L'Affectio Societatis

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VENZON Christophe DEA de droit des affaires Université Robert Schuman Faculté de droit, de sciences politiques et de gestion de Strasbourg L’AFFECTIO SOCIETATIS Mémoire réalisé sous la direction de M. Jean-Luc ELHOUEISS Année 2002-2003

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VENZON Christophe DEA de droit des affaires Université Robert Schuman Faculté de droit, de sciences politiques et de gestion de Strasbourg

L’AFFECTIO SOCIETATIS

Mémoire réalisé sous la direction de M. Jean-Luc ELHOUEISS

Année 2002-2003

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L'AFFECTIO SOCIETATIS Introduction Section 1 : L'affectio societatis dans la constitution de la société I/ Une notion conceptuelle A/ L'affectio societatis, expression du consentement des parties

B/ Les pouvoirs du juge par rapport à la notion d'affectio societatis dans la constitution de la société

II/ Une notion fonctionnelle A/ La perte de vitesse du concept d'affectio societatis B/ Un aménagement nécessaire Section 2 : L'affectio societatis au cours de la vie sociale I/ L'affectio societatis pendant la vie de la société A/ L'affectio societatis et l'intérêt social B/ Les associés et l'affectio societatis II/ La disparition de l'affectio societatis A/ L'utilité de l'affectio societatis en cours de vie sociale B/ La sanction de l’absence et de la disparition de l'affectio societatis

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Introduction

Pour définir l’affectio societatis, on parle communément d’« esprit d’associé ». Gérard CORNU1, quant à lui, la définit comme « une expression latine évoquant un lien psychologique entre associés qui désigne un élément constitutif de la société dont les composants sont l’absence de subordination entre associés, la volonté de collaborer à la conduite des affaires sociales (en y participant ou en activement ou en contrôlant la gestion) et l’acceptation d’aléas communs, mais dont l’intensité varie suivant les formes de société et les catégories d’associés. ». Cette définition, relativement longue et prenant le parti de définir la notion à travers les éléments qui la caractérisent, nous présente davantage qu’elle nous le fait pressentir, le problème qui se pose quant il s’agit d’expliquer ce qu’est véritablement l’affectio societatis. D’emblée, il convient préciser que la loi ne nous fournit aucune précision à ce sujet, ce qui contribue à accentuer encore davantage le « mystère » qui entoure cette notion. Nous nous contenterons, de manière provisoire, de cette première définition, dont le mérite est de délimiter le concept qui nous intéresse. Selon Paul DIDIER2, l’expression « affectio societatis » trouve son origine dans le droit romain. Sa première apparition a été relevée dans un texte d’Ulpien rapporté au Digeste (XVII, 2, 31) de Justinien. Voici la traduction de ce texte latin : « Pour qu’il existe une action pro socio, il faut qu’il y ait une société. Une chose, en effet, peut être commune sans société, notamment lorsqu’une communauté advient sans intention de société entre les parties, comme lorsqu’une chose est léguée à deux personnes, ou achetée par elles deux, ou si une donation ou une hérédité nous est transmise, ou si nous achetons séparément de ces personnes sans être associés. ». Dans ce texte, l’« intention de société » est la traduction du latin « affectione societatis », l’affectio societatis , au cas correspondant dans la phrase ». Ainsi, l’affectio societatis semble être, selon Ulpien, le critère susceptible de répondre à la question de la distinction entre une société et une simple communauté de biens. Si une chose peut être commune sans société , notamment lorsqu’une communauté intervient sans « intention de société », alors, a contrario, la société se caractérise et se distingue entre autres de la simple communauté de biens par l’existence de cette « intention de société », cette affectio societatis. En France, vers la fin du XIXème siècle, lorsque la société commença à apparaître comme une personne morale disposant de son propre patrimoine plutôt que comme une forme particulière de l’indivision, l’expression d’affectio societatis fit son apparition. Paul PONT, en 1880, dans son « Traité des sociétés civiles et commerciales », l’utilisa pour la première fois, l’attribuant à Ulpien, et dans le

1 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri CAPITANT, éditions Quadrige / Presses Universitaires de France, 2000. 2 Paul DIDIER, Droit commercial, tome 2, L’entreprise en société, Les groupes de sociétés, 3ème édition mise à jour, éditions P.U.F, 1999, p. 33.

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but, là aussi, de distinguer entre « les communistes et les associés », soit entre la communauté de biens et la société . Cette affectio societatis serait, selon lui, ce que l’associé a en plus par rapport au « communiste », et qui permet d’opérer la distinction. De nos jours, en droit français, prévaut l’article 1832 du Code civil, qui dispose que « la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. ». En matière de droit des sociétés, c’est cet article qui pose les principes de base de la constitution des sociétés. Les alinéas 2 et 3 de ce même article viennent compléter le premier alinéa cité ci-dessus, apportant, concrètement, certaines précisions. Ainsi, on apprend qu’une société peut être « instituée » par une seule personne, mais seulement dans les cas limitativement prévus par la loi. Aujourd’hui, celle-ci en prévoit de deux types : l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), qui est une SARL unipersonnelle, et la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU), qui est une SAS unipersonnelle. Enfin, il est précisé que les associés, du fait de cette qualité, s’engagent à contribuer aux pertes. Cet article, qui est aujourd’hui incontournable quant au droit dans sociétés, pose donc, on le voit, une définition de la société. A travers cette définition, il énonce les éléments constitutifs d’une société3. Il faut donc, pour qu’existe une société, deux ou plusieurs associés (ou même un seul, selon l’alinéa 2, dans les cas où la loi offre cette possibilité), qui expriment leur consentement, leur accord de volonté, et qui ont la capacité de la faire. Il faut qu’existe un objet, qui réside dans les apports. Ceux-ci peuvent revêtir différentes formes : ils peuvent être en numéraire (apport d’une somme d’argent), en nature (apport en propriété ou en jouissance d’un bien corporel, comme du matériel ou un immeuble, ou incorporel, comme un brevet, une créance, ou même un fond de commerce). Un objet social est, en outre, exigé. Il s’agit du type d’activité susceptible d’être exercée par la société, de son champ d’activité. Il doit être licite et déterminé. Sur ce point, le principe est celui de la spécialité statutaire, et, théoriquement, l’objet social ne peut et ne doit pas être universel. On notera à ce sujet que les associés ont un intérêt assez net à prévoir un objet social d’autant plus limité que leur responsabilité est étendue. Enfin, l’article 1832 du Code civil exprime la nécessité d’une volonté de ces associés de réaliser et de se partager un bénéfice, c’est-à-dire, selon la définition retenue par la Cour de cassation à l’occasion de l’arrêt Caisse rurale de Manigod rendu le 11 mars 1914, « un gain pécuniaire ou matériel qui s’ajouterait à la fortune des associés », ou, depuis la loi du 04 janvier 1978, une économie. Le corollaire de cela est la volonté de se partager les éventuelles pertes qui pourraient résulter de l’exploitation. Les clauses léonines sont donc, de manière certaine et nécessaire, prohibées.

3 Maurice COZIAN, Alain VIANDIER et Florence DEBOISSY, Droit des sociétés, 13ème édition, éditions LITEC, 2000, p.48.

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A la lecture de cet article, il semble que ses rédacteurs ont clairement souhaité énumérer les éléments constitutifs du contrat de société de manière exhaustive. Ainsi, a priori, nul autre élément que ceux énoncés dans la lettre de cet article ne semblent destinés à se rajouter à la liste en question. Cependant, la jurisprudence constante a déduit des dispositions de cet article l’exigence d’une affectio societatis . Celle-ci constitue un élément du contrat de société qui est d’autant plus important qu’il est aussi le ciment qui réunit les autres éléments afin de former un tout : le contrat de société . Il convient ici de préciser les contours de la notion de contrat de société . En effet, celui-ci doit être distingué de certaines notions voisines mais non identiques4. La première de ces notions est le prêt. Il s’agit là d’une dualité tout à fait classique. Lorsque le prêt à intérêts était interdit, du fait de l’interaction de pensées d’ordre métaphysique dans l’économie et le droit, et ce jusque vers les années 1560, où la religion et les pratiques qui y étaient liées furent remises en cause et où un loyer de l’argent fut clairement demandé5, il était habituel de camoufler le contrat de prêt, notamment en le faisant passer pour un contrat de société. Par la suite, cette distinction a continué à poser problème, surtout lorsqu’il s’agit de se prévaloir, ou, à l’inverse, de s’extirper, des droits et obligations relatifs aux liens plus ou moins étroits qui résultent du contrat de société. La difficulté de distinguer ces deux types contrats est d’autant plus accentuée que le prêteur a la possibilité de prévoir une indexation des intérêts relatifs à son prêt sur les résultats de la société, ce qui peut amener à se poser la question qui consiste à savoir s’il ne s’agit pas là d’une participation aux bénéfices de la société. Il est vrai qu’en cas de pertes essuyées par la société, le fait de « contribuer aux pertes », ou, au contraire, de ne pas le faire, constitue indéniablement un élément de distinction entre le prêteur et l’associé. La prise d’une sûreté afin de se protéger des conséquences d’éventuelles pertes par la société révèle, selon un arrêt rendu le 08 février 1972 par la chambre commerciale et financière de la Cour de cassation6, l’intention de se comporter non comme un associé, mais comme un prêteur, son but étant de se prémunir de tout risque relatif aux aléas de l’exploitation. On notera que, à l’inverse, la contribution aux pertes d’un prétendu prêteur peut dénoter l’existence d’un contrat de société. Il convient, dans le cas où on aurait un semblant de participation aux bénéfices, ainsi que de prétendus apports, de s’interroger sur les deux seuls éléments qui restent, c’est-à-dire l’affectio societatis, qui peut se révéler clairement absent, notamment à travers l’impossibilité pour l’entité que l’on va qualifier dès lors de prêteur, de faire entendre sa voix, de donner son avis quant à la marche de la société, principalement à travers le droit politique représenté

4 Paul DIDIER, ouvrage précité, p. 34. 5 Pierre-Clément TIMBAL et André CASTALDO, Histoire des institutions publiques et des faits sociaux, 9ème édition, éditions DALLOZ, 1993. 6 Cass. Com., 8 février 1972, Rev. soc. 1973, 145.

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concrètement par les droits de vote. Cette « participation à la vie sociale » semble donc, traditionnellement, caractériser le contrat de société. Nous verrons par la suite que ces questions relatives à l’associé sont aujourd’hui au cœur des débats doctrinaux concernant l’affectio societatis. Ensuite, on peut s’interroger quant à la distinction du contrat de société de l’indivision. La difficulté tient surtout au fait que, depuis la loi du 04 janvier 1978, certaines sociétés, les sociétés en participation, prévues par les articles 1871 s. du Code civil, ne sont pas immatriculées et ne disposent donc pas de la personnalité morale, à l’instar d’une indivision.

Ces sociétés sont soumises à un minimum de conditions de forme quant à leur constitution : la liberté est le principe, sous réserve de ne pas déroger aux dispositions impératives du droit des sociétés, selon l’article 1871 alinéa 2 du Code civil, et de se constituer au moins un écrit à titre de précaution élémentaire, même si ce dernier ne revêt pas un caractère obligatoire.

De plus, l’indivision était à l’origine une situation précaire. En effet, l’article 815 alinéa 1er du Code civil énonce encore aujourd’hui que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué ». Cependant, il faut constater que l’indivision est de nos jours davantage organisée. Elle peut, toujours selon l’alinéa 1er de l’article 815 du Code civil, être maintenue par convention, et subsister ainsi plus longtemps que cela n’était prévu à l’origine.

A nouveau, il convient de se tourner vers l’affectio societatis afin

d’effectuer la distinction : il faut rechercher si le but recherché était la conservation de droits et de biens ou leur exploitation en commun. S’il y a véritablement exploitation en commun, on se retrouve alors face à une société en participation.

Concernant une société de fait, on a, entre autres, l’arrêt rendu par la

chambre commerciale et financière de la Cour de cassation le 12 février 19737, qui exprime clairement la volonté de la Cour de rechercher, pour distinguer une indivision d’un véritable contrat de société, l’existence éventuelle d’une affectio societatis. Ainsi, en l’espèce, la veuve BENTEJAC avait hérité de son mari des droits dans une société de fait qui était née entre lui et M. DUBOURDIEU. Ce dernier avait souhaité qu’elle contribue aux pertes subies par la société. La Cour de cassation, cassant l’arrêt rendu le 09 juin 1971 par la Cour d’appel de Bordeaux,

7 B., IV, n° 70, p. 61-62.

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a reproché à cette dernière de ne pas avoir recherché si la veuve en question avait manifesté une affectio societatis qui dénotait chez elle la volonté d’aller plus loin que la simple détention des droits indivis hérités de son mari dans la société. La Cour d’appel aurait dû justifier le changement de l’état d’indivisaire à celui d’associé, qui aurait pu, par exemple, résulter de l’exploitation comme un véritable associé des biens et des droits communs.

Enfin, on peut s’interroger sur la distinction entre le contrat de société et

des contrats tels le contrat de travail ou le louage de services. Là encore, c’est à travers l’affectio societatis que celle-ci va pouvoir s’opérer. Ainsi, l’affectio societatis, présente dans le contrat de société, suppose une égalité entre les différents protagonistes, égalité qui est bien évidemment totalement absente, exclue, lorsque l’on est en présence d’un lien de subordination. Une fois encore, la nuance peut revêtir un caractère subtil et extrêmement délicat à déterminer. L’intérêt n’en demeure pas moins important lorsqu’il s’agit de faire face à des pertes générées par l’exploitation : alors que l’associé, par nature et selon l’article 1832 du Code civil, qui prohibe par-là les clauses léonines, se doit de contribuer, au moins pour partie, à ces pertes, celui qui n’est lié « que » par un contrat de travail ou un contrat de louage de services n’aura pas à le faire. D’un point de vue purement financier, la nuance peut avoir des conséquences non négligeables.

On le voit, l’affectio societatis présente, après une première approche, des

intérêts multiples au regard du droit des sociétés. Toutefois, cette notion apparaît aujourd’hui sujette à de nouvelles interrogations. En effet, la place de ce concept au sein du droit français semble fortement discutée. Certaines évolutions relativement récentes de la société dans son ensemble, ainsi que des sociétés, peuvent expliquer la naissance de ces interrogations et leur caractère actuel. Certaines sociétés par actions (sociétés anonymes et sociétés en commandite par actions, mais pas les sociétés par actions simplifiées), pour obtenir des financements, font désormais appel, dans la plupart des cas, non plus aux banques, comme c’était classiquement le cas, mais au marché, ou plus justement aux investisseurs à travers ce marché. On a ainsi assisté à une vulgarisation de la "chose financière". L’investissement à travers le marché est devenu une chose habituelle, courante. Le petit épargnant peut disposer d’un portefeuille où il aura des titres de plusieurs sociétés, des titres d’organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM)…

A côté de ce petit épargnant, qui peut toutefois, ne nous y trompons pas,

investir des sommes relativement importantes, d’autres entités possèdent des parts de capital de ces sociétés, notamment les fonds communs de placement (FCP). Ceux-ci ont développé ces dernières années leur influence sur l’économie mondiale en regroupant des fonds et en les plaçant dans diverses sociétés. Parmi eux, on retrouve Ces sociétés ont des besoins de financement, les fonds communs de placement les leur accordent. En contrepartie, les fonds communs de placement vont réclamer et obtenir, sous peine de retirer leurs fonds de la société en question, une rentabilité importante des sommes investies par eux. Ils font alors pression sur les dirigeants des sociétés Parmi ceux-ci, on trouve entre autres des fonds de pension, dont le plus important et le plus connu est Cal pers. Ce fond de pension californien gère les économies des personnes qui font appel à lui afin de cotiser pour leur retraite, et investit ces fonds dans diverses sociétés.

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Les fonds communs de placement font pression sur les dirigeants des

sociétés dans lesquelles ils investissent, menaçant de se retirer de leur capital, dans le but d’obtenir une rentabilité importante, mais également immédiate, alors que l’intérêt de la société pourrait être non pas de verser des dividendes importants à court terme, mais de conserver cet autofinancement dans le but de croître, de diversifier son activité, d’acquérir du matériel plus performant, et donc d’augmenter à moyen terme sa rentabilité. Dès lors, peut-on réellement considérer que ces actionnaires ont été animés d’une véritable volonté de se comporter comme des associés, se souciant davantage de la rentabilité à court terme de leurs investissements que de la bonne marche de la société que de la bonne marche, de la résistance à la concurrence, de l’adaptation à l’environnement et de la pérennité de la société ? Il semble plus que probable que ces investisseurs sont prêts à "quitter le navire à la moindre tempête", ou même à la moindre baisse de rentabilité. L’affectio societatis n’en ressort-il pas, dès lors, fortement affaibli ?

En outre, d’autres investisseurs que les fonds de pension, qu’ils soient gros

ou petits, à l’image de la classique « veuve de Carpentras », peuvent aujourd’hui placer des fonds dans la société, incités en cela par la désintermédiation sur le marché. Ils peuvent ne le faire que dans le seul but de toucher un dividende, ne participant pas aux assemblées d’actionnaires et délaissant leur droit de vote, se comportant comme de simples gestionnaires dont le seul but est de faire fructifier leur capital, d’en obtenir une rentabilité plus élevée que s’ils le confiaient à une banque, avec le moins de risques possible. L’actionnaire « de passage », le spéculateur qui ne recherche qu’à réaliser une plus-value à court terme, est-il animé d’une affectio societatis? On peut, de prime abord, sérieusement en douter. De nombreux auteurs se sont dès lors interrogés sur la légitimité du critère de l’affectio societatis. Des statuts d’actionnaires aussi divergents sont-ils tous susceptibles d’être rassemblés sous la « bannière » de l’affectio societatis?

La notion d’intérêt social va également retenir notre attention. La question

susceptible d’être posée est celle de savoir si cette notion fait ou non doublon avec l’affectio societatis. Sont-ce des réalités similaires qui sont recouvertes? Y a-t-il véritablement redondance au niveau des concepts? Et surtout, permettent-ils de résoudre les mêmes difficultés, de répondre aux mêmes interrogations, ou ont-ils des utilités différentes?

