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La Société historique acadienne Les Cahiers Vol. 45, n o 2 juin 2014 Les articles dans Les Cahiers sont répertoriés dans Acadiensis, Canadian Historical Review et la Revue d’histoire de l’Amérique française. Courrier de la deuxième classe Enregistrement PAP n o 09600 Client n o 2133024 Mise en pages : Suzanne Léger Imprimé par Imprimerie Dupuis, Shédiac (N.-B.) ISSN 0049-1098 La Société historique acadienne bénéficie du support de la province du Nouveau- Brunswick grâce à une contribution financière attribuée par le ministère du Mieux-être, Culture et Sport permettant ainsi à notre organisme de mener à bien ses activités durant l’année. TABLE DES MATIÈRES Présentation (La rédaction) ..................................................................... 37 Missionnaires et prêtres à Nipisiguit / Bathurst, 1798-1835 ............................................................................. 40 Nicolas Landry Convenir à la modernité et à la tradition. La place de la femme professeure dans le milieu intellectuel acadien; l’exemple de l’Université Saint-Joseph (1944-1963) ................. 59 Mélanie Morin Rapport du président ............................................................................ 73 Nouvelles de la Société ....................................................................... 75

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La Société

historique

acadienne Les Cahiers Vol. 45, no 2 juin 2014

Les articles dans Les Cahiers sont répertoriés dans Acadiensis, Canadian Historical Review

et la Revue d’histoire de l’Amérique française.

Courrier de la deuxième classe – Enregistrement PAP no 09600 – Client no 2133024

Mise en pages : Suzanne Léger

Imprimé par Imprimerie Dupuis, Shédiac (N.-B.)

ISSN 0049-1098

La Société historique acadienne bénéficie du support de la province du Nouveau-

Brunswick grâce à une contribution financière attribuée par le ministère du Mieux-être,

Culture et Sport permettant ainsi à notre organisme de mener à bien ses activités durant

l’année.

TABLE DES MATIÈRES

Présentation (La rédaction) ..................................................................... 37

Missionnaires et prêtres à Nipisiguit /

Bathurst, 1798-1835 ............................................................................. 40

Nicolas Landry

Convenir à la modernité et à la tradition. La place de la

femme professeure dans le milieu intellectuel acadien;

l’exemple de l’Université Saint-Joseph (1944-1963) ................. 59

Mélanie Morin

Rapport du président ............................................................................ 73

Nouvelles de la Société ....................................................................... 75

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La Société historique acadienne

La Société historique acadienne fut fondée en 1960 dans le but de regrouper toutes les personnes qui s’intéressent `l’histoire acadienne. Son objectif principal est de se consacrer à la découverte, la collection et la publication de tout ce qui peut contribuer à mieux faire connaître et aimer l’histoire acadienne.

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LA SOCIÉTÉ HISTORIQUE ACADIENNE Case Postale 632

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Officiers de la SHA (2014-2015) Président Jean Ladouceur

Président sortant Raymond McLaughlin

Vice-président François LeBlanc

Secrétaire Donald-Léo LeBlanc

Secrétaire-adjoint Lewis LeBlanc

Trésorière Marie-Ève Godbout

Conseillers.ères • Christine Dupuis • Claudette Lavigne • Andréa Melanson

Représentant du Département d’histoire Jeremy Hayhoe

Fonds permanent Marie-Ève Godbout

Comité de rédaction • Jean Daigle • Gregory Kennedy

Vérificatrice Louise Belliveau, C.A.

Expédition des Cahiers Oscar Duguay

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Présentation

La rédaction

Pour le deuxième numéro des Cahiers de l’année 2014 le comité de rédaction est heureux de vous présenter deux études qui touchent l’histoire du Nouveau-Brunswick.

Tout d’abord un collaborateur assidu, Nicolas Landry professeur d’histoire au centre universitaire de Shippagan de l’Université de Moncton, nous présente une étude sur la vie des missionnaires du diocèse de Bathurst

durant le premiers tiers du 19e siècle. La rareté du personnel religieux rend

la tâche des missionnaires ardue; leur correspondance avec l’évêque de Québec illustre les nombreux problèmes auxquels ils doivent faire face :

longs déplacements pour visiter les différents établissements, manque de

ressources financières, climat d’hostilité avec les autorités civiles et non-

catholiques, etc.

Le deuxième texte s’insère avec les célébrations du 150e anniversaire

de la création du collège Saint-Joseph à Memramcook. Le travail de

recherche de l’étudiante Mélanie Morin sur le personnel enseignant féminin de 1944 à 1963 éclaire un pan de l’histoire du collège jusqu’ici peu connu. En effet, durent la période étudiée 20 femmes, religieuses et laïques

prodiguent l’enseignement dans les domaines de la musique, des arts ménagers et de l’éducation. Leur présence dans le milieu collégial signifie

que l’institution entre dans l’ère de la modernité en ouvrant la salle de classe à la gent féminine.

Nous reproduisons en troisième lieu le rapport du président

Raymond McLaughlin qui termine son troisième mandat au sein de votre

Société.

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Missionnaires et prêtres à

Nipisiguit / Bathurst, 1798-18351

Nicolas Landry

ntre 1781 et 1830, c’est une période de grands changements pour les catholiques des provinces Maritimes. Les leaders des communautés catholiques éprouvent beaucoup de

difficulté à obtenir suffisamment de prêtres, il est difficile de régulariser la relation entre le clergé et les laïcs, ou encore d’instaurer la discipline chez une population parfois peu disposée. Tout ça, ajouté aux efforts pour maintenir la bonne entente avec les non-catholiques et les autorités civiles. Néanmoins, les catholiques obtiennent davantage d’autonomie dans les affaires religieuses et l’Église émerge comme une des institutions sociale majeures de la région. Il faut aussi ajouter que la fin du 18e siècle et le début du 19e représente une période de formation pour toutes les principales dénominations des Maritimes2.

En 1768, Mgr Briand, évêque de Québec, nomma François Bailly de Messein, vicaire-général de toute l’ancienne Acadie, avec résidence à Halifax. Il sera suivi en 1770 du Père Jean-Baptiste de la Brosse, qui visita les missions acadiennes jusqu’à Néguac. Ensuite, l’abbé Mathurin Bourg, premier prêtre d’origine acadienne, desservira tout ce territoire à partir de Tracadièche (Carleton) en Gaspésie3. En 1821, en dépit de la nomination de l’abbé Angus-Bernard MacEachern à titre d’évêque auxiliaire et suffragant de Québec pour les Maritimes, l’évêque de Québec continue d’envoyer des missionnaires dans les régions catholiques des Maritimes

1 Cette recherche s’inscrit dans la continuité des travaux ayant mené à la publication de

mon livre La Cadie frontière du Canada. Micmacs et Euro-canadiens au Nord-Est du

Nouveau-Brunswick, 1620-1850, Sillery, Septentrion, 2013. Voir surtout le chapitre 8, pages 285 à 293.

2 Terrence Murphy, « The Emergence of Maritime Catholicism, 1781-1830 », Acadiensis, vol. XIII, no 2, Spring 1984, p. 29.

3 J.-Médard Léger, « L’abbé Bourg, pacificateur des Indiens », Cahiers de la Société historique acadienne (à l’avenir CSHA), 16e cahier, vol. II, no 6, juillet-septembre 1967, p. 243-245.

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Missionnaires et prêtres à Nipisiguit / Bathurst, 1798-1835 41

jusqu’au milieu du 19e siècle4.

Le tableau suivant dresse une liste tentative des missionnaires et prêtres ayant œuvré dans la grand Bathurst entre 1798 et 1877, bien que ce texte s’intéresse surtout à parcours des missionnaires catholiques dans la région jusqu’au milieu des années 18305. D’autres informations éparses existent sur les premiers prêtres de la région. Par exemple, Joseph Pelletier dessert aussi en réalité Petit-Rocher, Belledune et Jacquet River. Michel Meloy, pour sa part, s’installe à Bathurst en 1857 mais, comme ses prédécesseurs, dessert toute la côte de la baie des Chaleurs6.

Tableau 1

Missionnaires et prêtres à Bathurst, 1798-1877

L.J. Desjardins (1798) Delavairo (1798)

P.R. Joyer (1798-1806) U. Orfroy (1806-10)

F.M. Huot (1811-1813) Philippe-Auguste Parent (1813-17)

Thomas Cook (1817-22) F. X. LeDuc (1822-28)

Joseph-Théophile Fortier (1828) J.N. Naud (1828-32)

William James McHarron (1831-35) Jean M. Maddran (1835-36, 38-43)

Hector Drolet (1837-38) Michael Egan (1839-40)

Robert Kerrigan (1840-41) François-Xavier La France (1842)

N. Alward (1842-43) A. Barron (1843-47)

Michael Power (1847-54) Joseph Pelletier (1854-57)

Michael Meloy (1857-63) Rogers (1863-64)

William Morrissey (1866-68) John Carter (1868-77)

William Varrity (1877) Amable Brais (1826-27)

4 Corinne LaPlante, « Le diocèse de Bathurst fête ses cent-vingt-cinq ans », RHSHND,

vol. XIV, no 1, janvier-mars 1986, p. 4. 5 Université de Moncton, CÉAAC, dossier 1-52-4, Missionnaires, noms et dates,

Nipisiguit. Voir aussi CÉAAC, dossier 1.32-14, Bathurst, Placide Gaudet, « Les débuts ».

6 Université de Moncton, CÉAAC, dossier 1.32-17, Bathurst, missionnaires et curés de la paroisse Sainte-Famille.

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De 1798 à 1838, une dizaine de missions sont ouvertes sur le territoire ayant comme sommet l’île Miscou et à la base, la ligne tracée entre Nipisiguit (Bathurst) et la Baie des Winds (Baie Sainte-Anne). Les distances séparant ces postes les uns des autres peuvent varier entre 240 et 280 kilomètres. On les désigne de différentes manières dont Miscou, Caraquet ou encore missions du sud de la baie des Chaleurs. Les missionnaires y œuvrant sont Français ou Canadiens, et sous l’autorité de l’Évêché de Québec. La période à l’étude ici se situe entre le Traité de Paris de 1763 et l’implantation définitive des institutions ecclésiastiques vers 1830. La période 1798-1838 est en quelque sorte une ère de reconstruction des structures de la pratique religieuses, qui ne va pas sans d’importants épisodes de tensions entre missionnaires et fidèles, autant Acadiens, Irlandais que Mi’gmak7. Il apparait alors un « décalage entre le modèle officiel diffusé par le prêtre et la religion exercée par les fidèles. Le curé sera le diffuseur de nombreux interdits et règlements qui rencontrent la résistance passive et souvent ouvertement hostile des paroissiens »8. En général, le missionnaire visite Nipisiguit deux fois par année soit avant la fonte des glaces ou aussitôt la navigation libre, et à l’automne à la fin septembre. Il demeure à Nipisiguit un mois au printemps et un mois à l’automne. Par exemple, en décembre 1799, Joyer passe huit jours à Nipisiguit9.

Un manque d’effectifs!

