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Le documentaire historique pour enfants en France de 1970 à 1987 : LA RÉVOLUTION FRANÇAISE par Mireille Le Van Ho On assiste depuis vingt ans à une évolution du documentaire historique pour enfants. L'histoire de la Révolution française, « période fondatrice de la France républicaine », a-t-elle bénéficié de ce renouvellement ? N° 122-123 - AUTOMNE 1988 157

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Le documentaire historique pour enfantsen France de 1970 à 1987 :

LA RÉVOLUTIONFRANÇAISE

par Mireille Le Van Ho

On assiste depuis vingt ansà une évolution du documentaire historique pour enfants.

L'histoire de la Révolution française,« période fondatrice de la France républicaine »,

a-t-elle bénéficié de ce renouvellement ?

N° 122-123 - AUTOMNE 1988 157

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L a prochaine commémoration du Bicen-tenaire ne justifie pas à elle seule le

choix de la Révolution française commethème d'étude dans le documentaire histori-que pour enfant : dans L'Histoire sous sur-veillance (11, Marc Ferro la cite commel'exemple type du phénomène qui répondraitaux critères de sélection des événements àanalyser dans les programmes scolaires. Laseule différence est que nous nous intéressonsici à une production non scolaire, qui n'obéitpas à des impératifs officiels dans son élabo-ration, mais dont le développement est large-ment lié aux Instructions officielles de 1969sur l'enseignement de l'Histoire à l'écoleprimaire.En effet, au moment où l'histoire événemen-tielle, lavissienne, était abandonnée dansl'enseignement au profit d'une histoire plusconcrète, démythifiée, dénationalisée et déta-chée d'un enseignement systématique de lachronologie — l'Histoire prônée par l'Ecoledes Annales au début des années 70 — onvoit se multiplier dans l'édition enfantinenon scolaire des collections historiques àdestination des enfants de 9 à 13 ans. Ceboom des collections historiques non scolairescorrespond à la fois à un regain d'intérêtpour l'Histoire (une vingtaine de collectionsde documentaires historiques pour enfantssont créées à partir de 1975), mais aussi àl'occupation d'un créneau dans l'édition : eneffet, devant les difficultés à redéfinir lescontenus du manuel scolaire, les éditeursscolaires, les premiers (Bordas, Hachette,Nathan), lancent des collections historiquesnon scolaires (Les Voyageurs de l'Histoire,La Vie privée des hommes, Monde-en-Po-che...), mouvement largement suivi et accen-tué jusqu'à aujourd'hui par les éditeurs nonscolaires.Cette multiplication des collections s'accom-pagne d'un renouvellement dans la forme etles contenus : la mise en page s'aère, se faitplus accrocheuse, moins linéaire, la couleuret la reproduction de documents d'époquese généralisent. La forme de l'album illustré

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domine , même si l ' iconographie n 'es t pasencore utilisée comme objet d 'analyse maisillustration du propos .Ainsi, dans les années 70 se consti tue pourles enfants une histoire non scolaire (ouparascolaire ?) dont la forme et le contenuméri tent d 'être étudiés. Cet te floraison édito-riale coïncide avec un d é b a t plus vaste surles questions de la t ransmission de l 'Histoire,de la mémoire collective, avec une redéfini-tion de l 'Histoire comme analyse, conceptua-lisation et non plus simple nar ra t ion . C'estaussi le moment où l 'on admet que lachronologie chez l 'enfant se fixe ta rd ivement ,vers 10 ans , et donc q u e l 'histoire desévénements n 'est peut-être pas la plus ap-propriée pour lui faire mieux comprendre lepassé.D a n s ce contexte de floraison documenta i reet de remise en cause d 'une histoire positivis-te, comment a-t-on trai té la Révolut ionfrançaise, considérée depuis 1880 jusquedans les années 60 comme la période fonda-trice de la France républicaine et de l'Etat-nation et dont l'histoire avait toujours étéécrite en fonction des enjeux nationaux, enexaltant les grandes figures politiques ?Cette analyse a porté sur la productionfrançaise de 1970 à décembre 1987, à partirdu fonds du Centre national du livre pourenfants de la Joie par les livres, ce qui apermis de rassembler un corpus exhaustif.Les productions à vocation scolaire commeles « Bibliothèques de travail » ont été écar-tées car elles ont d'abord une visée scolaire.Pour la sélection des ouvrages, on a retenula tranche d'âge des 7-14 ans : au delà decet âge le traitement historique des ouvragesde vulgarisation n'est pas vraiment différentde celui des adultes ; se sont donc trouvésécartés les ouvrages pour adultes que l'onrange dans les sections adolescents des biblio-thèques. Les critères d'illustration, de lisibili-té (texte clair sans complexité exagérée), demise en page, ont permis de trancher lecorpus vers le haut.Ce corpus rassemble des ouvrages spécifique-

