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L’Aide-mémoire de psychotraumatologiePréface

Préface

LORSQU’EN 1993 je suis revenu à Paris où j’avais fait mes étudessecondaires au lycée Claude-Bernard avant d’entamer mes études

de psychologie aux États-Unis, j’ai cherché les rares Français quis’intéressaient alors à la psychotraumatologie. C’est ainsi que j’airencontré les Docteurs Crocq et Lopez. Gérard Lopez venait de fonderun incroyable centre de psychotraumatologie qui accueillait un nombreconsidérable de victimes.

J’avais invité le Dr Lopez à venir avec moi à Amsterdam où je participaisà une formation EMDR. Mais il s’intéressait surtout au débriefing dontj’avais une grande expérience puisque, étant directeur d’un hôpitalpour vétérans à Honolulu, j’avais participé à de nombreux débriefings,suite à des chutes d’avion ou après le passage des typhons quiravagent périodiquement les îles du Pacifique. Le Dr Lopez m’interrogeaitinlassablement pendant que nous visitions le marché aux puces deSaint-Ouen ! Grand bien lui prit : un an plus tard, Paris était la proied’une vague d’attentats et j’étais heureux d’avoir pu contribuer à lacréation de la première cellule d’urgence médico-psychologique, qu’avecquelques pionniers le docteur Lopez préparait depuis un an au Secrétariatd’État à l’action humanitaire d’urgence à la demande du docteur XavierEmmanuelli.

Parallèlement, le Centre du Psychotrauma de l’Institut de Victimologiepoursuivait son développement, accueillant de plus en plus de patients.Parmi tous ceux que j’avais pu visiter en Europe ou même aux États-Unis,ce centre était probablement celui qui avait l’activité la plus importante.Je déplorai cependant l’absence d’études scientifiques malgré la grandediversité des traumatisés qui y étaient traités : enfants et adultesvictimes d’agressions, de viols, d’accidents, de maltraitances diverses.

Depuis, j’ai gardé des liens étroits avec la France et j’ai pu constaterle chemin parcouru en une quinzaine d’années. À cette époque lespsys français ne disposaient que d’un seul et unique traité dont le

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titre Victimologie1 m’étonnait, parce qu’aux États-Unis nous parlionsde « psychotraumatologie ». Le Dr Lopez me fit alors comprendre quedes connaissances en victimologie et un travail en réseau étaientindispensables pour protéger le cadre thérapeutique.

Actuellement, la psychotraumatologie est une discipline reconnue enFrance avec ses livres, son diplôme, des consultations spécialisées. Et jesuis heureux et honoré de préfacer cet ouvrage très complet qui reprendtoutes les notions historiques, cliniques et psychothérapeutiques depsychotraumatologie. Il est le fruit du travail des psychologues etpsychiatres, cliniciens et chercheurs, qui constituent l’équipe du Centredu Psychotrauma, travail coordonné par Marianne Kédia et le Dr AuroreSéguin-Sabouraud.

Je suis convaincu que ce livre rendra de grands services aux cliniciens,aux étudiants et à tous ceux qui s’intéressent à notre discipline. AuÉtats-Unis, on parle de la French Touch lorsque l’on veut parler de lafinesse française. Je suis heureux que ce volume amène la French Touchà la psychotraumatologie internationale car il représente une avancéeimportante aussi bien pour la théorie qui guide notre travail que dansla perspective humaine qui nous lie aux victimes.

Claude Chemtob2.

1. Lopez G. Victimologie, Paris, Dalloz, 1993.2. Chemtob C.M., Nomura Y., Josephson L., Adams R.E., Sederer L. (in press.).Adolescent exposure to the world trade center attacks and increased substance-useand functional impairment. Disasters.Chemtob, C.M., Tolin, D., Van der Kolk, B., & Pitman, R. (2000). In Foa, E., Keane, T, &Friedman, M. (eds.) Eye Movement Desensitization and Reprocessing (EMDR). EffectiveTreatments for PTSD. Guilford, N.Y.Chemtob C.M., (in press). Le Stress Post-Traumatique. Presses Universitaries de France(PUF), Paris, France.American Art Therapy Award (2007) ; Child and Adolescent Fellows Teaching Award(2000), Mount Sinai School of Medicine ; EMDR International Association, ResearchAward (1999).

