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GERMAINE FURAHA – JEAN-LUC MASTAKI – PHILIPPE LEBAILLY L’IMPACT DES ACTIVITÉS NON AGRICOLES SUR LA PAUVRETÉ ET L’INÉGALITÉ RURALES DANS LES GROUPEMENTS BUGORHE ET IRHAMBI-KATANA (TERRITOIRE DE KABARE, PROVINCE DU SUD-KIVU) 1. Introduction Pour les pays en développement, la pauvreté est considérée aujourd’hui comme l’un des grands défis du 3 ème millénaire. En République Démocrati- que du Congo (RDC), ce défi est loin d’être relevé. Les richesses et toutes les opportunités de développement dont dispose la RDC contrastent avec la pauvreté de sa population. Depuis les années 1990, le pays enregistre une croissance annuelle négative de l’IDH depuis 1990 et en 2013, il est classé 186eme sur les 187 pays examinés avec un IDH de 0,338 1 . La pauvreté en RDC est un problème de masse, généralisé et chronique. Le taux national de pauvreté monétaire 2 est de 71,3 %. En milieu rural où vivent 80% de la po- pulation congolaise, il atteint 75,72% (PNUD, 2009). En l’absence d’une politique efficace de redistribution de richesses (ré- duction des inégalités), l’augmentation des revenus par la diversification des activités fait partie des stratégies des ménages à améliorer leur niveau de vie. Le revenu tiré des activités non agricoles occupe une place de plus en plus importante dans le développement durable et la réduction de la pauvreté des zones rurales. Zhu (2005) identifie les canaux suivants à travers lesquels l’activité non agricole peut influencer l’économie rurale. Premièrement, l’emploi non agricole réduit la pression sur la terre dans les zones pauvres. L’activité non agricole peut donc contribuer à la sortie du cercle vicieux de « pauvreté - culture extensive - dégradation écologique - pauvreté ». Deuxiè- mement, le revenu provenant de l’activité non agricole peut augmenter signi- ficativement le revenu des ménages et leur capacité à investir dans l’agriculture, réduire les fluctuations de revenu, et permettre l’adoption de technologies agricoles plus risquées mais plus rentables. Cela favorise la _______________ 1. Rapport du PNUD sur le développement humain 2014 : Pérenniser le progrès humain, réduire les vulnérabilités et renforcer la résilience. 2. La ligne de pauvreté est mise à 420 FC par personne par jour (1,96 PPP$, prix de 2005) en milieu urbain, et 268 FC par personne par jour (1,25 PPP$, prix de 2005) en milieu rural. (Gouvernement de la République Démocratique du Congo, op. cit., p. 22). Le seuil de besoin alimentaire en milieu rural est de 171,2$/an/pers (le seuil était de 97.655FCFA au taux de 570,43FCFA le $ en janvier 2005).

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GERMAINE FURAHA – JEAN-LUC MASTAKI – PHILIPPE LEBAILLY

L’IMPACT DES ACTIVITÉS NON AGRICOLES SUR LA PAUVRETÉ ET L’INÉGALITÉ RURALES

DANS LES GROUPEMENTS BUGORHE ET IRHAMBI-KATANA (TERRITOIRE DE KABARE, PROVINCE DU SUD-KIVU)

1. Introduction

Pour les pays en développement, la pauvreté est considérée aujourd’hui comme l’un des grands défis du 3ème millénaire. En République Démocrati-que du Congo (RDC), ce défi est loin d’être relevé. Les richesses et toutes les opportunités de développement dont dispose la RDC contrastent avec la pauvreté de sa population. Depuis les années 1990, le pays enregistre une croissance annuelle négative de l’IDH depuis 1990 et en 2013, il est classé 186eme sur les 187 pays examinés avec un IDH de 0,3381. La pauvreté en RDC est un problème de masse, généralisé et chronique. Le taux national de pauvreté monétaire2 est de 71,3 %. En milieu rural où vivent 80% de la po-pulation congolaise, il atteint 75,72% (PNUD, 2009).

En l’absence d’une politique efficace de redistribution de richesses (ré-duction des inégalités), l’augmentation des revenus par la diversification des activités fait partie des stratégies des ménages à améliorer leur niveau de vie. Le revenu tiré des activités non agricoles occupe une place de plus en plus importante dans le développement durable et la réduction de la pauvreté des zones rurales. Zhu (2005) identifie les canaux suivants à travers lesquels l’activité non agricole peut influencer l’économie rurale. Premièrement, l’emploi non agricole réduit la pression sur la terre dans les zones pauvres. L’activité non agricole peut donc contribuer à la sortie du cercle vicieux de « pauvreté - culture extensive - dégradation écologique - pauvreté ». Deuxiè-mement, le revenu provenant de l’activité non agricole peut augmenter signi-ficativement le revenu des ménages et leur capacité à investir dans l’agriculture, réduire les fluctuations de revenu, et permettre l’adoption de technologies agricoles plus risquées mais plus rentables. Cela favorise la

_______________

1. Rapport du PNUD sur le développement humain 2014 : Pérenniser le progrès humain, réduire les vulnérabilités et renforcer la résilience.

2. La ligne de pauvreté est mise à 420 FC par personne par jour (1,96 PPP$, prix de 2005) en milieu urbain, et 268 FC par personne par jour (1,25 PPP$, prix de 2005) en milieu rural. (Gouvernement de la République Démocratique du Congo, op. cit., p. 22). Le seuil de besoin alimentaire en milieu rural est de 171,2$/an/pers (le seuil était de 97.655FCFA au taux de 570,43FCFA le $ en janvier 2005).

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transformation de l’agriculture traditionnelle en une agriculture moderne. Troisièmement, le revenu non agricole est souvent une source d’épargne, et joue ainsi un rôle de sécurité alimentaire. Les ménages ayant diversifié leur revenu par l’activité non agricole seront plus aptes à surmonter les chocs négatifs.

Par ailleurs, beaucoup de recherches montrent que l’activité non agrico-le a un impact important sur la distribution de revenu. Son effet dépend à la fois de la place qu’occupent les ménages dans l’échelle sociale et du type d’activité non agricole. Les résultats varient selon la région et la méthode d’analyse utilisée. La distribution du revenu non agricole est plus inégale que celle du revenu agricole. En améliorant dans l’ensemble le revenu rural, la participation à l’activité non agricole pourrait accroître les disparités de revenu, surtout dans les zones pauvres. Les modalités de diversification des activités entretiennent des liens étroits avec la pauvreté et ce à double titre : la forme de pluriactivité mise en œuvre par l’agent a des répercussions direc-tes sur le bien-être économique et la pauvreté.

A partir des données de l’enquête réalisée en 2012 sur la situation de vie socioéconomique des ménages ruraux, le présent article compare le niveau de pauvreté et d’inégalité pour les ménages qui ne pratiquent que l’agriculture et les ménages qui en plus de l’agriculture pratiquent le com-merce. L’objectif de l’étude est de savoir (1) pourquoi les ménages n’abandonnent pas l’agriculture en faveur de l’activité non-agricole plus ren-table mais plutôt préfèrent combiner les deux, (2) Quel serait l’impact de l’activité non agricole sur la pauvreté et l’inégalité rurale ? Le but de l’étude est de mieux connaître les interactions entre pluriactivité et pauvreté pour révéler quelques pistes d’orientation des politiques de réduction de la pau-vreté adaptées au contexte du milieu et à impact direct sur le niveau de vie des ménages pauvres. L’idée de base est de présenter la pluriactivité comme un palliatif au problème de pauvreté. On suppose a priori que la pluriactivité réduirait l’inégalité de revenu entre les ménages ruraux tout en démontrant la place toute particulière du secteur agricole dans le processus de développe-ment durable.

