L’ouverture des marchés, l’intensification de la ... · un déclin de la production, l’exode...

7
Éditorial Comment un gouvernement peut-il favoriser un développement harmonieux sur l’ensemble de son territoire? Comment peut-il stimuler des régions en panne de croissance par rapport à la moyenne nationale? Comment peut-il rendre la croissance économique accessible à tous ses citoyens, peu importe le coin de pays qu’ils ont choisi d’habiter? Voilà autant de questions auxquelles les gouvernements se sont butés depuis plus de cinquante ans. Le Canada possède une longue expérience de ces questions. Sa propre existence fut établie par un pacte confédératif (1867) et tout au long de son histoire ce pays eut à revoir, de manière périodique, l’équilibre du développement de ses régions. Au Québec, la question de l’inégalité de développement des régions se manifesta avec autant d’acuité avec la création, par exemple, d’un Conseil d’orientation économique du Bas St-Laurent (1956), des Conseils régionaux de développement (1971), des Centres locaux de développement (1998), des projets ACCORD (2002) et, parmi les plus récentes initiatives, l’aide fiscale aux régions ressources. Créée au début des années 2000 afin d’encourager le développement des entreprises de 2 ième et 3 ième transformation dans les régions du Québec dites «ressources» ou «éloignées», cette mesure gouvernementale provoqua une vive controverse dès son entrée en vigueur, à savoir; la notion d’éloignement. Les régions centrales, en effet, évoquant la «concurrence déloyale» créée par ces mesures au détriment de leur propre développement. La question d’une définition rigoureuse de «l’éloignement» se posait donc dans toute son acuité. Le professeur Laurin propose ici un nouvel indice pour mesurer cet éloignement d’une région d’un centre (zone concentrée de l’activité économique). Cet indice, il le nomme ACCÈS, pour accès au marché. Il a pour base la MRC et tient compte à la fois du marché potentiel accessible à cette MRC et de la distance qui la sépare de ce même marché (grands centres, régions à proximité, voire même le marché américain). Il s’agit d’un indice mesurant la capacité d’accès à un marché comme mesure d’éloignement. L’auteur compare ensuite le classement des régions québécoises obtenu grâce à cet indice, à celui mis au point par le Groupe de travail sur les aides fiscales aux régions ressources (2007) chargé par le Gouvernement du Québec d’étudier les impacts réels de cette mesure fiscale. Ce dernier groupe avait proposé un classement des régions par zones concentriques à partir des trois centres suivants : Montréal, Gatineau et Québec. Soit un indice reposant uniquement sur la distance. Les différences obtenues entre les deux types de classement des régions québécoises sont fort intéressantes : d’une part, elles démontrent que la distance seule constitue un facteur incomplet de la réalité des régions et d’autre part, que la proximité d’un marché constitue un élément de dynamique essentiel. L’utilité d’un indice d’éloignement davantage raffiné, prenant en compte la proximité des marchés, ne fait aucun doute. Son utilisation permettra une meilleure prise en compte de la complexité des relations existant entre les différents territoires. Car les phénomènes explicatifs de la croissance d’une région, au- delà même du phénomène de sa géographie, tiennent beaucoup à la qualité et à la complexité des relations et des réseaux qu’on y trouve. Claire V. de la Durantaye INRPME Bulletin InfoPME Le bulletin InfoPME a pour objectif de présenter des statistiques fidèles et « à jour » sur l’état des PME au Québec, des chroniques sur des thèmes d’actualité importants et des notes sur divers phénomènes touchant les PME afin de fournir des informations pertinentes aux entrepreneurs, aux conseillers économiques, aux consultants, aux banquiers et aux chercheurs intéressés au développement de ces entreprises. Il est publié trois fois par année et disponible sur le site www.uqtr.ca/larepe . VOLUME 9 NUMÉRO Sept 3 embre 2009 Géographie économique et éloignement régional au Québec

Transcript of L’ouverture des marchés, l’intensification de la ... · un déclin de la production, l’exode...