La première correspondance officielle mentionnant spécifiquement Nipisiguit date de 180010, alors que Jacques De la Vaivre avise l’Évêque

7 Laurence Ardouin, « Contrôle des âmes, contrôle des corps : les missions à Caraquet

au début du 19e siècle », Revue de l’Université de Moncton, vol. 20, no 1, p. 73. Sur la question des défis que rencontrent les missionnaires au nord-est de la province, voir aussi Léon Thériault, « Les missionnaires et leurs paroissiens dans le nord-est du Nouveau-Brunswick 1766-1830 », Revue de l’Université de Moncton, vol. 9, nos 1, 2 et 3, octobre 1976, p. 31-52.

8 Laurence Ardouin, « Contrôle des âmes, contrôle du corps… », op.cit., p. 71-73. 9 Donat Robichaud, « Notes sur les missions du sud de la baie des Chaleurs »,

RHSHND, Vol. XIV, no 1, janvier-mars 1986, p. 73. 10 Notons toutefois qu’en 1801, le marchand de Nipisiguit, James Sutherland, se plaint

au gouverneur Carleton contre les missionnaires : « The priests here interfere in matters which does not concern them. Constables who are Roman catholics whould not do anything to disoblidge their Priests. The property of an English Protestant is not safe ». Cédric Haines, « L’Établissement acadien au Nord-est » (2e partie), RHSHND, vol. IX, no 2, mai-août 1981, p. 26-27.

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Missionnaires et prêtres à Nipisiguit / Bathurst, 1798-1835 43

Joseph-Octave Plessis qu’il consent à visiter les malades de Nipisiguit durant l’hiver. Au passage, il mentionne que le Père Joyer assure sa subsistance en grande partie grâce aux revenus des dîmes de Nipisiguit et de Richibouctou. Il est probable que ces dîmes soient constituées en bonne partie de produits comestibles, puisque Joyer en aurait généreusement distribué aux Acadiens de Caraquet et aux « sauvages » de Miramichi pour éviter qu’ils ne meurent de faim et de misère durant l’hiver 1799-180011. À Nipisiguit, le missionnaire cédait ses patates aux habitants de l’endroit au prix de « 4 shillings le quart », payable en sucre ou en marchandises à « prendre au magasin » ou en entier à un navigateur pour 19 £. Quelques fois, les patates de Nipisiguit étaient vendues à Caraquet pour « soulager » les habitants12. En 1806, la dîme de Nipisiguit rapporte 150 quarts de patates et 40 minots de « tout grain ». Mais les familles amérindiennes ne donnent rien13. En plus de la dîme, une autre problématique est celle de la vente des bancs d’église. Dès 1801, Joyer écrit à l’évêque que les habitants de Nipisiguit ayant bâti une nouvelle église, il y a eu « adjudication (vente) des bancs ». Une douzaine d’habitants, voyant que les prix montaient trop à leur gout, se concertèrent pour prendre les bancs à l’arrière, afin de freiner l’augmentation des prix14. L’abbé Thomas Cook, lui, introduira le système des « bancs à totaux », qui touchait la question des contributions destinées à la construction des églises paroissiales. Il s’agissait de fournir du travail et du matériel pour l’équivalent de 16 £, afin d’être éligible à l’obtention d’un banc. Les bancs seraient ensuite vendus à l’enchère. Chaque paroissien aurait droit d’acheter un banc selon « l’évaluation du travail ou du matériel qu’il aurait fournis à l’église ». L’acheteur deviendrait ainsi propriétaire d’un banc grâce à son « total »15.

Un événement malheureux survenu en 181516 illustre les

11 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10g-1-6, Nepisiguit, De la Vaivre, Jacques,

prêtre, à Mgr J.-O. Plessis, Évêque de Québec, 19 juillet 1800. 12 Éloi DeGrâce, « Les missionnaires et la dîme chez les Acadiens du Nouveau-

Brunswick, 1790-1830 », CSHA, 39e cahier, vol. IV, no 9, avril-juin 1973, p. 358. 13 Donat Robichaud, « Missions du sud de la baie des Chaleurs... », op.cit., p. 74. 14 Lettre de Joyer à Plessis, 21 avril 1801, AAQ-N-B, VI. 15 Edgar Godin, « Monseigneur Thomas Cook. Missionnaire de la Baie des Chaleurs

(1817-1823) », CSHA, 3e cahier, 1963, p. 22-23. 16 En 1814, l’évêque anglican Charles Inglis de la Nouvelle-Écosse, critique sévèrement

la Baie des Chaleurs en disant qu’il ne s’y trouve ni clergé, ni maitre d’école. Sauf « a very ignorant and bigotted Priest who will perform no offices whatever for Protestants, nor baptise a child, unless sponsors engage in a most particular and solemn manner for

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conséquences découlant du manque de missionnaires sur le territoire. À cette occasion, deux enfants seraient morts à Nipisiguit, sans baptême. Mais le missionnaire Joseph-Auguste Parent apporte certaines nuances à ces rapports alarmants. Il explique que la majorité des paroissiens ont beaucoup de difficulté à attendre le passage du missionnaire pour faire baptiser leurs enfants. Pour accentuer la pression, certains paroissiens prétendraient que leurs enfants sont malades et doivent être ondoyés d’urgence au cas où la mort les surprendrait. Mais Parent recommande aux hommes de la mission qu’il nomme pour le représenter d’être « fidèles à votre (évêque) défense et de n’ondoyer que les enfants réellement malades »17.

En fait, la question d’ondoyer avec ou sans raison valable n’est pas la seule problématique à gérer pour les missionnaires. Les propos du Père LeDuc en fournissent un bon échantillon. Il demande l’avis de l’évêque sur une série de questions dont les réponses lui permettraient peut-être de mieux orchestrer ses actions. Par exemple, doit-il continuer la coutume établie par ses prédécesseurs d’imposer des pénitences publiques pour des fautes tantôt scandaleuses, tantôt de nature secondaire? Doit-il accepter que les Acadiens tendent leurs filets à maquereau le dimanche soir pour en récolter les fruits le lundi, peuvent-ils visiter leurs rets à saumon le dimanche matin, est-il permis de pêcher l’éperlan pour en engraisser la terre? Également, les jeunes gens peuvent-ils cueillir des petits fruits le dimanche ou encore se promener librement ce jour-là et les jours de fête après les offices? Bref, doivent-ils, devant le silence de l’évêque, « demeurer dans cette prétendue bonne foi »? LeDuc explique aussi le parcours tortueux effectué par l’argent de la Fabrique de Nipisiguit, pour se rendre jusqu’au Chapelain de l’Hôtel-Dieu de Québec. Il faut d’abord que l’argent soit acheminé à Bonaventure et de là, par navire jusqu’à Québec. Cette tâche incombe à deux hommes dont l’un choisi par LeDuc et l’autre par un marguillier18.

his education in the faith of the Church of Rome ». Cédric Haines, « L’établissement acadien au Nord-Est » (2e partie), op.cit., p. 27.

17 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10C-1-3, Nipisiguit, Philippe-Auguste Parent à J.-O. Plessis, Québec, 8 mai 1815.

18 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, Nipisiguit, Ed. LeDuc à l’Évêque de Québec, 28 août 1824. Il est important d’éclairer le lecteur sur le rôle des marguilliers. Habituellement, un des marguilliers était responsable du « coffre » contenant l’argent de la fabrique. Il devait tenir compte des dépenses et des revenus et dresser l’état des comptes à la fin de son administration. La réunion annuelle avait lieu le dimanche après-midi. Une fois assemblés, les marguilliers « invoquaient le Saint-

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Toutes ces responsabilités pèsent lourd sur les épaules des quelques missionnaires en poste au Nouveau-Brunswick. Il ne faut donc pas se surprendre si, entre 1822 et 1835, un certain nombre de lettres implorent l’Évêché d’augmenter le nombre de missionnaires dans la région. Par exemple, en 1822, les habitants de Nipisiguit et Petit-Rocher adressent une requête à l’évêque de Québec en ce sens. Ils utilisent même le terme de « missionnaire résident » dont le territoire ne dépasserait pas Pockshaw au sud. Les paroissiens déplorent que plusieurs des leurs soient morts « privés des derniers sacrements ». Ils estiment à plus de 50 le nombre de familles n’ayant pas accès à un prêtre. Parmi les signataires de cette lettre, mentionnons Charles Doucet, Antoine DeGrâce, Louis Melanson, Michel Haché, Joseph et Cyprien Boudreau19. Pour obtenir un prêtre bien à eux20, les habitants de Nipisiguit offrent un supplément de 64 £ durant quatre ans. Cette somme, ajoutée à la dîme et à d’autres revenus, donne un total de 120 £ par année. L’abbé Cook est d’avis que les

Esprit et on procédait à l’élection des nouveaux », soit au moins deux. Les revenus de la paroisse se composaient de la quête, du casuel et de la vente des bancs. Les dépenses pouvaient impliquer des salaires versés à des ouvriers pour des travaux, à une couturière ou encore à l’achat « d’articles nécessaires au culte ». Éloi DeGrâce, « Les registres paroissiaux », CSHA, 23e cahier, vol. III, no 3, avril-juin 1969, p. 119-120. À Nipisiguit en 1817, se trouve un presbytère et une « salle des habitants ». Cette dernière servait aux paroissiens à titre de lieu de rassemblement avant et après les activités religieuses. Le Conseil des marguilliers tenait déjà des réunions régulières depuis quelques années. Edgar Godin, « Monseigneur Thomas Cook… », op.cit., p. 21.

19 Antoine DeGrâce et Charles Doucet ne bénéficient pas de la même réputation. En 1797, on accuse le premier de fournir du rhum aux Mi’gmak. Le missionnaire l’aurait sermonné trop sévèrement et DeGrâce aurait boudé l’église durant un an, et serait même demeuré trois ans sans recevoir aucun sacrement. DeGrâce est surpris à nouveau à vendre du rhum aux Mi’gmak en 1804. À cette occasion, au moment du prône le jour de la Pentecôte, Joyer l’envoi cherché à son domicile par deux marguilliers. Dans ce cas, le missionnaire parle de « réconciliation temporaire » entre lui et le fautif. Lettre de Joyer à Plessis, 11 septembre 1804, AAQ-NB, VI-29. C’est tout le contraire pour Charles Doucet; voisin de l’église, chargé des clés du presbytère et de la cave (entrepôt des produits de la dîme, tels les légumes), « homme vraiment chrétien et qui mérite la confiance du missionnaire ». Notes sur les missions de la baie des Chaleurs, AAQ-NB, VI-9. Dans Donat Robichaud, « Missions du Sud de la baie des Chaleurs », op.cit., p. 30-86.

20 En juin 1827, l’Évêque Panet de Québec, écrit au missionnaire Jean-Baptiste Potvin d’Arichat (Nouvelle-Écosse) que selon lui, « il vaut mieux former des prêtres et de bons missionnaires que de bâtir des églises ». Serge Gagnon, Mariage et famille au

temps de Papineau, Québec, Presses de l’Université Laval, 1993, p. 79.

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habitants ne peuvent pas faire mieux et que peu de missionnaires peuvent se vanter d’obtenir plus21.

Le missionnaire Thomas Cook encourage encore plus l’Évêque Plessis à répondre favorablement à la requête ci-haut, en brandissant le spectre de la présence protestante. Elle serait le fruit d’une migration écossaise croissante, qui contemple la possibilité d’ériger une église et de faire venir un ministre résident à Nipisiguit. Cook ne mâche pas ses mots en les qualifiant de « poignée d’hérétiques, juges de paix, marchands, collecteurs et fermiers ». Leur influence leur a permis d’obtenir 100 £ du gouvernement provincial pour la construction d’un temple. Le terrain leur sera fourni par le juge Hugh Munro, et il se situe à trois arpents de l’église catholique. Cook attribue le succès de ce projet à l’absence d’un prêtre catholique résident pour la région de Nipisiguit à Petit-Rocher22.