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m e n t consacrés à la période révolut ionnaire,relativement peu nombreux, et les histoiresde France , publiées dans la même période,qu i toutes accordent un chapitre plus oumoins long à la Révolution.21 ouvrages ont été publiés de 1970 à 1987sur la Révolution française : études globalesde la période, études thémat iques , biogra-phies. A titre indicatif, dans le même t emps ,on publiait 42 ouvrages sur le Moyen Age« hexagonal », oserai-je dire, sur les F rancset l'édification du Royaume de F rance , lachevalerie, etc. , soit le double. La Révolu-t ion, comme les derniers siècles de not reHistoire, est un sujet peu trai té , à peineplus d 'un ouvrage par an, à l ' inverse del 'Antiquité, d u Moyen Age ou des g randesdécouvertes, sujets de prédilection du renou-vellement des collections.Les histoires de France sont un peu plusnombreuses : 26, et elles consacrent enmoyenne 7% de leur volume au t ra i tementde la Révolution.Deux ouvrages généraux qui consacrent unchapi t re à la Révolution ont été égalementretenus : A la découverte de l'Histoire (Ha-chette, 1981, Hachet te encyclopédique pourles jeunes), La Bibliothèque de l'Histoire :batailles et révolutions, les grands momentsde l'histoire mondiale de Mass imo Gri l landi(Hachet te , 1987).Le corpus de base de cette étude rassembledonc 49 ouvrages (2). Cet te product ion surla Révolution se concentre surtout de 1980à 1987. 17 ouvrages sur 21 du corpusspécifique ont été publiés pendan t cettepériode. Quand on étudie la répart i t ion dece corpus par âge en re tenant trois t ranchesd 'âge significatives : 7-9 ans, 10-12 ans(moment où la chronologie se fixe) et 13-14ans (âge où se marque une réelle complexifi-cation du texte), on remarque que la majoritéd u corpus s'adresse à des enfants de plus de10 ans ; pour les histoires de la Révolut ion,9 0 % du corpus s'adresse à des enfants de10 ans et plus ; pour les histoires de F ranceet les histoires générales, la répart i t ion est

un peu plus étalée : 6 8 % d u corpus s'adresseaux plus de 10 ans.La Révolution française est donc un sujetpeu traité et plus traité dans les tranchesd'âge supérieur, à la différence de l 'Antiquitéou du Moyen Age, largement représentéspour les plus jeunes. La Révolution françaisefonctionnerait-elle comme un tabou historio-graphique ? La simplification autour dequelques idées maîtresses, caractéristique dudocumentaire historique pour enfant, serévélerait-elle difficile sur cette période ?Préalablement à l 'examen thémat ique ducorpus, il est révélateur de voir commentcelui-ci se répart i t entre une histoire chrono-logique, que l'on peut souvent qualifier denarrat ive, et une histoire p lus analytique.Sur l 'ensemble des deux corpus, pour lesouvrages qui t rai tent toute la période, 7 3 %font une histoire où domine le récit desévénements (exemple : les histoires deJ . -L . Besson ou de Melchior-Bonnet) ; 27%seulement développent sur une t rame tou-jours chronologique des aspects sociaux,économiques ou culturels (les ouvrages deH . Luxardo, R . Dubois , B . Grosjean, D .Cels, M . Wolinsky, P . Mique l : La véritablehistoire des Français, M . Lachiver : Lejournal historique de la France, La Révolu-tion : cent crayons pour une bande dessinée).Neuf fois sur dix cette histoire qui étudie lesstructures, qui privilégie l 'analyse et offredes interprétations, s 'adresse à un publicd'enfants de plus de 10 ans . Cette productionest répartie sur les années 1975-1987, c'est-à-dire à l 'apparit ion des nouvelles collectionshistoriques, à un moment où l'édition faitun effort réel pour présenter l 'Histoire autre-ment que suivant un récit chronologique :la Révolution échapperai t en grande partieà ces tentatives de renouvellement.A côté de ces ouvrages qui t ra i tent globale-ment la période, une dizaine d'ouvragesabordent des thèmes particuliers :• l ' esc lavage : J'étais enfant pendant laRévolution française évoque sans perspectivehistorique véritable l 'abolition de l'esclavage

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à travers la vie romancée d'un enfant esclaveen 1791 ; Toussaint-Louverture fils noir de laRévolution analyse à travers une biographienuancée la grande révolte de Saint-Domin-gue ;• la vie quotidienne et la société pendantla période révolutionnaire : La vie quoti-dienne au temps de l'an II de la Révolution ;• la Vendée avec les monographies de J.-C. Martin et M. Hérubel ;• les grands personnages avec deux biogra-phies sur Robespierre, une sur La Fayetteet celle sur Toussaint-Louverture ;• Le 14 Juillet : A la Bastille : 14 juillet1789, qui est une présentation correcte desfaits et du symbole qu'est devenue la Bastille.Le contenu thématique a été analysé autourde quelques rubriques qui regroupent lesthèmes les plus fréquemment traités dansces documentaires.