Après la section introductive qui circonscrit l’étude, la deuxième sec-tion, présente brièvement le lien entre la diversification des activités, la pau-vreté et l’inégalité. La troisième section présente les méthodes d’analyse des données recueillies en utilisant l’approche considérant le revenu non-agricole comme un « transfert exogène » au revenu agricole dans un con-texte rural. La quatrième section présente et commente les résultats. Enfin, la cinquième section présente la conclusion.

2. Diversification des activités, pauvreté et inégalité rurales : aspects théoriques

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2.1. Diversification des activités : une stratégie de réduction de pauvreté et d’inégalité.

Dans les pays en développement, la réduction de la pauvreté et des iné-galités s’organise de plus en plus autour de la notion de croissance pro-pauvres (pro-poor growth) (Lopez, 2004 ; Fuentes, 2005) : en combinant une croissance positive à une augmentation de la part du revenu national détenue par les pauvres, on arrive mécaniquement à une réduction de la pauvreté plus forte que si le revenu des pauvres augmente moins ou aussi vite que celui du reste de la population. On considère qu’un individu dans une société donnée est pauvre lorsque son niveau de vie est inférieur à un seuil de pauvreté défi-ni comme un minimum jugé acceptable sur la base des coutumes et normes culturelles en vigueur. On parle là de la pauvreté absolue.

En croissance, la baisse de la pauvreté absolue dépend de deux fac-teurs : (1) pour une distribution relative des revenus inchangée, une aug-mentation du revenu moyen conduit à une réduction de la pauvreté, (2) à revenu moyen constant, toute redistribution des revenus en faveur des pauvres conduit au même effet. C’est ainsi que se définit une croissance pro-pauvre (pro-poor growth), toute croissance positive accompagnée d’une augmentation de la part du revenu national détenue par les pauvres. Une me-sure habituelle de l’inégalité est d’ailleurs constituée par la part du revenu détenu par la fraction (généralement 20%) la plus pauvre de la population. L’impact de la croissance économique sur la pauvreté dépend pour beaucoup des inégalités initiales (Banque mondiale, 2001). En faisant quelques hypo-thèses sur la distribution des revenus et son évolution, des travaux montrent que les inégalités constituent une dimension importante de la lutte contre la pauvreté. Pour Bourguignon (2002), la réduction des inégalités génère un « double dividende » : elle contribue à réduire la pauvreté (effet de redistribu-tion), et cette baisse entraîne une accélération du rythme de réduction de la pauvreté (l’élasticité du taux de pauvreté au revenu moyen dépend de façon étroite et négative du degré d’inégalité des revenus).

2.2. Diversification des activités : une stratégie de gestion de risque

La volatilité importante des prix agricoles et des aléas climatiques sont autant des facteurs de fluctuations des revenus des ménages en milieu rural. Pour faire face au risque, les ménages peuvent agir de trois manières : (1) s´organiser, avant l´événement, pour limiter la possibilité qu´il se produise (stratégies de prévention) ; (2) s´organiser pour essayer de réduire les effets négatifs de l´événement, si celui-ci se produisait (stratégies de mitigation) et (3) essayer de s´adapter aux effets de l´événement après que celui-ci ait eu lieu (stratégies d´adaptation). Mais cette façon d’agir dépend du type de ris-que et exige une certaine capacité (financière, technique et organisationnelle)

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à le prévenir ou à le gérer. A la suite de Murdoch (1999), cité par Delcroix en 2004, on distingue les risques idiosyncratiques (probabilité de survenance d’un choc qui touche un ménage particulier, indépendamment des autres, par exemple la perte d’un emploi, la maladie) des risques covariants (probabilité de survenance d’un choc qui affecte l’ensemble d’une communauté ou d’une région, l’exemple type est le choc climatique). Dans le cas des risques idio-syncratiques, la gestion par assurance mutuelle au sein de la société, est rela-tivement efficace. En revanche, lorsque le risque est covariant, cette solution n’est plus tenable. La gestion du risque doit alors reposer sur des transferts extérieurs à la communauté (crédit, assurance) ou des transferts intertempo-rels (épargne de précaution). Cependant, dans les pays en développement, et peut-être plus particulièrement en zone rurale, les marchés formels sont sou-vent défaillants et inaptes à assurer correctement les ménages. En l’absence de marchés de crédit et d’assurance, les ménages engagent donc des ressour-ces substantielles pour stabiliser leur flux de revenu et se prémunir des conséquences néfastes de telles fluctuations (Bardhan et Udry, 1999). Les stratégies propres au ménage, c’est-à-dire la recherche d’une assurance indi-viduelle ou auto-assurance est plus souvent la constitution des réseaux so-ciaux et les groupements d´épargne de précaution ou tontines ou encore la diversification de leurs sources de revenus (diversification des cultures, éle-vage, petit commerce) qui jouent, dans ce contexte, un rôle central.

3. Milieu d’étude et méthodologie

3.1. La zone d’étude

Située à l’Est de la RDC, la province du Sud-Kivu occupe 3% de la su-perficie du pays, soit 69.130 km. En plus de la Ville de Bukavu, son chef-lieu, le Sud-kivu est subdivisé en huit territoires, à savoir : Fizi, Idjwi, Ka-bare, Kalehe, Mwenga, Shabunda, Uvira et Walungu. Ci-dessous, la carte de la province du Sud-kivu. Le territoire de Kabare, qui fait l’objet de la pré-sente étude, est localisé entre 28°45’ et 28°55’ de longitude et 2°30’ et 2°50’ de latitude sud. Il est composé de deux collectivités (chefferies) qui sont notamment la collectivité de Nindja et celle de Kabare. Cette dernière est subdivisée en quatorze groupements : Bugorhe, Irhambi-katana, Bushumba, Bugobe, Bushwira, Cirunga, Ishungu, Lugendo, Luhihi, Kagabi, Miti, Mu-daka, Mudusa et Mumosho.

L’étude porte sur deux groupements du territoire de Kabare présentés en bleu sur la carte ci-dessus. Il s’agit du groupement de Bugorhe (108km²) et celui d’Irhambi-Katana (117 km²) qui sont situés à environ 30km de la ville de Bukavu pour le premier et 55km pour le deuxième. L’aéroport provincial se trouve à Kavumu (dans le groupement Bugorhe) où se concentre la ma-jeure partie de la population (42.680 habitants) répandue sur 7 localités, à

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savoir Kamakombe, Nyamakana, Kashenyi, Buhandahanda, Bishibiru, Che-gera, et Kankule. Le Groupement d’Irhambi-Katana (où se trouve le centre Katana) est constitué de 6 localités dont Mwanda (906,3 hab/Km2), Kahun-gu (562,2 hab/km2), Kabushwa (566 hab/km2), Mabingu (456,7 hab/Km2), Kadjuchu (529,9 hab./km2) et Kabamba (472,1 hab/km2). La densité moyenne de la population est de 577,4 habitants/Km2 (Rapport de l’État Ci-vil de Chibimbi, 2010).

Figure n°1 : Carte de la province du Sud-kivu. Sources : google maps https://www.google.be/maps/place/Sud-Kivu.

