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97 L’urna cum sortibus de Bourbonne dans le contexte des pratiques religieuses des collegia en Germanie supérieure Mots-clefs : Bourbonne-les-Bains ; Germanie supérieure ; collegia, tirage au sort. Keywords : Bourbonne-les-Bains ; Germania Superior ; collegia. Dans le cadre de recherches épigraphiques à la fois sur les pratiques religieuses de Germanie et sur les collèges, une plaquette de bronze mise au jour au sanctuaire de Bourbonne-les- Bains a retenu notre attention. Elle mentionne la dédicace d’une urna cum sortibus dont la définition exacte ainsi que la description éventuelle nous ont intriguée et amenée à rechercher des parallèles et des témoignages. Introduction Toutefois, avant d’entrer dans des détails d’interprétation, il nous a semblé utile de consigner brièvement quelques remarques générales sur ce que les inscriptions nous apprennent des pratiques religieuses des collegia dans la province de Germanie supérieure 1 . Le premier problème rencontré est celui des limites de l’enquête : que retenir comme collegium ? Que sont exactement ces associations qui semblent de nature géographique que sont les Nundinenses de Seligenstadt, les Confanenses Armisses de Metzingen et les Lugnesses de Gondorff ? S’agit-il de collèges proprement dits comme les Matisonenses de Bietigheim ? Faut-il les définir comme des groupements institutionnalisés proches des pagi, vici, regiones attestés en nombre assez important dans la province ? Et ces institutions ont-elles copié le fonctionnement des collèges ou bien, au contraire, sont-ce les collèges qui s’en sont inspirés ? Cette question est beaucoup trop vaste pour être résolue de manière superficielle ici mais certaines constatations indiquent une proximité de fonctionnement avec les collèges professionnels. Dans la même interrogation concernant la définition du collegium, peut-on déduire l’existence de collèges de la simple mention épigraphique d’un métier ? Autrement dit la mention d’un métier sur un monument est-elle libre ou conditionnée à une autorisation liée à une appartenance à un collège ? Autrement dit encore la dédicace religieuse opérée par un « homme de métier » qui se définit comme tel implique-t-elle l’existence d’un collège et/ou un lien entre ce collège éventuel et la divinité honorée ? Autre question corollaire encore : certains collèges ne regroupaient-ils pas des métiers isolés trop peu représentés pour constituer un collège propre (par exemple les centonarii ne comptaient-ils pas les vestiarii, les linarii etc) ? La complexité de ces problématiques et l’intrication possible des données sont telles que l’étude de chacune doit être approfondie, comme de nombreuses études récentes 2 le prouvent à suffisance. Loin de nous la prétention de résoudre les interrogations, simplement celle de les poser. Les pratiques religieuses des collegia : les dédicaces Deux tableaux ont été établis pour faire apparaître quelques éléments significatifs. Le premier présente les dédicaces religieuses liées à des contextes de collèges possibles, le second celles émanant des institutions locales. Ces deux tableaux font état d’une très grande part religieuse dans la « Selbstdarstellung » des métiers en parallèle avec une constatation déjà relevée antérieurement 3 : toutes les attestations épigraphiques de vici et pagi sont de nature religieuse, en Germanie supérieure comme en Gaule Belgique, chez les Trévires 4 par exemple. 1 Sur cette question, voir déjà Raepsaet-Charlier 2006a, p. 359-363. 2 Tran 2006 ; Lin 2009 ; Dondin-Payre 2012, par exemple. 3 Raepsaet-Charlier 2006a, p. 357-359 ; 2006b, p. 341. 4 Scheid 1991, p. 51-52 ; Raepsaet-Charlier 2002, p. 112-115. Marie-Thérèse RAEPSAET-CHARLIER (Université Libre de Bruxelles)

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L’urna cum sortibus de Bourbonne dans le contexte des pratiques religieuses des collegia en Germanie supérieure

Mots-clefs : Bourbonne-les-Bains ; Germanie supérieure ; collegia, tirage au sort.

Keywords : Bourbonne-les-Bains ; Germania Superior ; collegia.

Dans le cadre de recherches épigraphiques à la fois sur les pratiques religieuses de Germanie et sur les collèges, une plaquette de bronze mise au jour au sanctuaire de Bourbonne-les-Bains a retenu notre attention. Elle mentionne la dédicace d’une urna cum sortibus dont la définition exacte ainsi que la description éventuelle nous ont intriguée et amenée à rechercher des parallèles et des témoignages.

Introduction

Toutefois, avant d’entrer dans des détails d’interprétation, il nous a semblé utile de consigner brièvement quelques remarques générales sur ce que les inscriptions nous apprennent des pratiques religieuses des collegia dans la province de Germanie supérieure 1. Le premier problème rencontré est celui des limites de l’enquête : que retenir comme collegium ? Que sont exactement ces associations qui semblent de nature géographique que sont les Nundinenses de Seligenstadt, les Confanenses Armisses de Metzingen et les Lugnesses de Gondorff ? S’agit-il de collèges proprement dits comme les Matisonenses de Bietigheim ? Faut-il les définir comme des groupements institutionnalisés proches des pagi, vici, regiones attestés en nombre assez important dans la province ? Et ces institutions ont-elles copié le fonctionnement des collèges ou bien, au contraire, sont-ce les collèges qui s’en sont inspirés ? Cette question est beaucoup trop vaste pour être résolue de manière superficielle ici mais certaines constatations indiquent une

proximité de fonctionnement avec les collèges professionnels.Dans la même interrogation concernant la définition du collegium, peut-on déduire l’existence de collèges de la simple mention épigraphique d’un métier ? Autrement dit la mention d’un métier sur un monument est-elle libre ou conditionnée à une autorisation liée à une appartenance à un collège ? Autrement dit encore la dédicace religieuse opérée par un « homme de métier » qui se définit comme tel implique-t-elle l’existence d’un collège et/ou un lien entre ce collège éventuel et la divinité honorée ? Autre question corollaire encore : certains collèges ne regroupaient-ils pas des métiers isolés trop peu représentés pour constituer un collège propre (par exemple les centonarii ne comptaient-ils pas les vestiarii, les linarii etc) ? La complexité de ces problématiques et l’intrication possible des données sont telles que l’étude de chacune doit être approfondie, comme de nombreuses études récentes 2 le prouvent à suffisance. Loin de nous la prétention de résoudre les interrogations, simplement celle de les poser.

Les pratiques religieuses des collegia : les dédicaces

Deux tableaux ont été établis pour faire apparaître quelques éléments significatifs. Le premier présente les dédicaces religieuses liées à des contextes de collèges possibles, le second celles émanant des institutions locales. Ces deux tableaux font état d’une très grande part religieuse dans la « Selbstdarstellung » des métiers en parallèle avec une constatation déjà relevée antérieurement 3 : toutes les attestations épigraphiques de vici et pagi sont de nature religieuse, en Germanie supérieure comme en Gaule Belgique, chez les Trévires 4 par exemple.

1 Sur cette question, voir déjà Raepsaet-Charlier 2006a, p. 359-363.2 Tran 2006 ; Lin 2009 ; Dondin-Payre 2012, par exemple.3 Raepsaet-Charlier 2006a, p. 357-359 ; 2006b, p. 341.4 Scheid 1991, p. 51-52 ; Raepsaet-Charlier 2002, p. 112-115.

Marie-Thérèse RAEPSAET-CHARLIER (Université Libre de Bruxelles)

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Cité, lieu Réf. Collège, association Divinité Dédicant Type de déd. Date Remarque Site

AG, Marbach 6450 nautae génie des nautes G. Iul Urbicus pro sal. Imp. ; v v

AG, Marbach 6451 peregrini DD, génie des pérégrins

Severus Meliddati dsdd 150-212 v

AG, Marbach 6453 coll i(uventutis ?) peregrinorum

Victoria Domitius Condollus v 100-250 (statuam) cum base v

AG, Öhringen AE 1978,522 collegium convenarum DD, Hercule collegium 232 C-L ou v

AG, Öhringen AE 1978,523 collegium convenarum DD, Diane collegium 232 C-L ou v

AG, Öhringen 6549 collegium iuventutis (Numen impérial) collegium pro salute Imp. Severi

222 collège public sd C-L ou v

AG, Bürg (Neuenstadt)

6468 coll iuventutis ?? collegiati ?? relief curieux (deux hommes)

Alis, Walheim 11750 contub. peregrinorum DD contubernium 150-250 aggl.

