Partie IV : La vie politique en France Thème 4 : La Ve République à l’épreuve de la durée
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Fiche n°4
La Ve République
I. Notions
Pouvoir constituant, originaire/dérivé ; loi constitutionnelle du 3 juin 1958 ; principe d’indivisibilité ;
principe d’unicité du peuple français ; principe de laïcité ; Nouvelle-Calédonie ; décentralisation ; régime
semi-présidentiel/présidentialiste
II. Documents
Doc. 1
a) Hubert Beuve-Méry, sous le pseudonyme de Sirius, « L’appel du vide », Une semaine dans Le
Monde, 13 mars 1948, in Le suicide de la IVe République, p. 43
b) Hubert Beuve-Méry, « Au chevet de l’agonisante », série d’articles publiés dans Le Monde des 25
avril au 2 mai 1958, in Le suicide de la IVe République, p. 92 :
a) « En d’autres termes, il est fort possible que nous assistions depuis longtemps déjà à la lente agonie du régime parlementaire et
qu’une forme quelconque d’arbitraire ou de tyrannie nous soit de nouveau promise. Il n’est nullement inimaginable que, les
circonstances aidant, le général de Gaulle ne trouve plus devant lui, comme naguère le maréchal Pétain, que des assemblées trop
heureuses de lui abandonner des responsabilités devenues insoutenables… »
b) « Tout le monde est d’accord : il faut réformer le régime, mais chacun sent bien que le régime est incapable de se réformer lui-
même. Comment, dès lors, forcer la décision sans franchir le Rubicon et ouvrir la voie à l’illégalité ? Recours au référendum ?
Appel au général de Gaulle, investi pour un temps de larges pouvoirs, avec mission de préparer une nouvelle Constitution ? (Quelle
nouvelle analogie, dans ce cas, avec juillet 1940 !) »
Doc. 2 – Discours d’investiture du général de Gaulle, Assemblée nationale, 1er juin 1958
La dégradation de l'Etat qui va se précipitant : l'unité française immédiatement menacée ; l'Algérie plongée dans la tempête des
épreuves et des émotions : la Corse subissant une fiévreuse contagion ; dans la métropole des mouvements en sens opposé
renforçant d'heure en heure leur passion et leur action ; l'armée, longuement éprouvée par des tâches sanglantes et méritoires, mais
scandalisée par la carence des pouvoirs ; notre position internationale battue en brèche jusqu'au sein même de nos alliances : telle
est la situation du pays. En ce temps même où tant de chances, à tant d'égards, s'offrent à la France, elle se trouve menacée de
dislocation et, peut-être, de guerre civile.
C'est dans ces conditions que je me suis proposé pour tenter de conduire, une fois de plus au salut le pays, l'Etat, la République et
que, désigné par le chef de l'Etat, je me trouve amené à demander à l'Assemblée nationale de m'investir pour un lourd devoir.
De ce devoir, il faut les moyens.
Le Gouvernement, si vous voulez l'investir, vous proposera de les lui attribuer aussitôt. Il vous demandera les pleins pouvoirs, afin
d'être en mesure d'agir dans les conditions d'efficacité, de rapidité, de responsabilité que les circonstances exigent. Il vous les
demandera pour une durée de six mois, espérant, qu'au terme de cette période l'ordre rétabli dans l'Etat, l'espoir retrouvé en Algérie,
l'union refaite dans la nation, permettront aux pouvoirs publics de reprendre le cours normal de leur fonctionnement.
Mais ce ne serait rien que de remédier provisoirement, tant bien que mal, à un état de choses désastreux, si nous ne nous décidions
pas à en finir avec la cause profonde de nos épreuves. Cette cause - l'Assemblée le sait et la nation en est convaincue -, c'est la
confusion et, par là-même, l'impuissance des pouvoirs. Le Gouvernement que je vais former, moyennant votre confiance, vous
saisira sans délai d'un projet de réforme de l'article 90 de la Constitution, de telle sorte que l’Assemblée nationale donne mandat
au Gouvernement d'élaborer, puis de proposer au pays, par la voie du référendum, les changements indispensables. Au terme de
l'exposé des motifs qui vous sera soumis en même temps que le texte, le Gouvernement précisera les trois principes qui doivent
être, en France, la base du régime républicain et auquel il prend l'engagement de conformer son projet. Le suffrage universel est
la source de tout pouvoir. Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés, de façon que le
Gouvernement et le Parlement assument, chacun pour sa part et sous sa responsabilité, la plénitude de ses attributions. Le
Gouvernement doit être responsable vis-à-vis du Parlement.
L'occasion solennelle d'organiser les rapports de la République française avec les peuples qui lui sont associés sera offerte au pays
par la même réforme constitutionnelle. Cette organisation nouvelle, le Gouvernement prendra l'engagement de la promouvoir dans
le projet qu'il proposera aux suffrages des Françaises et des Français.
A partir de ce double mandat, à lui conféré par l'Assemblée nationale, le Gouvernement pourra entreprendre la tâche immense qui
lui sera ainsi fixée. Quant à moi, pour l'assumer, il me faut, assurément et d'abord, votre confiance. Il faut, ensuite, que sans aucun
délai - car les événements ne nous en accordent pas - le Parlement vote les projets de loi qui lui seront soumis. Ce vote acquis, les
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assemblées se mettront en congé jusqu'à la date prévue pour l'ouverture de leur prochaine session ordinaire. Ainsi le Gouvernement
de la République, investi par la représentation nationale et pourvu, d'extrême urgence, des moyens de l'action, pourra répondre de
l'unité, de l'intégrité, de l'indépendance du pays.
Doc. 3 – Loi constitutionnelle du 3 juin 1958
Article unique. – Par dérogation aux dispositions de son article 90, la Constitution sera révisée par le Gouvernement investi le 1er juin 1958 et ce dans les formes suivantes :
Le Gouvernement de la République établit un projet de loi constitutionnelle mettant en œuvre les principes ci-après : 1. Seul le suffrage universel est la source du pouvoir. C’est du suffrage universel ou des instances élues par lui que dérivent le
pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ; 2. Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés de façon que le Gouvernement et le Parlement
assument chacun pour sa part et sous sa responsabilité la plénitude de leurs attributions ; 3. Le Gouvernement doit être responsable devant le Parlement ; 4. L’autorité judiciaire doit demeurer indépendante pour être à même d’assurer le respect des libertés essentielles telles qu’elles
sont définies par le préambule de la Constitution de 1946 et par la Déclaration des droits de l’homme à laquelle il se réfère ; 5. La Constitution doit permettre d’organiser les rapports de la République avec les peuples qui lui sont associés. Pour établir le projet, le Gouvernement recueille l’avis d’un comité consultatif où siègent notamment des membres du
Parlement désignés par les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Conseil de la République. Le nombre des membres du comité consultatif désignés par chacune des commissions est au moins égal au tiers du nombre des membres de ces commissions ; le nombre total des membres du comité consultatif désigné par les commissions est égal aux deux tiers des membres du comité.
Doc. 4 – Échange entre Jean-Louis Tixier-Vignancour et Edgar Faure à l’Assemblée nationale le 2
juin 1958
J.-L. T.-V : « J’ai sous les yeux le projet selon lequel vous demandez à notre Assemblée de déléguer au gouvernement que vous
présidez le pouvoir constituant, étant entendu que la constitution que le Gouvernement élaborera sera ratifiée par la nation au
moyen du référendum. »
« Monsieur le président du conseil, il y a quelques années vous aviez réuni à Alger une commission de juristes au sein de laquelle
– si mes souvenirs sont exacts – siégeait M. Edgar Faure que j’ai le plaisir de voir à son banc. Elle était présidée par M. René
Cassin, toujours vice-président du conseil d’État. Or, cette commission nous a fait connaître, à nous, députés et sénateurs de la IIIe
République qui avions voté, le 10 juillet 1940, une motion précisant que le Gouvernement allait rédiger une Constitution qui serait
ratifiée par la nation et appliquée par les Assemblées qu’elle aurait créées, que nous n’avions pas le droit de déléguer ce pouvoir
constituant et que nous avions de ce chef – 580 députés et sénateurs – commis une faute grave qui devait nous valoir d’être éloignés,
par ce que vous appeliez l’inéligibilité, des compétitions électorales. En bref, il était interdit à ceux qui avaient émis ce vote de
faire juge le corps électoral de leur action, et il leur était interdit de la soumettre à celui que vous affirmez cependant comme étant
la source de tout pouvoir, c’est-à-dire le suffrage universel. Je comprends, monsieur le président du conseil, que, dans les graves
circonstances que nous vivons, vous ayez cru devoir lancer cet appel à l’Assemblée nationale et demain au Conseil de la
République. Je le conçois, mais vous m’excuserez de penser que jamais je n’aurais pu croire que deux fois dans mon existence on
me demanderait de déléguer la fraction de pouvoir constituant que je détenais et – qui mieux est – jamais je n’aurais pu envisager
que, pour la deuxième fois, celui qui me le demanderait serait celui-là même qui m’avait puni pour avoir accordé une première
fois cette délégation. »
E. F. : « Je dois dire, en effet, que la question de la délégation du pouvoir constituant est délicate. […] la critique principale que
nous avons adressée à la délégation du pouvoir constituant faite à Vichy, c’est que cette délégation prévoyait la ratification par
recours aux assemblées que cette constitution créerait elle-même et qui en assureraient l’application. […] Je dois donc dire, puisque
vous avez fait allusion à mon opinion, que c’était là quelque chose de très différent du système qui est actuellement proposé et qui
est celui du référendum. […] J’ai tenu à préciser cette différence essentielle ; car si le pouvoir constituant appartient à l’Assemblée,
c’est par délégation du peuple. Par conséquent, la réserve du référendum ramène tout de même, je le dis sans préjuger du reste, le
pouvoir constituant à sa source. »
Doc. 5 : Discours du général de Gaulle prononcé le 4 septembre 1958 place de la République
C'est en un temps où il lui fallait se réformer ou se briser que notre peuple, pour la première fois, recourut à la République.
Jusqu'alors, au long des siècles, l'Ancien Régime avait réalisé l'unité et maintenu l'intégrité de la France. Mais, tandis qu'une
immense vague de fond se formait dans les profondeurs, il se montrait hors d'état de s'adapter à un monde nouveau. C'est alors
qu'au milieu de la tourmente nationale et de la guerre étrangère apparut la République ! Elle était la souveraineté du peuple, l'appel
de la liberté, l'espérance de la justice. Elle devait rester cela à travers les péripéties agitées de son histoire. Aujourd'hui, autant que
jamais, nous voulons qu'elle le demeure.
Certes la République a revêtu des formes diverses au cours de ses règnes successifs. En 1792 on la vit, révolutionnaire et guerrière,
renverser trônes et privilèges, pour succomber, huit ans plus tard dans les abus et les troubles qu'elle n'avait pu maîtriser. En 1848,
on la vit s'élever au-dessus des barricades, se refuser à l'anarchie, se montrer sociale au-dedans et fraternelle au-dehors, mais bientôt
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s'effacer encore, faute d'avoir accordé l'ordre avec l'élan du renouveau. Le 4 septembre 1870, au lendemain de Sedan, on la vit
s'offrir au pays pour réparer le désastre. De fait, la République sut relever la France, reconstituer les armées, recréer un vaste
empire renouer des alliances solides, faire de bonnes lois sociales, développer l'instruction. Si bien qu'elle eut la gloire d'assurer
pendant la Première Guerre mondiale notre salut et notre victoire. Le 11 novembre, quand le peuple s'assemble et que les drapeaux
s'inclinent pour la commémoration, l'hommage, que la patrie décerne à ceux qui l'ont bien servie, s'adresse aussi à la République.