La démarche semble porter fruit puisque dès janvier 1823, Cook avise l’Évêque de l’arrivée du nouveau missionnaire Ed. LeDuc. Cook parle de « joie et de surprise des habitants de Nipisiguit » qui « surpassent tout ce qu’on peut imaginer ». Par la même occasion, il ne manque pas de signaler les progrès des protestants dans la région. En effet, l’église protestante de Nipisiguit avance et on prévoit l’arrivée prochaine du ministre Révérend Pigeon. Cook se console à l’idée que ce dernier ne paraisse aussi « zélé » que les trois ministres protestants de Miramichi. Il les trouve « d’une effronterie extrême » puisqu’ils importunent les catholiques malades, accompagnent les morts jusque dans l’église catholique et assistent même à l’office des morts23.

Quelques années plus tard, en 1830, le constat de la croissance démographique catholique incite le missionnaire Naud à solliciter un autre prêtre. Il explique qu’aux « deux postes » de Nipisiguit et Petit-Rocher, il faut maintenant y ajouter ceux de la Dune (Belledune) et de la Rivière Jacquet. À ce dernier endroit, il y aurait pas moins de 56 à 60 familles catholiques irlandaises. Les Irlandais arrivent au rythme de 10 à 12 familles par année, s’établir sur ces terres « auparavant non 21 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10C-1-2, Thomas Cook à l’Évêque de

Québec, 14 février 1822. 22 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, Requête des habitants de

Nipisiguit à Petit-Rocher, à sa Grandeur, Mgr l’Évêque de Québec, J.-O. Plessis, 15 avril 1822.

23 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10C-1-2, Thomas Cook à l’Évêque de Québec, 21 janvier 1823.

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Missionnaires et prêtres à Nipisiguit / Bathurst, 1798-1835 47

concédées ». Le missionnaire s’attend à voir tripler la population irlandaise à tous les ans24. Quelques années plus tard, en 1835, les Acadiens de Nipisiguit (Pierre Haché, Grégoire Arseneau et Romain Doucet) s’adressent à l’évêque dans l’espoir d’obtenir un prêtre pour remplacer le leur, qui est allé résider à Caraquet! En réalité, la lettre parle de prêtres résidents et non d’un seul missionnaire. Ces Acadiens sont des marguilliers représentant les paroissiens de Nepisiguit, de Petit-Rocher, de Belledune, de Rivière Jacquet, etc. Ils semblent bien informés puisqu’ils relatent en quelque sorte l’histoire de la présence missionnaire dans la région depuis les années 1820. Les signataires ont même recours à la corde sensible de la déportation de 1755 :

Il semble que nous soyons destinés à partager une infortune. Nos pères, il y a près d’un siècle, abandonnèrent leur pays, leurs biens et leurs fortunes pour conserver et léguer ensuite à leurs enfants, celui de tous les héritages qu’ils regardent comme le plus précieux, la foi catholique; et voilà que nous sommes menacés de perdre cette même foi qu’il a tant coûté à nos pères de nous transmettre, et que vos illustres prédécesseurs ont pris tant de soin d’affirmer et de faire fructifier25.

Encadrer les mariages

L’historienne Laurence Ardouin s’est intéressée à l’approche préconisée par les missionnaires, pour exercer un certain contrôle sur les paramètres du mariage dans les missions. Retenons en premier lieu les interdits à respecter pour espérer accéder au mariage sans difficultés. Le premier concerne la séduction et encore pire, la fornication. Ainsi, les fréquentations entre jeunes gens sont l’objet de règlements et ils sont surveillés au niveau de leurs relations. D’abord et avant tout, chaque fidèle doit arriver vierge à son mariage. Il se produit néanmoins des cas de « séduction », voire de « débauche » qui ébranle le cheminement 24 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, Nipisiguit, Naud à l’Évêque de

Québec, 15 septembre 1830. En réalité, Cook signale l’augmentation substantielle du nombre d’Irlandais dès 1817 et en 1826, ces derniers, au nombre de 104 à Bathurst, demandent un prêtre catholique parlant leur langue. Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10c-1-2, Thomas Cook à l’Évêque de Québec, 20 décembre 1817 et dossier A10f.1-1, François-Xavier LeDuc à l’Évêque, 11 août 1826.

25 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f.1-1, Lettre des marguilliers de Nipisiguit et autres lieux à Monseigneur, Évêque de Québec, 1835, n.d.

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acceptable du fidèle. C’est ce qui explique que les demandes de dispenses peuvent parfois faire allusion à un état d’urgence « ou à un objet de scandale » pour confirmer que les jeunes gens n’ont pas daigné patienter jusqu’au mariage pour consommer leur union, provoquant une grossesse illégitime26.

Les missionnaires ne manquent pas non plus d’occasions de dénoncer toute forme de concubinage. Par exemple, deux personnes libres de tout lien habitent ensemble comme mari et femme. Cependant, chez ceux-là, certains optent pour ce scénario suite au refus d’un prêtre de les marier. Ce refus pouvait découler de « l’impossibilité d’obtenir une dispense de consanguinité ou de parenté; cousins germains ». Mais ce genre de situation est très fréquent durant la période à l’étude puisque « les Acadiens ont un réseau de parenté très large et trouver un partenaire sans aucun lien de parenté peut s’avérer difficile »27.

Quelques cas colligés à partir de la correspondance missionnaire, permettent de confirmer que ces genres de situations prévalent également dans la région Chaleur. Le premier cas est celui du veuf Michel Daigle de Nipisiguit, qui désire épouser la veuve Marguerite Boudreau, (45 ans) « son allié du second degré » et veuve depuis janvier 181728. L’abbé Cook est en faveur de leur accorder une dispense. Daigle est alors âgé de 40 ans, a déjà été marié deux fois, et a donc déjà des liens de parenté avec « tous les gens du pays ». Il est virtuellement impossible pour lui de trouver une femme qui ne lui soit « pas apparentée ou alliée ». Il n’est pas intéressé à épouser une jeune fille puisqu’il a déjà « autant de famille qu’il peut en soutenir ». D’ailleurs, tout le monde lui conseille d’épouser cette veuve pour assurer la « bonne éducation de sa famille » et qu’aucune autre femme ne lui conviendrait mieux. La veuve, de son côté, « gagne sa vie à la journée de côté et d’autre » et habite chez l’un de ses fils (avec trois de ses filles) qui est marié, et plutôt pauvre. Elle est d’avis qu’un mariage

26 Laurence Ardouin, « Contrôle des âmes, contrôle des corps… », op.cit., p. 88-89. 27 Laurence Ardouin, « Contrôle des âmes, contrôle des corps… », op.cit., p. 90. 28 Michel Daigle était cultivateur. Il épouse Tharsilde Doucet en première noces alors

qu’il a environ 21 ans, au début de 1797. Ils eurent au moins trois enfants, tous des fils. Tharsilde décède le 23 juin 1808 à l’âge de 36 ans. En secondes noces, Michel épouse Mathilde Landry le 21 novembre 1809 qui lui donne trois enfants, dont deux fils. Cette deuxième épouse décède à l’âge de 25 ans en 1817. Éloi DeGrâce, « Le troisième mariage de Michel Daigle », CSHA, 42e cahier, Vol. V, no 2, janvier-mars 1974, p. 68-69.

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avec le veuf Daigle serait à son avantage. Marguerite Boudreau se trouve à être la cousine germaine de la défunte deuxième femme de Daigle, et son alliée du 2e degré. Au Nouveau-Brunswick, le coût d’une dispense était la moitié de celui du Canada29. Ouvrons une parenthèse pour dire qu’en Acadie, le critère « petitesse du lieu » s’applique apparemment plus souvent que dans la vallée du Saint-Laurent. Par exemple, en 1800, le missionnaire de l’Île-du-Prince-Édouard plaide en faveur de petites communautés où « l’endogamie familiale est très élevée ». Non seulement la population acadienne est-elle dispersée, mais elle est de plus « surexposée aux mariages interconfessionnels »30.

Mais voilà qu’une fois le mariage de Daigle contracté, sa nouvelle épouse se retrouve « en famille du fait d’un autre » deux mois après le mariage. Cook est d’avis que jamais chose semblable ne s’était produite à sa connaissance. Il réussit à arranger les choses en remariant Daigle à Esther et en obligeant le père biologique de l’enfant, qui n’était pas marié, d’élever l’enfant. Esther Pitre était la fille de Marguerite Boudreau que Michel voulait épouser auparavant! L’évêque accorda la dispense du 2e au 3e degré et celle de trois bans « afin que le mariage, s’il a lieu, se fasse sans bruit, sans concours, sans messe et seulement devant deux témoins »31. Par la même occasion, Cook énumère les types de dispenses obtenues par Daigle; dispense de parenté32, d’affinité spirituelle, d’honnêteté publique et de deux bans33.

Toujours en 1822, un autre veuf, Pierre Doucet, désire se remarier avec Marie Pitre, âgée de 23 ans. La famille de Doucet compte dix enfants 29 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10C-1-2, Thomas Cook à Mgr Joseph-

Octave Plessis, Évêque de Québec, 14 février 1822. 30 Serge Gagnon, Mariage et famille.., op.cit., p. 23. 31 On associe cette expression à la publication ou annonce d’un mariage. La publication

des bans doit se faire dix jours avant la célébration. 32 Le processus de la dispense consiste en une autorisation spéciale, donnée par l’autorité

ecclésiastique. Entre autres, dans le cas de mariages impliquant une proximité relative dans la parenté. Par exemple, le fils et le père sont parents au premier degré, le petit fils et le grand-père, au second degré.

33 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10C-1-2, Thomas Cook à l’Évêque de Québec, 5 août 1822. Laurence Ardouin explique que « ceux qui ont violé les tabous sexuels définis par l’Église et par la société doivent subir une séparation et n’ont plus accès aux sacrements, ni même aux secours de la confession ». Ardouin, « Contrôle des âmes, contrôle des corps… », op.cit., p. 83. Sur le cas de Pierre Doucet, voir Éloi DeGrâce, « Le troisième mariage de Michel Daigle », CSHA, 42e cahier, vol. V, no 2, janvier-mars 1974, p. 68-69.

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mais lui et Pitre sont « parents du deux au trois ». Il espère que l’Évêque Plessis lui accordera une dispense, comme il l’a fait avec trois autres paroissiens depuis deux ans. Encore-là, Cook plaide la cause des demandeurs en parlant de la fille; « une fille de 23 ans passe pour vieille dans ces lieux-ci, ajoutez à cela qu’elle est une orpheline, obligée d’aller en service ». Elle est la quatrième femme que Doucet demande en mariage puisqu’ayant essuyé trois échecs jusqu’à présent. Le missionnaire le trouve passablement riche et en mesure de faire vivre une femme34.

