La Surdite Dans La Vie

114
ERRATUM p. 3, 4ème paragraphe, avant dernière ligne : Lorsque les sourds parlent, tous leurs probf èmes sont-il s résolus pour autant ? Lorsqu'ils parlent mal , ou pas du tous, sont-ils perdus, "hors société" ? p. 26, au début de l'avant-dernier paragraphe lire conservation au lieu de conversation. p. 29, ler paragraphe, 6ème ligne en partant de la fin : ils s'en décourage vite, ayant toujours l'impression que le médecin refuse de les écouter : ceci seulement parce que le médecin ne quitte pas le papier des yeux. p. 36, dernier paragraphe lire 1 'hypothèque au lieu de l'hypothèse. p. 37, 2ème paragraphe, 8ème ligne : sans que la tête se détourne.. . p. 60, 2ème paragraphe, 2ëme ligne : l'offensé mesurera l'offense à l'aune. .. p. 78, ajouter à la fin du 3ème paragraphe : On est loin de 1 'image donnée parfois d'un langage spontané s'élaborant entre pairs. Il y a comme inscrit quelque part une orthodoxie de la langue dont les aînés sont les dépositaires. p. 84, après le ler paragraphe : Regarder la télévision ou prendre part à une conversation requièrent des types d'investissement comparables. Dans les deux cas on ne peut à la fois faire l'interprète et participer vraiment. Dans les couples mixtes, les conjoints s'accordent souvent à dire qu'il n'existe pas entre eux de pro- blèmes de communication mais que les difficultés et les frustrations commen- cent aussitôt qu'ils sont avec d'autres entendants ; en compagnie d'entendants, ils doivent s'efforcer de trouver un compromis jamais satisfaisant. La télé- vision peut ëtre considérée comme 1'intrusion à domicile de ce problème qu'on pourrait croire réservé à l'extérieur. Là aussi un compromis tend 5 s'instaurer e t qui nous semble à peu prés l e &me quel que soit la place du sourd dans la constellation familiale (parent, enfant, conjoint, place dans la fratrie, etc.. .) Probablement plus qu'il n'en est en général dans les familles dont tous les membres sont entendants, chacun tend à regarder ses propres programmes. Le membre sourd sait qu'il ne doit compter que sur lui pour suivre les siens. Il sait qu'il ne peut subrepticement s'intmiscer -et demander des explications- dans celui dans lequel un entendant se trouve impliqué. Dans ceux qui sont regardés en commun, il sait qu'il doit se montrer patient. 2") La lecture ...

description

:LA SURDITE DANS LA VIE

Transcript of La Surdite Dans La Vie

Page 1: La Surdite Dans La Vie

ERRATUM

p. 3, 4ème paragraphe, avant dernière ligne : Lorsque les sourds parlent, tous leurs probf èmes sont-il s résolus pour autant ? Lorsqu'ils parlent mal , ou pas du tous, sont-ils perdus, "hors société" ?

p. 26, au début de l'avant-dernier paragraphe l i r e conservation au lieu de conversation.

p. 29, l e r paragraphe, 6ème ligne en partant de la f in : i l s s'en décourage vite, ayant toujours l'impression que l e médecin refuse de les écouter : ceci seulement parce que l e médecin ne quitte pas l e papier des yeux.

p. 36, dernier paragraphe l i r e 1 'hypothèque au lieu de l'hypothèse.

p. 37, 2ème paragraphe, 8ème ligne : sans que la tête se détourne.. . p. 60, 2ème paragraphe, 2ëme ligne : l'offensé mesurera l'offense à l'aune. .. p. 78, ajouter à l a fin du 3ème paragraphe : On e s t loin de 1 'image donnée parfois

d'un langage spontané s'élaborant entre pairs. I l y a comme inscri t quelque part une orthodoxie de la langue dont les aînés sont les dépositaires.

p. 84, après le ler paragraphe : Regarder la télévision ou prendre part à une conversation requièrent des types d'investissement comparables. Dans les deux cas on ne peut à la fois faire l ' interprète e t participer vraiment. Dans les couples mixtes, les conjoints s'accordent souvent à dire qu'il n'existe pas entre eux de pro- blèmes de communication mais que les difficultés e t les frustrations commen- cent aussitôt qu' i ls sont avec d'autres entendants ; en compagnie d'entendants, i l s doivent s'efforcer de trouver un compromis jamais satisfaisant. La télé- vision peut ëtre considérée comme 1 'intrusion à domicile de ce problème qu'on pourrait croire réservé à l'extérieur. Là aussi un compromis tend 5 s'instaurer e t qui nous semble à peu prés l e &me quel que so i t l a place du sourd dans la constellation familiale (parent, enfant, conjoint, place dans la fratr ie, etc.. .) Probablement plus qu'il n'en e s t en général dans les familles dont tous les membres sont entendants, chacun tend à regarder ses propres programmes. Le membre sourd s a i t qu'il ne doit compter que sur lui pour suivre les siens. Il s a i t qu'il ne peut subrepticement s'intmiscer -et demander des explications- dans celui dans lequel un entendant se trouve impliqué. Dans ceux qui sont regardés en commun, i l s a i t qu'il doit se montrer patient.

2") La lecture ...

Page 2: La Surdite Dans La Vie
Page 3: La Surdite Dans La Vie

LA SURDITE DANS LA VIE

DE TOUS LES JOURS

les publications du C.T.N.E.R.H.I. centre technique national d'etudes

et de recherches sur les handicaps et les inada tations

27, quai de la tournelle ,5000 paris

par Bernard MOTTEZ

Maitre de recherches au C.N.R.S.

Centre d'Etude des Mouvements Sociaux

Page 4: La Surdite Dans La Vie
Page 5: La Surdite Dans La Vie

LA SURDlTE DANS LA VIE

DE TOUS LES JOURS

Page 6: La Surdite Dans La Vie
Page 7: La Surdite Dans La Vie

Pages

- INTRODUCTION

- CHAPITRE 1 : La comunt cati on

1 - Trois dimensions dans l'analyse de l a conanuni ca t j on

I I - Les obstacles à l a cornnication

I I I - Les contextes

- CHAPITRE If : La communication ent re sourds. La comunicatlon entre sourds e t entendants

1 - Le recours au langage gestuel ent re sourds

I I - Le recours à l a langue parlée entre sourds

If1 - La cornunication entre sourds e t entendants

- CHAPITRE I I I : Faut-il le d i r e ?

1 - Un handicap invisible

I I - Le menu quotidien

I I I - L'insigne de l a surdi té

- CHAPITRE IV : L'information

I - En guise d'introduction

II - Les canaux de l "information

I I I - Les inplications politiques

- CONCLUSIONS

Page 8: La Surdite Dans La Vie
Page 9: La Surdite Dans La Vie

I N T R O D U C T I O N .......................

Page 10: La Surdite Dans La Vie
Page 11: La Surdite Dans La Vie

I N T R O D U C T I O N

A l a demande du Directeur de l'Action Sociale e t des principales Associations regroupées au sein de 1 'U.N. I .S.D.A., un groupe d'étude sur l a place du langage mimo-gestuel (langue des signes) dans l 'édu- cation des sourds s ' e s t tenu dans l e cadre du C.T.N.E.R.H.I. de février 1978 à mai 1979.

Faut-Il continuer d'ignorer, voire d ' in terdi re l a langue des signes dans les écoles ? Y a-t- i l l ieu au contraire de lui redonner d ro i t de c i t é dans l a pedagogie ? Sous quelle forme ? A par t i r de quel âge ? Telles étaient , après un siècle d'oralisme, quelques unes des questions posées par ce groupe d'étude.

Au terme de ses travaux le groupe a remis un rapport rendu public (J. SIMONIN) e t demandé au C.T.N.E.R.H.I. d'entreprendre ou de f a i r e entreprendre des recherches portant :

- d'une part su r l a vie des adultes sourds. L'oralisme a f a i t de l a parole à l a fois le but e t l e moyen de 1 'éducation des sourds. Maiç qu'en es t - i l de l a parole dans l a vie des sourds ? La sociologie du Tangage, l 'ethnographie de l a communication e t l a socio-l inguistique nous donnent depuis une décennie l a mesure de notre ignorance ; e l l e s posent c o r n une énigme une question à laquelle i l semblait jusque là que l a réponse a1 l a i t de soi : à quoi s e r t l a parole dans l a vie sociale ? Comment e t pourquoi en use-t-on dans chaque sociëté ? La question se pose à for t ior i pour les sourds. Lorsque les sourds parlent mal, ou pas du tout, sont-i ls perdus, "hors société" ? Quel usage décident-ils de f a i r e de l a parole ?

- d'autre par t sur l e fonctionnement insti tutionnel e t pédagogique ainsi que sur l e comportement fami l ia1 qui constituent 1 'envi ronnement des enfants e t adolescents déficients audit ifs .

Ce texte e s t l e résultat de la première part ie des recherches, celles dont nous assumions l a responsabilité. Mené dans l e cadre du Centre d8Etude des Mouvements Sociaux (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), ce travail a pu ê t re réa l i sé grâce au financement du C.T.N.E.R.H.I. (Convention dlEtude no 79-3).

Page 12: La Surdite Dans La Vie

On verra dans le chapitre I l a problématique à laquelle nous avons abouti, pourquoi nous avons choisi pour analyser la façon dont les sourds se débroui 1 lent dans leur vie quotidienne de parti r de contextes spéci fiqws , e t ce que nous entendons par l à . Il e s t toutefois parlé dans ce chapitre de la comunication e t des obstacles à la comunication en général, sans qu'il so i t f a i t mention de la surdité.

Le chapitre I I analyse les obstacles spécifiques que la surdité oppose à 1 a communication.

Plutôt que de survoler les différents contextes tout en faisant varier certaines variables telles que le nonbre de personnes en présence, l a f inal i té des interactions e t le s ta tut d u sourd dans ces interactions, nous avons choisi de nous limiter à un seul exemple. C'est celui, relati- vement simple, des interactions brèves e t uti 1 i tai res entre deux personnes, l'entendant n'étant pas nécessairement au f a i t de la surdité de son inter- locuteur. L'exemple type e s t celui d'un achat dans un magasin. C'est l 'objet du chapitre I I I , où sous le t i t r e ''Faut-il le dire ?", cette situa- tion conversationnelle es t analysée dans une optique résolument goffmanienne (1).

Dans le cours de notre travail , deux autres types de contexte ont égale- ment retenu notre attention. D'une part les interactions plus prolongées, à deux ou trois personnes, portant sur des sujets généralement qualifiés d'importants e t où la surdité ne peut ê t re dissimulée, L'exemple type e s t la consultation médicale, mais i l pourrait tout aussi bien s 'agir d'une négociation d'affaire ou d'un interrogatoire au comissariat de police.

D'autre part, des conversations à plusieurs, non centrées sur un thème spécifique, mais avec des familiers connaissant donc en principe les impli- cations de la surdi té. On peut penser à un repas de fami 1 le.

La complexité de ces situations e t certaines difficultés d'ordre méthodolo- gique (à 1 'inverse de ce qu'il en e s t dans les contextes précédents, l'observateur perturbe ic i par sa simple présence les données du problème) nous ont malheureusement contraint à en différer l'analyse. On pourra trouver cependant i c i ou l à au f i l des chapitres des allusions à ces situations.

Nous avons jugé bon, pour f inir , de présenter une analyse d u problème de l'information (chapitre IV).

O O O

(1) Note de 1 IEdi teur : goffmanienne : adjectif désignant une pensée, un procédé, ut i l ise par Ervi ng GOFFMAN (cf. b i b1 iographie) .

Page 13: La Surdite Dans La Vie

Ce qui distingue 1 'inventaire d ' u n boutiquier d ' u n travail si modeste soi t - i l à vocation scientifique e s t que ce dernier n'apporte aucune certitude : i l ne livre jamais à fa clé que des hypothèses e t des propositions.

Plus que des résultats acquis, les analyses menées dans ce travail sont des propositions. Elles ont pour b u t de tenter d'ouvrir des champs nou- veaux, de sor t i r des ornières dans lesquelles i l s semblent s'enliser, les discours sur la communication habituellement tenus dans les milieux concernés par la surdité, de stimuler la réflexion, de susciter des têmoi gnages.

Les vêri.tês efficaces ne sont pas celles dont on nous assène la démons- tration, mais celles qu'on a découvertes par son propre cheminement. C'est une invitation en ce sens.

Seuls tes sourds peuvent mener vraiment plus avant e t corriger au besoin les analyses que nous avons proposées de leurs comportements e t de leurs stratégies. Nous les remercions par avance de toutes les remarques, suggestions e t rectifications q u a i l s voudront bien nous faire.

Mais i l ne s 'agi t pas seulement d'eux.

Ce travail en effet e s t tout entier sous-tendu par cette vérité d'évidence qui semble avoir échappé à la plupart des psychologues s'occupant de la surdité, a savoir que celle-ci e s t un ra ort. Ainsi, quand, au lieu de

--=3- chercher à trancher sur ce que sont les Sour s , sur ce qu ' i ls devraient ëtre, sur ce que l'on pourrait faire d'eux e t pour eux, les entendants comnceront i3 s'interroger plus simplement sur la gêne qu'ils éprouvent dans leurs relations avec eux, sur la nature bien particulière des compor- tements qu ' i ls adoptent lorsqu'ils sont avec eux e t sur les raisons de ces comportements, en bref sur la façon dont i l s se débrouillent avec eux, un pas décisif sera f a i t pemt t an t d'analyser le rapport de surdi té.

Merci donc également aux entendants pour leurs remarques.

Comme i l en es t généralemnt pour les travaux de type ethnographique, une grande partie du "matériel" provient de 1 'expérience que nous avons du commrce des personnes sourdes e t des observations que nous avons accumu- lées. Mais par ailleurs, en collaboration avec Harry MARKOWICZ e t bien souvent avec Arlene MARKOWICZ, u n nombre élevé d'entretiens ont &té réalisés I l s 'agissai t dans l a plupart des cas d'entretiens de groupe, non directifs ou semi -di recti fs.

Page 14: La Surdite Dans La Vie

II es t donc impossible de remercier nomnrément toutes les personnes ayant contribué d'une manière ou d'une autre à ce travail. Il importe cependant d'inscrire le nom de quelques uns - sourds, malentendants ou entendants - dont le concours fut particu'liPrement précieux ; ceci en raison so i t du tenpç qu' i l s accepterent de nous consacrer, so i t d'expériences vécues, voire analysées ensemble, so i t parfois d'une remarque ou d ' u n simple mot d i t mais qui fit son chemin. If s 'agit de Marie-Thérèse e t Daniel ABBOU, Victor ABBOU, Marie-José e t Anne Marie ARMENGAUD, Ralph BARKATZ, Guy BOUCXAUVEAU, Alain CHAMPIGNY, Chantal et Béatri ce KIEFER, El isabeth KRAUT, Cécile e t André MINGUY, Dora MOTTEZ f ma f e m ) , Jean-René FRESNEAU, Marie-France WEISSER, Evelyne e t Maurice ZMIROU.

Une mention spéciale doit ê t re faite à Harry MARKOWICZ. Corn i l le f i t e t continue de le faire pour beaucoup d'autres, c 'es t lui qui guida mes premfers pas en 1975 dans ma découverte émerveillé du monde des sourds e t de leur langue. Nous avons déc*idé de travailler ensemble. Notre collabo- ration a pu commencer de se matgrialiser en 1977. Depuis, nous avons tellement échangé e t nos activ'ités se sont tellement mêlées qu'il e s t devenu diff ic i le de déterminer ce qui revient en propre à l 'un ou à l 'autre dans ce que chacun d'entre nous es t amené à entreprendre, à d i r e ou à écn re.

Marie-Française t e DRIAN a mis au c la i r l a bibliographie e t Marie- Bernadette BURDE s ' e s t chargée de la frappe du manuscrit.

t a lecture soignb du manuscrit qu'ont faite Jean-René PRESNEAU e t Evelyne e t Maurice ZMIROU n'a pas de prSx : leurs remarques éclairées m'ont conduit à modifjer certains points e t à en affiner d'autres.

Page 15: La Surdite Dans La Vie

C H A P I T R E 1 ------------------- -------------------

LA COMMUN K A T ION

Page 16: La Surdite Dans La Vie
Page 17: La Surdite Dans La Vie

LA COMMUNICATION

1 - TROIS DIMENSIONS DANS L'ANALYSE DE LA CONMUNICATION

Pour étudier l a communication, i l nous paraît comode de séparer net- temment t ro is réa l i tés relativement isolables d'un point du vue anal y- tique, mais - e t l 'on insistera jamais assez sur ce point - on ne peut plus intimement e t obligatoirement l iées dans leur mnifestat ion prati- que, c'est-à-dire dans tout acte de communication verbale. Elles sont passibles chacune d'une analyse voi w de plusieurs types d'analyses autonomes, analyses menées dans chaque cas avec des i nterrogati ons, une conceptualisation e t une méthodologie spécifique. C'est d'ai 1 leurs essen- tiellenient en partant de ces modes d'analyse que nous chercherons à l e s distinguer.

C'est à l a langue qu' i l e s t essentiellement e t presque exclusivement pensé lorsqu' i l s ' a g i t de comunication. La langue e s t 1 'objet d'une discipline autonome qui sentble avoir f a i t de ce t objet son monopole : l a linguistique. 11 convient toutefois de souligner que l a linguistique, traditionnellement du moins, n'étudie pas tellement l a langue en tant qu'instrument de conununicatfon. Phonologie, morphologie, syntaxe, e tc . . . , de tous les angles sous lesquels e l l e a jugé judicieux d'appréhender son objet -e t se subdivisant du même coup en autant de sous-disciplines ou spéciali tés- i l n ' e s t que la sémantique qui a i t un rapport un peu plus direct avec l a comunication. Mais i l e s t c l a i r que l a sémantique elle-même n 'es t en mesure de t r a i t e r qu'un aspect du problème de l a communi cati on.

Nous ne mentionnerons i c i que 1 a phonologie qui a , pour notre propos, deux implications dont on verra par l a sui te toute l'importance.

La première e s t de rappeler 1 a matiëre première de l a 1 angue, sa base physique e t physiologique. Pour ne s'en teni r i c i qu'aux langues habi- tuelles jusque l à l e s plus étudiées, e l l e s sont fom&s de sons, c 'es t - à-dire de vibrations perçues par un organe spécialisé, 1 ' o r e i l l e , e t émis par ce qu'on appelle parfois improprement 1 'organe phonatoire. Improprement dans l a mesure où, à la différence de 1 'oreil le , i l ne s ' a g i t pas d'un organe spécialisé. La production des sons nécessaires à la parole résulte de l a mise en oeuvre de différents organes ayant chacun d'autres fonctions.

Page 18: La Surdite Dans La Vie

La seconde, liée à la première, es t de nous rappeler que les langues sont orales, ceci voulant dire que la langue écrite e s t seconde. L'écrit n'est, en principe, qu'une transcription de la langue (orale), une abstraction. II en e s t plus exactement un sous-produit, voire, dans la mesure où i l acquiert une certaine autonomie, un sous-système.

Ce n'est pas l e lieu d'analyser les raisons sociologiques qui ont conféré à 1 ' éc r i t le s ta tut éminent qu'on lui connaît. Le privilège accordé à l ' é c r i t a eu pour résultat de faire de cette abstraction l e modèle de la langue, la langue par excellencei 11 a eu du &me coup celui d'introduire entre les langues une hiérarchie e t de faire que celles qui n'ont pas d'écriture sont parfois jugées inférieures, incomplètes.

O n peut comprendre la signification d'une phrase sans en comprendre le sens. La signification renvoie à la langue, le sens au contexte dans lequel e l le es t énoncée. Tout ne peut ê tre d i t e t explicité. Le sens d'une énonciation es t inféré à partir d ' u n contexte, d ' u n non-dit supposé connu e t d'un jeu de déductions .supposant respectées quelques unes des lois du discours (Grice 1975, Ducrot 1972). Domaine en plein essor, surtout depuis une dizaine d'années, la pragmatique a f a i t de son objet ce que Saussure avait rejeté hors du champ de la linguistique, voire déclaré inapte à pouvoir devenir objet de science : les actes de parole.

"La pkagniakiyue, éc?i.ivent A.M. DTLLER QA F. RECANATI. 6omvLt non neu- tement un cadm théok.ipue pemettant de Ltoitefi d e n nuje& comme Leil aotw de h g a g e , L'ahgwnentdon, L a " toh in" de La c o n v ~ d o n au ten boa-edenduo, ma.& w 4 . i un mode d'apphoche otugind de pnobtëmen conbidéhén h&onne=emey1$ corne fien~o&i~baur;t à &a Aémadque : aedéhevlce, m o d d L t ~ , pk.enupy~on&o~d, etc.. . P h généndement, Ba pmgmatique &tudie BILLti&ibation du tangage dam Le !(,corn, e t Be& mwqued npéc.i&iqueb puA. d m Langue, &entent na v o c d o n a- c u ~ i v e " ( 1 l .

( 1 ) Il ne s e r a f a i t tout au plus qu'incidemment a l lus ion dans ce t r a v a i l à c e t t e dimension. Tout nous porte cependant à penser que c e t t e perspective d'analyse e s t l a seule e n mesure de poser enf in de manière fructueuse e t saine tous l e s vieux bâteaux t e l s que l a soi-disante naïveté des sourds qui prennent tou t à l a l e t t r e , de l e u r prétendue inap t i tude à l ' abs t rac t ion ( e t l eur soi-disante voca- t ion pour l e concret) ou du problème de l a l ec ture dans son ensemble. Tout ce que l a pragmatique apportera à l a connaissance de l a s u r d i t é l u i s e r a bien rendu. Nous nous étonnons &me que ces p ra t ic iens exemplaires de l a "suppléance mentale", que sont l e s sourds, e t que l e s échanges sourds-entendants s i r i ches en malen- tendus, faute de sous-entendus communs, n ' a ien t pas encore a t t i r é l ' a t t e n t i o n d e s chercheurs oeuvrant dans le domaine de l a pragmatique.

Page 19: La Surdite Dans La Vie

Le terme de conversation ne d o i t pas ê t re p r i s i c i dans son sens res- t r i c t i f . Il s'applique à toutes l es s i tua t ions 00 il y a échange verbal. 11 peut donc, exactement au meme t i t r e qu'une conversation mondaine ou de b i s t ro t , s ' ag i r d'une demande d' information sur l a voie publique ou au guichet d'une administration, d'une conversation téléphonique, des ordres donnés par un supérieur à un i n fé r i eu r dans l e cadre du t rava i l , d'une discussion amicale ou non, d'une négociation d'affaire, d'un débat pub1 i c contradictoire, d'une consultat ion médicale, d'un ent re t ien psychiatrique, d'une sa1 l e de classe, d'un échange amoureux, d'un séminaire de recherche ou d'un repas de famil le.

Le terme de regles de l a conversation évoque en e f f e t dans un premier temps les vieux manuels de savoir-vivre. Ceux-ci furent, sous forme prescr ipt ive, l es premières exp l ic i ta t ions des usages de f a i t . I l s restent à ce t i t r e des o u t i l s de t r a v a i l précieux pour l 'analyste des règles de l a conversation. Mais l e b u t q u ' i l s se proposaient e t l a catégorie sociale des personnes auxquelles i l s éta ient pr ior i ta i rement destinés tendent à f a i re penser que ces dernières seraient les seules détentrices ou du moins les principales détentrices de l a connaissance de ces règles. D'autre part, l 'accent mis sur les "usages mondains" tend à exclure de ce qui se ra i t du domaine de l a conversation par excellence les échanges avec les domestiques auxquels, dans l e chapi- t r e qui l e u r es t consacré, il e s t surtout recommandé d'apprendre à "ne pas répondre", ou l'échange de propos in jur ieux, qui a aussi ses règles.

La connaissance des règles de l a conversation e s t une connaissance également par tagh. Faute de les appliquer, aucun échange verbal ne s e r a i t en e f f e t possible. Mais e l les sont s i intér ior isées, e l l es nous paraissent s i naturel les e t a l l e r de soi que nous ne savons pas que nous l es connaissons. Nous ne nous apercevons de ce savoir que lo rs - que qwtlqu'un se trouve l e s enfreindre. Comme notre langue maternelle, e l l es sont apprises naturel lement. 1 'apprentissage des règles de 1 a conversation précède &nie e t conditionne l'apprentissage de l a langue {BATESON, 1975 ; BRUNER, 1978 ; COSNIER, 1979 ; STERN, 1974).

Cette dimension de l a communication peut être, d'un po in t de vue ana- ly t ique, entièrement isolée des précédentes. Les règles de l a conver- sation, dans l e sens où nous l'entendons i;i, peuvent ê t re étudiées indépendamment de toute référence au "sens . Leur étude peut f a i r e à l a l i m i t e entièrement l'économie du contenu de l a conversation. E l l e porte sur les règles qui rendent possible 1 'échange verbal. Ces règles se s i tuent en amont, s i 1 'on peut d i re, de toute problème, e t de langue e t de sens.

Page 20: La Surdite Dans La Vie

Erv ing GOFMAN a é t é l e v é r i t a b l e i n i t i a t e u r des recherches s u r l e s règles de l a conversation. Ce champ d'étude e s t devenu aujourd 'hu i l e l i e u de démarches p lus spécif iques e t d'affrontements théoriques. Le coeur des recherches empiriques sur l a quest ion -au premier rang desquelles i 1 f a u t conpter l e s travaux de SHEGLOFF e t du r e g r e t t é Harvey SACKS- por te sur l e " t o u r de paro le" ( turn- tak ing) . Cela veut d i r e aussl su r "qui commence une conversat ion e t qu i l a termine", ou s u r comment commence e t comment se termi ne une conversation.

Simple quest ion de convention, nous rangerions vo lon t ie rs parmi l e s règ les de l a conversation, ce l les qui rég issent l a langue, l a va r ié té de langue ou l e code de langue auquel des ind iv idus en i n t e r a c t i o n doivent a v o i r recours.

Il y a, par exemple, des contextes qui n'imposent pas une v a r i é t é com- mune mais qui imposent au con t ra i re que chaque in te r locu teur , même s ' i l connaî t un peu l a v a r i é t é de 1 'autre, se d o i t de n ' y pas recour i r . Il ne l e peut que s ' i l l a connaît parfai tement. Mais l a connai t re par fa i tement e s t s i 1 'on peut d i r e moins a f f a i r e de langue que d'appar- tenance soc ia le . Ces s i t u a t i o n s , f o r t nombreuses, sont c e l l e s où il importe au p lus haut degré que l a distance s o i t marquée, que l e respect de l ' a u t r e dans son a l t é r i t é s o i t respecté. Ces s i t u a t i o n s peuvent ê t r e en apparence aussi opposées que c e l l e par exemple où, à moins d ' ê t r e médecin soi-srne, un c l i e n t se d o i t de ne pas r e c o u r i r au jargon de ce s p é c i a l i s t e mais p a r l e r de ce dont il souf f re dans l e s termes de tous l e s jours, ou c e l l e s où quelqu'un s'adressant à vous avec un f o r t accent l o c a l e t t r u f f a n t son f rançais de modismes issus de son pato is , vous devez, à moins d 'appar ten i r à son groupe, é v i t e r d'adopter son accent e t de r e c o u r i r aux mëms modismes.

Mais l e p l us généralement, une v a r i é t é commune s'impose. FERGUSON (1959) a donné l e terme de d ig loss ie à l a s i t u a t i o n de cer ta ines communautés l ingu is t iques ou coexis tent deux ou p lus ieurs var ié tés d'une mgse lan- gue, chaque v a r i é t é é tan t réservée à des usages spéci f iques. C 'est l e contexte (formel ou in formel) e t l e s u j e t t r a i t é qu i imposent l a v a r i é t é de langue à u t i l i s e r . A ins i , des personnes maî t r i san t mal l a version haute l ' u t i l i s e r o n t néanmoins pour t r a i t e r ce r ta ins su je ts a l o r s que l a v a r i é t é basse l e u r p e r m e t t r a i t une m i f l e u r e compréhension.

Lorsque deux personnes en t ran t en i n t e r a c t i o n connaissent 1 a 1 angue de 1 'autre, mais de façon impar fa i te , que l le langue sera chois ie ?

On peut imaginer l a s i t u a t i o n où i f y a au dépar t l a déc is ion que chacun par le ra dans l a sienne : A (langue A), B (langue B) , A (langue A) etc.. . On remarquera que de t e l l e s décisions sont rarement tenues b ien longtemps. Dans de t e ï s cas, onass is te habituel lement de façon p lus ou moins rap ide à des séquences dans lesque l les l e s échanges sont f a i t s t a n t f i t dans l a langue de l ' un , t a n t ô t dans l a langue de 1 'aut re : A (langue A), B (langue B ) , A (langue A) , B (langue A), A (langue A, B (langue B ) , A (langue 6). . . e t à des cas où, dans une

Page 21: La Surdite Dans La Vie

même in te rven t ion , chacun u t i l i s e r a l e s deux langues A (langue A) , B (langue A pu is langue B). Généralement, une langue f i n i t par 1 'em- por te r . On peut f a i r e l 'hypothèse q u ' i l s ' a g i t l à des préludes par tâtonnement au choix du mode de communication l e plus ra t ionne l e t que l a langue qui l 'emportera tendra à ê t r e c e l l e de c e l u i qu i connaît l e moins l a langue de l ' a u t r e .

Mais ce cas e s t exceptionnel. Le p lus généralement, une langue e s t choi- s i e d 'ent rée de j e u e t sans même q u ' i l semble y a v o i r eu déc is ion ou accord préalable. 11 e s t remarquable que l a langue u t i l i s é e n ' e s t pas du t o u t nécessairement c e l l e de c e l u i qui connaît l e moins l a langue de 1 'autre. Il exis te, au choix d'une langue, des impéra t i f s sociaux p lus exigeants que c e l u i de l a r a t i o n a l i t é de l a compréhension.

II - LES OBSTACLES A LA COMMUNICATION

Les obstacles à l a communication peuvent ê t r e dus â l a langue, c ' e s t - à -d i re ê t r e d 'ordre purement l i ngu is t ique . I l s peuvent t e n i r à l ' a b - sence d'une réference commune quant au non-d i t supposé connu, carence pouvant générer toutes l e s formes d'incompréhension t e l l e s que l e non- sens, l e faux-sens ou l e contre-sens. I l s peuvent ven i r e n f i n du non- respect des règles de l a conversat ion par l ' une ou p lus ieurs personnes en in te rac t ion .

Ces obstacles peuvent n ' i n t r o d u i r e qu'une simple gêne dans l a communi- cat ion. I l s peuvent se t radu i re par une compréhension seulement p a r t i e l l e en t re l e s personnes en in te rac t ion . I l s peuvent a l l e r jusqu'à l a non- compréhension absolue, vo i re jusqu'à 1 ' i m p o s s i b i l i t é t o t a l e d'envisager même par avance t o u t acte de communication.

La méthode l a p lus i n s t r u c t i v e pour évaluer l e r ô l e exact de l a langue dans l a communication s e r a i t probablement d 'é tud ie r les s i tua t ions dans lesquel les on t à communiquer deux ou p lus ieurs personnes n'ayant aucune communauté 1 i nguist ique : des personnes ne connaissant pas réciproque- ment l e u r langue'et n 'ayant pas à l e u r d i s p o s i t i o n de t i e r c e langue commune à laque l le i l s pourra ient a v o i r recours.

Il ne nous semble pas que de t e l l e s s i t u a t i o n s a i e n t encore f a i t l ' o b j e t d'une analyse sérieuse. Sur l a base d'expériences personnelles ou d'observat ions courantes, on peut cependant f a i r e de façon impres- s i o n i s t e l e s remarques su i vantes.

Page 22: La Surdite Dans La Vie

Dès lors du moins que : a ) les personnes se sont mutuellement identi- f iées comme n'ayant pas de langue commune, e t b ) qu ' i l y a de part e t d 'autre volonté et/ou nécessi t é de communiquer, ce qui frappe ordi nai- rement dans de t e l l e s si tuations e s t l e f a c i l i t é avec laquelle i l peut é t r e beaucoup échangé. Réalisant l'économie avec laquelle peuvent è t r e données 1 a plupart des informations pratiques élémentaires (allons manger, avez-vous du feu ? j ' a i mal, je suis fatigué, je m'ennuie, j ' a i envie de dormir, donnez-le moi, etc.. .), 1 'extrême précision, d'autre part, avec laque1 l e peuvent ê t r e fournies des explications complexes d'ordre abs t ra i t ou technique ( t e l l e s que l e fonctionnement d'une machine) e t la c lar té enfin avec laquelle peuvent ê t re exprimés des sentiments, on réa l ise du même coup à quel point l e rôle de la langue dans l a communication - e t a for t ior i celui de l a parole- e s t largement surévalué.

I l n'en demeure pas moins que 1 'absence d'une langue commune e s t à l 'évi- dence u n obstacle d' importance à l a communication. I l ne peut é t r e surmnté que dans des contextes tout à f a i t exceptionnels qu ' i l n'appar- t i en t pas de dé ta i l l e r i c i . E t s i une socië të a choisi d e f a i r e usage de la langue dans des situations où une autre façon de communiquer s e révèlerait pourtant plus économique, ce choix social s'impose ; i l f a i t que celui qui ne connaîtra pas l a langue u t i l i s ée sera handicapé.

