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La Théologie de « l'Annonciation d'Aix» C'est avec .beaucoup d 'i ntérêt et de profit - que j'ai lu les articles que M. Louis-Philippe Maya consacrés à cette oeuvre maîtresse (1) et qui lèvent tant d'obscurit és. Il m e sembl e pourtant que ces re- cherches appellent quelques observations et compl éme nts, sans que je prétende d'ailleurs une étude ; j'indiquerai au contraire sur quels points il vaudrait la peine de poursuivre et d'élargir l'enquête. Je m 'en tiendrai au seul point de vue du théo- logien qui filit l'histoire d ' une doctrine, en laissant de côté les problèmes d 'attribution et Ceux de la "commande ». C'est sans doute d' autant plus nécessaire que les interprètes de ce tableau ont révélé parfois une méconnaissance complète de sa si- gnification ou négligé, comme autant de détails, des données esentielles. C'est ainsi que M. G. Cohen en écrivait: "La divinité , du hilut d'une loge ou d' un étage à ·baldaquin surveille la scè- ne " (2). Il est pas question dans ce tableau, dont le sujet est l'tE4>iphani e des personnes divines autant que l'Annonciation, de " la divinité ", mais de Dieu le Père, tena nt dans la mll'in gauche le globe du monde, bénissant de la main droite, et dont le mant ea u est port.é (1) Obteroatio1'(J' ,ur le t riptyque de Z ',4, nnoncioti :m d'Aix (Reu ue des Art" 1. III , 1953, pp. 21-26) et surtout L'Annonciation d'Aix (Protlcnce historique, l. IV, 19540 pp. 82-98) qui a le trM grand et rare mérite de soulever la question de la théologie du I)blftu. (2) HÎll. de Id mile en .rûne dans le religieux français du Moyen-Age, (nlle Milio." Paris 1926), p. 118.

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La Théologie de « l'Annonciation d'Aix»

C'est avec .beaucoup d 'intérêt et de profit -que j'ai lu les articles que M. Louis-Philippe Maya consacrés à cette œuvre maîtresse (1) et qui lèvent tant d'obscurités. Il m e semble pourtant que ces re­cherches appellent quelques observations et compléments, sans que je prétende d'ailleurs 3j~porter une étude ex,h,l.Us.tiv~ ; j'indiquerai au contraire sur quels points il vaudrait la peine de poursuivre et d'élargir l'enquête. Je m 'en tiendrai au seul point de vue du théo­logien qui filit l'histoire d 'une doctrine, en laissant de côté les problèmes d 'attribution et Ceux de la "commande ».

C'est sans doute d 'autant plus nécessaire que les interprètes de ce tableau ont révélé parfois une méconnaissance complète de sa si­gnification ou négligé, comme autant de détails, des données es· sentielles. C'est ainsi que M. G. Cohen en écrivait: "La divinité , du hilut d'une loge ou d'un étage à ·baldaquin surveille la scè­ne " (2).

Il est pas question dans ce tableau , dont le sujet est l'tE4>iphanie des personnes divines autant que l'Annonciation, de " la divinité " , mais de Dieu le Père, tenant dans la mll'in gauche le globe du monde, bénissant de la main droite, e t dont le mantea u est port.é

(1) Obteroatio1'(J' ,ur le triptyque de Z',4, nnoncioti :m d'Aix (Reu ue des Art" 1. III , 1953, pp. 21-26) et surtout L'Annonciation d'Aix (Protlcnce historique, l . IV , 19540 pp . 82-98) qui a le trM grand et rare mérite de soulever la question de la théologie du I)blftu.

(2) HÎll. de Id mile en .rûne dans le th~(Ure religieux français du Moyen-Age, (nlle Milio." Paris 1926), p. 118.

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par des anges . Quoi qu ' il en soit de l ' influence d 'u,\e école (3) ou d 'un Conrad Witz (4), ce Dieu est le Dieu de m aje<!fé de l 'époque romane, avec les a tlributs de sa puissance; m ais au lif u de trÔner et de juger ·comme un Pantocrator , il est représenté dans son action de salut ; on m esu re là l'évolution du sentiment relig ieux en Occi­dent sous l'influence notamment de Saint Bernard . IOn le voit ici envoyant SUr terre son fils , pour sauver les hommes. ,

