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Numéro 53 – NOVEMBRE 2017 Département AIN L’HISTOIRE D’UNE SOCIETE QUI TOMBE, SOUS NOS YEUX Je travaille pour deux agents, c'est normal, je dois l'accepter et je me tais. Mes charges de travail augmentent, c'est normal, je dois l'accepter et je me tais. Je n'ai plus possibilité de monter à l'échelon supérieur aussi vite qu'avant (fin de la réduction de deux ou un mois + PPCR en forme de carotte…empoisonnée), c'est normal, je dois l'accepter et je me tais. Je n'ai plus de perspective de carrière, car les concours / examens et promotions n'offrent que de ridicules ratio « postes offerts / candidats », c'est normal, je dois l'accepter et je me tais. Mon pouvoir d’achat baisse depuis 20 ans (gel du point d’indice, hausse des prix non compensée depuis un quart de siècle, hausse de la CSG programmée l’an prochain), c’est normal, je dois l’accepter et je me tais. Autour de moi j'entends des politiques me traiter de fainéants, j’entends des citoyen(ne)s me traiter de nantis parce que (soi-disant) j'ai une « sécurité de l'emploi » et un « statut » (plus pour très longtemps), c'est normal, je dois l'accepter et je me tais. Je stresse au travail, parfois je n'arrive pas à faire "la coupure", j'y pense même chez moi le soir, en congés..., c'est normal, je dois l'accepter et je me tais. Je me sens submerger intellectuellement par certaines missions, par certaines taches, c'est normal, je dois l'accepter et je me tais. Je sens une forme de compétition naissante entre collègues, un sentiment entretenu par les nouvelles méthodes de travail et de management, où les valeurs collectives s'effacent devant des pratiques individualistes entretenues par ma hiérarchie (...et bientôt le RIFSEEP avec des primes « au mérite »), c'est normal, je dois l'accepter et je me tais. Je suis régulièrement écrêté(e) pour "y arriver", je fais plus d'heures de travail que de raison, sinon "j'y arrive pas", c'est normal, je dois l'accepter et je me tais. Parfois, je cherche du sens à ma mission, c'est normal, je dois l'accepter et je me tais. (…) LA HAINE est un film français de 1995. Un film dramatique en noir et blanc sur la banlieue écrit et réalisé par Mathieu Kassovitz. Nommé 11 fois aux César, ce film en obtient trois dont celui du meilleur film en 1996. Trois copains d'une banlieue ordinaire traînent leur ennui et leur jeunesse qui se perd. Ils vont vivre la journée la plus importante de leur vie après une nuit d'émeutes provoquée par le passage à tabac d'Abdel Ichah lors d'un interrogatoire. Sans moyens délirants, sans prétention mais avec une qualité d'écriture exceptionnelle, La Haine a su devenir un vrai classique de la trempe de ceux qui alimentent notre "exception culturelle française". ÉDITO

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Numéro 53 – NOVEMBRE 2017 Département AIN

L’HISTOIRE D’UNE SOCIETE QUI TOMBE, SOUS NOS YEUXJe travaille pour deux agents, c'est normal, je dois l'accepter et je me tais.Mes charges de travail augmentent, c'est normal, je dois l'accepter et je me tais.Je n'ai plus possibilité de monter à l'échelon supérieur aussi vite qu'avant (fin de la réduction de deux ou unmois + PPCR en forme de carotte…empoisonnée), c'est normal, je dois l'accepter et je me tais.Je n'ai plus de perspective de carrière, car les concours / examens et promotions n'offrent que de ridicules ratio « postes offerts / candidats », c'est normal, je dois l'accepter et je me tais.Mon pouvoir d’achat baisse depuis 20 ans (gel du point d’indice, hausse des prix non compensée depuis unquart de siècle, hausse de la CSG programmée l’an prochain), c’est normal, je dois l’accepter et je me tais.Autour de moi j'entends des politiques me traiter de fainéants, j’entends des citoyen(ne)s me traiter de nantis parce que (soi-disant) j'ai une « sécurité de l'emploi » et un « statut » (plus pour très longtemps), c'estnormal, je dois l'accepter et je me tais.Je stresse au travail, parfois je n'arrive pas à faire "la coupure", j'y pense même chez moi le soir, en congés..., c'est normal, je dois l'accepter et je me tais.Je me sens submerger intellectuellement par certaines missions, par certaines taches, c'est normal, je dois l'accepter et je me tais.Je sens une forme de compétition naissante entre collègues, un sentiment entretenu par les nouvelles méthodes de travail et de management, où les valeurs collectives s'effacent devant des pratiques individualistes entretenues par ma hiérarchie (...et bientôt le RIFSEEP avec des primes « au mérite »), c'est normal, je dois l'accepter et je me tais.Je suis régulièrement écrêté(e) pour "y arriver", je fais plus d'heures de travail que de raison, sinon "j'y arrive pas", c'est normal, je dois l'accepter et je me tais.Parfois, je cherche du sens à ma mission, c'est normal, je dois l'accepter et je me tais.(…)LA HAINE est un film français de 1995. Un film dramatique en noir et blanc sur la banlieue écrit et réalisé par Mathieu Kassovitz. Nommé 11 fois aux César, ce film en obtient trois dont celui du meilleur film en 1996.Trois copains d'une banlieue ordinaire traînent leur ennui et leur jeunesse qui se perd. Ils vont vivre la journée la plus importante de leur vie après une nuit d'émeutes provoquée par le passage à tabac d'Abdel Ichah lors d'un interrogatoire.Sans moyens délirants, sans prétention mais avec une qualité d'écriture exceptionnelle, La Haine a su devenir un vrai classique de la trempe de ceux qui alimentent notre "exception culturelle française".

