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La forêt d’Itombwe : enjeux socio-économiques et conservation de la nature en contexte congolais Mai 2010 La réserve naturelle d’Apolobamba dans la cordillère andine bolivienne : l’élevage d’alpacas menacé par l’extraction de l’or ? Un ECADIM . Étude de cas à dimension multiple . de Marie Mazalto (APMM)

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La forêt d’Itombwe : enjeux socio-économiques et conservation de la nature en contexte congolais

Mai 2010

La réserve naturelle d’Apolobamba dans la cordillère andine bolivienne : l’élevage d’alpacas

menacé par l’extraction de l’or ?

Un ECADIM. Étude de cas à dimension multiple .

de Marie Mazalto (APMM)

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. Sous titre

L’aire naturelle d’Apolobamba, est située dans le département de La Paz, au sein de la cordillère andine bolivienne, qui culmine à plus de 6000 m d’altitude. Traditionnellement, les populations locales Aymara, qui résident sur les hauts plateaux (4500-4900m), vivent de l’élevage de l’alpaca. L’exploitation, artisanale, de l’or permettait, périodiquement, de garantir quelques revenus supplémentaires aux communautés. Depuis quelques années dans la réserve, on constate une multiplication des mines d’or mécanisées exploitées par les communautés. Cette avancée constitue une menace directe pour les équilibres économiques et sociaux du territoire qui subissent toujours plus directement la pression et les variations des marchés mondiaux de l’or et du textile.

Résumé

Dans la Cordillère des Andes bolivienne, à la frontière du Pérou, les modes de vie sont en train de se transformer rapidement sous la pression des marchés économiques mondiaux de l’or et du textile. La Réserve d’Apolobamba (appelée aussi Ulla Ulla), située au Nord ouest de la Bolivie est classée depuis 1970 comme réserve naturelle car elle abrite une faune et une flore rares et menacées, dont la célèbre vigogne.

Or, aujourd’hui, une partie de cette réserve est un territoire dont les équilibres économiques, sociaux, culturels et écologiques sont menacés par la pression exercée sur ses activités traditionnelles par les marchés globalisés ; celui de l’or, en constante augmentation, et celui de la laine, qui subit une chute historique des prix.

Dans ces montagnes, l’ouverture récente et rapide de nouvelles voies et moyens de communication est un facteur important de désenclavement, qui participe à la redéfinition, voire à la disparition, du troc entre les habitants des différents étages écologiques et de la gestion collective des terres, pratiques historiquement structurantes pour ces territoires. Au sein de la réserve, cette étude porte sur la localité d’Antaquilla, où les éleveurs d’alpaca, qui vivaient grâce au commerce de la laine et au troc avec les vallées voisines, subissent de plein fouet la chute rapide et continue des prix de la laine, qui les poussent à se tourner vers l’activité minière. Riches d’un sol et d’un sous sol gorgés d’or, ces éleveurs profitent d’une hausse historique des prix des minerais pour investir dans des petites entreprises mécanisées ou se faire embaucher par des entrepreneurs locaux ou étrangers. La majorité des hommes du territoire se reconvertissent donc, pour la plupart, en ouvriers miniers, délaissant l’élevage à leurs femmes, enfants et parents. L’extraction de l’or, qui était autrefois saisonnière et servait de complément aux revenus familiaux, devient désormais la principale source de revenus pour ces familles.

Cette évolution a tout d’abord d’importantes conséquences en terme social. Dans la réserve d’Apolobamba, la terre n’appartient à personne individuellement, elle est gérée de manière

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. collective. Il revient à la communauté ou aux familles élargies de décider de leurs usages et éventuellement de leur attribution à un membre du groupe ou de leur cession à un tiers étranger. Or, depuis l’arrivée de l’activité minière mécanisée, ces règles semblent s’estomper, au profit du premier arrivé, premier servi. Les rôle sociaux sont également totalement chamboulés, par la reconversion rapide de la majorité des hommes en « mineurs » non plus saisonniers, mais à temps plein. Les impacts sont aussi économiques (augmentation des revenus des familles de mineurs, abandon progressif de l’élevage par certaines familles), culturels (augmentation des migrations vers et hors du territoire, augmentation de la consommation de produits importés). Ces impacts concernent également les modes d’occupation des terres : les mines grignotent rapidement les terres ou paissent, en semi-liberté des milliers d’alpacas et de lamas, laissant des trous béants à leur fermeture. Faute d’un personnel suffisant, formé, outillé et légitime, le statut de « réserve naturelle » ne permet pas de juguler le pullulement des mines dans le territoire de la réserve, ni leurs conséquences négatives sur l’environnement tels que le déversement de produits toxiques dans les sols et les cours d’eau, une érosion galopante, l’ouverture anarchique de mines mécanisées dans une réserve qui est une aire protégée, etc..

