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René Merle, L’écriture du provençal de 1775 à 1840, inventaire du texte occitan, publié ou manuscrit, dans la zone culturelle provençale et ses franges, Béziers, C.I.D.O. 1990, 1030 p. Texte intégral et corrigé de la thèse soutenue en 1987. 6 Vers une écriture dégagée du politique L'impossibilité d'une littérature marseillaise en français. En 1821, un groupe de jeunes littérateurs marseillais avait publié l'Alcyon, où Grange, Agoub, Marie Aycard, etc, faisaient leurs premières armes : “Le but de son institution et l'intention de ses fondateurs ont été de réveiller le goût de la littérature et des arts, dans une ville où les occupations du commerce tendent continuellement à l'affaiblir ... A cette cause particulière de la décadence du goût des lettres,est venue se joindre cette tendance vers les matières politiques dont tous les esprits ont reçu l'impulsion”[1]. L'entreprise sera brève. Quelques mois après, le journal de Jauffret pouvait écrire[2] : “Cette année a été la plus féconde en événemens littéraires que les années précédentes. Les Muses provençales ont rompu le silence. De jeunes poètes marseillais ont accordé, sur les bords de la Seine, la lyre des Troubadours, et la sévérité des aristarques de la capitale s'est laissée désarmer par la beauté de leurs chants”. Agoub, Marseillais d'origine égyptienne, Marie Aycard, et bien d'autres Troubadours d'expression française sont partis pour la capitale ou vont le faire. On respire mal à Marseille. On peut en juger par les multiples échos qui émaillent la presse locale, pourtant peu difficile : “Qui aurait imaginé que,dans un siècle tout prosaïque et dans une ville où on s'occupe de tout autre commerce que celui des Muses, un recueil de poésies qui ne s'arrêterait pas chez le libraire ? Cependant rien n'est plus vrai, et M.Jourdon de la Corretterie a tout l'honneur de ce phénomène !” Dès la première vague de départs, les jeunes littérateurs qui demeurent, et collaborent à une nouvelle revue, Le Spectateur Marseillais, font ainsi le point[3] : “Qu'est-ce que la littérature à Marseille ? me suis-je vingt fois demandé en jetant les yeux sur les rares brochures, sur les soporifiques poésies, sur les insipides journaux qui sont sortis depuis vingt ans des presses marseillaises. Loin du centre des sciences et des lumières, au milieu d'une masse de peuple qui ne connaît d'autre impression que celles des prix courants et des petites affiches, que peut faire un homme de lettres, pressé de confier au papier des idées neuves, piquantes, originales ? Les inimitiés particulières l'attendent, le mépris universel l'accueille ; veut-il dire des vérités ? La haine, les tracasseries, les querelles empoisonneront sa vie. S'il forme le projet d'un ouvrage intéressant et national, d'un monument élevé à la gloire des hommes illustres de la Provence, vingt-trois souscripteurs complaisants accueilleront son projet, et ces êtres imbéciles pour qui toute jouissance littéraire est incompréhensible ou ridicule, verront froidement annoncer un ouvrage dans lequel les noms de leurs ancêtres, de leurs parens, de leurs amis, auraient peut-être passé à la postérité ; ils le recevront avec un sourire de dédain ... Comment écrirait-on dans une ville où on ne trouverait pas un imprimeur

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René Merle, L’écriture du provençal de 1775 à 1840, inventaire du texte occitan, publié ou manuscrit, dans la zone culturelle provençale et ses franges, Béziers, C.I.D.O. 1990, 1030 p. Texte intégral et corrigé de la thèse soutenue en 1987.

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Vers une écriture dégagée du politique

L'impossibilité d'une littérature marseillaise en français.

En 1821, un groupe de jeunes littérateurs marseillais avait publié l'Alcyon, où Grange, Agoub, Marie Aycard, etc, faisaient leurs premières armes : “Le but de son institution et l'intention de ses fondateurs ont été de réveiller le goût de la littérature et des arts, dans une ville où les occupations du commerce tendent continuellement à l'affaiblir ... A cette cause particulière de la décadence du goût des lettres,est venue se joindre cette tendance vers les matières politiques dont tous les esprits ont reçu l'impulsion”[1]. L'entreprise sera brève. Quelques mois après, le journal de Jauffret pouvait écrire[2] : “Cette année a été la plus féconde en événemens littéraires que les années précédentes. Les Muses provençales ont rompu le silence. De jeunes poètes marseillais ont accordé, sur les bords de la Seine, la lyre des Troubadours, et la sévérité des aristarques de la capitale s'est laissée désarmer par la beauté de leurs chants”. Agoub, Marseillais d'origine égyptienne, Marie Aycard, et bien d'autres Troubadours d'expression française sont partis pour la capitale ou vont le faire. On respire mal à Marseille. On peut en juger par les multiples échos qui émaillent la presse locale, pourtant peu difficile :

“Qui aurait imaginé que,dans un siècle tout prosaïque et dans une ville où on s'occupe de tout autre commerce que celui des Muses, un recueil de poésies qui ne s'arrêterait pas chez le libraire ? Cependant rien n'est plus vrai, et M.Jourdon de la Corretterie a tout l'honneur de ce phénomène !”

Dès la première vague de départs, les jeunes littérateurs qui demeurent, et collaborent à une nouvelle revue, Le Spectateur Marseillais, font ainsi le point[3] :

“Qu'est-ce que la littérature à Marseille ? me suis-je vingt fois demandé en jetant les yeux sur les rares brochures, sur les soporifiques poésies, sur les insipides journaux qui sont sortis depuis vingt ans des presses marseillaises. Loin du centre des sciences et des lumières, au milieu d'une masse de peuple qui ne connaît d'autre impression que celles des prix courants et des petites affiches, que peut faire un homme de lettres, pressé de confier au papier des idées neuves, piquantes, originales ? Les inimitiés particulières l'attendent, le mépris universel l'accueille ; veut-il dire des vérités ? La haine, les tracasseries, les querelles empoisonneront sa vie. S'il forme le projet d'un ouvrage intéressant et national, d'un monument élevé à la gloire des hommes illustres de la Provence, vingt-trois souscripteurs complaisants accueilleront son projet, et ces êtres imbéciles pour qui toute jouissance littéraire est incompréhensible ou ridicule, verront froidement annoncer un ouvrage dans lequel les noms de leurs ancêtres, de leurs parens, de leurs amis, auraient peut-être passé à la postérité ; ils le recevront avec un sourire de dédain ... Comment écrirait-on dans une ville où on ne trouverait pas un imprimeur

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pour imprimer votre ouvrage, ni un lecteur pour l'acheter ... Parlez au premier venu de tel de nos jeunes écrivains dont les talens seraient admirés à Paris ; le pauvre homme, vous répondra-t-on, qu'il fasse des chiffres, qu'il prenne le guidon des finances, qu'il se fasse courtier, commis, procureur, qu'il agiote, qu'il s'enrichisse et qu'il laisse là son stérile Parnasse et ses muses ingrates. Tous les ouvrages qui sont publiés à Marseille sont accueillis avec dédain. C'est une production locale, disait l'autre jour en souriant, un riche libraire de Marseille, en parlant d'un recueil de poésies qui gisait abandonné dans sa boutique ; il faut à nos concitoyens des pages imprimées de la rage politique[4]... Une raison plus forte encore empêchera toujours les lettres de fleurir à Marseille ; pour écrire, il faut beaucoup observer, beaucoup voir, beaucoup sentir, et que peut-on voir, que peut-on observer à Marseille ? On n'y est pas entouré de cette atmosphère de science et d'esprit, de ce je ne sais quoi, qui développe toutes les facultés de l'homme à Paris, et qui fait jouir de toute la plénitude de l'existence qu'il n'est jamais donné de sentir en province ; c'est en vain que le climat semble embraser le sang et exalter les idées de l'écrivain, tout ce qui l'en entoure le refroidit et le glace, son esprit est appesanti dans un atmosphère lourd et épais”.

La conclusion logique devant cette trahison de la bourgeoisie marseillaise, qui refuse un support civil à la vie littéraire, est donc de gagner Paris au plus vite :

“Hommes privilégiés, auxquels le Ciel a départi une étincelle sacrée du génie, ne consumez pas vos jours ici ... allez au milieu d'un peuple éclairé, ami des beaux-arts, des lettres et des sciences, recueillir les palmes qui vous attendent, et laissez s'agiter sur ses quais cette foule ignare et insouciante au milieu de ses caisses et de ses ballots”.

Et de fait, l'hémorragie ne va pas cesser.

Ceux qui restent ne peuvent que jouer, sans trop de conviction, la carte de la rivalité, sur son propre terrain, avec la capitale, la carte de la répercussion la plus rapide des modes venues de la capitale, donc aussi celle de la francitude absolue.

Ainsi en 1824 de la revue poétique destinée aux dames, Les Roses Provençales, dont le prospectus de lancement[5] se crispe sur la dénonciation de l'esprit commercial, et ne se réclame des troubadours que pour assurer la victoire du français :

“Tout semble, sous le beau ciel de Provence, engager les poètes à faire entendre leurs magiques accens. S'il me fallait en donner des preuves, j'en appellerai d'abord au génie, à la vivacité, à l'esprit naturel des hommes du midi, et j'invoquerais ensuite ces troubadours dont la mémoire sera rappelée toutes les fois que l'on parlera de poésies agréables, d'amour et de gloire. D'où vient donc cette apathie qui tue aujourd'hui la littérature en Provence ? D'où vient enfin que toute tentative littéraire soit frappée de mort à Marseille ? C'est que l'esprit commercial a tout envahi, c'est que Barrême a remplacé Virgile, et que l'on ne peut s'occuper en même tems d'une facture et d'une ode. Cherchons donc à rétablir le trône des douces muses, cette renaissance, cette restauration des belles-lettres ne pouvait jamais mieux s'accomplir qu'à cette époque. La langue française, universellement répandue, les bonnes études faites dans ces derniers tems, la foule de jeunes talens qui ne demandent que la gloire et l'illustration, tout nous semble promettre la renaissance des goûts littéraires en Provence”.

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On mesure, dans ce tournant des années 1823-1824, le fossé entre l'entreprise renaissantiste provençale d'un Diouloufet, ou l'entreprise de connivence dialectale de Bellot, et les aspirations d'une bonne partie de la jeune génération littéraire, pour laquelle le problème d'une écriture en langue d'oc ne se pose même pas : leur seul problème étant, s'il faut demeurer à Marseille, d'amener la bourgeoisie marseillaise à la conscience de ses responsabilités culturelles, par rapport à la création locale toute française.

La gloire naissante du jeune Joseph Méry est alors lancée par son Gemenos ou le Tempé provençal[6]. C'est, dit-il, pour retrouver Gemenos qu'il a quitté la capitale où il avait tenté sa chance. L'inspiration locale apparaît donc, mais on est loin des grandes avancées romantiques :

Salut bocage que j'adore,

Salut silencieux vallons,

De ma lyre trop faible encore

Vous entendrez les premiers sons ...

Favori de notre Provence,

Le figuier orne tes coteaux ;

Naissant sous la même influence

La vigne pend à ses rameaux.

A l'ombre de leur vert portique,

Ton olivier, fils de l'attique,

Trompé par l'azur d'un beau ciel,

Croit encor, ô douce chimère !

Dans cette terre hospitalière,

Fleurir sur le sol paternel ...

Heureux qui loin de ces demeures

Où l'esprit rampe humilié,

Ici laisse couler ses heures

Entre l'amour et l'amitié ;

Il goûte, dans la paix du sage,

Ce repos si doux sous l'ombrage

Au souffle des jeunes zéphyrs ;

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Et, pour lui, cette onde légère

Devient le fleuve imaginaire

Qui ravit tous les souvenirs.

Ainsi les Dames de Marseille sont elles charmées d'une nature proche traitée à la mode du temps, par l'abominable complice de Rabbe ! Ce ne sont certes pas les imprécations répétées, et pour une fois concordantes de Diouloufet et Bellot contre le romantisme, en 1824-1825, romantisme dont les effets sont cependant des plus modestes à Marseille, qui pourraient les attirer vers la poésie provençale. Encore moins l'écho des vieilles convivialités poétiques, remises à la sauce provençale. Ainsi, en 1825, le Spectateur Marseillais, après avoir rappelé le souvenir de la société des Troubadours animée par le préfet Thibaudeau, sous l'Empire, en souhaite la renaissance,dialectale cette fois : “Beaucoup de personnes dérobent au commerce quelques instants qu'elles consacrent à aiguisr le couplet d'une chanson badine ... elles emploient dans leurs gais et spirituels ouvrages l'idiome natal ...ne pourraient-elles pas se réunir ?”[7]

Cette réelle vitalité de l'expression dialectale dans les cercles petits-bourgeois, dans la compensation festive de l'activité prosaïque, n'est certes pas à ignorer dans l'avènement d'une nouvelle génération d'écrivains dialectaux, après 1830 : c'est le terreau dans lequel, chacun à leur façon, s'enracinent Chailan et Victor Gelu. Mais ce n'est pas et ce ne peut être celui des professionnels de la plume. Pour ces jeunes gens, la convivialité marseillaise, nourrie du prosaïsme quotidien, le plaisir de manier l'idiome pour l'idiome, sans perspectives de réussite littéraire, ne représente rien par rapport au souffle culturel venu de la capitale, et à la montée en force du discours jeune-libéral après 1826 et la libération relative de la presse.

On peut juger, sans ironie qui serait trop facile, de la distorsion assumée entre la réalité dialectale dans laquelle, peu ou prou, leur enfance vient de baigner, et leurs productions françaises, par cette “Pierre de Rosette” qu'est l'ouvrage de Marie Aycard[8], publié à Paris en 1826. Le jeune littérateur a quitté Marseille depuis peu d'années, et il cherche à se lancer dans la capitale par une mise en scène, une des toutes premières dans ce qui sera bientôt récupération romantique de l'exotisme populaire et provincial de la patrie reniée.

Dans Ballades et Chants de Provence, ensemble de nouvelles en français, le rapport à la langue d'oc absente ne manque pas d'être révélateur. Marie Aycard se dispense du traditionnel salut aux Troubadours, renvoyés à leur néant littéraire et à l'adulation stérile d'une génération d'érudits dans laquelle le jeune homme ne se reconnaît pas :

“Un auteur du plus grand mérite[9] et qui s'est occupé de la poésie et des différens dialectes de ce temps, remarque, avec raison, que ces Troubadours si vantés n'ont laissé aucun monument de leur gloire, et qu'on ne peut citer d'eux que quelques morceaux gracieux ou naïfs, qu'on ne découvre encore qu'avec peine en feuilletant le fatras de leurs insipides productions”.

Pour autant, s'il néglige l'érudition et les respects de la gloire littéraire d'oc, s'il dit tout haut, en iconoclaste opportuniste, ce que beaucoup pensent à Marseille sans trop l'affirmer[10], Marie Aycard n'en est pas moins lecteur d'Achard et de son dictionnaire, qu'il cite sans donner ses sources :

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“L'idiome marseillais est resté à peu près ce qu'était autrefois la langue romane. Pour prouver cette assertion, je vais citer le serment prêté à Strasbourg en 842, par Louis le Germanique et les sujets de Charles le Chauve : Sé Louis lou sacramént ké à soun frairé Karlé a jurat... Voilà, à quelques différences près, le langage du peuple de Marseille à nos jours, et pour mieux établir la comparaison, j'espère qu'il me sera permis de transcrire ici trois couplets bien connus des jeunes filles de Saint-Jean[11] :

Pescadou dé la canétto,

Péscharies-ti ma mestresso ?

Lan la

Si tu mé la pèschos vivo,

Ti darai quatré cént liro,

Lan la

Si tu mé la pèschos muèrto,

Ti daraï tout l'or qué puèrto

lan la

C'est la ballade que j'ai mise sous le titre de La Maîtresse noyée, mais je n'ai réussi à en faire passer dans ma prose ni le charme, ni la naïveté”.

Voici la traduction qu'il en donne plus loin :

“-O pêcheur à la ligne pliante ! pourrais-tu ramener ma maîtresse ? O mon dieu ...

-Si tu me la rends vivante, je te donnerai 400 livres, beau pêcheur, o mon dieu ...

-Si tu me la rends morte, je te donnerai tout l'or dont elle est parée, o mon dieu ...”

Ce rapport contradictoire au pays va durablement marquer la littérature méridionale : le prosaïsme et l'indifférence du pays empêchant l'entreprise littéraire de s'y développer, on va tenter sa chance ailleurs, quitte à mettre le pays en spectacle.

On a pu s'interroger sur l'incompatibilité du tempérament provençal et du Romantisme. Il ne semble pas, en tout cas, que l'hostilité proclamée au romantisme des trois grands auteurs provençaux de la Restauration, Bellot, Diouloufet, Morel, se fonde sur un blocage ethnique.

En 1825, présentant le Temple du Romantisme, de Hyacinthe Morel, De Stassart, ex-préfet de Vaucluse, écrit[12] :

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“Le romantisme est, comme le libéralisme, une de ces expressions indéfinies que chacun explique à sa guise pour s'en faire un objet de culte ou bien une monstruosité repoussante. Si par le genre romantique on entend ce mépris de toute espèce de règles, ce pathos, ce pompeux galimatias, ce vague obscur, cette sensibilité factice que tant de romanciers et de rimailleurs voudraient bien mettre en vogue de nos jours, on a bien raison de se lever en masse pour opposer une digue à ce torrent de mauvais goût. Un littérateur distingué, M.Morel, sercrétaire perpétuel de l'Académie de Vaucluse, vient d'employer, pour le combattre, l'arme la plus convenable peut-être, celle du ridicule. Son Temple du Romantisme est une des plusheureuses imitations du Voayge de Voltaire au temple du goût ; c'est un badinage plein d'esprit et de finesse ; c'est un modèle de bonne plaisanterie.

