abside – vers le Seigneurqui vient, dans toutes les parties durite où l’on s’adresse au Seigneur.Cette pratique est permise par lesrègles liturgiques actuelles. Cela estparfaitement légitime dans le nouveaurite. En effet, je pense qu’une étape

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cruciale est de faire en sorte que leSeigneur soit au centre des célébra-tions.

Aussi, chers frères dans le sa-cerdoce, je vous demande humble-ment et fraternellement de mettreen œuvre cette pratique partout oùcela sera possible, avec la prudenceet la pédagogie nécessaire, mais aussiavec l’assurance, en tant que prêtres,que c’est une bonne chose pour

l’Eglise et pour les fidèles. Votre ap-préciation pastorale déterminera com-ment et quand cela sera possible,mais pourquoi éventuellement nepas commencer le premier dimanchede l’Avent de cette année, quandnous attendons le « Seigneur [qui]va venir sans tarder » (cf l’introït dumercredi de la première semaine del’Avent) ? Chers frères dans le sacer-doce, prêtons l’oreille aux lamenta-

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tions de Dieu proclamées par le pro-phète Jérémie : « Car ils tournentvers moi leur dos, et non leur visage »(Jr 2,27). Tournons-nous à nouveauvers le Seigneur ! Depuis le jour deson baptême, le chrétien ne connaîtqu’une Direction : l’Orient.

« Tu es donc entré, nous rap-pelle Saint Ambroise, pour regarderton adversaire, à qui tu as décidé derenoncer en lui faisant face, et tu tetournes vers l’Orient (ad Orientem); car celui qui renonce au Diable setourne vers le Christ, il le regardedroit dans les yeux » (Traité de SaintAmbroise sur les Mystères).

Je voudrais aussi très humble-ment et fraternellement lancer unappel à mes frères évêques : conduisezvos prêtres et vos fidèles vers le Sei-gneur de cette façon, particulièrementlors des grandes célébrations de votrediocèse et dans votre cathédrale. For-mez vos séminaristes à cette réalité :nous ne sommes pas appelés à laprêtrise pour être, nous-mêmes, aucentre du culte, mais pour conduireles fidèles au Christ comme des fidèlescompagnons unis dans une mêmeadoration. Encouragez cette simple,mais profonde réforme dans votrediocèse, votre cathédrale, vos paroisseset vos séminaires.

En tant qu’évêques, nous avonsune grande responsabilité, et un journous devrons en rendre compte auSeigneur. Nous ne possédons rien !Rien ne nous appartient ! Comme

saint Paul l’enseigne, nous ne sommesque « des serviteurs du Christ et desintendants des mystères de Dieu.Or, ce qu’en fin de compte on de-mande à des intendants, c’est d’êtrefidèles » (1Co 4,1-2). Il nous fautnous assurer que la liturgie soit réel-lement respectée dans nos diocèseset que nos prêtres et diacres nonseulement observent les règles litur-giques, mais également connaissentl’esprit et la force de la liturgie dontelles découlent. J’ai été fortementencouragé en lisant le texte « L’évêque,gouverneur, promoteur et gardiende la vie liturgique dans de le diocèse »présenté en 2013 lors de la conférenceSacra Liturgia à Rome par MgrAlexandre Sample, archevêque dePortland dans l’Oregon, aux Etats-Unis. J’invite fraternellement lesévêques à étudier avec attention cesconsidérations.

Tous les ministres de la liturgiedevraient, périodiquement, faire unexamen de conscience.

Pour ce faire, je recommandela deuxième partie de l’exhortationapostolique Sacramentum Caritatisde Benoît XVI (22 février 2007), « ledéveloppement du rite eucharistique ».Cela fait presque 10 ans que cetteexhortation a été publiée comme lerésultat collégial du synode des évêquesde 2005. Quels progrès avons-nouseffectués depuis lors ? Dans quelledirection faut-il avancer ? Nous devons

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nous poser ces questions en conscience,chacun conformément à sa respon-sabilité. Ensuite, il faut encore fairece que nous pouvons et ce que nousdevons pour réaliser la vision soulignéepar le Pape Benoît XVI.

A ce stade, il me paraît utilede rappeler ce que j’ai déjà dit ailleurs :le Pape François m’a demandé decontinuer l’œuvre liturgique extra-ordinaire entreprise par Benoît XVI.(cf. le message à la conférence SacraLiturgia de 2015 à New York, auxEtats-Unis). Ce n’est pas parce quenous avons un nouveau Pape que lavision de son prédécesseur est inva-lidée. Tout au contraire, le Saint-Père le Pape François a un immenserespect pour la vision liturgique etles mesures mises en œuvre par lePape émérite Benoît XVI, dans la fi-délité scrupuleuse aux intentions etaux objectifs des Pères du Concile.

Avant de conclure, permettez-moi de mentionner d’autres manières,plus modestes, de contribuer à unemise en œuvre plus fidèle de Sacro-sanctum Concilium. La première estque nous devons chanter la liturgie,c’est-à-dire chanter les textes litur-giques, respecter les traditions litur-giques de l’Eglise et apprécier le vastetrésor de la musique sacrée qui est lenôtre, en particulier la musique propredu rite romain, à savoir le chant gré-gorien.

