Lâge dor Du premier matin au grand soir du monde.

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L’âge d’or L’âge d’or Du premier matin Du premier matin au grand soir du monde au grand soir du monde

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L’âge d’orL’âge d’or

Du premier matinDu premier matinau grand soir du mondeau grand soir du monde

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« Il est arrivé, le dernier âge prédit par la prophétie de Cumes ; voici

que renaît, en son intégrité, le grand ordre des siècles; ... Sur le monde entier surgira la race d’or »

(Virgile, Bucoliques IV, 3-5)

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Présentationgénérale

Bonheur ?

Quand ?

Où ?

Aurea aetas

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Présentationgénérale

Un temps arrêté, à l’origine ou à l’accomplissement du temps humain

Quand ?

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Présentationgénérale

Le mythe de l’âge d’or postule le non-lieu, ou, à tout le moins, un ailleurs, mais il n’est pas une utopie

Où ?

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Présentationgénérale

1. La paix de l’âge d’or est un foedus, une alliance primordiale, qui s’impose naturellement ou « divinement »

entre les hommes et leur environnement au sein d’un univers parfaitement cloisonné où chaque être a sa place, sans

mélange et sans contestation.

Bonheur ?3 traits majeurs

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Présentationgénérale

Les transgressionsde l’âge d’or

Argo

Prométhée

Adam et Ève

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Présentationgénérale

2. Les hommes de l’âge d’or jouissent d’une abondance naturelle et divine

qui exclut le travail de l’agriculture

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Présentationgénérale

3. La justice de l’âge d’or s’inspire de la structure du cosmos et de la nature, où chaque élément se trouve à sa place, y

joue le rôle qu’il doit jouer et mérite le respect qui lui est dû à ce titre.

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Mémoired’un temps

révolu

Idéologied’un temps

nouveau

ROME : aetas aurea

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Jean-Paul BRISSON, Rome et l’âge d’or: de Catulle à Ovide, vie et mort d’un mythe, Paris, Éditions de la Découverte, 1992

Jacqueline FABRE-SERRIS, Mythologie et littérature à Rome. La réécriture des mythes aux Iers siècles avant et après Jésus-Christ, Lausanne, Payot, 1998 (Sciences humaines)

Joël THOMAS, Rome, ou la violence transformée. Le mythe de la régénération chez les Latins, dans J. POIRIER, L’Âge d’or, Dijon, EUD, 1996, p. 91-141 (Coll. Figures Libres).

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I. L’âge d’or: un temps révolu

Catulle(84-54)

La procession des dieux à l’occasion des noces de Thétis et Pélée

Carmen 64 : les noces de Thétis et Pélée (v. 384-408)

« Car, alors bienveillants, les habitants du ciel rendaient visite aux héros dans leurs chastes demeures et se montraient aux mariages des mortels, la piété n’ayant pas encore été bafouée […] Souvent, au cours d'une guerre meurtrière, Mars, la souveraine du fougueux Triton ou la vierge de Rhamnonte exhortèrent en personne des bataillons d'hommes armés […] Mais après que les frères ont trempé leurs mains dans le sang de leurs frères […], les enfants ont cessé de pleurer la mort de leurs parents […], un père a souhaité la mort de son fils aîné pour être libre de saisir dans sa fleur la jeune mariée […], toutes ces horreurs d’une folie perverse qui ne distingue plus le bien et le mal ont détourné de nous les justes dieux. Voilà pourquoi ils ne daignent plus visiter nos assemblées et ne nous permettent plus de les toucher dans la claire lumière du jour […] »

— Disparition de la pietas familiale // Catilina— Guerre « propre » de l’âge d’or >< guerre « sale » de l’âge de fer — Actualité politique et sociale vécue par le poète

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I. L’âge d’or:un temps révolu

Lucrèce(première moitié du Ier s. ACN)

« Lorsque l’homme apparut sur le sein de la terre, il était rude encor, rude comme sa mère ; de plus solides os soutenaient son grand corps, et des muscles puissants en tendaient les ressorts. Peu de chocs entamaient sa vigoureuse écorce ; le chaud, le froid, la faim, rien n’abattait sa force. Des milliers de soleils l’ont vu, nu sous le ciel, errer à la façon des bêtes. Nul mortel ne connaissait le fer ; nul, de ses bras robustes, ne traçait de sillons et ne plantait d’arbustes. Point de socs recourbés, alors ; point de ces faux qui des grands arbres vont trancher les vieux rameaux. Les bienfaits de la terre et des cieux, les largesses du soleil, c’étaient là nos uniques richesses. Satisfaits de ces dons spontanés, nos aïeux sous les chênes des bois paissaient insoucieux ; ou bien sous l’arbousier leur main cueillait ces baies que les hivers encore empourprent dans nos haies. Dans ces temps reculés, le sol plus généreux leur prodiguait des fruits plus gros et plus nombreux ; et, large table offerte à la naissante vie, épandait sa nouveauté fleurie. »