Voici comment l'auteur peint la nouvelle divinité qu'on voudrait introduire dans la littérature :

Tout est guindé dans sa personne ;

Sa fausse majesté ne subjugue et n'étonne

Qu'un vain peuple, jouet des superstitions.

De sa très-fragile couronne

Diamants faux sont les fleurons ;

Et les fondements de son trône

Sont établis sur des ballons.

Rien n'est plus délicat, rien n'est plus galant que la dédicace à Madame Anaïs de B...

D'une secte qu'on voit s'étendre

Je viens de peindre les excès :

Est-ce avec bonheur et succès ?

Vous seule devez me l'apprendre.

Ah ! s'ils pouvaient avoir accès

Auprès d'Anaïs, et l'entendre !

Convertis par le naturel

Et le charme de sa parole,

Dieu du goût, c'est sur ton autel

Qu'ils viendraient briser leur idile”.

A cette condamnation d'ordre purement esthétique et littéraire, s'ajoute une condamnation morale, puisque, dans le théâtre romantique : “Les scélérats y sont des saints / Et les moines y sont des diables”.

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On lira aussi les nombreuses déclarations anti-romantiques de Bellot, de Diouloufet, en 1824-1825 particulièrement :

A Paris dins tant de marrit vers,

fan parlar Apoulloun lou francès de travers,

Que sara pas fachat qu'eis bords de la Durenço

Li fagoun far de vers dignes de la Prouvenço ...

Francs, et surout bèn clars, vestits à la classiquo,

Et noun pas embrailhats, caussats en rouantiquo[13]

Ce n'est qu'autour de 1840 que l'utilisation du provençal, particulièrement dans les chansons de Gelu, sera clairement présentée en antidote du romantisme larmoyant. Pour l'heure, dans ces années 1820, l'indifférence ou l'hostilité des rares provençalisants à l'égard du romantisme s'inscrit dans l'indifférence du milieu littéraire marseillais demeurant, milieu sans envergure sur lequel Diouloufet va tenter une greffe provençale sans avenir.

Le foyer de publication marseillaise et la greffe renaissantiste.

Depuis 1814, le laborieux Diouloufet s'agitait dans la piétaille des Ultras, troubadour peu récompensé, taraudé d'un désir de reconnaissance publique. La protection de Raynouard, obtenue en 1818, l'annonce de la publication des Magnans, qui paraissent fin 1819, le satisfont en partie. Le voici admis à la très somnolente Académie de marseille, lié à son secrétaire, le bibliothécaire Jauffret, qui dirige aussi le Journal de Marseille.

Or Jauffret, cette même année 1819, malgré la lourde indifférence aux lettres de la bourgeoisie commerçante marseillaise, lance une revue, La Ruche Provençale, première tentative régionale de décentralisation littéraire et de mise en valeur du patrimoine. “Les Muses, qu'effarouchaient le bruit des armes, sont rentrées en France avec un Roi qui sait les apprécier et les protéger”. Inspirée d'une tentative bordelaise, la Ruche d'Aquitaine, la revue marseillaise est désireuse, comme elle, de ramener les lecteurs “à ces jouissances paisibles que procure la culture des lettres, et dont le salutaire effet est de nous distraire des discussions politiques”. Le moule est ainsi proposé de ces nombreuses revues qui, en français et plus tard en provençal, installeront dns un unanimisme factice, soigneusement apolitique, la glorification de la Provence.

“Il nous semble qu'un recueil qui joindrait à quelques tributs, offerts par les muses provençales, des recherches sur les Antiquités de notre province, des mémoires sur les hommes qui l'ont illustrée à diverses époques, des observations sur les productions de son territoire, ou sur l'état de son commerce, des notices sur les ouvrages nouveaux, français ou étrangers, qui pourraient intéresser plus directement les habitans de la Provence, il nous semble, disons-nous, qu'un tel recueil devrait obtenir d'autant plus de succès dans tout le

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Midi, qu'il deviendrait un moyen de correspondance entre tous les hommes instruits de cette belle partie du royaume”.

Les “quelques amis des lettres, aussi dévoués à leur Roi qu'ils sont attachés à leur patrie” sont des notables : le préfet, le maire, des académiciens ... Leur public est aussi, tout naturellement, un petit public de notables : ainsi le notaire Grange fait connaître la revue à des ingénieurs, des médecins, des négociants, des hommes de loi ... Milieu sans dynamisme propre, coupé de toutes les tendances nouvelles : “Ce recueil était rédigé par plusieurs membres de l'Académie de Marseille, aussi était-il détestable. Dans tous les cabinets de lecture, on écrivait au crayon un C devant le mot ruche, et chacun d'applaudir”[14].

Diouloufet va recevoir comme une bénédiction la publication de cette revue. Les fables, contes et épîtres qui commençaient à remplir ses tiroirs ne pouvaient trouver aucun lieu de publication, et le compte d'auteur des Magnans avait pour longtemps épuisé ses possibilités éditoriales personnelles. Certes, l'Académie d'Aix avait imprimé dans ses Mémoires en 1819 son épître à Raynouard, mais elle ne publiera pas d'autres mémoires avant 1823. Il reste donc à Diouloufet à faire le siège des seules publications existantes, publications marseillaises : le Journal de Marseille d'abord, sur lequel il ne se fait pas d'illusions. A la sortie des Magnans, Diouloufet écrit à Raynouard : “Le Journal de Marseille qui l'a annoncé va en faire une mention très honorable, mais malheureusement il n'est pas très répandu”[15].

La Ruche Provençale lui apparaîtra donc le véhicule idéal pour porter à la connaissance des “hommes instruits” de Provence et du Midi sa poésie dans la langue des troubadours. Aussi, avec quelles précautions, et avec quelle modestie outrée s'adresse-t-il à Jauffret pour obtenir sa place dans une revue pour laquelle les muses provençales dont parle le prospectus de lancement sont bien évidemment des muses d'expression française.

Le choix proclamé par Diouloufet, à partir des Magnans, de ne plus écrire qu'en provençal, la glorification de la muse provençale face à la muse franciote et à Paris, s'accompagne donc en fait d'un entrisme peu glorieux dans une revue toute française[16].

Mais une fois installé dans la Ruche Provençale, Diouloufet va gêner plus que convaincre, en renvoyant ses collègues à un choix impossible : laisser aux non-autochtones l'usage du français, considérer comme une trahison une écriture provençale qui ne soit pas en provençal. Dans sa modestie proclamée, un peu trop humblement peut-être, mais dans l'immodestie totale et effective d'être le seul continuateur des Troubadours, Diouloufet fait comme si : comme si la dominance du français n'existait plus, comme si elle n'était pas en fait assurée, dans la revue et à Marseille, par ses collègues les écrivains provençaux d'expression française auxquels il a mendié une reconnaissance, comme si son écriture provençale rencontrait l'aval commun.

Cette idéologie du semblant, dont il ne semble pas que, depuis, les différents avatars du renaissantisme se soient débarrassés, met en scène un duel imaginaire, et qui ne pouvait aucunement toucher responsables et lecteurs de la revue : le duel d'une culture française c'est à dire parisienne, et d'une culture provençale qui serait le bien commun de tous les Provençaux. Nous et eux. L'effet d'entraînement, que le Felibrige à certains égards réussira à mettre en action, ne jouera guère alors. Sans doute parce que la culpabilisation de l'écrivain provençal d'expression française est pratiquement inexistante alors.

On peut juger de cette attitude extrèmement ambiguë de Diouloufet par la façon dont il sollicite son entrée dans la Ruche Provençale et par ce qu'il y écrit. Dès la sortie du prospectus de la revue, Diouloufet écrit à Jauffret, le directeur : “Monsieur et Cher Confrère”, de bibliothécaire à bibliothécaire donc.

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“J'ai l'honneur de vous adresser deux petites pièces de poésie pour la Ruche provençale. M.le Préfet, que j'ai eu l'honneur de voir quelques fois, pendant le court séjour qu'il a fait dans cette ville, m'a beaucoup engagé à fournir mon faible contingent à cet intéressant recueil. Je lui ai dit que ce serait le denier de la veuve. Il m'a dit, Monsieur, de vous adresser ce que j'aurais et d'y faire figurer la muse provençale, et cela est bien juste puisque c'est dans ce domaine que les abeilles travaillent”.

Aval et même incitation préfectorale couvrent donc la démarche, qui ne se présente pas comme tout à fait spontanée : le comte de Villeneuve-Bargemon, préfet et ami des letres, était lui-même un des principaux collaborateurs de la revue. Mais il est évident que la sollicitation vient de Diouloufet.

Après avoir donné toute liberté de correction à Jauffret, il ajoute à propos de qses deux fables, dont une en français (qui signe la fin de ses ambitions d'écrivain “hexagonal”). Sa fausse humilité est attristante :

“Ma fable[17] en provençal, imitée de la Fontaine, avoit été adressée à une bien aimable dame de cette ville, connue ici par ses talens, son esprit et ses vertus. Au lieu de tous ces vers qui commencent par -Tant que sian baten la campagno, etc - il y avoit un compliment adressé à elle, assez bien amené, et dont j'étois content. Je n'ai osé l'envoyer avec, et j'y ai substitué à peuprès la morale qu'en a tiré le bon Jean : je ne tiens pas à cette tirade ; aussi vous pouvez la supprimer si vous le jugez à propos, et finir la fable à ce vers : -Margarido doou bouen lach frés )- qui est le cri ordinaire de nos laitières d'Aix, car peut-être à Marseille cela n'aura aucun piquant[18]. /.../ Je crois que le sujet de ma fable française est neuf, du moins il est tout de mon crû. Mais, Monsieur, comme je vous reconnois pour mon maître dans ce genre aimable de poésie, je vous la soumets en toute humilité ; faites en ce que vous en voudrez, et si vous ne la croyez pas digne de la Ruche, rejettez-la[19]. Vous avez eu la bonté, Monsieur, de faire figurer mes pauvres couplets provençaux faits à Paris le jour de la St-Louis, dans votre bien estimable et intéressant journal, je vous en remercie, ainsi que tout ce que vous avez bien voulu dire de flatteur sur l'indigne troubadour des bords de l'Arc”.

Or, nous trouvons dans ce tome 1 de la Ruche Provençale une seconde pièce provençale de Diouloufet, plaisanterie sur la naïveté de deux montagnards descendus à Aix, et la rapacité des gens de justice[20]. Pièce tout aussi innocente, dans le genre, que l'imitation de La Fontaine qui l'avait précédée. Mais on peut lire, sans traduction comme pour tout texte provençal, en introduction les vers suivants dont la brutalité échappera au lecteur uniquement francophone :

Après un bouen dinar, quand touto l'assemblado

En suçant lou cafe dich quaouquo talounado,

Un jugi nous countet un pichot fet charmant,

Qu'imagini qu'en lou flouant

D'un brout de roumaniou cuilhi sur la coulado

Ounte trevo Apoulloun et la dotto meinado,

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Poura lou rendre plus piquant.

Mai naoutre emplegaren la lenguo deis Troubaires.

Prouven de tems en tems que lou gai prouvençaou,

Lou parouli de nouestreis paires,

Voou ben la lengo doou Badaou[21].

Senso aqueou testament que doune la Prouvenço

Oou Rei pas lou milhur, que l'iero pa degut,

Veirian un paou qu'oourie mai fa de brut

Deis Musos de la Seino ou ben de la Durenço.

Senso mai de resoun venguen à nouestre but,

Et perque sian Frances, aro vivo la Franço !

On ne saurait rêver texte plus provocateur, qui ne déparerait pas les proclamations provençalo-nationalistes à venir. Nationalisme verbal, qui évidemment n'apparaissait pas dans les propos prêtés au préfet, et dans la présentation des muses provençales et de son imitation de La Fontaine. Diouloufet assortit ce nationalisme de prudentes considérations où l'audace ne vise pas très haut : “Cette fable a été imitée en français par Florian et par le Bailly, et en italien par Giorgetti. La Muse provençale ose se mette sur les rangs. Quelle audace !”[22]. Ou encore, tout en se légitimant du cadre français de la revue, et de son propre passé d'écrivian français il écrit en introduction de sa traduction provençale de La Mort et le Bûcheron[23] : “J.B.Rousseau n'a pas été plus heureux que Boileau. La Muse provençale ose se mettre à la suite de tous ces grands ancêtres...”

Nous donnons en bibliographie la table des publications provençales de Diouloufet dans les quatre années d'existence de la Ruche Provençale, de 1819 à 1822 : Diouloufet y est bien l'unique auteur dialectal. Il ne suscite aucun disciple, aucune réaction, approbative ou hostile, dans la revue. Le fait suffit sans doute à faire mesurer la fragilité de la “Renaissance” dont l'Aixois se voulait porteur.

Par contre, si Diouloufet est pratiquement le seul auteur provençal à recevoir l'hospitalité occasionnelle du Journal de Marseille avant 1821, essentiellement pour des textes politiques, il y est rejoint en 1821 par quelqes poètes marseillais : on peut mesurer à travers leurs très modestes productions, les perspectives nouvelles de la muse provençale, jusque là inspiratrice du seul Diouloufet.

Ils avaient été précédés par la réédition marseillais, patronnée par Jauffret, des Soirées provençales de Berenger[24]. On le trouvait dans toutes les bonnes bibliothèques provençales depuis 1786, complément obligé de Papon, Bouche, Achard. “Votre manuscrit est atendu avec impatience. Masvert est plein de zèle et doit tirer votre nouvelle édition à 4000 exemplaires”, lui écrit Jauffret[25]. le chiffre est considérable pour l'époque. L'ouvrager du vieil inspecteur de Lyon vaut surtout par son parfum retro. “On imprime, dans ce moment, à Marseille, une nouvelle édition des Soirées Provençales, ouvrage de M.Berenger, le doyen de nos troubadours ; les letres qui composent ce recueil, datent des années qui précédèrent la Révolution. Elles se rapportent, par conséquent, à une époque encore paisible, où l'apparition d'un ouvrage de littérature était encore un événement de quelque importance”, écrit la Ruche

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Provençale, dont le directeur Jauffret est chargé d'une publication à laquelle il apporte d'ailleurs quelques modifications.

Le vieux rhétoricien y complète courtement son petit choix de textes en langue d'oc donné en 1786 : il ajoute une pièce de Roman, lou Beou Tircis et Anettou, de Morel ; à part Anettou, publié par Morel en 1808, rien n'apparaît de la production provençale des années 1786-1819. Berenger la lisait-il seulement ? Sa conception de la poésie dialectale n'a donc été modifiée en rien par les trente années écoulées. Mais l'intérêt de l'ouvrage est de donner à lire à un public relativement important des textes déjà anciens, pour beaucoup oubliés, comme cette querelle des Troubadours de 1781, dont la redécouverte aura des conséquences idéologiques durables.

Les pièces de Diouloufet dans la Ruche Provençale, celles de quelques autres dans le Journal de Marseille témoignent d'une timide tentative d'élargissement des registres de l'écrit dialectal :

Dans la Ruche Provençale, pour s'en tenir au registre consacré des fables et des contes, Diouloufet manifeste cependant d'autres ambitions : dès 1819, il se risque à l'ode[26] :

Sablier que siès de nouestro vido

Et de la fortune péreou,

Din ta courso courto et rapido,

L'ambleme et lou parfèt tableou

Mais les plus timides tentatives d'élargissement de registre se heurtent à l'incompréhension de la plus grande partie du public marseillais. Ainsi, en 1820, Diouloufet s'en tient dans la Ruche à son registre habituel, admis comme convenant parfaitement à l'idiome (des fables, un hommage à la famille royale, une plaisante épître[27]); le Mémorial de Marseille, quelques petites pages serrées de mercuriales, cours de la bourse, mouvements et quarantaines de navires, est bon juge satisfait : “On y lit avec plaisir un Epître de Mr Diouloufet aux Frères Provençaux, fameux Restaurateurs de Paris, dans laquelle on retrouve tout le talent de l'auteur, qui écrit mieux que personne aujourd'hui la langue des anciens Troubadours”.

Mais les choses se gâtent : Diouloufet veut accéder au registre noble[28] : il raconte comme une famille périt tragiquement en passant le col du Grand Saint Bernard, hormis un enfant que la persévérance d'un chien permet de sauver.

Ah ! que d'homes, grand Diou ! dins lou siecle present

Qu'an pas la caritat deis chins d'aqueou couvent !

Diouloufet n'a garde d'oublier au passage son antienne habituelle : il dit, à propos des bons pères sauveteurs :

Iou quasi jurariou que lou philosophisme

Soun fraire lou jacoubinisme

Faran jamai parei mestier !

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Le Mémorial de Marseille marque ses réserves, qui n'ont certes rien de politique, car jamais organe fut plus indifférent au philosophisme et au jacobinisme, pour autant qu'ils ne contrarient pas le commerce marseillais.

“On lit aussi avec plaisir dans cette quatrième livraison, deux faits historiques mis en vers provençaux, par Mr.Diouloufet, l'auteur qui écrit le mieux aujourd'hui la langue des troubadours.

Le premier de ces morceaux est l'histoire du Chien du Mont St.Bernard. M.Diouloufet y a déployé toutes les richesses de la langue provençale, dans le genre descriptif. Il a eu de grandes difficultés à vaincre ; mais il s'en est tiré avec une grande habileté, et presque toujours avec un rare bonheur.

La seconde est une plaisanterie qui est beaucoup plus dans le génie de notre idiome. L'auteur en a tiré le plus grand parti”[29].

Incontestablement, les négociants préfèrent la musique et le théâtre léger à la littérature, et s'ils lisent, ils préfèreront le conte amusant au fait historique sérieux. A plus forte raison s'ils lisent en provençal, car l'idiome leur apparaît, dans la compensation diglossique, la langue même du divertissement familier.