Entre l a méconnaissance absolue e t réciproque de l a langue de l ' au t r e e t l a to ta le maitrise d'une langue qui vous s o i t commune, i l exis te toutes les si tuations intermédiaires. Nous nous bornerons i c i à cel le où 1 ' u n seulement connaît, mais assez mal, la langue de l 'autre.

Cette si tuation requiert des aménagements réciproques. A l a condition bien sûr que l a volonté de communication s o i t l à , ces aménagements s e font de façon naturelle. Notons que l a fangue dans laquelle i l e s t parlé semble devenir l a mesure de toute chose. Ainsi, c ' e s t à propos de celui-là seul qui en a l a maîtrise qu'on e s t habituellement tenté de dire qu' i l f a i t les efforts d'accomodement à l ' au t re . Sans qu ' i l lui a i t é t é besoin d'en f a i r e un apprentissage f o m l , i l recourt spontané- ment aux procédures auxquelles tout l e monde recourt dans de te l les occasions. I l n ' u t i l i s e pas alors l a langue à laquelle i l a habituelle- ment recours. Il l a simplifie. I l évite les mots rares. I l simplifie l a syntaxe (Ferguson, 1969). Selon l a connaissance que l ' a u t r e se révèle avoir de l a langue, les simplifications peuvent a l l e r du recours exclu- s i f à la phrase courte mais grammaticalement correcte, à celles où les a r t i c l e s tombent, ainsi que les copules e t où l e verbe n 'es t plus u t i l i s é qu'à 1 ' inf in i t i f . Dans les langues flexionnelles les flexions tombent.

Si l a mauvaise connaissance de l a langue de 1 'autre n 'es t pas un obsta- cle insurmontable à l a communication, i l en e s t du moins un. La commu- nication e s t beaucoup pl us lente (débit plus lent , nombreuses répéti- tions s o i t sous l a même forme s o i t sous une autre pour s 'assurer qu'on

Page 23: La Surdite Dans La Vie

e s t compris ou pour se f a i r e comprendre.. .) . La len teur e s t dans cer ta ins contextes un t r è s l o u r d handicap. Mais i 1 y a p l us. Même avec l e temps, il y a des choses qu i ne peuvent ê t r e d i tes , ca r c ' e s t a f f a i r e de langue. Le p l a i s i r qu'on éprouve après ces échanges d i f f i c i l e s à re t rouver quelqu'un par1 ant not re langue donne l a mesure des sacr i f i ces d'expres- s i o n qu'on a dû f a i r e a lors .

Enf in, e t tou jours en res tan t au niveau de l a langue, il peut y a v o i r même en t re personnes appartenant à l a même communauté l i n g u i s t i q u e des obstacles d'un aut re type. Nous avons i n s i s t é , en e f f e t , su r 1 'aspect physique de l a langue, s u r le matér ie l dont e l l e e s t f a i t e ... Toute anomalie de fonctionnement au niveau des organes émetteurs ou récep- teurs, ou au niveau cen t ra l , se t r a d u i r a générafement au niveau de Ta communication. Il peut s ' a g i r d'une per tu rba t ion l i é e à un simple aga- cement mais sans conséquence majeure pour l a compréhension. Il peut s ' a g i r d 'un gêne a f f e c t a n t plus directement l a compréhension mais à laque l le s ' y é tan t habi tué on peut p a l l i e r . Il peut s ' a g i r de gênes beaucoup plus sérieuses. Zozotements, prononciat ion des personnes ayant une d i v i s i o n pa la ta le ou laryngectomisée, bégaiement, l e s d i f fé ren tes fornie de 1 'aphasie, nous sommes dans l e domaine par excel lence où l 'or thophonie ten te d'apporter des so lu t ions ou des aménagements.

Nous ne donnerons i c i que l 'exemple f o r t simple de s i t u a t i o n s où, se trouvant dans un m i l i e u accoutumé de débattre de themes e t de préoccu- pat ions qui vous sont étrangers, vous ne comprenez pas. Quoique que vous compreniez " l i t t é r a l e m n t " t o u t ce qui e s t d i t , l a conversat ion vous p a r a i t étrange e t dépourvue de sens.

S'introduire subrepticement e t sans précautions dans une conversat ion en t re f a m i l i e r s , étan t inconnu d'eux ; interrompre à t o u t moment e t ne pas l a i s s e r aux autres l e u r tou r de paro le ; ne pas répondre lorsqu'on vous adresse l a parole ; t e n t e r avec obs t ina t ion d ' i n t r o d u i r e un thème étran- ger qu i n ' i n té resse que vous dans une conversat ion en cours où l e s par- t i c i p a n t s sont fortement impliqués ; frapper l e so l du p i e d de façon continue e t bruyante ou a g i t e r sans a r r ê t l e s bras pendant que quelqu'un par le ; p a r t i r sans c r i e r gare.. . Voi là autant de comportements vous f a i s a n t taxer au minimum d ' impo l i - tesse, de manque de savoi r -v ivre. Ces i n f r a c t i o n s aux règles de l a conversat ion génèrent habituel lement une cer ta ine agress iv i té de l a p a r t des p a r t i c i p a n t s à l ' encon t re du contrevenant e t e l l e s l 'exposent à ê t r e exc lu p a r f o i s violemment de l ' i n t e r a c t i o n .

Page 24: La Surdite Dans La Vie

Simple question de convention ou de méthode, on peut considérer qu' i l y a des universaux des règles de l a conversation ou qu'el les sont en soi gënérales. Ce qui changerait selon les cultures s e r a i t seulement les modalités de leur mise en oeuvre : peti tes façons de f a i r e fifiaut- if par exemple évi ter ou non de regarder son interlocuteur pendant une interaction ?) , menus gestes, e t de façon générale l a nature des signaux émis pour que l a conversation s 'effectue normalement, c'est-à-dire que les tours de parole s 'effectuent sans problème majeur e t que l ' a t tent ion portée à ce qui e s t échangé ne s o i t pas perturbée par des interférences étrangères.

I l n'en demeure pas moins que ces pet i tes différences peuvent générer les plus grands malentendus. Depuis E. HALL, les exemples abondent dans l a 1 i t té ra ture spécialisée de pet i t s comportewnts qui, ayant te l sens dans t e l l e culture y sont u n comportement requis durant l ' in terac t ion alors que, ayant u n tout autre sens dans une autre culture, i 1s sont interprétés comme une grave infraction. On voit ce qu' i l peut en résul- t e r dans les rapports intercul turels. Les préjugés culturels, ethniques e t racPaux l e s plus lourds de conséquences n'ont souvent pas d'autre origine que cette mésinterprétation des signaux dans l e s interrelat ions en face à face.

Mais ces différences culturel les, ou ce qu'on peut appeler l e "manque de savoir-vivre" , ne sont pas 1 es seules sources d' interférences pertur- batrices dans l a conversation. Celles-ci peuvent venir plus simplement de l ' impossibil i té de l a par t de certains à émettre ou recevoir les signaux nécessaires e t habituels qui régissent un échange. Te1 e s t l e cas de certains handicapés, e t n o t a m n t de l a plupart des handicapés sensoriel S.

Entre personnes a t te in tes d'un même handicap, i l e s t normalement f a i t recours à d'autres signaux e t à d'autres procédures. Mais entre l e s handicapés e t "les autres", l a conversation reste suje t te à des pertur- bations de l 'ordre de celles que nous avons mentionnées plus haut. Un certain malaise plane généralement dans de t e l l e s interactions. Surtout s ' i l s ' a g i t d'une conversation à plusieurs e t qu ' i l n'y a qu'un handi- capé, i l e s t souvent procédé à diverses mesures plus ou moins discrètes visant à mettre un peu à l ' é ca r t celui dont l a participation trouble 1 'ordre habi tue1 des choses.

I I nous semble qu'une grande part ie de l a gêne que la plupart des voyants éprouvent dans leurs interactions avec un aveugle n'a pas d'autre origine que 1 ' impossibilité de leur par t à savoir user avec lui de signaux communs, c'est-à-dire à recourir e t penser à recourir à d'autres qu'à ceux qu ' i l u t i l i s e d'ordinaire.

L ' i n i t i a t ive d'une interaction par une prise de parole e s t généralement précédée d ' u n échange préalable de signaux visuels. Dans bien des si tua- tions l e s voyants ne savent pas du coup comment prendre une t e l l e in i - t i a t ive avec un aveugle. I l s l e font maladroitement, ou plus simplement, i 1s s 'abstiennent de te l les i ni t i a t i ves.

Page 25: La Surdite Dans La Vie

Les menues, mais souvent gênantes infractions apparentes dont se rendent i ncessament coupables les aveugles dans une conversation avec des voyants sont les révélateurs de 1 'importance des signaux visuels dans des interactions qu'on pourrait croire entièrement réglés par 1 'orei 1 le.

Les aveugles ont entre eux leurs propres façons de f a i r e , e t par exem- ple, pour ne mentionner qu'une pratique u n peu grosse, i l s prennent soin entre eux d 'aver t i r qu ' i l s arrivent ou qu ' i l s qui t tent une pièce. Le voyant en interaction avec u n aveugle n'y pense pas spontanément. I l e s t pourtant aussi indispensable à u n aveugle qu'à un voyant, dans une interaction, de savoir qui e s t l à . I l y a des façons de se compor- t e r à 1 'égard de ceux qui écoutent sans participer activement à l a conversation. L'aveugle ayant à f a i r e avec des voyant négligents peut ê t r e ainsi conduit à f a i r e des gaffes. Celles-ci, comme i l e s t d'usage, gênent dans u n premier temps beaucoup plus les autres que celui qui l e s f a i t . L'aveugle peut par exemple fa i re des allusions peu flat teuses au suje t de quelqu'un dont i l ignore l a présence ou se l ivrer à des confidences qu ' i l ne f e r a i t pas s ' i l l e savait là . L'aveugle f a i t d 'autre part souvent l'expérience pénible de continuer de parler à une personne alors que celle-ci a déjà qui t té depuis un moment l a pièce où i l se trouve. D'où l'importance aussi de manifester continuellement sa présence par des pet i t s signaux.

III - LES CONTEXTES

Nous venons d'envisager un certain nombre d'obstacles rendant l a commu- nication d i f f i c i l e e t pouvant a l l e r à l a limite jusqu'à l a rendre impos- sible. Mais d'autre part , étant part i du cas a p p a r e m n t l e plus radi- ca l , 1 'absence d'une langue conunune, nous avons suggéré que ce lourd handicap n ' é t a i t pas u n obstacle insurmontable à 1 a conmiunication.

I l nous faut donc examiner à présent les raisons faisant que, les choses étant ce qu'elles sont, les personnes en interaction recoureront à des ef for ts d'imagination etlou de patience pour sumonter l e s obstacles, ou qu'au contraire e l l e s abandonneront.

On peut émettre au départ l'hypothèse à l a fois psychologique e t écono- mique simple que les obstacles seront surmontés dans l a mesure où l 'enjeu en vaudra l a peine, c'est-à-dire dans l a mesure où de part e t d 'autre les personnes en interaction y seront contraintes, y trouveront in térê t ou seront assurés d'y trouver p la is i r .

Page 26: La Surdite Dans La Vie

Une personne se t rouvant de façon h a b i t u e l l e dans un contexte oû e l l e e s t handicap& pour communiquer peut, renonçant par avance à t o u t e f f o r t de communication avec son entourage dans l e s s i t u a t i o n s oû il e s t généralement communiqué, savo i r deployer des t résors d ' imaginat ion pour se f a i r e coqrendre ou pour o b t e n i r une j n f o m a t i o n dès l o r s q u ' i l s ' a g i t pour e l l e de quelque chose de v i t a l .

EDGERTON en f o u r n i t quelques exemples dans un de ses ouvrages sur les débi les mentaux. I l p a r l e de cer ta ins, con t ra in ts e t soucieux d ' a r r i - ver à temps pour l e u r t r a v a i l , mais généralement incapables de compren- d re ce que ce la veut d i r e lorsqu'on l e u r donne l 'heure. Il indique l e s procédés détournés par lesquels i l s o n t so in de poser l a quest ion aux passants. I l s l a formulent de façon t e l l e q u ' i l ne l e u r e s t pas répondu 1 'heure mais q u ' i l s obt iennent néanmoins l a seule i n f o r n a t i o n qu i 'I'eur importe : o n t - i f s ou non encore beaucoup de temps devant eux.

Ce qu i e s t v r a i pour des personnes contra in tes de v i v r e dans un m i l i e u 00 e l l e s se t rouvent habituel lement handicapées pour comuniquer, l ' e s t aussi pour c e l l e s qu i ne l e sont pas ordinairement mais qu i l e devien- nent l o r s q u ' e l l e s se trouvent a v o i r des rapports avec ces premières. Un médecin, un commerçant, un démarcheur d'assurances, une ass is tante sociale, un juge d ' i n s t r u c t i o n , un avocat ou un commissaire de p o l i c e peuvent dans l e cadre de l e u r c l i e n t è l e avo t r a f f a i r e avec des person- nes avec lesque l les l a communication e s t d i f f i c i l e . , I l s ,sont capables de déployer dans l e cadre de l e u r a c t i v i t é professionne1le des t résors de pat ience e t d' imaginat ion q u ' i l s ne chercheraient nullement à met t re en oeuvre dans d'autres circonstances, cherchant p l u t ô t à é v i t e r dans l e u r v i e de tous l e s jours de tel l e s éventual i tés.

Les cont inuel les i n f r a c t i o n s aux règles de l a conversat ion dont se rendent coupables de nombreux malades mentaux (ou l e u r façon d'user de l a langue f a i s a n t que l e sens de l e u r s paroles n ' e s t pas immédiate- ment percep t ib le ) peuvent l e s rendre in to lé rab les ( e t erharrassants) à l e u r entourage. Les mêmes i n f r a c t i o n s ne sont pas pour l e psychiat re qui l e s t r a i t e un obstacle insurmontable à l a communication. Par contre, une f o i s s o r t i de l ' e x e r c i c e de sa profess ion, ce même psychiat re se montrera dans ses i n t e r a c t i o n s de l a v i e quotidienne beaucoup moins t o l é r a n t pour ce genre d ' i n f r a c t i o n e t moins r é c e p t i f à l a quête du sens. E l l e s s u f f i r o n t à l e décourager de f a i r e l ' e f f o r t de comuniquer e t il s ' e f f o r c e r a d ' é v i t e r ou d 'écour ter de t e l l e s in te rac t ions .

Ceci ind ique que l a vo lonté de communication n ' e s t pas une e n t i t é a b s t r a i t e attachée aux ind iv idus. E l l e n ' e s t pas non p lus de ces réa- l i t é s auxquelles il peut ë t r e f a i t appel en tou te circonstance .et en tou te l i b e r t é de façon purement v o l o n t a ~ i s t e . E l l e e s t i n d u i t e par l e contexte.

Page 27: La Surdite Dans La Vie

Par contexte, nous entendons l a s i tua t ion dans laquel le e t à propos de laquel le i 1 e s t échangé. Pour l a décr i re utilement, il faut t e n i r compte de variables te l l es que :

a) l a f i n a l i t é de 1 ' in te rac t ion e t d' impérati fs l i é s

b) au nombre, e t

c ) à certaines caractérist iques sociologiques des personnes en interaction.

Par caractérist iques sociologiques , nous entendons moins les a t t r i bu t s éventuels permanents de ces personnes (aptitudes l inguist iques, handicap, niveau d'éducation, âge ...) que l e s t a t u t e t l e rô le qu'e l les se trouvent avoir les unes par rapport aux autres dans l e cadre specifique e t l i m i t é de 1 ' in te rac t ion (demandeur, so l l t c i té, s t a t u t hiérarchique éventuel, dans l 'exercice d'un rô le professionnel, parent, ami, Btranger, spectateur, part icipant.. . f .

On peut considérer ce t r a v a i l comme une introduct ion aux analyses des con- textes. Un progranune élaboré devrai t ê t re en mesure de répondre à 1 ' i n te r - rogation sui vante :

1. Partant d'une pa r t de ce t te évidence q u ' i l n 'est pa r l é e t comn iqué que dans des contextes spécifiques,

2. e t considérant d'autre p a r t des obstacles à l a comunication de l ' o rd re de ceux que nous avons indiqués plus haut,

3. i 1 faut se demander quels sont dans ces contextes les contraintes f a i - sant que ces obstacles seront ou non surmontés ? Quelles s i tua t ions interdisent , permettent ou favorisent au contra i re l a comunication ? Quel l es variables contextuelles induisent l a franche mise à l 'écart e t Te refus dél ibéré de communiquer, l e simulacre de l a communication ou au contra i re une comunication vér i table ? De quelle nature sera-t-el le quant .3 sa forme, à ses modalités ? de quel le nature sera-t -e l le quant à son contenu ?

1'1 sera exclusiverrient questjon de l a surdité. Rvant d'analyser l es contextes i n c i t a n t ou non à surmonter les obstacles, i 1 faut donc examiner d'abord l a nature de ceux t rès spiicifiques que l a surdi té oppose à l a communication.

Page 28: La Surdite Dans La Vie
Page 29: La Surdite Dans La Vie

C H A P I T R E II .................... ....................

L A C O W U N I C A T I O N ENTRE SOURDS

L A COMMUNICATION ENTRE SOURDS E T ENTENDANTS

Page 30: La Surdite Dans La Vie
Page 31: La Surdite Dans La Vie

LA COWUNICATION ENTRE SOURDS

LA COMMUNICATION ENTRE SOURDS ET ENTENDANTS

On e s t accoutumé de penser aux sourds comme à des personnes handicapées pour communiquer e t l ' é t a n t en permanence.

On oublie volontiers que nous l e sommes tout autant lorsqu'if s ' ag i t de nous entretenir avec eux. La surdité e s t un ra ort . C'est un handicap nécessairement partagé. Il f a i t part ie des q* rares dont, sans en ê t r e aucunement affecté, on peut fa i re à l'occasion 1 'expérience.

On oublie volontiers aussi qu ' i l s y a des si tuations où les sourds n'ont, pour communiquer, pas l e moindre handicap. C'est n o t a m n t celles où, pour s'exprimer, s'expliquer, échanger, i l s ont recours entre eux à l a langue qui leur e s t propre. Nous 1 'appellerons i c i indifféremment langue des signes ou langage gestuel.

Mais les sourds, nous l e verrons, peuvent s 'ent re teni r aussi entre eux en français.

Avant d'envisager l e s obstacles trés spécifiques que la surdité introduit dans la communication entre sourds e t entendants (31, nous verrons d'abord ceux qui peuvent surgir dans l a communication entre sourds, qu' i l s ' agisse d'échanges en langue des signes (1) ou en français ( 2 ) .

1 - LE RECOURS AU LANGAGE GESTUEL ENTRE SOURDS

I l e s t pour chacun d'entre nous plus a i sé de communiquer dans sa propre langue que dans ce l le des autres. On s ' y sent moins handicapé. Cela e s t plus vrai encore pour les sourds. Si diverses entre e l l e s que soient les langues parlées, e l l e s ont toutes en commun d 'u t i l i s e r des sons. Elles sont fa i tes pour ê t re entendues. les différentes langues des s i - gnes sont, e l l e s , exclusivement visuelles. Tout ce qui e s t émis e s t intégralement perçu.

Page 32: La Surdite Dans La Vie

Les langues visuel les peuvent é t r e analysées 1 i nguistiquement comme les langues parlées. L' intérêt que leur portent les linguistes e s t néanmoins extrêmement récent. Le s t a t u t de langue leur a é t é refusé jusqu'alors pour de nonbreuses raisons qu ' i l n'y a pas lieu d'analyser i c i (B. MOTTEZ, 1976 e t 1980). Le f a i t qu'el les ne soient pas parlées mais visuel les-kinesthésiques n ' e s t pas 1 'élément l e plus déterminant dans ce t te absence de considération.

L' intêrét des 1 inguistes pour ces langues date pratiquement de l a publi- cation des premiers travaux de William C . STOKOE (,1960). Jusque l à , l ' a t tent ion des observateurs du langage gestuel des sourds avait é té surtout retenue par son caractère "figuratif". I l s voyaient là une preuve de plus q u ' i l ne s ' ag i s sa i t pas d'une vraie langue. II lui man- quai t l a double art iculation (OLERON, 1972, p. 220).

Une des raisons de 1 'impact des travaux init iaux de W.C. STOKOE rési de justement dans l e f a i t qu ' i l a montré 1 'existence dans l a langue des signes américaine d ' u n système sublexical comparable au syistëme phono- logique des langues parlées. Aux plus pet i tes uni tés élémentaires non significatives, équivalents pour la langue des signes des phonèmes dans les langues parlées, i l a donné l e nom de chérëmes. O n u t i l i s e aujour- d'hui le terme de honolo i e pour désigner ce niveau d'analyse e t de r é a l i t é dans les 1:ngues ?isuelles, de préférence à celui de chérémologie qui lui avait é t é primitivemnt at tr ibué.

Etant donné 1 'étymologie du terme phonologie e t ce qu ' i l a évoqué jusqu'alors, ce choix peut paraître surprenant, Mais i l ne l ' e s t pas moins que celui d'"atterrirs finalement préféré à celui d'"alunirn lorsqu' i l s ' e s t agi de désigner pour l a première fois 1 'acte de se poser sur le sol lunaire. Le terme entend indiquer l a similitude de l ' ob je t visé qu ' i l s 'agisse de langue parlé ou visuelle.

Mais i l y a une autre raison à ce changement de terme. Le terme de chérémologie (chérëme e s t un néologisme formé à p a r t i r du mot grec X&p = f a main) s e r é fé ra i t aux seules ac t iv i tés manuelles. Or, de nohreux travaux - e t menés justement en grande part ie dans le labo- ra to i r de W.C. STOKOE - ont indiqué que 1 'information linguistiquement pertinente ne s e trouve pas seulement dans les mains. D'importantes informations linquist7ques - lextcales e t syntaxiques - se trouvent dans des ac t iv i tés du visage, voire dans d& mouvements du corps. (BAKER e t PADDEN, BAKER, 1980).

Ainsi, comme i l en e s t pour les langues parlées, i l y a pour l a récep- tion u n organe spécialisé, à savoir, en l'occurence, l ' oe i l . E t comme i l en e s t pour les langues parlées, 1 'émission s e f a i t par l a mise en oeuvre conjuguée de plusieurs parties du corps dont également aucune

Page 33: La Surdite Dans La Vie

n'a é t é en quelque s o r t e spécia l isée par avance à cet e f f e t , Il con- v i e n t néanmoins de p réc ise r que dans l e cas des langues v isue l les - en t o u t cas dans l e s langues des sourds (1) - l 'organe récepteur joue également un r ô l e dans l 'émission. I l joue un r ô l e dans l a langue e l l e - même, p a r f o i s au niveau du lexique, constartanent au niveau de l a syntaxe ( l o c a l i s a t i o n ) (BAKER, dans L. FRIEDMAN, 1977). I l en joue un aussi, nous l e verrons p lus bas, comme réguTateur de l a conversation, e t notam- ment pour l a p r i s e du t o u r de parole ( c ' e s t a i n s i que nous traduirons l e terme angla is de turn- tak ing) .

Le f a i t que l e s langues s o i e n t ora les au sens t r è s p réc is où nous 1 'avons s p é c i f i é p lus haut - à s a v o i r que q u e l l e que s o i t l 'autonomie q u ' e l l e a i t acquise, l a langue é c r i t e e s t secondaire par rappor t à l a langue parlée, q u ' e l l e en e s t un sous-produit -, e s t également valable pour l e s langues v isuel les. E t il e s t év ident que lorsqu 'on veut compa- r e r l a langue des signes française avec l e f rançais , c ' e s t avec l e f rançais p a r l é q u ' i l f a u t l a comparer e t non pas, comme ce la e s t f a i t p a r f o i s (notamment P. OLERON, 19781, avec l e f rançais é c r i t . Ce dernier, p lus l i m i t é quant à ses moyens, se montre en e f f e t par l a force des choses plus exigeant que l e f rançais o r a l s u r l ' o r d r e des mots comme ind icateurs de l e u r fonct ion.

Mais il y a plus. La langue des signes, qu i n ' a pas d 'éc r i tu re , e s t même t r è s rigoureusement une langue o ra le dans l e sens où l ' o n dési- gne a i n s i l e s langues qui n 'on t pas d 'éc r i tu re . Lorsque l e s sourds f rançais doivent éc r i re , i 1s recourent au f rançais .

Oes essais d ' é c r i t u r e de l a langue des signes on t é t é tentés, l e pre- mier en date é tan t c e l u i de BEBIAN au début du 19ème s i è c l e (1825. L ' é c r i t u r e préconisée par W.C. STOKOE, c e l l e qu i e s t u t i l i s é e dans son d i c t i o n n a i r e e t qu i pour l ' e s s e n t i e l e s t adoptée p a r l a communauté des chercheurs n ' e s t u t i l i s é e qu'à des f i n s de recherche.

( 1 ) I l y a de nombreux modes de cornunication visuels al lant depuis l e s simples codes parfois très élaborés u t i l i s é s dans l e s milieux peu favorables à l a parole (scieries - JOHSON f 1978) e t MEISSNER (1975) -, plongée sous-marine, voire pompiers ... ) jusqu'au système de gestes u t i l i s é par l e s Indiens de l'Amérique du Nord dans leurs contacts intertribaux, l e système de gestes des monastères e t d'autres t e l que celui qu'a pu étudier par exemple KENDON en Australie centrale, une langue des femmes qui s ' e s t développée pour répondre à un tabou dc 1 3 parole.

Page 34: La Surdite Dans La Vie

L'écriture de leur langue préoccupe aujourd'hui certains sourds, des sourds du moins qui ont pris conscience que leur langue e s t t o u t autre chose que la simple représentation sous l e mode visuel de la langue parlée. I l s attendent de l 'écriture pour leur langue plus que la simple respectabilité qu'on est accoutumé d'accorder aussitôt à une langue dès lors qu'elle se trouve en avoir une. Pour de nonbreux esprits, en effet,une langue sans écriture -c 'est l e cas de la plupart- n'en e s t pas véritablement une.

Dans une culture de tradition orale, te l le que la culture sourde, où la transmission de l'héritage culturel se f a i t de la main à la main, de personne à personne, l 'écriture permettrait l a conservation des grandes oeuvres du passé. On possède certes l a transcription en fran- çais de certaines, comme de ces joutes oratoires (morceaux d'éloquence e t de bravoure, déclamations poétiques ...) dont les célèbres banquets annuels présidées par F. BERTHIER pendant des d&cennies au siècie dernier fournissaient l e prétexte (1). Cetee tradition se perpétue ayjour- d'hui sous d'autres formes. Mais au dire des participants -et i l suff i t de penser à celles dont on a pu être aujourd'hui témoin pour le com- prendre - la traduction es t pour certaines du type traduttore-traditore. On regrette que ce qui fut d i t ne nous so i t pas parvenu un peu plus comme cela l 'avait été. II es t c la i r par ailleurs que les jeux de signes , certaines astuces, les nombreuses compti nes e t les poèmes conçus directement en langue des signes ne peuvent être traduits en français. Ils ne peuvent être transmis que de main à l ' oe i l , de per- sonne à personne.

Il e s t attendu aussi de 1 'écriture une certaine unification de la lan- gue. N'était-ce pas d'ailleurs l à 1 'une des préoccupations de B E B I A N lorsqu'il proposait sa mimographie ?

La télévision, le film e t plus encore fa vidéo nous semblent en mesure de jouer une partie des fonctions que 1 'écriture a joué dans les langues qui s'en sont dotées.

Ils peuvent jouer u n rôle dans la conversation d'abord. Les sourds américains ne sont pas les seuls à se réjouir du film réalisé par leurs pères en 1913, film destiné à laisser aux gênérations à venir u n échantll lon de leur langue dont i 1s craignaient la disparition prochaine. I I fut ut i l isé par des linguistes ( N . FRISHBERG) pour étudier l'évolution de la langue des signes américaine.

Nous avons mentionné dans "Coup d'O&" ( n o 23, 5 7) quelques exemples tendant a montrer l'impact des émissions télévisées sur 'l'unificatiott des signes. D'autres nous ont été rapportés depuis.

(1) Voir dans bibliographie à Banquets.

Page 35: La Surdite Dans La Vie

Dans une conversat ion en langue des signes, l e s signaux régulateurs sont d 'au t re nature que ceux qui rég issent un échange e n t r e entendants. i l s l e sont nécessairement pour c e t t e ra ison b i e n simple q u ' i l s ' a g i t de sourds e t d'une langue v i s u e l l e ayant ses propres exigences.

Déjà en ce qu i concerne l a proxémique, l a distance h a b i t u e l l e de con- ve rsa t ion n 'es t pas l a même. On s a i t que c e l l e - c i va r ie selon l e s cu l tures e t q u ' e l l e e s t l a source de b ien des gênes dans les rapports i n t e r c u l t u r e l s . En langue des signes, il y a c e l l e requise pour une bonne v i s i b i l i t é qu i nécessite une p lus grande distance que ce1 l e qu'on adopte habi tue1 lement dans l e s langues parlées.

Un entendant s'accoutume assez v i t e à mainteni r c e t t e distance. Ce qu i 1 u i e s t p lus d i f f i c i l e en revanche, c ' e s t de t rouver ce qu'on s e r a i t t e n t é d'appeler l a bonne place. 13 e s t extrêmement d i f f i c i l e pour un entendant, dans une conversat ion à p lus de t r o i s personnes, de s a i s i r auss i tô t quand quelqu'un "prend son t o u r de parole". Lorsque c e l u i - c i e s t e n f i n i d e n t i f i é , une p a r t i e de ce q u ' i l a d i t vous a échappé e t un au t re a déjà pu prendre l e re la is . On se trouve a i n s i exactement dans l a même s i t u a t i o n de désarro i que l e s sourds dans une conversat ion avec des entendants. Avec ce t te di f férence,bien sÜr,quson comprend c e l l e du sourd p u i s q u ' i l n'entend pas.

I l ne s ' a g i t peut-être pas de place, ou pas seulement de place. Il peut s ' a g i r d'une i n a p t i t u d e à s a v o i r reconnaî t re avec assez de prump- t i t u d e les menus signaux du locuteur ind iquant qu'un autre l ' i n t e r r o m p t ou à qui il v i e n t de donner son t o u r de parole.

Il s ' a g i t s u r t o u t d'une incapaci té à s a v o i r user du regard à l a façon des sourds. Nous ne regardons en quelque sor te que j u s t e en face. Ou, d i t d'une autre manière, nous ne voyons que ce que nous regardons. Nous ne savons pas autant que savent l e f a i r e l e s sourds user de l a t o t a l i t é du champ v isuel e t mainteni r en a l e r t e les p a r t i e s les p lus extér ieures de ce champ. Expl iquant à des amis sourds à quel p o i n t l ' i n t e r f é r e n g e d'une autre conversat ion pouvait rendre un échange d i f f i c i l e , i l s nous d i r e n t q u ' i l en é t a i t exactement de même pour eux. Que des personnes, même t rès éloignées e t à l a pér iphér ie de l e u r champ v isuel so ien t en t r a i n de converser en signes, ce la les d i s t r a i t , l es gêne considéra- blement e t l e s empêche d ' ê t r e t o u t e n t i e r à l e u r conversation.

Les cours de L. S. F, pour entendants, qu i se sont développés depuis deux ou t r o i s ans, sont souvent précédés d'une mise en t r a i n e t de p e t i t s exercices q u i sont un peu à l a langue des signes ce qu 'es t l a verbo- tonale à l a parole. Un exercice, i n t i t u l é " v i s i o n périphérique", a pour b u t de développer chez l e s malentendants c e t t e apt i tude à v o i r à laque1 l e i l s sont peu rompus.

Page 36: La Surdite Dans La Vie

Pour a t t i r e r l ' a t tent ion de quelqu'un dont on n'a pas capté le regard, on l 'appelle d'un geste de la main émis hors du cadre habituel où sont émis les signes. Rien de plus a isé à apprendre pour un entendant qui, dans une conversati on à plusieurs, s a i t aussi prendre 1 'habitude de se rv i r de re la is pour indiquer à quelqu'un qu'un autre l 'appelle e t veut lui adresser l a parole.

L'attention peut ê t r e obtenue également par un contact, par l e toucher ( l e signe "appeler" en L.S.F. se f a i t d 'a i l leurs par un double toucher de l a main sur l'épaule gauche) voire, dans certaines circonstances, en frappant violemment l e sol du pied, s ' i l s ' a g i t d'un parquet, ou un meuble avec l e poing. Toucher e t frapper, ces procédures nécessitent un savoir-faire spécial e t des sourds nous ont d i t qu ' i l é t a i t souvent désagréable de voir les entendants y recourir : i l s l e font mal, mala- droitement e t mal à propos (1).

Charlotte BAKER (1977) a réa l i sé l 'étude l a plus f ine f a i t e jusqu'à ce jour des signaux régulateurs de l a conversation en langue des signes. Le rôle capital du regard y e s t notamment analysé dans ses moindres déta i l s (une manière t r è s inpérative de revendiquer son tour de parole, par exemple, consiste à ne plus regarder l e locuteur).