De la nature des choses, V, 925-944

— Le mythe est rationalisé et naturalisé :• l’âge d’or est le premier temps des sociétés humaines• les « transgressions » primitives deviennent des « usages »• état de simplicité primitive en lutte avec les éléments• l’âge d’or est le temps d’une société de l’otium

la Nature

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I. L’âge d’or:un temps révolu

Tibulle(± 55 — ±19 ACN)

« Adieu aux moissons, plutôt que de voir la campagne garder les jeunes filles. Que le gland soit notre nourriture et, comme aux temps primitifs, n’ayons pour boisson que de l’eau : le gland a été la nourriture des anciens et ils ont toujours promené leurs amours à l’aventure ; qu’ont-ils perdu à n’avoir point de sillons ensemencés ? Alors, douce à ceux qu’Amour touchait de son souffle, Vénus leur procurait à découvert le plaisir dans une vallée ombreuse ; il n’y avait pas de gardien, pas de porte pour exclure des amants affligés »

Élégies, II, 3, 67-73

— l’âge d’or s’inscrit dans l’histoire privée d’une relation sentimentale, le mythe devenant alors le symbole de la réalisation de vœux amoureux au sein d’une abondance tranquille, aujourd’hui définitivement perdue.

« … Dans cet âge heureux, le robuste taureau ne portait point le joug ; le coursier ne mordait point le frein d'une bouche domptée ; les maisons étaient sans porte ; une pierre fixée dans les champs ne marquait point la limite certaine des héritages … »

Élégies, I, 3, 35-50

— ≠ porte aux maisons ; ≠ borne aux champs

Paix de l’âge d’or = temps de la militia Veneris

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I. L’âge d’or:un temps révolu

« Alors, l'âge d'or commença ; sans justicier, sans loi, il pratiquait spontanément la bonne foi et la vertu. Les hommes ne connaissaient ni la crainte, ni les supplices ; des lois menaçantes n'étaient point gravées sur des tables d'airain ; on ne voyait pas des coupables tremblants redouter les regards de leurs juges, et les hommes vivaient en sécurité en l’absence de tout justicier. Les pins abattus sur les montagnes n'étaient pas encore descendus sur l’océan pour visiter des plages inconnues. Les mortels ne connaissaient d'autres rivages que ceux qui les avaient vus naître. Les cités n'étaient défendues ni par des fossés profonds ni par des remparts. On ignorait et la trompette guerrière et l'airain courbé du clairon. On ne portait ni casque, ni épée ; et ce n'étaient pas les soldats et les armes qui assuraient le repos des nations. La terre, sans être sollicitée par le fer, ouvrait son sein, et, fertile sans culture, produisait tout d'elle-même. L'homme, satisfait des aliments que la nature lui offrait sans effort, cueillait les fruits de l'arbousier et du cornouiller, la fraise des montagnes, la mûre sauvage qui croît sur la ronce épineuse, et le gland qui tombait de l'arbre de Jupiter. C'était alors le règne d'un printemps éternel. Les doux zéphyrs, de leurs tièdes haleines, animaient les fleurs écloses sans semence. La terre, sans le secours de la charrue, produisait d'elle-même d'abondantes moissons. Dans les campagnes s'épanchaient des fontaines de lait, des fleuves de nectar; et de l'écorce des chênes le miel distillait en bienfaisante rosée. »

Métamorphoses, I, 89-112.

Ovide(43 ACN — ± 18 PCN)

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— Typologie traditionnelle du mythe, mais Ovide n’évoque pas la vie commune des dieux et des hommes

— Pour Ovide, ce temps est irrémédiablement perdu, ce qui contredit le projet augustéen de restaurer l’âge d’or

— Pratique spontanée de la justice >< réformes législatives d’Auguste— cueillette >< retour des valeurs rurales— absence des dieux >< restauration des valeurs religieuses

La vulgate du mythe chantée par Ovide est devenue« politiquement incorrecte » à une époque où Auguste

incarne l’espérance d’un retour à l’âge d’or ouson nouvel avènement

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I. L’âge d’or:un temps révolu

