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1 AVERTISSEMENT Ce texte a été téléchargé depuis le site http://www.leproscenium.com Ce texte est protégé par les droits d’auteur. En conséquence avant son exploitation vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits (la SACD par exemple pour la France). Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par la troupe. Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et vérifie que les autorisations ont été obtenues, même a posteriori. Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non respect de ces règles entraine des sanctions (financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de représentation. Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs. Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours profiter de nouveaux textes. La véridique histoire d’Alice Alphabette Philippe Chignier 267 chemin du divin. 69480 Anse 06.67.99.57.99. [email protected]

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AVERTISSEMENT

Ce texte a été téléchargé depuis le site http://www .leproscenium.com

Ce texte est protégé par les droits d’auteur. En co nséquence avant son exploitation vous devez obtenir l’autorisation de l ’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits (la SACD par

exemple pour la France).

Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par

la troupe. Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au respect des droi ts des auteurs et vérifie que

les autorisations ont été obtenues, même a posterio ri. Lors de sa représentation la structure de représentation (théâ tre, MJC, festival…) doit

s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit p roduire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non respect de ces règl es entraine des sanctions

(financières entre autres) pour la troupe et pour l a structure de représentation.

Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligat ion, y compris pour les troupes amateurs.

Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours profiter de nouveaux textes.

La véridique histoire d’Alice Alphabette

Philippe Chignier 267 chemin du divin.

69480 Anse 06.67.99.57.99.

[email protected]

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Résumé de La véridique histoire d’Alice Alphabette : Il s’agit d’un parcours en onze tableaux entre les contes, les chants et les écritures – les alphabets – qui nous donnent à rêver et qui nous font grandir. L’histoire est celle d’une enfant que l’on suit depuis la naissance jusqu’à l’entrée dans l’âge adulte. Parmi les rencontres de son voyage, il y a bien sûr quelques figures empruntées à Lewis Carroll, mais aussi des fables, des chansons idiotes, des comptines et des théorèmes revisités. Il y a même trois fées d’aujourd’hui, des sorcières shakespeariennes, et trois épouses de philosophes. Il y a surtout matière à invention. Aussi la pièce peut-elle être interprétée par des adultes comme par des adolescents et me parait-elle destinée à tous les publics, sans privilégier le public enfantin.

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« Tout flivoreux vaguaient les borogoves

Les verchons fourgus bourniflaient »

Le Jabberwocky Lewis Carroll

(trad. Henri Parisot)

La véridique histoire d’Alice Alphabette.

Personnages : - Alice

- Mim la môman

- Alif Alpha – Oméga 1er, un et unique.

- Le Montreur qui peut être une montreuse.

- 2 sœurs, 3 fées, un lapin, la reine de carreau, Mmes. Platon, Diogène

et Zénon, 3 fourmis au moins, 4 marmitons, 1 spectateur complice,

Lewis peut-être Carroll, etc….

- Voix enregistrées dont celle d’Alif, alpha-oméga 1er, un et unique

L’ensemble pouvant être interprété par 8 comédien(ne)s minimum. A part les trois premiers

nommés, tous les autres peuvent être interprétés par des hommes ou des femmes. Cependant

on privilégiera, outre montreur ou montreuse, des comédiennes pour les sœurs, les fées, la

reine, les épouses de philosophes, et des comédiens pour le lapin, les fourmis, les marmitons

et Lewis. Le spectateur complice (spectatrice) peut être un vrai spectateur prévenu à l’entrée

au spectacle.

Au fond du théâtre, une très grande malle ouverte. Deux cordes à linge (à langes) traversent

la scène.

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Tableau 1 : Lorsque l’enfant paraît.

(Alice, le Montreur, Mim, les sœurs D1 et D2, voix d’Alif enregistrée)

On entend une plume crisser sur le papier, puis le bruit des touches d‘une machine à écrire.

Alice apparaît depuis le fond de la malle, elle se lève et dit :

Alice (grosse voix) : « Je suis l’alpha et l’oméga » (voix normale) : a dit papa qui avait une

très grosse voix. Et comme je suis la première à entrer en lice, il m’a nommée A-lice.

Elle sort de la malle des langes qu’elle étend sur une corde à linge. Sur le premier est

imprimée la lettre alpha, sur le second la lettre oméga, sur le troisième la lettre A.

Voix enregistrée du père : Et moi je suis Alif. Je suis l’un l’unique et le tout. Je suis droit

comme un i, souple comme un pinceau en poils de chameau, vif comme le geste du

calligraphe qui me trace.

Alice mime au sol le tracé de la lettre alif qui peut être figurée par l’éclairage.

Alice : Mon alpha de papa n’était qu’un gros bêta (lange avec gros Bêta : β) : il aurait voulu

baptiser ma cadette B-lice.

Montreur : Mais Bélisse n’existe pas. On a connu des Bélise et des balises, on a fait des

bâtisses et des bêtises, mais de Bélisse point. Final.

Alice : Oméga 1er mon papa s’est alors rabattu sur C-lice.

Montreur : Or s’il existe des cerises de céruse sur les tableaux de Sérusier, point il n’est de

Célice. Céleste ou Célimène eussent pu faire l’affaire ou Cécile Ficelle mais Célice en aucun

K.

Les langes B, C, K sont placés sur la corde.

Alice : Ma môman Mim, habile et souple et belle, engendra pour sauver l’affaire mes sœurs

jumelles : D-lice-yeuse et D-lice- schuss. Les délices du genre humain.

Elles entrent toutes les trois. Mim s’occupe du linge, étendant les langes imprimés Mim et D

pendant que les sœurs se présentent.

Come on, sisters !

D&D : Féminines et plurielles !

Alice : Avec ces deux-là…

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D1 : Délicieuse

D2 : Délicious

Alice : Avec ces deux-là disais-je, l’histoire pouvait commencer.

D&D : Nous somm’s deux sœurs jumelles, nées sous le…

Voix tonnante enregistrée : Et moi je suis Alif, l’un l’unique et le tout. Masculin singulier.

A ce stade, les langes étendus représentent les lettres alpha( ά), oméga( ω), A, B, C, bêta( β),

K, mim (م). Alif est représenté sur le sol.

Alice : Je sais. Ҫa, pour être singulier…On raconte que l’histoire commence avec un premier

cri.