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Sommaire

Préface III

Avant-propos IX

PREMIÈRE PARTIE

FONDEMENTS

1 Historique de la prise en charge du trauma en psychiatrie 2

2 Pierre Janet 13

3 Sàndor Ferenczi 19

4 V. Frankl : l’Analyse existentielle et la logothérapie 26

5 État de stress post-traumatique 40

6 État de stress post-traumatique chez l’enfant 46

7 État de stress aigu 59

8 Trauma complexe ou DESNOS 64

9 Prédicteurs de développement d’un ESPT 72

10 Personnalité 78

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11 Victimologie 86

12 Sacrifice et idéologie sacrificielle 91

DEUXIÈME PARTIE

TYPES DE TRAUMATISMES

13 Accidents collectifs et catastrophes 98

14 Accidents de la route 104

15 Agressions sexuelles 108

16 Emprise psychologique 114

17 Harcèlement 121

18 Maltraitance infantile 127

19 Torture et violences d’État 138

20 Violences conjugales 149

21 Les prises d’otages 156

TROISIÈME PARTIE

PSYCHOPATHOLOGIE

22 Évaluation clinique 168

23 Addictions 174

24 Alexithymie 180

25 Troubles du comportement alimentaire 187

26 Comorbidité 193

27 Suicide 201

VI

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28 Circuit limbique 204

29 Mémoire traumatique 208

30 Dissociation et détresse péritraumatiques 220

31 Troubles dissociatifs 225

32 État limite 232

33 Problématique de l’attachement 239

34 Coping 244

35 Résilience 249

36 Burnout (Burn Out Syndrome) 254

37 Trauma vicariant, trauma secondaire 258

38 Les cauchemars et les troubles du sommeil dans les contextes

psychotraumatiques 264

QUATRIÈME PARTIE

THÉRAPIES

39 Cadre thérapeutique 282

40 Gestion des crises 286

41 Intervention précoce ou Débriefing 291

42 Hypnose 297

43 Psychanalyse 304

44 Théories et thérapies comportementales et cognitives 313

45 EMDR 328

46 Thérapie familiale 337

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VII

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47 Groupes de parole et thérapies de groupe 342

48 Pharmacothérapie 349

49 Travail en réseau 358

Postface 363

Annexe 364

Liste des auteurs 369

Remerciements 371

Table des matières 372

Index 384

VIII

L’Aide-mémoire de psychotraumatologieA

vant-p

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Avant-propos

L’ÉQUIPE de l’Institut de Victimologie a souhaité proposer aux étudiants,aux cliniciens et aux chercheurs, un ouvrage qui offre un panorama

complet du psychotrauma. Ainsi, le lecteur y trouvera des notions clés,mais également des concepts plus rarement abordés dans la littératurefrancophone.

Les auteurs de cet ouvrage sont des cliniciens expérimentés etactivement engagés dans la recherche et la pratique psychothérapeutique.Chaque chapitre pose donc des questions théoriques et pratiquesessentielles, et tente d’y répondre en s’appuyant sur une solidebibliographie.

Ce livre est le fruit d’un long et patient travail d’équipe (patient n’étantpeut-être pas le premier mot à venir à l’esprit de mes collaborateurs...)qui a, me semble-t-il, renforcé les liens d’attachement entre ses membres.Puisse-t-il nous aider à prévenir notre trauma vicariant et celui dulecteur !

Enfin, ce travail n’aurait jamais pu voir le jour sans l’expérience acquiseauprès des enfants, des femmes et des hommes qui consultent au Centredu Psychotrauma et qui chaque jour nous étonnent par leur courage etleur dignité. Merci à eux.

Marianne Kédia

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Première partie

Fondements

1 Historique de la prise en charge du traumaen psychiatrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

2 Pierre Janet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

3 Sàndor Ferenczi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

4 V. Frankl : l’Analyse existentielle et la logothérapie . . . . . 26

5 État de stress post-traumatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40

6 État de stress post-traumatique chez l’enfant . . . . . . . . . . 46

7 État de stress aigu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59

8 Trauma complexe ou DESNOS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64

9 Prédicteurs de développement d’un ESPT . . . . . . . . . . . . 72

10 Personnalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78

11 Victimologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86

12 Sacrifice et idéologie sacrificielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91

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HISTORIQUE DE LA PRISE EN CHARGE DU TRAUMA

EN PSYCHIATRIE

Marianne Kédia

É TUDIER l’histoire de la prise en charge du trauma en psychiatrie permet d’observerla difficulté de cette discipline à faire face à l’idée que la réalité peut

durablement et profondément altérer le psychisme et la biologie des sujets. Celapermet également de mettre en relief la profonde influence exercée par le contextesocial, historique et souvent politique, sur les conceptualisations du trauma.

Prémisses

Les premières études scientifiques sur le traumatisme remontent à la findu XIXe siècle et portent alors souvent sur les victimes d’accidents dechemin de fer. D’emblée, la question de l’étiologie des troubles se pose :est-elle organique ou psychologique ? est-ce l’événement lui-même ouson interprétation qui provoque les symptômes ? certains individusprésentent-ils des vulnérabilités ?

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Herman Oppenheim (1889) est le premier à utiliser le terme de « névrosetraumatique ». Prenant une position organiciste, il estime notammentque les symptômes traumatiques sont le produit de changementsmoléculaires au niveau du système nerveux central. Il observe lafréquence des problèmes cardio-vasculaires chez les sujets traumatisés,en particulier des soldats. Ainsi Oppenheim initie une longue traditiond’association des symptômes post-traumatiques avec les « névrosescardiaques » : on parle alors de « cœurs irritables » ou de « cœurs desoldats » (Myers, 1870 ; Da Costa, 1871). En raison de ces attributionsorganiques, les autorités ne cherchent pas à comprendre pourquoi unsoldat autrefois valeureux s’effondre brusquement et se montre « lâche »ou peu fiable : le médecin n’a pas à diagnostiquer de faille personnellechez le soldat qui conserve ainsi un semblant d’honneur.