Le tableau de la Franceavant la Révolution

Sur les 11 histoires globales de la Révolutionfrançaise, 10 consacrent un chapitre plus oumoins long pour présenter la France d'avant1789, sauf La Révolution 1789-1795 de B.Melchior-Bonnet qui sur 172 pages ne con-sacre qu'une page d'introduction très rapideà l'état de la France en 1789. A l'exceptionnotable de cette étude, très chronologique etpolitique, de la Révolution qui la présentecomme un événement sans cause, les autreshistoires dressent un tableau de la Franced'Ancien Régime réparti comme suit :- 63% de ces histoires dressent un tableauconjoncturel des dix années qui précèdent laRévolution, en insistant surtout sur la crisefinancière et économique, sur le coût répercu-té de l'engagement dans la guerre d'Indépen-dance américaine, sur l'échec des réformes,sur les disettes de l'hiver 1787-1788, l'aug-mentation du prix du pain et le mécontente-ment populaire. La démographie, les débutsde la révolution industrielle, la prospérité du

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18e siècle et les caractérist iques de cetteFrance encore profondément rura le ne sontpas traités.- La crise sociale n'est pas évoquée dans untableau précis de la société : la société estsouvent assimilée à la représentation nationa-le, aux trois Ordres, et les disparités socialesà l'intérieur des ordres sont évoquées par lamoitié de ces histoires. La réaction nobiliaireest nommément citée une fois. Le rôle desparlements, favorable aux seigneurs, estignoré. On insiste surtout, quand on évoquele Tiers-Etat, sur la mauvaise répartitiondes impôts qui accablent le paysan.- L'influence des idées des Lumières estmentionnée, sans préciser en quoi consistentces idées (remise en cause de la monarchieabsolue et séparation des pouvoirs).27% seulement de ces histoires de la Révolu-tion dressent un tableau plus détaillé, struc-turel de la France d'Ancien Régime (R.Dubois, H. Luxardo). Les deux ouvrages deLuxardo s'attardent sur la société, sur lesdifférenciations sociales et politiques à l'inté-rieur des groupes : noblesse de cour, noblesselibérale qui s'inspire des physiocrates etcontribue à l'industrialisation du pays, no-blesse provinciale appauvrie et très attachéeà ses privilèges. Le tableau de la paysannerieest esquissé avec le même souci de nuances :les ouvriers agricoles et la domination de lasociété paysanne par les laboureurs aisés...Ces histoires spécifiques privilégient globale-ment la conjoncture sur la structure pourexpliquer la Révolution, ce qui correspondbien à l'option très événementielle et politi-que de l'ensemble du corpus.Dans ces présentations majoritairement con-joncturelles de la France à la veille de 1789,une grande importance est accordée au roiou tout au moins à la personne du roi : dansle corpus spécifique, 71% des ouvragesconsacrent un développement à Louis XVI,mais ces développements sont à 80% desportraits psychologiques. Une analyse del'absolutisme royal n'est faite que dans 20%des cas (exemple : chez R. Dubois, H.

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Servien). 76% du corpus général fait undéveloppement particulier sur Louis XVI etla proportion du seul portrait psychologiqueest encore plus écrasante : 82%. Ce portraitpsychologique joue massivement sur un roibon, honnête, bon chrétien et bon père, maismou, sans volonté, incapable de faire lesréformes, très influencé par Marie-Antoinet-te — toujours présentée négativement. Lacomparaison avec les autres souverains d'Eu-rope, en particulier les despotes éclairés estrarement faite (sauf dans le dernier ouvragede Luxardo).

Les journéesrévolutionnaires

Elles dominent les deux corpus, ce quitraduit là aussi l'importance des histoiresévénementielles ; la période de la Constituan-te et de la Législative est massivementévoquée à travers une trame chronologiquequi fait ressortir l'ouverture des états géné-raux (5 mai), le Serment du jeu de paume(20 juin), la prise de la Bastille (14 juillet),la Nuit du 4 août, la marche du peuple deParis sur Versailles (5-6 octobre), la fête dela Fédération (14 juillet 1790), la fuite duroi (20-21 juin 1791), la prise des Tuilerieset la chute du Roi (10 août 1792).Cette trame chronologique est à 72% celledu corpus spécifique qui traite globalementla Révolution. Pour les histoires de France,50% du corpus respecte cette chronologie :son non respect est lié essentiellement àla tranche d'âge à laquelle s'adressent leshistoires de France en question, c'est-à-direà des enfants très jeunes où la simplificationet l'ellipse sont les deux caractéristiquesfondamentales du traitement. En effet surla moitié des histoires de France qui netraitent pas ces journées, 57% s'adressentaux moins de 10 ans. Cette trame metl'accent sur des journées où le peuple jouele premier rôle, soit comme acteur direct,soit comme une entité unique, rassembléecontre la Royauté. Cette organisation chro-

nologique des premières années de la Révolu-tion rappelle celle du manuel scolaire laïcen vigueur depuis les années 1880 jusquedans les années 1970. Elle est constituéeautour de l'idée simple de la conquête de laliberté par le peuple français unanime.A partir de la Convention, la logique desconflits sociaux et politiques n'est plus aisé-ment réductible au combat pour une idéeglobale et généralisable : les événements nese détachent plus avec le même ensemble àl'exception de l'exécution du roi et de la chutede Robespierre qui peuvent être réduites àla chute des tyrans et supposer une unanimitépopulaire.

Ainsi, cette historiographie pour les enfantsfait une large place dans le choix des événe-ments au peuple rassemblé en gommant lesdifférenciations et les pressions de tel ou telgroupe social. Du même coup en mettant lePeuple en avant comme acteur principal del'Histoire, elle a tendance à minimiser lerôle des personnages politiques. Mais plusencore que les personnages politiques, ellese méfie de la biographie.