Les groupements de Bugorhe et d’Irhambi-Katana sont compris entre 2° et 2° 50’ de latitude Sud et 28° 30’ de longitude Est entre 1470 m et 2200 m d’altitude. Ils bénéficient d’un climat tropical humide comprenant une longue saison de pluies de 9 mois (de septembre à mai) et une courte saison sèche de 3 mois (de juin à août). La température annuelle moyenne de l’air est de 19,5°C, l’humidité relative varie entre 68 et 75 % (service climatolo-gique de CRSN-Lwiro, 1973–2008) et la pluviosité annuelle est de 1500

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mm. La végétation est constituée d’une savane cultivée qui a remplacé la forêt à Albizia grandibacteata original (Bagalwa et al, 2013). Les caractéris-tiques climatiques ci-dessus laissent croire que l’activité agricole y est favo-rable. En effet, cette dernière occupe 92,6% des ménages mais les sols sont de plus en plus épuisés. La forte densité démographique a transformé le pay-sage en un damier de très petites parcelles, cultivées sans respecter le temps de repos des sols (jachère). Bien plus, en la quasi-absence de variétés amé-liorées, de produits phytopharmaceutiques et d’engrais chimiques, la seule manière de s’en sortir est d’amener de la matière organique aux sols et de corriger progressivement leur acidité (pH) par des applications de travertin ou de chaux ; deux opérations difficiles, lentes et onéreuses. (De Failly, 2000). Grace à la présence d’une route nationale en bon état (asphaltée de Bukavu à Kavumu) qui lie la zone d’étude au centre urbain (Bukavu), le commerce est la seconde activité pratiquée par les ménages et favorise ainsi une forte concentration de la population le long de cette route.

3.2. Méthodologie

Le choix de Kavumu et Katana dans la présente étude porte sur les cri-tères en rapport avec l’objet de l’étude. En effet, Kavumu est le centre du groupement de Bugorhe caractérisé par un dynamisme d’activités économi-ques, une concentration très forte de la population rurale et où on retrouve l’aéroport provincial. C’est principalement dans cette partie où se dévelop-pent non seulement l’agriculture mais aussi les activités commerciales. Ka-tana est reconnu comme le grand centre commercial du territoire de Kabare où viennent s’approvisionner les commerçants et consommateurs de cette partie du territoire mais également du centre urbain (la ville de Bukavu). On y retrouve également ce dynamisme à la fois commercial et agricole. Comp-te tenu de l’indisponibilité des statistiques pour la base de sondage des mé-nages commerçants, nous nous sommes référés aux listes des commerçants disponibles auprès des services étatiques. Afin de nous familiariser du milieu d’étude et de tester notre questionnaire d’enquête, une phase de pré-enquête a donc précédé l’enquête proprement dite.

3.2.1. Echantillon

L’approche de stratification a été retenue où le tirage d’échantillons a été indépendant dans chaque strate. Deux strates homogènes ont été ainsi constituées : la strate des agri-commerçants3 et la strate des agriculteurs.

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3. L’appellation agri-commerçant sera utilisée pour désigner le ménage qui diversifie ses activités économiques, c’est-à-dire, à part l’activité agricole, le chef de ménage ou son épouse exerce une activité commerciale reconnue par le service étatique et qui possède un lieu

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Pour déterminer l’échantillon dans la première strate, un échantillonnage systématique a été retenu. Nous avons consulté les listes contenant tous les commerçants obtenues au bureau territorial de taxation. La taille d’échantillon de 10% a été choisi avec comme intervalle de sélection (k = 10), de façon à ce que chaque élément de la liste touché par l’intervalle k soit inclus dans l’échantillon, l’origine ayant été choisie au hasard entre 1 et k. Ainsi, pour un effectif de 372 commerçants à Katana, un échantillon total de 37 a été obtenu et pour un effectif de 320 commerçants à Kavumu, 32 ont été retenu comme échantillon.

Concernant les ménages agriculteurs4, un échantillonnage par quotas a été retenu. C’est une technique non probabiliste consistant à imposer aux enquêteurs des quotas de certains types de personnes à interroger. Un échan-tillon de 34 ménages agriculteurs à Katana et de 34 ménages à Kavumu a été retenu. L’enquête a donc été faite de manière à ce que le nombre retenu de personnes (quotas) soit atteint. Ainsi, les unités sollicitées qui ne sont pas disposées à participer étaient simplement remplacées par d’autres qui le sont, et l’on ignore en fait le biais de manque de réponse. Au total 137 ménages constituent l’échantillon dont 71 à Katana et 66 à Kavumu. Lors du dépouil-lement, une perte de deux grilles a été constatée.

3.2.2. Unité d’analyse

Pour comprendre les comportements microéconomiques des popula-tions rurales, et donc leur choix relatif à l’activité et à l’affectation des reve-nus, il est nécessaire de trouver une unité pertinente d’analyse. En économie, le ménage est l’unité de base pour étudier les comportements individuels en termes de consommation, de production, d’investissement et d’épargne. L’économie des ménages s’intéresse, plus particulièrement, au processus et au résultat de l’allocation des ressources entre les différents individus qui composent le ménage (Haddad et al., 1997). Dans le contexte de cette étude, l’unité d’analyse est le ménage correspondant à la fois à une unité de produc-tion et de consommation. Dans le territoire de Kabare, le ménage représente un modèle coopératif où le pouvoir de négociation influe sur toutes les déci-sions au sein du ménage. Ce pouvoir peut être monétaire mais aussi coutu-mier. Il s’agit en fait d’un ménage où le chef (l’homme) détient le pouvoir et les moyens matériels, financiers et coutumiers pour influencer toute décision de choix d’activité ou d’affectation des revenus.

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de vente au marché local (boutiques, kiosques, étables, etc.). Le ménage peut avoir d’autres sources de revenus comme les dons, les transferts ou le salariat agricole.

4. L’appellation agriculteur sera utilisée pour désigner le ménage dont le chef de ména-ge ou son épouse n’a comme activité économique que l’agriculture et dont dépend la survie des membres du ménage. Au delà de cette ressource, il n’a comme autre source de revenus que les dons, les transferts ou le salariat agricole.

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3.2.3. Détermination des revenus des ménages

Le revenu des ménages a été déterminé en considérant le revenu issu de chaque activité du père et de son (ses) épouse(s). Pour l’activité agricole, le revenu a été obtenu par la différence entre les revenus d’exploitations : la valeur de la production commercialisée et de celle autoconsommée, obtenue par la différence entre la production totale et la production vendue et valori-sée au prix du marché (Mesliand, 1989) et les charges d’exploitations sup-portées pour l’activité agricole : les intrants, la main d’œuvre familiale et salariale, les fermages et métayages, les intérêts payés. En ce qui concerne l’activité non agricole, il a été question d’inventorier les différents produits commercialisés. Ainsi, le coût de revient de chaque produit a été calculé puis comparé par son prix de vente. L’étude a pris en compte le salariat agricole, les dons et transferts que reçoit le ménage. Pour calculer les revenus, nous nous sommes contentés des déclarations des interviewés qui ne sont que des estimations étant donné qu’ils ne possèdent pas de documents de gestion sauf pour certains qui disposent uniquement d’un document qui enregistre les articles achetés et les articles revendus. A l’issu de l’interview, différen-tes autres charges supportées ont été dégagées et prises en compte dans le calcul. Signalons en plus que le revenu concerne réellement la période pen-dant laquelle les enquêtes ont été menées (un mois), les fluctuations de reve-nus selon les périodes ne sont pas ici prises en compte. Par ailleurs, les ques-tions ouvertes ont permis à l’enquêté de faire référence aux situations pas-sées pour expliquer sa situation actuelle.