Cependant, le régime comportait des vices de fonctionnement qui avaient pu sembler supportables à une époque assez statique,
mais qui n'étaient plus compatibles avec les mouvements humains, les changements économiques, les périls extérieurs qui
précédaient la Deuxième Guerre mondiale. Faute qu'on y eût remédié, les événements terribles de 1940 emportèrent tout. Mais
quand, le 18 juin, commença le combat pour la libération de la France, il fut aussitôt proclamé que la République à refaire serait
une République nouvelle. La Résistance tout entière ne cessa pas de l'affirmer.
On sait, on ne sait que trop, ce qu'il advint de ces espoirs. On sait, on ne sait que trop, qu'une fois le péril passé, tout fut livré et
confondu à la discrétion des partis. On sait, on ne sait que trop, quelles en furent les conséquences. À force d'inconsistance et
d'instabilité et quelles que puissent être les intentions, souvent la valeur des hommes, le régime se trouve privé de l'autorité
intérieure et de l'assurance extérieure sans lesquelles il ne pouvait agir. Il était inévitable que la paralysie de l'État amenât une
grave crise nationale et qu'aussitôt la République fût menacée d'effondrement.
Le nécessaire a été fait pour obvier à l'irrémédiable à l'instant même où il était sur le point de se produire. Le déchirement de la
nation fut de justesse empêché. On a pu sauvegarder la chance ultime de la République. C'est dans la légalité que moi-même et
mon Gouvernement avons assumé le mandat exceptionnel d'établir un projet de nouvelle Constitution et de le soumettre à la
décision du peuple.
Nous l'avons fait sur la base des principes posés lors de notre investiture. Nous l'avons fait avec la collaboration du Conseil
consultatif institué par la loi. Nous l'avons fait, compte tenu de l'avis solennel du Conseil d'État. Nous l'avons fait après
délibérations très libres et très approfondies de nos propres conseils de ministres : ceux-ci, formés d'hommes aussi divers que
possible d'origines et de tendances mais résolument solidaires. Nous l'avons fait sans avoir entre-temps attenté à aucun droit ni à
aucune liberté publique. La nation, qui seule est juge, approuvera ou repoussera notre oeuvre. Mais c'est en toute conscience que
nous la lui proposons.
Ce qui, pour les pouvoirs publics, est désormais primordial, c'est leur efficacité et leur continuité. Nous vivons en un temps où des
forces gigantesques sont en train de transformer le monde. Sous peine de devenir un peuple périmé et dédaigné, il nous faut dans
les domaines scientifique, économique et social évoluer rapidement. D'ailleurs, à cet impératif répondent le goût du progrès et la
passion des réussites techniques qui se font jour parmi les Français, et d'abord dans notre jeunesse. Il y a là des faits qui dominent
notre existence nationale et doivent par conséquent commander nos institutions.
La nécessité de rénover l'agriculture et l'industrie, de procurer les moyens de vivre, de travailler, de s'instruire de se loger, à notre
population rajeunie, d'associer les travailleurs à la marche des entreprises, nous pousse à être, dans les affaires publiques,
dynamiques et expéditifs. Le devoir de ramener la paix en Algérie, ensuite celui de la mettre en valeur, enfin celui de régler la
question de son statut et de sa place dans notre ensemble, nous imposent des efforts difficiles et prolongés. Les perspectives que
nous ouvrent les ressources du Sahara sont magnifiques certes, mais complexes. Les rapports entre la métropole et les territoires
d'outre-mer exigent une profonde adaptation. L'univers est traversé de courants qui mettent en cause l'avenir de l'espèce humaine
et portent la France à se garder, tout en jouant le rôle de mesure, de paix, de fraternité, que lui dicte sa vocation. Bref, la nation
française refleurira ou périra suivant que l'État aura ou n'aura pas assez de force, de constance, de prestige, pour la conduire là où
elle doit aller.
C'est donc pour le peuple que nous sommes, au siècle et dans le monde où nous sommes, qu'a été établi le projet de Constitution.
Que le pays puisse être effectivement dirigé par ceux qu'il mandate et leur accorde la confiance qui anime la légitimité. Qu'il existe,
au-dessus des luttes politiques, un arbitre national, élu par les citoyens qui détiennent un mandat public, chargé d'assurer le
fonctionnement régulier des institutions, ayant le droit de recourir au jugement du peuple souverain, répondant, en cas d'extrême
péril, de l'indépendance, de l'honneur, de l'intégrité de la France et du salut de la République. Qu'il existe un Gouvernement qui
soit fait pour gouverner, à qui on en laisse le temps et la possibilité, qui ne se détourne pas vers autre chose que sa tâche, et qui,
par là, mérite l'adhésion du pays. Qu'il existe un Parlement destiné à représenter la volonté politique de la nation, à voter les lois,
à contrôler l'exécutif, sans prétendre sortir de son rôle. Que Gouvernement et Parlement collaborent mais demeurent séparés quant
à leurs responsabilités et qu'aucun membre de l'un ne puisse, en même temps, être membre de l'autre. Telle est la structure
équilibrée que doit revêtir le pouvoir. Le reste dépendra des hommes.
Qu'un Conseil économique et social, désigné en dehors de la politique par les organisations professionnelles et syndicales du pays
et de l'outre-mer, fournisse ses avis au Parlement et au Gouvernement. Qu'un Comité constitutionnel, dégagé de toute attache, ait
qualité pour apprécier si les lois votées sont conformes à la Constitution et si les élections diverses ont eu lieu régulièrement. Que
l'autorité judiciaire soit assurée de son indépendance et demeure la gardienne de la liberté de chacun. La compétence, la dignité,
l'impartialité de l'État en seront mieux garanties.
Qu'entre la nation française et ceux des territoires d'outre-mer qui le veulent, soit formée une Communauté, au sein de laquelle
chaque territoire va devenir un État qui se gouvernera lui-même, tandis que la politique étrangère, la défense, la monnaie, la
politique économique et financière, celle des matières premières, le contrôle de la justice, l'enseignement supérieur, les
communications lointaines, constitueront un domaine commun dont auront à connaître les organes de la Communauté : président,
Conseil exécutif, Sénat, Cour d'arbitrage. Ainsi, cette vaste organisation rénovera-t-elle l'ensemble humain groupé autour de la
France. Ce sera fait en vertu de la libre détermination de tous. En effet, chaque territoire aura la faculté, soit d'accepter, par son
vote au référendum, la proposition de la France, soit de la refuser et, par là même, de rompre avec elle tout lien. Devenu membre
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de la Communauté, il pourra dans l'avenir, après s'être mis d'accord avec les organes communs, assumer son propre destin
indépendamment des autres
Qu'enfin, pendant les quatre mois qui suivront le référendum, Ie Gouvernement ait la charge des affaires du pays et fixe, en
particulier, le régime électoral. De cette façon pourront être prises, sur mandat donné par le peuple, les dispositions nécessaires à
la mise en place des nouvelles institutions.
Voilà, Françaises, Français, de quoi s'inspire et en quoi consiste la Constitution qui sera le 28 septembre soumise à vos suffrages.
De tout mon coeur, au nom de la France, je vous demande de répondre : « Oui ».
Si vous ne le faites pas, nous en reviendrons le jour même aux errements que vous savez. Si vous le faites, le résultat sera de rendre
la République forte et efficace, pourvu que les responsables sachent désormais le vouloir !
Mais il y a aussi, dans cette manifestation positive de la volonté nationale, la preuve que notre pays retrouve son unité et, du coup,
les chances de sa grandeur. Le monde, qui discerne fort bien quelle importance notre décision va revêtir pour lui-même, en tirera
la conclusion. Peut-être l'ail, dès à présent, tirée ! Un grand espoir se lèvera sur la France. Je crois qu'il s'est déjà levé !
Vive la République ! Vive la France !
Doc. 6 – Référendum du 28 septembre 1958
% des inscrits % des exprimés
Electeurs inscrits 26 603 464 100
Votants 22 396 850
Abstentions 4 006 614 15,06
Blancs et nuls 303 559 1,1
Votes oui 17 668 790 66,4 79,2
Votes non 4 624 311 17,3 20,7
Doc. 7 – Du 13 mai au 28 septembre 1958, L’année politique 1958, PUF, 1959
13 M. Pflimlin lit sa déclaration d’investiture devant l’Assemblée.
Constitution d’un Comité de Salut public à Alger qui lance un appel au général.
M. Pflimlin est investi par 274 voix contre 129.
14 Message de M. Coty à l’armée d’Algérie.
15 Elargissement du gouvernement : M. Mollet devient vice-président du Conseil.
Déclaration de Gaulle qui dit se tenir prêt à assumer les pouvoirs de la République.
16 L’Assemblée vote la loi instituant « l’état d’urgence ».
17 Démission du général Ely, chef d’état-major général des Forces armées.
18 Clôture du XIVe Congrès du M.R.P.
19 Conférence de presse du général de Gaulle.
20 L’Assemblée vote le renouvellement des pouvoirs spéciaux au gouvernement.
22 Le Conseil des Ministres adopte un premier projet de révision de la Constitution.
Renforcement du pouvoir exécutif.
M. Pinay rend visite au général de Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises.
Création à Paris d’un Comité de Défense républicaine.
23 Des Comités de Salut public commencent à se constituer dans le Sud-ouest, région
lyonnaise.
24 Un Comité de Salut public s’installe à Ajaccio.
25 Institution de la censure préventive des journaux.
26 M. Mollet communique à M. Pflimlin le texte d’une lettre qu’il a adressée au général de Gaulle.
Débat à l’Assemblée sur les événements de Corse.
Entrevue Pflimlin-de Gaulle à Saint-Cloud.
27 Troisième déclaration du général de Gaulle.
Débat sur la révision de la Constitution. Confiance au gouvernement Pflimlin rejetée.
28 Démission du gouvernement Pflimlin.
M. Coty délègue MM. Le Troquer et Monnerville auprès du général de Gaulle.
Grande manifestation anti-fasciste à Paris.
29 Message du Président de la République demandant aux parlementaires d’investir le général de Gaule comme chef de
Gouvernement.
De Gaulle s’entretient avec M. Coty à l’Elysée et accepte de constituer le gouvernement.
30 Journée de consultations à Colombey-les-deux-Eglises.
31 Le général de Gaulle réunit les représentants des groupes parlementaires.
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JUIN
1 Investiture du général de Gaulle par 329 voix contre 224.
Dépôt de trois projets de loi : pouvoirs spéciaux, pleins pouvoirs, modification de l’article 90 de la Constitution.
Suppression de la censure.
2 Constitution du gouvernement de Gaulle.
L’Assemblée vote les pouvoirs spéciaux en Algérie.
Vote des pleins pouvoirs et de la loi « constitutionnelle » par l’Assemblée nationale et le Conseil de la République.