Au premier abord, la multiplication de mines d’or sur la réserve d’Apolobamba est une aubaine économique pour les individus et les familles qui survivent difficilement de l’élevage. Or, en regardant la situation de plus près cette étude montre comment l’exploitation et le commerce de l’or, faute d’être contrôlés et encadrés, peuvent, à court terme, représenter un facteur important de déstabilisation des équilibres territoriaux et une menace réelle pour l’avenir de la faune, de la flore et des communautés qui vivent dans la réserve.

Les questions principales qui motivent la réalisation de cet ECADIM

- Quels sont les impacts des marchés mondialisés de l’or et de la fibre et de la laine d’alpaca sur un territoire reculé de la cordillère des Andes ?

- Comment évoluent les pratiques des éleveurs d’alpaca et les modes de vie des communautés face à un contexte de crise structurelle du prix de la fibre et de la laine d’alpaca ?

- Quel est le mode de gestion des activités humaines au sein du territoire de l’aire protégée d’Apolobamba en Bolivie ?

Grille de lecture

Cet ECADIM est le fruit d’une recherche de terrain qui a été menée par l’auteur en mai 2010. Une approche sociologique permet d’aborder les évolutions historiques sur le territoire, mais aussi le processus du changement social en le reliant avec la dimension internationale des marchés.

Le travail de terrain a permis de rencontrer des individus qui ont été interrogés selon une technique d’entretiens semi-directifs. Les principales informations et idées issues des entretiens ont été retranscrites par écrit puis analysées. Nous avons également assisté à une réunion de travail entre l’ONG AVSF-CICDA et des éleveurs intéressés au projet.

Nous avons également participé à un atelier de formation à La Paz, ou étaient réunies toutes

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. les autorités indiennes dirigeant le territoire Marka Antaquilla. Lors de cette rencontre nous avons multiplié les entretiens.

Certaines des personnes rencontrées ont été invitées à dessiner leur territoire afin que nous nous figurions quels étaient les « repères » essentiels qui structurent le rapport au territoire. Nous avons pu constater que les rivières, les lacs et les chemins occupent une place centrale dans la représentation de leur territoire que se font les personnes interrogées.

Afin de compléter certaines données, nous avons travaillé en relation directe avec un ingénieur bolivien spécialisé sur les problématiques d’irrigation dans l’aire naturelle d’Apolobamba. Nous avons également complété notre collecte d’information en collaborant avec l’équipe d’Agronomes et Vétérinaires sans Frontières (AVSF-CICDA) qui est composée de chefs de projets et de techniciens très aguerris aux réalités de ce territoire. Nous tenons d’ailleurs à les remercier pour l’occasion qu’ils nous ont fourni de découvrir certaines réalités du territoire d’Apolobamba.

Document central

A- Le problème de départ

La Réserve d’Apolobamba constitue un territoire dont les équilibres historiques, économiques, sociaux et culturels sont actuellement menacés par la pression exercée sur ses activités traditionnelles par les marchés globalisés de l’or et du textile.

La fondation de la réserve dans les années 1970 avait comme objectif principal de protéger la faune et la flore locale, dont certaines espèces étaient et sont toujours menacées d’extinction. L’objectif consiste, encore aujourd’hui, à permettre un usage raisonné des ressources naturelles pour préserver des écosystèmes fragiles. La contamination générée par l’activité minière est au centre des préoccupations. La vigogne est également située au centre d’un projet de conservation, auquel sont plus ou moins directement associées les communautés locales.

En effet, depuis des millénaires, sur les hauts plateaux andins, l’élevage du lama, de la vigogne et de l’alpaca organise l’économie du territoire. Pour assurer leur subsistance, les populations aymara des hauts plateaux et les populations quechua, habitants des versants connectés aux vallées tropicales, ont structuré une économique d’échange basée sur le troc. La laine et la viande de lama et d’alpaca est acheminée par caravanes de lamas vers les vallées, qui à leur tour fournissent des fruits et des féculents, de la viande de bœuf, etc. aux communautés qui ne peuvent cultiver à des altitudes situées à plus de 4500 m. Ces caravanes effectuaient des trajets allant de 2 à 4 jours pour rallier les vallées et permettre ces échanges.