El l e en trouve quelques impl ications pour les rapports sourds-entendants. Après avoir rappelé l e rôle du regard, notamment de l a part de celui qui s u i t , e t mentionné que des regards mutuel de plus de 5 secondes sont très fréquents, e l l e ajoute : <'La ~oundn ne peaignen;t ~ouven;t de ce que L a entendanta dembLeeent iMat t edhb et ne pab d 'i&éhebbeh à ce qui oe dC2. IL y a p h gênant : L a entendant% nont b0~Uen;t P ~ / L F L L E > comme hosXLle6 pance qu'Li2 évLten;t LfinXLmLté d a n e g d muahek2".

( 1 ) Certains jeunes enfants sourds ont l a bien désagréable habitude pour vous p a r l e r , de vous s a i s i r e t par fo i s sans grands ménagements, l e menton ; c e c i a f i n d ' a t t i - r e r votre a t t e n t i o n e t de vous obl iger à l eur f a i r e face. Par l a s u i t e , f o r t heureusement, i l s s ' en corr igent . Mais cela n f e s t évidemment que l a façon de f a i r e qu'on a avec eux. On reconnaît l à notamment l e geste de beaucoup d'orthopho- n i s t e ~ e t &me de c e r t a i n s parents. Il s e r a i t souhai table que l e s orthophonistes apprennent q u ' i l e x i s t e pour a t t i r e r l ' a t t e n t i o n d'un sourd d 'autres procédés que c e t t e p r i s e de menton. Ceci cons t i tue un p e t i t v i o l plus conséquent que ne l e s e r a i t l e f a i t de c r i e r dans l e s o r e i l l e s d'un entendant qui ne voudrait pas vous écouter. Il e s t f a i t plus systématiquement recours à c e t t e p r i s e de menton lorsque l e jeune sourd, començant à manifester des s ignes de fa t igue e t de dés in té rê t revendique son d r o i t à s o u f f l e r un moment.

Page 37: La Surdite Dans La Vie

Cette d i f fé rence c u l t u r e l l e ( e t quoique l e s sourds sachent i n t e l l e c t u e l - lement que l e s entendants n 'on t pas besoin de regarder pour écouter) rend p lus malaisée encore une communication déjà d i f f i c i l e en so i . La sensa- t i o n p a r f o i s j u s t i f i é e qu'on ne les écoute pas se trouve a i n s i renforcée e t e l l e e s t s u r t o u t ressent ie b ien sûr dans l e s s i tua t ions émotives où i l s éprouvent l e besoin i m p é r a t i f d ' ê t r e entendus. Tel e s t notamment l e cas, l e i t m o t i v de beaucoup de sourds, de l a consu l ta t ion médicale. Parce q u ' i l s se savent d i f f i c i l e m e n t compréhensibles ou parce q u ' i l s connaissent l e temps que de tou te façon ce la recquerra, beaucoup de sourds ont l ' hab i tude pour préparer l ' en t revue e t l a rendre plus économique d ' é c r i r e par avance sur un papier tous l e s symptômes qui les amènent à consulter. Désireux, pendant l a consul ta t ion, d 'appor ter verbalement des compléments ou de poser des questions, i l s s ' e n décourage b ien v i t e , ayant tou jours 1 ' impression que l e médecin ne q u i t t e pas l e papier des yeux (à l ' i n v e r s e , l a r a p i d i t é avec laque l le il peut éventuellement en prendre connaissance peut ê t r e i n t e r - prétée comme un ind ice q u ' i l ne veut pas l e l i r e ) ou parce que l e médecin regarde franchement a i l l e u r s , c 'es t -à -d i re l e corps du malade (ou l a par- t i e q u ' i l aura à soigner) e t non les yeux de c e l u i qu i l u i par le .

Tout comme nous 1 ' avons f a i t dans l e chap i t re précédent, on peut imaginer des obstacles à l a communication ent re sourds recourant à l a langue des signes. I l s sont du même ordre. Nous n'en mentionnerons que quelques uns.

a) Il e x i s t e en France de grandes var ié tés d ia lec ta les selon l e s régions. Les signes var ien t beaucoup d 'un e n d r o i t à 1 'autre, vo i re dans une même agglomération : même après de longs contacts avec l a communauté des adultes, l e s sourds de l a région par is ienne continuent de recour t r à des signes permettant de l e s i d e n t i f i e r comme ayant é té à l ' é c o l e à Asnières ou à l ' I n s t i t u t National de l a rue Saint-Jacques. Ce s e r a i t , aux d i res de beaucoup, un obstacle à l a communication (1). D'où l e souci, à l ' o r d r e du jour , de ce qu'on appel le ind is t inctement 1 "'uni- n i f i c a t i on", l a "standardisat ion" ou l a c o d i f i c a t i o n " de l a langue des signes.

Mais il e s t b ien rare que l e s sourds, après a v o i r déploré c e t é t a t de f a i t , ne se mettent pas auss i tô t à vanter l e caractére i n t e r n a t i o n a l de l e u r langue : e l l e permet ent re tous l e s sourds du monde de comrnuni- quer ent re eux sans problèmes.

Il s e r a i t t rop long d'analyser i c i c e t apparent paradoxe ( 2 ) . L 'ex is - tence de nonbreuses langues des signes e t de certaines f o r t éloignées les unes des autres, e s t un f a i t . La f a c i l i t é avec laque1 l e les sourds d'un pays à l ' a u t r e peuvent communiquer en e s t un autre e t q u ' i l importe de re ten i r . E l l e expl ique une des caractér is t iques des sourds que nous avons mentionnée a i l l e u r s e t qui peut surprendre ceux qui sont habitués à considérer les "sourds-muets" comme des personnes démunies e t ayant des h o r i zons 1 im i tés.

( 1 ) On parle parfois des signes comme support de l a parole, l o r s q u ' i l e s t parlé en français . On peut inversement non pas exactement de l a parole, mais du signe labial v i sue l d 'un mot français comme recours pour comprendre l e sens d 'un signe inconnu dans une conversation en pure L .S .F .

( 2 ) Ce problème a é t é abordé par BATTISON (R.), JORDAN ( K . ) e t MOODï ( B i l l ) .

Page 38: La Surdite Dans La Vie

"Leb ho&, LL noub bemble,, pLub que ne Le dont j a m d L a enten- d a n t ~ , n1hé6Ctent pan à d e ~ LLLomEheb powr fienconthefi un a u h e bouhd. PeupLe de voyagem, LPA ne Le bont pub b ~ t d e m ~ t à L1inti%ieuh de L'hexagone. Le monde d a bou/rds que d'aucunn qua- aA&ient de pe t i t pahce q u ' i l e ~ t en mmge du nôthe, n'&tend bien au con0ui.m à L1éch&e du monde e t ne c a n n d pub nob 6 h a n ~ è h e ~ . C ' e ~ t une cornunauté où L1LvLtehnationaLhme n ' u t pu6 un vain mot. En dép.it deb fi6~êhencen enfie f2.6 Langueb d a b i g n a naLianden, ieb pahviennent ainément à communLquc% enthe eux. la bavent que dam phenque chaque v i U e du monde thuuve.hont un doyeh Leuh pehm&ant de he..thouveh Leo L e m . Tb ba~aveMt pm avance que d m chaque payn du monde, ih &ouve&ont d a amb. D1alLt>Le p u , guèhe p h éthmgehs aifZeuh4 q u ' a ne Le dont chez eux, habituéd à be débhaLMetr, n a d toujouhs mouzd ernbamué6 danb d ' a d m b payb que l e Leuh que ne l e bont g é n W e m e n t L u entendantb''. (MOTTEZ e t MARKOWICZ, 1979, p. 51).

b) D'autre part , comme i l en e s t pour les langues parlées, l a communi- cation peut ê t r e perturbée entre sourds u t i l i s an t l e même dialecte par des anomalies affectant le canal propre à cette langue, anomalies au niveau de l'organe récepteur ou des organes émetteurs (ou au ni veau central ).

Certaines n'ont pas les conséquences auxquel les on pourrait s 'at tendre.

Ainsi, on s a i t par exemple que les signes se font avec les deux mains, mais qu ' i l y a une main dominante. C'est e l l e qui ag i t lorsque les signes sont à une seule main. C'est e l l e qui épelle lorsqu' i l e s t f a i t recoun à l a dactylologie. La main non dominante u t i l i s e moins de configurations e t joue éventuellement l e rôle de support pour 1 'autre main, de Tab pour employer l a terminologie de W.C. STOKOE.

La main dominante e s t évidemnent l a droite chez les droi t iers . C'est l a gauche chez les gauchers. Ces dernien sont minoritaires. I l s présentent donc les signes de façon inversée par rapport à l a norme.

Il ne s 'en s u i t pas l a moindre gêne. On ne réalise souvent que tardi- vement que son interlocuteur e s t gaucher. On ne s 'en a p e q o i t parfois même pas.

On peut f a i r e l'hypothèse que l a seule si tuation où l e f a i t d ' ê t r e gaucher peut avoir une importance négative e s t celle où l e gaucher se trouve en position d'enseignant de l a langue des signes. Certains entendants senblent a f f e c t é s d ' u n hand icap pour l eque l on

Page 39: La Surdite Dans La Vie

s e r a i t t e n t e r d e fo rger l e terme de dischérémie : i l s ont du ma1 à reprodui re ce r ta ins signes. La d i f f i c i l e tâche de devoi r r e c o u r i r a lo rs à une analyse e x p l i c i t e e t à une décomposition du signe pour i m i t e r c e l u i de son enseignant peut se t rouver aggravée chez ces su je ts lorsque l e u r enseignant e s t gaucher.

Le f a i t d ' ê t r e manchot, curieusement, n ' i n t r o d u i t pas non plus de per tu rba t ion majeure dans l a communication, en t o u t cas pas ce l les auxquel l es on p o u r r a i t s 'a t tendre. Après tout , l e s s i t u a t i o n s o rd i - na i res ne manquent pas, conversations au vo lant de l a vo i tu re ou un verre à l a main, où les sourds n ' u t i l i s e n t qu'une main pour p a r l e r . C 'es t d i r e l a p a r t de l a redondance dans l a product ion signée.

Les mut i la t ions, su r tou t s ' i l s ' a g i t de 1 ' index, apportent une per tu r - b a t i o n dans l a communication. Nul doute cependant, l e s per turbat ions de beaucoup les p lus graves sont ce l les qui viennent des troubles moteurs : d i f f i c u l t é s à coordonner e t para lys ies. Ces t roubles peuvent a l l e r jusqu'à rendre impossible, e t en t o u t cas pratiquement i n i n t e l - 1 i g i b l e , tou te émission.

En se s i t u a n t toujours au niveau de 1 'émission, on peut s ' imaginer t r è s fac i lement l 'existence en langue des signes d'un phénomène senblable au bégaiement dans l e s langues parlées. Cela appor te ra i t à l a communication une per tu rba t ion rigoureusement comparable à c e l l e qui se passe a lo rs dans l e s communications orales. Nous igno- rons tou te fo is s ' i l e x i s t e un bégaiement en langue des signes. Nous n'avons jamais rencontré de bègues gestuels. 11 en e s t de &me de toutes l e s personnes que nous avons interrogées. Certaines d isent a v o i r vu mentionné des cas. I l s 1 'é ta ien t de façon t r o p vague e t t r o p i n d i r e c t e pour qu'on s o i t en mesure d ' a f f i r m e r q u ' i l s ' a g i s s a i t vraiment de c e l a e t non pas d'émissions l i é e s à des t roubles moteurs. Nous n'avons pas trouvé ce problème soulevé dans l a l i t t é r a t u r e . Nous voyons autant de raisons pour supposer que l e bégaiement d o i t e x i s t e r dans l e s langues gestuel les que de ra ison de supposer que c e t t e anomalie e s t propre au langage par lé . Q u ' e l l e s o i t ;pos i t ive ou négative, l a réponse à ce t te question, qui nous p a r a î t impor- tante, appor te ra i t une dimension nouvel le à l a connaissance de ce phénomène .

La c é c i t é e s t pour l e s langues v isue l les 1 'équiva lent de ce qu 'est l a s u r d i t é pour l e s langues parlées. E l l e impose à l a récept ion des obstacles importants. Il ne sont cependant pas insurmontables.

Le nombre de sourds devenant aveugles e s t malheureusement p lus f ré- quent qu'on ne l e souha i te ra i t . Ceci en ra ison notamment du syndrome d'USHER ( r e t i n i s pigmentosa), maladie génétiqiie a f f e c t a n t de 4 à 6 % des sourds. Ses premières manifestat ions peuvent apparaî t re dès 1 'âge de d i x ans e t consis tent essentiel lement en un rétr&cissement pro- gress i f du champ v isuel , rétrécissement pouvant a l l e r jusqu'à l a c é c i t é complète.

Page 40: La Surdite Dans La Vie

La cornunication sous l e mode habituel reste possible s i 1 ' inter- locuteur prend soin de signer dans l e cadre du champ visuel restant, Lorsque pour une raison ou une autre ce t te procédure n 'es t pas possi- ble, ou lorsque l a personne e s t complètement aveugle, celle-ci supplée à l a vue par l e toucher. Elle pose une main sur celles du locuteur, les accompagnant dans leur ac t iv i té . Ces activités ne varient en principe en rien de celles des émissions habituelles. 11 nous seirble avoir pu observer toutefois une tendance à moins marquer les Tab ( l ) , c'est-à-dire à l a centraltsation des signes, ceci pour évi ter des déplacements trop amples à l a main du récepteur.

Bien que malaisée, une conversation à plusieurs reste possible, qu ' i l s 'agisse d'une émission des signes dans le cadre visuel res- tant ou de l ' u t i l i s a t i o n du toucher. Le plus souvent, l a personne l a plus f a m i l i a r i s e pour communiquer avec l a personne sourde aveugle adopte alors spontanément l a position d'interprète.

Nous ignorons s i l a cécité se t radui t de quelque manière au niveau de l'émission. On peut en e f fe t se demander s ' i l n'existe pas pour l e sourd né aveugle ou l '@tan t devenu certaines part iculari tés &t déformations dans 1 'émission comparables à ce qu ' i l en e s t dans les langues parlées de 1 'ar t iculation des sourds ou des devenus sourds. On peut notamment se demander ce qu ' i l en e s t de l ' a c t i v i t é de 1 'oeil dans ses rôles pour I 'émission. Nous ferions volontiers 1 'hypothèse que de t e l l e s déviations de l a norme doivent ex i s t e r mais de façon moins accusée e t moins gênantes pour l a communication. Nous avons questionné à ce su je t Nancy FRISHBERG, qui a observé l a tangue d'une sourde devenue aveugle depuis un peu plus d'une annee. Les signes de cette dernière auraient tendance à ê t re plus amples. Les yeux, pour 1 ' ins tant du moins, continuent à jouer un rôle ac t i f dans l a loca1isation.

Comne i l en e s t de ceux que nous avons envisagés dans l e chapitre précédent, ces obstacles à l a communication peuvent donc &t re dans certaines l imites dépassés , détournés. On pourrait leur appl iquer une analyse du type de ce1 l e que nous tenterons plus loin pour connaitre, selon les contextes, les contraintes inc i tant ou non à ce qu ' i l s l e soient.

( 1 ) Pour nous référer à la ternÙnoXogie de STOKOE.

Page 41: La Surdite Dans La Vie

I I - LE RECOURS A LA LANGUE PARLEE ENTRE SOURDS

La langue des signes n'est pas l e mode exclusif de communication des sourds entre eux. Plus ou moins bien certes, mais au moins un peu, la plupart connaissent le f raqais . On trouve quelques natifs de la L.S.F. l e connaissant même excellement.

Dans certains contextes, e t surtout pour parler de certains sujets, des sourds usagers habituels de la L .S .F. peuvent s'entretenir entre eux en français (1). I l convient néanmoins de souligner dans ces situations deux choses, e t deux choses faisant que, pour un observa- teur entendant non averti, i l peut échapper totalement que ces sourds sont en train de s'exprimer en français, e t peut-être dans un français raffiné.

La première e s t qu'ils recourent, dans le mëme temps, aux gestes. Selon 1 'expression devenue aujourd'hui familière, les gestes sont util isés ic i comme support de la parole. C'est en effet pour eux le seul moyen, dans u n échange oral, de lever les ahiguités inhérentes au français, celui-ci ne leur parvenant alors que sous le mode très partiel de ce qu'en peut livrer la lecture labiale. le vocabulaire de la L.S.F. vient doubler celui du français. II e s t au besoin f a i t appel à 1 a dactylo1 ogie (al phabet manuel ) notamment pour 1 'énoncia- tion des noms propres, terreur des devenus sourds e t des autres sourds parlants (2 ) . Ceux-ci n'ont en effet à leur disposition, pour combler ce qui ne leur parvient que comme des trous du discours ('la "supplé- ance mentale" fonctionne mal pour les noms propres, surtout s ' i l s arrivent pour la première fois], que le recours bien incommode à 1 'écriture.

( 1 ) Les personnes sourdes ne s o n t p a s t ou jou r s consc i en te s de l a v a r i é t é l i n g u i s t i q u e dans l a q u e l l e e l l e s s o n t en t r a i n de s 'expr imer . 11 e n e s t d ' e l l e s comme de t o u t e s l e s personnes d i sposan t d e p l u s i e u r s v a r i é t é s d 'une même langue, s i t u a t i o n de d i g l o s s i e ayan t f a i t l ' o b j e t de nombreuses ana lyses (FEREUSON, 1979 ; STOKOE, 1970 ; MOTTEZ, 1976 e t 1978 ; MARKOWICZ,1980).Ceci e s t pour l e s sourds d ' a u t a n t p l u s compréhensible que l a s é p a r a t i o n souvent t r è s t ranchée f a i t e e n t r e l a L.S.F. e t c e q u i s e r a i t l e f r a n ç a i s s i g n é e s t une f i c t i o n commode pour l ' ana lyse . A ins i que l ' o n sou l igné p l u s i e u r s a u r e u r s , il e x i s t e un continuum (WOODWARD, 1973 ; WOODMARD e t MARKOWICZ, 1975). Selon l e u r p l u s ou moins grande m a î t i r s e de l a L.S.F. e t / o u du f r a n ç a i s , mais a u s s i s e l o n l e s con tex te s , s e l o n l e u r ( s f i n t e r l o c u t e u r ( s ) e t l e s u j e t t r a i t é , i l s r ecouren t à une v a r i é t é s i t u a b l e e n un p o i n t de ce continuum q u i va d 'une langue v i s u e l l e théoriquement pure de t o u t e i n t e r f é r e n c e avec l e f r a n ç a i s à un f r a n ç a i s théoriquement p r é s e n t é de façon v i s u e l l e .

( 2 ) S i c e nom propre a d é j à son s i g n e , il e n e s t b i e n s û r f a i t usage. Les pays, l e s v i l l e s , l e s s t a t i o n s de métro o n t un s igne . Chaque sourd de l a communauté à son s igne . Il en e s t de même des p e r s o n n a l i t é s e n vue du mande p o l i t i q u e , des v e d e t t e s du s p o r t e t du s p e c t a c l e e t des entendants ayan t avec l a communauté des sourds d e s r a p p o r t s s u f f i s a n t s pour y a v o i r d r o i t .

Page 42: La Surdite Dans La Vie

La seconde e s t qu ' i l s u t i l i s en t l e parler sans voix.

Cas limite peut-être, e t à l a frange de l a comnunauté des sourds, nous avons rencontré certains s 'é tant donné pour conduite de toujours u t i - l i s e r leur voix dès lors qu' i l s ' ag i t de français. "On dLt , p f i é d e n t - den, que de L'exence/r, .la voix ne peki. 176 convie& de 76 tuXli~bt mZme enthe &ou&. C'ebt a i d u h e d'habitude". Nous avons néanmoins pu observer certains enfreindre à plusieurs reprises leurs principes.

Nous nous référons bien sûr aux si tuations où les sourds conversent entre eux sans l a présence d'un entendant. Cette présence peut changer les façons de faire. Si c e t entendant ne peut pas l i r e sur les lèvres e t ne connaît pas les gestes, les sourds peuvent, même entre eux, e t pour des raisons de poli tesse, donner alors de l a voix.

De l a même façon, i l nous a é t é rapporté plus.ieurs exemples où l a venue d'un enfant - e t que celui-ci s o i t sourd ou entendant- avai t contribué à changer l e mode habltuel de communiquer d'un couple. Par souci éducatif ou pour toute autre raison, certains décident non seu- lement de s 'adresser à lui en donnant de l a voix e t sans f a i r e les gestes, mais de f a i r e de même entre eux lorsqu' i ts sont en sa présence. I l senble cependant que cette conduite ne puisse e t r e rigoureusement suivie. Des parents sourds ayant agi de l a sor te sont étonnés de découvrir u n jour que leur enfant connaît les signes. C'est généra- lement l e signal , pour ce dernier, que va c o m n c e r de façon beaucoup plus systématique sa lourde carrière d ' interprète toujours à l a disposition de ses parents.

I l exis te d 'autre part , e t c ' e s t à eux que nous nous arrêterons, tous l e s sourds qui ne connaissent pas l e langage gestuel e t n'ont à leur disposition que 'le français.

I l s ' a g i t d'une par t des devenus sourds. On range habituellement sous ce terme ceux qui l e sont devenus au plus t6t à 1 'adolescence.

I l e s t en e f f e t bien rare, surtout s ' i l s l e sont devenus après l'ado- lescence, qu ' i l s apprennent l a langage gestuel. Leur langue naturel l e , celle avec laquelle i l s ont crü, s e sont formés, celle qui restera toujours leur langue première, e s t l e français. I l s l 'ont apprise tout naturellement e t par les moyens habituels, c'est-à-dire oralement, par l ' o re i l l e . I l s en ont gardé l a maîtrise, même s i au cours du temps leur voix a pu s e dégrader. Ce qu ' i l s ont perdu e s t seulement l a maî- t r i s e , dès lors qu ' i l s ' a g i t de parole, des si tuations dans lesquelles i l en e s t f a i t usage.

Page 43: La Surdite Dans La Vie

II s ' a g i t d 'au t re p a r t de demi-sourds, v o i r e de sourds sévères e t profonds que leu rs parents e t l eu rs éducateurs on t réuss i à mainte- n i r à 1 ' é c a r t des séductions de l a langue des signes, c 'est -à-d i re aussi de l a communauté des leurs. M a i t r i s a n t plus ou moins b ien l e f rançais , i l s 1 ' o n t en t o u t cas appr is dans des condi t ions inhabi - tue l les, peu favorables, e t pour ce r ta ins d 'en t re eux t r è s a r t i f i c i e l les.

Nous la isserons évidemment i c i de côte, mais i l s ex is ten t , l e s sourds q u i , ayant é t é tenus à l ' é c a r t de l a langue des signes de peur q u ' i l s ne p a r l e n t pas, ne connaissent pas non p lus l e f rançais .

Pour se comprendre oralement, l e s sourds u t i l i s e n t leu rs restes audi t i f s e t l a l e c t u r e lab ia le . 11 e s t pour beaucoup malaisé de déterminer l a p a r t de ce qui rev ien t à l ' u n e t à l ' a u t r e dans l a compréhension. E s t - i l besoin d ' i n s i s t e r , l a l e c t u r e l a b i a l e ne l i v r e qu'une p a r t de ce qui e s t d i t . Il e x i s t e beaucoup de sosies. Poür compléter, l e sourd d o i t f a i r e appel à ce qu'on nomme de façon amusante l a "suppléance mentale". Par exemple, seul l e contexte permet de savo i r s ' i l v i e n t d ' ë t r e d i t "jambon", "chapeau", "chameau" ou "Japon".

On d i t souvent de l a l e c t u r e l a b i a l e q u ' e l l e e s t un a r t . On veut s i g n i - f i e r pa r 13 q u ' i l n ' e s t pas donné â t o u t l e monde d ' y passer maî t re e t qu'on ne connai t pas b ien les raisons pour lesquel les ce r ta ins s ' y montrent p lus aptes que l e s autres. Comme on l e soul igne fréquemment -sans doute parce que l a l i a i s o n en t re les deux choses e s t souvent f a i t e - , ce la n ' a r i e n à v o i r avec l ' i n t e l l i g e n c e . On e s t t o u t étonné p a r f o i s de rencontrer des sourds profonds, 1 ' @ t a n t devenus à un âge re la t ivement précoce e t p a r l a n t excel lement, qu i se révè len t incapables de l i r e quoi que ce s o i t su r l e s lèvres. D'autres, à 1 ' inverse, son t experts au p o i n t de pouvoir s 'hab i tue r a u s s i t ô t à des lêvres nouvefles, à des lèvres d i f f i c i l e s e t mainteni r l e u r a t t e n t i o n presqu'une heure durant, temps l i m i t e au-delà duquel, même avec une bonne vue, l a fa t igue e t l es maux de t e t e f i n i s s e n t généralement par a v o i r ra ison du su jet .

Les devenus sourds d isen t souvent que l a l e c t u r e l a b i a l e e s t pour eux p l i is d i f f i c i l e que pour les sourds de naissance, q u ' e l l e pose p lus de problèmes. Cette asser t ion nous a longtemps l a i s s é rêveur. Dans l a mesure où t o u t n ' e s t pas vu, où il f a u t se l i v r e r au j e u des devinettes, l e devenu sourd, qu i connai t b i e n l e f rançais , n ' e s t - i l pas en p o s i t i o n p lus favorable que l e sourd n a t i f qu i l u i , souvent, l e connai t mal ?

L ' e x p l i c a t i o n rés ide probablement dans l e f a i t que devenus sourds e t sourds n a t i f s ou précoces ne procèdent pas de l a même manière pour l i r e su r les lèvre. Ceci e s t l ' u n des ind ices des rapports d i f f é r e n t s que l ' u n e t l ' a u t r e ent ret iennent au f rançais , de l a façon dont i l s l e perçoivent, en f o n t usage e t l e v ivent . Pour l e s devenus sourds, l a l e c t u r e l a b i a l e e s t selon 1 'heureuse expression de Dominique BELIN un déchiffrement, une traduct ion. E l l e renvoie aux sons, à l a langue entendue avec laque1 l e i 1s sont f a m i l i e r s , y ayant é té au t re fo is habitués. Pour l e s autres sourds. l e mouvement des 1 èvres es t d i rec te - ment un signe, un s i g n i f i a n t , ne renvoyant, sauf son sens, à r i e n d 'au t re qu'à lui-merne.

Page 44: La Surdite Dans La Vie

Nous avons demandé à de norrbreux sourds oraux -c'est-à-dire ne con- naissant pas les gestes- s ' i l leur é t a i t plus a isé de communiquer entre eux ou avec les entendants. La plupart ont déclaré sans hési- tat ion que c ' é t a i t entre eux.

Nous regrettons de n'avoir pas exploré plus avant les cas déviants. E t ceci d'autant pfus qu ' i l y avait parmi eux les sourds avec lesquels i l nous a é t é l e plus d i f f i c i l e de s e comprendre. Parlant de communi- cation plus facile avec les entendants, à coup sûr ne devaient-ils pas penser au tout-venant des entendants mais se référer aux quelques privilégiés habitués à comnuniquer avec eux. Le plus souvent, mais pas toujours, l a mère f a i t part ie de ces derniers.

Inversement, par sourds peut-être ont-i ls compris les sourds gestuels. I l n 'est pas toujours fac i le de savoir ce qui e s t entendu sous l e terme de sourd, l e sens variant selon les contextes. L'obstacle à l a comnunication entre sourds parlants e t sourds de la comnunauté n ' e s t pas seulement d'ordre linguistique. L'oralisme a contribué à créer entre les deux une solide frontière sociologique.

11 en e s t des sourds oraux comme de ceux qui appartiennent à l a cornu- nauté des sourds (c 'est-à-dire des usagers habituels de l a langue des signes) : i l s aiment à se retrouver entre eux. Le p la i s i r qu ' i l s y trouvent peut bien sûr s'expliquer par l a simple communauté de pro- blèmes. Mais, corme i l en e s t encore des sourds de la comnunauté, on peut aussi émettre l'hypothèse qu'une par t de ce p l a i s i r e s t a t t r i - buable au simple f a i t que l a communication d'un point de vue purement matériel e s t en e f fe t entre eux plus aisée qu'el le ne l ' e s t avec les entendants. 11 peut, du coup, ê t r e procédé à des échanges d'une autre nature que ceux généralement superficiels , a r t i f i c i e l s ou essentiel - lement u t i l i t a i r e s qu ' i l s ont avec les entendants.

On peut trouver bien des raisons susceptibles de rendre compte du f a i t que les sourds oraux auraient entre eux une cornunication plus aisée.

L'hypothèse de l a voix se trouve levée. Le contrôle de leur voix e s t pour beaucoup de sourds un souci constant pendant tout l e temps d'une interaction : parlent-i ls trop f o r t ou pas assez, parlent-ils clairement, etc. . .? I l s n'ont souvent pour en juger pas d'autre feed- back que l a lecture su r l e visage des entendants de l a gêne que leur voix leur procure. Pour les entendants, accoutumés q u ' i l s sont, dans un échange parle, à ne se référer qu'à ce qu ' i l s entendent, l a voix des sourds e t leur élocution e s t souvent u n obstacle majeur à l a compréhension. Rien de tel entre sourds. Sauf à penser bien sûr aux échanges entre sourds ayant des restes audit ifs uti l isables e t une mauvaise lecture labia le , i l n 'est pas @me besoin pour converser entre eux de donner de 1 a voix.

Page 45: La Surdite Dans La Vie

I l nous a toutefois semblé à cet égard que les devenus sourds recou- raient moins au parler sans voix que l e s autres sourds oraux e t a for t ior i que ceux de l a communauté. S i cette impression se trouvait confirmée, on pourrait aisément suggérer quelques hypothèses pour en rendre compte. Certaines d 'entre e l l e s auraient des implications importantes pour l 'analyse comparée des sourds natifs e t des devenus sourds quant à leur rapport au français.

D'autre par t les sourds (oraux) sont à 1 'évidence entre eux moins gênés que ne le sont entre eux sourds e t entendants pour s ' a v e r t i r franchement qu ' i l s ne comprennent pas. E t ceci vient après que, de façon toute spontanée, e t mieux que ne savent le fa i re les entendants les plus habitués de communiquer avec les sourds, i l s se sont prémunis contre les risques d' une t e l le éventualité : di sposi t i on topographique idéale, recherche spontanée e t réciproque de 1 a bonne lumi nosi té, parler en face à face sans la t ê t e se détourne à la façon d'un oiseau comme i l en e s t pour de nombreux entendants, art iculation la plus favorable à une bonne lecture labiale.. .

Mous avons enregistré des conversations entre sourds parlants : des conversations entre sourds connaissant ma1 le français, des conversa- tions entre sourds l e maîtrisant parfaitement. Même pour ces derniers, l a conversation a une structure différente de celles qu'ont d'ordi- naire les conversations entre entendants. Cette structure découle pour l 'essentiel des efforts f a i t s pour se prémunir des malentendus.

Certains mots, certaines phrases surtout, sont répétés systématiquement. Ces phrases sont parfois répétées mot pour mot, parfois sous une autre forme. Ceci sans que nécessairement, de façon apparente du moins, 1 ' interlocuteur a i t donné signe de d i f f icul té .

Une argumentation ne se présente certes pas de l a même manière dans u n texte éc r i t e t dans une conversation orale où par économie e t souci de compréhension, ayant plus de souplesse, e l l e adopte une structure moins l inéaire. Dans le cas d'une conversation entre sourds, les fréquents retours en ar r ière -qui ne sont l à qu'à t i t r e de redondance- peuvent la isser 1 'impression que l a structure de 1 'argumentation e s t autre, qu'el le piétine ou qu'el le e s t surtout constituée d'affirmations.

Certains sourds, pendant que leur interlocuteur parle, répètent à haute voix, mot pour mot, certaines de ses phrases, comme en écho. Cette façon de fa i re peut certes fournir au locuteur l'occasion de vér i f ier qu ' i l a bien é té compris, 1 ' incitant au besoin à corriger e t à refor- muler. Tel ne nous apparait pas pourtant l a fonction essentiel le de ce procédé. I l semble avoir surtout pour b u t de signaler au locuteur qu'on e s t a t t en t i f , qu'on le s u i t e t qu ' i l peut continuer de parler.

Page 46: La Surdite Dans La Vie

Nous sommes étonnés que l'analyse de conversations entre sourds par- l ants n%ft pas plus a t t i ré 1 'attention de chercheurs. Elle présente un intérét théorique indéniable. Dans la mesure où on f a i t l'hypothèse que les sourds parlants savent mieux communiquer entre eux qu'avec les entendants, on en voit aussi tout 1 ' intérêt pratique.

Il nous es t apparu en tout cas qu'une tel le analyse implique le recours au magnétoscope. Plus qu'il n'est e s t dans les conversations entre entendants, i l semble que l a bonne communication, mêm pour les sourds les plus attachés à ne pas faire de gestes, es t assurée par une quan- t i t é de signes e t de signaux inaudibles qui se lisent allleurs que sur la bouche de l'autre.

Les sourds parlants se comprennerit pleut-êtremieux entre eux qu'ils ne se comprennent avec les entendants. Mais i l s se comprennent moins bien entre eux que ne se comprennent entre eux les entendants. Les échanges sont plus lents, plus fatigants, plus pénibles e t riches en malentendus. C'est que la langue parlée, fat te pour être entendue, n'est à l'évidence pas fai te pour les sourds. Les langues normales pour les sourds sont les langues visuelles : rien de ce qui es t émis n'échappant, on n'a pas à se livrer constamment au jeu des devinettes.