3 Séparation des Assemblées.
4-7 Voyage du général de Gaulle à Alger.
8 Elections sénatoriales.
9 Le gouvernement est complété.
Réunion du Comité central du Parti communiste.
10 Motion du Comité de salut public algérien et réponse du général de Gaulle.
13 Allocation radiodiffusée du général de Gaulle.
M. Bidault lance le « Mouvement de Démocratie chrétienne ».
15 Réunion du Comité national du M.R.P.
18 Sir Winston Churchill reçoit à Paris la Croix de la Libération.
24 Conférence de presse de M. André Malraux.
27 Allocution radiodiffusée du général de Gaulle.
28 Conseil des Ministres (réorganisation des pouvoirs en Algérie).
JUILLET
1-3 Visite du général de Gaulle en Algérie.
7 Le général de Gaulle complète son gouvernement.
Création de l’Union des Forces démocratiques.
11 Conseil des Ministres : mise au point du Comité consultatif constitutionnel.
13 Allocution du général de Gaulle adressée aux populations d’Outre-Mer.
14 Célébration solennelle du 14 juillet.
17 Conférence nationale du Parti communiste.
21 Le Congrès du Syndicat national des Instituteurs adopte un manifeste sur la défense de la République.
22 Manifeste de l’Union des Forces démocratiques.
23 L’affaire « du bazooka » (attentat contre le général Salan) vient devant le tribunal militaire de Paris.
27 Réunion des « minoritaires » socialistes à Paris.
31 Le général de Gaulle annonce à la radio le programme économique et financier du gouvernement.
AOÛT
1 Allocution du général de Gaulle.
6 Le Conseil des Ministres fixe la date du référendum au 28 septembre.
8 Le général de Gaulle se rend devant le Comité consultatif et donne des précisions sur le projet de consultations.
13 Un Conseil de Cabinet décide de reconstituer la Commission de Sauvegarde des Droits et libertés individuels en Algérie.
14 Clôture des travaux du Comité consultatif constitutionnel.
20-9 Voyage du général de Gaulle en Afrique.
23 Décrets portant organisation du référendum.
27-8 Le Conseil d’Etat examine le projet de Constitution.
29 Constitution d’un Comité de Coordination et d’Action en faveur du « oui ».
SEPTEMBRE
3 Le Conseil des Ministres adopte définitivement le projet de Constitution.
4 Manifestation de la place de la République : le général de Gaulle présente au pays le projet de Constitution.
La Ligue des Droits de l’Homme recommande de voter « non » au référendum.
6 Le Centre national des Indépendants et Paysans prend position pour le « oui »
Comité national du M.R.P. : prend position pour le « oui ».
7 La plupart des Fédérations socialistes recommandent de voter « oui ».
9 L’Union des Forces démocratiques prend position pour le « non ».
11-4 Congrès extraordinaire du Parti socialiste prend position pour le « oui ».
Congrès radical-socialiste prend position pour le « oui » ; M. Gaillard est élu président.
15 Attentat manqué du F.L.N. contre M. Soustelle.
19-21 Premier Congrès de l’Union de la Gauche Socialiste.
20-21 Le général de Gaulle se rend à rennes, Strasbourg et Lille.
Le Comité directeur de l’U.S.D.R. se prononce pour le « non ».
26 Allocution radiodiffusée du général de Gaulle.
28 Référendum sur la Constitution.
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Doc. 8 – Discours de Michel Debré devant le Conseil d’État le 27 août 1958 (extraits)
« L'objet de la réforme constitutionnelle est donc clair.
Il est d'abord, et avant tout, d'essayer de reconstruire un pouvoir sans lequel il n'est ni Etat, ni démocratie, c'est-à-dire, en ce qui
nous concerne, ni France, ni République.
Il est ensuite, dans l'intérêt supérieur de notre sécurité et de l'équilibre du monde, de sauvegarder et de rénover cet ensemble que
nous appelons traditionnellement la France d'outre-mer.
Ces deux objectifs, à elle seule la Constitution ne permet pas de les atteindre. Mais elle doit être construite de telle sorte qu'elle ne
soit pas un obstacle et qu'au contraire elle y aide puissamment.
Une première volonté a dominé ce projet : refaire le régime parlementaire de la République. Une seconde volonté à conduit à
préciser comment, autour de la France, on pouvait établir une Communauté.
I. Donner à la France un régime parlementaire
Le Gouvernement a voulu rénover le régime parlementaire. Je serai même tenté de dire qu'il veut l'établir, car pour de nombreuses
raisons, la République n'a jamais réussi à l'instaurer.
La raison de ce choix est simple. Le régime d'assemblée, ou régime conventionnel, est impraticable et dangereux. Le régime
présidentiel est présentement hors d'état de fonctionner en France.
L'impossible régime d'assemblée
Le régime d'assemblée, ou conventionnel, est celui où la totalité du pouvoir, en droit et en fait, appartient à un Parlement, et plus
précisément, à une Assemblée. L'Assemblée n'est pas seulement le pouvoir législatif et le contrôle budgétaire. Elle est la politique
et le Gouvernement, qui tient d'elle l'origine de son autorité et qui, dépendant de son arbitraire, n'est que son commis. Ses décisions
ne peuvent être critiquées par personne, fussent-elles contraires à la Constitution. Leur domaine est illimité et l'ensemble des
pouvoirs publics est à leur discrétion. Le fonctionnement de l'Assemblée la met en mesure d'exercer cette tâche : sessions qui n'ont
pratiquement pas de fin ; commissions multiples et puissantes ; système de vote par délégation qui permet de multiplier les séances
et les scrutins.
Ai-je besoin de continuer la description ? Ce régime est celui que nous avons connu. On a tenté de corriger ses défauts en modifiant
le règlement de l'Assemblée. Peine perdue ! Celles des modifications contraires au fonctionnement du régime conventionnel ne
sont pas appliquées, ou elles sont impuissantes. On a tenté un nouveau remède en augmentant les pouvoirs de la deuxième
assemblée. Peine également perdue ! La division en deux chambres est une bonne règle du régime parlementaire, car elle permet
à un gouvernement indépendant de trouver, par la deuxième assemblée, un secours utile contre la première ; en régime
conventionnel, on neutralise ou plutôt on diminue l'arbitraire d'une assemblée par l'autre sans créer l'autorité. On a tenté enfin un
remède par des coalitions ou contrats entre partis. Peine toujours perdue ! L'entente entre fractions ne résiste pas au sentiment
d'irresponsabilité que donne à chacune d'entre elles et à ses membres le fonctionnement du régime d'assemblée.
Les difficultés majeures du régime présidentiel
Le régime présidentiel est la forme du régime démocratique qui est à l'opposé du régime d'assemblée. Sa marque est faite de
l'importance du pouvoir donné en droit et en fait à un chef d'Etat élu au suffrage universel.
Les pouvoirs, dans un tel régime, ne sont pas confondus. Ils sont au contraire fort rigoureusement séparés. Les assemblées
législatives sont dépourvues de toute influence gouvernementale : leur domaine est celui de la loi, et c'est un domaine bien défini.
Elles approuvent également le budget et, normalement, les traités. En cas de conflit, le Président, pour le résoudre, dispose d'armes
telles que le veto ou la promulgation d'office. La justice occupe une place à part et d'ordinaire privilégiée afin d'assurer la défense
des individus contre ce chef très puissant et contre les conséquences d'une entente entre ce chef et les assemblées.
Les qualités du régime présidentiel sont évidentes. L'Etat a un chef, la démocratie un pouvoir et la tentation est grande, après avoir
pâti de l'anarchie et de l'impuissance, résultats d'un régime conventionnel, de chercher refuge dans l'ordre et l'autorité du régime
présidentiel.
Ni le Parlement dans sa volonté de réforme manifestée par la loi du 3 juin, ni le Gouvernement lorsqu'il a présenté, puis appliqué
cette loi, n'ont succombé à cette tentation, et c'est, je crois, sagesse. La démocratie en France suppose un Parlement doté de pouvoirs
politiques. On peut imaginer deux assemblées législatives et budgétaires uniquement, c'est-à-dire subordonnées. Mais nous devons
constater que cette conception ne coïncide pas avec l'image traditionnelle et, à bien des égards, légitime, de la République.
A cette raison de droit, s'ajoutent deux raisons de fait qui sont, l'une et l'autre, décisives.
Le Président de la République a des responsabilités outre-mer ; il est également le président de la Communauté. Envisage-t-on un
corps électoral comprenant, universellement, tous les hommes, toutes les femmes de la France métropolitaine, de l'Algérie, de
l'Afrique noire, de Madagascar, des îles du Pacifique ? Cela ne serait pas raisonnable et serait gravement de nature à nuire à l'unité
de l'ensemble comme à la considération que l'on doit au chef de l'Etat.
Regardons, d'autre part, la situation intérieure française et parlons politique. Nous voulons une forte France. Est-il possible
d'asseoir l'autorité sur un suffrage si profondément divisé ? Doit-on oublier qu'une part importante de ce suffrage, saisie par les
difficultés des années passées, adopte, à l'égard de la souveraineté nationale, une attitude de révolte qu'un certain parti encadre
avec force pour des objectifs que des hommes d'Etat et de gouvernement ne peuvent accepter ?
La cause me paraît entendue. Le régime présidentiel est actuellement dangereux à mettre en oeuvre.
II. Les conditions du régime parlementaire
7
Pas de régime conventionnel, pas de régime présidentiel : la voie devant nous est étroite, c'est celle du régime parlementaire. A la
confusion des pouvoirs dans une seule assemblée, à la stricte séparation des pouvoirs avec priorité au chef de l'Etat, il convient de
préférer la collaboration des pouvoirs : un chef de l'Etat et un Parlement séparés, encadrant un Gouvernement issu du premier et
responsable devant le second, entre eux un partage des attributions donnant à chacun une semblable importance dans la marche de
l'Etat et assurant les moyens de résoudre les conflits qui sont, dans tout système démocratique, la rançon de la liberté.
Le projet de Constitution, tel qu'il vous est soumis, a l'ambition de créer un régime parlementaire. Il le fait par quatre séries de
mesures ou séries de mesures :
1° un strict régime des sessions ;
2° un effort pour définir le domaine de la loi ;
3° une réorganisation profonde de la procédure législative et budgétaire ;
4° une mise au point des mécanismes juridiques indispensables à l'équilibre et à la bonne marche des fonctions politiques.
(…)
2° L'article où l'on a tenté de définir le domaine de la loi est de ceux qui ont provoqué le plus d'étonnement. Cette réaction est
surprenante. Du point de vue des principes, la définition est normale et c'est la confusion de la loi, du règlement, voire de la mesure
individuelle qui est une absurdité. Du point de vue des faits, notre système juridique était arrivé à un tel point de confusion et
d'engorgement qu'un des efforts les plus constants, mais tenté en vain au cours des dix dernières années, était de " désencombrer "
un ordre du jour parlementaire accablé par l'excès des lois passées depuis tant d'années en des domaines où le Parlement n'a pas
normalement compétence législative. Un observateur de notre vie parlementaire aurait pu, entre les deux guerres, mais davantage
encore depuis la Libération, noter cette double déviation de notre organisation politique : un Parlement accablé de textes et courant
en désordre vers la multiplication des interventions de détail, mais un Gouvernement traitant sans intervention parlementaire des
plus graves problèmes nationaux. Le résultat de ces deux observations conduisait à une double crise : l'impuissance de l'Etat du
fait que l'administration était ligotée par des textes inadmissibles, la colère de la nation du fait qu'une coalition partisane placée au
Gouvernement la mettait devant de graves mesures décidées sans avoir été préalablement soumises à un examen sérieux. Définir
le domaine de la loi, ou plutôt du Parlement, ce n'est pas réduire la vie parlementaire, c'est également, par détermination des
responsabilités du Gouvernement, assurer entre le ministère et les assemblées une répartition nécessaire des tâches.