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Figure 1: Caravane de lamas qui amènent des pommes de terre vers les hauts plateaux andins

Nous nous proposons d’exposer le cas d’un territoire situé dans la réserve d’Apolabamba, sur les hauts plateaux andins. Il s’agit de la localité d’Antaquilla et des communautés vivant aux alentours. Ce territoire géré de manière communautaire par les populations autochtones (Tierra Comunitaria de Orígen-TCO) qui porte l’appellation de « Marka Cololo Copacabana Antaquilla ». Sa superficie est de 31553.7747 hectares. Ce territoire englobe d’une part les populations aymara, éleveurs d’alpacas qui vivent sur les hauts plateaux andins (4500-4800m) dans les « zones Antaquilla ». De l’autre côté des plus hauts sommets, sur les versants ouvrant vers les vallées tropicales vivent les populations quechuas qui pratiquent l’exploitation minière et une agriculture de subsistance (zone Agua Blanca).

Depuis quelques années, ce territoire fait face à l’introduction massive des moyens de transport modernes (bus, motos, voitures), à l’électrification des principaux foyers de peuplement, à la mécanisation des modes d’exploitation minière, à l’augmentation historique des prix de l’or et à la baisse des prix de la laine d’alpaca.

Ce processus de « modernisation », s’accompagne d’une pression toujours plus importante exercée par les marchés extérieurs sur l’économie locale. A moyen et long terme, la survie de l’élevage traditionnel des alpacas pourrait être menacée par l’alternative économique que représente l’activité minière face à la baisse des prix de laine. En effet, faute d’un contrôle des autorités de la réserve, les mines d’or, de petit de taille moyenne, se multiplient, le plus souvent gérées par des groupements de familles à qui appartiennent les terres gérées collectivement. Dans la « zone Antaquilla », depuis un an seulement l’activité minière est mécanisée. Elle risque, à court et long terme, de provoquer des dommages qui seront assurément irrémédiables pour la préservation des équilibres écosystémiques de haute montagne.

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. B- Historique et contexte

La réserve protégée d’Apolobamba, aussi connue sous le nom d’Ulla Ulla, est l’une des 22 aires protégées boliviennes. Créée en 1972, elle a été désignée par l’UNESCO comme un « habitat unique » en 1977, puis renommée Réserve nationale faunique Ulla Ulla en 1983. Depuis 1999, la réserve d’Apolobamba, qui s’étend sur 476 526 hectares, a reçu le statut d’aire naturelle de gestion intégrale (Aréa Natural de Manejo Integrado- ANMI).

Elle est composée d’écosystèmes très variés tels que des zones glacières, des plaines d’altitude, des vallées sèches, des zones tropicales humides et des versants montagneux.

Qu’est ce qu’une Aire Naturelle de Gestion Intégrale en Bolivie ? :

Une aire naturelle de gestion intégrale a comme objectif de rendre compatible la conservation de la diversité biologique et le développement durable de la population locale. Ce statut est donné aux territoires qui constituent une mosaïque d’unités composées d’écorégions différentes et représentatives, mais aussi de provinces « biogéographiques », de communautés naturelles ou encore d’espèces de flore et de faune d’une importance cruciale. Ce zonage peut aussi être attribué à des territoires ou dominent des systèmes traditionnels dans l’usage de la terre et des différents usages des ressources naturelles, ainsi qu’à des zones « noyau », c’est-à-dire celles dédiées à une plus stricte protection.

L’aire naturelle d’Apolobamba est donc constituée d’une véritable mosaïque d’écosystèmes et de territoires de vies. Les plus hautes montagnes culminent à 6000 mètres d’altitude, les hauts plateaux andins de la cordillère occidental se situent entre 2500m et 4800 m et les vallées pré-amazoniques vont de 1800 m jusqu’à descendre au niveau de la mer. Cette variété de paysages abrite une flore exceptionnelle et plus de 275 espèces animales dont un grand nombre sont menacées d’extinction. Les plus connus sont l’ours andin et la vigogne qui sont des espèces protégées.

Figure 2: Vigognes- réserve Apolobamba

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. La vigogne, longtemps chassée pour la finesse de sa laine a trouvé dans ce territoire un refuge unique ou plusieurs milliers de bêtes vivent en totale liberté. Les vigognes cohabitent avec de grands troupeaux d’alpacas et de lamas, élevés en semi-liberté, traditionnellement pour la qualité exceptionnelle de leur laine et de leur viande. Depuis quelques années la réserve d’Apolobamba abrite 11 500 vigognes, chiffre qui est en constante augmentation.