Mais i l y a plus. E t dans ce reste réside ce que nous serions tenté d'appeler 1 'essentiel.

Nous nous somnes limités jusqu'ici enquelque sorte à la langue ou du moins à sa compréhension. Plus ,exactement, corn le font habituelle- ment les spécialistes justemnt chargés de la rééducation du sourd, nous nous soinnies limités à une seule situation, omettant, comme i l s oublient de le faire, d'en souligner le caractère exceptionnel : celle d'un tête à tête entre deux personnes.

La parole e t l a maitrise de l a langue ne rendent pas les sourds à même de communiquer dans la plupart des si tuatfons où i l en es t f a i t norma- l emnt usage.

La faculté de communiquer dans les situations normales - celles où tant pour les entendants que pour les sourds gestuels i l es t poss-ible e t habituel de le faire -, voilà ce qu'ont perdu ou n'ont jamais connu les sourds parlants.

Les conséquences psychologiques, sociales ou banalement pratiques en sont immenses.

Page 47: La Surdite Dans La Vie

E s t - i l besoin de soul igner, par exemple, qu'une grande p a r t i e des échanges verbaux - il en e s t à c e t égard des entendants comme des sourds gestuels - ne se f o n t pas à deux en t ê t e à t ê t e ? La l e c t u r e l a b i a l e ne permet pas de savo i r ce q u ' e s t une conversat ion normale au-delà de t r o i s personnes. Nous croyons que cela a quelque importance.

Les discussions de groupe que nous avons suscitées pour f a i r e ce t r a v a i l en sont l a mei l leure il lus t ra t ion . Entre sourds gestuels, e t quel qu'en s o i t l e nombre, e l l e s ne posent aucun problèrm. E l l e s se s t r u c t u r e n t e t se déroulent corne il en e s t pour les entendants. Entre sourds par lants , même en l i m i t a n t l e nombre des su jets , e l l e s sont par fo is à l a l i m i t e du possible t a n t senblent inév i tab les les conversations croisées, l e recours aux apartés.

Mais l e s obstacles à l a communication ne t iennen t pas qu'au nombre des par t i c ipan ts . Cet aut re exemple nous e s t suggéré par p lus ieurs f i n s observateurs de l a v i e quotidienne des sourds par lants . La v i e d 'un couple, ce la e s t important, e s t f a i t e , p réc ise - t - i l s , de cons- tan ts e t menus échanges verbaux à distance tandis que chacun vaque ou non dans l e &me temps à quelque occupations. Ces échanges sont l a norme aussi b ien dans l e s couples d'entendants que dans les couples de sourds gestuels. L'absence de t e l s échanges, évi dement impossibles pour l e s sourds par lants , ne rend-el le pas compte en p a r t i e des pro- blèmes s i fréquents spécif iques à ces couples, e t du peu de communi- ca t ion dont t rop souvent i l s se plaignent.

Nous nous proposions dans ce chap i t re d'envisager l e s obstacles spé- c i f i ques qui , s 'ag issant de l a su rd i té , s'opposent à l a communication. Le recours e x c l u s i f à l a langue par lée en e s t un d'importance.

III - LA COMMUNICATION ENTRE SOURDS ET ENTENDANTS

La communication avec les entendants const i tue l a substance de ce t r a v a i l . Nous ne présenterons i c i que quelques aspects des problèmes q u ' e l l e pose, e t sur lesquels il ne sera pas revenu par l a sui te . Par a i l leurs, sauf mention spéciale, nous nous l im i te rons à 1 ' i n t e r - a c t i o n p r i v i l é g i é e , vo i re exceptionnel l e , ce1 l e en t re deux personnes en t ê t e à t ê t e e t dans laque l le e x i s t e de p a r t e t d 'aut re une volonté de communication.

Page 48: La Surdite Dans La Vie

La comunication entre sourds e t entendants e s t d'abord une a f fa i r e de langue. du côté des sourds existe toute l a gamme al lant de ceux qui ne connaissent à peu près pas le français ( i l s s e recrutent pour l ' essent ie l parmi les sourds profonds de naissance ou l ' é t an t devenus avant l'apprentissage de la parole) à ceux qui l e connaissent parfai- tement e t dont forment part ie au moins tous les devenus sourds.

La vive e t active hos t i l i t é que l a plupart des spécialistes chargés de 1 'éducation des jeunes sourds ont à 1 'égard de l a L.S.F., langue plus stigmatisée e t s a l i e par eux que ne l e f u t jamais aucune, à réussi à dissuader les personnes même les plus proches des sourds, e t n o t a m n t les membres de leur famille, d'y avoir recours. Ainsi, du moins à l 'heure actuelle, e t en France, l e nonbre des entendants qui connaissent l a L.S.F. sont-ils une infime minorité. Ce ne sont pratiquement que les enfants de parents sourds, e t encore pas tous.

Nous ne considérons donc ici que l a si tuation la plus commune : celle d'échanges oraux où c ' e s t au sourd de se placer su r l e ter ra in des entendants.

a ) Sortant l e problème de la communication du cadre où i l se trouve habituellement posé chez les devenus sourds -à savoir celui de l a seule lecture labiale- R, COTTIN dans un remarquable a r t i c l e paru dans "La Cmvef ie" soulignait qu ' i l s ' ag i s sa i t aussi d'un pro- bl ème de 1 angue. Ce qul e s t vrai pour les devenus sourds qui con- naissent l e français, l ' e s t a for t ior i pour ceux qui l e connaissent beaucoup moins.

Ce qui a é t é d i t plus haut de l a comunication entre étrangers lorsque l 'un seulement connaît l a langue de l ' au t r e mais sans en avoir une véri table mai t r i se e s t donc i ntégralemnt transposable i c i . On en présente pas aux sourds l a langue t e l l e qu'on l a parle. On s 'adresse -e t l 'on doi t s 'adresser aux sourds- cornne on le f a i t avec les étrangers qui ne connaissent pas bien notre langue ou avec les enfants qui ne la connaissent pas bien encore. On procède aux mêmes simplifications, on f a i t les mémes sacrif ices.

Les phrases doivent ê t r e courtes. La syntaxe simplifiée. If faut bannir les parenthèses. Xl faut bannir l e s mots e t les expressions rares. I l s ont tô t f a i t de 1 'être. Cela ne veut pas dire seulement les mots savants ou recherchés. Cela veut dire aussi l e s mots nouveaux ou pris dans u n sens nouveau, e t ces expressions à l'em- porte pièce qui circulent de bouche à bouche bien avant d ' ê t r e écr i tes , s i t an t e s t qu'el les l e seront jamais : "c 'eot PUA évident", "n'impohte quai !", "c1e,6.t débiLe", " c ' u t Le. pied", "ijaud L'@i.&e1'...

Page 49: La Surdite Dans La Vie

Il e x i s t e comme avec les étrangers -mais aussi l e s enfants- l e jus te é t a t de langue à l e u r présenter. 11 e s t fonc t ion de ce q u ' i l s se révèlent en mesure de pouvoir recevoi r . Rester en-deça, s i m p l i f i e r à l 'excès, c ' e s t r i squer d 'o f fenser 1 ' i n te r locu teur . Comme il en e s t avec les étrangers, i 1 ne tarde généralement pas à vous en a v e r t i r , l e manifestant par quan t i té de p e t i t s signaux, révélant généralement quelque chose de I ' o rd re de 1 'agacement. E t r e au-delà, c ' e s t r i squer de ne pas ê t r e compris -ce dont l ' i n t e r l o c u b e u r peut f a i r e p a r t a u s s i t ô t de façon e x p l i c i t e - ou s i ce la pers is te, c ' e s t r i s q u e r de f a i r e montre de c e t aut re mépris de 1' i n t e r l o c u t e u r : ne pas se soucier d'en é t r e compris. A ce la, 1 ' i n t e r l o c u t e u r r é a g i t aussi par de nohreux signaux, cer ta ins pouvant a l l e r jusqu'à r e c o u r i r aux procédures par lesquel les on se prépare à met t re un terme à une in te rac t ion .

La langue dans laque1 l e i 1 e s t p a r l é sen$7e devenir f a mesure de toute chose. E l l e apparaît t e l l e en t o u t cas pour ce lu i qu i en a l a mai t r ise. Ainsi, lorsque ses f ines a l lus ions , ses astuces e t ses jeux de mots ne sont pas compris, ce dern ie r a tendance, au l i e u de l ' i m p u t e r à un simple problème de langue - son i n t e r l o c u t e u r l u i e s t i n f é r i e u r dans l a maî t r i se de ce t te langue -, de 1 ' imputer t o u t un i - ment à quelque q u a l i t é inhérente de l ' i n t e r l o c u t e u r ; c ' e s t c e t i n t e r - locuteur, en son en t ie r , qui l u i e s t i n f é r i e u r ; il e s t dépourvu de f inesse e t d ' i n t e l l i g e n c e . Te l le e s t l a façon n a t u r e l l e de procéder pour se d é d o m g e r du d é p l a i s i r de n ' a v o i r pas é t é compris, ou de n ' a v o i r pas é t é apprécié dans l a mesure escomptée.

Mais l e recours à c e t t e procédure se trouve tempéré par l ' i d é e préa- l a b l e que 1 'on peut se f a i r e de son in te r locu teur . Tous ne s ' y p r ê t e n t pas de façon égale.

S ' i l s ' a g i t d 'un Anglais ou d'un Allemand c u l t i v é s qui nous p a r l e n t en français, on a t t r i b u e r a généralement l e s problèmes de communica- t i o n au f a i t que ce n ' e s t pas l e u r langue. Peut-être, mais c ' e s t t o u t juste, nous a r r i v e r a - t - i l de déceler au passage une cer ta ine naïveté de l e u r par t , une absence de finesse, l e u r peu de sens des nuances : l ' e s p r i t f rançais n ' e s t pas à l a portée de tous. :

S' il s ' a g i t d 'un t r a v a i l l e u r immigré Portugais, Turc ou Algérien, nos d i f f i c u l t é s s 'exp l iquen t aisément : "ce 6 0 ~ 1 2 decl gen6 h & @ ~ , ih &O& un peu nou,b-dév&opp&9". Cela n'empêchera pas b i e n sûr qu'on puisse t e n t e r par gen t i l l esse de se mettre comme on l e d i t "à l e u r niveau", oub l ian t que ce sont eux qui on t f a i t 1 ' e f f o r t de se mettre au nôtre.

Dès q u ' i l s ' a g i t de sourds, e t pour de b i e n nontbreuses raisons, i 1 semble ne plus y avo i r de l i m i t e pour que ce qui ne re lève que de l a langue s o i t imputé à quelque déf icience ou p a r t i c u l a r i t é mentale inhérente à Sa personne.

Page 50: La Surdite Dans La Vie

Tout ce qui v i e n t d ' ê t r e d i t expl ique pour p a r t i e ce comportement p a r t i cu l i èrement répandu chez les sourds par1 ants e t l e s malentendants, mais beaucoup plus rare, à 1 ' inverse, e t pour de nombreuses raisons, chez l e s sourds de l a communauté : c e l u i de se f a i r e passer (ou de v o u l o i r se f a i r e passer) pour un étranger p l u t ô t que pour un sourd.

Cette ; f i c t i o n ne peut pas toujours ê t r e soutenue dans une s i t u a t i o n d ' i n t e r a c t i o n en profondeur. E l l e e s t u t i l i s é e dans les i n t e r a c t i o n s de surface à p lus ieurs personnes, l o r s q u ' i l importe de s'excuser que quelque chose vous a échappé dans ce q u i a é t é d i t . La d i s t r a c t i o n ou l e f a i t d ' ê t r e étranger p a r a î t une excuse p lus avouable que l a su rd i té . E l l e e s t u t i l i s é e aussi pour se débarrasser d 'ent rée de j e u d'une i n t e r a c t i o n avec quelqu'un qui dans l a rue ou a i l l e u r s s'adresse subreptiscement à vous pour vous demander l 'heure, son chemin, mendier un franc, prêcher sa r e l i g i o n ou vous vendre une autre marchandise.

L ' idée, que nous avons contr ibué à popular iser , selon laque l le l e s sourds sont une m i n o r i t é l i n g u i s t i q u e a é t é a c c u e i l l i e par l a p l u p a r t des m i l i eux spécid l isés s'occupant des sourds e t par cer ta ins associa- t i ons de parents, comme un scandale e t une provocation. Certains parents s 'en sont indignés, proclamant hautement que leu rs enfants é t a i e n t f rançais à p a r t ent ière. Pour cer ta ins, p a r l e r de minori t é l i g u i s t i q u e , ce la voudra i t f a i r e o u b l i e r qu'aussi i l s sont sourds.

Cet te idée, par son évidence, a é t é au c o n t r a i r e b ien a c c u e i l l i e par l e s sourds de l a communauté qui , revendiquant l e u r langue, e t s ' a f f i r - mant corne sourds ne s 'en considèrent pas moins corne f rançais . Il e s t remarquable que ceux auxquels c e t t e conception ne s 'appl ique pas ( l e s sourds par lan ts e t l e s malentendants ne f a i s a n t pas p a r t i e de l a communauté des sourds e t ne connaissant pas 1 a L. S.F. ) so ien t justement ceux qui , dans l a v i e de tous l e s jours, on t l e plus de propension à s imuler l ' é t r a n g e r qu i ne connaît pas b i e n l e f rançais p l u t ô t que de p a r a î t r e sourd e t d'avouer l e u r su rd i té .

b ) Les incompréhensions sont dans les conversations ent re sourds e t enten- dants un phénomène constant. Cornent on se débrou i l l e a l o r s m é r i t e r a i t une étude en so i . Cette étude nous apparaî t impossible sans se r é f é r e r au contexte qui condit ionne de façon quasi absolue les façons de f a i r e .

Nous risquerons toutefo is les généra l i tés suivantes qui va lent s u r t o u t ou du moins son t s u r t o u t observables dans l e s s i tuat ions décontractées, non centrées par avance sur un s u j e t spéci f ique, e t où r i e n dans l e contexte ne l a i s s e supposer que quelque chose de vraiment sér ieux puisse ê t r e d i t : l a conversat ion typ ique de salon, de rue ou de b i s t r o t .

Page 51: La Surdite Dans La Vie

Dans ces si tuations, i l e s t bien rare qu'après avoir f a i t répéter deux fois , ne comprenant toujours pas, on y vienne à nouveau. Cela enfrein- d r a i t des règles importantes de l a conversation. Cette infraction e s t susceptible de mettre en péril la su i t e de l ' in terac t ion de façon beaucoup plus fâcheuse que ne l e f e r a i t 1 'incompréhension. I l e s t alors requis de f a i r e croire qu'on a enfin compris.

11 nous semble que l e "faire comme s i on avai t compris" e s t une procé- dure à laquelle i l e s t recouru des deux côtés de façon à peu près égale. t a différence majeure à cet égard nous paralt ê t r e que 1 'apti- tude à simuler l a compréhension - e t ce l l e , qui lui e s t l i ée , de se rendre compte que l ' au t re , quoi qu' i l en dise n'a pas compris- e s t , de beaucoup plus développée chez les sourds que chez les entendants.

Ainsi, l a plupart des entendants s'imaginent-ils toujours qu ' i l s sont beaucoup plus aptes qu ' i l s ne l e sont en r é a l i t é à se fa i re comprendre des sourds (ceci , quit te par la sui te , s i cette incompréhension a des conséquences pratiques, à penser que "les sourds décidément ne com- rennent jamais rien"). Inversement, e t dans l e même temps, i l s mettent volontiers au compte de 1 'tncapaci t é du sourd à s'expliquer clairement ce qui relève surtout de leur inaptitude à savoir l e comprendre.

Nous avons cru pouvoir observer que ce t t e i l lusion de ce t te façon de penser, étaient , qu ' i l s nous en excusent, de beaucoup plus répandue chez les enseignants de sourds que chez les autres personnes ayant des rapports avec eux. Cela s'explique aisément s i l 'on réalise qu'el le e s t l e résultat d'une interaction entre jeunes e t adultes e t , qui plus e s t , entre jeunes e t adultes dans un rapport hiérarchique spécial. Or, les normes quant à l a poss ib i l i té de par t e t d 'autre de dire qu'on a compris ou non sont dans ces si tuations d'un tou t autre type que dans les si tuations où les interlocuteurs sont en si tuation égali taire ; el les s e prêtent plus à favoriser chez l'entendant cette i l lusion.

Il existe à la communication entre sourds e t entendants d'autres obs- tacles que l a langue. S'agissant de parole, i l s ' a g i t aussi de sons. Le monde des sons nous sépare, ou plutôt l a façon dont nous avons d'en user. I l importe, là encore, d 'é tabl i r une dist inction entre ?es deve- nus sourds, qui ont connu 'I 'usage que nous en faisons, e t les sourds de naissance ou précoces. O n verra en quoi, bien que sourds, les pre- miers continuent d'en user de façon plus conforw à la nôtre.

Page 52: La Surdite Dans La Vie

a) Les sourds c ' e s t chose connue, pëchent à l 'égard des sons par défaut : i l s n'entendent pas, ou trop mal. I l n'en a pas encore é té cependant, e t de loin, t i r é toutes les conséquences.

Beaucoup de sourds de naissance émettent des jugements sgvères au su je t de l a langue par1 ée, de l a parole e t , partant, des entendants. Comparant leur langue, l a langue des signes, à l a parole, i l s l a décri- vent comme une langue vivante, chaleureuse -certains disent une langue ayant recours au corps- par opposition à une langue desséchée, un peu ennuyeuse, abstrai te. I l a é té rapporté plusieurs fois dans l a presse les mots de 1 ' un d'eux : " b u e n t e n d a d ont coupé l e fien q u i heRie leu& coeuh à. l a paolel ' . Leur monde leur parait plus vivant, moins terne.

Cette façon de voir n 'es t pas propre aux sourds. Elle e s t généralement ce1 l e de toutes les mi nori tés 1 i ngui s tiques à 1 'égard de 1 a 1 angue dominante e t de ceux dont c ' e s t l a seule. C'est aussi l a façon dont, dans les si tuations de diglossie, on juge la variété haute de l a langue, vari é té réservée aux si tuations offi c ie l les , cérémonieuses e t aux rapports avec les étrangers. I l n'y e s t pas f a i t recours dans les interactions de l a vie quotidienne où l ' on e s t entre soi.

De no&reux sourds e t demi-sourds nous a f f i m n t qu ' i l n'y a pas de cas où un sourd (profond e t de naissance) a i t eu de discussion en profondeur avec un entendant. De t e l l e s discussions se passent entre sourds, e t bien sûr en L.S.F. I l n 'es t pas besoin d ' i l lus t ra t ion : l e recours à l a parole e s t réservé pour les relations avec les entendants, aux rapports u t i l i t a i r e s ainsi qu'aux rapports de poli tesse, en surface, e t i l s e f a i t toujours, par surcroî t , dans des conditions d i f f i c i l e s .

Mais i l y a aussi à cet te façon de voir sans doute une autre raison. La parole, à coup sûr, vient aussi du corps. On peut même émettre à son su je t 1 ' idée qu 'e l le vient du plus profond du corps. La voix, 1 intonation -il en sera question plus bas- voilà ce qui ne parvient pas ou mal aux sourds.

Les sourds aiment beaucoup mimer les entendants en t ra in de parler, tout en restant muets, bien sûr. I l s nous donnent à voir l a façon dont nous leur apparaissons. Nous nous voyons soudain, sans les sons, guindés e t ridicules dans notre façon habituelle de communiquer. II n'y a guère de groupe théâtrale de sourds dans l e monde qui n ' a i t à son répertoire une pièce satirico-comique au succès assuré, où t a parole e t les entendants sont r idiculisés de l a sorte.

C'est cependant l e réc i t par une amie sourde de souvenirs d'enfance qui nous a mieux f a i t comprendre ce qu ' i l pouvait en ê t r e pour eux de l a parole e t des entendants. Nous attendons qu 'e l le l ' écr ive , e t

Page 53: La Surdite Dans La Vie

qu'elle decrive alors ce qu'elle saura mieux dire que nous : 1 'étrange impression que lui causaient les entendants dont el le é ta i t entourée, un peuple de "muets", e t de muets sans vie, dans des attitudes figées, des spectres. Les muets, disait-elle, ce sont les entendants.

Si les devenus sourds nous ont laissé des descriptions -et elles sont variks- des sensations étranges qu ' i ls ont ressenti lorsqu'ils le sont devenus, e t de celles qu'il leur arrive encore de ressentir, i l s n'ont pas en tout cas à l'égard de la langue parlée qui e s t celle de la quasi total i té des sourds de naissance ou précoces. Ils l 'ont vécue. Ils savent ce qu'ils ont perdu. Mais faute d'avoir grandi en familia- ri t é avec la langue des signes, i l s n'ont rien obtenu en échange.

b) S'il e s t constamnt pensé au péché par défaut de l 'orei l le du sourd, i l ne nous senble pas, en revanche, qu'ait été jamais analysé l e pé- ché par excès dont, dans leurs rapports avec les sourds, souffrent les entendants ( e t le mot souffrir peut être pris i c i dans ses deux sens).

Ce péché par excès es t susceptible de générer les obstacles les plus graves dans la communication : bloquer d'entrée de jeu 1 'interaction, faire planer sur l'ensemble de graves malentendus, la rendre par moments tout simplement impossible. Pour bien s'entendre avec les sourds, i l e s t nécessaire de le devenir un peu soi-même.

On fera ic i l'économie de l'accent ( d u sourd) dont on peut limiter arbitrairement sans doute l'impact, en disant qu'il n'affecterait que la compréhension proprement di te de la langue. Mais i l y a ce double amont de l'accent que sont l e tinhre de la voix e t l a façon dont i l en e s t f a i t usage dans une situation spécifique, appelons cela f 'into- nation. Voix graves, sèches, criardes, chaudes, s i rupeuses, somptueuses, aiguës, cristal7 ines, feutrées.. . , aux voix on pl-ete toujours un sens. S i cela n'est pas toujours fa i t consciemment, cela reste en tout cas comme un arrière fond nécessaire infomant sur ce qu'est un peu la personne. L'intonation inforiw sur ce qu'elle veut exprimer, dire e t paraître dans un contexte spécifique.

Rien de tel dans la voix des sourds. Les sourds (natifs] n'ayant pas eu accès -ou un accès insuffisant- au monde des sons en ce qu'il a de culturel, n'ont pu apprendre à modeler leur voix selon les canons qui lui donnent sens. Elle es t a-culturelle ou, si l'on veut, nature, brute e t sauvage. Elle ne livre aucune des informations habituelles. Elle ne veut rien dire.

Page 54: La Surdite Dans La Vie

S ' i l e s t relativement vite f a i t à quelqu'un ayant f a i t l a connaissance de sourds d'apprendre à ne plus entendre leur voix pour ne prêter at tention e t sens qu'aux mots qu'el le profère, i l n 'es t e s t pas de même pour les personnes en rencontrant un pour l a première fois (1). Dans l a moyenne des personnes qu'un sourd croise dans sa journée, ce sont les plus norrbreuses. L'accoutumance à donner aux voix u n sens f a i t que l a voix du sourd n'échappe pas à un te1 jugemnt.

Elle e s t parfois qualif iée d'inesthétique. Cela ne s u f f i t pas à rendre compte du malaise voire de l a répulsion qu'el le provoque chez beau- coup d'entendants. Nous n'entreprendrons pas i c i 1 'analyse d i f f i c i l e des mécanismes de ce malaise. Disons seulement que ce t te caractéris- tique de l a voix des sourds, surtout s i ?a langue employée e s t dans le même temps déf ic i ta i re , a souvent pour résultat de les f a i r e ranger dans l a catégorie des handicapés mentaux.

Tout cela explique les stratégies employ&s par les sourds gestuels dans l e recours à l a voix. Nous avons pu l 'observer, dans beaucoup de si tuations, même s i leur voix e s t t r è s compréhensible e t peut ê t r e qualif iée d'excellente, i l s ëvitent d'en f a i r e usage. Appris au se in de l a communauté, i l e s t des normes e t plus encore i c i des savoirs- fa i res pour décider quand y avoir recours avec l e s entendants.

f l ) Il ne s ' a g i t pas seulement des voix en t a n t que porteuses de mots q u ' i l f a u t apprendre à ne plus entendre, il f a u t mentionner tou t ce qui s'échappe e n marge des paroles : r i r e , soupir , c r i de j o i e , de p l a i s i r , de d é p l a i s i r , de surpr i se ou d ' e f f r o i . Beaucoup de sourds ont l eur façon bien p a r t i c u l i è r e de l e f a i r e e t qui n ' e s t pas toujours bien reçue des entendants. Même é te rnuer l e sourd le f e r a i t autrement.

C'est que, n'ayant pas l ' o r e i l l e pour entendre, l e s sourds ignorent ce que l'en- tendant s a i t , d'un savoi r il e s t v r a i purement prat ique mais dont l e s contacts avec l e s sourds peuvent l u i f a i r e prendre conscience : q u ' i l n'y a pas d'émission vocale, fu t -e l l e l a plus spontanée qui ne doive se p l i e r 5 des normes sévères.

L'orthophonie a t rop à f a i r e de forger l a voix pour p a r l e r , pour s'occuper encore e t avec l e &me soin, à rendre l e s émissions spontanees harmonieuses, c test-à- d i r e conformes. Certains éducateurs s'emploient à apprendre de façon formelle aux jeunes sourds à ne pas f a i r e ce r ta ins b r u i t s suscept ibles de gêner e t q u ' i l s s e r a i e n t plus enc l ins à f a i r e que l e s jeunes entendants corne de t r a î n e r l e s pieds ou de claquer l e s portes . Mais nous n'avons pas connaissance, Dieu merci, de pro- j e t s normatifs de rééducation du sourd où il l u i s o i t enseigné de façon systérna- t ique, à réformer auss i l 'expression de s e s a f f e c t s , où il l u i s o i t enseigné que r i r e , geindre, gémir, c r i e r , il d o i t le f a i r e auss i de l a façon qui p l a î t aux entendants .

Page 55: La Surdite Dans La Vie

11 en es t différemment des sourds (natifs) parlants, Leurs éducateurs n'ont cessé de leur dire -corn i l fut d'ailleurs pour les précédents- que faute d'user de leur voix, de recourir à la parole, i l n'y a pas d'intégration possible. Ils ont omis de leur apprendre (faute d'en avoir f a i t l'analyse, de le savoir peut-être, ou de peur d'aller par l a à l'encontre de leurs buts pédagogiques, de décourager les efforts de leurs élèves en limitant leurs espoirs, ou parce que lorsqu'il s ' ag i t de l'apprentissage de la parole i l ne s 'agi t pas de l'appren- tissage de la vie.,.) qu'il es t des situations où i l e s t au contraire préférable pour eux de n'y pas recourir.

L'entrée dans la vie (travail ou études supérieures) e s t aux dires de tous les sourds une rude épreuve. C'est notamment le moment où, sortis d ' u n milieu protégé où 1 'on étai t habitué à les comprendre ( e t à se faire comprendre d'eux), i l s commencent à réaliser vraiment que leur voix, qu'on leur a éventuellement vantée, non seulement ne leur per- m e t pas toujours de se faire comprendre, mais peut même inspirer de 1 a crainte.

Commnt e t quand en user ou non requiert, loin de la communauté des sourds, un long e t diff ic i le apprentissage. Certains, i l en existe, le font seuls. La plupart le font à l 'aide d'autres sourds parlants de leur &me tranche d'age, vivantla &me expérience. Les sourds qui, délibérernent ou parce qu'ils n'en connaissent pas d'autres, restent l e plus attachés au modele entendant (pour qui la condition de l ' inté- gration e s t d'adopter les comportements des entendants ou à défaut de les simuler) en viennent à adopter certaines façons de faire des sourds de la communauté. 11 nous senble cependant que les stratégies aux- quelles i l s finissent par recourir sont un peu différentes. Paradoxe de 1 'intégration par la parole, plus souvent peut-ëtre que les sourds de la communauté, i l s solutionnent le problème en évitant l'interaction.

Les devenus sourds ne connaissent pas ce genre de problème, ou, s ' i l s 'le connaissent, c'est dans une toute autre proportion. Leur voix e t leur élocution a pu se dégrader au fi1 des ans, se déformer ; e l le ne sera jamais cependant comme celle de ceux qui n'ont jamais pu former réellement la leur. Le problème de leur voix, c 'es t surtout celui d u contrôle de son intensi t é (1). Aussi conservent-ils, quand à 1 'essentiel, les façons de faire qu'i ls avaient quand i l s étaient entendants.

Mais i l y a d'autres sons que ceux de la voix du sourd. I l y a ceux qui viennent de I 'envi ronnement.

( 1 ) Il nous semble que l e s devenus sourds ont une propension à p a r l e r p l u t ô t t r o p f o r t . Cela e s t b i e n r a r e chez l e s sourds n a t i f s dont l a voix , au c o n t r a i r e , n ' e s t souvent qu'un mince f i l e t monocorde à peine aud ih le . Cela mér i t e e x p l i c a t i o n . Les analyses qu i v iennent d ' ê t r e f a i t e s pa ra i s - s e n t e n mesure d 'en rendre compte pour p a r t i e .

Page 56: La Surdite Dans La Vie

Au d i r e des sourds, il n ' e s t pas pour eux de p i r e cauchemar que l e s grandes e t joyeuses fê tes de f a m i l l e ( e t quelques autres) où il l e u r e s t f a i t l a farce de l ' i n t é g r a t i o n . Ces moments de paroxysme de l a comun ica t ion sont ceux où i l s f o n t l e p l u s l 'expér ience de l e u r so l i tude . Là, même l eu rs plus proches l e s abandonnent. On peut t rou- ver quelques raisons profondes e t sociologiques de ce comportement. Nais c ' e s t i c i l e l i e u , nous n ' y reviendmns pas, de m n t i o n n e r aussi ce t te ra ison plus banale pour laque l le , dans ces grandes réunions, 1 'entendant é v i t e a lo rs l e sourd p a r l a n t e t c r a i n t ses avances : dans l e brouhaha sa vo ix e s t inaudib le . Il n ' y a pas d 'au t re s o l u t i o n pour l 'entendant q u ' i l met a i n s i dans l 'embarras que de l ' e n t r a î n e r hors de l a f s t e ( s i ce la e s t matériel lement e t socialement possible), ou, s o l u t i o n l e p lus souvent chois ie , d 'écour ter l ' i n t e r a c t i o n : f a i r e mfne un mment de comprendre, d i r e un mot aimable sans impor- tance, sour i re , se f a i r e accrocher par quelqu'un e t se noyer dans l a fou le.

Les sons provenant de l 'environnement se révè len t en e f f e t dans l e s échanges avec un sourd d'une a g r e s s i v i t é dont on se prémunit généra- lement dans l e s échanges entre entendants. Entre entendants l e s b r u i t s ex té r ieu rs sont neutra l isés, tenus à 1 'écar t . Les vo ix s 'él @vent spon- tanémnt en fonc t ion de l ' i n t e n s i t é du b r u i t ambiant e t l a conversa- t i o n s ' i n te r rompt lorsque passent un av ion ou un camion, lorsqu'une cloche sonne, que l a sonnerie du téléphone r e t e n t i t ou qu'un marteau piqueur en t re en act ion. Le sourd, n'entendant pas, p a r l e t o u t uniment. C 'es t a i n s i f u i , dans une conversat ion par lée où il se met su r vot re propre t e r r a i n , qu i e s t l e plus à l ' a i s e . Aucun b r u i t ne l e gêne. C 'est vous qu i sou f f rez a lo rs paradoxalement de ne pas l 'entendre. L 'en in former p a r a i t chose aisée. C 'est b i e n ce à quoi l ' o n se trouve sou- vent con t ra in t . Mais il n'en peut ê t r e abusé. La p o s s i b i l i t é d ' y a v o i r recours se t rouve é t r o i tement réglée p a r des var iab les t e l l e s que l e s u j e t t r a i t é , l e degré d ' i n t i m i t é ent re l e s in te r locu teurs e t l a na- t u r e des sons paras i tes ( b r u i t s l i m i t é s dans l e tenps, sporadiques ou continus ; b r u i t s dépourvus de sens, signaux u t i l e s ou b r u i t s de conversations susceptibles de d i s t r a i r e p l us perfidement vot re at ten- t i o n , v o i r e paro les vous é tan t personnellement adressPes tandis que vous $tes occupé à t e n t e r d'entendre 1 ' i n t e r l o c u t e u r sourd). La f a t i - gue due à l a cons tante nécessi t é de tendre p lus ou moins 1 ' o r e i l l e selon les moments peut engendrer une avers ion profonde du b r u i t e t une envie de se boucher l e s o r e i l l e s pour pouvoi r s i l ' o n peut d i r e mieux entendre l e s propos de 1 ' i n t e r 1 ocuteur sourd.

