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LA VOCATION DE L’ARBRE D’OR

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Contes et légendesde Bruz et de

Chartres-de-Bretagne

recueillis par Adolphe Orainet Paul Sébillot

© Arbre d’Or, mars 2002http://www.arbredor.com

Tous droits réservés pour tous pays.

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« Mon Dieu, mon Dieu,quand j’irons-ti dans le paradis ? »

Une vieille bigote de la paroisse deBruz s’en allait tous les soirs àl’église, se prosternant la face contreterre, et terminait chaque fois saprière en répétant à haute voix :

« Mon Dieu, Mon Dieu, quandj’irons-ti dans le paradis ? »

Le bedeau chargé de fermer lesportes du Saint-Lieu fut obligé àplusieurs reprises d’inviter la fille às’en aller; mais elle y mettait tant demauvaise volonté que le pauvrehomme trouvait souvent sa soupefroide en rentrant au logis.

Pour se venger, il résolut de jouerun tour à la vieille, et pour cela il seconcerta avec le sonneur de cloches.

Un soir que la bonne femme ré-pétait encore : « Mon Dieu, MonDieu, quand j’irons-ti dans le para-dis ? » les hommes qui étaientmontés dans le clocher répondirent :« Demain, ma fille ».

La vieille se leva, rayonnante dejoie, et courut bien vite dans le vil-lage annoncer la bonne nouvelle àses voisines.

– Venez demain matin chez moi,leur dit-elle, pour vous partager toutmon mobilier.

Le lendemain soir, elle se rendit à

l’église où le bedeau et les sonneursavaient attaché à l’extrémité d’unecorde traversant la nef, un callebas-son (sorte de grand panier profond)dans lequel on l’invita à monter.

– Faut-il garder mes sabots ?cria-t-elle.

– Oui, gardez tout, répondit lebon Dieu.

Elle s’installa commodémentdans son panier et cria : « Tirez àvous ! »

L’ascension s’opéra aussitôt;mais une fois que la vieille fut arri-vée à la nef, ils lâchèrent la corde etla fille descendit plus vite qu’ellen’était montée.

Furieuse, elle sortit de son panieren disant : « Je ne l’aurais jamaiscru, mains il y a des mauvaises gensdans le ciel comme sur la terre. » Etelle s’en retourna dans son villageréclamer tout ce qu’elle avait donnéle matin à ses voisines. Celles-ci luirépondirent : « Ma fille, fallait resterdans le paradis; tout ce que tu nousas donné est ben à nous. »

Conté par Fine Daniel, fermière à Bruz.

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Saint Pierre et le meunier de Chancor

Les meuniers n’ont point, à l’heurequ’il est, une très bonne réputation ;et au temps jadis, ils passaient, à tortou à raison, pour être tant soit peufripons.

Aussi quand le père Limel, dumoulin de Chancor, fut mort et qu’ilalla à la porte du Paradis, saintPierre lui dit : « Tu t’es trompé dechemin, mon bonhomme, les meu-niers n’entrent point dans le ciel. »

– Vous me laisserez toujours ben(bien) regarder ce qui s’y passe ?

– A quoi bon ? répondit le por-tier, ça te fera regretter davantaged’avoir trompé tes pratiques pendantta vie.

– N’importe, j’aurai toujours vula demeure des bienheureux.

Saint Pierre en voyantl’entêtement du meunier, entrouvritla porte, et le père Limel y mussa(glissa) la tête.

Le fit-il exprès ou bien le hasardfut-il son complice ? Ce qu’il y a decertain, c’est que son bonnet tombadans le ciel.

– Mon doux Jésus ! s’écria-t-il,mon bounet qu’a chai dans le para-dis. Oh ! un bounet tout neuf, cou-vert de fine fleur de farine de fro-ment. Laissez-ma (laissez moi) allerle chercher, je vous en prie.

Le pauvre homme avait l’air sidésolé de la perte de son couvre-chef, que le saint en eut pitié.

– Va le chercher et dépêche-toi,lui dit-il.

Limel ne se le fit point dire deuxfois, il s’élança dans le paradis, et,d’un coup de pied, envoya son bon-net le plus loin qu’il put, courutaprès et alla s’asseoir dessus.

Saint Pierre eut beau l’appeler, ilne répondit pas. Les saints eux-mêmes, dont il gênait le passage, luidirent de se ranger de leur place.

– Je n’occupe la place de per-sonne, puisque je suis seulementassis sur mon bonnet.

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Tout à coup, la porte du paradiss’ouvrit, et l’on entendit crier :

– A quinze francs les trois mou-lins, personne ne dit mot ? à quinzefrancs les trois moulins, une fois,deux fois ? quinze francs ?

– Arrêtez, arrêtez, cria le meu-nier, c’est tout de même trop bonmarché, je mets une surenchère, et ilsortit du paradis.

Saint Pierre, qui venait de luijouer un tour de sa façon, ferma aus-sitôt la porte à double tour et dit aubonhomme :

– Je t’avais bien dit que les meu-niers n’avaient point de place dansle ciel.

Conté par Fine Daniel, cultivatrice au Houx en Bruz.

L’enfant vendu au diable

On raconte, à Bruz, qu’un batelierdu village de Pierrefitte, dont lafemme venait d’accoucher d’unefille, passa un pacte avec le diable. Ilpromit à Satan de lui livrer son en-fant lorsqu’elle aurait sept ans, si, àcette époque, sa fortune était faite.

Le batelier et sa femme, quiavaient toujours été misérables,étonnèrent leurs voisins par le chan-gement de vie qui s’opéra dans leurménage du jour au lendemain. Ilsvivaient maintenant comme desrentiers, avaient pris une domestiquepour les servir, et achetaient des ter-res.

Les bonnes femmes du villageremarquèrent, par exemple, unechose étrange chez la petite fille.Chaque fois que sa mère la laissaitseule à la maison, elle la trouvait, enrentrant, blottie sous son berceau.Plus tard, quand quelqu’un entrait

chez ses parents, elle allait bien vitese cacher au même endroit.

L’époque fatale arriva. La ser-vante du batelier à laquelle on avaitconfié l’enfant s’absenta un instantseulement, et, à son retour, elletrouva la petite fille étranglée. Per-sonne n’avait été vu dans la maisonoù rien, d’ailleurs, n’était dérangé.

Le père, en apprenant cet événe-ment, se souvint du marché qu’ilavait conclu avec le diable, et eut untel chagrin de la perte de sa fille,qu’il en mourut.