Finalement, on peut s’intéresser à la question de l’absence ou de la

disparition de l’affectio societatis. Dans quels cas cela se retrouve-t-il? L’affectio societatis doit-elle réellement se poursuivre au cours de la vie sociale, et animer les associés tant que survit la société? N’est-elle, au contraire, véritablement nécessaire qu’au moment de la constitution de la société? Le problème peut se poser de prime abord quant aux sociétés créées de fait ou aux sociétés de fait, alors que les sociétés fictives, quant à elles, engendrent d’autres questions qui sont davantage relatives à la découverte tardive de cette fictivité. Faut-il sanctionner la disparition de l’affectio societatis, et si oui comment?

Toutes ces interrogations se rapportent à deux moments de la vie de la

société. Le premier, fondamental dans le droit des sociétés, est celui de la constitution de la société (I). Le second est plus étendu dans la durée, puisqu’il

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s’agit de la vie de la société (II). Il est à noter que ce ne sont pas deux affectio societatis différentes, mais qu’il s’agit bien de la même notion qu’il convient d’examiner à travers ces deux situations.

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Section 1 : L’affectio societatis dans la constitution de la société A l’origine, en droit français, une société doit être constituée dans le

respect de certaines conditions matérielles et immatérielles qui sont posées par le législateur et énoncées par l’article 1832 du Code civil. Ces différents éléments sont le consentement, la capacité, l’objet social, les apports, et la vocation aux bénéfices, aux économies et aux pertes.

A ces éléments clairement exigés par le Code civil, et dont le contenu a déjà

été évoqué précédemment8, il convient de rajouter l’affectio societatis qui, si elle n’est pas, contrairement aux autres conditions, expressément exprimée, n’en a pas moins été exigée par la jurisprudence constante. Nous avons tenté précédemment de définir l’affectio societatis à travers ses origines et son historique : cette définition est apparue comme étant largement insuffisante. La loi, quant à elle, ne donne aucune définition précise de l’affectio societatis : la seule « référence » qu’elle y fait se situe dans l’article 1832 du Code civil, et encore faut-il tout de même préciser qu’elle n’y est qu’implicite.

Ce sont en fait la jurisprudence et la doctrine qui ont donné à cette notion

ses « lettres de noblesse ». Qu’est-ce que l’affectio societatis ? N’est-ce, comme le prétend Paul DIDIER9, qu’un « simple prétexte destiné à masquer la confusion » ? Cette notion, au contraire, recouvre-t-elle un véritable concept ?

En effet, les récentes apparitions de profonds changements dans le droit, et

plus généralement dans l’économie dans son ensemble, notamment à travers l’avènement de l’investissement en bourse, et les interrogations qu’il fait naître par rapport à la direction des sociétés faisant appel public à l’épargne et au statut du nouveau type d’actionnaire qui en résulte, touchent logiquement le droit des sociétés. L’affectio societatis lui-même a été remis en question.

En tentant de définir ce qu’est l’affectio societatis, on doit s’interroger sur

sa nature, et apporter une réponse à la question de savoir si l’affectio societatis peut et doit se définir de manière relativement stricte ou si elle doit être un concept susceptible d’évoluer selon les différents rôles que le juge voudra lui faire tenir. Nadège REBOUL, dans un article10, qualifie ces deux conceptions de « notion conceptuelle » et de « notion fonctionnelle ». Il convient de les examiner successivement, afin de déterminer s’il faut en choisir une, et donc corrélativement abandonner ou rejeter l’autre, ou bien les combiner, et de quelle manière.

I Une notion conceptuelle

8 Cf. introduction. 9 Paul DIDIER, Droit commercial, P.U.F., 2ème édition, 1997, page 49. 10 Nadège REBOUL, Rev. Sociétés, juillet-septembre 2000, page 425, Remarques sur une notion conceptuelle et fonctionnelle : l’affectio societatis.

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Par le terme « conceptuel », on entend « déterminé une fois pour toutes », « fixé de manière définitive ». La notion est alors susceptible de recevoir une définition complète, exhaustive, faisant au besoin référence à des critères qui suivent une logique pouvant être qualifiée d’habituelle, courante. Monsieur T. FORTSAKIS, dans sa thèse11, considère que « la notion conceptuelle est une notion statique, alors que la notion fonctionnelle est une notion mobile ». Pour lui, la distinction entre notion conceptuelle et notion fonctionnelle est donc très clairement établie. Il conviendra par la suite de s’interroger sur la réalité, l’effectivité, et le bien-fondé d’une telle frontière.

Il est vrai, tout d’abord, qu’il est possible, du moins dans un premier temps,

de considérer l’affectio societatis comme étant exclusivement une notion conceptuelle. Dès lors, il convient, en premier lieu, d’examiner ce que désigne la jurisprudence par le terme d’affectio societatis, ainsi que les situations dans lesquelles cette notion est utilisée, pour, en second lieu, s’intéresser aux pouvoirs du juge quant à cette notion, c’est-à-dire la liberté d’appréciation qui lui est laissée, et les éléments qui vont lui permettre d’apprécier l’existence ou l’absence de l’affectio societatis.

A/ L’affectio societatis, expression du consentement des

parties Notion qui n’est qu’implicitement exprimée dans l’article 1832 du Code civil,

l’affectio societatis ne bénéficie pas d’une définition donnée par la loi. Cette définition est donc, dès lors, peu aisée à déterminer : la jurisprudence a cependant tenté d’en fournir une. L’affectio societatis reste toutefois une notion que l’on ne peut appréhender qu’en considérant les cas dans lesquels elle intervient, et notamment, de manière classique, en ce qui concerne les sociétés créées de fait et les sociétés fictives.

1°/ La définition de l’affectio societatis La Jurisprudence constante a donné une définition de l’affectio societatis. Dans un

arrêt rendu le 9 novembre 198112, par exemple, la chambre commerciale et financière de la Cour de cassation a estimé que, pour décider de l’existence d’une société de fait entre deux personnes, les juges du fonds devaient examiner s’il existait entre elles une « volonté d’exploiter leur commerce sur un pied d’égalité, de partager les bénéfices et, en cas de déficit, de contribuer aux pertes ». La Cour a donc cassé l’arrêt attaqué rendu par la Cour d ‘appel de Lyon le 31 janvier 1980, dans lequel cette dernière avait considéré qu’il existait entre les deux personnes en question, qui étaient concubins, une société de fait, au motif que la concubine travaillait pour le commerce de son concubin, même sans étant rémunérée.

11 T. FORTSAKIS, Conceptualisme et empirisme en droit administratif français, LGDJ, 1987, note de bas de page n° 426, page 318. 12 Cass. Com., 09/11/1981, Bull. Civ. IV, n°385, page 305.

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Des définitions en des termes quelque peu différents ont également été données : on parle ainsi, dans un arrêt rendu par le Tribunal de grande instance de Paris le 14 mars 197313 d’un « élément spécifique du contrat des sociétés, qui doit durer aussi longtemps que la société » et qui implique, « outre la vocation à répartition des bénéfices, une participation à la conduite des affaires sociales sur un pied d’égalité, un pouvoir de contrôle et de critique, un concours actif à l’administration de l’affaire ».

Dans un arrêt rendu le 15 mai 197414, la Chambre commerciale et financière de la

Cour de cassation a présenté l’affectio societatis comme la « volonté de se grouper pour mettre en valeur et gérer un patrimoine ».

13 TGI de Paris, 14/03/1973, Rev. Sociétés 1974, page 92, note GUILBERTEAU. 14 Cass. Com., 15/05/1974, Bull. Civ. IV,n° 159, page 127, n° 72-12.797.

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Comme on peut le voir, ces divergences dans les termes utilisés pour qualifier

l’affectio societatis n’ont en fait pas un grand intérêt quant à la définition elle-même : il s’agit en fait de variantes de la première définition que nous avons vue dans le but de l’adapter aux cas de l’espèce.

Ainsi, on retrouve dans les différentes versions de définitions de l’affectio societatis,

les mêmes éléments, qui sont clairement exprimés notamment dans un arrêt rendu le 1er mars 197115 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation : il s’agit « d’une volonté de collaborer d’une façon active et volontaire, consciente et égalitaire en vue de la réalisation en commun du but social ».

Cette volonté doit donc s’être clairement manifestée par une participation personnelle

en toute connaissance de cause. Les associés doivent avoir voulu atteindre le même objectif, et ce en œuvrant sur un pied d ‘égalité : sur ce dernier point, il a été rendu de nombreux arrêts refusant de reconnaître une affectio societatis à des concubins lorsque, par exemple, la concubine travaille dans l’entreprise du concubin, qu’elle n’est pas rémunérée, travaille sous ses ordres , n’est pas propriétaire des locaux, du matériel…

Dans un arrêt rendu le 9 mars 197916, la Cour d’appel de Douai a considéré que pour

qu’existe une société, il ne suffit pas qu’une personne avance à une autre une somme d’argent et lui apporte son aide, mais il faut entre elles que se manifeste un véritable esprit d’entreprise qui suppose donc l’acceptation personnelle du risque et son partage sociétaire.

Comme un des prétendus associés avait lui-même admis « ne pas être associé pour l’exploitation du fonds de commerce », il apparaissait évident qu’il n’y avait pas de volonté commune de s’associer.

A l’inverse, dans un arrêt rendu le 13 octobre 198717, la première chambre civile de la Cour de cassation a considéré que, du fait de l’affectation d’un local professionnel par une personne à l’activité commune, et du transfert d’une partie de sa clientèle personnelle à cette activité, on pouvait relever de la part de cette personne une affectio societatis, c’est à dire une intention de s’associer.

De plus, la Jurisprudence précise, notamment dans un arrêt rendu le 24 octobre 197818

par la première chambre civile de la Cour de cassation, que les conditions de validité d’une société devaient s’apprécier au moment de sa constitution. Enfin, se pose, à travers cette définition, le problème des sociétés unipersonnelles, autorisées par l’article 1832 alinéa 2 du Code civil. En effet, il apparaît, dans ce cas de figure, difficile de parler de « volonté de collaborer » puisque, par nature, l’associé est alors seul.

Toutefois, il est tout de même exigé comme condition de formation d’une telle société l’exigence d’une « certaine forme » d’affectio societatis qui consiste en l’expression d’une volonté de l’associé unique de se comporter comme un véritable membre d’une personne morale, en procédant à une distinction entre son

15 Cass. Com., 01/03/1971, Bull.civ. IV, n° 66, page 62, n° 70-10.178. 16 CA de Douai, 09/03/1979, RTDCom. 1980, page 554. 17 Cass. Civ., 13/10/1987, Bull. Joly 1987, page 796. 18 Cass. Civ., 24/10/1978, Bull. Civ. I, n°318, page 245.

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patrimoine propre et le patrimoine de son EURL ( Entreprise Unipersonnelle à Responsabilité Limitée). On le voit, la notion d’affectio societatis est extrêmement difficile à définir précisément : on va donc tenter de l’appréhender à travers l’utilisation qui en est faite, notamment concernant les sociétés créées de fait et les sociétés fictives .

2°/ Sociétés créées de fait et sociétés fictives

a) Les sociétés créées de fait

Le terme de « société créée de fait » désigne le cas où deux ou plusieurs personnes sans avoir fondé entre elles une société, se comportent en fait comme des associés. Il s’agit donc d’une entité qui fonctionne concrètement comme une véritable société, mais qui n’a pas été créée suivant le formalisme imposé pour la création d’une société. Il se pose alors la question de savoir comment distinguer une société créée de fait d’une indivision, par exemple.

La Jurisprudence constante a répondu à cette question en faisant appel à la notion d’affectio societatis. Or, comme nous l’avons vu précédemment, l’affectio societatis suppose, conformément à la définition jurisprudentielle courante, une volonté, une intention de créer une société. Par nature, les associés d’une société créée de fait n’ont pas exprimé leur volonté de s’associer, puisqu’ils l’ont fait de manière inconsciente. Cependant, la Jurisprudence constante considère qu’une société créée de fait doit comporter une affectio societatis qui est dans ce cas la volonté inconsciente de créer une société. Dans un arrêt rendu le 3 novembre 1953, la première chambre civile de la Cour de cassation a estimé que, pour déclarer que s’est formée entre deux concubins une société de fait, il ne suffit pas de constater qu’ils exerçaient une activité commune sur les mêmes lieux, qu’ils vivaient ensemble et donc mettaient en commun leurs revenus. Elle a considéré que l’on ne pouvait déduire une affectio societatis puisque aucun élément ne suggère qu’il y ait eu une intention de la part des concubins de participer aux bénéfices et aux pertes provenant du fonds social, constitué par leurs apports et leur volonté de s’associer. Elle n’a donc pas admis l’existence d’une société créée de fait, faute d’affectio societatis et à rejeter le demande de créanciers d’un des concubins qui souhaitaient que l’autre concubin soit, du fait de l’existence d’une société entre les concubins, solidairement responsables de la dette contractée. Dans un arrêt rendu le 15 mai 197419, la chambre commerciale et financière de la Cour de cassation a estimé que, du fait de la présence des deux éléments matériels que sont les apports et la recherche de bénéfices, les fondateurs d’une association ont en fait manifesté leur volonté de se grouper pour gérer une partie de leur patrimoine : il y a donc une affectio societatis et on est en présence d’une société créée de fait.

19 Cass. Com., 15/05/1974, Bull. Civ. IV, n° 159, page 127, n° 72-12.797.

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Cette conception de l’affectio societatis est très clairement exprimée par la Cour d’appel de Rouen dans un arrêt rendu le 30 octobre 197320. Celle-ci a, en effet, estimé que pouvait exister entre deux concubins une société de fait même si la volonté des associés de collaborer ensemble et sur un pied d’égalité à une œuvre commune n’est qu’implicite. La Cour a, dans cet arrêt, déduit cette volonté des apports en industrie et en nature des deux concubins et de leur volonté commune de réaliser des bénéfices et de les partager. La Cour, dans cet arrêt, a également précisé que les apports pouvaient être d’inégale importance, le principal étant leur existence effective. L’affectio societatis est donc, dans le cas des sociétés créées de fait, déduit de la participation à l’objectif commun.

b) Les sociétés fictives

Une société est fictive si elle a l’apparence d’une véritable société mais n’est, en fait qu’une façade. La fictivité de la société peut être dénoncée par toute personne y ayant intérêt, et elle peut être prouvée par tout moyen.

La fictivité de la société présente un intérêt certain pour les créanciers personnels des

prétendus associés puisque, en droit français, comme l’a clairement exprimé la chambre commerciale et financière de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 16 juin 1992, une société fictive est « nulle et non inexistante ». La nullité de la société est dérogatoire au régime commun des nullités puisqu’elle n’a pas d’effets rétroactifs et qu’elle se prescrit au bout de trois ans.

Ce régime va à l’encontre de l’inexistence prônée par la première directive

européenne, et qui aurait pour conséquence de rétablir la réalité juridique. Les créanciers personnels évitent, par la dénonciation de la fictivité de la

société, que soit procédé à une liquidation qui verrait alors les créanciers sociaux être payés en préférence à eux.

La fictivité de la société est décelée, en pratique, par l’absence d’un

élément constitutif de la société dont on va pouvoir déduire l’absence d’une affectio societatis.

Dans un arrêt rendu le 12 février 197321 par la chambre commerciale et

financière de la Cour de cassation, par exemple, une société avait été créée entre deux personnes et, suite au décès de l’une d’elles, c’est sa veuve qui a repris ses droits sociaux dans la société. La Cour a considéré que la veuve en question n'avait pas l'affectio societatis, puisqu’elle n’a jamais souhaité poursuivre l’activité de la société, et qu’elle n’a jamais personnellement participé à l’exploitation du fonds de commerce. La Cour a donc cassé l’arrêt rendu le 9 juin 1971 par la Cour d’appel de Bordeaux qui considérait qu’on était bien en présence d’une véritable société.

20 CA de Rouen, 30/10/1973, Bull. Joly 1975, page 605. 21 Cass.com., 12/02/1973, Bull. Civ. IV, n°70, page 62, n° 71-13.615.

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La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt rendu le 13 juillet 1977, a admis que lorsqu’une société comprend deux associés, et que l’un d’entre eux est un prête-nom de l’autre, la société pouvait être considérée comme fictive. Toutefois, en l’espèce, la Cour a considéré que la personne n’était pas un prête-nom, car son affectio societatis devait s’apprécier au jour de la création de la société, et qu’elle existait à cette date.

L’affectio societatis apparaît donc comme la condition de formation d’une

société la plus importante : elle est à la fois une condition propre, puisqu’il s’agit d’une volonté de la part des associés de collaborer ensemble, sur un pied d’égalité, à une entreprise commune, de se partager les bénéfices et pertes et de profiter des économies qui pourraient résulter de cette exploitation, et un ciment qui relie les conditions de formation entre elles pour former l’expression matérielle de la volonté des associés .

Après avoir examiné la définition que donné la Jurisprudence de l’affectio

societatis et l’utilisation qu’elle en fait quant à la formation de la société, nous allons nous intéresser au pouvoir important reconnu au juge en la matière, et aux conséquences, qu’entraîne ce pouvoir quant à l’utilisation de la notion d’affectio societatis et à son évolution.

B/ Les pouvoirs du juge par rapport à la notion d’affectio societatis dans la constitution de la société.

Le juge va apprécier, à travers la notion d’affectio societatis, l’existence

même de la société. Il va pour cela se fier à certains indices, mais il va aussi se prononcer au regard des « besoins de notre société », et peut ainsi faire évoluer la notion et son utilisation.

1°/ L’appréciation souveraine de l’existence de l’affectio societatis.