Ceux qui ont fait de ceUe œuvre un tableau cathare (5) , ont ou­blié que, dans la logique de leur dualism e, les Cathares étaient docètes, ne faisant donc de l 'humanité du Christ qu lune apparence et supprima nt du même cOup la Rédemption (6). Ici au conlraire est affirmée la ré.alité de l ' incarnation, puisqu 'on voit distinctemenl plonger , pour a insi d ire, du haut du Ciel, le corps d 'un cnfanl qui va prendre place en le sein de Marie. Non sans naïveté, mais avec conscience des exigences doctrinales, l' artiste l'a représenté tenant une croix (7) pour associer les mystères de pncarn ation el de la Rédemption. Mais on ne peut ~'empêch er aussi de se r",ppeler le type du bambino d e l 'art italien du XV' siècle, tel qu 'on le trouve par exemple li San-Lorenzo de Florence (8) et qui 1 révèle la place que l'enfant commence à prendre dans la société du temps, sous l'influen'ce, ici encore, de saint Bern ard .

f;~~~~:?~~~~~~~~r~~i~f:~ii~I~~~~;::1}:::~î~:~~~~~~~,tii~r;E~H~;_:r: ~'bo~~~~ ' 1!9~~efte;n 1~5~~6;JfI~e~~ b~;:ul~~~~n~: s : é~;~ e~~t il~pjr:i~i, Ii:s V~~~G,il'~~n: l'art fran çais (Pa ris, 1950), p. 17. Sur ces problèmes cr la brh e mise a u po int de Ch.

~~:~t~I~~~:f:~~::~:~p11~~:t~~l~;~~i!~~f~;~isS :~~~;~~l ~!;:r~TI~:,:ta~~:d~:Ëli~~:~~ classées , de Ernest LoUhé, La Pensée ch rétien n e dans la peinturil flamand e et holltl1l­daise de van Eyck à R embrandt (1432-1669), le Christ et la Vierge Mari e, 1. l , Pari .~ 1946.

ie~4~~Sr:~g~r~:~:~! ~Je~iW:~1~~~d~i~s,l~~~~~~~~;~~t~~,;:~~~s~:~~éJ.{i .l i~~~~~;~~~i Char onton (Paris, 1938) , p. 20. Je ne puis préLe ndre sig.,alcr Lous lcs hi ~ loricn s qui onl i raité ccs problèmes .

(5) Vaudoyer, cité dans Prov ence hist., p. 84.

,u~:{ ~~u:e ~~~ti:;!~q~~~ S:s ~un~~~~rfan~~!~d~~i~nes ~l E~~~~;~*d~' .d~ntr~ ~;~~~;~~'i c~; ~ i, ~a~~ok 1(~: 'L~' &~~ 32f~t ~) ; ;B!:~i;rddG;i~I~~:~erd~e l ,~~t~:;f:e ::'rl~~l~ !Il(l ~~:~ : par G. Mollal. (Classiques de l'h ist-. de Fr . au M. A. , 8, Paris 19~, 1.. J, p. 14) ; elc . ..

(7) Il en esl. de même dans l 'Annonciation du Maitre de Flémall e (T.olth ~ . pl. V). (8) li s'ag it du bambino, il est vrai postérieur (c. 1460), du l ' be rnacle de Desideri o

~~ ~~lii:r~~~~ ;niIF?:e~!e~' l~nè::p~i'eOOM~d~c~: f~t~~~~!, :l~~lr ~g~tuna , la Rtui/iCR

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LA THEOLOGIE DE 'L' ANNONCIATION D'AIX 93

L'enfant est porté dans un r.ayon de soleil qui sort de la bouche du Père. On se tromperait en ne voyant .ici qu'expression poétique. L'artiste a voulu r~peler que le Christ est d 'abord le Verbe, et que ce Verbe a pris ch.air par l'opération du Saint· Esprit qui est le souffle du Père, spiritus (9).

Les artistes ne pouvaient évidemment représenter l'Esprit-Saint que sous les fOl'llles sous lesquelles il s'était manifesté , colombe ou la ngue.s de fuu. A notre époque la colombe fut le plus souvent choisie pour cette scène de l'Annonciation ; tout .le monde connalt les œ uvres de Fra Angelico; mais Jean van Eyck, dont le tableau fi

bien des égards rappelle celni d'Aix, a illuminé ses Annonciations de ce même rayon divin (10).

Le thème du rayon se rattache à celui de la verrière, symbole de la virginité, que ces œuvres de l"Espr.ït n 'ont pu entamer en Marie. Thème classique à l'époque, puisqn 'on le trouve dans le Miracle de Théophile de Rutebeuf, mais constamment aussi dans la litté­rature troubadour (11) .