A partir de ce jour, personne nevoulut habiter la maison du batelier,qui prit le nom de maison du diable.Elle ne tarda pas à tomber en ruineset, aujourd’hui, elle a disparu.

Conté par le père Patard, âgé de 65 ans,

fermier à la Croix-Madame, commune de Bruz.

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Le chien noir

La mère Valentin, fermière auxNoyers, dans la communed’Orgères, me fit un jour le récitsuivant :

Une femme étant en mald’enfant, au village de la Haie-de-Chartres, on envoya, la nuit, untailleur appelé Favrais, chercher unesage-femme qui habitait la Grena-dière, dans la paroisse de Bruz.

En marchant, Favrais s’aperçutqu’un tout petit chien noir le suivait.Bientôt l’animal le devança, mar-chant devant lui au point del’empêcher d’avancer, tournant toutautour de sa personne, faisant millefarces.

Aux échaliers des chemins, lechien chercha plusieurs fois à jeterle tailleur par terre, puis, soudain,apparut â l’homme d’une grosseurdémesurée.

L’infortuné couturier fut prisd’une peur affreuse et se mit à courircomme un insensé.

Quand il arriva chez la mèreDrouin, – c’était le nom de la sage-femme, – il n’avait plus figure hu-maine.

Il raconta ce qui lui était arrivé etdit â la vieille : « Venez voir, dans lacour, le chien noir qui me suit de-puis chez moi. »

La sage-femme sortit de chezelle, mais ne vit rien. Elle supposaque le bonhomme avait bu un coupet fait un mauvais rêve.

– Partons, dit-elle, puisqu’onm’attend.

Elle n’eut pas fait un quart delieue qu’elle partagea la frayeur dutailleur : le temps était calme, lesétoiles brillaient au ciel, pas un souf-fle d’air ne venait effleurer leur vi-sage, et cependant les buissons fris-sonnaient, les arbres gémissaient, etun bruit étrange semblait les pour-suivre.

Lorsqu’ils arrivèrent â la Haie-de-Chartres une voix leur dit : « Nevous pressez pas vous avez letemps ». Et cependant personnen’était près d’eux.

La sage-femme entra dans lamaison, où la malade était au plusmal ; si elle avait seulement tardé dedix minutes, elle eut trouvé morts lamère et l’enfant. La délivrance eutlieu fort heureusement et un garçonvit le jour.

Au même instant, par la fenêtredonnant sur le courtil, et laissée ou-verte, on entendit les branches d’uncerisier craquer, se briser et tomberpar terre.

C’était, à n’en pas douter, le dia-

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ble caché dans l’arbre, qui manifes-tait â sa façon son mécontentement

de n’avoir pu empêcher la mort dedeux créatures humaines.

Le cheval géant

Le père Boursin, charretier, étaitautrefois au service d’un nomméHervé qui habitait le village de laRivière-Bizé, dans la commune deBruz.

Ce serviteur, un matin de novem-bre, alla chercher pour les conduireau travail, les trois chevaux de sonmaître qui avaient passé la nuit dansune pâture. Arrivé à 1’échalier duchamp, Boursin vit les trois chevauxqui l’attendaient. Il les attacha lesuns aux autres par la queue, etmonta sur le premier qui avaitl’habitude de le porter. « Je necroyais pas ce cheval si grand »,pensa-t-il en lui-même, car il luiavait fallu grimper sur le haut de labarrière pour pouvoir enfourcher labête.

La pluie était tombée les joursprécédents, et dans le chemin creuxqu’ils suivaient pour rentrer au vil-lage, les chevaux avaient de l’eaujusqu’au poitrail. Tout à coup, aubeau milieu de la mare, le chevalque montait Boursin lui fondit entreles jambes, et le charretier tombadans l’eau.

Ce fut avec beaucoup de peineque le bonhomme s’arracha du

bourbier. Qu’on juge de sa surpriseet de sa frayeur, lorsqu’il vit un petitnain assis sur le revers du talus, quilui dit en ricanant :

« Ah ! ah ! t’es ben là,« Dépatouille-ta ! »

Boursin chercha ses chevaux etn’en trouva plus que deux qu’ilamena à son maître en lui contantson aventure.

Ce dernier alarmé de la perte de

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son cheval, dit à son domestique :– N’as-tu pas rêvé ? Retournons

ensemble dans la pâture voir cequ’est devenue la bête.

Ils s’y rendirent et aperçurent lecheval qui paissait tranquillementdans un coin du champ.

Hervé plaisanta son charretier qui

lui jura ses grands dieux, qu’il avaitmonté un cheval géant qui l’avaitjeté dans la mare.

Conté par Fine Daniel, fermièreau village du Houx,

dans la commune de Bruz.

Petit Jour

On apprit un jour, en Bretagne, quele pape venait de mourir, et qu’onfaisait à sçavoir, dans le monde en-tier, à tous ceux qui se croyaient as-sez savants, etassez pieux,pour briguerl’honneur dele remplacer,qu’ils de-vaient se ren-dre, sans re-tard, à Rome,pour y subirles épreuvesnécessaires àcet effet.

Deux jeu-nes gens, lesdeux frères,répondant àcette invita-tion, se mi-rent en route, et ne tardèrent pas àrencontrer un pauvre garçon, sorte

d’illuminé, qui, son chapelet à lamain, s’en allait, lui aussi, vers lacapitale de la chrétienté.

Lui ayant demandé son nom illeur dit s’appeler Petit Jour.

Il leur apprit aussi qu’il com-prenait le langage de tous lesanimaux, ce qui les fit beaucouprire ; mais ils ne tardèrent pas àavoir la preuve de ce que PetitJour avançait.

Ils eurent à traverser un étangdans lequel des grenouilles coas-saient.

– Que disent ces bêtes ? de-mandèrent les deux voyageurs àleur compagnon.

– Elles chantent la mort d’unejeune fille qui s’est noyée il y aun mois.

Informations prises, le fait futreconnu exact, ce qui remplitd’étonnement les deux frères.

Une nuit qu’ils couchaient dansune ferme, ils furent réveillés par un

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chien qui hurlait.– Que dit donc encore cet animal

qui nous réveille si mal à propos ?– Il prévient que des voleurs

s’approchent de la ferme pour la dé-valiser.

Tout le monde fut debout dans uninstant et put s’armer promptement,chasser les brigands qui venaientavec l’intention de mettrel’habitation au pillage

Enfin les voyageurs continuèrentleur route, et en arrivant près deRome, ne furent pas peu surpris des’entendre saluer par le chant mélo-dieux d’une bande d’oiseaux auxcouleurs éclatantes.