Nous devons trouver un bonéquilibrer entre les langues vernacu-

laires et l’usage du latin dans laliturgie. Le Concile n’a jamais eul’intention d’insinuer que le rite ro-main fût exclusivement célébré enlangue vernaculaire. Mais il avaitl’intention d’accroître son usage, enparticulier pour les lectures. Au-jourd’hui, il devrait être possible, enparticulier avec les moyens d’impres-sion modernes, de faciliter la com-préhension de tous quand le latinest utilisé dans la liturgie eucharistique.Le latin est aussi particulièrementapproprié pour les rassemblementsinternationaux, lorsque la langue ver-naculaire n’est pas comprise par beau-coup. Evidemment, lorsque la languevernaculaire est adoptée, elle doitêtre assortie d’une traduction fidèlede l’original en latin, comme le PapeFrançois me l’a récemment réaffirmé.

Nous devons nous assurer quel’adoration est au cœur de nos célé-brations liturgiques. Le cœur de laliturgie, c’est l’adoration de Dieu.Trop souvent, nous n’allons pas dela célébration vers l’adoration. Or, sinous ne le faisons pas, j’ai peur quenous ne participions pas toujourspleinement et intérieurement à la li-turgie. Deux dispositions physiquessont utiles, et même indispensables.La première est le silence. Si je nesuis jamais en silence, si la liturgiene me donne pas d’espace pour prieren silence et contempler, commentpuis-je adorer le Christ ? Commentpuis-je le rejoindre dans mon cœur

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et dans mon âme ? Le silence est trèsimportant, et pas uniquement avantou après la liturgie. Il est le fondementde toute vie spirituelle profonde.

Il en va de même pour l’age-nouillement lors de la consécration(à moins d’être malade) : il est es-sentiel. En Occident, c’est un actephysique d’adoration qui nous hu-milie devant notre Dieu et Seigneur.C’est en soi un acte de prière. Là oùl’agenouillement et la génuflexionont disparu de la liturgie, ils doiventêtre rétablis, en particulier pour laréception de notre Seigneur dans lasainte communion. Chers prêtres,chaque fois qu’il est possible, avec laprudence pastorale dont j’ai parléplus haut, formez vos fidèles à ce belacte d’adoration et d’amour. Age-nouillons-nous pour adorer et aimerle Seigneur dans l’Eucharistie à nou-veau !

« L’homme n’est pleinementhomme qu’en se mettant à genouxdevant Dieu pour l’adorer, pourcontempler sa sainteté éblouissanteet se laisser remodeler à son image età sa ressemblance » (R. Sarah, Enroute vers Ninive, Edit. St Paul 2011,p.196).

S’agissant de la réception dela Sainte Communion en s’agenouil-lant, je voudrais rappeler la lettre de2002 de la congrégation pour leCulte divin et la discipline des sacre-ments, qui affirme clairement que «tout refus de la Sainte Communion

à un fidèle à cause de son agenouil-lement [est] une grave violation del’un des droits les plus fondamentauxdes fidèles » (Lettre, 1er juillet 2002,Notitiae, n. 436, novembre-décembre,p. 583, traduction libre).

Veiller à l’habillement conve-nable de tous les ministres de la li-turgie dans le sanctuaire, y comprisles lecteurs, est aussi très important,si nous voulons que ceux-ci soientconsidérés comme d’authentiquesministres. Ces services doivent êtreremplis avec la bienséance due à lasainte liturgie, et les ministres eux-mêmes doivent montrer la révérenceconvenable pour Dieu et pour lesmystères qu’ils servent.

Voilà quelques suggestions : jesuis certain que beaucoup d’autrespourraient être faites. Je vous les pré-sente comme autant de manières pos-sibles d’aller de l’avant vers « une ma-nière digne de célébrer la liturgie,tant dans sa forme extérieure quedans les dispositions intérieures ». Cequi était bien sûr le souhait exprimépar le Cardinal Ratzinger au débutde son grand ouvrage L’Esprit de laliturgie (Joseph Ratzinger, L’Esprit dela liturgie, Ad Solem, Genève 2001,p.10). Je vous encourage à faire toutvotre possible pour réaliser ce but quiest en parfaite cohérence avec celuide la Constitution sur la Sainte Liturgiedu Concile Vatican II.

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CONCLUSION

J’ai commencé cette interven-tion avec un rappel des enseignementsdes Papes du XXe siècle sur la sainteliturgie. Le premier d’entre eux, saintPie X, avait pour devise personnelleinstaurare omia in Christo. Je suggèreque nous reprenions ces mots et enfaisions notre propre principe, alorsque nous travaillons à une mise enœuvre plus fidèle de SacrosanctumConcilium. Si, lorsque nous allons àla messe, nous pénétrons dans lapensée du Christ, si nous revêtons leChrist comme une aube baptismaleou les vêtements propres à notre mi-nistère liturgique, nous ne pouvonspas nous égarer.

