Langage, pouvoir et liberté - Le roseau pensant, … · II- le langage configure-t-il notre...

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Le pouvoir du langage Langage, pouvoir et liberté

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Le pouvoir du langage Langage, pouvoir et liberté

•Le langage : fait culturel universel : accompagne toutes les pratiques culturelles :

politique, Droit, art, sciences, religion, travail, échanges, …

•ne fait-il qu’« accompagner » les pratiques humaines ? ou bien les façonne-t-il ?

-les rapports de l’homme aux autres hommes (rapports sociaux) ?

-son rapport au monde objectif ?

-son intériorité (esprit) ?

•autrement dit : le langage est-il un instrument d’influence, d’action, voire de

domination, lui-même neutre, dont l’homme pourrait se saisir pour parvenir à ses

fins ? Ou influence-t-il toujours malgré lui celui qui l’emploie ?

Et jusqu’où s’étend le pouvoir du langage ? Est-il total ?

I- le langage ne sert-il qu’à informer ou sert-il à agir ?

Le pouvoir du discours sur l’interlocuteur (auditeur, lecteur)

Le discours est-il un instrument neutre par lequel un interlocuteur transmet ses

pensées de manière transparente et sincère ? Non.

Deux thèses :

-Le locuteur peut façonner son discours pour manipuler l’auditeur.

-le discours n’est pas neutre

I- le langage ne sert-il qu’à informer ou sert-il à agir ? Le pouvoir du discours sur

l’interlocuteur

1- conception classique du langage : le langage sert d’abord à communiquer nos

pensées (les pensées que l’on veut bien communiquer)

2- le langage permet aussi d’agir

3- langage et pouvoir : la rhétorique

4- la maîtrise des esprits : la novlangue : mythe ou réalité ?

II- le langage configure-t-il notre pensée, notre conception du monde, le monde lui-

même ?

1- la nature conventionnelle du langage

2- la configuration de notre manière de pensée

3- la configuration de notre manière de nous représenter le monde

4- limites du déterminisme linguistique

a- liberté dans l’usage des règles : les possibilités infinies de combinaison,

d’enrichissement sémantiques, … et la liberté d’enfreindre les règles : le jeu de mot et les

arts de la parole

b-l’innovation linguistique et intellectuelle

c- une thèse plus radicale : Bergson.

1- la conception classique du langage (Augustin, Descartes…) :

•communiquer nos pensées à autrui

les signes artificiels sont ceux que les êtres animés se donnent

mutuellement pour manifester, autant qu’il est possible, leurs

pensées, leurs sentiments, et les différents mouvements de leur âme. L’unique fin que l’on se propose en

adressant un signe à quelqu’un, c’est d’exprimer et de faire passer dans

son esprit ce que l’on conçoit dans le sien

Augustin, Doctrine chrétienne, chap II

« Rome court à sa perte »

Le locuteur peut mentir : il communique les pensées qu’il veut : la non sincérité est

toujours possible : mais c’est un détournement de l’usage normal du langage.

• les pensées préexistent à leur expression linguistique.

J'apprenais moi-même (…), quand je voulais exprimer les sentiments de mon cœur par des cris, des plaintes et des gestes divers, afin qu'on fît ce que je voulais; mais je ne pouvais traduire tout ce que je voulais ni me faire entendre de tous ceux que je voulais. Alors, je captais par la mémoire les noms que j'entendais donner aux choses, et qui s'accompagnaient de mouvements vers les objets; je voyais et je retenais que l'objet avait pour nom le mot qu'on proférait, quand on voulait le désigner. Cette volonté se découvrait à moi par les mouvements du corps, par ce langage naturel à toutes les nations, qui consiste en jeux de physionomie, clins d'yeux, gestes, ton de la voix, truchement de l'âme, soit qu'elle demande, possède, regrette, ou essaie d’éviter. Ainsi, ces mots que je comprenais, que différentes phrases me faisaient entendre fréquemment, à leurs places respectives, je comprenais peu à peu leur signification, et ils me servaient à exprimer mes volontés d'une bouche déjà rompue à les prononcer. C'est ainsi que je commençais à échanger avec les personnes de mon entourage les signes de mes volontés.