– Qu’ont donc ces oiseaux à noussaluer ainsi ?

– C’est, répondit Petit Jour,qu’ils reconnaissent dans l’un de

nous celui qui doit être élu pape.– Lequel de nous désignent-ils ?– Je ne sais pas encore, répondit

le savant, qui s’était cependant aper-çu que c’était à lui que s’adressaientles louanges des oiseaux du ciel.

Lorsqu’ils eurent pénétré dans labasilique de Saint-Pierre de Rome,et répondu aux questions qui leurfurent posées, la couronne d’or sus-pendue à la nef, qui devait orner lefront du représentant de Dieu sur laterre, vint se poser d’elle-même surla tête de Petit Jour, qui n’était autreque saint Pabu, premier évêque deSaint-Pol-de-Léon.

Conté par Pierre Patard,cultivateur à la Croix-Madame,

commune de Bruz.

Le tabouret du paradis

On raconte qu’un habitant de Gui-chen, étant mort, s’en alla à la portedu Paradis demander à saint Pierrede le laisser entrer dans le Ciel pourparler au bon Dieu.

– Notre Seigneur n’est pas là, ence moment, répondit le grand por-tier. Attends un peu.

Le solliciteur, affaibli par la ma-ladie qui l’avait fait quitter la terre,s’accroupit sur un tapis et, tout àcoup, aperçut à ses pieds une clef en

or, tombée sans doute du trousseaude Saint Pierre.

Il la prit, et, ayant regardé toutautour de lui, il vit une petite porte,avec une serrure dans laquelle laclef entrait parfaitement. Ayant ou-vert cette porte, il se trouva dans lasalle du trône, où le bon Dieu tientses audiences, entouré des anges,qui ont chacun un tabouret d’argent.

La pièce étant déserte, le Guiche-nas (habitant de Guichen) eut l’idée

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de prendre, pour un instant, la placedu Père Éternel.

Il ne fut pas plutôt assis sur letrône qu’il domina notre planète, etdécouvrit tout ce qui s’y passe. Ilvit, notamment, des lavandières entrain de faire leur lessive. Lors-qu’elles eurent étendu leur linge, surles ajoncs d’un coteau, elles s’enfurent prendre leur repas.

Un fin voleur, qui guettait cemoment, sortit de dessous un buis-son, s’empara du linge, l’attachaavec des branches de genêts et sesauva.

Le bon Dieu intérimaire, scanda-lisé d’un pareil larcin, saisit l’un destabourets d’argent, et le lança dansla direction du fripon.

Entendant du bruit, le bonhommede Guichen descendit bien vite dutrône, et retourna sur son tapis, lais-sant ainsi le bon Dieu et ses angesreprendre leur place.

Le Père Éternel s’aperçut aussitôt

qu’un tabouret manquait ; il deman-da à saint Pierre ce qu’il en avaitfait.

– Absolument rien, répondit leportier. Aurait-il était dérobé, ajou-ta-t-il, par l’homme qui est à la porteet qui désire vous parler ?

– Fais-le entrer, dit le bon Dieu.– Est-ce toi qui as pris le tabouret

qui se trouvait à ma gauche ?– Oui, mon Seigneur, je l’ai bien

pris mais je ne l’ai pas gardé.– Qu’en as-tu fait ?– Je l’ai lancé à la tête d’un vo-

leur qui s’emparait du linge des la-vandières.

Le Père Éternel éclata de rire etdit :

« Peste ! comme tu y vas ; s’il mefallait assommer tous les voleurs quisont sur la terre, pour le coup ce se-rait la fin monde. »

Conté par le père Gruel, jardinier à Bruz

Le meneur de loups

A l’époque où il y avait quantité deloups dans nos bois, certains sor-ciers s’en rendaient maîtres, et sefaisaient suivre, la nuit, par ces ani-maux qui étaient d’un dévouementincroyable pour les hommes quiavaient su les amadouer

En voici un exemple, qui vous

sera certifié par les vieilles gens dela paroisse de Bruz qui, tous, l’ontentendu raconter dans leur enfance.

Un meneur de loups jura de sevenger d’un fermier de Montival,qui lui avait attiré des désagréments.Ce dernier avait pour habitude demettre, la nuit, ses chevaux à paître

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dans la prairie de la Planche, qui dé-pendait de sa ferme. Le sorcier, sa-chant cela, dit un jour, dans un caba-ret, que la nuit suivante il mèneraitses loups se promener de ce côté. Lefermier en fut informé et, le soir,armé d’un fusil, il alla se cacherdans les branches d’un ormeau.

Le meneur de loups arriva, à sontour, avec sa meute. Il se mit à cali-fourchon sur l’échalier du pré et dità ses animaux :

– Allez, mes amis, et surtoutchoisissez le plus gras.

A peine eut-il achevé ces motsqu’il reçut un coup de feu quil’étendit par terre. Fut-il tué ? Onn’a jamais pu le savoir.

Au bruit de la détonation, lesloups, au lieu de se sauver, revinrentprès de leur maître et l’emportèrentaussitôt chez lui, au village duHoux, dans la commune de Bruz. Ilsle montèrent dans le grenier où per-sonne ne put pénétrer.

Le cadavre de cet homme n’a ja-mais été retrouvé.

On a toujours supposé que, pourdevenir sorcier, il avait dû vendreson âme au diable, et que Satan étaitvenu le prendre et l’emporter.

Conté par M. de Ia Durantais, maire de Bruz, qui tenait ce conte de

sa mère, décédée.

La tête du mort

Il y a bien près de cent ans, unejeune femme vint s’offrir commedomestique dans une auberge dePont-Péan, qui servait de pension àdes employés de la Mine. Elle sem-blait honnête et fut acceptée.

Cette femme, étrangère au pays,était fort belle, mais d’une beautéétrange : ses yeux noirs, durs etbrillants, semblaient lire jusqu’aufond de l’âme de ceux qu’elle regar-dait. Jamais elle ne riait ni ne plai-santait avec qui que ce soit, et sem-blait même sous l’empire de souve-nirs pénibles.

Elle produisit une vive impres-sion sur l’esprit d’un comptable dela Mine, qui en devint éperdumentamoureux.

Il demanda sa main qu’elle refusad’abord bien que ce fut un partiavantageux pour une servante.

Le jeune homme ne se découra-gea pas il redoubla d’attentions pourelle, et s’y prit de telle façon qu’ilfinit par vaincre sa résistance et ladécida à l’épouser.