3.2.4. Analyse des inégalités des revenus

Le phénomène de l’inégalité est une caractéristique structurelle des pays en développement (Montaud, 2003). Etroitement lié à la pauvreté, ce phé-nomène continu de susciter un intérêt croissant de la part des économistes du développement, depuis les premiers bilans sociaux des politiques d’ajustement structurel. L’indice de Gini est utilisé très souvent pour mesu-rer les inégalités car il possède des propriétés intéressantes à savoir : (1) il n’est pas modifié si tous les revenus varient d’un même pourcentage ; c’est donc un indicateur d’inégalités relatives, (2) un transfert de revenu d’un in-dividu riche vers un individu pauvre diminue la valeur de l’indice (Simon-net, 2009). L’indice ou le coefficient de Gini est compris entre 0 et 1. En cas d’égalité parfaite, il est égal à 0. En cas d’inégalité totale, il est égal à 1. Par conséquent à mesure que ce coefficient augmente de 0 à 1, l’inégalité de la répartition augmente. Brown (1994) propose une formule permettant de calculer directement l’indice de Gini à partir des fréquences cumulées des revenus et de la population classée en tranches de revenus. Pour n tranches, le coefficient s’obtient par la formule de Brown suivante :

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Dans cette expression et sont respectivement la part des effectifs

cumulés et des revenus cumulés de la tranche dans une population divisée en classes allant de 1 à.

La décomposition de l’indice de Gini

La décomposition de l’indice de Gini est souvent utilisée dans l’analyse

de l’inégalité de revenu (Pyatt et al. 1980 ; Stark, 1991, Zhu et Luo, 2005).

Supposons que , …, représentent k composantes du revenu du ménage et le revenu total tel que :

Le coefficient de Gini du revenu total, , peut être décomposé sous la forme suivante :

οù = représente la part de la composante k dans le revenu total,

est l’indice de Gini correspondant à la composante k ; et est la corrélation de Gini de la composante k avec le revenu total. Si = 1, la source est une fonction croissante du revenu total. Si = -1, la source est une fonction décroissante du revenu total. Enfin, si = 0, la source de revenu est également et identiquement distribuée, donc sa contribution à l’inégalité totale est nulle.

L’analyse des inégalités par la décomposition de l’indice de Gini permet de connaitre le rôle des différentes composantes du revenu en trois termes interprétables : (1) l’importance relative de la composante k dans le revenu total , (2) l’inégalité dans la distribution de cette composante et (3) la corrélation de cette composante avec le revenu total .

Pour saisir l’effet du revenu non agricole sur l’inégalité, nous compa-rons l’indice de Gini du revenu total, (qui comprend la contribution de

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l’activité commerciale) et celui du revenu agricole. Si est moins im-portant que , le revenu issu du commerce réduit l’inégalité de revenu ; et vice-versa.

3.2.5. Mesure de la pauvreté absolue

L’indicateur de bien-être retenu pour mesurer la pauvreté monétaire est la consommation en fonction de la ligne de pauvreté qui a été déterminé sur base des estimations du coût des denrées alimentaires de base, à savoir le cout d’un panier de produits nutritionnels considéré comme un minimum pour assurer le maintien en bonne sante d’une famille type. Cette ligne est de 171,2$/an/personne dans le ménage5 dans le milieu rural congolais. La pau-vreté est analysée ici en nombre de ménages : il s’agit de la part de ménages de chaque strate qui vivent en état de pauvreté, ceux pour lesquels le revenu se situe en dessous de la ligne de pauvreté. Nous utilisons les trois premières mesures de la pauvreté de la classe FGT (Foster, Greer et Thor-becke 1984) sont analysées ici à savoir, le nombre des ménages pauvres (incidence de la pauvreté), l’écart de pauvreté (la profondeur de la pauvreté) et l’écart de pauvreté au carré (la sévérité de la pauvreté)6. Ces trois mesures de la pau-vreté sont analysées à partir de la formule suivante :

avec α ≥ 0

Z : seuil de pauvreté (ce seuil est de 171$/an/personnes) Yi : dépenses de consommation pour un équivalent adulte i d’un ména-

ge i α : Coefficient qui reflète le degré d’aversion à la pauvreté ; ce paramè-

tre peut prendre n’importe quelle valeur positive ou nulle. Plus grande est sa valeur, plus grand est le poids des extrêmes pauvres, c’est-à-dire des person-nes les plus éloignées du seuil de pauvreté (Ravallion, 1992). De ce fait, le paramètre α ≥ 0 joue le rôle «d’aversion pour la pauvreté». Plus α est élevé, plus l’aversion pour la pauvreté est grande, c’est-à-dire plus le coefficient de pondération attaché aux individus les plus pauvres est important. Concrète-ment, Pour α = 0, on a qui représente l’incidence ou le taux de pauvreté.

Pour α = 1, on a l’indice , qui mesure la profondeur de la pauvreté et l’écart moyen des pauvres par rapport au seuil de pauvreté. Enfin, pour α =

_______________ 5. Etude conjointe entre la Banque Mondiale, AFRISTAT et l’INS congolais en 2005. 6. * Aline Coudouel, Jesko S. Hentschel et Quentin T. Wodon (2002), Mesure et analy-

se de la pauvreté. 7. * Foster, J. E., J. Greer, and E. Thorbecke. 1984. « A Class of Decomposable Poverty

Indices » , Econometrica, 52(3): 761–766.

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2, on a , l’indice qui mesure la sévérité ou encore l’intensité de la pauvre-té entre les pauvres.

n : la taille de l’échantillon pour le groupe considéré ; ρ : le nombre de personnes ou ménages pauvres. Comme on le voit aisément, le FGT est basé sur des écarts de pauvreté

normalisés (terme entre parenthèses), qui sont ensuite élevés à la puissance α. La propriété intéressante de cet indice est qu’il change de forme en fonc-tion des différentes valeurs de α. Quand α augmente, le coefficient de pon-dération des personnes plus pauvres augmente, puisque leurs écarts plus im-portants ont davantage de poids que les écarts plus faibles des personnes re-lativement moins pauvres. Quand α→ ∞, l’indice FGT ne prend en compte que les très faibles revenus.

4. Résultats

4.1. Caractéristiques des ménages

Les caractéristiques des ménages présentées dans le tableau ci-dessous ne sont pas exhaustives mais nous permettent tout de même d’avoir une vue d’ensemble sur le type de ménages en étude.

Tableau n°1 : caractéristiques des ménages

Variables Tous ménages Agri-culteurs

Agri- commerçants

Sexe du chef de ménages :

75 (55,6%) 27 (39,7%) 48 (71,6%) - Homme

- Femme7 60 (44,4%) 41 (60,3%) 19 (28,4%)

Age moyen du chef de ménage 36 40 32,2 Nombre moyen d’années de scola-risation 3,41 2,22 4,89 Ancienneté dans le milieu (en an-nées) 25,1 28,7 21,5

Taille moyenne des ménages 7 8 6 Nombre de travailleurs dans le ménage 2,61 2,15 3,07 superficie de champs par ménage (en ha) 1,12 1 1,24

Mode d’acquisition des champs :

- Location : 49 22 26

_______________ 7. Le chef de ménage femme est dans le cadre de cette étude une femme assurant seule

la vie socioéconomique de son ménage. Elle peut être veuve, divorcée, abandonnée par le mari qui s’est en allé pour une autre femme, dont le mari est en voyage pendant plus de deux ans et sans nouvelles ou appui financier à sa famille (ici c’est souvent les hommes qui sont partis dans les carrières minières).