Aq, Baden-Baden 6308 fabr [tign] DD res publica Aquensis 150-250 scholam fab[ C-L

Aq, Baden-Baden 6303 tignariorum [-]inus Aug ??? !"#$%"& peut-être contexte impérial ?

bloc isolé d’un monument évérgétique

C-L

Aq, Ettlingen 6324 contubernio nautarum DD, Neptune Cornelius Aliquandus dsd 200-250 l.c.

Hel, Avenches 5079 medicis et professorib. Num. Aug., génie de la colonie, Apollon

Q. Postum. Hyginus et Postum Hermes lib(erti)

dsd C-L

Hel, Avenches 5096 nautae Aruranci et Aramici

DD nautae de suo 150-200 schola, lddd C-L

Hel, Vidy N-L 30 nautae lacu Lemanno Num. Aug. nautae lddd 175-225 qui Leusonnae consistunt v

Hel, Vidy N-L 28 nautae Leuson. Neptune nautae ex imp. v

Hel, Vidy N-L 26 [nautae lacu Lemanno] Mercure Aug. [nautae] qui Leusonnae consistunt V

Ling, Bourbonne 5923 Mancipibus s() Ludnomag

F[-] Severinius Marinus lm 237 urnam cum (suis) sortibus S

Ling, Dijon 5474 fabri ferrari Jupiter, Fortuna redux fabri clientes pro sal patron, v, Dibione consistentes lddp

aggl.

Ling, Dijon 5475 lapidari Jupiter, Fortuna redux lapidari clientes pro sal patron, v, clientes, pag. Andomo consistentes aggl.

Matt, Ems 7734 collegium veteranorum ? DD, ?? ?? pro salute imp 198-209 '()*+',-&.)/.01/2'$%- ?

Matt, Kastel 7281 hastiferi civitatis Mattiacorum

DD, Virtus Bellone hastiferi 236 temple v

Matt, Wiesbaden 7317 hastiferi sive pastores DD, Num. Aug. hastiferi de suo 224 consistentes Kastello M. C-L et v

Matt, Wiesbaden 7587 negotiatores C.M. DD negotiatores pro perp. incol. Imp. 212 schola d(e) s(uo) C-L

Mayence 6744 neg(-) pann[--] DD, Mercure, génie des neg. pann.

particuliers (famille ?) 225 Pannoniens ? ou pannicularii ? C-L

Mayence 7065 coll fabror ?? Pervincius Stabilis, s.d. un collegiatus d(ecuria) sec(unda)

dd anneau de bronze (destiné à statue de culte ?)*

C-L

Mayence AE 2004, 1020-1022

Pausarii DD, génie des Pausarii plusieurs dédicants : 2 CR, 1 esclave

de suo sanctuaire d’Isis et Cybèle, culte public

C-L

Mayence 6676 veterani ?? Fortuna curator (vici ou veteranorum) + quaestor + actor

dsp peut-être plutôt cadre public ? C-L

Mayence S-H 91 iuventus vici eiusdem cultores Fortunae

Jupiter, Junon, DD, génie des vicani Vic[-]

iuventus cultores dsd 150-250 collège sd public C-L

Mayence 6688 collegium iuventutis vici Apol.

DD, génie du collegium

Acutius Ursus et Acutia Ursa

dd 220 collège sd public C-L

Mayence 6689 iuventus Vobergens ??, génie de iuventus T. Genialinius Crescens vsl 199 collège sd public C-L

Mayence F 204 negotiantes conforani Jupiter, Junon, Num. Aug.

negotiantes C-L

Mayence AE 1976, 500 plum(arii) ou plum(barii) ?

DD, Minerve M. A(-) Iustius Belatullus, mag. plum.

v 212 collège de brodeurs ou de plombiers ?

C-L

Mayence Finthen 7222 CR m(anticulari) neg. Mog.

DD, Mercure L. Senilius Decmanus 198 cit. des Taun., questeur, curateur du collège

S

Por, Bietigheim 11749 Collegio Matisonensium

(génie) Iul Venussimus et L. Opt(-)

200-250 collège public ?

Sum, Rottenburg 6358 iuventus civitatis S Diane, DD Iul Hermes pro iuventute c. S. 150-250 collège public C-L

Tau, Altenstadt 7424 collegium iuventutis DD, génie du collegium iuventutis

- 242 collège sd public

Tau, Heddernheim 7371 colleg f[abr ?] tign (génie ?) Genialius Optatus de suo 100-250 C-L

Tau, Heddernheim S-H 104 dendrophori Aug. Salus Aug. dendrophori de suo ; loc adsig a vic Nide

150-250 consistentes Med(-) itemque Nidae, scola

C-L

Tableau Ia : Dédicaces religieuses relatives à des collegia

Rauraques : Augst : inscription très fragmentaire du collegium Cisalpinorum et Transalpinorum de nature indéterminée (CIL XIII 5303 = 121547 = AE 1988, 899)3/40-,/&5%+)*/6/170%%)0"/2)/8-.9+")/5:)*,/6/;01"&/0"/<'%'$=)/2)&/>/&",5*-<"&/85(-5.0+)%&-<"&/="*-0/?&&0*0(-/@/AB?/CDDEF/DGHI

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5 Tran 2012, p. 65-72.6 Voir par exemple CIL III 1083 ; 1051 ; CIL XI 668 ; CIL XIV 10 ; 44.

L’élément le plus intéressant pour notre propos résulte du croisement de ces deux tableaux, à savoir l’implication publique explicite et répandue dans les activités des collegia : intervention de magistrats, de vici et pagi, ou implication impériale qui ne peut être affichée sans autorisation officielle. Ces éléments rejoignent les conclusions de N. Tran 5 sur l’élément « public » dans la vie des collèges. Un autre élément intéressant est la définition sociale des dédicants, à savoir l’extrême rareté de mentions explicites des patrons de ces collèges, dont aucun ne se présente comme

dédicant. Ce fait n’a rien d’original : dans l’empire latin ne sont conservées que quelques dédicaces religieuses 6 émanant d’un patron de collège. Le plus souvent ce sont des personnes mandatées telles que actor, curator qui exécutent une décision collégiale, voire même des « particuliers » non autrement définis et que l’on suppose être des collegiati, que ce soit pour des institutions publiques ou pour des évergésies. À titre personnel toutefois on peut trouver un marchand défini comme un sévir mais se pose alors la question énoncée ci-dessus : est-il le témoin de l’activité d’un collège ?

Cité, lieu Réf. Collège, association Divinité Dédicant Type de déd. Date Remarque Site

AG, Marbach S-H 36 negotiator DD, Boni Casses L. Licinius Divixtus bon(a)e saluti et redditus et suis

227 post summersam n(aviculam) v

Aq, Baden-Baden FBW 1977,328

lappidarius Minerve Val Perimus arc(chitectus) cho et Vittalis lappidarius

v 80-100 cadre militaire C-L

Aud, Dieburg F 187 artis sutor Mithra Silvestrius Perpetuus v 200-250 grand relief de mithraeum C-L

Aud, Dieburg F 187 ; 6434 artis quadratariae Mithra ; Diane (relief) Silvestrius Silvinus v 200-250 grand relief de mithraeum C-L

Aud, Groß-Gerau AE 1997, 1187

negotiator lanius Mercure Quillenius A. Ibliomarius Placidus v neg. installé à Kastel, autre cité ; sculpture dans mithraeum

l.c. et v

Hel, Avenches N-L 40 lapidar. Mars Caturix Iul Silvester v dieu poliade C-L

Hel, Windisch 11504 gladiarius Mars Tib. Iul Aquilinus v v

Hel, Yverdon 5053 medicus Mars Aug. C. Sentius Diadumenus v 100-200 v

Ling, Bourbonne 5919 med(ica ?) Borvo et Damona Sextilia Sexti f. ou Mediomatrica ?? S

Ling, Dampierre 11597 sagarius Mercure pérégrin illisible v S

Ling, Dijon 5476 esclave actor Jupiter, Fortuna Redux

Carantillus pro salute patron ; v peut-être actor de corporation ou actor privé ??

aggl.

