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download La théorie de la structuration chez Anthony Giddens · PDF file69 La théorie de la structuration chez Anthony Giddens Jacques Rojot Professeur – Université Paris I Panthéon-Sorbonne

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    La thorie de la structuration chez Anthony Giddens

    Jacques Rojot

    Professeur Universit Paris I Panthon-Sorbonne [email protected]

    La thorie de la structuration constitue un ensemble important mais complexe. Ce qui entrane deux prcautions liminaires. Dune part, outre un contenu conceptuel dense, Giddens exprime souvent sa pense en exposant son dsaccord avec des positions thoriques existantes, ou bien ce que son apport nest pas, mais beaucoup plus rarement explicitement ce quil est. Donc, ce qui sera prsent ici sera linterprtation qui en est faite et qui nengage que le prsent signataire et non lauteur de la thorie dcrite. Dautre part, la thorie prsente notre sens lnorme avantage additionnel de relier en un tout cohrent un certain nombre dlments thoriques pars, clai-rants par eux-mmes, mais qui le sont encore plus quand ils sont rassembls et articuls. Ces lments sont utiles et utilisables en Gestion, o ils peuvent faire progresser les connaissances, condition de

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    respecter certaines prcautions. Lobjectif de ce court expos est de mettre laccent sur les points essentiels de la thorie en soulignant l o elle rejoint dautres apports pralables. Son point de dpart est une conception particulire de lacteur social qui sinscrit en synthse des vues traditionnelles et opposes (sociologies de laction et fonctionnalisme ou structuralisme) qui prnent soit la domination de lacteur individuel, soit celle des structures sociales. Ici, aucune ne lemporte sur lautre : elle analyse l'ensemble des pratiques sociales accomplies et ordonnes dans l'espace et dans le temps, et non, de faon isole, soit l'exprience de l'acteur individuel, soit l'existence de totalits socitales. Les notions daction et de structure se supposent lune lautre dans une relation dialectique. Les relations des acteurs en co-prsence et les structures sociales sont indissociables. La thorie repose sur une srie dlments pralables et labore quelques concepts centraux. Le premier des pralables implique que la socit est auto-organise, au sens propos par Dupuy (1992). Dans sa terminologie, elle merge de faon auto-

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    nome, en comportements propres, mais non contrls et non contrlables par les acteurs car trop complexes. Il en rsulte, suivant Giddens (1984), que les activits sociales des acteurs sont rcursives et recres sans cesse par eux en faisant usage des moyens qui leur permettent de s'exprimer en tant qu'acteurs quelles ont elles-mmes crs. Les agents produisent et reproduisent les conditions mmes qui rendent leurs activits possibles. La rcursivit implique qu'il nexiste pas de relations univoques cause-effet mais bien des relations circulaires, des anneaux de causalit, dans la terminologie de Weick (1979). En outre, les comportements des acteurs ne sont pas dtermins, ils ont des raisons de faire ce qu'ils font et sont capables d'exprimer ces raisons de faon discursive, y compris en mentant, ou bien vi-demment en se trompant. Ils auraient toujours pu agir autrement. De plus, l'action est contextuelle et s'accomplit. Elle ne peut se concevoir que place dans le temps et dans l'espace en tant que dure, comme un flot continu de conduites et dans le cadre de contextes dans lesquels elle s'insre continuellement et qui la mettent en

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    forme. Le monde est constitu par un courant d'vnements en cours, indpendants de l'agent et ne contient pas un futur prdtermin. L'action n'est donc pas une combinaison dactes, mais un flot continu d'expriences vcues. Sa catgorisation en morceaux discrets (actes) est en fait un processus d'attention rflexif de l'acteur ou du regard d'un autre acteur ou observateur. Donc, l'action est situe et ne se conoit ni ne se discute indpendamment du corps, de ses rapports de mdiation avec le monde environnant et avec la cohrence d'un soi agissant. Elle est le fait dindividus agissant physiquement, de par leur corps, dans le processus qui se droule autour d'eux, un sens proche de Mead (1934). Elle est toujours situe dans l'espace temps qui inclut le cadre de l'interaction, les acteurs co-prsents et leurs communications entre eux. Par ailleurs, l'intention prsuppose l'action, et non l'inverse (on n'a pas une intention tout court). L'action en ce sens est relie au concept de praxis et il s'agit de pratiques dans une srie continue d'activits de fait. Ici, Giddens (1984) reflte l'influence de Marx : faire et ce faisant se faire. Laction enfin est conue

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    comme encadre et stratifie. Ce qui mrite sans doute un dtour plus explicite (schma 1).

