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Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce – - p.12 Entretien avec les fondateurs d’Oppcar « L’électrochoc, c’est une onde électrique que l’on fait passer dans l’encéphale pour traiter certaines maladies mentales et la dépression. C’est notamment la thérapie pratiquée par l’infirmière tortionnaire dans Vol au-dessus d’un nid de coucou. On pourrait donc peut-être sous-titrer cette journée Vol au-dessus d’un nid d’avocats ! », a suggéré le cinéphile directeur de l’EFB, Pierre Berlioz, lors d’un colloque consacré à l’Électrochoc numérique, le 15 mai dernier. À condition qu’elle n’aboutisse pas à une lobotomie comme dans le film de Milos Forman, la révolution numérique aura-t-elle un effet thérapeutique pour les avocats et les justiciables ? Pourtant, certains spécialistes la redoutent. Les legaltechs vont-elles capter leur clientèle, et des robots, finir par revêtir leurs robes noires ? Court-on dans la gueule de l’ubérisation du droit ? Après tout, le rapport Haeri l’a prédit : « Nos interlocuteurs les plus élémentaires, sur des sujets usuels, seront des boîtes de dialogue qui répondront à des questions usuelles (...) Enfin, l’intelligence artificielle va s’orienter vers les outils prédictifs qui, en toutes matières et pour tous usages, vont modifier nos comportements ». En guise de modification, faisons le pari que le perfectionnement du numérique permettra un accès facilité à la prestation juridique. De plus en plus, déjà, celle-ci devient une forme de consommable. Elle transforme le regard du justiciable. Alors certes, aujourd’hui, le client discute les prix ; discute la qualité. La prestation de l’avocat perd de son sacré pour devenir un simple produit. Produit, disons- nous ? Oui, mais peut-être cela n’est-il pas aussi péjoratif que l’on veut bien le croire. D’autant que, et Pierre Berlioz l’a plutôt bien exprimé, « L’avocat ne peut plus simplement être le spécialiste qui attend le client dans sa tour d’ivoire. Il doit devenir un prestataire de services, avec une démarche entrepreneuriale ». Et, dans cette lignée, le directeur de l’EFB refuse d’opposer legaltech et professionnels du droit : « L’objectif est que l’avocat soit capable d’intégrer la legaltech dans son activité pour effectuer rapidement un certain nombre de tâches et afficher une valeur ajoutée. Aujourd’hui, 75 % des besoins en droit ne sont pas satisfaits. Il y a donc un intérêt à développer le service juridique, pour favoriser l’accès à la connaissance du droit. C’est-à-dire sensibiliser au droit, le faire rentrer dans les maisons, dans les entreprises, dans les consciences. » Bérengère Margaritelli Journal habilité pour les départements de Paris, Yvelines, Essonne, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne et Val-d’Oise — Parution : mercredi et samedi 8, rue Saint Augustin — 75002 PARIS — Internet : www.jss.fr Téléphone : 01 47 03 10 10 Télécopie : 01 47 03 99 00 E-mail : [email protected] / [email protected] L’électrochoc numérique les avocats Mercredi 30 mai 2018 – numéro 38 Journal Officiel d’Annonces Légales, d’Informations Générales, Juridiques, Judiciaires et Techniques depuis 1898 © ilkercelik

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Conseil national des greffiers des tribunauxde commerce –

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Entretien avec les fondateurs d’Oppcar

« L’électrochoc, c’est une onde électrique que l’on fait passer dans l’encéphale pour traiter certaines maladies mentales et la dépression. C’est notamment la thérapie pratiquée par l’infirmière tortionnaire dans Vol au-dessus d’un nid de coucou. On pourrait donc peut-être sous-titrer cette journée Vol au-dessus d’un nid d’avocats ! », a suggéré le cinéphile directeur de l’EFB, Pierre Berlioz, lors d’un colloque consacré à l’Électrochoc numérique, le 15 mai dernier. À condition qu’elle n’aboutisse pas à une lobotomie comme dans le film de Milos Forman, la révolution numérique aura-t-elle un effet thérapeutique pour les avocats et les justiciables ?Pourtant, certains spécialistes la redoutent. Les legaltechs vont-elles capter leur clientèle, et des robots, finir par revêtir leurs robes noires ? Court-on dans la gueule de l’ubérisation du droit ? Après tout, le rapport Haeri l’a prédit : « Nos interlocuteurs les plus élémentaires, sur des sujets usuels, seront des boîtes de dialogue qui répondront à des questions usuelles (...) Enfin, l’intelligence artificielle va s’orienter vers les outils prédictifs qui, en toutes matières et pour tous usages, vont modifier nos comportements ».En guise de modification, faisons le pari que le perfectionnement du numérique permettra un accès

facilité à la prestation juridique. De plus en plus, déjà, celle-ci devient une forme de consommable. Elle transforme le regard du justiciable. Alors certes, aujourd’hui, le client discute les prix ; discute la qualité. La prestation de l’avocat perd de son sacré pour devenir un simple produit. Produit, disons-nous ? Oui, mais peut-être cela n’est-il pas aussi péjoratif que l’on veut bien le croire. D’autant que, et Pierre Berlioz l’a plutôt bien exprimé, « L’avocat ne peut plus simplement être le spécialiste qui attend le client dans sa tour d’ivoire. Il doit devenir un prestataire de services, avec une démarche entrepreneuriale ». Et, dans cette lignée, le directeur de l’EFB refuse d’opposer legaltech et professionnels du droit : « L’objectif est que l’avocat soit capable d’intégrer la legaltech dans son activité pour effectuer rapidement un certain nombre de tâches et afficher une valeur ajoutée. Aujourd’hui, 75 % des besoins en droit ne sont pas satisfaits. Il y a donc un intérêt à développer le service juridique, pour favoriser l’accès à la connaissance du droit. C’est-à-dire sensibiliser au droit, le faire rentrer dans les maisons, dans les entreprises, dans les consciences. »

