Traité Des Monnaies Et Autres Écrits Monétaires Du XIVe Siècle
La vie pastorale en Provence au milieu du XIVe siècle
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La vie pastorale en Provence au milieu du XIVe siècleAuthor(s): Pierre CosteSource: Études rurales, No. 46 (Apr. - Jun., 1972), pp. 61-75Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/20120265 .
Accessed: 24/06/2014 21:50
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PIERRE COSTE
La vie pastorale en Provence
au milieu du XIVe si?cle
Les ce registres des pasquiers1 de l'ann?e 1345 ?2, conserv?s dans les archives de la Cour des Comptes de Provence, rassemblent une s?rie de
proc?dures d'appel contre une cri?e des Ma?tres rationaux de mars 1345. Celle-ci proclamait que les p?turages du roi dans chaque commune ?taient interdits ? quiconque n'habitait pas et ne payait pas ses imp?ts dans la
commune, de fa?on ? pr?server le droit de pasquier comtal ; taxe que le souverain pr?levait sur les troupeaux ?trangers en ?change de la protection
qu'il leur assurait.
Des individus (petits paysans et gros entrepreneurs de transhumance,
coseigneurs, poss?dants ou b?n?ficiaires d'usages) et des communaut?s
religieuses ou villageoises qui avaient l'habitude de pa?tre sans acquitter le pasquier dans des communes o? ils ne r?sidaient pas, firent appel contre
la cri?e ? ainsi d'ailleurs que celle-ci leur en donnait la facult? ? aupr?s
des Ma?tres rationaux. Ceux-ci pour chaque appel ouvrirent une informa
tion, firent convoquer les parties, demand?rent aux officiers locaux des
pr?cisions sur les droits du Comte dans les castrum int?ress?s, enregistr?rent des titres (actes de vente, de citoyennet?, relations d'anciens arbitrages, etc.) produits par les parties pour justifier leurs pr?tentions, re?urent ?ven tuellement des d?positions de t?moins. Les Ma?tres rationaux conclurent ces informations soit par des d?cisions qui confirmaient les appelants dans leur droit de pa?tre ou le leur interdisaient, soit par des renvois aupr?s du
S?n?chal, donnant ou ne donnant pas l'autorisation aux appelants de
pa?tre, en attendant, sur les territoires pr?tendus3.
1. Droit sur les p?turages. 2. Archives d?partementales des Bouches-du-Rh?ne, B 159, 160 et 161. Les trois registres,
? peu pr?s ?gaux, totalisent 974 pages de format 22 X 29, en cahiers d'?paisseur tr?s in?gale et
compl?t?s par des collages. Ces cahiers sont tant?t des originaux de proc?s-verbaux r?dig?s dans les diff?rentes cours proven?ales pour les besoins de la proc?dure, tant?t des copies de lettres et
documents envoy?s ou re?us par les Ma?tres rationaux d'Aix, ou encore le proc?s-verbal des audiences aixoises. Un registre au moins a ?t? perdu, son absence ne semble pas r?duire dans des proportions graves l'?chantillonnage g?ographique.
3. Le S?n?chal Hugues de Baux ?tait en effet, depuis le d?but de l'?t? 1345, absent d'Aix, ? en Sicile aupr?s de la Reine ?, mais devait rentrer, esp?rait-on, d'un jour ? l'autre. En fait quand il revint il n'?tait plus s?n?chal et nous n'avons conserv? aucun document pouvant indiquer que son successeur Philippe de Sanguinet ait tranch? les affaires en suspens.
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Aussi les quelque neuf cents pages des registres, unies dans le temps et
l'intention, mais de contenu fort divers, permettent tour ? tour de brosser le
tableau de la vie pastorale en Provence au milieu du xive si?cle, de saisir
l'?volution de la fortune seigneuriale, d'analyser les relations des hommes et de la justice, de compl?ter
nos connaissances sur le fonctionnement des
institutions communales et seigneuriales, d'entendre s'exprimer, de voir
mener un proc?s, organiser leur ?conomie, avec difficult? ou aisance, des
hommes du peuple, des bourgeois, des petits et grands seigneurs, des clercs, des ?lus municipaux.
La lettre des Ma?tres rationaux ordonnant la cri?e est remarquable de
nettet? et de perspicacit?. En voici la traduction r?sum?e :
<c Les Ma?tres rationaux de la grande Cour royale r?sidant ? Aix, ? tous
les viguiers, bailes, juges, clavaires, ou ? leurs lieutenants, pr?sents et
futurs : salut et amour sinc?re.
Soucieux des int?r?ts de la Cour royale, nous avons accord? du cr?dit ? l'information qui nous a ?t? souvent faite que dans quelques-unes de vos
juridictions, au pr?judice de la Cour royale, certaines personnes, bien que
r?put?es de bonne noblesse et abondant en biens, tenaient du b?tail leur
appartenant ou
appartenant ? d'autres, gard? par elles et plus
souvent
encore par d'autres, dans des territoires du domaine royal o? elles sont
connues pour n'avoir aucun droit de faire p?ture, aucun titre, aucune auto
risation de la Cour.
Ces introductions de b?tail sont pratiqu?es les unes d'autorit? et en
violation du droit, mais d'autres aussi avec une certaine complaisance de
la part des officiers de la Cour, complaisance d?testable et qui ne doit ?tre
tol?r?e plus longtemps. En effet ce b?tail est introduit en de telles quantit?s par ces gens dans les territoires que ceux-ci sont d?vast?s et que leurs
habitants ou ceux qui jouissent de la Cour de justes droits de pa?tre ne
peuvent plus le faire. Pire, ces introductions irr?fr?n?es, sans mesure ni
raison, enl?vent ? ces habitants ce qui leur est n?cessaire pour vivre, les
plongent dans le d?nuement et les poussent ? d?serter ces lieux, non sans
dommage notable pour la Cour dont ces habitants sont redevables.