Sans tomber dans le registre “bas”, Diouloufet comprend qu'il vaut mieux pour garder un public, et sans doute aussi par goût, continuer à cultiver le registre familier, mais difficile de la fable et du conte. Il s'y spécialise, seul et insistant spécialiste de service de la Ruche. Non sans provoquer l'agacement : ainsi, peu après la disparition de la revue, Bellot écrit de Diouloufet :

O tu que fas charrar lou gaget et l'agasso,

Tu qu'as doou troubadour trouba lou flajoulet,

Illustre cadet d'Aix, emulo de Jooufret,

Prochi de Gros segur troubaras uno plaço.

N'i a que dien, es verai, que din certen journaou

Fasien de teis escrits un troou grand estalagi.

trufo-t'en, sies cubert de l'immourtaou fuillagi.[30]

Mais il dit aussi plus crûment et sans détours :

Aven toutei reçu de l'avaro naturo

Uno doso d'esprit (n'a qu'an boueno mesuro).

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Aqueou que'a tout jus per fair un Dieouloufet

Se voou mountar plus haout toumbo coumo un ayet[31]

Le succès de Bellot, qui s'affirme dans le Marseille d'alors, se bâtit sur de toutes autres bases que la provençalité de Diouloufet. Le discours de Diouloufet, discours de fidélité à la Maîtresse morte, n'a pour public idéal que les Provençaux du temps jadis, quand la langue était nationale. Répétition inlassable, et intenable, sur la Langue, le Peuple, la Provence, cadres d'unanimités imaginaires. Car le peuple est déchiré de passions politiques contradictoires, la Provence ne structure plus la société civile, et la langue, fût-elle celle des troubadours, ne peut vraiment relever un total discrédit sociologique.

Certes, nous n'en sommes pas à la grande déréliction de 1829, mais le repli hors du monde sa manifeste dans la première version des Georgiquos Prouvençalos[32] : le formalisme de l'exercice traditionnel d'imitation est transcendé par le plaisir évident de l'auteur, l'écho du long séjour d'été, prolongé jusqu'à la Toussaint, qu'il fait dans sa propriété de Rognes, quand la Méjanes ferme. Ripert verra dans l'entreprise la voie tracée pour une vraie poésie en provençal, l'adéquation manifeste de la langue à une ruralité noble et vraie, baignée d'antique.

Sans doute. Mais il s'agit aussi, et au premier chef, d'un repliement sur soi, après la déconvenue de l'intervention politique, et le succès assez relatif des Magnans.

L'ouverture du Journal de Marseille au provençal pendant l'année 1821 avait pourtant révélé la présence à Marseille d'une petite école de poésie provençale, ses espérances et ses impasses.

L'année avait commencé avec les Souhaits de boueno annado deis Troubadours oou Duc de Bourdeou, de Diouloufet. Le journal redresse le tir de Diouloufet contre la langue dominante par une prudente introduction[33] :

“Un émule de nos anciens troubadours, aussi connu par son talent poétique que par son attachement à la cause des Bourbons, vient d'adresser l'hommage de ses voeux à l'héritier de nos Rois, dans la langue naïve et pittoresque que parlèrent les augustes aïeux de Marguerite de Provence ... Il est à regretter que les habitants du Midi puisssent seuls jouir de cette nouvelle production de M.Diouloufet”.

Suit une fable d'Audouard, maître de pension à Marseille[34]. Or Audouard, le fait vaut d'être souligné, avait fait ses débuts provençaux dans la feuille rivale,le Caducée de Méry, qui prend de plus en plus nettement la relève du Phocéen de Rabbe. Ainsi, paradoxalement, le provençal apparaît chez ceux là même qui lui apparaissent le plus hostile, et ce paradoxe va peut-être débloquer le journal de Jauffret.

François Fournier donne alors une pièce anacréontique digne de sa jeunesse[35], puis déplore en alaxandrins lamartiniens l'anniversaire de la mort du Duc de Berry[36]. La publication des vers de Codolet[37] rompt par sa bonne santé truculente ces fadeurs “poétiques”:

Grand Diou, quinto amaro tristesso,

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Nouestreis couars moueroun de feblesso,

Vesen partout qu'avaniment ;

Leis huis soun plens de dourmitoris,

Leis ventres sembloun d'oratoris

E toumboun d'enequeliment.

Aven perdut noustre bouen païre !

Caramantran es mouart pecaïre ! ...

Mais il ne semble pas que l'entreprise ait des suites, ni qu'elle corresponde aux tendances de l'école. Peut-être aussi a-t-elle choqué les amis des missions[38] ? “Les morceaux de poésies provençales que nous avons publiés dans notre feuille, ayant été généralement goûtés, nous croyons devoir emprunter aujourd'hui la pièce suivant, dont l'à-propos fera ressortir le mérite, à M.Codolet, poète de Salon”, écrit le journal. Mais les morceaux goûtés n'étaient pas du même registre.

On en revient aux pièces en l'honneur des Bourbons[39], puis Fournier donne la première mise en scène du paysage du terroir, dans un pré-romantisme perpétué[40]:

Enembro-ti de la Ginesto[41],

Enembro-ti sa couelo agresto,

Leis claous deserts vo la pardri

Tant lesto

venié picoura l'aspi

Flouri ...

La distance est grande avec la veine de Codolet.

Puis Fournier propose un “sirvanto”[42] bien lamartinien[43] dans l'effet Raynouard proclamé. Zéphyr punit l'auteur, qui avait abandoné Zelido, par l'infidélité de sa nouvelle amante, Claraïdo :

Vallouns flouris, foures, couelo allunchado,

Tristes temoins de meis penos d'amour,

Oousires plus ma lyro ben aimado

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D'un noum fataou troublar vouestre sejour ...

Ainsi, dans la lecture de ces pièces provençales, peut se former la sensibilité d'un Bellot qui mêlera toujours passages lyriques de ce genre et burlesque familier : Bellot (discrètement, il signe B), qui venait de publier dans le Caducée, fait son entrée dans le journal avec des extraits du bientôt fameux Predicatour encala, et son “Iou siou d'Oouruou, m'en fouti”[44]. Fournier équilibre la plaisanterie d'une élégie[45] décidement larmoyante.

Plourave ensin sa mio ben aimado :

Ti vieou pas plus souto l'eouse oumbrageous,

Souto la nerto embaoumado et flourido ...

Mais le disciple de Berenger, et d'une certaine façon du romantisme, ne pourra rien contre l'investissement majoritaire de l'intérêt marseillais dans la poésie de Bellot.

Audouard revient à la charge avec un conte[46], reprise directe de la chasse miraculeuse contée par Bellot. Il présente la capture d'un renard par un homard, qu'un pêcheur avait posé dans son bateau. “Quoique le fait que je raconte ici, en forme d'allégorie, paraisse incroyable, il n'en est pas moins arrivé à un patron catalan, aux environs de Mont-Redon, quartier de Marseille”. La localisation et l'exagération de l'anecdote semblent indiquer une veine nouvelle de la poésie dialectale, que Audouard complète d'une fable, lou Gat.

Ainsi, après une apparition seulement circonstancielle et politique, en 1818-1820, et avant le silence total de 1822, l'inflation subite, et inattendue, de la poésie dialectale dans le Journal de Marseille, en 1821, montre à l'œuvre des tendances très diverses, des explorations modestes mais intéressantes, de registres fort différents : preuve, s'il en est, que a priori, l'expression provençale n'était pas connotée d'une spécificité particulière de registre. Mais il semble aussi que, malgré l'accueil favorable des premiers mois, le journal ralentisse ces publications, avant de les cesser complètement, dans la mesure peut-être où justement une distorsion apparaît entre les goûts des auteurs, hormis Bellot, et ceux du public.

Très curieusement lancé par le Caducée de Méry, le succès de Bellot procède, indirectement, d'une répulsion-attraction pour l'idiome, dont l'attitude des libéraux marseillais et provençaux des années 1820 est une bonne illustration.

Les libéraux provençaux et la muse provençale.

La relève du Phocéen de Rabbe, abattu par la répression, est prise de novembre 1820 à janvier 1822 par le Caducée, feuille littéraire, commerciale et judiciaire, lancée par Henri de Girard et Joseph Méry[47], l'ancien associé de Rabbe. Ce jeune homme de 23 ans, comme son frère Louis[48] et son ami Audouard, est maître de pension à l'institution Cauvière, une des plus renommées de Marseille.

Le journal de ces jeunes gens, fous de théâtre et de littérature, se veut désinvolte, d'une élégance de style toute classique. Faute de réalités politiques non censurables, il s'en tient à la

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chronique de la vie “culturelle” et de la mode marseillaises, avec une prudence relative qui n'empêchera pas J.Méry d'être condamné à trois mois de prison et 600 F. d'amende, en août 1821, pour avoir critiqué dans le Caducée les mœurs des anciens, et pour irrespect. L'ennemi déclaré, la cible incessante des railleries du Caducée est l'officiel journal de Jauffret, le Journal de Marseille, sa pesanteur guindée, qui n'a d'autre rivale dans cette ville de 100.000habitants que la courte feuille pratique et commerciale du Mémorial de Marseille.

Or les années 1820-1822 sont celles où le journal de Jauffret s'ouvre à la publication de textes en provençal, relativement nombreux. Il est donc intéressant de voir comment la dichotomie politique et culturelle de la presse marseillaise distribue le choix provençaliste, d'autant, on s'en souvient, que les seules allusions à l'idiome dans le Phocéen avaient été pour en dénoncer l'usage aliénant fait par les Missions, et que, jusqu'en 1820, le journal de Jauffret n'accueille pas de textes dialectaux.

Les libéraux sont hostiles au provençal, dans lequel ils voient un facteur d'arriération. D'autre part, ces jeunes gens sont marseillais, et dialectophones naturels. Berteaut, un autre libéral, francisé, qui sera toute sa vie ennemi juré de l'idiome, écrit de J.Méry : “Son bagage, en fait de langues vivantes, n'était pas lourd : il se bornait au français et au provençal. Méry excellait dans ce dernier idiome qui fut celui de son enfance et pour lequel il conserva toute sa vie une prédilection marquée et une sorte de culte filial”[49].

Le Caducée publie son premier numéro le 8 novembre 1820. Dès le 16 novembre, on peut y lire un texte en provençal. Et, très significativement, ce texte d'une certaine façon dédramatise les relations déjà tendues entre le Journal de Marseille, de Jauffret, et son jeune rival. A la suite de la longue et passionnée chronique théâtrale, on peut en effet lire l'article suivant :

“Nous croyons faire plaisir à nos lecteurs en insérant dans notre feuille la fable suivante de M.Jauffret, imitée en vers provençaux par Mr.Audouard, bachelier es-lettres, qui par ses travaux littéraires dans la langue de nos gais troubadours, s'efforce de marcher avec honneur sur les traces des Gros et des Diouloufet. Nota : la langue provençale n'emploie point l'e muet ; elle le figure toujours par un o à la fin des mots ; ainsi le lecteur prononcera tous les e comme l'é fermé du français. La diphtongue au doit se prononcer aou et celle ai, ahi, et non é fermé, comme dans le français”[50].

Suit la fable Tistoun et soun Ay, pièce sans prétention, où l'on voit un paysan rechercher son âne perdu, le ramener à force de promesses, mais le rosser dès l'animal rentré au bercail.

Rien dans cette publication, ni le registre même de la fable, dont le Caducée n'est pas friand, ni le souci de respectabilité graphique porté au traitement de l'idiome, ni l'éloge de l'ultra Diouloufet, ici posé seulement en continuateur de la Fontaine, ni le choix de l'auteur traduit : Jauffret, directeur du journal concurrent, ne correspondent apparemment à la sensibilité du Caducée.

S'agit-il d'un entrisme amical d'Audouard ? Il travaillait avec Méry à l'institution Cauvière, il n'est son aîné que de trois ans[51]. Sans doute, puisque cette publication d'un texte provençal est tout à fait isolée, et n'aura aucune suite avant une année. Mais enfin elle nous montre que le journal libéral n'est pas complètement fermé à la poésie provençale, qu'un certain consensus peut s'établir autour de la continuité troubadouresque proclamée par Diouloufet, et que de jeunes intellectuels, qui n'ont rien de particulièrement conservateurs, comme Audouard, peuvent s'intéresser à une forme d'expression bien minorisée.

A la fin de l'année[52], le Caducée publie un article signé A. (Audouard) où le jeune enseignant recopie Papon. Le document est intéressant qui montre l'extrème résistance du public marseillais, et pas seulement du public jeune et libéral, à une reconnaisance véritable

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des troubadours, jusque là connus par leurs traductions françaises, et dont Raynouard commence seulement à publier les originaux.

“Du mérite des Troubadours.

On serait sans doute étonné, en lisant les poésies des Troubadours, traduites en notre langue, de la vogue prodigieuse qu'elles eurent jadis dans le monde littéraire, et on s'imaginerait peut-être que nos pères étaient bien grossiers, pour avoir admiré de telles productions, si l'on ne considérait pas une chose qu'on ne doit jamais perdre de vue en lisant les ouvrages anciens ; c'est qu'il y a des beautés qui dépendent du style et d'autres qui sont relatives aux moeurs et aux usages du temps où l'on écrit.

Le jugement des contemporains peut seul déterminer le nôtre pour ce qui concerne les premières, et lorsque nous verrons, non seulement les gens du pays, mais encore les nations étrangères rechercher des ouvrages de pur agrément, soyons persuadés qu'ils leur trouvent du côté du style un charme qui ne peut être senti que par eux. Or ce mérite est entièrement perdu pour nous. Qui peut en effet se flatter aujourd'hui d'entendre toutes les pièces des Troubadours ? D'une part l'ignorance ou la difficulté de la langue, de l'autre l'altération ou la corruption même du texte primitif, tout, absolument tout, conspire à nous priver de cet immense avantage. Et ne serait-il pas injuste de rendre les poëtes responsables des pensées basses ou triviales que les traducteurs ont eu la maladresse de glisser dans leurs charmantes productions ? ne sait-on pas combien le choix des mots, le tour de phrase, une métaphore, une image, donnent de grâce et d'agrément à la poésie ? Si on ne connaît parfaitement les richeses d'une langue, comment en rendra-t-on les beautés ? La pensée qui avait de la vie, de la force et de la couleur dans l'original, reparaîtra, si vous le voulez dans la traduction, mais elle y sera froide, faible, et inanimée. Gardons-nous donc de condamner aussi légèrement les Troubadours et les peuples nombreux dont ils excitèrent pendant long-temps la juste admiration.

Ce serait d'ailleurs une grande erreur d'imaginer que leurs poésies sont aussi méprisables qu'on veut le faire entendre : car on y trouve souvent des traits fort délicats. Les limites de cette feuille ne me permettent pas, il est vrai, d'indiquer ici tous les endroits où la monotonie du sujet est corrigée par des images gracieuses, ou par des traits pleins de sentiment et d'esprit. Pour me borner donc à un seul exemple, je citerai le morceau suivant, pris dans l'éloge de la Comtesse Garsende : “à la vue du rossignol qui caresse sa fidèle compagne, dit l'aimable Troubadour, à la vue de l'Orphée des bocages qui prend dans les regards de sa douce amie, autant d'amour qu'il lui en donne, qui chante si mélodieusement leurs plaisirs communs, je sens passer dans mon âme attendrie toute la joie qui les anime ... Heureux oiseaux ! il vous est toujours permis de dire ce que vous sentez, et moi, retenu par des lois que vous ne connaissez point, je n'ose parler à celle que j'aime !”.

Pour bien juger du mérite de Troubadours, il faudrait donc pouvoir produire leurs œuvres non encore dans de faibles traductions, mais dans leur langue originale, et l'on verrait alors quelle finesse d'esprit, quelle délicatesse de goût, quel choix d'expression règne dans leurs chansons amoureuses, leurs Tensons et leur Sirvantes. Les contes eux-mêmes nous offriraient souvent des allégories pleines d'imagination, de détails poétiques et de descriptions agréables. On y reconnaîtrait aisément les peintures fidèles des moeurs et des usages provençaux. C'est là que l'esprit de nos pères se montre plus particulièrement au grand jour. On le voit ardent et impétueux dans les combats ; magnifique et libéral dans les cours ; franc et loyal dans les sociétés ; libre dans les liens de l'amitié ; respectueux et tendre dans l'empire de l'amour ; mais on le voit aussi, emporté dans la haine ; grossier dans la jalousie ; satyrique dans le dépit ; destructeur dans le brigandage ; barbare dans le fanatisme ; cruel dans la vengeance ; en un mot, il s'y montre sous toutes ses faces, et les ouvrages des Troubadours forment assurément un tableau qui, malgré ses défauts, est précieux pour quiconque veut connaître l'homme, l'histoire, les familles, les usages et les moeurs de notre belle Provence.

A”.

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Voici ce que peut donc lire le lecteur du journal libéral, par ailleurs profondément indifférent à la culture d'oc. Le paradoxe est d'autant plus grand qu'on chercherait en vain trace de ce plaidoyer dans les publications de Jauffret. Audouard est sans doute sous la double influence, et de la réédition des Soirées Provençales, en 1819, et sous celle de Raynouard. On mesure l'extrème difficulté de fonder, si tant est qu'elle soit même envisagée implicitement, une renaissance provençale sur ce patrimoine inaccessible aux Provençaux réels. La marge de l'intellectuel provençaliste, à contre-courant des tendances culturelles de la société civile dans laquelle il faut bien se baigner, est ici clairement signifiée. Elle l'est peut-être tout autant, à sa façon, par le fait d'être accueillie dans le Caducée : cette coquetterie du journal libéral, une fois de plus, n'aura pas de suites. mais elle marque la solitude d'Audouard, qui n'a pas d'autre lieu pour publier de pareilles productions, tout à fait ignorées du journal de Jauffret.

C'est pourtant chez Jauffret, auquel il rendait directement hommage en traduisant sa fable, qu'Audouard publiera en 1821 d'autres pièces provençales, quand le journal accueillera la première école dialectale marseillaise. Il ne s'agit pas d'un reniement politique (Audouard gardera sa sensibilité libérale et le manifestera par la suite), mais bien de la possibilité fondamentale et jamais résolue véritablement pour la littérature dans l'idiome, du lieu de publication, du support social. Quelle que soit l'amitié de Méry pour Audouard, ce n'était pas le Caducée qui pouvait lui procurer ce lieu.

