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LA VIE AVANT TOUT Tiré d’une histoire vraie : celle de Priscille Déborah De Sandrine Cohen Sandrine Cohen – 06 86 89 88 29 – [email protected]

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LA VIE AVANT TOUT

Tiré d’une histoire vraie : celle de Priscille Déborah

De Sandrine Cohen

Sandrine Cohen – 06 86 89 88 29 – [email protected]

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La vie avant tout Version du 20/03/20 1/33

Nota Bene de l’auteur :

J’ai mis des dates qui « scandent » le récit.

On pourrait imaginer une voix off.

I - Du bing bang à la renaissance.

Date

Dans un pavillon sympathique de Rosny-sous-Bois avec une cour et un petit jardin, une

fête déguisée « animaux » bat son plein. C’est l’anniversaire de Priscille,

une « vache », elle est enceinte de huit mois, il y a son mari, Tristan, un « coq », ses

parents, Antoine et Nadine, ses beaux-parents, Yves et Nicole, tous ses amis sont là,

ils sont une trentaine, Bernard, son patron, Emma, sa collègue. Son amie Anna

l’embrasse sur la joue. Elle fête ses trente ans.

Priscille parle avec tout le monde. Elle sert des toast, remplit un verre, rit à une blague

de Bernard, « un lion », « Dans notre métier on t’oublie aussi vite qu’on t’adore ». Elle

s’offre même une coupe de champagne, « Ça peut pas faire de mal au bébé, il est

presque sorti. ». Il fait beau, c’est l’été, beaucoup d’invités sont dehors dans la cour et

dans le jardin, tout le monde a joué le jeu et les déguisements sont très drôles. Priscille

fait visiter son atelier à quelques amis, ses peintures sont libres, à la fois sombres et

lumineuses, criantes, douloureuses et très vivantes. Emma, une « poule », met une

option sur une toile. Priscille rit et en même temps plaisante, elle ne fait pas ça pour

lui faire plaisir ? Ou l’acheter ? De toute façon, c’est acquis, hein, c’est Emma, qui

reprend son poste pendant son congé maternité. Un autre ami, Laurent, un « zèbre »,

paye cash une autre toile. Priscille rit plus fort, alors quelqu’un peut vouloir acheter

ses croutes, c’est bien parce que c’est son anniversaire. Laurent lui dit qu’elle est une

artiste. Priscille rit encore plus fort. « Faut pas exagérer, c’est un hobby, de toute

façon, il n’y avait qu’un artiste dans ma famille et c’était mon frère, mais c’est gentil. »

Derrière elle, son père, un des rares à ne pas être déguisé se pince les lèvres, sa mère,

pas déguisée non plus, serre le bras de son mari.

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Dans le salon, la nuit est en train de tomber, Tristan et Laurent apportent le gâteau

d’anniversaire, un fraisier sur trois étages avec trente bougies dessus, le chiffre 30 écris

en énorme dessus et une décoration en sucre : Happy Birthday Priscille. Tout le monde

chante « Happy Birthday ». Priscille a les yeux qui pétillent et le rire strident, la voix

aussi, quand elle remercie. « Arrêtez, arrêtez, je ne veux pas vieillir, vous êtes fous, je

ne mérite pas ça. » Elle rit et elle souffle les bougies, une fois, deux fois, elle en souffle

trois ou quatre, pas plus, elle a le souffle court, elle essaye encore, elle souffle une

bougie de plus, elle rit, « Je suis vraiment nulle ». Tristan l’assemblée à parti, « C’est

pas gagner pour le bébé. Sa mère est une vache. Il faudra te remettre au sport, voilà ce

que j’aurais dû t’offrir, un abonnement au gymnase club ». Priscille rit de la blague avec

tout le monde. Elle demande à Tristan de l’aider. Ils soufflent ensemble et toutes les

bougies s’éteignent. Tristan l’embrasse. « Tu vois mon cœur, c’est bien quand on est

tous les deux. » Applaudissements. Rires. Ils offrent les cadeaux. Il y a des plaisanteries

sur la lingerie fine offerte pour « après » et un court de sport pour « avant ». « Ah voilà

la bonne idée du gymnase club. » Tristan lance la musique, la salle à manger se

transforme en dance-floor. Priscille s’écroule sur le canapé. Elle touche machinalement

son ventre, son regard se perd, soudain ailleurs.

TITRE : LA VIE AVANT TOUT.

Date

À l’hôpital, Priscille accouche. L’accouchement est long et difficile. Soudain, ça y est,

son bébé est là, c’est une fille : Zoé. La petite fille ne crie pas, on l’emmène dans une

salle. Priscille, épuisée, ne comprend pas. Qu’est-ce qui se passe, elle s’affole. Son bébé

ne va pas bien ? Il est malade ? Elle va mourir ? Elle savait que ça se finirait comme ça.

Elle savait bien que le bébé serait malade. Elle crie, elle panique. L’obstétricien est déjà

parti, la sage-femme demande qu’on lui donne un sédatif. Priscille s’endort shooté aux

médicaments.

Quand elle se réveille, elle est dans sa chambre. Zoé est dans son berceau de maternité

en plexiglas. Priscille se lève, elle a mal, elle va voir sa fille qui ne dort pas, elle ne sait

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pas trop quoi faire. Elle veut la prendre, la repose et retourne dans son lit. Elle le

regarde le bébé, gênée.

Chez elle, Priscille n’arrive pas à peindre car Zoé, qui a un an, pleure dans son maxi

cosy. Priscille prend la petite fille maladroitement dans ses bras, elle n’y arrive pas et

elle a envie de peindre. Tristan débarque et la lui prend des bras, arguant du fait qu’elle

va la faire tomber et que elle ne sait pas s’y prendre. En plus, elle ne devrait pas

l’emmener dans son atelier, l’huile est toxique pour la petite, on lui a déjà dit quand

elle était enceinte. Priscille continue à peindre mais le cœur n’y est plus. Elle retourne

dans la maison, elle s’assoit sur le bord d’une chaise et regarde Tristan donner le

biberon à sa fille en s’amusant, il voit Priscille. « Tu n’es pas à ce que tu fais

vraiment. On part au ski la semaine prochaine, j’espère que ça ira mieux. » « Oui moi

aussi j’espère mon amour, je t’aime mon amour. » « J’aime mieux ça, ma petite femme

quand elle sourit, ça fait longtemps qu’on n’a pas fait de fête à la maison, depuis ton

anniversaire non ? Presque un an. Ca passe vite, un an que tu fais la gueule dis

donc. » « Je suis désolée. » « Je rigole pourquoi tu prends tout mal. Mais arrête les psys,

ils ne te font aucun effet. » « Je sais. » « Je ne comprends pas tu as tout pour être

heureuse. » « Je sais mon amour. » Tristan s’amuse avec Zoé, Priscille les regarde,

perdue.

Dans son bureau au travail, Priscille ne fait strictement rien, elle laisse le temps passer,

Bernard vient la voir, il lui annonce qu’il lui enlève un film pour le donner à son alter

ego de l’autre boite. C’est en fait une mise au placard en bonne et due forme qui ne se

dit pas. D’ailleurs, il lui souhaite de bonnes vacances et lui dit qu’elle changera de

bureau en rentrant. Emma entre et lui demande si ça va ? Priscille affiche

immédiatement un grand sourire. « Oui, bien sûr pourquoi tu me demandes ça ? Je

pars en vacances. »

Date

Dans un chalet très animé, il y a quatre familles, parents et enfants dont Priscille,

Tristan et Zoé. Tout le monde s’affaire sauf Priscille complètement débordée par la

préparation du petit déjeuner en cours, des enfants qui s’habillent, la douche à

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prendre. Elle regarde le spectacle, la vie, qui se déroule sous ses yeux un peu absente,

extérieure. C’est le début de la journée et à huit heures tout le monde est au taquet

pour aller faire l’ouverture des pistes à neuf heures. Ils le disent, ça crie, ça rit, ça

chahute dans tous les sens, sauf Zoé qui est immobile dans les bras de sa mère.

Nathalie, une des amies s’arrête devant elles. « Comment ça se fait que vous ne soyez

pas habillées ? » Priscille et Zoé sont encore en pyjama. Tristan arrive interdit, il prend

Zoé dans ses bras, elle n’a pas eu son biberon. Qu’est-ce que Priscille a fait depuis deux

heures ? Le tourbillon reprend. Priscille s’habille tant bien que mal. Elle dit à Nathalie

qu’elle l’admire, elle arrive même à préparer du pain perdu dans toute cette sur

activité, et à faire des album photo le soir. Le temps qu’elle le dise, tout le monde est

déjà dehors, Priscille enfile ses chaussures, à la traine, elle n’a pas petit déjeuner. Elle

sort, ils sont tous loin devant. Elle soupire.

Dans un café à Paris, Priscille montre des photos souriantes des vacances à son amie

Anna, elle montre des photos souriantes mais elle ne sourit pas. Priscille ne comprend

pas, ce qu’elle a, ce qu’elle traine, pourquoi elle est comme ça, pourquoi elle n’y arrive

pas, qu’est-ce qui se passe ? « J’ai tout pour être heureuse. » Anna lui parle une fois

encore de la dépression, que si elle n’est pas heureuse, elle n’est pas heureuse, que

non, elle n’a pas tout pour être heureuse, qu’elle a l’impression qu’elle doit choisir

entre sa famille et sa vie sociale et la peinture mais que ce n’est pas normal, pourquoi

elle ne peut pas faire les deux, changer de vie professionnelle seulement, et sinon,

garder d’abord la peinture en passion et puis lui faire prendre de plus en plus de place ?

Anna lui propose des solutions et des pistes de compréhension, la rassure, mais ça ne

fonctionne pas. Priscille ne voit pas d’issue. « Je souffre tellement. »

Date

Quelques semaines plus tard, Priscille sort de son nouveau bureau en talons hauts et

mini-jupe. Elle sort de son bureau, elle est livide. Elle a eu Anna au téléphone, elle a

raccroché en disant : « D’accord. » D’accord, mais d’accord quoi ? Elle ne sait plus, elle

ne sait plus rien que sa souffrance. Elle appelle son psychiatre qui ne répond pas. Elle

prend le métro.