Mayence 6677 negotiator gladarius Fortuna redux leg. vétéran pro salute imp 185-192 testamento ; somme d’argent C-L

Mayence 11805 manticul. DD, Hercule M. Murranius Patiens 150-250 C-L

Mayence 11812 neg. Dolichenus G. Iul. Maternus iubente deo 217 C-L

Mayence 6775 quaestor + actor ? Valerius Faustus, [-] Modestus, Valerius Albanus

ds peut-être plutôt cadre public ? C-L

Mayence F 202 gladiator Fortuna Messor v C-L

Mayence 6700 medicus leg. IIII Mac. Jupiter Iunius ( ?) Valens 43-70 civil ? dans l’armée C-L

Mayence 6778 seplasiar. in leg. I Ad. ? L. Vireius Dexter v 71-86 civil dans l’armée C-L

Mayence, Ober-Olm

7249 anularius Mars, Victoria, DD L. Bittius Paulinus v 150-200 S

Mayence, Finthen 7228 [neg] artis cret ? ? lm fragment S

Mog, Andernach 7680 mu[lio ?] Epona Cagius (ou C. Agius) Optatus

v

Mog, Gondorf 7640 actor DD, ts dieux et génie des Lugnesses

Elius Iucundus impendio suo 175-250 cadre public ? ?

Mog, Kreuznach 7532 faber DD, Mercure et Maia Masclius Satto v 150-250 caducium et aram aggl

SN, Heidelberg 6403 arc(hitectus?) DD, Neptune Val Paternus arc et Aelius Macer

v, edem cum signo 175-250 S

Sum, Rottenburg 6366 negotiator artis cretariae, neg. paenul(arius)

DD M. Messius Fortunatus, IIIIIIvir Aug.

omni impendio suo 225 évergétisme non précisé, schola ? C-L

Van, Alzey 6264 fullo DD, Minerve Vitalinius Secundinus 200-250 v

Tableau Ib : dédicaces religieuses émanant d’artisans, commerçants etc.

dieu de métier : Mercurius Negotiator : 7360 ; Mercurius Nundinator : 7569

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100

Type Référence Cité, lieu, catégorie Divinité(s) Dédicant(s) Bénéficiaires (ou lieu) administration / don

? N-L 158 Aud, Seligenstadt [-]ogabiae Nundinenses

? 6378 Sum, Metzingen, l.c. Jupiter Confanensses Armisses

? 6379 Sum, Metzingen, l.c. Jupiter, [?] Armisses

? 7640 Mog, Gondorf DD, dd omn, genius Lugnessium

Elius Iucundus actor Lugnesses kratera cum ara

canabae 6730 Mayence, C-L Jupiter, Sucaelus, génie du lieu

Trophimus actor et canabari

canabae 11806 Mayence, C-L Jupiter canabari

saltus 6365 = AE 2010, 1073

Sum, Rottenburg, C-L DD saltus Sumelocennensis ex decreto ordinis ; curam agentibus 2 noms

regio 5161 Hel, Berne, gs Naria regio Arurensis curante Feroce liberto

regio 5162 Hel, Müri, gs DD regio O[-] ex stipibus, IIvir

regio F 98 Hel, Thun-Allmendingen, gs

Alpes regio Lindensis ex stipe

vicus 6454 A G, Marbach, v Vulcain vicani Murrenses

vicus 6541 AG, Öhringen, v (C-L ?)

DD, Minerve Faustius Faventinus quaestor vicanis Aurel signum Minerviae

vicus S-H 31 Alis?, Sinsheim, v ? vicani Saliobrigenses

vicus 6388 Alis?, Spechbach, v Mercure, Rosmerta vicani vici Nediensis

vicus 6389 Alis?, Spechbach, v ? [vic]ani Nediensis cura Quinti Dacci

vicus 6315 Aq, Sandweier, v Carrefours vicani Bibienses

vicus 6433 Aud, Dieburg, C-L DD, genius vici L. Martialinius Messor et T. Eu[-]emius Cupitus

vici V V

pagus vicus 11944 Aud, Trebur, v DD, Virodachtis [?pag]us Nidensis et vicani August(), publice

vicus 5233 Hel, Baden, v Isis particuliers (famille) vik Aquensib templum + somme d’argent ; lddvicanorum

vicus 5254 Hel, Eschenz, v Fortuna vikani Tasgaetini cura [---

vicus 5042 Hel, Moudon, v DD, Jupiter, Junon Q. Ael Aunus IIIIIIvir aug vican Minnodunens aram + somme d’argent pour gymnasium

vicus 5043 Hel, Moudon, v Jupiter et Junon ? Ti. Pompon[- a vicanis [Minnod somme d’argent pour templum

vicus N-L 52 Hel, Soleure, v DD, Jupiter vikani Salodurenses public magist vici 2 noms

(vicus) 5171 Hel, Soleure, v Genius publicus, DD Suecconius Demecenus aram cum sign de suo

vicus 5170 Hel, Soleure, v Epona soldat vico Saloduro immunis cos curas agens

vicus 5026 Hel, Vidy, v Sol, genius, Luna, pro salute Augustorum

P. Clod Primus curator vikanor Lousonnensium ég. sévir, cur cR conventus Hel

vicus 5195 Hel, Windisch, v Mars, Apollon, Minerve

vicani Vindonissenses curatores ---

vicus 5194 Hel, Windisch, v DD, Jupiter Asclepiades Aug. v disp vicarius vicanis Vind[- templum

vicus AE 2010, 1062

Hel ?, Kempraten vica[ni / ]NDON[ site d’un sanctuaire

vicus 5661 Ling, Vertault, v DD L. Patric Martialis et L. Patric Marcus vikan Vertillensibus cellam vestibulam etc / magistrats de la cité

vicus 7270 Matt, Kastel, v DD, Jupiter (et Junon ?)

Meloni Carantus et Iucundus vico novo Melonior

vicus 7566a Matt, Wiesbaden, C-L DD, Jupiter Dolichenus

vicani Aquenses sub cura --- (templum)

vicus 11804 Mayence / concerne Kastel

Génie vicani veteres castelli Mattiacorum

vicus 6740a Mayence / concerne Kastel

DD, Mars, Génie, Victoria

signiferi vicani veteres cons castelli Mattiacorum

ob immunitatem omnem eis concessam a vicanis ---

vicus 6764 Mayence, C-L ? vicani capite limitis ex inl(ata stipe ??)

vicus 6688 Mayence, C-L DD, genius collegi iuventutis

Acutius Ursus et Acutia Ursa vici Vic[-

vicus AE 1979, 424 Mayence, C-L Jupiter, Junon, DD, genius vican

Iuventus vici eiusdem cultores Fortunae vican Vic(-)

vicus 11827 Mayence, C-L ? Mogontiacenses ?? vici naval et Carinius !"#$%&'($')*&"+"*',-.$"+*'/0"*

vicus ? F 205 Mayence, C-L Jupiter ?, Junon, DD, genius vicanorum ?

Ser[-]melius ??

vicus 6723 Mayence, C-L Jupiter, Junon vicani Salutares

vicus 6722 Mayence, C-L Jupiter, Junon vicani Mogontiacenses vici novi

Tableau II : dédicaces religieuses des vici ou au bénéfice des vicani, saltus, canabae et autres

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7 Mowat 1888, p. 333-334.8 CIL XIII 5923 (+ add.).9 Information que je dois à l’amabilité de M. Arnaud Vaillant, Adjoint territorial du Patrimoine, que je remercie vivement.10 Troisgros 1994, ne la cite pas.11 Drioux 1934, p. 80 n° 312.12 CAG 52/1, p. 137.13 ILLingons M 6.