Le jour de la noce ayant été fixé,le fiancé alla, selon l’usage, inviterses parents et amis à son mariage.

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L’idée d’épouser cette belle fille,qu’il aimait de tout son cœur, lerendait fou de joie et, dans chaquemaison où il entra, il accepta deboire et de trinquer à la santé de lanouvelle mariée ; aussi, en s’en re-venant, était-il d’une gaîté extraor-dinaire.

En passant par un chemin creux, ilmit le pied sur un gros caillou rondqui le fit trébucher.

– Toi aussi, dit-il au caillou, enéclatant de rire, je t’invite à manoce.

A son grand étonnement, il en-tendit le caillou lui répondre :

– J’accepte ton invitation et tupeux être certain que j’assisterai àton mariage.

Le jeune homme cessa de rire, sebaissa et au lieu d’un caillou vit unetête de mort.

Ses cheveux se dressèrent sur satête, une peur effroyable s’emparade lui, et il se sauva à toutes jambesjusqu’à Pont-Péan.

Quand il arriva dans le village ilétait tard, et tout le monde dormait.Il rentra seul dans sa chambre oùson sommeil fut agité jusqu’au len-demain matin ; mais lorsqu’il vit lejour pénétrer chez lui, il crut avoirfait un mauvais rêve et attribua àl’ivresse l’histoire de la tête de mortqu’il finit par oublier complètement.

La messe de mariage eut lieu àBruz. Après la cérémonie, on allamanger la beurrée dans les diverscabarets du bourg et l’on ne revint àPont-Péan que pour le repas.

C’était en octobre ; la nuit vientde bonne heure et, lorsque les invi-tés entrèrent dans la grange où lefestin devait avoir lieu, il faisaitquasiment nuit. On alluma quelquesquinquets fumeux apposés aux pou-tres.

Les servantes apportèrent lessoupières pleines de soupe.

Lorsqu’on enleva le couvercle decelle qui avait été placée devant lamariée, il en sortit une tête de mortqui se mit à sauter sur la table autourdes assiettes et des plats.

Les femmes jetèrent des cris per-çants et se sauvèrent. La mariée eutune crise de nerfs, perdit connais-sance, et l’on fut obligé del’emporter chez elle. Aussitôt qu’onl’eut enlevée, la tête de mort dispa-

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rut et les hommes, se rassurant lesuns les autres, se remirent à table oùils furent rejoints par les bonnesfemmes alléchées par l’odeur desmets qui parvenait jusqu’à elles.

Bientôt les têtes s’échauffèrent,car les mineurs boivent ferme, et leschants commencèrent.

Lorsque, vers dix heures, le mariéput, sans contrarier ses amis, allerrejoindre sa femme, il rentra chezlui.

La pièce était dans l’obscurité laplus complète. Il avança doucementvers le lit, et appela sa bien-aiméepar les noms les plus tendres. Per-sonne ne lui répondit. Il approchadavantage et mit la main surl’oreiller où il supposait que devaitreposer une tête fraîche et char-mante.

Il recula d’horreur : ses doigtss’étaient posés sur le crâne froid etglacé de la tête de mort.

– Ne crains rien, lui dit celle-ci :

il vaut mieux, pour toi, que tu metrouves ici que celle que tu cherches,qui est possédée du démon. Elle estpartie au loin sans même songer auchagrin qu’elle allait te causer. Non,l’infâme n’est plus là. Elle a fui pourm’éviter, mais je saurai la rejoindre.

Je l’ai aimée plus que toi peut-être, cette misérable sans cœur etsans entrailles qui, après s’être don-née à moi, a voulu recouvrer sa li-berté. Elle n’a pas hésité, pendantque je dormais à côté d’elle, à metrancher la tête à coups de hache.

Par d’habiles mensonges, elle apu faire croire à son innocence etéviter le châtiment de son crime ;mais la tête qu’elle a coupée lapoursuivra jusqu’à sa dernièreheure.

Conté par Marie Patard,de la Croix Madame, commune

de Bruz, âgée de 24 ans.

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Les sorciers de Bruz

Le sabbat des sorciers n’existe plusdans nos campagnes ; mais les récitsde ces rendez-vous nocturnes n’ontpoint été oubliés.

Tous les contes sur ce sujets seressemblent aussi nous contente-rons-nous de citer les suivants.

I

Au temps jadis, les sorciers desenvirons de Rennes avaient 1’habi-tude de se réunir, pour danser, aucarrefour de la Croix-Madame, dansla commune de Bruz. Pour s’y ren-dre, de n’importe quel endroit où ils

se trouvaient, il leur fallait s’enduirele corps de la graisse d’un enfantnouveau-né, immolé à cet effet, etprononcer la formule suivante :

Par-dessus has,Par-dessus bois,Olmont (le long) de la cheminéeJ’m’en vas !

Un soir, les sorciers rencontrèrentsur leur chemin une vieille charrettehors de service, et dans le but de rireun brin, ils eurent l’idée de la grais-ser de leur onguent et de dire:

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A travers hasA travers boisJ’m’en vas !

Aussitôt le véhicule les suivit ;mais au lieu d’aller par-dessus leshaies et les buissons, il brisa tout surson passage. Malgré les obstaclesqu’il rencontra, il arriva au carrefourde la Croix-Madame en mêmetemps que les sorciers et se mêla àleur danse.

A chaque instant l’on entendaitcrier :

– Gare au timonet ! gare au ti-monet !

Ceux, qui ne se rangeaient pasassez vite, étaient frappés et renver-sés par le timon de la charrette.

*

Une autre fois une sorcière, serendant au sabbat, fut épiée par saservante, qui voulut savoir ce qui luiarriverait en l’imitant. Elle se frottale corps comme elle avait vu faire,et dit :

A travès has,A travès bois,A travès la cheminéeJ’ m’en vas !

La malheureuse partit en effet ;mais elle arriva dans un état lamen-table, les mains et le visage déchi-rés, le corps meurtri et les vêtementsen lambeaux.

Les sorciers, surpris de la voirdans un pareil état, lui demandèrentce qu’elle avait fait. Elle leur répétales paroles qu’elle avait prononcées.Tous se mirent à rire en lui expli-quant ce qu’elIe aurait dû dire.Néanmoins ils l’admirent à danseravec eux

II

Un petit garçon, passant à laCroix-Madame, s’arrêta pour voirles sorciers danser, et surtout pourécouter leur musique.