Bérengère Margaritelli

Journal habilité pour les départements de Paris, Yvelines, Essonne, Hauts-de-Seine,Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne et Val-d’Oise — Parution : mercredi et samedi 8, rue Saint Augustin — 75002 PARIS — Internet : www.jss.fr

Téléphone : 01 47 03 10 10Télécopie : 01 47 03 99 00E-mail : [email protected] / [email protected]

L’électrochoc numérique les avocats

Mercredi 30 mai 2018 – numéro 38 Journal Officiel d’Annonces Légales, d’Informations Générales, Juridiques, Judiciaires et Techniques d epuis 1898

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« Des professions pensent que l’ère digitale va passer à côté d’elles – et notamment les avocats. Mais le monde juridique aussi s’apprête à être révolutionné et doit se préparer au changement », a prévenu Alain Vas, le 15 mai dernier, à l’EFB. Le changement est d’ailleurs déjà en cours, a souligné le vice-recteur de l’Université catholique de Louvain, également professeur en stratégie et gestion du changement à la Louvain School of Management, en préambule du colloque « L’électrochoc numérique ». Pour preuve, le « jeune Ross », a-t-il illustré. Entré dans un cabinet d’avocats américain il y a deux ans, « il réalise des tâches répétitives, ne va jamais plaider, prépare des dossiers pour les autres ». Ross, souvenez-vous, c’est l’intelligence artificielle développée par IBM à partir de l’ordinateur Watson. Ross dispose d’une mémoire des textes juridiques hors du commun, et il « est capable de trier des faits et de tirer des conclusions en traitant un milliard de documents par seconde », selon son fabricant. Bientôt, Ross rejoindra aussi nos cabinets français. D’ici là, comment aborder le changement numérique dans une organisation telle qu’un cabinet d’avocats ? Déjà, en changeant d’état d’esprit, a recommandé Alain Vas. Ce dernier s’est plu à appuyer son argumentation de manière symbolique – au sens littéral du terme, précisant que l’idéogramme chinois qui peut être traduit par le mot français « changement » vient en fait de la réunion de deux autres idéogrammes signifiant chacun « danger » et « opportunité ». Le changement serait-il alors une opportunité risquée ? « Je trouve que c’est un bon résumé. Car derrière toute transformation, il y a une révolution digitale qui fait peur, mais nécessairement aussi des opportunités à saisir », a-t-il assuré.

L’ÈRE DIGITALE DEMANDE UN CHANGEMENT SYSTÉMIQUEPar ailleurs, selon le professeur, l’ère digitale demande un changement systémique : « il faut essayer de se sortir d’un ancrage politique fort : notre ancrage cartésien », a-t-il invoqué. « Cet ancrage cartésien, on le ressent dans les cabinets d’avocats quand survient un problème : le cabinet adopte une approche analytique, et

décompose le problème pour trouver la cause. Dans une approche systémique, on s’intéresse moins aux causes, au pourquoi, mais on essaie de projeter son organisation, son cabinet, dans le "vers quoi" le système va vouloir évoluer, plutôt que comment on est arrivé à la situation », a expliqué Alain Vas. Il est alors fondamental, a-t-il indiqué, de considérer l’organisation comme un « système ouvert vers son environnement ».Penser un cabinet d’avocats comme un système, c’est le penser de façon schématique. Ce schéma, Alain Vas l’a détaillé ainsi : à l’instar de tout système, ce dernier comprend des intrants (des informations, des ressources humaines, des matières premières…), qui donnent des extrants (des produits, des services, des idées…), reliés entre eux par un processus dit de « transformation ». À côté de cela, explique-t-il, un système dispose toujours d’une « enveloppe de maintien », c’est-à-dire ce qui installe une routine de travail et assure un fonctionnement quotidien de l’organisation, du cabinet. Cette enveloppe est plus ou moins poreuse à des pressions venant de l’environnement ; or,

plus elle est robuste, moins l’organisation va être perméable au changement. « Ce qui fait le succès d’aujourd’hui est donc un atout, mais il sera d’autant plus difficile de comprendre que le système doit être transformé », a avancé le professeur en stratégie et gestion du changement. Il faut alors que certains extrants deviennent des « feedbacks », des retours. Cependant, tous ces retours ne vont pas être acceptés comme tels : l’équipe va les repousser si elle considère que ça ne va pas l’aider, a précisé Alain Vas. « La résistance au changement fait partie intrinsèque du système, cela constitue son enveloppe de maintien. Au lieu de considérer la résistance au changement comme quelque chose de critiquable, le feedback doit être traduit comme aidant à atteindre l’objectif et les missions identifiés. Si c’est le cas, le système va intégrer les nouveautés », a-t-il ajouté.