D1 et D2 émettent un cri de nourrisson nouveau-né.

Alice : Mais c’est assez disgracieux. Désolée sœurettes. Alors on saute en général la première

étape.

Mim : Ce qui est bien regrettable, car c’est évidemment un moment clé pour une mère. Mas

qui ça intéresse, la mère ? Allez, venez les enfants, il n’y en a que pour elle…

Elle sort accompagnée de D1 et D2 qui s’adressent à Alice :

D1 : Bisou bisou…

D2 : Bye…bye…

Tableau 2 : Les fées

(Alice, Le montreur, 3 fées, autre voix enregistrée, voix off de D1 et D2)

Le montreur : Les fées comme il se doit se sont penchées sur son berceau. Plus fort : Les fées

se sont penchées sur son berceau !

Entrée de trois fées : Nourrice assez « nature », Bérénice en vamp de cabaret, pailletée,

étoilée, Eurydice plus sérieuse, tailleur cintré, ordinateur portable qu’elle installera sur ses

genoux.

Celle qui porte l’étoile, là, c’est Bérénice à la longue chevelure. Celle qui tricote une écharpe,

c’est la nourrice à la poitrine généreuse. Et la troisième, BCBG, au long foulard de soie, c’est

Eurydice. Elles ont cueilli ses pleurs, elles ont recueilli ses sourires et l’ont tendrement

embrassée.

Autre voix enregistrée : Elle t’a si tendrement serré à la gorge que tu en as gardé pour toujours

l’envie de pleurer.

Fée Eurydice : Qu’est-ce que Baudelaire vient faire dans cette histoire ?

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Fée Bérénice : Un caprice d’auteur, probablement. Faut dire qu’c’est beau, quand même !

Fée Nourrice : Mais si on commence à tout mélanger, une chatte n’y retrouvera pas ses petits.

Alice : Tu crois ? De la nuit d’où je viens, l’œil vert des chats éclaire le chemin. Cela

s’appelle la naissance.

Voix off de D1 et D2 : elles reproduisent le cri originel du nouveau-né.

Montreur : Impressionnées par la précoce intelligence de la belle enfant, les fées se

concertèrent en secret…Allez, concertez-vous les fées (pépiements) - en secret et en

silence…(murmure de voix) bon, c’est mieux…et elles la soumirent à un test.

Tableau 3 : Le test

(Alice, 3 fées, le montreur, voix enregistrée d’Alif)

Test pendant lequel les cordes à linge pourront servir d’illustration.

Fée E (Eurydice): Soit deux droites parallèles D et D’.

On peut imaginer pour la suite un fond sonore musical de guimbarde, comme deux cordes

vocales.

Alice : Ce sont des cordes à linge.

Fée N (Nourrice) : Oui, mon enfant, les cordes à langes sont l’exemple parfait pour illustrer la

théorie d’Euclide sur les droites…

Fée B (Bérénice) : Qui veut faire l’ange fait l’alphabette.

Fée N (Nourrice) tristement : Mais elles ne se rencontrent jamais.

Fée E : C’est faux, car l’univers étant censé être courbe, …

Voix du père : Moi alif l’un et l’unique, masculin singulier, je te dis «va à l’essentiel,

n’embrouille pas la gamine, accouche du théorème ô femme ».

Fée N : Il a raison.

Fée E : Soit deux cordes à linge tendues selon deux droites D et D’, parallèles, que devient

Dédée la coquette si D la Délicate tombe à l’eau ?

Fée B : N’avait qu’à bien se tenir. On va pas changer pour elle les règles de l’univers.

Fée N : Mais faut faire que’que chose, on peut pas la laisser s’noyer !

Fée E : Calmez-vous, c’est une hypothèse ! Un cas d’Ecole, un pont aux ânes : il suffit en fait

que sa sœur parallèle…

Fée B : Alias Dédée la coquette…

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Fée E : Il faut et il suffit disais-je, que Dédée la coquette change de latitude pour épouser les

courbes de l’univers. Elémentaire, non ? Mais c’est à Alice que la question s’adresse : voyons

comment s’en sort la petite…si elle est si futée…

Le montreur : Seraient-ce de mauvaises fées ? Méchantes, quoi…

Fée N : Que nenni ! Accortes fées nous sommes, la cheville étirée, la bobine chérie.

Fée B : Attendant le grand méchant loup cosmique, phosphorique et galaxique.

Fée E : Mon correcteur vocabulique refuse ton galaxique et préfère galactique.

Fée B : Ton correcteur vocabulique est un poussah poussiéreux poussif. Je suis galaxique ou

ne serai point.

Alice (ôtant les langes des cordes pendant que les autres continuent à chatter bavarder) :

Elle est galaxique et je suis caca d’oie. Je suis caca purée. Caca tout le temps : je suis encore

bébé.

Fée E : Mon correcteur vocabulique est puissant mais peu poétique : il ne peut tolérer

« galaxique » : « son esprit n’admet point un pompeux barbarisme ». Il faut de la rigueur ma

sœur, fée céleste à la chevelure palindrome.

Fée N : C’est quoi palindrome ?

Fée E : Dans tous les sens.

Fée B : Je suis cosmique si cosmétique va t’avec : la chevelure de Bérénice, c’est quelque

chose !

Alice : Je tète et rote, et puis quand j’ai roté sur l’oméga, l’alpha m’essuie…

Voix du père : « Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants

Doux comme les hautbois verts comme les prairies ».

Montreur : Ça, c’est encore du Baudelaire, on aurait pu s’en passer.

Alice : Je suis bébé : je peux roter l’alpha et l’oméga, péter papa, faire caca dans l’alphabette,

ça rime à rien ni conséquence : je suis bébête, à mon âge lingette.

Fée E : Soit une droite palindrome D parallèle à la droite déprime. Quelle tangente déguisée

en coup de vent fera tomber à l’eau l’une ou l’autre ?

Alice : Mais je grandis. Plus caca mais cadeau : colis cadeau de mon sourire.

Fée E : Simplifions : soit une droite D qui tombe à l’eau, que fait la corde à lange Déprime sa

parallèle ?

Fée N : Petit un : c’est elle qui se prend toutes les corvées. Petit deux : je suis nourrice et je

suis fée mais n’est pas lavandière qui veut : laver les couches, ça fatigue, zut !