2- le langage ne sert pas qu’à « communiquer nos pensées » : il produit des actes

a- les actes locutoires : l’exemple des énoncés performatifs

Texte de Austin.

Dans la langue, il faut distinguer

Énoncés constatifs / énoncés performatifs

le sens est dans les termes de l’énoncé / le sens est dans l’acte qu’il accomplit

Est vrai ou faux / est « ajusté » ou « non ajusté »

b- il accompagne toutes nos pratiques sociales

Eau ! Du balai ! Oh ! A l’aide ! Bien ! Non ! Êtes-vous encore enclin à appeler ces mots des ‘noms d’objets’ ? Wittgenstein, RP, §27 Augustin réduit la langue aux noms communs, considéré comme des ‘noms d’objets’ :

servant à désigner/décrire les objets extérieurs

nos états d’âmes (‘objets’ mentaux)

Wittgenstein remarque : c’est extrêmement réducteur : la langue permet aussi de

-donner des ordres

- d’exprimer notre accord / refus

- plus généralement : de faire des prières, d’inventer des histoires, de jouer du théâtre,

de résoudre un problème de math, …

En fait, le langage a autant de formes qu’il y a de sortes de pratiques sociales.

3- le pouvoir du discours : la rhétorique

a- la rhétorique et sa critique

•discours de Gorgias (456b-457c) : définition et éloge de la rhétorique.

•jugement de Socrate :

- « la rhétorique n’a aucun besoin de savoir ce que sont les choses dont elle parle;

simplement, elle a découvert un procédé qui sert à convaincre, et le résultat est que,

devant un public d’ignorant, elle a l’air d’n savoir plus que n’en savent les connaisseurs »

(459 b-c)

- la rhétorique est un art de flatter, de faire plaisir, comme la cuisine ou la cosmétique

(463 a-c). Comme la cuisine est la contrefaçon de la médecine, ou encore la cosmétique

la contrefaçon de la gymnastique, la rhétorique est la contrefaçon de la politique

- le tribunal d’enfant ( )

Arts qui ne se soucient que de l’apparence de leur objet

Arts qui se soucient du bien réel de leur objet

Apparence extérieure du corps

cosmétique « Gymnastique »

Corps Cuisine (plaisir gustatif)

médecine

Âme, personne Rhétorique « politique »

b- Analyse linguistique de la rhétorique :

à quoi tient plus précisément le pouvoir de la rhétorique ?

Le discours ne fait pas que renvoyer à une réalité : il peut aussi

émouvoir par l’expression des émotions

s’appuyer sur des ressources esthétiques

afin d’agir sur l’auditoire

Roman Jakobson, linguiste.

La fonction référentielle

• La fonction référentielle désigne le pouvoir de dénotation du message : pouvoir du message de se référer à quelque chose.

Exemples

«Le chien est carnivore.»

«Didier écrit au tableau.»

La fonction expressive

La fonction expressive la

fonction par laquelle le

message exprime les

émotions de l’émetteur.

Exemples

«Comme c’est

agréable de sentir la

douceur de ce vent

sur la peau.»

«Je rougis de

satisfaction.»

« mmmhhh, c’est bon! »

La fonction poétique

La fonction poétique

est la fonction par

laquelle le message

exprime un sens par

sa composition

(syntaxe, vocabulaire,

rythme, sonorités…).

Exemples

« la rue assourdissante

autour de moi

hurlait »

« veni, vidi, vici »

« deviens ce que tu es »

• La dimension « poétique » du message est développée dès que l’on joue avec le

message lui-même: sa forme et son sens :

-jeu sur la forme

…écrite (typologie, anagramme …)

…orale : jeu sur le son : rime, répétition, allitération, assonance, substitution de sons

(cf. contrepèterie)

-jeu sur le sens : rapprochement inattendu de mots étrangers, exploitation de la

synonymie, de l’ambiguïté, violation de sens, le détournement, l’allusion…

• fonction poétique est présente bien au-delà de la poésie : partout où l’on veut

attirer l’attention sur un message : commerce, proverbe, comptine, slogans…

différence poésie pure / autres types d’énoncés n’est qu’une différence de degré.

