La Vie, le Polyvers et le Reste

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L V, P R entin Le Guennec

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Des Dieux débatent sur l'origine de la Vie. (nouvelle écrite sur le thème: «un dieu s'égare»)

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La Vie, lePolyvers etle Reste

�entin LeGuennec

Chapitre 1

Le Polyvers

Les univers se bousculaient, éparpillés dansl’immensité du Polyvers. On aurait dit des moléculesde diazote dans l’air. Les Dieux prédisposés au tricosmique avaient énormément de travail à effectuer.Les agents de tri sélectionnaient un univers par unet essayaient de deviner quelle folie avait motivé soncréateur. Ils trouvaient de tout, et tout avait ni queueni tête: des univers sans lumière, des univers sansmatière, des univers avec une seule étoile, ou alorscertains en contenant des milliards. Leur objectif

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était de décider lesquels de tous ces univers devaitêtre supprimé ou conservé, le souci étant qu’ilsn’avaient aucun critère précis pour le déterminer. Engénéral, ils conservaient ceux où la vie était apparue,afin d’analyser pourquoi. Cette question n’étaittoujours pas résolue, et les Dieux persistaient à ytrouver une réponse.

Le concept de vie ne leur était pas familier en pre-mier lieu, ils l’avaient découvert par le truchementde leurs créations. Un univers en particulier avait ététrès instructif: Pi, l’univers qui avait donné naissanceaux Hommes, et son créateur, à la fois respecté etcraint, était prénommé Ludite 1, et était pour lesDieux un sage incontesté.

Dans le Polyvers, un groupuscule fanatique qui1 Pour améliorer la compréhension de cette nouvelle, le langagePolyversif a été traduit en son équivalent humain. Quarante-septcordes vocales de tonalités différentes seraient nécessaires pour pou-voir prononcer ce mot en langage Polyversif, et au moins autantd’yeux pour pouvoir le lire.

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vénérait les Hommes s’était formé. Diverses per-sonnalités étaient particulièrement adorés: Einstein,Hawking et bien d’autres. Un scientifique humainavait attiré les plus grands débats en ayant émisl’hypothèse que le noyau d’un atome était en fait uneétoile et que les électrons gravitant autour étaient desplanètes. Ainsi, chaque système stellaire était com-posé d’atomes, qui eux-mêmes étaient des systèmesstellaires à une échelle différente. Les Dieux, pas-sionnés de vulgarisation scientifique, avaient trouvéque la théorie expliquait plutôt bien le bordel duPolyvers. De la même façon, ils ne comprenaientpas les détails de la théorie de la relativité généraled’Einstein mais pensaient la théorie était assez com-pliquée pour décrire la situation.

Des Dieux s’étaient mis en tête de comprendre lesimplications physiques et mathématiques liées auxthéories humaines, mais les mathématiques étaientpour eux beaucoup trop compliquées; une légenderaconte que l’un deux, Rapf, avait implosé à force dese creuser les méninges sur une équation du seconddegré, anéantissant le milliard d’univers dont il était

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composé. Car les Dieux eux-mêmes étaient com-posés d’univers, ou plutôt, ils étaient la liaison entreles différents univers, similaire aux jeux de construc-tion magnétique: les univers étaient les boules et ilsétaient les tiges qui les reliaient. Ils se déplaçaienten réalité en transposant leurs tiges d’un univers àun autre. L’obscurité du Polyvers était ainsi diapréepar un gigantesque réseau de membranes fusiformesde toutes les couleurs imaginables et inimaginables.C’était également par le biais des univers qu’ils di-aloguaient. Les informations voyageaient par leursmembranes interconnectés à des milliards d’univers.

Certains Dieux, à l’inverse, infirmaient lesthéories scientifiques et se contentaient de se laisseradorer par les êtres vivants. En effet, dans les universoù la vie était apparue, elle justifiait parfois par uneintervention divine sa création. Ce n’était pas totale-ment faux, mais cela n’était pas totalement vrai nonplus, car la vie n’était qu’une conséquence aux di-verses expérimentations divines. Ludite avait décrétéque tout Dieu pouvait croire à ce qu’il voulait, etavait ainsi instauré la laïcité dans le Polyvers. La

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plupart des Dieux, en revanche, trouvait extrême-ment gênant certains cultes qui leur était voué, etles représentations qui leur était dédiées. Le fait quecertains êtres vivants se tuaient entre eux au nomde leur Dieu favori était devenu un sujet d’humourà la mode. Car si le concept de «vie» commençaità leur devenir familier, celui de «mort» leur étaittotalement saugrenu.

Les boutades sur les Hommes étaient très prisées,la culture humaine étant une marque de distinctionculturelle. Rien n’était tabou, ou presque. Unequestion demeurait, et personne n’osait la poser: «Si nous sommes les créateurs des univers, qui est lecréateur du Polyvers? »

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Chapitre 2

Xex Menu

L’idée de devoir assister au cours de culture humainen’emballait pas vraiment Xex. De toutes les culturesdu Polyvers, c’est celle qu’il détestait le plus, maisil devait impérativement valider cette matière afind’acquérir son diplôme. La concurrence était difficileà l’université Rama, et seuls les diplômés pouvaientprofiter de la totalité de leurs pouvoirs divins. Créerdes univers, c’était donné à tous les Dieux, mais créerla vie, c’était différent. Ce n’était que par l’étude et letravail qu’on y arrivait, parait-il. Ce que pensait Xex,

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c’était que la vie n’était pas difficile à créer; seuls desêtres semblables aux humains l’étaient.

