L'année mondiale de la Physique - La Lettre n°15

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la lettre n0 15 / printemps 2005

de l ’Académie des sciences

PhysiqueL’année mondiale de la

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EditorialL’année 2005 a été choisie pour célébrerles sciences physiques dans le mondeentier, exactement cent ans après laparution des travaux révolutionnairesd’Albert Einstein sur trois thèmes fonda-mentaux qui ont ouvert la voie à prati-quement tous les développements de laPhysique du XXème siècle:• la théorie de l’effet photoélectriquedans laquelle il introduisit le quantumde lumière (cet article sera couronné parle prix Nobel),• la théorie de la relativité dans lequel ilbrisait la nature absolue du temps etabandonnait le concept d’éther (supporthypothétique de la propagation de lalumière), article donc totalement révo-lutionnaire même si les contributionsantérieures de Lorentz et Poincaré ontété elles aussi déterminantes; il intro-duisit également cette même année lacélèbre équivalence masse-énergie,• et enfin la théorie du mouvementbrownien, révélatrice de la constitutionatomique de la matière, qui devait effec-tivement permettre à Jean Perrin demesurer le nombre d’Avogadro.La réunion de l’Académie des sciencesà Lyon le 25 janvier dernier, à l’invitationde la municipalité de cette ville, a étél’occasion de présenter publiquement,en liaison avec la Société française dePhysique, les manifestations prévuestout au long de l’année dans notre pays.La communauté scientifique s’est en

effet fortement impliquée pour faire decette Année mondiale de la Physiqueautre chose que la commémoration d’A.Einstein, bien qu’il soit à l’évidence l’unedes plus grandes figures de la sciencede tous les temps. Le but est avant toutde faire connaître par un public aussilarge que possible, et singulièrementpar les jeunes, les progrès conceptuelsde la physique, qui ont complètementbouleversé notre compréhension de l’es-pace, du temps, de la matière, et simul-tanément de faire prendre consciencede l’importance de ces changementsdans la vie quotidienne de chacun d’entrenous. Des expositions, des conférences,des présentations publiques d’expé-riences, des manifestations artistiquesvariées, auront lieu tout au long de l’an-née sur tout le territoire, grâce à la mobi-lisation et à l’imagination créatrice detoute la communauté scientifique. Quantà l’Académie, au-delà de l’action de sesmembres, elle a pris l’initiative d’un livrecollectif réalisé sous son égide (« Demainla Physique », éditions O. Jacob) danslequel nous avons tenté de faire uneprésentation de questions incomprises(sans recours au formalisme mathé-matique). La Délégation à l’informationscientifique et à la communication, enliaison avec le service des archives, aégalement choisi de présenter chaquemois le portrait d’un physicien du passé,français ou étranger, mais lié à notreAcadémie, en permettant une consulta-tion en ligne des articles originaux issusde nos archives et de certains articlesque ces travaux initiaux ont inspiré.Combattre le relatif désintérêt que l’onnote dans la jeunesse pour les carrièresscientifiques et redonner le goût de ladémarche scientifique est aujourd’huiun enjeu mondial. Il est en effet essen-tiel de faire comprendre que le XXIème

siècle aura un besoin croissant desconcepts et des outils fournis par lessciences physiques pour trouver dessolutions aux problèmes majeurs quipréoccupent légitimement nos contem-porains, qu’il s’agisse de la dynamiquede notre planète, de la productiond’énergie, ou encore d’imagerie médi-cale. Il faut aussi faire prendre con-science de grandes questions, commecelles qui concernent l’information quan-

tique dont nul ne sait si elles auront desconséquences pratiques (mais nul nepensait au moment de l’apparition dulaser qu’il aurait le moindre impact horsdes laboratoires de recherche), ou denotre univers comme celle qui concernel’origine de cette mystérieuse énergienoire (qui constitue apparemment 70 %de l’énergie de l’univers). La physiqueest une matière réputée difficile, dontl’apprentissage suppose non seulementl’observation et la compréhension desphénomènes mais aussi l’utilisation etla maîtrise des outils mathématiquespour exprimer les lois de la physique. La« Main à la pâte », développée depuisprès de dix ans par nos ConfrèresCharpak, Léna et Quéré, rejoints aujour-d’hui par toute une équipe, a permis pourde nombreuses classes de l’écoleprimaire, de renouer avec l’expérimen-tation personnelle, d’observer les phéno-mènes naturels qui nous entourent. et,avec l’aide des maîtres de tenter de lescomprendre. Il est nécessaire désormaisde prolonger dans les classes de collègeet de lycée cette façon d’appréhender lemonde, de comprendre que celui-ci estintelligible et que seule une approcherationnelle permet de l’appréhender. Cetenjeu mettra sans doute plusieursannées à se développer, il ne suffira pasd’une « année mondiale » pour cela,mais le rôle de l’Académie sera certai-nement déterminant �

par Édouard Brézin

Président de l’Académiedes sciences, professeurà l’université Pierre et Marie Curie

SommaireÉditorialÉdouard Brézin

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DossierUne nouvelle révolution quantiqueAlain Aspect

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La physique de l’eau liquideBernard Cabane, Rodolphe Vuilleumier

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Les défis de la physique théorique Jean Iliopoulos

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Le retournement temporel des ondesEntretien avec Mathias Fink par Paul Caro

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Question d’actualitéLe challenge du Manchot antarctique : comment réussir à se reproduire sans compromettresa propre survieYvon Le Maho

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La vie de l’académiePedro Vicente MaldonadoAndré Capron

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Biologie cellulaire Biologie du développementpage 17

La vie des séancesLa Nature, leçon d’harmonieDominique Meyer

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Quel avenir pour la recherchepharmaceutique en FranceJean-Charles Schwartz

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Carnetpage 20

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Le développement dela physique quantique, au XXème

siècle, est l’une des aventures intellectuellesles plus extraordinaires de toute l’histoire humaine.Cette théorie physique a modifié de fond en comble notre conception dumonde, puisqu’elle nous force, par exemple, à accepter qu’une particulepuisse se trouver à la fois ici et là, où qu’une porte quantique puisse êtreà la fois ouverte et fermée. Et elle a tout autant bouleversé notre mode devie par ses applications innombrables: lasers, transistors, circuits intégrés,qui sont les composants de base des technologies de l’information et dela communication…Une telle accumulation de succès aurait pu laisser craindre un épuisementdu domaine: il n’en est rien. Qu’il s’agisse du comportement des élec-trons dans les solides, de l’interaction lumière matière, des fluides quan-tiques ultra-froids, on voit apparaître des phénomènes, certes compré-hensibles dans le cadre de la physique quantique, mais tellement nouveauxet inattendus que l’intérêt rebondit sans cesse, ponctué par l’attributionde nombreux prix Nobel.De façon sans doute encore plus imprévue, tant était grand le sentimentque « les pères fondateurs » (Niels Bohr et ses élèves) avaient totale-ment clarifié le sujet (essentiellement en répondant aux objections d’Ein-stein), c’est au niveau du cœur conceptuel de la théorie quantique qu’unenouvelle phase de progrès majeurs a débuté en 1960 avec les travaux deJohn Bell, suivis d’expériences de plus en plus fines. La violation des inéga-lités de Bell a apporté l’évidence irréfutable de l’inséparabilité quantique,propriété extraordinaire d’une paire d’objets intriqués qui se compor-tent comme un système quantique unique, même si les deux objets sonttrès éloignés l’un de l’autre.C’est peu de temps après que l’on a appris à manipuler un par un des élec-trons, puis des ions, des atomes ou des photons. Il a alors fallu clarifierla façon d'appliquer le formalisme quantique fondamentalement proba-biliste, à des objets individuels, et pas seulement à de très grands ensembles.Il n’est sans doute pas exagéré de dire que ces deux avancées concep-tuelles de la fin du XXème siècle – la compréhension et la maîtrise des étatsintriqués, la compréhension et la maîtrise de la dynamique des objetsquantiques individuels – signent le début d’une nouvelle révolution quan-tique. Et il n’est pas interdit d’imaginer qu’au delà des progrès en physiquefondamentale dont nous n’avons sans doute observé que les prémices, etdes questions d’interprétation qui restent plus ouvertes que jamais, cettenouvelle révolution quantique pourrait à son tour bouleverser notre sociétéen débouchant sur une nouvelle révolution technologique, la révolutionde l’information quantique…

et de stockage de l’information. Le laser,d’abord un instrument de physicien, estdevenu omniprésent dans les applica-tions les plus diverses, du guidage desengins de travaux publics aux lecteursde code barre ou de disques compacts.Les télécommunications par laser etfibres optiques ont multiplié le débit d’in-formation que l’on peut faire circuler àl’échelle de la planète et les autoroutesde l’information permettent aujourd’huià l’humanité de partager les informa-tions stockées dans les ordinateurs dumonde entier, ou de mettre en communleurs puissances de calcul.La place prise par les applications deslasers ne doit pas faire croire que lesprogrès dans la compréhension et lamaîtrise de l’interaction matière-lumièrese seraient arrêtés en 1960. On a vu parexemple apparaître l’optique quantiquedont la plupart des concepts étaientignorés en 1960, et qui permet derepousser les limites des méthodesd’observation et de mesure optiques. Oncitera aussi la découverte a priori para-doxale, couronnée par le prix Nobel 1997attribué à Steven Chu, Claude Cohen-Tannoudji, et Bill Phillips, du refroidis-sement par laser des vapeurs atomiquesà des températures proches du zéroabsolu. Ces progrès de la recherchefondamentale ont déjà débouché sur uneamélioration spectaculaire de la préci-sion des horloges atomiques, dont laprécision conditionne celle de la locali-sation par satellite du système GPS. Ilsont aussi permis le développement d’in-terféromètres atomiques capables dedétecter d’infimes anomalies de la pe-santeur, ouvrant la voie à de nouvellesméthodes d’analyse du sous-sol. Et puis,par ce mouvement de balancier dont ilssont coutumiers, les physiciens projet-tent aujourd’hui d’utiliser ces nouveauxinstruments à base d’atomes froids pourrevenir sur des problèmes de physiquefondamentale, comme des tests de rela-tivité générale, ou la recherche d’éven-tuelles modifications des lois physiquesà l’échelle de l’âge de l’Univers.Ainsi, après bientôt un siècle, la premièrerévolution quantique n’en finit pas deproduire ses effets. La théorie quantiqueélaborée dans les années 1905-1925, etraffinée à la fin des années 1940, restele cadre naturel dans lequel les physi-ciens continuent de découvrir et decomprendre les propriétés exotiques dela matière dans des situations extrêmes,ou même dans des conditions inconnuesdans la nature. C’est aussi le cadre danslequel doivent se placer les ingénieursqui cherchent à pousser les technolo-gies à leurs limites ultimes, de naturequantique. Mais au-delà de cette phy-sique quantique bien établie, on assisteaujourd’hui à ce que l’on peut sans douteappeler une « seconde révolution quan-tique », qui a débuté avec les travaux deJohn Bell sur le problème d’Einstein-Podolsky-Rosen.

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Dossier

La première révolution quantique

L ’émergence de la mécanique quan-tique a exigé des révisions concep-

tuelles déchirantes, comme le renon-cement au concept classique detrajectoire, traduit par les relations deHeisenberg, ou la dualité onde particule.Mais la nouvelle théorie a permis decomprendre la structure de la matièreà des échelles de plus en plus petites(liaison chimique, atome, noyau, parti-cules élémentaires). La mécanique quan-tique a aussi permis de comprendre despropriétés beaucoup plus exotiques dela matière: la supraconductivité, c’est-à-dire la disparition de la résistivité élec-trique de certains conducteurs à trèsbasse température, et la superfluiditéde l’hélium liquide, c’est-à-dire la dispa-rition de sa viscosité. Ces deux effetsremarquables sont une conséquence dela « condensation de Bose-Einstein »,phénomène imaginé par Einstein àl’époque des débuts de la mécaniquequantique, qui se traduit par la conden-sation de toutes les particules dans lamême onde de matière géante, que l’ona pu observer directement dans desexpériences récentes.Au delà de ces progrès sans précédentsdans notre compréhension du monde,la physique quantique a permis l’émer-gence de technologies nouvelles, lamicroélectronique et l’optoélectronique,qui ont permis la montée en puissancede la société de l’information et de lacommunication. C’est en effet en s’ap-puyant sur la description quantique dela matière que les physiciens allaientinventer de nouveaux objets qui n’exis-taient pas dans la nature, et que les ingé-nieurs surent bientôt produire en grandesérie. Le transistor et ses descendants,les circuits intégrés, inventés par ungroupe de brillants physiciens du solideà partir d’une réflexion fondamentale surla nature quantique de la conductionélectrique, ont permis la multiplicationdes possibilités de calcul, de traitement

Q uantiqueUne nouvelle révolution

par Alain Aspect

Membre de l’Académie des sciences,directeur de recherche au CNRS,

professeur à l’École polytechnique

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deux états relatifs à chacun des deuxphotons: les propriétés de la paire ne serésument pas à la réunion des propriétésdes deux photons.L’inséparabilité quantique se manifestemême si les deux photons sont éloignésl’un de l’autre, et qu’aucune interactionne peut a priori connecter causalementles mesures, sauf à se propager plus viteque la lumière, ce qui est interdit par larelativité. Ce point a été vérifié pour lapremière fois dans l’une des expériencesréalisées à l’Institut d’optique d’Orsay en1982, et confirmé en 1998 par une équipeautrichienne. Dans les expériencesrécentes, des sources d’un nouveau typepermettent d’injecter les photons intri-qués dans deux fibres optiques partantdans des directions opposées, et uneéquipe genevoise a pu vérifier que l’in-séparabilité subsiste à des distances deplusieurs dizaines de kilomètres. Mêmeà de pareilles distances, tout se passedonc comme si les deux photonsrestaient toujours en contact, et si lerésultat de la mesure effectuée sur l’unaffectait instantanément l’autre. Bienqu’on ne puisse utiliser ce phénomènepour transmettre de l’information plusvite que la lumière, les propriétés trou-blantes des états intriqués continuent àinterpeller les physiciens qui sont loind’avoir atteint un consensus sur la façonde comprendre l’inséparabilité quan-tique. Nul ne peut dire aujourd’hui si lesprogrès viendront de nouvelles expé-riences, de percées théoriques, ou deruptures épistémologiques.