Il est malheureusement vraique dans les décennies qui ont suivile Concile Vatican II, qu’« à côté deces lumières, les ombres ne manquentpas » dans la vie liturgique de l’Eglise,selon ce qu’affirmait Saint Jean-PaulII dans Ecclesia de Eucharistia, n.10.Il est de notre devoir d’aborder lacause de ces problèmes. Mais c’estune source de grande espérance et

de joie qu’aujourd’hui, alors que leXXIe siècle suit son cours, beaucoupde fidèles catholiques soient convain-cus de l’importance de la liturgiedans la vie de l’Eglise et se dévouenteux-mêmes un apostolat liturgique,ce qui peut être généralement appelé,un nouveau mouvement liturgique.

Mes frères, je vous remerciepour votre engagement en faveur dela sainte liturgie. Je vous encourageet vous bénis dans vos efforts, consi-dérables ou modestes, pour apporter« une manière digne de célébrer laliturgie, tant dans sa forme extérieureque dans les dispositions intérieuresqu’elle appelle ». Persévérez dans cetapostolat : l’Eglise et le monde enont besoin !

Je vous demande de prier pourmoi et le ministère qui m’est confié.

Je vous remercie. Dieu vousbénisse.

Robert Cardinal Sarah ©Préfet de la Congrégation pourle Culte divin et la Disciplinedes Sacrements

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Mes bien chers frères,

En cette période de l’année, sy-nonyme de préparation de larentrée scolaire ou de reprise

des activités après un temps de pauseestivale, l’évangile de ce dimanchetombe à point nommé pour nousinviter, sans négliger nos devoirs biensûr, à ne pas tomber dans un excèsd’agitation et de soucis matériels.

Très certainement, le souci debonne organisation est louable.Nous ne sommes pas des anges, maisdes êtres incarnés ; à ce titre noussommes tributaires de bien des

contingences matérielles et ce seraitfolie de mépriser les humbles réalitésquotidiennes. Ceci est vrai de notrevie personnelle, de notre vie fami-liale, comme aussi de la vie de la cité.Et cette question, à vrai dire, si elleest intelligemment posée, ne nouséloigne pas du but de notre vie quiest le salut puisque, comme l’écritCharles Péguy, ‘le spirituel estconstamment couché dans le lit decamp du temporel.’

Le poète poursuit : ‘Il ne suffitmalheureusement pas d’être catholique.Il faut travailler dans le temporel, sion veut arracher l’avenir aux tyranniestemporelles.’

Cherchez d’abord leRoyaume de Dieu

UN PRÊTRE DE LA FRATERNITÉ SAINT-PIERRE

SPIRITUALITÉ

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En cette période de l’année, il est particulièrement utile de méditer l’évangiledu quatorzième dimanche après la Pentecôte : Cherchez d’abord le royaumede Dieu, et tout le reste vous sera donné par surcroît. Voici l’homélie donnéepar un confrère à ce propos. Nous avons gardé à ce sermon son caractère oral.

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SPIRITUALITÉ

Ce que l’évangile d’au-jourd’hui permet de souligner, c’estque, dans cette organisation tu tem-porel, la question première doit tou-jours demeurer « la recherche duroyaume de Dieu. »

Si l’on met en avant cettequestion, bien d’autres s’en trouve-ront résolues. Nous trouverons la ré-ponse à nos soucis terrestres, à nossoucis de toute nature, à partir de laquestion première de la recherche dece qui plaît à Dieu, de ce qui nousconduit à Lui.

Saint Thomas d’Aquin, nousdit : ‘la fin est première dans l’ordre de

l’intention.’ Mais il ajoute : ‘elle estdernière dans l’ordre de l’exécution.’

Qu’est-ce que cela signifie ?Tout simplement que le but essentielde notre vie ne sera obtenu qu’à la fin.

La perfection est à la fin.Le but doit sous-tendre toutes

nos modestes réalisations de chaquejour ; car la perfection que Dieu veutpour chacun d’entre nous se préparedans le quotidien de notre devoird’état.

Si nous y prêtons attention,chaque petite action quotidiennepeut prendre un poids d’éternité.Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus in-vitait à rendre extraordinaires leschoses ordinaires. Il faut sans cessemettre du spirituel dans le tempo-rel.

Il faut reconnaître en quoitelle petite chose de notre vie peutprendre une signification pour leciel. En particulier, il faut, au cœurdes activités de la journée, éleverson âme vers Dieu, et le tempsd’une courte prière, d’une penséequi monte l’espace d’une seconde,offrir ce que nous faisons ou encorece que nous souffrons, et ainsi, toutraccrocher à l’éternité ; alors le tem-porel devient un ascenseur vers leciel, et même les choses terre à terredeviennent un tremplin vers l’éter-nité.