« Vous, en qui est la vertu, dédaignez les lamentations efféminées et volez loin des rivages étrusques. L'Océan qui entoure le monde nous attend. Cherchons les campagnes, les heureuses campagnes, et les îles fortunées où la terre non labourée produit Cérès chaque année, où fleurit la vigne non émondée, où le bourgeon germe et ne trompe jamais, où la figue brune orne le figuier, où le miel coule du chêne creux, où la source transparente bondit dans son cours murmurant. Là, les chèvres viennent d'elles-mêmes pour qu'on les traie, et les brebis dociles apportent leurs pleines mamelles ; la contagion n'y attaque point les troupeaux, et nul astre brûlant ne les consume ; l'ours n'y gronde point le soir autour des bergeries, et la vipère qui se dresse n'y soulève pas la terre […] Après l'airain, Jupiter fit les siècles de fer, auxquels, selon ma prophétie, les hommes pieux échapperont par une fuite heureuse. »

Épode XVI

— l’âge d’or a définitivement quitté le temps commun aux hommes, marqué par la violence, mais il demeure accessible dans le lieu mythique des Îles Fortunées pour les hommes « pieux » d’aujourd’hui. L’âge d’or est contigu à l’âge de fer; le mythe entre dans l’histoire;— l’âge d’or est moins une alternative au temps des hommes qu’une alternative au temps présent

Horace(65 ACN — 8 ACN)

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II. Les artisansd’un temps nouveau

a. L’âge augustéen:retour à l’âge d’or archaïque

b. L’âge néronien:retour à l’âge d’or primitif

Auguste(63 ACN — 14 PCN)

Néron(37 — 68)

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« Voici finir le temps marqué par la Sibylle.

Un âge tout nouveau, un grand âge va naître ;

La Vierge nous revient, et les lois de Saturne ;

Et le ciel nous envoie une race nouvelle.

Bénis, chaste Lucine, un enfant près de naître

Qui doit l’âge de fer changer en âge d’or ;

Ton Apollon déjà règne à présent sur nous.

Toi consul, Pollion, cette gloire s’annonce ;

Sous ton autorité va naître un siècle auguste,

Et s’il subsiste encor des traces de nos crimes,

La terreur jamais plus n’accablera le monde. »

(Virgile, Bucoliques IV, 4-14)

Traduction de Paul Valéry

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La Quatrième Bucoliquede Virgile

Virgile(70 ACN — 19 ACN)

— l’âge de la gens aurea, évoqué sous les traits les plus familiers du mythe, est un âge à venir, qui porte en lui l’espérance d’un renouveau, et il s’inscrit dans la continuité d’un temps historique parfaitement identifié

G.P. Pannini (1691-1765), Prédication d’une sibylle

— l’enfant symbolise un processus de croissance qui conduit à la dernière phase de l’histoire, mais après en avoir inversé le cours

— à chaque étape du développement de l’enfant correspond un des traits majeurs du mythe

— le poème affleure d’allusions messianiques qui furent autant de pierres d’attente pour une relecture chrétienne

L’âge d’orn’est plus acquis au terme d’un éternel retour ;il se conquiert au terme d’un retour à l’éternité.

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La restaurationd’un âge d’or géorgique et la réhabilitation des valeurs rurales

La Première Géorgique oppose l’abondance de l’illud tempus au nécessaire travail de la terre aujourd’hui

La Deuxième Géorgique localise la « Saturnia tellus » dans la campagne italienne:

— qui fut le dernier refuge de la Justice;— qui ne connaît pas les guerres civiles;— dont la terre prodigue une nourriture facile

L’heure n’est plus à l’opposition entre les âges d’or et de fer,mais à une reconfiguration de la théorie des âges,

car l’âge d’or revient désormais à la portéedes hommes s’ils retrouvent le sens du travail de la terre

qui est un des acquis majeurs de l’âge de fer.

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L’Énéide:l’âge d’or dans le temps de la Rome augustéenne

« Alors le roi Évandre, fondateur de la citadelle de Rome, dit : “En ces bois habitaient les Faunes et les Nymphes indigènes, ainsi qu'une race d'hommes nés du tronc de chênes durs, êtres sans coutumes ni culture, qui ne savaient ni atteler des taureaux, ni amasser des richesses, ni épargner ce qu'ils avaient acquis; la cueillette et la chasse des bêtes sauvages assuraient leur subsistance. Le premier qui vint de l'Olympe céleste fut Saturne, fuyant les armes de Jupiter, exilé, privé de son trône. Il rassembla cette race ignorante et dispersée en haut des collines, pour lui imposer des lois. Il choisit d'appeler ce lieu Latium, puisqu'il s'était caché, bien à l'abri, sur ces bords. Les siècles qui s'écoulèrent sous son règne, on les appelle dorés : tant le roi maintint ces peuples dans une paix profonde, jusqu'à ce que, peu à peu, lui succède un âge dégradé, sans éclat, où la guerre faisait rage et où régnait la soif de richesses”… »

