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22 LA MARCHE DE L’HISTOIRE INTERVIEW / ACTU L’ART NAZI : UN « KOLOSSAL » OUTIL DE PROPAGANDE Propos recueillis par RAYMOND SÉRINI Lilian Auzas est l’auteur d’une saisissante biographie de Leni Riefenstahl, parue aux éditions Léo Scheer. Ce livre, appelé sobrement « Riefenstahl », se justifie de par le cheminement personnel de l’égérie d’Hitler qui demeure des plus symboliques. Mais son long parcours artistique très varié a été occulté par les quelques années de sa relation avec les dignitaires nazis et surtout, son Führer. L’artiste va osciller toute son existence entre ombre et lumière. Au-delà de l’exemple de Leni Riefenstahl, nous avons interrogé Lilian Auzas afin d’avoir son sentiment sur la relation ambiguë autant que complexe du régime hitlérien avec l’art et les artistes de l’époque… Leni Riefenstahl photographiée par Karl Schenker en 1923. Elle fut la cinéaste officielle du III ème Reich et participa par son talent et sa capacité innovante à créer l’esthétique hitlérienne tant désirée par Goebbels et Hitler. DR

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INTERVIEW/ACTU

L’ART NAZI : UN « KOLOSSAL » OUTIL

DE PROPAGANDE

ProposrecueillisparRAYMONDSÉRINI

Lilian Auzas est l’auteur d’une saisissante biographie de Leni Riefenstahl, parue aux éditions Léo Scheer. Ce livre, appelé sobrement « Riefenstahl », se justifie de par le cheminement personnel de l’égérie d’Hitler qui demeure des plus symboliques. Mais son long parcours artistique très varié a été occulté par les quelques années de sa relation avec les dignitaires nazis et

surtout, son Führer. L’artiste va osciller toute son existence entre ombre et lumière. Au-delà de l’exemple de Leni Riefenstahl, nous avons interrogé Lilian Auzas afin d’avoir son sentiment sur la relation ambiguë autant que complexe du régime hitlérien avec l’art et les artistes de l’époque…

Leni Riefenstahl photographiée par Karl Schenker en 1923. Elle fut la cinéaste officielle du IIIème Reich et participa par son talent et sa capacité innovante à créer l’esthétique hitlérienne tant désirée par Goebbels et Hitler.

DR

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La personnalité de Leni Riefenstahl est centrée sur une ambition ravageuse. Comment expliquez-vous qu’elle fut choisie par Hitler (elle et pas une autre personne) pour être la « cinéaste de la Nouvelle Allemagne » alors que son CV de réalisatrice est presque vide en 1932 ?Leni Riefenstahl semble avoir tout fait pour... C’est elle qui provoque une rencontre avec Hitler. Elle lui a écrit une lettre après avoir assisté à un meeting au Sportpalast de Berlin. Hitler a sans doute sauté sur l’occasion : une artiste venait d’elle-même à lui ; ce qui n’était pas courant avant 1933. Leni Riefenstahl s’était faite remarquer aussi en 1932 avec un premier film en tant que cinéaste, La Lumière bleue (Das blaue Licht). Ce dernier connaissait des succès d’estime un peu partout en Europe. Son ambition, ses charmes, son talent, sa force de caractère, tout ça sans doute a contribué à ce que l’on lui confie le tournage du premier documentaire officiel depuis la prise du pouvoir par Hitler sur le Congrès de Nuremberg en 1933. Au début, elle avait aussi le soutien de Josef Goebbels, même si, par la suite, les rapports entre l’artiste et le ministre se dégraderont. Mais Goebbels écrit sur Leni Riefenstahl dans son Journal, autour de mai ou juin 1933 je crois, qu’elle était la seule star qui les comprenait. Cela en dit long sur les rapports entre la réalisatrice et les nazis...Victoire de la Foi (Sieg der Glaubens), le pre-mier film que Riefenstahl tourne pour Hitler, est plutôt un succès. Tant sur le plan politique qu’artistique. La cinéaste sort des convenances du film d’actualité et se rapproche du film d’art. Pourtant, le film n’est pas parfait. Les défilés sont mal agencés et rarement bien synchronisés, certains dirigeants tournent la tête au mauvais