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Sur le quai du métro, elle regarde les métros passer. Elle pose son sac, elle pose sa

bague. Elle saute.

À l’hôpital, Priscille se réveille, les visages de ses parents et de Tristan sont penchés sur

elle comme des oiseaux de mauvais augures. Ils sont atterrés. Soudain, elle se

souvient, sa souffrance, le quai, le métro. Elle crie d’un cri muet. Elle veut soulever la

couverture, elle ne peut pas. Elle n’a plus de bras droit. Elle veut le faire avec son bras

gauche, une infirmière arrive et dit que c’est trop tôt. Priscille ne veut rien entendre,

elle soulève la couverture. Elle a perdu son bras droit et ses jambes. Elle hurle.

Anna passe rendre visite à Priscille, elle lui apporte une biographie de Frida Kahlo. Elle

sait que ce que Priscille traverse n’a pas de mot mais la singularité des êtres et d’un

destin est unique et se doit d’être vécu. Pour l’instant Priscille ne peut pas le voir mais

elle doit regarder le « dessin » de plus haut, comme vu d’avion. Frida elle aussi était

peintre et elle aussi était handicapée. Ça ne parle pas à Priscille qui ignore

complètement le message et la main tendue. Ce n’est pas encore le moment.

À l’hôpital, Priscille est sur son lit dans un état déplorable, sa belle-mère est avec elle,

Priscille a tenté de se suicider avec un morceau de verre et de se trancher la gorge. Elle

lui dit ce qu’elle dit depuis plus presque deux mois à qui veut bien l’entendre. « Je veux

mourir, je suis un vers de terre, je veux mourir, ça ne sert à rien de vivre comme ça, ce

n’est pas possible, laissez-moi mourir. » Et, contre toute attente, sa belle-mère lui

propose un marché. « OK tu veux mourir, d’accord, je t’aiderai mais dans un an, dans

un an, je t’emmène en Suisse. » Priscille est d’accord, elle ne sait pas encore que ce

défi va lui sauver la vie. Un jour après l’autre, elle va vivre et, après un an, elle

continuera sa vie bien au-delà.

Date

Priscille commence son séjour au service psychiatrique de la Salpêtrière. Elle rencontre

son psychiatre, le docteur Castillon, elle découvre les lieus, elle prend ça pour une

punition et trouve que les autres patients sont des freaks, des fous, des asociaux, elle

n’est pas folle, elle veut mourir. Elle le dit à qui veut l’entendre : « Elle s’en fout, dans

un an, elle sera tranquille. »

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Quand même, la vie s’organise, Priscille sort fumer, elle commence à faire des portraits

des autres patients, elle réapprend tout et notamment à tout faire de la main gauche

puisse qu’elle était droitière et qu’elle a perdu son bras droit, elle reçoit toujours la

visite de son mari, Tristan qui est présent, reste et restera. « Tu veux que je m’en

aille ? » « Non. » « Moi non plus. » Elle lui dit à lui aussi qu’elle veut mourir, qu’elle

préfère que sa fille ait un père bon vivant et pas une mère triste à pleurer. Tristan

répond qu’il ne comprend pas qu’elle est égoïste et qu’elle ne pense qu’à elle, que

c’est dur pour lui. Priscille le sait bien qu’il est admirable et qu’elle a de la chance mais

voilà, elle n’y arrive pas. En même temps, elle souffre terriblement de ne pas voir sa

fille, terriblement, mais elle n’y arrive pas.

Un jour qu’elle répète encore la même chose à un aide-soignant, Blaise, qui vient du

Mali, celui-ci ne marche pas dans son jeu, ce qu’elle vit n’est pas pire que ce qu’il a

vécu et qu’elle a plein de trésors cachés en elle qu’elle a à partager. Une fois qu’il est

parti, Priscille regarde ses dessins, elle réfléchit, les prend et va les offrir aux personnes

concernées dont lui, il est très content, les autres aussi.

Un peu plus tard, Priscille raconte cette histoire à son psychiatre. Elle parle de

l’importance des rencontres et de ses dessins, de la peinture. Le docteur Castillon lui

dit alors de ne faire que des choses qui lui font plaisir. « Et là tout de suite, qu’est-ce

qui vous ferait plaisir ? » Priscille aimerait prendre une douche, une douche oui, lui

ferait tellement plaisir, cela fait deux mois qu’elle est lavé au gant, elle a envie d’une

douche. Elle rêve d’une douche.

Le lendemain, au réveil, aidée d’une infirmière, Solange, Priscille entre dans la douche

sur son fauteuil. Solange s’en va et la laisse seule. Priscille ouvre la douche et laisse

l’eau couler. L’eau lui procure une sensation intense de joie et de douceur, et là,

soudain, elle n’est plus handicapée, elle n’est plus amputée, elle sent le plaisir de l’eau

sur sa peau. Soudain, elle est juste vivante.

Priscille veut organiser un pique-nique sur la pelouse de la Salpêtrière pour ses trente-

deux ans. Elle est devenue copine avec certains patients dont Marie-Hélène, une jeune

femme anorexique. Marie-Hélène lui parie que ce ne sera pas possible, Priscille parie

le contraire, et effectivement Laredo l’autorise, mais jusqu’à vingt heure trente. Elle

obtient vingt et une heure. « Vous êtes dure en affaire. » Le soir venu, Solange lui

confirme que ce sera vingt heure trente, dure en affaire mais Laredo encore plus, et

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qu’elles n’ont pas le droit au champagne. Elle leur confisque la demi bouteille de

champagne que Marie-Hélène avait à la main ce qui agace prodigieusement Priscille.

Heureusement, Marie-Hélène en avait caché une dans son sac. Toutes les deux et le

reste des patients se retrouvent sur la pelouse, ils mangent du Tarama et du Houmous,

du Zazicki, c’est bon. Ils parlent de tout et de rien, ils font des blagues. Priscille rit

vraiment pour la première fois depuis sans doute deux ans, c’est juste la vie.

À la fin du pique-nique, Tristan rend visite à Priscille avec Zoé. Zoé est très heureuse

de revoir sa mère, elle lui saute au cou, grimpe sur ses genoux, sur son fauteuil. Elle

enfouie son visage dans ses cheveux, elle l’embrasse, elle la câline, elle la cajole.

Priscille sourie, elle adore ça, cette douceur, elle savoure les caresses et en rend

autant, c’est donc ça être mère ? C’est bon.

Le soir, dans sa chambre, Priscille ouvre le livre sur Frida Kahlo qu’Anna lui a offert, elle

commence à lire.

Dates

Priscille part du service psychiatrique, son pique-nique était une sorte de « pot de

départ », elle part à Valenton, le centre de rééducation. Quand elle arrive là-bas,

Priscille se sent mal, elle avait trouvé un équilibre, elle le perd. Soudain, elle est en

colère, contre elle, contre le monde entier, qu’est-ce qu’elle fait là, au milieu de ces

bras cassés ? Elle est pleine de préjugés, tout ça ne lui va pas, ne lui va pas du tout, les

handicapés sont tous des moins que rien, elle n’est pas comme ça. Elle, elle mettait

des talons hauts et une mini-jupe. Elle n’y arrivera pas, qu’est-ce qu’on peut faire sans

jambe et avec un seul bras ? Rien, rien du tout. Elle ne peut plus danser, elle ne peut

plus faire de sport, elle ne peut plus draguer, elle ne peut plus rien faire. Rien. Elle veut

mourir.

Ses parents viennent la voir pour son anniversaire, Priscille se met à crier, elle n’est

rien, elle n’est plus rien, elle les a déçu, qu’est-ce qu’il font là, elle ne veut pas les voir.

Son père s’en va sans même la regarder et sa mère reste là, cherchant désespérément

un contact avec sa fille. « Je n’aurais pas dû venir avec ton père, c’était trop tôt. »

Priscille refuse de faire sa rééducation, elle ne s’intègre pas, elle est seule, elle refuse

de parler à qui que ce soit, elle mange seule au réfectoire.

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Seulement, au réfectoire justement, Priscille voit deux jeunes femmes de son âge

environ qui rient. L’une d’elle est particulièrement rayonnante, Piera. Piera n’a plus de

jambes. Priscille est interloquée, elle les rejoint. Comment font-elles ? La vie ne vaut

pas la peine d’être vécue comme ça, il n’y a pas de quoi rire. Et Piera lui répond que si,

bien sûr que si la vie vaut la peine d’être vécue, la vie est une bataille et avec ou sans

jambes, elle, elle compte bien la gagner, il n’y a pas de temps à perdre. Après, Priscille

n’a qu’à voir de quel côté elle se situe, à elle de choisir.

Priscille a toujours été une gagnante, piquée au vif, elle décide de gagner, si Piera peut

y arriver, pourquoi pas elle, elle va gagner. Elle décide. Elle va gagner, elle va

remarcher.

Priscille commence sa rééducation, elle insiste pour avoir des prothèses, elle ne

s’économise pas, elle fonce, là où les médecins pensaient qu’elle ne remarcherait pas,

elle remarche en trois mois. Personne n’en revient sauf elle. Elle a décidé de relever le

défi et elle le relève avec panache.

C’est à ce moment-là que par le biais de Félix, un patient sculpteur de Valenton, elle

rencontre, au téléphone d’abord, Richard de Art Prime, qui s’occupe d’une association

avec des artistes handicapés. Il fourmille d’idée et de projets, bien sûr, si elle veut, elle

en fait partie. Évidemment que Priscille veut. Elle a cinquante tableaux en stock, elle

n’a jamais cessé de dessiner et elle a très envie de se remettre à peindre. Elle n’a pas

envie d’être une peintre handicapée mais c’est un bon début. Tellement qu’en voyant

les photos de ses peintures, elle en a un stock, il lui propose une exposition en sortant.

Priscille est aux anges, elle a rencontré quelqu’un qui a la même énergie qu’elle, et

surtout, elle va réaliser son rêve, tout ça donne un sens et un but à sa vie, à toute sa

vie, même pourquoi elle en est là.

