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L’avatar comme autoportrait. AVATAR #18 – Collage et photomontage numérique - 200X200 cm - 2015 Au quotidien nous faisons des rencontres. Si l’on est ouvert à l’Autre et à sa différence… c’est à travers nous même et avec comme a priori nos idées, que nous inventons celui que nous rencontrons. Au moment de la rencontre de deux individus, trois représentations s’entremêlent pour laisser apparaître celui que l’on a en face : soit tel qu’on se l’imagine, soit tel qu’il est réellement. Ou les deux à la fois. La première des représentations est commune aux deux entités. C’est celle que chacun cache, celle qui par sa vérité n’intéresse

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L’avatar comme autoportrait.  

AVATAR #18 – Collage et photomontage numérique - 200X200 cm - 2015

Au quotidien nous faisons des rencontres. Si l’on est ouvert

à l’Autre et à sa différence… c’est à travers nous même et avec comme a priori nos idées, que nous inventons celui que nous rencontrons. Au moment de la rencontre de deux individus, trois représentations s’entremêlent pour laisser apparaître celui que l’on a en face : soit tel qu’on se l’imagine, soit tel qu’il est réellement. Ou les deux à la fois.

La première des représentations est commune aux deux entités. C’est celle que chacun cache, celle qui par sa vérité n’intéresse

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pas nécessairement l’autre ou celle que l’on ne veut pas vraiment montrer. Puis il y a les deux autres, celles qui, séparément et respectivement, sont construites à l’attention de l’un et de l’autre… pour mieux le séduire ou mieux le repousser. Ma pratique artistique consiste à articuler ces trois représentations, elle figure non seulement la réalité de chacun par son faciès mais aussi par le fantasme que l’on a de l’autre pour ses similitudes ou ses différences… alors conséquences de ses propres origines, de sa culture, de ses ambitions, des ses émotions… rêves et autres structurations internes. Mes pièces ne demandent pas aux Autres de se construire à travers une image de la rencontre, je propose, simplement, de voir cette rencontre et il plus particulièrement alors de venir à ma rencontre. Car ce que je donne à voir c’est la possibilité d’explorer ce qui fait que je me suis personnellement construite l’image de la diversité.

Mon travail artistique s’inscrit dans une volonté d’ouvrir la notion d’autoportrait à l’idée d’avatar. Car au fond tous ces visages sont bien les miens…  

Avant tout, je photographie les visages des autres. A l’aide de différentes applications j’en travaille les textures, déjà pixellisés par l’écran avec mon téléphone portable. Je les mixte ensuite, les unes avec les autres à l’aide de logiciels informatiques. Puis je déstructure à nouveau la figure… pour ensuite l’imprimer sur divers supports, que je découpe et recolle en fragments superposés. Ceci jusqu’à ce que le faciès retrouve une de cohérence charnelle par l’ajout de motifs folkloriques. Ces deniers permettent alors au regard de se reconnaître au travers de signes d’appartenance à tels ou tels cultures. Convaincue que l’art est l’exercice du possible. L’image en transformation est alors pour moi un outil pour m’inventer moi-même dans la diversité. Comme si ces morceaux étaient des fragments de reflets de mon existence, dans lesquels je pouvais capter, dans la métamorphose, certains composants de mon identité alors agglomérer à ceux des autres.

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AVATAR #5 120X120 cm – Photomontage numérique, impression et

collage - 2015 Puis, si l’on attarde sur la façon dont le visage apparaît

dans mon travail et sur ses composants, je pense qu’il ne ressemble plus à personne en tant que « portrait », ni même à moi entant qu’autoportrait. Le visage est pour moi une forme qui synthétise un tout. Je dirais qu’il est le reste d’un portrait ou la trace singulière du mélange de mon individualité avec celles des d’autres. C’est à l’acte d’hybridation que l’on doit ce sentiment d’étrangeté, d’attirance et de répulsion simultané. Car les bouts de visage, de vie, de culture, de réalité ainsi mélangés créer un être hybride et synthétique. Tel un DJ le fait avec des sons, je me permets de mélanger le beau, le laid, les origines, les références identitaires et stylistiques qui, dans un tourbillon de formes, de couleurs et de signes graphiques,

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défigurent le physique humain jusqu’à ce que la question de l’identité propre à chacun trouve de moins en moins de critères de reconnaissance : ni sexe, ni âge, ni couleur, ni expression auxquels se raccrocher, mais simplement des références qui le détruisent réellement et le construisent virtuellement.