Que ce s o i t d'entendre, e t de t r o p entendre,que l 'entendant fasse l 'expér ience de l a s u r d i t é e t que ce s o i t dans un "ne p lus entendre" q u ' i l puisse souhai ter y mettre un terme, v o i l à qu i peut p a r a î t r e paradoxal e t en t o u t cas b ien opposé à c e t t e expérience qu 'a l e sourd de ne pas entendre. Des en t re t iens avec des sourds auxquels

Page 57: La Surdite Dans La Vie

nous fa is ions p a r t de nos d i f f i c u l t é s à ce su je t , l es témoignages b ien connus de sourds se p la ignant des b r u i t s a h i a n t s e t l a façon dont ce r ta ins font usage de l e u r prothèse semblent ind iquer que c e t t e r e l a t i o n aux sons dont nous faisons a lo rs l 'expér ience n ' e s t pas en r é a l i t é t r è s éloignée de c e l l e de beaucoup de sourds. E t e l l e expf ique pourquoi cer ta ins peuvent f a i r e l e choix de ne p lus entendre.

Mais il n ' e s t pas de n o t r e o r e i 1 l e comme de 1 ' o e i l , que nous pouvons fermer à volonté, théoriquement au moins (1) . Nous n'avons pas, cornne les sourds appare i l lés, de prothèse qui il nous s o i t possi- b l e de débrancher à l o i s i r .

Ne p lus p r ê t e r a t t e n t i o n au timbre de l a vo ix des sourds e s t unt? opé- r a t i o n dont l a d i f f i c u l t ê senble au t o t a l de 1 'ordre de ce1 l e s aux- quel les nous nous l i v r o n s d 'o rd ina i re : ne p r ê t e r a t t e n t i o n qu.'à ce qui f a i t sens -à l a f o m - e t r e j e t e r dans l e fond ce à quoi nous savons q u ' i l n ' y pas à p r ê t e r a t ten t ion . N e u t r a l i s e r un b r u i t q u i étouffe l a v o i x en t a n t que pot&use de mots p a r a i t une tache p lus ardue, vo i re a p r i o r i impossible.

C 'est que s a v o i r ne p lus entendre r e q u i e r t pour 1 'entendant un long apprentissage. Cet apprentissage ne peut commencer qu'à p a r t i r du moment où il r é a l i s e q u ' i l ne s ' a g i t pas d'un e f f o r t à t e n t e r du cô té de l ' o r e i l l e , mais q u ' i l se f a i t t o u t e n t i e r dans un nouvel apprentissage à vo i r . Quiconque a des rapports avec Tes sourds l e s a i t au moins un peu, généralement de façon inconscjente. Qui même n'en e n t r e t i e n t qu'avec des sourds par lan ts f i n i t pa r devenjr p lus exper t q u ' i l ne l e c r o i t en lec tu re 1 abi ale. La grande rnajori t é des entendants res ten t cependant su r l e s e u i l de c e t apprentissage.

(1) Theoriquement, car l e s usages sociaux ne tolèrent pas que l'on s'amuse à fermer l e s yeux quand i l vous en prend l 'envie. Si bien qu'on u t i l i s e en gros l a vue comme on l e f a i t de l*oufe : on s a i t détourner l e regard de ce qu' i l ne faut pas voir tout coume on s a i t n'entendre que ce que l 'on veut bien entendre.

Page 58: La Surdite Dans La Vie

Apprendre à devenir u n "visuel" (1) -e t pour le temps du moins qu'on e s t en interaction avec les sourds- ne peut s e f a i r e qu'avec l ' a ide de ceux qui l e sont pleinement e t se définissent de l a sorte : avec les sourds u t i l i sant la langue qui leur e s t propre, une langue visuelle. I l s sont, pour nous apprendre leur langue e t nous introduire dans leur monde, des guides généralement plus accueillants que beaucoup de ceux qui, les ayant guidés, s'occupèrent de les convaincre, voire l e s con- traindre de ne vivre que dans celui des sons.

(1) Nous préférons l e terme de v i s u e l s à ce lu i de s i l enc ieux ( s i u s i t é s o i t - i l ) pour désigner l e s sourds. Nous préférons c e l u i de monde v i s u e l à c e l u i de monde de s i l e n c e pour désigner l e monde des sourds ou l e u r façon d ' ê t r e au monde. Ceci parce que l e sens du mot s i l e n c e p r ê t e à malentendus t an t sont d i f f é r e n t e s l e s expériences qu'on peut en avo i r se lon qu'on e s t sourd, malentendant, devenu sourd ou entendant.

Il a presque tou jours chez l 'entendant une connotation pos i t ive . 11 évoque l e comportercent e t l ' a t m s p h è r e propices au recuei l lement , à l a médi ta t ion, au re tour s u r so i . C ' es t l 'éloignement des b r u i t s vains e t des bavardages i n u t i l e s .

Le mnde des sourds n ' e s t pas moins bavard que l e n ô t r e n i moins "visuellement" bruyant. C e n ' e s t p a s un monde de contemplat i fs .

Penser d ' au t re p a r t que l e sourd de naissance v i t dans l e s i l ence - à l a façon dont nous l 'entendons s i l ' o n peut d i r e - e s t a u s s i absurde que l ' i d é e que se font beaucoup de voyants que l 'aveugle de naissance v i t dans l e n o i r . Des aveugles ont s u l e d i r e , i l s ne connaissent pas l e n o i r , ce n o i r dont s e u l s ont l 'expér ience l e s voyants e t , dans son hor reur , l e s devenus aveugles, Et c e c i non pas parce qu'un aveugle v o i t toujours un peu ( t o u t CO- l e s sourds entendent toujours un peu), mais parce que à l ' i n v e r s e de l'ambloype e t du devenu aveugle, il a organisé s a façon d ' ê t r e au monde sous un mode entièrement a u t r e que l e mode v i sue l .

Des sourds nous ont donné sous l e mode v i sue l qui e s t l e l e u r , de s a i s i s s a n t e s images de ce que peut ê t r e pour eux une forme du s i l e n c e . J. JOUANNIC a p a r l é de "sa cage de verre" e t E. KOENIG d 'une "espèce d'enveloppe i n v i s i b l e qui vous c o l l e a u corps , vous voulez vous dégager e t vous n V y a r r ivez pas" (p. 4 6 8 ) . Un tab leau de Bernard GUILLOT, p e i n t r e sourd, représente un enfan t sourd p r i s dans un bloc de glace. Un a u t r e sourd d é c r i t c e t t e sensat ion dans un repas de famil le où t o u t l e monde pa r le e t r i t "d ' ê t re auss i éloigné qu'un Arabe s o l i t a i r e dans un d é s e r t qui s 'é tend à p e r t e de vue dans toutes l e s d i r e c t i o n s . Tout l e monde e t toutes l e s choses sont un mirage ; vous l e s voyez mais nous ne pouvez pas l e s toucher ou en f a i r e p a r t i e . Vous avez s o i f d'un contact . Vous suffoquez intér ieurement , mais vous ne pouvez pas exprimer c e t t e sensat ion a f f reuse à qui que ce so i t " ( c i t é dans Léo JACOBS (1974) e t t r a d u i t dans CoupdIp&, no 10, p. 11).

Ces expér iences de ce q u ' i l nous semble b ien devo i r appeler l e silence, sont f i é e s , c e r t e s , à l a su rd i t é . Hais l e f a i t de ne pas entendre n'en e s t pas l a cause. A preuve : ces sensa t ions s i prégnantes e t s i éprouvantes d ' é t r ange té e t d ' isolement cessent a u s s i t ô t que l e s sourds -n'entendant pas mieux pour autant- s e re t rouvent e n t r e eux, ou lorsque l e u r entourage entendant s e soucie de communiquer avec eux.

Page 59: La Surdite Dans La Vie

Il f a u t que l ' i n t e r d i t qu i pèse s u r l e s langues v i s u e l l e s e t l e mépris dans l eque l on t i e n t ceux q u i y o n t recours s o i e n t b i e n grands pou r que l e s entendants en con tac t avec l e s sourds se p r i v e n t d 'une expér ience auss i s i n g u l i è r e . L ' en tendan t l ' a y a n t ent repr is I lva de s u r p r i s e e n s u r p r i s e . Il s'é tonne d 'abo rd de r é a l i s e r que t o u t ,peut ê t r e d i t " sous l e mode v i s u e l . I l apprend jusqu 'à s ' e n f a t i g u e r l e s yeux l a v a l e u r des p e t i t e s d i f f é rences . Il découvre e n f i n dans 1 'éb lou issement qu 'ex i s te , sous mode v i s u e l , quelque chose exactement de l ' o r d r e de l a musique e t de l a c h a l e u r des vo i x .

Page 60: La Surdite Dans La Vie
Page 61: La Surdite Dans La Vie

C H A P I T R E I I I ..................... .....................

FAUT-IL LE DIRE ?

Page 62: La Surdite Dans La Vie
Page 63: La Surdite Dans La Vie

FAUT-IL LE DIRE ?

1 - UN HANDICAP INVISIBLE

Il y a deux idées constamment émises e t rep r i ses pa r l e s sourds l o r s - q u ' i l s p a r l e n t d'eux. La première e s t q u ' i l s son t des v i sue l s . Ce t te i d é e e s t émise pa r l e s sourds n a t i f s . E l l e p a r a î t au premier abord assez banale. P u i s q u ' i l n 'entendent pas, ou s i mal, il f a u t b i e n q u ' i l s se d é b r o u i l l e n t p a r 1 a vue. Il f a u t pour un entendant beau- coup de temps e t de contacts avec l e s sourds avant de r é a l i s e r t o u t ce que c e l a veut d i re . Il f a u t q u ' i l en s o i t venu à pa r tage r l e u r expérience. Il fau t , comme nous l ' avons d i t p lus haut, q u ' i l a i t r é a l i s é que pour se comprendre avec l e s sourds, il f a u t l e deven i r un peu soi-même, c ' e s t - à - d i r e t r è s rigoureusement apprendre à ne p lus entendre. C ' e s t a l o r s seulement que, e n t r a n t non pas à proprement p a r l e r dans l e monde du s i lence, mais il e s t p lus j u s t e de d i r e dans l e monde v i sue l , il ne cesse de f a i r e l a découverte de t o u t ce que veu t d i r e " v i v r e avec l e s yeux". C ' e s t comme s i , a l o r s q u ' i l a v a i t 1 'organe e t n ' é t a n t nul lement a t t e i n t de dé f i c i ence de ce côté, il a v a i t é t é pa ra l ysé j usqu 'a lo rs de s a v o i r en user en r a i s o n de son hab i tude & s e r é f é r e r à l ' o r e i l l e .

La seconde, émise p a r l e s sourds e t de façon presque lassante , e s t que l a s u r d i t é e s t un handicap i n v i s i b l e . Ceci n ' e s t pas présenté comme un avantage, mais b i e n au c o n t r a i r e comme une s o r t e de handicap sura jouté . Il semb le ra i t que l e sourd s e r a i t moins handicapé, c ' e s t - à - d i r e que l a c o n d i t i o n s o c i a l e q u i l u i e s t f a i t e s e r a i t m e i l l e u r e s i l a s u r d i t é se voya i t .

L o r s q u ' i l s en p a r l e n t , l e s sourds en v iennent presque tou jou rs à se comparer aux aveugles. Si 1 ' on a p l u s d'égards pour ces de rn ie rs e t qu 'à l a d i f f é r e n c e de ce q u ' i l en e s t pour l e s sourds, au l i e u d ' e n r i r e ou de s ' e n i r r i t e r on l e u r v i e n t nature l lement en aide, ce n ' e s t pas seulement - v o i r e ce n ' e s t pas tan t - q u ' i l s o n t p l u s beso in d ' ê t r e aidés. Ce s e r a i t que l a c é c i t é se v o i t .

Cet inconvénient de 1 ' i n v i s i b i l i t é du handicap peu t p a r a î t r e de p r i - me abord paradoxal l o rsqu 'on pense au nombre de personnes pour l e s - que l l es c ' e s t au c o n t r a i r e l a v i s i b i l i t é de l e u r handicap q u i pose problème. Ne pa r lons pas de ceux dont l e handicap ne r é s i d e que dans 1.e regard des aut res : faces déf igurées pa r un acc ident , grands b rû lés , bossus, personnes a t t e i n t e s de mal format ions cur ieuses eh dans une grande mesure l e s nains. Parmi ceux- là mêmes dont l a v i s i - b i l i t é de l e u r handicap e s t l e s igne u t i l e de ce qu 'on ne peu t e x i g e r

Page 64: La Surdite Dans La Vie

d'eux e t des égards particuliers qu'on leur doit (aveugles, I.M.C., handicapés moteurs en général, trisomiques.. . ), i l en e s t peu qui n'aient rêvé par moments à un peu plus d'anonymat. Ces signes visibles génèrent pour l e moins autant de rejet de leur personne en sa total i té que de comportements adquats pour ce en quoi seulement, en raison d'une particularité qui leur est propre, i l nous faut savoir agir d'une façon inhabituelle. Le signe es t une chose. les conclusions que chacun en t i r e en sont une autre.

L'expérience des audi oprothésistes inciterait a priori à penser que les personnes sourdes ne tiennent pas autant qu'elles l e disent â ce que leur handicap so i t rendu visible. L'une des raisons du refus de la prothèse sera3 t selon les audioprothésistes qu'el le marquerait l a surdité. Beaucoup insistent sur les efforts qu ' i ls déployent pour convaincre leurs clients qu'il n'y a pas à en avoir honte.

Il e s t c lair que ce n'est pas sans raison que des efforts constants ont houjours été fai ts pour rendre les prothèses les plus discrètes possible. Quand bien même la mode e s t à la coupe garçonne, les f e m s sourdes portent des cheveux longs leur permettant de dissimuler la leur.

Mais ce n'est peut-être pas en tant qu'indicateur de la surdité que les prothèses sont refusées, mais en tant que prothèse : c'est-à-dire en tant qu'objet inesthétique, étrange. D'autre part, cette prothèse trompe précisément. Si elle signale la surdité, e l le en annule dans l e même temps les conséquences aux yeux du grand public persuadé que, comme i l en e s t d'une paire de lunettes pour qui a la vue basse, e l le permet aux sourds d'entendre comme u n entendant.

Si les sourds sont gênés par le f a i t que leur handicap e s t invisible, i l semble qu ' i ls devraient donc ê t w incités â dire ou rappeler qu'i ls sont sourds, surtout dans des interactions où certaines personnes ignorent leur surdi té.

Or, cela ne va pas de soi.

La question "faut-il 'le dire ?" suscite plus d'échos chez les malen- tendants, demi-sourds, sourds oralistes e t devenus-sourds qu'elle n'en suscite cher les sourds de la cornunauté. De plus, ce n'est pas aux mêmes contextes que se réfèrent spontanément les uns e t les aut~rere; pour tenter de répondre â la bien diff ic i le e t trop générale question "faut-il le dire ?".

Page 65: La Surdite Dans La Vie

Parmi les malentendants, demi-sourds, sourds o r a l i s t e s e t devenus- sourds, l a quest ion susc i te plus d'échos parmi ceux qui ont 1 'expé- r ience d 'un avant e t d'un après. Le passage de c e t avant à c e t après v i e n t d'une expérience c ruc ia le qui peut aussi b ien a v o i r é t é une psychothérapie que l a rencontre e t l a f réquentat ion d 'un m i l i e u sourd q u ' i l s ne connaissaient pas auparavant ou dont i l s i gnora ien t même l ' ex is tence . Cet avant e s t dominé par une honte de l e u r surd i té , c 'es t -à -d i re d'une p a r t i e d'eux-n@mes, dont i l s n 'on t p r i s qu 'a poste- r i o r i toute l a mesure. Leur p o i n t de vue, b ien affirmé, e s t q u ' i l n ' y a pas à r o u g i r d ' ê t r e sourd, q u ' i l f a u t l e d i r e e t que, de savo i r l e f a i r e , l a v i e d'un sourd en e s t changée.

Lorsqu'on examine quelques uns des changements en t re c e t avant e t ce t après, on s 'aperço i t que l e "d i re " ne s i g n i f i e pas toujours ou pas seulement l e d i r e expl ic i tement en paroles. Cela peut se t r a d u i r e par l e f a i t qu'avant, dans un magasin ou a i l l e u r s , on n ' o s a i t pas f a i r e répéter ( " j ' é t a i s t imide avant de rencontrer des sourds"), a lo rs qu'on l e f a i t à présent sans problèmes. Cela peut s e t r a d u i r e - e t sans q u ' i l y a i t en ce la volonté de provocation mais simple rappel- par l e f a i t qu'au l i e u de simuler comme par l e passé l a p a r t i c i p a t i o n dans l e s fê tes de fami l l e , ou n ' y r i e n f a i r e , on s ' i n s t a l l e à présent dans un co in en l i s a n t t ranqui l lement l e journal , ou b i e n on se r e t i r e .

"Le d i r e ou non" prend par a i l l e u r s un sens d i f f é r e n t selon l e s con- textes. A ins i , l e d i r e ou non, lorsqu 'on recherche un emploi prend un sens d i f f é r e n t selon l a nature de l ' emp lo i recherché e t be dégré d'avancement dans l a recherche de ce t emploi. Les personnes les p lus l i b r e s e t l es moins honteuses de l e u r s u r d i t é sont p a r f o i s c e l l e s qu i précisément n 'en d i r o n t r i e n ou réserveront au dern ier moment de l e f a i r e . Le problème se pose i c i dans les mêmes termes que pour l e s autres demndeurs d ' e m l o i ayant un handicap i n v i s i b l e dont i l s savent par expérience q u ' i l s ont généralement i n t é r é t à l e d i s s i - muler (ép i lept iques, hémophiles, diabét iques, rhumatisants, personnes ayant des antécédents psychiatr iques, r e p r i s de jus t i ce . . . ) , mais jusqu'à quand e t jusqu'où ?

Cet te quest ion à l a q u e l l e il senble donc ne pas pouvoi r ê t r e répondu de façon "générale" ne peut ê t r e abordée a v e c p r o f i t qu 'en 'par tan t de s i t u a t i ons concrètes.

Nous examinerons dans ce chapi t re des contextes qui sont de ceux a p r i o r i où ce problème se pose. On verra pourquoi, dans ces contextes au moins, il n ' e s t pas simple d ' y répondre. S ' i l f a u t répondre oui , se pose l a quest ion " e t comment l e d i r e ?". O r , l a mei l leure maniêre de l e f a i r e semble ê t r e de pouvoir se mettre dans l a s i t u a t i o n de ne pas a v o i r "à en par le r " .

Page 66: La Surdite Dans La Vie

II - LE M E N U QUOTIDIEN

Nous verrons i c i un certain nombre d'interactions qui forment l e menu de notre vie quotidienne. 11 s ' a g i t de si tuations où l 'on entre !en rapport avec des personnes que 1 'on rencontre pour l a première fois e t dont i l y a peu de chances qu'on les croise à nouveau. Ces inter- actions sont en principe de peu de durée e t leur enjeu e s t considéré habi tue1 lement c o r n mineur.

Ces interactions ne jouent pas dans notre vie un rôle central. C'est a i l leurs que nous investissons. C'est donc tout juste s i nous leur prêtons attention. Ceci aussi parce que ces interactions de routine, qui forment l e t i s su de notre vie, s e déroulent d'ordinaire sans problème. Elles sont f a i t e s de pet i t s savoir-faire qui vont de soi.

Il ne viendrait donc pas spontanément à l ' e s p r i t de pa r t i r d 'e l les ou de seulement l e s consi derer pour analyser les grands problèmes sociaux, 1 'ordre du monde ou l a condition humaine. Ceci du moins tant qu'on n'appartient pas, e t de façon visible qui ne peut ê t r e dissimulée à certains groupes mi nori ta i res . Dans ce cas, ces si tuations "ordinaires" sont souvent, bien au contraire, celles où "se passent les choses" e t où se révèle dans toute sa crudité à l a fois l e fondement de 1 'ordre social e t l a place qui dans ce t ordre vous e s t dévolue. C'est l e l i eu où, par les comportemrnts de chacun de ses menbres se faisant alors les agents les plus efficaces de sa police, chaque société dé f in i t ses limites. C'est l e l ieu où, sans fards -et souvent pourtant par des "tout pet i t s riensm- s ' é t a b l i t l e grand partage entre l e s modes d 'ë t re , de paraitre e t de fa i re que chaque société re je t te e t ceux qu'el l e reconnaît.

Les sourds se trouvent confrontés à de t e l l e s si tuations avec l a mëme fréquence que nous. Mais i l y a a priori quelques raisons de penser que les choses doivent se passer pour eux d'une autre manière, e t que là comme a i l l eu r s , i l s doivent payer l e prix de leur différence.

1') 11 e s t d' usage dans de tel les si tuations qu'on a i t de par t e t d 'autre recours à l a parole. Or, i l s ' a g i t de sourds.

Dans une assenblée réunissant des parents e t des responsables d'établissement, i l é t a i t discuté de l 'opportunité de recourir aux gestes ou de s 'en teni r à u n oralisme s t r i c t les prohibant. Défendant avec vigueur cette dernière position, l a responsable d'une ins t i tu t ion déclara à notre grande surprise -nous lui pré- tions en ef fe t un niveau d'aspiration plus élevé- que ce qu'on veut obtenir finalement de nos jeunes sourds e s t qu ' i l s soient en mesure de demander une côtelet te chez l e boucher. L'approbation de l'asserrblée indiqua que de t e l l e s interactions sont en e f f e t de l a par t de beaucoup d'éducateurs e t de parents une préoccu- pation rée l le ; voire, cette anecdote inc i te à l e penser, ê t r e une, sinon la préoccupation majeure.

Page 67: La Surdite Dans La Vie

La s u r d i t é e s t un handicap i n v i s i b l e . Leur i d e n t i t é de sourd e s t donc ignorée i n i t i a l e m e n t des autres personnes p a r t i c i p a n t à l ' i n t e r a c t i o n . Pour toutes ces s i tua t ions , il se révèle que l a connaissance Dar l e s personnes en i n t e r a c t i o n de l ' i d e n t i t é du sourd p o u r r d t en e f f e t b ien souvent s i m p l i f i e r l e s choses, é v i t e r l e s malentendus vo i re ce r ta ins inc iden ts regret tab les. A défaut d'un signe de reconnaissance t e l que 1 ' ins igne de l a su rd i t é dont il sera quest ion pour f i n i r , l a personne sourde ne p o u r r a i t - e l l e donc pas par avance annoncer sa s u r d i t é ?

Pour analyser ces s i tua t ions , on e s t immédiatement condui t à en d is - ti nguer deux types.

Cel les d'une p a r t où, théoriquement, une t e l l e façon de f a i r e se révèle ef fect ivement possible. Ce sont par excellence l e s s i t u a t i o n s où l e sourd a l ' i n i t i a t i v e de l ' i n t e r a c t i o n c o r n pour demander son chemin, une baguette de pa in ou un b i l l e t de chemin de f e r . Nous verrons cependant comni-nt e t pourquoi, en ra ison même de c e t t e i n i - t i a t i v e qui 1 u i donne une cer ta ine m a i t r i s e de 1 ' i n te rac t ion , l e sourd n'éprouve pas toujours l e besoin d'annoncer l a couleur, e t ce qui en résul te ,

D'autre par t , e t c ' e s t pa r ces s i t u a t i o n s que nous commencerons, ce l les où une t e l l e façon de f a i r e n ' e s t pas possible. En ra ison pré- cisément de son handicap, une in format ion e s s e n t i e l l e e t non p rév i - s i b l e a échappé à l a personne sourde. E l l e se trouve impliquée dans une i n t e r a c t i o n sans a v o i r p r i s l e s devants, sans p a r f o i s &me s ' y savo i r déjà impliquée. L'annonce de l a surd i té , s i e l l e a encore quelque ra ison d 'ê t re, v i e n t tou jours t r o p tard. La personne sourde ne peut a lo rs que t e n t e r de sauver l a face ou ronger son f r e i n . Nais e l l e n 'es t pas toujours l a seule à devo i r l e f a i r e .

a) L ' i n i t i a t i v e de 1 ' i n t e r a c t i o n v i e n t de 1 'entendant

"Quelqu'un vauh demande du deu, na &ihecLLon ou que&ue chone dl&e, dotcd q u ' a uedt dedètre vo&e don ou q u ' a n'a PM encoke caNé voXm aCten-tion. Vau6 nalheHmenedt, VOUA ne Le bavez pu6 cst ne @ L . t e ~ d e n . La pmonne voud jeLte ~ O M un & d e tregmd Lonque voun voyez bon vhage. Vaud voub demandez pou~uoi" . (R.K. HOLCOMB, 5 39).

C 'est par l a vue que l e sourd d o i t i n t e r p r é t e r ce qu i se passe autour de l u i . N'ayant pas entendu l e haut-parleur annonçant l e r e t a r d ou l e changement de quài d 'un t r a i n q u ' i l se t r o u v a i t attendre, c ' e s t p a r l e comportement des autres voyageurs qu' il suppose que quelque chose v ien t d ' ê t r e d i t qu i l e concerne aussi. N'ayant pas entenu l e klaxon e t l e crissement des f re ins d'une v o i t u r e qui menace de 1 'écraser, c ' e s t pa r l e visage h o r r i f i é des aut res passants l e regardant q u ' i l sera a v e r t i q u ' i l l u i f a u t b ien v i t e f a i m quelque chose e t probablement se garer.

Page 68: La Surdite Dans La Vie

Ainsi, ce type de regard mauvais qui lui e s t adressé s igni f ie qu ' i l a dû à coup sûr se l ivrer malgré lui à quelque infraction. E n e f f e t , 1 ' interaction a commencé sans que l e sourd en a i t pris conscience. Pendant tout ce temps, i l a enfreint une des règles les plus sacrées de la convernation, à savoir que lorsqu'on vous adresse l a parole, i l importe de répondre ou de f a i r e au moins quelque chose. Le sourd se trouve ainsi avoir offensé sans l e savoir quelqu'un qui peut légitimement s 'en forma1 iser, lui demander réparation ou du moins expl ication de son comportement.

L'infraction porte sur l e refus de répondre. Mais i l e s t c l a i r que 1 'offensé mesurera l'aune de ce qu ' i l avait demandé. Sa riposte ne sera pas l a même s ' i l demandait du feu ou s i , engagé dans un travail d i f f i c i l e , i l demandait à u n sourd, poliment d'abord, e t sans doute moins par l a sui te , qu ' i l se déplace u n peu pour ne pas l e gêner.

Plus forte sera 1 'offense, plus forte sera 1 'agressivité de 1 'offensé, mais plus forte aussi sera sa confusion lorsqu' i l aura réa l i sé -si du moins 1 ' interaction se poursuit jusque là- que 1 'offenseur e s t sourd.

Nous avons pu observer plusieurs de ces si tuations, ou nous en f a i r e conter.

Certaines , n'al 1 ant pas jusqu'à leur déroulement, peuvent échapper à l 'offenseur. Au bar quelqu'un demande du feu à une personne dont e l l e ignore l a surdité. I l n'a pas pris soin, bien entendu, de s ' a t t i r e r son attention. I l s ' y reprend à deux fois. Un peu vexé, i l n ' ins is te pas e t s e tourne vers une autre personne qui lui en donne aussitôt sans problème. Il s e dédommage toutefois de l ' a f - front qu' i l pense avoir subi en faisant à l ' in tent ion du sourd, qui ne peut pas 1 'entendre, quelques commentaires désobligeants.

D'autres, a l lant jusqu'à leur déroulement peuvent avoir des issues f r i san t l e comique, te l le celle-ci. Une employée d'un restaurant se l f - service d 'entreprise pressait les cl ients de se hâter e t de façon verbale comme i l e s t d'usage. Elle s 'en p r i t de plus en plus violem ment à u n sourd qui, ne s'apercevant de rien, choisissait tranquitl- lement ses mets. Le comportement de ce dernier pouvait ê t re interprété comme une véritable provocation. Je dis à 1 'employée qu ' i l é t a i t inut i le de c r i e r , ce t te personne é t a i t sourde. Changeant totalement d 'a t t i tude , entrant dans 1 a confusion e t ne sachant cornent réparer "sa gaffe", e l l e ave r t i t le personnel qu ' i l y avait là u n "mlheureux sourd-muet", e t se mit en demeure de couvrir son plateau de f ru i t s e t de desserts comme s ' i l s ' ag i s sa i t d'un handicapé ou d'un enfant incapable de se débroui 1 l e r lui-même.

Page 69: La Surdite Dans La Vie

La réac t ion de l ' o f fensé , t o u t comme sa confusion, peut e t r e p lus grande encore comme en témoigne l e r é c i t que nous f i t un j o u r un sourd d 'un inc iden t q u ' i l a t t r i b u e à l 'évidence à ce genre de s i t u a t i o n , mais dont il ne dé t ien t évidemment pas l a c lé . 11 se t rouve soudain face à face dans l a rue avec quelqu'un l 'agressant , l u i assénant une volée de coups de poing e t qu i , ne l u i l a i s s a n t pas l e temps de s 'exp l iquer e t de se remettre de sa surp r i se s ' e n f u i t aussi rapidement q u ' i l é t a i t apparu. Peut-être, n'obtenant pas de réponse à une s o l l i c i t a t i o n impérat ive, ce passant a u r a - t - i l f i n i pa r l e t r a i t e r de sourd e t , r é a l i s a n t q u ' i l s ' a g i s s a i t précisé- ment de cela, n 'au ra - t - i l plus eu dans sa confusion d ' a u t r e issue que l a f u i t e ?

Mais ce qui nous a frappé l e plus e t de beaucoup dans des s i t u a t i o n s de c e t t e nature dont nous avons pu ê t r e l e témoi n ou dans 1 a quête au- près des sourds d' informations à ce su je t , c ' e s t l e u r ex t raord ina i re phi losophie e t l e peu de cas q u ' i l s p r é t a i e n t à de t e l s inc idents.

I l s se montrent en revanche plus af fectés -beaucoup du moins- par ces s i t u a t i o n s où quelqu'un, l e u r demandant son chemin, prend l a f u i t e sans demander son dû e t sans précautions orato i res auss i tô t q u ' i l entend l a vo ix du sourd ou que c e l u i - c i l u i demande de répéter sa quest ion e t de l u i f a i r e face, ca r il e s t sourd.

Nous avons ten té d 'exp l iquer à des amis sourds en quoi un t e l compor- tement, à défaut d'élégance, é t a i t du moins compréhensible. Espoi r qu'un j o u r l e s choses se passeront autrement ? Respect scrupuleux de l e u r p a r t des règles de l a conversat ion ? Il e s t frappant de v o i r conbien cer ta ins sourds -assurés pour tant d'une issue invar iab le qu i toujours l e s a f fec te - cont inuent de répondre.

11 e s t en e f f e t plus problématique pour un sourd de répondre à une demande d ' in fo rmat ion sur l a voie publ ique que d'en s o l l i c i t e r une pour son propre compte. Mais ce caractère problématique, on l e v o i t , n ' e s t dû en r i e n â quelque inap t i tude inhérente au sourd, il e s t entièrement imputable, en l 'occurence, au comportement de l 'entendant.

b ) Le sourd à l ' i n i t i a t i v e

Demander à un inconnu l ' heure ou son chemin ne pose pour un sourd aucun problème. E t ceci quand b ien même sa vo ix e s t inaudib le . Il n ' e s t pas fo rcé d'en f a i r e usage. La personne s o l l i c i t é e , e l l e , e s t dans une s i t u a t i o n où il l u i es t d i f f i c i l e de se dérober. Le sourd peut l u i f a c i l i t e r l a tâche en l a mettant dans l a s i t u a t i o n de ne pas é t r e tentée de v o u l o i r l e f a i r e .

Cette s i t u a t i o n e s t à b ien des égards vo is ine de ce l les que nous examinerons à présent : achats dans l e s magasins e t services assez simples (pompe à essence, transport,. . . ) auxquels cliacun d o i t avo i r recours dans sa v ie de tous les jours.

Page 70: La Surdite Dans La Vie

Force e s t de constater que ces interactions se déroulent habituelle- ment sans problème majeur. On le comprend s i on réalise qu'il s ' ag i t de contextes réunissant en effet u n nonbre appréciable d'éléments favorables à une bonne communication.

11 s ' ag i t de contextes mt in l sés , centrés sur un objectif bien précis. 11 existe de part e t d'autre une volonté de communiquer, pour aboutir à cet objectif généralement simple. La volonté de communiquer du sourd va de soi. Celle de l 'autre a au minimum pour fondement l ' in té rê t ou le devoir professionnel.

Le sourd a 1 ' initiative. Si 1 'autre e s t le premier à prendre évent- tuellemnt la parole, c ' es t seulement pour l ' invi ter à préciser ce qu'il veut. L'attitude corporelle qu'i l adopte e s t un signal plus clair encore que les paroles dont i l peut l'accompagner : "c'est à vous", "que désirez-vous ?". La personne sourde, ayant repéré que le moment est venu pour el le de parler, n'a bien souvent q u ' u n mot ou deux à dire, ou des phrases de toute simplicité : "le plein s ' i l vous p la t" , "une baguette, e t pas trop cuite", "amenez-moi à l a gare de Lyon" ou tout simplement "gare de Lyon".

L'&change verbal peut s 'arrêter là .

S' i l se poursuit, i l se réalise (sauf dans le cas du chauffeur de taxi) dans des conditions relativement favorables pour l a lecture 1 abiale. Il s ' ag i t généralement d'un échange entw deux personnes e t i l e s t d'usage que le vendeur ou le garçon de café regarde alors le client. La difficulté à déchiffrer des lèvres nouvelles se trouve compensée par le f a i t que le sourd n'est pas pris au dépourvu, qu'i l guette la réponse possible e t qu'i l s a i t en gros de quoi i l va être question. Ce n'est pas une conversation prise en route.