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- Propriétaire : 86 46 40

*héritage 63 41 21

*achat 23 5 19 Les femmes sont devenues de plus en plus actives dans la vie économi-

que de leurs ménages. Dans l’échantillon total, elles représentent 44,4% dont 60,6% sont impliquées dans l’agriculture et 28,4% dans le commerce essen-tiellement des produits agricoles (la commercialisation d’une partie de leur production agricole). Elles ont l’obligation coutumière de cultiver pour nour-rir leurs ménages. Par contre, les hommes s’intéressent plus aux activités procurant des revenus (commerce et culture commerciale), ce qui justifie leur forte présence dans l’activité commerciale (71,6%). Cette situation s’explique aisément par le pouvoir monétaire et coutumier dont dispose les hommes dans la société sous étude. Ils gèrent et décident de l’utilisation de l’argent. En croisant l’âge et le niveau d’étude, il ressort que les plus jeunes (32 ans en moyenne) et les plus instruits (5 ans d’études en moyenne) sont plus entreprenants et diversifient leurs activités.

Environ trois personnes, dont les deux parents et un autre membre de la famille sont impliquées dans les activités économiques du ménage. En effet, les enfants filles quittent le toit de leurs parents très tôt, quelque fois avant même l’âge adulte (18 ans) essentiellement pour le mariage et la migration en ville à la recherche d’emploi de garderie d’enfants. Les garçons migrent vers la ville à la recherche d’emploi ou se marient mais restent le plus sou-vent dans la même parcelle que leurs parents. Les enfants moins âgés consti-tuent donc une main-d’œuvre familiale travaillant avec leurs parents dans les activités agricoles et d’élevage.

L’accès et les modes d’acquisition des ressources en terre constituent une contrainte majeure au développement de l’agriculture dans la province du Sud-Kivu en général. Plus de la moitié des terres est occupée par un petit nombre d’hommes d’affaires et les grands commerçants et organisations et malheureusement sous ou non exploitées mais protégées. Ce sont les petits champs des petits paysans qui sont victimes de toute pression et se retrou-vent ainsi dans une situation de sans terre ni revenu (Utshudi Ona, 2006). La superficie moyenne du champ par ménage agriculteur est de 1 ha contrai-rement au ménage agri-commerçant qui dispose d’une superficie de champ relativement importante de terres (1,24 ha). Ces résultats s’opposent à cer-taines études qui montrent que la participation à l’activité non agricole est souvent liée à l’inaccessibilité à la terre de ces ménages. Pour Zhu (2005), les ménages ayant participé aux activités non agricoles sont plus pauvres en ressource de terre.

Cependant, les régimes fonciers ont un impact majeur sur la productivi-té agricole. L’homme qui détient un droit bien défini, exclusif et stable sur sa

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terre sait que l’intensification de ses efforts ou de son savoir-faire, génératri-ce d’une production accrue, élèvera aussi ses revenus. C’est un résultat qui ne survient pas automatiquement quand le sol appartient à quelqu’un d’autre et que les droits du fermier ne sont pas clairement définis et sûrs (Malcolm, et ali. 1998). Les modes d’acquisition des droits fonciers au Bushi sont no-tamment : le Kalinzi8, le Bwasa9 qui sont tous des contrats coutumiers. Le contrat foncier couramment conclu est le Bwasa (location). Les deux modes d’acquisition des terres de par leur nature (non appropriation définitive des terres) limitent l’accès à la terre et sa mise en valeur pour les petits paysans car exigent des revenus suffisants pour s’en acquérir. Les ménages louent des terres pour compenser les petites portions qu’ils ont ou tout simplement par manque de terre.

Cet attachement traditionnel à la terre s’explique par l’importante valeur sociale et coutumière que revêt la terre dans la société en étude. Le pouvoir du chef de ménage est caractérisé par la superficie de la terre en sa posses-sion. Plusieurs ménages recourent à la location des terres malgré les obliga-tions de locations défavorables aux locataires notamment : les frais de loca-tion relativement élevés, l’obligation le type de cultures à pratiquer et des travaux hebdomadaires obligatoires d’entretiens des plantations en faveur des propriétaires, etc. Ainsi, 49 ménages soit 36,3% recourent à la location d’au moins un champ dans les grandes plantations des hommes politiques et des églises. Parmi ces ménages, 22 soit 44,9% le louent pour une finalité d’autoconsommation. Dans des espaces finis, la sévérité des ponctions opé-rées sur les ressources naturelles constamment sollicitées limite et rend aléa-toire les rendements qui entraînent à leur tour la rareté ou l’absence consécu-tive des excédents de production.

4.2. Éventail des activités agricoles et non agricoles dans le milieu d’étude

Les ménages diversifient leurs activités pour compléter le revenu agri-cole et non le remplacer. Le commerce est l’activité non agricole la plus ré-pandue dans le milieu. Le type de commerce le plus exercé est le commerce des vivres alimentaires (56,7%) (dont 7 boutiques, 13 kiosques et 18 panos), les publiphones (11,9), l’habillement (10,4%), la pharmacie (7,5%), vente de carburant (7,5%), la quincaillerie (6%). Au démarrage de cette dernière, le

_______________

8. Le Kalinzi n'est pas un prix d'achat car la terre est inaliénable. C'est une reconnais-sance du vassal au suzerain qui attribue la "propriété" foncière. Le droit Kalinzi est privatif, théoriquement pérenne et héréditaire.

9. Le Bwasa est un contrat locatif qui donne à l'emprunteur le droit d'usage d'un terrain pour une courte durée (une seule récolte) et dont le prix de la location (Ntumulo) se calcule a posteriori proportionnellement aux bénéfices réalisés. Le Bwasa concerne essentiellement les cultures vivrières coutumières.

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financement provient de sources suivantes : la vente du patrimoine des mé-nages (31,3%), gain agricole (28,4%), l’emprunt auprès des tiers (16,4%), l’aide familiale (11,9%) et gain de l’activité minière (7,5%). Le but principal de l’exercice de cette activité pour le ménage est de combler de déficit agri-cole car le ménage ne sait plus vivre uniquement du revenu agricole pour causes d’improductivité des sols, la rareté des terres et l’inaccessibilité aux autres facteurs de production, aux crédits et à l’information, le prix très dé-favorable au producteur et insuffisance ou l’absence d’infrastructure de conservation et de stockage, la difficulté d’écoulement des produits agricoles et l’insécurité politique. Les autres activités non agricoles existantes dans le milieu sont notamment la transformation (menier et brasseurs artisanaux), le salariat non agricole, le restaurant, l’artisanat, la couture et le service de transport. Cependant, elles ne feront pas partie de la présente étude étant donné leur part non significative et le manque des données.