Dans un arrêt rendu le 18 juillet 197722, la chambre commerciale et financière de la Cour de cassation , qui était saisie d’un pourvoi formé contre un arrêt rendu par la Cour d’appel D’Aix-en-Provence, le 8 juillet 1975 au motif que les éléments matériels constatés par les juges du fonds ne suffisaient pas à prouver l’existence d’une affectio societatis car ils ne prouvaient pas l’intention de partager la participation aux pertes, a affirmé que les juges du fonds avaient compétence pour déduire des preuves qu’elle avait relevées l’existence d’une affectio societatis . Les juges du fonds ont donc ainsi le pouvoir d’apprécier souverainement, à partir des éléments matériels dont ils disposent, l’existence d’une affectio societatis . Cette appréciation est considérée comme étant un élément relevant du fonds exclusivement : la Cour de cassation, qui juge la forme, ne peut donc de

22 Cass. Com., 18/07/1977, n° 209, page 177, n° 75-14.808.

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prononcer quant à cette décision des juges du fonds. Le pouvoir reconnu à ces derniers est donc très important. La première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 30 novembre 197123, a précisé ce fait. Elle a confirmé que les juges du fonds pouvaient déduire de manière souveraine l’existence d’une société de fait entre deux concubins : la mise en commun des revenus issus de leurs métiers exercés séparément et du partage des bénéfices et pertes de leurs établissements respectifs, l’exploitation d’un manège et d’appartements en commun, ceux-ci ayant été construits avec leurs économies communes, les règlements effectués indifféremment par l’un ou l’autre des concubins.

De plus, elle considère qu’il est possible aux juges du fonds d’apprécier qu’il n’y ait pas de lien de subordination entre les concubins, et donc qu’ils avaient le désir de vivre comme de véritables associés. Les juges du fonds, pour pouvoir apprécier l’existence de l’affectio societatis, vont se fier à certains indices matériels. Ainsi, dans un arrêt rendu le 14 mars 197324, le Tribunal de grande instance de Paris a estimé que l’acquisition d’actions laissait supposer une participation active, effective, à l’entreprise commune, qui est un élément très important dans la détermination de l’existence d’une affectio societatis. En effet, une participation active constitue la base de l’appréciation de l’existence d’une affectio societatis : elle laisse percevoir un intérêt pour l’activité en question, une volonté de l’exploiter. Reste ensuite à déterminer si cette volonté va s’exprimer par une collaboration sur un pied d’égalité, une intention de partager bénéfices et pertes… Quoiqu’il en soit, la participation active à l’entreprise commune rend vraisemblable l’existence d’une affectio societatis. Le juge peut se baser sur d’autres éléments matériels afin d’éclairer son jugement. Ainsi, dans un arrêt rendu le 1er mars 197125, la chambre commerciale et financière de la Cour de cassation a estimé qu’il était possible aux juges du fonds de déduire une affectio societatis de l’existence d’apports, de la collaboration de deux personnes sur un pied d’égalité et du partage des bénéfices, car ce sont de fortes présomptions concordantes. La Cour a également, dans cet arrêt, rejeté la question du partage des pertes, car celle-ci n’avait pas été présentée devant les juges du fonds. La chambre commerciale et financière de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 8 mars 199426, a considéré qu’une société de fait ne pouvait exister entre deux groupes de sociétés, dont l’un détenait des parts de l’autre et a vainement tenté d’en prendre le contrôle, faute d’affectio societatis, car il n’y a eu aucune modification des statuts de ces sociétés susceptibles de traduire leur volonté de collaborer sur un pied d’égalité dans la poursuite en commun de leurs activités, qui étaient jusqu’alors rivales. De plus, elle a relevé que les groupes en question n’avaient aucunement exprimé leur volonté de partager les bénéfices ou les pertes qu’ils pourraient réaliser. Elle a donc confirmé la solution attaquée des juges du

23 Cass. Civ., 30/11/1971, Bull. Civ. IV, n° 385, page 305, n° 80-12.477. 24 TGI de Paris, 14 mars 1973, Rev. Sociétés 1974, page 92, note Guilberteau. 25 Cass. Com., 1er mars 1971, n° 70-10.178, Bull. civ. IV, n° 66, page 62. 26 Cass. Com., 8 mars 1994, JCP éd. E, 1994, I, n° 363, page 267.

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fonds, qui avaient déduit de l’absence d’indices matériels le défaut d’affectio societatis . Toutefois, il faut préciser que, comme l’illustre un arrêt rendu le 12 décembre 199527 par la chambre commerciale et financière de la Cour de cassation, les juges du fonds peuvent, même lorsqu’ils disposent d’indices laissant supposer qu’on est en présence d’une affectio societatis, considérer que celle-ci fait défaut car les indices sont insuffisants. Ainsi, dans cet arrêt, la Cour a confirmé la décision des juges du fonds, qui avaient estimé que l’élaboration en commun d’un projet d’association non réalisé, l’apport de clients et le versement de commissions ne suffisaient pas à démontrer l’existence d’une véritable affectio societatis. De même, dans un arrêt rendu le 17 avril 197428, la Cour d’appel de Colmar a estimé que le groupement formé de plusieurs entrepreneurs dans le but de réaliser certains travaux, et qui peuvent quitter le groupement sur simple dénonciation à son directeur à la fin des travaux ne peut constituer une société. En effet, l’existence d’une affectio societatis suppose l’existence d’un véritable lien entre les associés, et ce lien doit être relativement solide et durable. En l’espèce, ce n’est pas le cas puisque les soi-disant associés ont la possibilité de sortir de manière extrêmement aisée de la prétendue société, ce qui ne laisse pas supposer qu’existe chez eux un véritable intérêt pour l’activité exploitée en commun, une véritable volonté de participer durablement à l’entreprise commune. Les juges du fonds se voient donc attribuer de très larges pouvoirs quant à la détermination de l’existence ou non d’une affectio societatis. Ils s’aident pour cela, bien sûr, d’indices matériels, comme des apports, du travail réalisé personnellement, mais leur décision finale reste relativement libre, et leur appréciation souveraine par rapport aux éléments matériels à leur disposition protégée par la Cour de cassation. Les juges vont également se déterminer en fonction des besoins de la société et du droit, pour faire évoluer celui-ci dans la matière qui nous concerne ici.

2°/ Les pouvoirs du juge et les besoins de la société.

a) Les intérêts de la notion d’affectio societatis.

La notion d’affectio societatis présente surtout un intérêt, comme on l’a vu dans le cadre de sa définition , quant aux problèmes des sociétés fictives et des sociétés créées de fait. Sur ce point, on peut comprendre l’intérêt des créanciers : ceux-ci préfèrent avoir comme débiteur une société plutôt qu’un particulier, car la société est le plus souvent bien plus solvable qu’un particulier, et, lorsque le débiteur a contracté sa dette pour le compte de la société, les autres associés sont, si la société est commerciale, solidairement responsables du paiement de cette dette.

27 Cass. Com., 12 décembre 1995, Bull. Joly 1996, page 225. 28 CA de Colmar, Audience solennelle, JCP 1974, II, n° 17 832, note BURST.

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Au titre d’exemple d’une Jurisprudence foisonnant en la matière, on peut relever un arrêt rendu le 9 octobre 197229 par la chambre commerciale et financière de la Cour de cassation, dans lequel des créanciers d'une personne souhaitent que soit reconnue l’existence d’une société créée de fait entre elle et d’autres personnes, dont M. CHARMASSON. La Cour a confirmé la décision de la Cour d’appel d’Agen rendue le 13 octobre 1990, qui a, à bon droit, interprété l’écrit imprécis entre les parties pour en déduire qu’il existait entre les parties une affectio societatis, qui résultait d’un engagement de partager les bénéfices et pertes de la société. La société créée de fait existait donc bien, et M. CHARMASSON se voyait solidairement responsable du paiement de la dette contractée par son associé de fait. A noter dans cette affaire que le pourvoi avait été formé par M. CHARMASSON qui refusait de reconnaître l’existence de la société en question. On notera aussi ici l’importance de bien clarifier la situation juridique que l’on souhaite établir par un formalisme précis.

On a également senti la volonté des juges du fonds de préserver la sécurité juridique dans les transactions et plus particulièrement la sécurité des tiers de bonne foi qui croient contracter avec une société créée de fait ou une véritable société, et se rendent compte que la société n’existe pas ou est fictive et se retrouvent créanciers d’un simple particulier qui peut ne pas être solvable.

Cela conduit la Jurisprudence constante à opérer une certaine évolution dans

l’utilisation de l’affectio societatis quant au problème des sociétés créées de fait.

b) Une évolution jurisprudentielle dans l’utilisation de la notion de l’affectio societatis

On l’a vu, lorsque les juges du fonds devaient se prononcer quant à l’existence ou non d’une société créée de fait entre plusieurs personnes, ils recherchaient l’existence d’une affectio societatis. Ainsi, dans un arrêt rendu le 4 janvier 197330 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, les époux VERMAND souhaitent obtenir le paiement des dommages et intérêts auxquels a été condamné M. CARBONNEL, estimant que DAME BENASSE est solidairement responsable de ce paiement, car il y aurait entre elle et M. CARBONNEL une société de fait, du moins l’ont-ils déduit de la présence conjointe des noms de CARBONNEl et BENASSE sur les lettres. La Cour de cassation en a décidé autrement, cassant l’arrêt rendu le 9 juillet 1970 par la Cour d’appel de Nîmes qui avait admis l’existence d’une société créée de fait, car elle a estimé que la présence conjointe des deux noms sur des lettres ne laisse pas paraître l’existence d’une affectio societatis entre M. CARBONNEL et DAME BENASSE.

De même, dans un arrêt rendu le 10 décembre 197331, la chambre commerciale et

financière de la Cour de cassation a cassé un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris du 17 juin 1972 qui avait admis l’existence d’une société créée de fait entre trois sociétés et le débiteur de M. SAILLOFEST au motif qu’ils étaient très proches aux yeux du public, qu’ils avaient eu des dépenses publicitaires communes ainsi que des recettes et étaient susceptibles de retirer des bénéfices de ces dépenses à plus ou moins long terme. La Cour de cassation a estimé que l’on ne pouvait déduire des faits relevés par les juges du fonds l’existence d’une affectio societatis , c’est à dire d’une volonté non équivoque de mettre 29 Cass. com., 9 octobre 1972, n° 70-14.095, Bull. civ. IV, n° 241, page 229. 30 3ème civ., 4 janvier 1973, JCP éd. G, 1973, IV, page 25. 31 Cass. com., 10 décembre 1973, Bull. Joly 1974, page 426.

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en commun des biens et activités, de retirer d’une exploitation commune des bénéfices qui seront partagés, comme le seraient les pertes réalisées. Ainsi, la Cour de cassation se bornait à imposer aux juges du fonds d’utiliser le critère de l’affectio societatis pour juger de l’existence d’une société créée de fait. Or, un problème se posait dans cette conception : le tiers de bonne foi qui a pensé contracter avec une société se retrouve avec comme redevable de la dette un simple particulier, qui risque de ne pas être solvable. Dans un arrêt rendu le 15 novembre 199432, la chambre commerciale et financière de la Cour de cassation semble avoir modifié sa position. En effet, elle a estimé que M. COLEIN était solidairement responsable auprès de MME LANIEZ du paiement de dommages et intérêts dus par M. PENASA, considérant qu’il avait été créé à l’égard de MME LANIEZ l’apparence d’une société existant entre lui et M. PENASA. La Cour a condamné M. COLEIN, au motif que la personne qui a créé l’apparence à l’égard d’un tiers d’une société dont il serait l’un des associés est tenue des obligations contractées envers ce tiers. Il semble donc, au vu de cet arrêt, que la Cour de cassation ait considéré le problème de la protection des tiers de bonne foi, comme le lui avait suggéré les juges du fonds. Elle a donc quelque peu restreint la portée de l’utilisation de la notion d’affectio societatis au profit de la théorie de l’apparence.

Toutefois, il faut relever que cette théorie semble ne s’appliquer que dans les cas où c’est l’associé qui a créé l’apparence de la société qui est assigné en paiement solidaire. Le comportement d’un associé suffirait donc à ce que le juge reconnaisse, pour l’intérêt d’un tiers de bonne foi ayant contracté avec, l’existence d’une société créée de fait, sans pour cela examiner s’il existe une affectio societatis. En définitive, on remarque que l’affectio societatis conserve malgré tout une place prépondérante en matière de constitution de sociétés. Il reste la condition essentielle dans la formation d’une société, celle qui rassemble autour d’elle toutes les autres afin de donner corps à la société : il s’agit en fait véritablement de son âme. L’affectio societatis, volonté de l’associé de se comporter réellement comme tel, est déterminante de l’existence d’une véritable société. Ainsi, il est l’élément auquel se réfèrent les juges du fonds pour apprécier souverainement, en se basant sur les éléments matériels dont ils disposent, si les prétendus associés ont bien formé une société, que ce soit consciemment ou inconsciemment. L’appréciation des juges suit l’évolution de notre société, les besoins de sécurité et d’équité qu’elle fait naître.

32 Cass. com., 15 novembre 1994, Rev. Sociétés 1995, page 33, note BARBIERI.

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La notion d’affectio societatis, même si elle a vu son champ d’application restreint ces dernières années afin de protéger les tiers de bonne foi, présente un caractère central dans la formation de la société, permettant de résoudre les cas où il manque un formalisme ou lorsque celui-ci est trop peu précis. II Une notion fonctionnelle L’utilisation du terme « fonctionnel » est faite par opposition à celui de « conceptuel », défini précédemment. Il n’est pas certain, dans le cas de l’affectio societatis, que l’on puisse véritablement parler d’antagonisme entre les deux termes : la question est en effet de savoir si l’on ne peut pas les combiner. Avant d’y répondre, il convient de s’interroger d’abord sur les origines de cette question : pourquoi a-t-elle été posée ? Nous avons développé la vision conceptuelle de la notion d’affectio societatis dans le paragraphe précédent. Celle-ci a été, comme nous allons le voir, fortement critiquée, et même catégoriquement rejetée par certains auteurs. Les nouvelles orientations de l’économie, et le besoin, la nécessité, que le droit des sociétés suive cette évolution, ont renforcé l’idée selon laquelle l’affectio societatis peut difficilement, dans certains cas particuliers, être considérée, dans le sens conceptuel qui lui a été donné, comme adaptée à la situation. C’est dans ce contexte qu’est apparue la conception fonctionnelle de la notion d’affectio societatis. Si la « standardisation » de la notion d’affectio societatis dans son ensemble, aurait nécessairement, à plus ou mois long terme, conduit à son rejet, le fait de la considérer comme une notion souple, susceptible d’adaptations, lui ouvre quant à lui de nouveaux horizons. La notion serait donc susceptible de survivre sous cette acceptation. Pour autant, faut-il dès lors rejeter celle qui a été exposée précédemment, à savoir la conception de l’affectio societatis comme une notion conceptuelle ? Afin de répondre à cette question, nous allons, dans un premier temps, analyser la « perte de vitesse » du concept d’affectio societatis, pour, dans un second temps, s’intéresser aux « aménagements » que la notion d’affectio societatis a dû supporter afin de correspondre davantage aux besoins de la société et à la réalité juridique. A/ La perte de vitesse du concept La notion d’affectio societatis a perdu de son lustre et de la crédibilité que la doctrine et surtout la jurisprudence lui avaient donnés en l’érigeant en élément incontournable du contrat de société. En fait, cela résulte principalement de l’effet de deux éléments conjugués : le premier, et probablement le plus pertinent, car le plus actuel, et donc le plus important au niveau du droit des sociétés, est l’inadéquation du concept « classique » de l’affectio societatis à la nouvelle réalité juridique. Le second consiste dans le rejet pur et simple de la notion par certains auteurs. 1°/ L’inadéquation du concept à la réalité juridique

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Si le droit, de par le rôle qu’il doit tenir, se doit de toujours suivre les évolutions de la société, et ce de manière rapide, même si, en pratique, un certain délai d’adaptation est nécessaire, il en est logiquement ainsi, et même à plus forte raison, du droit des sociétés. En effet, celui-ci est une branche du droit qui doit s’adapter aux différents besoins que l’économie dans son ensemble fait naître et fait évoluer. Ainsi, on a pu observer au cours de ces dernières années des changements idéologiques et comportementaux. En effet, entre autres, les entreprises ont modifié leur choix quant à la question de leur financement. Jusque là, l’option numéro un en la matière consistait en un recours à l’emprunt bancaire. Celui-ci a perdu sa place dans les choix des entreprises au profit du financement par le recours au marché. L’entreprise émet des titres qu’elle va offrir au marché. Certains de ces titres représentent une fraction de son capital : les personnes qui y souscrivent vont donc par là-même devenir actionnaires de la société en question. Ces nouveaux actionnaires peuvent aussi bien être des personnes morales, d’importance économique plus ou moins grande, que des personnes physiques, de simples particuliers dont le seul but est de gagner de l’argent, « d’arrondir ses fins de mois », comme le dit si bien l’expression populaire. Bien souvent, les assemblées générales des sociétés sont boudées par ce type d’actionnariat.

Parmi ceux que l’on appelle communément les « petits porteurs », expression à manier avec énormément de précautions, du fait de l’hétérogénéité de la population qu’elle recouvre, on trouve les OPCVM (Organismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières). Ils ont vocation à être minoritaires de par leur nature. Parmi ceux-ci, qui sont soit des SICAV (Sociétés d’Investissement à CApital Variable) soit des FCP (Fonds Communs de Placement), se dégage la catégorie particulière et actuellement fort médiatique des fonds de pension.. Ces derniers collectent des fonds de personnes physiques souhaitant se constituer un capital-retraite, et les investissent dans des sociétés, en recherchant une rentabilité immédiate, ou au moins à très court terme, des fonds investis. Ainsi, ils font pression sur les dirigeants des sociétés en question afin d’obtenir une rentabilité élevée, menaçant de retirer leurs fonds si celle-ci ne leur convient pas.

Cette optique semble contraire à un « esprit d’associé », puisque la pérennité de la

société n’est alors pas prise en compte, et qu’il s’agit davantage d’une activité de gestion de capital que de la volonté de véritablement participer à une entreprise commune.