Il y a plus. Ces situations sont celles où la connnunication nécessaire à l 'interaction peut théoriquement e t sans aucun problème se faire sans recourir à la parole. S'if y e s t recouru, c ' es t que c'en e s t l'usage. C'est aussi une commodité. Mais rien n'empéche d'indiquer par un geste l e produit exposé que vous voulez acheter, de pointer du doigt sur l e menu les plats que vous avez choisis ou d'écrire sur u n papier l a destination pour laquelle vous demandez un bi l le t . Chez le coiffeur, le type de coupe que vous désirez peut être indiqué par des gestes de façon parfois beaucoup plus précise qu'avec des mots.

Mais s ' i l e s t habituel de recourir à la parole pour régler ce type de transaction, i 1 ne 1 'es t pas moins que les paroles échangées à cette occasion ne portent pas seulement sur l 'aspect proprement technique de l'opération. Corn pour signifier qu'i l existe ou doit exister

Page 71: La Surdite Dans La Vie

par delà l e caractère économique de l a t ransac t ion des 1 iens d'une au t re nature ent re l e c l i e n t e t l e dispensateur de service, ce dern ie r peut a v o i r en marge du serv ice quelques propos aimables à l 'adresse du c l i e n t . S ' i l s ' a g i t d 'un habitué, il peut manifestant par avance q u ' i l l a souhaite excel lente,sl informer de sa santé, de c e l l e de son con jo in t ou de ses enfants. Il indique par l à que l e c l i e n t n ' e s t pas un numéro parmi d 'aut res, q u ' i l l e reconnaît, l e d is t ingue e t s ' i n té resse à l u i . S ' i l s ' a g i t d 'un inconnu, il sera quest ion de l i e u x communs r e l a t i f s au temps q u ' i l f a i t , à l a dureté de 1 'époque où nous vivons ou à l a jeunesse d 'au jourd 'hu i qu i n ' e s t p lus c e l l e d ' h i e r . Le propre de ces l i e u x communs étant de t e n t e r de t i s s e r un l i e n commun, i l s consis tent en propos dont il e s t sûr par avance q u ' i l s ne peuvent recevoi r que 1 'assentiment . Aussi, quand b ien même n 'en a u r a i t - i l pas perçu l e d é t a i l , l e sourd peut- il sans grand r isque, e t comme il s a i t l e f a i r e , approuver verbale- ment. Il peut aussi, de façon p lus d iscrète, opiner simplement du chef t o u t en souriant, comme on l e f a i t pour d i r e qu'on approuve t o u t en manifestant dans l e même temps qu'on n e ' t i e n t pas à pour- su iv re l a conversation.

Ceci du moins s ' i l peut f a i r e l e partage entre les propos de ce t te nature e t ceux qui pourra ient concerner p lus directement l a transac- t i o n en cours. Il e s t souvent a isé de l e fa i re . Dieu merci, l e t o u t venant des humains n 'a pas reçu l a formation des enseignants de sourds qui f i g e n t l e u r corps dans 1 ' immobil i té. Lorsque, t o u t en remplissant notre réservo i r , l e pompiste se l i v r e à des considérat ions su r l e temps enso le i l l é dont il f a u t souhaiter q u ' i l dure ou dont il y a à craindre q u ' i l ne se gâte, il regarde l e c i e l . S ' i l en f a i t su r l a beauté de vos enfants, c ' e s t en les regardant e t en l e u r sour iant . O n s a i t a lo rs q u ' i l ne demande pas s ' i l f a u t v é r i f i e r l e niveau d ' h u i l e e t l a pression des pneus. Si l e sourd c r o i t que l e pompiste demande 1 'âge de ses enfants e t l es l u i précise, ce la n ' i n t r o d u i t pas l e moindre t rouble dans l'échange, c a r au t o t a l , c ' e s t de l a même chose q u ' i l s ' a g i t : p a r l e r des enfants ou d 'au t re chose en t o u t cas que du p r i x de 1 'essence.

Mais il ne peut ê t r e poussé t rop l o i n en échanges verbaux sans risques de malentendus p a r f o i s regret tab les e t po r tan t su r l a nature même du serv i ce demandé.

11 y a aussi ces s i t u a t i o n s où les échanges en marge du service jouent, s i l ' o n peut d i re , un r ô l e cen t ra l . Un salon de c o i f f u r e , par exemple, n ' e s t pas seulement un salon où l ' o n c o i f f e , c ' e s t aussi un salon où l ' o n cause, où il e s t requis de l e f a i r e .

L'analyse qui v i e n t d ' ê t r e f a i t e expl ique en premier l i e u l a s t r a t é - g ie que les sourds déplo ient dans l e u r choix des dispensateurs de services. E t ceci vaut ind is t inctement pour tous les sourds, le f a i t de b ien p a r l e r ou non ne changeant r i e n en l ' a f f a i r e .

Page 72: La Surdite Dans La Vie

Elle explique d'une par t leur préférence marquée pour toutes les formes de self-service : établissements commerciaux de grande surface, bien sûr , mais aussi pompes à essence, restaurants, distributeurs auto- matlques ... Si tous les progrès techniques e t tous les changements dans les moeurs e t 1 'organisation sociale ont é té loin de profi t e r au sourd, certains ne faisant que l e re je ter plus du c i r cu i t des échanges, tout ce qu'on range en revanche sous la rubrique de l a dépersonnalisa- tion des services lui a é t é franchement bénéfique. E t ceci depuis 1 'excellente invention des machines enregistreuses permettant de f i re l e prix total de vos achats.

Mais d 'autre part , parce qu ' i l e s t des services où l e recours à des échanges personnaf i sés e s t plus coutumier qu'ai l leurs, ou simplement parce que les sourds n'ont pas de raison majeure d 'ê t re à 1 'occasion moins sensibles que l e s entendants à l'établissement de rapports personnels avec certains commeryants, i l s vont chez ceux qui les connaissent déjà e t répugnent à en changer. Des éducateurs voient là curieusement 1 'indicateur de l a peur du changement e t de 1 'espri t de routine qui jusque dans les peti tes choses caractériserai h les sourds. MERTON a f a i t l a remarque qu'on emploie des termes différents pour désigner les mêmes comportements selon l a catégorie de personnes auxquel les i l s s'appliquent. Ce même comportement peut s 'appeler fidé- l i t é . E n beaucoup de leurs conportements, les sourds ne font rien d 'autre que f a i r e ce que nous faisons, mais de façon beaucoup marquée. Il y a des types de commerçants, ou surtout de dispensateurs de services (coiffeurs, garagistes.. .), à 1 'égard desquels, e t pour des raisons parfois intéressées, nous avons une plus grande propension à ê t re f ideles. C'est aux &mes que les sourds l e sont. Mais i l s tendent seulement à l e leur ê t r e un peu plus que nous.

L'analyse qui vient d ' ë t r e f a i t e permet en second lieu de rendre compte comme d'une r éa l i t é a l lant de soi ce qui semble au premter abord un paradoxe : pourquoi ces sortes d'interactions se passent mieux pour l e sourd typique de l a communauté e t pourquoi e l l e s posent pour lui moins de problèmes que pour les sourds qui, s o i t par habi- tude ( l e s devenus sourds e t les malentendants) s o i t parce qu ' i l s mettent l à leur point d'honneur, parlent e t cherchent à passer pour entendants.

Nous avons vu en e f f e t que ces si tuations réunissent un no&re excep- tionnel d'éléments favorables à une bonne communication ; qu'el les ne posent en général ou pourraient ne poser aucun problème ; que même sans paroles, e l l e s pourraient souvent ê t re résolues avec une grande précision e t une parfaite économie. Mais comme i l e s t habituel de régler verbalement ce genre d' opération, cette plus grande économie, e t sans malentendus, n 'es t possible que s i d'entrée de jeu l e sourd se la isse iden t i f i e r cornne t e l . S ' i l ne l e f a i t pas, c ' e s t que dans l a majorité des cas cela se passe bien sans qu ' i l a i t à l e f a i r e e t qu'on ne voit donc par pourquoi avant chaque interaction de ce type i l prendrait soin d'annoncer l a couleur.

Page 73: La Surdite Dans La Vie

La d i f fé rence en t re l e sourd typique de l a communauté e t l e s autres ne nous seoble pas rés ider en ce que l e premier a u r a i t p lus de propension que l e s autres 5 annoncer p a r avance sa surd i té . Mais d'entrtse de j e u il se comporte comme un sourd. Il ne par le pas, ou peu, méme s ' i l se s a i t audible. Surtout, e t il en use, il s a i t se f a i r e comprendre aisément par gestes. L ' i n t e r l o c u t e u r -meme s ' i l ne connaît pas les sourds, &me s ' i l ne r é a l i s e pas q u ' i l s ' a g i t d 'un sourd- s a i t dès l e début de 1 ' i n t e r a c t i o n que c e l l e - c i se fera sous un mode un peu p a r t i c u l i e r , e t il s'adapte habi tuel lement sans pro- blème majeur au mode de cornunicat ion qui l u i e s t proposé.

Les autres sourds, s o i t parce q u ' i l s p a r l e n t - e t s u r t o u t s ' i l s p a r l e n t b ien- s o i t parce q u ' i l s ont donné des signes de comprendre l a parole, s'engagent s u r un mauvais te r ra in . I l s s'exposent aux r isques du malentendu. Le commerr;ant s'adresse en e f f e t à eux comme il ;est accoutumé de l e f a i r e avec de quelconques entendants, il ne prend pas les précautions q u l l l adopte t o u t naturel lement dans l e cas pré- cédent pour s 'assurer que de p a r t e t d 'au t re on s ' e s t b ien compris. S ' i l su rv ien t un malentendu de l a nature de ceux qui , en ra ison de ses conséquences, d o i t ê t r e levé, l e sourd se trouve c o n t r a i n t de r e c t i f i e r l e malentendu. Mais il d o i t souvent dans l e même temps s ' e f f o r c e r de réorganiser 1 'échange de façon : a) a ce q u ' i l ne s'ensuive pas d 'aut res malentendus e t que l e connner- çan t prenne certaines précautions pour par le r , b f à ce que l e malaise ou l a mini-dégradation des r e l a t i o n s qu i ré- s u l t e toujours d'un malentendu s o i t d iss ipé. En d'autres termes, c ' e s t a p r i o r i l e moment propice pour annoncer l a surd i té . Mais comment d i re , a r r i v é à ce po in t , qu'on n'entend pas, e t de façon que ce la s o i t compris. Le problême e s t moins simple q u ' i l p a r a i t , on l e verra plus bas.

Dans l e cas présent, l ' i n t e r a c t i o n c o m n c e de façon t e l l e que l ' e n - tendant s a i t t o u t de s u i t e q u ' i l a à f a i r e à quelqu'un avec lequel il l u i f a u t communiquer sous un mode spécia l .

I c i c ' e s t au cours de l ' i n t e r a c t i o n que 1 'entendant d o i t r e c t i f i e r l ' image q u ' i l se f a i t de son in te r locu teur . Cette s i t u a t i o n e s t donc, à ce r ta ins égards, comparable à ce l les que nous avons analysées in i t i a lement , ce l les où, à l ' i n i t i a t i v e de l 'entendant e t sans que l e sourd ne l e sache, une i n t e r a c t i o n a déjà commencé e t où c ' e s t éga- lement au cours de l ' i n t e r a c t i o n que l 'entendant r é a l i s e que son i n t e r l o c u t e u r e s t sourd. La d i f férence e s t q u ' i c i l e sourd, à son insu, s ' e s t 1 i v r é aux yeux de 1 'entendant à une i n f r a c t i o n grave. Là non. 11 y a cependant peut-êt re aussi i n f r a c t i o n : l e sourd 1 'a trompé en quelque sor te en ne l u i donnant pas a u s s i t ô t une in format ion impor- tan te pour l u i . C 'es t pourquoi, plus l a révé la t ion de l a surd i t é e s t tard ive, plus e l l e e s t dé l i ca te à f a i r e , moins e l l e e s t c réd ib le , p l us e l l e r e q u i e r t d 'exp l i ca t ions pour ê t r e fa i te .

Page 74: La Surdite Dans La Vie

C'est ainsi qu ' i l y a des sourds qui préférent s'accomoder de certains malentendus (consomr par exemple un met différent de celui qu'i ls avaient commandé) ou choisir l a marque d ' u n produit en fonction de la fac i l i t é qu'i ls ont à en prononcer le nom plutôt qu'en fonction de leur goût, pour éviter dlavoSr à se lancer dans des échanges e t des explications difficiles.

Ainsi, simple routine pour nous autres entendants e t généralement pour le sourd de la communauté, ce genre d'interactions de la vie quoti- dienne peut devenir chez certains sourds 1 'objet d'une appréhension te l le qu'i ls cherchent chaque fois que cela e s t possible à les éviter.

Fragments d'une discussîon :

A. (demi-sourd appareillé connaissant les signes]

D'habihde jl&he dam &en magabim . : "pumion madame, je dé6,he.. ." S i .ta ppennonne ne comphend pas, je d&igne patr un doigt un objet. Je dain digne "combien ça cotite'', avec q u e h u a genten. Ca bu&it. Main pou& un dani-nowd qW: ne nu i t pas du $ou2 daine des g e b t e b , d o m ce n ' a 2 pas pan&. E t eà je a o h que Le demi-dowd qW: ne c o n n a pad Le Langage gen;tueL a doubbewnt de pwbLèmen qu'un d h - h o u & quA conncüt bien .& Langue. C ' u t did6éhen.t. C ' a t diddé- t e n t pmce que Len &endan& put taont comme n i ;tu entendn &èn bien, d o m que t u ne camptendm qu'à m o X é .

B . (entendant) s'adressant à M.F. (malentendante)

J 'u i L'imptesnion que den gens comme t o i ne &ouvent dam des nitua- ;i;iovlcl ped-ê&e beaucoup p& dedagtcéabLe.6 que qu&quedoA un bouhd qui camément ne p d e pab. A. a paheé .tau2 à L'heuhe de L'exempte den mgadinn. E t moi, ce q1U me nuhphend, c'e.At qu'un bouhd qcik d a i X le& b i g n u n'a ja& de phobLème6 dam un magabin. ALoh~r qu'un &OU& qu i ne conno& prxn L u signes e;t qui p d e , a quGque&o& den phoblèmen ; patrce q u ' i l 6d.Z comme n ' i l é W evLtendant. M o u on Le f k t e comme un entendant. IL at obagé de daine des gymnctb- f iqua davLtabfiques pou& aNLiva à nohtur d a b~%~atA.on6.

M.F.

Vodà ! E t en daLt, il ne pubne w b i que du côté d e s peaonne~ entendanta, pu.& h a p p a h t à un demL-entendant -du ~~ q u ' f i peu2 . th i fha , que patl morne& comptend main qu'à d l a W morne& *R ne cornphend P M - , on Lui en veuf un peu Lopennqui*e ne compaend pad audbi bien que L'aufie L1ai;eend. Pmce qu'on n'a pa.6 tou-t à d& héaeidé à quel tuveau é&Lt da nwuiité, du qu'on ebt e M Les deux. C ' e n t ça ! EX souvent on obfient deil a é a d o n s agtr55biveh des a u f i a : "ah, cornment ! ntas pad encote compd ! .X que je hépète, c 'ebt &zt.iguant, AC...".

Page 75: La Surdite Dans La Vie

C. (demi-sourde apparei 11 &e)

Pm exempte, j faadve devunt t a c h d e . ta vendeuse, je ne la c o n n h pai. 76 y avait beaucoup de monde qui venait. EZ pua j ' a v h acheté peud i tua chona. Je me me& devant l a cnAbièhe. Ma& eRee àe &ompe de comp&bUé. E t quand je v o h l e to t& que je do.& wmm je k h i à& : "non madame, je cm& qu'de g a une emeutt, peut-&e c ' e ~ t m a i qui me &omphe ?'! La pemonne, tou t de à d e : "ah, bababu, b w , zz, m.. . ." - "Patrdon madame, exc~dez-moi je n'entend pan- "h , b m , zz, m.. . " - "Pnttdon madrune, je VOUA pou& t a deuxieme do.&", je hépèa2 deux do&, je d*n " j e n'entend PLM". 1 t y auai2 beaucoup de monde quk de 2muvttit darzd % queue. la començlzie& ù àe mah're*. La cain~ii?he, t o a - q u ' m e voLt gu'iX y a du monde, n ' e s t mibe Li cnim poufi d u e que jlexagém&. ( 1 )

, . . . . . . . , M.F.

O u i , & c e d n e m e n t pa/rce que Xu as &X " j e n' enterd PUA''. EZ Lomqu' on " j e nlenten& paiiw, on ne noud phend LM au .$&Leur. On pense que c ' e s t qu'on n'a p~ bien entendu, qu'on n'a pas fd6ement &ait &ention. On t ' en veuX pmce qu'on cmdt que XLL n'as paci d& a ; t t en~on . Je cnoA, en clhant " j e n'entendb pas bien", il v m d e mieux 6omtLeen qu'on e ~ t hoiiad, m a h comme& t e d h e ? On ne peut pm doie vhaiment : " j e à i h doude". C'es* un mot qui n 'es t pas ~ X k é f i q u e . On phéhèhe ditce " j e n'@&end pa" ,

C . Pa&-&e dand un bens, ouri.

Ou afohb *a daut dule " j ' a i ua ptrobtème a u U h w . Tu d& : " jla< un phobtème ~vxi&i&, je n'ente& pas bien". Mom d a ~ n ce ¢ai-La, on a toi& de à& comphin que c ' é w phyàique, que ce n'edt pas pmce que 2% n ' a v d pud ~& afiention. Atom t e s héactio~n dont peux- &e moka agtresdiva.

PetLt-etne dand un A evtb . Ou aloh6 on peut dihe : " j e n' entevld pas'' au fieu de dULe " j e n'ente& pa? bien". "Je n'entend pas", ça àigni&ie & n M E .

- - ( 1 ) Nous avons r a i sonné ju squ ' a lo r s comme s ' i l n ' y a v a i t e n scène que deux

personnes .en f ace à face . La simple présence d 'un t i e r s , &me s i c e s t i e r s n ' i n t e rv i ennen t à aucun moment dans l a conve r sa t ion , s u f f i t généra- l e m n t à changer compléteme~it l a na tu re des r e l a t i o n s e n t r e c e s deux personnes e t , p a r t a n r , l e u r conversa t ion . Cela v a u t pour t o i ~ s l e s con tex te s .

Page 76: La Surdite Dans La Vie

M.F. TL y a deux anb, jeavais un corn à &a FacelLeté e.t dèb t e débd de l'année j ' a v d &t au pxoienneux que je n'entend& pas b i w . MaA j ' a v d di-t seldement " j e n'entmds p a ~ bien". Pendant toute R1ann&e elXe u oublié que je n'entend& paa bien. E t à. &a @z de L'année &e m'a mi^ une mauv&e note pmce que je ne &cip& pab beaucoup au c o r n . EX je duid &ée & &aouvex. Je ai d i t "m& je voun L'avah di$ que j'avais d a paoblèmen". EiXe m'a di-t : "in& moi je ne peu& pas que C' é;Utct à ce point-&. P o w u o i voub ne m'avez pa6 &t v d - ment: que v o a aviez den di&iurRtén a u W v e n ? Mo*. je penmi.6 que voun n'entendiez pan &èb fièn bien". Ma& &Le n 'av& pas p& Re pxobtème au 6é-tLieux. E X elXe m'a n i 4 une note in@hieuAe. 3'ai, ne pcib a v o h l'examen . EnGn je l ld eu tofouk jun.&, à caube de ce&.

B. Tu a u m A dû fi& dure que c ' 8 W e a e qui n'au& pab bien entrtndu ce que t u tu UV& &Ct !. . . W c ' a t VA&. q u ' a *en pas di&? " j e n'entend pai b lm" , bwttoLLt quand que&u1un t ' a déjà puaXi?. Si & ht, avant que que&ulun W e " j e n 'enle& p a bienft, dos ça vien*. de 201. Maib d i quetqu'un @e eX p u i ~ que .tu xEponds, e;t plUa .ta ht " j e n'enlends pas bien", la pwonne penbe que c'c?clX pa>rr?e qu 'eue n'a p a bien pxononcë, qu'on L ' a c w e en quelque bonte que c ' a 2 de da &au&.

M.F. Oui, ed6ecZivement. Ek i& y a une héaction a g ~ b i v e . . .

Pour mieux comprendre, peut-être, e t pousser encore pl us avant l 'analyse de cet apparent paradoxe, nous pouvons recourir à notre propre expérience e t considérer nos façons de faire lorsque nous nous trouvons dans des con- textes analogues dans un pays dont nous i ~ e mitrisons pas la langue.

Lorsque nous ne comprenons vraiment rien à l a langue, nous parvenons d'une manière ou d'une autre à nous débraui'lier, e t ceci quoique n'ayant pas en cette matière autant de savoir-faire que le sourd-muet. Il e s t rare que dans de tel les occasions nous ayons à déplorer des incidents regrettables avec des comrçants ou des agents de l a force publique.

S i à l 'inverse , comprenant à demi ou relativement bien, e t en ayant donné témoignage, nous demandons soudain qu'on répète (les chi ffres de 1 'addi - tion, par exemple, les chiffres étant cone les noms propres ces sortes d'entités extra-linguistiques , des isolats sans redondance où i l n 'y a pas de 'kupppléance mentale" possible) alors l a personne peut s e formaliser conune quiconque agacé de n'avoir pas été compris. 11 e s t même ~marquable que souvent -alors que votre qualité d'étranger e s t manifeste- fa personne se met à parler trGs fort, s'adressant à vous comme si vous étiez sourd. II e s t diff ic i le de faire la part de ce qui, dans ce comportement, relève de l'agacewnt ou d'une procédure instrumentale délibérk mi s à 1 'évidence mal plac&. Au lieu en effet de parler plus lentement e t de mieux articuler, comme précisément e t pour vous e t pour un sourd i l faudrait faire, e l le crie. Vous ne comprenez pas mieux pour autant. C'est parfois le départ d 'un processus pouvant se terminer de façon désagréable,

Page 77: La Surdite Dans La Vie
Page 78: La Surdite Dans La Vie

de sourds, centres culturels, clubs spor t i fs organisés pour les sourds ; pour les sa l les de conférences ou de réunions, théâtres e t auditoriums disposant d'un système de traduction pour sourds, ou ayant des sièges spécialement équipés pour durs d 'ore i l le e t malentendants ; pour les voitures conduites par des déficients audi t i fs , pour les permis de conduire e t pour les cartes d'association.

Sa destination e s t donc l a &me que ce1 l e du synbole des handicapés moteurs. S i 1 'on excepte quelques item en queue de l i s t e (mais if en e s t de &me pour les handicapés moteurs), i l n'a donc pas pour but d ' ident i f ier l e sourd aux yeux des entendants mais, à l ' inverse, de permettre aux sourds d' ident i f ier dans l a société entendante les 1 ieux de t o l é r ~ n c e : ceux qui sont organisés de façon t e l l e que, leur défi- cience ne se trouvant en rien modifiée, i l s ne sont plus handicapés (1).

L'adoption d'un synbole international f u t bien accueil1 i par des associations de devenus sourds e t de malentendants qui s e trouvaient lancer dans l e même temps d'une campagne ou i l pouvait ê t r e u t i l i s é dans un autre but : justement comme insigne porté à l a boutonnière e t permettant aux entendants d ' i den t i f i e r ainsi le sourd. De t e l s insignes existent déjà , notannent dans certains pays, mais l e sy&ole varie d'un pays à l ' au t re . Le plus répandu : t ro i s points dans u n cercle ( 2 ) .

( 1 ) Sur l a d i s t i n c t i o n que nous faisons en t re déficience e t handicap, cf . B. MOTTEZ, 1 9 7 7 e t B. MOTTEZ e t H . MARKOWICZ, 1979 ( 4 1 , notamment pp. 6 à 9. La déficience e t l e handicap sont l e s deux faces d'une &me r é a l i t é . La première renvoie à son aspect physique. La seconde à son aspect s o c i a l : e l l e e s t l'ensemble des l i eux e t rôles sociaux desquels un individu ou une catégorie d ' individus s e trouvent exclus en ra i son d'une déficience dans une s o c i é t é organisée par l a force des choses en fonct ion de l a majorité. On v o i t donc e n quel sens l e han- dicap, à l ' inverse de l a déf icience, e s t t r è s rigoureusement un produit de l ' o rgan isa t ion sociale . D'un point de vue po l i t ique , pour réduire l e handicap on peut s ' a t t acher à diminuer l a déf icience (ac t ion en d i rec t ion de l ' individu) mais on peut auss i s ' a t t aquer directement au handicap (ac t ion en di rec t ion de l a soc ié té ) en modifiant ce r ta ines modalités de l 'organisat ion soc ia le .

(2) Pour plus de d é t a i l s vo i r R. HE'IRY ''Nous fau t - i l un insigne ? L'insigne des sourds, son h i s to i re . . . " , La Caravelle, Bullet indesdevenus sourds, oct.-nov. 1 9 8 0 , no 73, p. 1-2.

Page 79: La Surdite Dans La Vie

Aprés tout, i l y a l'antécédent de l a canne blanche pour les aveugles. Le hasard veut que l a personne qui en avait eu 1 'idée venait de décéder (1). Avant les années trente, les aveugles "avaient l 'habi- tude de marcher les mains en avant e t , même s ' i l s étaient accompagnés, rien ne les dist inguait des autres, i l s etaient souvent bousculés. Quelques uns, évidemment, s 'a idaient d'une canne, mais c ' é t a i t la mode à ce moment pour les messieurs, e t celles q u ' i l s u t i l i sa ient n 'étaient pas différentes de celles des clairvoyants". L'idée de l a canne blanche intéressa l e Préfet de Police de Paris e t l e Directeur de l a Police qui convoquèrent les responsables des oeuvres pour aveugles de Paris.

"Contrairement à ce que 1 'on aurait pu croire, 1 'unanimité ne se f i t pas tout de su i t e parmi les aveugles, certains s e refusant à signaler leur infirmité à l ' a t tent ion publique, d'autres n'étant pas d'accord sur l a couleur blanche ; i l s auraient préféré l e rouge (couleur du stop)".

La canne blanche -sauf dans les pays du tiers-monde- e s t entrée aujourd'hui dans les moeurs. Or, s i l a céci té s e voit, c ' e s t au moins tout autant grâce à e l l e qu'en raison des lunettes noires de 1 'aveugle, de son regard qui ne regarde pas ou de ses gestes explorateurs e t prudents.

Les responsables de l'émission d'Antenne 2 à destination des sourds e t malentendants demandèrent aux habi tués de 1 ' émission de donner leur avis sur l ' i dée d'un insigne de l a surdité.

En l ' é t a t actuel du courrier reçu, une cinquantaine de l e t t r e s (21, i l n'y a que deux réponses défavorables e t du type "pourquoi nous pren- dre pour des handicapés', "cela marginaliserait les sourds", ''cela donnerait u n sentiment de culpabilité au lieu de libération". Il y a une réponse favorable à demi, s i l 'on peut dire, en ce sens que l e correspondant s e montre d'accord sur le port de l ' insigne mais pré- c ise qu'if "devrait ê t r e porté au revers d ' u n manteau ou d'un veston e t qu'ainsi i l s e r a i t possible de l a montrer discrètement en cas de

( 1 ) Il s ' a g i t de Mademoiselle GUILLY D'HERBEMONT. C ' e s t d'une n o t i c e l a concernant "Une b i e n f a i t r i c e des aveugles d i s p a r a î t " é c r i t e p a r B. DE FOUGIl (P ré s iden t de l 'Assoc ia t ion "Les A u x i l i a i r e s des Aveugles") e t parue dans Le Cour r i e r du B i b l i o p h i l e Handicapé (no 41, mai 1980, pp. 15-16) que nous avons t i r é l e s renseignements q u i s u i v e n t .

(2) Nous remercions l e s responsables de 1 'Emission à d e s t i n a t i o n des sourds e t des malentendants de nous a v o i r donné l e c t u r e d 'un é c h a n t i l l o n de réponses .

Page 80: La Surdite Dans La Vie

besoin. Inutile de faire étalage de notre misère dans la rue car i l y a des gens peu charitables qui lorsque nous passerions près d'eux, voyant notre insigne, ne se gêneraient pas pour faire à haute voix des remarques peu aimables.. .".

L'idée e s t saluée avec enthousiasme par un devenu sourd à 100 1 depuis trente ans qui pense que cela "sort i rai t les sourds de leur isolement, Je préfère rester chez moi plutôt que de m'exposer à devoir répéter une douzaine de fois en quelques heures que je n'entends rien". Te1 e s t en effet le leitmotiv de 1 'argumentation en faveur du port de I 'in- signe. 13 sol utionnerai t le problème de 1 'obligation de devoir toujours répéter qu'on e s t sourd, d'avoir à subir les vexations de ne pas être cru "vous faites semblant de ne pas entendre ; vous, vous entendez quand vous voulez ; ou, c 'es t commode de faire croire que vous n'avez pas entendu", e t cela éviterait les "quiproquos tragiques ou humiliants". "Il e s t gênant d'être obligé de répéter que je suis sourd à chaque instant. L'absence d'insigne crée une tension nerveuse pour l'infirme. Seulement beaucoup ont honte de signaler leur handicap alors que l'aveugle brandit sa canne blanche e t e s t respecté".

Les réponses, e t pour mille raisons évidentes, ne sauraient avoir valeur de sondage. El les sont néanmoins instructives.

Quoique cela ne so l t pas toujours mentionné explicitement, la nature des réponses reçues indique qu'elles proviennent de devenus sourds et de malentendants ou demi-sourds, de personnes en tout cas pouvant en raison de leur voix e t de certains de leurs comportements être prises pour des entendants.

L'absence de réponses de sourds de la communaute peut s'expliquer par les raisons habituelies : par leur répugnance à écrire e t à répondre qui a toujours faussé les sondages de cette nature effectués depuis quelques années. Mais qu'en est-il de leur position ?

D'autre part, l'absence de réponses contre,peut s'expliquer par le f a i t que, en l 'é ta t actuel du débat, i l e s t plus facile d'argumenter en faveur qu'à l'encontre du port de l'insigne. la position des parti- sans du port senble être que ce serai t la honte de la surdité qui ferai t qu'on puisse s 'y montrer réticent ou opposé. Ainsi la même raison qui ferai t qu'on e s t contre, ferai t qu'on ne peut pas en donner la raison. La honte ne se d i t pas. Elle se ta i t .

On sa i t , en réalité, que le port de l 'insigne, pour l ' instant du moins, n'est pas un débat qui passionne la communauté des sourds. Leur rëserve e s t attribuée par certains à ce qu'ils auraient honte de 'leur surdité. Nous avons posé la question â plusieurs. Ils nous ont tous répondu que, en ce qui les concernait personnel lement d u moins, i l s n'y voyaient tout sinplement pas 1 'avantage.

Page 81: La Surdite Dans La Vie

Tout ce qui v i e n t d ' ê t r e présenté s 'expl ique assez bien, il nous senble, pa r ce que nous avons d i t p lus haut e t v i e n t même y apporter un conpl ément u t i l e .

C 'est t rès précisément pour les contextes que nous avons analysés que l e p o r t de 1 ' ins igne se j u s t i f i e . O r , nous avons suggéré, e t nous en avons donné l e s raisons, que l e sourd de l a communauté se t r o u v a i t p lus à l ' a i s e dans ces contextes que l e s autres sourds. Nous avons même suggéré - l a l e t t r e c i t é e p lus haut en e s t une éloquante il lus- t r a t i o n - que l e malaise ou l ' agacemnt éprouvé par ces dern iers sourds dans ces s i t u a t i o n s pouvai t l e s conduire à f u i r ce genre d ' i n te rac t ion .

C 'es t donc b i e n pour l e s devenus sourds, demi-sourds e t malentendants que c e t ins igne p o u r r a i t ê t r e s u r t o u t u t i l e .

On p o u r r a i t renverser l 'argument de l a honte, émettre l ' i d é e que l ' i n - signe permet d'en d iss imuler une au t re en é v i t a n t au sourd d'avouer sa su rd i té , l a f a i s a n t d i r e par c e t insigne. Mais on v o i t en quoi c e t argument ne t i e n t pas non plus. Car justement dans t e l l e s s i tua t ions , à présent l e sourd l'annonce ; mais en ra ison de l a tens ion qui règne au moment où il se trouve con t ra in t de l a f a i r e , ou pour toute aut re raison, il n ' e s t pas cru, ou pas entendu.

Si en t o u t c e l a l a honte peut a v o i r sa place, l e problème devient s u r t o u t in té ressan t lorsque ce n ' e s t p l us e l l e qu i e s t en jeu.

Mous avons d i t que l e sourd de l a communauté semble ne pas a v o i r p lus de propension que l e s autres à avouer par avance sa surd i té , mais q u ' i l se comporte d 'ent rée de j e u comme un sourd. Le p o r t de 1 ' insigne, pour ceux qui l e préconisent, r e v i e n t en d é f i n i t i v e au même : f a i r e savo i r e t sans ambiguïté sa s u r d i t é sans a v o i r à s 'en expl iquer .