On retrouve, curieusement, la querelle des Troubadours, dans un “article communiqué”[53], où, après plusieurs mois de silence sur ces questions, le journal reprend à son compte les arguments inverses, ceux de Legrand d'Aussy, qui ont la faveur de la jeunesse libérale cultivée.

“Les Provençaux, les Languedociens, les Gascons, se sont toujours piqués d'avoir beaucoup d'esprit ; mais ce que je leur conteste, c'est d'avoir plus d'imagination, qu'elle soit plus vive et plus abondante que celle des habitans du nord de la Frane. Mr Legrand d'Aussi ayant publié le recueil de nos fabliaux, a prouvé que dans les troubadours il n'y avait jamais un trait de sentiment profond, ni une aventure touchante.

Les Méridionaux prétendent que le soleil y étant plus chaud et plus brillant, leur imagination doit être plus féconde ; de sorte qu'en suivant ce beau raisonnement, les peuples basanés doivent avoir plus d'esprit que les blancs, les nègres plus que les basanés. Le soleil au contraire ne ferait-il pas sur les esprits ce qu'il fait sur la terre ? Il rend la Provence aride. L'exalatation dont les peuples du midi se vantent, détruit presque toujours le jugement, et sans jugement l'enthousiasme n'est que folie : le grand mérite d'un auteur est d'unir à un raisonnement profond, une sensibilité exquise, et Mr Legrand nous a démontré, qu'on ne peut citer aucun ouvrage de troubadour à opposer aux fables des trouvères.

Tous les grands talens, tous ceux qui ont eu de grandes imaginations en poësie, en peinture, dans les beaux-arts, sont nés au nord de la Loire : Corneille, Racine, Boileau, Molière, Lafontaine, Voltaire, etc. Dans la poësie, la plus part des penseurs, tels que Descartes, Fontenelle, La Rochefoucauld, D'Alembert, Diderot, etc, ne sont pas nés dans le Midi. Les Méridionaux qui se piquent d'imagination et dédaignent la philosophie, ont produit les plus grands philosophes. Le chancelier de l'Hôpital, Montaigne, Montesquieu, Gasssendy, Tournefort, tous ces philosophes sont de la Guienne ou de la Provence. Bayle était du Comté de Foix.

Les seuls poètes d'imagination qu'on peut citer dans le Midi sont Fenelon dans Telemaque, que je regarde comme un poëme épique, et Marot : encore ce dernier y était né par accident, son père étant de Rouen”.

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Curieuse réactualisation d'une querelle vieille de quarante ans, dont il est difficile de comprendre les raisons véritables, mais qui montre bien à quelles résistances majeures se heurte le renaissantisme troubadouresque.

Le 20 novembre 1821, sans autres explications le Caducée publie le conte qui allait assurer la petite gloire de Bellot, conte anonyme mais d'un anonymat transparent : “Par P..... B...ot”. Il s'agit du fameux Poueto cassaire[54], par lequel Bellot commencera sa carrière de poète “national-marseillais”.

Pour toute introduction, la mention rituelle : “Nous croyons faire plaisir aux Amateurs de l'idiôme natal en insérant le conte suivant”. Ce qui signifie que des lecteurs du libéral Caducée peuvent être amateurs de l'idiome, et que l'on ne tient pas rigueur à Bellot de son agresion du printemps de 1820 contre Rabbe !

Nous sommes loin ici de l'amitié Méry-Audouard, du salut opportuniste à l'ennemi déclaré Jauffret-Diouloufet, du combat défensif à propos des troubadours : l'orientation du journal n'avait pas de rapport vrai avec ces interventions ponctuelles par là même privées de portée. Or la portée de ces interventions était justement de redonner au provençal une certaine normalité culturelle.

Dans la démarche de Bellot, le poème en témoigne suffisamment, il ne s'agit pas plus d'une demande de normalité culturelle pour l'idiome que d'une prise en compte en dérision de celui-ci. Il s'agit seuelement du plaisir de l'utiliser, dans la connivence marseillaise des plaisirs de la bastide : Gelu pensait être le seul Marseillais non chasseur. C'est sans doute sur cette donnée de connivence marseillaise, de plaisir commun, que le Caducée imprime le conte. Ce plaisir débloque, l'espace d'un instant, le refus implicite opposé à l'idiome de l'arriération populaire.

Il est difficile de juger des suites qu'aurait pu avoir cette collaboration inattendue, le journal disparaissant en janvier 1822. Mais on peut imaginer qui a lu le conte dialectal de Bellot, ce 2 novembre 1821 : les médecins qui polémiquent par Caducée interposé, dans ce même numéro, le personnel et la direction du Grand Théâtre, qui s'y font rudement secouer, Mr Broquier, rue de la Prison, qui annonce vouloir vendre ou louer, image même de la félicité marseillaise vantée par Bellot, et qui suit immédiatement le poème : “une jolie maison de campagne meublée, d'environ dix carterées, complantée en vigne et oliviers, avec pinède, poste à feu, en vue de la grande rade, de la plage Montredon et de la ville ... Il y a logement de maître et de paysan, écurie, remise, pigeonnier, poulailler, basse-cour et une pousaraque ou grnd puits, avec trois bassins en pierres froides, pour laver les bassines. Le logement de maître, qui est exposé au midi, et au devant duquel se trouve une terrasse avec untrès bon puits”,etc. Peut-on rêver dans cette description d'une campagne de Saint-Loup, meilleure illustration de la réalité et de l'imaginaire des bourgeois marseillais ? Lou Poueto cassaire à coup sûr, intéressera Mr Broquier, heureux propriétaire d'un poste à feu. Sera-t-il lu par les dames, auxquelles le n° apprend que “le rose et le bleu sont les couleurs les plus répandues, mais les femmes de bon ton donnent la préférence au gris perle”, ou par les jeunes libéraux du café Balp, qui sont dans l'angoisee car “il n'y a encor rien de décidé sur le costume d'hiver, pour les hommes. On ne sait si les manteaux conserveront la vogue qu'ils avaient l'hiver dernier”.

On peut douter que l'expression provençale ait pour eux un intérêt immédiat. Dans son premier n°[55], le Revenant, successeur du Caducée, regroupe à nouveau autour de Méry la jeunesse libérale : “Le Revenant fera ses apparitions trois fois par semaine, et à midi plein ; ... ses interventions ne sont pas hostiles ; on sait qu'un revenant ne peut aujourd'hui jetter (sic) l'allarme (sic) que parmi les sots ; les gens sensés ne le craignent pas”. Deux articles de ce premier numéro montrent comment se voient ces jeunes bourgeois, prodigieusement distanciés de l'épaisseur marseillaise commune et donc d'une certaine façon, du provençal. Un entrefilet d'abord : “en parlant des derniers tumultes du grand théâtre, le Journal de la Méditerranée, a donné le nom de poignée à l'élite de la jeunesse marseillaise

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paisiblement assise aux premières : si ce n'eût été qu'une poignée, on l'aurait à coup sûr empoignée”. Et, pour mieux confondre le Journal de la Méditerranée, qui affectait de pendre ces tumultes théâtraux, plus qu'habituels, pour agitation politique, le Revenant ajoute, après une bonne charge contre les Jésuites, cet article révélateur :

“Deux portraits de circonstance.

Derville est un beau jeune homme qui se fait distinguer par les grâces de sa tournure, la douceur de son sourire, l'urbanité de ses manières et le charme de sa conversation. Cet heureux du jour jouit de quinze mille livres de rente, dont il fait le plus noble usage ; il n'est point de cercle qui ne se fasse un plaisir de le posséder ; point de réunion qu'il n'honore de sa présence ; Derville, oisif comme tous les hommes riches et spirituels, s'est créé par goût des habitudes qui lient entr'eux tous les instans de sa journée ; ainsi, il se rend à dix heures au café ..., prend une bavaroise, lit le Constitutionnel, et fait souvent des signes de tête d'approbation, parcourt le Miroir et rit ; il monte ensuite à cheval, va tirer dix coups de pistolet au tir de Martiny, rentre en ville à midi, déjeune chez Marcadier, règle quelques petites affaires sentimentales une heure après son repas ; va perdre ou gagner six parties aux billards parisiens, ne se dispute point avec son partner, prend un bol de punch en fumant un cigarre (sic) de la havane ; entame une conversation où chacun parle bas et à son tour, entre au théâtre après la première pièce, non pour siffler ou y applaudir, mais pour entendre la musique quand elle est bonne, et de beaux vers quand ils sont bien déclamés : sa journée n'est point finie avec le spectacle, mais comme il serait indécent d'épier plus long-tems ses actions journalières, il nous suffira de laisser ici une lacune.

Mathieu est un jeune homme aussi, mais sa tournure n'a point de grâces, et son sourire point de douceur ; il est français, mais il se fait un mérite de ne point parler la langue de son pays ; son accent est rude jusqu'à l'affectation, et blesse les oreilles les moins délicates[56] ; Mathieu se rend habituellement à 7 heures au café ..., où il se fait traduire dans l'idiôme natal, le Lammenais qu'il ne comprend pas, et le Martainville qu'il ne comprend guères ; cette façon de lecture échauffe le peu de cervelle qu'il a, il se fait aussitôt entourer par dix octogénaires sourds, leur adresse des phrases énergiques, assaisonnées de juremens, et toujours terminées par une petite péroraison qui rappelle le Delenda Carthage. Mathieu charge sa pipe, boit des verres d'eau pour fournir à l'expectoration, jure, sacre, tempête toujours ; s'ennuie et baille quand il se tait, sort du café ; se promène les mains derrière le dos, en imprimant à ses épaules un mouvement d'oscillation, regarde en pitié les gens qui ne prennent pas la peine de le regarder ; rentre au café, se dispute avec tous ses camarades, sort de nouveau, va au théâtre, se place devant la barrière du parquet, crie “à bas le challe ! à bas le sapeau[57] ! à bas le ..... !”, coudoie ses voisins, applaudit Alphonse ou Lami ; sort avant la dernière pièce, vend sa contremarque sous le pérystile, et va se coucher aussi ennuyé qu'enuyeux.

On désirerait trouver un juge impartial, s'il en est, qui puisse nous dire, quel est de ces deux portraits, celui qui ressemble davantage à un jacobin ou à un révolutionnaire.

W”.

Il serait difficile de trouver plus nettement caractérisée, dans ce texte que nous avons eu la surprise de découvrir, la différence proclamée de comportement, comportement culturel et ethnique, de langage, etc. Le prince charmant que l'imaginaire des Méry et Cie met en place en représentant de la jeunesse libérale dorée est la condamnation vivante de la spécificité marseillaise. Il signe le refus d'une prise en compte, par ces élites de la fortune et du talent, de caractéristiques locales. La francisation assumée est vraiment l'intégration, comme aurait dit le préfet Fauchet, à la politesse des mœurs nationales. National, on le voit clairement, s'opposant ici à natal.

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Ce qui est vécu sur le plan de l'imaginaire par la coterie des Méry, intellectuels besogneux en définitive, et qui pour la plupart vont essayer de réaliser leurs ambitions littéraires dans la capitale, est vraiment vécu quotidiennement par la jeunesse dorée, de plus en plus gagnée au libéralisme.

Bien plus que la partition entre un Marseille populaire et un Marseille bourgeois,ce qui prime ici est donc, à l'intérieur du seul public possible pour les lettres, donc éventuellement aussi pour un écrit provençal, la partition entre ceux qui se réclament de Marseille dans ses spécificités et ceux qui ne souhaitent que s'aligner sur les normes culturelles dominantes.

A cet égard, la première tentative de création de l'Athénée de Marseille, par un groupe de notables libéraux, avait été très révélatrice : l'Athénée, à l'imitation de celui de Paris, veut suppléer au manque d'initiative officielle en matière d'enseignement et de diffusion culturelle,et, sans le dire, il se veut foyer de propagation des idées libérales : c'est bien pour cela que, malgré la relative tolérance du préfet, il attendra plusieurs années son autorisation.

Le 25 février 1822, les fondateurs de l'Athénée se réunissent et présentent ainsi à la presse leur société :

“Destinée à propager le goût et la culture des bonnes connaissances, à diriger vers ce but salutaire l'activité de la jeunesse, nous pouvons dire qu'elle manquait à notre ville. Soit influence d'un idiôme rude et d'un accent auquel les oreilles du nord ne s'accoutument point, soit effet d'autres habitudes locales, une teinte marquée nous distingue des habitans des autres grandes villes de France, et cette teinte, il faut l'avouer, ne saurait être regardée comme une prérogative digne d'envie. Il est à désirer qu'elle s'efface promptement, que nous nous mettions au niveau de nos compatriotes, et que le temps arrive où les pères soigneux de l'éducation de leurs enfans, ne seront plus obligés de les envoyer au loin chercher une instruction plus étendue et plus convenable. L'Athénée peut contribuer puissamment à ce changement heureux ; il peut hâter le moment où Marseille se fera reconnaître encore pour la fille de la Grèce et l'émule de l'ancienne Athènes. Tout semble disposer pour assurer à cet établissement les plus brillants résultats. Des professeurs distingués se sont offerts pour la chaire des sciences ; des hommes moins connus, mais non moins dignes de l'être, n'ont peut-être besoin que de cette occasion, pour produire au grand jour un mérite ignoré et obtenir la réputation à laquelle ils ont droit de prétendre. Enfin des jeunes gens studieux appelés quelquefois à suppléer les professeurs titulaires, auront le moyen de développer des talens qui eussent langui dans l'obscurité, et de préluder à des succès glorieux dans la carrière de l'enseignement. Il est imposible, dans cette occasion, de ne pas rappeler l'Athénée de Paris, les hommes supérieurs dont il s'est enorgueilli, les ouvrages marquans qu'il a vus naître. Il existe depuis près de 40 ans, et chaque année il acquiert de nouveaux droits à la faveur et à l'estime générales. Etranger par sa nature à tous les élémens des tempêtes politiques, il leur a survécu, et pour cette fois on peut dire avec une exacte vérité, que le laurier d'Apollon a écarté la foudre. Aucune ville de province n'a le droit de se comparer à la capitale ; trop peu de proportion existe entre les situations et les moyens. Mais si l'Athénée de Marseille ne doit point voir dans celui de Paris un rival avec lequel il puisse lutter, il y trouvera un modèle utile à suivre, et duquel il doit se rapprocher autant que peut le permettr la différence des lieux et des circonstances”.

La métaphore du jeune dandy complètement acculturé dans une Marseille déjà, de son fait, française, anticipe donc sur la francisation nécessaire que la société libérale, portée par l'air du temps, estime devoir accompagner et porter l'intégration de Marseille à la civilisation véritable. Car en fait les fondateurs de l'Athénée parlaient provençal et avaient l'accent. Ces fondateurs ne sont pas des amuseurs publics, comme Méry et ses amis. Il y a parmi eux des hommes de la génération d'avant 1789, qui comptent dans la ville. Ainsi le docteur Cauvière, né en 1780, médecin et chiurgien réputé, et aimé. Ainsi l'avocat Thomas, né en 1776. Tous deux

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sont libéraux affirmés. Leur condamnation de l'expression patoise est d'autant plus piquante que les innombrables réparties dialectales de l'un et de l'autre ont longtemps fait fortune[58].

Avec eux, des hommes plus jeunes, comme Elysée Reynard, né en 1799 : ce fils de raffineur de sucre est alors jeune poète dans le Cercle académique et son recueil l'Alcyon, où se forma la nouvelle vague poétique marseillaise. Il deviendra maire sous la Monarchie de Juillet. Il s'agit là de la génération charnière, qui, encore acculturée en provençal dans son enfance, va le renier massivement à son entrée dans l'existence active, celle que Gelu connaît d'autant mieux qu'il en participe.

Si la prise de distance, voire la condamnation de l'expression dialectale, sont évidentes dans ce premier libéralisme marseillais, il ne faudrait pas en conclure un peu vite que l'avenir du provençal était suspendu à un manichéisme aussi net. la publication de Bellot dans le Caducée en était bon signe, et pas seulement signe d'une utilisation opportuniste, en argument de vente.

Si les jeunes lions du libéralisme marseillais n'ont que mépris à l'égard d'un idiome connoté de la mesquinerie parentale, ou de le brutalité ethnique d'une certaine jeunesse bourgeoise, encore mal dégrossie, il n'en va pas toujours de même dans les milieux libéraux. On peut en juger par deux exemples :

Le premier, document curieux, et tout à fait inédit, dort dans les manuscrits aixois du musée Arbaud : il s'agit de la Raspaudienne, long poème tout en provençal relatant la ridicule mission de 1820 à Pertuis, animée par “l'Abbé Raspaud, pasteur unique de la Commune de Beaumont, qui s'y trouvait incorporée”, il était, “en raison de son exacte connaissance de l'idiome provençal, la cheville ouvrière de cete croisade ambulante. C'est lui qui faisait les sermons en patois”. La jésuitisme, le fanatisme sont condamnés par un supposé Jean du Four, paysan de Pertuis :

O coumpaire Raspaud ! faou qu'en bouen villageois,

Té digué quatre mots en langagi patois ;

D'aoutant miés qu'en français mi sérié difficile,

Tu, l'y coumprendrie ren, ansin es inutile.

On comprend que celui qui écrit possède mieux le français que le pauvre Raspaud. Que est le notable local qui s'abrite derrière Jean du Four ? On lit sur la page de garde du manuscrit : “je promets, sur serment, de ne prêter à personne le préent manuscrit, comme aussi de n'en laiser prendre copie à qui que ce soit, et je signe, AUBERT François”. (il s'agit du pharmacien Aubert, informateur d'Honnorat, auteur d'un dictionnaire provençal demeuré manuscrit).

La Raspaudienne met donc en scène le ridicule de ce missionnaire inculte qui terrorise les femmes :

Mai si bramo ansin en toutei lei sermouns

Incountestablament crachara lei poumons

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/.../

Se dédin leis infers va tout cé qué ly mande,

Faudra qu'aou paradis intren de controbande ...