QUELS OBSTACLES AU CHANGEMENT ?Si la mondialisation et l’ouverture des frontières avaient déjà largement contribué à remettre son rôle en question, aujourd’hui pris dans l’électrochoc numérique, l’avocat voit à nouveau sa profession bouleversée, ce qui doit le conduire à réintorroger ses pratiques et son positionnement. Au sein du cabinet, d’abord, les changements vont toucher aux dimensions relationnelles et normatives, voire aux jeux de pouvoir. Il est donc nécessaire de travailler sur les changements que cela opère, a recommandé Alain Vas. Par ailleurs, individuellement, et de façon générale, le changement bouleverse les dimensions cognitives et émotionnelles de l’individu, introduisant souvent une ambivalence : « cognitivement, la personne va se dire que le changement est intéressant, mais, émotionnellement, qu’elle n’est pas prête », a affirmé le professeur. À ce titre, la courbe de transition du changement indique que chaque individu passe par différentes phases pour accepter un changement : le choc, la remise en question, la dépression, la remobilisation et le développement. Mais en pratique, toute personne ne suit pas forcément naturellement cette courbe, et doit être accompagnée dans le changement, a-t-il estimé. Un raisonnement entièrement applicable à l’avocat !

L’électrochoc numériqueTransformation de l’avocat : comment changer de modèle ?

En janvier 2017, la France comptait plus de 65 000 avocats. Si la profession a traversé les siècles, la révolution numérique, en ouvrant la connaissance, lui a fait perdre le (quasi)-monopole du savoir. Plus que cela, les avocats voient aujourd’hui leurs us et coutumes bouleversés. Lors d’un colloque organisé à l’EFB le 15 mai dernier, les positions étaient unanimes : plus de transparence, de transversalité ou encore de collaboration sont désormais les apanages indispensables pour faire face aux besoins des clients, eux aussi en pleine mutation.

EFB – Issy-les-Moulineaux (92), 15 mai 2018

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Éditeur : S.P.P.S. Société de Publications et de Publicité pour les Sociétés8, rue Saint Augustin — 75080 PARIS cedex 02R.C.S. PARIS B 552 074 627Téléphone : 01 47 03 10 10 — Télécopie : 01 47 03 99 00Internet : www.jss.fr — e-mail : [email protected]

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Vente au numéro : 1,50 € Abonnement annuel : 99 €

COPYRIGHT 2018Sauf dans les cas où elle est autorisée expressément par la loi et les conventions internationales, toute reproduction, totale ou partielle du présent numéro est interdite et constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

SOMMAIRE

NOUVELLES TECHNOLOGIES L’électrochoc numérique – Transformation de l’avocat : comment changer de modèle ? . . . . . . . . . . .2Avocats connectés, main dans la main avec le numérique et les legaltechs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

AGENDA 4

AU FIL DES PAGES Justice digitaleRévolution graphique et rupture anthropologique . . .7Le bénéficiaire effectif . . . . . . . . . . . . . . 19

VIE DU DROIT Défenseur des droits – Ne jamais détourner le regard Rapport d’activité de l’année 2017 . . . . . . . . . .8Exemples d’activités en 2017 . . . . . . . . . . 9Conseil d’État – Précision des modalités d’imposition des gains tirés de la cession de « bitcoins » par des particuliers . . .11Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce Lancement officiel du Fichier national des interdits de gérer

La tenue du fichier : une mission de service public . . 12Réforme du Code du travail – L’accord majoritaire devient la règle dans le cadre des négociations collectives . . . . .14

NOMINATION Conseil d’État – Bruno Lasserre nommé vice-président . .10

VIE DES CABINETS 15

JURISPRUDENCERévocation ad nutum du PDG de SA et respect du principe du contradictoire : le fond l’emporte sur la forme . . . . . .16

START-UP Entretien avec les fondateurs d’OppcarLe label garanti des voitures d’occasion en Essonne . .18

ÎLE-DE-FRANCE Association de défense contre les nuisances aériennesRestrictions d’avions bruyants la nuit . . . . . . . . 20

EMPREINTES D’HISTOIRE 1836 : dans quel palais de justice George Sand divorce-t-elle ? Et pourquoi ce divorce n’est-il pas un divorce ? . . . . . .21

ANNONCES LÉGALES 22

Stanislas Van Wassenhove, de son côté, a identifié une autre série d’obstacles. Selon l’avocat belge, une limite principale réside dans le tempérament « raisonnable » de l’avocat, notamment issu de sa formation. « Nous avons été formés à prévenir, distinguer, éviter les risques pour nos clients. Or, pour pouvoir assurer le développement du changement, il faut au contraire prendre des risques et jouer contre son tempérament, contre les enseignements que l’on a reçus », a-t-il commenté, lors de la table ronde. Autre obstacle à ses yeux : la manière dont les avocats perçoivent la propriété privée. « Nous sommes attentifs et fiers de la clientèle que nous avons développée, mais en même temps nous développons une propriété privée de ces clients. La preuve : nous avons de grandes difficultés à présenter nos clients à des confrères ! », a dénoncé Stanislas Van Wassenhove. Ce dernier l’a déploré : les avocats s’ancrent trop dans la concurrence ; et a appelé à faire évoluer la notion de propriété privée. Pour l’avocat belge, une autre limite vient de la manière dont les avocats « pensent le temps », a-t-il assuré. « Nous sommes toujours en retard : nous n’avons pas le temps de nous former, de prendre du recul, de nous occuper des équipes... Notre seul objectif est de faire le plus d’heures possible. Le temps, pour l’avocat, est quelque chose de limité, et qui le limite dans sa croissance et son chiffre d’affaires. Il pense que moins il fait d’heures, moins il aura de rentabilité et de cap de développement. »