Et puisque les bans ne sont plus acquitt?s, puisque les banniers et
gardiens de ces territoires sont l'objet de menaces au point qu'ils n'osent
plus percevoir les bans, puisque les droits de bans et pasquiers dans bien
des localit?s ont vu leur rapport tant diminu? qu'on ne leur trouve plus
d'acqu?reur ou ? des prix tr?s faibles ; pour que les droits de la Cour cessent
d'?tre transgress?s ; avec la volont? et l'accord d'Hugues de Baux S?n?chal
du Comte de Provence et ainsi que cela incombe ? notre office, nous
ordonnons que :
Premi?rement aucune personne, quelle que soit sa condition, n'ose
conduire ou introduire dans quelque lieu du domaine royal o? elle ne fait
pas son domicile continuel, ou dans le territoire de ce lieu, du b?tail lui
appartenant ou ne lui appartenant pas, conduit par elle ou par
un autre,
de jour ou de nuit, publiquement ou de fa?on cach?e, pour pa?tre, sans
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LA VIE PASTORALE EN PROVENCE AU XIVe SI?CLE 63
autorisation de la Cour de l'introduire et de le tenir, sous peine de cinquante livres coronats d'amende ? chaque infraction et de la saisie du troupeau.
Cette d?cision est sans appel. Toutefois si quelque personne all?gue ou
pr?tend avoir quelque droit d'introduire et de tenir du b?tail pour le pa?tre dans un de ces territoires, elle devra dans les vingt jours suivant la promul
gation de ces ordres faire ?tat de ses droits devant nous ? Aix en la Chambre
des Comptes, comparaissant en personne ou
par l'interm?diaire d'une per
sonne idoine. Au cas o? un officier se serait montr? jusqu'? pr?sent arran
geant et se trouverait g?n?, ?tant toujours en place, de faire appliquer ces
ordres, qu'il nous envoie directement l'affaire. Nous vous ordonnons
d'ailleurs de ne r?gler
aucune affaire par vous-m?me, mais de nous informer
de toute transgression, effectuant cependant les saisies de la main de la Cour
de tout b?tail paissant dans ces territoires contre l'esprit et la lettre de ces ordres.
Et afin que nul ne puisse ignorer
ces ordres, nous vous demandons sous
peine de cent livres d'amende de les faire conna?tre par la voix des crieurs
publics dans les principaux lieux de votre juridiction. Vous les ferez
observer strictement. Renvoyez-nous cette lettre en mentionnant au dos
que vous l'avez bien ex?cut?e.
Aix, le 20 mars 1345, treizi?me indiction, ?x
Classe sociale des ?leveurs les plus dangereux, m?thodes pastorales,
surcharge et
d?peuplement, pressions sur l'administration et
incons?quence
de certains fonctionnaires, tous ces caract?res que d?noncent les Ma?tres
rationaux apparaissent de fait au long des trois registres, attestant la
comp?tence de ces grands officiers. Ce grand officier, plus exactement, c'est
Raymbaud Bayssan qui est l'auteur de la cri?e ; et son pair Andr? de Crote
fait souvent allusion ce aux ordres de notre coll?gue ?, semblant lui-m?me
moins d?sireux de les appliquer avec rigueur. Pourtant ces ordres ?taient s?rieux et apparurent comme tels. Si le
d?lai de vingt jours ne fut g?n?ralement pas respect?, en revanche bien des
ayants droit firent appel alors que les communaut?s des castrum o? ils
voulaient pa?tre n'avaient entrepris aucune action, aucune
pression contre
eux et m?me ?taient pr?tes ? continuer ? les recevoir malgr? la cri?e. Mais surtout la cri?e suscita dans les communaut?s un
grand mouvement
d'espoir
qui ne se serait pas produit si les ordres de ce genre avaient ?t? fr?quents et si on avait eu l'exp?rience de leur inefficacit?. Les procureurs et syndics us?rent pour la d?crire des termes les plus ?logieux : ce juste et digne d'?tre
maintenue longtemps
en vigueur ?, ?crivent ceux de Ch?teaurenard, ce non
seulement juste, mais encore sacr?e ?, rench?rissent ceux de Couloubroux.
Or cette cri?e fut-elle r?ellement efficace ? Non : la plupart des affaires, et notamment celles qui mettaient en cause le plus gravement l'?quilibre
pastoral, aboutirent selon les v ux des appelants, soit par des d?cisions
d?finitives, soit par des statuts provisoires qui en fait dur?rent longtemps :
des sursauts de communaut?s, un et m?me deux ans plus tard, l'attestent
1. Arch, d?p, B.-d.-R., B 161, f? 140v sq.
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(Entrepierres, Ch?teaudouble, etc.). La responsabilit? de cette incurie
revient-elle aux circonstances historiques, aux drames napolitains, ? la
d?ch?ance du S?n?chal, responsable supr?me des p?turages royaux? Ou
bien plut?t ? la nature des hommes, ? la puissance de ces personnes ce r?pu t?es de bonne noblesse et abondant en biens ?, et ? la ce complaisance d?testable ? non seulement des officiers de baillies mais encore des hauts
fonctionnaires aixois eux-m?mes ?
Une pr?cision doit ?tre apport?e sur la lettre de Raymbaud Bayssan du 20 mars 1345. On pourrait comprendre que tout ?tranger ?tait d?sormais chass? des p?turages. En fait les ?trangers vis?s ?taient ceux qui ne payaient pas ou ne voulaient pas payer les taxes
pr?vues pour leur cat?gorie, pasquier,
relargage, etc. Aussi ? ce document ?chappent tous les ?leveurs qui acqui taient leurs droits r?guli?rement et qui, ne mena?ant pas les p?turages par des pratiques nouvelles ou abusives, venant
depuis longtemps avec des
troupeaux d'?gale importance, ne
risquaient pas de voir les communaut?s
se retourner contre eux au nom de la cri?e. Il est certes fait allusion, au
cours des neuf cents pages des registres, ? ces ?leveurs honn?tes ; ils seront eux aussi le sujet des ce notes sur
l'?levage ?
qui suivent, mais si on veut en
conna?tre plus parfaitement le r?le et les caract?res, il faut se r?f?rer
? d'autres documents, plus positifs, comme les comptes de clavaires ou de
p?ages, les inventaires de biens, etc.
?conomie et soci?t? pastorales
L'?levage et la vie pastorale en Provence au milieu du xive si?cle se r?v?lent, ? travers les registres des pasquiers, aussi divers que les
r?gions du pays, les classes de la soci?t?, les types d'?conomie.
L'?levage qui appara?t comme universellement r?pandu chez les petits propri?taires et les tenanciers, et qui semble le plus ancien, est un ?levage de petit rendement, aux esp?ces multiples (bovins, ?quins et animaux
de b?t, porcins principalement ; ovins et caprins secondairement),
sans
d?placements, et sert de compl?ment ? une polyculture vivri?re tant pour le travail de la terre (trait, fumier) que pour la consommation.