Tout ce qui touche aux libertés publiques et aux droits individuels ne peut être réglementé que par la loi. Tout ce qui touche aux
pouvoirs publics et aux structures fondamentales de l'Etat ne peut être réglementé que par la loi. En d'autres domaines - attributions
de l'Etat dans la vie économique et sociale notamment -, la loi fixe les principes. Le budget, les traités importants sont du domaine
de la loi. Le Parlement doit ratifier l'état de siège. Il est seul compétent pour déclarer la guerre. Votre commission envisage qu'une
loi organique pourra, après examen, étendre ce domaine ; à ce correctif, qu'il faudra employer avec prudence, le Gouvernement ne
fait pas obstacle, car il donnera une souplesse utile à un partage dont le principe est nécessaire.
La définition du domaine de la loi donne au règlement, c'est-à-dire à la responsabilité du Gouvernement, un domaine étendu. Il
faut en outre qu'une arme soit donnée au Gouvernement pour éviter les empiétements à venir : c'est l'exception d'irrecevabilité qui
peut être contestée par l'Assemblée, auquel cas le Conseil constitutionnel, dont nous parlerons tout à l'heure, a mission d'arbitrer.
Le Gouvernement peut accepter, à l'occasion, une intervention parlementaire hors le domaine de la loi. Cette intervention ne
modifie pas le partage ni ses conséquences. En sens inverse, le Parlement peut déléguer au Gouvernement le droit de statuer en
matière législative ; à l'expiration de la délégation, le législateur retrouve son domaine.
3° Notre procédure législative et budgétaire était une des marques les plus nettes du caractère d'assemblée qui était celui de notre
régime démocratique. Le texte soumis à vos délibérations propose des modifications qui peuvent à certains paraître secondaires ;
en droit et en fait, elles sont fondamentales.
Le Gouvernement peut exercer une influence décisive dans la fixation de l'ordre du jour des assemblées. Il a le droit en effet
d'exiger la priorité pour ses projets, également pour les propositions qu'il accepte. Ainsi on ne verra plus un Gouvernement déposer
un projet et se désintéresser de son sort. Ainsi on ne verra plus une assemblée obliger le Gouvernement à une discussion d'ordre
politique simplement pour obtenir le fonctionnement de la procédure législative. Si ce Gouvernement " nourrit " les assemblées,
celles-ci travailleront de concert avec lui. Cette règle a sa contrepartie normale : un jour par semaine est réservé aux questions des
parlementaires. La voix de l'opposition est ainsi assurée de se faire entendre.
Le nombre des commissions permanentes est réduit à six dans chaque assemblée et en aucun cas le texte établi par la commission
ne peut se substituer au texte du Gouvernement. Les commissions sont d'utiles organes d'étude et de contrôle à condition qu'elles
ne soient pas trop spécialisées - elles se substituent alors à l'administration ou exercent sur les services une influence qui n'est pas
d'une bonne nature - et à condition qu'elles donnent un avis sur le texte qui leur est présenté, sans avoir l'inadmissible responsabilité
d'en établir un autre, contre lequel le Gouvernement, qui, lui, est responsable, se trouve dans une situation défensive, c'est-à-dire
périlleuse et, en toute hypothèse, absurde.
La procédure législative est profondément rénovée et, j'ose le dire, améliorée. La règle est de nouveau celle des lois de 1875 : il
faut l'accord des deux assemblées. Est également maintenue en vigueur la règle traditionnelle du Parlement français : celle du droit
d'amendement de chaque parlementaire. Mais des transformations importantes ont été décidées.
D'abord, le droit d'amendement peut être réglementé ; c'est-à-dire que les assemblées peuvent fixer un délai au delà duquel il est
interdit de déposer de nouveaux amendements : ce délai est celui de l'examen en commission. Le Gouvernement peut également
demander un vote d'ensemble pour rejeter une série d'amendements.
Ensuite le Gouvernement peut hâter la discussion législative en provoquant, après qu'une première lecture dans chaque chambre
ait révélé des oppositions, la réunion d'une commission paritaire de députés et de sénateurs. Le texte issu des délibérations de cette
commission est proposé aux deux chambres. Au cas où cette procédure n'aboutit pas, et après un nouvel examen par les deux
chambres, le Gouvernement peut demander à l'Assemblée nationale de statuer en dernier ressort. Cette procédure a fait ses preuves
à l'étranger. Elle est de nature à créer une véritable et efficace délibération parlementaire.
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Cette description de la nouvelle procédure législative ne serait pas complète si elle n'était suivie de l'indication des règles précises
que le projet fixe à la procédure budgétaire. Le temps des débats est limité pour les deux chambres et les amendements qui
diminuent les recettes ou augmentent les dépenses sont interdits. Quand le temps des débats est écoulé - à condition que le budget
ait été déposé en temps voulu -, le Gouvernement peut promulguer la loi de finances. Les expériences que nous avons vécues
depuis trop d'années justifient cette procédure qui peut paraître brutale à qui ne connaît pas la brutalité semblable de tous les
régimes parlementaires disciplinés.
Une dernière innovation est à signaler, dont l'objet est de diminuer l'arbitraire, tant gouvernemental que parlementaire, en tout ce
qui touche les pouvoirs publics. La Constitution ne peut pas tout réglementer en ce domaine. Il n'est pas bon, cependant, qu'une
loi soit hâtivement rédigée et votée. Une procédure particulière, simplement marquée par un long temps de réflexion et des pouvoirs
accrus du Sénat est destinée à faire des lois organiques des textes dotés d'une plus grande stabilité, c'est-à-dire, comme il se doit,
entourés d'un plus grand respect. Le fonctionnement des assemblées, les grandes règles de l'organisation de l'Etat, la magistrature
feront l'objet, notamment, de lois organiques.
4° Le projet de Constitution, rédigé à la lumière d'une longue et coûteuse expérience, comporte certains mécanismes très précis
qui n'auraient pas leur place dans un texte de cette qualité si nous ne savions qu'ils sont nécessaires pour changer les moeurs.
Quand on veut briser de mauvaises habitudes, il faut de rigoureux impératifs. C'est dans cette catégorie de mesures qu'il faut ranger
l'obligation du vote personnel, les incompatibilités qui accompagnent la fonction ministérielle, le contrôle de la constitutionnalité
des lois, enfin la procédure minutieuse de la motion de censure.
L'obligation de vote personnel est une exigence morale et politique à la fois. Depuis plus d'un demi-siècle le Parlement français
est le seul au monde qui puisse délibérer en l'absence de parlementaires, grâce au système inouï des " boîtiers ". On ne peut, à la
vérité, trouver meilleure preuve du régime d'assemblée, car ce mécanisme permet d'assurer la permanence parlementaire et de
réduire en servitude le Gouvernement. Aucun effort réglementaire n'a permis de redresser la situation. Bien au contraire, le recours,
dans la précédente Constitution, à des majorités qualifiées pour des votes, sinon ordinaires, du moins courants, a abouti à donner
obligatoirement le caractère constitutionnel au vote par délégation. On ne peut imaginer manifestation plus nette, ni cause plus
dangereuse, de la déviation de notre régime. La délégation de vote est si coutumière que le projet n'a pas osé l'annuler totalement,
mais les dispositions prises doivent le faire disparaître. La délégation, en effet, doit demeurer très exceptionnelle. Quand elle sera
admise, nul ne pourra avoir plus de deux bulletins. C'est déjà un immense et profond changement et il faut souhaiter que la loi
d'application soit des plus strictes.
L'incompatibilité des fonctions ministérielles et du mandat parlementaire a fait, et fera encore, couler beaucoup d'encre. On peut
estimer en effet qu'une telle mesure n'est pas dans la nature du régime parlementaire. Certes, il faut des incompatibilités, mais,
dans les pays parlementaires anglo-saxons, elles existent plutôt entre le mandat local et le mandat parlementaire ; c'est le régime
présidentiel qui pratique la césure entre ministre et député ou sénateur. Cependant, la pratique française, qui ne connaît quasiment
aucune incompatibilité, a favorisé l'instabilité d'une manière telle qu'il serait coupable de ne pas réagir ! La fonction ministérielle
est devenue un galon, une étoile ou plutôt une brisque comme les militaires en connaissent et qui rappelle une campagne. On
reconnaît les politiciens chevronnés au nombre de brisques qu'ils portent sur la manche ! Le pouvoir n'est plus exercé pour le
pouvoir : il est ambitionné pour le titre qu'il donne et les facilités de carrière ou d'influence qu'il procure à ceux qui l'ont approché
ou qui sont susceptibles de l'approcher encore. Au début de la IIIe République, les moeurs étaient différentes. C'était le temps où
le vote personnel était encore de rigueur et les parlementaires qui devenaient ministres ne votaient plus, ne siégeaient plus. Jules
Ferry, à la veille du débat sur l'affaire de Langson, dont il devinait qu'il pouvait lui être fatal, rappela cependant cette règle à ses
ministres. Quelle chute dans nos moeurs depuis cette époque ! La règle de l'incompatibilité est devenue une sorte de nécessité pour
briser ce qu'il était convenu d'appeler la " course aux portefeuilles ", jeu mortel pour l'Etat. Le projet l'étend de telle sorte qu'il est
bien entendu pour tous que l'on ne pourra désormais accéder à une fonction ministérielle qu'à condition de s'y consacrer
entièrement.
Il fallait enfin supprimer cet arbitraire parlementaire qui, sous prétexte de souveraineté, non de la nation (qui est juste), mais des
assemblées (qui est fallacieux), mettait en cause, sans limites, la valeur de la Constitution, celle de la loi et l'autorité des
gouvernements.
La création du Conseil constitutionnel manifeste la volonté de subordonner la loi, c'est-à-dire la volonté du Parlement, à la règle
supérieure édictée par la Constitution. Il n'est ni dans l'esprit du régime parlementaire, ni dans la tradition française, de donner à
la justice, c'est-à-dire à chaque justiciable, le droit d'examiner la valeur de la loi. Le projet a donc imaginé une institution
particulière que peuvent seules saisir quatre autorités : le Président de la République, le Premier ministre, les deux présidents
d'assemblées. A ce conseil d'autres attributions ont été données, notamment l'examen du règlement des assemblées et le jugement
des élections contestées, afin de faire disparaître le scandale des invalidations partisanes. L'existence de ce conseil, l'autorité qui
doit être la sienne représentent une grande et nécessaire innovation. La Constitution crée ainsi une arme contre la déviation du
régime parlementaire.