Mais bien vite, d’autres médecins, et notamment le psychiatre anglaisCharles Samuel Myers, observent que le shell shock (ou « choc destranchées » qui sera appelé « obusite » en France) se manifeste chezdes soldats qui n’ont jamais été exposés directement aux tirs. Myers(1915) affirme dès lors que les perturbations émotionnelles seulessuffisent à expliquer l’apparition des symptômes. Il rejette ainsi lathéorie exclusivement organiciste. Comme beaucoup de ceux qui l’ontsuivi, Myers rapproche donc la névrose de guerre de l’hystérie.

Trauma et hystérie

Dans le même ordre d’idées et à une époque où la psychiatrie françaiseexerce une forte influence internationale, Briquet en 1859 fait déjà lelien entre hystérie et trauma infantile : il décrit 501 cas d’hystérie etestime que dans 76 % des cas, c’est un traumatisme qui est à l’originedu trouble (rapporté par Crocq et de Verbizier, 1989).

Jean-Martin Charcot (1887) de son côté parle de « choc nerveux »traumatique qui plonge le patient dans un état second comparableà l’hypnose*1 : il est donc le premier à souligner l’importance des

1. Les étoiles indiquent qu’un chapitre est consacré à ce sujet.Du

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manifestations dissociatives et propose à Pierre Janet de poursuivre sesrecherches sur le sujet.

Janet* (1889) développe alors une théorie proche de celle du neurologueaméricain James Putnam (1881). Selon Janet, le psychisme confrontéà une situation terrifiante peut devenir temporairement incapable degérer ses « schémas cognitifs » préexistants aux émotions associées àcette situation. Les souvenirs de ces expériences ne peuvent pas êtreintégrés à la conscience : ils en sont alors mis à l’écart, dissociés*, etéchappent au contrôle volontaire. Le sujet est dissocié parce que sescapacités mentales sont affaiblies par de fortes émotions qui altèrentsa capacité à intégrer les contenus mentaux dans la conscience.

En 1906, Janet est invité par Putnam à l’inauguration des nouveauxlocaux de la Harvard Medical School. Il y prononce une conférenceultérieurement publiée sous le nom de « The Major Symptoms of Hyste-ria » (1907). La théorie janétienne a un retentissement internationalconsidérable. De très nombreux auteurs poursuivront ce courant depensée : Jean Piaget, Carl Jung, Charles Myers dont nous avons parlé, ouencore Ernest Hilgard. Ils considèrent la dissociation comme le processuspathogène principal donnant naissance aux symptômes traumatiques.Dès lors, ils privilégient la synthèse et l’intégration comme méthodesthérapeutiques.

Le courant janétien a été oublié de nombreuses décennies au bénéficede la théorie freudienne. Depuis les années 1980 et sous l’influence dela recherche anglo-saxonne, l’œuvre de Janet et le rôle de la dissociationsont à nouveau considérés au niveau international comme majeurs.

Théories psychanalytiques

Contemporain de Janet, Freud intègre l’équipe de la Salpêtrière en1885. Il admire beaucoup Charcot et est très influencé par ses idées.Ainsi, entre 1892 et 1896, Freud suit le principe selon lequel le« subconscient » contient des événements d’une forte charge affectivequi sont encodés dans un état de conscience modifié. Il explique, luiaussi, les attaques hystériques comme étant la réminiscence d’un étatpsychique antérieur, traumatique, et reconnaît l’influence de Janet.

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Freud et Breuer, dans Les Études sur l’hystérie (1895), avancent l’idéeselon laquelle le moi réprimerait activement les souvenirs traumatiquesdouloureux. La dissociation serait donc le résultat d’un mécanisme dedéfense qui protège la conscience :

« Nos observations montrent qu’un traumatisme grave (comme celui d’unenévrose traumatique), une répression pénible (celle de l’affect sexuel, parexemple) peuvent provoquer, même chez un sujet normal, une dissociationdes groupes de représentations et c’est en cela que consisterait le mécanismede l’hystérie psychiquement acquise » (in Études sur l’hystérie, p. 9).

Puis dans L’Étiologie de l’hystérie (1896), il abandonne l’idée que ladissociation est le concept central et privilégie la thèse des désirsréprimés comme origine de la névrose : ce ne sont pas que des souvenirsde faits réels qui sont écartés de la conscience, mais les désirs sexuelset agressifs de l’enfant qui menacent le moi et mobilisent des défensesqui les empêchent d’émerger à la conscience. À la différence de Janet, ilexplique que l’hystérie ne résulte pas d’un échec à intégrer de nouvellesdonnées aux schémas préexistants, mais d’une répression active despulsions sexuelles et agressives se concentrant autour du complexed’Œdipe.

Freud a eu beaucoup de difficultés, malgré ses efforts, à réconcilier lesnotions de sexualité infantile refoulée et de trauma, la « théorie dela séduction » étant difficilement articulable avec celle du complexed’Œdipe.

S’appuyant sur la deuxième théorie freudienne, la psychiatrie a alors eutendance à ignorer les traumas réels au profit de la théorie du fantasme.Ainsi, de 1895 jusqu’aux années 1980, quasiment aucune étude surles effets des traumatismes sexuels chez les enfants n’a été menée, àl’exception de l’œuvre majeure de Sàndor Ferenczi*, célèbre disciple deFreud.