ÉDITO

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C'est l'histoire d'un homme qui tombe d'un immeuble de 50 étages. Le mec, au fur et à mesure de sa chute, ilse répète sans cesse pour se rassurer : « Jusqu'ici tout va bien... Jusqu'ici tout va bien... Jusqu'ici tout va bien. »

Mais l'important, c'est pas la chute.C'est l'atterrissage.

Jeudi 23 novembre prochain, il faut stopper la chute tous ensemble !

Silentium est lex (Le silence est loi)Un Proverbe russe nous explique « Bon silence vaut mieux que mauvaise dispute ». Est-ce pour cela que se développe au sein de notre hiérarchie locale une pratique qui consiste à demander à des agents, de ne pas évoquer certains sujets lors de réunions avec l’un ou l’autre des responsables de Pôle ?On reste interloqués et en quête des fondements de cette demande asservissante. Alors pourquoi ?Sur le plan de la raison il va de soi que « Si la parole que tu vas dire n’est pas plus belle que le silence, ne la dis pas. » (Proverbe Soufi).Mais cela vaut pour tous et surtout pour celui ou celle qui se réserve le droit à la parole.Alors y a-t-il quelque chose à cacher ?Les agents, acteurs locaux des missions, des gens responsables de leurs actions, n’ont-ils pas vocation, à s’impliquer, à proposer, plutôt qu’à se taire ?

C’est pourquoi, la dégradation de nos conditions de travail nous impose de briser encore la loi du silence.

Panem et circenses (Du pain et les jeux du cirque)Après un mouvement de grève unitaire ou certains services locaux comptaient plus de 50 % de grévistes, il est d'étonnantes chronologies, presque Freudiennes, révélatrices d'actes pas si manqués que cela.C'est ainsi qu'à la veille de l'appel à la grève du 10 octobre dernier, nous recevions ce message de la délégation de l'action sociale :« Nous vous rappelons, l’initiation au cirque qui se déroulera au gymnase Charles Robin à Bourg en Bresse ». Oui... s'initier au cirque est aujourd'hui notre lot quotidien : une troupe réduite, une organisation chaotique comme un trapèze volant mal maîtrisé, des services asphyxiés comme des magiciens dans leur boîte, un Monsieur Loyal pas si loyal que cela, et même des usagers en spectateurs interloqués !Oui... s'initier au cirque n'est qu'un début, puisque la DGFiP supportera en 2018 l'ensemble des suppressions d'emplois de la Fonction Publique d’État, soit 1 600 !Et dire que certains ont pu penser avec Nicolas Sarkozy (2008) que « Désormais, quand il y a une grève, plus personne ne s'en aperçoit. » !

Sommes-nous déjà les dindons de la farce de Noël ? Il faut croire en tout cas que le spectacle circassien est abouti. Le Ministre Darmanin, un clown pas tout blanc, nous promet « Fonctionnaires = 4% d'augmentation en 2017 !!! » (éclats de rire jaune pour une grande claque dans la poire de l'Auguste) ! Rappelons-lui avec Marc Escayrol que : « Si les ouvriers d'une usine en grève ont profité du fait que le patron ait finalement accepté de relever la grille des salaires pour s'évader », il n'y a aucune chance que les fonctionnaires trouvent la sortie.On doit excuser ceux qui ne peuvent user du droit de grève. Car comme le soulignait Michel Piquemal - Le Prophète du libéralisme [satire] : "L'endettement est bon. Car l'endettement des hommes est le meilleur gage de servilité. Qui oserait manifester, user du droit de grève quand il doit tous les mois honorer une honteuse et éternelle dette ?"

À toi qu’on bâillonne, je veux dire avec Tahar Djaout « Le silence, c’est la mort, et toi, si tu te tais, tu meurs et si tu parles, tu meurs. Alors dis et meurs ! ».À toi qui n’oses pas désobéir « Ne prenez pas mon silence pour faiblesse, mais un défi à votre colère.» (Mofaddel Abderrahim).À toi qui interdis, qui asservit, je veux dire avec George Bernard Shaw « Le (leur) silence est l’expression la plus parfaite du (de leur) mépris.». Saches que « Le silence, surtout prolongé, finit par susciter et confectionner de la parole. Ou plutôt souvent du bruit.» (Nabil Alami) et que se taire est une erreur parce que « Le silence a toujours développé et codifié les vérités. Surtout celles des autres… » (Nabil Alami), les plus dangereuses pour les agents.