    Schma 1 : la stratification de laction

    Le cadre est double. En effet, la dure de la vie de tous les jours se traduit par un flot d'actions inten-tionnelles qui, notamment parce quelles prennent place dans des conditions non reconnues, ont cependant des consquences non intentionnelles qui peuvent senchaner un premier niveau (allumer la lumire fait fuir un voleur) mais aussi, un second niveau, rtroagir de manire systmatique et devenant des conditions non reconnues d'actions ultrieures tels des effets pervers suivant Crozier (1977) ou des effets dagrgation suivant Boudon (1979). Par ailleurs, trois strates sont distingues. Lacteur contrle rflexivement son action. La rflexivit est, d'abord, la conscience de soi, l'exercice de la capacit

    Conditions non reconnues de

    laction Contrle rflexif Rationalisation Motivation (de laction)

    Consquences non

    intentionnelles

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    de situer l'action par rapport soi. Mais elle est aussi et en mme temps la capacit de surveiller, de contrler, le flot continu de la vie sociale qui se droule, ses contextes, et de s'y situer. Le contrle rflexif est un trait caractristique de toute action ; il porte la fois sur la conduite propre de celui ou celle qui exerce ce contrle et sur celle d'autres acteurs. Sur ce point lapport de Goffman (1969) est pertinent, tel le cadre de l'action (expos notamment dans frame analysis) et la distinction front-back de la prsentation de soi dans la vie quotidienne. La rationalisation joue sans doute ensuite deux niveaux. Elle doit d'abord se comprendre dans le cadre du contrle rflexif continu de l'action o elle signifie la capacit ressentie et implicitement prsente des agents humains d'tre en situation dexpliquer soi et aux autres pourquoi ils agissent comme ils le font, que cette capacit soit dailleurs exerce (ou exerable) ou non. un second niveau, si la question se trouve pose, lacteur peut avoir donner un compte rendu verbal de ce qui peut seulement implicitement diriger et avoir dirig son comportement. Ici, il n'y a qu'une

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    troite diffrence entre rationalisation ainsi dfinie et le sens courant du mot de donner des fausses raisons aprs le fait. Donc, d'une part, les acteurs, de faon routinire, sans le mettre en vidence et sans complications, s'assurent d'une comprhension thorique continue des fondements de leurs activits, et d'autre part, sont capables dune formulation discursive des raisons de ces conduites, qui opre un autre niveau. Cette seconde capacit est trs proche du concept d' accountabilit de Garfinkel (1967). La motivation de lacteur a un sens diffrent du sens courant auquel il est entendu. La conduite des acteurs peut aussi leur tre opaque eux-mmes, tout autant qu'aux autres, sous l'aspect de la motivation, bien quvidemment objet du contrle rflexif et rationa-lisable. Les explications du comportement des autres que les acteurs recherchent et acceptent ne sont pas limites la rationalisation de la conduite (o l'acteur est prsum comprendre ce qu'il fait et pourquoi). Alors que les raisons (rationalisation) se rfrent aux fondements de l'action elle-mme, les motifs se rfrent aux besoins qui l'inspirent. La motivation

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    renvoie au potentiel d'action plutt qu'au mode d'accomplissement de l'action par l'agent. Les motifs n'agissent directement sur l'action que dans des circonstances inhabituelles qui, en quelque sorte, brisent la routine. Pour l'essentiel, ils fournissent des plans gnraux, des programmes, des projets. En consquence, nombre des conduites de tous les jours ne sont pas directement motives. Ici, comme dailleurs lavait soulign Crozier (1977), le lien entre objectifs ou buts, assez diffus, et le sens dune action peut tre trs tnu. En fait, les traits centraux d'activits sociales dans une collectivit ne sont pas les plus fortement motivs, au contraire. La plupart des lments les plus profondment sdiments de la conduite sociale sont tablis cognitivement, et pas forcment consciemment, plus que fonds sur des motifs dclenchant l'action. La routine occupe de ce fait une place trs importante dans la reproduction des pratiques. Une action de routine est une action fortement sature par le tenu pour acquis . Elle est fonda-mentale la scurit ontologique de l'acteur. En ce sens lon retrouve ici indiscutablement des positions

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    proches dapports du no-institutionalisme, dont il faut rappeler ici quil a t soutenu par certains, certes minoritaires, mais parmi lesquels nous nous situons nous-mme, que ces principes, en thorie du moins, ne sopposent nullement une perspective situe dans le cadre des thories de l'action et notamment compatible avec lindividualisme mtho-dologique. En fait donc, l'essentiel du courant d'actions de la conduite quotidienne est pralable la rflexion. Est considr comme intentionnel tout acte que l'agent sait, ou croit, manifester ou tre attendu manifester une qualit ou un rsultat particulier. Il n'est pas ncessaire que les agents soient capables de formuler la connaissance qu'ils appliquent en propositions abstraites, mme leur propre usage, ou que cette connaissance soit valide. Intention et action sont aussi souvent disjoints : des intentions se voient ralises parfois d'elles-mmes, sans aucune action de la part de l'agent et indpendamment de lui, et le