– Vous avez ben du jeu, leur dit-il, je voudrais faire comme vous, etsurtout avoir votre musique.

– Tiens, lui répondit l’un d’eux,en voici une qui pourra te divertir etmême te servir un jour.

Il lui donna son propre violon.L’enfant alla rejoindre ses cama-

rades, et, du plus loin qu’il les aper-çut, il leur cria :

– Arrivez, les gars, que je vousjoue un air de violon.

Il n’eut pas plus tôt promenél’archet sur les cordes de son ins-trument que tous les moutards semirent à danser, ce qui fit beaucouprire le musicien.

Continuant son chemin, il aperçutun nid de pies dans le haut d’un ar-bre et voulut le dénicher.

Malgré tous ses efforts il n’ypouvait parvenir, lorsque le curé dela paroisse vint à passer par là.

– Que fais.tu là mon petit gas ?

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lui demanda-t-il.– Je voudrais dénicher ce nid de

pies, et je vois que j’en suis incapa-ble.

– Ah ! mes pauvres enfants, vousne savez plus grimper aux arbres àprésent. De mon temps nous étionsbien plus agiles Tiens, descends, jevais te le dénicher.

Le prêtre grimpa dans l’arbre etallait arriver à s’emparer du nid,lorsque l’enfant eut l’idée de jouerdu violon.

Aussitôt, le curé dégringola plusvite qu’il n’aurait voulu, et tombadans une broussée d’épines et deronces, au milieu desquelles il se mità se trémousser, déchirant sa sou-tane et se mettant les mains et la fi-gure en sang.

– Petit malheureux, lui cria-t-il,c’est un tour que tu m’as joué, maistu me le paieras.

III

A quelque temps de là, la mèrede l’enfant alla à confesse et le curélui raconta son aventure.

De retour chez elle, la paysannegronda son fils et voulut le corrigerà coups de bâton : mais lui, prenantson violon, fit sauter sa mère commeil avait fait sauter M. le curé.

Furieuse de voir que son enfantétait sorcier, elle alla quérir les gen-darmes pour l’en débarrasser. Lors-que ceux-ci arrivèrent, il réussit à les

faire danser comme les autres. Ilsvoulurent lui prendre son violonsans pouvoir y parvenir.

– Marchez devant moi, dit-il auxgendarmes, je vous suivrai jusqu’àRennes.

En effet, il les accompagna jus-qu’à la porte de la prison où les ha-bitants du quartier sortirent dans larue pour voir ce garçon que les gen-darmes conduisaient au cachot.

Le prisonnier accorda son ins-trument et mit tout le monde endanse. Malheureusement la plaisan-terie dura trop longtemps.

La foule se fâcha, se rua sur luiet, finalement, le poussa dans la pri-son.

Il ne tarda pas à être jugé, et futcondamné à être brûlé vif commesorcier.

Amené sur la place des Lices, àRennes, où le bûcher avait été dres-sé, on lui dit de formuler un dernierdésir et qu’on lui accorderait tout cequ’il demanderait.

– Qu’on me rende, pour un ins-tant mon violon, répondit-il.

On alla le lui chercher, et, aussi-tôt qu’il l’eut entre les mains, il semit à jouer, et tous les assistants, ycompris le bourreau et ses aides, semirent à danser.

Profitant du trouble et del’hilarité générale, il se sauva sansqu’on pût l’arrêter, et jamais plus onne le revit dans le pays.

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IV

Une femme, qui courait le garou,s’en allait la nuit danser avec lessorciers. En partant elle chantait :

En passant par-dessus has etbuissons,

J’ m’en vas rejoindre mes com-pagnons.

Une nuit que son mari étaitéveillé, il 1’aperçut qui prenait, dansune petite niche cachée dans le fonddu lit, un pot renfermant une pom-made avec laquelle elle se frotta lecorps.

Aussitôt l’opération terminée,elle disparut comme par enchante-ment, sa voix seulement se fit en-tendre dans les airs :

En passant par-dessus has etbuissons,

J’ m’ en vas rejoindre mes com-pagnons.

Intrigué, il se leva et examina lapommade. Je ne veux pas aller re-joindre ma femme, pensa-t-il, maisje puis employer cette pommade àgraisser ma charrette qui en a grandbesoin.

Aussitôt que le véhicule fut

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graissé, il s’ébranla et bientôt fran-chit les haies et les buissons. Lepaysan courut après, et arrivé dansun carrefour il vit une bande de sor-ciers, hommes et femmes, complè-tement nus, qui dansaient autour desa charrette.

Le bonhomme, indigné d’un telspectacle, rentra chez lui et se tintsur le seuil de sa porte pour voir re-venir sa femme.

Il 1’attendit longtemps. Soudain,il vit un chat, qu’il ne connaissaitpas, et qui venait de son côté. Pre-nant un fouet, il le frappa de toutesses forces, et l’atteignit au nez d’oùle sang coula.

Malgré cela, le chat se glissa dansla maison et, lorsque le paysan seretourna, il vit sa femme qui remet-tait, dans le fond du lit, un pot ren-

fermant une pommade qui, sansdoute, lui avait servi pour se méta-morphoser en chat.

Son mari lui demanda d’où ellevenait. Elle ne répondit pas ; mais ilvit qu’elle avait une large érafluresous le nez. Ce doit être mon coupde fouet, lui dit-il.

Elle baissa la tête mais n’articulapas un mot.

A partir de ce jour, la malheu-reuse cessa d’aller, la nuit, courir legarou, ce qui prouve, une fois deplus ajouta la bonne femme de Bruzqui nous racontait ce conte, qu’ilsuffit de faire couler le sang d’unepersonne pour la guérir de courir lanuit.

Conté par Fine Daniel,fermière au Houx,commune de Bruz.

La dame du château aux quatre piliers d’or

I

Il y avait une fois un pauvre hommequi avait autant d’enfants qu’il y ade trous dans un crible, et sa femme,encore enceinte, lui en promettait,sans doute, beaucoup d’autres.

Comme il était dans une misèreextrême, il se demandait s’il trouve-rait un parrain et une marraine pournommer son prochain enfant et

quelqu’un pour sonner les cloches lejour du baptême.

Le malheureux se lamentait, lors-qu’il rencontra une belle dame quilui demanda la cause de son chagrin.

– Hélas ! dit-il, j’ai eu tantd’enfants que je ne sais plus à quim’adresser pour trouver un parrainet une marraine pour nommer lenouvel être que ma femme doitbientôt mettre au monde, et quel-

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qu’un qui consente à sonner les clo-ches à son baptême.