Sa théorie de la Confusion de langue entre les adultes et l’enfant,présentée au congrès psychanalytique de 1932, montre le désespoirde l’enfant confronté à un adulte qui utilise sa vulnérabilité et sonbesoin d’affection pour l’agresser sexuellement. Ferenczi introduit unconcept majeur de la psychanalyse : « l’identification à l’agresseur »qui est un des principaux mécanismes de défense de l’enfant victimeDu

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de sévices. La réponse de la communauté psychanalytique à cetteconférence a semble-t-il été le rejet et l’article n’a été publié en anglaisqu’en 1949, soit dix-sept ans après la mort de Ferenczi.

Le début du XXe siècle est donc marqué par les études sur l’hystérieet la notion de suggestibilité qui y est associée. En France, ce sontdeux autres élèves de Charcot qui marquent l’époque : Joseph Babinskiet Gilles de La Tourette. En 1905, quand Babinski reprend la tête dela Salpêtrière, l’étiologie traumatique chère à Charcot est rejetée etremplacée par les notions de simulation et de suggestibilité considéréescomme caractéristiques du trouble hystérique.

En conséquence, au cours de la première guerre mondiale, de nombreuxpsychiatres français et allemands s’attacheront davantage à détecter lessoldats simulateurs qu’à les soulager de leurs souffrances traumatiques.L’« hystérie de guerre » met ainsi en perspective la question de la volontédu patient : en Allemagne en particulier, les soldats traumatisés sontconsidérés comme des faibles manquant de volonté (on parle même deWillenskrankheit ou « maladie de la volonté »).

Dès lors, la thérapie consiste à donner au patient l’envie de recouvrer lasanté et ce, « grâce » à des exercices physiologiques tellement péniblesque certains soldats préféraient encore retourner au front que d’êtreainsi « soignés ». En Allemagne, dans un entre-deux-guerres au nazismenaissant, l’état décide de ne plus accorder de compensations financièresaux soldats traumatisés, estimant que cela revient à les maintenir danscet état pathologique et que la faiblesse et la lâcheté ne doivent pasêtre récompensées (voir l’excellent chapitre sur l’historique du traumade Van der Kolk, Weisaeth et Van der Hart in Traumatic Stress, 1996).

Sont à noter toutefois les travaux d’Abraham Kardiner (1941). Il a fait sonanalyse avec Freud et a commencé sa carrière en traitant des ancienscombattants américains de la Première Guerre mondiale. Il soulignel’importance des réactions neurovégétatives d’hypervigilance. Selon lui,les manifestations pathologiques du traumatisme résultent en grandepartie du fait que « le moi se consacre au travail spécifique d’assurerla sécurité de l’organisme et à se protéger lui-même des souvenirs dutrauma ».

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Après la Seconde Guerre mondiale

Il faut attendre la Seconde Guerre mondiale pour que la conceptualisationdu trauma opère un réel changement. Pour la première fois émergentdes recherches sur les facteurs de protection au trauma commel’entraînement, la cohésion du groupe, le leadership ou la morale(Belenky, 1987 ; Grinker et Spiegel, 1945).

Après la guerre, les sujets exposés au trauma sont extrêmementnombreux, qu’il s’agisse d’anciens combattants ou de survivants descamps de concentration. Les psychiatres américains décrivent, à l’instarde Kardiner, les réactions physiologiques de ces patients et cherchentdes thérapies permettant de travailler sur les « souvenirs somatiques ».Ils ont donc recours à l’hypnose* et à la narcosynthèse (l’utilisation denarcotiques pour induire la transe) pour aider le patient à se rappelerle trauma et faciliter l’abréaction. Ils confirment ce qu’avait dit Janet :l’abréaction sans transformation, sans synthèse, n’est d’aucune aide.

Des psychiatres tels que Walter Meninger découvrent l’intérêt desthérapies de groupe. Henry Krystal (1968), psychanalyste, étudie lessurvivants de l’holocauste et observe que leur réponse traumatiqueévolue d’un état d’anxiété massive à un blocage progressif des émotionset à des comportements d’inhibition. L’hyperactivation physiologiquepermanente conduit le patient traumatisé à ne plus saisir le sens desmanifestations somatiques d’anxiété : ces remarques permettront ledéveloppement ultérieur du concept d’alexithymie* (dont le livre deJorge Semprun, L’Écriture ou la Vie, est un passionnant témoignage).

La recherche sur le trauma reprend donc un deuxième souffle sousl’impulsion de chercheurs qui étaient souvent eux-mêmes des soldats(de la Seconde Guerre mondiale, puis du Vietnam) ou des survivantsdes camps. Par la suite, des cliniciens étudient une catégorie de sujetstotalement négligés jusque-là : les femmes et les enfants.

La première étude sur le viol date ainsi de 1974 : Ann Burgess etLinda Holstrom décrivent « le syndrome traumatique du viol » qu’ellesrapprochent de la névrose de guerre. À la même époque, d’autres auteurss’intéressent aux enfants battus, des groupes de paroles d’ancienscombattants du Vietnam émergent dans toute l’Amérique. Leonore Terr(1979, 1983) se concentre sur les effets du trauma sur le développementDu

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psychique et propose une étude sur des enfants kidnappés dans un busscolaire.