Une dernière remarque assez anodine concernera les dieux honorés : sans surprise ce sont soit les dieux municipaux et publics comme Jupiter et la triade capitoline, ou le culte impérial (domus divina et numina impériaux), soit des dieux spécifiques au métier : Mercure pour les marchands, Neptune pour les nautes, Apollon pour un médecin, Minerve pour différents artisanats. Dans cette optique la lecture mulio pour une dédicace à Epona est très séduisante. On repère aussi les génies spécifiques ou Fortuna et Casus qui protègent les gens qui circulent, Hercule le dieu des « gens entreprenants » ou enfin les divinités des collèges proprement religieux comme Bellone, Cybèle et Isis.

La plaquette de Bourbonne

Au fil de notre dépouillement, notre attention a été attirée par un objet en particulier, fragmentaire, considéré comme une probable dédicace religieuse en fonction de la formule libens merito, en dépit de la perte du nom de la divinité. Il s’agit d’une tabula ansata de bronze dont les dimensions ne sont pas précisées. Elle a été mise au jour à Bourbonne-les-Bains et conservée un temps dans la collection de l’abbé

Defay à Langres. Publiée sommairement en 1888 7, puis reprise dans le CIL8 en 1905, elle se trouve alors toujours (extat) dans cette collection. Mais les archives du musée n’en ont pas trace lors du transfert en 1857 de la collection Defay (ou d’une partie ?) au Musée de Langres 9 et il semble que la plaquette n’est pas conservée non plus au musée de Bourbonne10. Ni Drioux 11, ni Thévenard 12, ni Le Bohec 13 ne donnent d’information sur sa conservation. Nous devons donc nous contenter des lectures anciennes sans pouvoir vérifier ou amender.

Type Référence Cité, lieu, catégorie Divinité(s) Dédicant(s) Bénéficiaires (ou lieu) administration / don

vicus 6776 Mayence, C-L ? 4 noms platiodanni vici novi sub cura sua

vicus 7655 Mog, Karden, v DD ?, genius vici, ddomn

M. Marilianius Ripanus et Occonia [-]

vicus 6329 Por ?, Wilferdingen DD, Jupiter Iuvenalius Macrinus vic Senot(ensibus) maceriam

vicus 5317 Raur, Horbourg, v DD, Victoria Cetturo Induti pro salute vicanor

vicus ? 5352 Seq, Villards d’Heria, gs (v ?)

Bellone Paternus ? pro salute vic

vicus 11727 = AE 1996, 1146

Sum, Köngen, v DD, Jupiter cives Sumelocennenses vici Grinar maceriam

vicus 11726 = AE 1996, 1148

Sum, Köngen, v DD, genius (plateae) [-]ttius et [-]ttia vicanis Grinar platie Sumeloce[-

genium et aram

vicus 7335 Tau, Heddernheim, C-L

DD, genius plateae particuliers (famille) novi vici genium, cum edicula et ara

vicus S-H 104 Tau, Heddernheim, C-L

Salus Aug. dendrophori Aug. de suo ; loc adsig a vic Nide scolam

vicus 7336 Tau, Heddernheim, C-L

DD, genius plateae Aemilius Baricio cT novi vici

vicus canabar

5967 Trib, Strasbourg DD, genius vici canabar

Q. Martius Optatus columnam et statuam

vicus 6265 Van, Alzey, v DD, Nymphes vicani Altaienses cura 2 noms (aram)

Dessin de la plaquette de Bourbonne reproduite d’après un frottis dans Mowat 1888, p. 333.

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Le lemme de Mowat, d’après les papiers de Renier, précise : « Cabinet de feu M. Defay à Langres. M. Ch. Cournault, copie et empreinte au frottis noir. Plaque de bronze, à queues d’aronde, brisée à droite, hauteur des lettres, décroissant de 0m,013 à 0m,009 ». On peut donc supposer une plaquette mesurant 10-12 cm de haut et 20 cm de large à l’origine. Un erratum p. 524 précise qu’il faut lire un F en fin de 2e ligne et non un E. Aucune lecture scientifique n’est avancée.

La lecture du CIL reproduit à peu de choses près le même texte que l’éditeur doit à un estampage de Flouest, envoyé par Mowat. Il précise que l’anse de gauche est percée d’un trou de fixation qui n’apparaît pas sur le dessin très approximatif de Mowat. Des éléments de lettres peu visibles sont ajoutés ainsi que de minimes corrections, le tout sur le bord brisé à droite :ligne 2 : FIligne 3 : SVIligne 4 MARI (et non Mare)ligne 5 : LIBligne 6 : ET (ligaturé)Rien ne permet toutefois d’être assuré que les lectures données dans le bord droit et la cassure sont correctes et précises.

Si l’on combine les suggestions de la notice avec celles des addenda (tome XIII, 4 1916, p. 77), la lecture proposée par Hirschfeld et Zangemeister 14 est la suivante : Mancipibus S[alinarum] / Ludnomag(enses) F+ / urnam cum sui[s ornamentis] / Severin(ius) Mari[ni fil.] / Decembris lib[ens] / merito d d Perpet(uo) et [Cornelian(o) co(n)s(ulibus)].

La date est donc de 237 au mois de novembre ou de décembre. La longueur estimée de la date consulaire implique une longueur des lignes précédentes qui devait comporter notamment en fin de ligne 4 une précision de jour et mois. On peut envisager aussi de restituer laetus après libens.

Chaque élément de cette lecture demande des commentaires ou des approfondissements.

a)

Mancipibus s[alinarum] : Les bénéficiaires de l’objet sont clairement des adjudicataires publics. Le problème est de définir le produit dont ils s’occupent. Des « fermiers généraux » du sel ne sont pas exclus dans la mesure où des mines de sel existent à relative proximité et que le sel de la mer du Nord devait assurément passer par la route Rhin/Moselle/Saône/Rhin. Sur le plan épigraphique, seuls des mancipes s[ulforis Siciliae] (ILS 8712a et timbre) sont attestés mais cette lecture est ici impossible. Des mancipes salinarum sont attestés mais uniquement à Rome au Bas-Empire dans des sources juridiques 15. La fonction a toutefois existé plus anciennement dont la version grecque apparaît notamment dans un monument de Priène d’époque républicaine 16. Mais la formulation en Italie est celle d’une société (socii) 17 ou d’un corpus 18. Dans l’empire, il s’agit toujours de conductores salinarum ou de salinatores, mais dans tous les cas la documentation 19 est peu abondante. Par ailleurs Waltzing 20 a montré que les mancipes salinarum sont parfois considérés comme des mancipes salinarum et thermarum, ce qui dans les thermes de Bourbonne ne serait pas impossible, mais toute cette restitution demeure dans le domaine de la totale hypothèse. Qu’il s’agisse ou non de sel, le fait que des

14 On citera pour mémoire la lecture avancée dubitans par Mommsen, citée en note du CIL XIII, 2, 1, p. 135, mancipes s[acr(orum)] lud(orum) Nomag(enses)/ J/ 17)KL*)&&-5%/&)*0-,/ -%'2-,)/.M.)/&-/ 1)/*)=5"*&/6/1702N"2-=0,-5%/L5"*/1)/$%0%=).)%,/2)&/4M,)&/),/ N)"K/publics est bien attesté (Estienne 2011, p. 244-245 ; pour des exemples concrets de mancipes, voir Slater 2003) ; d’autre part, si 1)&/25=".)%,&/25%,/%5"&/2-&L5&5%&/&5%,/)K0=,&F/2)&/L5-%,&/2)/&'L0*0,-5%/$+"*)%,/)%,*)/1)&/.5,&/),/-1/%7O/)%/0/L0&/)%,*)/PQR/),/8STBU/V/)%$%/1)/,5L5%O.)/&)*0-,/',*0%+)W/P)/&"LL1'.)%,/%)/*),-)%,/L0&/=),,)/XOL5,X9&)W15 On citera C.Theod., 14, 5, 1 (370) ; Symmaque, Relationes, 44 (383-4) ; cf. 14 ; Epist., IX, 100 ; C.Theod., 11, 20, 3 (405) ; C.Just., IV, 61, 11. Cf. Gérard 2006-7, p. 57-60.16 I.v. Priene, 111. Cf. Robert 1968, p. 436-439.17 Par exemple CIL VI 7856 = AE 2000, 646 ; CIL XII 2698 ; 2708.18 CIL VI 1152.19 Une question non résolue est celle de l’éventuelle équivalence des deux termes, ou de la distinction à opérer entre des producteurs et des marchands adjudicataires. Voir par exemple pour les salinatores : CIL XI 390, 391 ; AE 2001, 964 ; AE 1994, 1279 (salarius ou salinator ?) ; CIL XII 5360 ; conductor CIL III 1209 = IDR III 443 ; 1363 = IDR III119 ; IDR III 248 ; AE 1957, 273 ; AE 2005, 596 (tous en Dacie).20 Waltzing 1896, II, p. 125-126 ; 227 ; 426.