Ma frémo, aoussi, la nué crido que vis lou Diable,

Et despuis la Missien intro plus à l'estable,

A poou qué Lucifer vengue per l'aggripa ...

Mais au milieu de cete narration héroïco-burlesque on trouve, inattendue, cette apologie dont une note dit :

“Cette digression de 10 ou 12 vers étrangers au sujet, fut provoquée, en quelque sorte, par un ami de l'auteur qui,se rendant à Paris, lieu de sa résidence, s'était arrêté à Pertuis pour lui serrer la main avant son départ. En entendant la pièce en question, il se faisait expliquer certaines expressions, qu'il ne comprenait pas, et dans son délirant enthousiasme, il maugréait de ce que cette oeuvre n'eut pas été composée en vers français.

/.../

Nouman tout per son noum. En parlant d'un Pourquet

Anan pas l'y sarqua qu'es un cochon de lait ...

Messiés lei francio, an qu'un aoutro methodo ;

Un mot l'y counven pas, disoun qu'es plus dé modo,

Quand l'y prend fantaisié de changea qu'aouqueren

Aquelleis arléquins trovoun qué va pas ben.

Aro voudrien saché, s'an la cambo miés facho

Quand ajoustoun un P, ou qué lévoun un hacho.

Per apprendre à lezzi, avès tout fricassa,

Et moquo lan vénen faou mai recoumença.

Si restas quaouque temps dé veire lei phabetto,

L'A, qu'ero lou premier, es en plaço dé l'o

Puisqu'acco march'ansin, per ben parla français

Faou vieoure noou cents ans, coumo martinsalais

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Vivo nouest patois qué changeo pas d'usagi !!!

En faisant parler ainsi Jean du Four, le notable s'engage lui même. Au delà de la plaisanterie sur la langue, traditionnelle, et reprise du théâtre de Carvin[59], le notable libéral (Aubert ?), et il n'est sans doute pas solitaire, engage une réflexion sur l'outil linguistique. Le discours sur la langue est ici une incidente : avec l'entreprise du Toulonnais Thouron, qui se développe entre 1815 et 1824, ce discours sur la langue est remplacé, et illustré, par une tentative d'écriture tout à fait originale dans la langue.

Le jeune Thouron a marqué la seconde Restauration d'un très ambigu salut aux Bourbons, qui fait comprendre ce que sera, peu après, une sensibilité provençaliste plutôt libérale, en tout cas nettement démarquée de l'entreprise de haine ultra.

Thouron, Victor Quinctius, est né en 1794 à Besse, dans l'arrière-pays de Toulon, et son prénom dit bien le prudent opportunisme de son père juge de paix (ce qui ne l'empêchera pas d'avoir quelques ennuis dans la répression du fédéralisme) : l'instruction publique étant défaillante, le père est le premier précepteur, puis le jeune Thouron est envoyé au collège de Toulon, et enfin au réputé collège de Lenche, à Marseille. Il est remarqué par Ampère, en tournée d'inspection, qui le choisit pour la première promotion de l'Ecole Normale de Paris, que l'Empereur veut pépinière de ses élites. De 1812 à 1814, Thouron y côtoie de futurs grands noms de l'intelligentsia française : Augustin Thierry par exemple, dont il demeurera l'ami[60]. Il prolonge son séjour parisien d'études de droit, puis, malgré les perspectives qui s'offrent dans la capitale, il retourne à Toulon, où il est avocat en 1821.

Lou Counscri de 1815, Eglogo prouvençalo, A l'ooucasien doou retour doou rei Louis XVIII, per V.Thouron, est publié à Paris, très probablement pendant le séjour parisien de l'auteur. Cette édition est aujourd'hui rarissime. Les rares commentateurs de Thouron ne la connaissent pas. Le fonds toulonnais ne la possède pas, alors que son édition de 1824, quelque peu modifiée, est abondante sur la place de Toulon.

Deux bergers dialoguent. L'un conte sa campagne de 1815 à son ami qu'il retrouve gardant ses troupeaux. L'autre sans manifester une curiosité excessive pour ces péripéties, ne lui parle que de son chagrin d'amour, qui s'arrangera vite.

Lou Counscri a toutes les maladresses du morceau d'école et de la pièce de jeunesse. Les deux thèmes, imitation de Virgile, écho des événements de 1815, se juxtaposent plutôt qu'ils ne se rencontrent. Aussi les commentateurs ont préféré oublier le salut aux Bourbons, considéré comme politesse de circonstance, pour mettre en avant l'imitation de Virgile. Ripert y verra la voie tracée à la poésie provençale, qui unit, dans l'évocation d'un même paysage, d'un même monde rural, l'héritage gréco-romain et la noblesse d'une langue paysanne.

Mais les bergers de Thouron ne sont pas ceux de la pastorale, ils sont vraiment ceux de Besse :

Ils ne sont point formés sur le brillant modèle

De ces pasteurs galans qu'a chantés Fontenelle

écrit Thouron en exergue, citant Voltaire.

De fait, au delà du plaisir d'école qu'est la traduction de Virgile dans sa propre langue devenue exotique à Paris, lou Counscri dit le plaisir-nostalgie du jeune étudiant : la montée initiatique du conscrit, qui a son âge ou peu s'en faut, lui révèle un français qui n'est plus seulement la langue des notables, langue acquise, mais la langue, commune à toutes les générations et à toutes les classes. Révélation vécue qui est sans doute accompagnée de celle de sa provençalité pour le jeune exilé.

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Mais la mise en place, dans le dépaysement, d'une différence ethnique, au premier chef différence linguistique, dont on n'a guère conscience au pays, ne signifie en rien une distance prise avec le patriotisme français. Au contraire. Le salut au Roi, étrange salut en vérité si on le compare au ton des pièces de l'époque, est en quelque sorte un salut à la France que le conscrit découvre en la défendant. Le conscrit de 1815 est celui des Cent Jours, il combat pour Napoléon revenu de l'Ile d'Elbe, contre les Bourbons réfugiés à Gand après avoir régné une année sur la France. Son drapeau est le drapeau tricolore, celui de la Révolution, et non le drapeau blanc. Il affronte les Russes, symboles de la tyrannie absolutiste, et se réjouit de leurs premières défaites. On se demande d'ailleurs par quel tour de passe-passe le conscrit se retrouve à Paris saluant un Roi dont il ne disait rien quand il combattait ses amis.

Ce salut aux Bourbons ne renie donc rien du proche passé impérial. On comparera par exemple aux pièces de Diouloufet, qui applaudit les troupes étrangères et insulte l'Empereur, sur les airs traditionnels des noëls provençaux. Seule la spontanéité naïve des deux jeunes gens permet de faire passer ce traitement de l'événement à un moment où les ultra-royalistes tiennent le haut du pavé. La sensibilité du jeune étudiant parisien n'est donc guère en conformité avec la sensibilité dominante de la Provence d'alors, et sur la Provence. Sans doute rejoint-elle celle d'une partie de l'intelligentsia toulonnaise, bonapartiste et libérale. Et peut-être confusément, celle d'un monde paysan qui, pour applaudir à la paix, ne reniait pas tout de l'Empire.

Ces quelques pages faussement naïves esquissent à différents égards une problématique de l'écrit provençal, dans la dialectique Paris-province, France-Provence. Par exemple, la récupération de l'oralité populaire (dans la graphie comme dans le ton : il note cigaro pour cigalo, etc) s'accompagne d'un traitement graphique inattendu. Thouron adopte déjà quelques unes des solutions que Raynouard révèle en 1816 en commençant ses publications de textes occitans du moyen-âge : sans maîtriser encore l'entreprise, Thouron note les s des pluriels, les r des infinitifs, les t des participes, etc, qui ne sont pas prononcés. Et sans crainte de désarçonner ses éventuels lecteurs toulonnais, il rétablit le m de la première personne du pluriel : parlem. La conscience de dignité graphique n'est plus autochtone, même si elle vient de Méridionaux comme Raynouard et Thouron, elle“ descend” de Paris. Les deux hommes se connaissaient. Le Brignolais Raynouard recevait volontiers à Paris ses jeunes compatriotes. Il écrit à Thouron le 28 décembre 1820 : “Votre éloignement /.../ n'affaiblira jamais les sentimens dont j'ai eu l'honneur de vous donner des preuves”[61].

En 1824, après l'entreprise du Bouquet Prouvençaou[62] à laquelle Thouron n'a pas participé (l'a-t-on invité ? l'a-t-on écarté ? connaissait-on son existence ?), Thouron publie un opuscule de 31 pages[63], qui est le premier ouvrage provençal publié à Toulon depuis Lou Groulié bel espri, en 1810. C'est donc un petit événement à Toulon d'autant que l'anonymat était transparent : l'auteur est bien Victor Quinctius Thouron, un des 60 avocats, avoués, notaires, de la ville. Son frère aussi est notaire (le fils qui lui naîtra en 1820 sera un des chefs de file de la gauche toulonnaise dans les années 1840).

Il est frappant de constater combien la pieuse cécité renaissantiste a pu occulter les contradictions d'un intellecuel des années 1820, si tant est qu'elle ait pu les soupçonner. Les rares saluts adressés à Thouron n'ont jamais été que saluts au bon artisan de la langue, au bon mainteneur, à l'érudit consciencieux.

Et pourtant, Lou naufragé de la Meduso témoigne d'une contradiction stimulante : contradiction à la fois politique, sociologique et culturelle.

Thouron est de sensibilité libérale en pleine époque de répression ultra : l'assassinat de l'héritier du trône, le duc de Berry, a déclenché les fureurs de la droite. On traque les Charbonniers, les conspirateurs républicains. En 1822, Thouron a été un des défenseurs des militaires regroupés par Armand Vallée, qui avaient fait serment de “conquérir et maintenir la liberté”. Vallé sera exécuté, mais Thouron a pu sauver la tête de ses amis.

Au moment où Thouron travaille à son texte provençal, la seule présence publique véritable de la langue est dans les poésies le plus souvent violemment ultra et anti-libérales de

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Diouloufet. Par ailleurs, les bourgeois libéraux de Marseille, dans leur tentative de création de l'Athénée, on l'a vu, rejettent tant la langue provençale que l'accent méridional, reçus en facteurs de régression politique, sociale, culturelle.

L'attitude de Thouron est donc doublement en porte à faux : d'une part, en sous-titre d'un ouvrage apparemment tout à fait apolitique, il mentionne sa qualité d'ancien élève de l'Ecole Normale, école prestigieuse. Sans doute, il peut ainsi écraser ceux qui suspecteraient son niveau de culture en le voyant écrire du patois. Mais sans doute aussi Thouron marque-t-il sa désapprobation à l'égard du gouvernement qui vient de fermer l'Ecole Normale, foyer de libéralisme, et persécute ses anciens condisciples, comme l'historien A.Thierry. Thouron se situe donc, discrètement, en ces temps de censure. Qui plus est, le naufrage de la Méduse, par l'écho que lui fit la jeune intelligentsia romantique, le succès de scandale du tableau de Géricault, devient lieu commun de la sensibilité libérale[64].

Mais c'est en provençal que Thouron choisit de traiter de la Méduse, à laquelle l'éditeur toulonnais Curel venait de payer son tribut, en français. C'est en provençal qu'il mentionne son passé de normalien. Thouron choisit donc de ne pas suivre ses amis marseillais. Utiliser la langue du peuple au moment où les Libéraux ne voient en elle qu'obstacle à l'instruction du peuple n'est pas un acte indifférent. L'œuvre de Thouron apparaît, à cet égard, comme la partie émergée d'un iceberg plutôt que comme une exception ponctuelle. Toute généralisation du type : libéraux anti-patois, conservateurs pro-patois, ou inversement, libéraux romantiques fascinés par la langue du peuple, conservateurs classiques pro-français ne peut que gagner à se confronter à ces études de détail.

La minceur évidente des quelques pages de Thouron ne doit pas masquer la nouveauté de l'entreprise : ouverture sur le grand large, l'actualité provocante, la démesure, dans le Naufrage, réalisme trivial, quasi-professionnel, du langage et de la mentalité du paysan dans le Dialogo.

Ripert et ses épigones ont été surtout sensibles au génie virgilien de la Pastouralo, qui reprend avec quelques correction significatives l'Eglogo précédente ; Thouron se garde de s'y cantonner.

Quel public pouvait espérer Thouron ? Pour qui écrire et pourquoi ? Pour Diouloufet, le provençal, loin d'être signe d'arriération sociale et politique est signe d'identité imaginaire : la Provence idéale, celle du roi René et de la fin de l'indépendance angevine plus que celle des contes et de la vraie langue des troubadours. Arguments auxquels les libéraux bourgeois, prosaïquement installés dans leur culte du progrès, du capitalisme naissant et de l'instruction, étaient pour la plupart indifférents, sinon hostiles.

Thouron place son premier chant sous l'égide de la muse des troubadours, qu'il conçoit, comme la totalité de lettrés de Berenger à Diouloufet, en muse champêtre et amoureuse :

Es de tu qu'ai besoun muso deis troubadours,

Presto-mi toun lengagi-et veni-à mon sécours ;

Per aro, leisso estar la danso-et la musetto

Et la gayo cansoun de la pastoureletto ...

Il n'ira pas plus loin. Il ne faut pas chercher chez lui, comme chez Diouloufet, la répétition incantatoire de thèmes renaissantistes sur la langue. Il se contente de prouver le mouvement en marchant, c'est à dire que, plutôt que ressasser les lamentations sur la mort de la langue et

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la disparition de la Provence mythique, il évoque la Provence réelle et les Provençaux réels qu'il connaît.

Citons, en contrepoint de cette intervention moderniste, mais dans le même fil, l'énorme somme manuscrite L'Eigoutié, vo la Toulounado, par A.Favel, l'Homero de Prouvenço[65].

Cependant, et ce n'est pas la moindre originalité de Thouron, il persiste dans l'affirmation de sa graphie “classique” dont nous avons rencontré les premières manifestations dans son salut aux Bourbons. Elle est ici fièrement utilisée, sans autres explication que son évidence culturelle pour le latiniste qu'est Thouron.

On mesurera la distorsion de Thouron avec le milieu libéral toulonnais “officiel” par cette remarque dans la publication du libraire libéral Bellue[66], décrivant un cortège de compagnons accompagnant un des leurs partant pour son tour de France. Il dit de leur chant provençal : “Je citerai volontiers le couplet si je n'étais convaincu que la poésie des Troubadours n'est plus en possession de charmer l'oreille des amateurs d'une suave poésie, et de ceux qui ne veulent plus reconnaître la langue romane dans l'idiome provençal”.

Pierre Bellot.

Si l'année 1821 avait été pour les poètes dialectaux marseillais année de publication, après des années fort longues de silence, années de confrontation et d'expérimentations aussi, années où Pierre Bellot fait ses armes en matière “littéraire”, après ses essais “politiques” de 1814 et 1820, l'année 1822 est une année de clarification : plus de textes en provençal dans le Journal de Marseille, la Ruche Provençale meurt. Aussi bien, faute de lieux d'accueil (car la presse libérale brisée par la censure et les procès n'est de toute façon pas ouverte à l'expression dialectale) les poètes qui persistent vont devoir envisager l'édition à compte d'auteur, suivant le procédé traditionel de la souscription.

Pierre Bellot est le premier à tenter l'entreprise. Pour le peu que nous savons de sa vie, Bellot est alors l'associé de son beau-père, fabricant de draps à Auriol. Mais l'usine doit fermer l'année même de la première publication poétique signée de Bellot, 1822. Bellot s'installe alors marchand de draps à Marseille rue des Feuillants. Le “poète-ouvrier” qu'on a parfois vu en lui est donc poète-marchand. Il est à l'image de tant de petits et moyens bourgeois marseillais : une vie fait de commerce et d'initiatives, pas du tout fermée sur Marseille. Il connaît l'Espagne, avec laquelle son père fabricant de draps commerçait sous l'Empire, il place dans toute la région les productions de son beau-père ; il a été ruiné une première fois sous l'Empire à cause du blocus britannique de l'Espagne, et une seconde fois en 1814 par la faillite d'un banquier londonien.

Il est tout à fait immergé dans la sociabilité marseillaise : c'est aux concerts spirituels des allées de Meilhan qu'il rencontre sa future épouse, il est prieur de sa société de pénitents, grand amateur de théâtre et d'opéra, petit lecteur, et fort peu cultivé. Son éducation s'est arrêtée en 1793, avec l'expulsion des prêtres de l'Oratoire : Bellot avait alors 10 ans.

Comme tout Marseillais qui se respecte, Bellot a un pied en ville et un à la “campagne” : tout son imaginaire ludique procède de l'enfance, de l'adolescence dans la maison de campagne de la Bellote, près de Bouc-Albertas, où il se retire en 1804. Il doit la vendre après sa ruine de 1814 et une tournée peu fructueuse en Espagne. Mais dès qu'il le pourra, il achètera une autre maison de campagne, la Rouvière, à Sainte Marthe.

Il garde de la Révolution le souvenir de la grande peur devant l'arrivée des troupes montagnardes en 1793. Son père avait participé avec les troupes fédéralistes de sa section 18 à l'attaque de l'église de Prêcheurs, où s'étaient retranchés les Montagnards de la section 11. Il

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fuit dans sa famille gavote, à Mont-Dauphin : Bellot découvre donc à 10 ans les Alpes où vit encore son grand-père : pièce à verser au dossier si nourri de l'authenticité marseillaise et du racisme anti-gavot auquel Bellot, comme tout autre, apportera innocemment sa pierre.

Il célèbre en provençal et en français la première Restauration, par des pièces de circonstances, publiées en feuilles volantes.