Elle est mieux avec elle-même et du coup avec les autres. Elle s’intègre au groupe des

patients, tous ensemble, ils ont un grand jeu qui est de tous rentrer dans l’ascenseur,

et de descendre au moins un. Même si ça ne prend que quelques secondes, de

descente pour plusieurs minutes de préparation, il faut plier tous les fauteuil, ça les

amuse beaucoup.

Tous ensemble, ils font aussi souvent des virées shoping en fauteuil. Priscille en profite

pour s’acheter plein d’accessoire, des colliers, des barrettes, des vêtements, elle se

réapproprie son corps et sa féminité.

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Priscille se fait faire un tatouage.

Date

C’est le moment de la sortie, le retour à la maison. Priscille est à la fois ravie et

terrorisée, comment va-t-elle s’adapter à cet environnement qui parait si hostile ? En

tout cas absolument pas adapté. La maison de Rosny-sous-Bois était parfaite pour une

femme valide mais pour une femme handicapée pas du tout, les pièces sont petites et

surtout, les chambres, celle de Tristan et de Priscille comme celle de Zoé sont à l’étage.

Son atelier aussi. Ils pourraient faire leur chambre au rez-de-chaussée au moins. Mais

Tristan veut que cela reste comme ça, alors Priscille apprend à monter et à descendre

les escaliers en rampant. L’image est forte. Pour qu’elle raison elle ne choque pas

Tristan ? Sans doute a-t-il vécu trop de changement comme ça, peut-être ne peut-il

plus rien changer, en tout cas c’est comme ça. Mais Priscille ne s’en plaint pas, elle n’a

qu’une obsession, peindre, devenir peintre, vivre, et pour l’instant, c’est

complètement lié.

Priscille se met à peindre avec une vitalité sans précédent, elle peint tout le temps,

déjà en temps normal, elle ne s’occupe pas de son handicap mais quand elle peint, elle

l’oubli complètement, elle est entière. La première fois, qu’elle a voulu peindre à

nouveau, elle voulait peindre debout. Elle avait pris un fauteuil verticalisable, mais

voilà, ce n’était pas pratique, alors, elle a accepté son fauteuil. Son fauteuil fait partie

de son corps, et elle danse, elle courre, elle vole sur la toile, s’appuyant sur une jambe,

roulant de droite à gauche. Son corps et son esprit ne font plus qu’un, concentré en

un geste extraordinaire et émotionnel. Elle peint en musique, elle part d’une photo,

d’un objet, elle cligne des yeux et elle se propulse vers la toile. Ce n’est pas que simple

bien sûr, elle cherche, elle tâtonne, mais elle se donne à la peinture comme elle arrive

enfin à s’abandonner à la vie. Dans son engagement et sa passion, elle ressemble à son

modèle, Frida Kahlo dont les œuvres sont présentes un peu partout dans son atelier

dans des livres épars ouverts, mais aussi dans des représentations de portrait,

autoportrait, sur un sac ou un tee-shirt.

Priscille a voulu mourir, elle a survécu, elle a décidé de vivre pour deux. Elle a une

énergie hors du commun, pour sa peinture mais pour le Tristan a du mal avec cette

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nouvelle vitalité, il a des regrets. « Si tu avais pu avoir cette énergie avec ton corps

d’avant. » Mais voilà, elle ne pouvait pas et c’est vrai que ce n’est pas Tristan

aujourd’hui qui en profite le plus, le couple s’éloigne. Priscille dort de plus en plus

souvent dans la salle à télévision qui lui sert de chambre au rez-de-chaussée, mais Zoé

oui, elle en profite, elle a presque trois ans et elle est, elle-même, une boule d’énergie.

En même temps que Priscille peint, elle devient mère. Elle habille sa fille d’un bras, la

câline, lui lit des histoires. Zoé ne prend pas en considération le handicap de sa mère

sauf quand ça l’arrange et qu’elle ne veut pas faire quelque chose, alors, elle grimpe

dans l’escalier alors que Priscille ne le peut pas. Mais elle redescend bien vite, la

question n’est pas de faire du mal à sa mère.

Zoé est la première à applaudir l’arrivée du fauteuil électrique de sa mère, un fauteuil

qui va changer la vie de Priscille qui aime et à besoin de mouvement, d’ailleurs, elle

fait tout ce qui faut pour obtenir une voiture adaptée à son handicap. Un ascenseur

aussi mais ça, ça risque d’être très long, sa maison devient difficile à vivre quand

même. Priscille râle contre cette lenteur administrative, elle, elle ne veut plus

attendre, elle veut retrouver son autonomie.

Priscille va souvent chercher Zoé à l’école et faire des courses avec elle ensuite. Zoé

grimpe sur les genoux de sa mère, Priscille a mis des portes sac et même un parapluie

attaché au dossier qu’elle ouvre par temps de pluie ou pas d’ailleurs, juste pour le

plaisir de faire avec Zoé du fauteuil interstellaire.

La vie de Priscille s’organise autrement, avec ses voisines, Sophia et Aïcha, et leurs

enfants, elles font des apéros et des déjeuners, toutes les trois pour le plus grand

bonheur des enfants qui veillent tard.

Bien sûr, elle doit prendre soin d’elle, et prendre soin d’elle, c’est prendre soin de son

handicap. Elle découvre le centre de rééducation de Rosny-sous-Bois, elle rencontre

Brigitte, une kinésithérapeute privée fantastique qui accepte de relever le défi, Priscille

va marcher et de mieux en mieux. Elle fait des montées et des descentes avec ses

prothèses, des escaliers aussi, ce qui apparait simple pour nous est pour elle un Everest

qu’elle grimpe à chaque fois et elle relève, avec Brigitte, le défi haut la main.

Elle rencontre dans la foulée son nouveau prothésiste, Sylvio, qui est un passionné de

son travail, comment sa prothèse n’a pas de genou articulé, c’est n’importe quoi, elle

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va en avoir, il lui refait, tout en fait un nouveau corps, et il est beaucoup mieux. Priscille

gagne en autonomie.

Priscille apprend à nager aussi, elle s’est jeté à l’eau une fois, de joie, oubliant qu’elle

n’avait plus ses jambes, sauvé in extrémis et du coup à décider de nager, elle veut

nager les quatre nages.

Grace à Richard, Priscille fait sa première exposition en solo à Chatenay-Malabry. Elle

a choisi les toiles, Claude, un ami de Tristan, les a mis dans la voiture et l’a

accompagnée, elle prépare l’exposition, elle voit ses toiles accrochée, des toiles

denses, torturées, puissantes, qui racontent une histoire incroyable, la sienne. Elle se

recule et ça marche, c’est bien, Karine le galeriste la félicite. Le soir, le vernissage est

une réussite, il y a du monde, tous les amis de Priscille sont là, des amis « d’avant » et

des amis « d’après » comme une fluidité dans sa vie qu’elle n’attendait pas. Elle

rayonne. Elle est dans sa vie.

Priscille travaille beaucoup avec Richard et découvre l’inattendu, un bar que Richard a

ouvert, un lieu de mixité, physique, sociale, psychique, raciale, avec de nombreux

artistes handicapés qu’ils traitent exactement comme s’ils étaient tout à fait valides et

même de manière un peu trash parfois, « Comment ça il te manque une jambe, c’est

pas pour ça que tu ne peux pas porter ta sculpture si ? » Mais Priscille aime ça, ça lui

donne des défis, elle est une gagnante et surtout, elle découvre un autre défi, celui des

performances, elle peint en public, en live, en transe. Elle est porté par la musique et

le timing, la nécessité de se jeter à corps perdu tout de suite. Son geste se fait plus

léger, elle n’a plus le temps des couches et des couches de peinture à l’huile, de

retravailler au couteaux, elle y va et une heure trente plus tard, elle a une toile parfois

immense de trois par trois. Le chemin autant que le résultat est spectaculaire.

Avec ce groupe, elle découvre l’acceptation, la solidarité, l’amitié, le goût de la fête et

du partage simple. Il y a Violette, une jeune femme amputée des deux jambes,

photographe, Marie-Pierre, IMC, auteur, Ninon, non voyante et sculptrice, Solal, qui a

la mucoviscidose, comme l’avait son frère qui est mort quand il avait neuf ans, ce qui

la touche beaucoup, Pauline , une malentendante peintre elle aussi, Maoré, une

chanteuse camerounaise, Bernadette et d’autres encore. Après les expositions dans

toutes la France, des murs de la « créativité partagée », ils s’amusent.

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Priscille chante aussi dans une chorale, elle chante et elle répète à la maison ce qui

donne lieu à des scène avec Zoé de répétition, la mère et la fille reprenant en cœur

Apprendre à aimer de Florent Pagny. La complicité entre la mère et la fille est de plus

en plus forte et de plus en plus flagrante.

Pour ses trente-trois ans, Priscille fait une immense fête chez elle avec tous ses amis

handicapés, tellement que les fauteuils sont roues à roues dans le jardin, plus

personne ne peut circuler. C’est étonnant et gai. Tristan a l’air un peu perdu avec tout

ça mais Priscille, elle, rit aux éclats et Zoé aussi.

Date

Quelques temps plus tard, Priscille, Tristan et Zoé, qui a quatre ans, partent passer un

week-end à Nantes chez des amis de Tristan. Le week-end est terrible, la maison est

trop petite, Priscille ne peut pas mettre ses prothèses car elle est blessée, du coup, elle

est en fauteuil et son fauteuil ne passe nulle part, elle ne peut pas aller aux toilettes

seules, sur la plage, les femmes sont en bikini et elle ne peut pas rouler dans le sable.

Les silences et les regards sont lourds, violents, la violence du passé qui n’est plus, de

l’avenir qui n’est pas encore. Priscille ne supporte plus cet environnement dans lequel

elle n’a pas sa place, dans lequel elle n’a jamais eu de place en fait. Sur le chemin du

retour, Priscille explose de rage, de peur, de désespoir, d’impuissance mais de colère

aussi. Elle n’en est pas arriver là pour ça. Tristan craque à son tour. Quand ils rentrent

épuisés, ils ne se parlent plus. C’est la fin de l’histoire. Zoé prend la main de sa mère et

va s’allonger prêt d’elle dans le salon télévision, qui devient de facto la nouvelle

chambre de Priscille.