J'ai parlé du réalisme de l'incarnation en ce tableau. On remar­quera pourtant que le rayon de lumière et le corps de l'enfant ne visent pas le giron de la Vierge (12) mais son front. L'artiste s'est inspiré sans doute du mot de saint Léon: Virgo . .. pro/em prius COn­ciperet m ente quam corpore (13), lui-même écho du passage évan -

(9) Théologio familière a'ux peintres de l'époque puisqu'on la retrouve dans le Cou­ronnement <ù la Vierge d'Enguer rand Charon ton : cr mon ar Ucle des AnnaleJ du Midi , l. LXVIII, (1956), p. 162.

(10) Lotth6, pl. IVa. (11) Diego Zorzi, Valori rcligiosi nella leUcratl1ra prouenzole, la Spirituolild tri·

nitaria (Pubblic4l . dell'Univ. CaUoi. deI S. Cuore, Nuo"a Serie, vol. XLliV , Mila'no, 1954) , pp . 107, 195-198. Il n'est pas besoin de laire r emarquer qu'cn pareille m atière, 1e recours aux textes Utléraires est tout aussi utile que celui au,x œ uvres plastiques, Il y aurait sa ns doute à! chercher plus qu 'on ne l 'a fait dalns I6SI troubadours, si l 'on v()ulaiL expliquer Lau le }' ioonographic provençale de l 'époque.

(12) Je ne crois pas que ce probillme a. it été jamais étud ié. Voici quelques ind ications au hasard :

- dans la peinture Ilamande il est rréquen-t que le rayo n d i" În vise Marie au front : Lotthé, pl. III 3, r-v a, IV b.

- choz Giovanni di Paolo dans 1'Annob-ciation de la Pinacothèque de Sienne , 'nO 575, le r ayon porlant la colombo, vole "ers la poitrine de Marie. L'œuvre est à peu près oonlemporaine de cen e d'Aix. On 56 rappellera les relations entro Sienne eL Avigno,n au XIVo siècle, interrompues sans doute par le Grand Schisme, mais qui ont pu repren­dre au momen t du concile de Pise et en leut cas après 1417. Il en est @ même dans u'ne des Annonciati ons de Fra Angelioo : Ed. Schne,ider, Fra An,g,tlico da. Fiuole (nlle éd. , Pa-ris 1933), pl. XXV.

(l3) Sermo 1 de Nativitate Domini, que tou t le monde connaissait au Moyen-Age, car on Je Usait au deuxième Nocturne de Noël.

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94 ET. J)ELARUELLE

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gélique : « Heureux le sein qui vous a porté 1 Plus lleureux ceux qui écoutent la parole de Dieu ! " (14) .

Au vrai il y a ici sans doute un exemple de la cqnception per aurem, ce qui expliquerait aussi que la Vierge inclin~ la tête com­me pour tendre l 'oreille . Rabelais, en tournant en dérision cette formule un siècle Iplus tard, en attestait le succès à la fin du Moyen· Age (15) . Il fut grand notamment parmi les troubadours (16) , et ici encore on peut donc pemer à une influence littéraIre.

La Vierge est agenouillée , comme la plupart du temps dans les Annonciations du XV' siècle, au contraire de la pein~ure avignon­naise du XIV' siècle, lorsque Simone Martini la repr<\sentait assise. Elle n 'est pas vêtue en béguine, quoique la rég ion ait eu ses bé­guinages autant que la Flandre (17), et, m algré le pr~cepte de saint Paul qui veut que les femmes aient la tête couverte 'à J'qglise (18), elle ne porte aucune coiffure (19). Elle est donc une laïquf' Le manteau dont elle est revêtue, qu oi qu 'on en ait dit (20), n 'est pas une chape,

(14) Luc XI. 27-28. Saint BernanJ a souvent. insisté SUl' r;c c:lraclèrc !'piriLucl de la r,onceplioll do .Tésus par Marie : on trouvera ces texte"5, ou ceux qu'on lui at.tribua. clans l 'anthologio du Père n ernard. snint Bernard et No lre·Dame (1953), qu ' II f,wl juger sévèrement du point de vue critique (cf Reulle d'H isL. cccl. l. XLVIII , 1951, p. 857) mais qui est un r ecueil commode ; par exemple pp. 76 ct 294.

