La Traite des esclaves vers les Mascareignes au XVIIIe siècle

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O R S T O M - - -

É D I T I O N S DE L ' O F F I C E

DE LA R E C H E R C H E S C I E N T I F I Q U E

ET T E C H N I Q U E O U T R E - M E R

R E N S E I G N E M E N T S , C O N D I T I O N S DE V E N T E

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LA TRAITE DES ESCLAVES VERS LES MASCAREIGNES

AU XVIIIe SIÈCLE

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MÉMOIRES ORSTOM N° 72

J.-M. F I L L I O T

LA TRAITE DES ESCLAVES VERS LES MASCAREIGNES

AU XVIIIe SIÈCLE

O R S T O M PARIS 1974

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C O. R . S. T . O. M. , 1974.

La loi du 11 mars 1957 n 'autorisant , aux termes des alinéas 2 e t 3 de l'article 14, d 'une part , que les « copies ou reproductions s t r ic tement réservées à l 'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d 'autre part , que les analyses e t les courtes citations dans un but d'exemple e t d'i l lustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l 'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa Ier de l'article 40).

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

I S B N 2 - 7 0 9 - 9 0 3 3 8 - 5

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SOMMAIRE

ABRÉVIATIONS 8

PRÉFACE 9

PRÉSENTATION I I

PRÉLIMINAIRES 17

PREMIÈRE PARTIE : L E S C A D R E S D E L A T R A I T E .

CHAPITRE PREMIER. — L E CADRE POLITIQUE 37

CHAPITRE I I . — L E CADRE ÉCONOMIQUE 4 5

CHAPITRE I I I . — L E CADRE MARITIME 71

DEUXIÈME PARTIE : L E S S O U R C E S D E L A T R A I T E .

CHAPITRE PREMIER. — MADAGASCAR 113

CHAPITRE I I . — LA CÔTE ORIENTALE D'AFRIQUE 163

CHAPITRE I I I . — L ' I N D E ET LA CÔTE OCCIDENTALE D'AFRIQUE 175

TROISIÈME PARTIE : L A T R A I T E A U F I L D E S J O U R S .

CHAPITRE PREMIER. — LES COMPORTEMENTS SUR LES LIEUX DE TRAITE 191

CHAPITRE I I . — LA CARGAISON ET LES PRIX PRATIQUÉS 2 0 5

CHAPITRE I I I . — L E VOYAGE VERS LES ÎLES 2 2 1

CONCLUSION 231

BIBLIOGRAPHIE 233

INDEX 2 6 3

TABLE DES ILLUSTRATIONS 2 6 7

TABLE DES MATIÈRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 6 9

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A B R É V I A T I O N S

Add. Mss. : Addit ional Manuscr ip ts (après Brist ish Museum). A. D. : Archives dépar tementa les . A. N. : Archives nat ionales (Paris). B. m. : Bibl iothèque municipale (avant Quimper ou La Rochelle). B. Museum : Bri t ish Museum.

B. N. : Bibl iothèque nat ionale (Paris). D. F. C. : Dépôt des fortifications des colonies (après A. N.). N. A. F. : Nouvelles acquisit ions françaises (après B. N.). O. R. S. T. O. M. : Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer. P. D. : Papiers DECAEN (après A. D. Caen). P. R. O. : Publ ic Record Office.

s. i. : Source impr imée (dans les notes infrapaginales, après t ou t e source imprimée). s. d. : sans date.

Mad. : série moderne Madagascar (après A. N.).

Pou r les revues et collections :

B. A. M. : Bullet in de l 'Académie malgache. B. M. : Bullet in de Madagascar. Corr. : Correspondance du Conseil supérieur de Bourbon et de la Compagnie des Indes (A. LOUGNON,

éditeur). Corr. Bourbon-

ile de France : Correspondance des admin i s t r a t eu r s de Bourbon et de ceux de l'île de France (A. LOUGNON, éditeur).

Corr. Bourbon-

Indes : Correspondance des admin i s t r a t eu r s de Bourbon et de ceux des Indes. Gr. Coll. : Collection des ouvrages anciens concernant Madagascar (A. et G. GRANDIDIER, éditeurs). M. A. M. : Mémoires de l 'Académie malgache. R. M. : Revue de Madagascar. R. T. : Recueil t r imestr iel de documents et t r a v a u x inédits pour servir à l 'histoire des Mascareignes

(A. LOUGNON, éditeur).

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P R É F A C E

Quand j'eus, il y a quelques années, accepté d'écrire, pour Fayard, une « Histoire de la Traite des noirs », deux constatations me saisirent dès le début de mon défrichement :

io On s'était à peu près borné, jusqu'ici, dans les synthèses sur ce sujet, à décrire la traite européenne du xvie au xixe siècle. Or l'existence de la traite des noirs est beaucoup plus longue, elle s'étend des Pharaons à nos jours, y compris une importante traite musulmane, une traite interafricaine, une traite interaméricaine, et d'autres moins connues.

20 Quand on parle de la traite européenne, on ne pense ordinairement qu'à la traite atlan- tique, entre les deux rives de cet océan. Ce fut, sans aucun doute et de beaucoup, le trafic le plus considérable et le plus riche de conséquences. Il n'en a pas, pour autant, été le seul. L'océan Indien surtout a vu des traites importantes : traite arabe dès le viiie siècle, traite zanzibarite au xixe, et, entre les deux, la traite européenne à destination de l'Amérique, mais principalement des Mascareignes.

C'était là un trou quasi absolu dans les travaux historiques. De bons ouvrages sur les Mas- careignes avaient dépeint l'esclavage dans les îles et donné, par des évaluations démographiques, une idée de la croissance des populations esclaves à la Réunion et à Maurice. Mais la traite elle- même, ses origines, ses modalités, ses chiffres, n'avaient fait l'objet d'aucune recherche d'ensemble par un historien qualifié.

J'eus la double chance, à ce moment, de voir accueillir favorablement par la Direction de l ' O . R . S . T . O . M . l a c r é a t i o n d ' u n p o s t e d ' h i s t o r i e n , e t d e r e n c o n t r e r l a c a n d i d a t u r e d e M . F I L L I O T ,

qui venait de passer son diplôme d'études supérieures avec un excellent mémoire. Je lui confiai le sujet. Après deux ans de travail dans les Archives de France, d'Angleterre, de la Réunion, de Maurice, de Madagascar et du Cap, avec une bonne connaissance des lieux et des hommes, il soutint brillamment \en Sorbonne, en novembre 1970, la thèse de 3e cycle que le présent volume, dû au Service de Publication de l'O.R.S.T.O. M., livre aujourd'hui aux spécialistes et au public.

Les sources et la bibliographie sont indiquées avec précision et révèlent leur abondance (1). Les précédents historiques et les cadres politiques de la traite sont ensuite parfaitement exposés. Puis vient la partie statistique, appuyée sur les sources ; elle a permis de dégager les chiffres d'im- portation aux différentes époques et de dresser des courbes. Suivent de bons exposés des cadres économiques et maritimes du trafic.

Les régions d'origine des esclaves sont ensuite examinées, avec leurs changements, aux dif- férentes époques : Madagascar et la côte orientale d'Afrique y tiennent naturellement les premières places. Mais on trouve également des provenances de l'Inde, et même de la côte africaine atlantique.

(1) Dans le t ex t e ronéoté qui servi t pour la sou tenance (devant MM. les PRS DESCHAMPS, MAUNY e t MOLLAT), les sources e t la bibl iographie f o r m e n t un p remier t o m e appelé Les moyens de la recherche ; la thèse elle- même est dans u n second tome appelé Les résultats de la recherche.

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Dans une dernière partie, « la traite au fil des jours », on trouve une remarquable étude des marchandises de traite, plus explicite que les listes ordinairement données. Les prix et leurs variations sont indiqués par des graphiques. Les traits essentiels des voyages sont enfin présentés, avec des essais de calcul de la mortalité.

Ce travail minutieux, où les synthèses excellentes s'appuient sur des recherches étendues, où tous les problèmes sont abordés avec bonheur, comble du premier coup et de la manière la plus solide une lacune notable dans l'Histoire de la Traite. Il fait le plus grand honneur à la conscience et aux qualités du jeune historien. M. FILLIOT a entrepris de poursuivre et d'élargir son étude au xixe siècle ; nul doute qu'il ne parvienne à faire la lumière sur cette période mal connue qui fut celle de la traite clandestine et qui a donné lieu alors, surtout de la part des Anglais, à des accusations dont le bien-fondé reste à démontrer. C'est une nouvelle énigme que M. FILLIOT entreprend de résoudre, avec une connaissance déjà très vaste des problèmes de l'océan Indien. Il aura été, dans cette partie du monde, un parfait et enthousiaste explorateur du temps.