« LE PLUS GRAND CHALLENGE DE L’AVOCATEST LA GESTION DE SON TEMPS »Car c’est un fait : l’avocat doit faire face à l’accélération, a reconnu Stanislas Van Wassenhove. « Le plus grand challenge de l’avocat, désormais,

est la gestion de son temps, car il ne parvient plus à être à la hauteur de cette accélération. Or, il est nécessaire de pouvoir suivre le rythme, et de répondre au besoin des clients d’être intégrés dans cette vitesse », a-t-il insisté. À cette vitesse, s’ajoute un autre challenge de taille : l’immensité des données à gérer, heureusement facilitée par « les capacités fantastique des processus : on parle de robotisation, de changements de systèmes économiques, puisque 40 % des activités industrielles vont être transformées », a mentionné Stanislas Van Wassenhove. Pour autant, émerge une problématique encore plus prégnante qu’auparavant : celle de pouvoir distinguer, au sein de cet énorme volume de data, un certain nombre de réponses pointues, de plus en plus précises. En effet, si l’avocat était considéré autrefois comme un expert ayant le monopole de la connaissance – c’est d’ailleurs sur cette base qu’il a développé ses activités –, bien qu’ayant perdu ce monopole, « il se doit de plus en plus de viser l’excellence, tout en étant compétent, rigoureux, et réactif », a déclaré Stanislas Van Wassenhove. Et de poursuivre : « L’avocat doit donc se consacrer à sa spécificité, et revenir à sa valeur-ajoutée, à son cœur de métier. C’est-à-dire supprimer, par le biais de la digitalisation, toutes les tâches répétitives, pour pouvoir accéder de façon plus rapide au cœur de l’information ». En parallèle, l’avocat belge a appuyé sur la nécessité d’aller plus loin dans la spécialisation.Ce dernier a par ailleurs souligné l’importance de développer la collaboration à l’intérieur du cabinet, mais aussi à l’intérieur de la profession, ou encore entre professions (comme collaborer avec des psychologues en matière de divorce, par exemple). « On doit devenir des avocats collaboratifs ! », a-t-il résumé. « Nous ne pourrons entrer dans ce projet du numérique que si nous nous professionnalisons : il nous faut désormais du culot pour investir dans de nouveaux collaborateurs, de nouveaux outils, et travailler dans une organisation plus globale. »

APPORTER UNE RÉPONSE TRANSVERSEET TRANSPARENTE Au titre de cette globalité, à côté de l’expertise pointue, l’avocat doit aujourd’hui apporter une réponse transverse au client – un autre enjeu de la révolution numérique. Car cette dernière modifie le comportement des clients, qui deviennent des clients digitaux, avec une volonté de comprendre, un besoin de réactivité. « Nos clients ont des attentes aussi en termes pédagogiques et d’écoute : ils ne se satisfont plus simplement d’une explication imposée car nous sommes sachants. Ils veulent recevoir un message transparent et ne se satisfont plus de l’information communiquée de haut en bas », a fait remarquer Stanislas Van Wassenhove.

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Nouvelles Technologies

Agenda

ÉCOLE DES AVOCATS DU SUD-ESTLes entretiens Portalis – Droit et numérique1er

Cour d’appel d’Aix-en-Provence – Palais Verdun – Salle A

[email protected]

EFB

pour les avocats

[email protected]

Quels outils pour la construction du droit de la en Europe ?

Université Panthéon-Assas

Les Rencontres du Commerce Coopératif

[email protected]

L’essor et la régulation des et le marché secondaire des jetons émis1er

[email protected]

La transparence : autre challenge amené par la révolution numérique, a estimé l’avocat. Se posent à cet égard nombre de questions, que les avocats doivent considérer : comment être plus transparent sur son mode de fonctionnement, sur ses tarifs ? Lorsque les avocats seront notés par leurs clients (ce qui est déjà le cas sur certaines plateformes), comment objectiver sa notation et l’accepter ? Comment va-t-on communiquer de manière plus simple et compréhensible à l’égard du client ? « Les outils, les plateformes, la circulation des informations, font que tout est transparent. Aujourd’hui, le premier réflexe d’un client est d’aller chercher des réponses à ses questions sur Google. Et même lorsqu’elles ont recours à des avocats, les personnes souhaitent savoir qui sont leurs interlocuteurs, elles vont chercher à comparer, etc. : tout cela a bien évidemment un impact sur le mode de fonctionnement des cabinets ! », a pointé Stanislas Van Wassenhove. Ainsi, de plus en plus de clients attendent que les cabinets transforment les outils de production grâce aux legaltechs. « Le client a besoin de comprendre, de participer à la solution, et que les cabinets soient capables de mieux communiquer, de mettre en place de nouvelles plateformes. Ce qui implique une transformation majeure en termes de modèle, car les cabinets vont devoir mettre à disposition des outils de partage et d’échange », a confirmé Jérôme Rusak, associé au sein du cabinet de conseil en stratégie Day One, spécialisé en directions juridiques et des cabinets d’avocats d’affaires.