L’écolier qui offre son travailpénible pose une action méritoirepour le ciel. Le père ou la mère de fa-mille qui porte les soucis du jour, lelabeur professionnel, les tâches do-mestiques, l’art de l’éducation, posebien des actions qui, jetées en Dieusont autant d’occasions de sanctifi-cation. La personne qui souffre de lamaladie et endure ainsi en son corpset son âme bien des tourments par-ticipe à la passion du Christ et mys-térieusement est spécialement unie àl’œuvre de la Rédemption. L’âme quise retire un peu de temps dans lajournée pour prier contribue, par saprière, à réorienter vers Dieu unmonde désaxé. La prière est comme

une onde puissante, une vibrationspirituelle, silencieuse, efficace quirééquilibre le monde.

Enfin, il y a toujours dans lequotidien quelque bonne action àfaire.

L’essentiel est chaque jour derechercher d’abord, ce qui plaît àDieu, ce qu’on peut faire pour le ser-vir.

Posons-nous cette question,tâchons d’y répondre concrètementdans notre vie, et ayons confianceque tout le reste nous sera donné parsurcroît.

Ainsi soit-il.

SPIRITUALITÉ

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L’apostolat par l’art Le projet de la colonie

Bienheureux Fra Angelico

UN SÉMINARISTE DE LA FSSP

« Quam magnificata sunt opera tua Domine ! Omnia in spientia fecisti : impleta est terra possessione tua »

(Ps 103, 24)

« La civilisation de l’humanité est la civilisation chrétienne »Saint Pie X, Il fermo proposito, 11 juin 1905

« Non, la civilisation n’est plus à inventer, ni la cité nouvelle à bâtir dans lesnuées. Elle a été, elle est, c’est la civilisation chrétienne, c’est la cité catholique »

Saint Pie X, Lettre Notre Charge apostolique sur les erreurs du Sillon

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L La colonie Fra Angelico, parmiles différentes activités d’étéproposées aux jeunes par la Fra-

ternité Saint-Pierre, présente cetteoriginalité d’être une colonie musi-cale : en l’espace d’à peine deux se-maines, elle a pour objet la préparationd’un concert illustrant par le théâtre,le chant et le jeu des instruments lavie d’un saint. Ce concert est produitchaque année dans quelques belleséglises de Gironde. Alors les jeunes,nourris des œuvres qu’ils interprêtentà leur tour, du cadre vénérable deces églises, de la vie du saint dont ilsreprésentent les hauts-faits, sont à lafois témoins d’une civilisation etnourris d’elle.

L’idée d’un apostolat par l’artpeut pourtant paraître déroutante,et même contradictoire. Compriseen un certain sens, elle pourrait bienêtre à la fois ruine de l’art et échecde l’apostolat. Si l’apostolat consisteà transmettre le message de la Révé-lation et à favoriser les voies de lagrâce dans les âmes, il relève d’untout autre domaine que celui de l’art.Dans l’ordre spéculatif, il vise à faireconnaître le vrai. Dans l’ordre pra-tique, il vise à faire agir selon la rec-titude morale. L’apôtre s’adresse auxhommes pour leur faire connaître etaimer leur vraie fin, afin que la viede ces derniers s’ordonne à cette fin.Le Christ, prophète, a tenu un dis-cours de vérité. Le Christ, prêtre, a

introduit les croyants dans la viedivine qu’il avait annoncée, à laquelleil les sollicite sans cesse par sa grâce.La vie de l’intelligence se couronnedans ce qu’il est convenu d’appelerla vie spirituelle parce que, précisé-ment, elle est le sommet de la vied’un esprit appelé à connaître et àaimer Dieu Trinité. Aussi par nature,le sommet de la vie humaine n’est-ilpas dans les choses de la matière, duparticulier, du sens et de l’imagination.Il est premièrement dans ce qui relèvede la raison et de la volonté commefaculté rationnelle. En régime chrétien,il est d’ordre théologal. Le premierfront de la vie spirituelle est la contem-plation aimante du mystère1, sansquoi la vie spirituelle ne sera quepassion artificiellement entretenuepar rêverie sur composition de lieux.L’émotion sera piège de l’esprit2.

Pour sa part, l’art est en dessousde la ligne du connaître et de l’agir.Il ne vise, de soi, ni au vrai, ni au

1. Rappelons ici la condamnation portée par InnocentXI dans Caelestis Pastor, du 20 novembre 1687,reprenant un décret du Saint-Office de la mêmeannée, contre la proposition : « Un théologien a unedisposition moindre à l’état contemplatif qu’un hommeignorant premièrement parce qu’il n’a pas une foi aussipure, deuxièmement parce qu’il n’est pas aussi humble,troisièmement parce qu’il n’a pas autant le souci deson propre salut ; quatrièmement parce qu’il a la têtepleine d’imaginations, de représentations, d’opinionset de spéculations, et que la vraie lumière ne peut pasentrer en lui. » On pourrait aussi citer tout le magistèreencourageant les études thomistes depuis Léon XIII.2. Bienheureuse Angèle de Foligno, Le livre de la bien-heureuse Angèle de Foligno, P. Doncoeur, sj., éd, Paris,1925, cité dans Charles Journet, L’Eglise sainte maisnon sans pécheurs, Saint-Maur, 1999, page 119.