Hubert DESCHAMPS.

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P R É S E N T A T I O N

I l e s t p e u d ' i m a g i n a t i o n s q u i n e s a c h e n t r ê v e r d e s T r o p i q u e s : les c l i c h é s s o n t si c o n n u s !

P o u r le v o y a g e u r q u i a p r i s l ' a v i o n à P a r i s l a ve i l l e a u so i r , l a R é u n i o n d ' a b o r d , e t q u e l q u e s m i n u t e s

p l u s t a r d l ' î le M a u r i c e se d é c o u p e n t d a n s l ' a z u r d e l ' a p r è s - m i d i .

L e s is les d e s m e r s d u S u d v i e n n e n t à s a r e n c o n t r e d a n s t o u t e l e u r c o u l e u r t r o p i c a l e , p r é c é -

d é e s d ' u n e r e n o m m é e c r é é e p a r t r o i s s i èc les d e l i t t é r a t e u r s q u i les c é l è b r e n t à l ' e n v i . D e LECONTE

d e LISLE à L o y s MASSON, c o m b i e n c h a n t è r e n t l a v i s i o n d e ces é d e n s !

L a i s s o n s l à l ' e m p h a s e e t les s o u v e n i r s b a u d e l a i r i e n s ; ce t r a v a i l v a a u c o n t r a i r e d é c r i r e , à

u n m o m e n t d é t e r m i n é , d a n s u n c a d r e p r é c i s , « l ' a c h a t d e s n è g r e s q u e f o n t les E u r o p é e n s s u r les

c ô t e s d ' A f r i q u e p o u r e m p l o y e r ces m a l h e u r e u x d a n s l e u r s c o l o n i e s e n q u a l i t é d ' e s c l a v e s (1) ».

C e t é p i s o d e d e l ' h i s t o i r e d u p e u p l e m e n t d e d e u x î les e s t a u s s i u n e d é p o r t a t i o n a t r o c e d e

t r a v a i l l e u r s p o u r les c u l t u r e s t r o p i c a l e s . « J e n e sa i s p a s si le c a f é e t le s u c r e s o n t n é c e s s a i r e s a u

b o n h e u r d e l ' E u r o p e , m a i s j e s a i s b i e n q u e ces d e u x v é g é t a u x o n t f a i t le m a l h e u r d e d e u x p a r t i e s

d u m o n d e . . . (2) » : l a t r a i t e d e s e s c l a v e s e s t i n s é p a r a b l e d u b e s o i n d e s î les d ' a v o i r d e l a m a i n - d ' œ u v r e .

C e t t e a f f i r m a t i o n f a i t a p p e l à d e s n o t i o n s b i e n dé f in i e s , n o n s e u l e m e n t d e c a d r e n a t u r e l e t

d e c l i m a t , m a i s a u s s i d ' i m p é r i a l i s m e m a r i t i m e ; il s ' a g i t d u t e m p s d u m e r c a n t i l i s m e e t d e s C o m p a -

g n i e s d e C o m m e r c e .

L E D É C O R

A une latitude voisine de celle de Rio de Janeiro, mais sur le méridien d'entrée du golfe Per- sique, à 900 km environ de la côte est de Madagascar et à 200 km l'une de l'autre, la Réunion et Maurice forment avec leurs satellites, l'île Rodrigues (3) et les Cargados Garajos (appelées aussi îles Saint-Brandon), l'archipel des Mascareignes.

Au-delà, très au nord, quelques récifs éparpillés : Tromelin, Agalega, les Seychelles et les Chagos saupoudrent l'océan Indien.

(1) DIDEROT et d'ALEMBERT, Encyclopédie, t. XXXIII , p. 882, article « traite des nègres » (s. i.). (2) BERNARDIN de SAINT-PIERRE, Voyage à l'île de France, post-scriptum à lettre du 25 avril 1769 (s. i.). (3) Rodrigues ou Rodrigue, l'orthographe au XVIIe et au XVIIIe siècles n'est pas fixée. Aujourd'hui, après la

colonisation 'anglaise, le nom s'écrit « Rodrigues ». Voir DUPON, Recueil de documents pour servir à l'his- toire deRodrigues, p. 11-16.

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Océan Indien

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Maurice et la Réunion occupent bien peu de place à la surface du globe, l'une a i 852 kms de superficie, l 'autre 2512... Un département métropolitain moyen pourrait les contenir toutes deux.

« Iles sœurs » par leur proximité, par leur origine volcanique, elles s'opposent cependant par le relief.

Maurice affecte la forme d'un plateau qui s'élève jusqu'à 600 m seulement, encadré par quelques pics basaltiques qui pointent vers le ciel : le Pieter Both (821 m), le Pouce (800 m) et la montagne du Rempart (770 m). Cette surface s'incline doucement vers l'ouest et le nord. A l'est, parmi la chaîne du Grand Port, la montagne du Lion se profile au-dessus de Mahébourg ; au sud- ouest ce sont les gorges et la chaîne de la rivière Noire d'où s'élève le Piton de la rivière Noire, le plus haut point de l'île (827 m).

Ouverte sur la mer, pourvue de deux ports naturels, Port-Louis et Mahébourg, riche en 2criques, protégée par des îlots et des récifs en arrière desquels s'allongent des lagunes d'eau plu calme, Maurice était prédestinée à servir de refuge aux navires.

Plus farouche est la Réunion. Elle apparaît comme une réplique du Cantal. Ce « bouton de roches éruptives » comprend un volcan toujours actif, le Piton de la Fournaise (2 631 m) ; du point culminant, le Piton des Neiges (3 060 m), se creusent trois énormes cirques, aux parois quasi verticales et grossièrement circulaires : ceux de Cilaos, de Salazie et de Mafate. Entre les deux Pitons, un seuil, posté à i 600 m, s'abaisse brutalement vers le nord-est dans un vaste hémi- cycle, la Plaine des Palmistes ; tandis qu'au sud-ouest, il se raccorde au plateau incliné de la Plaine des Cafres. Les coulées de basalte refroidies, fissurées, crevassées, découpées, donnent naissance tout à la fois, à de larges planèzes monotones, à des cirques grandioses, à des gorges « effroyables ».

La zone basse périphérique tombe à pic dans l'Océan, elle ne s'adoucit que sur les quelques kilomètres de la côte sud-ouest ; aucune échancrure ne poinçonne le rivage, aucune avancée notable ne protège le port.

L'alizé du Sud-Est ventile les îles toute l'année, son intensité culmine à la saison hivernale, en juillet-août.

Un Européen doit s'accoutumer à l'inversion des saisons ; la saison des pluies, chaude, moite, correspond à l'été ; elle dure de novembre à avril. La saison fraîche se déroule de mai à octobre, elle est un délicieux printemps.

Le relief apporte des correctifs et des variétés innombrables. Infiniment plus qu'à Maurice, les contrastes réunionnais sont accentués par les effets de l'altitude.

A l'est des îles, la zone « au vent », chaude, humide et verdoyante, a l'exubérance tropicale classique. A l'ouest, la zone « sous le vent », plus sèche, évoque le parc ou même à la Réunion la savane ; l'hygrométrie relativement faible en fait une région plus saine, plus facilement défri- chable.

Une troisième région s'individualise à la Réunion, celles des « Hauts », hautes plaines et cirques au climat tropical de montagne, c'est-à-dire presque tempéré.

Climat heureux donc, qui explique la diversité de la végétation et la réussite des cultures tropicales ; cependant, pendant la saison chaude, les cyclones sont à craindre. Ces violentes com- motions naissent en général entre les Chagos et Saint-Brandon ; elles peuvent devenir nuisibles dès qu'elles sont à moins de 700 km des côtes, leur passage au grand large amène alors en deux ou trois jours de fortes pluies ; le danger ne devient réel que lorsque leur centre passe au-dessus ou à proximité des îles. La terreur inspirée par les cyclones existe toujours : par les postes d'obser-

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Ile de France : île Maurice.

vation d'Agalega, de Saint-Brandon et de Tromelin, on en détecte en moyenne entre novembre et mars cinq ou six dans cette partie sud-ouest de l'océan Indien (1).