Durant ses expérimentations au laboratoire desunivers-brouillons, il avait une fois créé une espècequi évoluait dans deux dimensions, sur une planèteou la gravité était immense, ils n’avaient pu grandiret étaient condamnés à rester aplatis, formant desformes géométriques simples. Son professeur s’étaitmoqué de lui, devant toute la classe: « Alors, Mon-sieur Menu, on fait des crêpes? ». Personne n’avaitri, car personne ne savait ce qu’était une crêpe. Iln’avait pas observé l’évolution de cet univers, il étaitprobablement perdu et sera sûrement recyclé parles agents de tri s’ils tombent dessus un jour. Beau-coup de paramètres devaient être pris en comptepour la création d’univers. Il n’y avait qu’une seulefaçon de procéder: le Dieu réglait «l’instant zéro» etles constantes fondamentales: vitesse de la lumière(si lumière il y a), constante de la gravitation, etc.Après un processus mental de visualisation, on lais-sait l’univers progresser à sa manière propre: certainsréglages menaient à un «Big Bang», une expansion

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brutale de l’univers, d’autres à l’inverse: la matièrese rapprochait de plus en plus, et l’univers se rédui-sait à l’infini, ce qui n’est pas vraiment commodeà l’apparition de la vie. Certains encore restaientsimplement dans leur état initial car le Temps n’avaitpas encore débuté, et les Dieux ne pouvaient le ma-nipuler. Quand il était présent, la manipulation duTemps était un moyen courant de regarder les ré-sultats de sa création. La vie n’apparaissait des foisqu’après des milliards d’années de l’instant zéro.

La manipulation du Temps et l’observation desunivers était réalisée grâce au membranes des Dieux,qui se connectaient à l’univers en question. Durantces étapes, la membrane produisait un son extrême-ment haut et profond, et on aurait crû entendreles chants des profondeurs sous-marines d’une Terrelointaine. La membrane émettait également un panelde couleurs qui balayait le spectre lumineux de longen large, et l’œil humain n’aurait su voir la moitié deces couleurs.

L’univers Pi avait était déplacé à l’université Ramaafin que les élèves puissent l’étudier. Xex se de-

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mandait en quoi l’observation des univers était un su-jet intéressant. Il préférait s’intéresser aux questionssur le Polyvers, et il avait donné à ses professeurs desmigraines abominables à cause de ses questions, et ilsl’avaient souvent trouvé arrogant et trop curieux. «Contentez-vous d’étudier Pi, Monsieur Menu. Vousavez encore beaucoup à apprendre. ».

Quand il arriva dans la classe, Xex sut que ce coursn’allait pas se passer de manière habituelle. Sonprofesseur ne semblait pas vraiment à son aise. Sesmembranes avaient une couleur terne et le gaz qu’ilavait dégagé signalait sa détresse et sa peur. Ludite setrouvait à ses côtés.

« Monsieur Menu, nous avons dû annuler ce courspour une raison précise. Ludite aimerait vous parler,seul à seul.»

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Chapitre 3

Ludite

Xex déambulait calmement aux côtés de Ludite dansles couloirs de Rama. Le sage permutait ses mem-branes d’univers en univers avec une habilité consid-érable, et les couloirs rayonnaient de l’intensité deleurs pigments.

« Vous êtes un Dieu bougrement curieux, Xex.Êtes-vous réellement satisfait de votre enseignementà Rama? demanda Ludite

- Vous avez parlé à mes professeurs, et je présumequ’ils ont déjà répondu à cette question. Peu de cours

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me satisfont, avoua-t-il- Puis-je savoir quelles matières étanchent votre

soif de savoir, dans ce cas?- Je ne pense pas vous étonner si je vous avoue, sauf

tout le respect que je vous dois, que les Hommes nem’intéressent pas.

- C’est très audacieux de votre part de renier notreplus grande source de connaissance, surtout auprèsde son géniteur, lui confia Ludite. Les Hommes ontprouvé une intelligence supérieure aux autres formesde vie du Polyvers.

- Nous sommes plus intelligents, lui fit remarquerXex Menu.

- Le pensez vous vraiment? Avons-nous réussi àrendre compte de la science et de la métaphysiqueaussi bien qu’eux? »

Les membranes de Xex arboraient une pâle col-oration de calme et de quiétude.

« Nous nous limitons à étudier les autres espècespour comprendre le monde qui nous entoure. Nedevrait-on pas réfléchir par nous même et imaginernotre propre science?

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- Notre science est la création de la vie. La mé-taphysique n’a aucun intérêt pour nous, car noussommes la métaphysique. Nous devons laisser auxêtres vivants la compréhension de la vie, et peut-êtrenous apprendrons plus à notre sujet, affirma Ludite.