Priscille commence à vivre comme une célibataire, même si Tristan vit toujours avec

eux, elle peint, elle s’occupe de Zoé, elle fait ses expositions.

Lors d’un salon, où elle va seul et en voiture, une voiture adaptée qu’elle a enfin

obtenue, elle rencontre Prune, une peintre qui expose elle aussi. L’amitié est

immédiate, intense. Prune n’a pas d’atelier, Priscille lui propose de venir travailler chez

elle dans l’atelier de l’étage et Priscille prend le garage, c’est bien de toute façon elle

n’en peut plus de peindre à l’étage. Prune est enchantée, elles partagent la peinture

et les fous rires, les retours sur le travail et les confidences, Prune est aussi coquette

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La vie avant tout Version du 20/03/20 13/33

que Priscille, elle partage donc aussi la féminité, le goût et l’échange des vêtements,

des bijoux, un goût complètement partagé par Zoé qui, très jeune, commence à

dessiner des vêtements. « Je veux être styliste. »

Priscille invente le maillot de bain sirène.

Priscille défile pour un couturier.

Priscille fait une séance photos.

Priscille participe au championnat de France handisport en natation, elle est

concentrée, elle est préparée, elle veut gagner. Elle glisse sur l’eau, gagnant une

seconde grâce à une respiration ou à un placement de la main. Elle fend l’eau, elle est

une sirène et elle monte sur le podium.

Dans une maison chez une amie d’enfance, Élisabeth, Priscille est au bord de la piscine

avec Élisabeth et sa famille, Zoé est en train de jouer avec la fille d’Élisabeth à

l’intérieur. Il fait beau, elles doivent rester diner et dormir, c’est un milieu d’après-midi

agréable. Sans y penser, Priscille dévoile son corps pour aller nager, inconsciente du

rejet que cela peut être, elle saute dans l’eau, ressort, reste ainsi pour sécher. La

famille d’Élisabeth rentre à l’intérieur de la maison. Élisabeth gênée lui dit que ce serait

mieux qu’elle ne reste pas à diner ni dormir comme c’était prévu, mais qu’elle peut

rester un moment encore et même pour l’apéro. Le choc est énorme, le coup d’une

brutalité terrible, c’est de la discrimination. Priscille décide de partir sur le champs, Zoé

ne veut pas, elle était en train de s’amuser, elle fait une crise comme les enfants savent

les faire. La scène est d’une violence inouïe. Priscille accuse le coup franchement, mais

paradoxalement, ça la stimule pour plus encore s’accepter telle qu’elle est et se créer

un environnement positif.

Priscille par une semaine en Corse pour avec bout de vie, une association qui donne

des stages de plongée pour personnes handicapées. C’est un vrai défi pour Priscille qui

le relève haut la main. Dans l’eau, elle vit, elle se sent bien, comme quand elle peint,

entière, elle sait qu’elle peut faire tout ce qu’elle veut, que tout est possible et elle

compte bien en profiter.

Priscille obtient la bourse de la Banque Populaire, dont le prix est une exposition à

New-York.

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La vie avant tout Version du 20/03/20 14/33

Au salon Autonomique qu’elle anime régulièrement avec la « bande » de Richard, elle

donne des ateliers pour enfant, elle rencontre Samuel, un danseur non voyant, ils ont

un coup de foudre, une passion. Ils veulent louer une maison ensemble.

Il lui fait la surprise de venir la rejoindre à New-York pendant son repérage, mais il

« l’encombre », c’est compliqué deux handicaps aussi lourd, il rentre à Paris.

Date

Priscille est à New-York avec Pauline, elles sont toutes deux sur des scooters

électriques et elles sont les reines du monde. C’est le jour du vernissage de son

exposition. C’est une grande réussite, il y a du monde, il y a des critiques. Priscille est

heureuse, joyeuse, elle a mis un tee-shirt avec l’effigie de Frida Kahlo, elle apprécie et

la vie et sa réussite.

En rentrant, elle rompt avec Samuel.

Tristan part de la maison.

Au mariage de sa cousine, ses parents sont là, elle ne les a pas vu depuis longtemps.

Son père lui « vole » un baisers derrière la porte pour que personne ne les voit

ensemble. Elle demande à son père de ne plus la contacter, elle ne veut plus le voir,

elle a besoin de solidité pour se construire. Elle dit à sa mère qu’elle la reverra mais

sans son père. Elle part du mariage avec Zoé en voiture.

À la représentation de la chorale, Priscille a le trac et elle a un trou de mémoire. Dans

le public, Zoé prend le relais, elle l’a tellement vue répéter, la mère et la fille finissent

ensemble la chanson, toutes les deux à l’unisson, parfaitement ensemble.

Priscille nage à la piscine.

II – Trouver sa place, la renaissance.

Date

Priscille nage, elle est concentrée, efficace, c’est une compétition à Saint Brieux, elle

sort de l’eau fatiguée mais ravie, elle a encore battu son propre record, les spectateurs

l’applaudissent, elle sourit. Elle rejoint Pauline, elle jette un coup d’œil vers un homme,

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Fred, hyper musclé, en maillot de bain, sur un fauteuil roulant. Il est beau, il a les

jambes et les bras d’un triathlonien, une bouche pulpeuse, Priscille est sous le charme,

elle ne regarde pas la compétition, elle ne regarde que lui mais Fred, lui n’a pas un

regard pour elle, il a l’air en colère, il parle avec son coach. Visiblement, Fred est en

compétition dans une catégorie supérieure à la sienne et il vient de l’apprendre. Il se

prépare, il plonge et nage, il est très rapide, l’eau est visiblement son élément. Il sort

toujours en colère même s’il va quand même aller sur le podium.

Plus tard, à l’issue de la compétition, au diner de gala, Priscille arrive à se mettre à la

table de Fred et son coach, avec Pauline, Fred l’ignore encore, il est toujours énervé

de son reclassement qu’il trouve injuste. Mais la soirée passe et la conversation

s’engage à quatre, puis à deux. Fred et Priscille discutent toute la nuit. Fred a un

maladie neurologique qui l’a rendu handicapé il y a peu. C’était un sportif de haut

niveau, il pratiquait la nage mono-palme, c’est pour ça qu’il n’a pas pu nager dans sa

catégorie, les organisateur ont estimé qu’il était trop avantagé, d’ailleurs, même

comme ça, il a gagné. Ils se quittent au petit matin en échangeant leurs numéros de

téléphone, elle l’invite, un peu comme ça à son anniversaire.

Priscille et Fred échangent des textos enflammés.

À Rosny-sous-Bois, Priscille prépare son anniversaire, ses 35 ans, ça sonne, en avance,

c’est Fred. Il a tout quitté, femme et enfant, il a fait sept cent kilomètres pour la

rejoindre, il est comme ça. Elle est sidérée, et elle a peur, d’un coup, qu’est-ce qu’il fait

là, comment va-t-elle supporté cette intrusion ?

Elle a encore plus peur quand, en allant chercher un tutu de danse pour Zoé au

Décathlon, Fred lui fait le pari qu’il peut décrocher un emploi, ce qu’il fait

effectivement. Ils n’ont même pas échangé un baiser. Il s’en fout, il sait ce qu’il veut.

« Je n’ai pas besoin de temps pour savoir les choses. Il faut dire oui à la vie, on verra

après. »

Pendant l’anniversaire de Priscille, la fête bat son plein, il y a du monde, Priscille a

toujours eu le sens de la fête. Fred est tout le temps à côté d’elle, il la tient par la taille,

la regarde amoureusement, ça agace un peu Priscille. N’empêche, il est drôle, il

s’intègre facilement, il est beau, il est gentil. Quand tout le monde est parti, ils

échangent leur premier baiser dans la cours, Zoé, qui a six ans maintenant, est au

balcon. Elle applaudit à tout rompre. Fred reste dormir ce soir-là.

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Mais, que ce soir-là, Priscille ne veut pas de Fred chez elle. Qu’à cela ne tienne, Fred

achète sur le bon coin, il trouve tout sur le bon coin, un camping-car qu’il gare à

quelques rues de la maison. Rien ne l’arrête, il est sûr, et il est fabriqué de ce bois-là.

En attendant, en quelques jours, il emménage toute la maison. Il installe des rampes

partout pour que Priscille puisse faire tout toute seule, sans effort. Il achète un fauteuil

de plus pour qu’elle puisse en avoir un en haut et un en bas, il trouve sur le bon coin

un monte escalier, s’il faut attendre l’ascenseur qui n’est pas là au bout de quatre ans,

ils n’ont pas fini, il va le chercher et il l’installe en quelques heures, et enfin, il casse un

mur à la masse entre le salon et la salle à manger. D’un coup, ce n’est pas la même

maison. Priscille est touchée, admirative même, mais en résistance. Elle hésite, Fred

est collant, il est manuel, ce n’est pas ce qu’elle voulait. Sa copine Pauline, qui a déjà

réussi à faire que Tristan s’en aille, elle plaide en la faveur de Fred. « Charpentier c’est

aussi un travail artistique, manuel ou intellectuel, ça ne veut rien dire et sincèrement,

il est tellement mieux que tous les mecs que je t’ai connus, ça n’a rien à voir, il t’aime

pour qui tu es, il veut s’engager, c’est un mec bien, mais c’est peut-être pour ça que tu

n’en veut pas ? » Priscille ne trouve pas grand-chose à redire. Elle a toujours aimé les

« bad boy », peut-être parce qu’elle ne s’aimait pas. Alors, quand Pauline lui demande

si elle va laisser Fred dormir dehors par ce froid, Priscille répond non et va le chercher,

ils ne se quitteront plus.

Fred travaille sur les toiles avec Priscille, il les met sur cadre et surtout, il lui fait un

chevalet immense qu’elle peut retourner dans les deux sens, peindre en horizontal et

en vertical, elle est ravie.