Des objections d’Einstein aux photonsjumeaux: l’intricationquantique

Le débat Bohr-Einstein

Les renoncements ayant permis l’émer-gence de la mécanique quantique étaientsi radicaux que plusieurs physiciens,dont Einstein et de Broglie, et dans unecertaine mesure Schrödinger, n’admet-taient pas leur caractère définitif, à ladifférence de Bohr qui en avait fait la clefde voûte de l’interprétation de la nouvellethéorie connue sous le nom « d’inter-prétation de Copenhague ». Einstein neremettait pas en cause le formalismemathématique de la mécanique quan-tique, ni ses prévisions, mais il semblaitpenser que les renoncements préco-nisés par Bohr dans son interprétationne traduisaient que l’état d’inachève-ment de la théorie quantique. Cette posi-tion allait donner lieu des débats homé-riques entre eux, en particulier celui quidébuta avec la publication, en 1935, del’article d’Einstein, Podolsky, et Rosen(EPR). Dans cet article, Einstein et sescoauteurs montrent que le formalismequantique prédit l’existence d’états parti-culiers de deux particules, par exempledeux électrons, caractérisés par de trèsfortes corrélations à la fois des vitesseset des positions.Plus précisément, pour un état EPR, leformalisme quantique prédit que desmesures de position sur chacun desdeux électrons donneront des valeurssymétriques par rapport à l’origine, etque des mesures de vitesses donnerontde même des résultats toujours iden-tiques. Les deux électrons étant éloi-gnés l’un de l’autre au moment de lamesure, on est conduit, pour com-prendre ces corrélations, à admettreque chacun des électrons possédaitavant la mesure une valeur parfaite-ment déterminée de vitesse et de posi-tion. Mais le formalisme quantique nedonne pas de valeur précise à ces quan-tités tant que la mesure n’est pas faite,et EPR concluent que le formalismequantique ne rend pas compte de latotalité de la réalité physique, et qu’ilfaut donc s’attacher à essayer de lecompléter. Niels Bohr fut, semble-t-il,bouleversé par cet argument qui s’ap-puie sur le formalisme quantique lui-même pour en montrer le caractèreincomplet, provisoire. Ses écrits mon-

trent une conviction profonde que si leraisonnement EPR était correct, com-pléter le formalisme quantique neserait pas suffisant, c’est toute la phy-sique quantique qui s’effondrerait. Bohrcontesta donc immédiatement le rai-sonnement EPR, en affirmant que dansun état quantique de ce type, « nonfactorisable », on ne peut parler despropriétés individuelles de chaque élec-tron, et cela même s’ils sont très éloi-gnés l’un de l’autre. Avec Schrödinger,qui découvrit au même moment cesétats étonnants, on allait désormaisparler « d’état intriqué », pour indiquerque les deux électrons sont indissolu-blement enchevêtrés, qu’ils forment unobjet unique quelle que soit leur éloi-gnement.On pourrait penser que ce débat entredeux géants de la physique du XXème

siècle eut un immense écho chez lesphysiciens. En fait, lorsque l’article EPRparut en 1935, la mécanique quantiqueallait de succès en succès et, mis à partBohr, la plupart des physiciens ignorè-rent une discussion qui leur paraissaitacadémique: il semblait que l’adhésionà l’une ou l’autre des positions fût uneaffaire de goût personnel (ou de posi-tion épistémologique) sans aucuneconséquence pratique sur la mise enœuvre du formalisme quantique, cequ’Einstein lui-même ne semblait pascontester. Il fallut attendre presquetrente ans pour voir paraître un démentià cette position relativement consen-suelle.

Les tests expérimentauxdes inégalités de Bell

C’est en 1964 que John Bell, physicienthéoricien irlandais travaillant au CERNà Genève, publie un court article qui vabouleverser la situation. En quelqueslignes de calcul, il montre que si l’onprend au sérieux l’argument EPR, etdonc qu’on introduit explicitement desvariables supplémentaires (complétantle formalisme quantique) spécifiant latotalité de la réalité physique au sensd’Einstein, par exemple à la fois les posi-tions et les vitesses des électrons intri-qués, alors on aboutit à une contradic-tion avec les prédictions quantiques.Pour établir cette contradiction, JohnBell montre que tout modèle dans l’es-prit des idées d’Einstein ne peut prédireque des corrélations dont les valeurssont limitées par des inégalités – aujour-d’hui appelées « inégalités de Bell » –que violent certaines prévisions quan-tiques. Le choix entre les positions d’Ein-stein et de Bohr n’est alors plus unequestion de goût personnel, puisque lesdeux positions conduisent à des prévi-sions quantitativement différentes. Ildevient possible de trancher le débat parl’expérience, en mesurant les corréla-tions dans des paires intriquées, et enconfrontant les résultats aux inégalités

de Bell. En 1964, il n’existait aucun ré-sultat expérimental permettant de con-clure. Les expérimentateurs se mirentdonc au travail pour construire une expé-rience « sensible », dans une des raressituations où la mécanique quantiqueprédit une violation des inégalités deBell. Les expériences les plus convain-cantes ont été réalisées avec des pairesde photons, sur lesquels des mesuresde polarisation – suivant deux directionsdistinctes – jouent un rôle analogue auxmesures de position et de vitesse dansle schéma EPR originel. Après une pre-mière génération d’expériences pion-nières, une nouvelle série d’expériencesconduites à Orsay au début des années1980, suivant des schémas de plus enplus proches de « l’expérience de pen-sée » idéale, donnèrent un ensemble derésultats incontestables, en excellentaccord avec la mécanique quantique, etviolant nettement les inégalités de Bell.Une troisième génération d’expériencesentreprises à partir du début des années1990 sont venues conforter ces résul-tats. Il faut se rendre à l’évidence: lesphotons intriqués jumeaux ne sont pasdeux systèmes distincts portant deuxcopies identiques d’un même ensemblede paramètres (à la différence desjumeaux humains dont les ressem-blances s’expliquent par l’identité deleurs chromosomes). Une paire dephotons intriqués doit en fait être consi-dérée comme un système unique, insé-parable, décrit par un état quantiqueglobal, impossible à décomposer en

Dossier

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Figure 1. Lasers à atomes. A partir d’un condensat de Bose-Einstein, on peut extraire une onde de matièrecohérente, constituée d’atomes tous décrits par la mêmefonction d’onde, comme un faisceau laser est une ondeélectromagnétique cohérente formée de photons tousdans le même mode du champ. Dans la figure de gauche,l’onde de matière (longueur de l’ordre du millimètre)tombe sous l’effet de la pesanteur, tandis que dans lafigure de droite elle est guidée dans un guide d’ondeatomique horizontal, comme un faisceau laser peut êtreguidé par une fibre optique. (Cliché Laboratoire Charles Fabry de l’Institut d’Optique).

Figure 2. Chaîne d’ionspiégés constituant un ensemble de qubits(bits quantiques). Par manipulation individuelle de ces ions, on peut les faire inter-agir et aboutir à un étatintriqué. On réaliseainsi des opérationsélémentaires du calculquantique. (Cliché Université de Innsbruck).

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La mécaniquequantique et lessystèmes individuels

Jusqu’à la fin des années 1970, les situa-tions expérimentales où la mécaniquequantique était impliquée concernaientde très grands ensembles d’objetsmicroscopiques sur lesquels on obser-vait un signal moyenné. Ainsi, la lumièreémise par une lampe à décharge, dontles propriétés spectrales ont conduit àla première révolution quantique, est-elle émise par les millions de milliardsd’atomes d’un gaz. De même, la super-fluidité de l’hélium liquide, ou la su-praconductivité de certains métaux, s’observent-elles sur des quantités ma-croscopiques, où le nombre d’atomesest de l’ordre du nombre d’Avogadro (6 x 1023, six cent mille milliards demilliards). Dans ce type de situation, iln’y a aucune difficulté à utiliser les résul-tats probabilistes des calculs quantiques.A partir des années 1970, les physiciensont inventé des méthodes pour mani-puler et observer un seul électron, ou unseul ion, conservé pendant des heures(voire des jours, des mois) à l’aide dechamps électriques et magnétiques quile maintiennent loin de toute paroi, dansune enceinte à vide: on parle alors departicule unique « piégée ». Puis estapparue la microscopie de champproche (microscope à effet tunnel,microscope à force atomique), qui apermis d’observer et de manipuler desatomes individuels déposés sur unesurface. A la même époque, les progrèsconceptuels et expérimentaux de l’op-tique quantique ont conduit au dévelop-pement de sources où les photons sontémis un par un. Ces avancées expéri-mentales, couronnées par plusieurs prixNobel, ont d’abord eu des conséquencesimportantes en physique fondamentale.C’est ainsi que le piégeage d’objetsélémentaires uniques a fait considéra-blement progresser la précision desmesures de certaines grandeurs micro-scopiques, dont la valeur fournit souventun test sévère de la théorie.En parallèle avec les progrès expéri-mentaux, le piégeage d’objets micro-scopiques individuels a obligé les physi-ciens à se reposer la question, soulevéeelle aussi par Einstein, de la significa-tion de la théorie quantique lorsqu’onl’applique à un objet unique. Même si laquestion apparaissait totalement acadé-mique dans les années 1930, où l’on étaitloin de penser qu’on pourrait un jourobserver des objets microscopiquesuniques, les physiciens de l’école de

Copenhague ne l’éludaient pas: pour yrépondre, ils invoquaient le « postulat deréduction du paquet d’onde » qui affirmeque lorsqu’un système quantique inter-agit avec un appareil de mesure, cesystème quantique cesse d’être dansune superposition d’états et « saute »dans l’un ou l’autre d’entre eux. Appliquéà un ion unique piégé soumis à des fais-ceaux lasers convenablement choisis,ce raisonnement conduit à prédire l’exis-tence de sauts quantiques aléatoiresentre un état « brillant » ou l’ion diffusebeaucoup de photons observables à l’œilnu et un état « noir » ou aucun photonn’est diffusé.L’existence de ces « sauts quantiques »,qui implique une évolution discontinuedu système, avait été violemment con-testée par nombre de physiciens parmiles plus grands (tel Schrödinger), qui yvoyaient tout au plus un artifice com-mode, à valeur pédagogique, et sem-blaient penser que la description quan-tique ne s’appliquait qu’aux grandsensembles. Au milieu des années 1980,on a pu observer les sauts quantiquessur un ion unique piégé, dont la fluores-cence varie brutalement lorsque l’atomesaute d’un état à l’autre. Cette observa-tion a beaucoup frappé les physiciens,et elle a déclenché de nouveaux progrèsà la fois dans le domaine expérimentalet dans le domaine théorique.

Du microscopique au mésosco-pique et au macroscopique:la décohérence

Sachant que la mécanique quantiquepeut décrire le comportement des objetsindividuels microscopiques, on peutévidemment se demander si elle s’ap-plique à des objets plus gros. On sait bien

qu’il n’y a pas besoin d’elle pour décrirele mouvement des planètes ou d’unepomme qui tombe: la physique classiques’en acquitte parfaitement, ce qui ex-plique d’ailleurs sans doute la difficultéde comprendre les concepts quantiquesà partir d’une intuition forgée dans lemonde macroscopique. Mais il existeune échelle intermédiaire, l’échellemésoscopique, où c’est l’objet lui-même– et pas seulement son matériau – quidoit être décrit par la mécanique quan-tique. On sait ainsi réaliser aujourd’huides anneaux conducteurs mésosco-piques (à ne pas confondre avec les filssupraconducteurs), dont la taille est del’ordre du micromètre, et dont la résis-tance électrique nulle ne peut êtrecomprise qu’en considérant la fonctiond’onde globale de l’ensemble des élec-trons de ce nanocircuit. Un autre ex-emple célèbre (prix Nobel 2001) d’objetmésoscopique est celui des condensatsde Bose-Einstein gazeux, ensembled’atomes (typiquement quelques mil-lions) qui eux aussi doivent être décritspar une fonction d’onde quantique glo-bale. Si ces objets mésoscopiques oùune description quantique s’impose sontencore des curiosités des laboratoiresde recherche fondamentale, il ne faitguère de doute que les progrès desnanotechnologies, en particulier la mi-niaturisation ininterrompue des compo-sants semi-conducteurs, obligerontbientôt l’industrie de la microélectro-nique à utiliser une approche complè-tement quantique pour maîtriser cesnanocomposants.Mais alors, si l’on observe un compor-tement quantique avec des objets de plusen plus gros, où se situe la frontière?A vrai dire, on ne connaît pas la réponseà cette question, l’une des plus impor-

Dossiertantes qui soient posées aux physiciensdu début du XXIème siècle. L’une despropriétés spécifiques de la physiquequantique est l’existence des superpo-sitions d’états : si un système possèdeplusieurs états quantiques possibles, ilpeut non seulement se trouver dans l’und’eux, mais il peut également se trouverdans un état hybride formé à partir deces états de base, une « superpositioncohérente » de ces états. Ainsi, un atomearrivant sur une séparatrice à atomes,analogue à une lame semi-réfléchis-sante pour les photons, peut soit êtretransmis, soit être réfléchi, ce qui conduità des trajectoires distinctes. Mais il peutaussi être dans une superposition desétats transmis et réfléchis, c’est-à-direprésent à la fois en deux points différentsde l’espace. On peut démontrer expé-rimentalement que cet état existe vrai-ment, en recombinant les deux trajec-toires et en observant des interférences,qu’on ne peut interpréter qu’en admet-tant que l’atome a suivi les deux cheminsà la fois. Un tel comportement a effecti-vement été observé avec des objetsmicroscopiques (électrons, photons,neutrons, atomes, molécules), ou méso-scopiques (courants électriques dansdes nanocircuits), mais jamais avec desobjets macroscopiques, alors que rienne l’interdit a priori dans le formalismequantique. Ce problème a attiré l’atten-tion de nombreux physiciens, à com-mencer par Schrödinger qui en a donnéune illustration amusante sous la formedu fameux chat qui pourrait à la fois êtremort et vivant, ces deux états représen-tant un exemple particulièrement frap-pant d’états incompatibles. Pourquoi,dans le monde réel, n’observe-t-on pasla superposition cohérente des états« mort » et « vivant »?

Est-il mort, est-il vivant?

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Les physiciens invoquent généralementla décohérence quantique pour expli-quer l’impossibilité d’une superpositioncohérente d’états d’objets macrosco-piques. La décohérence doit se mani-fester dès qu’un système quantiqueinteragit avec le monde extérieur.Reprenons l’exemple de l’atome dont lestrajectoires se sont séparées puis sontrecombinées pour donner des interfé-rences. Si on l’éclaire avec de la lumièrelaser, il devient possible d’observer satrajectoire et de dire s’il suit un trajet oul’autre. Mais la lumière d’éclairageperturbe l’atome, et les interférencesdisparaissent. On retrouve une situationclassique, sans superposition cohérente:l’atome suit un chemin ou l’autre, pasles deux à la fois. Or, plus un objet estcomplexe et gros, et plus il est, engénéral, sensible aux perturbations exté-rieures qui font disparaître les interfé-rences. La décohérence par interactionavec le monde extérieur serait donc laclef du passage entre comportementsquantique et classique. Même si ceraisonnement est séduisant, de nom-breuses questions restent posées. Al’heure actuelle, on n’a aucun argumentvraiment convaincant permettant desavoir s’il existe une taille limite fon-damentale au-dessus de laquelle ladécohérence serait inévitable et lessuperpositions quantiques cesseraientd’exister. Une réponse à cette questionaurait des implications immenses, tantsur le plan conceptuel que pour les tech-nologies du futur basées sur l’hypothé-tique ordinateur quantique.

L’information quantique

Nous avons suggéré plus haut que laprise de conscience du caractère extra-ordinaire de l’intrication quantique,couplée à la maîtrise des objets micro-scopiques individuels, avait marqué ledébut d’une nouvelle révolution quan-tique. La portée de cette nouvelle révo-lution quantique pourrait aller bien au-delà des concepts, et conduire à desapplications révolutionnaires dans letraitement et la transmission de l’infor-mation. C’est le domaine de l’informa-tion quantique, qui vise à mettre enœuvre ces concepts physiques nouveauxpour aboutir à deux types d’applications:d’une part la cryptographie quantique,qui commence à être opérationnelle, etd’autre part le calcul quantique, qui n’enest qu’à une phase de recherche fonda-mentale encore très éloignée des éven-tuelles applications.La cryptographie a pour but de commu-niquer des informations codées sur uncanal public sans que des tiers puissentles déchiffrer. Les progrès dans lecodage et les tentatives de déchiffrages’appuient d’une part sur des avancéesmathématiques, d’autre part sur la puis-sance croissante des ordinateurs, et on

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La physique quantique: un défipour l’intuition, une source deruptures technologiques

Un siècle après son émergence, laphysique quantique occupe toujours uneposition singulière. Elle met en jeu desconcepts absolument étrangers à uneintuition forgée par l’observation desobjets et des phénomènes à notreéchelle. Même si les physiciens s’y sonthabitués, et même si l’on maîtrise leformalisme mathématique permettantd’en rendre compte, ces concepts restentdéroutants. Aux difficultés originelless’est ajouté le concept d’intrication. Parailleurs, la question de la frontière entrele monde quantique et le monde clas-sique, plaisamment illustrée par la para-bole du chat de Schrödinger, reste un desproblèmes conceptuels majeurs surlesquels butent les physiciens, même sides progrès dans la compréhension desphénomènes de décohérence ouvrentdes pistes intéressantes.L’existence de questions non résolues nedoit pas nous faire oublier les succèsextraordinaires de la physique quanti-que. La première révolution quantique,d’abord conceptuelle, a permis uneavancée sans précédent dans la compré-hension du monde au niveau microsco-pique, et a été à l’origine d’une révolutiontechnologique formidable qui nous a faitplonger dans la société de l’informationet de la communication. Peut-être revi-vons-nous aujourd’hui une histoire ana-logue, avec une nouvelle révolution quan-tique d’abord conceptuelle, mais quipourrait avoir un immense impact sur lasociété si l’information quantique tientses promesses. Certes nous en sommesloin. Mais on peut parier, sans trop derisques, que des applications que nousne soupçonnons pas aujourd’hui émer-geront tôt ou tard, car comment desphénomènes aussi extraordinaires nestimuleraient-ils pas l’imagination deschercheurs et des inventeurs? �

Pour en savoir plus

Demain la physique (éditions Odile Jacob, 2004).