?? et l? des entrepreneurs plus ais?s, gros propri?taires terriens, petits
seigneurs, monast?res d'antique fondation, pratiquent cette activit? dans une perspective plus vaste que celle de la survie. Ils ?l?vent des troupeaux
homog?nes de chevaux, bovins, moutons, ou ch?vres, qui restent toute
l'ann?e dans la m?me contr?e, en l'occurrence le plus souvent la plaine.
Enfin ?
enfin seulement ?, la Provence conna?t l'?levage transhumant
du petit b?tail. D'une part, il est pratiqu? par les membres des commu
naut?s villageoises de montagne qui envoient leurs b?tes en troupeaux de
dimensions parfois consid?rables passer l'hiver dans la plaine. Cet ?levage de petites gens, bien qu'assez lucratif est, semble-t-il, ?galement
assez
ancien (un ou plusieurs si?cles en 1345). D'autre part, de tr?s grands sei
gneurs et des moins grands du bas pays ? tr?s pr?cis?ment des plaines
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LA VIE PASTORALE EN PROVENCE AU XIVe SIECLE 65
et collines de Draguignan1 ? s'int?ressent depuis moins de cinquante ans
? la transhumance ce normale ?, s'inspirant sans doute des transhumants
ce inverses ? et suivant peut-?tre l'exemple de communaut?s religieuses non
b?n?dictines comme les Commanderies de l'H?pital. Vivriers, transhumants et non transhumants, usent
largement du
syst?me des locations de p?turages et des contrats de m?jerie ou en res
sentent les effets.
Ces pratiques de plus en
plus r?pandues, auxquelles s'ajoute la trans
humance r?cente des grands seigneurs, multiplient les conflits entre commu
naut?s et usagers. A une ?poque d'apog?e d?mographique et d'occupation maxima des terres, elles contribuent ? saturer les p?turages dans l'ensemble
du pays, et bient?t ? les surcharger dans certaines r?gions aux aptitudes
physiques moindres. De cette surcharge la cri?e de mars 1345 marque le sommet ; elle est incapable d'ailleurs de la r?duire : c'est la peste qui trois ans
plus tard mettra tout le monde d'accord.
Comp?tence des communaut?s
Les formes d'?levage les plus populaires n'apparaissent dans les registres des pasquiers qu'? l'occasion des t?moins invit?s ? d?poser et surtout des
communaut?s villageoises. Aucun des hommes qui font individuellement
appel contre la cri?e de mars 1345 ne peut ?tre class? parmi les tenanciers,
parmi ces petits ruraux dont les alleux ne suffisent pas et qui louent leur
travail, celui de leur b?tail, et d'une quelconque fa?on font porter des fruits aux biens des autres2.
En fait ces plus humbles habitants de la Provence ne pourraient pas formuler de tels appels, non parce qu'ils sont d'une culture juridique trop faible (le contenu des d?positions prouve au contraire un sens pratique du
droit fort d?velopp?) ni non plus parce qu'ils ne poss?dent rien et surtout
pas de p?turages, mais parce que ces derniers, par essence, sont de la
comp?tence quasi exclusive des communaut?s3. Celles-ci fixent les condi
tions d'acc?s des p?turages qui sont sur leur territoire (domicile, biens,
imp?ts, maximum de b?tail par famille, zones et p?riodes de d?fens, pro tection contre les individus qui voudraient les morceler ? leur profit) ; elles passent ?galement des accords avec les communaut?s voisines pour
la d?paissance r?ciproque et veillent au maintien de ces accords4.
1. La Crau ?chappe au domaine comtal et donc ? la cri?e sur les pasquiers. 2. Cette analyse et celles qui suivent s'appuient ?troitement, parfois id?e par id?e, sur le contenu
des registres. On trouvera le syst?me complet des r?f?rences dans mon m?moire sur ? Les registres des pasquiers ? d?pos? ? la Facult? des Lettres d'Aix-en-Provence et aux Archives d?partementales des Bouches-du-Rh?ne.
3. Universitas. La traduction par ? communaut? ? ne pr?te pas ? confusion et cerne bien la notion.
4. Mieux, la comp?tence des communaut?s en mati?re de p?turages semble valoir non seulement vis-?-vis des individus qui habitent ou n'habitent pas leur territoire, mais encore vis-?-vis des
propri?taires en titre des terres ou des droits ayant un usage pastoral commun. C'est ainsi que le droit de pasquier du roi, tout universel qu'il soit en th?orie en Basse-Provence, est en fait soumis au contr?le de chacune des communaut?s : celles-ci sont bel et bien invit?es en 1345 ? se constituer
partie ? propos de son application ? ?galit? avec le repr?sentant du Tr?sor.
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Toutefois le r?le de la communaut? s'arr?te ? cette mise ? la disposition de ses membres de p?turages r?glement?s ; en particulier c'est individuelle
ment que les ?leveurs usent des p?turages. Il n'y a dans le registre des
pasquiers aucun exemple de troupeau rassemblant les b?tes de tous les
habitants d'un village ou de leur majeure partie. L'in?galit? des fortunes
ajout?e ? ce syst?me, ce sont les plus gros possesseurs de b?tail qui profitent le plus des p?turages
communs. Quant
aux pauvres, ils se font bergers.
Ce m?tier constitue bien souvent un d?but de carri?re : les uns r?ussissent au point qu'on doit limiter les b?n?fices personnels qu'ils tirent de leur
activit?. Les autres non.
ce 31 octobre 1345. D?position de Raymond Giraud, du Luc. Il se souvient que lui qui d?pose avait ?t? l'un des bergers des ch?vres
du monast?re de la Verne pendant quatre ?t?s successifs avec pour salaire
des chevreaux et des fromages [...] il y a vingt-deux
ou vingt-cinq
ans.
Son ?ge : cinquante ans et plus. Son capital : il a donn? tous ses biens en dot ? sa fille, en gardant toutefois l'usufruit toute sa vie, biens qui ne
valent pas plus de 30 livres. ?*
ce 12 septembre 1345. D?position de Pierre Roche, des Ybourgues. Il y a vingt ans, le t?moin gardait ? Forcalquier le b?tail de deux
hommes du Mane [...] Son ?ge : quarante ans et plus. Son capital : ses biens dotaux et pas
davantage. ?
ce 10 octobre 1345. D?position d'Arnaud, des Ybourgues. Il a habit? Mane deux ans et gard? le b?tail [...] cela se passait il y a
bien vingt-neuf ou trente ans.