Éditorial Comment un gouvernement peut-il favoriser un développement harmonieux sur l’ensemble de son territoire? Comment peut-il stimuler des régions en panne de croissance par rapport à la moyenne nationale? Comment peut-il rendre la croissance économique accessible à tous ses citoyens, peu importe le coin de pays qu’ils ont choisi d’habiter? Voilà autant de questions auxquelles les gouvernements se sont butés depuis plus de cinquante ans. Le Canada possède une longue expérience de ces questions. Sa propre existence fut établie par un pacte confédératif (1867) et tout au long de son histoire ce pays eut à revoir, de manière périodique, l’équilibre du développement de ses régions. Au Québec, la question de l’inégalité de développement des régions se manifesta avec autant d’acuité avec la création, par exemple, d’un Conseil d’orientation économique du Bas St-Laurent (1956), des Conseils régionaux de développement (1971), des Centres locaux de développement (1998), des projets ACCORD (2002) et, parmi les plus récentes initiatives, l’aide fiscale aux régions ressources. Créée au début des années 2000 afin d’encourager le développement des entreprises de 2ième et 3ième transformation dans les régions du Québec dites «ressources» ou «éloignées», cette mesure gouvernementale provoqua une vive controverse dès son entrée en vigueur, à savoir; la notion d’éloignement. Les régions centrales, en effet, évoquant la «concurrence déloyale» créée par ces mesures au détriment de leur propre développement. La question d’une définition rigoureuse de «l’éloignement» se posait donc dans toute son acuité. Le professeur Laurin propose ici un nouvel indice pour mesurer cet éloignement d’une région d’un centre (zone concentrée de l’activité économique). Cet indice, il le nomme ACCÈS, pour accès au marché. Il a pour base

la MRC et tient compte à la fois du marché potentiel accessible à cette MRC et de la distance qui la sépare de ce même marché (grands centres, régions à proximité, voire même le marché américain). Il s’agit d’un indice mesurant la capacité d’accès à un marché comme mesure d’éloignement. L’auteur compare ensuite le classement des régions québécoises obtenu grâce à cet indice, à celui mis au point par le Groupe de travail sur les aides fiscales aux régions ressources (2007) chargé par le Gouvernement du Québec d’étudier les impacts réels de cette mesure fiscale. Ce dernier groupe avait proposé un classement des régions par zones concentriques à partir des trois centres suivants : Montréal, Gatineau et Québec. Soit un indice reposant uniquement sur la distance. Les différences obtenues entre les deux types de classement des régions québécoises sont fort intéressantes : d’une part, elles démontrent que la distance seule constitue un facteur incomplet de la réalité des régions et d’autre part, que la proximité d’un marché constitue un élément de dynamique essentiel. L’utilité d’un indice d’éloignement davantage raffiné, prenant en compte la proximité des marchés, ne fait aucun doute. Son utilisation permettra une meilleure prise en compte de la complexité des relations existant entre les différents territoires. Car les phénomènes explicatifs de la croissance d’une région, au-delà même du phénomène de sa géographie, tiennent beaucoup à la qualité et à la complexité des relations et des réseaux qu’on y trouve. Claire V. de la Durantaye INRPME

Bulletin InfoPME Le bulletin InfoPME a pour objectif de présenter des statistiques fidèles et « à jour » sur l’état des PME au Québec, des chroniques sur des thèmes d’actualité importants et des notes sur divers phénomènes touchant les PME afin de fournir des informations pertinentes aux entrepreneurs, aux conseillers économiques, aux consultants, aux banquiers et aux chercheurs intéressés au développement de ces entreprises. Il est publié trois fois par année et disponible sur le site www.uqtr.ca/larepe.