Fée B : Keep cool, baby : le biodégradable, c’est magique.

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Fée E : La D prime s’installe et s’étale et prend toute la place. Droite ramollie courbée devant

la loi de l’univers, la D prime s’affaisse douloureusement.

Fée N : Pauvre bichette ! Pauvre pâquerette !

Fée B lyrique et sombre : C’est une triste barcarolle ballotée sur les gouffres amers

C’est un radeau plombé dérivant sur la mer…mer…mer…

Fée E : Silence ! Soit Q, baptisé Q le point où la droite D prime vient en aide à la droite D

tombée à l’eau…

Fée N soudain réjouie : Elle lui lance une bouée ?

Fée B toujours dépitée : Elle fait semblant : elle fait le geste : c’est le geste qui compte.

Fée E : La droite D prime alors s’incurve, elle s’infléchit. Son coefficient directeur se

ramollit. Elle s’étire et tend le bras. On dit alors qu’elle éprouve pour sa sœur parallèle et

jumelle une grande tendresse.

Fée B : Le Q dans l’eau, la droite D parvient à s’enrouler au geste de sa sœur. Cela s’appelle

‘porter secours’. Elles s’enlacent sur la terre ferme, et c’est fini. Voyons ce que pense Alice de

ce conte.

Alice comme récitant : La droite D, courbe dans l’univers comme tes seins sont ronds,

nourrice, la droite D revient de loin. La droite D prime pour sauver sa sœurette est partie de

plus loin encore. Le point Q est au pôle car il est bon de s’épauler quand tout s’effondre

autour de soi. Délicate et délicoquette sont délicieuse et delicious…

Les fées N et B sont ravies d’enthousiasme, chacune à sa façon.

Fée E : Pas d’emballement. Du calme. Peux-tu fournir une moralité ? Réfléchis bien.

Alice : Moralité ? C’est en changeant de latitude que les parallèles ici-bas finissent par se

rencontrer. Fastoche !

Fée N : Cette enfant est un prodige ! Diplômons-la !

Toutes trois : Diplômons-la, Diplômons-la…

Fée E : Alice, reçois des mains de ta marraine ce premier prix d’affabulation mathématique

que tu as bien mérité. Elle dépose à ses pieds la longue écharpe interstellaire.

Fée B : Alice, reçois des mains de ta marraine ce premier prix de morale chevelue cosmétique

que tu as bien mérité. Elle fait le don de l’étoile.

Fée N : Alice, reçois des seins de ta marraine le premier prix de rêverie appliquée que tu as

bien mérité : a ticket to the milky way. Elle l’embrasse contre sa poitrine.

Montreur : L’heureuse récipiendaire de ces dons honorera-t-elle l’assemblée d’un discours ?

Les fées : Un discours, un discours….

Alice s’avance.

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Alice : Moi, poussière d’étoile dans la voie lactée, je grandis.

Je fais Mamamamama et Babababababa et les fées se réjouissent.

Montreur : Les fées se réjouissent ! (hourra réjoui des fées, puis le montreur comme pour lui-

même) : il faut tout leur dire.

Alice : Je parle du dedans : à la lumière je parle, à mon ventre je parle, à la voix d’Oméga 1er

je parle : avec mes joues, avec mes yeux, avec mon corps désarticulé je parle dans tous les

sens car je suis très bébé.

Avant dans l’antre noir où vibrent les émois

Je paissais lentement au rythme de mon cœur.

Je souris maintenant à la voix qui m’aveugle

A regarder le ciel. Et je souris encore

Au bien être de vivre à mon aise. Et je vois

L’ombre et la voix penchées sur mon âme bien née.

Les fées ensemble : « Car aux âmes bien nées la valeur n’attend pas le nombre des années ».

Elles applaudissent. Fin de la musique. Alice et les fées rangent dans la malle les cadeaux.

Tableau 4 : LE JEU

(Le montreur, Alice, la voix d’Alif)

Le montreur : Le test réussi, voici Alice dotée pour la vie. La voici entourée, aimée, la voici

qui grandit. Cependant les fées s’éloignent…Cependant les fées s’éloignent…Les fées

s’éloignent : vous vous barrez les fées oui ou crotte de biquette ? Toujours dans la lune ces

trois là.

Elles sortent.

Voici Alice plongée dans la grande spirale, le grand tourbillon. Nous sommes ici pour elle,

pour l’aider à apprendre le monde.

Voix du père : Je suis alif l’un et l’unique, mon temps n’est pas encore venu.

Le montreur : En effet, c’est à présent le temps du jeu. Alice, veux-tu bien jouer avec nous ?

Alice : Oh, oui ! Qu’est-ce que c’est jouer ?

Le montreur : Jouer, c’est prendre plaisir à faire des choses difficiles. Sais-tu déjà des choses

difficiles ?

Alice : Je sais que DD la coquette n’avait qu’à mieux se tenir. Et que sans sa sœur…

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Le montreur : Oui, oui,… mais je voulais parler de choses difficiles à faire : sais-tu FAIRE

des choses difficiles et qui font plaisir ?

Alice : Je sais chanter en mouvement. Elle chante « en mouvement » :

« A la claire fontaine En allant promener

J’ai trouvé l’eau si pure Que je m’y suis baignée…

Il y a longtemps que je t’aime

Jamais je ne t’oublierai ».

Le montreur : C’est beau Alice, c’est très beau, mais le public n’est pas venu pour entendre de

tristes romances : le public vient pour s’amuser. Connais-tu une chanson pour s’amuser ?

Alice : Pour m’amuser je connais une chanson sans lettres et sans paroles où je casse tout et

quand tout est cassé je range et c’est rigolo : c’est pas vraiment cassé juste un peu…

Le montreur : Alice, je ne te parle pas de tout casser mais de plaire au public qui commence à

s’ennuyer : connais-tu une chanson pour amuser le public ?

Alice : Que nenni ne connais-je une conne couplette qui dans les méninges plairerait à

tousssss…tous ceuxsss qui toussent ceuxsss qui là…

Le montreur : Alors écoute-moi et répète après moi :

« La gadoue – dou – dou- pousse l’ananas et mouds l’ café, la gadoue, dou – dou- pousse la

nana et mouds’ l’ café… ». A toi, répète.