Son ?ge : environ cinquante ans. Son capital : 160 livres ou ? peu
pr?s. ?2
e ce 2 octobre 1272. Guillaume de Pertuis, seigneur de ce lieu, en remer
ciement des services qu'il a re?us de Roustan Savarice, lui donne ? lui et
aux siens le droit de pa?tre son b?tail librement et pour toujours sur le
territoire de Pertuis au m?me titre que les habitants du lieu. Les bergers de ce b?tail pourront introduire librement pour leur compte jusqu'? deux
trenteniers de moutons et ch?vres ; au-del? de ce nombre ils acquitteront le pasquier ?tranger.
?3
N?anmoins l'unanimit? des communaut?s est telle, tant ? pr?tendre
qu'? se d?fendre, qu'il est probable que tous leurs membres trouvent leur
compte sur les p?turages, chacun ? sa mani?re. Ainsi ? Flayosc les ce hommes
populaires ?, qui sans doute ne poss?dent pas tous des b?tes en propre, tiennent cependant en m?jerie du b?tail ?tranger,
ce porcin, bovin, et
autre ?4.
1. Arch. d?p. B.-d.-R., B 160, fos 24v - 26.
2. Ibid., B 160, fos 86 et 97. 3. Ibid., B. 159, f? 76v. 4. Cf. les deux documents cit?s plus bas.
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LA VIE PASTORALE EN PROVENCE AU XIVe SIECLE 67
?conomie de subsistance, ?conomie d'enrichissement
Or ces m?mes hommes de Flayosc s'en prennent ? des coseigneurs non
r?sidents qui eux aussi introduisent du b?tail ?tranger, moutons et ch?vres
notamment, en m?jerie. Cette attitude apparemment contradictoire des
hommes de Flayosc donne, semble-t-il, la clef de la plupart des querelles sur les
p?turages : les coseigneurs,
tout non r?sidents qu'ils soient, ont les
m?mes droits que les hommes du peuple ; mais ceux-ci, ? qui ce b?tail
propre ou
m?jier permet de subsister, ne peuvent tol?rer que pour ceux-l?
ce m?me b?tail soit une source d'enrichissement.
De fait les exemples des registres des pasquiers montrent souvent que les ?trangers qui pr?tendent pa?tre sur le territoire d'un castrum ne sont
pas chass?s en tant que tels, mais parce qu'ils pratiquent une ?conomie
diff?rente de celle des habitants du village1. Et il suffit que ces ?trangers paissent dans les m?mes conditions que les gens du lieu2, ou encore ? car
le type d'?levage n'est pas toujours pr?cis? ?
qu'ils se pr?tent au mode
de vie du village (qui se traduit concr?tement par le domicile, la pr?sence aux f?tes et la participation aux charges, l'usage du four et du moulin, le
respect des bans, exigences l?gales n?es des n?cessit?s de la vie quotidienne d'une communaut?) pour qu'ils soient accept?s.
Il ne s'agit pas bien entendu, au nom de cette hypoth?se de la concur rence des ?conomies, d'affirmer que dans une communaut? tous les membres
ont le m?me niveau de vie. Il appara?t au contraire que tout en pratiquant le m?me mode d'?levage,
certains ?
dont le cheptel est
important ? en
tirent des b?n?fices tr?s sup?rieurs ? d'autres, et sont justement les meneurs
de l'action communautaire, stimul?s par l'enjeu, et aid?s par leur culture :
ces fils de paysans sont, par exemple, notaires du village. Il ne s'agit pas non plus de nier toute autre cause possible de conflits :
querelles de personnes et de groupes quand le pr?tendant vient du castrum
voisin, m?fiance de l'inconnu quand celui-ci vient de loin, querelle et
m?fiance qui n'apparaissent d'ailleurs pas dans les registres, surcharge
pastorale surtout.
Surp?coration ou surpopulation ?
L'?volution de la population a ?t? trac?e dans l'optique du d?boisement
par Th?r?se Sclafert3 qui y a situ? avec assez de justesse les registres des
pasquiers ; il n'y a donc pas lieu de reprendre son analyse, il suffit de la nuancer un peu et de lui apporter quelques compl?ments.
1. C'est le cas de grands seigneurs transhumants ou encore celui des habitants d'Auribeau qui, usant d'une coutume, envoient leur b?tail ? Ainac tandis qu'ils louent avec profit leurs p?turages ainsi lib?r?s.
2. C'est le cas d'habitants de communaut?s li?es par des coutumes de d?paissance r?ciproque, ou encore de ceux de la plupart des castrum de l'Autev?s o? usagers des p?turages sont de m?me niveau social.
3. Th?r?se Sclafert, Cultures en Haute-Provence, d?boisements et p?turages au Moyen Age> Paris, SEVPEN, 1959, pp. 52-54.
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68 P. COSIJO
La multiplication des titres cit?s ou recopi?s dans ces
registres ? actes
d'achat, d'hommage ou de lodz et tr?zain, de citoyennet?, relations de conflits pastoraux, etc. ?
correspond ? peu pr?s ? la fin de la pouss?e
d?mographique, au moment o? toutes les terres, tous les moyens de produc tion venant ? ?tre occup?s ou convoit?s, on a ?prouv? le besoin d'en fixer par ?crit la possession, besoin qui avait ?t? ignor? tant que les ressources
avaient ?t? plus nombreuses que les hommes.
La surcharge pastorale s'inscrit dans ce contexte et il appara?t souvent
que ce n'est pas pour avoir pouss? trop loin des aptitudes pastorales
remarquables qu'on a atteint la surcharge, mais pour avoir voulu faire
vivre tout le monde par tous les moyens (la surp?coration n'en ?tant qu'un
parmi d'autres) sur un
pays inapte. Ceci am?ne ? nuancer sensiblement les descriptions terrifiantes d'inva
sions de b?tail trop souvent lues dans des auteurs modernes prenant au
pied de la lettre les exag?rations des plaideurs ou confondant, au nom de la tradition, l'?levage proven?al du xixe si?cle et celui du xive. Certes ? en
croire les registres, la vie n'?tait pas dr?le dans certains castrum, mais
dans certains castrum seulement. En effet, combien de communaut?s qui r?clament l'application de la cri?e de mars ont l'occasion de donner des
arguments devant les Ma?tres rationaux pour d?fendre leur partie ? Dix
huit. Combien parmi celles-ci disent que le b?tail ?tranger les d?vaste ?