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entrepreneurs adjudicataires publics soient mentionnés sur cette plaquette et soient les destinataires du don est le fait important à retenir car ce sont par nature et par droit des agents économiques de l’activité publique de l’État, de la province ou de la cité 21. Dès lors leurs mentions épigraphiques sont généralement officielles ; on les rencontre ainsi, exempli gratia, impliqués directement dans des documents légaux 22 comme la loi d’Ephèse, la lex de metallis de Vipasca, la loi coloniale d’Urso, la lex Irnitana et bien d’autres. Ils peuvent être organisés en collège avec ou sans précision de produit 23. Et ceux qui sont explicitement définis sont toujours liés à des produits de première importance comme le blé 24, le sel, les mines 25, le transport 26 ou à des impôts précis comme le Quarantième des Gaules 27 ou les IV publica d’Afrique 28.

b)

Ludnomag(enses) doit être 29 l’adjectif toponymique désignant le lieu où s’exerçait l’activité des mancipes. C’est un unicum non identifié, mais linguistiquement le lien a été fait avec la station Ludna des Itinéraires antiques 30 entre Lyon et Mâcon. On s’accorde aujourd’hui à localiser cette station à St-Georges-de-Reneins, sur la Saône, où une agglomération a été étudiée 31. S’agit-il du même endroit comme le suggère Holder 32 ? Ou bien de deux toponymes apparentés ? Il est très difficile de trancher en l’absence d’autre élément, mais il n’est pas impossible que des mancipes agissant sur la Saône aient eu une activité religieuse à Bourbonne. Au plan linguistique le problème existe également : le nom semble celtique avec l’élément magos- marché 33. Mais ludn ne présente pas de racine celtique identifiée. On connaît le nom de personne Ludnia à Pérouse (XI

2045), mais il pourrait être étrusque. Plus proche et plus probablement celtique la curia Ludn(-) attestée à Vienne-en-Val (AE 1968, 308). On peut songer aussi aux ratiarii Voludnienses (Vo-ludn-) de St Jean de la Porte (Vienne) (XII 2331 = ILN Vienne 520). Pour ce dernier terme Delamarre 34 suggère un rapprochement avec une racine louto- « richesse, butin » mais cela reste une hypothèse fragile, non confirmée par le récent dictionnaire de Matasovic.

c)

Si la formule libens merito indique une dédicace religieuse, quelle est la divinité honorée ? On peut songer à Fortuna en vertu du F[-] de la ligne 2. Mais si le complément indiqué par Zangemeister est correct (FI, FL, FR) cette lecture est impossible. Des Fontes comme on en trouve à Essarois (CIL XIII 5645) ne conviendraient pas non plus, ni les dieux de Bourbonne Borvo et Damona. En fait il n’y a guère de solution à proposer : la lettre F n’est pas celtique et les seuls dieux romains seraient Fons(-tes), Fata et Fortuna. Les épithètes qui pourraient convenir sont topiques ou ethniques et germaniques. Soit donc on renonce à proposer une identification soit on renonce à la lettre complémentaire suggérée en considérant que le fragment de lettre lu dans la cassure peut être le bord d’un O. Dans ce cas Fons(-tes) ou Fortuna conviendraient parfaitement soit au contexte archéologique soit à l’objet offert, en sachant que le culte de Fortuna est particulièrement développé dans la province 35 tant chez les civils que les militaires.

d) Comment lire le nom du dédicant ? Plusieurs lectures ont été proposées : tout d’abord

21 Cf. Festus p. 151 M ; Nicolet 1966, I, p. 330-331 ; O. van Nijf, dans Cottier 2008, p. 279-311 (avec la bibliographie antérieure).22 AE 2008, 1353 ; CIL II 5181 ; RS I 25 ; AE 1966, 333, J. Pour ces questions de réglementations des contrats publics, voir aussi Aubert 2003, passim.23 Cf. CIL IX 690 = AE 1967, 98.24 E.g. CIL II 1197 ; CIL VI 8853.25 E.g. CIL XIII 1811.26 E.g. CIL VI 31370 ; 36899 ; AE 1975, 429.27 CIL VIII 11813 (cf. France 2001, p. 366-391).28 E.g. ILAlg II, 3, 7921.29 OPEL III, 2000, p. 37 propose d’y voir un nom de personne mais c’est très improbable.30 Tab. Peut. et Itin. Ant. Wess. 359,3 avec la lecture Lunna.31 Béal 2014.32/Y512)*/CDZ[F/=51W/\Z[/V/]'01/^ZC[F/LW/\\/*)N),,)/=),,)/-2)%,-$=0,-5%W33 Delamarre 2003, p. 213.34 Delamarre 2007, p. 204 et 225. L’étymologie avancée par Béal 2014, p. 33, n’est pas correcte, fondée sur une approximation LX5%',-_")/),/%5%/&"*/2)&/1)K9.)&/-2)%,-$'&W35 Kajanto 1988, p. 576-583 ; Raepsaet-Charlier 2012, p. 53.

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cum Sul[picio] Severin(o) mari[to (Hirschfeld ; Drioux ; CAG) ce qui est invraisemblable en particulier parce que la dédicante devrait être imaginée sous la lettre F ; son lien avec des mancipes serait peu explicable et la syntaxe de la phrase, peu logique, le sujet étant séparé de son second élément par le complément. Plutôt que Severin(ius) Mari[ni fil.] (Zangemeister) - improbable du point de vue onomastique - ou Severin(us) Mari[ni fil.] (Drioux ; Le Bohec) qui en ferait un pérégrin en 237, il me paraît plus simple de lire Severin(ius) Mari[nus] et de considérer que le dédicant de l’urna est un citoyen romain indigène portant un gentilice latin de formation patronymique et un surnom latin, éventuellement assonant 36. La question qui reste ouverte est celle de la qualité du dédicant : est un manceps ? est-ce le patron des mancipes ? Nous avons vu que les dédicants connus ne se définissent jamais comme patronus du collège concerné. Faut-il dès lors restituer derrière le nom une fonction du type actor ? Ce n’est pas indispensable vu le petit nombre d’occurrences avérées. Il est plus vraisemblable de considérer que Severinius Marinus est un collegiatus qui n’a pas précisé ce fait qui devait être évident aux yeux de ses contemporains.