Voix du père : Je suis alif l’un et l’unique, moi je répète : fous la paix à la petite, même si

mon temps n’est pas encore venu.

Alice : Je connais « samba le le » : c’est moins bête. (Elle chante) : Samba samba samba le le

…Samba samba samba le le…

Le montreur : Stop. Le public ne comprend pas ces paroles. Il faut des paroles que le public

comprenne, parce que le public n’est pas là pour faire des efforts, tu comprends ? C’est à toi

de faire un effort, un tout petit effort pour te mettre au niveau du public. Alors dis-moi : la

gadoue ; tu connais, la gadoue.

Alice : La gadoue splash et mimi cracra ?

Le montreur : Oui, c’est ça. Après il faut connaître l’ananas ou la nana, c’est pareil. C’est

raciste ou sexiste. Tu connais sexiste ? Non ? Ҫa ne fait rien. L’essentiel, c’est que ça plaise

au public. Ensuite le café.

Alice : C’est pour môman Mim. Moi c’est chocolat et muesli.

Le montreur : C’est ça. Pour les grands et pour les maîtres. Et pendant ce temps-là, la doudou

elle moud le café. La doudou en boubou parce que c’est une domestique. Noire, comme le

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café. Et comme elle est noire, elle chante tout le temps. Elle est contente de préparer le café

pour les maîtres et ça amuse tout le monde. Alors c’est pas compliqué, tu chantes après moi :

« La gadoue – dou –dou –

Alice chante avec le montreur : « Pousse l’ananas et mouds l’ café…… » etc…Au fil de la

phrase répétée les sanglots montent de dépit de chanter si bête chanson, et elle se replie sur

soi pour pleurer.

Le montreur applaudissant : Bravo, bravo … (appelant les applaudissements du public) : on

l’applaudit, il faut l’encourager…bravo…

Tableau 5 : Les consolantes

(Alice, le montreur, les 3 fées, Mim, voix d’Alif)

Voix du père : Je suis alif l’un et l’unique, mon temps n’est pas encore venu, mais si le

bonimenteur insiste je lui fais avaler sa chanson par les oreilles. Fous la paix à la petite.

Le montreur se retire à l’écart, toujours applaudissant. Retour de Mim qui fait la bise à Alice

et la console :

Mim : C’est fini, je suis là : ne pleure plus et laisse-les dire leurs sottises. Voici la chanson

douce que te chante ta maman mim, voici le doux corps à corps de la mère et de l’enfant,

voici le bercement de mes bras et de mes hanches…Ne pleure plus, voici que naît dans ma

gorge la bonne chanson.

Fée E entrant : Tu vas l’amollir avec tes langueurs monotones. Laissons-là les sanglots et

montrons notre refus déterminé de bercer l’enfant avec des inepties.

Fée B entrant : Nous ne pourrons pas toujours être là.

Mim toujours berçant Alice : Moi je serai toujours là.

Fée E : Non. Il convient d’endurcir cette enfant.

Fée B : Il est hors de question qu’elle chante n’importe quoi.

Fée E : Il lui faut résister à l’appel des sirènes.

Fée B : Alice, fille de Mim et de l’alpha oméga, n’écoute pas les bêtises du monde. Souris à la

vie qui bat entre tes cils, souris au vent du matin et chante, ose chanter la bonne chanson, ose

joindre ton souffle à ceux de la nature.

Fée N qui arrive en retard : Comme c’est beau : je ne savais pas que tu savais parler si beau,

quand tu veux.

Fée E : Seul compte le présent.

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Fée B : « Car le moins prévoyant est toujours le plus sage ».

Fée E : Voici pour moi la bise du matin qui éveille à la vie. Elle l’embrasse et sort.

Fée N : Voici pour moi la bise des soirs qui est une berceuse. Elle l’embrasse et sort.

Fée B : Voici pour moi la bise des nuits qui est une pluie d’étoiles filantes. Elle l’embrasse et

sort.

Mim se détachant : Je resterai toujours auprès de toi. Mais il faut que tout cela continue.

Elle sort.

Le montreur revenant en jeu : The show must go on, en effet.

Tableau 6 : première fable.

(Alice, le montreur, voix d’Alif et une autre voix, trois fourmis au moins)

Le montreur : Mais quand les bises furent venues…vous connaissez la suite. Alice apprend la

vie avec de jolies fables. Prenez la lettre g. Minuscule. Allongez-là tête à jardin et le corps à

cour. Vous obtenez une cigale. Vu ?

Alice accompagne les dires du montreur, retire de la malle un tissu avec lequel elle forme

ladite lettre g (ou une cigale) et se glisse dessous.

Donc, quand les bises furent venues, la cigale - entre nous, c’est la marquise de Sévigné qui,

de retour d’un séjour à Grignan chez sa fille, a appris à La Fontaine ce qu’étaient les cigales,

parce qu’à Paris, ou à Château-Thierry, les cigales, y connaissaient pas trop, voyez, bref…- la

cigale donc se retrouva seule. Et sans ressources. Même ce foutu statut d’intermittent

n’existait pas à l’époque. C’était il y a longtemps. Elle alla demander à la fourmi si elle avait

pas un peu de thune pour s’acheter un burger et si elle pouvait pas lui prêter son MP3 ou un

baladeur, enfin un truc pour écouter de la zouk.

Mais la fourmi n’est pas prêteuse, « c’est là son moindre défaut ». Donc elle l’envoie sur les

roses, mais « son moindre défaut », cela sous entend qu’elle en a d’autres, des défauts, plus

importants encore : en particulier, si la cigale crève de solitude,…

Alice chantant sous le tissu : Sometime…I feel like a motherless child…

Le montreur : …si la cigale crève de solitude, la fourmi, elle, vit en bande. La fourmi n’existe

même pas : n’existent que LES fourmiS, donc la cigale frappe à la porte de la fourmilière et

tombe sur toute une série de fourmis qui gardent l’entrée. Elles l’interrogent, elles la fouillent,

elles l’emmènent au poste, la placent en garde à vue, lui réclament des papiers qu’elle n’a pas,

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et puis la foutent dehors en l’embarquant sur le premier vol de criquets à destination

d’ailleurs.