Page 82: La Surdite Dans La Vie
Page 83: La Surdite Dans La Vie

C H A P I T R E IV .................... ....................

Page 84: La Surdite Dans La Vie
Page 85: La Surdite Dans La Vie

L ' INFORMATION

1 - En guise d ' i n t roduc t ion

Les recherches s u r l 'apprent issage de sa langue par l ' e n f a n t sourd ayant des parents sourds se m u l t i p l i e n t . On commence à en savo i r su r l e parler-bébé en langue des signes, s u r l a façon dont l e jeune enfant f a i t 1 'apprentissage des règles de l a syntaxe, su r 1 ' appar i t i on des oronoms, (E. ASHBROOK. 1977 : P. BOYES-BRAEM. 1973 : S. FISCHER, 1973 ; R.J. HOFFMEISTER, 1977, 1978.; E. KLIMA e t U: BELLUGI, 1972 ;

-

M. MCINTIRE, 1977 ; E. PIZZUTO, 1981 ; H. SCHLESINGER e t K. MEADOW, 1972).

Ces études confirment, s ' i l en é t a i t encore besoin, q u ' i l s ' a g i t b ien d'une langue : t o u t se passe exactement comme dans 1 'apprentissage des 1 angues par1 ées.

Ces travaux sont centrés s u r l a langue elle-même p l u t ô t que s u r l e s condi t ions psycho-sociales dans lesquel les e l l e s'apprend. C 'est q u ' e l l e s'apprend en 1 'occurence dans des condi t ions analogues à ce l les dans lesquel les nous avons tous appris à p a r l e r : dans l e cadre d 'un rappor t p r i v i l é g i é mère-enfant. Le f a i t que l ' u n e t 1 'aut re so ien t sourds ne change pas grand chose à l a nature de ce rapport.

A not re connaissance du moins, il n'ex is te pas en revanche de recherches s u r 1 'apprentissage de l a langue des signes dans l e s condit ions, de beaucoup l e s plus communes, où il se f a i t : pour sans doute plus de 90 % des sourds, à un âge t a r d i f , l o r s q u ' i l s en t ren t à 1 'école spécial isée.

On e s t accoutumé de d i re , mais sans jamais b ien p réc ise r c o m n t ce la se passe, que l e jeune sourd 1 'apprend de ses pa i rs , de ses camarades d'école.

Il nous semblait que l e s jeunes ayant des parents sourds devaient jouer, dans c e t apprentissage, un r ô l e p r i v i l é g i é e t que ce la pouvai t c o n t r i - buer à rendre compte du p res t ige dont i l s para issent j o u i r hab i tue l le - ment.

Contrairement à nos at tentes, il senble que les camarades ayant des parents sourds, ceux de sa classe en t o u t cas, ne jouent pas un r ô l e b ien grand dans l ' a f f a i r e . La langue ne s'apprend pas des p a i r s mais des aînés.

Page 86: La Surdite Dans La Vie

C'est dire la pertinence - quant aux moyens employés- des politiques régulièrement mises en oeuvre dans les écoles spécialisées dès lors qu'on veut en f in i r avec les "gestes". On sépare, e t parfois cruelle- ment,les classes d'âge. On coupe les jeunes de leurs ainés (Soeur Lucie de Jésus, 1964, pp. 24-27 ; B. MOTTEZ, 1976, pp. 6-61).

Mais i l y a plus. Ce n'est pas de ses aînés en général que l e jeune sourd apprend sa langue, mais bien souvent d'un aîné spécifique. Nous avons cru pouvoir observer, en effet , que cet apprentissage se faisai t alors sous un mode en bien des points seiiblables I celui dans lequel i f se f a i t pour l e tout jeune entendant. Nous ne pouvons certes pas nous prononcer sur son degré de généralité ; i ? nous a cependant été rapporté suf f i samnt pour qu'on s 'y arrête.

Un ainé prend en charge u n plus jeune. 11 s ' é tab l i t entre eux une sorte de contrat. Le jeune se sent f ie r d'avoir été choisi. Il se sent parti- ciper du prestige dont i l pare aussi tôt son aîné, dont i l se plaî t à le sentir auréolé. Dans ce cadre s'instaurent des rapports de surin- vestissement réciproque, e t le jeune accepte de cet aîné ce qu'il n'accepte pas des autres : être corrigé dans ses gestes. S ' i l surgit entre lui e t d'autres des contestations sur l a façon de faire des signes, c ' es t son maître qui e s t appelé pour arbitre.

Cette mdali t é d'apprentissage de la L. S.F. explique aussi pourquoi i l ne suf f i t pas de fréquenter une école spécialisée pour pouvoir en avoir l a maîtrise. Certains, en raison genéralement de leur façon de se comporter trop tournêe vers les entendants, ne sont pas choisis. Certains sourds nous ont conté toutes les ruses auxquelles i l leur a fallu recourir pour trouver finalement un aîné qui les patronne e t accepte de l a leur apprendre.

Ces entretiens sur 1 'apprentissage de la langue nous apportèrent cependant quelques lumières sur l e s ta tut e t l'usage f a i t des cama- rades ayant des parents sourds.

"D'abord, nous expliqua un adulte sourd ayant eu des parents enten- d a n t ~ , nous les enviions. Lorsque à la suite d'une difficulté ou d'un incident l e professeur convoquait nos parents, i l nous é t a i t presqu'aussi impossible de nous expliquer avec eux qu'avec l e profes- seur. Nos parents avaient tendance à toujour croire l e professeur. Nos camarades ayant des parents sourds, au contraire, avaient au moins pu s'expliquer avec eux. E t d'autre part, ayant connu dans 'leur jeu- nesse ces &mes situations, leurs parents savaient à quoi s'en tenir e t se montraient plus justes".

Page 87: La Surdite Dans La Vie

Des sourds ayant des parents sourds nous ont di t de quel le manière leurs parents les consolaient e t les conseil faient dans les diffi- cultés qu ' i ls rencontraient dans leurs rapports avec les entendants (moquerie, rejet, etc.. . ). Ces conseils se caractérisent par leur sérénité e t leur côté, s i l'on peut dire, pratique. Il leur é ta i t appris "comment sont les,entendantsn, qu'on ne peut les changer e t comment en tant que sourd, i l convenait de se comporter avec eux : apprentissage des petits savoir-faire e t savoir-vivre que parta- gent entre eux les menibres de la communauté des sourds.

Il serait instructif de les comparer aux consolations e t conseils généralement donnés par les parents entendants, par la force des choses plus gênés e t parfois cruellement démunis. Ceci d'autant qu'au lieu d'être aidés en cela par le conseil des sourds adultes passés par les mêmes difficultés, i l s ne le sont habituellement que par des spécialistes ignorant tout du monde des sourds e t de leur mode de vie, e t généralement surtout soucieux de faire que leurs enfants s'en tiennent éloignés.

Mais d'autre part e t surtout, le camarade ayant des parents sourds é ta i t un informateur. Il savait plus e t pouvait tout savoir.

"Dans les cl asses, lorsqu'on n'a pas compris, on ne demande pas trop. Les professeurs n'aiment pas beaucoup cela e t on s a i t que ce sera trop long e t qu'on ne comprendra pas mieux pour autant. On pose alors les questions au camarade ayant des parents sourds. Il questionne le soir ses parents. Le lendemain on f a i t cercle autour de lui e t i l nous explique tout".

Les camarades ayant des parents sourds ne sont pas en réalité les seuls informateufi. 11 y a aussi les ainés. Plusieurs jeunes sourds en f in de scolariti5, se plaignant de ce que les professeurs ne connais- sent pas au moins quelques gestes, ce qui pourrait tellement les aider dans leur enseignement, nous ont d i t comment i l s conservaient par écr i t les mots qu'i ls ne covrenaient pas e t , à la récréation ou au réfectoire, i l s demandaient aux ainés de les leur traduire par signes ou de les leur expliquer. I ls comprenaient alors enfin de quoi i l avait été question dans le cours.

II existe heureusement, mais sous f o m sauvage, une certaine f o m d'enseignement mutuel. C'était une formule courante au 19ème siècle dans 1 'ensei gnement général (FURET ET OZOUF), el le fut proscri te par l a suite. Citant de GERANDO (1827, t. 1, p. 476), B. VARIOT rappelle qu'elle é ta i t l e moteur de l'enseignement dispensé par l'Abbé de 1 'Epée, par ses disciples e t ses successeurs. E n matière d'éducation des sourds c%st au nom de l'oralisme qu'il fut condamné.

Page 88: La Surdite Dans La Vie

" A une époque, éc&-d!, oiL des ctacldeb nont buhChahgéM, où .!a ptréoccupaüon e ~ t de donna des hudiwvttd à un mWm d'élèves, L1&ckinne& en h g a g e comme en eonnaiadmca appotLte à t ' en- d& pati seb akén e s X un appoht qu'on ne peut ne pehme.Wa de néglige&. On peu*: ad@mu que L1e.nbe.Lgnement eb-t Le m.bheb6ok.t qui a pemaib à L' e~neignement hpécialh é de ne pub a ' éctrou&tr douh Le poidb accabtant des 6acXeuhb q u i lui sont c o m a . Bien d u éLèva avdiewt a p p u de leu^ &né6 Ren noZionn que &wi naLtae n'avait &ohs qulà ptrécisetr d e v d un auditohe &en &top nontbheux. 1 'eU4ngne~ne& &et e n t bien évvule& Le nto2eu.t de l ' a p p w - sage du h g a g e ga&ïleR eA ce deehnieh eh% Le vi%LccLee de la peenbee employée pati lu Ztèveh w i x e eux. C'ut donc sans s u h p d e que L'on a pu v o h ceaXe pha;tu2ue condanméc? p a h Les o & d i . b W , bw1.0u-t au lendemain de Miean''. ( P . VARIOT, pp. 2 3 3 - 2 3 4 ) .

E t B. VARIOT de c i t e r RODE {de Prusse) qui estime que l'enseignement mutuel "tue 1 a méthode orale" e t MAGNAT (Di recteur de 1 'Ecole Pérei re à Paris) , HûUDIN, TARRA (de Milan) e t l e Congrès de Bruxelles (1883) qui s e prononcent contre "l'enseignement mutuel entre les élèves".

Ces propos su r l e rôle des camarades ayant des parents sourds e t , partant , sur l e rôle de ces derniers, nous frappèrent d'autant plus q u ' i l s nous furent tenus alors que nous sort ions d'une réunion 00 quelqu'un venait d ' é t ab l i r ferrement l e partage entre les sourds favo- r i sé s , ceux qui avaient l a chance d'avoir des parents cult ivés, capa- bles de leur venir en aide e t les sourds issus d'un milieu défavorisé, au premier rang desquels i l f a l l a i t ranger les jeunes ayant des parents sourds,

Ce schéma du cheminement de l'information dans les écoles, ou disons parmi les enfants sourds, nous semble pouvoir se rv i r de modèle ce qui s e passe en f a i t dans ? a cornunauté des adultes.

I I - Les canaux de 1 'information

Nous uti l iserons l e terme d'information dans un sens t r è s large. 11 peut s ' ag i r de ce qu'on appelle les nouvelles : actual i té politique économique e t sociale d'ordre général ( l e Pape e s t mort, l e Parlement vient de repousser te l projet de loi r e l a t i f aux handicapés, l e franc baisse, Sochaux a é t é éliminé de l a Coupe de France ...) ou d ' in térê t local ( l a section syndicale de l 'entreprise a lance un ordre d 'ar rê t de t ravai l pour ce t après-midi, l e cours de physique n'aura pas l ieu jeudi prochain, i 1 y aura grève des chemins de f e r sur l e réseau banlieue de l a Gare Saint-Lazare, Untel a été hospi ta1 isé.. . f ,.

Parmi ces nouvel l e s , certaines peuvent avoir pour vous des conséquences pratiques e t requérir des dgcisions immédiates ; d'autres non, mais ne pas vous 1 aisser pour autant indifférents,

Page 89: La Surdite Dans La Vie

Mais nous appelons aussi i n fo rmat ion t o u t ce q u ' i l e s t nécessaire de connaître pour f a i r e face au mieux à toutes l e s éventual i tés de l a v i e de tous l e s jours : connaissance de vos d r o i t s en matière de for- mati on continue, comment t rouver un emploi, quel l e procédure s u i v r e pour s ' i n s c r i r e au chômage, fa i re un emprunt e t demander j u s t i c e d'un t o r t qu i vous a é t é f a i t , connaissance en matière de contracept i fs , comment n o u r r i r votre bébé, où s'adresser pour demander aide ou secours s i vo t re enfant a avalé un tube de sommi fères, s ' i l semble a v o i r des problèmes psychologiques sérieux ou s i vous en avez vous-même à son su je t .

Il e s t d i f f i c i l e de f a i r e l e d é t a i l des canaux par lesquels nous sont venues toutes les informations dont nous disposons. Ceci su r tou t s i 1 ' on veut séparer, c o r n il importe de l e f a i r e , ce qu'on appel lera fau te de mieux l e s ind ica teurs d ' i n fo rmat ion (c 'es t -à -d i re l a récep- t i o n d'un message nous ayant rendu a t t e n t i f au f a i t q u ' i l y a une i n f o r m t i o n suscept ib le de nous in téresser , un t i t r e en quelque sor te ) e t 1 a connaissance de f a i t de c e t t e i nformati on-t-à-di r e 1 a posses- s i o n de tous l e s élémonts nécessaires pour a v o i r de c e t t e in fo rmat ion une connaissance e t une compréhension jugées suf f isantes) . Les deux moments sont p a r f o i s séparés dans l e temps e t p lus ieurs canaux ont pu ê t r e mis en jeu. Quelques mots entendus à l a r a d i o dans l e b u l l e t i n d ' in format ions on t pu p iquer notre c u r i o s i t é qu i ne sera s a t i s f a i t e que l e lendemain par l a l e c t u r e de no t re quo t id ien e t une conversat ion de v i v e vo ix ou par téléphone avec quelqu'un se t rouvant a v o i r une compé- tence p a r t i c u l i è r e s u r l e su jet .

Dans l a soc iété f rançaise à l ' heure ac tue l le , il e x i s t e t r o i s grands canaux d' information.

La vo ie orale, on pense d'abord à t o u t ce q u i e s t appr is au f i l du j o u r dans l e s innombrables conversations à deux ou à p lus ieurs ou à ce qu'on a pu capter de conversations qu i ne nous é ta ien t pas spécialement destinées. Cette source d ' in format ion a 1 'avantage, probablement unique, que s i 1 'on se trouve en face du bon informateur, on peut s a t i s f a i r e toutes ses c u r i os i tés.

Ce n 'es t pas l e cas de tou te l ' i n f o r m a t i o n qu i nous parv ien t oralement. Il e s t impossible par exemple à tous ceux qui ass is ten t au cours ma- g i s t r a l d 'un professeur ou à l 'exposé d'une personnal i té p o l i t i q u e , de poser leu rs questions. Les étudiants qui n 'ont pu l e f a i r e sont renvoyés pour t o u t supplément d ' in format ion à l a b ib l iog raph ie e t l e s aut res à l a l i t t é r a t u r e qui e s t vendue à l a s o r t i e de l a s a l l e de conférence.

I l y a aussi toutes l e s informations brutes du type "pour in format ion" e t "pour exécution", qu i n 'appel lent a p r i o r i aucun commentaire, n i aucune question. C 'est par exemple l a vo ix du conmandant de bord aver t i ssan t qu'en ra ison du b r o u i l l a r d l ' a v i o n se posera dans une autre

Page 90: La Surdite Dans La Vie

ville que celle qui a éte prévue (1). C'est l e cas du h a u t parleur d'une gare nous informant que le train e n provenance de Nice a une heure de retard e t que celui pour Paris partira sur un autre quai que celui qui a été initialement prévu. Du c 'es t celui d'un grand magasin vous i n fomnt que pendant 10 minutes tous les achats au rayon de la maroquinerie bgnéficieront d'une réduction de 50 %.

La lecture. On pense d'abord à l a grande presse, à la presse spécia- l isée e t aux livres de toute nature. Mais i l y a aussi les affiches vous faisant connaître les mérites de tel produit ou de tel parti politique, les tracts de toute nature dont nous somnes inondés, l 'affichette punaisée sur la porte de votre chanbre dfhOtel vous disant la conduite à tenir en cas d'incendie, le mode d'emploi e t les précautions à prendre concernant l'achat que vous venez de faire (matériel électro-ménager, jeux, gadgets, médicaments.. . ) la notice explicative vous indiquant comnent ut i l iser la carte orange ou con?- ment remplir votre déclaration de revenus, e t la l i s te détaillée des droits e t des devoirs auxquels vous venez de souscrire en signant une police d'assurance.

Les medtas audio-visuels. II y a enfin les moyens modernes de comnu- nication de masse autres que la presse e t l e l ivre, au premier rang desquels la radio e t la télévision. I ls sont à la fine pointe de 1 'actualité. Non seulement i l s avertissent presque dans le moment de ce qui se passe dans le monde, mais i l s sont devenus, en de nombreuses circonstances (grands débats poli tiques par exemple) le lieu même où se passe l'évènement. D'autre part, l e nonbre impressionnant de per- sonnes touchées dans l e même temps par chaque émission en f a i t les moyens privilégiés pour la diffusion des informations que, corn i l en e s t de la loi , chacun se doit de connaitre : les tarifs postaux augmenteront 1 a semai ne prochai ne, les horaires d'été entrerons en vigueur dans l a n u i t de samedi à dimanche, "tel ta3 c, re t i ré du CO*

merce, se révèle nocif, s ' i l vous en reste en stock, jetez l e , n'en saupoudrez pl us vos bébés".

( 1 ) Anticipant quelque peu. corne chacun l'aura déjà f a i t , sur ce qu'il peut en être de l a situation du sourd dans chaque item de cette longue l i s t e , disons que cet exemple nous est inspiré par l e trai t d'humour t iré des Hasards de l a Surdité de Roy K . HOLCOMB (§ 327) : "Vous allez en Californie. L'avion a un -- problème, il e s t détourné à Las Vegas. I l atterrit e t l e s passagers ont quelques heures d'escale. Dieu que vous êtes surpris de voir à quel point l a Californie a changé avec ses machines à sous, ses tables de jeu, e t c . . . !"

Page 91: La Surdite Dans La Vie

Il e s t impossible de comprendre l e problème de I ' i n fo rmat ion chez t e s sourds s i on ne prend pas l a mesure de l e u r s i t u a t i o n face à c e t t e t r i p l e source d ' in format ion.

1') On l a i s s e r a b ien sûr de côté l a radio. Nous ne connaissons pas de sourds en mesure de su iv re l e b u l l e t i n d ' in format ions télévisées. Un sourd ne p e u t - i l pas néanmoins réa- l i s e r de quoi il e s t en gros quest ion, capter l e s grands t i t r e s de 1 ' a c t u a l i t é ? Ceci naturel lement au p r i x d'une grand a t t e n t i o n portée aux lèvres du speaker - s i c e l u i - c i a r t i c u l e bien, s ' i l e s t f i l m é de face - e t p a r l e secours des b r e f s reportages f i lmés (en vo ix o f f ) . La présentat ion en un temps r é d u i t de nouvelles ex t rê - mement variées - e t sans vér i tab les t rans i t i ons , sans signalements dépourvus dlamt;igui t é t e l s que des t i t r e s v isuels l o r s q u ' i l e s t passé d 'un thème à l ' a u t r e - f a i t malheureusement du jou rna l t é l é v i s é l e modèle par excellence du "coq à l ' âne" où l e sourd ne peu t s ' y re t rouver .

Les f i l m s ou dramatiques, à moins q u ' i l ne s 'ag isse d'une produc- t i o n étrangère en vers ion o r i g i n a l e sous- t i t rée, sont pour l e s sourds un t i s s u d'énigmes dont i l s devront l e lendemain demander l e s c lés à un ami entendant, s ' i l s en ont.

Un sourd peut cer tes n ' ê t r e pas seul devant sa té lév is ion . Après tout , c ' e s t essentiel lement à l a maison, vo i re en fami l le , qu'on l a regarde. Sur tout l o r s q u ' i l y a p lus de deux personnes au foyer, il n ' e s t pas ra re que 1 'une au moins s o i t entendante. Que l le aide les membres sourds s o n t - i l s a lo rs en mesure d'en at tendre ?

Cette aide e s t l i m i t é e d'abord pour des raisons techniques. La t raduct ion d'une émission de té1 ëv is ion e s t en matière d ' i n t e r - p r é t a r i a t 1 'une des tâches l e s p lus ardues. Sur tout s ' i l s ' a g i t d'une i n t e r p r é t a t i o n par lec tu re l a b i a l e - e t non gestuel le - il e s t impossible de t o u t t radu i re en simultané. Si b r e f s o i t - i l e t s i judicieusement cho is i s o i t - i l , l e temps que 1 'entendant consacre à f o u r n i r une e x p l i c a t i o n ou un résumé compr&ensib'le peut s u f f i r e à l u i f a i r e manquer quelque chose d ' impor tant dans ce qui continue d ' ê t r e d i t . Il n ' e s t pas possible " d ' a r r ê t e r l a bande" ou, c o r n il e s t f a i t dans d'autres s i t u a t i o n s d ' i n t e r p r é t a r i a t , d ' i n f l u e r su r les locuteurs pour q u ' i l s ra len t i ssen t l e d é b i t ou s ' i n t e r - rompent un moment. A ins i , p lus q u ' i l n ' e s t e s t ai l?,eurs, l a tendance e s t i c i au " j e t ' e x p l i q u e r a i p lus tard.. . c 'est -à-d i re quand t o u t sera f i n i .

Page 92: La Surdite Dans La Vie

Mais antérieurement à ces prob16mes techniques, i l y a une raison plus sérieuse d'ordre sociologique, contextuelle, venant limiter 1 'aide que le sourd pourrait attendre. Imaginons un entendant qui soi t 1 'interprète le plus qualifié qu'on puisse rêver. Il n'accep- tera pas de faire à domicile tout ce qu'il fera cornne allant de soi , voire avec plais i r , dans le cadre de son travail.

2") La lecture est , pour les devenus sourds en général e t pour beau- coup de demi-sourds , le moyen privilégié d'information.

I l en e s t tout autrement des sourds profonds de. naissance. De beaucoup on peut dire que même s ' i l s peuvent l i r e e t déchiffrer des mots, i l s sont pratiquement i l le t t rés . De ceux dont on d i t qu'ils savent lire, on doit convenir que l a façon dont i l s l e font, f a i t qu'i ls répugnent à la lecture. I l s ne l isant pas. Certaines disent q u ' i l s ne parviennent pas à se souvenir de ce qu'ils viennent de l i r e , qu ' i ls ne sont jamais sûrs de comprendre le sens, en bref, que c 'es t diff ic i le pour un sourd.

Ce n'est pas l e lieu d'expliquer les raisons de cette regrettable carence dont une partie au moins revient au mode d'apprentissage de la lecture, subordonnant la lecture aux préoccupations oral istes (D. BELIN). Pour l e propos qui nous occupe i c i , i l suf f i t d'en faire le constat.

A défaut de l f re des livres ou des journaux, ne peuvent-ils au moins t i re r profit de textes courts e t même de tout simplement l i r e les affiches ? Jusque l à l a lecture peut poser problème, car ce n'est pas affaire de longueur mais de langue (1).

(1 ) On connaî t l e s modes de perçuassion de l a p u b l i c i t é , que ce l le -c i concerne un produit ou un p a r t i po l i t ique . Il e s t f réquent , dans l'enseignement en général, qu'un professeur propose à s e s élèves l ' ana lyse des a f f iches e t des slogans pour l e s dissuader de l a prendre à l a l e t t r e e t l eur permtt t re de s 'en d i s tanc ie r .

C 'est un le i tmotiv, l e s sourds prennent tou t à l a l e t t r e . Un enseignante de sourds, par t icul ièrement dynamique e t soucieuse de ra t t acher son enseigne- =nt à l a v i e de tous l e s jours f i t à ce su je t une in té ressan te expérience. E l l e convia s e s élèves 6 étudier l a p u b l i c i t é véhiculée par l e s a f f iches . O r , l e problèm s e révé la , s i l ' on peut d i r e , déplacé en amont. Les jeunes sourds prenant justement l e t ex te à l a l e t t r e , c ' e s t t o u t s implemnt l e sens de beaucoup d 'a f f iches e t de slogans qui f a i s a i t pour eux é n i p . Il f a u t , pour s a i s s i r l e message de beaucoup, une connaissance sophistiquée de l a langue f a i s a n t qu 'e l l es ne peuvent ê t r e comprises par l e s sourds e t par l e s étrangers ne connaissant que l e français "standard".

Page 93: La Surdite Dans La Vie

3*) L ' o r a l e s t une source pauvre d ' i n fo rmat ion pour l e s sourds. I l s n 'on t que l e s miettes. C 'est néanmoins par l a parole, s ' i l s t rou- vent des entendants complaisants, q u ' i l s i r o n t s o l l i c i t e r l e supplément d ' in format ion dont i l s n 'ont eu que les ind icateurs, l e d é t a i l , s i l ' o n veut, de ce dont i l s n 'ont eu que l e t i t r e .

On comprend dès l o r s à l a fo is l a sous-information du sourd e t l e f a i t q u ' i l s o i t toujours l e dern ie r informé. Ce r e t a r d commence au niveau même de l a conversat ion de tous l e s jours où il d o i t a t tendre que quelqu'un résume ce qu i v i e n t d ' ê t r e d i t . II e x i s t e par a i l l e u r s ce décalage d 'un j o u r ou deux où, pour toutes l e s in format ions dont il a eu 1 ' i nd ica teur , il l u i f a u t s o l l i c i t e r l e d é t a i l . II y a ces i n f o r - mations qu'on n ' a pas pensé à l u i donner e t q u ' i l ne connaîtra jamais ou a lo rs seulement en ra ison d'une s i t u a t i o n où l ' ignorance de c e t t e in format ion censée connue l ' u i jouera queique mauvais tour. Mais il y a p lus encore. Léo JACOBS (1974) a f a i t l a remarque que "beucoup de ce qui be pubne autouh de RLLi .P.ui échappant en mL5on de bon hano!.Lcap d m l a comdc&on, l e no& moyen n ' a 2 p a ~ .tau2 de 6 f . h k ULL @L.t d a changementh cont&ue& de h R y t a , de modeil e;L de pLLono$LLe. Pe men annéen d'expé&nce auec la 6oundcl, p t l é d e - t - 2 , je bLLid a ~ L u é a & c o n c b i o n que l e nouhd duRte moyen, @me d m n a pm~ètle.6 a w é a d'unxuehsaé, e.62 en h e M d'à peu pèb deux nwr Leil cou- p~éudaucts. P a n exemple, l e ptloblème de & dtlogue n 'a commencé à deuevth déhieux pmt& L a no&& gu 'app t lo lc i~vemen~ deux ann aphè6 q u ' i l fenoLt devenu d m Le monde entendant. Mohb que L1.in~&ence "Lppie" ut n u h l e ddéclin, neil ed,jea continuent de ne ~ a h e ben&itl ao&&ment dano La commun au^ den nouhdhV(p. 64).

Ce qu'on comprend beaucoup moins en revanche, après t o u t ce qui v i e n t d 'ê t re d i t , c ' e s t conmient l e sourd e s t quand mEme informé e t comment, dans l e monde actuel où l a c i r c u l a t i o n de 1 ' i n f o r n a t i o n joue un r ô l e peut-êt re p lus grand qu'auparavant, il peut, toutes choses égales, mener à ce p o i n t aussi b ien sa barque.

Cela ne s 'expl ique, en e f f e t , que s i on r é a l i s e que l e s choses se passent pour l e s adultes comme nous avons vu qu 'e l les se passaient pour l e s jeunes. Ayant c i r c u l é par des r e l a i s dont 1 ' i d e n t i f i c a t i o n e t l ' ana lyse res ten t à f a i r e , une grande masse de 1 ' in format ion dont dispose l e sourd l u i v i e n t en r é a l i t é d 'aut res sourds.

Il e s t souvent i n s i s t é lorsquion parTe de l a communauté des sourds s u r son aspect a f f e c t i f . C 'est parmi l e s siens que l e sourd a ses amis, ses 1 ia isons, q u ' i l c h o i s i t son conjo in t . D 'aut re par t , l a communication e s t pour l e s sourds un b ien rare e t un besoin autrement impéra t i f que chez les entendants. On comprend qu'après h u i t heures de t r a v a i l dans l a so l i tude , les échanges avec l e s entendants se réduisant aux seuls u t i l i t a i r e s ''ça va ?", q u ' i l s a i e n t p l a i s i r à se re t rouver chez eux. I l e s t tou jours agréable de disposer d'un m i l i e u où 1 'on se sent chez

Page 94: La Surdite Dans La Vie

soi, où on se retrouve entre personnes partageant les mêmes expé- riences, ayant les d m s valeurs e t avec lesquelles on peut se comprendre sans peine e t sans détours ; où l'on n'est pas handicapé, où entre ceux qui y partfcipent, n'existent pas les barrigres de fa pi t ié , du mépris, de la peur, du paternalisme, du ressentiment ou tout simplement de la langue.

Il n'a pas été suffisamment insisté, i l nous senbtle, sur 1.e râle que jouait l a communauté dans la diffusion de l'information. I l e s t seulement parfois f a i t l a remarque que l e téléphone arabe fonctionne bien chez les sourds.

C'est auprès d'autres sourds que le sourd va chercher le complénent, voire la substance, d'une information qu'il n'a pu obtenir de l'enten- dant. Mais i l n 'y a pas pour lu i , dans ses rapports avec les siens, ces seules informations au devant desquelles i l aura du al ler , ce1 les qu'il aura dû sol l ic i ter c o r n i l es t habitué de l e faire avec les entendants. Il y a celles qui viennent à lui norma'lemnt, co rn i l en e s t pour nous de la plupart des informations dont nous nous trouvons disposer.

On voit donc tout ce qu'a de faussée la vision de l a cornunauté des sourds corn d'un ghetto venant couper les sourds de la société, alors que c 'es t bien de 1 'inverse qu'il s 'agit . Le sourd mettant son point d'honneur à ne pas fréquenter les siens e s t pdné en exemple. Rechercher le cormierce des siens serai t s ' i soler , se couper du monde. Le grand isolé e s t celui qui ne fréquente pas d'autres sourds. E t 11 dispose souvent pour gouverner sa barque de moins d'informations sur l e fonctionnement de la société à laquelle on le d i t intégré, que 1 'autre.

1x1 - Les implications politiques

Une société peut faire le choix de tenir à l a marge une partie des siens. Sous prétexte de non conformité aux manières d'être e t de se comporter de la plupart, i l s seront ignorés e t confinés dans unr? sorte de ghetto. Tel le fut en France jusqu'à ces dernieres années la situation des sourds : le droit à l'information ne leur é t a i t pas reconnu.

La politique du ghetto ne semble plus retenir tous les suffrages. Des initiatives prises ic i ou là l'indiquent. 11 e s t normal que l a plupart de ces initiatives se heurtent ini t ia- lement à des oppositions. Celles-ci pemt t en t de prendre la mesure exacte de ce sur quoi l e vieux monde de 1 'exclusion trouvait son assise. Ces initiatives s eh l en t au départ mettre en question quel- ques principes sacrés. Elles heurtent les privi'tëges. Ou elles viennent plus simplement troubler la tranquillî t é e t 1 'ordre habi- tuel des choses. Accepter ceux qu'elle rejetai t ne se f a i t pas pour une societé sans certains réajustements internes quant a ses valeurs, ses normes e t ses modal1 tés d' organisation.

Page 95: La Surdite Dans La Vie

Les analyses qui viennent d 'être fa i tes indiquent qu'une po l i t i que act ive de 1 ' information devrai t emprunter deux di rect ions :

1') D'une part, des e f f o r t s systématiques peuvent ê t re envisagés pour f a c i l i t e r 1 'accès des sourds aux canaux habituels de 3 ' infomat ion.

De te l s e f f o r s t ont été entrepr is depuis quelques années à f a té1 évision. Le temps e s t maintenant l o i n où 1 'appar i t ion des "gestes" sur les écrans - il s'ag issa i t d'une messe (1969) - sou7evait l ' i nd ignat ion de pédagogues s'arrogeant l e d r o i t d'en juger ou d ' intervenir . Créé en 1976, l e "Journal des sourds e t malentendants" es t devenu une i ns t i t u t i on . On peut certes regret- t e r que l e pr incipe de cet te émission - une émission du journal d i f fusant par consCquent l ' ac tua l i t é , mais ne l e fa isant qu'une f o i s par semaine l a condamne ironiquement à i l l u s t r e r de façon pa r fa i t e l a s i t ua t i on &me des sourds face à 1 ' i n foma t ion : n'y avo i r accès qu'après coup, lorsque tou t e s t f i n i . II se f a i t heureu- sement d'autres choses dans l e cadre de cet te émission, e t d'autres choses se fon t à l a té lév is ion en dehors de ce cadre. Un long chemin reste à parcourir. Ce n 'es t pas l e l i e u d'en f a i r e l e dé ta i l . L'important e s t de constater que l e problème e s t enfin pos 6 .