Dans le territoire de Kabare, la terre est considérée comme étant à la fois un facteur de production des produits agricoles et un bien qui traduit un pouvoir et d’estime social. Bien plus, la plupart des agriculteurs ne possèdent pas de sécurité sociale et le revenu non agricole est moins stable que le reve-nu agricole. Ainsi, les ménages ne substituent pas l’agriculture aux activités non agricoles. Ils gardent souvent des parcelles de terre et les exploitent pour les cultures vivrières : le manioc, le maïs, le haricot, les patates douces, ba-nanes, tomates, etc. L’agriculture des ménages se diffère selon qu’elle est orientée vers l’autoconsommation ou la commercialisation. Ainsi, un ména-ge qui consomme plus de la moitié de sa production est considéré ici com-me pratiquant l’agriculture d’autoconsommation. En dessous de ce seuil, il est considéré comme pratiquant l’agriculture commerciale. Selon le test de χ² à P< 0,05, il existe une influence significative de la finalité de la produc-tion agricole, selon qu’il s’agit d’un ménage agriculteur ou d’un ménage agri-commerçant ou encore du sexe du chef de ménage. La logique paysan-ne de subsistance se confirme chez les ménages exerçants uniquement l’activité agricole tandis que la logique entrepreneuriale se développe de plus en plus chez les ménages agricommerçants. En effet, 88,1% des ménages agricommerçants cultivent pour la commercialisation alors que les 100% des ménages agricoles cultivent pour l’autoconsommation.

4.3. Sources de revenus des ménages

Trois principales sources de revenus ont été identifiées, à savoir l’agriculture, le commerce et les autres revenus composés des transferts, dons et du revenu salarial agricole.

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Figure n°2 : Source de revenus par catégories de ménages

Source : Auteurs

L’activité commerciale procure 1029,6$ de plus aux ménages qui l’exercent. Leur revenu agricole est également supérieur (914,4$US) par rapport aux ménages agriculteurs (607,3$US). Ceci s’explique par le rôle que joue le revenu non-agricole dans le financement de l’agriculture. Pen-dant la période de soudure, les ménages agricoles sont plus dépendants des aléatoires ressources de transfert, dons et salaires agricoles (172,9$US). Cet-te période rend les ménages ruraux plus vulnérables qu’ils sont obligés de sillonner les villages à la recherche d’un petit travail agricole journalier ou recourir à leurs familiers pour survivre. L’activité commerciale étant conti-nue, les ménages agri-commerçants y retrouvent leur équilibre face aux dif-férents risques et chocs négatifs liés à l’activité agricole.

4.4. Les facteurs motivants la participation à l’activité non agricole

Lorsque les ménages agricoles entreprennent des activités non agrico-les, les motivations sont soit des facteurs du type «attraction», soit des fac-teurs du type «contrainte»10. Dans le milieu rural du Sud-Kivu, les facteurs motivant les ménages à entreprendre le commerce sont surtout du type « contraintes », à savoir : l’insuffisance du revenu agricole expliqué par l’infertilité mais aussi la rareté des terres, le prix au producteur très bas, le problème d’écoulement des produits agricoles, l’insécurité politique, l’inaccessibilité à l’information, l’absence d’assurance et de crédit à la consommation qui permettraient de supporter, à posteriori, les conséquences de récoltes insuffisantes. D’autres contraintes sont évidentes : les risques

_______________ 10. FAO, (1998), Rapport sur la situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture.

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inhérents à l’exploitation agricole, l’absence ou la carence des approvision-nements en intrants agricoles ou des services de crédit permettant de se les procurer, si bien que les ménages sont contraints, pour les obtenir, de comp-ter sur leurs propres liquidités. Précédemment nous avons constaté que le revenu agricole des ménages agriculteurs est de 607,3$ l’an en moyenne pour un ménage de 8 personnes. Ce qui revient à 0,21$ par jour et par per-sonne. Si l’ensemble du revenu agricole est incapable de maintenir le ména-ge à un seuil minimum11, cela laisse comprendre l’impossibilité des ménages à répondre aux autres besoins surtout en période de soudure. Comme alterna-tive, les ménages exercent le commerce pour répondre aux besoins tels que la scolarisation des enfants, les soins de santé, etc.

Au-delà des besoins de base, le lien suivant est établi entre l’activité commerciale et l’activité agricole. Les ménages agri-commerçants se procu-rent plus de terres et autres facteurs de productions grâce au revenu issu du commerce. Avec le système de tontine, lors du passage à la ristourne, cette dernière est destinée à financer les dépenses agricoles, renforcer leur capital commercial (89%), acheter un bien de valeur pour le ménage (9,5%) et la scolarité des enfants (1,5%). La production agricole est destinée à l’autoconsommation (11,5%) et la partie essentielle est commercialisée. Ain-si, le revenu issu du commerce des produits agricoles est destiné essentiel-lement à l’achat de bétail (52,5%), à l’achat d’intrants et des parcelles pour l’agriculture (43%) et à l’épargne (4,5%). Ce qui explique la complémentari-té entre les deux activités car on observe un réinvestissement du revenu agricole dans le secteur agricole grâce à l’activité commerciale qui assure les autres besoins du ménage. Bien qu’il existe des facteurs du type contraintes, il s’observe également des limites pour certains ménages d’entreprendre l’activité commerciale par manque de capital pour le démarrage. En effet, pour entreprendre le commerce, les ménages doivent disposer des capitaux financiers ou en nature (tel que le patrimoine) et social (aides familiales, em-prunts, etc.). 4.4.1. Analyse des inégalités des revenus entre les catégories des ménages

Cette partie analyse la distribution des revenus au sein des ménages à partir de l’indice de Gini et la courbe de Lorenz mais également la contribu-tion de chaque source de revenu à l’inégalité par la décomposition de l’indice de Gini.

4.4.2. L’indice de Gini et la courbe de Lorenz

Lorsque l’indice de Gini est important, ceci signifie que les inégalités de revenus dépensés entre les populations considérées sont grandes. L’indice _______________

11. Le seuil minimum selon la FAO est de 1$/jour/personne.

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de Gini relevant d’une faible inégalité de revenus, conduit au rapprochement de la courbe de Lorenz à la diagonale d’égalité parfaite réduisant ainsi la surface en forme de lentille comprise entre la diagonale d’égalité parfaite et la courbe de Lorenz.

En pratique, la répartition du revenu n’est jamais égalitaire. Toutefois son inégalité diffère selon les pays ou la région. Le tableau ci-dessous pré-sente la manière dont le revenu est réparti au sein de la population classée en tranches de revenus.

Tableau n°2: Fréquences cumulées des revenus et de la population classée en tran-ches de revenus

Part des effectifs cumulés (en %)

Part cumulée du revenu (en %)

quartile 1

25,2

10,2

quartile 2

50,4

27,3

quartile 3

75,6

56,8

quartile 4

100

100

Il ressort du tableau n°2 que 50% de la population détient 27% du re-venu. Si 75,6% de la population détient 56,8% de revenu, ce qui signifie que 24,4% (représentant la catégorie la plus riche) en détient 43,2%.

Le calcul de l’inégalité par catégorie de ménages permet de visualiser la répartition du revenu selon les activités économiques des ménages. Les gra-phiques suivants présentent l’inégalité dans chaque catégorie des ménages.