AVATAR #6 – 100X100 cm Photomontage numérique, impression et

collage - 2015 Après la lecture de l’article de Emmanuel Molinet

L’hybridation : un processus décisif dans le champ des arts plastiques j’insiste que le fait d’utiliser l’hybridation comme un geste artistique place mon travail dans axe de recherche lié non seulement à l’esthétique de la transformation, mais aussi à celui de la « diversité ». Emmanuel Molinet admet l’idée selon laquelle si « L’hybridation est comprise dans le cadre de l’histoire de

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l’évolution des espèces, elle peut alors être observée comme un processus continu, qui permet à une forme d'être toujours en devenir, c'est à dire de se transformer, se renouveler, et se différencier. Partant de ce point de vue, dans le domaine esthétique, elle est donc tout sauf un processus neutre, qu'il faut au contraire envisager comme engendrant des formes de perturbations, voire de ruptures, de transformations incessantes » 1. C’est à ces perpétuelles transformations que j’associe mon travail pratique comme autant d’actes successifs – parfois impulsifs- qui permettent de construire un être à partir de la destruction, de la dissolution voire de la pulvérisation des formes. De là apparaissent (parfois de façon surprenantes) des visages où les traits deviennent des entailles, des scarifications, des crevasses ou les couleurs et formes s’épluchent, se coupent, s’effilochent pour laisser se recomposer un visage qui existe dans l’instant pour ce qu’il est effectivement et structurellement. Il s’agit donc bien aussi d’un travail d’analyse, qui consiste à trouver des moyens de mettre à jour des habitudes et préjugés sur le physique de l’autre et ses origines en interrogeant des conceptions idéologiques. Ceci sans remettre en cause la nature de l’homme à travers la négation de sa culture originelle. Cet engagement serait utopique mais il a néanmoins orienté mon discours sur le fait que la pureté culturelle, le communautarisme, la tradition, le rite, le folklore, le sens de la civilisation ne peuvent être les fondamentaux d’un discours politique ou soient les seuls contenus de la cohérence d’une personnalité ou d’un peuple. Ainsi posées, ces valeurs sont aujourd’hui remisent en cause par la prolifération et la démultiplication des moyens de circulation de l’image et de l’information par le numérique. Chaque nation a la possibilité de participer plus rapidement à construction d’une culture « internationale ». Mon travail souhaite contribuer à l’extension de cette possibilité.

Maintenant, si j’analyse le mode opératoire de ma pratique artistique je l’assimilerai à celle des musiciens Exxos et Doub 6 détaillée dans le Kako Concept en 2002 en Guadeloupe. Je remarque que si ils utilisent des signes sonores c’est au même titre que j’utilise des signes visuels, ils sont des signes de reconnaissance du physique humain, mais aussi identitaire et stylistique. Ces antillais baignés depuis des décennies dans une variété de sons diffusés de partout, d’ici, d’ailleurs, de nulle part, en radios, tv, soirées, night clubs, spectacles, travaillent leur musique en y mélangeant leur héritage traditionnel caribéen. Les rythmes et sons du gwoka, biguine, zouk, quadrille, bélé, compas, calypso, soca, reggae, salsa/afro-cubaine sont mixés à des