La difficile procédure de la motion de censure doit tempérer le défaut que nous connaissons bien et depuis trop longtemps. La
question de confiance est l'arme du Gouvernement, et de lui seul. Les députés ne peuvent user que de la motion de censure, et
celle-ci est entourée de conditions qui ne sont discutées que par ceux qui ne veulent pas se souvenir. L'expérience a conduit à
prévoir en outre une disposition quelque peu exceptionnelle pour assurer, malgré les manoeuvres, le vote d'un texte indispensable.
[…]
IV. Le Président de la République
Si vous me permettez une image empruntée à l'architecture, je dirai qu'à ce régime parlementaire neuf, et à cette Communauté qui
commence à s'ébaucher, il faut une clef de voûte. Cette clef de voûte, c'est le Président de la République.
Ses pouvoirs
Chaque fois, vous le savez, qu'il est question, dans notre histoire constitutionnelle, des pouvoirs du Président de la République, un
curieux mouvement a pu être observé : une certaine conception de la démocratie voit, a priori, dans tout Président de la République,
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chef de l'Etat, un danger et une menace pour la République. Ce mouvement existe encore de nos jours. N'épiloguons pas et
admirons plutôt la permanence des idéologies constitutionnelles.
Le Président de la République doit être la clef de voûte de notre régime parlementaire. Faute d'un vrai chef d'Etat, le Gouvernement,
en l'état actuel de notre opinion, en fonction de nos querelles historiques, manque d'un soutien qui lui est normalement nécessaire.
C'est dire que le Président de notre République ne peut être seulement, comme en tout régime parlementaire, le chef d'Etat qui
désigne le Premier ministre, voire les autres ministres, au nom de qui les négociations internationales sont conduites et les traités
signés, sous l'autorité duquel sont placées l'armée et l'administration. Il est, dans notre France, où les divisions intestines ont un tel
pouvoir sur la scène politique, le juge supérieur de l'intérêt national. A ce titre, il demande, s'il estime utile, une deuxième lecture
des lois dans le délai de leur promulgation (disposition déjà prévue et désormais classique) ; il peut également (et ces pouvoirs
nouveaux sont d'un intérêt considérable) saisir le Comité constitutionnel s'il a des doutes sur la valeur de la loi au regard de la
Constitution. Il peut apprécier si le référendum, qui doit lui être demandé par le Premier ministre ou les présidents des assemblées,
correspond à une exigence nationale. Enfin, il dispose de cette arme capitale de tout régime parlementaire qui est la dissolution.
Est-il besoin d'insister sur ce que représente la dissolution ? Elle est l'instrument de la stabilité gouvernementale. Elle peut être la
récompense d'un Gouvernement qui paraît avoir réussi, la sanction d'un Gouvernement qui paraît avoir échoué. Elle permet entre
le chef de l'Etat et la nation un bref dialogue qui peut régler un conflit ou faire entendre la voix du peuple à une heure décisive.
Ce tableau rapidement esquissé montre que le Président de la République, comme il se doit, n'a pas d'autre pouvoir que celui de
solliciter un autre pouvoir : il sollicite le Parlement, il sollicite le Comité constitutionnel, il sollicite le suffrage universel. Mais
cette possibilité de solliciter est fondamentale.
En tant que Président de la Communauté, le Président de la République dispose de pouvoirs qui ne sont pas de même nature, car
il n'est plus, là, le chef d'un Etat parlementaire. Il est le chef d'un régime politique collégial, destiné par l'autorité de son Président,
et par l'autorité des gouvernements membres, à faciliter la création d'une politique commune. Le Président de la Communauté
représente toute la Communauté et c'est à cet égard que son autorité en matière de défense nationale et d'affaires étrangères est
essentielle. Il préside le Conseil exécutif, il saisit le Sénat de la Communauté.
A ces pouvoirs normaux de chef de l'Etat, soit en tant que Président de la République parlementaire, soit en tant que Président de
la Communauté, le projet de Constitution ajoute des pouvoirs exceptionnels. On en a tant parlé qu'on n'en parle plus, car, sans
doute, certains esprits s'étaient un peu hâtés de critiquer avant de lire attentivement. Quand des circonstances graves, intérieures
ou extérieures, et nettement définies par un texte précis, empêchent le fonctionnement des pouvoirs publics, il est normal à notre
époque dramatique, de chercher à donner une base légitime à l'action de celui qui représente la légitimité. Il est également normal,
il est même indispensable, de fixer à l'avance certaines responsabilités fondamentales. A propos de cet article on a beaucoup parlé
du passé. On a moins parlé de l'avenir, et c'est pourtant pour l'avenir qu'il est fait. Doit-on, en 1958, faire abstraction des formes
modernes de guerre ? A cette question la réponse est claire : on n'a pas le droit, ni pour ce cas ni pour d'autres, d'éliminer l'hypothèse
de troubles profonds dans notre vie constitutionnelle. C'est pour l'hypothèse de ces troubles profonds qu'il faut solennellement
marquer où sont les responsabilités, c'est-à-dire les possibilités d'action.
Doc. 9 – Conseil constitutionnel, 9 mai 1991, Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse,
n°91-290 DC
7. Considérant que les auteurs de la première saisine comme ceux de la troisième saisine demandent au Conseil constitutionnel de
déclarer non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 1er de la loi en ce qu'elles comportent la reconnaissance du
"peuple corse" ; que, selon les auteurs de la première saisine, l'inconstitutionnalité de l'article 1er entraîne, par voie de conséquence,
celle de l'intégralité du texte de la loi dans la mesure où l'article 1er fonde la spécificité du statut de la collectivité territoriale de
Corse ; que les première et troisième saisines critiquent les dispositions de la loi qui dotent la collectivité territoriale de Corse d'une
"organisation particulière" ainsi que le texte de l'article 85 relatif à la refonte de la liste électorale de chaque commune de Corse ;
8. Considérant que les auteurs de la première saisine font valoir, en outre, que sont contraires à la Constitution les modalités
retenues par les articles 10 à 14 de la loi en vue d'assurer la représentation au Sénat de la collectivité territoriale de Corse ; qu'il en
va de même des dispositions qui définissent les attributions de cette collectivité car elles ont pour effet de priver les deux
départements de Corse de compétences substantielles ;
9. Considérant que les auteurs de la troisième saisine contestent également les dispositions de l'article 7 en tant qu'elles édictent
une incompatibilité spécifique aux élus de Corse ainsi que celles de l'article 53 en ce qu'elles prévoient l'insertion de l'enseignement
de la langue et de la culture corses dans le temps scolaire des établissements situés dans la collectivité territoriale de Corse ;
En ce qui concerne l'article 1er :
10. Considérant que l'article 1er de la loi est ainsi rédigé : "La République française garantit à la communauté historique et
culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français, les droits à la préservation de son identité culturelle
et à la défense de ses intérêts économiques et sociaux spécifiques. Ces droits liés à l'insularité s'exercent dans le respect de l'unité
nationale, dans le cadre de la Constitution, des lois de la République et du présent statut." ;
11. Considérant que cet article est critiqué en ce qu'il consacre juridiquement l'existence au sein du peuple français d'une
composante "le peuple corse" ; qu'il est soutenu par les auteurs de la première saisine que cette reconnaissance n'est conforme ni
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au préambule de la Constitution de 1958 qui postule l'unicité du "peuple français", ni à son article 2 qui consacre l'indivisibilité de
la République, ni à son article 3 qui désigne le peuple comme seul détenteur de la souveraineté nationale ; qu'au demeurant, l'article
53 de la Constitution se réfère aux "populations intéressées" d'un territoire et non pas au concept de peuple ; que les sénateurs
auteurs de la troisième saisine font valoir qu'il résulte des dispositions de la Déclaration des droits de 1789, de plusieurs alinéas du
préambule de la Constitution de 1946, de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, du préambule de la Constitution de 1958 comme
de ses articles 2, 3 et 91, que l'expression "le peuple", lorsqu'elle s'applique au peuple français, doit être considérée comme une
catégorie unitaire insusceptible de toute subdivision en vertu de la loi ;
12. Considérant qu'aux termes du premier alinéa du préambule de la Constitution de 1958 "le peuple français proclame
solennellement son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par
la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946" ; que la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen à laquelle il est ainsi fait référence émanait des représentants "du peuple français" ; que le préambule de la
Constitution de 1946, réaffirmé par le préambule de la Constitution de 1958, énonce que "le peuple français proclame à nouveau
que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés" ; que la
Constitution de 1958 distingue le peuple français des peuples d'outre-mer auxquels est reconnu le droit à la libre détermination ;
que la référence faite au "peuple français" figure d'ailleurs depuis deux siècles dans de nombreux textes constitutionnels ; qu'ainsi
le concept juridique de "peuple français" a valeur constitutionnelle ;
13. Considérant que la France est, ainsi que le proclame l'article 2 de la Constitution de 1958, une République indivisible, laïque,
démocratique et sociale qui assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens quelle que soit leur origine ; que dès lors la mention
faite par le législateur du "peuple corse, composante du peuple français" est contraire à la Constitution, laquelle ne connaît que le
peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d'origine, de race ou de religion ;
14. Considérant en conséquence que l'article 1er de la loi n'est pas conforme à la Constitution ; que toutefois il ne ressort pas du
texte de cet article, tel qu'il a été rédigé et adopté, que ses dispositions soient inséparables de l'ensemble du texte de la loi soumise
au Conseil constitutionnel ;
En ce qui concerne le moyen tiré de ce que la collectivité territoriale de Corse serait dotée d'une "organisation particulière" en
méconnaissance des articles 72 et 74 de la Constitution :
15. Considérant que l'article 2 de la loi énonce dans son premier alinéa que la Corse constitue une collectivité territoriale de la
République au sens de l'article 72 de la Constitution, qui s'administre librement dans les conditions fixées par la loi présentement
soumise à l'examen du Conseil constitutionnel et par les dispositions non contraires des lois n° 72-619 du 5 juillet 1972 et n° 82-
213 du 2 mars 1982 ; qu'aux termes du second alinéa de l'article 2 "les organes de la collectivité territoriale de Corse comprennent
l'Assemblée de Corse et son président, le Conseil exécutif de Corse et son président assistés du conseil économique, social et
culturel de Corse" ; qu'en vertu de l'article 7 les conseillers à l'Assemblée de Corse sont élus dans une circonscription unique
suivant un scrutin de liste à un ou deux tours ; qu'il est spécifié à l'article 28 que le Conseil exécutif de Corse dirige l'action de la
collectivité territoriale de Corse, dans les conditions et limites fixées par la loi ; que selon l'article 36 le président du Conseil
exécutif peut, par arrêté délibéré au sein dudit Conseil, prendre toute mesure tendant à préciser les modalités d'application des
délibérations de l'Assemblée ou fixant les règles d'organisation et de fonctionnement des services de la collectivité territoriale de
Corse ; que d'après l'article 38, l'Assemblée de Corse peut mettre en cause la responsabilité du Conseil exécutif ;
16. Considérant que pour les auteurs de la première saisine, en créant une collectivité territoriale de Corse administrée par des
organes spécifiques et en instituant un régime électoral original, le législateur a méconnu les dispositions combinées des articles
72 et 74 de la Constitution ; que les sénateurs auteurs de la troisième saisine développent une argumentation analogue en soulignant
notamment que l'organisation institutionnelle prévue par la loi confère à la Corse un statut qui n'a rien de commun avec celui des
collectivités territoriales métropolitaines et qui s'apparente à une "organisation particulière" que l'article 74 de la Constitution
réserve aux territoires d'outre-mer ;
17. Considérant qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution la loi fixe "les règles concernant le régime électoral des assemblées
locales" et détermine "les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de
leurs ressources" ; que l'article 72 de la Constitution énonce dans son premier alinéa que "les collectivités territoriales de la
République sont les communes, les départements, les territoires d'outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la
loi." ; que le deuxième alinéa du même article prescrit que "ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et dans
les conditions prévues par la loi" ; qu'enfin, aux termes du troisième alinéa de l'article 72, "dans les départements et les territoires,
le délégué du Gouvernement a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois" ;
18. Considérant que la consécration par les articles 74 et 76 de la Constitution du particularisme de la situation des territoires
d'outre-mer, si elle a notamment pour effet de limiter à ces territoires la possibilité pour le législateur de déroger aux règles de
répartition des compétences entre la loi et le règlement, ne fait pas obstacle à ce que le législateur, agissant sur le fondement des
dispositions précitées des articles 34 et 72 de la Constitution, crée une nouvelle catégorie de collectivité territoriale, même ne
comprenant qu'une unité, et la dote d'un statut spécifique ;
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19. Considérant cependant que, dans l'exercice de sa compétence, le législateur doit se conformer aux règles et principes de valeur
constitutionnelle et notamment au principe de libre administration des collectivités territoriales énoncé au deuxième alinéa de
l'article 72 ; qu'il doit également assurer le respect des prérogatives de l'État comme l'exige le troisième alinéa du même article ;
20. Considérant que l'Assemblée de Corse, élue au suffrage universel direct, est investie du pouvoir de régler par ses délibérations
les affaires de la collectivité territoriale de Corse ; que si la loi institue un Conseil exécutif doté de pouvoirs propres, ce conseil est
élu par l'Assemblée de Corse en son sein et est responsable devant elle ; que le représentant de l'État dans la collectivité territoriale
de Corse conserve la charge des intérêts nationaux, du respect des lois et du contrôle administratif ; qu'enfin, ni l'Assemblée de
Corse ni le Conseil exécutif, ne se voient attribuer des compétences ressortissant au domaine de la loi ; qu'ainsi cette organisation
spécifique à caractère administratif de la collectivité territoriale de Corse ne méconnaît pas l'article 72 de la Constitution ;
Doc. 10 – Article 72-3 de la Constitution de 1958
La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d'outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d'égalité et de
fraternité.