L’élaboration de la catégorie « ESPT »

Malgré cela en 1980, le principal ouvrage de psychiatrie américain affirmetoujours que moins d’une femme sur un million est victime d’incesteet que les effets de ce type de trauma ne sont pas particulièrementnéfastes (Kaplan, Friedman et Sadock, 1980).

C’est pourquoi certains chercheurs très impliqués dans la prise en chargedu trauma, et notamment Sarah Haley (elle-même victime d’incesteet fille d’un vétéran du Vietnam), doivent alors imposer la créationdu « Post-Traumatic Stress Disorder » (PTSD) dans la troisième versiondu Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-III, APA,1980). Le « PTSD » synthétise tous les différents syndromes traumatiquesrelevés jusque-là : le « syndrome traumatique du viol », le « syndromedes femmes battues » et le « syndrome des vétérans du Vietnam ».

Parallèlement, un groupe de chercheurs et de psychiatres crée lesdiagnostics de syndromes dissociatifs* pour le DSM-III, mais sanscommunication connue avec le groupe responsable du travail sur letrauma.

Dès lors, les recherches sur le stress post-traumatique sont de plus enplus nombreuses et aboutissent à la création d’une presse scientifiquespécialisée très productive (Journal of Traumatic Stress, Child Abuse andNeglect, etc.).

En 1994, une partie du comité de rédaction du DSM-IV tente de créerune catégorie entièrement dédiée au stress, mais elle n’est finalementpas retenue. L’ESPT est donc maintenu dans la catégorie des troublesanxieux, car, affirme Barlow (APA, 1980), bien que les syndromes inclusdans cette catégorie diffèrent par la nature et le rôle des stresseurs,c’est dans tous les cas l’anticipation anxieuse qui provoque le trouble.La seule innovation concernant le trauma dans le DSM-IV est donc lacréation de l’état de stress aigu*, dans lequel la dimension dissociativedu trauma est nettement plus prégnante.

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En France

En France, Barrois est le fondateur de la psychotraumatologie en 1988.Le diplôme de victimologie de l’université de Paris-V a popularisé ladiscipline mais sans individualiser réellement la psychotraumatologie.Xavier Emmanuelli, futur secrétaire d’État à l’Action humanitaire d’ur-gence, y enseignait alors la médecine de catastrophe et la médecinehumanitaire. Cette heureuse collaboration fit germer l’idée d’une celluled’urgence médico-psychologique (CUMP), préparée dès 1994 par ungroupe de travail dirigé par Gérard Lopez, et créée sous la présidence deLouis Crocq quelques jours après l’attentat terroriste du 25 juillet 1995.Depuis, la psychotraumatologie s’est individualisée avec la création d’undiplôme de psychotraumatologie et de plusieurs ouvrages de référencedont Psychotraumatologie (2006).

Aujourd’hui, de nombreuses critiques émergent notamment sur lapratique quasi systématique du débriefing* : le débriefing est en généralpratiqué avec des techniques comportementales* que certains qualifientd’expéditives ou dans des situations dont la dimension traumatique àproprement parler peut paraître contestable, renforçant ainsi un climatde survictimation extrêmement critiqué en France.

À l’opposé, la tradition psychanalytique* semble toujours se débattreavec la notion d’événement traumatique réel : la question de l’hystériedemeure en arrière-plan, et rares sont les universités à accorder unepart importante à l’enseignement sur le trauma (sinon dans le cadre desdiplômes universitaires spécialisés).

Ces deux extrêmes cohabitent donc dans un climat parfois hostile ettrès... français ! Or cet historique permet de voir que les théoriesanalytiques, neuropsychologiques et comportementales ont toutesbeaucoup apporté au champ du psychotrauma ; elles se sont complétéeset mutuellement stimulées.

Les services de prise en charge du trauma sont donc aujourd’hui composésde spécialistes de tous bords : psychanalystes, comportementalistes etcognitivistes, systémiciens, etc., qui tentent d’offrir la prise en chargela mieux adaptée. Leur engagement, puisqu’il s’agit souvent de cela,auprès des patients traumatisés donne désormais naissance à un nouveaucourant de recherche sur le trauma secondaire ou vicariant*, c’est-à-direDu

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sur les modifications profondes de la personnalité des professionnelsconfrontés quotidiennement à la violence du trauma.

Conclusion

La façon dont le trauma a été conceptualisé à travers les âges est extrêmementdépendante des contextes culturels, sociaux, historiques et politiques. Notre débutde XXI

e siècle n’échappe pas à cette règle. Comme le relèvent très justement DidierFassin et Richard Rechtman (2007), dans les jours qui ont suivi les attentats du11 septembre 2001, neuf mille spécialistes de santé mentale (parmi lesquels septcents psychiatres) ont été dépêchés à New York pour assurer la prise en charge desvictimes et des témoins.