V OL U M E 9 N U M É RO

S e p t

3e m br e

2 0 09

Géographie économique et éloignement régional au Québec

Vol.9, no 3, Septembre 2009

Page 1

Géographie économique et éloignement régional au Québec FRÉDÉRIC LAURIN, Ph.D., Professeur en économie Département des sciences de la gestion Université du Québec à Trois-Rivières Introduction

Depuis le début des années 90, les économistes ont redécouvert l’importance de la géographie pour comprendre plusieurs phénomènes économiques importants, notamment le volume du commerce international, les choix de localisation des entreprises ainsi que la spécialisation industrielle. En particulier, on reconnaît aujourd’hui le rôle primordial de la situation géographique d’une région comme déterminant du développement économique local.

ON RECONNAÎT

AUJOURD’HUI LE RÔLE PRIMORDIAL DE LA SITUATION GÉOGRAPHIQUE D’UNE RÉGION

COMME DÉTERMINANT DU DÉVELOPPEMENT

ÉCONOMIQUE LOCAL

C’est ainsi qu’en décembre 2007, un groupe de travail sur les aides fiscales aux régions ressources et à la nouvelle économie (GTAF ci-après), mandaté par le gouvernement du Québec, déposait un rapport visant notamment à « définir les meilleurs moyens pour aider de façon durable les entreprises des régions périphériques, confrontées au handicap de l’éloignement ». Le GTAF recommandait « de définir l’aide aux régions moins développées en fonction de l’éloignement », reconnaissant « un lien étroit existant entre régions éloignées et régions en difficulté ». Spécifiquement, le rapport du GTAF propose de moduler l’aide aux régions selon un découpage territorial défini en zones concentriques de 200 km et 300 km à partir du centre des trois régions métropolitaines (Gatineau, Montréal et Québec). Tout en soulignant opportunément l’importance de

l’éloignement pour le développement économique, cette méthodologie a le mérite de la clarté et de la simplicité d’application. Mais elle se révèle peut-être un peu trop arbitraire pour identifier de façon robuste les régions devant bénéficier d’une aide financière. L’objectif de cet article est donc de présenter une méthodologie alternative et originale pour identifier les régions confrontées au handicap de l’éloignement. Nous proposons un indice mesurant le potentiel de marché des municipalités régionales de comté (MRC)

au Québec, prenant en compte la taille des marchés auxquels une région a accès, pondérée par la distance qui la sépare de ces marchés. On obtient dès lors un découpage territorial plus affiné, défini selon des critères économiques objectifs et reflétant l’accessibilité effective de chaque MRC québécoise. Le texte est organisé de la façon suivante. Nous présentons d’abord une courte revue de la littérature économique montrant le rôle de la géographie tant pour

expliquer la localisation des entreprises que le volume du commerce international. Dans la section 2, nous définissons l’indice de potentiel de marché. Sur la base de cet indice, nous caractérisons enfin la géographie économique du Québec dans la section 3, classifiant chaque MRC selon son potentiel d’accès aux marchés.

Numéros précédents Numéro 1 : Janvier 2009 Gestion des ressources humaines dans les PME: des pratiques « sur mesure » de préférence au « prêt-à-porter » Numéro 2 : Mai 2009 Les propriétaires dirigeants de PME face à la croissance par le biais de l'internationalisation : une question d'attitude?

Vol.9, no 3, Septembre 2009

Page 2

1. Localisation, agglomération et commerce international

Les modèles de géographie économique (Krugman, 1991; Fujita et al., 1999) montrent que la combinaison d’économies d’échelle, de la taille du marché et des coûts de transport affecte la localisation des industries. Les firmes gagnent à servir les marchés mondiaux à partir d’un minimum de sites de production, de façon à maximiser les économies d’échelle dans la production. Une firme choisira donc de concentrer sa production là où elle trouvera la plus grande demande pour ses produits. Ce faisant, elle minimise les coûts de transport en ayant accès au plus large bassin de consommateurs à proximité. Ainsi, les entreprises tendent à s’agglomérer dans les régions constituant les plus grands marchés. A ceci s’ajoutent des forces d’agglomération découlant de la nature des relations verticales entre firmes (Venables, 1996; Puga, 1999). Les producteurs de biens et services finaux voudront se localiser dans une région où l’on retrouve un large bassin de biens intermédiaires et services spécialisés et adaptés (liens en amont). En même temps, plus la demande pour ces derniers est grande dans la région, plus de nouveaux fournisseurs voudront s’y localiser (liens en aval). Évidemment, c’est dans les régions les mieux localisées géographiquement que nous trouverons les plus grands marchés en amont et en aval. L’interaction des relations verticales entre entreprises, en combinaison avec le phénomène de transmission du savoir (externalités technologiques) entre firmes, justifie les politiques visant à appuyer les « grappes industrielles », c’est-à-dire la concentration de firmes d’un même secteur dans une même région. La géographie détermine aussi l’importance du commerce international dans l’économie locale. Puisque le prix final d’un bien doit refléter les coûts de transport, il y a une relation inverse et