Le sanctuaire de Bourbonne

Se pose ensuite une question qui est loin d’être technique : comment résoudre l’abréviation d d : les lectures possibles sont d(onum) d(edit), d(e)d(icavit) ou d(ecreto) d(ecurionum). On verra que la même formule se trouve sur la plaquette de Martigny où M. Aberson rejette, avec hésitation, l’intervention des décurions. Ici pourtant, dans un contexte aussi public que celui des mancipes, pourquoi ne pas penser que l’intervention officielle a été requise puisque une autre plaquette de bronze de Bourbonne (CIL XIII 5921) porte la mention l(oco) d(ato) ex d(ecreto) d(ecurionum) qui, elle, est sans équivoque : l’objet édifié, une statue peut-être, l’a été en un lieu attribué par décision du sénat des Lingons. Ce qui nous ramène au contexte de la découverte. Bien

que nous ne disposions d’aucune description précise du lieu exact où elle a été recueillie, il ne fait pas de doute que la plaquette provienne du grand sanctuaire de sources de Bourbonne-les-Bains dont une étude synthétique récente révèle l’importance et l’organisation architecturale. Y. Maligorne 37 ne retient pas notre plaquette parmi les inscriptions religieuses et concentre son analyse sur les dédicaces à Borvo et Damona ; il en déduit que la ou les autres divinités probables dans le lieu de culte, d’autant qu’il y avait deux puisards sacrés, ne sont pas identifiées. Par ailleurs l’auteur insiste sur le caractère monumental remarquable de l’installation qu’il définit comme un « complexe public » de la cité des Lingons 38 dont les thermes pourraient être qualifiés de thermae publicae comme à Périgueux (CIL XIII 939) et sans doute à Néris (CIL XIII 1376), par exemple 39. Le sanctuaire paraît bien correspondre à la définition d’un lieu de culte public exprimant les dévotions officielles de la cité sur son territoire avec intervention des autorités civiques, en relation probable dans ce cas précis avec les civitates voisines étant donné la topographie particulière de Bourbonne à la jonction des Lingons, des Séquanes et des Leuques ; il est dès lors tout à fait possible de concevoir une implication publique dans l’installation de l’urna au même titre que dans celle de l’objet non identifié qui a reçu un emplacement désigné officiellement par la curie de Langres.Par ailleurs, un collège d’adjudicataires publics ne constitue pas un groupe anodin. Il devait avoir un siège à cet endroit pour justifier l’urna, nous y reviendrons. De surcroît, si la restitution est correcte, il s’agit de salines dont l’implication publique est très importante, l’ensemble de la production et du commerce du sel étant sous contrôle public 40. Ce type de collège devait être socialement élevé voire très élevé, lié au milieu des élites dirigeantes, et politiquement important. En témoigne par exemple un chevalier de Dacie, prêtre et magistrat municipal, conductor pascui salinarum et commerciorum (ILS 7147). L’autorisation ou la décision des décurions pour installer l’urna est donc possible, sinon probable.

36 Sur la racine celtique maro- grand (Evans 1967, p. 223-228) : cf. Weisgerber 1969, p. 224.37 Maligorne 2011, p. 214-231, spéc. p. 220 et 231. 38 Cf. Raepsaet-Charlier 2012, p. 39 et 42. 39 Maligorne 2011, p. 223.40 Besnier 1918 ; Will 1962 ; Gérard 2006-7.

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Urna cum sortibus : éléments de comparaison

Il convient maintenant de se pencher sur l’objet offert. Les lectures anciennes proposaient toutes urna cum su[is ornamentis], ce qui serait un hapax épigraphique bien difficile à imaginer concrètement et peu compréhensible à l’usage des mancipes. Pour comprendre le texte il faut se tourner vers d’autres découvertes, récentes et explicites, et lire avec Michel Aberson urna cum su[is sortibus] (si suis est obligatoire ce que nous ne pouvons malheureusement pas contrôler).

a)

En effet une inscription 41 de Martigny (Forum Claudii Vallensium) en province des Alpes Pennines, découverte en 2000 et se présentant exactement de la même manière, une tabula ansata de bronze, mesurant 8,7 x 6,7 cm, porte le texte suivant :G(-) V(-) / urnam / cum sor/tibus / Greculio / d(-) d(-).

Pour la résolution de la première ligne M. Aberson hésite. Il envisage de lire G(enio) v(icanorum), ce qui ne peut désigner la capitale de la cité-province, puisqu’un vicus est un quartier de ville (ou une agglomération du territoire) selon la définition de Festus, s.v. Il faudrait imaginer que le génie serait celui d’un quartier 42 de la ville mais le fait que le vicus ne serait pas dénommé serait exceptionnel. Il vaut mieux choisir la seconde

solution, soit G(enio) V(allensium), le génie étant celui de la civitas unique des Vallenses créée par Claude et jouissant du droit latin.Pour d d M. Aberson propose soit d(ecreto) d(ecurionum) soit d(onum) d(edit), et choisit en fin de compte la seconde solution. Le caractère probablement public de la dédicace pourrait toutefois justifier la première. Le dédicant est vraisemblablement un pérégrin plutôt qu’un esclave ou qu’un affranchi qui aurait négligé son gentilice, et il peut s’agir sans difficulté d’un citoyen Vallensis dans une situation de droit latin. Est-ce la solution d’un voeu, rien ne l’indique, mais ce n’est pas exclu.

Dans son commentaire M. Aberson revient sur la plaquette de Bourbonne dont il corrige la lecture en urna cum suis sortibus. Il renseigne également un autre monument, de pierre cette fois, également découvert récemment, à Bioggio (canton du Tessin) sur le territoire de Comum, qui offre un parallèle intéressant.

41 AE 2001, 1307 (Aberson 2001).42 Ce qui est attesté mais toujours avec la précision du nom du quartier (voir le tableau II).

Plaquette de bronze découverte à Martigny. Cliché Archéologie cantonale du Valais, Martigny.

Base de marbre portant la dédicace découverte à Bioggio. © Archivio UBC - servizio archeologia.

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b) Mis au jour en 1996 et brièvement mentionnés en 1998, l’inscription 43 et le sanctuaire 44 ont été publiés en détail en 2005. L’intérêt particulier de la découverte réside dans l’emplacement original de l’urna à proximité immédiate du seuil du temple ce qui constitue un indice clair de sa fonction religieuse en tant que mobilier liturgique. D’autre part l’originalité de la pièce est qu’il s’agit d’une base de marbre avec socle et couronnement, en partie abîmée mais suffisamment complète pour que l’on puisse juger de la relative monumentalité de l’offrande, et qui n’est manifestement pas une ara 45. Plutôt qu’une statue 46 (AE) ou qu’une « piccola vasca in metallo dove incenso e vino venivano offerti alle divinità tramite un fuoco sacrificale 47 », il faut évidemment voir dans la

mortaise sur le sommet les traces de fixation de l’urna, comme le suggère Chr. Reusser 48. A la différence des dédicaces de Bourbonne et de Martigny où le bronze devait être fixé à un probable socle de bois, le socle de Bioggio était donc en marbre et on pourra s’en inspirer pour reconstituer visuellement le type de monument auquel nous avons affaire.

Iovi O(ptimo) M(aximo) / Nenn[ico ?] / ex voto / urnam [cum] / sor[ti]b[us] / Crescen[s ?] / [f]aciun[dum curavit ?

La lecture combine les interprétations prudentes de Chr. Reusser et l’hypothèse de M. Morinini pour la dernière ligne qui reste très difficile à lire et qui pourrait tout aussi bien avoir conservé des éléments du nom du dédicant. Ici la dédicace religieuse est claire, le processus votif également, mais le statut du dédicant demeure problématique : il peut s’agir d’un pérégrin, doté éventuellement d’un patronyme, mais aussi d’un citoyen dont le gentilice patronymique serait par exemple Crescentius.

c)

Une quatrième attestation d’urna cum sortibus a été identifiée à Eisenberg dans le Palatinat (cité des Vangions ou cité ST non identifiée) sous la forme d’une tabula ansata de bronze brisée dans sa partie gauche, mesurant dans son état actuel 12,5 x 16,6 cm, mise au jour anciennement dans l’agglomération romaine et mentionnée à plusieurs reprises 49 mais publiée en détail récemment 50. La lecture correcte a été proposée par Chr. Schmidt Heidenreich dans l’Année épigraphique.

43 AE 2005, 651 (Reusser 2005, p. 320-324 ; photos et dessin p. 343).44 Morinini 2005, p. 283-316, spéc. p. 284-291. 45/`5..)/17-2)%,-$)/T5*-%-%-/^ZZaF/LW/^EDW/46 Chr. Schmidt Heidenreich, AE 2005, p. 215. 47 Morinini 2005, p. 289 n. 24. 48 Reusser 2005, p. 325.49 Voir par exemple H. Bernhard, Eisenberg, dans Cüppers 1990, p. 360 ; Spickermann 2003, p. 544.50 AE 2007, 1044 (Kreckel, Bernhard 2007).