Notre société est passée d’un « régime de véridiction, dans lequel les symptômesdu soldat blessé ou de l’ouvrier accidenté étaient systématiquement mis en doute,à un régime de véridiction où leur souffrance, devenue incontestée, vient attesterd’une expérience qui suscite la sympathie et appelle une indemnisation » (Fassin etRechtman, p. 16). Il semble donc essentiel que les praticiens puissent mettre enplace des espaces de réflexion pour élaborer ces questions fondamentales.

☞ Janet, Ferenczi.

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Bibliographie

American Psychiatric Association. Diag-nostic and Statistical Manual for MentalDisorders (3e éd.), Washington, DC, APA,1980.

Barrois C. Les Névroses traumatiques,Paris, Gauthier Villars, 1988.

Belenky G. Contemporary Studies in Com-bat Psychiatry, New York, GreenwoodPress, 1987.

Briquet P. Traité clinique et thérapeutiquede l’hystérie, Paris, Ballière, 1859.

Burgess A. W., Holstrom L. « Rape traumasyndrome », American Journal of Psychia-try, 1974, 131, 981-986.

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PIERRE JANET1

Marianne Kédia

L ’HOMME auquel on doit l’élaboration du concept de dissociation est aujourd’huiun auteur incontournable dans le champ du psychotrauma. Plus largement, son

œuvre complexe et essentielle est fondatrice de la psychologie comme discipline.

Il est bien entendu impossible de résumer la pensée janétienne enquelques pages. L’objectif de ce chapitre est donc d’en présenter lesprincipaux fondements, appliqués au psychotrauma, et de modestementparticiper à la réhabilitation d’un penseur souvent méconnu enFrance, mais encensé par les plus grands chercheurs internationauxcontemporains.

1. Remerciements à Isabelle Saillot, présidente du réseau Pierre-Janet, pour sarelecture attentive.Du

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Éléments biographiques

Pierre Janet est né en 1859 dans une famille d’intellectuels. Certainsont décrit sa carrière comme un « intéressant cas clinique, illustrantla subtilité des rivalités de pouvoir universitaires et professionnelles »(article « Janet » in Gregory et al.).

Son oncle, le philosophe Paul Janet, a eu une grande influence sur luiet l’a encouragé à compléter ses études de philosophie (effectuées àl’École Normale Supérieure avec son camarade Henri Bergson) par l’étudede la science et de la médecine. Le maître à penser de Pierre Janet estThéodule Ribot, qui milite pour une séparation de la psychologie etde la philosophie et pour l’application des méthodes de la physiologieet des sciences naturelles aux manifestations de l’esprit. Après l’avoirremplacé quelques années, Janet occupera finalement la chaire de Ribotau Collège de France, de 1902 à 1934.

Jean-Martin Charcot remarque Pierre Janet dès 1885, lorsqu’il découvreson article sur la fameuse Léonie. Charcot dirige alors un grand nombredes recherches de Janet, lesquelles portent le plus souvent sur les étatsmodifiés de conscience et la suggestion. En 1890, lorsque Janet terminesa première thèse de doctorat, Charcot le nomme directeur du nouveaulaboratoire de psychologie expérimentale de la Salpêtrière. Mais le grandneurologue s’éteint prématurément en 1893, et la technique hypnotique,déjà très ébranlée par les théories de l’école de Nancy, tombe alors endisgrâce : Jules Dejerine, le nouveau directeur de La Salpêtrière, estimenotamment que l’hypnose est moralement répréhensible. En 1910, ilraye d’un coup de plume l’existence du laboratoire de psychologie dePierre Janet, et celui-ci trouve un accueil temporaire dans le service deneurologie du docteur Nageotte.

Parallèlement à ses cours au Collège de France et à ses consultationsprivées, Janet voyage alors beaucoup en Amérique du Nord et duSud, où il est acclamé. Il recevra notamment le titre de docteurhonorifique de l’université d’Harvard en 1936. Malgré cela, son œuvrea été oubliée pendant des années, sans doute éclipsée par celle deson contemporain plus controversé Sigmund Freud, qui s’est pourtant,au moins au début, énormément inspiré de son confrère français. Deplus, Janet, afin de valoriser l’indépendance de la pensée, n’a jamais

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formé de disciples qui puissent promouvoir sa parole, bien qu’il ait étédécrit par ses contemporains comme un admirable professeur et unthérapeute extrêmement respectueux de ses patients. C’est donc depuisune quinzaine d’années seulement, et sous l’impulsion des chercheursen psychotrauma, et de l’Institut Pierre-Janet en France, que la penséejanétienne connaît un retour sur le devant de la scène.

Théorie janétienne de la dissociation

C’est en effet l’étude de la dissociation psychique et de ses liensavec les expériences traumatiques qui vaut à l’œuvre de Janet d’êtreredécouverte. Ce que l’on regroupe aujourd’hui sous le terme de« troubles dissociatifs* » désigne en réalité les phénomènes hystériquesanalysés par Charcot et ses contemporains. Janet étudie les patientshystériques car il estime que « les lois de la maladie sont les mêmes quecelles de la santé » (1889, p. 33). Ses observations, à l’hôpital du Havrenotamment, amènent Janet à développer la théorie du philosophefrançais Pierre Maine de Biran (1766-1824), selon laquelle en dessous duniveau de conscience s’étend une vie inconsciente qui se manifeste dansle sommeil et le somnambulisme. Janet parle, lui, de « subconscient »,le terme « inconscient » étant à l’époque imprégné de connotationsmétaphysiques.