- Nous sommes des êtres vivants. Mais venons enau fait. Quelle raison obscure serait assez valablepour que je ne sois pas présent au cours de culturehumaine?

- Laissez-moi vous expliquer. Pi va bientôt con-naître un énorme bouleversement quantique. Jepense que les Hommes vont bientôt connaître laréponse universelle à l’Origine. Pi a été placé enquarantaine, car la manipulation du Temps est de-venu impossible à effectuer, comme s’il offrait lui-même une sorte de résistance. Selon mes calculs, uneseule issue est possible pour le sauver. Un Dieu doitaller là-bas pour trouver l’origine de l’anomalie et laréparer.

- Envoyer un Dieu dans un univers? C’est totale-ment absurde! remarqua Xex.

- Selon nos théories, nous pouvons utiliser un trou13 19

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noir pour transposer un Dieu dans un univers. Ilsuffirait que le Dieu connecte tous ses membranes àcet univers, et qu’il se visualise à l’extérieur du trounoir.

- Et qu’est-ce que tout cela a à faire avec moi? Vousvoulez m’envoyer sur Pi?

- Précisément, lui répondit Ludite.

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Chapitre 4

Pulse

Le trou noir grogna. À son centre se dessinaune esquisse liquéfiée de tempête menaçante. Puiss’éparpillèrent du centre des couleurs que l’Universlui-même n’avait jamais connu. En quelques mil-lisecondes, la masse du trou noir augmenta pourenfin atteindre la masse d’un million de milliards demasses solaires. La pluie de coloris se courba peu àpeu quand elle approcha l’horizon des événements,jusqu’à ce qu’elle recouvre totalement le trou noir. Ilressemblait maintenant à une étoile immense, la plus

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massive de l’Univers. Des filaments de différentesteintes se livraient bataille à la surface, et aucunecouleur ne prenait l’avantage sur les autres.

Le grognement caverneux du trou noir se trans-forma peu à peu en chant céleste, et aux oscillationsde la courbe sonore de la mélodie correspondaientune nouvelle couleur qui prenait vie parmi les autres,et une pulsation, au centre, déformait la sphère. Lafluctuation ainsi formée expulsait dans le vide descylindres de couleur homogène, qui se libéraient dela force de rétention du monstre gargantuesque. Ilétait difficile de deviner si la voix mélancolique selamentait de ses enfants qui quittaient son berceauchaleureux, ou si elle annonçait un présage de renou-veau et de libération. La lueur terne de la Voie lactéese diapra de nouvelles couleurs magnifiques, et lagalaxie pulsa bientôt selon les battements du nouvelastre ainsi formé. Dans l’Univers entier, l’astre ex-pulsait ses cylindres colorés à une vitesse supérieureà celle de la lumière, et la structure même de l’espaces’altérait.

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Chapitre 5

La Vie, le Polyvers et leReste

Dans un minuscule village de France, trois adoles-cents avaient déniché un objet extraordinaire durantune de leurs excursions: un objet cylindrique d’unecouleur si étrange que le regarder leur donnait desmigraines. Léo, un des trois compagnons, égalementguitariste de leur groupe de musique, décida deramener l’objet chez lui avec Quentin et Pilou, ses

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camarades. Quand il posa l’objet au sol, sa couleurvacilla légèrement et ils remarquèrent qu’il émit unfaible son, comme un gémissement. Le groupe demusique, Psychédélite, se consulta silencieusementet ses membres parvinrent à la même conclusion:ils décidèrent que la meilleure manière de savoir cequ’était le cylindre était de le fumer. Et ils vécurentle trip le plus psychédélique de leur vie.

Les seuls éléments qui venaient briser l’obscuritéde la planète étaient ses seuls habitants, des organ-ismes aplatis qui évoluaient dans deux dimensions.Leurs couleurs multiples éclairaient l’horizon. Leurplanète était sans relief et ils se nourrissaient desa composition interne relativement pauvre. Pen-dant des millions d’années, leur forme n’avaient ja-mais évolué, et leur espèce avait semblé proche del’extinction. Cependant, alors que tout espoir sem-blait perdu, la planète fut frappée par des centaines demétéorites, qui avaient déversé tous les éléments pri-mordiaux de l’univers sur la planète. Une météoriteen particulier avait libéré sur la planète une substance

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étonnante: la matière noire. Tous ces éléments secombinèrent car la gravité de la planète était extrême-ment forte, attirant tous les éléments jusqu’à sonnoyau.

Durant des millions d’années, les êtres primitifsavait entamé une nouvelle étape dans leur évolution:s’adapter à cet environnement. Pour faciliter leurdéplacement, leur corps était devenu fusiforme, et ilsavaient remarqué qu’une force étrange apparaissaitquand ils se rapprochaient les un des autres. Dansl’anomalie formée entre les deux corps, ils pouvaientpuiser dans de nouvelles sources de connaissance, etleur intelligence crût exponentiellement au fil desmillénaires. Peu à peu, les membranes se réunirentpour former des êtres vivants nouveaux.

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