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bien moral. Il cherche la perfectionde l’œuvre, et se situe dans l’ordredu bien faire. Il s’ensuit qu’un pinceauhabile et une plume féconde, igno-reraient-ils la grâce et la béatitudecéleste, pourraient conserver leurqualité propre. La réussite de l’œuvren’est pas la fin de l’artiste. D’unautre côté, l’art ne supporte pas lavassalisation au service d’une idéologie.Dans un tel asservissement, l’inspi-ration artistique ne dépasse plus ladéfinition semi-standardisée d’un sys-tème de symboles. Le langage etl’image retombent à plat sur eux-mêmes. La typologie est parfois unécrasement de la poésie. C’est le fonddu désaccord littéraire entre Tolkien,auteur d’une mythologie, et Lewis,« théologien populaire », catéchisteavant d’être écrivain.

C’est à un autre plan que l’artpeut être le véhicule de certaines vé-rités, solliciter à certaines attitudesjustes et moralement bonnes, et quel’intuition artistique et la mystiquepeuvent s’unir. L’intuition de l’artiste,comme l’émotion du spectateur, re-posent sur une certaine connaturalitéd’affection avec un objet. L’art pourraalors dépeindre le monde en mani-festant l’éclat des perfections du Créa-teur. L’œuvre d’art pourra être apos-tolique, à raison du regard de l’artiste.A quelques années de distance paru-rent en France Le Soulier de satin etLe Voyage au bout de la nuit. Ces

deux œuvres ne sont pas sans simili-tudes. Toutes deux sont un voyageautour du monde. Toutes deux pro-cèdent à une revue de la création.Toutes deux s’interrogent sur lemonde et sur sa malice. Toutes deuxcontemplent l’amour qui anime lecœur de l’homme. Dans l’une ce-pendant, est donnée à voir l’œuvrede la grâce recherchant le pécheurau cœur de son action mauvaise.Dans l’autre, sans cynisme mais sansambiguïté, est signifiée le découra-gement devant l’anéantissement, lacatastrophe du mal moral. Des deuxplumes admirables de Claudel et deCéline sortent deux portraits biendifférents du baiser de Judas. Là oùl’un à vu la Rédemption, l’autre n’avu que le gibet de la croix. L’un a vula grâce, l’autre a vu la chair.

Comme l’écrivait le P. Calmelà la Revue thomiste, en 1946, l’Evangilen’est pas la culture. Il délivre unmessage surnaturel. Cependant, parceque l’homme est un, parce que cethomme est à la fois homme, Françaiset chrétien, le sentiment éveillé parl’art, ou l’inspiration de l’artiste,seront illuminés par rejaillissementde la lumière du christianisme. L’artimite la nature. Il ne faut pas entendrepar là qu’il est pure copie. Ce queCéline livre, ce n’est pas d’abord leparler de la banlieue parisienne desannées 1930, c’est ce qu’il appelle« l’émotion de l’oral ». L’imitationqui est le propre de l’art est à la fois

reflet du réel, et mise en valeur del’éclat des formes, de la beauté del’harmonie. Dans l’opération, l’artisteimite le geste du créateur. Dans l’œu-vre, il livre un reflet de ses merveilles.C’est ainsi que Jacques Maritain écri-vait : « Voilà le formel de l’imitationde l’art : l’expression ou la manifes-tation, dans une œuvre convenable-ment proportionnée, de quelqueprincipe secret d’intelligibilité quiresplendit. »3

L’art moderne veut se dégagerde la « mimesis », de la charge d’imi-tation. Révolte parente de celle del’idéalisme kantien, péché originelde l’esprit, qui, rompant les pontsavec le réel, rompt son lien naturelavec Celui qui en est l’auteur : apos-tasie de la raison naturelle, ipso factoanathème4. Qu’il nous soit permisde citer Henri Charlier qui écrivait :« toute œuvre d’art est une parabole »5.L’éclat des faits durs, impénétrables,n’est pas ce qui arrête l’artiste. Lesreproduire dans la matière n’est passon travail. Le jeu matériel de lacouleur, de la ligne n’est pas son ho-rizon. La Sainte Victoire vue de Lauvesde Cézanne témoigne que dans lemonde « gît, implicitement, une

sorte d’ordre transcendant et har-monieux appréhendé par le peintre »6.La fascination pour le fait positifsemble bien une impasse de l’artistequi trouve en son art un moyend’exprimer les profondeurs du réel.Dans la saisie des choses du monde,on saisit l’unité de ce qui est vu, oncomprend les choses dans l’unité.L’intelligence reçoit l’unité de l’ordreharmonieux. Le « cantique des créa-tures » renvoie à l’ineffable de Celuiqui a « tout ordonné avec nombre,poids et mesure » comme le dit laSagesse. L’émotion esthétique, et leplaisir de cette appréhension de l’har-monie, de l’ordre dû, cultive en celuiqui la ressent un certain nombred’attitudes intérieures à garder faceau réel. C’est là une arme puissantecontre l’empire des images impureset désordonnées, des émotions mal-saines dont le monde moderneabreuve la jeunesse.