Figure 3: Troupeau d'alpacas- territoire Antaquilla

Cette réserve se situe au nord de la ville de La Paz, dans le département de La Paz (à l’extrême nord de l’altiplano bolivien). On accède à la réserve après avoir parcouru environ 500 km depuis la capitale, par la route qui dessert La Paz- Achacachi- Ancoraimes-Vilacala-Ulla Ulla. La réserve couvre les provinces Bautista Saavedra et Franz Tamayo. Les limites ouest de la réserve sont frontalières avec l’Etat du Pérou.

La population qui vit au sein de la réserve est estimée à environ 20 000 personnes, réparties en dans 45 communautés. Les modes de peuplement de la réserve est constitué d’habitats dispersés et de quelques centres de peuplement dont la densité demeure relativement faible. Cependant, compte tenu de sa géographie, la réserve a toujours été un territoire d’une importance stratégique, une zone importante d’échanges culturels et économiques entre la Bolivie et le Pérou mais aussi entre les différents étages écologiques, des vallées tropicales aux hauts plateaux andins.

Les techniciens de l’organisation « Agronomes et Vétérinaires sans frontières » qui travaillent dans le territoire depuis plus de dix ans, évoquent le rôle traditionnel des caravanes de lamas pour faciliter les échanges entre les vallées tropicales et les hauts plateaux.

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010.

Source : http://www.aecid.es/web/es/cooperacion/prog_cooperacion/Araucaria/que/Proyectos/Proyectos/Apolobamba/

Mode de gestion des ressources naturelles sur le territoire : terre et eau

Dans la zone andine qui est l’objet de cette étude, la gestion des ressources naturelles, par les communautés indiennes traditionnellement composées de paysans et d’éleveurs, est fondée sur la base d’une gestion collective des terres et de l’eau. En 2009, le territoire Marka Antaquilla Copacabana Collolo s’est enregistré au titre de Territoire indigène (TCO). Il en découle une reconnaissance par l’Etat de l’existence d’un territoire autochtone et de la spécificité de ses modes de gestion des ressources naturelles.

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. Dans la culture indienne andine, il existe plusieurs niveaux de gouvernance qui correspondent à un découpage territorial sur trois niveaux (voir parfois quatre). Le niveau plus réduit et donc le plus circonscrit au niveau local correspond à la « zone » (zona). Il s’agit d’une superficie de terrain habitée par plusieurs familles, de 2 à 8 familles, qui gèrent collectivement les ressources. Viennent ensuite les ayllus, qui englobent plusieurs zones, puis les « marques » (markas), qui englobent 8 ayllus. Chaque niveau territorial est géré sur une base démocratique. Les processus décisionnels associent systématiquement tous les membres de l’entité concernée. Une autorité est élue à chaque niveau territorial : un Mallku dans la « marka », un Sullka Mallku pour l’Ayllu et un Awatiri au niveau de la zone. Les autorités sont en charge de faire respecter les décisions prises par le groupe.

Le niveau de vie le plus structurant demeure la zone, car plusieurs familles vivent sur un territoire défini qu’elles gèrent en commun. La notion de propriété sur les éléments naturels est quasi absente de la culture aymara. Ainsi, toute décision concernant les ressources gérées en commun comme la terre et l’eau doivent être prise à la majorité des votants. Un éleveur déclare : « Il faut bien gérer l’équilibre entre les intérêts des familles et celui de la communauté, ce n’est pas toujours facile ».

Elevage des alpacas et commerce de la laine

La réserve d’Apolobamba est une réserve faunique de première importance. Historiquement, sur les hauts plateaux andins, l’alpaca est élevé pour sa laine, une des plus chaudes pour fabriquer des vêtements et des couvertures, et pour sa viande. Une partie de la population de la « Marka Antaquilla », celle qui est située à plus de 4500 m d’altitude, vit uniquement de l’élevage.

Un éleveur interrogé affirme : « Ici on vit de l’alpaca, il y des mines mais notre source de vie c’est l’alpaca. Rien ne pousse ici. Mais une famille qui a 30 alpacas, pour faire vivre une famille de 5 personnes, ça ne suffit pas. Il en faut beaucoup plus. Un alpaca donne sa laine tous les 2 ans, on obtient alors 6 à 8 livres par bête ».