moment, etc. Des petites choses qui, mises bout à bout, ont fortement agacé la réalisatrice qui considérait donc ce film comme un raté. Elle le qualifiait même de « pellicules exposées ». On lui avait attribué un autre réalisateur pour la seconder : Arnold Raether. Celui-ci était un nazi convaincu et avait travaillé sur tous les films des Congrès précédant l’année 1933. Il était chargé plus ou moins de « contrôler » le travail de Leni Riefen-stahl. L’ambiance entre eux était on ne peut plus électrique. Il voyait d’un mauvais œil l’arrivée de cette femme ambitieuse et caractérielle parmi les proches d’Hitler. Et il avait raison puisque l’année suivante, en 1934, Leni Riefenstahl obtient carte blanche afin de réaliser Le Triomphe de la Volonté (Triumph des Willens) ; réalisation dont il sera évincé. Leni ayant fait ses preuves... Le Triomphe de la Volonté est un film beaucoup plus ambitieux puisqu’il sera présenté comme LE film du parti. Röhm et ses hommes viennent d’être assassinés lors de la fameuse « Nuit des longs couteaux », le Président von Hindenburg est mort, Hitler cumule les fonctions et les pleins pouvoirs, il peut se présenter comme le Messie des Allemands. Ce que fera parfaitement Leni Riefenstahl à travers le film... Il faut savoir quand même, qu’il y a eu un défilé de cinéastes au Ministère de la Propagande, dans le bureau de Goebbels, afin de discuter des nouvelles missions ; même Fritz Lang, pourtant à moitié Juif par sa mère, a été convié.

La trilogie La Victoire de la Foi, Le Triomphe de la Volonté et Les Dieux du Stade va être un formidable outil de propagande pour le régime hitlérien. Quelle est pour vous la valeur esthétique de ces films ?D’un point de vue purement esthétique, Rie-fenstahl réussit avec maestria le tour de force d’appliquer des techniques du film dit « à scéna-rio » sur des films documentaires. Elle donne une « architecture » (je reprends ici le terme qu’elle employait elle-même) à ses documentaires (sans forcément respecter la chronologie d’ailleurs). Elle multiplie les angles de prises de vue (plongées, contre-plongées), anime la caméra (travelling) et pour cela ne lésine pas sur les moyens ; elle va jusqu’à faire installer un monte-charge sur l’espla-nade de Nuremberg pour filmer un défilé. Elle atténuait aussi les tensions dramatiques avec des plans plus doux (vues de paysages, d’un fleuve, de la ville, etc.). Encore aujourd’hui, Riefenstahl peut être considérée comme la « mère » du docu-mentaire moderne ; nous lui devons beaucoup ; et encore aujourd’hui, d’un point de vue rythmique, la réalisatrice s’avère inégalable.

Riefenstahl et son Führer en 1934.

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INTERVIEW/ACTU

Cette femme a-t-elle été un bouc émissaire à la fin de la Guerre ?C’est en tout cas de cette façon qu’elle se voyait... La question est difficile dans le cas de Leni Riefenstahl. Bien évidemment, le milieu artistique de l’Après-Guerre n’a pas été tendre avec elle. En revanche, la cinéaste est restée obstinée et campait sur ses positions. Selon elle, elle n’avait jamais été impliquée de près ou de loin dans la politique nazie ; ses films n’étaient que des œuvres d’art à ses yeux. Cette obstination a agacé les Allemands et la nouvelle géné-ration, jusqu’à ce que son art soit « redécouvert » au début des années 90. Riefenstahl a été boycottée dans le milieu du cinéma pour deux raisons. La première étant cette opiniâtreté exacerbée dont je vous parlais. La seconde semble se porter sur son caractère... Personne ne voulait plus travailler avec elle, la chute de l’Allemagne nazie étant une bonne occasion pour l’évincer. Étant la plus grande réalisatrice du IIIe Reich, Leni

Riefenstahl se comportait aussi en diva capricieuse et n’avait pas laissé que des bons souve-nirs. Ce qui est intéressant, en revanche, c’est de voir combien de cinéastes allemands de la nou-velle génération sont passés par « l’école Riefenstahl » et ont été formés par elle avant la Seconde Guerre mondiale ; Harald Reinl notamment, le réalisateur de trois Winnetou. Mais lorsque la cinéaste se convertit à la photographie, elle devient une artiste de nouveau reconnue ; ce, dès les années 60.