Partie supérieure de la base de marbre de Bioggio, mortaise. © Archivio UBC - servizio archeologia.

Plaquette de bronze découverte à Eisenberg/Pfalz. Cliché Kreckel/Bernhardt.

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[In honorem d(omus)] d(ivinae) Marti Lou/[cetio et] Victoriae Neme/[tonae] M. A(urelius) Senillus Seve/[rus b(ene)f(iciarius) l]egati urnam cum / [sortib]us et phiala(m) ex / [vo]to posuit l(aetus) l(ibens) m(erito) / [Gra]to et Seleuco co(n)s(ulibus) / X kal(endas) Maias.

La date est donc le 22 avril 221. Les restitutions ne posent pas de problème sauf peut-être le grade exact du soldat en poste dans l’officium du légat légionnaire sans doute en garnison à Mayence ou détaché dans une statio routière. Plutôt qu’un bénéficiaire il pourrait s’agir e.g. d’un librarius ou d’un corniculaire. Les divinités honorées sont bien identifiées, le couple Mars et Nemetona étant honoré dans la région à Altrip (CIL XIII 6131), peut-être aussi à Groß-Gerau (AE 1991, 1272) où Mars est Loucetius, épithète connue en pays trévire (civitas et territoire ancien). Le don votif comprend ici en outre une phiale ou coupe servant au culte 51 en particulier pour des libations, et que l’on trouve mentionnée comme offrande en métal précieux à plusieurs reprises, par exemple à Virunum (CIL III 4806), à Aquilée (CIL V 8242) et à Nîmes (CIL XII 3058). Le dédicant est un citoyen romain ayant peut-être reçu la citoyenneté en 212 ce qui expliquerait l’abréviation forte du gentilice trop connu.

d)Une dernière mention de sortibus, mot isolé sur un fragment de Berkum en Germanie inférieure (CIL XIII 7990), constitue peut-être une attestation supplémentaire qui irait dans le sens du socle de pierre de Bioggio mais dans un état de conservation aussi difficile, l’hypothèse doit rester théorique 52.

La lecture que nous proposerons donc, selon la suggestion de M. Aberson et au vu des comparaisons de Bioggio, Martigny et Eisenberg, est la suivante :

Mancipibus S[alinarum ?] / Ludnomag(enses) F[ortunae ?] / urnam cum sui[s sortibus] / Severin(ius) Mari[nus ---] / Decembris lib[ens laetus] / merito d d Perpet(uo) et [Cornel(iano) co(n)s(ulibus)].

La résolution de d(onum) d(edit) ou de d(ecreto) d(ecurionum) ne peut être tranchée.

Des sortes pour quel usage ?

L’urna cum sortibus, l’urne destinée à organiser des tirages au sort 53, et contenant soit des boules soit des baguettes, était utilisée dans des contextes très variés. Sur le plan strictement religieux, on connaît des usages divinatoires 54 qui sont supposés à Bioggio où le sanctuaire est qualifié, à titre d’hypothèse, d’Orakelheiligtum 55. La relation avec le culte de Fortuna est évidente. J. Champeaux, dans son étude des oracles d’époque romaine 56, a remarqué la concentration de sortes, c’est-à-dire dans ce cas de baguettes oraculaires souvent inscrites, en Italie, même si la dénomination épigraphique d’urna cum sortibus n’y est actuellement pas attestée 57. A Eisenberg où le lieu de découverte semble sans signification (un dépôt d’objets de métal qui n’est pas défini comme un trésor), on s’interroge sur l’emploi qui était affecté à l’urna et à la phiale, un emploi de nature religieuse assurément, mais Mars et Nemetona ne sont pas des dieux oraculaires ; d’autres tirages au sort, de tournante chez les prêtres par exemple, pourraient être envisagés, à Bioggio également d’ailleurs, en s’appuyant notamment sur une longue tradition dans le monde grec. On peut même songer à une pratique profane spécifique dans une statio de bénéficiaires.

Les usages profanes et civiques du tirage au sort à l’aide d’une urna versatilis 58 sont en effet extrêmement nombreux 59 dans le monde

51 Siebert 1999, p. 231 n° 36.52 Il n’est pas exclu que la lettre N précède le mot, ce qui s’accorderait mal avec notre interprétation.53/>/P5&"*%)/@/J/(5-*/Y-1+)*&/CDGDF/LW/EG/V/\ZZb\Z\F/_"-/L*5="*)/"%)/1-&,)/0&&)c/=5.L19,)/2)&/0,,)&,0,-5%&/1-,,'*0-*)&F/L*'=-&0%,/1)&/2-:'*)%,)&/45%=,-5%&/=-(-_")&/),/*)1-+-)"&)&W54 Cf. e.g. Cicéron, de divinatione, II, 69.55 Reusser 2005, p. 326-329.56 Champeaux 1990.57 La recherche dans les textes littéraires ne permet pas de choisir entre les types d’usage car on rencontre les mots urna et sortes associés dans des contextes aussi bien civiques que divinatoires.58 Terme utilisé dans la Tabula Hebana AE 1949, 215, l. 22 = RS I 37-38, l. 23, p. 520 ; le sens exact est urne pivotante et l’adjectif peut désigner des meules, par exemple, ou la voûte céleste.

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romain. Citons, sans exhaustivité, le tirage au sort de l’ordre de vote des tribus 60, le tirage au sort des provinces au sénat 61, le tirage au sort des lots centuriés dans les fondations coloniales 62, le tirage au sort dans les tribunaux 63 notamment pour la constitution des jurys 64, le tirage au sort des départs dans les jeux de cirque et autres spectacles agonistiques 65. De manière générale, pour se répartir les différentes fonctions et attributions, les membres de chaque collège de magistrats, égaux entre eux par principe, pouvaient procéder à un tirage au sort (sortiri). On peut supposer que la vie des collèges, qui était tellement proche des usages civiques, devait connaître également des tirages au sort. Dans ce cas, il faut envisager aussi l’endroit où l’objet était en usage et conservé : il est très peu probable que ce fut dans les salles des thermes ou à proximité des puisards sacrés ou des autels. L’attestation de l’urna a donc une autre conséquence archéologique : le sanctuaire de Bourbonne devait comporter une schola des mancipes, qui ne devait pas nécessairement être très imposante, quand on voit la diversité d’ampleur et d’aménagements des bâtiments et salles 66 que l’on peut supposer être des scholae. Le complexe architectural est mal connu, incomplètement, et a souffert de destructions modernes. Toutefois cet élément devrait être pris en compte dans l’interprétation des plans 67.

L’objet archéologique : comment se présentait l’offrande ?

Une simple urne de céramique ou de bronze, ou une boîte, qui contiendrait des tiges inscrites, des tablettes de bois, ou des billes, est une définition possible de l’objet au seul sens d’urna cum sortibus.

59 Un bilan dans Lécrivain 1918 ; cf. Aberson 2001, p. 621.60 Voir Béranger 1957, qui, cependant, ne comprend pas exactement le fonctionnement de l’urna. 61 Tite-Live, XXXII, 28. 62 Cf. Guillaumin 1998, qui analyse l’expression des gromaticiens sortem tollere. Il s’agit là sans doute de tablettes sur lesquelles sont inscrits les numéros des parcelles. 63 Cf. Virgile, Enéide, VI, 430. 64 Edit de Cyrène, FIRA I, 68 ; CIL I2 596, par exemple.65 Cf. Tertullien, de spectaculis, 16.66 Cf. Bollmann 1998. 67 CAG, p. 134-135 ; Maligorne 2011.

Fig. 6 : Dessin de la peinture de la catacombe de Via Latina à Rome, cubiculum M, paroi gauche, dans la lunette de l’arcosolium, avant sa détérioration. D’après Ferrua 1960, pl. LXXIII

Fig. 7 : Détail de la peinture endommagée, le soldat (?) de droite agite l’urne dont sortent des boules ou billes. D’après Ferrua 1960, pl. LXXII.