Alors l’autre elle gueule, elle proteste, elle se frotte les élytres à qui mieux mieux et ça fout le

bazar dans le contrôle aérien. Alors les fourmis s’en prennent aux ailes de la cigale pour

arrêter tout ce raffut.

(C’est cruel direz-vous, mais quiconque a supporté des heures durant le stridulement d’une

seule cigale accrochée à son platane, à son eucalyptus ou à son olivier comprendra).

Et c’est seulement à ce moment-là, quand la cigale n’a plus d’organe sonore et n’a plus que

ses pattes, et ses yeux pour pleurer, que l’une des fourmis keufs se croit maligne en l’insultant

de la célèbre formule :

« Vous chantiez, et bien dansez maintenant ».

Le bon mot excite les autres, les rieurs que déteste La Fontaine…

Voix nouvelle : « On cherche les rieurs et moi je les évite » Livre 8, fable neuvième.

Le montreur poursuit : Oui, bon, ça excite les sadiques qui croient avoir de l’esprit quand ils

se moquent des malheureux, alors les fourmis keufs appellent les ouvrières et tout le monde y

va. La cigale nue et dépouillée est obligée de se donner en spectacle. C’est grotesque et les

autres, ça les amuse. Ça amusait déjà les SS dans les camps. Et puis on achève bien les

chevaux, alors pourquoi pas les cigales ?

Entrée des fourmis keufs qui intiment des ordres à Alice cigale.

Fourmi A bousculant la cigale Alice : Dansez, allez, dansez : je n’ai pas dit « marchez ».

Fourmi B chante : Marchons, marchons…Qu’un sang K impur…

Fourmi C : Tais-toi tu fatigues.

Fourmi A : Dansez. Plus vite. Plus vite. Pressons, pressons.

Fourmi C : Time is money. Babbit, Rabbit, Babbit, Rabbit…

Fourmi B : IL NE FAUT PAS QUE L’HISTOIRE TE RATTRAPE.

Fourmi A : Et en rythme, pas n’importe comment…

Fourmi B : Nous c’qu’on aime c’est la qualité, alors tu fais c’qu’on t’dit et comme il faut.

Alice : Je tombe.

Fourmi A : Tournez. Tournez manège. Tournez l’artiste, qu’on te voie un peu.

Fourmi C : Just a little bit. Babbit, rabbit. No more time lost, no money lost.

Fourmi B : Elle fait moins la fière la traînée.

Fourmi A : Ça lui apprendra à venir déranger. Allez, remue-toi…

Fourmi B : Frappe du pied et bats des mains. Sers-toi du tambour, Esmeralda de pacotille !

Fourmi C : One more time money’s back.

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Alice sur le fond sonore qui continue jusqu’à la sortie des fourmis : Plus rien ne peut me

retenir. Ni ralentir mon cauchemar. L’écureuil lui aussi m’a rejetée de l’arbre. Chez qui

voulez-vous que je frappe ?

Voix du père : Moi alif, l’un et l’unique, mon temps va venir. Et moi qui suis moi, je vais

venir te délivrer. Oublie ce cauchemar, éveille-toi, éveille ton esprit et attend ma venue. Vois

comme ma parole agit puissamment : je chasse d’un mot les démons qui t’ont maltraitée :

Vade Retro, Formicae ! Retro…. ! Retro…. !

A, B, C et d’autres disparaissent. Ne reste qu’Alice-cigale au fond de sa spirale et le

montreur.

Un jour cette parole se fera chair et je viendrai t’enlever sur un blanc destrier. Patience.

Le montreur, au public : Patience et longueur de temps valent mieux que force ni que rage,

n’est-ce pas ? En attendant, Alice s’éveille fort dépourvue et affamée. Comment apprêter un

bon repas quand les fourmis et l’écureuil vous ont claqué la porte au nez ?

Tableau 7 : Les douze travaux d’Alice

(La reine de carreau, Alice, le montreur, le lapin blanc, les trois fées)

Entrée solennelle de la reine de carreau tandis qu’Alice se remet de son cauchemar.

La reine de carreau : Fini le temps des ris ! Fini le temps des jeux ! Voici venu le temps de

travailler dur ma jolie ! Quitte le sein de ta nourrice ! Quitte la chevelure de Bérénice ! Quitte

le giron d’Eurydice !

Alice : Qui êtes-vous noble reine ?

Reine de carreau : Comment oses-tu petite pécore, comment oses-tu t’adresser à ta reine

Rachel, la reine de carreau la reine des travaux ! Ecoute, plutôt, écoute coute coute coûte

codoute et exécoute : voici les douze travaux. Exécouti, exécoutons :

Tu devras premièrement nourrir le G afin qu’il engraisse et puis nous le dévorerons.

Exécoutons !!!!

Alice au public : Nourrir le G, mais comment faire ? Aidez-moi à nourrir le G. Que mange le

G ? Du grain d’orge et du goujon jaune ? Aidez-moi…

Passe le lapin blanc.

Le lapin blanc riant méchamment : grain d’orge et goujon jaune, pouah tu perds ton temps. Il

est déjà trop tard, tout ton temps est perdu…Il sort.

Reine : Pari perdu, pauvre tortue. Rattrape-toi à la deuxième épreuve :

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Tu devras secondement et dernièrement aiguiser l’ H afin que nous coupions le cou du g.

Alice : Mais n’aviez-vous pas dit douze travaux ?

Reine : Ne m’interromps pas petite sotte, aiguise le H et coupe le G

Montreur : La gadoue – dou – dou- aiguise le H et coupe le G, la gadoue – dou – dou –

Aiguise le H et coupe le G…Peut faire chanter le public

La reine hystérique avec public et montreur : Aiguise le H et coupe le G, aiguise le H et coupe

le G, (répété comme sans fin) Sinon tu te feras couper le cou

Public et montreur : Et le cou

Reine : Et la tête

Public et montreur : Et la tête

Reine : Et les ailes

Public et montreur : Et les ailes

Reine chanté: AAAAAAAAAAA ? Alice bosse ou ça va mal tourner.

Repasse le lapin blanc

Lapin : Tu. As. Encore. Per. Du. Du. Temps. Répété jusqu’à sa sortie.

Alice : Avec quoi aiguise-t-on le H ?

Reine : Avec un fusil pauvre idiote. Tout ton temps t’est compté pauvre idiote. Tu n’as plus le

droit de vivre ô rognure de roture qui ne sait pas travailler.