U N E O C C U P A T I O N T A R D I V E

Il est vraisemblable que l'on ne saura jamais les circonstances de la découverte des deux îles. S'il n'existe pas de preuves d'une découverte par les navigateurs malais ou indiens, il semble

(i) Pour cet te présentat ion, voir : — Publ icat ions du Mauri t ius Government Touris t Office.

-— DEFOS DU RAU, L'île de la Réunion, p. 11-127.

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Ile Bourbon : île de L a Réunion.

probable que les Arabes les connaissaient. Au tout début du xvie siècle, les premières cartes de cette partie du monde, notamment le portulan dit d'Alberto CANTINO (1), dressées d'après les indications de pilotes arabes, signalent à l'est de Madagascar un groupe des trois îles : Diva Mar- gabin (La Réunion), Diva Moraze (Maurice) et Diva Rabi (Rodrigues).

Les Portugais furent les premiers Européens à connaître leur existence. La tradition rapporte q u e l ' a r c h i p e l a u r a i t é t é d é c o u v e r t p a r l ' a m i r a l P e d r o d e M A S C A R E N H A S e n t r e 1 5 0 7 e t 1 5 1 3 ( 2 ) .

(1) In Portugal iae Monumenta Cartographica, vol. l, p. 14-15. L ' a u t e u r du por tu lan est en fai t inconnu ; CANTINO, envoyé du duc de FERRARE à Lisbonne pour s ' informer des découvertes portugaises, le fit par- venir à son souverain en 1502. L'original se t rouve à la b ibl io thèque Es tense de Modène.

(2) VISDELOU-GUIMBEAU, La découverte des Mascareignes. La Réunion aura i t été découver te un 9 février (peut-être 1509) d 'où son premier n o m de San ta Apollonia p a r la flotte de DIOGO LOPEZ de SIQUEIRA et revue en 1512 par MASCARENHAS, d 'où son deuxième nom : Mascarin. Pou r Maurice, DOMINGO FERNANDEZ (ou FRIZ) en serai t le découvreur, p robab lemen t en 1511. Vers 1553, les cartes n ' appe l len t plus l'île du nom de ce capi ta ine portugais , mais la n o m m e n t Cirné (ou Sirné).

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En tout cas, il est symptomatique de constater qu'ils ne tentèrent aucun établissement, car les îles étaient situées hors de la route normale des Indes, et ne détenaient aucun produit précieux. Ils se bornèrent à y faire escale pour « faire aiguade ».

Le déclin du Portugal amena une période d'abandon pour la mer des Indes. A la fin du XVIE siècle, les îles reprirent cependant leur rôle d'escales de « rafraîchissements », mais au profit des Anglais, du peuple des pirates et des Hollandais.

Ainsi, une partie de la deuxième expédition que les Hollandais envoyèrent dans l'océan Indien relâcha à « Cirné » en 1598. Les navires purent se ravitailler et procéder à des réparations. Ils prirent possession de l'île et la baptisèrent Mauritius en l'honneur du prince de NASSAU, alors Stathouder des Provinces Unies. Les expéditions suivantes s'arrêtèrent souvent à Maurice soit à l'aller, soit au retour. En 1614, le bâtiment de Pieter BOOTH, premier gouverneur des Indes néer- landaises, retournant dans son pays, fut surpris au mouillage et le gouverneur se noya... Après cet épisode, les Hollandais espacèrent leurs visites. Enfin, en 1637, pour éloigner les Français et les Anglais qui venaient s'y ravitailler et couper du bois d'ébène, la compagnie néerlandaise décida la création d'un établissement. L'expédition sous la direction de Simonsz Cornelisz GOOYER, au printemps 1638, s'installa à terre avec vingt-cinq personnes : les premiers colons entreprirent l'édification d'un fort entouré d'une palissade.

Mascarin, à la côte particulièrement inhospitalière, tentait moins les marins. On y connaît cependant le passage des Hollandais VERHUFF (1611) et BONTEKOE (1619), des Anglais CASTLE- TON (1613) et HERBERT (1629). Divers marins français aussi parcouraient la mer orientale depuis le début du siècle, mais ce fut seulement en 1638 que la flûte Saint-Alexis de Dieppe stoppa devant l'île et que Salomon GOUBERT descendit à terre et en prit possession au nom du Roi de France. Enfin, en septembre 1646, douze mutins du poste français de Fort-Dauphin y furent exilés : l'occupation de l'île commençait (1).

1638 pour l'une, 1646 pour l'autre ; les deux îles jusqu'alors désertes entraient dans l'histoire du xviie siècle. Pourquoi à cette époque les Hollandais s'installèrent-ils à Maurice et les Français à Mascarin ? Le ravitaillement pour l'une et une mutinerie pour l'autre intéressent l'anecdote, la cause véritable est plus profonde. Si les Provinces Unies, si la France finalement les occu- pèrent, ce ne fut pas par hasard, mais en application de leurs plans coloniaux.

(1) Pour ce pa rag raphe : DEFOS DU RAU, L'île de la Réunion, p. 129-131. HANOTAUX et MARTINEAU, Histoire des colonies..., t. VI, p. 309-313.

SCHERER, Histoire de la Réunion, p. 9-10.

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P R É L I M I N A I R E S :

L A MISE E N P L A C E

DU R É G I M E S E R V I L E

I. M A U R I T I U S (1638-1710)

Depuis la fin du xvie siècle, la richesse des Provinces Unies reposait presque exclusivement sur le commerce maritime. La marine marchande était devenue la plus puissante du monde. L'oligarchie négociante des villes hollandaises avait supplanté les Portugais et les Espagnols dans le grand commerce.

Dans l'océan Indien, ces « rouliers des mers » avaient enlevé aux Espagnols la partie occi- dentale de Java. Ils s'établissaient dans les Moluques, créaient des comptoirs dans l'île de Sumatra, dans la péninsule de Malacca, au Siam, en Chine et au Japon où ils étaient bientôt les seuls Euro- péens tolérés.

La base de cette maîtrise commerciale, la Compagnie des Indes orientales, créée en 1602, faisait merveille ; association de marchands, elle avait le souci du bénéfice. Par ses liaisons étroites avec l 'Etat, par l'appui de la banque d'Amsterdam (fondée en 1609), elle devint le premier four- nisseur de l'Europe pour les marchandises du Levant (1).

Pour protéger ses possessions des îles de la Sonde, la Compagnie chercha dans la première moitié du XVIIe siècle des points d'appui dans l'océan Indien. Ses bateaux visitèrent Saint- Augustin et la côte est de Madagascar (2) ; ils reconnurent les Mascareignes et élurent Maurice...

Ce choix en définitive reposa sur plusieurs raisons : à un mois environ de Batavia, l'île « pos- sède une belle rade à l'entrée de laquelle il y a cent brasses d'eau », « l'air y est pur et sain ; on y trouve du bétail et des volailles en abondance et la mer est très poissonneuse ; les forêts contiennent les plus beaux ébéniers du monde (3) n.

Maurice à l'ouest, Ceylan — occupée deux ans après, en 1640 — au nord, jouaient ainsi le rôle de relais sur les routes des Indes néerlandaises.

(1) MOUSNIER, Le X V I I e siècle, p. 245-246. (2) DESCHAMPS, Histoire de Madagascar , p. 65.

GRANDIDIER, Histoire physique, naturelle et politique de Madagascar , vol. IV, Ethnographie de Madagascar . t. I, p. 456.

(3) Gr. Coll., t. I I I , p. 41-42, Relâche à Maur ice d'A bel J a n s e n Tasman (s. i.).

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L'Anosy

Le débu t de la t ra i te des noirs .

L'île avait d'autres avantages par sa proximité de Madagas- car. Batavia pour ses plantations avait besoin de main-d'œuvre et dès 1623 (1) des flûtes hollandaises étaient venues sur la côte e s t d e l a G r a n d e I l e c h e r c h e r d e s e s c l a v e s ( 2 ) .

Quand le Gouverneur général des Indes, VAN DIENEM, envoya VAN DER STEL remplacer GOOYER à Maurice en 1639, il lui donna des instructions pour aller reconnaître la côte orientale de Madagascar. VAN DER STEL avait reçu l'ordre de faire des traités avec les rois du pays et de prendre possession de Mas- carin et de Rodrigues (3).