« IL N’Y A PAS UN CLIENT, MAIS DES CLIENTSAVEC DES ENJEUX MULTIPLES »Mais pour envisager une totale transparence à l’égard du client, voire collaborer avec lui, encore faut-il l’écouter. Présentant une étude de Day One sur le cabinet d’avocat de demain, Jérôme Rusak a expliqué que sur les onze pratiques analysées au sein des cabinets d’avocats, la satisfaction clients est apparue comme l’avant-dernière pratique la plus mature. « En réalité, aujourd’hui en France, on n’analyse pas la satisfaction des clients », a-t-il regretté. Pourtant, en étudiant les critères de valorisation d’un cabinet d’affaires, dans le top 5 des critères, trois sont liés aux clients, a-t-il précisé, dont la fidélité des clients, la récurrence des missions, ou encore la satisfaction des clients. Jérôme Rusak a donc invité son auditoire, largement composé d’avocats, à être attentif à ses clients, pour mieux s’inscrire dans le bouleversement numérique. Ce qui signifie être dans l’échange, mais aussi comprendre comment les clients évoluent. Le spécialiste a notamment cité l’exemple des cabinets anglais qui se sont développés depuis quelques années en Europe et en Asie, car ils ont suivi le mouvement des clients. « Les clients "drivent" les cabinets et les font évoluer », a-t-il affirmé.Il est aussi nécessaire dans cette optique de savoir ce qu’est précisément un client, a-t-il mis en exergue

: « Il n’y a pas un client, mais des clients avec des enjeux multiples. Un non-juriste a besoin de quelqu’un qui va le guider dans un environnement complexe, de traduire pour lui ce langage juridique en langage simple, et l’aider à prendre une décision avisée par rapport aux risques, et aux enjeux. Dans d’autres configurations, on va peut-être avoir des compétences juridiques en interne, mais pas en quantités suffisantes. »Pour Jérôme Rusak, les clients, qui s’ancrent dans la révolution VTC (« Valeurs, Technologies, Collaboratif »), ont des attentes bien précises, en ayant recours à un cabinet d’avocats. Outre la transparence et la collaboration évoquées plus haut, ils recherchent de la valeur ajoutée, qui consiste en une aide à la décision : comment je prends la meilleure décision, la plus avisée ; comment mon avocat va m’apporter connaissance et assurance pour prendre mes décisions. « Cette valeur ajoutée n’est pas la même selon les situations, en fonction de l’urgence, du risque juridique, financier ou stratégique. Le client ne sera pas prêt à payer la même chose, selon qu’il a recours à un cabinet de niche ou non », a indiqué le spécialiste. Enfin, les clients veulent de la prévisibilité budgétaire. À ce titre, désignant l’évolution des attentes des clients avant 2016 et depuis 2016, Jérôme Rusak a mentionné qu’il s’agissait de l’élément qui avait le plus évolué, devenant bien plus important que par le passé – juste devant la disponibilité des équipes et l’implication de l’associé. Autant d’attentes qui placent l’avocat dans l’obligation de se réinventer : « Aujourd’hui, vous avez l’opportunité de le faire, et si vous ne le faites pas, de toute façon, d’autres cabinets le feront : alors, écoutez les clients, et adaptez-vous ! »

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Mi s e r s u r l ’ i n n o v a t i o n e t l a collaboration ; rendre le droit plus accessible : tel a été le pari de Jerœn De Man. L’avocat managing

partner chez De Groote-De Man, en Belgique, est parti du constat que les avocats étaient en retard sur l’innovation, et qu’il était urgent d’agir : « Il n’est pas forcément question d’IA tout de suite : pourquoi courir alors qu’on ne peut pas encore marcher ? Mais au moins commencer par adapter nos procédures, nos processus, aux standards d’aujourd’hui », a-t-il exposé, lors du colloque « L’électrochoc numérique ». Le cabinet s’est ainsi donné pour mantra « change, think, do and build » (changer, penser, faire et construire), qu’il s’est attaché à appliquer à la lettre. Jerœn De Man l’a fièrement revendiqué : « On était un cabinet classique, avec une façon de travailler classique. On a voulu tout revoir ». De Groote-De Man s’est donc entouré d’informaticiens pour créer une plateforme en ligne. Désormais, les procédures sont entièrement automatisées. Une digitalisation qui, selon l’avocat, vise la simplification administrative, le gain de temps, et rend la procédure moins coûteuse.De son côté aussi, le cabinet DLT Law, en Suisse, travaille avec des développeurs et des informaticiens : « On cherche d’autres compétences auxquelles s’associer, pour se sortir des schémas traditionnels en devenant partenaires de l ’écr i ture numérique », a indiqué Adrien Tharin. L’avocat genevois a quitté récemment un cabinet qu’il décrit lui-même comme « assez pyramidal, classique », pour devenir associé chez DLT Law, qu’il juge bien plus « connecté ». « Je suis devenu un avocat itinérant, je me déplace avec mon ordinateur, et c’est tout », a-t-il lancé. « C’est assez cocasse de faire venir un Suisse pour parler d’évolution », a-t-il néanmoins plaisanté, évoquant la célèbre phrase d’Albert Einstein : « j’aimerais mourir en Suisse, tout arrive avec 20 ans de retard ! ». L’avocat, également membre de l’executive board de la Swiss Legal Tech Association, l’a déploré : « En Suisse comme en France, de façon générale, on attend que le changement vienne d’ailleurs