De plus, l’avènement de la SAS (Société par Actions Simplifiée), où une très large

liberté est laissée quant à l’organisation de la société, et la multiplication des SASU (Société par Actions Simplifiée Unipersonnelle) et des EURL (Entreprise unipersonnelle à responsabilité Limitée, la version unipersonnelle de la SARL), sociétés qui bénéficient de la possibilité de ne comprendre qu’un associé unique offerte par l’alinéa 2 de l’article 1832 du Code civil, laissent planer des doutes quant à l’obligation d’une « volonté de collaborer d’une façon active et volontaire, consciente et égalitaire en vue de la réalisation en commun du but social. »33.

La définition classique de l’affectio societatis trouve en l’espèce des difficultés

d’application, ce qui a posé des interrogations relatives à son caractère obligatoire : cette

33 Cass. com., 1er mars 1971, Bull. civ. IV, n° 70-10.178, page 62, n°66.

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exigence est-elle réellement appropriée ? C’est, bien plus qu’un simple doute, un véritable schisme qui est apparu au sein de la doctrine.

2°/ Le rejet du concept Outre les critiques énoncées précédemment et selon lesquelles l’affectio societatis ne

correspondrait plus à la réalité économique, et donc à la réalité juridique, cette notion souffre également du feu nourri de certains auteurs très critiques à son égard.

Ainsi, entre autres, Paul DIDIER34 considère que l’expression d’affectio societatis est

« équivoque ». Selon lui, le sens littéral d’un « esprit d’associé » s’éloigne du sens que la jurisprudence a voulu lui accorder. Bien plus que cette simple critique a priori et légèrement superficielle, il prétend que l’expression en question est totalement dénuée d’utilité : pour lui, l’article 1844 du Code civil, qui énonce que « les associés participent aux décisions collectives », recouvre précisément tout le sens que la jurisprudence donne à l’affectio societatis, et l’exprime même mieux. En effet, selon lui, cet article « dit très bien en français ce que l’expression d’affectio societatis disait assez mal en latin. ». Il note au passage que cela aurait dû se retrouver clairement dans l’article 1832 du Code civil. Son rejet de l’affectio societatis est donc tout à fait catégorique.

Claude BAILLY-MASSON35, quant à lui, est davantage modéré dans ses propos. Il

admet que la validité d’une société est subordonnée à l’existence d’un élément psychologique, qui est l’affectio societatis. Cependant, il suggère que l’affectio societatis ne devrait plus être considérée comme un élément constitutif de la société, mais que seules les formalités imposées explicitement par la loi devraient être nécessaires pour prouver son existence. Cette idée est accentuée par le fait que l’absence d’affectio societatis se démontre souvent par le défaut d’un des éléments matériels du contrat de société, et résulte de la considération de la société non plus comme une « technique d’expression d’un intérêt collectif », mais plutôt comme une « technique d’affectation d’un ensemble de moyens à une activité donnée ». L’auteur adopte donc une vision plus concrète de la société pour rejeter l’élément largement subjectif qu’est l’affectio societatis, qui, pour lui, apparaît donc comme étant superflu.

Cet auteur, dans le même article, utilise l’expression de « desaffectio societatis ».

Celle-ci résume assez bien le sentiment général qui est apparu de déclin de la notion d’affectio societatis. Son utilisation, comme nous l’avons vu précédemment, s’est trouvée délicate, voire même décalée, lorsqu’il s’agit de déterminer l’existence d’une affectio societatis chez un petit porteur d’actions, davantage spéculateur que véritable soutien de la société et de sa politique. L’affectio societatis étant un élément relativement subjectif, la recherche d’une véritable volonté d’agir comme un associé peut poser problème, et peut sembler parfois relativement aléatoire, ou plus justement laissée à la seule appréciation souveraine du juge, et donc soumise à un certain arbitraire.

34 Paul DIDIER, Droit commercial, tome 2, L’entreprise en société, les groupes de sociétés, 2ème édition refondue, éd. PUF, 1997, pages 49 s.. 35 Claude BAILLY-MASSON, « La fictivité, une épée de Damoclès disparue ? », Petites Affiches, 24 janvier 2000, n° 16, page 4.

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Malgré toutes ces allégations et critiques négatives envers l’affectio societatis, celle-ci a été, pour le moment du moins, conservée par la jurisprudence, et préservée par certains auteurs qui préconisent son maintien, moyennant quelques aménagements.

B/ Un aménagement nécessaire L’affectio societatis n’a actuellement pas encore été abandonnée. Certains auteurs,

malgré les critiques, continuent à soutenir ce concept. La jurisprudence persévère dans son utilisation, même si elle ne le signifie pas expressément.

Il y a, schématiquement, deux raisons majeures à cela. La première est que le concept

d’affectio societatis est original, et donc irremplaçable de manière parfaite. La seconde est que cette notion est susceptible d’adaptations qui permettent de rejeter certains des griefs qui ont été énoncés à son encontre. Il convient d’examiner successivement ces deux raisons.

1°/ Une notion irremplaçable Une notion qui se trouve critiquée parce qu’imparfaite pour remplir le rôle qui lui est

actuellement dévolu doit, dès lors qu’elle se trouve ainsi condamnée, être remplacée. En effet, on ne peut, métaphoriquement parlant, supprimer dans une entreprise, toutes choses égales par ailleurs (activité, environnement…), sans confier à un autre poste les tâches que le poste supprimé effectuait auparavant. Faute de quoi les tâches en question ne seraient plus effectuées, et l’entreprise, qui est un système, supporterait des disfonctionnements pouvant même conduire jusqu’à causer sa perte, pour peu que les tâches en question revêtent une certaine importance.

Le droit est lui aussi un système qui ne doit pas comporter de « blancs », de zones de

doute, d’incertitude, au sein desquelles les éventuels justiciables ne connaissent pas précisément les conséquences de leurs actes juridiques.

Ainsi, la remise en question de l’affectio societatis pose inévitablement la question de

son remplacement. Sur quoi va-t-on se baser afin de déterminer si une société existe, si elle est fictive, si une personne est associée… ?

Quelques idées ont été émises sur le sujet. On peut, tout d’abord, s’intéresser à celle

qui a été évoquée par Paul DIDIER, et exposée précédemment, selon laquelle l’expression latine d’affectio societatis exprime en moins bien le contenu de l’article 1844 du Code civil, selon lequel les associés participent aux décisions collectives.

Il convient de reconnaître un certain bon sens à cette théorie. En effet, à l’heure où les

principes du gouvernement d’entreprise incitent les associés, et plus particulièrement les OPCVM, à participer aux assemblées générales, il semble logique que la participation aux prises de décisions s’opère surtout, de manière formelle, par le biais de la participation aux assemblées générales. Le pouvoir des associés apparaît comme se manifestant principalement à travers leur droit de vote aux assemblées. Le fait de participer aux décisions collectives peut donc, certes, faire présumer de l’existence d’un certain « esprit d’associé », puisque cela

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prouve concrètement que la personne en question a véritablement voulu se comporter comme un associé.

Pour autant, cet article 1844 du Code civil recouvre-t-il totalement le domaine de

l’affectio societatis, rendant cette notion inutile ? La réponse à cette question semble devoir être négative. L’affectio societatis ne peut se limiter à l’exercice du droit de vote, à la participation aux décisions collectives : c’est une notion qui est beaucoup plus large que cela. En effet, elle suppose la vocation à partager les bénéfices ou les économies et à supporter les pertes, à agir sur un pied d’égalité, en commun, dans le but de réaliser l’objet social. La proposition de Paul DIDIER semble donc très réductrice de la portée de l’affectio societatis.

De plus, on notera que si, comme il l’explique, l’expression d’affectio societatis est,

ou peut paraître, équivoque, son sens actuel divergent de sons sens originel, l’utilisation du latin rajoutant, selon lui, davantage au mystère et à la confusion, la parade qu’il propose ne permet en rien de répondre mieux que l’affectio societatis aux griefs qui lui ont été faits.

Ainsi, rattacher la qualité d’associé à la participation aux décisions collectives apparaît

obsolète lorsque l’on considère que certains actionnaires minoritaires, pour ne pas dire la plupart d’entre eux, pour des raisons parfois très différentes, ne participent pas aux assemblées générales. L’apparition des certificats d’investissement et d’autres instruments financiers permettant la scission entre les droits financiers et les droits politiques ne fait qu’accentuer l’imperfection de cette proposition.

D’autres idées sont apparues, et notamment celle qui consiste en un éloge de la bonne

foi en la matière36. Cette bonne foi est imposée par l’article 1134 alinéa 3 du Code civil, qui dispose, concernant les « conventions légalement formées », qu’elles doivent être exécutées de bonne foi. Or, à proprement parler, le contrat de société est une convention, puisqu’il répond très clairement à la définition d’une convention. L’obligation de bonne foi doit donc s’appliquer à ce type de contrat qui présente, somme toute, des aspects tout à fait particuliers par rapports aux autres contrats.

Jean-Marie BERMOND de VAULX, dans son article, relève la difficulté de définir la

frontière entre la bonne foi et l’affectio societatis, qui sont, selon lui, par moments, totalement imbriqués. L’usage de la bonne foi se révélerait utile dans le cas des entreprises unipersonnelles (SASU ou EURL), dans lesquelles l’application du concept d’affectio societatis est délicate. Toutefois, dans d’autres cas, comme par exemple lorsque l’on cherche à déterminer s’il y a ou non existence d’une société entre plusieurs personnes, la bonne foi n’est que d’une aide très limitée : cela reviendrait à estimer que, si deux personnes n’avaient pas de bonne foi conscience de constituer entre elles une société, cette société n’existe pas . La bonne foi peut être combinée à l’affectio societatis, mais ne peut pas remplacer totalement cette notion.

En définitive, il convient de conclure que l’affectio societatis ne connaît pas de

moyens de substitution : elle peut donc, du moins en l’état actuel des choses, être qualifiée d’irremplaçable. Dès lors, plutôt que d’envisager un remplacement de cette notion, n’est-il pas plus judicieux de penser plutôt à un aménagement de celle-ci ?

36 Jean-Marie BERMOND de VAULX, « Le spectre de l’affectio societatis », JCP éd. E, 1994, I, page 183, spéc. Page 185, n° 13 s..

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2°/ Le renouveau de l’affectio societatis L’affectio ne semble plus, a priori, adapté aux attentes actuelles de l’économie, et donc

logiquement du droit. De plus, il n’existe pas actuellement de solution alternative, de concept susceptible de remplir complètement les rôles aujourd’hui dévolus à cette notion. Le concept d’affectio societatis, critiqué de manière virulente par certains auteurs, apparaît, si ce n’est comme la meilleure, du moins comme la moins mauvaise des solutions.

L’affectio societatis a donc été sauvée de l’enterrement juridique qui lui semblait

promis par sa particularité et le caractère incomplet, eût égard au vaste domaine de l’affectio societatis, des propositions alternatives envisagées. Il ne s’agit évidemment pas d’en rester là. Ce n’est pas parce que l’on ne peut pas, pour le moment, avancer une autre solution satisfaisante, que les griefs énoncés à l’encontre de l’affectio societatis sont pour autant balayés, sacrifiés sur l’autel de l’impuissance. Il convient, dans ce cas, de chercher à améliorer le concept classique d’affectio societatis, afin d’en améliorer l’efficacité.

Dans le cas de l’affectio societatis, améliorer son efficacité revient à l’adapter aux

nouveaux besoins de l’économie et du droit, et donc de répondre aux différentes interrogations posées par l’avènement de l’investissement en bourse, son ouverture aux « petits porteurs », particuliers et OPCVM, l’aménagement de la SA par la création puis les modifications de la SAS, qui peut être unipersonnelle (SASU), de même que la SARL (EURL)…

Cet aménagement de l’affectio societatis correspond à ce que Nadège REBOUL

qualifie de « notion fonctionnelle »37. Il convient ici de se poser la question de savoir si le caractère fonctionnel de la notion conduit à rejeter son caractère conceptuel. En l’espèce, la réponse est clairement négative. En effet, les deux conceptions de l’affectio societatis se sont, d’un point de vue historique, suivies dans le temps, ce qui paraît logique, puisque la notion fonctionnelle constitue une adaptation de la notion conceptuelle. Pour autant, cette dernière n’a pas disparu suite à l’avènement de la première, mais les deux notions cohabitent et le juge choisit l’une ou l’autre selon le cas d’espèce qui lui est présenté.

Bien plus que cela, on relève le fait que la notion fonctionnelle a pour origine la notion

conceptuelle, qu’elle prend appui sur celle-ci pour la dépasser, la sublimer. Cela permet de faire en sorte que l’affectio societatis, susceptible de s’adapter aux problèmes rencontrés, ne demeure pas figée, mais soit caractérisée par une définition « standard », qui soit suffisamment souple pour pouvoir offrir au juge un instrument qui puisse tenir compte des évolutions sociales et juridiques, ainsi que des particularités de la situation qui lui est présentée.

Ainsi, si le juge dispose d’un instrument adapté, il a aussi le contrôle total de cet

instrument. Son large pouvoir d’appréciation se voit alors conforté et même amplifié, puisque, disposant d’une définition minimale de la notion d’affectio societatis, il conserve une très grande marge de manœuvre pour compléter cette définition, la modeler en fonction des circonstances.

37 Nadège REBOUL, « Remarques sur une notion conceptuelle et fonctionnelle : l’affectio societatis », Rev. Sociétés, juillet-septembre 2000, page 425.

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Concrètement, cet aménagement de la notion d’affectio societatis permet à celle-ci de faire face à certains griefs qui lui ont été faits. Ecartons momentanément la question de savoir si certains « associés modernes », qui sont davantage des spéculateurs que des « propriétaires » d’entreprise, peuvent être encore qualifiés d’associés. Celle-ci touchant plutôt la vie de la société, nous y reviendrons ultérieurement. Par contre, il convient ici de traiter du problème des entreprises unipersonnelles. Celui-ci a déjà été exposé précédemment, et semblait fortement tancer la crédibilité de l’affectio societatis.

La présence dans la société d’un associé unique fait planer un doute quant à l’utilité en

la matière d’une notion qui, de toute évidence, n’a pas été, à l’origine, pensée pour ce type de situation. La collaboration volontaire, le parallélisme des intérêts, entre autres, ne trouvent aucune application ici. C’est là que se trouve l’intérêt du caractère fonctionnel de l’affectio societatis. Il ne s’agit pas d’appliquer à la lettre la définition conceptuelle de l’affectio societatis, ce qui n’aurait pas d’intérêt ici, mais bien de l’adapter au cas particulier des sociétés unipersonnelles. Il convient de rechercher si l’associé unique a véritablement un esprit d’associé, de déterminer s’il a la volonté d’agir comme tel.

Le juge va ici utiliser son pouvoir d’appréciation, modelant l’affectio societatis pour

l’aider dans sa tâche, utilisant divers éléments concrets, objectifs, pour se forger une conviction. La question de la preuve se révèle ici bien évidemment fort délicate, puisqu’il va s’agir principalement de rapporter des éléments matériels ou des comportements qui pourront laisser présumer de la présence, ou au contraire de l’absence, d’une affectio societatis, d’un véritable esprit d’associé. Encore une fois, cette présomption va, selon le caractère convergent des éléments rapportés et l’absence d’équivoque qu’ils peuvent engendrer, restreindre le pouvoir d’appréciation du juge, même si celui-ci reste très intensément présent lorsqu’une certaine subjectivité, un doute plus ou moins important, apparaît.

Il convient donc de reconnaître, en définitive, que l’affectio societatis, notion à

l’origine conceptuelle, a été fortement critiquée quant à son inapplicabilité aux situations que l’on peut qualifier de modernes, issues des nouveaux besoins de l’économie, et corrélativement, du droit. Malgré le fait que la définition de la notion ne soit pas figée par la loi, mais au contraire, soit rendue quelque peu fluctuante par la jurisprudence, ce sont tout de même, dans cette conception, les mêmes éléments, comme l’exploitation commune ou l’égalité, qui sont retenus, éléments qui, dans certains cas, notamment celui des sociétés unipersonnelles, semblent tout à fait inadaptés.

Le renouveau de l’affectio societatis est intervenu par le caractère fonctionnel conféré

à la notion par la jurisprudence, qui n’a jamais abandonné l’affectio societatis. Ainsi, l’affectio societatis s’adapte à la situation rencontrée. Sa définition est un « standard », et elle permet, par sa souplesse, de tenir compte des spécificités des cas d’espèce auxquels le juge est confronté.

Si, comme nous l’avons vu, la question de l’affectio societatis se pose quant à la

constitution de la société, elle peut également survenir au cours de la vie sociale. Section 2 : L’affectio societatis au cours de la vie sociale

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L’affectio societatis a une importance primordiale quant à la constitution de la société. L’article 1832 du Code civil, qui énonce de manière exhaustive les éléments constitutifs du contrat de société devant obligatoirement être présents lors de la constitution de la société ne prévoit pas expressément dans sa lettre l’affectio societatis. Cependant, la jurisprudence constante considère que , tacitement, dans l’esprit du texte, l’affectio societatis devait être exigée.

La constitution est une phase essentielle de la vie de la société, puisque,

schématiquement, elle représente sa naissance, bien que la loi précise que la personnalité morale n’est accordée qu’au moment de l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Toutefois, il faut noter que, bien évidemment, pour les sociétés normalement constituées, il ne s’agit pas là de la seule phase.

En effet, la société est constituée dans un but précis. Une fois qu’elle est créée, elle va

tendre vers ce but, qui peut être, par exemple, la fabrication et la vente de produits, la fourniture de services… A l’image d’un être humain, elle va donc vivre.

Enfin, elle peut être amenée à disparaître, et ce pour plusieurs raisons. Par exemple,

entre autres, la société peut réaliser son objet social. Ayant ainsi atteint le but ultime de son existence, elle n’a plus de raison d’être, et va donc être dissoute. De même, dans certaines sociétés très fermées, si un associé souhaite partir et qu’aucune solution n’est trouvée, il peut demander que la société soit dissoute.