D’autres cas surviennent durant les années 1830, dont celui du veuf Antoine DeGrâce, qui désire épouser la veuve Marie Boudreau. Ils sont toutefois cousins germains. DeGrâce recherche une femme « de son rang et de son âge », pour prendre soin de sa nombreuse famille. Boudreau, de son côté, doit travailler pour vivre et ce mariage lui permettrait de vivre plus aisément. DeGrâce prétend n’être pas en mesure de payer le coût de la dispense mais pourtant, il semble prêt à se rendre à Québec plaider sa cause en cas de refus de l’Évêque35. Le quatrième cas à l’étude est matière à scandale lorsqu’il survient en 1822. Il implique une veuve de 25 ans, Marie (?) Pitre. Cook qualifie de pratiquement désespéré, l’espoir de cette femme de se trouver un mari puisqu’elle a « débauché » David Vienneau, 19 ans, et parent de Pitre du 2e au 3e degré. Étant donné que leur « crime » était de notoriété publique, Cook leur a refusé le mariage et leur a plutôt infligé une pénitence « dont ils se souciaient peu ». Ils doivent en principe demeurer hors de l’église et « séparé physiquement par la Rivière Nipisiguit ». Il en sera ainsi jusqu’à ce que l’Évêque leur accorde ou non une dispense, ou pour six mois36.

Quelques années plus tard, en 1832, le missionnaire Naud se questionne à savoir quelle pénitence imposer à deux catholiques qui vont se marier devant un ministre protestant. Doit-on les remarier en secret si le public ignore qu’ils l’ont déjà été, mais pas par l’Église catholique? Également, est-il permis à un catholique de vendre ses surplus de « lard » à

34 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10c-1-2, Thomas Cook à Mgr Joseph-

Octave Plessis, Évêque de Québec, 14 février 1822. 35 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, Lettre de J.-M. Naud à l’Évêque

de Québec, 17 novembre 1835. 36 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10c-1-2, Thomas Cook à l’Évêque de

Québec, 14 février 1822. Dès l’année suivante, en 1823, deux femmes de la Rivière Jacquet partent avec deux jeunes garçons. Université de Moncton, CÉAAC, dossier 10f-1-1, Joseph Ed. LeDuc à l’Évêque, 14 juillet 1823.

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des protestants les jours maigres en sachant qu’ils ont l’intention d’en consommer ces jours-là37? Le missionnaire Fortier exprime sensiblement les mêmes préoccupations en 1829, alors qu’en l’absence d’un prêtre catholique, ses paroissiens se marient au civil devant les magistrats nommés à cette fin par le gouvernement. Également, comment agir à l’égard d’un ou d’une catholique épousant un protestant ou une protestante? Par la même occasion, il mentionne le cas d’une catholique « qui passe pour mariée » à un protestant. Ce dernier aurait laissé sa véritable épouse en Irlande, plusieurs années auparavant. Lui aussi se questionne sur le maintien des pénitences publiques, coutume existant déjà à son arrivée38.

Assurer le sacrement de communion

D’autres préoccupations tracassent les missionnaires, dont celui de permettre la première communion aux paroissiens éligibles. En 1829, Théophile Fortier estime que chez dix ou douze familles de Mi’gmak, plusieurs enfants dépassent l’âge de faire leur première communion39. À Nipisiguit, la même année, 66 familles comptent plusieurs enfants âgés n’ayant pas encore fait leur première communion. Il s’attend devoir en préparer au moins 150 à recevoir ce sacrement. En 1835, le Père Maddran souhaite que 150 enfants, « tous bons à marier » puissent faire leur première communion. Il déplore cependant que les paroissiens tardent à mettre en pratique les préceptes religieux qu’il leur inculque40.

Revenus des missionnaires

La question d’un revenu suffisant pour faire vivre convenablement un missionnaire est toujours d’actualité en 1829. Louis-Théophile Fortier se dit persuadé de l’impossibilité de vivre en mission sans s’endetter. Rendu au 10 août, il n’avait toujours pas reçu « un sol de dîme » et dans Nipisiguit et Petit-Rocher, les paroissiens lui devaient au-delà de

37 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, Naud à l’Évêque de Québec,

27 juin 1832. 38 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, Louis-Théophile. Fortier à

Mgr Panet, 20 février 1829. 39 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, Louis-Théophile Fortier à

Mgr Panet, Évêque de Québec, 20 février 1829. 40 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, Lettre du Père Maddran à

l’Évêque de Québec, 17 novembre 1835.

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40 louis41. Il s’attend d’en recevoir à peine la moitié. Il comprend mal que les missionnaires ayant fait construire des églises, n’ont pas aussi exigé un lopin de terre à leur usage. D’autant plus que le gouvernement du Nouveau-Brunswick avait fait des réserves de terres pour les églises et les écoles. En conséquence, le missionnaire se plaint de manquer de terre pour faire paître ses animaux et doit louer un petit lopin « à grand prix ». Une autre dépense considérable est le foin qui se vend d’ordinaire à 20 piastres42 la tonne, et parfois plus. Durant l’hiver 1828-1829, Fortier dépensa 20 louis en achat de foin. Le foin est cher en raison des grands besoins de l’industrie forestière. De plus, parce que le prix du foin est à la hausse, les habitants laissent davantage de parcelles en foin et récoltent moins de blé. Invariablement, les revenus de la dîme de grain diminuent43!

Une autre question relative au bien-être des missionnaires est celle de la pauvreté des lieux de culte. Au printemps 1830, Naud dira que la sacristie de l’église de Nipisiguit n’est qu’un « méchant trou » encore plus froid que l’église. La sacristie n’a pas de poêle et les habitants refusent d’investir, en invoquant que l’édifice est trop vieux pour que l’on reconstruise la sacristie. Le missionnaire demande la permission à son évêque de célébrer la messe au presbytère, où il y a une pièce « spacieuse et décente ». La sacristie est si froide, que le vin de messe gèle et prend ensuite du temps à se liquéfier44. En 1835, l’abbé Maddran affirme qu’il « a trouvé toutes choses dans le plus triste état tant pour les consciences que pour les choses qui servent le ministère ». Tout était tellement sale, qu’il se sentait incapable de célébrer la messe sans quelques « bondissement du cœur ». Il semble cependant décidé de faire construire une nouvelle chapelle pour la paroisse Sainte-Famille de Nipisiguit. Les dimensions en sont de 100 pieds de long par 45 de large et 25 de haut. Les paroissiens semblent alors réceptifs à ce projet45.

41 Monnaie d’or du nom de Louis XIII. Sa valeur va varier mais est d’environ 10 livres,

puis de 24. On parle ensuite d’une pièce d’or française de 20 francs. 42 Monnaie actuelle ou ancienne de divers pays. Au Canada, au 19e siècle, il arrivait que

l’on voit circuler des piastres espagnoles. 43 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, Louis-Théophile Fortier à

l’Évêque de Québec, 10 août 1829. 44 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, Jean Naud à l’Évêque de Québec,

avril 1830. 45 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, L’abbé Madran à l’Évêque de

Québec, 22 septembre 1835.

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Un long conflit

La plupart des historiens ayant abordé la période à l’étude, ont tous relaté les conflits parfois acrimonieux que se livrent les missionnaires et les paroissiens46. En désespoir de cause, des marguilliers ou autres représentants des paroissiens, écrivent à l’Évêque de Québec en se plaignant de leur missionnaire et de ses supposés abus. Ce dernier ne bénéficie pas toujours du soutien de l’évêque et est parfois obligé de partir, impuissant devant la cabale menée à son endroit47.

Mais plus rarement, voit-on un conflit entre les missionnaires eux-mêmes. Un bon exemple est celui du long affrontement impliquant les missionnaires LeDuc et Fortier. Leur lutte s’étire de 1824 à 1831, impliquant également des factions d’Acadiens se rangeant d’un côté ou de l’autre. Au printemps 1824, LeDuc reconnaît l’insatisfaction manifestée par ce qu’il estime être une minorité de paroissiens de Nipisiguit. Il reconnait que ses projets ont rencontré une résistance tenace, surtout chez sept d’entre eux, qui le confirment publiquement en exigeant un autre missionnaire. Une nuance est à préciser soit que l’on ne semble pas se plaindre du ministère de LeDuc, mais plutôt de sa « conduite extérieure » à celui-ci. Interrogés en présence du juge Hugh Munro, les récalcitrants auraient répondu que « la guerre est dans le village »48.

La situation semble perdurer puisqu’en 1827, une longue supplique de plaintes est adressée à l’évêque, probablement par Fortier. Au moment de rédiger la lettre, son auteur signale que les missionnaires Bellefeuille et LeDuc sont partis à Fredericton. Il affirme que les paroissiens de Petit-Rocher et de Nipisiguit ne cessent d’émettre des « soupirs, des plaintes, des pleurs et des murmures ». Ils semblent souffrir de la « dureté et des caprices » de LeDuc. Par exemple, les paroissiens de Nipisiguit n’auraient pas eu de messe célébrée chez-eux depuis la fête des rois. L’auteur de la lettre doute qu’ils soient aussi coupables que LeDuc ne le prétende. L’auteur semble être ou bien un autre missionnaire, ou bien un délégué d’un prêtre puisqu’il semble être chantre. Il assure qu’il ne chantera pas de 46 Léon Thériault, Laurence Ardouin, Ronnie-Gilles LeBlanc et Serge Gagnon ont relaté

de tels conflits dans leurs travaux. Voir aussi Maurice F. Melanson, « Antoine Gagnon, prêtre missionnaire et Grand Vicaire en Acadie (1809-1849) », CSHA, 44e cahier, vol. V, no 4, juillet-septembre 1974, p. 161-177.

47 Laurence Ardouin, « Contrôle des âmes, contrôle des corps… », op.cit., p. 84-85. 48 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, Lettre de LeDuc à l’Évêque de

Québec, 14 février 1824.

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grande messe, tant que LeDuc sera prêtre de la mission. LeDuc a défendu aux paroissiens de s’adresser à l’auteur de la lettre pour les confirmer ou même de les confesser. De la Toussaint jusqu’aux rois, LeDuc aurait supposément été impitoyable! Il refuse que Fortier exerce un ministère. Ce dernier assure que si l’Évêque retirait LeDuc de la paroisse, « le bon Dieu en retrouverait sa gloire »49. Deux jours plus tard, le 17 février, LeDuc écrit à l’Évêque que les Irlandais également se « lamentent » en demandant un prêtre parlant leur langue50. Le plaidoyer de LeDuc se poursuit en 1828, alors qu’il tente de relativiser la portée des plaintes formulées à son endroit. Il dira n’avoir « point eu grand peine à me corriger des défauts, qu’on vous avait contraint de me reprocher »51.

C’est à compter de 1829, que l’affrontement épique entre LeDuc et Fortier semble conduire à de grandes tensions entre les paroissiens. Fortier écrira alors à l’évêque Panet qu’il ne se prétend pas être « accusateur de monsieur LeDuc », bien que sa lettre énumère une longue liste de griefs à l’endroit de ce dernier. Quoique les deux prêtres aient partagé le même logement durant trois semaines, LeDuc aurait refusé de communiquer ouvertement avec Fortier. Ce dernier, à l’instar d’un certain nombre de paroissiens, aurait refusé de se plier aux avis de LeDuc qui se serait « hérissé » du fait que Fortier aurait logé à Nipisiguit, où il n’y a alors pas de presbytère. C’est peut-être le fait qu’il ait logé chez Charles Doucet, « son (LeDuc) prétendu ennemi », qui a enragé le plus LeDuc. Fortier se défend en expliquant que c’était la meilleure maison de l’endroit, en plus d’être très près de l’église. D’ailleurs, d’autres missionnaires et même l’Évêque Plessis y auraient aussi logé. Fortier prétend que durant le séjour de LeDuc à Québec, « tout était assoupi » et qu’à son retour à Nipisiguit, il se forma à nouveau « deux partis » dont plusieurs personnes vinrent presque aux coups près de l’église. À la suggestion de Fortier voulant que LeDuc ne tienne aucun office, ce dernier décida plutôt le contraire pour « triompher ». Sans doute constatait-il que sa présence provoquait une bonne partie des habitants, et peut-être était-ce ce qu’il recherchait? Fortier avertit les chantres de ne pas chanter en public durant son absence. Deux

49 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, 15 février 1827, Fortier à

l’Évêque de Québec. 50 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, LeDuc à l’Évêque de Québec,

17 février 1827. 51 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, Lettre de LeDuc à l’Évêque de

Québec, 1828.