La biographie

Cette méfiance, déjà manifestée dans lemanuel scolaire à la fin des années 60,s'inscrit bien dans la ligne de l'histoire desAnnales de dépersonnaliser, de démythifierl'Histoire. On ne trouve que quatre biogra-phies dans ce corpus :

- Deux biographies de Robespierre dontl'une est une traduction de l'italien paruechez Dargaud en 1970, dans une collectionaujourd'hui disparue : Les Grands de tousles temps, et une biographie rédigée parBertrand Solet, pour Duculot (rééditée à laFarandole) ; la biographie des révolutionnai-res n'est pas jugée comme un créneau renta-ble ou intéressant. Ces deux biographies sontnuancées, assez difficiles, réservées à desenfants de plus de 12 ans. L'analyse domine :les deux interprétations sont favorables au

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personnage, avec des nuances. Pour Solet,Robespierre conduit à la victoire irréversiblede la Révolution, malgré les erreurs commi-ses pendant la Grande Terreur, ses combatspour les droits politiques du peuple, laliberté, l'égalité étaient justes. Dans l'ouvra-ge italien, la Terreur est qualifiée de « tragi-que », mais Robespierre a toujours incarné lamorale républicaine contre les démagogues :Danton, Marat, Hébert. Les thèses d'AlbertMathiez qui réhabilitent le personnage deRobespierre au début du siècle sont toujourssuivies.- Une biographie de La Fayette par J.Lessay, qui insiste beaucoup sur l'épisodeaméricain mais montre bien le rôle et leslimites du personnage après 1790, une foisque la monarchie parlementaire n'est pluspossible. La Fayette n'est pas un politique :les contradictions du personnage sont bienmises en évidence. L'ouvrage s'adresse à unpublic d'adolescents.- Une biographie de Toussaint-Louverturede P. Pluchon qui raconte l'histoire de lagrande Révolte de Haïti et de la premièreabolition de l'esclavage, à travers le person-nage de Toussaint-Louverture dont les inté-rêts personnels auraient suscité ce grandmouvement de l'Histoire. Une biographiesans idéalisation ni dramatisation sur unpersonnage presque toujours oublié dans lesautres ouvrages.Hormis Robespierre, aucune biographie n'estconsacrée à l'un des grands leaders politiquesde la Révolution. Dans l'ensemble des deuxcorpus, on cite les leaders politiques sansfaire de longs développements sur leurs idéesou leur action. Ceux qui reviennent le plussouvent sont Mirabeau, Danton, Marat,Robespierre, Saint-Just, dans une moindremesure Sieyès, Desmoulins, Hébert et LaFayette.A côté des leaders politiques plutôt boudés,on multiplie la citation des personnagessecondaires et certains ouvrages récents com-me l'ouvrage de R. Dubois établissent desnotices sur les femmes dans la Révolution :

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Olympe de Gouges, Claire Lacombe... Enrevanche la biographie des enfants héros nefait plus recette : l'identification au hérosn'est pas un ressort de cette historiographieenfantine qui cherche moins à créer des bonscitoyens que ne le faisait le manuel scolaire ;une exception : l'ouvrage de R. Dubois quiconsacre, en 1987, une notice à Viala et uneà Bara dans la ligne de l'historiographielaïque et républicaine. J.-C. Martin rétablitla portée de l'événement dans son histoirede la Vendée : « La mort de Bara est unevéritable opération de publicité révolution-naire. La médiocre défaite d'une petite trou-pe républicaine devient ainsi l'occasion d'unepanthéonisation politique » (p. 100).De même les « généraux imberbes » sontmoins prisés : Kellermann et Dumouriez, lesvainqueurs de Valmy et Jemmapes, officiersde l'Ancien Régime, sont cités une fois etdemie à deux fois plus que Hoche, Marceauou Kléber : la raison en est sans doute qu'ilsont été associés aux deux plus grandesvictoires de la République contre l'ennemiextérieur et que, eux, n'ont pas fait la guerrede Vendée, entachée de désapprobation.Dans le documentaire historique de 1970 à1987, ce n'est pas sur la biographie exemplai-re, ni sur les modèles révolutionnaires decivisme qu'on a voulu construire une mémoi-re collective.

La patrie en dangeret la nation en armes

Elles sont évoquées dans toutes les histoireset font l'objet d'un réel consensus, mêmedans les histoires royalistes. Seule La vérita-ble histoire des Français de P. Miquel nedissocie pas (dans la réprobation) la nationen armes de la dictature révolutionnaire :« ...La peur des brigands, de l'étranger, desAnglais, des émigrés, des Autrichiens et desprêtres, peur du « complot aristocratique »,de la répression et du retour à iAncienRégime : il n'en fallait pas plus pour faireaccepter la République et la Terreur, mal

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urbain, la guillotine, spectacle parisien et laguerre où des milliers de jeunes paysans,pour garder les terres et les droits conquis,partiraient à l'appel des représentants enmission, pieds nus ou en sabots » (p. 102).Les thèmes principaux sont la Marseillaise,la Proclamation de la Patrie en danger etl'enrôlement des volontaires, le récit desvictoires de Valmy et de Jemmapes. Lessoldats de l'an II, armée de volontairespleins de ferveur patriotique, occupent lavedette ; leur mauvais équipement fait res-sortir leur courage et leur abnégation ; l'im-préparation de l'armée, sa désorganisationn'en rendent les victoires que plus éclatantes.L'ouvrage de G. Duchet-Suchaux consacreune partie à la vie quotidienne des arméesde la République qu'il oppose aux arméesrévolutionnaires (milices, gardes nationalesau rôle politique) : Luxardo, dans Au tempsde la Révolution française, apporte desbémols à l'enthousiasme général : il mention-ne l'amalgame et l'hétérogénéité des armées,le mécontentement et les désertions à la suitedu décret du 23 août 1793 sur le servicemilitaire obligatoire pour les hommes de 18à 25 ans, les conditions de vie matérielleextrêmement dures.