Que reste t-il aujourd’hui pour vous de l’œuvre de Leni Riefenstahl ?Je ne pense pas exagérer en affirmant que Riefenstahl a para-métré notre perception et notre appréhension de l’Homme dans les média. Toutes les images publicitaires, les configurations esthétiques des critères de beau-té d’aujourd’hui ont été non pas établies, mais sublimées par Leni Riefenstahl. Il est très important de dire que la cinéaste n’a abso-lument rien inventé, mais qu’elle

a plutôt élevé l’image vers des formats que l’on n’avait jamais maîtrisés à ce point. Il n’est donc pas incongru de répéter les propos de Jean-Michel Royer qui la considérait comme une « moderne Platon et Michel-Ange du Leica. »

A leur arrivée au pouvoir en 1933, pourquoi les nazis détruisent-ils tous les symboles artistiques de la République de Weimar ?Déjà, la situation n’est pas aussi simpliste que cela. Par exemple, certaines sculptures Art nouveau annoncent esthétiquement les œuvres d’un Thorak ou d’un Breker dans les formes. La Répu-blique de Weimar n’avait nul-lement cherché à lutter contre le Pangermanisme ambiant et largement répandu en Alle-magne avant la Première Guerre mondiale. Les pangermanistes étaient encore influents dans bien des milieux, au sein de la bourgeoisie, mais aussi à tous les niveaux de l’enseignement (école, lycée et gymnasium, et université). Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a pas de rupture nette avant 1937, c’est à dire au moment où ont lieu les deux grandes expositions ; celle concernant l’Art dégénéré et l’autre concernant le Nouvel Art Allemand.En revanche, entre 1933 et 1937, le régime va en effet s’appliquer à mettre au pas les artistes dits modernes. Certains plieront, d’autres s’exileront, d’autres encore seront assassinés dans les camps ou ailleurs. Les sub-ventions sont supprimées, les expositions interdites. Pour-quoi ? Parce que bon nombre d’artistes étaient de gauche tout d’abord, et parce qu’ils prônaient une liberté d’expres-sion, de mœurs, etc. Aucun compromis n’est possible dans un totalitarisme qui veut imposer

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Septembre 1934, le Reichsführer SS Himmler en personne rend visite à Riefenstahl sur un plateau de tournage.

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sa Weltanschauung, sa Vision du monde.

Il est déroutant de constater que les goûts personnels d’Hitler vont être choisis pour détermi-ner ce que sera l’art nazi.Oui, en effet. Deux ouvrages seront considérés comme des « bibles » par les nazis voulant imposer la fameuse Vision du monde : Mein Kampf bien évidemment, mais aussi Le Mythe du XXe siècle d’Alfred Rosenberg, le théoricien nazi. On retrouve dans les proses indigestes d’Adolf Hitler et de Rosenberg toutes les consignes artistiques et politiques que doivent remplir une bonne œuvre d’art nazie. Hitler était un passionné d’art ; lui-même artiste raté, il s’était longtemps rêvé peintre ou architecte. Il admirait les artistes capables de grandes œuvres, et comme tous les grands dictateurs, jouait les mécènes en finançant sans compter ; Riefenstahl, Breker et Speer par exemple en ont pro-fité. De ce point de vue, Hitler était généreux et ne semblait avoir aucun a priori. Il aidait tous les artistes dont les œuvres lui plaisaient. Par exemple, le dessinateur Jakob Bollschweiler pourra exposer ses œuvres à la Grande Exposition du Nouvel Art Allemand de Munich en 1937 parce que Hitler avait remarqué les dessins dans la nouvelle villa de Leni Riefen-stahl. La présence des œuvres de Bollschweiler à cette expo-sition a quasiment été décidée au dernier moment par Hitler lui-même.