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d’entre eux défièrent cette consigne et chantèrent la messe du dimanche; provoquant la sortie de quelques paroissiens. Le dimanche suivant, de retour à Nipisiguit, Fortier « fis en public une forte réprimande aux personnes qui avaient déserté l’autel à la vue du ministre (LeDuc) » et tenta de ramener le calme. En dépit de l’insistance de LeDuc, Fortier n’imposa aucune pénitence publique52.

Fortier estime alors que l’insatisfaction envers LeDuc est telle, que les habitants « les plus notables » désirent consulter Fortier pour déterminer le meilleur moyen « d’envoyer M. LeDuc ». Ce qui semble avoir provoqué une grande frustration, même chez les protestants, fut de constater qu’un prêtre investisse de ses deniers pour ramener en cours une affaire oubliée depuis 1811! Il semble que ce soit là une autre tentative de LeDuc de prendre sa revanche contre le juge de paix acadien Charles Doucet et sa famille :

Les gens ne peuvent comprendre comment un prêtre qui doit prêcher la charité et le pardon des injures, soit celui-là même qui promette 50 louis et qui a donné déjà 50 piastres à un homme qui n’est point et n’a jamais été sous sa charge, à un homme qui bien loin de se laver d’une tache honteuse, se couvrira de plus de honte, en portant l’affaire en question, assoupie depuis tant d’années devant la cours53.

Le mois suivant, la tension monte d’un cran avec l’entrée en scène du marguiller Jean Morrison, dont la lettre à l’Évêque est co-signée par les anciens marguillers Augustin Godin et Germain Landry. Il laisse clairement paraître son appui en faveur de LeDuc, au détriment de Fortier et son allié Michel Daigle. Il présente sa propre version des événements de février alors que Michel Daigle avait défendu aux chantres de participer aux offices célébrés par LeDuc à Nipisiguit, le 22e dimanche après la pentecôte. De l’avis de Morrison, LeDuc ne s’est aucunement offusqué et quelques chantres ont décidé de chanter durant cette messe. Morrison suspecte Fortier d’avoir poussé Daigle à intervenir auprès des chantres. Daigle est alors reconnu comme un ennemi de LeDuc, ayant refusé publiquement de l’accompagner en mission à l’été 1828. Fortier a mal

52 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, Louis-Théophile Fortier à B.C.

Panet, Évêque de Québec, 20 février 1929. 53 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, Théophile Fortier à Mgr Panet,

20 février 1829.

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réagi à l’implication de Morrison en le chassant du chœur pour un mois. Il ne se propose pas d’y retourner avant que l’évêque ne se soit prononcé sur la pertinence ou non de son geste. Il est d’avis que les attaques répétées de Fortier contre LeDuc chagrinent les paroissiens de Petit-Rocher, où ce dernier avait œuvré durant cinq ans. C’est le même effet négatif pour les paroissiens de Nipisiguit « qui n’ont point avec la famille ennemi des rapports de proche parenté ou d’intérêts personnels ». En terminant, il pourfend ceux ayant sorti de l’église le dimanche en question, au moment de « l’aspersion de l’eau bénite ». Ils perdirent ainsi la sainte messe à grand scandale, même des protestants. Aucun d’entre eux ne subit de pénitence publique quelconque54. Un autre appui envers LeDuc provient des marguilliers de Petit-Rocher, quelques jours après la supplique de Morrison. Ils demandent que ce dernier demeure en permanence à Petit-Rocher, et que Fortier fasse de même à Nipisiguit. Les paroissiens de Petit-Rocher ne se seraient jamais plaints de LeDuc55.

Les choses semblent toutefois prendre une tournure dramatique à l’été 1829. Fortier admet que LeDuc possédait une lettre de l’Évêque, lui donnant la permission de faire chanter la messe. Il agrémente toutefois la narration des événements à caractère judiciaires qui se produisent au détriment de LeDuc, et qui provoquent son départ. Faisant l’objet d’une poursuite au civil par deux « accusateurs », le shérif fut obligé de recourir à la force pour appréhender LeDuc. Ce dernier semblait bénéficier de l’aide du missionnaire Bellefeuille, qui tenta de le cacher. Tel ne fut pas l’étonnement des habitants de Nipisiguit et de Caraquet, de voir leurs missionnaires poursuivis par un officier civil! Ils durent même convoquer la milice pour encercler l’église et le presbytère; « Monsieur Bellefeuille recourant aux armes pour se défendre et monsieur LeDuc cherchant les caves et les clochers pour se soustraire au bras séculier »56.

Sans doute au grand dam de Fortier, l’exclusion de LeDuc n’a pas ramené la paix dans la mission. En août 1829, il reconnait candidement qu’une bonne partie des paroissiens et des marguilliers lui sont toujours hostiles. Il avait cru voir ses soucis s’évaporer avec le départ de LeDuc

54 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, Lettre de Jean Morrison à

l’Évêque de Québec, 2 mars 1829. 55 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, Marguilliers de Petit-Rocher à

l’Évêque de Québec, 5 mars 1829. 56 Université de Moncton, CÉAAC, dossier 10f1-1, Théophile Fortier à l’Évêque Panet,

27 juin 1829.

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Missionnaires et prêtres à Nipisiguit / Bathurst, 1798-1835 57

mais « il est resté trop longtemps pour que les troubles finissent si vite ». De manière voilée, il demande son rappel en disant entretenir l’espoir « qu’un autre (missionnaire) achèverait ce que j’ai commencé et ramènerait une paix parfaite »57. Un de ses successeurs, le missionnaire Naud, éprouvera de graves problèmes de santé en 1831 et attend son remplaçant avec impatience. Il recommande même un prêtre parlant couramment l’anglais, puisque cette mission comte beaucoup d’Irlandais et d’Écossais catholiques58. C’est effectivement le cas puisqu’en 1835, le Père Maddran mentionne le missionnaire William McHarron, qu’il soupçonne cependant de mener une vie « licencieuse et déréglée ». Il demande son rappel immédiat59!

Le conflit relaté ci-haut s’inscrit à côté de préoccupations théologiques multiples, à compter de 1829. Doit-on accepter qu’un mari empêche sa femme de se convertir au catholicisme? Doit-on exiger des sages-femmes de Nipisiguit le serment qui figure au Rituel de Québec60? Est-il permis à un laïc de lire l’épitre et l’évangile dans l’église, alors que le missionnaire n’y est pas? Le maître-chantre doit-il commencer les vêpres par le Deus in adjutorium, ou par la première antienne61? Doit-on sonner la cloche au magnificat? Finalement, comme ce fut le cas ailleurs, la consommation d’alcool inquiète les missionnaires. En 1829, Fortier estime à au-delà d’une quarantaine le nombre de permis de vente d’alcool dans sa paroisse. Il déplore le « tort que la boisson fait aux Acadiens » et

57 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, Louis-Théophile Fortier à

l’Évêque de Québec, 10 août 1829. 58 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, Naud à l’Évêque de Québec,

10 août 1831. 59 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, Maddran à l’Évêque de Québec,

22 septembre 1835. 60 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, Louis-Théophile Fortier à

Mgr Panet, Évêque de Québec, 20 février 1829. On parle ici du rituel de Québec instauré par l’évêque de Saint-Vallier en 1703. Le serment des sages-femmes exige qu’elles s’engagent à assister les femmes « dans leurs couches ». En cas de danger, elle doit alerter un médecin, un chirurgien ou d’autres femmes pour lui venir en aide. Elle promet aussi de ne pas révéler les « secrets des familles, ni des personnes » qu’elle assistera. Jean-Baptiste de La Croix de Chevrières de Saint-Vallier, Rituel du

diocèse de Québec publié par l’ordre de Monseigneur l’Évêque de Québec, Paris, Simon Langlois, 1703. Serment des sages-femmes, p. 31-32.

61 L’Antienne est le refrain repris par le chœur entre chaque verset d’un psaume alors que le Deus in adjutorium consiste en des prières dites au temps de la passion et dans la semaine sainte.

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souhaite que l’on défende aux catholiques d’en vendre. Il explique qu’il a défendu la consommation durant les noces, mais sans trop de succès62.

Conclusion

Le 30 septembre 1842, le Nouveau-Brunswick fut détaché de Charlottetown et érigé en diocèse. Il y avait alors 13 prêtres dans la province, dont huit Canadiens-Français et cinq Irlandais. Lorsque le deuxième évêque de Saint-Jean, Mgr Thomas-Louis Connolly, devint archevêque de Halifax en 1858, il recommande à Rome de diviser la province en deux diocèses, dont l’un au nord et comprenant cinq comtés, dont Gloucester. Dans ce vaste diocèse, on compte alors 60 missions avec seulement huit prêtres. L’une des cures est justement située au Village de Bathurst63. Les défis et conflits relatés ci-haut étaient somme toute monnaie courante dans les communautés rurales acadiennes et canadiennes-françaises de la moitié du 19e siècle. Tel que l’ont relaté d’autres historiens auparavant, les Acadiens étaient des pratiquants dévoués mais non soumis aveuglément. Du moins, pas lorsque les intérêts de la communauté étaient en jeu ou lorsque qu’on jugeait les attentes des missionnaires comme étant démesurées. Biens des recherches restent à faire pour aspirer arriver à des résultats comparables à ceux de Serge Gagnon sur le sort et les défis des prêtres bas-canadiens à la même époque64. Par exemple, son ouvrage Quand le Québec manquait de prêtres

relate les menaces pesant sur l’Église catholique au Bas-Canada (1791-1840) : « statut politique précaire, vive concurrence des autres religions chrétiennes, pénurie chronique de prêtres à la campagne où une paroisse sur trois était sans curé »65. Ce sont là des problèmes parfaitement similaires à ceux vécus par les paroisses acadiennes de la première moitié du 19e siècle.

62 Université de Moncton, CÉAAC, dossier A10f-1-1, Louis-Théophile Fortier à

Mgr Panet, Évêque de Québec, 20 février 1829. 63 Sr Corinne Laplante, « Le diocèse de Bathurst fête ses cent-vingt-cinq ans », op.cit.,

p. 7. 64 Serge Gagnon, Familles et presbytères, Sillery, Presses de l’université Laval, 2013 et

aussi L’argent du curé de campagne, Sillery, Presses de l’Université Laval, 2010. 65 Serge Gagnon, Quand le Québec manquait de prêtres. La charge pastorale au Bas-

Canada, Sillery, Presses de l’Université Laval, 2006.