et qu’une solution de masse nous tombe dessus pour faire face au défi numérique ». Prenant le contre-pied, DLT Law s’intéresse ainsi notamment à la blockchain. « Il y a des situations dans lesquelles l’exécution des obligations peut être automatisable. L’idée est de prendre des contrats, de les insérer sur des plateformes, et ensuite, que les processus soient validés automatiquement » – toujours vers un objectif d’accélération. D’autant que la blockchain résout notamment le problème de la confiance, a estimé Adrien Tharin : « Tout le monde a accès à une même base de données, inaltérable ! »

EUROJURIS DÉVELOPPE L’IA DANS DES PETITSCABINETS DE PROVINCEPour se moderniser, l’union peut faire la force. C’est en tout cas ce que revendique Eurojuris, réseau d’avocats et d’huissiers de justice, qui mise sur les legaltechs et les avocats connectés. À la tête du lab, Benjamin English, avocat associé chez Avril & Marion et vice-président d’Eurojuris, défend une démarche consensuelle : « En tant que réseau, on est une somme de cabinets indépendants, de comptabilités indépendantes, d’associés

jeunes et moins jeunes, de par is iens, de provinciaux, de juridique, de judiciaire, de cabinets récents et moins récents… Et quand le bureau d’Eurojuris prend la décision de passer des partenariats avec des legaltech, des programmes dédiés aux technologies et aux soft skills, et d’investir pour devenir start-upers, on ne peut pas l’imposer à tout cabinet. Mais notre rôle est d’avoir un discours ouvert par rapport à legaltech, et de faire en sorte qu’il soit suivi par un maximum de cabinets », a-t-il affirmé. Le vice-président d’Eurojuris l’a admis : cela demande un « travail pédagogique pour faire avancer les avocats et les élever ». « Le tout est d’arriver à leur expliquer que faire de la digitalisation n’est pas hors de portée : on peut en faire un peu comme Monsieur Jourdain fait de la prose, c’est-à-dire un peu sans le savoir ! ». Le but ? Se lancer dans la digitalisation pas par pas, ne serait-ce qu’en modifiant ses habitudes : opter pour le mail plutôt que pour le courrier papier, réflexe encore tenace chez certains avocats.À côté, Eurojuris se veut beaucoup plus ambitieux, vis-à-vis des cabinets davantage avides de numérique. Le réseau travaille donc avec des éditeurs de contenus juridiques

Avocats connectés, main dans la main avec le numérique et les legaltechs

Selon l’étude « Droit & digital : réalités et prospectives » réalisée en 2017 par le cabinet de conseil Day One, le nombre de legaltechs explose depuis 2013 et se concentre sur le marché BtoB – notamment la production de services juridiques. Aujourd’hui, ce segment « change de dimension » pour s’appuyer sur « des technologies de plus en plus poussées et de l’intelligence artificielle soft » . Un créneau d’opportunité sur lequel se rencontrent start-upers toujours plus créatifs et avocats audacieux – avocats qui n’hésitent pas à s’entourer de divers spécialistes du numérique et à transformer leurs pratiques pour mieux se moderniser.

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et l’intelligence artificielle. « Nous avons été les premiers à développer l’IA, depuis octobre dernier, dans des petits cabinets de province. Aujourd’hui, Eurojuris utilise Predictice, la solution de justice prédictive, au quotidien ». Par ailleurs, le Lab s’interroge sur la vocation des avocats à devenir start-upers, « sans pour autant devenir concurrents de nos partenaires, mais en développant des solutions sur lesquelles on a nos avantages : on connaît nos clients, on a une étiquette professionnelle et un réseau support », a argumenté Benjamin English.

TARIFS TRANSPARENTS, NOUVEAUX SERVICES EN LIGNE…LES AVOCATS DU NUMÉRIQUE S’ADAPTENT AU CLIENTLe focus sur le client reste également une priorité pour ces professionnels fortement ancrés dans le numérique. « On a organisé notre site internet de manière à rediriger les gens là où il faut, en "prémâchant" certaines questions. Ils arrivent avec des problèmes flous, et, en fonction d’une liste de questions : "à quoi ressemble votre projet", "que voulez-vous faire", etc., ils sont orientés », a notamment rapporté Adrien Tharin. Par ailleurs, le cabinet DLT propose des forfaits à côté des tarifs horaires, mais il accepte également les crypto-monnaies. Une façon de s’adapter au client.Jerœn De Man met aussi le client au cœur de ses réflexions pour mieux penser la profession : « Il faut penser de son point de vue, qui ne se résume au départ qu’à une chose : "je ne veux pas aller chez un avocat !" ». Dans un esprit de synthétisation et de clarification, sur son site, De Groote - De Man présente, dans un onglet assez singulièrement intitulé « produits », des prestations clairement définies, classées par problématiques (procédure d’expulsion, divorce, droit bancaire et financier…), dont il précise, pour chacune, le prix : variable ou fixe. Ainsi, pour optimiser leurs conditions d’achat ou de vente, les entreprises savent d’entrée de jeu qu’elles devront payer 500 euros. Le cabinet a, en outre, développé le service « Unpaid », pour lequel il a gagné le prix de l’innovation du Financial Times à Londres, en octobre dernier. Cette plateforme en ligne, lancée à la suite d’une modification législative qui permet désormais aux entreprises belges d’exiger le paiement des factures impayées sans passer par un tribunal, propose d’aider les entreprises dans leur démarche. Dans les faits, Unpaid vérifie si la facture est bien susceptible d’une plainte : si tel est le cas, la plainte est automatiquement envoyée à un huissier, qui reçoit à son tour un jugement électronique de la part d’un juge. Mis en place fin 2016, le service a déjà été utilisé par plusieurs centaines d’entreprises.Sur les nouveaux outils, Benjamin English a pour sa part fait le vœu que ceux permettant notamment la communication entre avocats