Globalement, l'évocation de la Nation enarmes permet de conserver une unité à laRévolution et une fois de plus, de la réduireà une idée simple et consensuelle. A partir de1794, la guerre de conquête révolutionnaire,l'exportation de l'idéal révolutionnaire etl'extension au frontières naturelles sont pres-que toujours occultées. On passe insensible-ment des soldats de l'an II aux soldatsde Bonaparte, de la guerre défensive auxcampagnes napoléoniennes, sans évoquer leglissement de la Révolution du politique aumilitaire.

La guerre civile

Elle est le plus souvent réduite à la guerrede Vendée. Seuls quelques ouvrages pour les

plus âgés (Luxardo, D. Prache) font desdéveloppements conséquents sur l'insurrec-tion girondine et royaliste dans le restede la province. Trois monographies sontentièrement consacrées à la guerre de Ven-dée :

La Petite histoire des guerres de Vendée deH. Servien, préfacée par Michel de Saint-Pierre, donne la version catholique et royalede la guerre de Vendée, avec hagiographiedes chefs vendéens et lourde insistance surles massacres commis par les Républicains.La Vendée racontée aux enfants de M.Hérubel, ouvrage de géographie historique,donne la version traditionnelle, catholiqueet royale de l'insurrection sans évoquer lalevée en masse comme l'une de ses causes ;elle est assez objective cependant sur lesresponsabilités des massacres.Blancs et Bleus dans la Vendée déchirée deJ.-C. Martin ne pose pas d'emblée lesVendéens comme catholiques et royaux ;la levée en masse est mentionnée commedéclencheur de la Révolte et les massacressont évoqués objectivement.Dans 57% des histoires de la Révolution etdes biographies de Robespierre, la Vendéefait l'objet d'un développement qui soulignele soulèvement paysan contre la levée enmasse imposée de Paris et n'invoque passeulement l'attachement au roi et au clergécomme causes de l'insurrection. Les 43%restant ne la mentionnent pas ou s'en tien-nent à une phrase elliptique qui définit laVendée comme catholique et royale, sansplus d'explication. On insiste sur les mas-sacres perpétrés par les républicains dans lesrangs des Blancs ; deux ouvrages, ceux deJ.-M. Pélaprat et R. Dubois, donnent uneversion plus nuancée des effets de la violencedans les deux camps.

Dans les histoires de France, la Vendée estoubliée ou traitée en une phrase dans 76%des ouvrages, le meilleur exemple, aussiparadoxal soit-il, en étant l'histoire de Francede L. Bély chez Ouest-France (Rennes) quiliquide la question vendéenne en une phrase

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exemplaire de contre-vérité : « Les paysansen Vendée, encadrés par les aristocrates etencouragés par les prêtres, se révoltaient aunom de Dieu et du Roi » (p. 100). Un belexemple de non-dit aussi dans Ma premièrehistoire de France de D. Bosetti : « Beau-coup de paysans refusent de partir à laguerre, ils s'allient aux nobles et combattentla Révolution dans une longue et cruelleguerre civile ». Et si cette histoire précisementionne le refus de la levée en masse, lesautres massivement ne connaissent qu'unsoulèvement catholique et royaliste.Si un peu plus de la moitié des histoiresspécifiques de la Révolution traitent la Guer-re de Vendée, les histoires de France l'élu-dent rapidement : le sujet provoque un « si-lence gêné ».

La dictaturerévolutionnaire

Si la dictature révolutionnaire est largementévoquée dans les deux corpus, dans 53%des cas elle est assimilée à la Loi contre lessuspects, et synonyme de répression et deguillotine. 47% des ouvrages seulement ana-lysent ses moyens d'actions, la centralisationadministrative, sa politique économique etses soutiens populaires.35% des ouvrages justifient la Terreur parla situation extérieure (D. Cels, B. Solet) ouse retiennent de trancher sur la période (R.Dubois) ; La Révolution française en BDchez Larousse pose la question : « Peut-onjustifier la Terreur ? » (p. 43).Le reste des ouvrages, soit 65% du corpus,est nettement réprobateur : « folie sanguinai-re » dans Le grand livre de l'histoire deFrance aux Deux Coqs d'or (p. 217), « Lesinistre défilé » dans Le livre d'or de l'histoi-re de France chez Tallandier (p. 235), « Ter-reur mal urbain » dans La véritable histoiredes Français de P. Miquel. Trois chapitresy sont consacrés dans l'ouvrage de Luxardo,La Révolution française chez Casterman.Le documentaire pour enfant serait-il mar-

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que par l'interprétation de François Furet(3), celle du dérapage de la Révolution desélites en une révolution populaire, violente,rétrograde et totalitaire ? ou plus vraisembla-blement est-elle dominée par la vulgatedécoulée de cette thèse qui ferait de lapériode de la Terreur l'ancêtre des totalitaris-mes contemporains ?