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Convenir à la modernité et à la tradition

La place de la femme professeure dans le milieu

intellectuel acadien; l’exemple de l’Université Saint-

Joseph (1944-1963)

Mélanie Morin

’arrivée des professeures de sexe féminin dans les institutions postsecondaires en Acadie est un phénomène contemporain. Au Canada, comme en Acadie, il faut

attendre la Deuxième Guerre mondiale pour constater l’arrivée d’un nombre significatif de femmes dans les universités1. En fait, c’est en 1943 que mère Marie-Jeanne-de-Valois et le Père Clément Cormier fondent le premier collège classique destiné aux femmes francophones de la région, le Collège Notre-Dame d’Acadie. Cette fondation amène une collaboration d’envergure entre les sœurs du Couvent Notre-Dame-du-Sacré-Cœur et le corps professoral de l’Université Saint-Joseph dans la formation des étudiants et étudiantes des deux institutions2.

Malgré tout, l’historiographie reste muette sur les femmes enseignantes dans les collèges classiques masculins déjà bien établis. Pourtant, c’est à cette époque que l’on voit apparaître les premiers membres du corps professoral de l’Université Saint-Joseph de sexe féminin. Selon les écrits du Père Médard Daigle3, Mlle Elaine McInnis est

1 Alison Prentice et al, Canadian Women: a History, Toronto, Harcourt Brace

Jovanovich, 1988, p. 303 et p. 327 2 Soeur Thérèse Vautour, Histoire d’une servante centenaire : Couvent Notre-Dame-

du-Sacré-Cœur, Moncton, Éditions de la Francophonie, 2002, p. 107 et p. 108 3 Le Père Médard Daigle est un des membres du corps professoral de l’Université Saint-

Joseph. Pour consulter la liste du personnel qu’il a rédigé voir : Personnel enseignant : inventaire 1878-1956 (P1.3500.04) dans le fond du Collège Saint-Joseph retrouvé au Centre d’études acadiennes Anselme Chiasson, Moncton, Université de Moncton (à l’avenir CÉAAC).

L

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la première professeure à enseigner à l’Université Saint-Joseph en 19444. Si l’on se fie au fond du Collège Saint-Joseph, plus de 20 femmes, incluant Mlle McInnis, ont enseigné des cours de niveau universitaire entre 1944 et 19635.

Cette recherche s’intéresse tout particulièrement à ces 20 femmes membres du corps professoral de l’Université Saint-Joseph en vue de comprendre l’intégration de la gent féminine au monde universitaire acadien. Cet article tente de répondre à la problématique suivante : comment les femmes membres du corps professoral de l’Université Saint-Joseph se sont-elles intégrées au sein de cette institution entre 1944 et 1963?

Cette problématique sera abordée en trois temps. Tout d’abord, nous tenterons de déterminer qui sont ces 20 femmes. Les informations divulguées dans cette partie sont fondées sur une analyse quantitative des données récupérées au sujet de ces femmes ainsi qu’une petite recherche sur leur sujet. Dans un deuxième temps, il sera question d’examiner les différents départements dans lesquels ces femmes sont affiliées afin de comprendre leur intégration au sein de l’Université Saint-Joseph. En troisième lieu, la recherche portera un regard sur l’historiographie afin de comprendre davantage les résultats de nos recherches.

Les sources pertinentes émanent en grande partie du fonds du Collège Saint-Joseph, disponible pour consultation au Centre d’études acadiennes Anselme-Chiasson de l’Université de Moncton (CÉAAC). Elles incluent les annuaires et brochures du Collège6, des copies des divers formulaires remplis à l’égard du Bureau fédéral de la statistique7, une note portant sur l’échelle salariale des professeurs du Collège concernant la période étudiée, les listes des membres du personnel et des tâches qui leur sont attribuées, ainsi que des brochures et de la correspondance liées à certains programmes8. Pour compléter notre recherche, d’autres fonds que celui du Collège ont été consultés au CÉAAC tels que le fonds d’archives

4 Personnel enseignant : inventaire 1878-1956 (P1.3500.04) dans le fond du Collège

Saint-Joseph retrouvé au CÉAAC. 5 Septembre 1963 marque le transfert des pouvoirs universitaires du Collège Saint-

Joseph à l’Université de Moncton. 6 Seuls les annuaires allant de 1944 à 1963 (date de l’ouverture de l’Université de

Moncton) ont été consultés. 7 Les répliques des formulaires de 1956 à 1961 ont été retrouvées. 8 Intitulées personnel/obédiences, seules les listes de 1955 à 1959 ont été retrouvées.

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La place de la femme professeure à l’Université Saint-Joseph 61

Léone-Boudreau-Nelson (1882-2004)9 et le fonds Léopold-Taillon10.

Qui sont ces femmes?

Tableau 1 : Les femmes professeures de l’Université Saint-Joseph

NOM PRÉNOM TITRE ANNÉE

DÉBUT

ANNÉE

FIN ÉDUCATION DÉPARTEMENT

McInnis Élaine Mlle 1944 1945 Lic. Mus. Musique–Autres

Hall Doreen F. Mlle 1949 1952 Musique-Autres

Marie Fernande Rév. Sœur 1951 1952 r.n.d.s.c. Musique–Autres

Marie Archangela Rév. Sœur 1952 1959 r.n.d.s.c. Musique-Autres

Léger Valérie Mlle 1955 1957 Sciences familiales

St-Hilaire Monique Mlle 1955 1957 B.S.M. Sciences familiales

Marie-de-Lourdes Rév. Sœur 1956 1959 r.n.d.s.c. Sciences familiales (directrice)

Boudreau Léone Mlle 1955 1964 B. Péd. Pédagogie-Éducation

Cormier M. Madame 1956 1958 g.m.e. Sciences familiales

Jean Blanche Mlle 1957 1963 Pédagogie

Marie-Mathilda Rév. Sœur 1956 1958 r.n.d.s.c. Religion

Lepage Nina Mlle 1957 1959 Sciences familiales

Gionet Adrienne Mlle 1957 1958 Sciences familiales

Marie-Albina Mother (Louisiana)

1958 1959 Arts-Anglais

Marie-Gertrude Rév. Sœur 1958 1959 r.n.d.s.c. Sciences familiales

Marie-Emma Rév. Sœur 1958 1959 r.n.d.s.c. Sciences familiales

Duplessis M. Madame 1958 1959 g.m.e. Sciences familiales

Cécile-des-Anges Sr. 1959 1961 r.n.d.s.c. Musique

Jones Cécile Madame 1961 1963

LeBlanc Lorraine 1961 1963 B. Péd. (Columbia)

Pédagogie-Éducation

Lorsqu’on examine le tableau des différentes femmes professeures de l’Université Saint-Joseph, contenu dans le Tableau 1, il est possible d’effectuer plusieurs constats. En fait, les professeures de l’Université Saint-Joseph semblent être en grande partie composées de religieuses ou

9 Fonds d’archives Léone-Boudreau-Nelson au CÉAAC, cote no 382. 10 Fonds d’archives Léopold-Taillon, CÉAAC, Manuscrit imprimés, série

correspondance, cote : 35.7.9

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de célibataires, concentrées au sein de trois départements (Pédagogie-Éducation, Musique et Sciences familiales) et enseignent sur une courte période de temps, généralement moins de trois ans. Il reste tout de même que certaines femmes membres du corps professoral de l’Université ont accompli un parcours exceptionnel et ont par la suite eu une longue carrière prospère malgré leur séjour de courte durée au sein de cet établissement. L’information contenue dans le Tableau 1 sera traitée en deux étapes. Dans un premier temps, nous effectuerons une analyse quantitative de notre tableau. Dans un deuxième, il sera question d’effectuer une recherche qualitative en traçant le parcours ultérieur de certaines de ces femmes.

Analyse quantitative

Plusieurs informations quantitatives pertinentes pour notre analyse peuvent être décelées dans le Tableau 1.

Tableau 2 : Statut martial des professeures de l’Université Saint-Joseph

Le Tableau 2 fait une évaluation du statut matrimonial des femmes membres du corps professoral de l’Université Saint-Joseph. Avec 8 religieuses et 8 célibataires, il est évident que le Collège accorde une très petite place aux femmes mariées. De plus, il semble y avoir une certaine préférence pour les religieuses et encore plus pour les religieuses affiliées au Couvent Notre-Dame-du-Sacré-Cœur. En fait, sept des huit religieuses

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émanent de ce couvent.

Deuxièmement, le Tableau 3 démontre très bien que les professeures du Collège sont en grande partie affiliées au département des sciences ménagères. En fait, 10 des 20 professeures font partie de ce département, ce qui représente la moitié de notre corpus. Pour ce qui est des autres départements qui contiennent un apport significatif de femmes, on en retrouve 5 affiliées au département Musique-Autres et 3 autres localisées parmi les programmes de Pédagogie-Éducation de l’Université Saint-Joseph. Il semble donc évident que cette dernière accorde une grande importance aux femmes dans le programme de Sciences familiales.

Tableau 3 : Professeure selon les différentes disciplines

En troisième lieu, notre tableau démontre bien que ces femmes enseignent à l’Université Saint-Joseph sur une courte période de temps. En effet, le Tableau 4 fait ressortir que la durée moyenne de leur séjour comme enseignante au Collège est de 2,6 ans. Sur les 20 professeures, 9 enseignent sur une période de 2 ans, tandis que 6 autres enseignent sur une période d’un an.

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Tableau 4 : Durée d’enseignement à l’Université Saint-Joseph

Ce va-et-vient des professeures femmes touche autant les laïques que les religieuses. Même si le mariage et la maternité peuvent expliquer ce va-et-vient des laïques, rien dans les sources ne permet d’expliquer la courte présence des religieuses aux postes de professeures au sein de l’Université Saint-Joseph.

Sur les 20 femmes, trois professeures semblent briser ces règles de professeures femmes de courte durée. La première des trois est la Sœur Marie-Archangela qui enseigne à l’Université pour une période de 7 ans au département de Musique-Autres. La deuxième est Mlle Léone Boudreau. Elle a enseigné au département de Pédagogie-Éducation pendant près de 9 ans. Enfin, la troisième professeure qui dévie des normes est Mlle Blanche Jean qui est aussi affiliée au département de Pédagogie-Éducation.

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Tableau 5 : Nombre de femmes professeures qui enseignent à l’Université Saint-Joseph selon la période

En quatrième et dernier lieu, lorsqu’on regarde le Tableau 5, on s’aperçoit que la majorité de ces femmes occupe leurs fonctions à l’Université Saint-Joseph durant la fin des années 1950 et au début des années 1960. Ces années semblent donc être le point fort d’une période charnière pour les femmes à l’Université Saint-Joseph et par extension, en Acadie.

Portrait plus approfondi sur quelques-unes de ces femmes

Ces trois femmes exceptionnelles nous amènent à nous questionner davantage sur les femmes professeures de l’Université Saint-Joseph. En fait, est-ce qu’il y a d’autres femmes du Collège qui ont eu un parcours de vie exceptionnel? La réponse à cette question est oui. Tout d’abord, on retrouve la professeure Doreen Hall qui enseigne le violon au département Musique-Autre du Collège pendant plus de 2 ans. Mlle Hall est une ancienne élève du grand violoniste canadien Eli Spivak. Elle aurait aussi dirigé le département des cordes à l’Université de Mount Alison entre 1945 et 1951. Elle deviendra fondatrice et directrice du programme

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d’éducation musicale à l’élémentaire à l’Université de Toronto11.