et clients évoluent : « la digitalisation doit passer par une réflexion sur la conservation des moyens d’échange faciles, usuels, comme les échanges par SMS », a-t-il affirmé. Pratique pour les clients, mais aussi pour les avocats : « Il faut davantage de logiciels qui permettent de stocker les échanges quand il y a un problème de responsabili té ». Car pour le vice-président d’Eurojuris, si la prise en compte du client change, la question de la responsabilité civile, pendant de la relation avocat-client, s’est elle aussi transformée. Ce dernier n’a pas manqué de mentionner le rapport Haeri, qui, selon lui, « précise que le marché évolue et que la nature des missions change, et qu’on ne peut pas exiger de l’avocat qu’il prouve qu’il a accompli son devoir de conseil sur tous les aspects du dossier. »La question de l’engagement de la responsabilité avocat tient cependant, selon Benjamin English, à la façon dont ce dernier a fait son travail, mais aussi à la confiance entretenue avec le client : « Certains avocats travaillent d’une façon "rapide" mais ont une telle relation avec le client qu’ils peuvent faire passer des approximations. D’autres sont d’excellents professionnels, sauf qu’ils savent moins communiquer, ils ont moins de talents pédagogiques, et vont faire naître dans l’esprit du client le sentiment qu’ils ont commis une faute, et leur responsabilité sera engagée ».

JUSTINIEN : UN « LEGALBOT » POUR L’INFORMATIONDES PARTICULIERS ET LA MISE EN RELATIONAVEC LES AVOCATSPour générer en amont la confiance d’une personne et la guider vers son futur avocat, Quentin Moreau, élève-avocat à l’EFB, diplômé de l’ESCP Europe et de la Sorbonne, a cofondé Justinien, le premier legalbot pour l’information des particuliers et la mise en relation avec les avocats. Il l’a avoué : « En tant que juriste,

j’étais très sollicité par des amis non juristes qui venaient me voir en permanence car ils avaient des questions de droit. J’ai eu ce fantasme de fainéant de me dire : est-ce que je ne pourrais pas trouver un outil qui le fasse à ma place ? ». Le futur avocat s’est en même temps rendu à l’évidence : les dispositifs déjà en place, bien qu’ayant le mérite d’exister, étaient « insuffisants pour répondre au besoin immense d’information des particuliers, et surtout arriver à en faire un outil qui puisse générer une attraction pour souscrire à des services payants d’avocats ou des professionnels du droit ». En passant en revue les systèmes permis par les dernières technologies, il découvre que Watson, l’outil d’intelligence artificielle d’IBM, propose un chatbot, un agent conversationnel automatique. « Je me suis alors intéressé à comment on pourrait être capable de tirer le meilleur de cette technologie pour répondre au besoin de vulgarisation juridique des particuliers », a exposé Quentin Moreau, qui s’est associé à un ingénieur-développeur et à un avocat. Actuellement, Justinien est en phase de développement. Le chatbox juridique vise à fournir une première information personnalisée, gratuite et anonyme, et permet à toute personne qui le consulte d’être mis en relation avec des avocats inscrits sur la plateforme. Le challenge est double : répondre à des questions générales que se posent les justiciables, afin d’identifier des secteurs de niche dans lesquels ces derniers ont un besoin d’information et où il serait important pour eux d’avoir un avocat – et donc les transformer en clients potentiels. D’autant que le traitement des questions juridiques récurrentes doit proposer une vraie valeur nouvelle pour les avocats, a précisé Quentin Moreau : « On veut prouver la valeur qu’un service de chatbot pourrait apporter à ce milieu professionnel,

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Page 7: L’électrochoc numérique les avocats · Le changement est d’ailleurs déjà en cours, a souligné le vice-recteur de l’Université catholique de Louvain, également professeur

Journal Spécial des Sociétés - Mercredi 30 mai 2018 – numéro 38 7

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qui a un besoin constant de renouveler sa clientèle et de créer sa notoriété en ligne, et de voir certains processus automatisés pour se concentrer sur sa valeur-ajoutée ».