La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les
îles Wallis et Futuna et la Polynésie française sont régis par l'article 73 pour les départements et les régions d'outre-mer, et pour
les collectivités territoriales créées en application du dernier alinéa de l'article 73, et par l'article 74 pour les autres collectivités.
Le statut de la Nouvelle-Calédonie est régi par le titre XIII.
La loi détermine le régime législatif et l'organisation particulière des Terres australes et antarctiques françaises et de Clipperton.
Doc. 11 – Conseil constitutionnel, 15 juin 1999, Charte européenne des langues régionales ou
minoritaires, n°99-412 DC
Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 20 mai 1999, par le Président de la République, sur le fondement de l'article 54 de la
Constitution, de la question de savoir si la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée à
Budapest le 7 mai 1999, doit être précédée, compte tenu de la déclaration interprétative faite par la France et des engagements
qu'elle entend souscrire dans la partie III de cette convention, d'une révision de la Constitution ;
Le CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses
articles 18, alinéa 2, 19 et 20 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
- SUR LE CONTENU DE L'ENGAGEMENT INTERNATIONAL SOUMIS A L'EXAMEN DU CONSEIL
CONSTITUTIONNEL ET SUR L'ÉTENDUE DU CONTRÔLE EXERCÉ :
1. Considérant que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires soumise à l'examen du Conseil constitutionnel se
compose, outre un préambule, d'une partie I, intitulée : "dispositions générales" ; d'une partie II relative aux "objectifs et principes"
que chaque État contractant s'engage à appliquer ; d'une partie III comportant quatre-vingt-dix-huit mesures en faveur de l'emploi
des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique, classées par domaine d'application, au sein desquelles chaque État
contractant est libre de faire un choix dans les limites précisées à l'article 2 (paragraphe 2) de la Charte, les mesures ainsi retenues
ne s'appliquant qu'aux langues indiquées dans son instrument de ratification ; d'une partie IV contenant des dispositions
d'application ; d'une partie V fixant des dispositions finales ;
2. Considérant qu'en vertu de l'article 2 (paragraphe1) de la Charte, "chaque Partie s'engage à appliquer les dispositions de la partie
II", comportant le seul article 7, "à l'ensemble des langues régionales ou minoritaires pratiquées sur son territoire, qui répondent
aux définitions de l'article 1" ; qu'il résulte de ces termes mêmes que la partie II a une portée normative propre et qu'elle s'applique
non seulement aux langues qui seront indiquées par la France au titre des engagements de la partie III, mais à toutes les langues
régionales ou minoritaires pratiquées en France au sens de la Charte ;
3. Considérant que l'article 2 (paragraphe 2) précité de la Charte fait obligation à chaque État contractant de s'engager à appliquer
un minimum de trente-cinq paragraphes ou alinéas choisis parmi les dispositions de la partie III, dont au moins trois choisis dans
les articles 8 : "enseignement" et 12 : "activités et équipements culturels", et un dans chacun des articles 9 : "justice", 10 : "autorités
administratives et services publics", 11 : "médias" et 13 : "vie économique et sociale" ; que, lors de la signature de la Charte, la
France a indiqué une liste de trente-neuf alinéas ou paragraphes, sur les quatre-vingt-dix-huit que comporte la partie III de cette
convention, qu'elle s'engage à appliquer et qui sera jointe à son instrument de ratification ; que onze d'entre eux concernent
l'enseignement, neuf les médias, huit les activités et équipements culturels, cinq la vie économique et sociale, trois les autorités
12
administratives et services publics, deux les échanges transfrontaliers et un la justice ; que le contrôle exercé par le Conseil
constitutionnel sur la partie III doit porter sur les seuls engagements ainsi retenus ;
4. Considérant, par ailleurs, que le Gouvernement français a accompagné sa signature d'une déclaration interprétative dans laquelle
il précise le sens et la portée qu'il entend donner à la Charte ou à certaines de ses dispositions au regard de la Constitution ; qu'une
telle déclaration unilatérale n'a d'autre force normative que de constituer un instrument en rapport avec le traité et concourant, en
cas de litige, à son interprétation ; qu'il appartient donc au Conseil constitutionnel, saisi sur le fondement de l'article 54 de la
Constitution, de procéder au contrôle de la constitutionnalité des engagements souscrits par la France indépendamment de cette
déclaration ;
- SUR LES NORMES DE RÉFÉRENCE APPLICABLES :
5. Considérant, d'une part, qu'ainsi que le proclame l'article 1er de la Constitution : "La France est une République indivisible,
laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de
religion. Elle respecte toutes les croyances" ; que le principe d'unicité du peuple français, dont aucune section ne peut s'attribuer
l'exercice de la souveraineté nationale, a également valeur constitutionnelle ;
6. Considérant que ces principes fondamentaux s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce
soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance ;
7. Considérant, d'autre part, que la liberté proclamée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789,
aux termes duquel : "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout
citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi",
doit être conciliée avec le premier alinéa de l'article 2 de la Constitution selon lequel " La langue de la République est le français
" ;
8. Considérant qu'en vertu de ces dispositions, l'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes
de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public ; que les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec
les administrations et les services publics, d'un droit à l'usage d'une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage ;
que l'article 2 de la Constitution n'interdit pas l'utilisation de traductions ; que son application ne doit pas conduire à méconnaître
l'importance que revêt, en matière d'enseignement, de recherche et de communication audiovisuelle, la liberté d'expression et de
communication ;
- SUR LA CONFORMITÉ DE LA CHARTE À LA CONSTITUTION :
9. Considérant qu'aux termes du quatrième alinéa de son préambule, la Charte reconnaît à chaque personne "un droit
imprescriptible" de "pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique" ; qu'aux termes de l'article 1 (a)
de la partie I : "par l'expression " langues régionales ou minoritaires ", on entend les langues : i) pratiquées traditionnellement sur
un territoire d'un État par des ressortissants de cet État qui constituent un groupe numériquement inférieur au reste de la population
de l'État ; et ii) différentes de la (des) langue(s) officielle(s) de cet État", exception faite des dialectes de la langue officielle et des
langues des migrants ; que, par "territoire dans lequel une langue régionale ou minoritaire est pratiquée", il convient d'entendre,
aux termes de l'article 1 (b), "l'aire géographique dans laquelle cette langue est le mode d'expression d'un nombre de personnes
justifiant l'adoption des différentes mesures de protection et de promotion" prévues par la Charte ; qu'en vertu de l'article 7
(paragraphe 1) : "les Parties fondent leur politique, leur législation et leur pratique sur les objectifs et principes" que cet article
énumère ; qu'au nombre de ces objectifs et principes figurent notamment "le respect de l'aire géographique de chaque langue
régionale ou minoritaire, en faisant en sorte que les divisions administratives existant déjà ou nouvelles ne constituent pas un
obstacle à la promotion de cette langue...", ainsi que "la facilitation et/ou l'encouragement de l'usage oral et écrit des langues
régionales ou minoritaires dans la vie publique et dans la vie privée" ; que, de surcroît, en application de l'article 7 (paragraphe 4),
"les Parties s'engagent à prendre en considération les besoins et les vœux exprimés par les groupes pratiquant ces langues" en
créant, si nécessaire, des "organes chargés de conseiller les autorités" sur ces questions ;
10. Considérant qu'il résulte de ces dispositions combinées que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en ce
qu'elle confère des droits spécifiques à des "groupes" de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l'intérieur de "territoires"
dans lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité
devant la loi et d'unicité du peuple français ;
11. Considérant que ces dispositions sont également contraires au premier alinéa de l'article 2 de la Constitution en ce qu'elles
tendent à reconnaître un droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement dans la "vie privée" mais également dans
la "vie publique", à laquelle la Charte rattache la justice et les autorités administratives et services publics ;
12. Considérant que, dans ces conditions, les dispositions précitées de la Charte sont contraires à la Constitution ;
13
13. Considérant que n'est contraire à la Constitution, eu égard à leur nature, aucun des autres engagements souscrits par la France,
dont la plupart, au demeurant, se bornent à reconnaître des pratiques déjà mises en œuvre par la France en faveur des langues
régionales ;
D É C I D E :
Article premier :
La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires comporte des clauses contraires à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera notifiée au Président de la République et publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 juin 1999, présidée par M Yves GUÉNA, et où siégeaient : MM
Georges ABADIE, Michel AMELLER, Jean-Claude COLLIARD, Alain LANCELOT, Mme Noëlle LENOIR, M Pierre
MAZEAUD et Mme Simone VEIL.