Le culte du Führer, l’anticom-munisme, l’Allemagne bucolique avec sa campagne et ses paysans, l’homme nouveau, l’antisémi-tisme, le mythe du combattant, l’esprit du sacrifice vont être les thèmes centraux de l’art nazi. Comment expliquez-vous que

les nazis sont arrivés en peu de temps à mettre à l’index tous les artistes n’ayant pas leurs idées (communistes, juifs, démocrates) et à faire de l’art un énorme outil de propagande ?Déjà, et bien évidemment, les libertés de parole et d’expres-sion sont totalement muselées. Dès la première moitié de l’an-née 1933, le Ministère de la Propagande crée des antennes, nommées les Reichskammer, les chambres du Reich ou chambres nationales, pour tous les médias et expressions culturelles. Il y avait donc des Chambres pour la radio, le cinéma, la peinture, etc. Toute personne, homme ou femme, voulant travailler dans l’un de ces milieux devait obligatoirement s’inscrire au bureau de la Chambre dont il dépendait. Ce n’est ni plus ni moins qu’un asservissement intellectuel. Toutes les œuvres que vous produisiez étaient par la suite contrôlées par un comité de censure spécial. Autant dire qu’il était impossible pour un artiste de passer entre tous les filtres mis en place par le sys-tème nazi. Toute œuvre produite sous le Troisième Reich sert de près ou de loin la politique du Reich. Tout le reste est taxé d’illégalité.

Ludwig Troost puis Albert Speer vont être les pivots de l’architecture mégalomane et de la tendance au colossal du régime. Que voulaient-ils démon-trer à travers de tels symboles stylistiques ?Il y a trois piliers fondateurs qui définissent l’art du IIIe Reich. Ces piliers font référence au temps. Il y a le passé comme preuve, le présent comme évi-dence et le futur comme abou-tissement. Créer sous le IIIe Reich, c’est chercher la pierre philosophale qui pourrait trans-former l’homme en un être

parfait en lui rendant sa part de divin. L’archéologie est de fait grandement développée. L’art nazi est soi-disant né pour l’éter-nité. Ainsi, tous les paramètres sont brouillés : les paysans sont représentés travaillant la terre à l’ancienne ; pas de machines sur les toiles des peintres nazis à la différence des paysans peints sous le régime stalinien en Russie. Pour ce qui concerne l’architecture, bien souvent, les grandes constructions sont élevées, en partie, par les mains des hommes. Les autoroutes aussi sont tracées à la pelle... L’homme allemand, l’Aryen, devait ainsi prendre conscience de sa force, de ses capacités, il devenait un surhomme, ca-pable de faire naître un Reich qui devait perdurer mille ans.

Affiche du film de propagande « SA mann Brand ». Le cinéma, davantage que l’art pictural ou la sculpture, est envisagé comme un moyen de propagande de « masse ».

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INTERVIEW/ACTU

Un peu comme les Égyptiens au temps des pyramides. Les architectures de Speer, et plus particulièrement ses projets pour Berlin penchaient en ce sens : la durabilité et l’éternité, la grandeur de l’homme aryen.

Les films de propagande exaltant le sacrifice des jeunes hitlériens ou des SA vont se

succéder ((les plus connus : SA Mann Brand de Franz Seitz, Hitlerjuge quex de Hans Stein-hoff, Hans Weitmar de Franz Wenzler...). Quel fut leur impact dans le pays ?Bien souvent, la Censure appo-sait la mention « bon pour l’édu-cation du peuple » à ce genre de film. Il était donc difficile pour la jeunesse allemande de ne

pas les voir puisque toujours ils étaient projetés dans les écoles ou bien des classes entières se rendaient avec leur professeur dans les salles obscures. L’impact est énorme. En « éduquant » les enfants à sa façon, le régime nazi s’assure des générations d’êtres soumis à sa cause. Il y a sur ce sujet un livre très inté-ressant d’Erika Mann, la sœur de Klaus Mann : Dix millions d’enfants nazis. Le cinéma était un moyen idéal car sous couvert du divertissement, les jeunes allemands étaient matraqués de figures de héros combat-tants et près à se sacrifier pour leur pays. On pourrait croire à une volonté de faire renaître l’esprit de chevalerie... Hélas, dès les premières heures de la guerre, l’on s’aperçoit du peu de scrupules des dirigeants nazis à envoyer au front des jeunes garçons formatés.