Ensuite, on retrouve Mme Léone Boudreau-Nelson qui a aussi eu une carrière universitaire très riche en Acadie. En fait, Mme Boudreau-Nelson a siégé au côté des professeures Cécile Jones et Lorraine Leblanc sur l’équipe des langues de l’Université Saint-Joseph12. Ancienne de Saint-Joseph, Mme Boudreau-Nelson est aussi diplômée de phonétique de l’Université de Paris. Elle est une ancienne professeure de l’Université de Moncton en plus d’être l’ancienne présidente de la Société historique acadienne. Elle est décorée de l’Ordre du Canada, de l’Ordre des francophones d’Amérique, de l’Ordre du mérite national français et de l’ordre des Palmes Académiques13. En plus de ce parcours exceptionnel, Mme Boudreau-Nelson est la seule professeure qui garde ses fonctions au sein de l’Université Saint-Joseph même après son mariage14. De plus, elle devient la seule femme laïque en 1962 qui obtient un poste permanent au sein de cette institution. On peut donc dire que Mme Boudreau-Nelson semble avoir brisé le plafond de verre qui touchait les femmes et laïques de l’Université Saint-Joseph à cette époque.

Examen des départements

La première partie de ce travail nous a amenés à un constat très évident. Il semble que les femmes professeures de l’Université Saint-Joseph sont concentrées au sein de trois départements : Musique-Autres, Sciences familiales et Pédagogie-Éducation. Afin de comprendre l’intégration des femmes professeures au sein de cette institution postsecondaire, il semble primordial d’examiner ces divers départements et leurs programmes afin de mieux cerner la problématique de départ.

11 « Doreen Hall » dans Historica Canada, http://www.thecanadianencyclopedia.com/fr/

article/doreen-hall-emc/. Page consultée le 19 mars 2014. 12 Lettre de Léopold Taillon voir Fonds Léopold-Taillon, Manuscrits et imprimés, Série

Correspondance, 35.7.9, CÉAAC (daté de 1962-01-17). 13 Régis Brun, « Introduction au Fonds d’archives no 382 (Léone-Boudreau-Nelson,

1882-2004) » dans CÉAAC, http://www.umoncton.ca/umcm-ceaac/files/umcm-ceaac/wf/wf/pdf/intro382.pdf. Page consultée le 19 mars 2014.

14 Voir les annuaires de l’Université Saint-Joseph, 1961 à 1963, Fonds du Collège Saint-Joseph, CÉAAC.

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Musique-Autres

Lorsqu’on examine dans les annuaires de la période concernée15 les divers programmes enseignés à l’Université Saint-Joseph, on s’aperçoit qu’il n’y a aucun programme de Musique. On parle plutôt de cours de musique et on ne retrouve aucun programme qui exige des cours de musique au sein de leur curriculum.

Étant donné que cinq des femmes professeures de l’Université sont assignées à l’enseignement de la musique, on peut se demander quelle est l’utilité de ces professeures si aucune d’entre elles n’a une charge de cours constante. Lorsqu’on porte un regard dans les annuaires, on s’aperçoit que les cours de musique, incluant les cours de piano et de violon, étaient considérés comme des cours « extras » ou optionnels au coût de 35 $16. On peut donc dire que les cinq femmes affiliées au cours de musique n’avaient pas une charge de cours régulière étant donné qu’elles enseignaient des cours optionnels.

Sciences familiales

Le baccalauréat en Sciences familiales offert par l’Université Saint-Joseph visait surtout les jeunes femmes francophones et était organisé en collaboration avec le Couvent Notre-Dame-du-Sacré-Cœur à Memramcook. En fait, la majorité des professeures qui sont affiliées à ce programme sont des religieuses qui émanent de cette même congrégation. De plus, ce programme est sous la direction de M. Gustave Gaudet, directeur des cours en agriculture de l’Université Saint-Joseph. Le cursus du programme inclut des cours de couture, soins des malades, tissage, cuisine, religion, etc.17 En bref, ce programme semble aller de pair avec les rôles traditionnels de la femme; c’est-à-dire ceux de mère, d’épouse et de femme au foyer.

Malgré cette classification du programme de Sciences familiales dans la catégorie de baccalauréat, il semble y avoir une certaine difficulté à accepter leur cursus au sein de la province. En fait, une série de lettres échangées entre Mlle Gloria Cormier et le Père Clément Cormier démontre

15 Rappel : ce mémoire se concentre sur la période 1944-1963. 16 Voir Fonds du Collège Saint-Joseph, CÉAAC, Annuaire du Collège Saint-Joseph

(1945-1946), p. 39. 17 Voir brochure de l’École des Sciences familiales de l’Université Saint-Joseph dans le

Fonds du Collège Saint-Joseph au CÉAAC, P1.4160.02.

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que les diplômées du baccalauréat en Sciences familiales ont de la difficulté à se faire accepter sur le marché du travail. En effet, Mme Cormier indique dans ses échanges avec le Père Cormier que puisque le programme de baccalauréat en Sciences familiales n’est pas accepté par le ministère de l’Éducation, elle est payée 1 800 $ par an lorsqu’elle devrait en réalité être payée 3 000 $ par année18. Cette correspondance entre Mlle Gloria Cormier et le Père Clément Cormier nous amène à nous questionner sur la viabilité du programme en Science familiale de l’Université Saint-Joseph.

Pédagogie-Éducation

Jusqu’à présent, seul le département de Pédagogie-Éducation semble défier les règles en ce qui concerne l’intégration de ces femmes au sein de leurs cours. Comme nous l’a démontré l’analyse de nos sources, les femmes de ce département sont les seules qui enseignent tout en étant mariées et qui poursuivent leur carrière au sein de l’Université Saint-Joseph sur une longue période de temps. De plus, de toutes les disciplines retrouvées au sein de cette institution postsecondaire, seul le baccalauréat en Pédagogie-Éducation semble être pleinement intégré au sein de l’Université Saint-Joseph. C’est-à-dire, que contrairement aux deux autres disciplines, le baccalauréat et la maîtrise en Pédagogie-Éducation19 constituent un département en plus d’être un des programmes d’études certifiés par la province.

Les cours enseignés par les professeures de ce département semblent faire partie intégralement du cursus de baccalauréat et de maîtrise en pédagogie. En fait, Mme Boudreau-Nelson est spécialiste en phonétique et a étudié dans ce domaine à l’Université de Paris20. Les programmes en pédagogie et en éducation n’offrent aucun cours de phonétique. Par contre, ces programmes ont de nombreux cours de linguistique qui sont obligatoires, tels que la philosophie des langues, linguistique canadienne et traduction21. Étant donné que la phonétique est liée à la linguistique, il est fort probable que Mme Boudreau-Nelson enseignait ces cours.

18 Voir Fonds du Collège Saint-Joseph au CÉAAC, P1.4160.01 : Correspondance. 19 L’Université Saint-Joseph offre un programme de maitrise et de baccalauréat en

Pédagogie; voir Annuaire 1958-1959, p. 28-29. 20 Fonds du Collège au CÉAAC : P1.3500.19. 21 Annuaire de l’Université Saint-Joseph, 1958-1959, CÉAAC, p. 28 et 29.

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La place de la femme professeure à l’Université Saint-Joseph 69

Historiographie

Un regard historiographique sur le sujet semble nécessaire afin de cerner la problématique et d’expliquer certains éléments retrouvés dans les sources et d’aboutir à une interprétation des sources plus juste. Cette troisième et dernière partie propose de traiter de l’historiographie portant sur la femme dans les milieux postsecondaires en deux temps : l’historiographie qui touche l’ensemble des femmes canadiennes et l’historiographie qui concerne les Acadiennes.

L’historiographie au Canada

L’après-Deuxième Guerre mondiale constitue une période charnière pour les femmes au sein de la société canadienne. En effet, c’est à cette époque que l’on constate l’arrivée des femmes dans les universités canadiennes en tant que professeures et étudiantes. Ce phénomène ne fait que s’accentuer durant les années qui suivent22. Les sources de l’Université Saint-Joseph démontrent que l’intégration des femmes au sein de leur institution suit cette tendance canadienne. En effet, c’est durant cette même période que l’on retrouve les premières femmes professeures au sein de l’Université Saint-Joseph et ce phénomène s’accentue au cours des années suivantes.

Malgré leur présence croissante dans les universités, les femmes intellectuelles-professeures sont concentrées en grande partie au sein de certaines disciplines ciblées. En effet, A. Dagg et P. Thompson cataloguent quelques disciplines jugées traditionnellement féminines. Parmi celles-ci, on peut retrouver les sciences infirmières, l’enseignement, le travail social, la bibliothéconomie, les sciences ménagères et certaines disciplines artistiques23. Encore une fois, l’examen du cas de l’Université Saint-Joseph nous démontre très bien que les femmes professeures de cette institution s’inscrivent dans cette tendance. En effet, ces femmes se retrouvent toutes au sein de trois de ces disciplines traditionnellement féminines : les sciences familiales, l’éducation et la musique.

Pour le cas des sciences ménagères et des sciences familiales, l’historiographie dénote une certaine prépondérance chez les femmes pour

22 Alison Prentice et al., op.cit., p. 396. 23 Anne Innis Dag et Patricia J. Thompson, MisEducation: Women & Canadian

Universities, Ontario, Ontario Institute for Studies in Education, 1988, p. 41.

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ces programmes, tout particulièrement chez les Franco-canadiennes24. Avec la moitié des femmes professeures affiliées au baccalauréat en Sciences familiales, l’Université Saint-Joseph correspond à cette tendance. Cette dernière s’inscrit donc dans le même cadre que d’autres institutions postsecondaires francophones, telles que les instituts familiaux au Québec ou le Pensionnat Assomption localisé au nord de l’Alberta. Ces institutions consacrent une grande part de leur énergie aux programmes de Sciences familiales25. Donc, en mettant un accent sur les femmes dans l’enseignement de cette matière, l’Université Saint-Joseph s’inscrit dans la norme quant à la place de la femme dans les institutions postsecondaires ayant des racines religieuses et localisées dans des milieux francophones.

L’historiographie en Acadie

En Acadie, deux sociologues se sont prononcés sur l’intégration des femmes dans la société et au sein des institutions postsecondaires acadiennes. Tout d’abord, Linda Cardinal a concentré une grande part de ses recherches sur l’examen de la situation de la femme dans un espace francophone en milieu minoritaire. Elle fait deux constats qui permettent d’expliquer une grande part des résultats de l’analyse quantitative de nos sources. En premier lieu, elle indique que les espaces francophones minoritaires mettent beaucoup d’emphase sur le rôle traditionnel de la femme. En deuxième lieu, elle précise que l’on retrouve des valeurs religieuses très fortes au sein de ces espaces26.

Ces constats amenés par Cardinal confirment d’abord cet attachement en Acadie aux domaines dits traditionnels pour la femme ainsi que la place qu’elle occupe au sein de la société (mère, épouse, femme au foyer). Les propos de Cardinal permettent aussi de comprendre la prépondérance des religieuses comme enseignantes au sein de l’Université Saint-Joseph. Cette forte présence religieuse au sein de cette institution demande que l’enseignement par les femmes et pour les femmes se fasse dans un contexte qui tient compte des valeurs et principes religieux.