Dans ces conditions, l’art auraun sens de témoignage de la véritéde Dieu, comme lorsque, passantdevant la façade ouvragée de Notre-Dame, Henri Charlier fut frappé decette idée que les siècles qui avaientproduit de tels temples ne pouvaientêtre des siècles d’obscurantisme. L’his-toire laisse en effet des témoins de ceque la grâce a agi sur l’homme,faisant de ses œuvres des témoi-gnages.

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3. Art et scolastique, Paris, 1927, p. 97.4. P. Guérard des Lauriers, La preuve de Dieu et les cinqvoies, Libreria Editrice della Pontifica Universita’ Late-ranense, 1966, cf. le développement sur les documentsdu concile Vatican I, pages 14-245. H. Charlier, « Le beau est une valeur morale indis-pensable à la société », article de la série ‘La pensée po-litique d’Henri Charlier, Itinéraire, n° 295, juillet-août1985, p. 101 6. Aïdan Nichols o.p., Le Christ et l’art divin, coll.

« Croire et Savoir », Téqui, 1988, p. 20

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La tendance moderne a consistéà enfermer l’appréciation esthétiquedans le subjectivisme. Un philosophebien connu a écrit que l’art est ce quiplaît universellement sans concept.On ne saurait mieux dire que l’ob-jectivité d’un jugement sur la beautéou toute propriété esthétique est im-possible. « Pour distinguer si quelquechose est beau ou non, écrit le mêmeauteur, nous ne rapportons pas la re-présentation à l’objet par l’entende-ment en vue d’une connaissance,mais nous la rapportons par l’imagi-nation (peut-être liée à l’entendement)au sujet et au sentiment de plaisir oude déplaisir de ce dernier. Le jugementde goût n’est donc pas un jugementde connaissance, ce n’est donc pasun jugement logique, mais esthétique,c’est-à-dire un jugement dont le prin-cipe déterminant ne peut être riend’autre que subjectif. »7 Il ne nousappartient pas dans un si bref articlede dire pour quoi la négation idéalistedu réalisme de la connaissance quiest au fondement d’une telle affir-mation est irrecevable. Le sens com-mun dit que le monde est réel et quenous avons la faculté de le connaître,que notre esprit est ouvert à lui. Sidonc le langage nous porte sponta-nément à la reconnaissance objectivedes propriétés esthétiques8, et si d’autre

part nous ne pouvons retirer en espritla beauté d’une chose sans en changerl’identité9, comme on ne peut imaginerune œuvre du Caravage non-belle, ilfaut bien reconnaître que la propriétéesthétique est dans la chose et que lejugement esthétique nécessite unecertaine éducation du goût pour ap-préhender cette propriété réelle10.Nous pouvons connaître dans leschoses une certaine proportion et uncertain ordre par lesquels elles sontbelles. Ainsi l’œuvre de la colonieFra Angelico sera indissolublementapologétique et éducative. Elle vise àapporter à l’enfant ou au jeune de lacolonie les points de repères et l’ha-bitude d’un bon goût esthétique. Ala beauté, dit saint Thomas, sont re-quises l’intégrité, la due proportionet la clarté11. La disposition à êtreattiré par la perfection, et à reconnaîtrel’ordre des choses doit être entretenuechez le jeune, afin qu’appréciant àleur juste valeur les chef-d’œuvres del’art chrétien et le sens profond del’éclat de leur beauté, il reconnaissela sagesse au cœur du réel imité eneux.

Aussi un certain sens de la dé-cence, de la juste proportion, pourras’élever dans l’âme des jeunes colons,qui contribuera à asseoir en eux ladisposition à la vie de l’intelligence

7. Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, inŒuvres philosophiques, t. II, Paris 1985, § 1.8. Roget Pouivet, Le Réalisme esthétique, Presses univer-sitaires de France, 2006, « Pourquoi dit-on d’une chosequ’elle est belle et non ‘j’ai beau’ ? », pages 154-156.

9. Ibidem, pages 163-17010. Ibidem, pages 177-178 et pages 179 et suivantespour des développements sur la nature de ces vertus.11. Somme Théologique, Ia, Q 39, a 8.

et à la vertu. Peut-être leur en vien-dra-t-il ce sens du ridicule à opposeraux fantaisies modernes. « La dé-nonciation de certaines thèses philo-sophiques, à partir de leur absurdité,suppose que le sentiment du ridiculeen constitue un mode de perception.»12 En même temps qu’elle éduque lejeune à la pratique des vertus visantle bien commun, par la vie en collec-tivité, l’effort commun dans le chœuret la préparation du concert, la colonieFra Angelico veut l’aider à prendreen main son héritage de chrétienté.