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Ainsi Chr. Reusser 68 cite dans son commentaire de la base de Bioggio le relief d’Ostie qui montre, posé sur un socle, une sorte de coffret duquel on tire à la main les sortes. Cet aménagement nécessiterait-il une dédicace spéciale, éventuellement si on considère qu’un socle de marbre et une urna de bronze sont coûteux. Cet ensemble ne pourrait toutefois correspondre qu’à un usage divinatoire, possible à Bioggio mais très difficilement concevable à l’usage de mancipes. En outre cet équipement ne serait pas adapté à des fonctions de tirage au sort politique, administratif, sportif ou judiciaire, où les descriptions conservées impliquent un « monument » plus sophistiqué. Cette « machine » a été étudiée par Claude Nicolet 69 (à propos d’une mosaïque de Carthage sur laquelle d’ailleurs il pense que cet objet n’est pas reproduit) qui fait l’inventaire des usages et des images. Il a relevé dans la Tabula

Hebana, dans le cadre de la lex Valeria Cornelia de 5 avec les fameuses centuries destinatrices, l’existence d’une pratique de tirage au sort avec un système précis : « que le président fasse jeter en vrac dans une urna versatilis 33 boules exactement pareilles portant chacune le nom d’une tribu, annonce le tirage au sort, et fasse désigner ainsi les sénateurs et les chevaliers ». Plusieurs représentations 70, notamment chrétiennes, montrent une « crédence d’où s’élèvent deux montants avec une traverse, sur l’axe de laquelle tourne un vase, de l’étroite bouche duquel sortent des petits disques » (ou des boules). Les deux exemples où l’image est la plus précise sont une peinture, aujourd’hui endommagée, de la catacombe de la Via Latina71

dont le sens n’est pas clair (représentation de métier ? de fonction ? qui comprendrait un tirage au sort) (fig. 6 et 7) et un ivoire du trésor de la cathédrale de Narbonne 72 illustrant la scène du partage des vêtements du Christ (fig. 8). Ce type d’objet correspond bien à la description de Tertullien (semper oculi in urna eius cum sortibus volutantur), et surtout à celle du Livre des cérémonies de Constantin Porphyrogénète 73 : « aussitôt il prend les boules de leur coupe, les jette dans l’urne et tourne trois fois cette dernière » pour faire jaillir une boule. La technique se comprend beaucoup mieux s’il s’agit d’une urne fixée sur un axe que s’il s’agit d’une urne tenue à la main ou posée. L’urne sur son support, facilement transportable dans ce cas, était conservée au garde-meubles du palais. Même si les textes des gromaticiens ne sont pas précis à ce propos, c’est avec un système de ce genre qu’il faut imaginer le fonctionnement des tirages au sort des lots de terre, et aussi ceux des tribunaux comme C. Nicolet l’a bien montré au départ notamment d’un texte d’Asconius 74 et d’un des édits de Cyrène qui explique que les jurys seront composés par tirage au sort. La formule 75 est : « après que les boules auront été pesées (pour être sûr qu’elles sont égales) et

68/!)"&&)*/^ZZaF/LW/\\Z/),/$+W/DW69 Nicolet 1991, p. 486-500. 70/;"*/2)&/.5%%0-)&F/2)&/=5%,5*%-0,)&F/2)&/4*)&_")&F/2)&/.-%-0,"*)&/2)/.0%"&=*-,&F/27-%,)*L*',0,-5%/+'%'*01).)%,/2-d=-1)F/=4W/Nicolet 1991. 71 Ferrua 1960, p. 74-75 et pl. LXXII-LXXIII. 72 Goldschmidt 1914, I, n° 31. 73 De cerimoniis, I, 69 (voir Nicolet 1991, p. 492-3 dont j’emprunte une partie de la traduction).74 Asconius, Orationum quinque Ciceronis enarratio, p. 39C à propos du procès de Milon.75 Traduction De Visscher 1940, p. 19.

Fig. 8 : Plaque d’évangéliaire en ivoire conservée dans le trésor de la cathédrale de Narbonne. Le soldat de gauche recueille la bille dans une sorte de gobelet. Cliché édition Gaud pour le compte de la Ville de Narbonne. Détail.

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les noms inscrits, on tirera d’une urne les noms ... ». Il n’est pas exclu qu’une urne du même type ait été utilisée pour désigner par le sort ceux qui vont distribuer des parfums à brûler au peuple dans le cadre des Jeux séculaires (VI 32327 : tesseris inspectis et in urnam missis sors habita est) 76.

Nous proposerons donc à titre de simple visualisation de l’hypothèse deux croquis : le premier correspond à un socle de bois (la « crédence ») sur lequel est fixée la plaquette de bronze dédicatoire, surmonté de deux montants supportant une tige horizontale autour de laquelle pivote l’urna versatilis. C’est assurément à une « machine » de ce genre que renvoient les descriptions d’usage profane. Le second dessin conviendrait plutôt à un monument de pierre comme celui de Bioggio, mais le principe de fonctionnement serait le même. Là, toutefois l’hypothèse n’est pas

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Croquis d’interprétation pour l’urna de Bourbonne, Martigny et sans doute Eisenberg. Dessin G.R.

Croquis d’interprétation pour la base et l’urna de Bioggio. Dessin G.R.

76 Pighi 1965, p. 145-147 (1('.%&$"$"%+('$&"2-+*0"-3'-2"'.-43(+$*'1".$&"2-(&(+$-&) ; commentaire p. 286.

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complètement assurée vu le modèle du relief d’Ostie qui entre en concurrence dans le cadre d’un éventuel usage divinatoire.

Conclusion

Au terme de cet examen on peut suggérer que l’urna de Bourbonne était une de ces « machines » et non un simple vase posé dont on aurait tiré à la main les sortes, ce qui justifie mieux la plaquette de bronze, fixée sans doute sur le cadre ou sur le pied, en bois, et surtout sa dédicace peut-être officielle. Si notre comparaison avec les fonctionnement des tirages au sort publics, comices, tribunaux, Sénat, sortitio des colons et des lots, répartition des tâches en vertu de la par potestas des magistrats d’un collège, on peut rapprocher encore davantage le fonctionnement des collegia professionnels et celui des personnels sacerdotaux du cadre institutionnel des magistratures. A cet égard la mise en parallèle de l’urna de Martigny et de celle de Bourbonne serait particulièrement significative si l’interprétation des abréviations valaisannes sont correctes : la civitas des Vallenses usait de la même machine pour son administration que le collège des mancipes de Bourbonne, ce qui veut dire que le fonctionnement du collège professionnel était calqué sur celui d’une cité. C’est une conclusion intéressante même si elle doit rester partiellement hypothétique. Elle s’inscrit pleinement dans les processus de reconnaissance officielle et d’intégration sociale des collèges dont la

démarche d’imitation du monde des notables et des institutions civiques n’étaient pas dérisoires mais « s’appuyaient sur des réalités concrètes et juridiques bien tangibles 77 ». Enfin cette lecture de l’inscription et la reconstitution proposée de l’objet offert impliqueraient la présence d’une schola de collège dans l’enceinte du sanctuaire monumental et public de Bourbonne. En outre sans doute les desservants d’un temple, d’une chapelle ou d’un sanctuaire pouvaient-ils avoir recours également à des pratiques similaires et, dans cette interprétation, ne faudrait-il pas voir dans l’urna de Bioggio un instrument divinatoire mais une machine à désigner le titulaire de tel ou tel sacerdoce ou encore l’auteur de tel ou tel rite, si l’on en croit, par exemple, le protocole des jeux séculaires ou les procédés athéniens bien connus pour la nomination des prêtres.Au total donc, pour replacer l’objet dans le cadre des pratiques religieuses des collegia, nous trouvons ici avec la plaquette de Bourbonne et celle de Martigny un indice supplémentaire du croisement permanent entre les pratiques publiques et les pratiques collégiales, voire même un indice de l’implication publique dans la vie des collèges si la résolution d(ecreto) d(ecurionum) pouvait être validée.

PS. Je remercie Michel Aberson, François Wiblé, Ambroise Lassalle, Dominique Moulis, Moira Pè Morinini et Wolfgang Spickermann qui m’ont communiqué des documents permettant d’illustrer cet article.

77 Tran 2012, p. 80.

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