La constitution de la société, si elle est extrêmement importante, n’est pourtant que le

point de départ de son histoire. Les différentes phases composant cette histoire comportent des caractéristiques distinctes. Dès lors, il convient de s’interroger sur la place de l’affectio societatis au cours de la vie sociale.

Pendant cette vie sociale, plusieurs questions relatives à l’affectio societatis peuvent

survenir. La première est relative à une notion de la vie des sociétés qui, à l’instar de l’affectio societatis, est entourée d’un certain mystère, dû à des acceptations différentes et parfois même antagonistes. Il s’agit de l’intérêt social. Si l’on ne sait pas toujours précisément ce qu’il représente, on peut cependant s’interroger quant à sa relation avec l’affectio societatis. En effet, si par intérêt social il faut entendre intérêt des associés, quid de l’affectio societatis ? Les deux notions en question sont-elles, dans le cadre de la vie sociale, parfaitement similaires ? Dans le cas contraire, comment les différencier, et quel serait alors l’utilité, le rôle, de l’intérêt social ?

Ensuite, c’est la question du statut de l’associé qui devra être posée. Elle est fort

intéressante en cette période d’évolution du droit des sociétés, qui assimile progressivement l’engouement récent pour l’investissement en bourse. Le particulier qui veut faire fructifier ses économies en « jouant » en bourse, le spéculateur qui n’achète des actions que dans le but de les revendre à court terme en réalisant une plus-value, ou le fonds de pension qui exige une forte rentabilité immédiate au détriment des intérêts et même de la pérennité de la société dans laquelle il investit, sont-ils de véritables associés ? La réponse à cette question ne peut, semble-t-il, être envisagée que sous l’angle de l’affectio societatis.

Ceci nous conduit inévitablement à une autre question : celle de l’utilité de l’affectio

societatis en cours de vie sociale, et de la manière dont elle doit être envisagée. Si la jurisprudence constante a à maintes reprises réaffirmé son exigence quant à l’existence de

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l’affectio societatis à la constitution de la société, il convient de s’intéresser à sa situation au cours de la vie sociale. Faut-il nécessairement que l’affectio societatis se prolonge tout au long de celle-ci ? Quel va être son rôle quant aux cas particuliers que sont les sociétés fictives, les sociétés créées de fait et les sociétés de fait ?

Enfin, il faudra se pencher sue deux problèmes fondamentaux qui découlent de toutes

les questions précédentes : que se passe-t-il dans les cas d’absence et de disparition d’affectio societatis ?

Afin de répondre à ces questions, il convient, en premier lieu, de s’intéresser à

l’affectio societatis en cours de vie sociale, pour, en second lieu, examiner la disparition de l’affectio societatis.

I/ L’affectio societatis pendant la vie de la société La constitution de la société n’est qu’une étape, une porte à franchir qui

conduit vers l’exercice d’une activité économique par cette société. En effet, en principe, le but recherché n’est pas la constitution de la société en elle-même. Si la constitution doit être faite en respectant des formalités importantes, et revêt un caractère fondamental, car il convient d’assurer un minimum de protection à ceux qui seront amenés à se trouver en relation avec elle, elle n’est pas en soi une finalité. La vie de la société pose des problèmes qui sont différents de ceux rencontrés lors de la phase de constitution.

Deux pôles surgissent tout d’abord concernant la notion d’affectio societatis. Il s’agit,

d’une part, de la notion d’intérêt social, et, d’autre part, de la question de la qualité d’associé. Ces deux aspects sont très représentatifs des évolutions récentes de la société dans son ensemble, et donc, corrélativement, du droit, ainsi que de l’utilité de l’affectio societatis, à travers deux des principaux intérêts pratiques de cette notion.

A/ L’affectio societatis et l’intérêt social L’intérêt social est une notion un peu floue, souvent mise en avant par toutes les

incitations diverses tendant à mettre en œuvre dans les sociétés les principes du gouvernement d’entreprise. Plus qu’un simple effet de mode, cette notion bénéficie de la considération de la doctrine, qui y fait fréquemment référence, ainsi que de la jurisprudence, qui y fait référence de manière explicite ou implicite.

Cet intérêt social, notion subjective, sorte de garde-fous aux contours un peu vagues,

fait nécessairement penser à l’affectio societatis. On en vient même parfois à se demander si les deux notions ne sont pas, dans une certaine mesures, similaires, tant les points communs entre elles sont singuliers.

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Afin de tenter de fendre le voile planant sur cette notion, il convient, dans un premier temps, de l’identifier en elle-même, avant, dans un second temps, d’essayer de la distinguer de l’affectio societatis.

1°/ La notion d’intérêt social Il s’agit, une fois de plus, d’une notion extrêmement délicate à définir. La loi n’en

donnant pas de définition précise, c’est donc à la jurisprudence et à la doctrine que va incomber cette tâche. Les pistes qui leur sont offertes sont relativement vagues. L’intérêt social est mentionné principalement dans la loi du 24 juillet 1966, au sein des articles 425 (abus de biens sociaux), 437 (abus de crédit), ainsi que, concernant les pouvoirs des gérants, dans les articles 13 (SNC) et 49 (SARL)38. Dans le Code civil, on trouve le terme « intérêt de la société » dans l’article 1848, ainsi que le terme « intérêt commun des associés » dans l’article 1833. On notera immédiatement la nuance que ce dernier terme apporte à la notion étudiée dans ce paragraphe.

a) Les deux acceptations de l’intérêt social

Les auteurs se sont divisés en deux courants opposés39. Alors que les premiers estiment que la notion d’intérêt social doit être entendue au sens strict, c’est-à-dire ne concernant que l’intérêt des associés, les seconds pensent qu’elle comprend, outre l’intérêt des associés, celui des salariés, des dirigeants, des créanciers, des fournisseurs… Ces deux opinions peuvent se justifier.

La conception stricte de l’intérêt social, qui conçoit celui-ci comme le seul intérêt des

associés, se comprend du fait que les associés sont, concrètement, les propriétaires de la société. S’ils ne sont, en principe, pas titulaires de prérogatives en matière de gestion, sauf cas particulier du gérant associé, ils disposent d’un pouvoir décisionnel qui s’exprime à travers leur droit de vote. La société serait donc, selon les auteurs qui valident cette conception, constituée dans l’intérêt des associés. Cet intérêt serait alors vraisemblablement la création de richesse, et, surtout, ce qui doit logiquement en découler, une augmentation de la valeur des titres de l’entreprise qu’ils détiennent, avec éventuellement le versement d’un dividende.

Concernant la notion d’intérêt commun des associés, il convient ici d’opérer une subtile

distinction par rapport à l’intérêt social. Selon Dominique SCHMIDT40, « intérêt social et intérêt commun ont chacun leur domaine. L’intérêt social, concept à contenu variable, indique ce qui est bon pour la société. Au contraire, l’intérêt commun, concept à contenu strict, implique que chaque associé participe à l’enrichissement social en proportion de ses droits individuels. L’intérêt social concerne les relations entre associés. L’intérêt commun commande que toute décision sociale comportant des effets sur le patrimoine des associés

38 La loi du 24 juillet 1966 a été codifiée dans le Code de commerce. Les articles du Code de commerce correspondant aux anciens articles de la loi du 24 juillet 1966 cités sont, respectivement, les articles L 241-3, L 242-6, L221-4 et L 223-18. 39 Claude BAILLY-MASSON, « L’intérêt social, une notion fondamentale », Petites Affiches, 9 novembre 2000, page 6, n° 224. 40 Dominique SCHMIDT, Revue de droit bancaire 1994, page 205.

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alloue à chacun son dû. ». Si ces deux notions semblent, du moins dans cette conception de l’intérêt social, très proches, on voit à la lumière de cette définition qu’elles recouvrent tout de même des réalités différentes.

Il convient de compléter cette présentation par le rappel de la situation actuelle dans

laquelle certains associés, notamment les fonds de pension, imposent leur loi aux dirigeants et à la société dans le but d’obtenir une rentabilité des fonds investis qui soit importante et immédiate, parfois au mépris des autres agents internes et externes à la société et en relation avec celle-ci. Dans cette optique, celle de la propriété et de la domination, l’intérêt de la société se confond avec celui des associés. Toutefois, une autre acceptation de la notion d’intérêt social est apparue.

Cette autre acceptation considère que l’intérêt social est bien plus que le seul intérêt des

associés. En effet, la société, à partir du moment de son immatriculation au Registre du commerce et des sociétés, dispose de la personnalité morale. Elle va lui permettre, entre autres, d’ester en justice, ou plutôt, en pratique, de se faire représenter afin que soient défendus ses intérêts. Ceux-ci, du fait de sa personnalité morale, lui sont propres, personnels, et donc différents de ceux des associés.

L’intérêt social doit alors être compris, selon le rapport Viénot, comme « l’intérêt supérieur de la personne morale elle-même, c’est-à-dire l’entreprise considérée comme un agent économique autonome, poursuivant des fins propres, distinctes notamment de celles de ses actionnaires, de ses salariés, de ses créanciers, dont le fisc, de ses fournisseurs et de ses clients, mais qui correspond à leur intérêt commun, qui est d’assurer la prospérité et la continuité de l’entreprise. ». L’intérêt social se rattacherait alors à la notion d’entreprise, et il transcenderait les intérêts de tous les agents en contact avec, et notamment de ses actionnaires.

La question qui doit être posée est alors claire : dans l’intérêt de qui la société existe-t-

elle ? On est tenté a priori de répondre que c’est dans l’intérêt des actionnaires. Mais au fond, l’entreprise est, quant à elle, le nœud de bien plus d’intérêts, qui peuvent être divergents, comme ceux du dirigeant avec ceux des salariés ou des fournisseurs.

L’enjeu du choix entre ces deux conceptions est, en quelque sorte, d’imposer une

boussole41, une « ligne de conduite », comme le dit Maurice COZIAN. S’il n’est pas clairement et catégoriquement fait aujourd’hui, on peut, à travers les applications pratiques de la notion d’intérêt social, examiner suivant les cas quelle conception va se retrouver mise en avant.

b) L’intérêt de la notion

L’intérêt social a, en droit français, des utilisations diverses, touchant à des domaines du droit différents42. Ainsi, la loi du 24 juillet 1966, aujourd’hui codifiée dans le Code de commerce, si elle confiait aux dirigeants sociaux de très larges prérogatives pour agir au nom de la société, limitait celles-ci au respect de l’intérêt social. Parallèlement, les associés ne

41 Antoine PIROVANO, « La boussole de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l’entreprise ? », Recueil Dalloz 1997, 24ème cahier, chronique, page 189. 42 Philippe MERLE, Droit commercial, Droit des sociétés, éd. Dalloz, 2000, page 73, n° 52-1.

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peuvent user de leurs droits politiques que dans l’intérêt social, sous peine de voir les actes contraires à celui-ci annulés.

Le juge peut utiliser la notion d’intérêt social pour préserver la pérennité de la société

dans le cas d’une situation de crise. Il s’agit ici d’une exception au principe de non-immixtion du juge dans la gestion des sociétés.

On peut aussi se trouver en présence d’un abus de majorité, ou, à l’inverse, d’un abus de

minorité. La Cour de cassation, pour admettre un abus, exige deux éléments cumulatifs : l’intention de favoriser les actionnaires en question et une atteinte à l’intérêt social. Dans ce cas, il apparaît très clairement que l’intérêt social est celui qui est propre à la société, et non à ses associés. Dans le cas contraire, il est totalement impossible de cumuler d’une part l’intention de favoriser les actionnaires avec, d’autre part, une atteinte à leurs intérêts.

Il convient de noter que l’intérêt social, qui limite le pouvoir des associés, limite

également celui des dirigeants. Ainsi, en l’absence de texte, le juge des référés peut désigner un administrateur provisoire dans les situations de crise, lorsque la survie de la société est en jeu. Cet administrateur va prendre les décisions concernant la société à la place des dirigeants, mais dans les limites que le juge lui aura fixées lors de sa nomination.

L’arrêt fréquemment cité en la matière est l’arrêt Fruehauf, rendu le 22 mai 1965 par la

Cour d’appel de Paris43. La société Fruehauf International a ordonné à sa filiale Fruehauf France de cesser l’exécution d’un contrat passé avec la République de Chine populaire. Or, ce contrat était, économiquement parlant, extrêmement intéressant pour la filiale en question. Le problème venait en fait du gouvernement américain qui avait prestement engagé la société mère à annuler le contrat. Le juge français, se basant sur la notion d’intérêt social, qui n’était pas ici l’intérêt des actionnaires, puisque Fruehauf International était majoritaire, mais bien celui de la société, qui transcende ceux des agents internes et externes en relation avec elle, a nommé un administrateur provisoire afin de prendre des décisions à la place des dirigeants. Pourtant, en l’espèce, il n’y avait pas de risque de paralysie de la société, mais le juge a simplement considéré le fait que l’arrêt du contrat en question était contraire à l’intérêt social, mettant même clairement en opposition l’intérêt social et l’intérêt des associés, puisque cette opposition était ici au centre du problème.

On peut aussi relever, dans le domaine fiscal cette fois, le cas de l’acte anormal de

gestion. Il constitue également une exception au principe selon lequel le juge, même fiscal, et a fortiori l’administration fiscale, ne peuvent s’immiscer dans la gestion d’une société. En effet, le juge peut, dans ce cas, vérifier que les décisions fiscales qui ont été prises pour le compte de la société l’ont été dans l’intérêt de celle-ci.

Enfin, dans le domaine du droit pénal, on citera l’abus de biens sociaux, qui fait, lui

aussi, appel à la notion d’intérêt social. Dans un arrêt rendu le 5 novembre 196344, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré qu’il y avait, en l’espèce, abus de biens sociaux, alors que les associés avaient donné leur accord. Pourtant, l’abus de biens sociaux est, par nature, un acte contraire à l’intérêt social. Celui-ci n’est pas considéré comme l’intérêt des associés, mais bien comme l’intérêt propre de la société personne morale, qui est distinct des intérêts particuliers des agents qui la composent, ainsi que de ceux qui sont en relation avec elle. 43 Cour d’appel de Paris, 22 mai 1965, JCP 1965, II, 14 274 bis, concl ; NEPVEU. 44 Cass. crim., 5 novembre 1963, Dalloz 1964, jurisprudence, page 52.

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Dans cette affaire, la Cour de cassation a motivé sa décision en arguant que l’abus de

biens sociaux est un délit qui a été conçu « pour protéger le patrimoine dans l’intérêt de la société elle-même et des tiers », et non, comme on le voit, dans l’intérêt exclusif des associés.

Toutefois, il convient de relever le fait que la Cour de cassation ne donne pas à tous les

agents qui gravitent autour de la société ou qui sont présents en son sein la même importance quant à l’intérêt social. Ainsi, en matière d’abus de biens sociaux, si les associés peuvent se porter partie civile, en tant que victimes d’un préjudice direct, les salariés, quant à eux, ne sont pas admis à une telle démarche, ne « bénéficiant » que d’un préjudice indirect. Au vu des événements de ces derniers mois, où les salariés sont de plus en plus marginalisés, et même parfois « mal traités » dans l’économie moderne, la Cour de cassation va peut-être tendre , dans les prochains temps, à une meilleure protection de ceux-ci, protection qui peut passer par la reconnaissance d’une meilleure représentation au sein de l’intérêt social.

En définitive, on observe que si deux philosophies s’affrontent quant à déterminer ce

qui peut être considéré comme correspondant à l’intérêt social, la conception de celui-ci comme intérêt des seuls associés est en net recul par rapport à l’autre. Il convient à présent de s’intéresser aux relations entre l’intérêt social et l’affectio societatis.

2°/ Critères de distinction Tout d’abord, l’explication de cette confrontation est aisée à expliquer. Il s’agit de deux

notions abstraites, présentant un caractère subjectif. Elles ne sont pas définies de manière précise par la loi, et ce sont donc la jurisprudence et la doctrine qui ont tenté d’y remédier, d’où une définition aux contours relativement, et dans une certaine mesure volontairement, flous, laissant au juge un certain pouvoir d’appréciation en fonction des cas d’espèce qui lui sont présentés.

Toutefois, ces deux notions ne peuvent et ne doivent pas être confondues. On a pu, dans

un premier temps, croire que l’affectio societatis pouvait être similaire à l’intérêt social compris comme l’intérêt des seuls associés. Il n’en est rien. Si la première notion représente le « lien psychologique entre les associés qui désigne un élément constitutif de la société »45, la seconde fait davantage référence à ce que les associés recherchent, leur but, pour simplifier, plutôt qu’à leur état d’esprit.

De plus, il apparaît que la tendance actuelle est de considérer l’intérêt social comme

étant l’intérêt propre de la société, transcendant les intérêts particuliers des personnes composant la société, travaillant pour elle, ou se trouvant en relation avec. Cela se constate malgré le fait que le pouvoir des associés est pointé du doigt comme étant parfois excessif, principalement dans le cas des OPCVM, qui ont, par nature, vocation à être minoritaires, et qui ont pourtant une influence énorme quant à la politique de la société dans laquelle ils investissent. Comme le dit Marie-Anne FRISON-ROCHE46, « l’entreprise est gouvernée de l’extérieur par le marché ». C’est donc dans l’ensemble de l’univers de la société que l’on doit rechercher l’intérêt social, et non pas se limiter au seul intérêt des associés, même majoritaires.

45 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri CAPITANT, éd. Quadrige/PUF, 2000. 46 Marie-Anne FRISON-ROCHE, Le modèle du marché, Arch. Phil. Droit, 1995, n° 40.

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Bien que ces derniers soient techniquement les propriétaires de la société, celle-ci, en un sens, leur échappe, puisqu’elle rassemble d’autres intérêts que le leur. C’est cet « intérêt suprême » qui doit être préservé, parfois au mépris de celui des associés. L’assimilation avec l’affectio societatis, sorte d’ « esprit d’associé », se trouve donc très nettement rejetée.