Historiquement la majorité des producteurs de camélidés boliviens étaient reliés à l’association intégrale des éleveurs de camélidés des hautes Andes (AIGACAA - Associacion intergral de ganaderos en camelidos de los Andes altos). Cette institution était le bras économique de la Compagnie des produits issus de l’élevage des camélidés (COPROCA- Compania de productos camelidos). COPRACA, financée par les fonds de la coopération internationale, a toujours adopté une politique sociale pour protéger les intérêts des éleveurs boliviens en leur garantissant des prix minimums. La concurrence est venue du Pérou voisin. En effet, jusqu’en 1998, une grande partie de la production de la laine d’alpaca produite en Bolivie était vendue par COPROCA au Pérou, pour être transformée par des entreprises privées péruviennes.En 1998, les prix d’achat de la laine péruvienne augmentent rapidement jusqu’à atteindre 30 bolivianos la livre. Les producteurs boliviens vont donc passer outre COPROCA pour vendre directement leur laine au Pérou. Cette stratégie de vente individuelle affaiblit profondément

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. COPROCA, entreprise bolivienne à vocation sociale, qui faute de fonds ne peut acheter la laine à de tels prix. Or, au fil des années, les entreprises privées péruviennes commencent à se tourner vers la laine de mouton et le prix de la laine d’alpaca amorce une chute historique. En 2006, la livre de laine de lama est achetée entre 8 et 12 bolivianos (soit entre 1,14 et 1,71 $US). En 2010, on observe une tendance à la hausse des prix qui semble se maintenir. Ainsi, en 2010, la livre de fibres d’Alpaca (sans aucune transformation) est acheté 17 bolivianos à l’éleveur (soit environ 2,4 $US la livre ou encore 5 $ le kg).

Au sein du territoire Antaquilla, il existe une association de producteurs de camélidés andins (APCA- Associacion de productores de camelidos andinos). Cette institution a comme objectif de permettre aux éleveurs d’alpacas de faciliter la commercialisation et d’augmenter les prix de vente de leur produit. Les membres de l’APCA sont partie intégrante d’une institution qui implantée au niveau national, la Centrale intégrale d’organisation économique paysanne, le CIOEC (Central integrale de organizacion economicas campesinas. Dans ses statuts, le CIOEC permet aux associations locales de trouver des institutions de financement, propose également des formations et un renforcement des organisations sociales. Il existe des bureaux régionaux et l’APCA d’Antaquilla fait parti du CIOEC du département de la Paz. Sur le territoire Antaquilla il n’existe pas de coopératives pour l’élevage de l’alpaca. Ce sont des associations de producteurs qui sont parties intégrantes de l’APCA et de la CIOEC. Par exemple, l’Association « Qutapiquina intégral San Antonio (AIQ) » est membre de l’APCA et de la CIOEC de La Paz. Ses membres sont des éleveurs d’alpaca qui tentent de transformer leurs produits pour vendre non pas uniquement la laine à l’état brut mais aussi du fil pour l’exportation et des vêtements confectionnés de manière artisanale aux touristes de passage.

Figure 4 : Centre artisanal municipal - châles d'alpaca de production artisanale locale

Malgré la présence d’organisations d’envergure locale, provinciale et nationale, les modes d’élevage et de production suivent des techniques ancestrales, qui ne permettent pas toujours aux familles de vivre de leur activité. Cependant, dans la mesure ou les prix de la

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. laine sont encore très bas, et ne prennent pas en compte la qualité de la production, ni les coûts de la main d’œuvre, les éleveurs sont peu incités à améliorer leurs techniques et leur rendement.

Exploitation de l’or

Les témoignages recueillis auprès de certains chefs coutumiers évoquent l’arrivée des colons espagnols dans la région comme correspondant aux premières étapes de l’exploitation minière de l’or de manière systématique et à des fins mercantiles. Ils nous parlent de galeries creusées dans la montagne et d’une recherche de pépites dans les lits des rivières. Dans les cultures « originaires », l’or était utilisé lors des rituels sacrés ou comme objet de troc. Aujourd’hui, les habitants parlent de l’or comme étant le « métal du diable ». En effet, « Selon le recensement de 2001, le pourcentage de la population indigène et originaire composerait 62 % de la population totale bolivienne. Les 36 nationalités indigènes identifiées sont implantées sur tout le territoire national. Une grande partie de la population qui subit les impacts négatifs des activités minières sont précisément les communautés indigènes et paysannes »1. Que se soit en présence de grandes mines industrielles, de mines de tailles moyennes, voire dans le cas où se sont les populations locales qui exploitent de petites mines, les impacts sur l’environnement sont encore importants. En Bolivie, la préoccupation environnementale est récente. Ainsi, tous les territoires miniers sont largement affectés par les substances toxiques déversées (mercure dans le cas de l’or), l’érosion, la dégradation de la qualité des eaux des rivières et des lacs, la disparition des terres à vocation agricole ou pour le pâturage des troupeaux, la dégradation de la qualité des sols et de l’air, etc.