“Iou siou d'Oouruou, m'en trufi”... Ainsi dit le mitron, quand le prédicateur maudit les gens de Roquevaire, dans une des plus célèbres compositions de Bellot, publiée sans titre dans le Journal de Marseille en novembre 1821, puis sous celui du Predicateur encala en 1822. Défaussage qui pourrrait bien, par rapport aux grands axes d'un engagement politique et littéraire, être celui de Pierre Bellot, pur produit de Marseille industrieux et commerçant.

Défaussage à l'égard des politiques, d'autant plus surprenant qu'il intervient aussitôt après sa violente attaque contre le premier journal libéral de Marseille, le Phocéen, et son directeur A.Rabbe. Mais les échos de la Counfessien d'un Jacob à peine oubliés, Bellot publie, on l'a vu, ses deux premiers et plus célèbres contes dans les deux journaux rivaux de Marseille, le conservateur Journal de la Méditerranée et dans le libéral Caducée.

Ainsi Méry, qui vient d'être condamné à trois mois de prison pour délit de presse, et dont le journal ne s'était ouvert, par amitié, qu'à l'unique pièce provençale d'Audouard, publie sans hésiter une pièce provençale de celui qui avait abattu Rabbe. Le jeune journaliste de 24 ans partage sans doute avec son aîné (Bellot a 38 ans), indépendamment de leurs oppositions politiques, de leurs formations et de leurs goûts si différents, la même trouble connivence localiste à l'égard de l'idiome : “Nous croyons faire plaisir aux Amateurs de l'idiome natal en insérant le conte suivant...“. Car cette connivence, à la différence des sages productions provençales que le Journal de Marseille a publiées toute l'année, ou des pièces qui veulent faire date de Diouloufet, des Magnans à La Ruche Provençale, est à la fois rupture de ton par rapport à l'écriture provençale dominante, retour à un naturel marseillais moins dépaysant, et acceptation entière de la dominance du français. Le modernisme agressif et la francitude déclarée d'un Méry ne pouvaient en aucune façon s'accomoder du renaissantisme agressif d'un Diouloufet, d'autant qu'il arborait les couleurs ultra. Il peut tout à fait, au contraire, admettre en supplément d'âme d'une dominance française, la dimension irraisonnée du plaisir dialecatal, si elle sait demeurer à sa place, celle du hors-jeu.

C'est bien ici le second défaussage de Bellot : sa parole sans âge et sans futur n'est pas celle d'un Troubadour, d'une Langue, voire d'une Provence nation fantôme. Ecrivain provençal certes, mais sans conscience initiale de défendre une langue et une spécificité, il faudra pour cela attendre les années 1840. Son propos est d'être reconnu, comme écrivain, écrivain français d'abord. Un simple exemple : il obtient la reconnaissance du Caducée par son poème dialectal, mais en profite pour y publier le 8 décembre 1821, des Bouts rimés français qu'il reprend fièrement dans sa publication de 1822 : “A Iris, Enigme, Au Rédacteur...”, il ne tient pas du tout à tenir la place du spécialite provençal de service.

Son ouvrage de 1822 est tout à fait caractéristique à cet égard. Les Loisirs d'un Flaneur, ou le Poète par Occasion[67], s'est vendu à 1000 exemplaires, chiffre considérable pour l'époque[68]. La première partie, 25 pages, est en provençal. L'idiome est donc placé en première ligne, en spécificité, et Bellot, qui redonne ici ses deux contes de 1821, les fait précéder d'une introduction en prose plaisante qui annonce la couleur : poséie mineure soit, mais au moins aussi défendable que les ennuyeuses productions de l'Académie. Bellot n'attaque pas une langue, comme Diouloufet guerroyant contre le français, il se borne à poser, à côté du registre officiel de la poésie, un registre de plaisir familier. Aucune revendication d'un génie de l'idiome : son emploi semble ne tenir qu'à sa pratique familière même.

“Meis chers Lectours, Sabi d'avance qu'anas rire quand sooures qu'un enfan doou tarradou a la fuello ambitien de vougue, en despie d'Apollon, escalar la couello doou Parnasso eme de soulies clavelas. Direz ben segur qu'a un coou sus lou timbre ; mai que voulez, sian

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oou siecle deis lumes, cadun a soun pichot orguil, e degun voou que soun noum reste acclapa coumo uno rabasso ; temoin certains aoutours que si cresoun de grands hommes, parce que van uno fes cado semano, roupiar à l'academio, sus d'un fooutui de marouquin. En leis vesen vous rapelloun tout d'abord leis armaries de Bourges[69]. Eh ben quand soouriou d'anar coumo elleis rouigar leis cardellos et leis argeiras que creissoun ou pe de l'Helicoun, voueli faire ma pleguo, et vous countar, en vers de ma façoun, ce que m'es arriba l'aoutre jour à la casso. Va vous explicarai tout doou fieou en aguillo, à la risquo que lou celebre Pegaso mi mande quaoouquei pessegui. Sabi que serien pas deis moulans, m'es eguoou. Mai m'aperçuvi qu'ai fouesso parla per ren dire, venen oou fet”.

Plaisamment, mais clairement annoncé, le désir de reconnaissance passe donc par la poésie provençale, poésie de pur divertissement. L'introduction du second conte est encore plus nette dans sa concision.

“A Moussu Cougourdo, negoucian de croyo d'Allaou, à la pescarie vieillo, Roquevaire, lou 1er mars 1822, Cher Couleguo, Per l'entremiso doou frero Tasso, peniten blanc et messagie d'Oouruou, preni la liberta de vous mandar un panie de figuos marsillaisos de Roquevaire, dins louquaou troubarez un conte prouvençaou qu'ai tira d'un vieil prouverbi que dato, pr lou men, doou siecle de nouestre bouen rei Rene, d'aqueou beou tems ounte Martho fielavo. L'ai fabrica aquestou matin, sus lou pouent de l'Estello, en esperant babeou que m'avie douna rendez-vous per anar caviar quoouqueis pouarris dins soun jardin. Desiri que vous agrade et que vous divertisse un moumen. Sabez que siou un rejoui[70] ? Moun but es de vous faire rire. Se li reussirai serai paga de ma peine ; mai se gardas vouestre seriou de papo, vo ben se fes la migno en lou ligen, vous dirai, eme lou mitroun, siou d'Oouruou”.

Le roi René ne fonde que la bonhommie dialectale hors-temps, que Bellot complète d'un troisième conte, l'Amour Roussignoou, d'un anacréontisme familier.

Très significativement, il fait suivre ces trois pièces qui assureront son succès, de la tirade bucolique de Meste Noura, donnée en 1820 à la fin de la Counfessien d'un Jacob. Mais Bellot se garde d'en indiquer la source. Le morceau est présenté sous un titre à la Diouloufet : Lou Bouenhur deis Champs, suivi de reflectiens mouralos. Et, prudemment, au vers 4, Bellot a supprimé l'attaque anti-libérale : “L'air es jamai souilla per un souffle infernaou”, “infernaou” a remplace “liberaou”. C'est ici, encore plus nettement qu'en 1820, puisque la pièce suit deux contes que l'on peut prendre au second degré dans leur ruralité bonhomme, l'apologie au premier degré et sans retenue de ce bonheur des champs, qui n'est en fait, pour l'imaginaire compensateur du bourgeois marseillais, que celui de la bastide dominicale. Diouloufet, on l'a vu, introduisait une autre ruralité dans ses Géorgiques au registre noble et pré-mistralien, publiées dans la Ruche Provençale.

Suivent deux plaisanteries dialectales, Anecdoto et la Fatalita, et la partie provençale est bouclée.

Le gros de l'ouvrage, pp.29-120, est tout français, dans un registre bien différent : épigrammes, pièces anacréontiques, et surtout des couplets[71] qui nourriront le répertoire de sociétés chantantes dont Bellot est familier. C'est un répertoire tout à fait dans l'air du temps qui sera encore, vingt ans après, celui de Victor Gelu.

Si le français des académiciens apparaît ennuyeux à Bellot, le français de cette chanson de sociabilité correspond tout à fait à son profil de Marseillais moyen, qui est aussi, quoi qu'on en ait pu dire par la suite, celui de V.Gelu. Il est donc, non seulement vain, mais encore

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générateur d'illusions sur la conscience linguistique provençale, de séparer l'expression dialectale de cette expression française.

C'est bien l'auteur du Predicatour encala qui écrit La Valse :

Quel charme séducteur

J'éprouve auprès d'Adèle,

Quand je valse avec elle

Je sens battre mon coeur.

Le sien soudain

Bat sous ma main ;

Au même instant,

Désir brûlant,

Tout en secret,

Me rend muet ;

D'Amour c'est là l'effet ...

Ou encor ce Sommeil de l'Innocence qui eut une vogue immense dans les choeurs chantants marseillais :

Corinne, à l'ombre de ce chêne,

Du sommeil goûte le repos ;

Zéphir retiens ta douce haleine,

Bergers quittez vos chalumeaux.

L'Amour vous impose silence.

Rendez hommage à ses appas ;

C'est le sommeil de l'innocence.

Corinne dort : ah ! ne l'éveillez pas ...

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Il est significatif de la dominance acceptée du français que le plus populaire des poètes provençaux de Marseille n'ait pas fourni une chanson provençale à ce puissant réseau de sociétés chantantes qui, comme les sociétés théâtrales d'amateurs, regroupaient une partie considérable de la petite bourgeoisie et des travailleurs de la ville, particulièrement dans les couches jeunes de ces Marseillais, “pur sang” ou d'adoption.

Poète marseillais, le Bellot de 1822 ne parle de Marseille que par son absence, en chantant en contrepoint les bonheurs de la bastide, plaisirs du conte et de l'exagération partagés, retrouvailles actives et non contemplatives avec la nature, etc.

Le succès de 1822 fait qu'il réédite et augmente, en 1824, ses pièces provençales[72] : l'ouvrage situe bien l'auteur dans une position d'observateur, extérieur à la ville. Mais cette fois, à la différence de la publication de 1822, il la met directement en scène. Le mélange est d'ailleurs curieux d'idéalisation et de réalisme sans concession.

L'idéalisation est à l'œuvre dans la mise en scène bucolique et pastorale de Jarret, aux portes de Marseille : là où Gelu ne voit que plaisirs brutaux et sans retenue de la jeunesse ouvrière, Bellot propose un dépaysement dont le réalisme prosaïque se transforme progressivement en une mystérieuse fête galante, où la popularité des personnages est comme le masque de l'Arcadie à jamais perdue[73].

Mais le réalisme brutal apparaît dans la dénonciation du Marseille commerçant et industriel. Bellot, encor sous le coup de sa faillite de 1822, est impitoyable dans son Fragment satirique : dans ce “siècle nouveou” triomphent la malhonnêteté commerciale, l'arrivisme effréné, l'esprit de lucre que la révolution a définitivement mis en place. Evoquant son honnête et ingénu grand-père, Bellot déclare à propos de la Bourse du matin, qui se tenait dans un café de la Canebière :

Si bracavo seis hueils sur un certen cafe,

Viedaouquo, nous dirie, que d'homes senso fe ;

Que d'intriguans, de gens que vivoun de marodo,

Que de chrestians judieous, que de falibustiers,

Que de maris couguous, que de banquaroutiers,

Que d'hounestes fripouns qu'an merita la rodo ;

Que de marchands rouinas per lei revoulutiens !

Que de gus enrichis per lei requisitiens !

La richesse est le seul critère de la considération, les mères vendent leurs filles, les femmes leur honneur... Cette dénonciation de la vénalité dominante est aussi celle du nouveau système industriel, et en quelque sorte des temps modernes. C'est ici, faut-il le souligner, que Gelu, loin d'innover dans ses déplorations, viendra puiser :

Barges plus, li dirie lou saven de la cliquo,

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Gardas-vous d'insultar lou systeme nouveou ;

Autreifes, fasias-ti de sucre de naveou ;

Vesias-ti de souliers sourtis doou mecaniquo ;

De perkalos, de draps, d'estoffos, de satin ?

Fabricavias de rhum eme d'esprit de vin ?

Vesias-ti, coumo vui, la fino balancello,

Per la vapour doou fuech caminar su lei flots,

Anar moougra lei vents, senso ramo ni vello,

De Marsio à Touloun eme doux matelots ?

Vesias-ti de partout s'elevar de fabriquos

De soudo, de vitrio, d'aigarden, de saboun ?

L'industrio a mounta lou darnier escaloun

/.../

Nous prounas l'inventien de vouestrei mecaniquo.

Ignouras, ben segur, tout lou maou que nous fan !

Autreifes trento ouvriers vivien d'uno fabriquo.

Aro n'a proun de noou, vingt-un moueroun de fam.

Subretout, diriou ren, s'avias un avantagi :

Vouestreis draps n'an que l'amo, eroun a pleno man.

Tems passa, leis souliers fasien un an d'usagi ;

Vui, mettez-leis tres coou, marchas sur lou chrestian.

A septeme, aoutreifes, co de mestre Rimbaou,

Lou vouyageour poudie, quittant sa meringoto,

S'aplantar, boiro un coou, faire sa pissarotto,

Piquar l'esco, chic, chic, abrar lou cachimbaou.

despui que din soun sein la soudo si fabriquo,

Seis vallouns, seis bousquets n'an plus ges d'agramen :

En si bouchan lou nas l'home passo en couren,

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Coumo un jouine bardot quand li prend la couliquo ;

Soun air es empesta, soun ciel n'es plus seren,

Es sans cesso cubert d'uno espesso fumado,

Que s'escapo en viran de sa tourbo empestado,

Per ravagear leis champs, brular tout, leissar ren.

Tout est là des imprécations de Gelu : l'industrialisation engendre le chomage, la mauvaise qualité des produits, la dégradation du cadre de vie, sous prétexte de progrès.

A la clé, Bellot apporte, dans sa nostalgie de l'ancien temps, une double condamnation : condamnation du romantisme, et donc apologie du classicisme littéraire, et d'une façon plus générale, condamnation du cosmopolitisme artistique : à la différence de Paris, qui lance les modes apatrides, Marseille lui apparaît ville vraiment française dans son refus par exemple de l'italianisme :

Oou chant frances, mi dias, preferi l'italien ;

Se coumo iou, cadun ero bouen patrioto,

Veirian pas tan d'ooutours mourir d'inanitien

Et moustrar lou darrie, fauto d'uno culotto.

Un Frances deou toujours proutegear soun pays ;

Perque souffrir qu'un sot, charlatan de naissenço

Sus noustreis bouons ooutours ague la preferenço !

Aco fa ges d'hounour eis badaous de Paris.

Fouesso coumpositours, ooutant bouons que Rossini,

Couchoun l'hiver defouero et l'estiou en plen air ;

Tandis qu'un breguetian mangeo, buou coumo un pair,

Et de nouestreis nigaous escoubo leis quatrini.

Dans son illogisme profondément marseillais (qu'allait-il donc faire en Espagne ?), le xénophobe Bellot assimile Rossini, que les libéraux marseillais encensent, au breguetian, au charlatan italien marchand de potions magiques et arracheur de dents, familier des places publiques, et dont il fera plus tard un personnage de son théâtre[74]. Il utilise, comme Diouloufet, avec qui il partage la même horreur du romantisme, le terme de badaou pour désigner le Parisien, la bouche ouverte devant toutes les modes. Le conservatisme de Bellot, même s'il ne s'affirme pas, passée la crise de 1820, en crispation ultra à la Diouloufet, est un

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profond conservatisme culturel et social, qui d'une certaine façon l'ancre dans le terreau marseillais, et de l'autre l'en extrait. Son titre l'indique bien : l'Observateur marseillais.

La dialectique du provençal (qui est seul porteur de cette réflexion sur les temps nouveaux, absente de sa production française), est de poser cette langue en langue refuge de l'authenticité humaine et sociale, tout en refusant le renaissantisme globalisant et national. Aussi bien en 1824 Bellot se permet-il d'attaquer Diouloufet, sans complexes, au début de son Fragment satirique où il écrit méchamment :

Aven touteis reçu de l'avaro naturo

Uno doso d'esprit (n'a qu'an boueno mesuro)

Aqueou que n'a tout jus per faire un Dieouloufet

Se voou mountar plus haout toumbo coumo un ayet

Quelle ambiguïté dans ce “jus”. Et quelle ambiguïté aussi dans cet éloge qui suit sa défense contre le journaliste qui n'a pas appréciés les vers français de Bellot[75] :

O tu que fas charrar lou gaget et l'agasso,

Tu qu'as doou troubadour troubla lou flajoulet,

Illustre cadet d'Aix, emulo de Jooufret,

Prochi de Gros segur troubaras uno plaço.

N'a que dien, es verai, que din certein journaou

Fasien de teis escrits un troou grand estalagi ...

Autant dire que Bellot ne pardonne pas à la presse marseillaise du bon ton, la Ruche Provençale au premier chef, de l'avoir ignoré, dédaigné.

Poète marseillais, Bellot ne chante pas Marseille, sinon pour en dénoncer les vices. Mais, dans son exagération arcadique de la nature posée face à la ville mesquine, il rencontre, nous l'avons vu, l'imaginaire de cette bourgeoisie marseillaise, et au delà, celui du peuple. Nul besoin d'évoquer ses activités et son train-train quotidien pour lui plaire, encore moins d'identifier dans un personnage “authentique” l'identité marseillaise : en 1820 on s'en souvient Bellot n'avait pas hésité à faire du pêcheur de Saint-Jean le porte-parole de la jeunesse jacobine. Tout au plus, dans la distorsion assumée entre le français et le commun parler de nature, il peut faire son nid dans la francisation, sans déranger, et même en cautionnant. Les autres auteurs provençaux, pour refuser ce créneau compensatoire, devront baisser pavillon, alors que Bellot ne cessera de s'affirmer à Marseille, y compris, nous le verrons, quelques années plus tard au fort de l'offensive anti-patois. Diouloufet, en exaltant une langue, donc une patrie, se coupait de la masse du public. Bellot trouve sa grâce, parce que, d'une certaine façon, il reflète ce public.