Enfin, il convient de relever le fait que les deux notions, même si elles sont relativement

souples et adaptables aux situations pouvant se présenter, ne sont pas utilisées dans les mêmes circonstances. Par ce constat, on conclut davantage à une complémentarité des deux notions qu’à une similarité. Puisqu’il n’y a pas de similarité, l’idée d’un doublon des deux notions doit également être abandonnée.

Il reste que l’affectio societatis et l’intérêt social sont deux notions malléables et que la

jurisprudence et la doctrine, du moins dans sa majorité, n’ont pas rejetées, mais ont, au contraire, conservées, afin de remplir des besoins qui sont distincts, mais correspondent à des zones de flottement juridique, zones au sein desquelles ces deux notions vont, chacune dans son domaine, aider le juge à justifier la solution qu’il va retenir.

L’absence de définition précise est un atout plutôt qu’un handicap. C’est grâce à cela

que le juge va conserver une large marge de manœuvre qui lui permet d’adapter de manière concrète le droit aux nouveaux besoins de la société dans son ensemble. L’aspect subjectif, qui l’est plus ou moins suivant les cas, permet là aussi au juge de s’adapter aux particularités des situations qui lui sont présentées.

B/ Les associés et l’affectio societatis L’associé est défini simplement comme étant un « membre d’une société »47.

Simplement, et même peut-être sommairement. Outre la simple appartenance à une société, ou plutôt la possession d’une fraction de capital d’une société, l’associé, en droit, a un véritable statut.

Comme nous l’avons découvert à travers l’étude de la définition de l’affectio societatis,

il existe un « esprit d’associé ». Celui-ci est caractérisé par une absence de lien de subordination, une volonté de collaborer à la conduite des affaires sociales par une participation active ou un contrôle effectif de la gestion, ainsi que par l’acceptation d’aléas communs à assumer48. Les « membres d’une société » ont-ils tous, de nos jours, cet « esprit d’associé » ? Les nouvelles tendances de l’économie et du droit viennent appuyer ces questions relatives aux associés, qui revêtent un caractère actuel.

Outre le problème de la qualité d’associé auquel, on peut le sentir intuitivement,

l’affectio societatis est lié, transparaît aussi la question de l’exclusion d’un associé, avec toutes les interrogations que cela comporte. Ces considérations revêtent beaucoup d’importance, notamment dans les cas de mésentente entre associés. Il convient donc d’étudier successivement ces deux pôles.

47 Raymond GUILLIEN et Jean VINCENT, Termes juridiques, 10ème éd., éd. Dalloz, 1995, page 51. 48 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri CAPITANT, éd. Quadrige/PUF, 2000, rubrique affectio societatis ;

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1°/ La qualité d’associé

a) Une situation complexe

La catégorie des associés est extrêmement hétérogène. Cela pose problème principalement dans le cas des sociétés par actions. Ces dernières années, l’avènement de la bourse, la liberté de création de valeurs mobilières, ainsi que l’utilisation plus fréquente de dispositions originales telles que la convention de portage ont conduit à un statut particulier des sociétés par actions, et, parmi elles, des sociétés faisant appel public à l’épargne.

Les actionnaires, eux aussi, présentent des particularités. En effet, on remarque aisément

que sous cette expression se cachent des possesseurs de titres de la société aux profils très différents. Si l’on peut distinguer les minoritaires des majoritaires, on trouve aussi des distinctions entre des actionnaires qui investissent dans la société pour participer à sa gestion, à son fonctionnement, alors que d’autres ne sont rentrés dans celle-ci que pour obtenir une certaine rentabilité des sommes investies, le type de l’entreprise et son fonctionnement étant alors indifférents, ou pour revendre rapidement les titres acquis afin de réaliser une plus-value.

Tous ces actionnaires sont, en principe, des associés, puisque, théoriquement,

l’actionnaire est un type d’associé, celui qui est associé d’une société par actions. Toutefois, le terme d’associé recouvre aussi un statut, représenté principalement par un esprit d’associé, l’affectio societatis. Contrairement aux autres contrats, le contrat de société ne nécessite pas seulement le consentement des parties, mais aussi la volonté d’être véritablement associé.

D’où la distinction faite par François-Xavier LUCAS49 entre les termes d’actionnaire et

d’associé. Un actionnaire simple particulier ou OPCVM qui investit dans le seul but d’obtenir une forte rentabilité ou de réaliser une plus-value à court terme, peut difficilement être considéré comme étant doté d’un esprit d’associé. La solution qui prévaut en la matière est celle qui tend à considérer que l’affectio societatis, selon les associés et le type de société, est plus ou moins intense50.

Cette solution présente surtout deux avantages importants. Le premier est que cela évite

d’annuler des sociétés par actions en considérant qu’elles sont fictives. Le second est que cela permet de préserver la place de l’affectio societatis au sein du droit des sociétés. Est-elle pour autant parfaite et exempte de critiques ? Certes non. L’actionnaire qui n’a apporté ses fonds que dans un unique but financier n’a cure de la société en elle-même : il ne la choisit que sur des critères de rentabilité, de retour sur investissement. Il ne participe généralement pas aux assemblées générales, et n’a absolument pas la volonté d’œuvrer à une entreprise commune. Cet actionnaire n’a, concrètement, pas ce que l’on pourrait considérer comme une affectio societatis de faible intensité ; il est totalement dépourvu d’affectio societatis.

49 François-Xavier LUCAS, « Les actionnaires ont-ils tous la qualité d’associé ? », Revue de droit bancaire et financier, juillet 2002. 50 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri CAPITANT, éd. Quadrige/PUF, 2000, rubrique affectio societatis ;

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Certains auteurs ont prétendu que, dans une société, seul l’actionnaire majoritaire était pourvu de l’affectio societatis51. En effet, si le « maître de l’affaire » est celui qui, par son droit de vote, son regard sur la gestion et l’intérêt qu’il porte à la société, imprime véritablement une ligne de conduite à la société, les autres actionnaires, qui sont, par la force des choses, minoritaires, participent dans l’ensemble peu aux assemblées générales, et bon nombre d’entre eux ne se soucient guère de cette ligne de conduite, du moment que des dividendes importants seront versés.

Cette vision est cependant bien simpliste. L’existence même de contentieux relatif à des

abus de majorité ou de minorité démontre l’intérêt de certains actionnaires autres que le majoritaire quant à la société en elle-même. L’abus de majorité peut être dénoncé par des actionnaires minoritaires mécontents de leur sort et de celui réservé par le majoritaire à la société. L’abus de minorité aboutit à un blocage des décisions aux assemblées générales. Dans les deux cas, on a un intérêt marqué, même s’il peut être déplacé, pour la société.

De plus, outre ces cas extrêmes, il est indéniable que certains actionnaires, même

minoritaires, ont un véritable esprit d’associé. Ainsi, la distinction entre minoritaires et majoritaires ne peut être utilisée de la sorte comme summa divisio. Il est à noter que si elle était adoptée et adaptée par la jurisprudence, elle conduirait à l’annulation d’un très grand nombre de sociétés par actions, ce qui apparaît comme étant très exagéré.

Toutefois, on notera que cette dissociation a tout de même été faite par l’Etat dans le cas

des privatisations et dénationalisations. Dans ces cas particuliers, il opère une vérification des sentiments, buts et aspirations des actionnaires principaux. Cela confirme qu’une dissociation des actionnaires est envisageable, même si celle qui est proposée ici n’est pas satisfaisante.

Une autre solution serait d’effectuer une distinction entre actionnaires disposant

d’actions leur conférant un droit de vote et actionnaires disposant de titres assortis d’un droit financier seul. Etant donné le peu de cas que font certains actionnaires du droit de vote, cette distinction n’est pas pertinente et est vouée à l’échec.

b) La proposition de la doctrine

Une partie de la doctrine s’est accordée à proposer une nouvelle distinction, plus moderne, tenant compte de la nouvelle donne économique. Elle conduit à opposer l’actionnaire-associé à l’actionnaire-investisseur52, ou l’associé politique à l’associé investisseur53. Cela semble relativement logique au vu de la situation actuelle : on a d’une part les actionnaires qui investissent et s’investissent eux-même dans la société, et, d’autre part, ceux qui n’apportent que leurs capitaux. Le simple fait d’acquérir des titres ne confère pas de manière systématique et automatique l’affectio societatis, qui implique une véritable participation active dans la société. Certains actionnaires ne sont donc pas animés par l’affectio societatis.

51 Pascal ETAIN, « Affectio societatis, fraude et catégories d’associés », Petites Affiches, 11 février 1999, page 15, n° 30, spéc. Page 20. 52 François-Xavier LUCAS, « Les actionnaires ont-ils tous la qualité d’associé ? », Revue de droit bancaire et financier, juillet 2002. 53 Pascal ETAIN, « Affectio societatis, fraude et catégories d’associés », Petites Affiches, 11 février 1999, page 15, n° 30.

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Un arrêt de la Cour d’appel de Paris rendu le 21 décembre 200154 a admis à demi-mots

cet état de fait, utilisant les termes de « bailleur de fonds » pour désigner un « actionnaire de passage », et d’ « investissement » pour qualifier la prise de participation en question. Toutefois, il convient de noter que l’associé-investisseur, qui est dépourvu d’affectio societatis, supporte malgré tout un aléa par rapport à la somme qu’il apporte. Si le bailleur de fonds perçoit une rémunération déterminée pour le prêt qu’il accorde, l’associé, même simple investisseur sans affectio societatis, supporte un risque. Il s’agit tout de même d’un associé, même si le terme semble peu approprié. Que l’on choisisse d’utiliser les termes d’actionnaire par rapport à l’associé ou d’associé-investisseur par rapport à l’associé politique, on sent qu’il y a bien là une dissociation importante. Il ne faut cependant pas en rester là.

Une fois la bonne division opérée, et ce au moyen de l’affectio societatis, puisqu’il

s’agit bien là de la principale différence entre les deux types d’associés, il subsiste la question de savoir comment faire fructifier celle-ci. En effet, il paraît relativement aberrant de soumettre des catégories aussi fondamentalement différentes au même ensemble de règles. Si certain associés de sociétés cotées n’ont pas d’affectio societatis et que cela est reconnu, pourquoi ne pas les soumettre à un droit de l’investissement, qui serait autonome par rapport au droit des sociétés, ou du moins comprendrait des dispositions particulières et distinctes55.

Ainsi, on pourrait imaginer proposer à ces associés investisseurs la possibilité de

renoncer définitivement à leur droit de vote en contrepartie d’un revenu minimal fixe garanti. Certes, cela relèverait davantage d’une logique d’investisseur que d’une véritable logique d’associé, mais c’est bel et bien à cela que nous sommes d’ores et déjà confrontés.

Dans l’optique d’un droit des sociétés faisant appel public à l’épargne de plus en plus

spécifique et dérogatoire par rapport au droit des sociétés traditionnel, le statut des associés devrait être revu dans le sens de la distinction présentée. Cette conception d’un droit de l’investissement autonome, comportant des règles appropriées distinctes de celles applicables aux associés « véritables », ceux qui sont dotés de l’affectio societatis, va demander du temps et une évolution des mentalités.

Il faut comprendre, en effet, que le droit des sociétés, aussi vaste soit-il, ne peut pas,

dans l’état actuel des choses, régir des situations très nettement distinctes par un ensemble de règles similaires. C’est pourtant ce qu’il fait actuellement, avec plus ou moins de réussite, mais aussi une certaine maladresse. Un changement, quel qu’il soit, s’avère inéluctable au vu de l’évolution de l’économie, le droit devant, d’une manière ou d’une autre, obligatoirement s’y adapter.

Dans cette hypothétique mais souhaitable construction, l’affectio societatis jouerait un

rôle central. C’est par ce moyen, c’est-à-dire par la présence ou l’absence d’affectio societatis, que se fait la classification entre associés politiques et associés investisseurs. Corrélativement, c’est à lui qu’il conviendrait de se référer pour la détermination des règles de droit applicables. La preuve de l’affectio societatis, qui reste un élément délicat, surtout du fait de son caractère subjectif, deviendrait alors plus aisée, puisque celle-ci sera largement corroborée par le choix de l’actionnaire en question de renoncer, par exemple, à ses droits politiques, en contrepartie de l’allocation à son profit d’une rémunération fixe. 54 Cour d’appel de Paris, 21 décembre 2001, BSA Bourgoin c/ CDR Participations, Droit des sociétés 2002, commentaire n° 44. 55 Cf. note n° 52.

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Outre la question de la qualité d’associé, le problème de l’exclusion d’un associé doit

être examiné. 2°/ La question de l’exclusion d’un associé La société est un ensemble, un tout. Les différents associés ont souhaité la constituer

pour mettre en commun leurs biens, leur savoir, leur savoir-faire, leurs compétences, leurs relations, dans le but d’exercer une activité, de produire des biens, de fournir des services. Ils souhaitent le faire en commun, sur un pied d’égalité, et se partager les éventuels bénéfices ou économies qui peuvent en résulter, et, corrélativement, s’engagent à supporter ensemble les éventuelles pertes. C’est là le schéma idyllique, presque une image d’Epinal, d’une société. Souvent, tout au début, lors de sa constitution et au commencement de son exploitation, tout se passe de manière quasi-parfaite. Tout le monde travaille à la bonne marche de la société, met en place son fonctionnement du mieux qu’il le peut, en faisant du zèle car, dans la majorité des cas, il y a énormément de motivation dans ce genre de situations.

La constitution d’une société n’est, certes, plus aujourd’hui aussi difficile qu’il y a

quelques années. C’est presque devenu une chose courante. Pour cela, il faut cependant effectuer des apports, qui peuvent être en numéraire, c’est-à-dire consister en un dépôt d’argent, en nature ou en industrie, c’est-à-dire du travail manuel, un savoir-faire… Cela ne se fait, en principe, pas à la légère. Une motivation, une envie, est nécessaire. D’autant plus que, comme nous l’avons vu, la jurisprudence constante exige l’existence d’une affectio societatis au moment de la création de la société. Une telle volonté de participer à la société, bien plus qu’elle n’apparaît normale, logique et habituelle, est même exigée pour constituer une société.

Toutefois, après quelques temps, le quotidien se répète et l’habitude peut faire place à

une certaine lassitude. Les premières tensions commencent à naître. Si, entre associés, les relations étaient à l’origine cordiales, elles peuvent dégénérer plus ou moins rapidement en fonction de nombreux facteurs.

Ainsi, l’un des associés, extrêmement motivé, passe beaucoup de temps dans les murs

de la société afin d’aider au bon fonctionnement de celle-ci. Au bout d’un certain temps, il supporte mal que les autres associés ne se donnent pas la même peine, que lui travaille plus que les autres, alors qu’ils doivent mener l’exploitation en commun, sur un pied d’égalité.

Il peut aussi y avoir des divergences quant à la ligne directrice à donner pour la conduite

de la société, alors même que tout paraissait limpide tout au début. Si ces différends peuvent naître alors que tout va bien pour la société, que son activité est en pleine expansion, et qu’elle cherche à se développer afin d’assumer sa croissance, ils seront a fortiori encore davantage présents et intenses dans le cas où la situation se détériore et où les pertes s’accumulent.

Ces différends peuvent être d’intensité variable. Si un minimum de mésentente entre

deux associés semble normal, puisque tous les associés ne poursuivent pas forcément le même but final, et peuvent donc être amenés à se trouver en situation de désaccord sur l’un ou l’autre point, cela peut aller jusqu’à une paralysie du fonctionnement de la société, ce qui peut, si cela se prolonge, la conduire à sa perte.

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Dès lors, se pose la question de l’exclusion d’un associé. On peut se retrouver dans le cas où une personne qui est associée décide librement de partir. Selon le type de société et les statuts, il peut falloir que les autres associés donnent leur agrément (sociétés qui ont un fort intuitu personae), ils ont aussi parfois un droit de préemption, et il se peut même, dans certains cas, que la société soit tenue de racheter les titres de l’associé « démissionnaire ». Cette hypothèse n’est pas celle qui nous intéresse ici.

Il s’agit plutôt du cas dans lequel aucun associé ne souhaite partir. Il y a donc là un bras

de fer entre associés dont la persistance peut nuire à la société. D’où l’interrogation suivante : est-il possible d’exclure un associé ? Cette solution serait, en effet, un remède parfait à la situation rencontrée.

Toutefois, le principe est que l’on ne peut pas exclure un associé contre sa volonté. Il

fallait s’y attendre. Le contrat de société est un contrat synallagmatique. Ils ne « peuvent être révoqués que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise », selon les termes de l’article 1134 alinéa 2 du Code civil. François-Xavier LUCAS fait un juste parallèle avec le contrat de mariage56. Il constate que « notre droit du divorce étant ce qu’il est, il est plus facile de se débarrasser d’un époux acariâtre que d’un associé au caractère difficile ».

Le contrat de société n’est pas un simple contrat. Comme nous avons pu le voir

précédemment, on exige de l’associé plus que son seul consentement : il doit avoir l’affectio societatis, cette volonté d’œuvrer en commun, sur un pied d’égalité, et à en assumer ensemble les conséquences, qu’elles soient positives ou négatives. Partant de là, le juge peut éventuellement pousser un associé vers la sortie de la société si celui-ci ne remplit plus ces conditions.

Il faut ici faire preuve de beaucoup de prudence. Un associé, même fautif, ne peut être

exclu, en principe, de la société, s’il a libéré ses apports. L’affectio societatis permet ici de garantir à l’associé son droit de faire partie de la société.

Outre les cas particuliers des procédures collectives et du retrait obligatoire faisant suite

à une offre publique de retrait, cette exclusion semble parfois envisageable. Trois cas d’exclusion se présentent : l’exclusion légale, l’exclusion conventionnelle et l’exclusion judiciaire57. Si, durant un temps, l’exclusion d’un associé ne pouvait avoir lieu que si elle était prévue par les statuts, conformément à l’article 544 du Code civil relatif au droit de propriété58, les tribunaux peuvent actuellement la prononcer, de même que, selon les circonstances, la dissolution de la société59. Ce sont les deux derniers types d’exclusion qui vont ici nous intéresser.