Einstein aujourd'hui (EDP sciences): chapitre 2

(A Aspect et P. Grangier).

Bell's theorem: the naive view of an experimen-

talist (A. Aspect): téléchargeable librement sur

http://hal.ccsd.cnrs.fr/ccsd-00001079; version

française sur http://www.institutoptique.fr/tele-

chargement/inegalites\_Bell. pdf.

Speakable and unspeakable in quantum mecha-

nics (J. S. Bell, Cambridge University Press,

2ème édition, 2004).

Cours et séminaires de la chaire de Physique

Atomique et Moléculaire du Collège de France

(C. Cohen-Tannoudji, 1973-2003) disponibles sur:

http://www.phys.ens.fr/cours/college-de-france/

Cours et séminaires de la chaire de Physique

Quantique du Collège de France (S. Haroche)

disponibles sur:

http://www.lkb.ens.fr/recherche/qedcav/college/

college.html

comprend que la sécurité d’un coderepose sur l’hypothèse que l’espion quitente de déchiffrer un message n’a pasun niveau de développement en mathé-matiques ou en informatique beaucoupplus avancé que l’expéditeur. Seule faitexception la méthode par clef de codageà utilisation unique: il s’agit d’une suitealéatoire de caractères, existant en deuxexemplaires identiques entre les mainsde l’émetteur et du récepteur. On montre,par un théorème à la rigueur toutemathématique, qu’il est alors possiblede réaliser un codage inviolable d’unmessage, pourvu que sa longueur soitinférieure ou égale à celle de la clefsecrète, qui ne doit être utilisée qu’unefois. La cryptographie quantique va per-mettre de renouveler la clef en distri-buant à deux partenaires éloignés deuxsuites identiques de bits, avec la garan-tie qu’aucun espion n’a pu interceptercette clef et en faire une copie. L’idée debase est qu’il est possible de détecterun espion tentant de prendre connais-sance de la clef secrète par la trace qu’illaisse nécessairement, et que la méca-nique quantique permet de préciser. Parexemple, dans l’un des schémas quiutilise des paires de photons intriquéspour engendrer les deux clefs iden-tiques, on montre que la présence éven-tuelle d’un espion sur la ligne peut êtredémasquée par un test des inégalitésde Bell.Le calcul quantique a été lancé, au débutdes années 1990, par une découvertethéorique : la démonstration mathé-matique que si l’on disposait d’ordina-teurs quantiques, capables d’utiliser lephénomène d’intrication, on pourraitmettre en œuvre des algorithmes radi-calement nouveaux permettant d’ef-fectuer certaines opérations difficiles,comme la décomposition d’un nombre(grand) en facteurs premiers, dans destemps exponentiellement plus courtsqu’avec les méthodes habituelles. Cettedécouverte a une portée conceptuelleconsidérable, puisqu’elle montre que lafaçon de faire les calculs (l’algorith-

mique) n’est pas indépendante du typede machine utilisé. Elle pourrait aussiavoir des conséquences pratiques im-menses, puisque le cryptage (classique)des informations (par exemple sur latoile) repose aujourd’hui sur l’impossi-bilité de factoriser les très grands nom-bres en un temps raisonnable.Encore faut-il être capable de construireun ordinateur quantique. De nombreuxgroupes dans le monde se sont lancésdans le développement de systèmesphysiques réalisant la variable quantiqueélémentaire, le qubit, et l’unité de calculde base, la porte logique quantique. Uneporte logique quantique doit pouvoir com-biner plusieurs qubits en donnant pourrésultat un état intriqué. D’intrication enintrication, on obtient des états repré-sentant simultanément un nombre im-mensément grand de situations, et il estpossible d’effectuer des calculs mas-sivement parallèles, même avec un nom-bre modéré de portes logiques quan-tiques. Plusieurs pistes sont en coursd’exploration, avec des bits quantiquesreposant sur les systèmes les plusdivers: atomes, ions ou photons uniques,mais aussi molécules complexes mani-pulées par les méthodes de la résonan-ce magnétique nucléaire, ou jonctionsJosephson, systèmes artificiels réaliséspar les techniques de nanofabrication.L’ordinateur quantique existera-t-il unjour? Il serait présomptueux de répondre,mais la recherche expérimentale sur lesportes logiques quantiques est très activeet a déjà obtenu des résultats intéres-sants. Il demeure une grande inconnue:saura-t-on maîtriser le problème de ladécohérence, dont les effets sont d’au-tant plus dévastateurs que le systèmeest plus grand? Ce n’est qu’à cette condi-tion que l’on pourrait croire en l’avenir del’ordinateur quantique. Mais même si l’onn’aboutit pas à une réalisation concrètetelle qu’on peut en rêver aujourd’hui, nuldoute que cet effort de recherche mar-quera une étape importante dans l’his-toire de l’informatique aussi bien quedans celle de la physique quantique.

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C’est grâce à cette constante diélectriqueexceptionnelle que la vie a pu se déve-lopper dans l’eau. La plupart des molé-cules biologiques sont en effet ioniques,et les processus biochimiques requiè-rent la dissociation des paires d’ions etl’écrantage des charges électriques.C’est la polarisation des molécules d’eauautour d’un ion qui compense le champélectrique créé par l’ion, et permet ainsila dissociation des paires d’ions et ladissolution des cristaux ioniques.L’exemple le plus courant de solutionionique est, bien sûr, l’eau de mer, quine contient que 9 molécules d’eau parpaire d’ions.

L’eau est encore, dans les conditionsusuelles de température et de pression,un liquide peu dense. Sa masse volu-mique est relativement peu élevée pourun liquide aussi cohésif (les huiles ontdes densités comparables, mais sontbeaucoup moins cohésives). Cette faiblemasse volumique exprime le fait que levolume occupé par les atomes est faiblepar rapport au volume total: les atomesde la molécule d’eau n’occupent que49 % du volume disponible par molécule.Une grande partie du volume de l’eauliquide est donc formée de cavités.Ainsi l’eau présente-elle toute une séried’anomalies liées aux variations de sonvolume. Tout d’abord, la variation entempérature de sa masse volumique estanormale à basse température. Pour

presque tous les liquides, le volumeoccupé diminue régulièrement lorsqu’onabaisse la température, par suite de laréduction du désordre et surtout dunombre de lacunes excitées thermi-quement. Au contraire, l’eau se dilatequand on la refroidit en dessous d’unetempérature appelée température dumaximum de densité (TMD + 4 °C pourH2O). L’eau liquide à basse températureest un liquide peu dense par rapport àce qu’on attendrait d’après sa densitéà haute température.

Pour presque tous les liquides, le volumeoccupé se réduit d’environ 10 % lors dela cristallisation, car les atomes ou lesmolécules sont empilés de manière plusefficace dans le cristal. Au contraire, l’eause dilate d’environ 9 % en cristallisant.Cette augmentation de volume, qui faitflotter la glace sur l’eau, a des consé-quences environnementales considé-rables: si la glace était plus dense quel’eau liquide, toute la glace formée dansles régions arctiques coulerait au fonddes océans au lieu de former une ban-quise qui les isole thermiquement destempératures extérieures, et la produc-tion de glace continuerait jusqu’à congé-lation complète de ces océans.Les propriétés de l’eau confinée dansdes pores ou des films nanométriquesdiffèrent aussi de celles des autres

La cohésion de l’eau se traduit aussi parune chaleur spécifique énorme: il faut3 fois plus d’énergie pour réchaufferl’eau que pour la même masse depentane, et 10 fois plus que pour lamême masse de fer. Cette chaleur spéci-fique est aussi beaucoup plus élevée quecelle du solide (plus de 2 fois supérieureà celle de la glace), alors que la plupartdes liquides ont des chaleurs spécifiquesproches de celles des solides corres-pondants. Elle est due à l’absorption dechaleur par la rupture de liaisons hydro-gène : la chaleur absorbée par cesprocessus n’est pas disponible pouraugmenter l’énergie cinétique des molé-cules, ce qui réduit l’élévation de tempé-rature. Cette résistance aux variationsde température a des conséquencesclimatiques importantes, puisque lacapacité calorifique des océans leur faitjouer le rôle de régulateurs thermiquesdu climat.L’enchaînement des molécules d’eaupar des liaisons hydrogène donne aussià l’eau liquide des propriétés diélec-triques tout à fait remarquables. En effet,les molécules ainsi liées se polarisentmutuellement (Figure 2). Cette polari-sation mutuelle augmente énormémentla réponse du liquide à un champ élec-trique appliqué. Ainsi, la constantediélectrique de l’eau liquide est bien plusélevée que celle qu’on attendrait pourun liquide non associé sur la base dumoment dipolaire de la molécule isolée(Figure 3)

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par Bernard Cabane1, Rodolphe Vuilleumier2

L’eau est le liquide le plus abondantà la surface de la terre. C’est un

liquide dont les propriétés sont tout à faitsurprenantes, à la fois comme liquidepur et comme solvant.L’eau est un liquide très cohésif : sestempératures de cristallisation et d’ébul-lition sont très élevées pour un liquidequi n’est ni ionique, ni métallique, et dontla masse molaire est faible. Ainsi, l’eaureste liquide à pression atmosphériquejusqu’à 100 °C, alors que l’extrapolationde la série H2S, H2Se, H2Te donnerait unetempérature d’ébullition de – 80 °C.Cette cohésion est assurée par les liai-sons hydrogène entre molécules d’eau;l’eau fait ainsi partie, avec les alcoolset les amines, d’un petit groupe deliquides qu’on appelle liquides associés

(Figure 1). Parmi ces liquides, la cohé-sion de l’eau est remarquable. Parexemple, l’eau a des températures defusion et d’ébullition très supérieuresà celles de l’ammoniac et de l’acide fluor-hydrique, qui font des liaisons H plusfaibles (ammoniac) ou spatialementmoins développées (acide fluorhydrique).

La physiquede l’eau liquide

1 Correspondant de l’Académie des sciences,directeur de recherche au CNRS, LaboratoirePMMH, ESPCI

2 Chargé de recherche au CNRS, LPTMC, univer-sité Pierre et Marie Curie

Figure 1. Densités électroniques du dimère,obtenues par calcul des orbitales localisées viala mécanique quantique. Le “pont” de densitéélectronique qui joint les deux molécules est la“signature” de la liaison H.

Figure 2. Variations de densité électroniquecausées par les interactions des deux moléculesdu dimère, par rapport aux densités électro-niques de molécules isolées. Les régions où la densité électronique du dimère est excé-dentaire sont ombrées en gris, celles qui ontperdu de la densité électronique en blanc. L’alternance régulière de régions contenant un excès et un défaut de densité électroniquecrée une polarisation des molécules, qui augmente le moment dipolaire du dimère.

Figure 3. Constantes diélectriques relativesdes liquides polaires usuels (variation parabo-lique en fonction du moment dipolaire de lamolécule isolée) et de liquides associés pointssitués très au-dessus). La valeur anormalementélevée de la constante diélectrique de l’eau estdue à la polarisation mutuelle des moléculesdans le liquide

Figure 4. Variation de la masse volumique del’eau liquide avec la température. Pour lesliquides “normaux”, la masse volumique décroîtde manière monotone. La température dumaximum de densité de l’eau vaut 4 °C dansH2O, 11,2 °C dans D2O et 13,4 °C dans T2O. La décroissance de la densité à basse tempéra-ture résulte d’un changement de la structure duliquide, qui crée systématiquement des liaisonset des cavités

Moment dipolaire de la molécule

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par Jean Iliopoulos 1

Comme toutes les sciences de lanature, la physique est, avant tout,

une science d'observation et d'expé-rience. La démarche théorique est néede la volonté de dépasser le stade dusimple catalogue des résultats de l'ob-servation. Le stade de l'expérimenta-tion, c'est-à-dire de la répétition duphénomène observé sous conditionscontrôlées, présuppose déjà une ana-lyse théorique. Dégager les régularitéssous- jacentes entre les données de l'ex-périence, créer de nouveaux conceptset formuler les lois qui les expriment,construire des modèles et des théoriesavec une puissance prédictive, sont lesbuts de la démarche théorique.

Le 20ème siècle fut celui des grandes révo-lutions scientifiques. Il a commencé parla théorie de la relativité et la mécaniquequantique, qui ont inauguré l'ère de laphysique microscopique. Durant cesiècle notre pouvoir de résolution agagné plus de dix ordres de grandeur,nous offrant la vision d'un monde étran-ge. Ces progrès ont révolutionné nosidées sur la structure de la matière etcelle de notre Univers. Plusieurs de nosanciens problèmes ont été résolus et,comme cela est toujours le cas enscience, ces solutions nous ont permisde formuler de nouvelles questions quenous n'étions pas en mesure d'envisagerauparavant. Ces bouleversements sesont étendus à tous les domaines de laphysique et à toutes les échelles de lamatière, du monde infiniment petit desparticules élémentaires, à celui, infini-ment grand, des sciences de l'Univers,ou celui, infiniment complexe de lamatière macroscopique. Dans cettenote, nous allons nous limiter à deuxdomaines intimement liés, celui de lacomposition de la matière au niveau leplus microscopique et celui de la struc-ture de l'Univers et la cosmologie. Al'aube du 21ème siècle les défis que laNature semble nous poser dans cesdomaines apparaissent comme les plusprofonds et les plus fascinants jamaisaffrontés.

males de l’eau, ni son polymorphisme,ni son comportement comme solvant.Nous découvrirons peut-être un jour quechacune des propriétés anormales del’eau existe aussi dans un autre liquide.Cependant il est remarquable qu’un seulliquide rassemble autant d’anomalies.Il y a donc un besoin d’explication, auquelne répondent pas les théories dévelop-pées pour les liquides simples.On ne compte plus les théories propo-sées pour expliquer telle ou telle ano-malie de l’eau, et abandonnées parcequ’elles n’expliquent que certaines ano-malies, mais pas l’ensemble des pro-priétés de l’eau. On peut ainsi citer lathéorie des « icebergs », dans sa versionliquide pur (l’eau liquide serait forméede petits groupes de molécules ayant lastructure de la glace, séparées par unliquide désordonné) et dans sa versionsolvant (les molécules d’eau se réorga-niseraient autour d’un soluté apolairepour former plus de liaisons hydrogèneque l’eau pure, ce qui expliquerait lecoût entropique de l’introduction dusoluté). De nombreuses théories ontaussi postulé des structures particu-lières, comme des structures de type« clathrates », semblables aux cagesque forment les molécules d’eau dansles hydrates de gaz cristallins. On discuteactuellement une série de modèles quipostulent que l’eau serait formée dedeux liquides mélangés dans desproportions qui changeraient avec latempérature et la pression, mais ne sesépareraient que dans des conditions detempérature inaccessibles aux expé-riences.Il peut sembler paradoxal qu’une civili-sation qui comprend la physique de l’in-finiment grand et de l’infiniment petit, etqui est capable de prouesses technolo-giques considérables, n’arrive pas àdécrire le liquide dans lequel tous lessystèmes vivants fonctionnent. En fait, ils’agit d’un problème dur. Les verroustiennent, pour une part, à une limitationdes informations expérimentales. Eneffet, nous ne savons pas mesurer, dansun liquide, les fonctions de corrélationqui décrivent les arrangements de petitsgroupes de molécules (3 ou plus): depuisun demi-siècle, nous sommes limitésaux fonctions de corrélation de paires. Ilssont aussi dus à notre incapacité à simpli-fier correctement la description d’unliquide dans lequel les moléculesforment des liaisons ayant un fort carac-tère orientationnel. Nous savons, biensûr, décrire ces liaisons, et nous pouvonssimuler numériquement les mouve-ments des molécules soumises à cesinteractions et à l’agitation thermique:nous pouvons ainsi reproduire certainespropriétés du liquide (mais pas toutes àla fois!) Par contre, nous ne savons pas,actuellement, construire une théorie del’eau en utilisant les outils de la physiquestatistique �

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liquides. La plupart des liquides se stra-tifient lorsqu’ils sont confinés entre deuxsurfaces planes, et ils résistent commedes solides lorsqu’on essaie de les faires’écouler. Au contraire, l’eau reste fluidemême dans des géométries extrême-ment confinées. Cette résistance à lasolidification semble être due auxanomalies volumiques de l’eau, quidevient plus fluide lorsqu’elle est sou-mise à une pression. La persistance del’état fluide de l’eau est capitale pour lefonctionnement des cellules biologiques:en effet, de nombreux processus requiè-rent le déplacement de couches d’hy-dratation avant le contact entre macro-molécules. De même le passage desions à travers les canaux qui traversentles membranes n’est possible que grâceà la fluidité de cette eau confinée.Les propriétés de l’eau comme solvantsont également très surprenantes. Oncomprend bien que les molécules po-laires ou ioniques se dissolvent facile-ment dans l’eau, tandis que les molé-cules apolaires se dissolvent beaucoupplus difficilement. Cette préférence està l’origine de phénomènes physico-chimiques comme la micellisation desmolécules de tensioactifs, la formationdes membranes biologiques, et le replie-ment ou la dénaturation des protéines.Cependant le passage dans l’eau de cesmolécules hydrophobes ou amphiphilesse fait de manière tout à fait anormale:alors que la dissolution dans n’importequel solvant est un processus défavo-rable du point de vue des énergies, maisfavorisé par l’entropie, c’est l’inverse quise produit pour la dissolution des molé-cules apolaires dans l’eau. Ces effetsvarient fortement avec la température,et on trouve que les solubilités augmen-tent aussi bien quand on va vers lesbasses températures (c’est bien pour lespoissons, qui respirent l’oxygène dissous)que lorsqu’on va vers les températuresélevées (l’eau super-critique est un bonsolvant, utilisé, par exemple, pour ex-traire la caféine). Le minimum de solu-bilité coïncide à peu près avec le mini-mum de densité de l’eau pure, ce quisuggère que ces solubilités anormalessont liées à l’équation d’état (anormaleelle aussi) de l’eau liquide.Les théories anciennes attribuaienttoutes ces anomalies au fait que lesmolécules d’eau sont liées par des liai-sons H. En ce sens, l’eau devrait avoirdes propriétés « en ligne » avec cellesd’autres liquides associés (éthanol,glycols, formamide). Pour les propriétésde cohésion, c’est une bonne hypothèsede départ – bien que les propriétés del’eau (densité d’énergie cohésive,constante diélectrique) soient supé-rieures à celles des liquides compa-rables. Pour les autres propriétés, cetteexplication n’est pas suffisante : lesautres liquides associés ne partagentpas les propriétés volumiques anor-

1 Membre de l’Académie des sciences, directeurde recherche au CNRS, laboratoire de physiquethéorique, École normale supérieure, Paris

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pose un cadre pour répondre à cettequestion. Nous pensons que l'originedes masses est due à une transition dephase survenue les premières fractionsde seconde après le Big Bang. Un desbuts du grand collisionneur LHC, encours de construction au CERN àGenève, est justement l'étude de ce mé-canisme. Sa compréhension détailléesera un des grands défis de la physiquethéorique de la prochaine décennie.

Nos connaissances sur le nombre etl'identité des constituants élémentai-res de la matière changent avec letemps, au fur et à mesure que nousexplorons des distances plus courtes.Ainsi nous avons parcouru la chaînemolécules? atomes? électrons + noy-aux? électrons + protons + neutrons?électrons + quarks?? et nous ne savonspas s'il existe une fin à cette démarche,et encore moins laquelle. Les accéléra-teurs de la nouvelle génération, avec leurpouvoir de résolution accru, découvri-ront-ils une nouvelle couche de cetoignon fondamental ? Déjà avec lesquarks nous sommes face à une nou-velle énigme: Les constituants décou-verts dans chaque étape précédenteexistent aussi en tant que particuleslibres. Ce n'est pas le cas des quarks. Ilsforment les protons et les neutrons, quisont les constituants des noyaux, maisnous n'avons jamais réussi à les extraireet les isoler. Les forces nucléaires entreprotons et neutrons sont dérivées àpartir des interactions fortes fonda-mentales entre quarks de la même façonque les forces de Van der Waals entreatomes et molécules sont dérivées àpartir des interactions électromagné-tiques entre les particules chargées.Cette interaction fondamentale entre lesquarks semble avoir deux propriétésremarquables. La première est la libertéasymptotique; l'intensité de l'interac-tion augmente avec la distance, faibleà des distances très courtes, elle devienttrès forte aux alentours de 10-13 cm, lataille caractéristique des protons et desneutrons. La deuxième, qui est proba-blement une conséquence de la pre-mière, est la propriété du confinement;les quarks n'apparaissent pas commedes particules libres. Seuls leurs états

La Nature présente autour de nous unesi incroyable diversité, que déjà dansl'Antiquité les hommes se demandaientsi elle était fondamentale ou induite.Aujourd'hui nous connaissons la ré-ponse: si la Nature est pléthorique enformes et en propriétés, elle est extrê-mement économe en éléments de baseet en forces fondamentales. A toutes leséchelles de la matière, des particulesmicroscopiques produites dans nosaccélérateurs jusqu'aux amas de ga-laxies les plus lointains, et dans tous lesdegrés de complexité, de l'atome d'hy-drogène le plus simple jusqu'aux macro-molécules biologiques les plus compli-quées, tous doivent leur structure àquatre forces fondamentales. Par ordred'intensité croissante, ce sont : (I) Lesinteractions gravitationnelles, respon-sables de la chute des pommes sur terreet de la structure de l'Univers ; (II) lesinteractions faibles, responsables dedésintégrations radioactives ; (III) lesinteractions électromagnétiques, res-ponsables de la structure des atomes etdes molécules et (IV) les interactionsfortes, responsables de la cohésion dela matière nucléaire. La description théo-rique de ces interactions a longtempsprésenté un grand défi pour les physi-ciens. Le progrès décisif fut accomplilorsqu'on a compris qu'elles sont toutesliées à un principe géométrique. Sous letitre Modèle Standard est connu unschéma théorique qui décrit avec unegrande précision et dans un cadre unifiéles trois dernières interactions. Sonaccord avec l'expérience est spectacu-laire. Il fut élaboré autour de 1970 etcontinue à exercer une influence pro-fonde dans notre vision de la physiquefondamentale. Parmi les questions quecette théorie permit de formuler est cellede l'origine des masses dans la nature.Pourquoi certaines particules sont-ellesmassives? Question étrange à premièrevue, tant le concept de masse noussemble primordial, mais après réflexion,la masse apparaît plutôt comme uneirrégularité. Pourquoi, quand et com-ment, une partie de l'énergie de la gran-de explosion du Big Bang s'est-elletransformée en particules massives etn'est pas restée sous forme de radiationimmatérielle? Le Modèle Standard pro-

liés, tels les protons, les neutrons, etc,peuvent être isolés. Démontrer cettepropriété à partir des équations fonda-mentales de la théorie est un autre granddéfi pour la physique théorique. C'estseulement lorsque nous aurons relevéces deux défis que nous pourrons direque le Modèle Standard a révélé sessecrets.

Malgré (ou à cause de ?) son énormesuccès, le Modèle Standard laisse plus-ieurs questions sans réponse. Une desplus fondamentales est, sans doute, celledes interactions gravitationnelles, quele Modèle ignore totalement. Cela n'af-fecte pas son succès phénoménologique,parce que l'influence de ces interactionsn'est pas mesurable à l'heure actuelledans les expériences des particulesélémentaires. Pendant plusieurs annéesles théoriciens ont essayé, sans succès,d'étendre les méthodes de la théoriequantique des champs, qui firent letriomphe du Modèle Standard, auxinteractions gravitationnelles. Toutesces tentatives sont restées infruc-tueuses. Les deux grandes décou-vertes du début du vingtième siècle,la théorie de la relativité générale et lamécanique Quantique, semblaientinconciliables. Cet échec marqua la find'un chemin, celui des particulesélémentaires ponctuelles. Il y a desphysiciens qui hésitent encore à franchirle pas décisif, mais pour beaucoupd'entre nous la conclusion est inéluc-table: à l'échelle microscopique, pluspetite que tout ce qu'on a pu mesurerjusqu'à aujourd'hui, les constituants dela matière ne sont plus des particulesponctuelles mais des objets étendus.Les cordes, objets unidimensionnels,sont les plus simples des objets étendus.C'est sur la théorie quantique des cordesque les efforts des théoriciens se sontconcentrés au cours des dernièresannées, mais cette théorie contient aussides objets d'autres dimensionalités, telsles membranes etc. Sa structure mathé-matique est plus compliquée que cellede la théorie quantique des champs,objets ponctuels, sans extensionspatiale. Pour les physiciens la théoriedes cordes fut souvent l'occasion derencontrer des problèmes mathéma-

tiques parmi les plus avancés. Commetoute théorie d'objets étendus, la théoriedes cordes contient une longueur fonda-mentale, celle de la corde. Sa valeurnaturelle est liée à la constante deNewton qui caractérise l'intensité desforces gravitationnelles. Exprimée encentimètres, elle est égale à 10-33 cm,bien plus faible que le pouvoir de réso-lution de tout appareil construit parl'homme. A titre de comparaison, lesplus puissants des accélérateurs departicules actuellement en service, peu-vent explorer des distances de l'ordre de10-16 cm. D'après la théorie des cordes,à des distances de l'ordre de 10-33 cm lagéométrie de l'espace-temps change.Tous les processus, qui dans le cadrethéorique du Modèle Standard étaientponctuels, acquièrent une extensionspatio-temporelle. La théorie des cordesen est encore au stade de la rechercheet n'a reçu aucune confirmation expéri-mentale. Même au plan théorique, nom-breux sont les problèmes qui ne sont pasencore élucidés, mais il y a déjà plusieursrésultats importants. Certains peuventêtre mis à l'épreuve expérimentale avecla nouvelle génération d'accélérateursqui sont en construction. C'est le seulcadre théorique connu qui contient lagravitation quantique. Dans ce cadre lesparticules correspondent aux modes devibration d'une corde. Ainsi, à chaqueparticule connue, décrite par le modefondamental, correspondrait une tourd'états associés aux modes excités. Poursa formulation cohérente la théorie descordes nécessite l'introduction d'unenouvelle symétrie, appelée supersymé-trie, qui relie des bosons, particules despin entier, à des fermions, particulesde spin demi-entier. L'existence d'unetelle symétrie signifierait que la moitiédu monde a échappé, jusqu'à mainte-nant, à notre détection. Ici encore, lesrésultats du collisionneur LHC serontd'une importance cruciale. La corde sedéplace dans un espace-temps ambiant.Au niveau classique cet espace peut avoirn'importe quel nombre de dimensions.Un des résultats les plus inattendus dela théorie est que la cohérence au niveauquantique impose à l'espace ambiantune dimensionnalité fixe. Une cordequantique supersymétrique ne peut

Les défis de laphysique théorique

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évoluer que dans un espace-temps à dixdimensions, neuf dimensions d'espaceet une de temps. Un tel résultat ne peutêtre compatible avec notre expériencequotidienne que si les six dimensionssupplémentaires sont compactes, pluspetites que tout ce qu'on a pu mesurer.Quel sera l'ordre de grandeur de l'é-chelle de compactification ? Peut-onimaginer que la prochaine générationd'accélérateurs, en affinant notre pouvoirde résolution, découvre des dimensionssupplémentaires d'espace? Quelle serala topologie de l'espace compact? Quellesera sa relation avec les symétries duModèle Standard? Toutes ces questionsmontrent que notre conception de l'es-pace est en train de subir une évolution

qu'aujourd'hui nous ne maîtrisons quetrès partiellement. Obtenir une théorieunifiée de toutes les interactions, le rêvede toute une génération de physiciens,et comparer ses prédictions avec lesrésultats de l'observation et de l'expé-rience, est, probablement, le plus granddéfi de la physique théorique aujourd'hui.Défi que la faiblesse des interactionsgravitationnelles sous conditions nor-males rend très difficile. Il n'y a guèreque les premières fractions de secondeaprès le Big Bang où la gravitation quan-tique ait pu jouer un rôle important.Retracer l'histoire de l'Univers avecprécision dépasse encore de très loinnotre capacité d'analyse théorique et lesquestions encore ouvertes couvrent toute

la cosmologie. Déjà le moment du BigBang est un moment singulier que nousne pouvons pas décrire par la gravita-tion classique. Quelle sera sa natureexacte dans le cadre de la théorie quan-tique unifiée? Nous sommes certainsque l'Univers primordial est passé parplusieurs transitions de phase, maisnous ignorons leurs mécanismes précis.Si nous analysons le contenu énergé-tique de l'Univers aujourd'hui, nousconstatons que la matière visible necorrespond qu'à environ 5 %. 25 %semble être de la matière non encoreidentifiée, on parle de matière noire, etles 70 % qui restent seraient une formed'énergie qu'on appelle énergie noire,ou constante cosmologique. Quelle est

Dossierl'origine de toutes ces composantes? Lamatière noire est-elle liée au mondemiroir prédit par la supersymétrie ?Serons-nous capables un jour decalculer la valeur de cette mystérieuseconstante cosmologique?

Toutes ces questions n'épuisent pas laproblématique actuelle en physiquethéorique des particules élémentaireset de la cosmologie, mais en donnentune idée assez fidèle. Nous sentons tousle besoin urgent de nouveaux résultatsexpérimentaux pour nous aider à trouvernotre chemin dans la pléthore de ques-tions, et de nouvelles idées théoriquespour pouvoir formuler de nouvellesquestions �

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Tout e sc e s qu e s t i on s

mon t ren tqu e n o t re c on c ep t i on

d e l ’ e s pa c ee s t e n t r a in

d e sub i r un e é v o lu t i onqu ’au j ou rd ’ hu i

nou s n e ma î t r i s on squ e t r è s pa r t i e l l emen t

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par Paul Caro 2

Question:Spécialiste de la physique des ondesacoustiques, vous avez participé à laréalisation du premier échographedonnant en temps réel des images médi-cales à haute résolution. Comment êtesvous arrivé à ce résultat?

J’ai commencé ma recherche en phy-sique du solide sur l’étude de certainssemi- conducteurs, puis, après ma thèsede 3ème cycle, j’ai décidé d’évoluer versune physique plus appliquée. C’étaitl’époque où l’on commençait à s’inté-resser aux nouvelles techniques del’imagerie médicale, comme l’échogra-phie ultrasonore ou la RMN. Mon intérêts’est déplacé vers ces problèmes d’ima-gerie. En fait, j’étais intéressé par l’ar-chéologie sous-marine qui manqued’outils pour voir les épaves au fond dela mer. J’ai travaillé dans un laboratoirede Paris VI à Saint-Cyr-l’École sous ladirection de Pierre Alais pour tenterd’appliquer des systèmes acoustiquesà l’exploration sous-marine, mais nousn’avons pas pu avoir des moyens finan-ciers suffisants. Je me suis donc rabattusur un autre type d’images : celles del’intérieur du corps humain et nousavons réalisé pendant ma thèse d’Étatun échographe ultrasonore à haute réso-lution.Construit dans les années 75 cet appa-reil marchait déjà bien, il donnait 50images par seconde et on a vu lespremières images de cœur, des imagesde fœtus, avec une résolution du milli-mètre. Les industriels se sont intéressésà cette technique et la mise au point despremiers prototypes s’est faite à l’Hô-pital Cochin.

tissus c’est une action mécanique, com-me les ondes acoustiques, mais ce n’estpas du tout la même action parce quec’est une action mécanique très lente,de très basse fréquence. Et ce que lemédecin ressent n’est plus le module decompressibilité des tissus mais c’est lemodule d’Young et dans la matière mollece module est proportionnel à un autremodule, le module de cisaillement. Lemédecin sent donc des modules que neperçoivent pas les ultrasons. Les ultra-sons ne mettent pas en évidence ladureté des tissus. Le contraste d’uneimage échographique ne suffit pas àdétecter toutes les pathologies desorganes. Alors, une nouvelle techniqued’imagerie ultrasonore a été mise aupoint depuis 5 ou 6 ans au laboratoiredans laquelle on rajoute aux ultrasonsdes ondes de cisaillement basse fré-quence pour faire une image de ce mo-dule de cisaillement. C’est le domainede l’élastographie transitoire et duSupersonic shear Imaging.