Les Hollandais complétaient leur emprise sur l'océan Indien, Batavia devait en être le centre. Maurice fit partie de ce plan d'ensemble.

VAN DER STEL ne put exécuter sa mission qu'à la fin de 1641 : il laissa Rodrigues en attente, il reconnut simplement Mascarin car l'île ne possédait pas d'ancrage sûr ; en revanche il visita avec attention la côte malgache, de Sainte-Claire à la baie d'Antongil (4). Il rapporta à Maurice de la cire et 105 esclaves tant hommes que femmes. Les perspectives du commerce lui parurent si favorables qu'il laissa à la baie d'Antongil deux traitants (5).

De nouveau, en 1644, il ramena 97 esclaves ; en 1645, 8, et il en fit parvenir 101 à Batavia. A ce dernier voyage, il conclut un traité avec le roi de la région d'Antongil par lequel celui-ci s'engageait à fournir des esclaves à la colonie et à elle seule ; un traitant avec cinq matelots et un mousse restèrent à terre (6).

Son successeur, VAN DER MEERSCH, eut la même politique ; par trois fois, il alla à Madagascar en personne. A la fin de 1645, il acheta 108 esclaves (7) ; en 1646, PRONIS, chef des Français du Fort-Dauphin lui en vendit 73 (fe) ; mais en 1647, il n'eut que du bœuf salé.

D'autres points de l'île reçurent la visite des Hollandais de Maurice pour acheter des esclaves : ainsi à Boina, à Bombetoka, à la Mahajamba, des navires de la Compagnie relâchèrent (9) ; d'autres comptoirs furent aussi utilisés, au gré des vents, des courants et de l'accueil des chefs malgaches...

Si Maurice gardait une bonne partie des esclaves, elle en faisait partir sur Batavia ; son rôle de transit se retrouvait aussi pour les salaisons. Sa deuxième fonction était de surveiller les Anglais

(1) Ba t av i a fut fondée en 1621. (2) DECARY, La piraterie à Madagascar , p. 9.

GRANDIDIER, Histoire physique, naturelle et politique de Madagascar , vol. IV, Ethnographie de Madagascar, t. I, p. 458. OLIVER et MATHEW, History of Eas t Africa, p. 155.

(3) Gr. Coll., t. I I I , p. 30, Trois voyages à Madagascar de Van der Stel... (s. i.). (4) CAUCHE, Relations..., in Gr. Coll., t. VII , p. 51 (s. i.). (5) Gr. Coll., t. I I I , p. 31-32, Trois voyages à Madagascar de Van der Stel... (s. i.). (6) Gr. Coll., t. I I I , p. 39-41, Trois voyages à Madagascar de Van der Stel... (s. i.). (7) Gr. Coll., t. I I I , p. 188, Jacob Van der Meersch, troisième gouverneur hollandais de Maurice (s. i.). (8) DESCHAMPS, Histoire de Madagascar , p. 68. (9) Gr. Coll., t. V, p. 43-44, Relâche du navire le Barneveld. . . (s. i.).

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et les Français qui paraissaient bien s'installer à Madagascar. Enfin, elle fournissait par an environ 800 billes d'ébène très appréciées à Amsterdam.

Ces diverses tâches eurent du succès jusqu'en 1646-1647. A partir de cette date une certaine désaffection se fit sentir. Les esclaves malgaches arrivés à Java se révélèrent «paresseux», « stupides», et ne résistèrent pas au climat ; le Gouverneur général donna l'ordre de cesser le trafic et de faire revenir le personnel de la baie d'Antongil, ce qui fut exécuté au début 1647 (1). Les Anglais avaient abandonné leur poste de la baie de Saint- Augustin et la colonie française « agonisait » : Maurice perdait son rôle de chien de garde... (2).

Les baies du N . -W P r e m i e r abandon .

L'utilité de l'occupation de l'île fut ainsi mise en question. Les directeurs de la Compagnie l'auraient certainement fait évacuer s'ils n'avaient pas attaché un très grand prix à l'ébène qu'on continuait d'en tirer. Il y avait à cette époque, à Maurice, une centaine de personnes, y compris les esclaves ; les essais de cultures n'eurent pas grand succès, la canne à sucre fut ruinée par une invasion de rats ; la c h a s s e , q u e l q u e s l é g u m e s e t f r u i t s a s s u r a i e n t l ' o r d i n a i r e ( 3 ) .

En 1652, la création du Cap accéléra la décadence de l'île : mieux placée, ayant à sa tête un gouverneur dynamique - - VAN RIEBEEK — la nouvelle fondation concurrença victorieusement M a u r i c e , n o t a m m e n t e n s ' o c t r o y a n t l e m o n o p o l e d e l a t r a i t e d e s e s c l a v e s à M a d a g a s c a r ( 4 ) .

Les bois d'ébène s'étaient raréfiés à la suite des trop nombreuses coupes, la surveillance des Français de Madagascar nécessitait l'entretien d'un navire, les rongeurs et les cyclones rava- geaient les cultures : les directeurs autorisèrent le Gouverneur général des Indes à en retirer le c o r p s d ' o c c u p a t i o n ( 5 ) . L a d é c i s i o n f u t a p p l i q u é e e n 1 6 5 8 . L a p l u p a r t d e s e s c l a v e s é t a i e n t m o r t s ; l e s

a u t r e s f u r e n t e m b a r q u é s p o u r B a t a v i a à l ' e x c e p t i o n d e d e u x « f e m e l l e s » q u i s e s a u v è r e n t d a n s l a f o r ê t .

L e s r a i s o n s d e c e t a b a n d o n n e f u r e n t p a s s e u l e m e n t « r é g i o n a l e s » ; e n c e m i l i e u d u s i è c l e l e s

P r o v i n c e s U n i e s e u r e n t à f o u r n i r u n e f f o r t d e g u e r r e c o n t r e l ' E s p a g n e p u i s c o n t r e l ' A n g l e t e r r e ( 6 ) :

l ' é n e r g i e d e s H o l l a n d a i s s ' e n r e s s e n t i t d a n s l ' o c é a n I n d i e n .

D e u x i è m e o c c u p a t i o n e t d e u x i è m e a b a n d o n .

B i e n t ô t l e m a n q u e d e b o i s d e c o n s t r u c t i o n d a n s l e s f o r ê t s c l a i r s e m é e s d u C a p e t l a c r a i n t e

q u ' u n e p u i s s a n c e é t r a n g è r e p û t s ' y é t a b l i r f i r e n t r e g r e t t e r c e t t e d é c i s i o n . L a C o m p a g n i e r é o c -

c u p a M a u r i c e e n 1 6 6 4 . S o u s l a d é p e n d a n c e d e l a c o l o n i e d ' A f r i q u e d u S u d ( 7 ) , l ' î l e d o n n a e n c o r e

(1) Gr. Coll., t. I I I , p. 195, Deux voyages à Madagascar de Jacob Van der Meersch (s. i.). (2) Gr. Coll., t. I I I , p. 210, Troisième voyage à Madagasca r du gouverneur de Maurice Van der Meersch (s. i.). (3) BRUSSILOWSKY, Histoire de l'île Maurice, p. 293. (4) MAC CALL THEAL, History of South Africa, p. 31. (5) Gr. Coll., t. I I I , p. 220, Reiner Por, quatrième gouverneur hollandais de Maurice. . . (s. i.). (6) MOUSNIER, Le X V I I e siècle, p. 240. (7) MAC CALL THEAL, History of South Africa, p. 51.

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de l'ébène et servit d'escale de rafraîchissement (x). Des esclaves indiens et malgaches furent importés de nouveau (2).

A la lecture de l'ouvrage de MAC CALL THEAL et du recueil de LEIBBRANDT, l'île semble frappée d'une mort lente : les ouragans, les sécheresses, les rats, les chenilles et les singes, les esclaves marrons, les mauvaises pêches, les pénuries de riz, tout à la fois au fil des ans, ruinaient l'île. La malchance n'explique pas tout : la puissance hollandaise avait cessé de grandir : dans tous les secteurs elle était en perte de vitesse, elle ne s'attachait plus avec la même énergie à la défense et à la conservation de ses possessions d'outre-mer (3). Les conflits internes entre le Stathouder et le Grand Pensionnaire (4), les guerres contre l'Angleterre et la France, avaient saigné l 'État : « de nation d'entrepreneurs, d'armateurs et de négociants, les Provinces Unies deviennent une nation de rentiers et de spéculateurs. Avec cette forme inférieure d'activité succédant à un effort militaire qui a dépassé les forces matérielles et morales du pays, les énergies s'effondrent, la force créatrice disparaît (5) ».