Priscille prend l’apéro avec Emma quand soudain, Emma crie : « Un miracle, un

miracle. » Priscille se retourne, Fred rentre à la maison en marchant ! Les médecins lui

ont fait des électrochocs, il a fait un bond de vingt centimètres sur le brancard et après,

il pouvait remarcher mais, il ne sent pas ses jambes. Il doit donc marcher avec une

canne pour avoir ses repères dans le sol, il doit se reposer régulièrement, mais il

remarche. Lui aussi croit à un miracle, celui de l’amour. Priscille, cette fois est d’accord

avec lui, son amour a fait remarcher un homme, ça la sidère et la touche infiniment.

Dans le jardin, Priscille montre à Fred, Pauline, Malo, Ninon et Max comment peindre.

Elle leur dit de regarder le ciel, ils regardent tous le ciel. Elle sourit, elle peint, ils

peignent.

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Priscille et Fred voyagent dans le camping-car. Priscille travaille avec son ordinateur

sur les genoux, elle a transformé sa place en bureau. Ils écoutent de la musique à fond,

ils sont bien, ils rient.

Ils arrivent à Saint Rémy de Provence. Priscille a été invité à un festival très « luxe » .

En fait, elle a été invitée avec son amie Raphaëlle, photographe de la différence, qui

l’a photographiée à plusieurs reprises et qui n’a pas pu venir. Elle expose dans un lieu

magnifique, un château. Au niveau de l’organisation, ce n’est pas trop ça, à l’hôtel, ils

sont dans une chambre à l’étage, sans ascenseur, ils doivent passer par le jardin avec

leurs fauteuils ce qui fait des traces sur la pelouse et quand ils veulent aller se baigner,

les clients s’en vont, Priscille ne se fait pas à la discrimination. Au cocktail de

bienvenue, ils sont mis à l’écart, un peu laisser pour compte. Un serveur sympathique

leur apporte des petits fours sur une assiette car tout le monde s’est précipité sur le

buffet. D’un coup, leur table devient attirante, ils préfèrent en rire, même jaune.

Pourtant, ils gardent leur bonne humeur et ils ont raison. L’exposition de Priscille est

très impressionnante, dans ce lieu monumental, ses toiles prennent toute leur

puissance et leur ampleur, c’est beau, grand, élégant et profond, un écrin pour une

âme d’une grande sensibilité.

Le vernissage est joyeux, il y a du monde, l’œuvre de Priscille est appréciée. Soudain,

Vico, un homme d’une cinquantaine d’année qui ressemble à un indien, tanné et halé,

lui achète cinq toiles. Il est en fait un galeriste de Saint Rémy de Provence. Il

l’embarque dans son pôle d’artiste et lui propose immédiatement une exposition

collective à Lausanne.

Priscille et Fred voyage en camping-car jusqu’à Lausanne. Ils sont logés avec les autres

artistes chez l’une d’entre eux. Ils font une exposition dans un lieu immense. Il y a un

musicien de jazz. Priscille le croque lors de sa performance sur une toile grande de cinq

mètres. Ensuite, ils se retrouvent tous dans l’appartement pour faire la fête, Vico

enlève son dentier, ses chaussures et ils fument l’herbe qui pousse sur le balcon de

leur hôte, l’ambiance est cocasse et détendue.

Au festival des déglingués, dans le Loiret, sous le regard de Fred, Zoé, qui a maintenant

sept ans, fait une performance en même temps que sa mère, Priscille admire l’œuvre

de sa fille, elle a un coup de pinceau très sûr.

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Priscille, Fred et Zoé sont dans le camping-car, ils chantent. Ils vont à une compétition

de natation. Ils se retrouvent avec une communauté d’handicapés tous plus vivants et

plus dynamiques les uns que les autres. Priscille nage encouragée par Fred et Zoé, elle

finit sa longueur, elle irradie.

Priscille passe son premier Noël en famille depuis des années, sans doute son premier

Noël, véritablement en famille en fait, une famille comme elle en a toujours rêvé, une

famille avec de la joie, des rires, de la gaité, des enfants qui parlent aux parents, pour

elle, ce sera une famille recomposée. Il y Zoé bien sûr et il y a aussi les trois enfants de

Fred, Camille, 15 ans, Virgile, 10 ans et Lou, 5 ans, toute cette tribu s’entend très bien,

et Priscille se retrouve à faire des cookies pour sept.

Ils décident d’aller tous ensemble au cinéma, ils sortent leurs deux fauteuils

électriques, de vrais « quatre-quatre » tout terrain. Ils prennent deux enfants chacun,

un sur les genoux et un derrière, et il traversent Rosny-sous-Bois comme ça, à la grande

surprise des passants qui n’en reviennent pas, admiratifs ou gênés, interloqués ou

amusés, ça leur est égal, ils sont dans la vie.

À l’occasion du jour de l’an, Fred insiste pour recevoir les parents de Priscille, il tient à

les réconcilier, c’est important pour lui la famille. Les parents de Priscille arrivent tôt,

ils doivent manger à l’heure, Fred est strict également sur ce point. Priscille se moque

gentiment de lui. « Tu sais qu’on peut manger à quatorze heure. » « Ah bon on peut

manger à quatorze heure ? » En tout cas, là, ils mangeront à midi pile, ce qui le fait rire.

Priscille a bien fait les choses, elle a mis « les petits plats dans les grands », saumon

fumé, foie gras, un rôti de bœuf et patates sautées, du fromage, un gâteau au chocolat,

son père fait la fine bouche tandis que sa mère apprécie : « Merci ma chérie, tu t’es

donné du mal. » Ils évoquent le « vrai » Noël, le vingt-cinq qu’ils ont passé avec Tristan

et Zoé. Priscille le savait, mais ça lui fait bizarre de l’entendre. Elle s’étrangle d’autant

qu’elle n’avait pas vu ses parent depuis le fameux mariage de sa cousine. Fred ne se

dépare pas de sa bonne humeur, même s’il encaisse intérieurement. La maison est très

belle, bien décorée et différente, ils ont dû faire des travaux impromptus, le plancher

de l’atelier de l’étage de Priscille a cédé et Fred y a vu l’opportunité de faire un séjour

cathédrale, ça donne un cachet fou à la pièce, ça tombe bien, ils veulent vendre la

maison et partir dans le Médoc. Quand le père de Priscille, intellectuel, cadre dans une

banque toute sa vie, commence à critiquer ce choix, soudain, Fred coupe court, il en a

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marre et il n’est pas du genre à faire semblant. Ce d’autant qu’il trouve que le père de

Priscille n’est pas aimable avec elle. Les parents de Priscille partent rapidement après,

ce n’est pas encore ce jour-là qu’ils vont se réconcilier.

Priscille et Tristan divorcent à l’amiable.

Priscille reçoit sa voiture tout équipée, un magnifique Vito Mercedes rouge que Fred

avait trouvé sur le bon coin. Elle râle un peu pour le principe : « Enfin ! Il leur a fallu

quatre ans pour me financer une voiture et six mois de plus pour me l’équiper. Être

handicapé, entre la rééducation et le matériel, c’est un boulot à plein temps, et il faut

avoir le temps, et l’argent. » Ça ne l’empêche pas de sauter de joie. Priscille monte

dans la voiture comme une petite fille, des étoiles plein les yeux, son levier de vitesse

est au volant et son frein aussi. Elle est enfin à nouveau autonome et c’est

fondamental. « Comment garder sa dignité quand tu peux pas t’habiller tout seul, aller

aux toilettes tout seul et puis comme ça je ne vais plus dépendre de toi. » Elle rigole en

disant ça à Fred et elle démarre, au quart de tour, comme si elle n’attendait que ça.

Priscille conduit, elle est grisée, ivre de liberté, elle ouvre la fenêtre à cette journée de

printemps et à son indépendance retrouvée. À un feu rouge, un homme lui fait de

l’œil, elle retrouve non seulement sa dignité mais une posture qui lui manquait, celle

d’une femme qui séduit.

Priscille répète un texte dans les coulisses d’une émission de télévision, elle participe

à l’émission de Frédéric Lopez, leur secrets du bonheurs. Elle a le trac au moment de

l’enregistrement, elle entre, elle est applaudie à tout rompre, ça l’émeut tellement

qu’elle a un trou de mémoire et puis, elle se lance, forte et fragile, déterminée et

sensible, elle a un message à faire passer. Elle sait que si elle a survécu, c’est aussi pour

ça, pour dire qu’il faut vivre, avant qu’il ne soit trop tard.

Suite à l’émission, Vincent, un ancien copain d’école de commerce appelle Priscille

pour qu’elle fasse une conférence Ted sur la dépression et comment s’en sortir à la

Société Générale. Elle dit oui, oui, même si elle a peur, même si son père a travaillé

toute sa vie à la société générale et que ce n’est pas un hasard, elle y va. Et elle adore

ça, le risque, le défi, la transmission, tout lui parle. Elle est brillante.

Priscille et Fred ont trouvé leur maison dans le Médoc, à Vendays. C’est une grande

maison ouverte sur un jardin somptueux. Ils ont eu un coup de cœur et l’ont acheté à

un couple de personnes âgés qui ne voulait pas s’en défaire mais l’ont fait pour eux.

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Cette maison, c’est un rêve d’océan réalisé, l’océan est à moins d’un quart d’heure de

chez eux, un rêve de nature et d’espace. Ils déménagent.

Fred se met à faire des travaux dans la maison, il abat des cloisons et il commence à

construire une piscine. Priscille a repéré deux oliviers chez Leroy Merlin, qu’à cela ne

tienne, Fred va les chercher. Il les fait descendre dans le jardin grâce à un système de

rondins ingénieux, on se croirait à l’époque des pyramides.

Fred construit une planche de surf à Priscille, il découpe dans la planche la forme de

son corps. Priscille fait du surf dans l’océan, elle prend la vague, elle glisse, légère et

forte, elle tient son équilibre et son cap, elle surfe sur la vague comme elle le fait

maintenant dans la vie.