Rassurons-celui là : les suppressions d'emplois ça se voit, parce que la fonction publique ça devient le cirque !Grévistes comme non grévistes, rappelons-nous que « dans Grève il y a rêve ... ».Ce même rêve que le cirque, le vrai cirque, est capable de provoquer. Chacun rêve à sa façon, Daniel Prévost nous expliquait dans ses Pensées « Mille cinq cents oies du Périgord ont entamé une grève de la faim à quelques jours de Noël. On ignore encore les causes d'une telle décision ».

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Nul ne peut refuser de s'indigner, car même « Face à l'ampleur du métier de vivre, on est tenté de faire la grève » - Arthur Dreyfus.

Nous ne sommes ni fainéants, ni cyniques, ni extrêmes mais nous sommes un Barnum déconstruit, bientôt replié, comme tant de ces cirques vidés de leur substance, jugés inutiles à la société.

PING PONG…GAGNANT !

Première balle lancée par la DDFiP de l’Ain, sûre d’elle, comme toujours.« Vos frais de déplacement pour aller de votre domicile à votre résidence administrative ne sont pas remboursés en vertu du principe selon lequel les frais de déplacements occasionnés lors d’une mission ou d’un stage donnent droit à remboursement uniquement lorsqu’ils s’effectuent en dehors des résidences administrative et familiale. Par conséquent, dès lors que vous prenez le train en gare de Bourg, votre déplacement pour vous rendre jusqu'à Bourg n'a pas à être indemnisé dès lors qu'il s'agit de votrerésidence administrative et que le déplacement correspond à votre trajet domicile travail habituel. La note de 2013 reprend précisément ce principe et la note RH2C de 2015 ne déroge pas à ce principe. La partie de déplacement correspondant à votre trajet domicile - résidence administrative n'a donc pas à être indemnisée. »DDFiP Ain – Agent 1-0

L’agent, légèrement groggy, prend la balle et sert à son tour, avec un brin de sérénité tout de même. « Je vous prie de bien vouloir m’expliquer le changement de vos modalités de remboursements des frais. En effet, depuis février 2015 jusqu’en mars 2017, il m’a été remboursé mes trajets de ma résidence personnelle jusqu’à la gare lors de mes stages ou de mes participations aux concours. De plus, c’est sur les conseils de votre service que jedéclarais mes frais de trajets et que ces derniers m’étaient remboursés (suite à la note de 2015 ref RH-2C/2015/03/4725). Vous appliquiez le dispositif le plus avantageux pour l'agent. Je suis donc très étonné qu’aujourd’hui au vu des mêmes textes, la DDFiP de l'Ain ait changé ses modalités en revenant au dispositif le moins avantageux pour l'agent, et ce sans aucune information préalable aux agents du département. »DDFiP Ain – Agent 1-1

La Direction surprise par une telle insolence, reprend une dernière fois la balle…sert….mais c’est la catastrophe !« Suite à la précision fournie par le pôle de soutien RH, je vous confirme que vous pouvez être remboursé de la partie du trajet entre votre résidence familiale et la gare, lorsque vous vous rendez en formation à Lyon ou ailleurs, sauf à Bourg, dans les mêmes conditions que celles qui régissent l'utilisation du véhicule personnel. Vous pouvez donc renvoyer votre ordre de mission en complétant l'onglet indemnités kilométriques. »DDFiP Ain – Agent 1-2

« Insister, c’est exister », disait le Philosophe.Il faut en effet parfois se battre pour faire aboutir nos idées.

La DDFiP de l’Ain se porte candidate pour expérimenterles nouvelles règles de mutation

Notre Directeur Général l’a annoncé sur Ulysse le 16 octobre dernier : les règles de mutation vont profondément changer, avec le basculement sur une logique départementale d’affectation.Des freins vont être portés à la mobilité géographique nationale des personnels. L’annonce d’une mise en œuvre échelonnée se trouve contredite par des effets qui auront des conséquences dès les prochains mouvements 2018.– Déconcentration des affectations du national vers le local.– Un délai de séjour de 3 ans sur le poste de 1ère affectation.– Un délai de 2 ans entre deux mutations (1 an pour les agents en situation de rapprochement familial même à l'intérieur du département).– La suppression du mouvement complémentaire C en mars.– La création d'un mouvement spécifique C avec effet au 1er mars (mouvement ciblé sur des postes vacants).– La publication d'un mouvement quasi définitif entre fin avril et début juin en fonction de la catégorie.(etc)

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Ces magnifiques « avancées sociales » plaisent tellement à notre directeur, qu’il propose immédiatement les services de son équipe des ressources humaines, réclamant ainsi à la Centrale l’expérimentation de ces nouvelles règles, dès l’an prochain.

TOUS EN GREVE LE JEUDI 23 NOVEMBRE !

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