Quelle technique utilisez-vous pour faireles images?

Les échos qui viennent de toutes lespetites inhomogénéités du corps humainarrivent sous la forme d’ondes diver-gentes, des ondes qui divergent à partirde tous ces petits obstacles. La bonnefaçon de faire une image c’est d’utiliserun instrument qui transforme les ondesdivergentes en ondes convergentes. Leplus employé c’est la lentille et les ondesconvergent vers ce qui s’appelle l’imagede l’objet. Mais en acoustique il n’est pastrès pratique de faire des lentilles, alorson utilise un principe plus intéressant.Les échos qui reviennent sont captésdans des mémoires électroniques où ilssont répartis en fonction de leur tempsd’arrivée. Pour transformer les ondesdivergentes en ondes convergentes onfait une opération que l’on appelle lerenversement du temps. Pour faireconverger les ondes divergentes il suffitde repasser à l’envers le « film » de l’ar-rivée des échos. On utilise une propriététrès particulière des ondes, ce sont eneffet des phénomènes réversibles quipeuvent avancer dans un sens dans letemps ou dans le sens opposé. Unefaçon élégante de faire des images enacoustique, c’est de capter tout le champqui vient d’un objet, de le stocker dans

des mémoires électroniques et ensuitede retourner le temps dans les mé-moires. Tout ce qui est reçu en premierest renvoyé en dernier et tout ce qui aété reçu en dernier est renvoyé enpremier. On peut émettre vers le milieud’origine ce champ retourné temporel-lement, et les ondes vont reconvergerexactement sur l’objet qui a donné nais-sance à l’écho, mais cela ne donne pasune image. Pour faire celle-ci on effectuele retournement temporel dans l’ordi-nateur suivi d’une phase de propagation.C’est le principe utilisé dans nos derniersappareils pour faire des images écho-graphiques et on arrive à faire non pas50 images par seconde, mais en stoc-kant tout ce qui revient du corps hu-main 5 000 fois par seconde, on peutdans l’ordinateur retourner le temps5000 fois par seconde, et donc obtenir5000 images par seconde.

Le principe du renversement temporeldes ondes est celui du « verlan ». L’opé-ration n’est pas une opération mathé-matique complexe, elle est simple. Aulieu d’avoir à gérer dans un ordinateurdes signaux et de faire beaucoup de trai-tement de signal, on a juste une optiondans la lecture des mémoires électro-niques. Quand les signaux rentrent dansune mémoire ils ont une adresse quiévolue au fur et à mesure de la récep-tion. Il suffit de relire en inversant laséquence des adresses. C’est quelquechose de très facile, juste de la manipu-lation d’adresses mémoire. En fait, c’estune opération que ne coûte rien qui estexcessivement simple à mettre en œu-vre. Il n’y a aucune phase de calcul quandon fait du retournement temporel, lescomposants électroniques sont très bienadaptés à cette opération. Les mémoiresélectroniques sont bon marché, elles ontbénéficié de la Loi de Moore depuis lesannées 90 et on peut retourner tempo-rellement des ondes de fréquences deplus en plus élevées y compris des ondesélectromagnétiques…

Vous utilisez aussi cette technique pourdes problèmes métallurgiques?

Le corps humain se comporte commeun fluide vis à vis des ultrasons. Parcontre lorsque l’on envoie des ultrasonsdans un solide dur, comme une pièced’avion ou une pièce de centrale nuclé-

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Le retournement temporeldes ondesEntretien

avec Mathias Fink 1

1 Membre de l’Académie des sciences, professeurà l’université Denis-Diderot, directeur du labo-ratoire Ondes et acoustique, ESCPI

2 Correspondant de l’Académie des sciences,directeur de recherche honoraire au CNRS

Un système d’imagerie comporte géné-ralement trois parties: une source derayonnement, un mode d’interactionavec la matière produisant des con-trastes et un système de détection quipermet d’obtenir des images. Commentse combinent ces facteurs dans le cas del’imagerie acoustique?

On éclaire notre objet, le corps humain,au moyen de transducteurs piézoélec-triques qui transforment un courantélectrique en vibrations qui se propagentà distance. Le corps humain, c’est prin-cipalement de la matière molle, lesondes ultrasonores ne s’y propagent quesous la forme d’ondes de compression(longitudinales). On ne peut pas envoyerd’ondes de cisaillement aux fréquencesultrasonores car elles sont trop absor-bées. Les ondes de compression avan-cent dans le corps humain à une vitessede l’ordre de 1500 m/seconde, ce qui esten gros la vitesse des ondes dans l’eaucar le corps humain ressemble à de l’eaupour ces fréquences. Mais en fait, cen’est pas tout à fait de l’eau, il y a partoutde petites zones pour lesquelles lemodule de compressibilité change unpetit peu autour de sa valeur d’équilibre.A ces endroits là, des échos prennentnaissance mais les variations du modulede compressibilité sont très faibles et lesimages ultrasonores sont très peu con-trastées. On voit de très nombreux échosqui viennent de microstructures qui sontun peu moins compressibles que lastructure de base. Les échos sont dé-tectés par les transducteurs qui peuventaussi fonctionner comme des micro-phones et il faut ensuite traiter les échosdétectés pour créer une image, et je vaisrevenir là dessus.

L’échographie donne des images trèsrapidement, 50 images par seconde, onvoit donc le mouvement dans le corpshumain et c’est une information unique,mais le contraste est mauvais. En faitl’information obtenue n’est pas du toutcelle que l’on a imaginé pendant desdizaines d’années. On pensait que lecontraste observé était le même quecelui que le médecin sent lorsqu’il palpeles organes. Une des méthodes dedétection des cancers, en particulierpour le cancer du sein, consiste à pincerle sein et à rechercher des endroits plusdurs. Mais quand le médecin pince les

Dossier

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Dossier

aire ou des alliages compliqués, lesultrasons se propagent selon plusieursmodes, il y a des ondes de compression,(les ondes longitudinales), il y a desondes de cisaillement. Les deux typesd’onde se propagent en même temps etelles avancent à des vitesses différentes.Chaque fois que ces ultrasons rencon-trent des obstacles, suivant la géomé-trie de ces obstacles il y a des conver-sions d’un type d’onde dans l’autre typed’onde et il en résulte une espèce decacophonie. En particulier quand il s’agitd’un alliage formé de grains avec diffé-rentes propriétés cristallines. Les ultra-sons cognent un grain, rebondissent,cognent un autre grain et il s’installe unrégime de diffusion multiple, la propa-gation des ondes est très compliquée,se fait avec un grand désordre, et lorsquel’on écoute les échos qui reviennent decertains alliages on n’entend que dubruit et dans ce bruit peuvent être cachésdes échos venant de structures indési-rables comme des défauts. Le principedu retournement temporel peut êtreutilisé pour renvoyer les échos du milieudans le milieu lui même en changeantla marche du temps. En amplifiant leséchos, en changeant leur intensité, onpeut conduire une espèce de processusitératif où l’on éclaire un objet, on écoutetous les échos qui reviennent, on lesstocke dans des mémoires électro-niques, et une fois qu’ils sont captés, onretourne temporellement les mémoireset on recrache toute cette informationdans le milieu lui même. Puis on écouteà nouveau, et en itérant le processus ondémontre que l’on fabrique des ondesqui, malgré la complexité du milieu, foca-lisent vers les défauts principaux. Onpeut donc découvrir les défauts dans unalliage métallique. Nous avons mené cetype d’étude avec la SNECMA et déve-loppé un appareil, qui est en phase d’in-dustrialisation, pour détecter des dé-fauts dans des pièces d’avion fabriquéesdans des alliages de titane qui sont desmilieux difficiles à explorer à l’heureactuelle par des méthodes classiques.

Quelles sont les autres applications duretournement temporel dans le domainemédical?

Nous avons construit un appareil pourdétruire les calculs du rein avec unegrande précision. Il existe des instru-ments qui focalisent des ondes de chocdans le rein et qui détruisent un calcul,en plusieurs milliers de tirs. Le traite-ment est long, et pendant que ces ondessont envoyées, les calculs rénaux bou-gent avec la respiration et les ondes lesratent trois fois sur quatre, d’où desdommages aux tissus du rein. Nousavons exploité le principe du retourne-ment temporel de la façon suivante: onenvoie une première onde ultrasonoredans le rein, on écoute tous les échos,

celui d’un calcul est bien plus fort parceque c’est un objet dur. On retourne tem-porellement les échos, et en itérant onapprend à créer un faisceau qui ne vaque sur l’objet le plus dur, le calcul, etaprès on amplifie très fort le signal pourcasser ce calcul. Testé à l’hôpital notreappareil marche très bien mais il a l’in-convénient d’être beaucoup plus cherqu’un lithotripteur classique…

Nous sommes en train d’étudier unautre appareil destiné, lui, à brûler lestumeurs du cerveau par ultrasons àtravers le crâne. Le crâne est un obstacleterrible pour les ultrasons qui ne s’ypropagent pas en ligne droite. Nousavons réussi, en utilisant la techniquedu retournement temporel, à focaliserdes ultra-sons à travers le crâne dansle cerveau grâce à un casque équipé de300 petits transducteurs piézoélec-triques. Nous avons traité 22 brebis àl’Institut Montsouris en collaborationavec des neurochirurgiens de l’HôpitalLa Pitié- Salpêtrière. On a appris, surdes brebis vivantes, à focaliser des ultra-sons dans une toute petite zone du cer-veau à travers le crâne pour brûler cettezone. Lorsque l’on envoie des ultrasonsde haute puissance pendant quelquessecondes on élève la température destissus jusqu’à 65° et on les détruit. Nousavons donc démontré la possibilité debrûler des volumes de quelques mm3

dans le cerveau dans une aire choisie àl’avance, en utilisant le principe duretournement temporel. Ces expé-riences peuvent être les prémices d’unoutil de chirurgie extracorporelle qui, àdistance, pourrait détruire des tissusdans le cerveau, un organe difficile àopérer puisque, habituellement, on estobligé de recourir à une craniotomie quel’on pourrait ainsi éviter.

Et dans le domaine des communica-tions?

Il y a beaucoup d’applications sous-marines. Les sons se propagent dans lamer avec une célérité qui varie avec laprofondeur et quand la mer est peuprofonde (100 m) les ondes acoustiquesricochent à la surface et sur le fond dela mer. Les ondes acoustiques se propa-gent très bien, très loin, mais le régimede réverbération qui apparaît dans lespetits fonds crée une véritable caco-phonie. Les sonars qui cherchent à dé-tecter des mines ou des plongeurs parpetits fonds sont très gênés. Une trèsbelle application du retournement tem-porel, c’est d’éliminer toute la réverbé-ration et d’autofocaliser sur les cibles.Cette technique s’est beaucoup déve-loppée aux États-Unis avec l’appui de laNavy qui a financé un grand nombre derecherches. Nous avons dernièrementfabriqué un premier sonar français àretournement temporel en cours de

tests à Brest. Il y a une deuxième appli-cation intéressante en télécommunica-tion sous-marine. Les ondes électro-magnétiques peuvent difficilement sepropager dans la mer. Comment un petitsous-marin qui se déplace au fond de lamer peut-il envoyer beaucoup d’infor-mations vers sa base? Comment com-muniquer entre deux endroits dans lamer? Le retournement temporel permetde compenser tous les défauts de laréverbération et nos collègues améri-cains ont commencé à tester des sys-tèmes de communication sous-marinsà haut débit par retournement temporel.Je crois que ce sera la première appli-cation qui sera vraiment industrialisée.

Un autre aspect intéressant c’est leretournement temporel des ondes élec-tromagnétiques. Un petit téléphone peutenvoyer pour se faire repérer un brefsignal électromagnétique de quelquesnanosecondes de durée. Dans une ville,les ondes électromagnétiques ne vontpas en ligne droite, elles cognent lesrues, les maisons, elles passent leurtemps à ricocher d’une maison à l’autreet quand elles sont captées par uneantenne de base, le signal capté duredes microsecondes à cause de la réver-bération. Mais si ce long signal capté estretourné temporellement, envoyé enverlan, il « revit sa vie passée » et revientsur la petite antenne du téléphone sousla forme d’un signal qui dure quelquesnanosecondes. On peut ainsi créer uncanal de communication discret entreun téléphone et une base et la base peutenvoyer un message quelconque qui nese focalisera que sur le bon téléphone,en évitant ainsi de polluer toute la villed’ondes électromagnétiques destinéesà tous les utilisateurs. Il y a beaucoupd’équipes aux États-Unis qui travaillentlà-dessus, dans l’idée d’envoyer beau-coup plus d’informations sur les télé-phones mobiles, de façon à réaliser unecommunication à très haut débit. Nous

avons construit des miroirs à retourne-ment temporel avec des mémoires élec-troniques très rapides qui permettentmaintenant de retourner temporelle-ment des ondes électromagnétiquesdans la gamme de fréquences de 2 GHz,Aujourd’hui, les performances atteintespar les composants électroniques per-mettent de faire du retournement tem-porel sur des ondes radar ou sur le typed’ondes électromagnétiques utiliséespour les communications.

Il y a beaucoup d’autres applicationspotentielles du retournement temporeldans le domaine du sondage acoustiqueou pour la domotique, mais aussi dansla sonochimie, en particulier pour lecontrôle de la sonoluminescence dansl’espoir d’atteindre un seuil de confi-nement inertiel dans la compressionacoustique des bulles à l'origine del'émission lumineuse.

Quelles sont les ouvertures pour larecherche en physique fondamentale?

Nous nous intéressons aux applicationsdu retournement temporel mais aussi à la physique de base: que signifie re-monter le temps pour une onde? Il y aune observation curieuse, plus le milieudans lequel se propage une onde estchaotique, plus il est facile de faire revivreà une onde sa vie passée, et plus lemilieu a une structure compliquée moinsle nombre de microphones qu’il fautpour faire l’opération du renversementdu temps est grand et à la limite un seulmicrophone suffit. Pour les particulesune petite erreur s’amplifie exponentiel-lement avec le temps et, aujourd’hui, iln’y a aucune chance de remonter letemps pour un système de particules.Les ondes sont infiniment plus robustes,même dans des géométries compli-quées où elles réverbèrent dans tous lessens. Et cela pose la question de l’exis-tence, ou pas, du «chaos quantique»… �

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L'Académie des scienceset l'Année mondiale de la physique

Portraits de douze physiciens

A u cours de l’Année mondiale de la physique (2005), la DISC et le service des

archives de l'Académie des sciences vont rendre hommage à de grands physi-

ciens des siècles passés et souligner l'importance de leurs travaux pour la physique

actuelle. Douze portraits de physiciens, ayant été Membres ou Associés étrangers

de l'Académie, seront publiés sur le site Internet (www.academie-sciences.fr) chaque

mois tout au long de l'année 2005. Ils se composent de leur biographie, leurs travaux

scientifiques, notamment ceux publiés dans les Comptes rendus et les Mémoires de

l'Académie des sciences et de documents d'archives numérisés pour cette occasion.

Une mise en perspective de tout ou partie de l'œuvre scientifique de ces savants par

un (ou plusieurs) Membre actuel, physicien ou historien des sciences, conclura cette

réalisation.