Le président,
Yves GUÉNA
Doc. 12 – Conseil constitutionnel, 17 janvier 2002, Loi relative à la Corse, n°2001-454 DC
Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la loi relative à la
Corse, […]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
[…]
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 10 janvier 2002 ;
Vu les observations en réplique présentées par les sénateurs auteurs de la seconde saisine, enregistrées le 14 janvier 2002 ;
Le rapporteur ayant été entendu,
[…]
Quant au II de l'article L. 4424-2 :
10. Considérant qu'aux termes du II du nouvel article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales : "Le pouvoir
réglementaire de la collectivité territoriale de Corse s'exerce dans le cadre des compétences qui lui sont dévolues par la loi. - Sans
préjudice des dispositions qui précèdent, dans le respect de l'article 21 de la Constitution, et pour la mise en oeuvre des compétences
qui lui sont dévolues en vertu de la partie législative du présent code, la collectivité territoriale de Corse peut demander à être
habilitée par le législateur à fixer des règles adaptées aux spécificités de l'île, sauf lorsqu'est en cause l'exercice d'une liberté
individuelle ou d'un droit fondamental. - La demande prévue à l'alinéa précédent est faite par délibération motivée de l'Assemblée
de Corse, prise à l'initiative du conseil exécutif ou de l'Assemblée de Corse après rapport de ce conseil. Elle est transmise par le
président du conseil exécutif au Premier ministre et au représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale de Corse" ;
11. Considérant que, pour les auteurs des deux saisines, ces dispositions conduiraient à la dévolution à la collectivité territoriale
de Corse d'un pouvoir réglementaire de portée générale ; que serait ainsi violé, selon eux, l'article 21 de la Constitution en vertu
duquel le Premier ministre assure l'exécution des lois et, sous réserve de l'article 13, exerce le pouvoir réglementaire ; que, pour
les sénateurs requérants, la dévolution de pouvoir réglementaire dénoncée méconnaîtrait en outre le principe d'égalité ; qu'ils
soutiennent enfin que, par l'imprécision de leur formulation, les dispositions critiquées seraient entachées d'incompétence negative
;
12. Considérant qu'aux termes de l'article 21 de la Constitution : "Le Premier ministre (...) assure l'exécution des lois. Sous réserve
des dispositions de l'article 13, il exerce le pouvoir réglementaire (...)" ; que, toutefois, l'article 72 de la Constitution dispose : "Les
collectivités territoriales de la République (...) s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la
loi" ; que ces dispositions permettent au législateur de confier à une catégorie de collectivités territoriales le soin de définir, dans
la limite des compétences qui lui sont dévolues, certaines modalités d'application d'une loi ; que, cependant, le principe de libre
administration des collectivités territoriales ne saurait conduire à ce que les conditions essentielles de mise en oeuvre des libertés
publiques et, par suite, l'ensemble des garanties que celles-ci comportent dépendent des décisions de collectivités territoriales et,
ainsi, puissent ne pas être les mêmes sur l'ensemble du territoire de la République ;
13. Considérant, d'une part, que les dispositions précitées du premier alinéa du II du nouvel article L. 4424-2 du code général des
collectivités territoriales doivent être entendues comme rappelant que le pouvoir réglementaire dont dispose une collectivité
territoriale dans le respect des lois et des règlements ne peut s'exercer en dehors du cadre des compétences qui lui sont dévolues
par la loi ; qu'elles n'ont ni pour objet ni pour effet de mettre en cause le pouvoir réglementaire d'exécution des lois que l'article 21
de la Constitution attribue au Premier ministre sous réserve des pouvoirs reconnus au Président de la République par l'article 13
de la Constitution ;
14. Considérant, d'autre part, que les deuxième et troisième alinéas du II du même article L. 4424-2 se bornent à préciser la
procédure que doit suivre et les conditions que doit respecter la collectivité territoriale de Corse pour demander à être habilitée par
14
le législateur à définir les modalités d'application d'une loi au cas où il serait nécessaire d'adapter les dispositions réglementaires
nationales aux spécificités de l'île ; qu'en particulier, ils indiquent que la demande d'habilitation ne peut concerner que les
compétences qui sont dévolues à cette collectivité par la partie législative du code général des collectivités territoriales ; qu'ils
excluent par ailleurs une telle demande si l'adaptation sollicitée est de nature à mettre en cause l'exercice d'une liberté individuelle
ou d'un droit fondamental ;
15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sous la réserve énoncée au considérant 13, les dispositions du II du nouvel
article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales ne sont contraires ni aux articles 21, 34 et 72 de la Constitution ni
au principe d'égalité devant la loi ; que, par suite, les griefs présentés contre elles doivent être rejetés ;
Quant au III de l'article L. 4424-2 :
16. Considérant qu'aux termes du III du nouvel article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales : "De sa propre
initiative ou à la demande du conseil exécutif, ou à celle du Premier ministre, l'Assemblée de Corse peut présenter des propositions
tendant à modifier ou à adapter des dispositions législatives en vigueur ou en cours d'élaboration concernant les compétences,
l'organisation et le fonctionnement de l'ensemble des collectivités territoriales de Corse, ainsi que toutes dispositions législatives
concernant le développement économique, social et culturel de la Corse. - Les propositions adoptées par l'Assemblée de Corse en
application de l'alinéa précédent sont adressées au président du conseil exécutif qui les transmet au Premier ministre et au
représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale de Corse" ;
17. Considérant que ces dispositions se bornent à prévoir la procédure par laquelle la collectivité territoriale de Corse peut présenter
des propositions tendant à ce que le législateur modifie la législation applicable à la Corse ; que, par suite, elles ne transfèrent, par
elles-mêmes, à cette collectivité aucune matière relevant du domaine de la loi ;
Quant au IV de l'article L. 4424-2 :
18. Considérant qu'aux termes du IV du nouvel article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales : "Lorsque
l'Assemblée de Corse estime que les dispositions législatives en vigueur ou en cours d'élaboration présentent, pour l'exercice des
compétences de la collectivité territoriale, des difficultés d'application liées aux spécificités de l'île, elle peut demander au
Gouvernement que le législateur lui ouvre la possibilité de procéder à des expérimentations comportant le cas échéant des
dérogations aux règles en vigueur, en vue de l'adoption ultérieure par le Parlement de dispositions législatives appropriées. - La
demande prévue à l'alinéa précédent est faite par délibération motivée de l'Assemblée de Corse, prise à l'initiative du conseil
exécutif ou de l'Assemblée de Corse après rapport de ce conseil. Elle est transmise par le président du conseil exécutif au Premier
ministre et au représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale de Corse. - La loi fixe la nature et la portée de ces
expérimentations, ainsi que les cas, conditions et délai dans lesquels la collectivité territoriale pourra faire application de ces
dispositions. Elle fixe également les modalités d'information du Parlement sur leur mise en oeuvre. L'évaluation continue de cette
expérimentation est confiée, dans chaque assemblée, à une commission composée à la représentation proportionnelle des groupes.
Cette commission présente des rapports d'évaluation qui peuvent conduire le législateur à mettre fin à l'expérimentation avant le
terme prévu. - Les mesures prises à titre expérimental par la collectivité territoriale de Corse cessent de produire leur effet au terme
du délai fixé si le Parlement, au vu du rapport d'évaluation qui lui est fourni, n'a pas procédé à leur adoption" ;
19. Considérant que, pour les auteurs des deux saisines, ces dispositions attribueraient à la collectivité territoriale de Corse des
compétences ressortissant au domaine de la loi ; que seraient ainsi méconnus le principe de la souveraineté nationale et les articles
3 et 34 de la Constitution ; qu'en habilitant une collectivité territoriale à exercer le pouvoir législatif, le législateur déléguerait sa
compétence dans un cas non prévu par la Constitution ; qu'il serait en outre porté atteinte, pour les auteurs des deux saisines, à
l'égalité devant la loi et à l'indivisibilité de la République ; que les sénateurs requérants ajoutent que la procédure contestée
méconnaîtrait le droit d'initiative attribué aux membres du Parlement par l'article 39 de la Constitution ; qu'ils lui font enfin grief
de confier à une commission parlementaire autre que les commissions permanentes prévues à l'article 43 de la Constitution
"l'évaluation continue" des mesures prises à titre expérimental par la collectivité territoriale de Corse en application des dispositions
critiquées ;
20. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la Constitution : "La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par
ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ne peut s'en attribuer l'exercice" ; qu'en vertu du premier
alinéa de son article 34 : "La loi est votée par le Parlement" ; qu'en dehors des cas prévus par la Constitution, il n'appartient qu'au
Parlement de prendre des mesures relevant du domaine de la loi ; qu'en particulier, en application de l'article 38, seul le
Gouvernement "peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances,
pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi" ; que le législateur ne saurait déléguer sa
compétence dans un cas non prévu par la Constitution ;
21. Considérant, en l'espèce, qu'en ouvrant au législateur, fût-ce à titre expérimental, dérogatoire et limité dans le temps, la
possibilité d'autoriser la collectivité territoriale de Corse à prendre des mesures relevant du domaine de la loi, la loi déférée est
intervenue dans un domaine qui ne relève que de la Constitution ; qu'il y a lieu, dès lors, de déclarer contraire à la Constitution le
IV du nouvel article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales, dont les dispositions constituent un ensemble
15
indivisible ; que, par voie de conséquence, doivent être également déclarés contraires à la Constitution les mots "et du IV" figurant
à l'article 2 de la loi déférée ;
[…]
Décide :
Article premier :
Sont déclarés contraires à la Constitution :
- le IV de l'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction issue de l'article 1er de la loi déférée ;
- les mots « et du IV » figurant à l'article 2 de ladite loi.
Article 2 :
Sont déclarés conformes à la Constitution :
- sous la réserve énoncée au considérant 13, les autres dispositions de l'article 1er de la loi déférée ;
- sous les réserves énoncées aux considérants 24 et 25, son article 7.
Article 3 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Doc. 13 – Article 72 de la Constitution de 1958
Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut
particulier et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas
échéant en lieu et place d'une ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa.
Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être
mises en oeuvre à leur échelon.
Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir
réglementaire pour l'exercice de leurs compétences.
Dans les conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté
publique ou d'un droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le
cas, la loi ou le règlement l'a prévu, déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions
législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences.
Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. Cependant, lorsque l'exercice d'une compétence
nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l'une d'entre elles ou un de leurs groupements à
organiser les modalités de leur action commune.
Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l'État, représentant de chacun des membres du
Gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois.
Doc. 14 – Titre XIII de la Constitution de 1958
Titre XIII : Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie
ARTICLE 76.
Les populations de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à se prononcer avant le 31 décembre 1998 sur les dispositions de
l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la République française.
Sont admises à participer au scrutin les personnes remplissant les conditions fixées à l'article 2 de la loi n° 88-1028 du 9
novembre 1988.
Les mesures nécessaires à l'organisation du scrutin sont prises par décret en Conseil d'État délibéré en conseil des ministres.
ARTICLE 77.
Après approbation de l'accord lors de la consultation prévue à l'article 76, la loi organique, prise après avis de l'assemblée
délibérante de la Nouvelle-Calédonie, détermine, pour assurer l'évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des
orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en œuvre :
- les compétences de l'État qui seront transférées, de façon définitive, aux institutions de la Nouvelle-Calédonie, l'échelonnement
et les modalités de ces transferts, ainsi que la répartition des charges résultant de ceux-ci ;
- les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie et notamment les conditions dans
16
lesquelles certaines catégories d'actes de l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie pourront être soumises avant
publication au contrôle du Conseil constitutionnel ;
- les règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral, à l'emploi et au statut civil coutumier ;
- les conditions et les délais dans lesquels les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront amenées à se prononcer
sur l'accession à la pleine souveraineté.