– Rassurez-vous, brave homme,répondit-elle, je serai la marraine decet enfant auquel il ne manquerarien. Lorsqu’il sera né vous deman-derez la demeure de la dame duchâteau aux quatre piliers d’or, etvous viendrez me prévenir del’événement.

Le bonhomme, satisfait, s’en re-tourna chez lui et apprit à sa femmela rencontre qu’il venait de faire.Celle-ci fut ravie à son tour, et netarda pas à donner le jour à un gar-çon.

Le père s’enquit de la demeure dela dame du château aux quatre pi-liers d’or, et on la lui indiqua.

C’était un palais, une merveilleque la résidence de cette grandedame qui se rendit aussitôt à l’églisepour tenir son filleul sur les fontsbaptismaux. En voyant une aussi

belle et aussi riche personne, c’est àqui voulut être parrain du nouveau-né. La cérémonie terminée, la damedemanda au sonneur de cloches cequ’elle lui devait.

– Ce que vous voudrez, madame.Connaissant son avarice, elle lui

donna deux sous, au grand désap-pointement de l’homme qui avaitd’abord refusé de prêter sonconcours.

L’enfant avait reçu le prénom deJean. Sa marraine dit aux parents :

– Gardez près de vous votre fils,soignez-le bien jusqu’à ce qu’il aitatteint l’âge de sept ans, époque àlaquelle je me chargerai de son édu-cation.

Ces recommandations furent exé-cutées et quand petit Jean — c’estainsi qu’on l’appelait — eut septans, sa marraine vint le chercher, etl’emmena dans son château.

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II

Lorsque le jeune garçon fut ha-bitué à son nouveau genre de vie, samarraine lui dit :

– Te voilà presque devenu unhomme, et il est temps que je sachequelle confiance je puis avoir entoi : voici sept clefs, ouvrant septarmoires, lesquelles renferment desobjets rares. Dans six d’entre elles tupourras prendre ce qui te fera plai-sir ; mais quant à la septième, quis’ouvre avec la plus petite des clefs,tu n’y toucheras pas ou tu aurais àt’en repentir.

Jean s’empressa d’aller visiter lessix armoires qu’il pouvait ouvrir, etfut ébloui des superbes chosesqu’elles renfermaient.

« La septième armoire, pensait-il,doit contenir des merveilles. Pour-quoi m’empêche-t-on de l’ouvrir ? »

Pendant plusieurs jours, il secontenta d’examiner en détail lecontenu des six armoires mises à sadisposition ; mais, bientôt, succom-bant à la tentation, il saisit la pluspetite des clefs, et ouvrit la sep-tième.

Aussitôt une bague en argent —le seul objet qui se trouvait danscette armoire — vint se placerd’elle-même au petit doigt de Jean,qui chercha à l’ôter sans pouvoir yréussir.

Il se rendit à la cuisine, et priaune servante de l’aider à s’en débar-

rasser. Celle-ci n’y parvint pas da-vantage.

– Je ne vois qu’un moyen, dit-elle, c’est de vous entourer le doigtd’un linge pour dissimuler la bague,et de dire à votre marraine que vousvous êtes blessé.

Lorsque cette dernière aperçut lelinge enveloppant le petit doigt deson filleul, elle lui demanda ce qu’ilavait.

– Presque rien, répondit-il, unesimple écorchure.

– Tu ne dis pas la vérité. Ote celinge qui cache la bague que tu as audoigt.

Jean, tout en pleurs, avoua safaute, et supplia sa marraine de luipardonner.

– Pour cette fois, j’y consens ;mais ne recommence pas.

III

Une année s’écoula sansqu’aucun incident sérieux ne vintaltérer la bonne harmonie qui exis-tait entre la marraine et le filleul.

La dame du château aux quatrepiliers d’or annonça, un jour, qu’elleallait partir en voyage. Elle remit àJean sept autres clefs qui ouvraientles écuries.

– Tu pourras, lui dit-elle, montertous les chevaux qui se trouventdans six de ces écuries. Quant à laseptième, s’ouvrant avec la plus pe-tite clef, et qui renferme la jument

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dont je me sers, je te défends d’yentrer. Si, cette fois, tu me désobéis,je ne te pardonnerai pas, et te puni-rai sévèrement.

Jean promit de se conformer auxrecommandations de sa marraine.

Lorsque celle-ci fut partie, ilchoisit, chaque matin, pour aller sepromener, l’une des bêtes qui luiplaisait le mieux.

Malgré sa joie, souvent il se di-sait :

– Qu’elledoit être su-perbe la jumentde ma mar-raine, et quej’aimerais à lavoir. Non, non,n’y pensonspas.

Et cepen-dant il y son-geait sanscesse.

Après avoirlongtemps ré-sisté. la curiosité devint une obses-sion plus forte que sa volonté, et ilpénétra dans la septième écurie.

Une jument noire, sans pareille,s’y trouvait. Elle fit au jeune garçontoutes sortes de caresses et semblal’inviter à la monter.

Comme elle était sellée et bridée,il sauta dessus et partit, au galop,faire un tour dans le parc du châ-teau.

Soudain, la bête s’arrêta et lui

dit :– Malheureux garçon si

j’exécutais les ordres de la fée tamarraine — car elle est fée, tul’ignorais sans doute — je te brise-rais la tête en te lançant contre untronc d’arbre. Je ne le fais pas parceque j’ai pitié de ton jeune âge. Lacolère de la fée sera terrible, si ellenous retrouve ici. Crois-moi, fuyonsau plus vite, car elle sait déjà, à

l’heure qu’il est, que nous avons en-freint ses ordres.

– Partons, répondit Jean.– Retournons d’abord à l’écurie,

pour que tu prennes mon étrille etma brosse, dont nous aurons peut-être malheureusement besoin.

Jean s’empressa de faire ce quelui recommandait la jument, et aprèscela, celle-ci partit au galop, dévo-rant l’espace, comme si elle étaitpoursuivie par un loup.

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Bientôt, en effet, elle se mit àtrembler et dit à son cavalier :

– Regarde derrière toi, si tun’aperçois rien ?

Jean détourna la tête et poussa uncri d’effroi.

– Ma marraine nous poursuit, ga-gne de vitesse sur nous, que faire ?que faire ?

– Jette l’étrille dans sa direction.Immédiatement des arbres sorti-

rent de terre, formant une forêt rem-plie de ronces et de lianes infran-chissables, qui obligèrent la fée à enfaire le tour.