En raison de ces difficultés les Hollandais ne « firent presque plus de cas de Maurice (6) ». L'exploitation des bois d'ébène ne fut plus rentable. La colonie devait toujours être ravitaillée de l'extérieur. De nombreux navires étrangers, notamment anglais, relâchaient et causaient des difficultés. A partir de 1704, apparurent des pirates. Ils se conduisirent à peu près correctement mais il était évident que l'établissement était hors d'état de se défendre contre une attaque sérieuse. La Compagnie jugea bon d'abandonner l'île en 1706, décision exécutée en 1710 : les colons et les e s c l a v e s — s a u f d e u x , m a r r o n s d e p u i s c i n q a n s — f u r e n t t r a n s p o r t é s à B a t a v i a ( 7 ) .

Ainsi prit fin l'occupation hollandaise à « Cime ». Elle fut le reflet de la réussite puis du déclin de la « République des marchands ».

La deuxième Mascareigne avait inauguré le trafic servile.

(1) MAC CALL THEAL, History of South Africa, p. 51-52. (2) Cape Archives, LEIBBRANDT, Precis of the Archives..., t. 12, p. 406. (3) ZELLER, Histoire des relations internationales, t. 3, p. 102. (4) MOUSNIER, Le X V I I e siècle, p. 168 et p. 240. (5) MOUSNIER, Le X V I I e siècle, p. 277 et p. 296. (6) LA MERVEILLE, Récit, sep tembre 1709, in Gr. Coll., t. I I I , p. 619 (s. i.). (7) HAMILTON, A new account of the east Indies, p. 18 (s. i.).

Gr. Coll., t. I I I , p. 319-320, Reiner Por, quatrième gouverneur hollandais de Maurice.. . (s. i.). PRIDHAM, A n historical account of Maur i t ius , p. 168 (s. i.). Pou r cet auteur, le marronnage des esclaves cont r ibua aussi à chasser les Hol landais de Maurice.

PITOT, T 'Eylandt Mauri t ius , p. 351. Selon ce t auteur , 8 personnes demeurèrent sur l'île : 6 hommes de condi- t ion libre, qui refusèrent de s ' embarque r e t 2 esclaves. I l ne sait ce que devinren t les premiers, les esclaves furent t ranspor tés en 1715 à Bourbon.

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II. M A D A G A S C A R E T M A S C A R I N ( 1 6 3 8 - 1 6 6 4 )

Malgré quelques expéditions dans la mer orientale au xvie siècle (1), ce ne fut qu'au début du siècle suivant que les marchands français purent imiter les Hollandais et « puiser à la source ».

Les débu t s .

En 1601, des Malouins prirent l'initiative. Puis en 1604, des Rouennais reçurent de HENRI IV le privilège de commercer avec les Indes (2). Ainsi des bateaux français, en allant vers la pénin- sule indienne, relâchèrent à Madagascar incidemment, à cause des tempêtes ou des vents contraires (3).

Il fallait « affermir » le trafic et la Grande Ile apparut comme « u n l i e u p r o p r e p o u r s e r a f r a î c h i r d e s f a t i g u e s d e l a m e r ( 4 ) » .

Les baies de Sainte-Claire et de Sainte-Luce furent reconnues

comme les endroits les plus favorables ; on évitait la navigation dangereuse dans le canal de Mozambique et, après avoir re- nouvelé les provisions de bouche, on pouvait cingler vers l 'Inde « ayant vent de ouest au nord-ouest à poupe (5) ».

Tard venus dans l'océan Indien du fait d'une organisation commerciale déficiente, les Français ne pouvaient prétendre à s'imposer pour le moment ni dans la péninsule indienne, ni dans les îles de la Sonde passées aux mains des Hollandais. Le choix s'était donc porté sur Madagascar.

Sainte-Luce e t Sainte-Claire En 1638, la Compagnie Particulière de Navigation, aux

capitaux rouennais et parisiens, arma une expédition pour mieux connaître les parages ; c'est à cette occasion que GOUBERT « arbora les armes de France » à Mascarin puis perdit son bateau à la côte malgache, à Itape- rina (6).

(1) DESCHAMPS, Histoire de Madagascar , p. 67. Gr. Coll., t. I, p. 59, Premier atterrissage des F rança i s à Madagasca r (s. i.).

(2) BARASSIN, Bourbon des origines jusqu'en 1714, p. 13. (3) PYRARD de LAVAL, Relation..., in Gr. Coll., t. I, p. 280-309 (s. i.).

BEAULIEU, Relâche..., in Gr. Coll., t. I I , p. 333 (s. i.). (4) BEAULIEU, Dessein..., in Gr. Coll., t. V I I , p. 21 (s. i.). (5) HANOTAUX et MARTINEAU, Histoire des colonies..., t. VI , p. I I .

KAEPPELIN, Les escales françaises... , p. 9. (6) CAUCHE, Relations..., in Gr. Coll., t. VI I , p. 1°5-108 (s. i.).

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Le mirage de la Grande Ile se formait peu à peu, il allait durer jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. BEAULIEU et ses analyses grandiloquentes semble en marquer le départ. RIGAULT, capitaine de la marine royale qui avait du crédit auprès de RICHELIEU et des intérêts dans la Compagnie Par- ticulière, renchérit pour « fonder dans l'île des habitations de Français et (de) traiter et négocier avec les gens du pays des marchandises qui s'en peuvent contre d'autres marchandises et manu- factures de ce royaume (1) ».

Rejoignant les vues mercantilistes du Ministre, il obtint en 1642 le privilège exclusif du com- merce « aux dites isles de Madagascar et autres adjacentes » : la Compagnie française de l'Orient é t a i t n é e ( 2 ) .

Le nouveau groupement eut d'importants moyens — le capital fut de 144 000 livres — et de puissantes protections, un quart des parts fut fourni par des « Conseillers du Roy (3) ». Aussi la Compagnie subit-elle dès le début le contrôle de l 'État.

Le For t -Dauph in .

L a côte est

En septembre de cette année 1642, treize colons sous la direction du commis PRONIS s'installèrent à Sainte-Luce puis en 1643 au Fort-Dauphin pour « y travailler à la traite ». Au passage, ils prirent possession de Rodrigues, de Mascarin, de la baie d'Antongil et de Sainte-Marie : la première tâche des em- ployés de la compagnie avait été plus politique que marchande.

PRONIS de 1642 à 1648, FLACOURT de 1648 à 1655 n'eurent p a s d e s u c c è s d a n s l e u r s m i s s i o n s c o m m e r c i a l e s ( 4 ) . F a u t e d e p r o -

d u i t s d ' é c h a n g e , l ' e n t r e p r i s e s e m u a e n u n e d o m i n a t i o n m i l i t a i r e

i m p i t o y a b l e e n v e r s l e s M a l g a c h e s . O n s e b o r n a à f a i r e l e v i d e , à

e x i g e r d e s t r i b u t s ( s ) , e t à e n v o y e r e n F r a n c e , q u a n d o n l e p o u -

v a i t , d e m a i g r e s c a r g a i s o n s ; a i n s i e n 1 6 5 0 , l e S a i n t - L a u r e n t , r e -

p a r t a n t p o u r l e R o y a u m e , f u t « c h a r g é d e c u i r s , t a b a c , b o i s , c i r e ,

t a m a r i n e t a u t r e s é c h a n t i l l o n s , c o q u i l l a g e s e t c u r i o s i t e z ( 6 ) » .

L e s d e u x c o m m a n d a n t s f i r e n t - i l s l a t r a i t e d e s e s c l a v e s ?

(1) A. N. Ci}AV pièce l, Ratification du Roi, 20 septembre 1643. BARASSIN, Bourbon des origines jusqu'en 1714, p. 10.

(2) FLACOURT, Relation..., in Gr. Coll., t. IX , p. 11-12 (s. i.). Octroi du privilège, in Gr. Coll., t. VI I , p. 192 (s. i.).