directe entre la distance physique séparant deux marchés donnés et le volume des échanges entre eux (Tinbergen, 1962; Helpman and et Krugman, 1985). Le prix de vente étant augmenté des coûts de transport, les biens fabriqués dans des régions éloignées seront moins en demande (moins d’exportation). De même, les importations coûteront plus chères, causant une augmentation du coût des intrants et une perte de compétitivité. Ainsi, l’éloignement décourage le commerce international, qui est un facteur de croissance important.

Références pertinentes : Harris, C. (1954). The Market as a Factor in the Localization of Industry in the United States. Annuals of the Association of American Geographers, vol. 44, pp. 315-348. Helpman, E. & Krugman, P. (1985). Market Structure and Foreign Trade. Cambridge (Mass.), MIT Press. Krugman, P. (1991). Increasing Returns and Economic Geography. Journal of Political Economy, vol. 99, pp. 483-499. Fujita, M. & Krugman, P. & Venables, A. J. (2001). The Spatial Economy: Cities, Regions, and International Trade, MIT Press Books, The MIT Press. Laurin, F. (2009). Géographie économique, éloignement et restructuration industrielle dans les MRC québécoises. Université du Québec à Trois-Rivières, Département des sciences de la gestion, mars 2009. Puga, D. (1999). The Rise and Fall of Regional Inequalities. European Economic Review, vol. 43, pp. 303-334. Tinberger, J. (1962). Shaping the World Economy: suggestions for international trade policies. The MacMillan Press, London. Venables, A. J. (1996). Equilibrium Location of Vertically Linked Industries. International Economic Review, vol. 37, no. 2, pp. 341-359.

Cette dynamique économique donne lieu à un processus de d’agglomération industrielle qui se renforce par lui-même : au fur et à mesure que les firmes se concentrent dans les régions à forte demande, les producteurs de biens et services finaux peuvent avoir accès, à proximité, à un bassin de plus en plus large d’intrants (y compris biens et services intermédiaires) qui ne sont pas frappés de coûts de transport. Ainsi, le niveau des prix des intrants est plus faible dans ces régions, attirant d’autant plus de nouvelles firmes. Au total, ce processus d’agglomération des firmes s’insère dans une dynamique cumulative favorisant la divergence économique entre les régions : celles mieux localisées géographiquement, bénéficieront d’un bassin plus large d’entreprises, ce qui attirera d’autant plus de nouvelles entreprises et favorisera le commerce international. Au contraire, pour les régions éloignées, il en résulte un déclin de la production, l’exode des entreprises et des résidents, ainsi que des difficultés à attirer de nouvelles industries. L’éloignement géographique d’une région constitue donc un sérieux handicap au développement local (voir Laurin 2009 pour une discussion plus exhaustive).

2. Méthodologie Pour mesurer le potentiel de marché de chaque MRC québécoise, nous

Vol.9, no 3, Septembre 2009

Page 3

définissons l’indice suivant que nous appellerons ACCÈS (pour accès aux marchés)1 :

K

k jk

kj

12Distance

MarchéACCÈS

pour j,k = 1 , … , 101.