Lapin qui repasse : Je. T’a. Vais. Pré. Venue. Je T’a. Vais. Pré. Venue.

Répété jusqu’à sa sortie.

Reine : Tourne la girouette, gigote la coquecigrue, pour grandir il faut travailler : aiguiser l’H

et puis trancher le corps du G, il faut un G gisant dans la besace. Pour grandir, point.

Alice : Mais je ne veux pas grandir !

Reine : Alors « va t’en chétif insecte, excrément de la terre ». Point.

Alice : « Les petits ont pâti des sottises des grands ». Je ne veux pas grandir.

Reine : « La puissance fait tout ». Point.

Alice : « On en use ainsi chez les grands.

La raison les offense…

Si quelqu’un desserre les dents, c’est un sot ».

Montreur : « …Mais que faut-il donc faire ?

Alice : Parler de loin ou bien se taire ». Je ne veux pas grandir. Je ne veux plus rien dire.

Le lapin repasse : « C’est. De. L’hom. Me. Qu’il faut. Se. Plain. Dre. Seu. Lement. ».

Répété jusqu’à sa sortie.

Incursion des fées qui chasseront la reine de carreau.

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Fée Eurydice : Alors nous parlerons pour toi. La fable nous y aidera.

Fée Bérénice : « Notre ennemi c’est notre maître ».

Fée Eurydice : « Il ne se faut jamais moquer des misérables ».

Fée Nourrice en retard : « Rien ne sert de courir … »

Fée Bérénice : « Les vertus devraient être sœurs / Ainsi que les vices sont frères ».

Fée Nourrice : « Il se faut entraider c’est la loi de nature ».

Elles repoussent ainsi la reine de carreau.

Alice, la reine sortie, entourée des trois fées : « Ai-je passé le temps d’aimer ? », le temps des

ris et des chansons ?

Fée N : Mais non mon potiron, mon coquelet mignon, mon roitelet des bois, ma douce…

Fée B : Nourrice, un peu de tenue, merde. Tu vas la gâcher cette enfant.

Alice : Alors je peux chanter et ne jamais grandir ?

Voix du père : Moi, Alif, moi l’un et l’unique…

Fée E : Ton temps n’est pas encore venu, oui, on sait. Laisse-nous faire en attendant.

Lapin repasse et répète jusqu’à sa sortie : It’s moneytime now. Time is over. It’s moneytime

now. Time is over….

Fée E : Ne l’écoute pas, tu as tout ton temps. Tu as la vie devant toi.

Fée B : Alice, fille de Mim et de l’alpha oméga, n’écoute pas tes cauchemars. Souris à la vie

qui bat entre tes cils, souris au vent du matin et chante, ose chanter la bonne chanson, ose

joindre ton souffle à ceux de la nature.

Fée N : Comme c’est beau : je ne savais pas que tu savais parler si beau, quand tu veux.

Fée E : Chante et sois heureuse à présent. Seul compte le présent.

Fée B : « Car le moins prévoyant est toujours le plus sage ».

Fée E : Voici pour moi la bise du matin qui éveille à la vie. Elle l’embrasse et sort.

Fée N : Voici pour moi la bise des soirs qui est une berceuse. Elle l’embrasse et sort.

Fée B : Voici pour moi la bise des nuits qui est une pluie d’étoiles filantes. Elle l’embrasse et

sort.

Alice : J’ai l’impression d’avoir déjà vécu cet instant. Mais qui ne dort ne dîne pas : j’ai faim.

Tableau 8 : recette à vivre.

(Le montreur, Alice, un spectateur complice, le lapin blanc, un comédien assistant du

montreur, 4 marmitons)

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Le montreur, au public : Comment apprêter un bon repas quand les fourmis et l’écureuil vous

ont claqué la porte au nez ? Auriez-vous quelque livre à dévorer ? Un livre de recettes serait le

bienvenu. Oui, monsieur est venu avec son livre de recettes ? [Non, non, je vous assure, ce

n’était pas préparé…] Je vous le rendrai, merci beaucoup…..Le titre est évocateur : « Alice’s

restaurant ».

Sous-titre un peu long, peut-être : « Dans un autre monde, Alice est en bas qui fait du nougat,

Lewis est en haut qui fait des photos ». Smile, Cheese, flash.

Le montreur lisant :

1) Procurez-vous un chapeau clac Bruit de soulignement du clac-clap. Un comédien

présente au public un chapeau qui s’ouvre et se replie, bruit du clac.

2) Faites-en sortir un lapin blanc. Un lapin en peluche blanc en est tiré.

Alice frappe des mains et se réjouit

3) Laissez-le gambader joyeusement dans la garrigue parmi le thym, le romarin, le serpolet…

Le lapin (peluche) se déplace sur la scène, on l’entend répéter : I am Babbit the white

rabbit…I am Babbit …

4) Quand vous êtes las de cette distraction, et que la sensation de faim se réveille, hurlez

STOP ! Alice le fait. Plus fort : « ventre affamé n’a point d’oreilles ». Elle hurle plus fort.

5) Ayant constaté que ça ne sert à rien, le lapin blanc étant par nature stupide et

monomaniaque, …

Le lapin blanc (personage) traverse : Time is money, ‘got to hurry. (Répété jusqu’à sa sortie)

Le montreur : ... Armez-vous d’un fusil à deux coups, à canons sciés superposés, avec de

préférence chien de sûreté, viseur incorporé et boule de gomme…

Alice puise un fusil dans la malle

6) Visez de préférence l’emplacement de la pile.

Alice : Pull !

Un comédien projette en l’air le lapin peluche et Alice l’abat en plein vol.

Alice : Rien ne sert de courir, il faut partir à point.

Le montreur : 7) L’idiot lapin ayant été chassé, il vous faut désormais le cuisiner chasseur.

Sortie du montreur. Entrent les marmitons ABCD roulant un éventuel chaudron.

A : Armez-vous d’un balai garni.

B : Balayez devant votre porte.

C : Courroucez tendrement le fond d’une marmite.

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D : Déglacez à grands jets de salive.

Alice, assez sorcière et dont le texte sera peu à peu couvert par le bruit des ustensiles et/ou de

la musique : Aiguisez un long couteau, frottez-le contre le fusil.