Le Directoire

72% des histoires globales de la Révolutiontraitent rapidement le Directoire en une pageou un paragraphe (6% en moyenne del'ouvrage). La Révolution au jour le jourde Prache et L'histoire de la Révolutionfrançaise en BD s'arrêtent à la Conventionthermidorienne. Le Directoire n'occupe pasune place réelle dans la Révolution et appar-tiendrait déjà à l'époque napoléonienne.Ce que l'on retient du Directoire, c'estl'organisation politique collégiale au plushaut niveau, la crise financière et économi-que après la chute de l'assignat, la misèrepopulaire opposée au luxe étalé de la bour-geoisie enrichie. Les Muscadins et les Mer-veilleuses, leurs tics de langage et leursextravagances vestimentaires, font encorecouler beaucoup d'encre. Les coups d'Etatsuccessifs, à l'exception de Brumaire, sontrésumés dans la « confusion de la période »,dans la « politique de bascule » des direc-teurs.

Dans les histoires de France, le Directoireest une période si ambiguë et si marquéede réprobation qu'il disparaît purement etsimplement dans près de 50% des ouvrages,surtout dans ceux qui s'adressent au plusjeune public : les auteurs sautent allègrementde la chute de Robespierre au 18 brumaire,donnant ainsi aux prédictions de Robespierreune force toute particulière : « La chute deRobespierre marque le retour à une vie pluscalme. 18 Brumaire. Coup d'Etat. Le généralNapoléon Bonaparte se fait nommer premierconsul »(Le livre de l'histoire de France deJ.-L. Besson, p. 82-83) ; « Le 21 janvier1793, le roi fut guillotiné. Robespierre, Saint-

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Just et leurs amis dirent qu 'il fallait sauverla Révolution. On guillotina les ennemis dela Révolution. Ce fut la terreur. La guerreétait dure. Un jeune général corse, quigagnait toujours des batailles, fit peur auxrévolutionnaires. Il s'appelait Napoléon Bo-naparte «(Histoire de France d'A. Darbault,Janninck).

Le traitement des aspects intérieurs sont lesmêmes globalement que pour les histoires dela Révolution. 63% des histoires de Francene retiennent des campagnes du Directoireque celles d'Italie et d'Egypte : l'exportationet l'universalisation de la Révolution sont,depuis la décolonisation des notions enta-chées de réprobation sur lesquelles on passe.

L'histoire sociale

Dans des histoires majoritairement événe-mentielles, les développements sur la sociétése font à l'occasion d'un événement particu-lier, sans synthèse véritable sur la sociétérévolutionnaire et les changements dans lavie quotidienne.

La vie quotidienne au temps de l'an IIde la République de G. Duchet-Suchauxs'intéresse à la vie quotidienne du paysan,du sans-culotte et du soldat de l'an II : lerecours à la citation de documents d'archivespermet une description particulièrement inté-ressante de la vie des campagnes dont leshiérarchies et les traditions communautairesdemeurent, malgré les bouleversements desrythmes des travaux des champs imposéspar la déchristianisation (arrêt des sonneriesdes cloches et adoption du calendrier républi-cain).

Au temps de la Révolution française, de H.Luxardo (Hachette), présente en chapitresthématiques la société de 1789 à 1799 : surl'émigration de la noblesse, citée ailleursmais jamais étudiée dans son contenu, surles femmes dans la tourmente, sur la familleet l'éducation avec une phrase de conclusionsur les changements apportés par la Révolu-tion. Un chapitre aussi sur la fête révolution-

naire dans la ligne des études menées parMona Ozouf. Un chapitre est intitulé« Changer la vie ? », résumant l'interroga-tion sur les modifications dans la vie quoti-dienne apportées par la Révolution.Parmi les histoires de France, deux ouvragess'intéressent particulièrement à l'histoire so-ciale : L'histoire d'une nation : la France del'an mil à nos jours de D. Cels (Messidor-La Farandole) est une interprétation marxis-te qui privilégie l'étude de la Grande Peur,du mouvement sectionnaire, développel'œuvre d'économie dirigée de l'an II et lesmesures d'assistance publique prise dans lesdécrets de Ventôse. La véritable histoire desFrançais de P. Miquel (Nathan) est celle dela paysannerie contre la Révolution urbaineet centralisatrice imposée de Paris.La presse, les clubs et plus généralement ledéveloppement d'une opinion publique sontévoqués dans les ouvrages de H. Luxardo,R. Dubois, B. Grosjean, dans le Robespierrede Pizzinelli.