(3) RIGAULT pr i t qua t re par ts ; t rois « marchands », onze pa r t s ; le reste du quota fut par tagé entre cinq Conseillers du Roy : le prest igieux FOUQUET, une p a r t ; ALIGRE (Commissaire ordinaire de la Marine du Levant) , une pa r t ; LOYNES (Secrétaire du Roy et Général de la Marine), trois par ts ; LEVASSEUR (Trésorier de la Marine), une pa r t ; BEAUSSE (Premier Commis des part ies casuelles), t rois parts . In Acte de Constitution et statuts de la Compagnie..., Gr. Coll., t. VI I , p. 197-198 (s. i.).

(4) Il n 'es t pas dans no t re propos de nous étendre sur l 'act ion des F rança i s à For t -Dauphin . Cf. : FLACOURT, Relation..., in Gr. Coll.., t. IX, p. 11-365 (s. i.).

BARASSIN, Bourbon des origines jusqu'en 1714, p. 20-40. DESCHAMPS, Histoire de Madagascar , p. 67-72. HANOTAUX et MARTINEAU, Histoire des colonies..., t. VI, p. 13-45.

(5) DESCHAMPS, Histoire de Madagascar , p. 71. (6) BARASSIN, Bourbon des origines jusqu'en I7I4 , p. 29.

Page 25: La Traite des esclaves vers les Mascareignes au XVIIIe siècle

E n 1646, PRONIS v e n d i t a u g o u v e r n e u r h o l l a n d a i s d e M a u r i c e d e s M a l g a c h e s « q u i s e r v a i e n t à

l ' h a b i t a t i o n , e t d ' a u t r e s q u i v e n a i e n t i n n o c e m m e n t y a p p o r t e r d e p e t i t e s d e n r é e s à v e n d r e (1) ».

P e u t - o n p a r l e r d e c o m m e r c e ? D i s o n s p l u t ô t q u e ce f u t « u n e s i g n a l é e p e r f i d i e c o n t r e d e p a u v r e s

g e n s (2) » e t u n e v e n g e a n c e à l a s u i t e d ' u n m a s s a c r e d e c o l o n s q u i v e n a i t d ' a v o i r l ieu . R e p r é s a i l l e

p l u s q u e n é g o c e p o u r c e t é p i s o d e , c e r t a i n e m e n t , m a i s les F r a n ç a i s v o y a i e n t les e s c l a v e s d e s G r a n d s

d e l ' A n o s y e) e t ils s ' i n s p i r è r e n t d e l a c o u t u m e d u p a y s p o u r l e u r p r o f i t (4), a i n s i c e t t e p h r a s e

s i b y l l i n e d e FLACOURT : « I l n ' e s t p a s b e s o i n d ' a l l e r c h e r c h e r d e s e s c l a v e s a u lo in p o u r les a m e n e r

d a n s l ' î le, c a r e l le e n e s t a s s e z f o u r n i e ; l es n è g r e s s e r v e n t v o l o n t a i r e m e n t les F r a n ç a i s , e t si l ' o n

e n v e u t a c h e t e r , o n e n a t r è s g r a n d m a r c h é (5). »

L e t e m p s d e l a t r a i t e s e r v i l e n ' é t a i t p a s e n c o r e a r r i v é p o u r les F r a n ç a i s d a n s c e t t e p a r t i e

d u m o n d e , MARTIN r é s u m e b i e n l a s i t u a t i o n : « L e p l u s i m p o r t a n t e s t d e les (« le s u c r e , le t a b a c

e t l ' i n d i g o ») c u l t i v e r d a n s l ' î le . L ' o n s a i t le n o m b r e d e s e s c l a v e s q u e les F r a n ç a i s , les A n g l a i s , les

H o l l a n d a i s e t les P o r t u g a i s e m p l o i e n t , c e u x - l à d a n s les î les d e s I n d e s d ' O c c i d e n t , c e u x - c i a u

B r é s i l ; or , M a d a g a s c a r p o u r r a i t f o u r n i r q u a n t i t é d e n o i r s , m a i s l ' o n a c c o u t u m e r a d i f f i c i l e m e n t

ces p e u p l e s a u t r a v a i l ; p o u r les r é d u i r e s o u s le j o u g , il f a u t e n ê t r e a b s o l u m e n t les m a î t r e s , e t ce

n ' e s t p a s u n e c h o s e a i s é e d ' y r é u s s i r à m o i n s d ' a v o i r d e s f o r c e s c o n s i d é r a b l e s . . . (6) ».

L ' é t a t d é l i q u e s c e n t d u F o r t n e p e r m e t t a i t p a s d e les a s s e r v i r , e t l es c u l t u r e s se r é s u m a i e n t

a l o r s e n « m e l o n s d ' e a u , c o n c o m b r e s , c h i c o r é e , l a i t u e s , c h o u x , p o i x e t c i n q u a n t e c a f é s (7) ».

L a v ie a u fil d e s j o u r s r a c o n t é e p a r FLACOURT la i s se d e v i n e r q u e l ' e s s e n t i e l d e l a t â c h e é t a i t

p l u t ô t u n e l u t t e p o u r s u r v i v r e (8). D é c i m é s p a r les f i è v r e s ; a t t a q u é s s o u v e n t p a r l e s « jndigènes »,

d o u t a n t — a v e c r a i s o n — d e l e u r s che f s , l es c o l o n s a l l a i e n t p a r f o i s j u s q u ' à l a r é v o l t e .

B o u r b o n .

E n 1646, PRONIS e u t à m a t e r u n s o u l è v e m e n t d e l a p a r t d e ses c o m p a g n o n s e t il f i t t r a n s f é r e r

« d o u z e d e s p l u s l i g u e u r s (9) » à M a s c a r i n .

FLACOURT fi t r e v e n i r les o s t r a c i s é s e n 1649 (( b i e n s s a i n s e t g a i l l a r d s » : « Au l i e u d ' y a v o i r

d i s e t t e , i ls n ' a v a i e n t p a s e u le m o i n d r e a c c è s d e f i è v r e e t ils m ' o n t a s s u r é q u e c ' e s t l ' î le . . . o ù les

v i v r e s y s o n t à fo i son , le c o c h o n t r è s s a v o u r e u x , l a t o r t u e d e m e r e t t o u t e s s o r t e s d ' o i s e a u x e n si

g r a n d e a b o n d a n c e q u ' i l n e f a u t q u ' u n e h o u s s i n e à l a m a i n p o u r t r o u v e r . . . d e q u o i d î n e r (10). »

S é d u i t , il e n v o y a u n b a t e a u p o u r e n p r e n d r e d e n o u v e a u p o s s e s s i o n : M a s c a r i n d e v i n t B o u r -

b o n « n e p o u v a n t t r o u v e r d e n o m q u i p û t m i e u x c a d r e r à s a b o n t é e t à s a f e r t i l i t é » ; à t o u t h a s a r d ,

il y f i t d é p o s e r q u e l q u e s v a c h e s e t t a u r e a u x m a i s n ' e u t p a s l ' i d é e d ' y f o n d e r u n e c o l o n i e p e r m a -

(1) FLACOURT, Relation..., in Gr. Coll., t. IX , p. 34-35 (s. i.). (2) FLACOURT, Relation..., in Gr. Coll., t. I X , p. 35 (s. i.). (3) FLACOURT, Relation..., in Gr. Coll., t. IX , p. 152 (s. i.). (4) SOUCHU de RENNEFORT dans sa Relation..., p. 121, r appo r t e que le soldat LA CASE, en 1657, c a p t u r a

plusieurs milliers d 'esclaves au cours d ' une guerre. Voir aussi GAUTIER et FROIDEVAUX, Un manuscr i t arabico-mal gâche sur les campagnes de La Case..., p. 61.

(5) FLACOURT, Relation..., in Gr. Coll., t. IX , p. 334 (s. i.). (6) MARTIN, Mémoires..., in Gr. Coll., t. IX , p. 623 (s. i.).

FROIDEVAUX, Le commerce français à Madagascar au X V I I e siècle, p. 19-22 e t p. 50-54. (7) SOUCHU de RENNEFORT, Histoire des Indes Orientales, p. 48 (s. i.). (8) BARASSIN, Bourbon des origines jusqu'en 1714, p. 26. (9) Sur cet épisode : FLACOURT, Relation... , Gr. Coll., t. I X , p. 26-33 (s. *•)■

(10) FLACOURT, Relation..., Gr. Coll., t. I X , p. 99 (s. i.).