De la même façon, nous construisons un second indice, ACCÈSAMERIQUE, où k devient l’index d’un ensemble de régions nord-américaines, couvrant l’entièreté du territoire de l’Amérique du Nord, et comprenant en particulier les régions de l’Ontario (divisions de recensement), les autres provinces canadiennes, tous les

États américains situés à l’est de Chicago et au nord de Nashville, ainsi que les 101 MRC québécoises. On obtient donc un indice mesurant l’éloignement par rapport à l’ensemble des marchés nord-américains.

où j représente une MRC pour laquelle on calcule l’indice et k est l’index d’un ensemble de 101 MRC au Québec2. La variable « Marché » est une mesure de la taille du marché de chaque MRC. Nous disposons de données sur le revenu personnel disponible par habitant par MRC3. Pour obtenir la taille totale du marché, nous multiplions ce revenu par le nombre d’habitants dans la MRC4, une mesure approximative du pouvoir d’achat total dans la région. La distance entre la MRC j et la MRC k est définie comme étant le nombre de kilomètres de route nécessaires pour joindre leur capitale administrative respective, tel que calculé par le planificateur routier Via Michelin5. L’interprétation de l’indice ACCÈS est la suivante. En combinant des informations sur l’éloignement géographique et sur la taille des marchés, l’indice ACCÈS mesure le potentiel d’accès aux marchés d’une MRC du point de vue d’une entreprise qui s’y localiserait. Plus l’indice ACCÈS est faible, plus la MRC est éloignée des principaux marchés québécois, constituant un coût supplémentaire pour l’entreprise. Notons que la propre taille du marché d’une MRC est comptabilisée dans son indice ACCÈS, avec une pondération de 1, tenant compte du fait que les entreprises ont évidemment accès au marché local qui peut être plus ou moins important, nonobstant le facteur d’éloignement.

Notre méthodologie comporte certains avantages par rapport à celle du GTAF. Premièrement, l’indice ACCÈS est défini par MRC, un niveau territorial beaucoup plus détaillé que la région administrative, utilisée dans le rapport du GTAF. Deuxièmement, nous utilisons la distance routière plutôt que géodésique. Cette première est une bonne approximation des coûts de transport effectifs, puisqu’elle reflète autant l’éloignement que l’accessibilité en terme d’infrastructures routières. Troisièmement, le concept de potentiel de marché est plus large que celui d’éloignement puisque, pour une MRC donnée, il tient compte de la taille du marché non seulement des régions voisines, mais aussi du propre marché interne de la région.

1 Cet indice est basé sur Harris (1954).

2 Excluant les territoires situés dans le

Grand Nord québécois, pour lesquels

nous disposons de trop peu de

données.

3 Source: Institut de la statistique du

Québec, Direction des statistiques

économiques et sociales, basée sur les

Comptes économiques provinciaux,

Statistique Canada, Division des

comptes des revenus et dépenses.

4 Source: Institut de la statistique du

Québec, Direction de la méthodologie,

de la démographie et des enquêtes

spéciales, basée sur des statistiques

de Statistique Canada, Division de la

démographie.

5 http://www.viamichelin.com.

3. La géographie économique du Québec

La carte 1 illustre la valeur de l’indice ACCÈS pour chaque MRC. Le portrait est assez révélateur : plus on s’éloigne de la grande région métropolitaine de Montréal, plus l’indice de potentiel de marché diminue, les MRC les plus désavantagées géographiquement étant celles situées en Gaspésie, en Côte-Nord et en Abitibi-Témiscamingue. La ville de Québec se distingue aussi par un fort indice ACCÈS, par la taille du pouvoir d’achat qui s’y concentre, irriguant du coup le potentiel de marché des MRC voisines. De plus, la carte 1 identifie deux zones géographiques longeant les rives du Saint-Laurent, entre Montréal et Québec : le long de l’autoroute 40 au nord (Lanaudière, Trois-Rivières, etc.) et un croissant au sud le long de l’autoroute 20 et de l’autoroute 10 passant de l’Estrie, la Vallée du Richelieu, Les

