L’amandon du fruit de l’arganier est riche en huile ...avenir... · de produits à base d'huile...
Transcript of L’amandon du fruit de l’arganier est riche en huile ...avenir... · de produits à base d'huile...
1
L’amandon du fruit de l’arganier est riche en huile © Roman Königshofer
L'arganier, une des espèces d'arbres les plus anciennes, ne
pousse que dans le sud-ouest marocain. Ses rameaux
épineux et son système racinaire particulièrement profond
le rendent parfaitement adapté à l'aridité de la région. Outre
sa valeur écologique, comme rempart à la désertification,
l'arganier revêt également une importante valeur
économique dans la culture berbère locale.
Les feuilles et la pulpe font le bonheur des chèvres et des
chameaux, tandis que le bois sert de combustible et que les
noyaux sont pressés pour en extraire l'huile. Riche en
acides gras polyinsaturés, en acide linoléique (un acide
gras de la famille des oméga-6) et en vitamine E, celle-ci
est réputée pour ses propriétés médicinales et se voit
gratifiée de titres ronflants comme « l'or marocain » ou
encore « le secret de beauté des femmes marocaines ».
L'huile alimentaire est obtenue par pressage des amandons
grillés, tandis que l'huile cosmétique est pressée à partir
d'amandons non grillés.
«De tout temps, la production de l'huile d'argan a été le
travail des femmes. De mère en fille se transmettait le
savoir-faire pour concasser les noix et en retirer les
amandons, qu'elles pressaient ensuite à la main, à l'aide
d'une meule. Les hommes n'intervenaient que bien plus
tard, lorsqu'il fallait vendre l'huile dans les souks »,
explique Zoubida Charrouf, professeur en chimie à
'Université de Rabat. La demande croissante d'huile
d'argan a entretemps offert d'importantes opportunités de
développement durable à la région. L'objectif ultime était et
est toujours de sauver la forêt d'arganiers, véritable
barrage contre l'avancée du désert. Mais comment y
parvenir ? « En procurant aux habitants un revenu à part
entière directement lié à la préservation de cette forêt. Les
grandes entreprises ont entretemps découvert l'huile
d'argan et la production a été partiellement industrialisée.
Il fallait donc mettre en place une alternative sociale pour
veiller à ce que les revenus aillent bien aux personnes qui
accomplissent le travail : les femmes berbères. »
2
L’arganier est un véritable barrage contre l'avancée du Sahara ©
Dirk Huijssoon
Concasser les noix est un travail de femmes ©
TDC/ Josiane Droeghag
En 1996, Zoubida Charrouf a créé la première coopérative
de produits à base d'huile d'argan, avant de fonder, en
1999, l'ONG Ibn Al Baytar. Cette dernière avait pour
mission d'encadrer des coopératives débutantes et de
réaliser toute une série de projets dans la région, avec l'aide
de donateurs internationaux, puis aussi du gouvernement
marocain. « Cela n'a pas été une mince affaire », se
rappelle Zoubida Charrouf. « Dans l'optique d'améliorer la
qualité de l'huile, nous avons regroupé les femmes dans de
petites unités de transformation, où elles pouvaient
concasser les amandons et nous, mécaniser le processus
de pressage. Culturellement parlant, il était très difficile de
faire travailler les femmes en dehors de chez elles. Les
premières à adhérer à la coopérative étaient des veuves et
des femmes divorcées. Une tendance qui s'est toutefois
peu à peu inversée. »
Quinze ans plus tard, les résultats sont au rendez-vous. Les
coopératives se sont multipliées et ont réalisé des chiffres
d'affaires spectaculaires. Plusieurs d'entre elles se sont
réunies en Groupements d’intérêts économiques (GIE), qui
ont pris en charge la commercialisation, la promotion et
l'exportation. Pour la première fois, les femmes gèrent ainsi
elles-mêmes leur revenu, ce qui, dans la culture berbère,
leur vaut une nette amélioration de statut. Par ailleurs, des
milliers de femmes apprenant désormais à lire et à écrire,
les mères tiennent de plus en plus à ce que leurs filles
suivent l'enseignement secondaire.