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nente. L'habitude s'y prit simplement de créer dans l'île de petits établissements temporaires en fonction des rivalités intestines qui secouaient Fort-Dauphin.

En 1654, THAUREAU avec sept compatriotes, six « nègres », cinq « vaches pleines » et un petit taureau, y fut déporté (1).

Il faut s'interroger sur le statut de ces « nègres » emmenés pour planter « force tabac ». Ils furent les premiers à être débarqués par les Français à Bourbon.

Quand un vaisseau, en 1658, offrit le passage vers l'Inde à THAUREAU et à ses compagnons, les Malgaches furent transférés ; à Madras, « le capitaine qui nous avait amenés fit offre des six nègres au Président sans rien nous dire ». Le mot esclave n'apparaît pas ; notons seulement les f a i t s : o n l e s a v a i t « l a i s s é s » à B o u r b o n e t q u a t r e a n s a p r è s o n l e s a v a i t « o f f e r t s » à M a d r a s ( 2 ) .

Entre-temps, en 1655, FLACOURT était reparti pour la France et les années qui suivirent furent consternantes : trahisons, massacres, pillages, continuèrent de discréditer les Français. C'est dans ces conditions que PAYEN, qui se trouvait au Fort-Dauphin depuis 1656, et un autre volontaire préférèrent s'exiler en 1663 à Bourbon avec dix Malgaches, trois femmes et sept hommes (3), «pour cultiver du tabac, recueillir de l'aloès et une espèce de gomme que l'on c r o i t ê t r e d u b e n j o i n ( 4 ) » .

La condition des Malgaches ne peut être connue par les sources ; la situation est ambiguë : MARTIN, lors de son séjour à Bourbon, en juillet 1665, raconte que les « nègres avaient fui à la montagne après avoir manqué une conjuration qu'ils avaient faite d'assassiner les deux Français ; le sujet... était pour avoir à leur dévotion des négresses que les deux Français avaient amenées avec eux... dont une était fort bien faite, car il faut aux noirs des femmes... (5) ». Jalousie bien banale ou marronnage dû à des causes plus complexes ? La proportion de deux blancs allant vivre dans une île avec dix Malgaches semblerait prouver qu'à l'origine les relations aient été cordiales...

En définitive, les preuves n'existent pas pour affirmer que la main-d'œuvre employée par les Français ait été servile à cette période (6) ; quelques présomptions tout au plus, glanées dans les récits des voyageurs. La situation devait être cependant équivoque. On « disposait » des Mal- gaches comme on le pouvait suivant les rapports de force : vers 1644, CAUCHE racontait qu'on payait leur travail avec « des cordes de rassades de plusieurs couleurs (7) n, vingt ans après, en 1663, LA MEILLERAYE recommandait d'en « faire passer quelques-uns pour le service à Bourbon (8) »...

Les choses en étaient là pour Madagascar et Bourbon quand un grand projet fut élaboré par COLBERT pour réorganiser le commerce des Indes.

(1) BARASSIN, Bourbon des origines jusqu'en I7I4 , p. 32. SCHERER, Histoire de la Réunion, p. 11.

(2) THAUREAU, alias COUILLARD, Mémoire..., in Gr. Coll., t. IX , p. 316-322 (s. i.). (3) HANOTAUX et MARTINEAU, Histoire des colonies..., t. VI, p. 315. (4) MARTIN, Mémoires..., in Gr. Coll., t. IX, p. 442 (s. i.). (5) MARTIN, Mémoires..., in Gr. Coll., t. IX , p. 442-443 (s. i.). (6) AUBER, Histoire de l'océan Indien, p. 270, a t o r t de les appeler « esclaves ». I l ne prouve rien et son texte

fourmille d 'erreurs.

(7) CAUCHE, Relations..., in Gr. Coll., t. VII , p. 49 (s. i.).

(8) Cité en note pa r LOUGNON, L'île Bourbon pendant la Régence, p. 15.

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I I I . L A F R A N C E O R I E N T A L E ( 1 6 6 4 - 1 6 7 4 )

Soixante ans de tâtonnements pour aboutir à deux postes bien médiocres, Fort-Dauphin et Bourbon ; au plus cent cinquante Français dans la mer orientale ! La passion de la gloire d'un roi, l'ambition du programme économique d'un ministre allaient se conjuguer et vouloir donner une impulsion décisive au grand commerce.

Chargé par Louis XIV de prendre soin de « toutes les affaires de la Marine », COLBERT mani- festa sa volonté de réalisation en créant simultanément en 1664, à l'instar des voisins hollandais et anglais, les Compagnies des Indes occidentales et orientales.

La Compagn ie des Indes or ien ta les .

Il fallait dans un premier temps envoyer des émissaires au « Roi de Perse et à la cour du Mogol (1) » mais en transitant d'abord par Madagascar. L'île devait jouer le rôle de bastion dans la progression de la pénétration française sur la route de l'Orient ; une fois seulement l'établis- sement bien solide, la Compagnie à créer pourrait aller fonder des comptoirs par toutes les parties de l'Asie méridionale (2). Un Batavia « incomparablement plus commode et plus sûr », telle fut l ' i d é e d e b a s e ( 2 ) .

Cette politique timorée s'explique par le prestige des Hollandais, par l'absence d'une flotte commerciale (4) et par la croyance largement répandue dans le Royaume que Madagascar « était là un poste avantageux pour y faire un entrepôt pour le commerce des Indes orientales (5) ».

COLBERT en quelques mois se chargea de créer la structure adéquate, la Compagnie des Indes orientales. Préparation de l'opinion publique (6), acquisition de vaisseaux, recrutement du per- sonnel, constitution du capital : tout fut mené de front à partir de janvier 1664 jusqu'à l'enre- g i s t r e m e n t d e s l e t t r e s p a t e n t e s p a r l e P a r l e m e n t l e l e r s e p t e m b r e ( 7 ) .

Le capital avait été fixé à la somme considérable de quinze millions de livres ; le Roi en per- sonne s'engagea pour trois millions, la Cour pour deux millions, les officiers des Finances pour

(1) MARTIN, Mémoire..., in Gr. Coll., t. IX , p. 433 (s. i.). (2) FLACOURT, Relation..., in Gr. Coll., t. IX , p. 354-355 (s. i.).

FERMANEL, Lettre à Colbert, 7 avr i l 1664, cité in Gr. Coll., t. V I I I , p. LXXI (s. i.). KAEPPELIN, L a Compagnie des Indes Orientales..., p. 7.

(3) CHARPENTIER, Discours... , in Gr. Coll., t. V I I I , p. XXIV (s. i.). (4) BARASSIN, Bourbon des origines jusqu'en 1714, p. 51. (5) FLACOURT, Relation..., in Gr. Coll., t. IX , p. 332-360 (s. i.). (6) E n réalité, une p ropagande assez mensongère ; voir CHARPENTIER, Discours... , ci té in HANOTAUX et

MARTINEAU, Histoire des colonies..., t. VI , p. 55 (s. i.). (7) BARASSIN, Bourbon des origines jusqu'en 1714, p. 52-54.

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M a h é d e L a B o u r d o n n a i s , 4 0 , 4 6 , 5 7 - 5 9 , 7 3 , 7 8 , 9 4 . I 2 3 >

1 3 1 , 1 5 1 , 1 6 6 - 1 6 7 , 1 7 7 , 1 7 9 , 1 8 0 , 1 8 5 , 1 8 6 .

M a i l l a r t D u m e s l e , 1 2 6 .

M a l a r t i c , 6 5 .

M a r i e t t e , 1 4 0 .

M a s c a r e n h a s , 1 5 .

M a r t i n , 1 6 , 2 4 , 2 6 , 2 7 , 2 8 , 2 9 , 9 8 , 1 6 0 .

M a u d a v e , 6 2 , 1 3 3 , 1 4 2 , 1 4 3 .

M a u p i n , 3 9 , 5 7 .

M a y e u r , 1 3 7 , 1 3 8 , 1 5 4 , 1 5 5 , 1 5 7 , 1 5 9 , 1 6 1 , 1 9 4 , 2 0 7 , 2 1 4 .

M é c u s s o n , 1 4 2 - 1 4 3 .