Les autres mesures nécessaires à la mise en oeuvre de l'accord mentionné à l'article 76 sont définies par la loi.
Pour la définition du corps électoral appelé à élire les membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des
provinces, le tableau auquel se réfèrent l'accord mentionné à l'article 76 et les articles 188 et 189 de la loi organique n° 99-209 du
19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie est le tableau dressé à l'occasion du scrutin prévu audit article 76 et comprenant
les personnes non admises à y participer.
Doc. 15 – Conseil constitutionnel, 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour
l’Europe, n°2004-505 DC
Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Président de la République le 29 octobre 2004, en application de l'article 54 de la
Constitution, de la question de savoir si l'autorisation de ratifier le traité établissant une Constitution pour l'Europe, signé à Rome
le même jour, doit être précédée d'une révision de la Constitution ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution du 4 octobre 1958, notamment son titre XV : « Des communautés européennes et de l'Union européenne » ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le traité instituant la Communauté européenne ;
Vu le traité sur l'Union européenne ;
Vu les autres engagements souscrits par la France et relatifs aux Communautés européennes et à l'Union européenne ;
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu les décisions du Conseil constitutionnel nos 2004-496 DC du 10 juin 2004, 2004-497 DC du 1er juillet 2004, 2004-498 DC et
2004-499 DC du 29 juillet 2004 ;
Vu l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme n° 4774/98 (affaire Leyla Sahin c. Turquie) du 29 juin 2004 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
- SUR LES NORMES DE RÉFÉRENCE APPLICABLES :
1. Considérant que, par le préambule de la Constitution de 1958, le peuple français a proclamé solennellement « son attachement
aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée
et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 » ;
2. Considérant que, dans son article 3, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen énonce que « le principe de toute
souveraineté réside essentiellement dans la nation » ; que l'article 3 de la Constitution de 1958 dispose, dans son premier alinéa,
que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum » ;
3. Considérant que le préambule de la Constitution de 1946 proclame, dans son quatorzième alinéa, que la République française
se « conforme aux règles du droit public international » et, dans son quinzième alinéa, que « sous réserve de réciprocité, la France
consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix » ;
4. Considérant que, dans son article 53, la Constitution de 1958 consacre, comme le faisait l'article 27 de la Constitution de 1946,
l'existence de « traités ou accords relatifs à l'organisation internationale » ; que ces traités ou accords ne peuvent être ratifiés ou
approuvés par le Président de la République qu'en vertu d'une loi ;
5. Considérant que la République française participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne dans les conditions
prévues par le titre XV de la Constitution ; qu'en particulier, aux termes de son article 88-1 : « La République participe aux
Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont
instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences » ;
6. Considérant que ces textes de valeur constitutionnelle permettent à la France de participer à la création et au développement
d'une organisation européenne permanente, dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l'effet de
transferts de compétences consentis par les Etats membres ;
7. Considérant, toutefois, que, lorsque des engagements souscrits à cette fin contiennent une clause contraire à la Constitution,
remettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de
la souveraineté nationale, l'autorisation de les ratifier appelle une révision constitutionnelle ;
8. Considérant que c'est au regard de ces principes qu'il revient au Conseil constitutionnel de procéder à l'examen du traité «
établissant une Constitution pour l'Europe » signé à Rome le 29 octobre 2004, ainsi que de ses protocoles et annexes ; que sont
toutefois soustraites au contrôle de conformité à la Constitution celles des stipulations du traité qui reprennent des engagements
antérieurement souscrits par la France ;
[…]
- SUR LA CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L'UNION :
14. Considérant qu'il y a lieu d'apprécier la conformité à la Constitution de la « Charte des droits fondamentaux de l'Union » qui
constitue la deuxième partie du traité soumis au Conseil constitutionnel ;
15. Considérant, en premier lieu, qu'en vertu de l'article II-111 du traité et à l'exception de ses articles II-101 à II-104, lesquels ne
17
concernent que les « institutions, organes et organismes de l'Union », la Charte s'adresse aux Etats membres « lorsqu'ils mettent
en oeuvre le droit de l'Union » et « uniquement » dans ce cas ; qu'elle est sans incidence sur les compétences de l'Union ; qu'en
vertu du paragraphe 5 de l'article II-112, elle comporte, à côté de « droits » directement invocables devant les juridictions, des «
principes » qui constituent des objectifs ne pouvant être invoqués qu'à l'encontre des actes de portée générale relatifs à leur mise
en oeuvre ; qu'au nombre de tels « principes » figurent notamment le « droit d'accès aux prestations de sécurité sociale et aux
services sociaux », le « droit de travailler », le « droit des personnes âgées à mener une vie digne et indépendante et à participer à
la vie sociale et culturelle », le « principe du développement durable » et le « niveau élevé de protection des consommateurs » ;
16. Considérant, en deuxième lieu, que, conformément au paragraphe 4 de l'article II-112 du traité, dans la mesure où la Charte
reconnaît des droits fondamentaux tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, « ces droits
doivent être interprétés en harmonie avec lesdites traditions » ; que sont dès lors respectés les articles 1er à 3 de la Constitution
qui s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de
culture, de langue ou de croyance ;
17. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de son préambule, « la Charte sera interprétée par les juridictions de l'Union et
des Etats membres en prenant dûment en considération les explications établies sous l'autorité du præsidium de la Convention qui
a élaboré la Charte » ; que le paragraphe 7 de l'article II-112 du traité dispose également que : « Les explications élaborées en vue
de guider l'interprétation de la Charte des droits fondamentaux sont dûment prises en considération par les juridictions de l'Union
et des Etats membres » ;
18. Considérant, en particulier, que, si le premier paragraphe de l'article II-70 reconnaît le droit à chacun, individuellement ou
collectivement, de manifester, par ses pratiques, sa conviction religieuse en public, les explications du præsidium précisent que le
droit garanti par cet article a le même sens et la même portée que celui garanti par l'article 9 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il se trouve sujet aux mêmes restrictions, tenant notamment à
la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé et de la morale publics, ainsi qu'à la protection des droits et libertés
d'autrui ; que l'article 9 de la Convention a été constamment appliqué par la Cour européenne des droits de l'homme, et en dernier
lieu par sa décision susvisée, en harmonie avec la tradition constitutionnelle de chaque Etat membre ; que la Cour a ainsi pris acte
de la valeur du principe de laïcité reconnu par plusieurs traditions constitutionnelles nationales et qu'elle laisse aux Etats une large
marge d'appréciation pour définir les mesures les plus appropriées, compte tenu de leurs traditions nationales, afin de concilier la
liberté de culte avec le principe de laïcité ;que, dans ces conditions, sont respectées les dispositions de l'article 1er de la Constitution
aux termes desquelles « la France est une République laïque », qui interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances
religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers ;
[…]
22. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que ni par le contenu de ses articles, ni par ses effets sur les conditions
essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, la Charte n'appelle de révision de la Constitution ;
Doc. 16 – Conseil constitutionnel, 21 février 2013, Association pour la promotion et l’expansion de la
laïcité, n°2012-297 QPC
1. Considérant qu'aux termes de l'article VII des articles organiques des cultes protestants de la loi du 18
germinal an X relative à l'organisation des cultes : « Il sera pourvu au traitement des pasteurs des églises
consistoriales ; bien entendu qu'on imputera sur ce traitement les biens que ces églises possèdent, et le produit
des oblations établies par l'usage ou par des règlements » ;
2. Considérant que, selon l'association requérante, en prévoyant qu'il sera pourvu au traitement des pasteurs
des églises consistoriales, ces dispositions méconnaissent le principe constitutionnel de laïcité ; qu'elle fait
valoir que la règle de non-subventionnement des cultes et le principe de non-reconnaissance des cultes, qui
résultent du principe de laïcité, font interdiction aux pouvoirs publics de financer l'exercice du culte et
d'accorder un statut ou un soutien public à des cultes déterminés ;
3. Considérant que la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes a promulgué et rendu
exécutoires comme lois de la République, d'une part, « La convention passée à Paris le 26 messidor an IX,
entre le Pape et le Gouvernement français, et dont les ratifications ont été échangées à Paris le 23 fructidor
an IX » et, d'autre part, les articles organiques de ladite convention et les articles organiques des cultes
protestants ; qu'aux termes de l'article 3 de la loi du 17 octobre 1919 relative au régime transitoire de l'Alsace
et de la Lorraine, adoptée à la suite du rétablissement de la souveraineté de la France sur ces territoires : «
Les territoires d'Alsace et de Lorraine continuent, jusqu'à ce qu'il ait été procédé à l'introduction des lois
françaises, à être régis par les dispositions législatives et réglementaires qui y sont actuellement en vigueur
» ; que le 13° de l'article 7 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans
les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle a expressément maintenu en vigueur dans ces
18
départements à titre provisoire l'ensemble de la législation locale sur les cultes et les congrégations religieuses
; qu'enfin, selon l'article 3 de l'ordonnance du 15 septembre 1944 relative au rétablissement de la légalité
républicaine dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle : « La législation en vigueur.
. . à la date du 16 juin 1940 est restée seule applicable et est provisoirement maintenue en vigueur » ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que n'ont pas été rendues applicables aux départements du Bas-
Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 susvisée et, notamment,
celles de la première phrase de son article 2 qui dispose : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne
subventionne aucun culte », ainsi que celles de son article 44 en vertu desquelles : « Sont et demeurent
abrogées toutes les dispositions relatives à l'organisation publique des cultes antérieurement reconnus par
l'État, ainsi que toutes dispositions contraires à la présente loi et notamment la loi du 18 germinal an X » ;
qu'ainsi, dans ces départements, les dispositions contestées, relatives au traitement des pasteurs des églises
consistoriales, sont demeurées en vigueur ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 :
« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas
l'ordre public établi par la loi » ; qu'aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l'article 1er
de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure
l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes
les croyances » ; que le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit
; qu'il en résulte la neutralité de l'État ; qu'il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte
; que le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l'égalité de tous les citoyens
devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes ; qu'il
implique que celle-ci ne salarie aucun culte ;
6. Considérant, toutefois, qu'il ressort tant des travaux préparatoires du projet de la Constitution du 27 octobre
1946 relatifs à son article 1er que de ceux du projet de la Constitution du 4 octobre 1958 qui a repris la même
disposition, qu'en proclamant que la France est une « République. . . laïque », la Constitution n'a pas pour
autant entendu remettre en cause les dispositions législatives ou règlementaires particulières applicables dans
plusieurs parties du territoire de la République lors de l'entrée en vigueur de la Constitution et relatives à
l'organisation de certains cultes et, notamment, à la rémunération de ministres du culte ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré de ce que l'article VII des articles organiques
des cultes protestants de la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes serait contraire au
principe de laïcité doit être écarté ;
8. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la
Constitution garantit ; que, par suite, elles doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article VII des articles organiques des cultes protestants de la loi du 18 germinal an X relative
à l'organisation des cultes est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans
les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 février 2013, où siégeaient : M. Jean-Louis
DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel
CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert
HAENEL et Pierre STEINMETZ.