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Question d’actualité

par Yvon Le Maho 1

Cet article est dédié à Hubert Curien,grâce à qui ont pu être menées les recherches sur le mécanisme de conservation de nourriture dans l’estomac des manchots.

Un film récent visant à émouvoir laplanète débutait par un apitoie-

ment sur la triste condition du Manchotempereur qui a du, pour survivre, faireface à un épouvantable refroidissementclimatique. Certes, le milieu est extrême.Le Manchot empereur est même le seulanimal à se reproduire au cours dusévère hiver polaire. La températuredescend à -50 °C à 77° Sud, où se trouvela colonie de Cape Crozier à la latitudela plus élevée. Elle a été la première del’espèce à être découverte en 1902 parWilson, héros de l’exploration antarc-tique qui devait périr avec le capitaineScott dans le tragique voyage de retouraprès un pôle Sud conquis quelquessemaines trop tard. A 66° Sud, en TerreAdélie, dans la colonie de l’Archipel dePointe Géologie découverte en 1950, lestempératures ambiantes sont rarementinférieures à -30 °C mais la vitesse duvent est souvent très élevée. Il s’agit devents catabatiques, vents qui s’accélè-rent le long de la pente du grand conti-nent antarctique (environ 28 fois lasurface de la France, avec une altitudecomprise entre environ 4000 m au centreet des falaises de glace de quelques

dizaines de mètres au niveau des côtes).Leur vitesse atteint souvent plus de200 km/h et parfois dépasse même

300 km/h, comme lors de mon hivernageen 1972. L’extrême pouvoir de refroidis-sement qui en résulte vis-à-vis d’un

organisme maintenant une températureinterne de l’ordre de 37-38 °C est encoreaugmenté par les particules de glacetransportées par le vent au cours desblizzards. Loewe a calculé que par unblizzard dense et un vent moyen de125 km/h, une surface d’un m2 perpen-diculaire à la direction du vent esttraversée par dix tonnes de glace en uneheure. Qui plus est, les manchots empe-reurs jeûnent lorsqu’ils se reproduisentet le mâle, qui assure la totalité de l’in-cubation, doit vivre sur ses réservescorporelles pendant 4 mois pour menercette incubation à son terme.Mais loin de l’image de pauvres man-chots surpris par un refroidissementclimatique, le Manchot empereur est dupoint de vue évolutif l’aboutissementd’une colonisation active des mers duSud. Les ancêtres des manchots actuelssont en effet originaires des latitudessubtropicales et tempérées d’Australie

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Le challengedu Manchotantarctique:

comment réussir à se reproduire

sans compromettresa propre survie

1 Membre de l’Académie des sciences, directeurde recherche au CNRS, Centre d’écologie etphysiologie énergétiques, CNRS et universitéLouis Pasteur, Strasbourg.

Léopard de mer venantde briser la glace surlaquelle se déplaçait un jeune Manchot Adélieavant de le happer. Au contraire du Manchotempereur, le ManchotAdélie se reproduitdurant l’été austral. Le léopard de mer estégalement un prédateurdu Manchot empereur.

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inférieure de 25 % à la dépense mini-male de l’individu isolé (c’est à dire à cellequ’il a au dessus de -10 °C). C’est doncce qui permet aux mâles de jeûnerpendant environ 4 mois. Nous nous atta-chons actuellement à comprendre parquel mécanisme la formation des tor-tues permet cet hypométabolisme sicrucial pour la réussite du cycle repro-ducteur de l’oiseau puisqu’il expliquenotamment l’extraordinaire aptitude aujeûne des mâles.Cependant, leur jeûne ne se termine pasnécessairement une fois atteint l’objectiffixé d’assurer l’incubation de l’œufjusqu’à l’éclosion. En effet, les femellespeuvent être retardées et donc dans l’im-possibilité d’assurer la relève à temps.Comme l’a montré Jean Prévost dès ledébut des années 60, les mâles sontalors capables de nourrir leurs poussinsgrâce à une substance secrétée par lamuqueuse de leur jabot, substance quia une composition voisine de celle du laitde pigeon ou de lapine car elle contient59 % de protéines et 28 % de lipides enmasse sèche.Cependant, l’un des fondements de labiologie évolutive est l’étude du com-promis entre l’investissement d’un ani-mal pour se reproduire et la nécessairelimite à cet investissement qu’incombela préservation de sa propre survie, celle-ci conditionnant d’ailleurs sa futurereproduction. Or, précisément, l’intérêtd’un animal comme le Manchot empe-reur qui entreprend un jeûne d’une duréeexceptionnelle n’est pas seulement dansson aptitude à le prolonger, mais aussidans les mécanismes qui vont l’amenerà l’interrompre avant qu’il ne soit troptard. Nous avons montré que le Manchotempereur est induit à se réalimenterlorsqu’il atteint un seuil critique dansses réserves corporelles. En apprenantà des Manchots empereurs à marchersur un tapis roulant tout en portant unmasque sur la tête (à nouveau pourmesurer les échanges respiratoires…),nous avons déterminé le coût énergé-tique de leur marche. Nous avons ainsipu calculer qu’au seuil de leurs réservescorporelles déclenchant leur départcorrespond une autonomie de 180 km.Or, sur une banquise hivernale bienancrée entre les falaises de glace ducontinent Antarctique et les îles de l’Ar-chipel de Pointe Géologie, ce qui laprotège contre des tempêtes toujourssusceptibles de la détruire (et donc deprovoquer la perte des œufs et pous-sins…), la colonie de Manchots empe-reurs de Terre Adélie est loin de la merlibre. En étudiant les longues marchessur la banquise de mâles équipés debalises Argos miniaturisées à leur départde la colonie, nous avons montré qu’ilstrouvent des polynies, c'est-à-dire degrandes ouvertures dans la glace demer, après avoir marché sur 130 à150 km à environ à environ 2 km/h. Mais

vu de plumes qui joue le rôle de plaqueincubatrice, l’ensemble étant recouvertde plumes. Celles-ci, que l’oiseau imper-méabilise grâce à l’huile secrétée par laglande uropygienne, sont exceptionnel-lement rigides, formant ainsi une protec-tion mécanique contre le vent. A la basede chacune d’entre elles, deux duvetscomparables au duvet d’oie jouent le rôled’isolant thermique.Mon premier objectif, lorsque j’ai hivernéen Terre Adélie au cours de l’année 1972,était donc d’essayer de déterminer l’éco-nomie d’énergie que réalisent lesmanchots empereurs en formant destortues. Cependant, à cette époque, onn’avait pas encore le moyen de déter-miner la dépense énergétique de man-chots empereurs libres dans leurcolonie. Comme on le faisait chez l’hom-me en milieu hospitalier, notammentpour détecter l’hyperthyroïdisme par lebiais de l’augmentation du métabolisme,la seule approche possible était lamesure des échanges respiratoires d’unmanchot pourvu d’un masque. L’animalétant maintenu à l’extérieur du labora-toire de biologie de la base Dumont D’Ur-ville, l’air du masque était aspiré à débitconstant de manière à ce qu’une frac-tion soit analysée du point de vue desconcentrations d’O2 et CO2. Avec cettetechnique classique permettant decalculer le métabolisme de l’animal, j’aimontré que l’oiseau isolé maintient unniveau de dépense minimal jusqu’à unetempérature aussi basse que -10 °C etque le vent n’a pas d’effet significatifjusqu’à environ 40 km/h. Mais en des-sous de -10 °C, le métabolisme de l’ani-mal doit augmenter pour que sa tempé-rature interne soit maintenue à 37-38 °C.Or, comme on l’a vu, les températuresambiantes durant l’hiver sont nettementinférieures à cette limite de -10 °C et ilfaut prendre en compte la fréquenteviolence du vent et les blizzards. D’aprèsla vitesse d’amaigrissement des oiseauxen tortues, j’ai montré que les manchotsempereurs évitent ainsi au moins l’aug-mentation du métabolisme qui estinduite en dessous de -10 °C chez l’oi-seau isolé. Mais il fallut 25 ans pourcomprendre qu’en fait ils sont alorsencore plus performants dans l’épargneénergétique. En effet, notre groupe derecherche, grâce à l’utilisation d’isoto-pes stables, a réussi à déterminer leniveau de la dépense énergétique demanchots empereurs mâles tout au longde l’incubation et ainsi à montrer qu’enmoyenne les oiseaux ont une dépense

quel signal induit les oiseaux à partirpour se réalimenter alors qu’ils ont parconséquent encore des réserves corpo-relles suffisantes pour couvrir la grandedistance leur permettant d’atteindre leurnourriture ? Il était difficile à ce staded’aller plus loin dans la compréhensionchez les manchots, mais nous avons pumettre en évidence un changement decomportement chez le rat à jeun lors-qu’il atteint, évidemment à une échellede temps très différente, la même condi-tion métabolique que le manchot aban-donnant œuf ou poussin pour se réali-menter. L’étude de l’expression desgènes codant pour le neuropeptide Y auniveau de l’hypothalamus du rat nous apermis de mettre en évidence que lasécrétion de ce peptide très orexigèneest alors augmentée, ce qui signifie vrai-semblablement que le manchot attei-gnant le même seuil dans ses réservescorporelles est induit à se réalimentertout simplement parce qu’il commenceà avoir de plus en plus faim. Qui plus est,comme on le sait, le système digestif estatrophié après un long jeûne, ce quiprésente alors des risques si la réali-mentation est trop rapide. Or, nous avonségalement montré que la muqueuse durat se restaure par anticipation aumoment où le fameux seuil est atteintdans les réserves corporelles, à la foisgrâce à une prolifération cellulaire dansles cryptes qui assurent le renouvelle-ment des villosités intestinales et, ce quiest remarquable, à une interruption del’apoptose, c'est-à-dire de la mort descellules de l’extrémité des villosités.Mais qu’en est-il du Manchot royal, ceparent apparemment si fortuné duManchot empereur puisque les con-traintes climatiques ne sont pas suffi-samment sévères pour l’empêcher dedéfendre son territoire dans la colonie àraison de 2500 coups de bec et d’aile-rons par 24 heures, ce qui représentel’équivalent de 6 heures de bagarre par24 heures Le mâle n’assure pas seul l’in-cubation, les deux conjoints l’assurant àtour de rôle. C’est habituellement le mâlequi assure les trois dernières semainesde l’incubation et la femelle revient géné-ralement nourrir le poussin à l’éclosion.Mais, en raison de changements clima-tiques interannuels liés aux effets d’ElNiño qui se font sentir avec un certaindélai jusque dans l’océan Austral, lespoissons lanternes qui constituent laproie essentielle des manchots royaux(ce sont des spécialistes alimentaires)peuvent être à une distance encore plusgrande des îles subantarctiques où sereproduisent les oiseaux : à 500 ou600 km au lieu de 300-400 km. Il s’en-suit que la femelle partie alors en merpour s’alimenter et ramener de la nour-riture pour le poussin qui va éclore peutêtre retardée d’une semaine. Nous avonsmontré que le mâle est alors capable denourrir le poussin avec de la nourriture

et de Nouvelle-Zélande. Le manchotactuel le plus proche de cet ancêtre estle petit Manchot pygmée australien, quel’on peut notamment observer près deMelbourne. Les importantes ressourcesen proies (poissons, calmars) des mersdu Sud ont sans aucun doute été le mo-teur de l’évolution. Parmi les 17 espècesactuelles de manchots réparties entrel’équateur, aux îles Galápagos, et lescôtes du continent Antarctique, leManchot empereur correspond donc dupoint de vue évolutif au stade le plusavancé des manchots dans l’adaptationau milieu polaire.Quand on sait qu’un phénomène El Niñose traduit dans l’océan Pacifique par l’im-possibilité de se reproduire pour desmillions d’oiseaux de mer, ils n’arriventau mieux qu’à survivre, l’adaptation desmanchots empereurs pose de multiplesquestions. Leur principal challenge esten effet d’arriver à assurer l’investis-sement supplémentaire nécessaire pourassurer le bon déroulement de leur cyclereproducteur alors même qu’ils tolèrentdes conditions apparemment peu com-patibles avec la survie. Pour comprendrequel est le facteur décisif de cette adap-tation, il est utile de comparer le Manchotempereur avec le Manchot royal, sonplus proche parent dans la famille desmanchots, car il vit dans les quaran-tièmes et cinquantièmes de latitude Sud,c'est-à-dire dans la zone subantarctiqueaux conditions climatiques moins rudesà terre. La température ambiante yfluctue en effet essentiellement entre 5et 10 °C. L’anglais Bernard Stonehouseet le français Jean Prévost, pionniers del’étude de la biologie du Manchot empe-reur dans les années cinquante et 60,ont très tôt compris que le « compor-tement thermorégulateur social » desmanchots empereurs est ce facteurdécisif. D’une masse corporelle initialed’environ 30 à 40 kg au début du cyclereproducteur, les oiseaux se serrent lesuns contre les autres en formationsserrées, à raison de 10 individus au m2.Ces formations ont été appelées« tortues » par analogie avec celles deslégionnaires romains lorsqu’ils seregroupaient. Comme l’a montré JeanPrévost, les manchots empereurs mai-grissent deux fois plus vite lorsqu’ils sontisolés dans la colonie et ne peuvent doncs’intégrer dans des tortues. Par con-traste, les manchots royaux maintien-nent un territoire correspondant à unedistance « coup de bec/coup d’ailerons ».Ainsi, le Manchot empereur n’a pas deterritoire au cours de sa reproduction,ce qui est très rare dans le monde animalet présente des inconvénients, une bous-culade augmentant le risque de perte del’œuf, notamment chez les couveursinexpérimentés. La zone défendue selimite en fait à cette sorte de poche oùse niche l’œuf, entre les pattes de l’oi-seau et un repli de son abdomen dépour-

Question d’actualité

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contiennent un peptide dont la concen-tration augmente au cours de l’incuba-tion. Après identification de ce peptide,que nous avons appelé sphéniscine (àpartir du nom latin de la famille desmanchots: spheniscus), la molécule desynthèse correspondante s’est révéléecomme une substance à forte activitémicrobienne et antifongique. Cette molé-cule provoque notamment la suppres-sion des spores du champignon Asper-gillus, notamment à l’origine d’affectionsnosocomiales.

En conclusion, les adaptations phy-siologiques et comportementalesqui se sont développées chez lesmanchots au cours de l’évolutionexpliquent qu’ils aient pu coloniserl’une des régions de notre planètequi nous paraissent les plus inhos-pitalières. L’étude de ces adapta-tions nous révèle l’existence de mé-canismes uniques, d’un intérêt quiau-delà des aspects fondamentauxouvre éventuellement des perspec-tives biomédicales �

Ces travaux ont été réalisés dans le cadre des

programmes scientifiques des Expéditions Polaires

Françaises, puis de la Mission de recherche des

Terres Australes et Antartiques Françaises et de

l’Institut Polaire, avec le soutien du Comité Ars –

Cuttoli de la Fondation de France et des labora-

toires de Jules Hoffmann et Alain Van Dorsse-

laer pour les recherches sur le peptide antimi-

crobien. Ont contribué à ces travaux : A. Ancel,

F. Bertile, C. Bost, Ph. Bullet, G. Dewasmes, M.

Gauthier-Clerc, R. Groscolas, C. Habold, Y.