M e e r s c h ( V a n d e r ) , 1 8 , 1 1 7 .

M i l b e r t , 1 7 7 , 1 8 7 .

M i n t o , 4 3 .

M i s s o n , 1 1 9 .

M o n t d e v e r g u e , 2 6 , 9 1 .

N a s s a u ( p r i n c e d e ) , 1 6 .

O r g e r e t , 3 0 , 3 1 .

O r r y , 1 2 1 .

P a r a t , 8 4 , 1 6 3 , 1 6 5 , 2 0 5 .

P a y e n , 2 4 , 2 7 .

P l a i n t a i n , 1 1 9 , 1 2 0 .

P o i v r e , 4 1 , 6 3 , 1 2 4 , 1 2 5 , 1 6 8 , 1 6 9 , 1 8 7 , 2 0 8 .

P o n t c h a r t r a i n , 3 8 , 7 8 .

P r o n i s , 1 8 , 2 2 , 2 3 .

R a d a m a I e r , 1 5 9 .

R a l a m b o , 1 1 8 .

R a m a h a r a s o u c , 1 5 7 .

Ratsimilaho, 139, 157. Regnaul t , 28, 29, 30, 38, 165. René (Jean), 139, 140. Richelieu, 22. Roux, 127, 140, 158, 196, 211.

Sartine, 172. Sasse, 137, 141. Seignelay, 38. Sousa, 117. Stel (Van der), 18. Suffren, 73. Surcouf, 66, 87. Surville, 140.

Taylor, 120. Tew, 120. Thaureau , 24. Tr i s tan da Cunha, 115. Turgot , 131.

Unienville, 127, 187.

Valgny, 133, 142, 195. Vauboulon, 31, 32, 33, 165. Villers, 32, 178.

Yavi, 136, 139, 193, 194, 209.

Zakavola, 136, 137, 139, 157, 194- Zanahary (Janhar) , 136, 139.

P R I N C I P A U X L I E U X C I T É S D A N S L E T E X T E

Aden (golfe d'), 170. Agalega, 11, 14, 107. Alasora, 161. Ambohitrabiby, 118. Ambre (cap d'), 107, lO8, 151, 153. Ampasindava, 115. Andevoranto, 143. Angontsy ou Engontsy, 131, 137, 138. Anjouan, 107, 153, 154. Anosy, 23, 26, 29. Antalaha, 119. Antilles, 27, 29, 57, 63, 99, 119. Antongil (baie), 18, 19, 22, 27, 29, 57, 59, 62, 104, 116,

II7, II9, 125, 129, 130-132, 137, 140, 155, 157, 159, 161, 221.

Bara (pays), 155. Bassas da india, 108. Bassora, 57. Batavia, 17, 18, 19, 20, 25, 119. Belonne (cap), 130.

Bombe toka (« Massailly »), 18, 115, 116, 117, 119, 151' 157, 167.

Bénin (golfe), 184, 185. Betsileo (pays), 155. Boina, 18, 115, I I6 , 118, 119, 151, 157, 192. Bonne-Espérance (cap), 19, 43, 91, 95. 98, I l 6 . Bordeaux, 24, 84.

Calcutta, 68. Cena (« Sena, Seine »), 166, 168, 170, 221. Chandernagor, 40, 57, 95, 179, 180, 181, 201. Comores, 107, 120, 153-154, 157, 158. Côte orientale d 'Afrique, 28, 32, 61, 62, 68, 121,

126, 158, 163-174, 203, 211-212, 217, 218, 222, 228.

Delagoa (baie), 168. Delgado (cap), 165, 168, 170. Diégo-Suarez (« Libertal ia »), I l 9 , 161. Domoni, 154.

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Étoi le (banc de l'), 108. Europa , 108.

Fener ive (« La ra r i a »), 117, 137, 138, 139, 141. F e r n a n d Valoze (baie), 170. Fo r t -Dauph in , 16, 18, 19, 22-23, 24, 25, 26, 27, 29, 31,

62, 98, 104, I I7 , 125, 129, 141-143, 161, 193, 195, 196.

Foulpointe , 59, 62, 104, 106, 119, 124, 130, 131, 132- 137, 139, 140, 141, 142, 155, 157, 158, 159, 161, 192, 193, 194, 195, 202.

Gallemboule (« For t -Gai l la rd »), 26, 29. Géda, 57. Goa, 115, 180, 181, 201. Gorée, 57, 90, 130, 184, 186, 187, 203, 204, 222. Guinée, 57, 59, 98, 123, 183, 186, 187.

Ibo (« Oïbo »), 154, 168, 169, 197. Iconi, 154. Imer ina (<< Ancove »), 140, 155, 158-159, 161. I n h a m b a n e (« I m b a n o »), 166, 168, 170.

J u a n de Nova, 108.

Karibal , 40, 95. Ki lwa (voir à Quiloa).

Lindi, 171. Lorenço Marques, 168. Lorient , 55, 84, 87, 99, 204. Louisbourg (« P o r t Choiseul »), 131, 132, 157.

Madras, 24, 116. Mafia, 171. Maha jamba , 18, 115, I I6 , 120, 151. Mahambo, 137, 138. Mahanoro (« Manourou »), 143. Mahé (île), 108-109. Mahé (ville), 40, 95, 180. Maint irano, 115. Maldives, 108. Malindi, 115, 118, 163, 171. Manambolo, 115. Manana ra (« Mang-hare »), 131, 137, 139. Mananiva, 129. Manan ja ry (Mananzary), 140, 143. Maroantse t ra , 131. Mascate, 170, 172. Masoala (cap), 115, 130. M a t i t a n a n a (« M a t a t a n e »), 2), 104, 143. Mogadiscio, 115, 171. Mombasa (« Monbaz »), 115, 163, 165, 171, 199. Morondava, 116, 151, 155. Mozambique (canal), 21, 92, 107, 115, I I7 , 151, 153. Mozambique (île), 27, 62, 68, 107, IlS, 165, 166, 168, 16o,

174, 197-199, 203, 225, 226. Mozambique (province), 55, 57, 58, 59, 126, 127, 168-

170, 171, 197-199. Mutsamudu, 154.

Nantes , 26, 84. Nossi-Bé, 116, 151. Nosy I b r a h i m (voir Sainte-Marie). Nosy Mangabé («Marot te») , I I9 , 130, 221. Nosy Manja , I I5 . N y a s s a (lac), 174.

Oïbo (voir à Ibo). Ouidah (« J u d a »), 57, 90, 183, 184, 185, 201, 203, 212,

222, 223.

P a t n a , 57, 179. P a t t a «( Pate »), 163, 171. Pemba , 107, 115, 171. Pondichéry , 39, 40, 57, 94, 95, 167, 178, 179, 180,

181, 201, 203, 208, 226.

Quer imbes (îles), 154, 168, 197, 198. Qui l imane (c Quel imane »), 168, 170, 174. Quiloa, 62, 68, 107, II5, 154, 163, 171, 172, 174, 203.

R a d a m a (baie), I I6 . Ranoufou tchy , 143. Ran tabé , I I9 . Rodrigues, 11, 15, 18, 22, 40, 43, 68, 94, 108.

Saint -August in , 17, 19, 29, I I6 , 119, 151, 153, 155. Sainte-Claire, 18, 21. Sa in te Luce, 21, 128, 143. Sainte-Marie (cap), 151. Sa in te Marie (Nosy Ibrah im) , 22, 27, 59, 119, 137, 138,

154- Sena (« Seine ») (voir à Cena). Sénégal, 59, 90, 183, 186, 187, 201, 212, 228. Seychelles (îles), 11, 40, 108-109, 172, 226. Socotra, 163. Sofala, 115, 163, 166, 168, 169. Sofia, 157. Surate , 26, 178, 180.

T a m a t a v e , 68, 104, 128, 137, 139-141, 143, 153, 155, 158, 159, 161, 195.

Tananar ive , 159, 161. Te te (« Sant iago »), 168, 174. Tint ingue, 119, 141. Tromel in (« île de sable »), 11, 14, 104. Tuléar, 151.

Va tomandry , 143. Victor ia (lac), 174. Vohémar , I I9 .

Yanaon , 40, 95. Yvondrou , 141.

Zambèze, 174. Zanzibar , 62, 68, 107, 115, 163, 171, 172-174. 199. 200,

222.