Cette activité subconsciente est qualifiée « d’automatisme psycholo-gique » (et c’est le nom qu’il donnera à sa thèse de philosophie) carelle est spontanée et régulière. L’automatisme peut être :

• partiel : lorsqu’il occupe seulement une partie de l’esprit, comme parexemple dans les cas d’anesthésies hystériques ;

• total : lorsque l’esprit est totalement dominé par la reproduction del’expérience passée, comme dans les états somnambuliques ou dansles crises hystériques.

La pensée normale synthétise les niveaux subconscient et conscient, cequi permet de créer une certaine unité du moi et d’organiser l’activitéprésente. Mais chez certains sujets s’opère un « rétrécissement duchamp de la conscience » dans lequel l’individu n’arrive plus à prendreen compte simultanément et à synthétiser les différents phénomènesDu

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psychologiques. Certains de ces phénomènes sont donc enregistrés par laconscience alors que d’autres en sont dissociés et restent subconscients.

Les maladies somatiques graves, l’épuisement ou les états émotionnelsextrêmes suscités par un traumatisme sont responsables d’un intenserétrécissement du champ de la conscience que Janet qualifie de« misère psychologique » : dans cet état de faiblesse de la synthèsepsychologique, les éléments dissociés de la conscience peuvent semanifester (plus tard, Freud et Breuer (1895) dans leur théorisationde l’hystérie, avanceront l’idée contraire selon laquelle les souvenirstraumatiques sont activement refoulés par le moi).

La théorie de la « désagrégation » ou « dissociation psychique »(Janet emploie les deux termes de façon indifférenciée1) est un pointfondamental de la théorie janétienne, souvent interprété à tort commeun certain mépris de Janet à l’égard des sujets traumatisés. Il ne s’agiten aucun cas de dire que les patients traumatisés sont des « faibles » :le sujet est dissocié parce que ses capacités mentales sont affaibliespar de fortes émotions qui altèrent sa capacité à intégrer les contenusmentaux dans la conscience.

Janet montre donc que des expériences émotionnelles extrêmes peuventêtre dissociées de la conscience, devenir des sortes d’aimants autourdesquels d’autres phénomènes psychologiques s’organisent, et réappa-raître dans les crises d’hystérie. Ainsi, Janet découvre avec l’hypnoseque l’état de terreur dans lequel se trouve l’une de ses patientes, Marie,pendant ses crises est une actualisation de l’effroi qu’elle a ressenti àseize ans lorsqu’elle a vu une vieille femme se tuer en tombant dans lesescaliers. Justine quant à elle est obsédée au niveau subconscient parl’image des cadavres de deux personnes mortes du choléra, une « idéefixe » elle-même reliée à d’autres traumatismes plus anciens ancrés deplus en plus profondément dans le subconscient.

1. Janet parle en 1889 de « désagrégation mentale », terme qui sera traduit auxÉtats-Unis par celui de « dissociation ». Il acceptera cette traduction et l’utilisera sousla même forme en français, employant alors les deux termes de façon indifférenciée. Ànoter que le terme de « dissociation » était utilisé en France dès 1845 par J.-J. Moreaude Tours pour décrire les phénomènes psychiques observés chez les consommateursde haschich.

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Ces idées fixes sont des images mentales assorties d’une chargeémotionnelle très forte. Chez les hystériques, elles sont isolées dela personnalité habituelle mais continuent à être perçues dans les rêves,pendant les épisodes dissociatifs comme les crises d’hystérie, ou pendantce que nous appelons aujourd’hui des flash-back, et sous hypnose.

Conclusion

Cet exposé très synthétique de la théorie de la désagrégation psychique montrel’actualité de l’œuvre janétienne, à une époque où la dissociation est reconnuecomme étant le nerf du traumatisme. Pierre Janet a considérablement influencéson époque à travers des auteurs comme Freud, Jung ou Adler. Eugen Bleuler(1911) s’est inspiré de Janet pour décrire les phénomènes à l’œuvre dansla schizophrénie. La « Spaltung » de Bleuler décrit un effondrement (et nonune compartimentalisation) des fonctions psychiques qui caractériserait les étatsdémentiels. C’est cette acception du terme qui domine toujours dans la terminologiepsychiatrique française, et qui a participé à l’oubli du concept de Janet. Pourtant,son œuvre immense (une vingtaine de volumes et deux cents à trois centsarticles ou contributions à des ouvrages collectifs) couvre tous les domaines dela psychologie, normale et pathologique, et continue d’inspirer les plus grandschercheurs contemporains, comme Bessel van der Kolk ou Onno van der Hart1 .

☞ Historique, Dissociation et détresse péritraumatiques, Troublesdissociatifs.