Handrich, J.-H. Lignot, G. Petters, T. Raclot, J.-

P. Robin, L. Sabatier et C. Thouzeau

qu’il a conservée quasi-intacte dans sonestomac pendant 3 semaines à 38 °C.Grâce à des systèmes d’acquisition dedonnées ultra-miniaturisés que nousavons fait avaler à des manchots et récu-pérés sans les empêcher de mener àbien leur tâche d’incubation de l’œuf,nous avons découvert que la motilité deleur estomac est alors réduite et que sonpH est moins acide, ce qui favorise laconservation des protéines du contenustomacal. Qui plus est, les estomacs desmanchots conservant de la nourriture

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Question d’actualité

Accouplement de manchots empereurs sur la banquise de Terre Adélie

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teur des Amériques et des Caraïbes auMinistère des Affaires étrangères a misl'accent sur le fait que "… sans Maldo-nado, jamais cette expédition n'aurait puavoir lieu. Mathématicien, ingénieur,cartographe, Maldonado était aussi unpersonnage influent. Il a ainsi pu ap-porter un soutien financier et logistiqueà l'expédition. Lorsque celle-ci fut ter-minée, il a tenu à accompagner son amiLa Condamine jusqu'en Europe en pas-sant par la route alors mal connue etpleine de dangers de l'Amazonie. Aussi,c'est à juste titre que l'on peut décernerà Maldonado le titre de précurseur dansl'établissement de cette relation d'amitiéet de confiance entre la France et l'Équa-teur". Il a terminé en expliquant que "Lesrelations franco-équatoriennes doiventbeaucoup à nos illustres ancêtres et ilfaut souligner l'importance particulièrede la contribution du grand Pedro VicenteMaldonado."

Jean Poirier, Membre et représentantde l’Académie des sciences, a évoqué lecontenu du dossier de l’Académie surPedro Vicente Maldonado, qui fut élumembre correspondant de l’Académiedes sciences le 24 mars 1747 et sur sonfrère aîné, José. J. Poirier a retrouvé desextraits dans lesquels sont cités lesfrères Maldonado et a souligné que LaCondamine en parlait avec chaleur.

Gonzalo Abad Ortiz, Conseiller régional

principal pour l’Amérique latine et lesCaraïbes à l’Unesco, a retracé les rela-tions de travail mais aussi d’amitié quise sont instaurées entre les membresfrançais de l’expédition et cette familleMaldonado, qui les a si chaleureusementaccueillis et aidés dans leur entreprise.Il a déclaré que "l'amitié de ces jeuneshommes, Maldonado étant âgé de 31 etLa Condamine de 35 ans, s'est forgéesur le terrain; l'un riche d'une connais-sance plus empirique de son pays, l'autrepossédant l'atout des lumières, repré-sentant la recherche de pointe de sonépoque". Abad Ortiz a ajouté que "cetterencontre des esprits s'est confirmée aulong de la douzaine d'années que vadurer leur relation d'amitié et de colla-boration". Finalement, il a conclu en di-sant que "le renouveau de cette commu-nauté de l'esprit, initié par Maldonado etLa Condamine, est bien l'alternativeindispensable pour la sauvegarde denos identités et l'assurance de la con-struction d'un futur solidaire et harmo-nieux."

Gabriel Judde, co-fondateur du Centred’études équatoriennes et ancien con-seiller culturel et de coopération à l’Am-bassade de France en Équateur, a misl’accent sur l’aspect de précurseur del’arpentage chez Maldonado.

Suzanne Débarbat, astronome titulairehonoraire de l’Observatoire de Paris,

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par André Capron 2

L e mardi 7 décembre 2004, à l’Ins-titut de France, salle Bonnefous, a

eu lieu une rencontre en hommage autricentenaire de la naissance de PedroVicente Maldonado, organisée, sous lepatronage de l’Académie des sciencesde l’Institut de France, par l’Ambassadede l’Équateur en France et la Délégationaux Relations internationales.

Étienne-Émile Baulieu, Président del’Académie des sciences, a accueilli lesparticipants et leur a manifesté combienl’Académie était satisfaite de participerà cet hommage à Pedro Vicente Maldo-nado, scientifique et cartographe équa-torien ayant collaboré à la missionmenée par Charles-Marie de La Conda-mine, Joseph Bouguer et Louis Godinentre 1736 et 1744 à Quito afin d’ymesurer un degré de méridien terrestreet ainsi déterminer la forme de la terre.Il a également fait part de sa joie deposséder à l'Académie des traces dutravail et de la contribution de PedroVicente Maldonado à la connaissance duglobe terrestre, et n'a pas manqué d'af-firmer l'amitié unissant la nation fran-çaise et équatorienne.

Son Excellence M. Juan Salazar Sancisi,Ambassadeur de l’Équateur en France,a manifesté qu’il est très symbolique quela réunion se tienne dans la salle"Bonnefous" de l'Académie des sciencesde Paris, institution qui, il y a près de troissiècles, en parrainant l'envoi de lamission, a permis à la science univer-selle d'effectuer un grand pas en avant.Une Académie dans laquelle Maldonadoa été élevé au rang de correspondant enmars 1747. Cet homme né à Riobambaavait compris l'importance et l'enver-gure des objectifs scientifiques de lamission géodésique. Il s'agit d'un scien-tifique qui a contribué, par ses connais-sances techniques et même sa fortunepersonnelle, à assurer que la mission etses protagonistes atteignent leurs objec-tifs. L'Ambassadeur a ajouté que « con-crétiser cet événement au sein de cetteprestigieuse et historique institution estla reconnaissance de la contribution deMaldonado, de même qu'une démons-tration d'amitié et de coopération franco-équatorienne. Il est réjouissant de con-stater que, postérieurement à cetteentreprise, de nombreuses missionsscientifiques françaises ont travaillé, côteà côte, avec des scientifiques équato-riens, et de constater que le fruit de ceteffort commun contribue à un mondemeilleur. »

Son Excellence M. Daniel Parfait, Direc-

1 Membre de l’Académie des sciences, directeurhonoraire de l’institut Pasteur de Lille, déléguéaux relations internationales de l’Académie

La vie de l ’Académie

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membre de l’Académie internationalede l’histoire des sciences, en partant destextes de La Condamine a montré lacontribution de Pedro Vicente Maldo-nado à la mesure d’un arc en Équateur.Il ne faut pas oublier que ce fait scien-tifique permettra, de plus, une grandeavancée dans d'autres domaines, dontle fait qu'il a donné au mètre d'aujour-d'hui sa longueur définitive.

Anne Collin-Delavaud, géographe etprofesseur des Universités, a brossé unrapide panorama de la recherche desgéographes français en Équateur dansles trente dernières années. Elle a étérelayée par Michel Portais, docteur engéographie, directeur de recherche àl’Institut de Recherche pour le Dévelop-pement (IRD), qui a retracé les liensentre l’IRD et la mission de La Conda-mine.

Florence Trystram, historienne, auteurde divers ouvrages dont le Procès desétoiles, a déclaré que Maldonado a offertaux scientifiques la possibilité matériellede faire leurs observations. L'historiennea mis l'accent sur la difficulté de l'en-treprise: “Les scientifiques ont mesuréune trentaine de triangles, ce qui signifie90 stations au sommet desquelles ils ontdû hisser ces instruments, entre 3500et 4000 mètres d'altitude, pour dominerles reliefs de la prétendue plaine deQuito”. Elle a aussi montré combien lestraces de l’expédition de l’Académie dessciences de France en Équateur ten-daient à disparaître au fil du temps pourle plus grand détriment de la mémoirecommune et a exprimé le vœu qu'équa-toriens, français et espagnols s'effor-cent ensemble de conserver les vestigesque l'histoire nous a laissés.

Anny Cazenave, membre de l’Académiedes sciences, chercheur au Centre na-tional d’études spatiales, a soulignécombien cette expédition du XVIIIème

siècle avait ouvert la voie à l’étude dela forme de la terre, qui a évolué aucours des siècles en fonction des capa-cités techniques de mesures; la miseau point des outils techniques demesure dans cet objectif a ensuitepermis d’effectuer d’autres mesuresdont celle de l’eau, par les satellites enparticulier.

Jean-Pierre Barriot, ingénieur experten géodésie au Centre national d’étu-des spatiales, a démontré combien lesméthodes artisanales de mesure de laTerre au temps de Maldonado et LaCondamine ont progressé pour at-teindre maintenant, avec les mesurespar satellites en orbite autour de laTerre, à une vision considérablementaffinée. Et puisque l’on a mesuré laTerre, il est naturel de s’intéresser auxautres planètes: Vénus ou Mars ou de

tenter d’analyser d’autres objetsspatiaux, tel le stéroïde Eros ou mêmeune comète, Churry, dont on serabientôt capable de révéler la structure…Avaient également été invités à cettemanifestation: André Capron, Déléguéaux Relations internationales de l’Aca-démie des sciences, Eric Amblard,responsable Colombie, Équateur etCommunauté andine des Nations à laDirection des Amériques et des Cara-ïbes du Ministère des Affaires étran-gères, Marie-Simone Chandelier,responsable du bureau Amérique latine,Direction des relations internationalesà l’Institut de Recherche pour le Déve-loppement. Jean-Paul Cadet, présidentde la Commission de la Carte géologi-que du Monde, David Yudilevitch Levy,professeur de la faculté de médecineà Santiago du Chili, Annie Molinié-Bertrand, directrice de l’Unité de Forma-tion et de Recherche d’Études ibériqueset latino-américaines à l’université ParisIV, Laurence Bobis, directrice de la biblio-thèque de l’Observatoire de Paris, Flo-rence Greffe, conservateur des Archivesde l’Académie des sciences, IsabelleRichefort et Florence Watel, conserva-teur en chef du Patrimoine au Départe-ment des Archives historiques à la direc-tion des Archives du Ministère desAffaires étrangères.

Ainsi de la Terre à l’Espace, de la Franceà l’Équateur, Pedro Vicente Maldonadoa-t-il été un pionnier de bien des façons:dans la capacité à mesurer la terre, à endéterminer la forme puis celle de biend’autres corps plus ou moins célestes,dans la manière d’accueillir des scien-tifiques étrangers et de leur apportertout le soutien logistique dont ils avaientbesoin pour mener à bien leur explo-ration, précurseur de la collaborationinternationale qui sous-tend naturelle-ment toute démarche scientifique, enfindans l’appui financier et diplomatique,sponsor avant l’heure �

Des recommandations sont égalementprésentées sur les voies scientifiquesà explorer: notamment, l’étude de patho-logies comme les cancers, l’utilisationde cellules souches en médecine répa-ratrice pour les maladies neurodégéné-ratives, génétiques ou cardiovasculaires,l’identification des réseaux de gènes etdes agents capables de les réguler,l’étude de la mémoire épigénétique, lesinteractions prometteuses entre physio-logie et génétique. Le rapport souligneencore la nécessité d’accroître l’innova-tion technologique, de favoriser les inter-faces entre disciplines scientifiques etde mutualiser les plates-formes tech-nologiques. Les auteurs discutent égale-ment des obstacles à surmonter enmatière de financement, d’enseigne-ment, de recrutement et de fidélisationdes compétences �

La vie de l ’Académie

1 RST 19, sortie janvier 2005, Éditions Tec & Doc,14, rue de Provigny 94 236 Cachan Cedex, http : www.Lavoisier.fr

Depuis la découverte des gènes dudéveloppement — gènes « archi-

tectes », — une convergence fertile entreembryologie, génétique et biologie cellu-laire s’est opérée. Ces gènes, qui s’expri-ment dans les cellules embryonnaireset adultes, participent à la constructionde tous les organismes pluricellulaires.Comprendre le développement, c’est donccomprendre le code et la chorégraphiedes interactions entre cellules, danslesquelles ces gènes jouent un rôle clé.

Chez l’homme, près de 350 types cellu-laires se mettent en place selon desprincipes généraux, mieux connus de-puis que les biologistes cellulaires ontexploité les concepts et les méthodes dela biologie moléculaire.

Pour élucider les grandes fonctionscellulaires, très conservées durant l’évo-lution, plusieurs modèles multicellu-laires enrichissent aujourd’hui les étudesfaites sur des modèles unicellulairessimples.

Ainsi, non seulement dans leurs mé-thodes d’analyse mais plus encore dansleurs objectifs, la biologie cellulaire et labiologie du développement sont vérita-blement en train de s’unifier.

Ce rapport, structuré en dix chapitres,aborde de nombreux mécanismes géné-tiques, cellulaires et embryologiquesdont l’étude doit permettre de saisircomment une cellule répond à son envi-ronnement local pendant le développe-ment. Certaines cellules, en nombrelimité, communiquent entre elles touten s’orientant par rapport aux axes del’embryon, migrent, ou encore dispa-raissent. Ces propriétés des cellules sontessentielles pour la construction harmo-nieuse d’un organisme complexe.

BiologieCellulaireBiologie

du Développement1

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Plus tard dans la vie, l’apoptose va con-naître des égarements: défaillante, elleépargnera d’indésirables cellules cancé-reuses; excessive, elle détruira de pré-cieux neurones.Enfin, surprise, mais confirmation del’unité du monde vivant, ce phénomèneconcerne aussi les plantes et leur per-met de se protéger de leurs ennemis encréant dans leurs feuilles ces trous quinous intriguent, vraie stratégie de la terrebrûlée.

Chez un très grand nombre d’êtresvivants, le développement conduit à unorganisme qui frappe par sa symétrie.Le sentiment d’harmonie inspiré par lessymétries de la nature a vraisemblable-

ment accompagné l’homme dès sesorigines, probablement aussi contribuéà son sens esthétique. L’importance dela notion de symétrie dans les sciencesne se limite pas aux êtres vivants. PierreCurie fit une étude de la symétrie desétats physiques et postula que pour unphénomène, « les éléments de symétriedes causes doivent se retrouver dansles effets produits. » Très récemment,Édouard Brézin a pu écrire: « la symé-trie détermine le monde. »Mais la nature aime aussi nous jouer destours et cacher derrière une apparencesymétrique de remarquables asymé-tries. Non seulement notre cœur n’estpas au milieu de la poitrine mais, à lasuite de Pasteur, les biologistes ont dé-couvert que les molécules constitutivesdu monde vivant étaient, comme la main,non identiques à leur image dans unmiroir, et cette chiralité s’est révéléeuniverselle ; ainsi, les hélices d’ADNtournent dans le même sens chez tousles êtres vivants. Cette différence avecla matière inerte reste l’une des énigmesconcernant l’origine de la vie.

Construits avec tant de rigueur, tant deraffinement mais tant d’aléas, les êtresvivants émerveillent par la richesse deleurs fonctions, fonctions éparses queClaude Bernard aura le génie de rappro-cher. Et il l’exprime ainsi : « Tous lesphénomènes du corps vivant sont dansune harmonie réciproque telle qu’il pa-raît impossible de séparer une partie del’organisme sans amener immédiate-

ment un trouble dans tout l’ensemble. »Pour asseoir sa thèse, il invente le con-cept de « milieu intérieur », entité grou-pant sang et liquides organiques, sortede mer intérieure protectrice qui baigneles cellules et s’efforce de les mettre àl’abri des tempêtes de l’environnement;c’est ce qu’on appellera plus tard l’ho-méostasie.Dès lors, les physiologistes vont penserautrement.Ils comprennent que chaque organismevivant doit être considéré comme un toutfonctionnel, véritable société formée decellules très diversement spécialisées,mais unies dans l’harmonie d’une aven-ture commune. Processus aussi vraipour le petit ver aux neuf cent cinquante

neuf cellules que pour l’homme qui encompte plus de cent mille milliards.C’est par de gigantesques réseaux designaux régulateurs que sont coor-donnés ces ensembles de cellules. Cerôle revient au système neuro-hormonal,en particulier à son maître d’œuvre, lecerveau, constitué de différentes struc-tures échelonnées, souplement hiérar-chisées, vestiges des étapes de l’évo-lution. Bien qu’intimement connectées,ces structures n’ont pas toutes la mêmemission: les plus anciennes ont essen-tiellement des fonctions vitales, engrande partie automatiques et incons-cientes, tandis que les plus récentes ontdes activités beaucoup plus élaborées.Ainsi, c’est essentiellement grâce à unestructure ancienne, l’hypothalamus, quenous pouvons maintenir l’équilibre dyna-mique de notre milieu intérieur, succes-sion de déséquilibres naturellementcompensés. Les messagers sont iciles voies neuro-végétatives et neuro-hormonales qui illustrent l’étonnantesymphonie entre système nerveux etsystème endocrinien, ces deux insépa-rables, comme en témoigne la décou-verte par Étienne-Émile Baulieu d’uneproduction d’hormones stéroïdes dansle cerveau.Structure plus récente, le néocortex estsi développé qu’il a dû se replier pour tenirdans la boîte crânienne. C’est particuliè-rement au néocortex frontal, symbole del’hominisation, explosif dans son expan-sion, que nous devons nos facultés cogni-tives et relationnelles. C’est pourquoi cette

1 Membre de l’Académie des sciences, professeur à la faculté de médecine de l’université Paris-Sud Orsay.

Hélas, le chaos menace à tout instantl’harmonie du développement. On ledécouvre lorsque l’un des exécutants dela fragile partition fait une fausse note:la moindre mutation, le plus petit déca-lage dans l’expression d’un gène peuventalors être redoutables. Les drosophilesn’échappent pas à ce péril et nous leurdevons ainsi, depuis Thomas Morgan,beaucoup de clarté sur l’embryogenèse;transformées en monstres par fantaisiede la nature ou manipulation génétique,elles ont des pattes au lieu d’antennes,elles n’ont plus d’ailes ou en ont trop. Ilserait toutefois injuste de discréditer àl’excès les fausses notes, car c’est aussile hasard d’heureuses mutations qui afaçonné l’évolution.