Pendant ce temps-là, la jumentcontinua sa course échevelée sans se

reposer un seul instant.

Tout à coup, elle se mit encore àfrémir de tous ses membres, et re-prit :

– Regarde derrière toi, si tun’aperçois rien ?

– La voici, la voici, s’écria Jean.– Jette la brosse bien vite.Aussitôt un bruit effroyable se fit

entendre, et une montagne, s’élevantà une hauteur prodigieuse, sépara lafée des voyageurs.

Ceux-ci ne tardèrent pas à faireleur entrée dans la capitale d’unroyaume, où ils n’avaient plus àcraindre leur ennemie.

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IV

– Comment allons-nous vivre ?demanda Jean à la jument noire.Nous sommes partis si précipitam-ment que j’ai oublié ma bourse.

– Enlève les fers qui sont sousmes pieds et qui sont en or. Tu irasles vendre, et le prix que tu en ob-tiendras suffira à nos besoins pen-dant longtemps.

Jean trouva un orfèvre qui ne levola pas trop, et ils purent ainsi, luiet sa bête, vivre tranquillement sansse préoccuper de l’avenir.

Dans une de leurs promenades, lajument fit remarquer à son cavalierqu’il ne pouvait rester à rien faire,que l’ennui s’emparerait de lui. « Tuas reçu de l’instruction, ajouta-t-elle,tu es bien de ta personne, il faut alleroffrir tes services au roi. »

Jean sollicita une audience dusouverain qu’il eut le bonheur decharmer par son savoir et sa bonnemine ; aussi fut-il admis, sur-le-champ, dans le personnel du palais.

Grande fut un jour sa surprise, enapercevant sa marraine en grandeconversation avec le roi, et en ap-prenant qu’ils étaient fiancés et surle point de se marier. Son effroi futplus grand encore, lorsque son maî-tre l’appela pour le présenter à safuture.

Celle-ci sembla ne pas le recon-naître, et répondit au roi qui insistaitpour qu’elle fixât promptement ladate de leur mariage :

– La noce aura lieu, lorsque votreserviteur, ici présent, aura fait venirmon château aux quatre piliers d’or,près de votre palais.

Le souverain, bien que surprisd’une pareille idée, ordonna néan-moins à Jean d’exécuter sans retardce qu’il venait d’entendre.

Le pauvre garçon s’inclina, enpâlissant, et alla conter son embarrasà sa fidèle jument, qui le consola, etlui dit :

– Rends-toi immédiatement auchâteau. Dis aux quatre domestiquesqui en ont la garde, et que tuconnais, que ta maîtresse t’a par-donné, que tu reviens au milieud’eux. Sous prétexte de fêter tonretour, emmène-les au cabaret, ettâche de les enivrer afin d’arriver àconnaître comment on peut fairechanger de place le château.

Jean exécuta, de point en point,les conseils de la jument, et aprèsforce rasades, il apprit des domesti-ques, que chacun d’eux avait lagarde d’un pilier d’or qui reposaitsur une roue, et qu’il suffisait de lesmettre en mouvement, tous les qua-tre en même temps, pour diriger lechâteau où l’on voulait le conduire.

Jean manifesta, avec intention,des doutes sur la possibilité de dé-placer un édifice aussi considérable.Les buveurs, entêtés comme deshommes pris de boisson, proposè-rent de lui prouver qu’ils avaientraison.

Lorsque le filleul de la fée fut

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suffisamment renseigné, il ramenales gardiens au cabaret, leur offrit denouveau à boire, et les mit horsd’état de s’opposer à son dessein.

Profitant donc de leur ivresse, ilretourna au château, se fit aider pardes valets subalternes auxquels il ditqu’il agissait d’après les ordres de samarraine, et conduisit le château auxquatre piliers d’or, près du palais dusouverain.

V

Le lendemain matin, en se ré-veillant, le roi fut agréablement sur-pris d’apercevoir le château de safiancée. Il la fit prévenir aussitôt del’heureuse nouvelle, la suppliant defixer la date de leur mariage.

– Ce jour sera fixé, répondit-elle,lorsque vous aurez fait trancher latête à petit Jean qui m’a désobéideux fois.

Heureusement que ce dernieravait entendu la conversation quivenait d’avoir lieu entre le roi et safiancée. Il alla bien vite trouver lajument noire, pour lui raconter cedont il était menacé.

– Rassure-toi, lui dit-elle, ce nesera pas toi, mais ta marraine quiaura la tête tranchée. Cette méchante

fée, afin d’épouser mon père, a faitmourir un jeune prince mon fiancé,et moi, m’a changée en bête.

Heureusement l’époque de mamétamorphose vient d’expirer, et leroi saura de quels forfaits est capa-ble celle dont il veut faire une reine.

Soudain les ténèbres les envelop-pèrent et, bientôt, avec le retour dusoleil, à la place de la jument, appa-rut aux yeux éblouis du jeunehomme une ravissante jeune fille.Elle tendit la main à Jean, en lui di-sant :

– Conduis-moi près de mon pèreauquel je vais raconter les infamiesde sa fiancée.

Lorsque le roi revit celle qu’ilavait tant pleurée, et qu’il croyait àjamais perdue, il la pressa sur soncœur, et écouta, en versant des lar-mes de rage, le récit de sa chère en-fant.

Il fit arrêter la dame du châteauaux quatre piliers d’or, et ordonnaqu’on lui tranchât immédiatement latête.

Jean resta au palais, devint le fa-vori du roi, et épousa bientôt laprincesse.

Conté par Marie Patard,de Bruz, âgée de 20 ans.

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Notre-Dame des potiers

On rencontre dans la commune deChartres, près Rennes, une petitechapelle située dans la campagne, ausud et à quelque distance du bourg.Elle renferme une statue de laVierge appelée Notre-Dame desPotiers.

A l’époque où l’on confection-nait, dans cette paroisse, des poteriesartistiques, que les archéologues sedisputent aujourd’hui, on attribuait àla statue de Notre-Dame des Potiersle pouvoir de préserver les fabriquesdu feu. Jamais, assure-t-on encore,aucune d’elles ne fut incendiée.

La Vierge des Potiers apparut un

soir, la veille de Noël, sous la formed’une belle dame, à un potierconduisant ses marchandises àChâteaugiron.

Ce dernier devenu riche, avaitoublié son origine misérable. Il étaitdur envers ses ouvriers, s’enivraitfréquemment, et blasphémait à toutpropos le saint nom de Dieu.

– Où allez-vous ainsi ? lui de-manda la Vierge.