Vol.9, no 3, Septembre 2009

Page 4

Maskoutains, et le Centre-du-Québec. Il s’agit ici de MRC qui, bien que situées en dehors du champ d’influence direct de Montréal et Québec, s’influencent mutuellement pour constituer un marché intéressant. Si l’on compare la carte 1 avec la définition territoriale du GTAF, illustrée à la carte 2, on n’obtient pas tout à fait la même classification. Évidemment, la Gaspésie, la Côte-Nord et l’Abitibi-Témiscamingue apparaissent comme des régions éloignées dans les deux cas. Par contre, la méthodologie du GTAF tend à surestimer le champ d’influence de Gatineau, Montréal et Québec. Ceci est dû au fait que nous utilisons un découpage territorial plus détaillé, au niveau des MRC. En effet, il peut exister de grandes disparités économiques entre les MRC d’une même région administrative. Par exemple, la MRC de Maria-Chapdelaine est catégorisée selon notre indice ACCÈS comme étant une région éloignée au même titre que la Gaspésie. Or, le rapport du GTAF sous-estime son éloignement effectif, cette MRC étant amalgamée à la région administrative du Saguenay dont une portion est située à moins de 300 km de Québec. De même, notre méthodologie identifie une série de MRC « modérément » éloignées qui sont pourtant catégorisées comme ne devant pas recevoir d’aide dans le rapport du GTAF : Pontiac, la Vallée-de-la-Gatineau, Antoine-Labelle, la MRC Les Laurentides, Mékinac, La Tuque, Charlevoix et Charlevoix-Est. Ces différences s’expliquent aussi du fait que le GTAF utilise la distance géodésique pour établir sa délimitation géographique. Or, l’accès aux marchés peut être plus difficile pour une MRC ne disposant pas d’infrastructures routières rapides et directes, même si elle se situe à moins de 300 km des marchés à vol d’oiseau. Par exemple, des MRC localisées dans le sud de la Chaudière-Appalaches et de l’Estrie affichent un faible indice ACCÈS, mais elles ne peuvent évidemment pas être qualifiées d’éloignées selon la distance géodésique.

C’est que leur accessibilité routière vers Québec et Montréal est moins directe que d’autres régions centrales. Pour voir cela, nous avons superposé (en rouge) sur la carte 1 les principaux axes routiers du Québec. Le sud de la Chaudière-Appalaches et de l’Estrie est irrigué par l’autoroute 73 dans l’axe Nord-Sud, mais le seul lien direct Est-Ouest pour rejoindre Montréal ou Québec est l’autoroute 20 beaucoup plus au nord. En comparaison, la Montérégie et le nord de l’Estrie sont alimentés par l’autoroute 15 et l’autoroute 55 dans l’axe Nord-Sud et par l’autoroute 20 et l’autoroute 10 dans l’axe Est-Ouest. Évidemment, l’accessibilité tend à épouser les principaux axes routiers. La carte 3 présente l’indice ACCESAmérique, calculé par rapport à l’ensemble du marché nord-américain. L’indice révèle une concentration de l’accessibilité aux marchés dans le Sud-Ouest du Québec, notamment dans la grande région métropolitaine de Montréal, ainsi que les MRC frontalières des États-Unis et de l’Ontario. Notons que l’Est du Québec ne semble malheureusement pas bénéficier de la proximité du marché des provinces maritimes.

À surveiller Frédéric Laurin est l'auteur de : "Où sont les vins? Le problème de la distribution du vin au Québec", publié chez les Éditions Hurtubise, disponible en librairie début octobre.

4. Conclusion Nous avons proposé une méthodologie pour délimiter les régions dites éloignées au Québec, basée sur le potentiel d’accès aux marchés québécois. Nous avons ainsi construit un indice de proximité des marchés, au niveau des MRC québécoises, tenant compte de la distance routière et de la taille de la demande accessible. Nous obtenons une classification régionale différente du rapport du groupe de travail sur les aides fiscales aux régions ressources et à la nouvelle économie (GTAF).