« METTRE À DISPOSITION DES PROFESSIONNELS L’ENSEMBLE DES NORMES JURIDIQUES DANS LE MONDE »AVEC DOCTRINE.FRConcentrer l’avocat sur sa valeur ajoutée, autre leitmotiv de l’« électrochoc numérique ». En effet, « l ’ in térêt n ’est pas, pour le spécialiste, de passer son temps à rechercher l’information et à ne pas la trouver, surtout si elle peut faire basculer un dossier », a fait valoir Nicolas Bustamante. C’est justement dans cette optique que Doctrine a vu le jour, en 2016. Le moteur de recherche, destiné aux professionnels du droit, se veut « le plus grand fonds de décisions de justice », comme l’indique son site internet.« À l’origine de Doctrine, l’idée était de prôner l’ouverture et la transparence du droit, en mettant à disposition des professionnels l’ensemble des normes juridiques accessibles dans le monde », a argumenté son président et cofondateur. Nicolas Bustamante, ancien normalien, est parti d’un constat : en Europe et en France, le droit est encore trop peu accessible. Légifrance, lancé en 2001, s’est notamment imposé comme une référence, à ceci près que l’on y retrouve moins d’1 % de la production jurisprudentielle française, a-t-il nuancé. « Le gros problème du droit, encore

plus que dans d’autres disciplines, est que la quantité de données juridiques est plurielle. Elle explose, et tout va tellement vite qu’il est impossible d’utiliser des moyens traditionnels pour l’organiser », a pointé le président de Doctrine. Ainsi, selon lui, plus de huit millions de décisions sortent chaque année des tribunaux français, engendrant une multitude d’informations qu’il faut ensuite hiérarchiser – et c’est là que le bât blesse. « Jusqu’à maintenant, la solution dans les cabinets était d’engager des armées de stagiaires, équipées de moteurs de recherche traditionnels, pour faire des recherches de jurisprudence et constater l’état du droit à un moment donné. Mais les données vont continuer à augmenter, et si on ne change pas la capacité de traitement des machines, on aura beau aligner des personnes, elles ne pourront plus gérer cette avalanche ! »,a-t-il prévenu. Face à une information croissant à une vitesse exponentielle, parfois difficile d’accès, Doctrine met donc à disposition des décisions de justice que d’autres moteurs ne proposent pas, et notamment les décisions de première instance. « Dans les tribunaux de commerce, il n’y a que 14 % d’appel, donc si on n’a pas la première instance, on prive en termes de droit positif les juristes et les avocats de plus de 80 % des décisions rendues ! », a affirmé Nicolas Bustamante. L’entrepreneur, qui apparaît dans le palmarès européen 2018 des Under 30 de Forbes, s’est associé à deux mathématiciens spécialistes de

l’intelligence artificielle. Le but du recours à l’IA ? Trier la matière juridique en permanence ; utiliser la puissance des algorithmes pour « mapper le génome juridique », « comprendre à partir des travaux parlementaires quand est-ce que la loi rentre dans la législation, quel est son impact sur les décisions de justice, est-ce que cela provoque des revirements, quels sont les délais - bref, utiliser l’IA pour faire sens de tout ce contenu », a avancé Nicolas Bustamante. Ainsi l’IA condense la recherche juridique et appréhende les données pour le juriste, car, pour le président de Doctrine, il est fondamental de mettre à disposition toutes ces données,et de laisser ensuite le choix aux professionnels du droit de décider si ces contenus les intéresse ou non.Aujourd’hui, l’entreprise s’apprête à fêter ses deux ans. L’entrepreneur l’a assuré : ce qui fait le succès de Doctrine, est, à son sens, la collaboration de deux mondes ; les data scientists et les juristes. Preuve en est : l’entreprise recrute cinq à six personnes par mois. « Certains parlent d’ubérisation du droit, et disent que les avocats et les magistrats vont disparaître, a ajouté Nicolas Bustamante, mais la croissance de Doctrine illustre bien que le numérique va au contraire de plus en plus être au service des différents professionnels du droit pour les améliorer, et non les remplacer. »

Bérengère Margaritelli2018-3892

Remplacement des avocats par des robots, disparition des notaires, résolution des conflits en ligne, justice prédictive, état civil tenu par

la blockchain, généralisation des contrats en bitcoins échappant à tout contrôle (et à toute taxation) : le numérique n’en finit pas de bouleverser la justice en inquiétant les uns et en enthousiasmant les autres. Plutôt que de proposer un bilan de ces innovations, nécessairement prématuré, ce livre tente de situer l’épicentre anthropologique d’une déflagration provoquée par l’apparition d’une nouvelle écriture qu’il faut bien désigner comme une révolution graphique. La justice digitale alimente un nouveau mythe, celui d’organiser la coexistence des hommes sans tiers et sans loi par un seul jeu d’écritures, au risque d’oublier que l’homme est un animal politique.

À propos des auteurs : A n t o i n e G a r a p o n e s t m a g i s t r a t e t secrétaire général de l’Institut des hautes études sur la justice. Il est l’auteur, aux Puf, de Démocrat ies sous stress (avec Michel Rosenfeld, Puf, 2017) et de Deals de justice (avec Pierre Servan-Schreiber, Puf, 2013).Jean Lassègue est chercheur au CNRS, attaché à l’Institut Marcel Mauss (EHESS, Paris). Ses travaux portent notamment sur l’informatique comme étape dans l’histoire de l’écriture (Turing , Les Belles Lettres, 1998).

Justice digitale, Révolution graphique et rupture anthropologique,

Antoine Garapon, Jean Lassègue,

Éditions PUF, 368 pages – 21 euros.

2018-3833

Justice digitaleRévolution graphique et rupture anthropologique

D.R

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