Virgile, Énéide VIII, 313-327

L’âge d’or reste un âge saturnien, mais— il n’est plus le premier âge du monde;— il n’est plus un non-lieu;— il est un âge de lois et de socialisation

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Il est un âge ancré dans le temps des hommes et dans un lieu géographique. C’est un âge italien, romain, augustéen, comme l’annonce Anchise à son fils Énée dans la prophétie du chant VI:

« Voici César, et toute la descendance de Iule, qui un jour apparaîtra sous l'immense voûte céleste.Oui, c'est lui, voici le héros, dont si souvent on te répète qu'il t'est promis ; Auguste César, né d'un dieu, fondera un nouveau siècle d'or ; régnant sur les terres où régnait autrefois Saturne, il étendra son empire au-delà des Garamantes et des Indiens »

Virgile, Énéide, VI, 789-795

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Un temple pour l’âge d’or augustéen : l’Ara pacis

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« L’empereur-artiste »:Rupture entre la fiction théâtrale et la réalité quotidienne

— Néron est le héros de son propre drame— Le mythe et l’humanité sont un temps unique— La mythologie devient un mode de vie et de gouvernement

— L’âge d’or est le laboratoire privilégié d’une expérience de fusion— La nature de l’âge d’or ne connaît ni limite, ni différenciation— ≠ transgression, ≠ morale, ≠ loi, ≠ interdit, ≠ frontière— Le théâtre est la vie et inversement

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« On offrit aussi au peuple des cadeaux de tout genre, chaque jour : quotidiennement un millier d’oiseaux de toute espèce, bien plus encore de victuailles, de bons pour du blé, des vêtements, de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, des perles, des tableaux, des esclaves, des bêtes de somme, et même des fauves apprivoisés, enfin des navires, des maisons et des terres »

Suétone, Néron, 11, 4

« Il y (= Naples) fit son entrée sur un char attelé de chevaux blancs, par une brèche ouverte dans la muraille, comme c'est l'usage pour les vainqueurs des jeux sacrés ; il entra de même [...] à Rome ; mais, en outre, à Rome il était sur le char qui avait servi autrefois pour le triomphe d'Auguste, vêtu de pourpre, avec une chlamyde parsemée d'étoiles d'or, la couronne olympique sur la tête, et la couronne pythique à la main droite, précédé d'un cortège portant ses autres couronnes, avec des pancartes qui mentionnaient en quel lieu, de quels concurrents, pour quel chant ou pour quelle pièce il avait triomphé ; son char était suivi, comme pour les ovations, de ses applaudisseurs, qui ne cessaient de crier : "Nous sommes les Augustians et les soldats de son triomphe." »

Suétone, Néron, 25, 1

Dévoiement d’un rituel d’abondance

Dévoiement du rituel triomphal

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Un palais pour l’âge d’or néronien : la Domus aurea

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Domusaurea

Grotesques

Hector et Andromaque

Achille à Skyros

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Sénèque(± 1 ACN — 65 PCN)

Lettre 90 à Lucilius : natura (âge d’or) >< ars (≠ âge d’or)

—  « Pour subvenir à la nature, la nature suffit »— « La nature ne donne pas la vertu; c’est un art que de devenir homme de bien »

seule la sagesse permet de réconcilier l’art et la nature, mais cela ne peut être que dans notre temps et non dans un âge d’or artificiellement reconquis par la folie technologique de l’humanité

Une conscience de l’Empire néronien…

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Sénèque(± 1 ACN — 65 PCN)

— le voyage d’Argô annonce la fin de l’âge d’or, le temps du chaos, le temps de Médée (>< âge d’or néronien);— mais ce temps est aussi le temps du progrès humain, nécessaire à tout processus de civilisation (>< inertie de l’âge d’or)