L'ONG Ibn Al Baytar a aussi œuvré, avec d'autres
partenaires, à l'instauration d'un label d'indication géogra-
phique protégée ou IGP. Premier de ce genre en Afrique,
ce label s'avère très important dans le contexte de la lutte
contre les fraudeurs qui recourent à des techniques de
pressage bon marché ou qui mélangent l'huile d'argan à
d'autres types d'huiles.
En 2010, le Trade for Development Centre (TDC) s’est lui
aussi embarqué dans l’aventure en appuyant financière-
ment trois coopératives dans les domaines suivants :
l'amélioration des capacités de gestion, le développement
de systèmes de contrôle de qualité et la création de
matériel de communication pour se profiler sur les marchés
marocain et européen.
Le fer de lance d'Ibn Al Baytar est la coopérative
Tighanimine, créée par un groupe de femmes ayant suivi
ensemble des cours d’alphabétisation. Sous l'impulsion de
leur enseignante, elles ont vaincu le scepticisme de leur
mari et lancé leur propre coopérative. Grâce au succès de
leur entreprise, certaines d'entre elles sont devenues le
gagne-pain de leur famille. En peu de temps, Tighanimine a
réussi à décrocher tant un label IGP qu'une certification
biologique. Cerise sur le gâteau, elle est devenue, en 2011,
le premier groupe de producteurs d’huile d’argan certifié
équitable, suite à quoi elle a réussi, en l'espace de deux
ans, à décupler son chiffre d'affaires. Récemment aussi, la
coopérative a été sélectionnée dans le cadre d'un projet
pilote visant l'instauration d'un système HACCP d'analyse
des risques et de contrôle de qualité.
En 2014, le TDC a décidé de prolonger l'aide accordée aux
coopératives de femmes. Ibn Al Baytar souhaite utiliser le
succès de Tighanimine comme levier de développement
pour les autres coopératives et l'ensemble de la région. Bon
nombre de ces coopératives sont situées dans la forêt de
Mesguina, un territoire de 30.000 ha faisant partie de
l'arganeraie. Ces dernières années, plusieurs ONG, dont
Ibn al Baytar, ont rassemblé les habitants et organisations
de la région au sein d'un vaste mouvement des « ayants
droit de la forêt ». Un plan a été développé avec l'aide de
l'ONG GoodPlanet Foundation de Yann Arthus-Bertrand
pour mettre en œuvre nombre de projets écologiques et
socioéconomiques en lien avec la forêt et la culture
arganière. De son côté, le gouvernement marocain a décidé
de soutenir le processus dans son ensemble en plantant de
jeunes arganiers.
« Plus de la moitié de la forêt a été perdue au cours du 20e
siècle, mais la tendance s'est aujourd'hui heureusement
inversée, grâce, entre autres, à la valorisation de l'huile
d'argan et des savoirs traditionnels des femmes », conclut
Zoubida Charrouf. « Nous devons maintenant oser aller de
l'avant pour ne pas rester dépendants d'un seul produit.
Ainsi, la forêt regorge de plantes médicinales que nous
pourrions utiliser pour développer certains produits.
Quelques premiers projets d'écotourisme ont entretemps
aussi vu le jour. Il faut oser rêver ! »
L'Agence belge de développement (CTB) est également
active dans cette vaste région de Souss-Massa-Drâa, à
travers, entre autres, un projet à long terme relatif au safran
et aux dattes. La coopération gouvernementale s'est ainsi
engagée dans le plan « Maroc Vert », qui vise un dévelop-
pement économique durable de la région et notamment des
producteurs les plus vulnérables.
3
La cueillette du crocus de safran est
aussi un travail de femmes
© TDC/ Josiane Droeghag
Une des 450 variétés de dattes © TDC/Josiane Droeghag
Le projet s'articule autour de trois piliers: la pérennisation
des techniques agricoles, sur le plan de la gestion des
ressources hydriques, par exemple ; le renforcement de la
position de la femme à travers la création de coopératives et
de GIE, et l'encadrement de ces structures en vue de la
commercialisation de leurs produits. « Ce dernier point étant
essentiel pour la réussite du projet, le TDC a été invité, dès
la phase de conception, à effectuer des analyses et à don-
ner des conseils sur la stratégie d’intervention », nous ex-
plique Josiane Droeghag, spécialiste en marketing et ges-
tion d’entreprises du TDC. « Que recherchent les clients
potentiels sur les marchés national et international, et dans
quelle mesure les jeunes coopératives et les GIE de la
région peuvent-ils répondre à leurs demandes ? »
Fin 2013, le TDC a recommandé le recrutement de Claire
de Foucaud, une spécialiste en marketing et en commerce
équitable. Claire collabore aujourd'hui avec le partenaire
local, l'Office régional de mise en valeur agricole de
Ouazzate (ORMVAO), afin de répondre à ces questions.