Figure n°3 : Inégalités de revenus Figure n°4: Inégalités de revenus au sein au sein des ménages agriculteurs des ménages agri-commerçants

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Les graphiques n°3 et n°4 révèlent que les revenus sont plus inégale-ment répartis chez les ménages agriculteurs (l’indice de Gini G = 0,175) que chez les ménages agri-commerçants (l’indice de Gini G = 0,139). Chez les ménages agriculteurs, cet écart peut être dû essentiellement à l’inégalité dans la répartition du facteur terre, unique facteur limitant de la production agri-cole. Dans l’agriculture traditionnelle, la superficie du champ est proportion-nelle à la quantité produite et par conséquent au revenu agricole. Ici, on ne tient pas compte d’autres facteurs de productivité comme les semences amé-liorées, la fertilité du sol, les produits phytosanitaires, etc. Chez les ménages agri-commerçants, le revenu non-agricole influence le bien-être des ména-ges.

Analysons également l’inégalité de revenu au sein de l’ensemble de la population.

Figure n°5 : Inégalités de revenus entre les deux catégories de ménages sous étude Source : Auteur

L’indice de Gini pour l’ensemble de la population est de 0,285. Ici, cet

indice est plus importante que quand on le calcul par catégorie des ménages. En présence d’exclusion, c’est-à-dire que certains individus n’ont pas des ressources nécessaires pour exercer l’activité non-agricole, cela crée l’inégalité au sein de la population. Dans ces conditions, l’activité non- agri-cole réduirait l’inégalité lorsque tous les ménages ont la possibilité de l’exercer.

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Nous allons décomposer l’indice de Gini pour connaitre l’importance relative de chaque source de revenus dans le revenu total, connaitre l’inégalité dans la distribution de cette source de revenus mais également connaitre la corrélation de cette source de revenu avec le revenu total. Dans le tableau n°3 ci-dessous, la deuxième colonne présente la part de chaque source de revenu dans le revenu total. Le revenu agricole constitue la source principale des revenus des ménages (54,6%) suivi du revenu commercial (37,9%). La part des autres revenus est peu importante (7,5%) tel qu’il s’observe dans le tableau suivant : Tableau n°3: Décomposition de l’indice de Gini

Part dans le revenu Indice de Corrélation Contribution à total (%) Gini (%) de Gini l’inégalité

Revenu total 100,0 0,285 1,00 100,0

Revenu agricole 54,6 0,236 0,562 24,4

Revenu du commerce 37,9 0,524 0,87 58,7 Autres revenus 7,5 0,611 -0,306 4,7

Source : Auteurs

Il s’observe une distribution inégale du revenu de l’activité commercia-le (Gini de 0,524) par rapport au revenu agricole (indice de Gini de 0,236). La distribution du revenu total comprenant le revenu non-agricole entraîne un indice de Gini 0,285. Par contre, le revenu agricole entraîne un in-

dice de Gini de 0,236. Cela signifie que la distribution du revenu au

sein des ménages en l’absence du revenu non-agricole est plus égale que cel-le du revenu total et que le revenu issu du commerce contribue à l’inégalité de revenu à l’ordre de 58,7%. Les autres sources de revenus ayant une part moindre (7,5%) dans le revenu total des ménages contribuent peu à l’inégalité de revenu (4,7%) bien qu’elles soient inégalement réparties entre les ménages.

Il y a une forte corrélation (0,877) entre le revenu issu du commerce et le revenu total. Ceci signifie que plus le ménage participe à l’activité com-merciale, plus son revenu augmente. Cette corrélation est relativement basse (0,562) entre le revenu agricole et le revenu total étant donné les contraintes généralisées liées à l’accès à la terre et autres facteurs de productivité. Par ailleurs, on observe une corrélation négative (-0,306) entre les autres sources de revenus et le revenu total. Cela signifie que plus le revenu du ménage augmente, plus celui des autres sources diminue. En effet, les ménages à fai-

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bles revenus recourent au salariat agricole, transferts et dons pour la survie pendant les périodes de soudure. La logique de tous ces revenus est ponc-tuelle pour atténuer le choc ou combler le déficit du ménage. Un ménage à revenu élevé, voit cette part de revenu diminuer.

4.5. Analyse de la pauvreté

4.5.1. Le patrimoine des ménages

Le patrimoine est également un indicateur du bien-être du ménage au-delà de son revenu.

Le patrimoine des ménages se présente comme suit : Tableau n°4 : Le patrimoine des ménages par catégories

Types de biens Ménages agriculteurs (68 ménages)

Ménages agri-commerçants (67 ménages)

Biens fonciers : Terres Régime foncier

1ha/ménage 22 locataires contre 46 pro-priétaires

1,24ha/ménage 27 locataires contre 40 pro-priétaires

Biens immobiliers Type de loge-ment : Statut d’occupation

9 Huttes + maison en paille 28 Huttes+ maison en terre avec tôles 24 Huttes + maison en planche avec tôles 7 matériaux durables 5 locateurs contre 63 proprié-taires

3 Huttes+ maison en terre avec tôles 45 Huttes + maison en planche avec tôles 19 matériaux durables 16 locateurs contre 51 pro-priétaires

Biens ménagers : Chaises, petites armoires, radio

Chaises, fauteuils, radio, télévision

Moyens de trans-port

60 Sans, 5 vélos, 3 motos 41 sans, 6 vélos, 15 motos, 5 véhicules

Nbre de bétail: Petits bétails Gros bétails

8 cobayes, 3 lapins, 2 poules, 2 chèvres, 0,5 porc, 0.2 vache

10 cobayes, 1 lapins, 2 poules, 5 chèvres, 1 vache, 1 porc.

Outils de cultures 68 houes, 65 bèches, 68 ma-chettes

67houes, 67 bèches, 67 ma-chettes, 42 tridents,

Sources : Auteurs

Il ressort du tableau n°3 que les ménages exerçant une activité non agri-cole possèdent plus de patrimoine que les ménages agriculteurs ; cela en termes de quantité et de valeur du patrimoine. L’élément important à souli-

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gner est que les agri-commerçants ont amélioré leur patrimoine grâce au re-venu issu du commerce. Ils possèdent plus de gros bétails que les agricul-teurs. Néanmoins, l’inaccessibilité généralisée à la terre, pour des raisons déjà évoquées, fait des ménages ruraux des locataires de champs. Sans terre mais attachés à l’agriculture, ceci reflète l’importance toute particulière que les ménages attachent à celle-ci.

4.5.2. Niveau de pauvreté par personne et par catégorie

L’objectif ici est donc d’analyser le niveau de vie (bien-être) des indivi-dus au sein du ménage. Cette analyse tient compte de la taille des ménages et permet de classer les ménages selon que les individus constituant le ménages atteignent ou pas le seuil minimum de besoins de base en milieu rural de la province du Sud-Kivu. Les graphiques ci-dessous présentent la manière dont la pauvreté est répartie entre les catégories de ménages.

Figure n° 6 : Répartition des ménages Figure n°7 : Incidence de la pauvreté par par rapport au seuil de pauvreté catégorie des ménages

Le seuil minimum de 171,2$ est le revenu annuel qui permet à un indi-

vidu dans chaque ménage rural de répondre à ses besoins de base. Le revenu annuel par personne varie entre 30,4$ et 335$ chez les ménages agriculteurs et entre 148,8$ et 565$ chez les ménages agri-commerçants. Néanmoins, il s’observe une grande disparité dans la répartition de ce revenu. En effet, 80,9% des individus dont leur revenu dépend de l’activité agricole sont en-dessous du seuil minimum en milieu rural. Une situation inverse s’observe chez les agri-commerçants et dont les pauvres ne représentent que 19,1%. Ils trouvent donc leur voie de sortie de la pauvreté grâce au commerce. A reve-

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nu constant, la taille du ménage influence négativement son bien-être. Le genre influe sur le bien-être des ménages : 84,6% des ménages agri-commerçants et 61,5% des ménages agriculteurs gérés par la femme ne con-naissent pas le phénomène de pauvreté. Une politique visant la promotion et le développement des activités économiques féminines serait l’une des solu-tions au problème de pauvreté.