(15) Pantagr u el , 6. cr L. Febvro, Le ProbMm e de l 'incroyance ab XVIO s., la R eli­gi :m de Rabelais (E\'olut. de l 'humanité, 53, Pari s, 1947) pp. 16B-FO.

(16) cr Zani, op. ciL , pp. 198-200. Cel te formule correspond parfois à une théolo­Ilie profonde, qui "oit dans le Christ d'abord un Ver be , cr sainL : Be rnard, in fesb :;=~!ef~ !e;:~glo~i'e ~:lih~:~r~iSI::~S~i Ràun~~~a~,a~;i~;a~i~~:;r.~~: ~;jd;é~~l~l~:~d~d~rrg~ Pètrement. et J . Marty (B iblioth . . ~cie ntif., Paris 1949) p. 72.

(17) 11 fau l co rri ger sur ce point les affir mations trop rapides de :Van J\fierlû , Bég,u;. nages (Dict. d'I-li.,t. et de Géo. cecl.) ; d Zorzi, 'lp. d t. , pp. 71~7~. On COllllôliL bien le cas de sainte Douceline ; on pourrait en rapprocher cCl lui il n J!)nlphi nc de Signe, vê tue de Il bureau li (cr Pierre Girard, Saint Elzéar de Sflbr(ln tt la bit:nl/clI1'euse Delphine de Si~ne (Paris, 1912), p. 85. '

(18) 1 Corinth . XI 6 sq. A l 'époque de notre tabl ea u ce 1e,: Le est ~'acLua lil é ; il " Îe.,t d'être lnrvoqué pl'lr les juge!! de Jeanne d 'Arc, non sans doule au s~ljet ilu \'oilo porté

~~:,év~I:!eie;n~~~n~iP~~Oit~xtces !~:t:SiS~lj~rid~~7 '~I~i A~e~rl~~~~l~ }~'I~~~~c rd '!?~cg~t ?:~ Juges (Pnris, 1933) PI). 292-294, 304, 311.

(19) C'est donc déjà le tJpe de f< la jeune fill e aux lon gos chc,'pu :\: li dont n pa rl ~

~~i~~~;r~~~~~::d::e"1~:~r~~~~~r::u:~ Il{;s ;'co~~;:~!~n~~~~ ~;~E~~g~~~~~}~e~:~~~~i s 'explique nt pas, l'n pulie d u moins. par une inllue nrc dns llI )'st.hrps. 11 en fut joui :\ Aix en 1444. .; cC Gust. Collen Eludes d'Ilist. du théâtre en Frullce ail M.A. el, (f' Renaissance (Paris. 1956) pp. 163·168. Mais on pense surlo u1 nu myslère de la Pr~·

r:~:~io;'rtee I~hi~~~~:u~e s~~ézli::e:pa~l~:;l~ ia~Vi{~~~g~nTh11'3~'rfl~f' a~, Ct~~rs,n~:;~~~: r:hurch , t. Il (Oxford 1933) p. 225.

(20) Lotthé op. d t . p. 25 .

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LA . THEOLOGIE DE L ' ANNONCIATION D'AIX 95

il suffit pour s 'en rendre œmpte d~ Je comparer au vêtement li­turgique de l'ange (21). L'abbé Laurentin a bi~n montré en quel sens il a été alors question de la « Vierge-prêtre » (22) ; c'est tout juste si, dans un palinod exactement contemporain d~ notrll tableau, Marie porLll le~ insignes du pontif~ de 1'.Ancienn~ Loi (23).

L'annonce Il. 'Marie est par excellence le commen.:~mént de la B9nne nouvelle, l'inauguration de l'Evangile, qui déso."IUIis sera proclamé à travers le monde. L'artiste a trèJ! heureusement ~voqué cette perpétuité du message et sa diffusion dans l'Eglise en rè'lré­sentant dans la nef centrale qui s'ouvr~ derrière Marie - c'est sans

- doute maladresse du peintre, si elle lui tourne le dos, mais (:'est intention si elle reste à l'entrée - la lecture de l'Evangile faite par un prêtre au début de sa m esse (24). Synthèse théologique qui annonce celle de Roger van der Weyden dans son adllÙrable tablea\': des Sept Sacrements.

Je parlais d'une église à trois nefs . Outre qu'on ne comprendrait par un acte de l'importance de la messe :se célébt:ant furtivement en dehors de la nef centrale, il semble bien que cette deuxième nel soit plus profonde que la première et terminée par une abside, au lieu de l'être par un chevet plat. Les ombres portées des pilie .. qui .sont derrière Marie, montrent qu'il n 'y a pas de verrières à droite poUl: éclairer directement cette nef, aU contraire des ouver­tures qui illuminent la nef de gauche (25) .