L’exclusion conventionnelle semble relativement marginale et ne pose pas de problème.

Les associés signent des statuts dans lesquels il a été prévu expressément la possibilité pour eux d’être exclus de la société. Ils y consentent donc librement, et, comme l’indique l’article 1134 du Code civil, « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». Si le consentement à cette exclusion a été donné à l’origine par l’associé, il pourra

56 François-Xavier LUCAS, « Les actionnaires ont-ils tous la qualité d’associé ? », Revue de droit bancaire et financier, juillet 2002. 57 Jurisclasseur sociétés commerciales, 2000, rubrique « Affectio societatis », fascicule 20-10. 58 Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 26 juin 1984, Dalloz 1985, 372, note MESTRE. 59 Cour d’appel de Paris, 25 mars 1993, RJDA 1993, n° 1040.

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par la suite, contre sa volonté, être exclu , puisqu’il s’agit là des règles du jeu qu'il a acceptées.

L’exclusion judiciaire, quant à elle, est sujette à controverse. Il s’agit là véritablement

d’une atteinte au droit de la propriété, qui est, en droit français, le droit le plus absolu. Si la Cour de cassation a admis que le principe était l’interdiction de l’exclusion d’un associé en dehors des cas d’exclusion légale et conventionnelle, elle est tout de même parfois admise, mais très difficilement.

L’affectio societatis, ici encore, joue un rôle déterminant. Son absence peut être une

cause d’exclusion60, mais il ne faut pas tomber ici dans l’excès inverse, celui de l’exclusion automatique. On peut considérer, d’un certain point de vus, que certains actionnaires de sociétés cotées, que l’on a précédemment qualifiés d’associés-investisseurs, sont dépourvus d’affectio societatis. Pour autant, il ne s’agit pas de tous les exclure. Il faut, pour cela, que la mésentente cause des troubles importants à la société, voire une véritable paralysie de celle-ci. Cela constitue aussi un des cas ouvrant la porte à une dissolution anticipée de la société61.

Pour couper court à ce choix délicat, la jurisprudence constante tend actuellement à

rejeter les requêtes d’exclusion judiciaire, pour une plus grande sécurité juridique. On sent pourtant que cela ne pourra pas durer toujours. Il conviendra, une fois de plus, de préciser clairement et exhaustivement les situations dans lesquelles cela sera possible. L’affectio societatis, par son caractère malléable, et donc sa capacité à se mettre à la disposition du juge selon les cas d’espèce qui se présentent, pourrait être l’instrument de cette exclusion, combiné à l’intérêt social, élément indispensable dans ces cas de figure. C’est en effet pour le bien de la société que le juge devra alors se prononcer.

Les problèmes que présentent l’intérêt social et les associés sont, on le voit, très liés à la

notion d’affectio societatis. Ils ne sont pas tous résolus, loin de là. Bien souvent, les solutions apportées sont très imparfaites, et semblent destinées à ne subsister que provisoirement, même si on sait pertinemment que le provisoire a souvent tendance à se prolonger. A côté de ces problèmes touchant au cours de la vie de la société, on en rencontre qui sont plutôt liés à la fin de l’affectio societatis.

II/ La disparition de l’affectio societatis Nous avons précédemment défini ce qu’était l’affectio societatis. Cette notion, bien que

n’étant pas précisément définie par la loi, a été déduite par la jurisprudence et la doctrine des conditions exhaustives de constitution d’une société exposées à l’article 1832 du Code civil. L’affectio societatis est aujourd’hui considérée comme un élément fondamental de la constitution d’une société, élément qui est exigé par la jurisprudence constante à cette occasion.

60 Cour d’appel de Poitiers, 25 mars 1992, Droit des sociétés, chroniques, page 4. 61 Cour d’appel de Versailles, 17 mars 2000, n° 97/05761, DULAC c/ LAJEUNESSE, Bull. Joly sociétés, août-septembre 2000, page 845, § 204.

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Or, la société n’existe pas que pour sa constitution. Comme une naissance pour un être humain, la constitution est pour la société une porte, un passage nécessaire, obligatoire, vers une vie, une existence. Si la constitution est une phase fondamentale pour la société, elle n’est pourtant qu’une « formalité » visant à permettre à la société d’exercer une activité.

Durant cette deuxième phase, il convient de s’interroger par rapport à la notion

d’affectio societatis. Est-elle requise, exigée, de manière aussi marquée que concernant la phase de constitution ? En effet, si la jurisprudence constante considère que l’affectio societatis est un élément indispensable au moment de la constitution de la société, il ne va pas forcément de soi que cet élément ait une raison d’être par la suite. C’est un instrument qui permet, entre autres, de vérifier si une ou plusieurs personnes ont créé une société, ou sont entrées dans une société, avec la volonté de se comporter véritablement en associés ; son rôle pourrait très bien se limiter à cela.

D’où deux questions fondamentales : l’affectio societatis, d’abord, peut-il se prolonger

au cours de la vie sociale, et, ensuite, le doit-il ? Si la réponse apportée à la première question est positive, quelle que soit la réponse à la seconde, il conviendra de s’interroger quant à l’utilité de l’affectio societatis dans ce contexte.

Enfin, il faudra examiner les conséquences de l’absence et de la disparition de l’affectio

societatis. Les deux cas sont représentatifs de situations différentes qu’il conviendra d’identifier dans un premier temps, pour, dans un second temps, s’intéresser aux conséquences qui vont en découler. Quelles vont, en somme, être les sanctions applicables, respectivement, dans les cas d’absence et de disparition de l’affectio societatis ?

En premier lieu, nous nous intéresserons à l’utilité de l’affectio societatis en cours de

vie sociale, pour, en second lieu, examiner la sanction de l’absence et de la disparition de l’affectio societatis.

A/ L’utilité de l’affectio societatis en cours de vie sociale Il convient ici de s’interroger quant à savoir si l’affectio societatis peut et doit persister

au cours de la vie de la société. Concrètement, deux questions viennent à ce poser. Elles découlent de cette interrogation générale. La première consiste à rechercher, d’une part, si l’affectio societatis peut se poursuivre une fois la société constituée, et d’autre part si cet élément doit obligatoirement rester présent. La seconde revient à rechercher dans quelle mesure la notion d’affectio societatis peut être utile en cours de vie sociale.

1°/ La question de la nécessité du prolongement de l’affectio societatis durant la vie sociale

L’exigence de la présence de l’affectio societatis au moment de la conclusion du contrat

de société ne laisse, a priori, nullement présumer de la nécessité de son prolongement durant la vie de la société, ou du moins durant le temps que l’associé va passer au sein de celle-ci. L’affectio societatis a été considérée comme une condition implicitement contenue dans l’article 1832 du Code civil qui énonce de manière exhaustive les composantes obligatoires du

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contrat de société. Cet article étant dans sa totalité dédié à la phase de constitution de la société, ses dispositions et, a fortiori, ses exigences, ne touchent pas les autres phases que sont la vie de la société et sa disparition.

La question de la nécessité du prolongement de l’affectio societatis durant la vie sociale

est donc bel et bien ouverte. On pourrait envisager de n’utiliser cette notion que dans le cadre de la constitution de la société, et de n’en tenir plus compte par la suite. Il en est ainsi du consentement, par exemple, élément essentiel au moment de la conclusion du contrat de société. Celui-ci peut être qualifié d’instantané, puisqu’il n’intervient que ponctuellement, à ce moment précis.

L’affectio societatis pourrait, théoriquement, n’être qu’un élément constitutif du contrat

de société. Elle pourrait être abandonnée par la suite. Ce n’est pourtant pas le cas. L’affectio societatis est actuellement requise tout au long de la vie sociale, durant tout le temps du passage de l’associé dans la société. Cette solution apparaît comme véritablement logique. En effet, l’affectio societatis constitue la volonté de l’associé de participer à la vie de la société en commun et sur un pied d’égalité avec les autres associés. Il s’agit là, bien plus que d’une intention de se comporter en véritable associé, d’un engagement de le faire, qui est pris au moment de la constitution de la société ou de l’entrée dans la société. Il est normal que l’élément représentant le plus cette intention et cet engagement doive subsister par la suite.

Ainsi, la disparition de l’affectio societatis peut être une cause d la dissolution de la

société en tant que juste motif, au sens de l’article 1844-7 du Code civil. La mésentente entre associés résulte fréquemment de la disparition de l’affectio societatis chez l’un des associés, et la paralysie de la société, élément nécessaire pour que la mésentente soit utilisée par le juge, peut parfois corroborer cette disparition. Cela peut aboutir, selon l’appréciation du juge sur les circonstances du cas d’espèce, à une dissolution de la société ou à l’exclusion judiciaire d’un associé, option qui peut être préférée si la société prospère, notamment grâce au travail et aux sacrifices financiers des autres associés de la société62.

En tout état de cause, il convient de noter que « les motifs subjectifs de la constitution

d’une société n’entrent pas dans la considération de l’affectio societatis. »63. La chambre commerciale et financière de la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt ED Le Maraîcher rendu le 10 février 1998, que l’on ne pouvait conclure à l’absence d’affectio societatis du fait que chaque associé poursuivait un objectif propre. Cette quête d’un objectif propre n’exclut pas systématiquement la poursuite d’un objectif commun. Le juge ne doit pas aller chercher trop loin les motifs des prétendus associés sous prétexte que l’affectio societatis est une notion subjective.

Une autre forme de cas posant problème par rapport à l’affectio societatis au cours de la

vie sociale est celui des « associés dormants ». Ce sont des actionnaires qui laissent leurs titres, et par là-même leurs droits et obligations dans la société, en sommeil. Les titres en question, souvent gérés dans un premier temps, sont, par la suite, délaissés par ces actionnaires. Gilbert PARLEANI soutient qu’ils demeurent tout de même actionnaires et conservent, en principe, leurs droits politiques et financiers64. Pourtant, on peut se demander si ces actionnaires dormants, qui délaissent leurs actions de sorte que l’on ne sait pas vraiment 62 Cour d’appel de Caen, 11 avril 1927, DP 1928, 2, 65. 63 Cass. com., 10 février 1998, n°464 P, SA ED Le Maraîcher, Bull. Joly, juillet 1998, page 767, n° 249, note Jean-Jacques DAIGRE. 64 Gilbert PARLEANI, « Les actions délaissées », Rev. Sociétés, octobre-décembre 1999, page 715.

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si un jour ils vont les gérer véritablement à nouveau, sont encore pourvus de l’affectio societatis.

Bien souvent, lorsqu’ils se réveillent, ce n’est que pour céder leurs titres afin de réaliser

une plus-value. On sait que le droit de propriété est le droit le plus absolu, qu’il ne se prescrit pas et que son titulaire a le pouvoir d’user ou non, comme bon lui semble, du bien objet de son droit. Il n’en demeure pas moins que, même si, en principe, le droit de propriété portant sur ces titres est préservé, l’affectio societatis semble être absente.

On notera cependant quelques observations. Tout d’abord, l’avènement des OPCVM a

fortement réduit le nombre des actionnaires dormants. Si une personne souhaite acquérir des titres et sait qu’elle n’aura ni le temps ni les connaissances suffisante pour gérer son portefeuille au quotidien, elle va le confier à un organisme qui va s’en occuper pour elle.

Si l’on s’attarde sur le cas précis et particulier des fonds de pension, chargés de placer et

de gérer les fonds destinés à assurer une retraite aux épargnants, on constate que ceux-ci sont tout sauf dormants, et il s’agit là d’un euphémisme. Ils vont, au contraire exercer une forte pression sur la direction de la société afin d’obtenir une forte rentabilité immédiate, ou quasi-immédiate.

Ensuite, certaines dispositions particulières permettant à la société, hors cas de

dissolution ou de faute, de réagir par rapport à la somnolence de certains de ses titres. On a, d’une part, l’article 266-1 de la loi du 24 juillet 1966, codifié à l’article L 228-7 du Code de commerce, qui permet, dans des cas particuliers (échange de titres suite à une fusion, scission, diminution de capital social…), à la société de vendre des titres dont les ayant-droit n’ont pas demandé la délivrance. Il faut pour cela qu’il y ait eu publicité au moins deux ans à l’avance. Par la suite, les actionnaires en question pourront être évincés, moyennant compensation sous la forme du paiement du produit de la vente de leurs titres.

D’autre part, le décret du 21 mai 1992, modifiant le décret du 2 mai 1983, prévoit la

possibilité de mise en vente par la société des titres nominatifs dits « en déshérence », et ce en l’absence de toute faute. Pour cela, le délaissement doit être de 15 ans au minimum. Enfin, l’Etat peut s’approprier les titres délaissés pendant un minimum de 30 ans et déposés auprès d’un établissement bancaire ou financier, selon les lois du 25 juin 1960 et du 29 avril 1926.

Comme nous avons pu le constater, l’affectio societatis reste un élément important de la

vie de la société en elle-même, et, à ce titre, doit subsister durant celle-ci. Même si la préservation du droit de propriété semble rester le principe, il est fortement tancé par certaines dispositions, qui, de manière plus ou moins directe, sont rattachées à l’affectio societatis. Il convient à présent de s’intéresser à l’intérêt de cette notion dans le cadre des sociétés fictives, des sociétés créées de fait et des sociétés de fait au niveau de la vie de la société.

2°/ Sociétés fictives, sociétés créées de fait et sociétés de fait Nous avons déjà évoqué précédemment ce que sont les sociétés fictives et les sociétés

créées de fait. Les sociétés fictives sont des coques vides qui n’ont que l’apparence d’une véritable société. Les sociétés créées de fait sont, en quelque sorte, l’inverse des sociétés fictives. Il s’agit du cas de figure dans lequel plusieurs personnes n’ont pas eu véritablement

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conscience d’avoir constitué une société, mais se sont comportées dans les faits comme de véritables associés. Si nous avons tenté de définir ces cas particuliers de « sociétés », il convient ici d’étudier certains problèmes spécifiques qui y sont relatifs.

Tout d’abord, il convient de distinguer les sociétés créées de fait des sociétés de fait.

Elles n’ont en fait rien en commun : il ne s’agit pas du tout des mêmes situations. Les sociétés de fait sont des « sociétés ratées », c’est-à-dire qu’elles ont été immatriculées, mais ont été annulées. Elles n’attendent plus que d’être liquidées65. Ce cas est moins courant que celui des sociétés créées de fait, et la proximité des termes employés, ajoutée à ce fait, explique les difficultés rencontrées.

En effet, il est courant de voir l’expression de société de fait utilisée afin de qualifier

une situation dévoilant clairement un problème de société créée de fait. Il n’y a pourtant aucun rapport entre les deux cas. Si, dans une société créée de fait, l’affectio societatis est présente, ce n’est pas forcément le cas dans une société de fait. On notera que même la Cour de cassation se fourvoie dans l’utilisation de termes inadaptés, comme par exemple dans des arrêts rendus par la chambre commerciale et financière le 12 février 197366 et le 26 octobre 198167.

Ensuite, nous allons nous pencher sur la question de la distinction entre une société

créée de fait et un indivision. Ces deux situations sont en effet très proches. Dans les deux cas, nous sommes en présence de situations relativement informelles, sans véritable convention écrite. Le problème qui peut survenir est celui de la qualification d’un cas d’espèce dans lequel deux ou plusieurs personnes qui ont œuvré ensemble sont à présent en différend. Est-on ou non en présence d’une société ?

On trouve un exemple des difficultés posées par ce problème dans un arrêt DULAC c/

LAJEUNESSE rendu par la Cour d’appel de Versailles le 17 mars 200068. Dans cette affaire, les deux les deux personnes susnommées avaient acheté ensemble un cheval. Par la suite, seul M. DULAC paya l’entretien, la pension et l’entraînement du cheval. Il souhaite obtenir remboursement de la moitié des frais ainsi engagés, prétextant l’existence d’une société créée de fait. L’enjeu est de taille. M. LAJEUNESSE l’a bien compris, et il a rétorqué qu’il n’y avait, selon lui, qu’une simple indivision, et que M. DUVAL ayant profité seul et personnellement du cheval en question, il n’y avait pas lieu de sa part à rembourser les sommes demandées.

N’en faisons pas un mystère, la Cour d’appel de Versailles a décidé d’accorder au

demandeur le remboursement escompté. Elle a considéré que la « déclaration d’association » passée entre les deux protagonistes laissait présumer de l’existence d’une affectio societatis, et que, s’il y avait bien mésentente entre les associés, elle n’avait entraîné aucune paralysie dans le fonctionnement de la société : la société créée de fait existe et n’est point dissolue.

Dans sa note concernant cet arrêt, Jean-Jacques DAIGRE s’interroge à juste titre sur le

choix de la qualification de société créée de fait ou d’indivision. Certes, traditionnellement, on

65 Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, Droit des sociétés, éd. Litec, 12ème éd., 1999, page 514, n° 1560. 66 Cass. com., 12 février 1973, Dalloz 1973, IV, page 61, n° 70. 67 Cass. com., 26 octobre 1981, Dalloz 1981, IV, page 294, n° 370. 68 Cour d’appel de Versailles, 17 mars 2000, Bull. Joly sociétés, août-septembre 2000, page 845, n° 204, note Jean-Jacques DAIGRE.

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recherche l’éventuelle présence d’une affectio societatis. Cependant, l’indivision peut ne plus être aussi précaire qu’autrefois, et elle autorise une certaine gestion des biens communs. Il faut alors vérifier s’il s’agit d’une exploitation dynamique ou d’une gestion plus passive.

Bien plus que cela, l’auteur fait remarquer que si la qualification retenue en l’espèce par

la Cour d’appel de Versailles était parfaitement justifiée, elle n’excluait pas celle d’indivision. En effet, il s’agirait, plutôt que d’une opposition, d’une superposition des deux qualifications, puisqu’il est indéniable que lors de l’acquisition du cheval s’est constituée une indivision, dans le sens où la société créée de fait qui a été constituée n’a, par nature, pas été immatriculée et, de ce fait, est dépourvue de personnalité morale et donc corrélativement d’un patrimoine propre.