Les graphiques n°6 et n°7 démontrent que la pauvreté frappe beau-coup plus les ménages dépendant uniquement de l’agriculture. Ils représen-tent 80,9% de ménages agriculteurs. Le commerce joue donc un rôle impor-tant dans la réduction de la pauvreté car 76,1% de ménages ayant diversifié leurs activités échappent au phénomène de pauvreté.

4.5.3. Incidence, profondeur et sévérité de la pauvreté

L’analyse de ces trois dimensions de la pauvreté permet de classer les ménages selon le degré de pauvreté. En effet, la pauvreté n’est pas subie de manière homogène. Dans la catégorie des pauvres, les ménages subissent à des niveaux différents le phénomène de la pauvreté. Le tableau ci-dessous présente les différents indices de pauvreté par catégories de ménages. Tableau n°5: Répartition des indices de pauvreté par catégories de ménages

Catégories Indices de Pauvreté

Toutes les catégories 52,6 19,9 11,1

Ménages agriculteurs 80,9 37,6 21,9

Ménages Agri-commerçants 23,9 1,9 0,3

Source : Auteurs

Il ressort de ce tableau que 52,6% des ménages souffrent du phéno-mène de pauvreté avec un revenu inférieur au seuil minimum de besoin de base reconnu. Les ménages agriculteurs sont plus affectés par la pauvreté (80,9%) contre 23,9% des ménages agricommerçants. Ces résultats prouvent que les ménages ne savent plus vivre seulement du revenu agricole. La pro-fondeur de la pauvreté P1 (l’écart moyen des pauvres par rapport au seuil de pauvreté) chez les ménages agriculteurs est plus accentuée (37,6%) que chez les ménages agricommerçants (1,9%). La sévérité de la pauvreté P2 (l’intensité de la pauvreté entre les pauvres eux-mêmes) pèse sur les ména-ges agriculteurs (21,9%) contre seulement 0,3% chez des ménages agri-commerçants. L’activité commerciale permet donc de réduire la pauvreté dans le milieu car elle génère un revenu complémentaire pour répondre à

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leurs besoins de base. Dans le contexte actuel où l’agriculture est confrontée à toutes sortes de problèmes en amont et en aval, l’agriculture ne fait plus vivre à elle seule les ménages ruraux.

5. CONCLUSION

L’objectif de l’étude était d’une part de savoir, pourquoi les ménages n’abandonnent pas l’agriculture en faveur de l’activité non-agricole plus ren-table mais plutôt préfèrent combiner les deux. D’autres parts, elle analyse l’impact de l’activité non agricole sur la pauvreté et l’inégalité rurale. Deux facteurs (social et économique) expliquent l’attachement des ménages de la zone d’étude à la terre. Cette dernière revêt une importante valeur sociale et coutumière. En effet, le pouvoir du chef de ménage est caractérisé par la su-perficie de la terre en sa possession. Le revenu agricole ne permet pas aux ménages de répondre à leurs besoins surtout en période de soudure. En effet, plusieurs contraintes entravent l’agriculture : l’infertilité mais aussi la rareté des terres, le prix au producteur des produits agricoles très bas, le manque d’infrastructures de transport et de conservation, l’insécurité politique, l’inaccessibilité à l’information, l’absence d’assurance et de crédit à la consommation qui permettraient de supporter, à posteriori, les conséquences de récoltes insuffisantes.

A partir de la décomposition de l’indice de Gini, les résultats mon-trent que pour un indice de Gini de 0,524, le revenu non agricole contribue à l’inégalité de revenus des ménages à l’ordre de 58,7% contre une contribu-tion du revenu agricole à l’inégalité de 24,4% pour un indice de Gini de 0,236. Lorsqu’ une catégorie des ménages n’accède pas à un type de revenu, cela accroit l’inégalité et l’exclusion. Il existe une forte corrélation entre le revenu total des ménages et le revenu issu du commerce (0,877). Plus le re-venu commercial augmente, plus sensiblement augmente le revenu total du ménage. Le revenu agricole n’influence pas sensiblement le revenu total (0,562) étant donné que le rendement reste précaire. Une corrélation négati-ve (-0,306) a été observée entre les autres sources de revenus et le revenu total. En effet, les ménages agriculteurs recourent à l’extérieur pour survivre surtout en période de soudure. Finalement, plus le revenu total d’un ménage augmente, plus ce type de revenus (ou aides) diminue. L’hypothèse selon laquelle les ménages qui recourent aux activités non agricoles sont souvent des ménages sans terre n’est pas confirmée ici car la terre possède une considération toute particulière qu’elle représente un pouvoir coutumier et une estime sociale pour le ménage ; c’est pourquoi ils n’abandonnent pas l’agriculture.

La diversification de sources de revenus permet aux ménages ruraux d’échapper aux chocs négatifs liés au secteur agricole, notamment l’inaccessibilité à la terre, les maigres et aléatoires productions liées au man-

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que d’accès aux facteurs de production, à l’imperfection ou absence des marchés d’assurance et de crédit, la volatilité des prix des produits agricoles ainsi qu’aux aléas climatiques. Dans le territoire de Kabare, 80,9% des mé-nages agriculteurs sont pauvres. Parmi eux, 37,6% subissent la profondeur de la pauvreté et 21,9% vivent une pauvreté sévère. Il a été constaté à partir de l’analyse des inégalités que dans une société où une certaine catégorie des ménages ne dispose pas des ressources pour diversifier leurs sources de re-venus, la résolution du problème de pauvreté passerait par une bonne redis-tribution des richesses et une bonne régulation du marché des capitaux favo-risant l’accès aux crédits. Étant donné l’importance du secteur agricole dans le milieu d’étude, toute politique devrait passer par la promotion du secteur agricole à travers (1) une réforme foncière, (2) la promotion des activités en amont de la production (semences, produits phytosanitaires, nouvelles tech-niques, etc), (3) une bonne régulation du marché des capitaux et (4) promou-voir les activités entrepreneuriales post-récoltes pour d’une part valoriser les produits agricoles et dautre part stimuler la production agricole afin d’améliorer les revenus des ménages ruraux, réduire la pauvreté et les inéga-lités dans le milieu rural.

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SUMMARY

The impact of non-agricultural activities on rural poverty and inequality in Bugorhe and Irhambi-Katana groups (Kabare Territory, South Kivu Province)

Using a survey on the socio-economic situation of households in 2012, the study analyses the effect of non farm income on inequality and poverty alleviation in a rural area of the Democratic Republic of Congo, by comparing a group of households practicing agriculture only and another group which combines agricul-ture and non farm activities. The approach used considers non farm income as an exogenous transfer which completes the whole household income, and analyses the contribution of different sources of income on the inequality in using the Gini index. The results show that inequality increases when a segment of the population does not have access to non-agricultural income. In this case, non farm income is not a substitute of farm income, rather the complement. The pov-erty analysis is based on the Congolese rural threshold poverty in terms of basic needs to calculate the rate, depth and severity of poverty indexes in using of Fos-ter- Greer- Thorbecke. The results show that households practicing agriculture only are poorer.