Dans le reste du corpus, l'histoire sociale esttraitée de façon allusive à l'occasion d'unévénement majeur : les conditions de vie despaysans au moment de la Grande Peur oulors de l'insurrection vendéenne ; l'émigra-tion des nobles est mentionnée après laBastille, le clergé est évoqué à l'occasion dela constitution civile et de la vente des biensnationaux sans étude sur les conditions devie des prêtres et les répercussions sur l'ensei-gnement dans les villages. Le mouvementsans-culotte est surtout décrit dans ses attitu-des et son vêtement. Son recrutement etl'organisation sectionnaire sont moins évo-qués que son goût des exécutions publiques :les tricoteuses reviennent régulièrement. Glo-balement le sans-culotte est perçu négative-ment au point que, dans l'interprétationd'une classe de CM2, publiée chez Messidoren 1985, La Révolution française : 100crayons pour une bande dessinée, le Parisdes sans-culottes ressemble à Varsovie sousJaruzelsky et la France de la Convention àun goulag, visité par un journaliste russe

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Vladimir Catastrov... Une interprétation to-talitaire sans doute très téléphonée à desenfants, mais plutôt étonnante chez cetéditeur...La bourgeoisie est surtout évoquée à traversl'œuvre de la Révolution et les « excès » duDirectoire.Les représentations de la société à travers lesdocuments d'époque ne sont pas étudiées :aucune de ces histoires ne s'interroge parexemple sur l'enfant dans la Révolutionfrançaise, comment on l'a représenté, perçu,utilisé dans la propagande, si sa place dansla famille à changé...

L'œuvre de la Révolution

L'œuvre de la Révolution est conçue commeun chapitre à part dans la majorité desouvrages sous forme d'une page ou d'unparagraphe en fin d'ouvrage pour déterminerce qui mérite d'être retenu, en fait une sortede synthèse qui n'exclut pas une formede catéchisme national et républicain. Lesrubriques sont le plus souvent énuméréesdans une indifférenciation chronologiquecomplète : on ne précise pas à quel momentde la Révolution la loi ou le principe retenuse rattache et on rétablit ainsi une visionglobale et unanime de la Révolution surlaquelle le récit événementiel avait rapide-ment achoppé après 1792. Le chapitre estsouvent intitulé « Ce que nous devons à laRévolution », « Les acquis de la Révolu-tion », « Ce que la Révolution nous alaissé ».

Les thèmes retenus s'ordonnent autour dedeux axes majeurs :- les acquis de la Constituante et de laLégislative, en gros ceux de la Révolutionlibérale inaugurée par l'abolition des privilè-ges et la Déclaration des droits de l'homme :la réorganisation administrative, la sépara-tion des pouvoirs, la vente des biens duclergé (mais la liberté des cultes est peuévoquée), la liberté de la presse ;

- les décisions de la Convention qui marquent

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l'unification du pays : la proclamation de laRépublique, la laïcisation de l'état-civil (maison évoque beaucoup moins le divorce) etl'adoption du système décimal pour les poidset mesures. La levée en masse, ancêtre duservice national est peu évoquée.Les mesures économiques des assembléesavec la création de l'assignat, les tentativesde création d'un marché national avec leMaximum des prix et des salaires de 1793,sont signalées dans moins d'un quart desouvrages.On parle très peu de l'œuvre scolaire de laConvention et du Directoire avec la créationdes grandes écoles, puis des écoles centrales,mais peut-être est-ce pour se démarquer dumanuel scolaire ? Le principe de l'écolelaïque, gratuite et obligatoire, est presquepassé sous silence (sauf chez R. Dubois)comme l'est l'ensemble de la Constitution de93, mentionnée dans trois ou quatre ouvrages— et encore sur le mode ironique dansl'ouvrage de Luxardo chez Casterman, page37 : « Une Constitution mort-née... A ceux(= les droits), déjà reconnus en 1789, elleajoute le droit au travail, à l'assistanceet même à l'insurrection ! » en oubliantl'oppresseur. On oublie de dire d'une façongénérale que c'est la Constitution de 93 quiaccorde le suffrage universel.Les principes démocratiques de la Constitu-tion de 93 ne sont pas évoqués sous prétexteque la Constitution n'a pas été appliquéealors qu'elle est encore aujourd'hui un sujetsensible du débat politique. De même, l'abo-lition de l'esclavage est citée dans un quartdes ouvrages et seuls trois ouvrages dépassentla citation pure et simple : l'exception nota-ble et remarquable de la biographie deToussaint-Louverture à l'Ecole des loisirs :Toussaint-Louverture fils noir de la Révolu-tion, la fiction romancée au Sorbier : J'étaisenfant pendant la Révolution française, quin'analyse pas vraiment les conditions del'abolition, un chapitre dans Au temps de larévolution française de H. Luxardo sur lesplanteurs et les esclaves aux îles.

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Globalement, la Révolution française est peutraitée dans le documentaire historique pourenfant de 1970 à 1987 et il faut se reporteraux histoires de France pour avoir unematière plus étendue. De plus, les ouvragess'adressent à un public d'enfants âgés deplus de 10 ans, les plus j'eunes devant secontenter d'histoires de France souvent fortelliptiques. Le contenu et la forme desouvrages rappellent étrangement le manuelscolaire laïc d'avant 1970 :- récit événementiel qui privilégie la périodeascendante de la Révolution jusqu'en 1792 ;- le thème national et patriotique est massive-ment évoqué et fait l'objet d'un consensusréel sur l'idée de la construction de l'Etat-nation ;- le Directoire est éludé dans les histoiresde France, ou ramené à l'émergence dupersonnage de Bonaparte.- l'œuvre de la Révolution privilégie lesacquis de 1789, ceux que les constitutionssuccessives de la France ont repris depuis latroisième République. La Constitution de 93et l'œuvre de la Convention ne sont retenuesque dans leurs aspects d'unification natio-nale.