Fred apprend à Zoé à surfer sous le regard de Priscille, leur complicité est évidente.

Priscille fait un test de grossesse, elle est enceinte. Pour une femme qui avait eu des

difficultés à être enceinte, là, Priscille n’en a eu aucune. Fred avait dit pas trop tard,

elle avait dit pas à Paris, ils ont conçu ce bébé le soir de leur arrivée, c’est parfait.

Priscille est transportée de joie.

Ils rencontre le docteur Champagne, un vieux médecin de campagne plein de bon sen,

qui va partir à la retraite, il va d’ailleurs les attendre avant de partir. Il n’a jamais suivi

la grossesse d’une personne handicapée mais, ça ne lui fait pas peur. « Il n’y a aucun

problème. Il n’y aura aucun problème, ce n’est qu’une question de désir, vous en avez

et d’adaptation, nous n’en manquons pas. »

Priscille et Fred font une séance photos au bord de la piscine, nus avec Raphaëlle, une

amie de Priscille photographe de la différence.

Priscille très enceinte profite de la piscine finie.

Priscille perd les eaux, ils foncent à l’hôpital, un vieil hôpital de campagne vétuste et

délabrée, Priscille a une mauvaise surprise en arrivant. Une sage-femme la regarde et

lui dit qu’elle aura une césarienne « bien-sûr ». Priscille s’énerve, ce n’est pas parce

qu’elle est handicapée qu’elle ne peut pas pousser, c’est pas vrai ça. Le docteur

Champagne la rassure, évidemment, elle peut accoucher par voix basse et ce sont eux

qui décident.

Date

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Priscille accouche sans aucun problème et rapidement d’une petite fille, Suzanne.

Priscille la prend dans ses bras, fatiguée mais très heureuse, la petite éclate de rire,

elle est la joie réincarnée.

À la maison, Priscille et Fred accueille Suzanne avec facilité et débrouillardise. « Être

handicapé c’est faire de la débrouillardise » dit régulièrement Priscille. Fred construit

un co-dodo avec deux planches, il scie les pieds de la table à langer pour qu’ils puissent

passer leur fauteuil dessous, ils achètent une poussette à trois roues pour que Fred

puisse la pousser d’une main et faire rouler son fauteuil de l’autre, il n’y a que pour le

lit qu’ils ont tous les deux craqués pour un petit lit ancien pas pratique. Priscille

s’occupe de sa fille avec amour et facilité, sans aucune peur, la seule peur qu’elle a

c’est de faire tomber Suzanne quand elle passe de « son » bras à ceux de Fred. Zoé

adore sa petite sœur et ça tombe bien, Zoé habite maintenant avec sa mère et Fred,

et ce pour quelques années, elle ira chez son père pour ses douze ans. Zoé s’occupe

de Suzanne comme une deuxième maman mais elle n’est pas une deuxième maman.

Priscille la remet à sa place gentiment mais fermement : elle est la seule mère de

Suzanne.

Priscille porte Suzanne en porte bébé, elles vont, avec Zoé, se promener au bord de

l’océan, le vent s’engouffre dans leurs cheveux, les embruns claque leur peau.

Dans son atelier, Priscille peint des immenses formats, sa peinture s’agrandit en même

temps que son paysage extérieur et intérieur, elle danse devant la toile, s’invente et

invente le geste. Zoé dessine des vêtements à côté d’elle, Suzanne dort dans son maxi

cosy.

Pourtant, tout n’est pas rose. Fred devient « père de famille », et se révèle être

autoritaire, plein de règle. Il rabroue Zoé pour des chaussons pas mis ou mal rangés,

pour une mauvaise tenue à table, pour une assiette pas mise à la bonne place dans le

lave-vaisselle. Zoé commence à lui répondre. L’atmosphère devient lourde. Priscille se

fâche, tout en n’arrivant pas à prendre vraiment parti. Le couple connait des difficultés,

ils se disputent régulièrement et de plus en plus fort. Un soir, Priscille menace de partir,

de s’en aller définitivement, elle n’en peut plus, elle part dormir dans une autre

chambre, elle ne veut pas asservir son intimité à ce genre d’attitude, elle ne veut pas

d’autorité et de cris, parfois, Fred lui rappelle son père et ce n’est pas un compliment,

elle n’a pas fait tout ça pour ça, elle en a marre, elle ne veut pas de cette rigidité

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militaire. Fred promet de faire des efforts mais en a-t-il les moyens ? Priscille se

demande si elle n’est pas avec lui par intérêt finalement, parce qu’il l’aide ? Elle est

perdue. Il y a encore des bons moments mais depuis la naissance de Suzanne, tout est

devenu plus compliqué avec Zoé, et Suzanne a presque deux ans. Priscille est fatiguée

de ça.

Comme s’il savait que le climat était difficile chez son ex-femme, Tristan a des regrets.

Un jour où il ramène Zoé après un week-end, il s’en ouvre à Priscille qui est seule, elle

a demandé à Fred de ne pas être là pour la laisser souffler un peu et pour que le retour

de Zoé se passe bien. Tristan voudrait qu’elle revienne. « Avec l’énergie que tu as

maintenant on serait très heureux, tu ferais de la peinture mais tu pourrais voir des

gens, aller au cinéma, ici c’est un peu la cambrousse non ? Tu es plus intelligente que

ça. » Priscille rit, elle est flattée, elle a toujours laissé Tristan savoir pour elle, elle

n’entend pas que d’une autre manière, Tristan est bien plus comme son père que Fred,

il sait mieux tout pour elle, elle rit pour ne pas entendre en fait. Un peu plus loin, Fred

fait des travaux, Suzanne est à côté de lui et Zoé les rejoint gaiement. Fred lui a fait un

mannequin pour ses modèles de vêtements, Zoé rit de joie. Tristan en rajoute : « Tes

parents sont très sympas avec moi, ils aimeraient bien qu’on refasse une vraie famille. »

Ça, c’était sans doute ce qu’il ne fallait pas dire. Priscille coupe la conversation, elle

doit aller peindre. Tristan change aussitôt de ton et précise que, quand Zoé aura douze

ans, elle reviendra vivre chez lui, peut-être même avant si l’ambiance ici ne s’améliore

pas. Il met une pression, consciente ou inconsciente, Priscille a une angoisse.

Priscille regarde ses deux filles jouer ensemble dans la chambre de Suzanne, très

complices, et même fusionnelle, elles parlent un langage que personne ne comprend

à part elle, Zoé a neuf ans et Suzanne trois.

Priscille, Fred et les deux filles, une chacune sur un genoux, vont en fauteuil électrique

à Montalivet le village près de l’océan à cinq kilomètres de Vendays, par la piste

cyclable. Ils s’amusent beaucoup, Fred qui a Zoé avec lui fait la course et gagne sous

les encouragements de sa co-pilote. Ils vont au marché, il y a plein d’exposants,

l’ambiance est gaie, festive, on boit du vin blanc et on mange des huîtres, on y achète

de l’artisanat. Ils y retrouvent des amis, Gabin, le galeriste et Martine, la libraire et ils

finissent par aller prendre l’apéro chez Gabin. Pia, une amie de Gabin se joint à eux.

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Priscille et Pia s’entendent tout de suite, elles sont amies, sans même se connaître,

presque sans se parler, elles se reconnaissent. Elles se revoient chez Priscille, Pia adore

son travail. Elle lui propose alors spontanément d’adapter avec elle Sombre Printemps

de Unica Zurn, l’histoire d’une petite fille qui a une mère difficile et qui est abusée par

son frère, qui fera une première tentative de suicide très jeune, et qui passera une

partie de sa vie en hôpital psychiatrique, est-ce la dureté de leurs histoires respectives

qui les réunit ? Celle d’Unica, celle de Priscille et celle de Pia ? En tout cas, même si le

sujet est rude, les deux filles rient beaucoup en travaillant. Elles répètent chez Priscille.

Elles vont jouer dans la nature, dans une clairière, l’événement est organisé par

Martine, il va y avoir du monde. Pour cette occasion, Fred fait pour Priscille un chevalet

qui s’accroche sur son fauteuil.

Date

C’est le jour de la représentation. Priscille et Pia sont prêtes. Pia commence à jouer le

texte, son jeu est très expressionniste, elle peut grimacer, sans peur de son image,

complètement investie de ses émotions, en même temps son corps de danseuse se

fait graphique, aussi léger qu’elle est dense. Priscille, elle, est en transe, elle est

littéralement « habitée » par Pia, elle est tout à Pia, elle dessine des feuilles et des

feuilles, qu’elle jette au sol dès qu’elle a fini dans une inspiration qui ne s’arrête pas,

guidée elle aussi par ses émotions et les larmes aux yeux, bouleversée par l’actrice en

face d’elle et le texte qu’elle entend. Elle accepte là le vide, l’allègement, le coup de

crayon sans retouche, c’est aussi ça l’art, la transe, être traversée par quelque chose

de mystérieux qui ne nous appartient pas mais qu’on a à rendre au monde. À la fin de

la représentation, les spectateurs applaudissent à tout rompre.

Et puis, Priscille se met à peindre sur des mannequins.

Elle peint sur une voiture.

Elle peint sur toile mais soudain, son univers change, son trait est plus fin, plus ludique

aussi.

À la poste, Priscille et Fred prennent des photos et des vidéos, elle doit répondre à une

commande. Le directeur de l’agence, Thierry a constaté que son personnel était

déprimé et il s’est imaginé leur remettre du baume au cœur avec une commande

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artistique qui les valoriserait. Priscille fait deux tableaux au lieu d’un, il achète les deux.

Emballé, il lui demande de refaire la salle de repos. Elle le fait et le résultat est très

apprécié, la salle est renommée à son nom, Priscille est fière.

Priscille fait une conférence Ted sur le fait de briser une malédiction familiale pour

s’approprier son destin.