Onze, ce qui
est une proportion honorable, les sept autres se contentant
d'arguments juridiques pour soutenir une cri?e qui veut prot?ger les
p?turages. Et combien disent qu'? cause du trop nombreux b?tail on
mendie chez elles, que les habitants abandonnent le pays ? Quatre : M?zel,
Beaumont, Entrepierres et Ainac. Mettons ? part Beaumont qui semble
faire de ses protestations
une question d'honneur et
qui re?oit peut-?tre
r?ellement de grandes quantit?s de petit b?tail. Dans les trois autres
castrum, imagine-t-on qu'on y transhume, alors qu'Ainac, la plus haute,
est sise sur un adret culminant ? 1 686 m?tres, et alors qu'? Entrepierres et M?zel, l'herbe est l'?t? grill?e par le soleil et l'hiver br?l?e par la neige ?
L'inaptitude de ces pays vaut d'ailleurs autant pour l'?levage que pour
l'agriculture : un
propri?taire d'Entrepierres vient se plaindre parce qu'en
plein ?t? F ce inondation des eaux ? (sans doute un d?bordement des
torrents) a emp?ch? les moissons.
Par ailleurs, la chute d?mographique suivant l'apog?e du d?but du
si?cle est bien r?elle. La remarquable courbe qu'en a trac? E. Baratier1 est
illustr?e dans les registres par les t?moignages de quelques procureurs de
communaut?s ou officiers royaux voyant fondre le support de la fiscalit? :
ce La population d'Entrepierres commence ? diminuer et ? fuir, ne pouvant vivre sur cette terre apr?s l'occupation du b?tail ?, d?clarent le juge et
le baile de Sisteron qui pr?cisent qu'il ne reste qu' ce une quinzaine de
pauvres ?2. ce Les feux d'Ainac, aujourd'hui r?duits ? sept, ?taient beaucoup
1. Edouard Baratier, La d?mographie proven?ale du XIIIe au XVIe, avec chiffres de comparaison pour le XVIII*, Paris, SEVPEN, 1961.
2. Arch. d?p. B.-d.-R., B 159, f? 94v.
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LA VIE PASTORALE EN PROVENCE AU XIVe SIECLE 69
plus nombreux par le pass? ?, indique de son c?t? Augier d'Ainac, confirm?
par le clavaire de Digne1. Les Ma?tres rationaux eux-m?mes sont conscients
que dans l'ensemble de la Provence la population est menac?e lorsqu'ils d?clarent, pour justifier leur cri?e : ce Ces introductions de b?tail irr?fr?
n?es, sans mesure ni raison, enl?vent ? ces habitants ce qui leur est n?ces
saire pour vivre, les plongent dans le d?nuement et les poussent ? d?serter ces lieux, non sans
dommage notable pour la Cour dont ces habitants sont
redevables. ?2
Les formes et les r?gions d'?levage
La transhumance
Dans ce contexte de recul, la transhumance semble en plein d?velop
pement. Les indications des registres des pasquiers ? son sujet sont par tielles mais tr?s pr?cises.
Elles distinguent deux transhumances, celle qu'on appelle aujourd'hui ce normale ? et qui en 1345 est la cause de nombreux conflits, comme si elle
n'?tait pas encore ancr?e dans les m urs, et celle ce inverse ? qui
a pour elle
les lois et, sans doute, les si?cles. Elle appara?t en 1345 comme la plus
pratiqu?e. A vrai dire les registres n'en parlent pas beaucoup et il est n?ces
saire, pour en dire l'importance et pour mesurer ensuite celle de la trans
humance normale, de se r?f?rer ? quelques documents.
Il y a d'abord ces r?glements, statuts et tarifs du xine si?cle : ce Pasque rius averis montanee descendentibus de montanea a collibus circa supra
colla Ayguine et tendit per collam de Mosteriis et vadit per collus super Bezenas et finit in aqua Bledone usque Druentiam percipitur in modum infra scriptum... ?, transcrit Firmin Guichard3 qui donne ensuite le tarif et rappelle que le seigneur Comte doit d?fendre et sauvegarder de toute
injustice ce b?tail et pour cette sauvegarde per?oit la moiti? du pasquier. Or c'est bien pour le b?tail ce de la montagne descendant de la montagne ?
qu'est ?tabli ce tarif vieux d'un si?cle r?glementant un ?levage plus vieux encore4. Le pasquier comtal ne se
per?oit que dans la plaine ; son aire s'arr?te
au pied des montagnes, ? une limite dont E. Baratier donne le trac?5.
1. Jf>?d.,B161,f?6. 2. Ibid., B161,f? 141. 3. Firmin Guichard, Essai historique sur le cominalat dans la ville de Digne, Digne, 1846, II,
p. 27. Les Statuts de Fr?jus de 1235 (cit?s par Fernand Beno?t, art. VI des Statuts de Fr?jus, II, p. 334) sont de la m?me veine : ? in pascuis ovium de montanis descendentibus a collibus supra ?. ? S'il arrive ?
indique le clavaire de Draguignan en 1345 dans le premier registre des pasquiers ?
que des b?tes descendant des collines d?sign?es dans les statuts forains, louant les p?turages des castrum du seigneur de Trans, se relarguent dans le territoire des Esclans ou dans un autre territoire des castrum de cette viguerie, elles payent et sont tenues de payer ? la Cour royale le pasquier pour leur relargage, sans compter le pasquier qu'elles payent au seigneur de Trans pour ses terres ? (f? 17).
4. Puisqu'on admet g?n?ralement que de tels r?glements confirment et ordonnent d'anciens ?tats de fait.
5. Selon E. Baratter, Enqu?tes sur les droits et retenus de Charles Ier d'Anjou en Provence, Paris, 1967 (? Collection de Documents in?dits sur l'Histoire de France ?), cette ligne passe par Aiguines, Favas, Avaye, le Tignet, Cabris, le Bar, Malvans et Carros.
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70 P. COSTE
N'y a-t-il pas l? confirmation pour l'ensemble du pays de ce qu'indique clairement pour les affluents de la moyenne Durance le r?glement cit?
par F. Guichard, ? savoir que la perception g?n?ralis?e du pasquier sur le
b?tail venant de loin1 n'est n?cessaire que dans la plaine ?
Quant aux comptes des clavaires et aux mises ? ferme des droits de
pasquiers, ils donnent une id?e de l'importance de cette transhumance
inverse. Pendant l'hiver 1305 sur les p?turages d'Aiguines, quelque 8 000 moutons d'AUos, Colmar, Seyne et Peyresq acquittent le droit2.