Sur le fond, le documentaire historique pourenfants continue à inculquer à travers letraitement de la Révolution française lesvertus, républicaines, nationales et patrioti-ques, l'attachement aux principes de 89 deliberté et de propriété. L'absence presquegénéralisée, à quelques exceptions près, dechapitres sur la Révolution vue de l'étrangeret sur les interprétations historiographiquesne fait que le confirmer.Cependant, des différences sensibles appa-raissent dans la démarche et de façon plussignificative dans le traitement de certainsthèmes. La biographie est peu nombreuse etc'est toujours une biographie critique, jamaishéroïque ou mythique, à laquelle l'enfantpuisse s'identifier. En ceci les leçons del'historiographie braudélienne ont été rete-nues. Le recours au document original est

encore peu développé malgré quelques tenta-tives dans les ouvrages de Luxardo, tenantde l'histoire des Annales, collaborateur du« Peuple français » (4) et dans l'ouvrage deG. Duchet-Suchaux, archiviste.Dans les interprétations de quelques épisodessensibles on observe un démarquage asseznet par rapport au manuel scolaire et à laleçon de civisme qu'il voulait faire passer :• Le traitement de la Terreur a subi l'influen-ce, plus ou moins consciente, de la thèse deFrançois Furet, et la période est entachéede réprobation : l'image de la Terreur, ancê-tre des totalitarismes contemporains fonc-tionne bien.• Dans le même ordre d'idées la guerrede Vendée n'est plus évoquée avec bonneconscience mais provoque plutôt un silencegêné dont l'ellipse est la meilleure formula-tion.

L'évacuation des acquis de la Convention :Constitution de 93 et abolition de l'esclavage,prouve à l'évidence en tout cas que lemodèle de 1789 s'impose toujours. A quoi ceconformisme est-il dû ?- A ce que la majorité des rédacteurs de ceshistoires sont des professeurs de l'enseigne-ment secondaire ? Evoquer l'esclavage, parexemple, c'est aussi évoquer sa cause directela colonisation et la justification que luidonneront les politiques de la TroisièmeRépublique, les mêmes hommes qui ont créél'école laïque, gratuite et obligatoire : lagénéralisation et l'exportation des idéauxuniversels de la Révolution française sous laTroisième République.- A une paresse éditoriale qui se contente dereprendre ce qui existe déjà ? Mais pourquoile fait-elle spécialement à propos de laRévolution, alors qu'elle a montré ses capaci-tés de renouvellement pour d'autres pério-des ?- Au public visé : les parents acheteursplutôt que les enfants lecteurs — ceux-làrecherchant l'Histoire qu'on leur a racontéeou enseignée quand ils étaient enfants et

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validant par là-même, dans leur attitude deconsommateurs, une Histoire marquée parl'apprentissage forcené de la citoyenneté ?- A une difficulté réelle de l'appréhensionde cette période, difficilement réductible àdes concepts univoques et à la simplification,caractéristique de l'Histoire racontée auxenfants.Peut-être la production de ces deux prochai-nes années inversera-t-elle complètement latendance, encore que l'enjeu commercial soittellement énorme qu'on se demande si laRévolution a quelque chance d'être considé-rée comme un objet historique. •

Rousseau au Panthéon, 11 octobre 1794.

(1) Marc Ferro. L'Histoire sous surveillance. Calmann-Lévy, 1985. Rééd. Gallimard, 1987 (FolioHistoirel, p. 237. Annexes « Note sur les programmes ».

(2) et (31 François Furet, Denis Richet. La Révolution française. Hachette, 1965 ; Fayard, 1973 ;Marabout, 1980.

(4) « Le Peuple français » : Revue d'histoire populaire. Meudon, 1971-1980.

BIBLIOGRAPHIE SUR LARÉVOLUTION FRANÇAISE

par Mireille Le Van Ho

Documentaires

Les ouvrages retenus dans l'analyse sont précédés d'un astérisque. Certains ouvrages, toujours intéressants,qui ne figurent plus au catalogue des livres disponibles, ont été signalés par (I)

Daniel Cano, ill. Isabelle Ashley Rabarot : Paysans de Haute-Bretagne à la veille de la Révolution. Ouest-France, 1988. (Les documentaires Ouest-France).1789, naissance d'une Révolution. Delpire, 1977 ( ?). (Documents; 5). Pochette de documents en fac-similés.(D* Augustin Drouet, ill. Lucien Nortier : La Révolution française. Hachette, 1979. (Histoire juniors). (I)* Jean Dubacq, ill. Gérard Delepierre : J'étais enfant pendant la Révolution française. Le Sorbier, 1982.43 p.* Raoul Dubois: 1789, la Révolution racontée aux enfants. Enfance heureuse, Editions Ouvrières et PierreZech, 1987. 229 p. (Enfance heureuse).* Gaston Duchet-Suchaux, ill. Patrick Jusseaume : La vie quotidienne au temps de l'an II de la République(22 sept. 1793 — 22 sept. 1794). Hachette, 1984. 184 p. (Echos : La Vie quotidienne juniors).Bernard Epin, Nadia Tovar, Daniel Virieux : La Révolution française : elle inventa nos rêves. Messidor-LaFarandole, 1988.* Bernard Grosjean, ill. Jean-Paul Colbus : La Révolution française. Ouest-France, 1985. 42 p. (L'Histoireillustrée).

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