Pia, une auteur, contacte Priscille, elle l’a entendue dans leurs secrets du bonheur, elle

voudrait écrire un livre avec elle. « Il y a quelque chose à comprendre et à transmettre

de votre histoire. » Et la transmission est maintenant au cœur des préoccupations de

Priscille, elle dit oui avec joie. Elles font des entretiens qui ne sont pas toujours simples,

ce n’est pas facile de se replonger dans des souvenirs douloureux, son passé, la mort

de son frère, l’absence de ses parents, mais c’est comme ça, c’est en comprenant son

histoire, en l’acceptant, que Priscille peut en tirer des leçons elle-même, et

transmettre l’immense leçon de vie qu’est sa propre histoire. Elle s’interroge, trouve

du sens. « Parfois je me demande si le fait que mon visage n’ait pas été touché, ce n’est

pas grâce à mon frère, pour que je puisse communiquer, la communication se fait par

le visage non ? Et puis je me dis aussi que je vis pour deux, pour lui et pour moi. »

Le livre est édité. Priscille, Fred, Zoé et Suzanne voyagent dans le camping-car pour

aller à un salon. Priscille adore rencontrer des gens, des auteurs, les lire. Elle va boire

des verres après, Zoé veille et Suzanne dort n’importe où, elles ont l’habitude et elles

adorent cette vie de bohème.

Priscille reçoit des courriers de gens qui lui disent à quel point son livre les à aider, elle

sourit, elle sait pourquoi elle est en vie.

Un jour, Priscille commence à avoir des problèmes au niveau du canal méta carpien de

la main gauche, elle utilise trop sa main, en fait elle l’utilise tout le temps. Sylvio lui

conseille de porter une prothèse au bras droit pour qu’elle puisse soulager même un

peu sa main gauche, le vieillissement est un vrai problème pour les personnes

handicapées. Sylvio lui parle alors de la TMR qui arrivera peut-être en France et qu’elle

pourrait être la première personne a essayer. Il s’agit d’une technique révolutionnaire

qui permet de commander une prothèse par la seule force de son cerveau. Priscille

accepte de porter la prothèse.

Date

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Priscille est invitée à un Symposium à Cameroun par Maoré qu’elle n’avait pas vue

depuis sept ans mais qui lui avait promis de l’emmener un jour, elle tient sa promesse,

Priscille accepte avec joie.

Avec Fred, ils partent avec leurs fauteuils manuel, leur fauteuil électriques, et des kilos

de bagages. « On voyage léger pour nous ! Quand tu es handicapé, vaut mieux tout

prévoir. »

Ils arrivent dans leur hôtel sur une des collines de Yaoundé, immédiatement Priscille

se sent comme chez elle, comme si elle avait été africaine dans une autre vie et ce

malgré le fait qu’elle et Fred soient sous protection policière. Elle donne sa conférence

bien sûr, mais surtout elle mange du poulet yassa et du tian assise sur le sol, à la main,

avec toute la communauté, elle expose ses toiles dans une chahute sur le marché avec

les vendeurs de beignets, elle danse sur son fauteuil au son des jambés. Elle adore ce

mélange de gaité et de profondeur, cette capacité à prendre son temps et à être dans

l’instant présent. Ils se promènent avec Fred et s’aperçoivent que de nombreux

handicapés sont même le sol. Ils décident de donner leur fauteuil manuel. Ils repartent

en France le cœur rempli du désir d’aider.

De retour en France, ils font le tour pour récupérer du matériel pour les handicapés

actifs. En France, il y a des « bennes » entières de matériel pour handicapés qui sont

mis au rebus parce qu’une pièce n’est plus aux « normes ». Fred repart seul car Priscille

ne veut pas laisser les filles une semaine de plus à ses parents.

Pour la première fois, Priscille se retrouve seule avec les deux filles, Zoé a maintenant

onze ans et Suzanne cinq. Elles dansent, elles rient, elles mangent de la pizza à

n’importe quelle heure.

Elle vont faire des courses toutes les trois. Sur le parking, Priscille sort de la voiture et

descend Suzanne de son siège. Zoé prend le fauteuil de sa mère dans le coffre et

l’ouvre. Elle récupère Suzanne, Priscille s’assoit dans son fauteuil, Suzanne tient le

fauteuil et la main de Zoé. Un homme vient les voir, il félicite Priscille pour la qualité

de ses filles et de leurs organisation à toutes les trois, elles sont fières.

Le lendemain, Suzanne a une très grosse poussée de fièvre, elle grelote. Priscille

l’enveloppe dans une couverture, aidée de Zoé, elle fonce dans la voiture, elle met

Suzanne dans son siège enfant, Zoé s’attache sur le siège à côté, elles foncent chez le

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pédiatre, le docteur Alaoui. Ce n’est qu’une grosse rhino mais Priscille a eu peur, elle

raconte à Pia qu’en tout cas, elle a vu qu’elle était capable de se débrouiller toute seule

avec les filles, elle a enfin l’impression d’être vraiment mère.

Priscille et les deux filles regardent un film lovées les unes avec les autres dans le

canapé.

À table, à déjeuner, il y a Priscille, Fred, Zoé, Suzanne et les parents de Priscille. Fred

fait une remarque à Zoé qui ne tient pas sa fourchette correctement. Zoé lui répond

immédiatement qu’il n’a rien à lui dire qu’il n’est pas son père. Le père de Priscille

approuve. Fred perd le contrôle et s’énerve franchement, il dit que s’ils aimaient

autant leur précédent gendre, il faut le dire, qu’il sait bien qu’ils le trouvent inculte et

mal dégrossi, qu’il s’en fout, qu’ils devraient se demander pourquoi Priscille est comme

ça, qu’il n’aurait jamais dû les réconcilier, que le père de Priscille ne comprend rien à

rien. Priscille s’énerve à son tour, c’est vrai qu’il est mal dégrossi et autoritaire,

pourquoi il est psychorigide sur ses règles dont tout le monde se fout ? Zoé dit qu’elle

s’en fout elle, que dans deux ans, elle va vivre chez son père. Suzanne observe tout ça,

ça lui est égal, elle adore ses sœurs et son frère, ses parents et ses grands-parents et

même Tristan, elle le dit. Mais s’en est trop, le père de Priscille fait ce qu’il sait faire, il

fuit, il part en voiture, sa femme et Priscille lui courent après. Son père s’arrête, sa

mère regarde Priscille désolée, elle le glisse dans un souffle : « Je suis désolée. » et elle

monte dans la voiture, Antoine ne se retourne pas, ne dis pas un mot. Priscille rentre

dans la maison sans un mot également. Suzanne dit en regardant sa mère : « Maman

n’est pas contente. »

Tristan vient chercher Zoé, Priscille le regarde autrement. À table, elle rit à ses blagues,

elle se sent complice, quand il part, elle est déstabilisée, est-ce qu’elle se serait

trompée ? Elle s’en ouvre à Pia qui lui conseille de prendre du recul. Fred s’excuse de

son attitude, il tient à elle.

Le soir, elle le rejoint dans leur lit, ils font l’amour tendrement. Fred la demande en

mariage. Elle dit oui et qu’elle veut se rapprocher d’un pôle culturel, ils vont

déménager à Albi.

III – L’épanouissement.

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Date

Dans un lieu incroyable, une ancienne discothèque refaite en maison avec plusieurs

étages, un toit terrasse, une piscine, il y a une immense fête. Priscille et Fred ont

déménagé il y a quelques mois, Fred a tout fait. Pia s’extasie pendant qu’ils lui font

faire le tour du propriétaire, il y a plein de monde. En fait, ils fêtent leur mariage mais

Priscille ne l’a pas annoncé. Fred accepte, ce n’est pas son genre de faire la fine bouche,

il plaisante, content de lui et en même temps pas dupe, capable d’une vraie

autodérision : « Tu as vu, ça me va qu’on mange à quatorze heures. » Priscille fait une

drôle de tête. « Je plaisante. » Quand même, Pia qui connait bien Priscille lui dit qu’elle

est complètement dingue, qu’ils sont le plus joli couple qu’elle connaisse et qu’un jour,

il en aura marre. Priscille part d’un éclat de rire mais embrasse Fred. Tous les enfants

sont là, Camille, Virgile et Lou, Suzanne ravie d’avoir tous ses frères et sœurs et Zoé

qui danse et s’amuse avec eux, et Priscille rayonne en mère de famille nombreuse. Elle

passe d’invités en invités, des amis de toutes les périodes de sa vie, il ne manque que

son père, sa mère est venue pour les aider.

Tout le monde est parti, il ne reste que la famille, tout le monde va se coucher, exténué

mais heureux, Zoé en particulier remercie sa mère et Fred, Priscille reste un peu plus

tard avec sa mère à elle. Elle veut lui parler, elle veut lui dire ce qu’elle ne lui a jamais

dit et ce n’est pas facile, elle veut lui dire que si elle a eu toutes ces difficultés à être

mère c’est qu’elle-même n’a pas eu de mère, trop occupée dans le chagrin de la mort

d’Éric, son frère quand il avait neuf ans, trop occupé à ne pas déplaire à son père

Antoine pour qui rien n’est jamais assez. Nadine entend tout ce que dit Priscille, elle

entend et elle s’excuse, elle sait bien tout ce qu’elle a manqué, elle prie tous les jours

Dieu pour remercier que Priscille soit en vie. Elle lui dit qu’elle n’aurait pas supporter

de la perdre elle aussi, même si elle est maladroite, elle l’aime. Elle l’admire, elle

admire ce qu’elle fait, ce qu’elle a réussi à faire et elle admire la mère qu’elle est. « Tes

filles sont heureuses ça se voit, toi tu ne l’étais pas, j’ai raté ça. Il ne faut pas en vouloir

à ton père, il est comme ça. » Priscille manque de s’énerver, elle voudrait dire que son

père ne l’a jamais aimé, qu’elle est encore aujourd’hui terrorisée à l’idée de lui

déplaire, mais elle n’en fait rien, sa mère en a déjà fait beaucoup, alors, elle la prend

dans ses bras sans rien dire.

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Chez Priscille, Tristan voudrait que Zoé revienne vivre chez lui comme c’était convenu,

Priscille voudrait qu’elle reste, elle ne veut pas se séparer d’elle, elle a finalement gain

de cause et Zoé reste Albi.