« Nos pères virent des siècles heureux, éloignés de toute fraude. Chacun, paresseusement attaché à ses rivages, devenu vieux sur la terre de ses ancêtres, riche de peu, ne connaissait de ressources si ce n’est celles qu’avait produites le sol natal. Les règles de ce monde bien clôturé, le pin thessalien les réduisit à une seule : il contraignit la mer à subir ses coups et les flots éloignés à devenir une partie de nos peurs […] Quel fut le prix de cette course ? La Toison d’or et Médée, mal plus grand que la mer, récompense digne de ce premier navire. Maintenant désormais la mer a cédé et elle subit toutes les lois ; on ne cherche plus une Argô assemblée par la main de Pallas, illustre en ramenant les rames de rois ; n’importe quelle barque parcourt le large en tout sens ; toute borne a été déplacée et des villes ont installé leurs murailles sur une terre nouvelle ; accessible de partout, le monde n’a laissé aucune chose à la place où elle avait été : l’Indien boit les eaux glaciales de l’Araxe, les Perses boivent celles de l’Elbe et du Rhin. Viendront plus tard, avec les années, des temps où l’Océan relâchera les barrières des choses, où la terre s’ouvrira immense, où Thétys dévoilera de nouveaux mondes et où, parmi les terres, Thulé ne sera plus la dernière. »

Sénèque, Médée, 329-339 et 361-379

Au total, la critique de Sénèque attaque la conception néroniennede l’âge d’or sur deux fronts. Elle en conteste la typologie, en réaffirmantclairement que l’âge d’or était un âge « cloisonné », un âge de normes,de frontières qui étaient autant de foedera, imposant à chacun de rester

là où il était né et à chaque espèce de se développer selon ses limites propresen parfaite communion avec une nature faite de simplicité, de pauvreté, d’austérité.Mais, en plus, Sénèque constate l’irrémédiable disparition de ce temps et il s’interdit

de le considérer comme un temps du bonheur absolu ou, à tout le moins,de dévaluer a priori les âges ultérieurs.

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« Alors, du haut de son trône, le père des dieux prend ainsi la parole : "Les affaires de la terre, longtemps négligées, ont attiré de nouveau mes soins. Déjà, lorsque j'eus reconnu la mollesse du siècle de Saturne, et la vieillesse de cet âge sans énergie, je résolus de réveiller, par les aiguillons d'une vie agitée, les peuples assoupis et engourdis sous le sceptre de mon père. Je ne voulus plus que la moisson couvrît d'elle-même les champs sans culture, que le miel découlât du tronc des arbres, que le vin grossît les fontaines, et que les coupes s'emplissent de nectar sur les rives frémissantes. Ce ne fut point pour nuire ; les dieux connaissent-ils la jalousie et le plaisir de nuire ? Mais le luxe n'écarte, ne déconseille-t-il pas la vertu, et l'abondance ne ferme-t-elle pas l'intelligence humaine ; tandis que la nécessité, l'ingénieuse nécessité réveille les âmes endormies et se fraie des voies nouvelles vers les choses inconnues. C'est par elle que l'adresse enfante les arts, et que la culture les perfectionne. »

Claudien, L'enlèvement de Proserpine, III, 18-32

Condamnation de l’âge d’or :

— au titre de son inertie, de sa facilité, de son luxe >< morale de l’éveil, de l’effort, de la pauvreté ;— natura >< artes ;

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Sarcophage Ludovisi (fin du IIIe s).

Retour de la paix parmi les animaux, de la joie de la terre, d’un climat partout tempéré,

MAIS

— renoncement à la « barbarie » des origines;— éloge des voyages et de la guerre pour éradiquer la « barbarie » des confins

« Partout où la porte son vol, la paix renaît parmi les oiseaux, les bêtes féroces dépouillent en frémissant leur fureur, et la terre tressaille au retour de cette déesse disparue avec le siècle d’or… C’est toi, ô déesse qui, la première, arrachas les humains aux antres des forêts et à une vie indigne de leur nature ; c’est à toi que nous devons d’avoir connu des lois et dépouillé le naturel des bêtes féroces. Le mortel, dont le cœur pur a goûté tes leçons, s’élancera sans effroi dans les flammes, fendra les mers orageuses, vaincra sans armes d’épais bataillons. Les pluies adouciront même les chaleurs d’Éthiopie ; par-delà la Scythie, un air de printemps accompagnera ses pas. »

Claudien, Panégyrique pour le consulat de Manlius Theodorus, 121-123 ; 190-197.

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Conclusion

En toute hypothèse, l’âge d’or romain est un cadre de référence mythique par rapport auquel se définit l’exercice du pouvoir, tour à tour contesté ou légitimé.

Parallèlement, l’âge d’or à Rome est lié à une vision de l’histoire qui alterne le respect ou la négation de valeurs morales.

Tour à tour cristallin et opaque, ordonné et chaotique, immobile et grouillant, harmonieux et monstrueux, l’âge d’or est décidément un mythe dont les virtualités dialectiques ont permis à Rome d’historiciser, dans un temps refoulé, accompli ou attendu, la complexité et les tensions de son propre développement en lien avec le questionnement toujours renouvelé sur les origines.