Pendant l'hiver 1300, dans les baillies de Brignoles et Saint-Maximin, ce
sont quelque 22 000 moutons des hautes vall?es de l'Ubaye, l'Asse, la
Bl?one, le Verd?n, le Var, qui paissent3. En 1346, la Cour royale, qui dans
la viguerie de Draguignan et les baillies du Luc et de Freinet, per?oit le
pasquier sur ce le b?tail gavot4 descendant des collines supra ?, vend ? ferme ce pasquier pour 135 livres, ce qui signifie qu'un minimum de 60 000 b?tes
y sont re?ues en hiver, et en fait peut-?tre plus de 100 0005.
Cette transhumance inverse para?t ?tre le fait de la majorit? des
membres des villages. Dans le territoire du castrum montagnard, chacun
a droit de pa?tre un maximum de moutons fix? par des r?glements, ces
m?mes r?glements qui n'excluent pas que les troupeaux soient gard?s en
commun. Le cas d'Entraunes indique que les communaut?s des hautes
vall?es pouvaient tirer en outre de notables profits (dont Entraunes a cher
ch? ? s'assurer l'exclusivit?) du b?tail de la plaine qu'elles recevaient sans doute en
m?jerie6.
Les registres des pasquiers montrent ?galement quelques seigneurs de
la montagne recevant du b?tail en m?jerie7 ou pratiquant la transhumance ;
apparemment depuis peu de temps d'ailleurs : leurs initiatives ne semblent
1. Le ? pasquier ? d?signe bien de fa?on g?n?rale tout droit sur les p?turages et m?me les p?tu rages eux-m?mes, mais de fa?on plus ?troite ? c'est le cas dans ces r?glements et tarifs ? le droit sur le b?tail venant d'au-del? de la limite des collium supra. Quant au droit sur ? les b?tes des castrum alentour ?, c'est le ? relargage ? (cf. Arch. d?p. B.-d.-R., B 1845, f? 8v).
2. Arch. d?p. B.-d.-R., B 1980, cit? par E. Baratier, Enqu?tes... 3. Ibid., B 1768, cit? par T. Sclafert, op. cit., p. 50. 4. Gavotorum. Les mots, plus encore que les r?glements, ne sont-ils pas le signe d'?tats de fait
bien admis ? 5. Arch. d?p. B.-d.-R., B 1845, f? 8. Le pasquier est ordinairement de 18 deniers par trentenier.
Le comte per?oit plus que sa part ? Draguignan mais moins ou rien du tout dans certains castrum.
J'ai sous-estim? la valeur r?elle du droit ? 150 livres, soit 10 % de b?n?fice pour le fermier alors
qu'une proposition de Bl?giers et Chanolles (B 159, f? 64) de rachat de ferme laisse supposer que celle-ci rapporte au moins 64 %. A titre de comparaison, le troupeau d'ovins des trois d?partements des Bouches-du-Rh?ne, du Var et du Vaucluse ?tait en 1954 de 500 000 ? 600 000 t?tes, dont 350 000
environ transhumaient. Les contr?les sanitaires indiquent qu'en 1958 ? partir du Var 71 056 b?tes
transhumaient. La transhumance ? inverse ? est aujourd'hui en Provence ? peu pr?s inexistante
(Roger Livet, ? Les ?levages proven?aux ?, M?diterran?e, 1965, juil.-sept., pp. 185-200). 6. ? Les hommes et les syndics d'Entraunes se sont astreints ? donner et payer ? la Cour royale
dix livres coronat chaque ann?e pour que la Cour n'introduise ou ne fasse introduire aucun b?tail sur ce territoire ?, indiquent en 1345 les procureurs d'Entraunes, cependant que cinq appelants de la localit? voisine de Saint-Martin rappellent que depuis six ans ils ont le droit par convention
d'introduire ? du b?tail proven?al ou autre pour pa?tre ? Entraunes s'ils se conforment ? la conven
tion du 10 ao?t 1335 qui accorde huit trenteniers par maison ? (Arch. d?p. B.-d.-R., B 160, f? 30v
et 31v). 7. Pierre Giraud de Beaujeu (ibid., B 159, f? 64) ? en croire Th?r?se Sclafert (op. cit., p. 52 :
Giraud de Fontfroide).
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LA VIE PASTORALE EN PROVENCE AU XIVe SIECLE 71
qu'une r?plique de celles autrement plus audacieuses de leurs homologues de la plaine.
Dans la plaine et les collines drain?es par l'Argens, en effet, des seigneurs appartenant ? de tr?s grandes familles proven?ales (les Pontev?s, les
Castellane, les Vintimille, les Puget, les Villeneuve, les Ago?t) se sont mis,
depuis une trentaine d'ann?es ? peine, ? acqu?rir des droits sur des castrum
de montagne, ? s'entendre entre eux pour disposer d'un ?ventail de p?tu rages complet
et garder les troupeaux
avec le m?me personnel.
Ils font
transhumer des moutons entre leurs castrum de la plaine et ceux des hautes
vall?es du Var et ses affluents principalement, mais aussi du Verd?n et de
la Bl?one. Les troupeaux sont honorables : plus de 2 000 t?tes pour trois
seigneurs ? Castellet-les-Sausses en juillet 1345 ? ?levage lucratif, men?
avec de gros moyens et sans doute de gros appuis. Des monast?res ?galement pratiquent cet ?levage, de fondation ou plus
exactement de popularit? r?cente : les Commanderies de l'H?pital, combl?es
par Charles II, le monast?re Notre-Dame-de-Nazareth d'Aix, combl? par ce m?me comte et par les Proven?aux. Ont-ils pratiqu? la transhumance
avant les grands seigneurs ? C'est vraisemblable mais non de mani?re
syst?matique jusqu'? ce que les seigneurs eux-m?mes le fassent. Les deux
exemples suivants en t?moignent : les moniales d'Aix ont depuis 1303 par
privil?ge le droit de pa?tre ? Prads. Pourtant ce n'est qu'en 1326 qu'elles re?oivent en donation le droit de pa?tre ? Bl?giers et Chanolles, droit qui
compl?te heureusement celui poss?d? depuis un quart de si?cle1.