Une des dates clé du régime a été l’exposition sur l’Art dégé-néré en 1937. Quels furent les grands artistes mis à l’index par les nazis ?A peu près tous. Il s’agissait de déprécier les valeurs esthé-tiques de l’art moderne afin de préparer le terrain à l’autre grande exposition de 1937 à Munich : celle du Nouvel Art Allemand. Van Gogh devient un peintre du dimanche, des œuvres contemporaines sont comparées à des toiles faites par des malades mentaux dans les hôpitaux psychiatriques du Reich. L’exposition va jusqu’à faire croire qu’elle entend dé-fendre la femme puisqu’elle dénonce la représentation de ces dernières dans la peinture, les femmes étant forcément montrées comme des prostituées alors qu’elles étaient autrefois des déesses. La manipulation va donc loin... Chagall, Kandinsky, Marc, Dix, Kirchner, Beckmann,

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Statue d’Arno Breker pour les Jeux Olympiques figurant « Dionysos ». Le travail de Breker, sculpteur de renom dans l’entre-deux-guerres, exalte bien les vertus « héroïques » voulues par le nazisme en opposition avec l’art dit « dégénéré » !

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Klee, Ernst, Grosz ou Nolde par exemple, mais aussi des femmes comme Paula Modersohn-Bec-ker ou Katharina Moll Heise, et bien d’autres encore furent jugés dégénérés en cela que leur art empoisonnait la culture allemande. Mais il y a des cas comme celui de Nolde qui avait pourtant tenté de faire quelques concessions. Allant jusqu’à dénoncer des collègues juifs dans des lettres. Nolde s’inscrit au NSDAP et, grâce à Goebbels, arrive à exposer à Berlin. Goebbels était un grand amateur d’art expressionniste et possédait de nombreuses toiles de ce mouvement, tout comme Göring adorait Van Gogh. Hélas, Nolde n’échappera pas à sa mise au répertoire des artistes dégénérés. Rosenberg et surtout le peintre nazi Adolf Ziegler, alors Directeur de la Chambre des Arts, s’étant montrés intransigeants sur son cas. Le peintre norvégien Edvard Munch, admiré aussi par Goebbels, et plutôt pro-nazi, n’aura lui aussi aucun traitement de faveur.

L’art nazi a été globalement un immense outil de propagande. Parmi les peintres (Max Beckmann, Franz Echhhorst, Fritz Erler, Hans Happ, Richard Heymann, Georg Kampf, Hans Liska, Ferdinand Staeger, Hans Weidemann, Adolf Wiessel, Adolf Ziegler), les sculpteurs (Rudolf Agricola, Arno Breker, Fritz Koelle, Josef Thorak) les poètes (Beunulberg, Will Vesper), les écrivains (Hans Carossa, Stegan George, Gehard Hauptmann, Agnès Megel) ralliés au nazisme, y en a t-il eu

certains qui purent continuer leur parcours créatif et furent reconnus pour leur talent après-guerre ?Oui, il y en a quelques-uns. Mais attention, la réception et la perception de leurs œuvres n’ont jamais été évidentes. Si leurs valeurs esthétiques sont indéniables, il ne faut pas oublier l’histoire derrière chacune, et surtout qui les a faites. Arno Breker a continué a recevoir des commandes, il a notamment fait un buste de Salvador Dali, et des œuvres publiques. Riefenstahl fera de magnifiques albums et de grandes expositions à travers le monde avec ses photographies sur les Noubas du Soudan et les fonds océaniques. Le Norvégien Knut Hamsun (il est allé jusqu’à offrir sa médaille du Prix Nobel de Littérature à Josef Goebbels), le Français Louis-Ferdinand Céline et l’Allemand Gottfried Benn restent de grands écrivains bien que, à travers leurs proses et leurs comportements, ils se soient fourvoyés dans le nazisme. Stefan George que vous évo-quiez est mort en 1933 et fut récupéré par les nazis ; sa littérature évoquait des thèmes dont les nazis étaient friands comme le don du sang à la nation ou encore l’Homme nouveau. Mais il s’est toujours tenu loin du parti nazi. Il ira jusqu’à se faire enterrer en Italie pour ne pas avoir droit à des funérailles nationales. Toutefois, Gottfried Benn gardera ses distances avec les nazis après la Nuit des Longs-Couteaux…

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Paul Ludwig Troost est un architecte dont la vision urbanistique passionnait Hitler. Ici la « Haus der Kunst » (maison de l’art), bâtie à Munich de 1933 à 1937 selon les plans de Troost.