L’intelligible dans la beauté necouvre pas le champ du discours,mais il renvoie à l’universel. L’artchrétien est un trésor de notre vraibien commun : « […] s’il est uneconcession au siècle c’est bien cellequi consiste à dire ‘qu’il n’y a pas decivilisation chrétienne’, car c’est ceque les ennemis de la foi s’essaient àprouver en forçant la jeunesse à ap-prendre une histoire mensongère. »13.

Ainsi s’exprimait Henri Charliercontre l’opinion selon laquelle l’Eglisecatholique devait répudier l’idée decivilisation chrétienne. Celle-ci estun surcroît du christianisme. Ellen’est pas superfétatoire.

A la colonie Fra Angelico, lesjeunes apprendront qu’ils sont leshéritiers d’un passé ramifié, divers,proportionné à une nature relevéepar la grâce, qui coule de cette sourceunique, la chrétienté. Avec toute laTradition, le concile de Trente en-seigne que l’Eglise est engagée dansun triple combat contre le diable, lemonde et la chair. Toute œuvre édu-cative doit nécessairement épouser,dans son ordre, ce combat. Si l’artauthentique a, par l’esthétique, lepouvoir de dire quelque chose deDieu, la colonie doit cultiver le sensreligieux des jeunes qui s’y trouvent,leur sens d’être créatures rachetées ethéritières de la chrétienté. Si la beautéest l’intégrité, l’harmonie due et laclarté, elle est école de l’unité que lechrétien doit bâtir autour de sonRédempteur.

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12. R. Pouivet, op. cité, confer pages 25-31.13. Henri Charlier, « Naissance de la civilisation chré-tienne », Itinéraire, janvier 1987, page 92.

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I l n’est pas très fréquent de liredans «Tu es Petrus» la prose d’unlaïc. Je me suis risqué à demander

aux responsables de cette publicationl’autorisation de faire paraître quelquesréflexions des parents d’un prêtre.

Il faut tout d’abord savoir quece statut, hélas inhabituel, de parentde prêtre ne fait l’objet d’aucune for-mation préalable. En effet à compterdu jour où votre fils entre au séminaire,les parents commencent de leur côté

Parents de prêtre

ALAIN EVRAT

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une lente préparation à ce nouvel étaten suivant avec intérêt et émotion lecheminement de cet enfant qui em-prunte une voie difficile et peu cou-rante.

Même si, dans notre cas, dessignes avant-coureurs avaient pu êtreaisément décelés, la décision d’entréeau séminaire marque une étape im-portante surtout si, comme cela futle cas dans notre famille, cela a coïncidéavec mon départ à la retraite profes-sionnelle et au déménagement denotre autre fils qui quittait, lui aussi,l’appartement familial.

Nous, ses parents, avons vécuavec grand enthousiasme les annéesde séminaire à Wigratzbad. Nousnous sommes rendus plusieurs foispar an pendant ces sept années danscette Bavière que nous connaissionsmal. Nous avons eu le plaisir de ren-contrer à cette occasion, nombre deprêtres, de séminaristes et de parentsde prêtres avec lesquels nous avonstissé des liens amicaux qui durenttoujours. Beaucoup de professeurs etles différents recteurs du séminairequi se sont succédés nous ont accueillisavec une grande amabilité, ce quinous a permis de mieux réaliser ceque notre fils envisageait. Ils ont raisonces prêtres qui enseignent au séminaire,de faire bon accueil aux familles deséminaristes qui ne demandent qu’àaider leur enfant à progresser dans laformation en vue du sacerdoce.

Les dimanches après la messeà la Sühnekirche, nous ne man-quions pas de visiter les alentours,si bien que nos albums photos sontremplis de ces gigantesques abbayesbaroques et des paysages couvertsde neige d’un blanc immaculé danslesquels évoluent des soutanes d’unnoir bien contrasté. Que les parentsde séminaristes qui liront ces lignesn’hésitent pas à visiter les lieux oùséjourne leur enfant. Ils en revien-dront émerveillés et participerontencore davantage par la pensée etla prière à la formation des futursprêtres même si, dans certains cas,la décision du fils de répondre àl’appel représente un sacrifice im-portant.

Les sept années de séminairepermettent aussi de prendreconscience de la grande communautéque constitue cette Fraternité. Mêmeextérieurs à l’institut, nous réalisonsles liens étroits qui unissent les prêtresentre eux (ce qui n’empêche pasd’imaginer l’existence de quelquestensions bien naturelles entre per-sonnalités affirmées). C’est certaine-ment une aide et un réconfort pournos prêtres d’avoir le sentiment d’ap-partenir à une grande et belle famille.Nous en avons eu la preuve lors dela disparition tragique de l’un desmembres de la FSSP aux États-Uniset à l’occasion du décès de l’abbéCoiffet.