Dans quelques vallées isolées bordant la ville de Taliouine,
environ 3.000 paysans plantent chaque année d'innom-
brables crocus à safran. La récolte des fleurs nécessite une
main-d'œuvre importante, traditionnellement féminine. Elle
est suivie de l'étape la plus délicate du processus :
l'extraction et le séchage des pistils. Pour obtenir 1 kilo de
safran, il faut compter quelque 150.000 fleurs.
Ce n'est toutefois pas le Maroc du Sud qui tire les bénéfices
de cet « or rouge ». La plupart des producteurs vendent leur
safran de façon informelle dans les souks locaux, où ils
n'obtiennent qu'un faible prix, en espèces toutefois. Les
familles ont parfois tant de mal à joindre les deux bouts
qu'elles ont un besoin urgent de cet argent liquide. En
amont de la filière se situent de grandes entreprises de
Casablanca ou de Marrakech pour lesquelles la qualité
n'est certainement pas une priorité.
«En termes d'informations relatives au marché, nous
devons pratiquement partir de zéro », nous confie Claire de
Foucaud. « Une première étude que nous avons lancée
compare la qualité du safran marocain à celle du safran en
provenance d'Iran – qui représente quasiment 90 % de la
production mondiale – et de quelques autres pays.
Les Marocains sont persuadés qu'ils produisent de la
qualité, mais aucune base scientifique n'étaye cette
allégation. Une deuxième étude a pour objectif de cartogra-
phier la demande sur les marchés national et international,
car les acheteurs ne proviennent plus exclusivement du
monde culinaire, mais de plus en plus souvent aussi du
secteur pharmaceutique et cosmétique. »
Les deux études serviront de base à l'accompagnement
des coopératives et des GIE dans le développement d'un
plan marketing. En attendant les résultats, Claire et ses
collègues marocains ne se tournent assurément pas les
pouces.
« Afin d'encourager les producteurs à mieux s'organiser,
nous cherchons activement à nouer des contacts avec des
clients potentiels. Il y a à peu près un an, nous avons ainsi
pu mettre en contact la Maison du safran de Taliouine, un
jeune GIE regroupant 24 coopératives et visant à devenir
une plateforme logistique et commerciale pour la région,
avec le laboratoire pharmaceutique belge Pharco. Celui-ci
produit des compléments alimentaires contenant du safran
iranien, vu les propriétés antidépressives attribuées au
safranal, mais serait intéressé par des fournisseurs alterna-
tifs. »
La production du safran étant elle aussi essentiellement
une affaire de femmes, il existe un parallélisme notable
avec l'huile d'argan. Ici aussi, ce sont les veuves
propriétaires d'un petit lopin de terre qui se sont les
premières engagées dans une coopérative. « Nous
espérons qu'elles serviront de leur côté aussi d'exemple et
qu'elles convaincront les autres femmes de revendiquer
une rémunération plus juste pour leur travail », conclut
Claire de Foucaud.
Un autre arbre omniprésent dans les oasis du sud du Maroc
est le palmier dattier. La culture des dattes est certes de
loin supérieure à celle du safran, quelques centaines de
milliers de familles l'ayant toujours pratiquée et produisant
jusqu'à 450 variétés de dattes. Mais à de nombreux autres
égards, le parallélisme est frappant. Le caractère informel
de la filière, par exemple : deux tiers des récoltes sont
négociés dans les souks locaux par les cultivateurs en
quête urgente d'argent.