Les habitants d’Antaquilla se souviennent aussi que leurs pères et que les pères de leurs pères ont toujours cherché l’or dan les lits des rivières : « Quand le prix de la laine baissait, nos pères allaient chercher l’or, avec des tamis, dans les rivières, tout se faisait à la main » (mineur de la Mine « Larme d’or »). Ainsi, durant des siècles, l’exploitation artisanale de l’or et l’élevage de l’alpaca ont cohabité sans se concurrencer, mais ont plutôt joué un rôle complémentaire dans l’économie locale.

Il existe deux catégories de population sur le territoire de la Marka d’Antaquilla. Les premiers vivent au dessus de 4500 m d’altitude et ne peuvent cultiver pour leur auto-subistance, ce sont les éleveurs d’alpaca, d’origine aymara. Les seconds, d’origine quechua, vivent sur l’autre versant des sommets, à des altitudes allant de 3600 à 3900m. A ces hauteurs il est possible de faire pousser des pommes de terre. Traditionnellement, ces derniers n’élèvent pas d’alpacas, ils travaillent exclusivement dans les mines. Les échanges entre ces différentes communautés ont toujours été un gage de survie, mais aussi un facteur d’enrichissement culturel.

La mécanisation de l’extraction de l’or

1 Traduction libre de l’auteur à partir de la version préliminaire de mai 2010 du document : Elizabeth López, Estudio Regional sobre “El agua y las industrias extractivas”, p. 26.11

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. En Bolivie, pendant des siècles, l’or n’avait pas une très grande valeur commerciale, sa valeur était plutôt culturelle et symbolique. Jusque dans les années 1980, le prix de l’or était certes important, mais il ne contrastait pas autant qu’aujourd’hui avec le prix des autres produits, fruits du travail des communautés.

Par exemple, en 1985, l’or trouvé sur le territoire d’Antaquilla était acheté 20 à 25 bolivianos le gramme, soit 3,5 dollars américains. En 2010, à La Paz, le gramme d’or est acheté 240 bolivianos, soit plus de 34 dollars américains. Le gramme d’or est acheté un peu moins cher au Pérou voisin. Ainsi, les populations d’Antaquilla ne vont vendre leur or au Pérou qu’en cas d’urgence. Cette hausse de plus de 100 % des prix de l’or depuis les années 1980 est due à l’évolution des marchés internationaux. Depuis 1971, les cours de l’or sont fixés en fonction de l’offre et de la demande. Avant 1971, les cours de l ‘or étaient équivalents, indexés à ceux du dollars. En 1980, le prix de l’or est au plus haut (600 dollars l’once), mais ce pic est de courte durée, car ensuite les cours de l’or redescendent, jusqu’en 2001. A partir de cette date les cours vont connaître une importante remontée, qui ne cessera jusqu’en 2008. En 2006 l’once d’or équivaut à 600 dollars, comme en 1980-81 et en 2010, elle atteint 1000 dollars. En faisant un détour par les cours internationaux des cours de l’or, on comprend comment les marchés financiers internationaux ont d’importantes répercussions sur les prix de vente locaux et donc sur les projets miniers qui se développent sur le territoire et plus largement, dans la région désignée, sur la carte ci-dessous comme « Nord de la Paz » (4).

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. DIAGNÓSTICO NACIONAL

ZONA

DESCRIPCION CONTAMINACION

1 Potosí, Quechisla, Tupiza DAM, DAR, Metales pesados

2 Cañadon Antequera, Huanuni, Santa Fe, San José, Kori Kollo

DAM, PM10, Metales pesados

3 Colquiri, Catavi, Pucro, Amayapampa, Capasirca

DAM, DAR, Metales pesados

4 Actividades auríferas del Norte de La Paz

Mercurio, Erosión, TSD

5 Don Mario, Puquio Norte, Asención de Guarayos

CN, Erosión, Biota

6 Salar de Uyuni, Salar de Coipasa

Suelo, Régimen hidrológico

7 Actividades auríferas de Dragas al Oriente

Mercurio, Erosión del cauce

8 Mutun, La Gaiba, Rincon del Tigre, Anahí

Suelos, Biota, Erosión

9 Serranías de San Simón Suelos, DAR, TSD, Biota

Figure 5 : Ministère bolivien des mines et de la métallurgie, unité environnement, 2008.