Claude Bernard a écrit : « La vie c’estla création », tout en ajoutant: « La viec’est la mort », montrant ainsi combienconstruction et destruction sont complé-mentaires dans la nature. Développantcette idée, ici même, il y a quelques mois,Nicole Le Douarin soulignait, dans unexposé captivant, à quel point la destruc-tion cellulaire programmée, dénomméeapoptose, compense la prodigalité de lanature et fait partie de l’embryogenèse.Cette apoptose, en assurant la surviedes cellules les plus utiles, représentedonc pour l’organisme une forme d’har-monie mais, osons la contradiction, unefuneste harmonie, fondée sur l’existence,dans chaque cellule, d’un programmegénétique létal.L’hécatombe est particulièrement lourdepour les cellules nerveuses embryon-naires. Les infortunés neurones qui ontdéveloppé peu de connexions ou les ontmal conduites sont éliminés au profitd’une sorte de darwinisme neural, autre-ment dit d’une sélection bénéfique.De même, certains d’entre nous igno-rent peut-être qu’en souvenir de quelqueancêtre aquatique, leurs mains et leurspieds étaient palmés à un stade de leurdéveloppement, et qu’ils doivent la li-berté de leurs doigts à une destructioncellulaire opportune.

Par Dominique Meyer 1

H ostile ou accueillante, la naturecache aux hommes ses mystères,

ne leur offrant à admirer que sa beauté.Mais les scientifiques, insatiables et fousdu désir d’en violer les secrets, nousdévoilent sans cesse de nouvelles rai-sons d’être séduits.Autour de nous, il n’y a pas de plussimples, de plus parfaites leçons d’har-monie qu’une rose, le vol d’un oiseau oule mouvement des vagues, mais c’est enbiologiste que j’aimerais vous parlerd’autres accords de la nature, auxcharmes plus austères.Chacun de nous, l’éphémère, l’oliviermillénaire, naît d’une seule cellule, fruitde tant d’attirance. Un miracle qui repré-sente, aux yeux de François Jacob, « lephénomène le plus stupéfiant, l’histoirela plus étonnante qu’on puisse racontersur cette terre. »Cette histoire commence avec l’espoirde toute cellule: se diviser. Encore faut-il qu’elle le fasse au bon moment, au bonendroit, de bonne façon, comme l’exigela construction réussie d’un organismevivant. Cette aventure risquée supposeun enchaînement parfaitement harmo-nieux entre – nombre à peine croyable –des centaines de milliers de réactionsinscrites dans le programme génétiquede chaque cellule, réactions qui se sui-vent, se chevauchent, se croisent en unballet d’une formidable complexité.Un défi pour les biologistes du dévelop-pement qui vont pas à pas proposer lesclés de cette organisation a priori inex-tricable. Ils découvrent que des gènesrégulateurs, innombrables architectes,induisent et maîtrisent par de multiplescombinatoires hiérarchisées la destinéetopographique et fonctionnelle des cel-lules embryonnaires. Cellules ainsi con-duites, après migration, à se différencierde façons très variées pour constituerles divers organes, chef-d’œuvre de con-ception et de réalisation, de rigueur etde précision.Les plus fameux de ces gènes régula-teurs ont eu le privilège d’enchanter lesgénéticiens. Avec stupéfaction, ils ontdécouvert que les gènes de la familleHox, mettant en place le plan d’organi-sation d’un embryon humain, étaientextrêmement proches de gènes jouantun rôle comparable chez un ensembled’animaux et de végétaux. La souriscôtoie ici la célèbre mouche drosophile,mais aussi Caenorhabditis elegans, petitver devenu la coqueluche des biologistes,et même une plante à fleurs, Arabidopsisthaliana. Ainsi, merveille de l’unité dumonde vivant, nous partageons cesgènes rescapés de l’évolution avec nosancêtres communs d’il y a plus d’unmilliard d’années.

La vie des séances

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La Nature,leçon d’harmonie

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Ainsi, l’expérience individuelle mémo-risée structure en permanence l’orga-nisation neuronale et le jeu du cerveau.C’est de cette construction personnelleque dépend la manière dont nous vivonsnos représentations, nos anticipations,aussi nos actions et bien entendu nosrelations avec l’autre.À l’évidence, il y a peu d’activités céré-brales sans une part d’émotion et tousnos comportements sont simultanémentinfluencés par nos désirs, nos plaisirsou nos aversions, le rôle joué ici sélecti-vement par les neuromodulateurs étantde mieux en mieux compris.Rien n’est donc figé, et les neurobiolo-gistes nous ont appris que le cerveaufonctionnait en réseaux flexibles qui se

font et se défont au gré des tâches enga-gées, en une continuelle dynamiqued’adaptation.Malheureusement, ces belles construc-tions vivent sous la menace permanentede microbes, de virus ou de parasites, etont dû progressivement développer aucours de l’évolution des moyens dedéfense qui supposent deux types d’ac-cords. En premier lieu, un lien entre lesdéfenseurs, les soldats, essentiellementdes lymphocytes, qui doivent coordonnerleur lutte en s’échangeant des informa-tions et des ordres d’action. En secondlieu, une marque de reconnaissance,commune à l’ensemble des cellules, quiaide à dépister l’ennemi et à le com-battre.Cette marque distinctive du « soi » et du

« non-soi » a été découverte chezl’homme par Jean Dausset. Baptiséecomplexe HLA, elle est faite de carac-tères génétiques offrant une telle multi-plicité de combinaisons qu’il n’existesans doute pas sur la terre deux hu-mains porteurs du même code HLA, misà part les vrais jumeaux. Il s’agit doncd’une véritable carte d’identité et chacunsait son importance pour le choix d’unegreffe compatible, comme son rôle dé-terminant en anthropologie, pour la re-cherche de paternité ou la détection d’uncriminel.Ainsi, maître des armes et de l’état civil,le couple lymphocytes-molécules HLAreprésente, par ses extraordinairesfacultés de mémoire et d’adaptation à

l’adversité, l’ensemble fonctionnel le plussubtil de notre organisme, après le sys-tème nerveux.Mais l’immunologie réserve parfois dessurprises et plus elle a progressé, plusa été stupéfiante l’absence, chez leshumains et les autres vivipares, de réac-tion immunologique de la mère vis-à-visdu fœtus, bien que celui-ci soit étrangerpar l’apport génétique paternel. Cettetolérance mystérieuse autorise la plusbelle des harmonies.

C’est dans une toute autre forme d’in-terdépendance que vivent beaucoupd’animaux et de végétaux. En voici troisexemples très courts:- harmonie trop parfaite : les colonies de fourmis répètent inlassablement et

sans fantaisie ce que leur dicte leur pro-gramme génétique, avec, pour seulobjet, la reproduction de l’espèce;- harmonie trahie: les mitochondries denos cellules et les chloroplastes desvégétaux, structures précieuses, étaient,dans un très lointain passé, des bacté-ries vivant en symbiose, qui ont ulté-rieurement été annexées au détrimentde leur individualité;- harmonie pittoresque: « La Vanille etla Mélipone » pourrait être le titre d’unefable de La Fontaine. Elle raconteraitcomment des plants de vanille mexi-cains, introduits à la Réunion, n’avaientpu s’y reproduire. Que leur manquait-il?Tout simplement leur compagne améri-caine pollinisante, l’hyménoptère méli-

pone, qu’aucun insecte réunionnais nepouvait remplacer.Ces exemples d’interdépendance nousconduisent à évoquer notre place dansle monde vivant. Privilégiés de l’évolu-tion, nous ne sommes pourtant que l’undes éléments de l’immense chaîne desolidarité des mondes animal et végétal,tributaires, nous aussi, des cycles del’azote, du carbone et de l’oxygène, doncde la providentielle photosynthèse placéesous la tutelle du Soleil.

Dans les Nouvelles Nourritures, Gide dità Nathanaël: « Tu n’admires pas commeil le faudrait ce miracle étourdissantqu’est ta vie. » Écoutons-le et goûtonsces harmonies : ce sont nos vies, nosactions, nos plaisirs �

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région du cerveau a pu être appelée l’« organe de la civilisation ».Les extraordinaires performances ducerveau humain sont moins dues àl’abondance des neurones qu’à l’extrêmerichesse de leurs connexions, d’uneefflorescence telle qu’un très jeuneenfant en construit deux millions àchaque minute, encore un grandnombre, pardonnez-moi. Pour assurerces connexions, la nature a inventé lasynapse, passionnante structure derapprochement entre neurones, ou entreneurone et muscle, lieu où le signalchimique du neuromédiateur rejoint sonrécepteur. La diversité et l’activité nu-ancée des neuromédiateurs, la sou-plesse des récepteurs confèrent aux

synapses une plasticité remarquable quidétermine la subtilité d’un cerveauperpétuellement inventif. On a même puécrire, formule plutôt hardie : « Noussommes ce que sont nos synapses. »Par sa fameuse phrase: « Apprendre,c’est éliminer », Jean-Pierre Changeuxsouligne que l’apprentissage, lié à cetteplasticité, représente un choix qui sélec-tionne et stabilise certaines connexionsau détriment d’autres, illustration dela prodigieuse épigenèse, cette créationde chacun qui complète l’apport géné-tique. Un apprentissage en harmonieavec le milieu, à son maximum dansl’enfance, avec l’acquisition du langageet de l’écriture, mais une aptitude qui vadurer pendant toute la vie et nous aiderà être libres.

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La vie des séances Carnet

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la lettre n0 15 / printemps 2005

de l ’Académie des sciences

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impulsion morale à ses engage-

ments successifs : le choix de

Normale supérieure où il s’initie à

la physique sous la direction

d’Yves Rocard - il deviendra un

chercheur de premier plan dans

le domaine de la cristallographie

– le professorat à l’université de

Paris ; la direction générale du

Centre national de la recherche

scientifique ; la présidence du

Centre européen de recherche

nucléaire où s’affiche sa détermi-

nation à faire exister une Europe

à la science ; la présidence du

Centre national de la recherche

spatiale; pour accepter les fonc-

tions de Ministre de la recherche

de 1984 à 1986 puis de 1988 à 1993

qui auront été les dernières

années glorieuses de la science

française aujourd’hui en crise.

Il est frustrant de réduire à une

simple énumération de titres et

fonctions la vie d’un homme pour

qui on a eu admiration et affection.

Hubert Curien a signé le premier

éditorial de la « Lettre de l’Aca-

démie des sciences » qu’il a

encouragé en effaçant les ob-

stacles qui auraient pu freiner son

effort. Au nom de cette publication

et de ses collaborateurs je tiens à

leur exprimer notre profonde re-

connaissance �

Par Jean-Charles Schwartz 1

Une réunion d’une journée

sur l’avenir de la Recherche

pharmaceutique en France, orga-

nisée par l’Intersection de l’appli-

cation des sciences de l’Académie

à l’initiative de A. Carpentier, G.

Le Fur, P. Potier et J-C. Schwartz,

s’est tenue le 12 octobre 2004

dans le grand amphithéâtre de la

Maison de la Chimie devant une

nombreuse assistance. Elle a été

ouverte par É-É. Baulieu, prési-

dent de l’Académie.

J-C. Schartz a dressé un tableau

assez sombre de l’évolution

récente de la recherche en matière

de nouveaux médicaments dans

notre pays. En effet, le nombre de

nouvelles molécules introduites

en thérapeutique et qui voient

le jour en France a été en décrois-

sant au cours des dernières dé-

cennies, plusieurs centres de re-

cherche pharmaceutique y ont

récemment été fermés et le nom-

bre d’essais cliniques de médi-

caments qui y sont réalisés

diminue nettement.

Les causes de ce déclin ont été

analysées par les divers interve-

nants et des propositions émises

pour y remédier.

Le rôle insuffisant des organi-

smes publics de recherche (CNRS

et INSERM) a été souligné par

P. Potier tandis que les directeurs

généraux de ces organismes ont

exposé leurs actions et projets de

collaboration industrielle dans ce

domaine.

Les stratégies de recherche et

développement d’un grand grou-

pe, Sanofi-Aventis, d’un groupe de

taille moyenne, Ipsen, et d’une

petite entreprise, Bioprojet, ont

été exposées et comparées entre

elles par G. Le Fur, J-P. Moreau et

J-M. Lecomte, respectivement.

Dans tous les cas, le rôle essen-

tiel de l’innovation, soutenue par

un tissu dense d’acteurs de qualité

dans la recherche fondamentale

et dans les laboratoires indus-

triels, susceptibles d’interagir

entre eux, a été souligné.

La grande insuffisance de création

d’entreprises de biotechnologie

en France, à un moment ou les

médicaments dérivés de protéines

recombinantes ou d’anticorps

monoclonaux voient le jour en

nombre rapidement croissant à

l’étranger, a été décrite par P.

Pouletty. Un des facteurs du retard

réside dans l’insuffisance des

crédits mis à la disposition des

créateurs de ces entreprises, en

raison du risque élevé des inves-

tissements (P. Deroux) et en dépit

des aides publiques, notamment

celles qui proviennent de l’ANVAR

(M. Guibaud).

E. Abadie (AFSSAPS) a souligné le

caractère de plus en plus interna-

tional des pré-requis scientifiques

et cliniques pour l’approbation des

dossiers de nouveaux médica-

ments.

F. d’Aubert, Ministre délégué à la

recherche, a insisté sur l’impor-

tance que les pouvoirs publics

attachent au développement de

l’innovation pharmaceutique en

France et a décrit les mesures en

cours d’implémentation dans ce

but tels que les aides à la créa-

tion d’entreprises innovantes ou

l’extension du crédit impôt-

recherche �

1 Membre de l’Académie des sciences,professeur émérite à l’universitéRené Descartes, directeur scienti-fique de Bioproject

Hubert Curien nous a quittés

le 5 février 2005 dans les

premières années de ce siècle

qu’il avait appelé de ses rêves et

de ses vœux. Il représentait la

parfaite figure du savant citoyen

guidé par cette éthique de convic-

tion qui anime les grands hommes

comme Carnot et Arago qui furent

à la fois des scientifiques et des

politiques. Il les a rejoints dans les

pages du Petit Larousse, « ce

dictionnaire, dit-il, [qui] aura joué

un rôle essentiel dans ma vie. La

municipalité de Cornimont recon-

naissante de ma première place

au Certificat d’études m’en avait

offert un en 1936. C’est une consé-

cration pour moi d’y figurer à mon

tour. » Un témoignage émouvant

que l’innocente fierté de cet

homme modeste que la pratique

du pouvoir a laissé miraculeuse-

ment indemne. De Cornimont

dans les Vosges où son père est

receveur municipal et sa mère

directrice d’école, à l’Académie des

sciences dont il a été le président

admiré et écouté (2001- 2003) la

vie d’Hubert Curien a suivi une

trajectoire droite et lumineuse

comme celle de la fusée Ariane

dont il assume la paternité.

Au départ, un engagement fort

dans la résistance qui donnera une

« Quelavenirpour la

recherchepharma-

ceutique enFrance? »

Hubert Curien(1924 – 2005)

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