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Nous, ses parents, n’avons bienentendu pas manqué toutes les étapesdepuis la prise de soutane jusqu’àl’ordination sacerdotale qui eut lieuà Wigratzbad en juin 2006. Je croisque seuls les parents qui ont unenfant prêtre peuvent réaliser l’évé-nement que représente cette ordina-tion. Savoir que son fils renouvelleradorénavant chaque jour le sacrificede la Croix, qu’il tiendra dans sesmains le corps du Christ et qu’ilaura, pendant toute sa vie de prêtre,l’immense pouvoir de remettre aunom du Christ les péchés d’innom-brables fidèles reste inimaginable.On comprend mieux, dans ces condi-tions, le choix du célibat des prêtreset on est bien attristé de ces déclara-tions stupides du bon peuple qui af-firme à qui veut l’entendre que «siles prêtres pouvaient se marier, ilsseraient plus nombreux » !

Par ailleurs, les parents réalisentque leur fils prend l’engagement deservir le Christ et donc son prochainplus que quiconque et qu’il lui serademandé des comptes à ce titre aujour du Jugement. Quelle responsa-bilité ! Pour cette raison, nous leslaïcs qui côtoyons des prêtres, ai-dons-les dans leur tâche. S’il nousest sans doute difficile de leur apporterun soutien spirituel, essayons aumoins de les aider en les déchargeant,dans la mesure du possible, descontraintes matérielles, administratives

et financières afin qu’ils puissentconcentrer leurs efforts dans le do-maine pastoral. Et puis surtout, prionspour eux et tâchons de faire nôtrecette recommandation de saint JeanBosco : «On parle d’un prêtre enbien ou on n’en parle pas».

Avez-vous remarqué, vous lesparents de prêtres, combien le statutde votre fils intéresse voire intriguela famille, les amis et connaissances? Ceux qui savent que nous avonsun fils prêtre ne manquent pas dedemander des nouvelles de celui-ci,lorsqu’ils nous voient. Cela est unegrâce et montre que, sans même s’endouter, nos prêtres ont un rôle émi-nent d’évangélisation par l’intérêtqu’ils suscitent. Nous réalisons tousque le choix du sacerdoce par un filsprive la famille d’une descendance,les parents ne verront pas de petits-enfants continuer l’histoire familiale.Mais n’oublions pas que ce fils s’in-tègre dans la lignée de tous les prêtresqui se sont succédés depuis des siècleset qui forment une cohorte immensede personnes consacrées. Le saintcuré d’Ars disait que «sans tous cesprêtres nous n’aurions pas Notre-Seigneur. Qui est-ce qui l’a mis là,dans ce tabernacle ? C’est le prêtre.Qui est-ce qui a reçu votre âme àson entrée dans la vie ? Le prêtre».Que les chrétiens s’imaginent un ins-tant une vie sans prêtre ! Nos filsprêtres s’inscrivent dans la chaîne

ininterrompue des prêtres depuis quele Christ a dit à ses disciples :»Demême que le Père m’a envoyé, moiaussi je vous envoie». (Jn 20, 21)

A Versailles, comme dans d’au-tres régions de France je crois, desmères de prêtres et de séminaristesde la Fraternité originaires de la régionparisienne se rencontrent à intervallesréguliers pour prier pour leurs fils etéchanger leurs expériences, leur émer-veillement et leur étonnement devantle choix de leurs enfants. L’engagementsacerdotal d’un enfant reste un donmystérieux qu’une mère ressent cer-tainement mieux que quiconque.

Partout où nos fils sont envoyéspar la Fraternité en mission dans lemonde, on constate l’importance dusoutien que les fidèles apportent sansrelâche à leur pasteur. C’est ainsique nous sommes toujours très re-connaissants aux nombreux fidèlesdes apostolats de notre fils que nousconnaissons qui assistent de millemanières leurs prêtres. Les fidèlesont besoin de prêtres, cela est évident,mais nous devons savoir que lesprêtres ont de leur côté besoin del’aide et de l’indulgence des laïcs quele Seigneur leur a confiés.

Je terminerai ce court articleen citant un passage de l’homélie deMgr Aillet prononcée à l’occasiondes ordinations de trois séminaristesde la FSSP à Chartres en juin 2014.Mgr Aillet a en effet interpelé les pa-rents des futurs prêtres en ces termes: «Chers frères et sœurs, nous sommesdans l’action de grâce pour le choixde Dieu pour ces trois futurs prêtres.Nous sommes dans la ferveur de laprière ; vous, leurs parents, leurs fa-milles, qui êtes mystérieusement pourquelque chose dans cet appel de Dieu- en tout cas, dans cette réponse deces trois ordinands à l’appel du Sei-gneur. Soyez vous-mêmes dans lacrainte du Seigneur ; soyez dans lajoie, et que cette joie soit gardée parle dépouillement de vous-mêmes,par votre fidélité, par votre disponi-bilité à toute épreuve, par votre obéis-sance».

Merci Monseigneur d’avoirrappelé aux parents de prêtres la joiequi est la leur d’avoir un fils qui arépondu à l’appel de Dieu.

Chers amis prêtres, puis-je vousrecommander de ne pas oublier vosparents dans vos prières, que ceux-cisoient toujours en ce monde ou qu’ilssoient déjà passés sur l’autre rive ?

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