Le versant où vivent les populations quechuas, soit dans la zone dite « Agua Blanca » est depuis des décennies structurée autour de l’exploitation minière. Les techniques utilisées pour trouver de l’or sont encore rudimentaires. Dans la mine souterraine nommée « Rajo Rayo » travaillent environ 400 personnes. Un village a émergé, « avec une école », nous précise t-on, pour accueillir les travailleurs, tous originaires de la Marka Antaquilla, qui viennent travailler, voir s’y installer. Il en est de même pour la mine « Virgen de Rosario », autour de laquelle s’est construit un village. Dans ces mines de taille moyenne, qui sont progressivement et récemment mécanisées, les mineurs déclarent pouvoir trouver de 2 à 3 grammes d’or par travailleur par semaine. Quant à la mine « Cerro Hermoso », la coopérative de la mine « Flor de Nevada » ou encore la mine « 25 de Julio », elles font vivre de 30 à 40 travailleurs et demeurent de centres de second importance. Dans ces petites mines souterraines non mécanisées, les travailleurs interrogés nous disent qu’en moyenne un travailleur peut trouver un gramme d’or par semaine.

Sur le versant aymara, aux alentours du village d’Antaquilla, en 2001, une première mine mécanisée ouvre sur le territoire, il s’agit de « Empresa Downer ». Les propriétaires de cette entreprise sont des personnes directement associées au parti politique du Président de l’époque, Gonzalez Sanchez de Lozada. Des capitaux boliviens, appartenant à des individus extérieurs au territoire, enclenchent un processus de « modernisation » des techniques

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. d’extraction. En 2005-2006, les dirigeants de l’entreprise cèdent leurs droits aux communautés locales qui se structurent en coopératives minières pour exploiter le site. Entre 2008 et 2010, ce sont plus de 3 000 mineurs qui travaillent dans la mine du site de Suchez. A l’origine la communauté de Suchez est composée de 110 familles, auxquels se rajoutent des migrants originaires de la Marka Antaquilla. Ces communautés gèrent tant bien que mal, des mines à petite échelle qui sont mécanisées. Les impacts environnementaux sont très largement visibles.

Par ailleurs, depuis des décennies, dans la mesure ou la réserve d’Apolobampa est une zone frontalière avec le Pérou, autre nation minière, une nombre important de paysans de ce territoire sont partis travailler comme ouvriers dans les mines péruviennes. La zone de Rinconada est l’un des principaux centres miniers péruviens situés à environ 1h30 de trajet du village d’Antaquilla. Les nombreuses coopératives locales, qui depuis les années 1950 sont mécanisées, embauchent une main d’œuvre bolivienne pour extraire l’or.A leur retour en Bolivie, plusieurs ouvriers miniers sont tentés par l’expérience de l’extraction de l’or de manière mécanisée. Ainsi, à partir de 2001, plusieurs mines de ce type voient le jour dans la réserve d’Apolobamba. Des groupements de familles (2 à 10 familles) fondent des coopératives d’exploitation minière sur les terres collectives qu’elles gèrent en commun. Les familles louent des engins pour exploiter leurs concessions. Les conducteurs sont rémunérés 75 $ US de l’heure (prix de la location de l’engin compris). Les mineurs qui sont embauchés comme travailleurs sont quant à eux payés environs 1200 bolivianos par mois, soit 170 $US. Les familles qui sont « propriétaires » des terres exploitées s’organisent pour exploiter la mine et continuer à s’occuper de leurs troupeaux d’alpacas. Ainsi, plusieurs familles, organisées en coopératives fonctionnent avec des tours de travail de 5 jours. Un groupe va travailler 5 jours d’affilée à la mine, pendant que l’autre groupe de famille s’occupe de ses alpacas. Après 5 jours, les deux groupes échangent leurs fonctions. Cette stratégie permet aux familles de pouvoir conserver deux activités.

Les coopératives minières sont gérées par les familles auxquelles « appartiennent » les terres, mais surtout par les dirigeants des zones, ayllus et marcas desquels dépendent les terres exploitées. Ainsi, les modes de gestion des coopératives minières, comme ceux des coopératives d’alpacas sont organisées autour de la culture indienne communautaire (droits indigènes, ou « derechos indigenas »). Les dirigeants des « zones », des « ayllus » et des « marques » sont aussi les dirigeants des coopératives minières et d’alpaca. Les services de l’Etat viennent se superposer, avec plus ou moins de résultats, à ce mode de gestion local qui est issu de la culture indienne aymara. Les gardiens nous dirons è ce sujet : « Avec la justice communautaire, les gens se sentent parfois surpuissants, mais ils ne prennent pas toujours les bonnes décisions ». On peut voir ici que la superposition de systèmes normatifs n’est pas forcement un facteur de bonne gestion du territoire, peut-être même est-il un facteur de désorganisation.