Le problème reste évidemment entier d'identifier cette église aux nel~ latérales aussi hautes que la nef centrale. Faut-il penser 11 une hallenkirche flamande (26) P II ne saurait s'agir en tout cas

(21) Il est à noter que certains des Apôtres représentés su r la chape de l 'a nge por­\.ent les mêmes e mblèmes que les Apôtres de la faç.ade de Saint-Sauveur, il ~t vrai postérieure, et où l 'on retroU"e le singe du lutrin de la Madelerne.

(22) R. Laurentin, Marie, l'Eglise et le Sacerdoce, 1.. 1 (Paris, 1952) pp. 101 sq (23) n. Laurentin , Dif/rle ve.tture au prestre souveraÎn (R el' . du M.A. latin , t , IV,

19.a) pp . 253·274. (240) R. Laurentin, Marie , pp. 125-126, a cité un texte espagnol du début du XV·

5. , établh;san l. un parallélism-e enlre les di.verses parties de la m-esse et. les moments IUQCeselb de la vie de Marie.

(25) l e ne sais si l'on a fail. l 'hypothèse qu e notre tableau aurait été rogné sur sa droite, 00 qui expliquerait que ceL épisode, évidemment essentiel de la me!5e, ap­paraisie aujourd'hui sacrifié_

(26) L'église de Grena.de (H. Gar .) a I.rois nets de me me hauteu r : cr R . Rey, L 'Architecture got hique du Midi de la France (paris , HlM) p . 69 .

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96 ET. nELARUELLE

d 'une église dominicaine. On sait d'ailleurs, par les beaux travaux d'Elie Lambert, que ces églises furent rares et on n'en connalt au­cune en Provence (27).

C'est suggérer aussi qu'il faut sans doute diminuer la par,t des Dominicains quand il s',agit de l'inspiration de cette œuvre. Rien n'y révèle la théologie des Frères Prêcheurs. Ils n'~n.t d'aille ur. jamais soutenu « que la Vierge, sanctifiée dans le sei~ de sa mère, n 'a été purifiée et soustraite au démon qu'au moment' de l'Annon­ciation» (28), thèse au demeurant dont les termes sont contradic­toires. On est bien renseigné SUr la théologie dominic~ine de l'Im ­maculée Conception à notre ~poque par les débats que souleva, 11 l'Université de Paris vers 1387, le Prêcheur Jean de Montson , qui se prolongèrent jusqu'en .1,403 et lm cours desquels l'Annonciation ne fut pas mise en cause (29). Les Dominicains avaient d 'ailleurs le 8 Décembre la fête de la Sanctification de Marie . ' Le singe du lutrin n'est donc pas, me semble-t-i1 , le « symbole du satanisme et de l'hérésie» (30), mais il dit sans doute, ~ une élloque déjà de R~maissanœ, la part d'imitation qu'il y a dans cette œuvre (31). Quant à Marie-Madeleine, elle était vénérée en Provenc~ par d'autre. que les Frères Prêcheu~s (32).

J 'ai plaisir par contre à retrouver M. May quand il dit la signifi ­cation des fleurs, toujours associées en effet à la scèn'e de l 'Annon­ciation (33), ou quand il oppose ·Eglise et Synagogue ,et montre l'a

(27) Elie Lambert. L'église ct le couvent des Jacobi", de ToulJu$~ et l'architecture dominicaine en France (Paris, 1947) ; du même, Les églises lt. deux nefs chez le! Jacobin. (A.nn. du Midi 1. LXVIII, p. 165.

(28) L. Phil. May , . dans Provence Historique, p. 86. (29) cr P. Féret. La Fcu:ulté de théologie de Paris et ses docteurs /l es plus Cl!lè bTe~,

Moyen-Age. 1. TIl (Paris 1896) pp. 151-162 ; X. Le BacheleL, Immaculée Conc~pti:m (Did. de Théolog.) t. VII, col. 1083 sq. 1

(30) L-Ph. May. loe .eil. (31) Cf A. Chaslel , dans BibHoth. ,d'Humanism e et Renaiu a.nu, Traullu:z: d Docu.

ment', t. XVI, 1954, p, 258. (32) Cf Zoni, op. cit. , p. M, cih.nt un manuscrit de 1372. (33) Sur l'origine de ces fle urs, cf E. Mâle, op. cit., pp. 245·246. Il vaudrait la

peine , ici encore, d'étudier l'influence de saint Bernard ou oolle, len Provence, dei