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bruitages et sons jazz, funk, soul, pop, à la musique classique, au tango au boléro et à la variété internationale. Si pour Exxos le concept Kako « tend à revaloriser sa différence culturelle et identitaire, mais aussi générationnelle, de façon fusionnelle » 2. pour moi il s’agit d’un mode d’action sur l’image qui tend produire un infini de solution à la déconstruction du physique humain et à sa reconstruction en tant forme esthétique matérielle et surtout irréelle. Tout comme Exxos et Doub 6 il s’agit d’un métissage de formes qui troublent la perception usuelle de la vue et du son. A l’image d’une écriture identitaire multiculturelle cette forme de métissage est la somme de tout ce qui nous ressemble, de tout ce qui fait que nous sommes des individus à la fois identiques et différents, uniques et multiples. L’hybridation donne à voir un tout peut-être « singulier », mais un tout dont les parties appartiennent à un imaginaire collectif et dans lequel chacun à le choix se reconnaître ou non. Aujourd’hui j’ai fais le choix de détruire ma propre image pour la reconnaître dans un tout afin de créer l’image virtuelle d’un Moi qui n’est pas réellement le mien. A l’instar de l’avatar que l’on invente pour se représenter sur les réseaux sociaux, je m’incarne dans de nouveaux physiques. L’avatar est une forme d’autoportrait qui permet à tout un chacun de devenir ce qu’il n’est pas réellement. Souvent manipuler pour imposer une ou plusieurs identités charismatiques pour un même individu ; le faible devient puissant, le timide devient audacieux, l’homme se change en femme, le gentil en méchant. Les identités se métamorphosent et répondent à l’envie de chaque utilisateur de transcender virtuellement sa personnalité. Si l’origine de l’avatar vient de la religion hindoue et signifie « descente, incarnation divine » qui serait celle du Dieu Vishnu, aujourd’hui le monde virtuel qui s’est construit autour des jeux en réseaux et de la communication en ligne, s’est approprié ce terme au titre d’une « déclinaison fantasmagorique de soi » 3. pour reprendre l’expression de Sandra et Gaspard Bébié-Valérian. C’est ainsi que la photographie numérique devient un outil essentiel dans mon travail. Je photographie des êtres réels pour créer des êtres irréels qui, sur le principe de l’avatar, s’incarnent dans des identités multiples et variables. L’hybridation numérique, dont les possibilités ouvrent le travail artistique à l’ininterrompu, me permette de créer des visages qui se racontent eux mêmes et reformule un processus d’interprétation de l’autoportrait. Les avatars que je créé me représente mais avec une identité insaisissable.

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Aussi l’acte technologique d’hybridation pourrait être moyen fabriquer des images dites « prospectives » qui auraient pour ambition de spéculer sur une nouvelle identité pour l’homme ou un nouveau canon de beauté international. Lorsque Edmond Couchot dit que le phénomène d’hybridation est "un nouvel ordre visuel, qui ne définit plus le réel, mais le simule » 4. Personnellement je ne pense pas simuler le physique d’un futur homme, car créer une image dite « numérique » n’est pas mon but. Dans mon travail les informations numériques se mêlent aux autres informations: graphiques, plastiques, stylistiques, pour raconter l’histoire d’une femme qui ne peut être identique à elle même et pour qui le pur, le simple, le clos, le distinct doivent être reconsidérés. Je montre alors des visages à la manière de cette phrase de Marguerite Duras dans La mer écrite qui dit « Que pourrait-on montrer d’autre que ce qu’on voit ? Ce qui est simplement vrai et qui échappe à l’homme. » 5.

1. http://leportique.revues.org

2. https://www.facebook.com/note.php?note_id=70431562920 3. L’avatar, une stratégie artistique. Sandra et Gaspard Bébié-Valérian. Conférence organisée par Oudeis, le 30 Janvier 2009 4. Edmond Couchot, L'art numérique, www.encyclopédia-universalis.fr/. Voir à ce sujet l'ouvrage du même auteur, l'art numérique, Paris, Ed. Flammarion, 2003. 5. Marguerite Duras et H. Bamberger La mer écrite Paris Marval 1996 P 38