Le privil?ge sur lequel s'appuie l'H?pital de Manosque, datant de 1293, concerne sans plus de pr?cisions le droit de pa?tre par toute la Provence, faisant il est vrai mention du d?placement des b?tes de lieu en lieu. Mais
les inventaires du b?tail de cet H?pital, que nous avons la chance de
poss?der, montrent une
r?gression du cheptel dans le premier quart du
xive si?cle et, au contraire, ? partir des ann?es 30, un redressement specta
culaire associ? ? un soin plus grand de la gestion. C'est ainsi que l'inventaire
est mis ? jour plusieurs fois par an, atteste la transhumance de moutons
et ch?vres (ce quando invenit in mont anea ?, ce
quando venit de mon
tanea ?), indique m?me les p?turages d'hiver au-dessus de Beaumont, et
donne enfin le prix ?
tr?s ?lev? ?
auquel sont vendus les moutons au
retour de la montagne ou
pendant l'hiver2.
Mais, diront les historiens de l'H?pital, c'est toute la gestion des comman
deries qui est ainsi remise en ordre ? cette ?poque. Oui, de la m?me mani?re
que les grands seigneurs repensent leur gestion : les redevances en
argent ne
rapportent plus grand-chose ; les entreprises comme la transhumance
au contraire, d?bouchant sur les circuits commerciaux, ne peuvent pas ?tre
victimes de la d?valuation.
1. Comment un monast?re d'Aix peut-il attirer un donateur de la haute Bl?one ? Existe-t-il des prospecteurs de donations ?
2. Arch. d?p. B.-d.-R., 56 H 4634, 56 H 833.
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72 P. COSTE
Les diff?rents pays d'?levage
De toutes les r?gions proven?ales, l'Autev?s ? la plaine de Saint-R?my et Ch?teaurenard
? appara?t dans ces
registres comme
ayant la plus grande unit? de caract?res : pays ?quilibr?, raisonnable, se suffisant ? lui-m?me, o? la vie des castrum est
remarquablement organis?e par des structures
de type ou de fonctionnements municipaux. L'unit? sociale r?side dans le fait que tous les appelants de l'Autev?s
sont des propri?taires terriens ais?s, roturiers ou de noblesse locale vivant
sur leurs terres et dont les biens fonciers sont la plus grande richesse. Dans la gestion de leurs biens, ces hommes sont organis?s. Pour d?fendre
leur cause ? Aix, la plupart viennent personnellement et produisent des titres par lesquels ils appuient leurs pr?tentions sur les biens qu'ils poss?dent dans le castrum vis?, sur les imp?ts qu'ils y payent, sur la citoyennet? qu'ils y ont obtenue. Titres solides, justifiant des pr?tentions raisonnables.
De fait rien de d?mesur? dans les relations pastorales qu'attestent ces
proc?dures : neuf appelants paissent dans le village contigu, deux dans un castrum
proche. Chacun ne pr?tend qu'?
un seul castrum. Mieux, aucune
de ces relations pastorales ne sort de la plaine.
Aussi, l'?levage que pratiquent ces hommes n'a rien ? voir avec la
grande transhumance. Li? au travail de la terre pour trois d'entre eux,
il se limite pour quatre autres ? de petits troupeaux de moutons comptant de 45 ? 240 t?tes, ou ? des bandes de chevaux (39 b?tes pour le plus ais?),
qui au milieu de l'?t? (15 juillet) paissent toujours dans la plaine. Petit
?levage ? pr?dominance ovine, sans d?placements,
et compl?tant
une
exploitation fructueuse de la terre, voil? ce que semble ?tre la vie pastorale de l'Autev?s au milieu du XIVe si?cle.
L'attitude des communaut?s n'indique pas d'ailleurs qu'il y ait sur
charge pastorale. En effet, dans la plupart des cas, elles refusent de prendre partie
ou se concilient l'appelant, et les Ma?tres rationaux ent?rinent ces
accords.
Cette bienveillance des communaut?s, cette facilit? d'user de leurs
p?turages sont, sans paradoxe, les fruits de leur organisation, de leur souci du bien commun. C'est ainsi qu'invit?es ? prendre partie, six fois elles
d?l?guent ? Aix un procureur, trois fois elles envoient une information, alors que c'est le plus
souvent pour dire que tout va bien.
Significatifs ?galement sont les r?glements municipaux rapport?s ou
?voqu?s, qui assurent la sauvegarde des robines, chemins, p?turages ; les
demandes et serments de citoyennet? ; les assembl?es g?n?rales ; et toutes
les r?flexions contenues dans les d?positions, titres et pro ces-verb aux
attestant que ces hommes de l'Autev?s, m?me s'ils n'appartiennent pas
? des castrum r?gis par des institutions municipales ?
Orgon n'a ni syndic ni procureur, Maillanne d?pend des d?cisions de quatre coseigneurs
? ont
le sentiment d'?tre (mieux que des ce hommes populaires ?, ou des ce nobles ?, ou des ce habitants ?) des citoyens.
Dans le pays de Forcalquier, des coutumes de d?paissance r?ciproque
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LA VIE PASTORALE EN PROVENCE AU XIVe SI?CLE 73
lient ? ou devraient lier ? deux par deux tous les castrum cit?s dans les
registres des pasquiers. De ce fait, ce sont les communaut?s villageoises qui font appel et, sauf dans le cas de Saint-?tienne et des Orgues, surcharg?s, ces
appels aboutissent, ou semblent devoir aboutir, car les coutumes,
raisonnables, profitent aux deux parties.
L'?levage ici, quoique d'ambition modeste, profite de fa?on in?gale aux membres in?galement fortun?s de ces communaut?s. Il se pratique sans
d?placements, sinon ceux n?cessit?s par le renouvellement des p?tu
rages (favoris? donc par l'association bin?me des castrum qu'il a entra?n?e), et avec des esp?ces multiples, comme celles ?nonc?es par un ancien berger appel? ? t?moigner : bovins, ?quins, petit b?tail. Nulle b?te ne sort du pays dans le but de pa?tre, nulle n'y
entre.
Dans le pays de Pertuis et d'Aigu?s, l'anciennet? des titres fixant la vie pastorale est frappante : 1272, 1275, 1285, 1286, 1293, 1301, 1304, 1311, 1342, voil? les ann?es des neuf titres cit?s dans les registres. En fait
c'est l'ensemble du pays qui semble s'?tre organis? dans le dernier quart du xine si?cle, avec les bastides ? celle des seigneurs Savarice (la Basti
donne), celle aussi sans doute des seigneurs Jourdan, du seigneur Sans?n ?
avec encore l'?ph?m?re baillie d'Aigu?s, dont la constitution, mal connue, a pu correspondre ? un d?veloppement original du pays.