La fonction conative

La fonction conative est la fonction par laquelle le message produit des effets, notamment chez le destinataire. Les ordres, les conseils en sont des illustrations.

Exemples

«Formez des équipes

de travail.»

«Entrez.»

«Ne vous inquiétez

pas trop.»

tous les performatifs

En bref, le discours

-ne fait pas que renvoyer à une réalité (fonction référentielle)

-il peut aussi émouvoir par l’expression des émotions (fonction expressive),

-s’appuyer sur des ressources esthétiques (fonction poétique) afin d’agir sur l’auditoire

(fonction conative)

4-la langue du pouvoir : le « novlangue » : fiction ou réalité ?

•le novlangue : Orwell, appendice à 1984

•de la fiction à la réalité : le « novlangue » des pouvoirs dans notre démocratie

-choisir les mots selon leur connotation

…connotation positive :

domaine du travail : « technicien de surface », « hôtesse d’accueil », « demandeur

d’emploi »

…connotation négative : domaine de la fiscalité : les « charges »; l’impôt « pèse » sur

les sociétés; « allégements fiscaux ».

… connotation neutre : parler d’éléments pour désigner un homme (Klemperer, La langue du troisième Reich)

-détourner le sens des mots. Ex : « la communauté internationale »

-inventer des mots : « ressources humaines » : intègre les hommes dans la classe des

ressources, à côté des ressources matérielles.

Le « personnel » : personne ≠ « ressources humaines » : dépersonnalise, réifie les

êtres humains.

La promotion de certains mots par les acteurs du pouvoir (politique, économique,

médiatique) et l’occultation d’autres mots permettent d’influencer, voire de

manipuler les esprits (propagande silencieuse).

En modifiant la présentation de la réalité, on modifie la perception que s’en font

les esprits.

Hypothèse : les mots sont du côté fort du triangle : imposent un cadre à la pensée, donc à la manière de concevoir les choses.

Mot (signifiant)

Esprit Chose (référent)

Mot (signifiant)

Esprit Chose (référent)

II- le langage configure-t-il notre pensée, notre conception du monde, le monde lui-

même ?

1- la nature culturelle, conventionnelle du langage

a-cratylisme : les noms signifient quelque chose parce qu’ils ressemblent naturellement à

ce qu’ils signifient.

•Soit directement :les « noms primitifs » :

… onomatopées;

… par les sonorités « affreux », « horripiler »

•Soit indirectement (les « noms dérivés » : par l’étymologie)

il semble que par un instinct naturel les anciens

Germains, Celtes et autres peuples apparentés avec

eux ont employé la lettre R pour signifier un

mouvement violent et un bruit tel que celui de cette

lettre. Cela paraît dans rinnen, rüren (fluere), ruhr

(fluxion), le Rhin, Rhône, Ruhr (Rhenus, Rhodanus,

Eridanus, Rura), rauben (rapere, ravir), Radt (rota),

radere (raser), rauschen (mot difficile à traduire en

français : il signifie un bruit tel que celui des feuilles ou

arbres que le vent ou un animal passant y excite, ou

qu'on fait avec une robe traînante), reckken (étendre

avec violence), (…) d'où vient que rige, reihe, régula,

regere, se rapporte à une longueur ou course droite,

et que reck a signifié une chose ou personne fort

étendue et longue, et particulièrement un géant et

puis un homme puissant et riche, comme il paraît dans

le reich des Allemands et dans le riche ou ricco des

demi-Latins. (…) Or comme la lettre R signifie

naturellement un mouvement violent, la lettre L en

désigne un plus doux.(…) Ce mouvement doux paraît

dans leben (vivre), laben (conforter, faire vivre), lind,

lenis, lentus (lent), lieben (aimer), lauffen (glisser

promptement, comme l'eau qui coule), labi (glisser,),

legen (mettre doucement), d'où vient liegen, coucher,

lage ou laye (un lit) …

•Objections (entre autres):

- Il y a plusieurs mots pour désigner une même réalité.