4
Sources:
Soumission de projets, évaluations et rapports du Trade for Development Centre. L'huile d'argan, l'or du Maroc ?, brochure TDC, 2010, téléchargeable sur http://www.befair.be/fr/publication/thematic-brochures/lhuile-dargan. Interview de Zoubida Charrouf : http://edition.cnn.com/video/data/2.0/video/international/2014/03/10/spc-african-voices-zoubida-charrouf-a.cnn.html (3 parties) Ibn Al Baytar : www.association-ibnalbaytar.com Tighanimine : www.facebook.com/cooperative.tighanimine.3?fref=ts, www.fairtradeafrica.net/argan-oil/women-villagers-join-forces/ (EN) Goodplanet Foundation : www.goodplanet.org/maroc-avancees-du-projet-sur-la-filiere-argan/ Safran - dattes : www.btcctb.org > pays et thèmes > Maroc > Nos projets au Maroc > Développement des filières du safran et du palmier dattier dans la région Souss-Massa-Draâ - Safran-Dattes
Tighanamine est la première coopérative d’huile d’argan qui a réussi à décrocher un label équitable au sud du Maroc.
© Fair Trade Connection
Une grande partie est aussi utilisée comme fourrage. Très
peu d'attention est accordée à la qualité et les dattes sont le
plus souvent présentées dans des caisses en bois très peu
hygiéniques. Bref, même pour les variétés les plus
qualitatives, le marketing laisse à désirer. De ce fait, le
marché intérieur marocain est envahi en grande partie par
les Tunisiens qui se sont spécialisés dans la variété de
dattes deglet nour, présentées dans de jolies petites boîtes.
Ainsi, il y a de fortes chances que les touristes rentrant du
Maroc et achetant des dattes à l'aéroport emportent en fait
dans leurs bagages un souvenir tunisien .
«Voilà aussi pourquoi nous sommes en pleine étude de
marché sur les dattes », poursuit Claire de Foucaud.
« Nous examinons comment positionner au mieux douze
variétés locales sur le marché marocain. Une deuxième
étude se penche sur les avantages et les inconvénients des
différents types d'emballage. Dans le même temps, nous
analysons les besoins structurels des jeunes coopératives
et GIE dans l'optique d'améliorer leur fonctionnement. Ainsi,
une des raisons pour lesquelles ils peinent à démarrer est
le manque de liquidités pour acheter les récoltes de leurs
membres. À cela s'ajoute une réticence culturelle à solliciter
un prêt auprès d'une banque pour un projet à but lucratif.
Une piste pour sortir de ce cercle vicieux consiste à trouver
des débouchés directs dans les grandes villes du nord du
Maroc. La consommation de dattes y atteignant son apogée
lors des fêtes religieuses, il faut donc pouvoir constituer des
stocks pour percer sur le marché. »
Or, la région dispose d'une belle opportunité : le projet
américain intitulé Millennium Challenge Account
investit massivement, depuis des années, dans des Unités
de valorisation, constituées d'entrepôts de tailles diverses et
d'installations de refroidissement, destinées au stockage et
à la transformation des produits agricoles locaux. « C'est un
peu le monde à l'envers : les infrastructures sont réalisées
avant même que les structures et les producteurs soient
prêts pour cette nouvelle étape », reconnaît Claire de
Foucaud. « Les coopératives et les GIE, de même que les
autorités locales et l'ensemble de la région, sont dès lors
confrontés à un immense défi : trouver des solutions pour
garantir une bonne gestion de ces entrepôts et éviter qu'ils
ne deviennent des ‘éléphants blancs’ », des installations
dispendieuses et peu utiles.
«Le projet de la CTB couvre la période 2013-2019. Ce délai
sera nécessaire pour aider les coopératives et les GIE
marocains à trouver des débouchés pour leurs dattes et
leur safran, et à bien gérer leurs structures », conclut
Josiane Droeghag. « Nous accorderons dans le même
temps une attention continue à la place de la femme dans
ce processus. Contrairement à la culture du safran, les
femmes ne sont que peu associées à la production dattière.
Elles sont toutefois de plus en plus souvent embauchées
dans les coopératives et les Unités de valorisation
nouvellement créées pour les opérations de tri. À ce jour,
toutefois, sans rémunération équivalente ou sans droit à la
parole dans les coopératives. Une situation que nous
continuerons à pointer du doigt. »
E.R
: C
arl M
ichie
ls, C
TB
Ru
e h
au
te 1
47
, 10
00 B
ruxelle
s
Les opinions exposées dans cet article ne représentent pas forcément celles de la CTB ou de la Coopération belge au Développement.