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Le Spectateur Marseillais écrit de son recueil, sans citer titre ni auteur :

“On va livrer au public un recueil de poésies provençales. Les nombreuses ressources qu'offre cet idiome malin à la verve satirique, ont été épuisées par l'auteur de ce recueil. On y trouvera une galerie de portraits qui sont passés en revue avec une malice surprenante. Quoique l'auteur n'ait désigné les personnages que par l'initiale de leurs noms, leurs portraits sont si bien rendus, leurs ridicules si bien saisis, qu'on ne peut s'empêcher de les reconnaître. Cet ouvrage est destiné à faire du bruit à Marseille. Le sexe féminin n'a pas été épargné des traits satiriques de l'aimable auteur provençal ; nombre de dames seront fâchées de voir la gaîté de notre poète s'exercer impitoyablement sur leur aventures, leur toilette, et même leur démarche”[76].

Il ne s'agit donc pas, on le voit, d'un unanimisme dans ce qui est dit, mais bien plutôt d'un unanimisme dans la façon dont les choses sont dites, celle là même qui pousse la revue, pourtant bien indifférente à l'expression provençale, à souhaiter la constitution d'une nouvelle société des Troubadours, mais provençale cette fois.

D'Astros

Les Académiciens d'Aix avaient reçu en 1817 un d'Astros auréolé de la “persécution” dont son frère, évêque ultra que la Restauration fera cardinal, avait été victime à la fin de l'Empire.

Mais les premières années de la Restauration vont surtout révéler un écrivain provençal, modeste il est vrai par le volume de ses productions, mais salué par beaucoup comme un maître de la fable.

D'Astros est né à Tourves en 1780 : il y reçoit l'éducation bourgeoise qui convient au fils du notaire royal. Sa connaissance du monde villageois procèdera d'abord de ses relations d'enfance et d'adolescence avec ses compatriotes, comme de l'expérience du père : monde familier, bonhomme, mais aussi âpre au gain, chamailleur, individualiste.

Le père a épousé la sœur de Portalis l'avocat d'Aix : à la naissance de Léon, Portalis est déjà une célébrité du Barreau. Les liens entre les deux familles sont étroits, comme sont bons les rapports avec le château, quand les Valbelle reviennent y séjourner.

L'éducation villageoise de d'Astros est donc à la fois celle de la terre, et celle du Monde, contact familier teinté de supériorité avec les villageois, conscience d'appartenir, de par son rang, sa fortune, sa solide culture classique, aux couches supérieures du Tiers.

Sa pratique langagière est celle des privilégiés d'alors : une connaissance livresque parfaite du français, une familiarité immédiate avec le parler populaire. Le français parlé par d'Astros devait être bien exotique pour des Français non méridionaux, si l'on en juge par les moqueries qui accompagnaient les prédications du cardinal, son frère[77].

La Révolution devait perturber un destin tout tracé d'intégration sociale et de réussite personnelle. Le père meurt aux débuts de la Révolution, la mère suit le clan Portalis dans sa réserve, qui devient vite opposition. Le frère, futur cardinal, devient chef de famille à la mort de la mère en 1792. Portalis s'est retiré à Tourves, où les patriotes locaux l'inquiètent. Il fuit à Lyon, puis à Paris, où il est arrêté. Le frère est envoyé au siège de Toulon comme

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réquisitionnaire, fuit à Lyon, réapparaît à Tourves en 1794. En 1795 une émeute éclate contre lui : les patriotes de Tourves lui reprochent de s'opposer à l'église officielles. Les d'Astros ne doivent leur salut qu'à l'intercession d'amis d'enfance. Ordonné prêtre en 1797, inattendu chef de cabinet d'un Portalis promu ministre des Cultes, après 1799, le frère d'Astros n'a cessé, de près ou de loin, de chaperonner le jeune Léon pendant ces années bien difficiles.

Puis le jeune d'Astros, protégé par les Portalis auxquels Thermidor ouvre une carrière nationale, poursuit des études de médecine à Montpellier, puis à Paris où l'oncle ministre souhaite le voir rester. Mais, ses études achevées, d'Astros préfère retourner dans le Midi, où il se marie. Il reste que d'Astros, comme Thouron, Honnorat et bien d'autres, avait pu prendre dans la capitale la mesure de sa provençalité et les moyens de la situer dans une culture ouverte.

En 1804, il est médecin de la Miséricorde à Marseille. La ville lui convient mal. En 1805, à 25 ans, il s'établit à Tourves, il vit tranquillement les années de l'Empire, partageant son temps entre les charges de médecin de village, l'éducation de ses huit enfants, et un goût affirmé pour l'observation botanique où, d'une certaine façon, le goût du fabuliste pour l'apologue se dessine. On peut en juger par le récit qu'il fait plus tard devant les Académiciens d'Aix : en 1809, il a planté dans un angle de sa cour 6 grains de blé, diversement nourris de sol fumé, ou pas ; expérience rousseauiste destinée à ses enfants, mais qu'il a oublié de présenter au personnel domestique. “Quelle fut ma surprise et mon mécontentement, un jour il me parut qu'on avait tout arraché ! une fille de la maison, en ramassant des herbes, avait fait disparaïtre les sujets de mon expérience”. D'avoir trop vite poussé, le blé, pris pour mauvaise herbe, a été arraché. “Cependant, tout n'est pas perdu : je porte sur la terre un regard plus attentif, et j'aperçois encore une de mes six plantes qui avait échappé à la main étourdie de ma servante. Maigre, petite, peu avancée, elle dut son salut à son obscurité. Il en a été de même parmi les hommes”[78].

Pour autant, il n'est pas encore auteur, français ou provençal. La venue du cousin Portalis à Aix, suite aux frasques papistes du frère d'Astros, sa relance du provençalisme à la société académique l'ont sans doute interpellé. En 1819, il quitte Tourves pour Aix où il acquiert une réputation de compétence et de dévouement, qu'il justifiera particulièrement dans les grandes secousses épidémiques. Aussi, sa réception comme membre à part entière de la société académique, le 3 juin 1820, se place sous d'autres auspices que ceux de 1817.

“Un nouveau membre résident, M.le Docteur Dastros, Praticien exercé, qui n'a pas besoin de l'avantage d'une heureuse naissanec, pour être recommandable, n'est pas seulement une acquisition utile et agréable pour notre société, dont il était membre associé : son établissement à Aix est un événement important pour la population entière de cette ville, où la classe des anciens médecins, qui ont le plus de droits à la confiance publique, est très peu nombreuse, relativement à la masse entière des hommes qui y exercent l'art de la médecine”.

On le voit, ce n'est pas tant le poète qui est reçu, que l'homme utile à la cité. D'Astros se présentera toujours comme un homme de terrain, efficace, poète seulement à ses heures de délassement. Alors que Diouloufet pose la poésie provençale en axe névrotique de son existence, d'Astros ne lui concède que la marge reposante du quant à soi, de l'intimité.

Et sans doute, de par ses fonctions, sa naissance, son intérêt pratique pour l'agriculture, d'Astros est plus pris au sérieux que Diouloufet, modeste sous-bibliothécaire en définitive (même s'il a accédé par son mariage au rang de propriétaire rural), par ces notables aixois qui tirent une bonne part de leurs revenus de la terre. On passera à D'Astros une fantaisie provençale, alors que Diouloufet finira par gêner, avec ces incessantes déplorations “nationalistes” et anti-franciotes.

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A la grande différence de Diouloufet, d'Astros se gardera de poser sa création dans un quelconque raport avec le peuple : ni langue du peuple, ni écriture pour le peuple. Ses fables provençales, jusqu'à l'apparition d'un mouvement renaissantiste quelque peu coordonné, sont simplement proposées en témoignage de plaisir personnel, et sans justifications.

D'Astros, qui a vécu quatorze ans la vie d'un médecin de village, présente le peuple, s'il lui arrive de parler du peuple, comme d'un peuple à éduquer. Ainsi, s'adressant aux Académiciens[79] il pose la responsabilité des notables, la sienne également, dans l'entreprise du progrès agricole, chère à l'Académie :

“Ce n'est pas que je veuille faire des Cincinnatus de nos héros. Mais à l'exemple de Caton le censeur, tel, après avoir, par des faits d'armes éclatants, contribué à la gloire de sa patrie, pourrait, goûtant à l'ombre de ses lauriers les douceurs de la retraite et les plaisirs des champs, étudier la nature, faire des expériences propres à avancer l'art, et à publier le fruit de ses observations. De cette manière, il servirait encre une fois son pays, et acquerrait une renommée moins brillante, j'en conviens, mais plus utile peut-être, et dont au moins l'humanité n'aurait pas à gémir.

Ce que je dis à nos guerriers en retraite, je le répète à tous les propriétaires aisés, qui, libres de partager leur temps entre la ville et la campagne, vont oublier dans celle-ci les plaisirs bruyants et les embarras du monde, il serait à désirer qu'ils se fissent un devoir de détruire chez les laboureurs, mille préjugés dont ils sont imbus depuis l'enfance, et qu'ils leur donnassent, sur l'agriculture, les connaissances pratiques qui leur manquent. Ils feraient ainsi de véritables agronomes, de ceux qui n'ayant eu jusqu'à ce jour d'autres maîtres qu'une aveugle routine, croupissent, ainsi qu'avaient fait leurs pères et que feraient leurs fils, dans l'ignorance. Ou je me trompe fort, ou ce serait le seul moyen d'assurer les progrès de la science agricole. Car c'est en vain que le Gouvernement prend en sa faveur des mesures qui commandent notre reconnaissance, en vain que les Sociétés de province et les savans auxquels il accorde sa protection, font pour son avancement des efforts dignes des plus grands éloges, si les résultats de leurs travaux restent ignorés, et si les écrits, dans lesquels sont consignés de précieuses découvertes, ne sont même pas lus. Comment qulifier une pareille apathie ? Que sont et que deviennent les plus belles théories, quand ceux qui pourraient les mettre en pratique les ignorent et veulent les ignorer ? Entre le savant qui écrit et le laboureur qui ouvre le sein de la terre, il faut une classe intermédiaire qui serve de canal à l'instruction, et quelle est cette classe, sinon celle des riches propriétaires”.

D'Astros, poète provençal occasionnel, ne se présente pas en porte-parole d'une authenticité langagière populaire. Implicitement, comme la plupart de ses prédecesseurs, il fait la différence entre le génie de la langue, conservé par pesanteur sociologique chez le peuple, et une mentalité populaire souvent rétrograde, routinière, étroite, qu'il faut impérativement faire évoluer. A cet égard, sans doute, admettait-il, pratiquait-il l'oralité provençale[80].

Certes, la langue de D'Astros, de par ses origines, son contact avec le peuple, est une des plus naturelles qui soient. Mais elle n'est utilisée que dans la dimension du plaisir, sans volonté de reconquète d'usage culturel, et encore moins sans dimension populiste.

Il reste que la lecture par d'Astros de ses fables provençales devant l'Académie d'Aix, et leur impression sous son patronage, contribuent de façon non négligeable à revaloriser le statut de la langue méprisée, donc, d'une certaine façon aussi, le statut de ceux qui continuent à la parler.

Les premières productions publiques signalées datent de 1821-1822[81], D'Astros publie en 1823, à Aix[82] et à Marseille[83]. Avec ces fables offertes au public provençal cultivé, d'Astros apparaît à la fois comme un émule de Diouloufet et comme un tempérament original.

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Comme Diouloufet, il ne traduit pas, mais accompagne ses fables de notes : il situe par là ses lecteurs, lettrés auxquels la langue est encore familiere, mais qui peuvent faute de pratique véritable trébucher sur plus d'un mot.

Original, mais cependant révélateur de pratiques culturelles assez générales, d'Astros intéresse plus par sa véritable dimension historique que par le personnage recréé par le renaissantisme qui le découvre lors du congrès des poètes provençaux en 1852. Mistral l'utilisera dans sa reconstruction d'histoire qui fait d'Aix un foyer maintenu de culture provençale[84]

Gavots ?

Cette reconstruction de provençalité, une fois la renaissance proclamée, a cristallisé sur la Basse-Provence une vertu créatrice inscrite dans des spécificités ethniques. Le détour par la montagne, dont l'apport créateur en langue d'oc semble a priori inexistant[85], n'est pas sans intérêt pour faire mesurer l'artificialité de cette vision.

A lire Las noças de Jauselou Roubi[86], petite comédie écrite en 1816 par le juge de paix de Mens (Isère), dans le Trièves, on constate que la "spécificité" provençale, vivacité, plaisanterie, etc, est tout aussi présente dans ce texte des portes de Grenoble. Le juge Richard est bon exemple de ces retrouvailles avec une joyeuse parole populaire. On peut faire la même constatation avec les quelques extraits connus d'une pièce du percepteur Gaillaud, de St Firmin en Champsaur[87]. Ou avec un texte inattendu, révélé par l'érudition haute-Alpine de la fin du 19e siècle[88], fragments d'un manuscrit conservé par la famille de Etienne Albrand, missionnaire de Mazenod, qui deviendra premier vicaire apostolique de Kouy-Tcheou, en Chine. Albrand avait composé cette comédie en 1827, durant ses vacances de première année de théologie.

Lou Proucès de la Poulo, œuvre sans prétentions dans le parler du pays du jeune ecclésiastique, Saint-Crespin dans le haut Embrunais, est dans la lignée des pièces de réalisme burlesque, quelque peu héroï-comique en son début, auxquelles le jeune homme avait pu se frotter pendant ses études. Le choix de langue rehausse la parodie d'école, et c'est justement ici que le futur évèque intéresse. On ne trouve chez lui ni lyrisme enflammé à la Mazenod, ni vision ethnotypée du Montagnard comme celle que les écrits de la Basse-Provence pouvaient véhiculer.

La parole d'Albrand s'accorde dans sa bonhommie malicieuse à un senti du Montagnard extrèmement différent des différents exotismes dans lesquels on peut l'inscrire. L'humaine nature, tout simplement, s'exprime dans les différents personnages.

Apollon en personne s'est adressé à l'auteur : il faut chanter le village.

Mon fils, chau fa de vers ; la circounstanço es belo,

N'aies pas poou ; fai-n'en, si ta plumo es fidèlo ;

Oubéis à ma vois, iou mème dictaréi.

Sabes pas fa de vers ? mes iou t'ou moustraréi.

Lou fasses pas latins, ni maï francés, si voueles ;

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Scriou-les en patois, en depit de mas soueres.

A San-Crespin, ly a de famus lurouns,

De plaisants, de farçurs, de fins et de buffouns,

Se ly trobo surtout de bouons juaïres de boulos,

Et, quand pouon n'en troubar, plumoun pas mal les poulos.

Antoine Commier a traîné son voisin Jean Louis Milly en justice à Embrun, à cause d'une poule trop envahissante. Le bref portrait des deux hommes est en même temps celui des Gavots, tels en effet que tout le sud-est les connaissait par leurs activités : pieux, colporteurs, charcutiers, instituteurs itinérants...

Es lou Gian Louis Milly, et faï ben sous afaïres.

Per sa vois meloudiouso es chantre din lou cur,

L'autr'an meme fouguec chousi vice-rectur,

Senso counta qu'a sta dedin lou peïs bas

Vendre de mousselino et de mouchoous de nas :

Que sta institutur dedin lou Douphina

Enté s'es fa, segur, 'na bello renouma ...

Es lou Toino Coumier, fils dou Pierre Coumier,

Son grand-païre a sta counsou e meme marguelier.

Et vaï fa tous lous ans en de luocs couneissus

D'andouillos, de boudins, de soussissots chanus

Tout le village se ligue pour faire manger les poules de l'un et de l'autre aux hommes réunis, en faisant croire aux deux plaideurs qu'il s'agit seulement des poules du rival. Cris, rires, vite dominés par les imprécations des femmes :

Mes, lour feno en couléro an vist leur ajouc net ;

E, lous veien venir, de dessus lour barcoun,

Fasioun fuec per las dents ; si avia ouvi lour jargoun,

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Li a pas de Bourdalous, de Boussuets, de Bridainos

Ni mai de Massilloun que parlessoun miéi qu'ellos.

Prenioun lou pathétique ; aouriou dégu toucha ;

Lour gesto ero vioulent ; jamai s'es miéi precha.

Nous retrouvons ici, entre Embrun et Briançon, les mêmes caractéristique ethniques que les Marseillais, Gelu par exemple, prêteront aux seules femmes du peuple de leur ville. Le missionnaire de Mazenod apprécie en connaisseur cette veine oratoire féminine.

Lou Bouquet Prouvençaou.

Alors que Bellot se lance dans l'entreprise de publication bilingue, un groupe composite d'auteurs provençaux tente l'aventure sans exemple d'un recueil collectif entièrement écrit en provençal : Lou Bouquet Prouvençaou[89]. Sous le titre, une citation grecque, qui permetra de ne pas confondre l'entreprise avec de quelconques facéties provençales.

L'Avertissamen, anonyme, présente ainsi l'objet de l'ouvrage :

“Leis Musos prouvençalos, lon-ten assoupido, sembloun vouille si revilla. Quoouqueis outours fan pareisse de nouvellos prouductiens en prouvençaou, d'aoutreis n'esperoun bessai qu'uno guignado per publica lou siou. Lou moumen es doun arriba de fourma un recuil, ounte chasque Poueto, chasque Troubadour nouveou pousque ave sa plaço. Dounan eici lou bouquet ounte leis Trouvaires de nouestre tem pourran touteis adurre quoouqueis flours”[90].

Les auteurs prennent donc acte, prudemment, du renouveau poétique dont ont témoigné les publications aixoises et marseillaises, depuis 1819.

“Veisi coumo s'en sian pres per amoulouna leis plus belleis peços, et aquelleis que pouedoun lou mies agrada. Aven divisa lou tout en doues partidos : la premiero es coumpousado uniquament deis obros choousidos deis Troubadours doou darnie siecle, qu'an servi de moudele en aquelleis d'ooujourd'hui ; la secoundo couten ren que de mouceous deis pouetos vivens : d'ins d'aquello partido, chasque peço es signado d'uno lettro initialo, que designo l'ooutour”.