- nombres de mots n’ont aucun rapport de ressemblance naturelle avec leur objet, y

compris par l’étymologie)

-problème des objets abstraits : par ex : les nombres.

b-le Conventionnalisme : les noms ou les mots sont des conventions, c’est-à-dire

des institutions qui résultent d’un « choix » arbitraire sur lequel s’accordent les

individus.

Convention: accord passé entre les hommes.

Toute convention est d’abord « arbitraire » : fondée sur la volonté des hommes

(sens restreint : volontaire et immotivé, injustifié)

La signification serait en ce sens conventionnelle, arbitraire.

Mais la thèse doit être précisée :

-Relève de l’arbitraire, mais pas de l’arbitraire privé : une convention est toujours collective. - distinguer convention expresse (explicite) et convention tacite (implicite),

La signification n’existe qu’en vertu d’un système conventionnel, dimension arbitraire qui

se retrouve à plusieurs niveaux :

Ferdinand de Saussure, l’inventeur de la linguistique moderne

•les signes linguistiques sont intentionnels dans leur usage :

intention de communication ≠ « signes » naturels : indice.

Pose lascive, lèvre entrouverte, décolleté saillant, chevelure sauvage... Autant de signes de séduction.

•les signes ling. sont arbitraires dans leur facture : sous ses deux aspects :

-signe= signifié et signifiant

... signifiant : élément sonore, graphique, gestuel, etc., qui fait penser à autre chose que

lui-même. Saussure : c’est plus précisément l’image mentale de ce phénomène matériel.

... signifié : l’idée, le concept auquel renvoie le signifiant

signifiant

signifié (notion) Chose (référent)

esprit

- le signifiant est arbitraire : multiplicité des mots dans une langue / dans diverses

langues

« Cheval »

« horse »

« caballo

« Pferd »

Signification

(Dénotation)

Convention établie de

manière tacite par la

communauté linguistique

-Le signifié (la notion) est en partie arbitraire.

Argument de Locke : les notions des noms communs sont constituées de manière

relativement arbitraire.

Les classifications des objets naturels ou humains diffèrent selon les langue, et évolue au

sein d’une culture.

Par exemple : « eau » signifie tantôt l’eau liquide (opposé à glace), tantôt H20, sous

toutes ses formes (liquide, solide)

c- une langue est un système

•Le langage humain se caractérise par une « double articulation »

-une production linguistique est composée d’unités signifiantes combinées

(chaque unité se repérant par des commutations)

ex : « voilà notre père » :

3 éléments signifiants

« réembarquons! » :

4 éléments signifiants

« au fur et à mesure » :

1 élément unique

On appelle « monème » de telles unités (qui, on le voit, ne

correspond pas au mot)

-chaque monème est construit à partir d’unité sonore non signifiante

« père » : en français, 3 éléments sonores

Ces éléments sont appelés « phonèmes ».

Le phonème ≠ le son :

il est arbitraire, puisque deux sons phonétiquement différents peuvent être

phonologiquement identiques ou distingué selon les langues

(ex : le r français ne fait pas la différence entre le r sec ou le r roulé, contrairement à

d’autres langues)

•une langue est un système :

chaque élément ne se comprend pas de manière isolée, mais comme partie d’une

structure (définition système)

- pour les phonèmes : un « r » français se comprend par distinction avec le « l », ce qui

n’est pas le cas en chinois, alors que le « r » espagnol …

- pour les monèmes : « em » s’oppose à « dé », votre se distingue de notre, de mien..

- cela se retrouve au niveau des notions signifiées

… exemple des couleurs : la notion de rouge se comprend par distinction avec

les notions de bleu , jaune, ... (cf. couleurs des feus)

… exemple des termes de parenté (LS)

… exemple des champs sémantiques

Le pouvoir de signifier tient à la nature systémique du code

(quelque soit la fonction envisagée :

fonction expressive : code des intonations

fonction poétique : codes esthétiques)

C’est donc le code qui nous fait signifier. Nous naviguons dans un code qui est institué

malgré nous.