Quel est l'?levage pratiqu? dans ce bas pays ? Celui des moutons, en
troupeaux assez nombreux1 qui restent, semble-t-il, toute l'ann?e dans les
parages2 mais tournent cependant d'un p?turage ? l'autre3.
Et la transhumance? Il ne faut pas l'exclure, au moins en m?jerie, ? la fin du xme si?cle : l'obtention du droit de pa?tre du petit b?tail ? Per tuis au d?but des mois d'octobre 1272 et 1275 le sugg?re. Elle existe de
fa?on attest?e dans le second quart du XIVe (parall?lement ? l'?levage de
plaine d?crit plus haut) par le canal de l'H?pital de Manosque dont le b?tail ce lainu ?, ce quando venit de montanea ?, passe l'hiver ? Bouvi?re ? c?t? de Beaumont.
Deux derniers caract?res marquent ce pays au milieu du xive si?cle :
d'une part, il semble ?quilibr? dans ses p?turages, en dehors peut-?tre de Beaumont, ? la porte de la plaine quand on descend la Durance. D'autre
part, sur six appelants cit?s, quatre sont des seigneurs du pays, ?leveurs
attest?s pour trois d'entre eux.
La vall?e de la Durance, ? la hauteur de Sisteron et des vigoureuses collines qui la dominent ? l'est, est une r?gion peu active. Les habitants voient certainement passer de grands troupeaux de petit b?tail qui descendent ou montent ? l'automne et au
printemps. Le pays pourtant semble se contenter d'un petit ?levage traditionnel, li? au travail de la terre ou le compl?tant ; et quelques troupeaux plus importants, dont rien ne dit
1. Ceux que les bergers poss?dent ? leur compte, en plus de deux qu'ils gardent, sont limit?s ? deux trenteniers.
2. En 1345, la relation la plus lointaine de Beaumont est Saignon, de l'autre c?t? du Luberon. 3. En 1285 seigneurs et habitants de Beaumont d?cident de faire repartir dans les huit jours
tout b?tail ?tranger introduit par l'un d'eux sur le territoire.
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74 P. COSTE
qu'ils ne passent pas toute l'ann?e sur
place, suffisent ? surcharger les
p?turages. Il est vrai que la nature est peu propice, et il appara?t que d?j? en 1345 les eaux
emportent la montagne.
M?me m?diocrit? sur les plateaux et dans les basses vall?es des affluents de rive gauche de la Durance, entre Bl?one et Colostre. La d?population attest?e ? M?zel en est sans doute la cons?quence.
Les hautes vall?es de la Bl?one, de l'Asse et du Verd?n sont mentionn?es avec peu de d?tails pastoraux. Le recensement des ?tats f?odaux ant?rieurs au XIVe si?cle montrerait-il des relations g?ographiques anciennes diff? rentes de celles qui permettent,
en 1345, aux seigneurs
et monast?res du
bas pays d'y transhumer, et par voie d'hypoth?se d'y pratiquer un type
d'?levage primitif diff?rent ?
Les Pr?alpes de Grasse et de Nice semblent s'?tre ouvertes plus t?t
? la transhumance, non seulement inverse, mais encore normale. La proxi
mit? exceptionnelle des p?turages d'hiver et de ceux d'?t? a pu favoriser cet
?levage. Mais la faiblesse des distances n'a pas pour autant att?nu? les
r?sistances : c'est par un privil?ge royal, et ? condition qu'il se mod?re,
que l'H?pital du Var obtient de pa?tre dans les localit?s du Val Lantosque.
Hypoth?ses de recherche
Cette analyse de l'?levage proven?al ? la fin du Moyen Age et de la
place de la transhumance, faite ? la lumi?re des registres des pasquiers, ne
pr?tend pas renouveler la v?rit?. Du moins devra-t-elle inciter ? regarder d'un il plus critique
tous les auteurs mineurs dont le nombre et l'unani
mit? peuvent faire impression, et pousser ? rechercher dans d'autres sources
de premi?re main des indications confirmant ou infirmant celles de ces regis tres. L'appel sinc?re (car si l'appel est fr?quent, la sinc?rit? l'est moins) aux
naturalistes, aux v?t?rinaires, aux g?ographes,
sera ?galement n?cessaire.
Enfin, on devra se m?fier, tant des traditions folkloriques que des folklo
ristes.
Si les conditions g?ographiques naturelles, abondamment d?crites par d'autres auteurs, poussent les ?leveurs ? transhumer mais ne les y contrai
gnent pas (l'exemple, dans ces registres, des honorables troupeaux de
petit b?tail des monast?res du Thoronet et de la Verne le rappelle), des
conditions politiques et ?conomiques semblent n?cessaires au d?veloppe ment de la transhumance.
L'organisation qu'exige la transhumance (p?turages de plaine et de
montagne, ?tapes, passages, etc.) peut ?tre offerte par l'?tat et profiter alors aux plus humbles habitants (encore que ces derniers ne semblent
efficaces que quand ils sont soutenus par des groupes communautaires) ; ou bien elle peut ?tre acquise par des soci?t?s ou individus puissants
(monast?res, grands seigneurs). Mais la transhumance ne peut
se concevoir
dans un cadre de structures sociales incoh?rentes. Elle ne peut pas non
plus
?tre pratiqu?e si elle ne d?bouche pas sur les circuits commerciaux. On
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LA VIE PASTORALE EN PROVENCE AU XIVe SIECLE 75
imagine mal un individu ou l'ensemble des individus d'une communaut?,
entreprenant ou faisant entreprendre chaque ann?e des d?placements aussi
complexes, aussi co?teux, pour faire pa?tre dans de meilleures conditions
le seul b?tail n?cessaire ? la consommation familiale ou ? des trocs locaux.
Plus, l'essentiel des b?n?fices de la transhumance ne saurait profiter qu'? une minorit? : un tel ?levage peut-il s'?tendre ? toute la soci?t? d'une
r?gion ? Qui consommerait tous les moutons ? Cette minorit? sp?cialis?e se
recrute-t-elle au niveau des individus (un ou
quelques entrepreneurs par
localit?) ou des groupes (la majorit? des membres de certains villages) ?
La g?ographie et le bon sens apportent une premi?re r?ponse en d?si
gnant de fa?on privil?gi?e les t?tes de parcours comme origine possible des transhumants. Les registres des pasquiers
en apportent quelques autres,
mais de nouvelles recherches tenant compte de ces hypoth?ses sont
n?cessaires.
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