1. Dunod a consacré un ouvrage à la dissociation traumatique : Kédia, Vanderlinden,Lopez et al., 2012. Dissociation et mémoire Traumatique. Historique, clinique,psychothérapie et neurobiologie.Du

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Edmonde-Jeanne Chauvel

L ’APPORT de Sàndor Ferenczi à l’étude du psychotraumatisme est essentielen particulier pour les réflexions actuelles sur la maltraitance infantile et la

psychiatrie dynamique.

« Ayant fait de la psychanalyse* une démarche agnostique et subversive,scientifique dans son objet, militante dans sa pratique » (Sabourin,1985), Ferenczi fut pionnier en son temps, ce qui explique que sonœuvre fut si longtemps occultée. Écrit en 1932, publié en 1969, parupour la première fois en français en 1985 dans la collection « Sciencesde l’homme », son journal clinique regroupe l’essentiel de sa théorie etde sa pratique.

S’interroger sur Ferenczi, c’est s’interroger sur le sens de la psychanalyseet sur les conditions de son exercice.

Franc-tireur dans les domaines de la psychiatrie et de l’analyse, vivantdans une époque avant-gardiste, son attitude fut toujours de cernerDu

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le véritable sens et le but du travail psychanalytique. Il se singularisepar le fait que son travail tant technique que clinique ne s’est jamaisreposé sur des dogmes et principes établis. Il a toujours été en état de« veille » et d’écoute, remettant sans cesse en cause ses méthodes etsa pratique.

Ferenczi définit son travail analytique comme une démarche de confianceabsolue en la vérité subjective, et ceci dans une fidélité aux exigencesscientifiques telles que Freud les envisageait.

Qui était Sàndor Ferenczi ?

Né à Miskolcz, en Hongrie, le 7 juillet 1873, il est le huitième desonze enfants de Bernath Fränckel, immigrant juif polonais originairede Cracovie. Héros de la guerre d’indépendance, Fränckel ouvrit unelibrairie à Miskolcz et fit magyariser son nom en « Ferenczi ». Sàndors’implique très vite dans un mouvement de protestation contre l’ordremédico-psychiatrique de son pays. Dès avant sa rencontre avec Freud,il avait fait de nombreuses publications contestataires. Il devient lecorrespondant permanent de Freud de 1908 à 1933, année de sa mort.Il était l’exception parmi les élèves et les amis, l’enfant terrible parmiles sauvages de la horde des frères, pour être désigné un jour, comme« le grand vizir secret » d’un Freud sultan de sa propre cause (Sabourin,1985).

Sàndor était le fils préféré de son père, qu’il perdit à l’âge de 15 ans ;si ses parents étaient extrêmement ouverts sur les plans intellectuelet politique, ils étaient en revanche très réservés au sujet de la vieaffective. Ferenczi en souffrit beaucoup et ce vécu d’enfance contribuasans doute à l’élaboration des théories développées en particulier dansThalassa (1924), psychanalyse des origines de la vie sexuelle et Confusionde langue entre adultes et l’enfant, œuvre très importante dans sathéorisation du traumatisme infantile.

Sans doute sa personnalité, son histoire familiale et personnelle, sacompréhension des phénomènes psychiques chez les patients souffrantde graves traumatismes, son implication personnelle dans la conduitede la cure et sa conception de la psychanalyse l’ont-elles amené à

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échapper au dogmatisme, à expérimenter et à modifier en fonction descas sa méthode de « thérapie active » en introduisant à l’éclairage deson expérience clinique la néo-catharsis et le principe de relaxation,à tenter « l’analyse mutuelle » pour les cas difficiles, à élaborer lesfondements de ce qu’il voulait être une bio-analyse dans Thalassa et quiest devenue la psychosomatique.

Précurseur et enthousiaste, Ferenczi n’est pas à l’abri des contradictionsni des incohérences qui font partie du mouvement de la vie. Pour lui,aucune élaboration théorique, si satisfaisante soit-elle intellectuelle-ment, ne prévaut à l’exigence de vérité.

La théorisation du trauma

Ferenczi commence à écrire sur le trauma avant la rédaction du journalclinique (« Réflexions sur le traumatisme » in Psychanalyse IV, 1927-1933). Ses notes sont théorisées dans Confusion de langue entre lesadultes et l’enfant, le langage de la tendresse et de la passion et dansNotes et fragments (1930-1932).

Toujours à propos d’un événement traumatisant, dans un articleposthume de Psychanalyse IV (« Réflexions sur le traumatisme »), ilparle d’un « choc » équivalent à l’anéantissement de soi, de la capacitéde résister, d’agir et de penser en vue de défendre le soi propre, pouvantaller jusqu’à l’écroulement.

Dans le Journal clinique, il parle d’une « commotion psychique », réac-tion à une excitation extérieure ou intérieure sur un mode autoplastique(qui modifie le soi) plutôt qu’alloplastique (qui modifie l’extérieur).Cette modification implique « une dissolution du soi précédent ». Unnouveau moi ne peut être formé directement à partir du moi précédent,mais à partir de fragments, produits plus ou moins élémentaires de ladécomposition de celui-ci (éclatement, atomisation, fragmentation).

La force relative de l’excitation « insupportable » décide du degré et dela profondeur de la décomposition du moi. Selon la force de l’excitation,il peut y avoir changement de l’état conscient, perte de l’état conscient,syncope, ou mort.

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