Dans cette présentation, la première du genre, et qui donne aussi des pièces inédites importantes,du patrimoine du siècle écoulé, on peut reconnaître la filiation assumée (“qu'an servi de moudele”) de la création contemporaine[91], ainsi placée dans un hors-temps : écrire

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en provençal, c'est d'une certaine façon à jamais perpétuer un certain senti de la langue et de l'écriture. Les vrais troubadours, pour être évoqués, sont donc tout à fait absents et même les poètes provençaux de la première renaissance, de la fin du 16e siècle et du début du 17e siècle. On peut aussi reconnaître le désir persistant depuis, et dont à certains égards notre démarche procède également, d'une mise en valeur d'un patrimoine d'autant plus fondateur qu'il est ignoré, ou perverti. Ce désir de ne pas être jugé en fils de ses œuvres rejoint ici, sans que cela soit dit, le désir formulé par le père Achard en 1794, dans sa lettre à l'abbé Grégoire, de publier un recueil des poètes provençaux du siècle. Les deux fils Achard, moteurs de l'entreprise, réalisent ainsi le désir du Père. C'est de lui sans doute qu'ils tiennent le respect pour Germain, l'intéret pour Gros et Dageville, etc.

La modestie affichée dans la signature par initiales ne présente aux lecteurs que des anonymes, mais la clé est donnée : A, Joseph François Achard, l'imprimeur, né en 1790, T.A, Théodose Achard, sous-bibliothécaire, né en 1780, de lui vient donc une bonne part de la connaissance des anciens textes et de l'héritage paternel, il a suivi son père à la bibliothèque de Marseille en 1810, J.C.H.A, César Agnelier, propriétaire et marchand de livres, né en 1756, A.J.A, Antoine Joseph Audouard, maître de pension, né en 1794, Ds, D'Astros, D, Diouloufet, F.F., François Fournier, négociant, né à Marseille en 1758, VFN, Niel, négociant, né à Marseille en 1758, etc. On reconnaîtra les collaborateurs occasionnels du Journal de Marseille (les frères Achard n'y avaient pas collaboré), auxquels Diouloufet a adjoint d'Astros, son collègue de la société académique. Mais on note l'absence de Bellot : s'st-il prudemment tenu à l'écart d'une entreprise par trop renaissantiste ? n'a-t-il pas été contacté ? C'est pourtant Achard qui l'a imprimé en 1822.

Il ne s'agit donc pas ici de faire une place au provençal, comme le faisait à l'occasion le Journal de Marseille deux ans auparavant, ou la Ruche provençale qui vient de disparaître, mais de se doter d'un lieu autonome de publication, dégagé dans son contenu de la cohabitation directe avec le français et justifié en dignité par le patronage troubadouresque. L'écartèlement, auquel participe doublement Diouloufet, de la présence provençale au creux du français et de la seule présence du provençal, sous-tendra dorénavant toutes les tentatives provençalistes.

D'Astros et Diouloufet tiennent ici leur registre déjà connu pour le premier, et découvert dans les Mémoires de la société académque d'Aix cette même année pour le second. D'Astros donne donc des fables, mais Diouloufet présente tous ses registres, contes, fables, narration dramatique, pastorale, épître renaissantiste.

Audouard reprend ses fables, Fournier anacréontise, alors que Larguier chante prosaïquement les Pleisi de la bastido, retrouvailles dominicales, félicité de la partie de cartes et de boules, des bons repas et de la sieste sous les pins, T.Achard s'essaie à chanter les bords de l'Huveaune.

Rien dans tout cela, bien évidemment, qui puisse enthousiasmer la jeunesse marseillaise. On est loin de la verve des auteurs du 18e siècle dont on se réclame, ou de leur grande dignité, bien que l'avertissement s'achève sur la certitude de couvrir tous les registres :

“Aquestou recuil prouvera senso repliquo que la lenguo prouvençalo es egalamen propro oou geanre gai coumo oou geanre seriou, et tout nous douno l'esperanço que reussira à nouestre gra”. Mais les éventuels lecteurs voulaient-ils que la langue domine tous les genres ? Ou se sont ils étonnés de ne pas les voirs couverts par les contemporains ? L'entreprise en tout cas semble avoir été un échec relatif.

“Se nouestre trabai agradavo oou public, et se reçubian uno suito de mouceous de pouesie prouvençalo digne d'estre imprimas, si farian un deve de n'en publica un segoun tomo l'an que ven, et successivament d'annado en annado”. Le Bouquet se voulait donc annuel, et fondait son optimisme sur les raisons mêmes de son impuissance attendrissante, pas de politique, sinon l'obligatoire salut au pouvoir, pas de querelles graphiques, mais une prédilection évidente pour la graphie “phonétique”, préférée à celle du père mort comme étant

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directement accessible au lecteur, pas de limites proclamées à l'ampleur des registres, mais des limites de fait totalement assumées.

Il n'y aura jamais de tome 2. Les raisons de l'échec sont plus évidentes encore que pour la Ruche Provençale, pourtant d'expression majoritairement française. Désintérêt des commerçants prosaïques (sauf exceptions dont certains auteurs sont exemples) pour la création littéraire, désintérêt d'une jeunesse intellectuelle en quête d'autres horizons, et de modernité, désintérêt de créateurs dialectaux dont l'écrit procède d'une assomption non douloureuse de la situation diglossique. Le lieu offert par Achard ne sera plus occupé. L'anonyme correcteur et commentateur du dictionnaire de Rey portait à la fin de l'ouvrage cette appréciation désabusée : “Les sieurs Achard frères de Marseille imprimeurs et tenant cabinet littéraire donnèrent en 1823 un petit recueil de différentes poésies nouvelles en provençal, intitulé lou Bouquet prouvenceau (sic) qui ne s'es pas vendu, je crois qu'ils n'ont pas retiré leurs frais”.

Pour mieux s'épanouir, la création provençale avait évacué les grands thèmes de l'air du temps au profit de l'amour proclamé de la langue ou d'une bonhommie familière. Aucune analyse n'est faite de la société en mouvement : or, quand Diouloufet ne peut que constater l'irrésistible mouvment qui pousse les jeunes bourgeois, et les paysans même, vers le matérialisme libéral et “franciot”, quelle place , hormis la nostalgie ou l'anathème, reste-t-il pour l'expression provençale[92] ?

Il semble que la création meure, en cette année 1823, dans ses ambitions de grand registre ouvert aux entreprises de compensation diglossiques, entreprises individuelles à la Bellot.

[1] Présentation de l'Alcyon. Le texte est repris in Correspondance inédite de L.F.Jauffret, Draguignan, 1874, p.132 sq.

[2] Journal de la Méditerranée, 9 janvier 1822.

[3] Le Spectateur Marseillais, 1823.

[4] Il y a de la prudence dans cet apolitisme, puisque les expériences de la presse libérale ont été étouffées, mais il y a aussi l'indifférence réelle de nombre de jeunes littérateurs. Tous, loin de là, ne sont pas libéraux.

[5] Le Spectateur Marseillais publie ce prospectus (qui en définitive dans ses derniers propos est une condamnation du provençal), juste à côté de l'article consacré au dictionnaire provençal de Garcin, Cf. infra, 7.

[6] Les Roses Provençales, Choix de poésies Dédié aux Dames, Marseille, Carnaud, 1824, pp.11-15.

[7] Le Spectateur Marseillais s'intéresse quelque peu à l'idiome dans la foulée des premiers succès de Bellot. S'agit-il d'un article inspiré, ou d'une démarche sincère ?

[8] Ballades et Chants de Provence, Paris, Laisné, 1826. Marie Aycard, Marseille 1794, Paris 1859, a participé au lancement de l'Alcyon en 1821. A Paris, il écrit dans la presse libérale, puis se spécialise dans le vaudeville après 1830.

[9] Mr.Sismondi, précise-t-il en note

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[10] Cf. infra, l'article d'Audouard dans le Caducée, et la mini-querelle marseillaise des troubadours.

[11] Nom d'un quartier de la vieille ville, ajoute-t-il en note.

[12] Article repris in Œuvres complètes du Baron de Stassart, Paris, Didot, 1855.

[13] Diouloufet, Epître à M.l'Abbé de La Mennais, Aix, 1825.

[14] Le Messager de Marseille, 31 juillet 1836.

[15] Lettre du 26 décembre 1819. Musée Arbaud.

[16] Combien de renaissantistes, par la suite, tenteront sincèrement ou de façon opportuniste, d'infiltrer un organe, national ou régional, de diffusion de la culture française, et d'y tenir leur petit créneau spécialisé !

[17] “La lachiero et lou Pechie de Lach, Fablo imitado de La Fontaine”. Elle paraîtra dans le t.1 de la Ruche Provençale, et le préfet la fera figurer dans sa Statistique des Bouches du Rhône.

[18] Correspondance inédite de L.F.Jauffret, op.cit., pp 151-153.

[19] On voit combien la proclamation publique de monolinguisme provençal est artificielle. la non-reconnaisance de sa poésie française s'accompagne d'une reconnaissance de sa poésie provençale, et orientera son choix.

[20] “Leis dous Gavots à Repantanço, Conte”. La Ruche Provençale, 1819.

[21] Note de Diouloufet : Du Parisien.

[22] “Anetto et l'abeilho, imitado de l'anglés de Gay”, La Ruche Provençale, t.2, 1819.

[23] La Ruche Provençale, 1822. La revue va disparaître cette même année.

[24] Berenger, Soirées provençales, Marseille, Masvert, 1819.

[25] Jauffret, Correspondance inédite, op.cit.

[26] Lou Sablier, imitatien libro d'oou latin

[27] Epitro eis Fraires Prouvençaux, famous Restouratours à Paris, après moun retour de la Capitalo,en 1819, où selon Diouloufet les Provençaux de toutes opinions se réconcilient autour de leur cuisine traditionnelle.

[28] Lou Chin doou Grand Saint Barnard, Fait Historique.

[29] Mémorial de Marseille, 14 septembre 1820.

[30] Bellot, “Epitro satiriquo à Moussu Couloumbet”, L'Ermito de la Madaleno, Marseille, Vve Roche, 1824, p.12.

[31] Bellot, “Fragment satirique”, L'Ermito de la Madaleno, op.cit. p.14.

[32] “Lou Bouenhur de la Bastido”, La Ruche Provençale, 1821. imitation de l'épode d'Horace.

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[33] Journal de Marseille, 3 janvier 1821.

[34] “Lou Chin et lou Gat”, Journal de Marseille, 6 janvier 1821.

[35] “L'Amour pouinu per uno Abio”, Journal de Marseille, 13 janvier 1821.

[36] Journal de Marseille, 14 février 1821.

[37] “Jeremiade sur la mort de Carnaval”, Journal de Marseille, 7 mars 1821.

[38] Cette pièce pleine de santé est placée juste en dessous d'un article sur les missions, dont on sait quelle lutte elles menaient contre les fêtes carnavalesques.

[39] Journal de Marseille, 5 et 12 mai 1821.

[40] “Vers pour le retour d'un ami”, Journal de Marseille, 6 juin 1821.

[41] Relief désertique entre Marseille et Cassis.

[42] “Meis regrets à ma lyro, Sirvanto imita d'un ancian troubadour”, Journal de Marseille, 8 août 1821..

[43] Le Journal de Marseille commence à parler de Lamartine.

[44] Journal de Marseille, 3 novembre 1821.

[45] “Elegio prouvençalo”, Journal de Marseille, 21 novembre 1821.

[46] “Lou Reinard et lou Lingoumbaou”, Journal de Marseille, 5 décembre.

[47] Joseph Méry, Marseille,1797-1866.

[48] Louis Méry, Marseille, 1800-1883.

[49] S.Berteaut, Méry, Souvenirs d'un Vieux Marseillais, Marseille, Cayer, 1873.

[50] Le maître de pension Audouard recopie ici la notice des Magnans.

[51] Audouard est né en 1794.

[52] Le Caducée, 3 décembre 1820.

[53] Le Caducée, 25 juin 1821.

[54] Le journal en massacre le titre en Lou Pouéot cassaire.

[55] 3 avril 1823.

[56] Berteau, op.cit. rappelle comment Méry avait dû se défendre à Paris contre ceux qui se moquaient de son accent. Cf.p.40 sq.

[57] Le jeune homme mal francisé a encore l'accent méridional commun, incapable de rendre certains sons français.

[58] Cf.Cauvière, Le Caducée, op.cit.

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[59] Cf.Carvin, Jean de Cassis, Marseille, 1816.

[60] Il organisera plusieurs séjours de Thierry, très malade, et qui perd la vue, dans une propriété de Carqueiranne, près d'Hyères.

[61] Ms 156 B.M.Toulon.

[62] Cf.infra.

[63]Lou Naufragé de la Meduso, arriba dins l'annado 1816 ; Pichoun Poèmo en vers prouvençaux, segui d'uno Pastouralo et d'un Dialogo ; de la coumpousitien de Mu V.T..., Ancien Elevo de l'Escolo Nourmalo, Toulon, Aurel, 1824.

[64] Thouron avait-il connu à Paris Corréard, rescapé du naufrage, qui ouvre librairie Au Naufrage de la Méduse, Palais Royal, et accueille les publications libérales marseillaises ?

[65] B.M.Toulon, ms 155. Nous en présentons des extraits in R.Merle, Inventaire du texte provençal de la région toulonnaise, G.R.A.I.C.H.S, 1986.

[66] L'Ermite toulonnais, Toulon, 1828.

[67] Marseille, Achard, 1822.

[68] Diouloufet s'en tient à 200 exemplaires.

[69] Note de Bellot : “Ai legi dins de vieillos pancartos que leis armaries de Bourges representavoun un aze dins un fooutui”.

[70] Allusion à sa pièce de 1814 : Lou Bouquen, par Bellot, de la Société des Réjouis, Marseille, Dubié, 1814.

[71] Chanson bachique, dédiée à mes compagnons de musique de la chapelle St.just, La vraie philosophie, chanson bacchique, etc.

[72] L'Ermito de la Madaleno, ou l'Observatour Marsies, par M.Bellot, Marseille,Vve Roche, 1824

[73] Il reprend là encore des thèmes et des formules de Gros.

[74] Cf.Bellot, Moussu Canulo, Marseille, 1832.

[75] Epitro satiriquo à Moussu Couloumbet. Sur Colombet, Cf; la pièce de Bellot en 1816.

[76] Le Spectateur marseillais, t.3, p.29.

[77] “Ses sermons n'ont jamais produit une grande impression, à cause de l'accent méridional et du peu de moyens physiques de l'orateur”, Statistique morale de la France, ou biographie par départemens, Paris, Moreau Rosier, 1829.

[78] Mémoires publiés par la Société académique, t.2,.Aix, Pontier, 1823.

[79] Mémoires publiés par la Société académique, t.2,.Aix, Pontier,1823.

[80] Cf. supra son sermon en proverbes, “Le petit monde de D'Astros”.

[81] Les procès-verbaux des séances publiques de la société académique signalent que d'Astros lit le 7 juin 1821 Leis Animaus attaquas de la pesto, le 15 juin 1822 Lou Croupatas et

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lou Reinard, ainsi que Lou Bastidan, soun Chin et lou Reinard, et le 7 juin 1823 Lou Loup et lou Chin, et Leis fremos et lou secret.

[82] Dans les Mémoires de la Société académique, publiées en 1823, on trouve sous le titre Traduction libre en Vers provençaux, de quelques fables de La Fontaine, par M.D'Astros, Médecin, quatre de ces cinq fables (il manque Lou Bastidan...)

[83] Dans l'entreprise collective Lou Bouquet Prouvençaou, Marseille, Achard, 1823, D'Astros figure avec trois fables : Lou Bastidan, soun Chin et lou Reynard, lue à l'académie l'année précédente, Lou Loup et l'Agneou, Leis Granouillos que demandont un Rei : une présentation renaissantiste ultérieure a situé cette fable dans le contexte des affaires françaises de 1840, alors que le texte on le voit, est bien antérieur.

[84] Cf.F.Mistral, Memori e raconte, Lou Prouvençau à l'escolo, 1971, p.75.

[85] Cf.Victor Lieutaud, “Une société littéraire à Barcelonette sus la Restauration”, Bulletin de la Société d'Etudes des Basses-Alpes, 1906, pp.316-319. La bonne société de la petite ville versifie abondamment en français. La provençal n'apparaît que dans quelques chansons : anacréontisme ou dialogue bilingue traditionnel entre Moussu et femme du peuple. Signe d'aliénation extrème dans la diglossie : l'occitan utilisé est celui de la Provence maritime, jugé plus “littéraire” que le parler alpin !

[86] Revue des Langues Romanes, oct.1875, pp.115-138.

[87] Bulletin de la Société d'Etudes des Hautes-Alpes, 1883, pp.518-523, pp.384-385.

[88] Etienne Albrand, Lou Proucès de la Poulo, Bull.Soc. Etudes Hautes-Alpes, 1885, pp.86-96.

[89] Lou Bouquet Prouvençaou vo Leis Troubadours revioudas, A Marsillo, imprimarie d'Achard, carriero St-Ferreol, 1823.

[90] Sur cette prose provençale, Cf.P.Gardy, L'écriture occitane, op.cit. p.969.

[91] Le Bouquet ne restitue que des œuvres du 18e siècle, alors que la Statistique des Bouches du Rhône, en 1826, donnera un panorama de l'écrit provençal, depuis les Troubadours et la renaissance des 16e et 17e siècles.

[92] Exemple curieux de vocation provençale : dans son grand ouvrage de poésies françaises que le général de Gassendy fait publier à Dijon, en 1820, figurent quelques pièces provençales. Ce militaire d'ancien régime (né en 1748, capitaine en 1779) avait poétisé dans les revues à la mode avant 1789, avant de faire carrière dans les guerres de la Révolution et de l'Empire. Fixé à Dijon, il n'avait pas rompu avec son village de Varages (Var).