Priscille fait les magasins avec Zoé, elles achètent plein de vêtements et de babioles,

très complices.

Priscille, Fred, Zoé et Suzanne joue au Monopoly, Fred laisse gagner Zoé.

Fred engueule Zoé qui n’a pas rangé son manteau sur le porte manteau, Zoé va dans

sa chambre en claquant la porte.

Fred est devant la télévision, Priscille lui reproche son inculture et sa rigidité.

Priscille, Fred et Zoé font une thérapie familiale mais ça ne marche pas, Priscille

n’arrive pas à résoudre ce nœud, elle reproche à Fred d’être trop strict mais en même

temps, Zoé qui a maintenant treize ans, une pré-ado, est par moment odieuse avec lui

et lui reproche justement son inculture et sa rigidité.

Priscille et Fred sont au pas de la porte, Zoé part chez son père, Priscille lui a fait une

valise dans laquelle elle a mis plein de vêtements à elle que Zoé aimait

particulièrement, Zoé est ravie, elle a les larmes aux yeux, Suzanne dit au revoir à sa

sœur, elle prend la main de ses parents.

Dans ce lieu de vie hors du commun, Priscille peint de très grands formats, immense,

aéré, compulsivement, comme portée par l’énergie de cette endroit, elle se met à la

sculpture.

Dans un salon d’art contemporain à Toulouse, Priscille rencontre Charlie. Charlie est

sculptrice, elle sculpte des « moines joyeux », elles connectent immédiatement.

Charlie remarque : « Comment quelqu’un qui a un visage aussi lumineux peut faire des

peintures aussi tristes ? » Cette phrase parle à Priscille. Dans son atelier, elle travaille,

elle apprend la gaité et le lâcher prise, elle laisse faire une autre inspiration, plus légère

cette fois dans le fond aussi. Et soudain, elle voit apparaitre sous son pinceau toute

une série de petits personnages ludiques et profonds, « ironiques », ils regardent le

monde avec une détachement amusé. Priscille regarde sa toile, elle éclate de rire.

Avec Pia, Priscille découvre le festival, Les moissons d’été, un festival de spectacles

vivants donné le soir en plein air au pied d’un grand arbre, dans le Gers. Priscille peint

pendant les spectacles, elle adore, l’ambiance, le travail, les diners après les

représentations, le partage, la nature, le lieu, tout, elle est à sa place.

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Dans un camion immense qui a remplacé le camping-car, Priscille et Fred sont sur la

route, ils « montent » à Paris pour la première exposition parisienne de Priscille. À

Paris, Fred vide le camion, il installe tout d’une main de maitre, et même une

« machinerie » qui permet à Priscille de présenter ses œuvres de manière à ce qu’on

les voit depuis l’extérieur, Priscille l’appelle « son Mac Giver » et c’est vrai, avec lui rien

n’est impossible, il porte Priscille vers le haut, lui proposant de relever plus de défis

encore.

Le vernissage est une réussite, plusieurs des anciens amis de Priscille ont fait le

déplacement dont Anna qui est ravie de la revoir.

En fin de soirée, Fred et Priscille rejoignent Anna pour boire un verre et manger des

planches jusqu’à tard dans la nuit, au milieu du trottoir, la nuit est douce, toutes les

tables sont poussées pour permettre aux fauteuils de Priscille et Fred de s’installer.

Dans ce troquet parisiens, ils sont les rois du monde.

Fred et Priscille rentrent tranquillement. Un homme les arrête pour leur demander ce

qui leur est arrivé. Priscille lui propose d’aller prendre un verre pour qu’il leur raconte

leur vie et en échange, ils racontent la leur, l’homme s’excuse. Priscille ne se fera

jamais à cette intrusion. Fred s’en moque, tout ça n’a pas d’importance, il embrasse

Priscille.

À Albi, Priscille nage dans la piscine, Suzanne saute dans l’eau pour les rejoindre et

Fred fait un plongeon tout habillé, ils rient.

Sylvio, le prothésiste de Priscille depuis presque dix ans, lui explique ce qu’est la TMR :

il faudra la réopérer pour récupérer les nerfs qui ont été sectionnés au moment de

l’amputation du bras et il faudra une rééducation longue, au moins deux ans, à raison

de une semaine par mois dans un centre de rééducation, c’est un travail d’équipe, une

équipe pluridisciplinaire, entre lui, deux chirurgiens, et une ergothérapeute. Sylvio est

à fond pour la TMR qui se fait déjà aux États-Unis et en Autriche, il veut l’importer en

France. Elle avait dit au moment de son problème avec son tendon métacarpien, « le

jour où tu l’emmènes en France, je veux bien être ta patiente. », c’est le jour. Pourtant,

Priscille veut réfléchir, ça prend du temps, c’est autant de temps qu’elle n’aura pas

pour peindre, et puis ça coûte cher, la prothèse coûte chère, très chère.

Priscille hésite, elle est tentée car elle a peur que sa main ne soit plus valide à long

terme et de vieillir sans plus être autonome mais, en même temps, c’est compliqué,

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pour tout faire avec la main gauche, elle a dû tout réapprendre il y a quatorze ans, et

là, elle devra tout réapprendre à nouveau. Fred lui, est à fond pour, comme

d’habitude : « Je serai là, tu dis oui et on se débrouillera. » Alors Priscille dit oui.

Elle rencontre Jérôme et Valentin, les deux chirurgiens, et Claire, son ergothérapeute,

ils se font un super restaurant, avec Sylvio bien sûr, ils parlent de TMR mais aussi de

tout et de rien, Priscille est rassurée, ça va être une magnifique aventure humaine et

ce qui motive réellement Priscille, c’est que l’aventure humaine.

Reste effectivement la question de la prothèse. À Albi, un homme, Jules, organise

chaque année une course, l’Albi Run, pour une cause qui lui tient à cœur. Priscille lui

écrit une lettre, il la rencontre, elle n’a pas besoin d’expliquer quoi que ce soit, il est

d’accord, la prochaine cause, ce sera elle.

Date

Priscille est opérée, l’opération dure sept heures, elle se passe bien. Elle commence à

relayée l’information sur les réseaux sociaux afin, dans un premier temps de trouver

de l’argent, puis de communiquer sur son expérience pour permettre, peut-être à

d’autre de se rendre compte de ce qui est possible.

Date

Le jour de l’Albi Run, plus de mille huit cents participants courent pour Priscille, il y a

les valides, avec notamment toute l’équipe de la TMR, Zoé et Suzanne, mais aussi les

non-valides, conduit par Fred, un Albi Run « bis » en quelques sortes. Il fait très beau,

le départ est lancé, la course est très bon enfant, avec des stands et une foule compact

en maillot violet, tous le monde courent, de sept à soixante-dix-sept ans, unis par le

même but, fraternel, et dans une grande convivialité. Pendant la course, le DJ Arris

joue et Priscille peint une immense fresque. À la fin de la course, Priscille est soulevée

dans les airs par des participants, ils finissent en dinant dehors tous ensemble sur des

tréteaux en écoutant la musique du DJ Arris.

Priscille commence sa rééducation. Elle arrive par une grande volonté, patience et

persévérance, à commencer à se servir de sa main bionique de manière précise, elle

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répète trente fois le même mouvement et finalement arrive à déplacer un pot d’un

endroit précis à un autre, c’est compliqué, elle doit penser le mouvement deux fois

avant de le faire mais ça marche, bientôt, elle peut tenir sa fourchette et recouper de

la viande, ce qui a son importance vu la bonne vivante qu’elle est.

Priscille poste des vidéos sur les réseaux sociaux, elle fait le JT, elle devient la première

femme bionique de France, le regard des gens sur elle change, elle devient Super Jamie

et non plus une femme handicapée, elle peut transmettre son histoire.

Priscille décide d’écrire un deuxième livre centré sur la résilience.

Elle passe un week-end à Toulouse avec ses deux filles, juste toutes les trois, Zoé lui

annonce qu’elle a un petit ami qu’elle veut lui présenter. Ils font un FaceTime, Suzanne

trouve que sa sœur a bien choisi.

Priscille rencontre Tristan, il veut l’emmener dans l’aventure du Paris Dakar, Fred est

emballé, il lui dit de dire oui, elle dit oui, elle dit oui à tous les défis. Zoé veut lui faire

sa tenue spéciale pour cette course hors du commun.

Priscille fait une conférence Ted sur le progrès, le progrès est-ce que ce ne serait pas

le fait de s’inventer soi-même, tous les jours ?

Avec son équipe de TMR, elle fait un colloque à Lyon. Après le colloque, ils finissent

dans une boîte de nuit, ils s’amusent, ils dansent. Priscille se fait draguer. Claire

intervient : « Fais gaffe, je connais son mari et c’est un mec génial. » Priscille rit, elle

ajoute qu’il « son Mac Giver ».

Priscille, Fred, et Suzanne passent des vacances au ski, Priscille ski toute seul, sa fille la

pousse parfois, ils rient, ils sont tranquilles et s’arrêtent pour boire un vin chaud et

manger des frites, Priscille aide sa fille à rechausser ses skis, les vacances au ski d’il y a

déjà, seulement, quatorze ans semble très loin, une autre vie.

Pour les quarante-quatre ans de Priscille, Fred organise une immense fête surprise.

Quand elle arrive, elle a l’impression que sa maison et vide, et soudain, elle entend un

immense « surprise ». Elle rit de joie et de plaisir, tous ses amis sont là, les enfants de

Fred, Zoé et Sylvain, son copain et Suzanne évidemment, et Nadine, elle se promène,

elle dit un mot à chacun, elle s’amuse, elle est heureuse.

Priscille se colle contre Fred sur le canapé, lui dit qu’elle l’aime, il la presse contre lui.

Priscille peint dans son atelier, apaisée.

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Elle sort, elle rejoint Suzanne qui est prête pour aller à l’école, elle embrasse Fred. Elle

prend le cartable de sa fille qu’elle peut tenir pour la première fois. Elles partent toutes

les deux à l’école, elles rient.