II en e s t de &me pour 1 ' in terprétar iat . On entend certes encore @mi se 1 ' idée que 1 'existence d ' interprètes dissuaderait les sourds de fa i re 1 ' e f f o r t de comprendre e t de se f a i r e comprendre. On reconnait l à une préoccupation moralisante assez répandue dans certains mi l ieux s'occupant de handicapés. 11 n 'es t pas assez d 'ê t re handicapés. Certains spécial istes se pla isent à accumuler encore pour eux les obstacles a f i n de bien l eu r rappeler q u ' i l s l e sont e t développer chez eux l e cul te de 1 'e f fo r t . Malheureu- sement, ce t te façon de vo i r repose i c i - comme souvent d ' a i l l eu rs - sur une appréhension peu réa l i s te de ce qui e s t possible ou non e t sur une méconnaissance des contextes dans lesquels l ' i n te rp rè te e s t amené à in terven i r (1). I l s interviennent aussi e t sur tou t en des contextes où jusqu'alors il n ' é t a i t pas pensable que l e sourd par t ic ipe : dans les réunions.

Dans l ' é d i t o r i a l d'un numéro de Coup d 'oe i l 'lançant une campagne pour " l a formation d'un corps d' interprètes professionnels en Langue des Signes, première condit ion d'une vér i table in tégra t ion des sourds'' (C. d'O. no 10, mars 1978), nous écrivions :

(1) Sur l ' interprétariat vo ir : g u p d'Oeil, na 10, mars 1978, R. DOMINGUE, pp. 111-114 e t K . KIRCHNER, pp. 115-127 dans E t é 78, Srage à Gallaudet ; Second International Symposium ... 1979 ; Christiane FOURNIER (1979) ; C. MAAS (1981).

Page 96: La Surdite Dans La Vie

" IL en eb t de L'ahganhation dam un payb d'un cohpb d ' in tm- phèteb phOdebb~0~~1e.h en langue d a bigneh, comme de bien dlau&eA h é 6 a m . C' eb t beu&ment une ~ o h ce&?eA-ci m&eb en pRace qu'on paçaLt toute L'étendue de ce q u i 6ainait aupuha- vant dé6aut. Cah i R y a cehtaina Injwf iceb ou ce&taineb cahenceb, dont on ne pmnd conncience que Rohbque pm un chemin i n d h e c t il L e u a Lté Ltouvë /remède. E W d a d e n t aupuhavant pahfie de R'otdae nnatuhel d a chosa.

Le nombhe de bowrd6 a c c é d d à L1enb&gnement bupé&ieuh be camp& en F m c e bwl L u doigM de ta main. Chewement , Leb queRqueb cm qui noUn bont phéhentéh bembtent &the é ~ g é n en pWdoyehs en davewr de R'ohaeidme. Cdeuhement, c m Lotisque &ô i n t é h a - b é ~ dont é&zt d u di6@cuRtéh henconttréeb Ce n'en ebt pheb- qu'aucune que L'aide d'un intmphèXe n ' e h ainémn;t ndbofue. Une nation a toujowtb LLeu de 6e montiLeh 6ièm du cowrage, v o h e de L'hehoAme de c e M m de n a &oyenb. E U e sud peLb à gagneh et p h de A o n ~ de ae dé.Li&teh b i au .Lieu d& leb condamna à cet héhdme , e& Leuh &wdXtk2 %he. . .

L'accèb à L'enneignement bupëhie~h ut-.il un b x e ? La 6ohmation continue, e u e , en2 un dh0i.Z Zhéohiquernent heconnu à $OUA &A ci.toyenb. Combien de 40- en p~o@&tevtt ? Ce n ' a t m.tXce de Pa paht de y3emonne. L'abbence d ' i d e h p n è m aendautt chque di;tua- Zion pkabRéma;tique 6ai.t qu ' i f ne v ient pas méme à t ' a p h i t de L ' e ~ g m . L1accè6 r n ~ ~ n i 6 à t o d RU bohtecl de domation, de hecychge et d1acrc;tiivi$a clLetwre&ed a.t g é n W m e n t Ra com é- quence h p h hpeCtiXCURLLihe hénuRtant de R'exinXence d l . i t e r r - p h è m ptcadesdionne&. E&?e ebMt d'autant p h manyuée quleUe Q A ~ inaU;endue.

Ce n 'es t , en eh,je.t, rti aux & u W potentceb, ni à ~ o m - fion pwmunen;te qu'AR end L W d e m e n t penné t u a de Pa c h é d o n d'un cohp d' Lnte~phè$eA pho6ebbianne&, d 8 ceA b h d o n b p h phehbanteb powl LeclqueMa Leb b o d a i m e d e n t bouvent pouvdtc hecouhih à d' m d ~ ~ e b i n t e h p h è h qu'à &euh &MC! entendant ou à L e ~ a phachen : nnppohtd avec Leun~r ernpluyeuhd, &?A addnb- ,tmZionn, négacidonb d ' ach& impohtants , di4 cunbion d' ad ,$&e, de 6nmieee ct ceci powr ne pad pm.Een de c o n s M a n a m é d i d a , bwr;tout Ro/tsqu1eUeh hev&tent un cahactèhe intime. . ."

Tel est bien ce qui es t en train de se passer avec le développe- ment de l'interprétariat. Le mouvement pour la reconnaissance de la Langue des Signes a depuis quelques années changé la vie de Jeaucoup de sourds d'une façon que certains qualifient de specta- culaire. Lorsqu'on leur demande en quoi, i l s tendent à mettre en avant qu'ils ont maintenant accès grâce aux interprètes B l a culture e t à ce qui se passe parmi les entendants.

Page 97: La Surdite Dans La Vie

S ' i l existe une prise de conscience au sujet de l'accessibi- l i t é de la télévision aux sourds e t de 1 'importance de 1 'inter- prétariat, cette prise de conscience ne senble pas avoir commencé de se faire en ce qui concerne l'accès aux textes écrits. Le problème continue d'être posé à l'envers ou de ne pas 1 'être du tout. Certes, i l existe quelques romans en français simplifié à 1 'intention surtout des jeunes sourds chez qui on espère dévelop- per de la sorte l e goat de la lecture. 11 reste toujours bien établie l 'idée d'une dégradation de la culture dès fors qu'elle serai t rendue accessible à tous.

Il ne s ' es t pas amorcé encore en France quelque chose de l'ordre du mouvement "la culture pour tous de Suède, où minorités linguis- tique, sourds, aveugles (journaux-cassettes) e t handicapés mentaux ont revendiqué le droit d'accès à 1 'information e t à la culture. L'idée d'accessibilité de tous aux grandes oeuvres culture'i les pourra longtemps choquer d'aucuns. On peut espérer en revanche que chacun réalisera sous peu le caractère foncièrement malhonnête de toute information concernant la vie de tous les jours e t ce que chacun e s t censé connaître (règlements administratifs, lois.. . ) dès lors que cette informtion es t donnée sous une forme Inintel- ligible à ceux auxquels elle e s t destinée.

2') Mais aussi une poli tique active de 1 'information devrait emprunter aussi une autre direction.

On connaît la vision cummune au sujet de 1 'impact des moyens modernes de comunication de masse : les individus seraient exposés e t 'livrés sans défense au borrbardement des messages tout puissants diffusés par les médias. Une série de recherches menées pour l 'essentiel au Bureau de Sociologie appliquée de l 'université de Coluxbia pendant les années 40 e t 50, é ta i t venue singulièrement moduler cette façon de voir. Ces recherches montrèrent l'impor- tance des groupes primaires dans la réception (ou non) des messages diffusés par les médias. Pour E . KATZ e t P. LAZARSFELD, qui théori- sèrent ces travaux, 1 ' influence des médias s 'exercerait en deux temps. "A l ' intérieur des groupes primaires e t secondaires se trauvent des personnes plus exposées que d'autres aux médias ; elles en subissent 'l'influence. Ensuite, ces bénéficiaires privi- légiés de 1 'information qui, par ailleurs, sont aussi ceux dont la participation à la vie sociale es t la plus grande, diffuseront dans leurs propres groupes les thèmes auxquels i l s auront été sensibles" (F. BALLE e t J.-G. PADIOLEAU, 1973, p. 286).

Si tel es t le cas pour ceux chez lesquels aucun obstacle a priori ne s'oppose à la réception en direct des informations venant des médias, combien plus en sera-t-i 1 dans le cas des sourds. Les recherches du Bureau de Sociologie appliquée de Columbia ont con- duit ceux qui veulent "influencer" à identifier e t toucher les leaders d'opinion. Une politique réel le d'information auprès des sourds devrait de la même façon se soucier d'identifier d'abord les mernbres influents de la cornunauté des sourds, ceux qui se trouvent déjà exercer de fa i t u n rôle important d'informateur e t de conseiller dans tel ou tel domaine, e t leur apporter l 'infor- mation nécessaire.

Page 98: La Surdite Dans La Vie
Page 99: La Surdite Dans La Vie

C O N C L U S I O N S ..................... .....................

Page 100: La Surdite Dans La Vie
Page 101: La Surdite Dans La Vie

CONCLUSIONS

Le type d'analyse qui a é té proposé dans ce t r a v a i l n ' e s t pas centré s u r 1 ' i n d i v i d u ou les ind iv idus , mais s u r l e s in te rac t ions . Cel les-c i forment des systèmes ayant l e u r s propres exigences. Lorsqu' il y a des entendants , ceux-ci sont p a r t i e prenante, e t i l s sont concernés exactement au même t i t r e que l e s sourds.

La normal i té d o i t donc ê t r e d é f i n i e au niveau des systèmes d ' i n t e r a c t i o n e t non pas au niveau des ind iv idus. La s u r d i t é n ' e s t pas en l 'occurence une anomalie, e l l e e s t un simple f a i t e t une donnée dont il f a u t t e n i r compte. Le rétablissement, dans d ' i n t é r ê t de tous, du fonctionnement normal de ces systèmes, impl ique une remise en cause des modes hab i tue ls de f a i r e des entendants.

Ceci n ' e s t peut-êt re pas apparu t rès clairement dans l e seul contexte qui a s u r t o u t retenu l ' a t t e n t i o n . C 'es t que dans ce contexte l e sourd mène en quelque sor te l e jeu de bout en bout, pouvant même ne pas révé le r à son i n t e r l o c u t e u r son i d e n t i t é de sourd. Il en e s t différemment dès q u ' i l s ' a g i t de rapports p lus complexes, p lus prolongés ou à p lus ieurs personnes, e t s u r t o u t s ' i l s ' a g i t de personnes contra in tes par nécessité de v i v r e avec des personnes sourdes : une " p o l i t ique" s'impose. Dans b i e n des con- textes, e t notamment ceux du repas de fami l l e , il se révèle que l e recours à l a communication simultanée (parole e t geste) n ' e s t pas seulement p r o f i - tab le au sourd, mais à tous l e s membres de l a f a m i l l e dont e l l e solu- t ionne en p a r t i e les problèmes. Ce sont de t e l s contextes, beaucoup t rop négl igés, qu i devraient r e t e n i r à 1 ' aven i r toute 1 'a t ten t ion .

Peut-être i m p o r t e - t - i l , pour f i n i r , de reven i r aux préoccupations i n i t i a l e s du groupe de t r a v a i l e t se demander en quoi une analyse de l a v ie des sourds adultes dans l a soc ié té entendante peut a v o i r des imp l i ca t ions quant au choix pédagogique (op t ion ora l i s t e ou opt ion "communication t o t a l e " ).

C'est tou jours en dern ie r r e s s o r t en fonc t ion de l a préparat ion à l a v i e adul te que les sociétés f o n t l e s grands choix pédagogiques. Il en e s t de même pour 1 'éducation des sourds. Ce sont l e s raisons mises en avant pour l e choix o r a l i s t e .

Une appréhension plus r é a l i s t e de v i v r e des sourds adultes permet t ra i t une préparat ion p lus r é a l i s t e à ce mode de vie. E l l e é v i t e r a i t l e s fausses inquiétudes e t l ' impréparat ion, en revanche, à ce qui d e v r a i t ê t r e les vraies.

Page 102: La Surdite Dans La Vie

L'analyse de la vie des sourds adultes dans l a société entendante conduit à une autre sor te de réalisme. L'avantage de l a réflexion portant sur 1 'adulte vient, en e f fe t , de ce qu'el le par t en général du principe "les choses étant ce qu'elles sont" ou "les jeux sont fai ts".

La réflexion sur 1 'enfant, capi ta1 de demain, e s t toujours entachée, e l l e , de préoccupations a priori de caractère normatif e t pédagogique : " c o m n t façonner l 'adulte de demain ?". Cela e s t encore plus vrai pour les enfants handicapés. La rëflexion e s t centrée su r l 'enfant en tant qu'objet d'un t ravai l ac t i f de nature éducative ou reéducative. D'où un privilège par- fo is exclusif , accordé aux contextes pédagogiques, voire - e t cela e s t plus lourd de conséquences - une perception des autres contextes selon une optique pédagogique e t rééducative. La seule chose qui senble importer chez l 'enfant handicapé, c ' e s t s a déficience.

L'enfant sourd a pourtant d ro i t à une vie normale e t à des contextes normaux.

11 e s t absurde, sous des prétextes éducatifs, d'exiger d'un enfant sourd (se trouvant habi tue1 lement dans des contextes handi capants pour 1 a comnu- nication e t ne dominant pas l a langue parlée) ce qui s e révèle impossible même pour un adulte dominant l a langue.

L'oralisme a f a i t de l 'enfant sourd l e seul que pour des raisons pédago- giques on prive d'informations.

Enfin, nous avons parlé des règles de t a conversation, suggérant que son apprentissage e t s a mise en place précèdent e t conditionnent l 'apprentis- sage de l a langue. Le refus des gestes de l 'enfant sourd préconisé par l e s praticiens ora l i s tes de 1 'éducation précoce e s t une infraction aux règles fondamentales de l a conversation e t une a t te in te grave au respect de l a personne. C'est un refus d'entendre e t de répondre. I l peut avoir pour résul ta t normal, outre les célèbres colères de l 'enfant sourd, son refus d'apprendre à parler , voire, cas plus grave, un refus de communiquer.

Page 103: La Surdite Dans La Vie

B I B L I O G R A P H I E ......................... .........................

Page 104: La Surdite Dans La Vie
Page 105: La Surdite Dans La Vie

BIBLIOGRAPHIE

- ARMENGAUD (A.M. ) , ARMENGAUD (M. J. ) .- 1 ti néra i re d'un enfant sourd . - Gazette Médicale de France, Tome 86, no 10, 9 mars 1979, pp. 987-994.

- ASHBROOK (E.) .- Development o f Semantic Relat ions i n the Acqu is i t i on of American Sign Language .- Rapport du Salk I n s t i t u e f o r B i o l o g i c a l Studies, San Diego Cal. , 1977.

- BAKER (Ch.) .- Regulators and Turn-taking i n American Sign Language Discourse, i n Lynn A. FRIEDMAN (Ed.) .- On the Other Hand, pp. 215-241.

- BAKER (Ch.), BATTISON (R.) .- Sign Language and the Deaf Community, Essays i n honor o f .W. Stokoe .- NAD, 1980, 267 p.

- BAKER (Ch.) .- Sentences i n A.S.L., i n Ch. BAKER, R. BATTISON (Ed.) .- Sign Language and the Deaf Community, pp. 75-86.

- BANQUETS des sourds muets réunis pour f ê t e r l e s anniversaires de l a naissance de l'Abbé de llEpée, Rela t ion publ iée p a r l a Société Centrale des Sourds Muets de Par is .- 1. 1, Paris, J. Le Doyen, 1842. 1. II, (de 1949 à 1963), Paris, L. Hachette, 1864.

- BATESON (M.C.) .- Mother i n f a n t exchanges : the epigenesis o f conver- sat ionnel i n t e r a c t i o n , i n Dévelopment Psychol inguist ics, N.Y. Academy o f Sciences, Vol. 263, 1975.

- BATTISON (R.), JORDAN (K. ) .- Cross Cu l tu ra l Communication w i t h Foreign Signers : Fact and Fancy. Sign Language Studies. repr. dans W. STOKOE, Sign and Culture, pp. 133-148.

- BEBIAN (Roth.-A.B. ) .- Mirnographie ou Essai d ' é c r i t u r e mimique à r é g u l a r i s e r l e langage des sourds muets .- Par is , L. Colas, 1 VI-42 p.

- BECKER ( G . ) .- Growing o l d i n Silence .- London, Un ive rs i t y o f C a l i f o r n i a Press, 1980, 148 p.

- BELIN (D.) .- La lec tu re chez l e s sourds : autonomie du code é c r i t .- Mémoire pour l e c e r t i f i c a t de capacité d'orthophonie .- Année 78-79, 69 p.

Page 106: La Surdite Dans La Vie

- BOYES-BRAME (P. ) .- A Study o f the Acqu is i t i on o f the DEZ i n American Sign Language, rappor t du Sa1 k I n s t i tu& f o r b i o l o g i ca l Studies , San Diego, Cal., 1973.

- BALLE (F.), PADIOLEAU (3.6.) .- Sociologie de 1 ' in format ion. Textes fondamentaux .- Paris, Larousse,-?373, 372 p.

- BRUNER (J.) .- On p w l i n g u i s t i c p re requ is i tes o f speech i n Recent Advance i n the Psychology o f Language (Language development and mother ch i1 i n t e r a c t i o n ) .- Ed i t . Plenum Press, 1978.

- COSNIER ( 2 . ) .- Rôle des échanges non verbaux dans l a cornunicat ion précoce .- Bu1 l e t i n d'audiophonologie, 6, 1979, pp. 25-34.

- DEGERANDO .- De l ' éduca t ion des sourds muets de naissance .- Paris, Méquignon 1 ' A i nè père, 1827 .- f , 1, T. II, 668 p.

- ETE 78, Stage à Gal laudet .- Académie de l a L.S.F. e t 2 langues pour une éducation, 161 p.

- FERGUSON (Ch. A.) . - Di glossia, Word 15, 1959, 325-40, reprodu i t dans Ch. FERGUSON, Language s t r u c t u r e x 1 anguage use.

- FERGUSON (Ch, A. ) .- Absence o f Copula and the Not ion o f S imp l i c i ty : A study o f Normal Speech, Baby Talk, Fore i gner Talk and Pidgins (1979) . - i n Ch. A. FERGUSON, Language s t r u c t u r e and Language use.

- FERGUSON (Ch. A. ) .- Language S t ruc tu re and Language Use .- Stanford Univ. Pwss, 1971, 328 p.

- FISCHER (S.) .- The Deaf Chi ld 's Acqu is i t i on o f Verb I n f l e c t i o n i n A.S.L., C o m n i c a t i on à l a L ingu is t ique Society o f Ameri ca, Annual Mee ti ng, San Diego, Cal., 1973.

- FRIEDMAN (L.A.) (Ed. ) .- On the Other Hand : new Perspectives on American Sign Language .- Academic Press, N-Y, Londres, 1977, 245 p.

- FRISHBERG (N.) .- Arbi t ra r iness and I c o n i c i t y : h i s t o r i c a l change i n American Sign Language .- Language, 51, 1975, pp. 696-719.

Page 107: La Surdite Dans La Vie

- FRISHBERG (N.) .- Some Aspects o f the H i s t o r i c a l Developments o f Signs. i n A m r i can Sign Language. Mim. PhD., Univ. o f Ca l i fo rn ia , San Diego, 1976.

- FOURNIER ( C . 1 .- Présentat ion d'une e x ~ é r i e n c e d ' i n t e r p r é t a r i a t auprès des t r i b u i a u i dans J . SIMONIN, Le ~ a n ~ a g e r n i m ~ - ~ e s t u e l ' dans 1 ' é d u h t i o n des d é f i c i e n t s a u d i t i f s , pp. 47-51.

- FURET (F.), OZOUF (J.) .- L i r e e t é c r i r e : L'a lphabét isat ion des Français de Ca lv in à 3. FERRY .- Paris, Ed. de Winuit , 1977.

- GOFFMAN (E. ) . - I n t e r a c t i o n R i tua l . Essays on Face t o Face Behavi or, Garden C i t y (N.Y.), Doubleday, 196/, ( trad. fr. : les r i t e s d ' i n te rac t ion , Par is , Ed. de Minu i t , 1974).

- GOFFMAN (E.) .- Relat ions i n Publ ic : Microstudies o f the Publ ic Order .- Basic Books, 1971 .- ( t rad. Fran., La mise en scène de l a v ie quotidienne. 2. Les r e l a t i o n s avec l e p u b l i c .- Par is , Ed. de Minui t , 1973, 372 p.

- GOFFMAN (E.) .- Stigma : Notes on the Management o f Spoi led I d e n t i Prent ice-Hal l , 1964 .- ( t rad . fran., Stigmate, l e s usages sociaux handi caps . - Paris, Ed. de Mi n u i t ) .

- GROSJERN (F.) , LANE (H. ) .- La langue des signes, numéro spécia l de Languages, no 56, décerrtrre 1979 (Larousse).

- HALL (E.T.) .- The Hidden Dimension .- Garden C i t y (N.Y.), Double Day, 1966 .- ( t rad . fran. La dimension cachée, Paris, Seui l , 1971).

- HALL (E.T.) .- Proxemics, Current Anthropology, vol. 9, no 2-3, 1968, pp. 95-108 .- (Trad. ~ r a n . m , La nouvel le communication, pp. 91-221).

- HIGGINGS (P.) .- Outsiders i n a Hearing World. A sociology o f Deafness .- London, Rcademic Press, 1980, 192 p. .- {Soc io log ica l Observations, vol. 10).

- HOFFKISTER (R.J.) .- The Acqu is i t i on o f American Sign Language by Deaf Chi ldren of Deaf Parents. The Development o f Demonstrdtive Pronouns, Locat ives and Persona1 Pronouns .- Minneapolis, ph. D. Un. du Minnesota, 971.

- HOFFMEISTER (R.J.) .- An analys is o f Possessive Constructions i n the A.S.L. o f a Young Deaf C h i l d o f Deaf Parents, i n R.B. WILBUR (Ed. ) "Sign Language Research", numéro spécial de Communication and Congni t i o n (1978).

Page 108: La Surdite Dans La Vie

- HOLCOMB (R.K.) .- Hazards of Deafness .- Northridge, Cal. U.S.A., Joyce Media, Inc., 1977, 110 p.

- JACOBS (L.) .- A Deaf Adult Speaks out .- Gallaudet, Gallaudet College Press, 1974, 145 p.

- JOHNSON (R.E.) .- A Comparison of the Phonologica? Structures of the two Northwes t S m M i 11 Si gn Languages, Communi c a t i on and Cognition, Vol. I I , no 1, 1978, pp. 103-132.

- KATZ (E.) .- Les deux etages de l a communication, trad. fran. de The two- s t ep f l w o f communication, dans F. BALLE e t J.G. PADIOLEAU .- Sociologie de f ' information, pp. 285-304.

- KATZ (E.) , LAZARSFELD (P.) .- Persona1 influence : the p a r t Played by the People i n the Flow of Mass Comnunications .- Glencoe, the kree Press, 1960, 302 P.

- KENDON (A.) .- The s i gn Language of the women of Yuendumu : A preliminary repor t of the Structure of Warlpiri Sign Language .- Sign Languages Studies, 27, Ete 80, pp. 100-112.

- KLIMA ( E . ) , BELLUGI (U.) .- The Signs of Language i n chi ld and chimpanzee, i n ALLOWAY, KRAMER and PLINER (Eds) .- Comnunication and Affect, 1972, pp. 67-96.

- KOENIG (E.) .- Témoignage, Rééducation Orthophonique, vol. 15, no 97, 1977, pp. 456-469.

- LUCIE de JESUS (Soeur) .- Le problème de 1 "élimination des signes gestuels dans un in te rna t de jeunes sourds, These pour l e Diplôme de Professeur de Déficients Audit i fs , ronéo, Fougères, 1964, 98 p.

- Mc INTIRE (M. ) .- The Acquisition of American Sign Language Hand Configu- ra t ions .- Sign Language Stud. , vol. 16, 1977, pp. 247-266 .- Reproduit dans STOKOE ( td . ) , Si gn and Culture, pp. 186-205.

- MARKOWXCZ (H. ) .- Som Soci o l i nguist ic Considerations of American Si gn Language .- Sign Language Studies, 1, 1972, pp. 15-41 .- Reproduit i n STOKOE, Si gn and Culture.

- MARKOWICZ (H. ) .- Language and the Maintenance of Ethnic Boundaries i n the Deaf Comuni ty , w i t h Woodward, James. I n Comuni c a t i on and Cognition, Vol. I l , no 1, 1978, pp. 29-38.

Page 109: La Surdite Dans La Vie

- MARKOWICZ (H.) .- C u l t u r a l C o n f l i c t s BetkJeen Hearing and Deaf Comuni t ies. W i th Carol Padden .- I n the Proceedings o f the Y I I t h World Congress o f the neaf, Eds. Florence and Alan Crammatte, Ast. ed. (French) H. MARKOWICZ .- Washington, D.C. , National Associat ion o f the Deaf, 1976, pp. 407-412.

- MARKOWICZ (H. ) .- Po in t de vue l i n g u i s t i q u e s u r l a langue des signes .- Actes de l a Session FISAF s u r l a Communication .- Paris, FISAF, 1978, PP. 45-50,

- WRKOWICZ (H.) .- Bib l iog raph ie descr ip t i ve e t s é l e c t i v e : aspects l i n - guist iques, pédagogiques e t psycho-sociaux de l ' u t i l i s a t i o n de l a Langue des signes, Le Langage Mim-ges tue1 dans 1 [éducation des d é f i c i ents a u d i t i f s .- Paris, C.T.N.E.R.H.I., 1979, pp. 81-148.

- WRKOWICZ (H. ) .- Quelques remarques soc io- l inguis t iques s u r l a Comu- nauté des Sourds, Le Langage Mimo-ges tue1 dans 1 'éducation des déf ic ients audi t i f s .- Par is : C.T.N.E.R.H.I., 1979, pp. 37-43.

- MARKOWICZ (H. ) .- La 1 a n g e des signes : r é a l i t é e t f i c t i o n .- i n Langages, no 56, déce&re 1979, pp. 7-12.

- MARKOWlCZ (H. ) .- Pidg in Sign Languages , w i th Woddward James. i n W. STOKOE Ed.. Sign and Cul ture .- Si l ve r Spring. L instok Press, 1980, pp. 55-79.

- IUIARKOWICZ fH.), WRKOWICZ (A.) .- L'éducation sexuel le des handicapés audi ti f s . - Rapport au Consei 1 Supérieur de I ' in format ion sexuel le , 1980, 60 p.

- MARKOWICZ (H.) .- La communauté des sourds en t a n t que m i n o r i t é l i n g u i s - t i q u e .- supplément à Coup d ' o e i l , no 24, octobre-noveni>re 1980, 12 p.

- MAS (C.) .- L ' i n t e r p r é t a r i a t .- Stage Parents, E t é 1980, 2 langues pour une éducation .- no spécia l du B u l l e t i n de L ia ison F.N.A.P.E.D.I.D.A., a v r i l 1981, no 34, pp. 38-45.

- MEADOW (K.P. ) .- Soc io l ingu is t i cs , Sign Language, and the Deaf Sub- Culture, pp. 19-33 .- i n O'ROURKE (T.) (Ed. ) Psychol inguis t ics and To ta l Comunicat ion : the s t a t e o f the a r t , American Annuals o f the Deaf, 1972, 134 P.

- MEISSNER (M.), PHILPOTT (S.B. ) .- The Sign Language o f Saw m i l 1 Workers i n B r i t i s h Columbia, Sign Language Studies, 9, H i v e r 1975, pp. 291-347.

Page 110: La Surdite Dans La Vie

- MOODY (B. ) . - La comnunicati on internationale chez les sourds .- Rééducation Orthophonique, vol. 17, j u i n 1979, no 107, pp. 213-223.

- MOïTEZ (B.) .- A ropos d'une langue stigmatisée , l a langue des signes .- Ronéo, C.E.M.S.h6, 90 p.

- MOTTEZ (B. ) .- La langue des signes aux 1 'Ensei gneant des Dëfi cients aud i t i f s ,

Etats-Unis .- Revue Générale de 4/76, pp. 1-21.

- MOTTEZ (B.) l e handi cap 1/1977, pp.

.- A s'obstiner : l'exenpfe des 20-32.

contre sourds

les déf i ciences, on augmente souvent . - Soci 01 ogie e t Société, Montréal ,

- MOTTEZ (B. ) .- La diglossie dans l a langue des signes, paraphrase d'un a r t i c l e de W. STOKOE .- Rééducation Ortitophonique, vol. 16, 1978, no 100, pp. 11-123,

- MOTTEZ (B.) .- Les paradoxes de l a po l i t ique d ' intégrat ion : l e monde des sourds . - Santé, Médecine e t Sociologie , C.N.R. S. -1.N. S.E. R.M., 1978, pp. 285-292.

- MOTTEZ (B.) .- Les sourds c o r n minor i té l inguist ique .- Rééducation Orthophoniqw , j u i n 1979.

- MOTTEZ (B. ), FlARK0WfCZ (H.) .- Intégrat ion ou d r o i t à l a d i f'férence, l es conséquences d'un choix po l i t ique sur l a structurat ion e t l e mode d'exis- tence d'un groupe minori ta i re, les sourds .- Paris, Centre d'Etude des Mouvements Sociaux, 1979 .- (Rapport au C.O.R.D.E.S. ).

- MOTTEZ (B. 1, MARKOWICZ (H. ) . - The Social Language, i n Ch. BAKER, R. BATTISON (Ed.) Cornnuni ty, pp. 221-232.

Movemnt Surroundi ng French s i gn .- Sign Language and the üeaf

- MOTTEZ (B. ) .- Le mouvement des sourds : les mains pour l e d i re . - Autrement, no 29, f év r i e r 1981, pp. 136-143.

- OLERON (P.) .- Le langage gestuel des sourds : syntaxe e t cormiunication .- Paris, C.N.R.S., 1978, 152 p.

Page 111: La Surdite Dans La Vie

- OLERON (P.) .- Langage e t développement mental .- Bruxel les, Ch. Dessart, 1972.

- PIZZUTO (E. ) .- Il processo d i acquisizione, i n V. VOLTERRA (a cura d i ) 1 Segni come paro le : l a communicazione dei s o r d l .- Bor ingh ie r i , Turin, 1981, PP. 51-67.

- SACKS (H.), SCHEGLOFF (E.), JEFFERSON (G.) .- A s implest systematics f o r the organi za t ion o f tu rn - tak i ng f o r conversation, Language, 50, 1974, pp. 696-735.

- SCHEGLOFF (E.A. ) .- Sequenci ng i n Convewational Openings i n American Anthro o l o i s t , 70, no 6, 1968 .- Reproduit i n J.J. GUMPERZ e t D e V f - - T i x d d 7 he Ethnography o f communication, pp. 346-380.

- SCHEGLOFF (E.A. ) .- The fi rst f i v e seconds : the order o f conversational openings .- PhD., Dpt o f Sociology, Univ. o f Cal i forn ie , Berkeley.

- SCHLESINGER (H.S.) , MEADOW (K.P.) .- Sound and s ign .- Univ. o f C a l i f o r n i a Press, Berkeley, 1972, 265 p.

- Second In te rna t iona l symposium on i n t e r p r e t a t i o n o f Sign Languages. The Development o f i nterp re ta t ion as a profession, 1977, Danske Dves Landsforbund, Copenhague, 1979, 84 p.

- SIMONIN (J.) (sous l a d i r e c t i o n de) .- Le langage mimo-gestuel dans 1 'édu- c a t i o n des d é f i c i e n t s a u d i t i f s .- Paris : C.T.N.E.R.H.I., 1979, 148 p.

- STERN (D.N.) .- Mother and i n f a n t a t p lay : the i n t e r a c t i o n i n v o l v i n g f a c i a l , vocal and gaze behaviors i n the e f f e c t o f the i n f a n t on i t s caregiver .- Vol. 1, ~ o h p

- STOKOE (W.) .- Sign Language dig1ossia.-Studies i n L ingu is t i cs , 21, 1970, pp. 21-41.

- STOKOE (W.) (Ed) .- Sign and Cul ture : Reader f o r students o f American- Sign Language .- S i l v e r Spring Md,, L instok Press, 1980, 3/9 p.

- STOKOE (W. ) .- Sign Language Structure : An Out l i ne o f the Visual Commu- n i c a t i o n System o f the American Deaf .- Un ivers i t y of Buf fa lo , Occasional Paper 8, 1960, ( r e p r i n t e d 1976, S i l v e r Sping, M.O. L i nstok Press).

Page 112: La Surdite Dans La Vie

- VALLETTE (C.) .- Un couple mixte : témoignage .- Coup d 'oe i l , no 24, oct.-nov. 1980, pp. 3-7.

i t u t s Nationaux, ronéo,' 1980, 280 p.

- WINKIN (Y . ) .- La nouvel l e communication, textes de Bateson, Bi rd-whistel , Goffman, Hal 1, Jackson, Scheflen, S i gman, Watzlawick, présentés par Y. Winkin .- Paris : l e SeuS1, 1981, 373 p.

- WOODGIARD (J.) .- Quelques aspects sociol inguist iques des langues des signes américaines e t françaises .- i n Languages , 56, déc. 1979, pp. 78-91.

Page 113: La Surdite Dans La Vie
Page 114: La Surdite Dans La Vie