Enfin, se présente le problème de la nullité des sociétés fictives. Nous nous

intéresserons ultérieurement au choix de cette sanction en lui-même. Il convient ici de constater le caractère paradoxal69 de l’application de cette sanction à ce cas de figure. En effet, le principal intérêt de la notion de fictivité d’une société, et ce pourquoi elle a été travaillée et conservée par la jurisprudence, est de permettre aux tiers de rétablir la réalité juridique en se retournant contre les véritables maîtres de l’affaire et non contre une « société-écran »70 qui sera le plus souvent insolvable.

Le choix de cette sanction de nullité pose alors problème. C’est pourtant le choix de la

jurisprudence constante depuis l’arrêt Lumale rendu par la chambre commerciale et financière de la Cour de cassation le 16 juin 1992, et toujours maintenu depuis. Laurent COMMANGES71 estime, en effet, que la fictivité devrait être dissociée de la nullité. Selon lui, la transparence et la réalité juridique rétablie sont les meilleures sanctions possibles de la fictivité. « Avant d’être une cause de nullité des sociétés, la fictivité remettait en cause sa personnalité morale. ». La fictivité, à l’origine, devait sanctionner le vice touchant la personnalité morale. La nullité, sanction finalement retenu, constitue traditionnellement la sanction du vice entachant une condition de formation d’un contrat, ici le contrat de société.

Cela revient à faire l’amalgame entre la structure et la personnalité morale, entre le

contenant et son contenu. La société dont la personnalité morale a été viciée doit être annulée. L’auteur reconnaît que c’est l’affectio societatis qui fait le lien entre fictivité et nullité. Cette notion est à la fois un élément nécessaire et obligatoire du contrat de société et le moyen de déceler si une société est ou non fictive.

Néanmoins, la solution choisie, celle de la nullité de la société fictive, parvient à

préserver la finalité de la fictivité. La nullité de la société fictive n’exclut pas la possibilité d’une extension de procédure. Ici ressurgit le problème du droit français selon lequel la personnalité morale n’est pas attribuée à une société à sa naissance, mais lors de son immatriculation, qu’il s’agisse d’une véritable société dont les associés sont dotés de l’affectio societatis ou non.

69 Laurent COMMANGES, « Le dangereux paradoxe de la nullité des sociétés fictives », Bull. Joly sociétés, janvier 2003, page 12, n° 2. 70 Chantal CUTAJAR-RIVIERE, « La société-écran : essai sur sa notion et son régime juridique », éd. LGDJ, 1998, spéc. Page 368 s.. 71Laurent COMMANGES, « Le dangereux paradoxe de la nullité des sociétés fictives », Bull. Joly sociétés, janvier 2003, page 12, n° 2.

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La société fictive n’est qu’un écran, mais un écran doté de la personnalité morale. Quoi qu’il en soit, il apparaît que cette solution, bien que critiquable dans le fonds, conduit, dans la forme, aux résultats escomptés.

B/ La sanction de l’absence et de la disparition de l’affectio societatis L’absence et la disparition de l’affectio societatis renvoient fondamentalement au même

problème. L’affectio societatis n’est pas ou plus présente, et la question se pose de savoir quelles vont être les éventuelles conséquences de ce constat. Cependant, l’absence et la disparition de l’affectio societatis ne correspondent pas aux mêmes situations. L’absence est le cas où, à l’origine, les associés n’en sont pas véritablement, puisqu’ils ne sont pas animés d’une affectio societatis. La disparition est un cas plus complexe du point de vue du droit des sociétés, car l’affectio societatis existe à l’origine, mais, d’une manière ou d’une autre, a disparu.

Le plus souvent, cette dernière situation se dessinera d’une manière lente. Les associés,

au départ, étaient motivés, souhaitaient vivement exploiter une entreprise sur un pied d’égalité, de manière commune, et se partager ce qui pourra résulter de cette exploitation, qu’il s’agisse d’éléments positifs ou négatifs. Si l’exploitation commune était à l’origine active, la lassitude a pu, avec le temps, s’installer. Certains associés se sont progressivement désintéressés de la gestion de la société, allant même jusqu’à délaisser leurs titres.

Comme nous l’avons vu précédemment, le droit de propriété est le droit le plus absolu ;

il offre à son titulaire la possibilité d’en user ou de ne pas en user, et ne se perd pas, en principe, par le non-usage. Ce principe doit être limité.

Il convient d’examiner successivement, dans un premier temps le problème de l’absence

d’affectio societatis, puis dans un second temps, la question de la disparition de l’affectio societatis.

1°/ L’absence d’affectio societatis Une précision s’impose d’emblée. L’absence d’affectio societatis recouvre les cas dans

lesquels l’affectio societatis est absente dès l’origine. Il convient de noter que les sociétés, si elles ont eu ce que l’on peut appeler une vie, souffrent d’un problème relatif à leur constitution. L’affectio societatis y est absente dès l’origine. Cette situation rentre donc bel et bien dans le cadre que nous allons présentement étudier.

Dans ce but, il convient de distinguer deux phases. La première est celle d’un choix

délicat que la jurisprudence a dû effectuer quant à la sanction de l’absence d’affectio societatis. Deux solutions se présentaient à elle : la nullité et l’inexistence. La seconde est celle du choix qui a été fait. N’en faisons pas de mystère, le choix de la jurisprudence s’est porté en des termes très clairs, sans équivoque, sur la nullité, mais avec quelques particularités.

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a) Nullité / inexistence

La jurisprudence s’est vue confrontée à un choix délicat quant à la sanction à appliquer

à l’absence d’affectio societatis. Deux choix s’offraient à elle. Elle pouvait opter soit por la nullité, soit pour l’inexistence. Il apparaît que ces deux choix constituaient tous deux des solutions imparfaites. Chacune d’elles présentait les inconvénients corrélatifs et logiquement liés à ses avantages. Ces inconvénients constituaient également les points forts de l’autre solution.

On relève d’abord que la nullité, en principe, n’est pas rétroactive. Cela est très

clairement posé par le 1er alinéa de l’article 1844-15 du Code civil, selon lequel « lorsque la nullité de la société est prononcée, elle met fin, sans rétroactivité, à l’exécution du contrat ». L’article 368 de la loi du 24 juillet 1966, codifié à l’article L 235-10 du Code de commerce, confirme cela. La nullité se prescrit au bout de trois ans. Une société nulle ne peut être soumise à l’ouverture d’une procédure collective.

En fait, cela dissipe le voile, l’écran, qu’est la société fictive, et dévoile le maître de

l’affaire. Il faut reconnaître que d’un point de vue de la morale, cette solution est discutable. Chantal CUTAJAR-RIVIERE, dans sa thèse72, relève que « pour le passé, une telle société sera considérée comme valide à tous égards. Cette solution heurte l’idée de justice et la sauvegarde des intérêts de bonne foi ne saurait justifier une telle atteinte [..]. En effet, faut-il admettre qu’une société qui a exercé une activité de blanchiment de fonds dont la provenance est illicite ou qui a organisé la prostitution internationale durant de nombreuses années soit simplement dissoute ? Doit-on en déduire que les contrats conclu par la société avant son annulation sont valables ? Doit-on reconnaître qu’une telle société puisse être liquidée entre les associés conformément aux statuts comme l’y invite l’article 1844-15 du Code civil et l’article 368 de la loi du 24 juillet 196673 ? ».

L’inexistence, quant à elle, présente des avantages qui sont la réponse aux inconvénients

de la nullité. A l’inverse, elle ne présente pas les avantages de cette dernière. Ainsi, l’inexistence est rétroactive, ce qui permet de répondre à la critique morale de la nullité. De plus, elle est imprescriptible. Par contre, elle n’offre plus la possibilité de recourir à une procédure collective. Certains auteurs ont appuyé cette vision des choses, considérant que le mal dont souffre la société est tellement important qu’il remet en cause son existence même. D’autres auteurs ont estimé que l’inexistence était inapplicable, car une société immatriculée au registre du commerce et des sociétés dispose de la personnalité morale, et a donc une existence propre.

Comme nous pouvons le voir, nous ne sommes pas en présence d’une bonne et d’une

mauvaise solution, mais plutôt de deux solutions relativement médiocres. Le juge va donc devoir se prononcer en faveur de celle qu’il estime être la moins mauvaise des deux.

b) Le choix de la jurisprudence

72 Chantal CUTAJAR-RIVIERE, « La société-écran : essai sur sa notion et son régime juridique », éd. LGDJ, 1998, page 369. 73 aujourd’hui codifié à l’article L 235-10 du Code de commerce.

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Avant 1992, la jurisprudence, comme la doctrine, ne s’était pas clairement accordée quant à la solution à retenir. Elle avait appliqué la nullité, motivant cette décision par le 1er alinéa de l’article 18844-10 du Code civil, qui la prévoit en cas de violation, entre autres, de l’article 1832 du Code civil. Comme l’affectio societatis est absente, elle a considéré que l’article 1832 du Code civil avait été violé, et a donc appliqué cette sanction.

Cependant, la jurisprudence a aussi appliqué l’inexistence à certains cas particuliers. En

effet, elle a déclaré inexistantes des sociétés qui n’avaient pas au préalable été immatriculées (sociétés dans lesquelles les formalités légales relatives aux statuts n’ont pas été effectuées, sociétés en participation…). Pour cela, elle a écouté les auteurs qui prônaient l’inexistence pour les cas les plus graves, ceux dans lesquels l’existence même de la société était en question. De plus, comme les sociétés en question n’étaient pas immatriculées, elles n’avaient pas la personnalité morale, et l’inexistence posait dès lors beaucoup moins de difficultés.

Le 16 juin 1992, dans un arrêt Lumale74, la chambre commerciale et financière de la

Cour de cassation a très clairement mis le choses au point. Elle pose le principe selon lequel « une société fictive est une société nulle et non inexistante. ». Il faut noter que la décision exposée dans cet arrêt de principe vaut pour tous les types de sociétés. Sauf cas d’illicéité de l’objet social, la régularisation de la société est envisageable.

La nullité dont il est question ici revêt un caractère tout à fait particulier et dérogatoire

par rapport au droit commun : elle est non-rétroactive. Les actes passés antérieurement à l’annulation sont donc valable, considérés comme réalisés par une société de fait75. La dissolution ne vaut que pour l’avenir.

Les dirigeants ou associés qui, par leur comportement, ont été à l’origine de la sanction

prononcée, peuvent voir leur responsabilité civile recherchée. Selon l’article 1844-16 du Code civil, « ni la société ni les associés ne peuvent se prévaloir d’une nullité à l’égard des tiers de bonne foi. ». La théorie de l’apparence va donc ici s’appliquer, et permettre aux tiers de bonne foi de tenter de faire respecter leurs engagements à la société et à ses associés.

2°/ La disparition de l’affectio societatis L’affectio societatis doit perdurer tout au long de la vie sociale, ou du moins de la

présence de l’associé au sein de la société. Si l’on peut déceler la présence d’une affectio societatis au moment de la constitution de la société, elle peut disparaître par la suite. De nombreux cas de figure peuvent survenir76, et les conséquences qui en résultent toucheront un ou plusieurs associés, voire même tous, et/ou la société elle-même.

Concernant la disparition de l’affectio societatis chez un associé (ou éventuellement

plusieurs associés), se pose la question du retrait de celui-ci. Selon le type de société devant lequel on se trouve, et les dispositions prévues par ses statuts, il peut y avoir, selon les cas, un droit de préemption des actionnaires en place ou un abandon de celui-ci, une clause de rachat

74 Cass. com., 16 juin 1992, Bull. Joly 1992, page 960, § 313. 75Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, Droit des sociétés, éd. Litec, 12ème éd., 1999, page 78, n° 228. 76 Jurisclasseur sociétés commerciales, 2000, rubrique « affectio societatis », fascicule 20-10, page 21, § 84 s..

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forcé des actions de l’actionnaire démissionnaire par la société, une obligation pour le partant de se trouver un remplaçant qui devra ou non recevoir l’agrément des actionnaires en place…

Il apparaît logiquement qu’un petit actionnaire d’une SA cotée en bourse sortira

beaucoup plus facilement de sa société que l’associé d’une société dans laquelle l’intuitu personae est beaucoup plus prononcé, type SARL de famille ou SNC.

Financièrement, les anciens actionnaires, qui sont toujours en place, devront, s’ils

désirent conserver le même capital social et ne pas voir celui-ci se disperser, débourser des sommes parfois importantes, à des moments qu’ils n’ont pas forcément choisis. De plus, s’ils veulent conserver leurs fractions respectives dans les capitaux propres de la société, il leur faudra réajuster le prix à faire payer aux nouveaux arrivants pour les titres qui leur sont cédés, afin de tenir compte des réserves qui ont été engrangées par la société. Les droits politiques vont aussi entrer en ligne de compte : il ne s’agit pas, généralement, pour les actionnaires en place de voir leur pouvoir au sein des assemblées remis en cause.

Outre ce retrait somme toute « à l’amiable », on trouve, de manière classique et peu

surprenante, le retrait judiciaire. En effet, l’article 1869 du Code civil prévoit que « sans préjudice des droits des tiers, un associé peut se retirer totalement ou partiellement de la société, dans les conditions prévues par les statuts, ou, à défaut, après autorisation donnée par une décision unanime des autres associés. Ce retrait peut également être autorisé pour justes motifs par une décision de justice. ».

Le juge va devoir apprécier l’existence de justes motifs, et ce de manière subjective,

c’est-à-dire par rapport à la situation de l’associé qui souhaite se retirer. Ainsi, la situation financière de l’associé en question ou la survenance d’une mésentente entre les associés peuvent influencer sa décision. Le cas de la mésentente entre associés nous permet de faire le lien avec les conséquences de la disparition de l’affectio societatis sur la société elle-même, et notamment avec sa dissolution, que nous avons évoquée précédemment.

Concernant la société elle-même, la disparition de l’affectio societatis peut avoir des

conséquences très graves, puisqu’elle peut aboutir à sa dissolution. Il s’agit là d’une décision qui doit être prise par le juge. Cette situation est prévue expressément par l’article 1844-7 du Code civil, qui énonce les cas dans lesquels une société peut prendre fin. Le 5° de cet article dit que « la société prend fin par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société. ».

L’article propose deux cas dans lesquels le juge peut prononcer une dissolution pour

justes motifs, l’adverbe notamment précisant bien qu’il ne s’agit pas là d’une liste exhaustive. Il semble relativement logique, en effet, que l’affectio societatis se révèle absente dans les deux cas présentés, soit l’inexécution de ses obligations par un associé et la mésentente entre associés, si cela aboutit à une paralysie de la société. Ce dernier critère, celui de la paralysie de la société, doit obligatoirement être présent depuis la loi du 4 janvier 1978 : la disparition de l’affectio societatis seule ne suffit pas à motiver la dissolution. On peut décemment se demander si il n’est alors pas trop tard pour agir, mais il est vrai qu’il s’agit d’une décision très grave, et que, dès lors, une certaine prudence s’impose.

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En définitive, l’affectio societatis est bien plus qu’un « simple » élément constitutif du

contrat de société. Il est en fait devenu une des clés de voûte du droit des sociétés. Nous avons pu constater qu’il s’agissait, en effet, d’une notion qui touchait à la plupart des domaines que comprend ce droit, et qu’elle se situait au centre des questions d’actualité qui le touchaient.

Si le concept d’affectio societatis a pu connaître un temps d’arrêt du fait des

changements dans les mentalités par rapport à l’économie et au droit, il s’y est adapté et reste encore aujourd’hui, avec la bénédiction de la jurisprudence constante, un élément absolument incontournable, bien que toujours entouré d’un certain mystère.

Ceci dit, ce concept devra encore être remanié et complété afin de palier certaines de ses

carences actuelles. Il semble qu’il ait encore de beaux jours devant lui. On relèvera, pour finir, que, dans les domaines du mariage et des contrats (affectio contractus…), ce concept d’esprit, de volonté, a, là aussi, connu une adaptation. Il reste donc ainsi fortement lié à l’actualité du droit dans son ensemble.

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L'AFFECTIO SOCIETATIS Introduction Section 1 : L'affectio societatis dans la constitution de la société I/ Une notion conceptuelle A/ L'affectio societatis, expression du consentement des parties 1°/ La définition de l'affectio societatis

2°/ L'intérêt de l'affectio societatis : les sociétés créées de fait et les sociétés fictives

a) Les sociétés créées de fait b) Les sociétés fictives

B/ Les pouvoirs du juge par rapport à la notion d'affectio societatis dans la constitution de la société

1°/ L'appréciation souveraine de l'existence de l'affectio societatis 2°/ Les pouvoirs du juge et les besoins de la société a) Les intérêts de la notion d’affectio societatis b) Une évolution jurisprudentielle II/ Une notion fonctionnelle A/ La perte de vitesse du concept d'affectio societatis 1°/ L’inadéquation du concept à la réalité juridique 2°/ Le rejet du concept B/ Un aménagement nécessaire 1°/ Une notion irremplaçable 2°/ Le renouveau de la notion

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Section 2 : L'affectio societatis au cours de la vie sociale I/ L'affectio societatis pendant la vie de la société A/ L'affectio societatis et l'intérêt social 1°/ La notion d'intérêt social

a) Les deux acceptations de l’intérêt social b) L’intérêt de la notion

2°/ Critères de distinction B/ Les associés et l'affectio societatis 1°/ La qualité d’associé

a) Une situation complexe b) La proposition de la doctrine

2°/ La question de l’exclusion d’un associé

II/ La disparition de l'affectio societatis A/ L'utilité de l'affectio societatis en cours de vie sociale

1°/ La question de la nécessité du prolongement de l'affectio societatis durant la vie sociale

2°/ Sociétés fictives, sociétés créées de fait et sociétés de fait B/ La sanction de l’absence et de la disparition de l'affectio societatis 1°/ L’absence d’affectio societatis a) Nullité/inexistence. b) Le choix de la jurisprudence 2°/ La disparition de l’affectio societatis

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