Ensuite, Isabelle McKee-Alain examine plus profondément cette

24 Alison Prentice et al., op. cit., p. 396. 25 Ibid., p. 396. 26 Linda Cardinal, « La recherché sur les femmes francophones vivants en milieu

minoritaire : une question sur le féminisme », Recherche féministes, vol. 5, no 1 (1992), p. 15.

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La place de la femme professeure à l’Université Saint-Joseph 71

question de l’intégration des femmes dans les institutions postsecondaires féminines en Acadie, milieu qui valorise grandement les rôles de mère et d’épouse des femmes. Elle indique clairement que les acquis intellectuels de la femme doivent convenir à ces rôles traditionnels. Une citation tirée du journal étudiant Bleuettes du Collège Notre-Dame-d’Acadie explique cette position : « […] la femme est foncièrement épouse et mère; ses talents intellectuels ou autre ont pour but immédiat d’enrichir ces attributs27 ». Il est donc évident que la femme dans les institutions postsecondaires en Acadie doit être intégrée de façon à ce que son éducation et son parcours universitaire conviennent à son rôle de mère et d’épouse.

En intégrant les femmes dans les domaines liés à ces rôles, tels que la musique, l’éducation et les sciences familiales, l’Université Saint-Joseph tente en quelque sorte de concilier les rôles traditionnels des femmes avec le milieu universitaire. Cette intégration dans un milieu qui était auparavant exclusivement masculin ouvrait la porte à des revendications potentielles pour les femmes sur le plan de leur travail et dans les universités. Comme l’indique si bien I. McKee-Alain : « […] pendant plusieurs années, une conception conciliatrice avec celle du milieu aura prévalu, accompagnée d’une revendication à l’accès aux études supérieures. Consciemment ou non […] ces femmes s’inscrivaient dans un processus qui aboutira à l’éclatement du modèle pour les femmes acadiennes28 ».

D’un autre côté, les institutions postsecondaires acadiennes semblent aussi s’intégrer à un processus de modernisation. Ouvrir les portes des universités aux femmes s’inscrit dans cette notion de modernisation comme l’a précisé McKee-Alain29. On peut donc insinuer que l’Université Saint-Joseph cherche de plus en plus à intégrer les femmes afin de répondre à cette vague de modernisation. De plus, il ne faut pas oublier que le simple fait d’intégrer les femmes dans les institutions postsecondaires est avant-gardiste puisqu’il ouvre la porte à un espace qui était auparavant réservé exclusivement aux hommes30.

27 Isabelle McKee-Alain, Rapports ethniques et rapports de sexes en Acadie : les

communautés religieuses de femmes et leurs collèges classiques, Thèse de Ph D. (sociologie), Université de Montréal, Montréal, 1995, p. 301.

28 Ibid., p. 303. 29 Ibid., p. 213. 30 Ibid., p. 269.

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Conclusion

En bref, l’objectif de cette recherche était d’examiner comment les femmes professeures de l’Université Saint-Joseph étaient intégrées au sein de cette institution entre 1944, l’année de l’arrivée de la première professeure, jusqu’au transfert des pouvoirs à l’Université de Moncton en 1963. L’examen des divers programmes auxquels ces femmes sont affiliées fait ressortir que deux des trois départements auxquels sont affiliées ces femmes ne sont pas pleinement intégrés comme discipline au sein de l’Université ou font face à des difficultés pour être acceptés par des employeurs. L’historiographie démontre très bien que l’intégration des femmes professeures au sein de l’Université Saint-Joseph dépasse des murs de cette institution par exemple le discours sur la modernité qui sévit durant cette période et la présence des femmes dans certaines disciplines.

L’intégration de femmes professeures dans l’Université Saint-Joseph se matérialise en tenant compte d’une idéologie particulière en Acadie, dont cet attachement aux rôles traditionnels de la femme. Donc, les femmes professeures de l’Université Saint-Joseph semblent être intégrées au sein de cette institution de façon à ce qu’elles conviennent à la fois à la modernité et à la tradition. Même les professeures « exceptionnelles » de l’Université correspondent au modèle traditionnel de la femme adapté à la modernité. De plus, la présence des religieuses au sein de l’Université Saint-Joseph semble aussi être une des preuves des liens étroits qu’entretenait les religieuses de Notre-Dame-d’Acadie et les pères Saintes-Croix. On peut même dire que leur tentative d’intégrer les femmes dans les institutions postsecondaires acadiennes est une volonté de ces congrégations religieuses d’entrer dans l’ère moderne.

Cette recherche démontre aussi que les années qui précèdent la fondation de l’Université de Moncton constituent une période charnière où l’on remet en question les rôles de la femme et où l’on tente de s’adapter à un nouveau courant de modernité. Il est évident que cette époque est signe de transformations et redéfinitions significatives pour l’Université Saint-Joseph. Notre examen des femmes-professeures ouvre donc la porte à de nouvelles interprétations quant à la place des sexes au sein de la société et à la raison d’être des institutions postsecondaires durant cette deuxième moitié du XXe siècle.

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Rapport du président

Raymond McLaughlin

e Conseil d’administration de la Société historique acadienne (SHA) s’est réuni neuf reprises durant la dernière année.

Dès le début de l’exercice, le Conseil s’est doté d’un Plan de travail pour 2013/2014 dont les activités principales étaient : (a) la publication de quatre Cahiers; (b) l’établissement d'un plan stratégique SHA pour les cinq prochaines années; (c) le développement de liens avec le milieu scolaire du Sud-Est; (d) la mise en place d’un site web pour la SHA; (e) l’organisation d’un voyage en France en 2016 pour souligner le voyage de 1966 des membres de la SHA et également participer aux fêtes soulignant le 250e anniversaire du l’arrivée des Acadiens à Belle-Ile-en-Mer; (f) la participation aux fêtes commémorant le 150e anniversaire du Collège Saint-Joseph à Memramcook.

Durant l’année nous avons présenté quatre conférences portant sur : (1) « La Commission de santé et sécurité au travail du N.-B. La discrimination est si vite arrivée » prononcée par M. Nelson Ouellette, professeur de l'Université de Moncton; (2) « Portrait d’Emery LeBlanc, nationaliste acadien et un des premiers artisans de la SHA » présentée par Pierre LeBlanc, fils de M. Emery LeBlanc; (3) « La colonisation des marais en Acadie et en France au 17e siècle et les enjeux actuels de l'histoire environnementale » par M. Gregory Kennedy, professeur d’histoire à l'université de Moncton et finalement « Le cinquantenaire de l’arrivée du consulat français à Moncton » avec M. Robert Pichette, écrivain. Cette dernière conférence a été présentée en partenariat avec le Consulat de France à Moncton.

La société a publié 3 Cahiers durant l'année, dont un numéro double. Si vous souhaitez publier des articles sur l'histoire acadienne le rédacteur des Cahiers, Jean Daigle est toujours disponible pour discuter avec vous.

Grâce à un partenariat entre la Société historique acadienne, le département d’histoire-géographie de la Faculté des Arts et des Sciences

L

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sociales de l’Université de Moncton, le District scolaire francophone Sud et l’organisme subventionnaire Hier/Then, un projet fut mis sur pied afin d’élaborer des scénarios pédagogiques en lien avec le bataillon acadien de la Première Guerre mondiale, le 165e Bataillon d’infanterie d’outre-mer. En plus d’une participation financière de la Société, deux membres du conseil d’administration ont également participé à la réalisation de ce projet. Effectivement, M. Gregory Kennedy a donné une conférence aux élèves des écoles Mathieu-Martin de Dieppe et une à l’école secondaire Assomption de Rogersville. Mme Claudette Lavigne a agi à titre de conseillère pédagogique à la réalisation des activités pédagogiques.

Le prix de reconnaissance M Emery LeBlanc, un des membres fondateurs de la société fut attribué à M. Ronnie-Gilles LeBlanc, historien, qui a contribué de façon exceptionnelle à l'avancement de la connaissance de l'histoire acadienne comme rédacteur des Cahiers de la SHA pendant une vingtaine d'années.

La bourse annuelle « Léone-Boudreau-Nelson-SHA » d'une valeur de 1 000 $ n'a pas été remise durant l'année car il n'y a pas eu de candidatures. Cette bourse est remise à un candidat/te aux études de deuxième cycle en histoire de l'Acadie.

La Société a maintenant un site web. Bien qu’il soit seulement au début nous avons décidé de l’ouvrir afin de permettre aux gens intéressés par l’histoire acadienne d’utiliser notre site afin de s’informer sur ce qui se fait à la Société.

Je voudrais aussi souligner le support du gouvernement du Nouveau-Brunswick pour son aide financière annuelle de 4 000 $ attribuée à la SHA par le biais de son ministère du Mieux-être, Culture et Patrimoine. Cette contribution permet à notre organisme de mener à bien ses activités durant l’année.

En terminant, je tiens à remercier tous les membres du Conseil d’administration pour leur collaboration et leur contribution soutenues durant toute l’année. Également un gros merci spécial au professeur Gregory Kennedy qui nous quitte après avoir passé 5 ans avec nous. Sa généreuse contribution et ses conseils judicieux ont fait en sorte que la Société a continué de progresser. Je voudrais aussi remercier la direction et le personnel du Centre d’études acadiennes Anselme-Chiasson pour leur support continu en nous fournissant un local pour nos activités et pour les nombreux conseils et services tout au long de l’année.

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Nouvelles de la Société

Le 25 mai 2014 une vingtaine de membres assistaient à l’assemblée annuelle de la Société. À cette occasion, un nouvel exécutif a été élu dont voici les noms : président, Jean Ladouceur; vice-président, François LeBlanc; président sortant, Raymond McLaughlin; secrétaire, Donald-Léo LeBlanc; secrétaire-adjoint, Lewis LeBlanc; trésorière, Marie-Ève Godbout; conseiller-e-s : Christine Dupuis, Claudette Lavigne, Andréa Melanson; représentant du département d’histoire-géographie, Jeremy Hayhoe; rédaction des Cahiers : Jean Daigle et Gregory Kennedy; responsable du fonds permanent, Marie-Ève Godbout; responsable de l’expédition des Cahiers, Oscar Duguay.

La photo qui suit nous présente quelques-uns des membres du nouvel exécutif.

Exécutif de la Société historique acadienne 2014-2015

De gauche à droite : Andréa Melanson, conseillère; Raymond McLaughlin, président sortant; Marie-Ève Godbout, trésorière; Jean Ladouceur, président; Christine Dupuis, conseillère Jean Daigle, rédacteur des Cahiers. Absents : François LeBlanc, vice-président; Donald-Léo LeBlanc, secrétaire; Lewis LeBlanc, secrétaire-adjoint; Claudette Lavigne, conseillère et Jeremy Hayhoe, représentant du département d’histoire.

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Notre association organise un colloque pour souligner le 40e anniversaire de la dualité linguistique en éducation dans la province du Nouveau-Brunswick. Cet événement est prévu pour le vendredi 19 septembre 2014 à l'édifice Jeanne-de-Valois sur le campus de l'Université de Moncton. Une conférence par un représentant du ministère de l'Éducation sera suivie d'une table-ronde de panelistes qui ont œuvré durant leur carrière afin de promouvoir le fonctionnement du système scolaire en langue française au Nouveau-Brunswick. Des renseignements supplémentaires seront communiqués à nos membres durant l’été.