Résumé: À partir de l’éloge de la richesse du vin dans le monde, l'auteur critique la situation de la vente et de la distribution des vins et alcools au Québec, et relance le débat sur l'avenir de la SAQ. Savoureux mélange d'économie et de gastronomie, ce livre offre une perspective plus large à des débats politiques d’actualité : libéralisation des marchés, concurrence, privatisation des sociétés d’État... et rappelle le désir de diversité des consommateurs. À quand un changement de la réglementation sur la vente des vins au Québec ?

Cependant, l’éloignement ne devrait pas être le seul critère à considérer pour identifier les régions en difficulté au Québec. Il ne faudrait pas négliger les régions victimes de restructurations industrielles. Plusieurs MRC québécoises

Vol.9, no 3, Septembre 2009

Page 5

sont aujourd’hui dépendantes d’industries en forte décroissance (bois, pâtes et papier, extraction, métaux et produits métalliques, etc.). Cet aspect est étudié plus en détail dans Laurin (2009) pour les MRC québécoises.

Soulignons aussi que l’éloignement ne constitue certainement pas l’unique déterminant du développement économique local, qui dépend aussi de la structure industrielle régionale, de la richesse du tissu local et de ses réseaux sociaux, de la capacité entrepreneuriale des entreprises, de la création et de la diffusion de l’innovation, de la proximité de ressources naturelles spécifiques, de la qualité de la main-d’oeuvre, etc.

Si le GTAF conçoit l’aide régionale comme devant être un appui à un handicap exogène, tel que la géographie qui est donnée par la nature, il faut bien comprendre que les situations de déclin industriel résultent rarement d’une incompétence des autorités ou des entreprises locales. Ils suivent plutôt le rythme des cycles de produit et l’état de la demande mondiale pour ces industries, conjonctures exogènes aux acteurs économiques locaux. C’est pourquoi l’Union européenne et de nombreux États américains accordent des aides substantielles en appui à ces territoires, visant la reconversion ou la diversification de leur tissu industriel.

Pour conclure, nous espérons que le gouvernement du Québec reconnaîtra l’importance de compiler davantage de statistiques industrielles au niveau des MRC. Le territoire québécois est vaste et les disparités entre MRC au sein d’une même région administrative peuvent être grandes. Ainsi, une analyse plus approfondie de la production et de l’emploi par secteur industriel au niveau des MRC reste encore à développer pour comprendre davantage les enjeux du développement économique au Québec.

Carte 1 : Indice ACCÈS de potentiel de marché, par rapport au marché québécois (principaux axes routiers en rouge)

Côte-Nord

Région métropolitaine de Montréal

Gaspésie

Saguenay-Lac-Saint-Jean

Abitibi-Témiscamingue

Québec Plus de 1,84

Plus de 1,24

Plus de 0,93

Plus de 0,63

Plus de 0,3

Légende : valeur de l’indice ACCÈS

Maria-Chapdelaine

Centre-du-Québec

Trois-Rivières

Rimouski

Charlevoix

Gatineau

Vol.9, no 3, Septembre 2009

Page 6

Carte 2 : La définition territoriale des aides aux régions éloignées proposée par le GTAF (cercles concentriques de 200 km et de 300 km à partir de Gatineau,

é é é

Régions au-delà de 300 km

Régions au-delà de 200 km

Régions à l’intérieur de 200 km

Légende : valeur de l’indice ACCÈS

Minganie

Région métropolitaine de Montréal

Saguenay-Lac-Saint-Jean

Abitibi-Témiscamingue

Institut de recherche sur les PMEUniversité du Québec à Trois-Rivières 3351, boulvard des Forges, C.P. 500

Trois-Rivières (Québec) G9A 5H7

Téléphone : (819) 376-5011 poste 4043

Sans frais : 1 800 365-0922 Télécopieur : (819) 376-5138

www.uqtr.ca/larepe

[email protected]

Gaspésie

L’Islet

Carte 3 : Indice ACCESAmérique, par rapport au marché nord-américain

Plus de 1,14

Plus de 1,04

Plus de 0,93

Plus de 0,82

Plus de 0,67

Légende : valeur de l’indice ACCÈSAmérique

Gatineau