2- la configuration de notre manière de pensée

Emile Benveniste, « catégorie de langue, catégorie de pensée »

comparaison langue grecque (ou française) / langue ewe (Togo)

un verbe « être » (deux : être / exister) / 5 verbes

de même : manuel : langue Nootka / anglais

3- la langue véhicule une « vision du monde » : texte de Mounin.

4- limites du déterminisme linguistique

Déterminisme : famille de conceptions soutenant que

chaque fois que certaines conditions sont réunies, et que tel phénomène se

produit (cause), tel autre phénomène s’ensuit nécessairement (effet)

Déterminisme linguistique : conception soutenant que la pensée de l’individu est

strictement déterminée par sa langue (cause) .

Si notre manière de penser est déterminée par notre langue, alors notre pensée

est-elle libre ?

Contre cette conception nous pouvons avancer :

a- liberté dans l’usage des règles :

•les possibilités infinies de combinaison

• possibilités d’enrichissement sémantiques : le rôle libérateur de la Culture :

- apprentissage des langues

- apprentissage du vocabulaire par la lecture

• la liberté d’enfreindre les règles :

- jeux de mot, mot d’esprit

- la poésie qui transgresse les codes poétiques voire linguistique

Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx, L'Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore, Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix Que ne recueille pas de cinéraire amphore Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx Aboli bibelot d'inanité sonore, (Car le Maître est allé puiser ses pleurs au Styx Avec ce seul objet dont le Néant s'honore.) Mais proche la croisée au nord vacante, un or Agonise selon peut-être le décor Des licornes ruant du feu contre une nixe, Elle, défunte nue en le miroir, encor Que, dans l'oubli formé par le cadre, se fixe De scintillations sitôt le septuor.

b-l’innovation linguistique et intellectuelle

• innovations terminologiques en sciences.

Exemple en biologie : « poisson » devient poisson à squelette cartilagineux /

« poisson à squelette osseux »

• innovations littéraires : cf. Rabelais

• innovations intellectuelles en général

c- une thèse plus radicale : une pensée indépendante du langage : Bergson

Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus

souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s’est encore accentuée sous l’influence du langage. Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent des genres. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et

son aspect banal, s’insinue entre elle et nous *…+. Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états

d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu. Quand nous éprouvons de l’amour

ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec

les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais, le plus souvent,

nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect

impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu près le même dans les mêmes conditions, pour

tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe. Nous nous mouvons parmi des

généralités et des symboles, comme en un champ clos où notre force se mesure utilement avec d’autres forces ; et, fascinés par

l’action, attirés par elle, pour notre plus grand bien, sur le terrain qu’elle s’est choisi, nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à

nous-mêmes.

Conclusion :

•Le discours, et même la langue, sont un moyen privilégié d’exercice du pouvoir,

parce qu’ils influent sur les esprits (sur la manière de juger et de comprendre le

monde)

•Mais

- les sujets, par la réflexion critique et par l’art de l’interprétation, peuvent décrypter

les discours, le vocabulaire, et échapper à ce pouvoir.

-la langue elle-même offre certaines libertés, pour peu qu’on en exploite la richesse

et la diversité des formes (littéraires, scientifiques…)

→ La culture offre donc à la fois des moyens de domination et de libération (par

la Culture)

- enfin, on peut se demander si une forme de pensée n’échappe pas tout à fait, non

seulement à la langue, mais au langage lui-même (Bergson).

Index :

- Langage

- la culture; la société (langue = fait social)

- la politique (le langage du pouvoir)

- la liberté

- la morale (le mensonge; critique morale de la rhétorique)

- l’art (la poésie)

- l’esprit, la conscience (la pensée et la langue; conception classique du langage)

- l’interprétation (décrypter les messages)

- la technique (technique rhétorique)