Bistourisez-lui l’œil pour le saigner encore plus blanc que blanc.

Cuissonnez le sang versé dans le courroux de la marmite.

Dépecez son blanc manteau de vent de froidure et de pluie.

Egouttez-le dans un chinois et tâchez de le faire revenir.

Fouettez l’émulsion qui mijote et voyez encor’ s’il gigote.

ABCD A tour de rôles : A - Voyez s’il louche de son œil unique, puis décapitez-le.

B- Démembrez-le à la hache, et couvrez-le à la louche.

C- Blanchissez-le toujours, dorez-le quelquefois

D- Réservez pour les beaux yeux du chat les poumons et les rognons.

A- Salez,

B- Poivrez,

C- Assaisonnez,

D- La moutarde me monte au nez.

Il entraîne les autres marmitons vers la sortie. Alice retire avec dégoût le lapin peluche du

chaudron.

Voix off : Ne jetez pas les piles n’importe où : des bacs destinés à cet effet sont disponibles

dans votre supermarché.

Alice rejette le lapin peluche dans le chaudron.

Alice : « Travaillez, prenez de la peine, il en restera toujours quelque chose ».

Elle repousse le chaudron en coulisses.

Mouais, je ne crois pas.

Le montreur alors l’interpelle: Mais si l’on veut manger, il faut bien travailler ? Sinon, quoi ?

Tableau 9 : La fabrique à lettres

(Alice, Mim, D1, D2, Alpha-Oméga 1er, le montreur, Lewis)

Où les personnages entrent tour à tour et participent à la machine sonore.

On entend le tic tac d’un métronome. Crescendo.

Alice : Maman est en bas qui fait du gâteau.

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Mim (sur le rythme croche pointée double, noire) : Plum, pudding. Plum, pudding… (répété).

Alice : Ma sœur au jardin prépare le pain.

D1 (sur le rythme de deux croches par temps) : Baker. Baker. Baker (répété)

Alice : Ma sœur côté cour nettoie la basse cour

D2 (sur le même rythme que Mim) : Plume, de paon. Plume, de paon. (répété).

Alice : Papa est en haut qui coud un paletot

Alpha Oméga : (rythme de D1) : Pique et pique et pique et… (répété)

Alice : Et dans le grenier sur un grand album, Lewis bricole des photos en noir et blanc.

Lewis (rythme de Mim et D2) : Bricole et, bricole et, bricole et… (répété)

Les cinq personnages (sauf Alice) augmentent le volume sonore chacun sur sa phrase, et sur

le même tempo de métronome, jusqu’à ce qu’ensemble ils concluent :

Tous : Gramme.

Montreur : Du grec « grammon » : la lettre. Désigne à l’origine un poids. Alpha pèse son

pesant de soleil. Bêta pèse plus lourd. Zêta est plus léger qu’une plume et Nu ne pèse rien.

Tout mouillé, c’est autre chose. Lambda se cambre dans ses voiles et Delta fait le grand écart.

Remettez la machine en route.

Reprise au début (da capo) de la scène jusqu’à « gramme ».

Le montreur : Ainsi Alice a-t-elle appris le mouvement des lettres. Elle connait le poids des

choses, elle connait le prix des mots. Mais la faim la travaille toujours. Elle a fait une liste de

courses. Tandis que la famille vaque à ses occupations, Alice se rend au marché. C’est une

grande à présent. On dit qu’elle est dégourdie.

Les membres de la machine se désolidarisent et joueront ensuite « à la marchande » lors du

tableau suivant.

Tableau 10 : Au marché

(Les mêmes jouant Alice, Mmes. Platon, Diogène, Zénon, le montreur, Alpha-Oméga 1er)

Alice : Bonjour madame Platon, belle journée n’est-ce pas ?

Le montreur : Aussi étrange que cela puisse paraître, il y eut en effet une madame Platon qui

avec son mari entretenait des rapports peu platoniques.

Mme. Platon : Que puis-je pour toi ma petite Alice ?

Alice : Je voudrais vingt deltas de ciguë et dix mus d’asphodèles.

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Mme Platon : La ciguë, c’était une idée à Socrate. Ҫa fait longtemps qu’on n’en fait plus.

Mais pour les asphodèles, il t’en coûtera douze sourires epsilon.

Alice : Merci Mme. Platon. Le bonjour à votre mari….Bonjour Mme Diogène. Votre tonneau

est-il prospère ?

Mme. Diogène : Salut la p’tite morveuse. Qu’est-ce que tu veux ?

Alice : Je veux cent gammas de génie pour ma lessive de printemps.

Mme. Diogène : Le génie, ça se trouve pas sous le sabot d’un mulet. Qu’est-ce que tu veux en

faire ?

Alice : J’ai ma toge à blanchir avant de la rapiécer : elle a des trous partout.….

Mme. Diogène : Les toges à trou, c’est très mode. Le charme barbare, ça plait aux

photographes. Avec un bijou sur le nombril, un autre sur la langue…

Alpha-Oméga 1er : Ne corromps pas la petite, ô sorcière…

Mme. Diogène : Et Lewis Carroll, y corrompt pas, Lewis Carroll, avec ses clichés ?

Mme. Platon : On se demande à quoi servent les parents.

Alpha-Oméga 1er : Mon temps n’est pas encore venu, sinon je vous montrerais…

Mme. Diogène : Alors qu’est-ce que tu fous là, si ton temps n’est pas venu ? Déguerpis !

Alpha-Oméga 1er : En vérité, je vous le dis…

Mme. Diogène : Dehors ! Ôte-toi de mon ombre, comme i’ dit le Didi !

Alpha-Oméga 1er repoussé par les femmes : C’est un scandale ! Une honte ! Nous nous

reverrons !

Alice : Salut, p’pa, ça fait plaisir de voir que tu existes, de temps en temps…A toute.

Mme. Diogène : On ne va pas se laisser faire par un anachronisme. Et toi ma belle, un bracelet

t’ira mieux que du génie. Huit psys le bracelet, douze les deux. Le sourire tu te le gardes.

Alice : Un seul pour aujourd’hui.

Alice « paie » les huit psys et continue, munie de fleurs d’asphodèles et d’un bracelet.

Alice : Bonjour Madame Zénon. Comment se porte votre mari ?