~ri:a~i~s'ca~diJ!e~~~ ~irg~~:!~:m~'A:~biS:un~~I~~~h~~r~~t!~gL~ !:!i~d~ ~~~~d~ d6crit longuement le lys aux pétales en couronne (Sermon LXX) ., Pour les trouba· dou r9, d. Zoni, op. cit ., pp. 192, 200, 286 sq. Un bon- exemple cal celui du poème M Peire de Corbiac : Dame, rose ,an, épines, que l'on trouvera partiellement 'd.ans le. Troubadour' ( le Cri de la France. Paris 1946) p. 230.

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LA THEOLOGIE DE L ' ANNONCIATION D ' AIX 97

Vierge entre les deux (34) . En insistant SUr le earactère théologique de cette œuvre, M. MllY en a fait avancer l'exégèse et en a révélé la profonde signifiœtion·.

II serait intéressant d'étudier les Annonciations peintes sur le mo­dèle de ce chef d'œuvre. Ce n'est pas mon propos; je veux pourtant signaler une œuvre de l'<<Ecole Languedocienne », léguée par Paul Dupuy, et aujourd'hui conservée au Musée des Augustins de Tou­louse. Mais surtout qu'il me soit pennis d'inviter les cMrcheurs à compléter mon propre travail et à poursuivre l'étude d 'une œuvre mallres.e, qui ne fflit pas date seulement dans l'art d'une époque, mais aussi d'ans l'histoire de sa pensée et de sa prière .

ET. DELARI1ELLE

(8') Ici encore toule une étude lierait à taire sur le !i.eu do l 'Annonciation . Je si-enale seulement quelques cas-types :

_ van Eyck, déjà cité, a placé la scène à l'intérieur de l'église. _ Broeder.lam (Lotthé, pl. III) la situe sur le parvis du Temple. _ un ms. des Heures de Paris (Manuscrit. cl peintures du. XIIIe au XVIe s., Biblioth.

Nation. 1955, pl. XXVI) qui date de o. 1410 au pied d'un autel, dont on ne voit' que le côté de l'Evangile.

- le MaUre de Flemalle (Lot~hé, pl. V.) dans la chambre de Marie ;' ainsi que Roger v. der Weyden (ibid., pl. VII).

- un maUre anonyme de c. 1390, assied Marie sur un trOne devant un fond doré (la Peinture gothique par J. Dupont et Cesare Gnudi, (Skira 19540) p. 126). L'œ uvre et' d'ailleurs médiocre au point de vue théologique. - DisposiLion analogue ehez le Maitre de Heiligenkreulz (ibid. p. 183).

- l'usage de Fra Angelico, contemporain lui aussi du Maitre d'Aix, est par contre variable: cl Ed. Schneider, 'p . cH. pl. III, XXIV, XXV , LI, LlV, LXXIII.

Ces choix s'expliquent sans doute par des influences liUéraires : Ubertin de Cuale, dont l'action ful considérable en Italie, situait l'Annooci-alion au Temple; ·le Bruxel­loit Jean Monbaer dressera plus tard Marie «debout devant l'autel» : cf R. Launmti.l, Marie, pp. 106-107. Quan·t au choix d'une chambre pour celte scène, il ne vient pa.s d'un besoin de réa\isme bourgeois, quoiqu'li en soit des goo.ts qui s'y manifestent ct du bonhe u1' 11. peindre des natures mortes, mai s ici enoore d'une idée théologique : à J'Annonciation Marie devient l'épouse du Saint-Esprit et il convient que sott clatre­ment évoqué le cadre de ces noces, y compris le lit, que l'on verra lOu'Vent dans ces

f9ôYr;:.s / s~r s::; s~~i~e é~~~~ ~cl!~~g~~t-~~i;tL~~~~ ~! t~~~:a::~~ ~r~~'in~PB::~a~d

(in Domin. Il pOlt Epiph., Sermo 1).

P. S. - Cet arUcle était achevé quand a paru l'article de J. Boyer, le MJlttr~ d',.{iz ,nfin identifié (ConnailSance d'A.rt. , Février 1958, pp. 38-43), où est proposé l 'hypo­U.lIM que l'auteur de l',.{nnqnciaHon senit Guillaume DombeL, peintre avignonnais, originaire de Bourgogne et en Tchtions avec Jes Pays.Bas.