– A Châteaugiron, vendre mesproduits.

– Etes-vous bien certain d’y arri-ver ?

– Que t’importe ? lui répondit-il

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malhonnêtement, passe ton chemin,je n’ai pas besoin de tes services.

Et il blasphéma de nouveau lenom de Dieu.

Il arrivait à ce moment au pont del’Epront, sur la rivière la Seiche,profonde en cet endroit, et qui coulesur un lit de limon et de vase. Lecheval, effrayé par les cris de sonmaître et le bruit de l’eau frappantsur les arches du vieux pont romain,fit un écart et tomba dans la rivièreentraînant, dans sa chute, chariot etconducteur.

Tous les efforts de celui-ci, poursortir de la rivière, furent inutiles.Ses cris et ses appels ne furent pasentendus des paysans qui se ren-daient à la messe de minuit. Le mal-heureux crut sa dernière heure arri-vée, et, entendant dans le lointain lescloches de l’église, il se rappela samère, son enfance, puis la puissancesi grande de la Vierge des Potiers. Ilinvoqua celle-ci du plus profond de

son cœur, se repentit de ses péchés,jura de se corriger et fit vœu, s’iléchappait à la mort, d’élever àChartres une chapelle à la Vierge

O miracle ! son appel est enten-du, la foudre éclate, le tonnerretombe sur la rive droite de la Seiche,en détache un lambeau qui rouledans l’eau, formant une chausséesolide qui permet au cheval de re-monter sur la route.

Le potier changea de conduite et,fidèle à sa promesse fit édifier unechapelle qui est tombée en ruinesvers 1817. Elle a été remplacée parle petit édicule, dont il est questionau commencement de cette légende,construit près d’une mare qui oc-cupe la place de l’antique sanc-tuaire.

Conté par M. Châtel, fabricant de chaux à la

Chaussairie,commune de Chartres.

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L’avare

Un vieil avare avait sa femme bienmalade et ne lui donnait aucun soin.

Lorsqu’elle fut à la dernière ex-trémité, il eut tout de même peurque ses voisins l’accusassent del’avoir tuée, et il fit venir le méde-cin.La pauvre vieille marmottait entreses dents :

– J’baïrais ben un coup de vin ;j’baïrais ben un coup de vin.

Le médecin qui ne comprenaitpas demanda au mari.

– Que dit-elle ainsi ?– J’fil’rais ben du brin ; j’fil’rais

ben du brin (Grosse filasse).

– Ma pauvre femme ditle guérissou, vous n’êtespas en état de filer.

– J’baïrais ben uncoup de vin, répétait lapauvre femme, j’baïraisben un coup de vin.

– C’est inutile, vous nele pourriez pas.

« Votre femme est bienmalade, mon bravehomme, dit le médecin ense tournant vers le vieil-lard ; elle est surtout très

faible et il faudrait lui donner desœufs dans son bouillon. »

– Oui, monsieur le guérissou, j’lidonnerons du bouillon d’œufs.

Quand le médecin fut parti, levieil avare mit des œufs à bouillir,les mangea et fit boire l’eau à lamalade.

La pauvre vieille à un pareil ré-gime ne tarda pas à s’en aller dans leroyaume des taupes, au grandcontentement de l’avare qui regret-tait jusqu’à l’eau qu’il donnait à samalheureuse femme.

Conté à Paul Sébillotpar Fine Daniel, de Bruz.

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Le tour de lit

Une fille de la commune de Saint-Senoux fut à confesse à son curé ets’accusa d’avoir pris un tour de lit.

– Il faut le rendre, mon enfant, luidit le prêtre.

– Je n’ose le porter.– S’il en est ainsi, apportez-le

moi au presbytère, et je ferai la res-titution.

– Je vous remercie bien ; ce seraun grand service me rendre. Je vousle porterai demain.

De retour chez lui le curé dit à saservante :

– Une fille doit m’apporter unobjet que je ne connais pas. Si je ne

suis pas là, vous ne regarderez pasce que c’est et vous le montrerezdans ma chambre.

Dès le lendemain matin, pendantque le curé disait sa messe, la fille serendit au presbytère et remit à ladomestique un panier fermé pourmonsieur le curé.

Lorsque celui-ci rentra, sa cham-brière lui dit :

– J’ai porté dans votre apparte-ment un panier très lourd qu’unejeune fille m’a remis pour vous.

Le naïf pasteur alla ouvrir le pa-nier et découvrit, devinez quoi ? Unenfant nouveau né.

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Il comprit alors seulement ce quec’était qu’un tour de lit.

Le dimanche suivant, il dit enchaire :

– Les filles qui auront pris des

tours de lit sont priées de les garderchez elles et de ne plus les apporterau presbytère.

Conté à Paul Sébillot par Fine Daniel, de Bruz.

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Table des contes

Saint Pierre et le meunier de Chancor............................................4L’enfant vendu au diable................................................................5Le chien noir...................................................................................6Le cheval géant...............................................................................7Petit Jour.........................................................................................8Le tabouret du paradis ....................................................................9Le meneur de loups ......................................................................10La tête du mort .............................................................................11Les sorciers de Bruz .....................................................................14La dame du château aux quatre piliers d’or .................................18Notre-Dame des potiers................................................................25L’avare..........................................................................................27Le tour de lit .................................................................................28

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EXTRAIT DU CATALOGUEhttp.//www.arbredor.com

Bretagne

Philippe Camby Les gros mots des bretonshttp://www.arbredor.com/titres/grosmots.html

Philippe Camby Tous les contes licencieux des Bretonshttp://www.arbredor.com/titres/touleslicbr.html

Olivier Eudes Berceuses et comptines des petits Bretons sageshttp://www.arbredor.com/titres/berceuses.html

Olivier Eudes Ys et les villes engloutieshttp://www.arbredor.com/titres/ys.html

Ernest Renan L’âme celtehttp://www.arbredor.com/titres/lamecelte.html

Bretagne gallèse

Amand Cocar L’monde de cheu noushttp://www.arbredor.com/titres/lmonde.html

Adolphe Orain Contes d’Ille-et-Vilainehttp://www.arbredor.com/titres/contesille.html

Adolphe Orain Contes du pays gallohttp.//www.arbredor.com/titres/gallo.html

Paul Sébillot Contes comiques des Bretonshttp.//www.arbredor.com/titres/contescombretons.html

Paul Sébillot Toutes les joyeuses histoires des pêcheurs jaguenshttp.//www.arbredor.com/titres/jhjaguens.html

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