Mme. Zénon : Mal. Il s’épuise, ma belle enfant. Depuis qu’il a inventé le tapis roulant, il court

sur place et se prend pour un marathonien. Que puis-je pour ton service ?

Alice : J’ai un bouquet garni de laurier, de thym et de serpolet. Si vous aviez quelques tomates

à cuire?

Mme.Zénon : Alice ! Ya no llegaron los conquistadores a América.

Mme. Diogène : Chassez l’anachronisme il revient au galop. Faudra que j’en parle à Didi.

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Mme. Zénon : Il n’y a pas plus de tomates à Athènes que de haricots verts ni même de

pommes de terre ! Nous n’avons que les pommes d’or du jardin des Hespérides. Ou bien de

belles pastèques, couleur de pré dehors, couleur de sang dedans.

Alice : Va pour le melon d’eau. Combien de lettres ?

Mme. Zénon : Pour toi ce ne sera que huit phis éphésiens ou, si tu préfères, quatre oboles de

Smyrne et deux rhôs de Corinthe.

Alice : J’ai les huit éphésiens.

Mme. Zénon : C’est parfait, Alice. Bien le bonjour à Lewis. Qu’est-ce qu’il devient ?

Alice : Lewis est en haut, qui prend des photos. Des photos de moi dans ma toge trouée,

intersticée de nudité. Maman est en bas, qui fait du raphia. Papa fait du grec entre deux

sermons. Son pote le matheux mate mes tristesses. Et papa s’en fout, un peu, beaucoup…

Elle mord négligemment à la tranche de pastèque.

Alpha Oméga 1er ombre au lointain empêchée d’avancer : Pas du tout ! Sacrilège ! Je ne m’en

fous pas mais mon temps n’est pas encore ve…

Alice : Laisse-moi m’abreuver à la saveur du fruit. Laisse-moi porter les bijoux à mon bras. Et

laisse-moi sentir les parfums d’orient.

Je vous aime tous mais comme vous êtes loin désormais ! Je vous écrirai. Je vous enverrai des

textos. Des cartes postales : « Il fait beau, je pense à vous ». Elle sort. Les marchandes aussi.

Tableau 11 : La fin qui ne justifie rien

(Montreur, Alice, D1, D2, voix et lapin blanc)

Noir bref sur la scène tandis qu’intervient le montreur. Puis lumière comme au début à

l’apparition d’Alice.

Montreur : Alice a grandi maintenant. Elle sait jouer, danser, chanter, elle sait aussi travailler

et faire son marché. L’enfance s’éloigne. Alpha-Oméga 1er ne surveille plus que son diabète,

Mim évite de l’énerver, les jours passent. Lewis Carroll est DCD.

Alice et ses deux sœurs font de longues études et s’écrivent souvent. Une tendresse les réunit

parfois.

Alice dans la malle rêve parmi des livres. On entend comme au début le bruit d’une plume qui

crisse sur le papier puis celui de la frappe d’un clavier. Entrent D1 et D2.

Alice : Come on, sisters !

D1 : Délicieuse te salue bien. Bisou bisou…

D2 : Delicious t’embrasse de loin : kiss you…

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D1 et D2 : Nous sommes venues t’aider à tirer la révérence.

D1 : Les pages avancent, se tournent une à une, adieu l’enfance.

D2 : Voici une dernière fable, pour la route.

D1 : Voici une deuxième fin, pour le doute.

D2 : « Le serpent et l’archéoptéryx ».

Un serpent serpentait sans songer à deux mains.

L’archéoptéryx l’aperçut

Et le suivit sur le chemin

Qui mène du passé à la fin du bouquin. D1 : Mais non. Il était pressé.

Le vol lourd de l’oiseau assombrissait les foins

Et les chaumes blonds alentour

Mais le serpent repu de la clarté des jours

N’en avait cure. D1 : Il avait trop chaud, c’est tout.

Mal lui en prit : dans son armure

D’écailles, voici l’oiseau qui fond, véloce,

Sur sa proie. Du bec et de la griffe, féroce

Il vous la déchiquette et l’engloutit.

Moralité :

Les personnages de papier n’ont pas d’avenir garanti.

D1 : Ma sœur, cela manque de sens pratique. Pour avaler une couleuvre, il faut d’abord bien

la saucissonner. Puis la découper en tronçons comme un chapelet de boudins antillais.

Le bec les griffes ou les dents

N’ont rien à faire là-dedans.

Non : voici la véridique histoire de la dernière page.

Voix enregistrée d’Alif : Moi Alif, je suis le dernier page de l’histoire, je suis Celui qui

enlèvera Alice sur son blanc destrier lorsque mon temps sera venu.

D1 : Ton temps, beau prince à l’avenir douteux, tire aussi à sa fin. Voici la véridique histoire

de la dernière fable :

L’oiseau planait sur la contrée. D2 : Laquelle ? Comme sens pratique…

Son œil vif tout le jour espi-onnait les prés

Son long bec s’abreuvait à l’encrier des nuits

Et traçait sur ses ailes des mots inouïs.

Ainsi inventa-t-il le livre

Et le bonheur de vivre. D2 : C’est d’une platitude… !

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Le serpent jaloux l’appela

Et l’oiseau sur son dos vers les cieux l’emporta.

Moralité :

On a toujours besoin d’un plus ailé que soi.

Alice : C’est la fin de l’histoire ?

D2 : Ou le début ?

D1 et D2 alternativement : La chandelle est morte au fond du grenier

La malle est ouverte et dans le panier

Parmi les photos

Sous un paletot

Les alphabets du monde sont éparpillés.

Comme les voix qui se sont tues

Comme les songes disparus

Les pages se sont repliées.

Nous notre sœur et tous les autres personnages

Nous éclipsons pour un lointain voyage.

D1 et D2 : Bye-bye…Bisou bisou…bye…bisou…

Les trois soeurs bâillent et s’endorment, alanguies, comme des pétales sur la scène que le

vent a soufflés.

Voix enregistrée d’Alif, fading : Pourtant il est écrit que la parole se fera chair et que le

Temps…

Le lapin blanc qui repasse, contusionné, écorché : Temps, mort. Je. Demande. Un. Temps,

mort. Temps, mort. Je. Demande. Un. Temps, mort… Il a traversé.

FIN

Novembre 2012-Août 2013