Ainsi, depuis 2009, dans le centre du village d’Antaquilla, une mine de taille moyenne côtoie les principales zones d’habitation et les zones de pâturage des alpacas. Les impacts environnementaux sont visibles à l’œil nu, des montagnes artificielles poussent à proximité

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. du village, des surfaces importantes sont creusées, des retenues d’eau polluées sont exposées à l’air libre, sans aucune mesure de limitation des fuites et des émanations.

Figure 6 : Mine d'or, localité Antaquilla

Nouveau contexte de concurrence entre l’extraction et l’élevage

« Il y a des terres où les alpacas mangeaient, maintenant la mine a tout détruit. Parfois ceux qui exploitent se rendent compte qu’ils détruisent la terre ». (Éleveur d’alpacas- Territoire Antaquilla)

Figure 7: les engins miniers cohabitent avec les troupeaux d'alpacas

Un rapide comparatif des prix de vente de la laine de lama et de l’or permet de constater que ces deux secteurs sont désormais inégaux face aux marchés locaux, nationaux et internationaux. La hausse incroyable des cours internationaux de l’or ces derniers 5 ans a eu comme conséquence d’attirer beaucoup de familles et de travailleurs vers l’aventure minière non plus artisanale mais mécanisée. Les gardiens de l’aire naturelle, interrogés, nous ont confirmé que ces deux dernières années, trois nouvelles mines ont ouvert dans les environs

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. du village d’Antaquilla (La mine Pelechuca et la mine Aguas blancas, plus une nouvelle qui n,a pas encore de nom), venant s’ajouter aux trois mines déjà existantes (Mine Suchez, Mine Lagrima de or, Mine Quillapampa). Ce sont donc environs 4000 travailleurs qui exercent, en 2010, une activité minière dans les environs du village d’Antaquilla, profitant directement de la hausse mondiale des cours de l’or.

En revanche, les prix de la laine d’alpaca sont au plus bas depuis une dizaine d’années, rapidement remplacés par les fibres textiles synthétiques. La laine d’alpaca est désormais un produit de luxe, qui se vend dans des magasins spécialisés de la capitale La Paz ou encore est destinée aux marchés d’exportation (Europe, japon, Etats-Unis, etc.). Plusieurs mineurs interrogés nous confirment être originaires du territoire. Ils nous disent en substance que leurs parents élevaient des alpacas, eux sont plus investis dans la mine.

Cependant, malgré cette tendance à l’apparition de nouvelles mines dans les limites de la réserve d’Apolobamba, la population d’alpaca continue à augmenter. La concurrence n’est donc pas encore directe entre ces deux activités. Ceci dit, les nombreux témoignages récoltés montrent que la concurrence entre la mine et l’élevage a comme conséquence une tendance de la part des chefs de famille à négliger leurs troupeaux. La plupart des hommes et des femmes qui travaillent à la mine laissent les troupeaux à la charge des enfants et des grands-parents. Avant l’apparition des mines mécanisées, les troupeaux étaient gérés par la famille entière.

Prix de la laine d’alpaca (état brut)

Prix de la laine d’alpaca filée (première étape avant lavage et filage pour vente)*

Prix d’un châle d’alpaca fabriqué et vendu à Antaquilla.

Prix du gramme d’or

1980-1985

30 à 40 bolivianos la livre = entre 4,30 et 5,70 $ la livre

? ? 20 à 25 bolivianos =entre 2,85 et 3, 57 $

2008-2010

2008 : 8 à 12 bolivianos la livre = 1,14 à 1,712010 :17 bolivianos la livre = 2,40 $ la livre

150 bolivianos le kg de laine = 21,40 $ US

Industriel de 290 g = 220 bolivianos, soit 31,4 $ USArtisanal** de215 g = 250 bolivianos, soit 35,7 $US

240 bolivianos*** = 34, 30 $

* Pour filer la laine en pelotes, il faut environ deux semaines entières de travail (tri de la laine en fonction de sa qualité et des couleurs, filage à la main)** pour réaliser un châle de manière artisanale, il faut environ 2 semaines de travail. *** L’or se vend dans la fête internationale bi-hebdomadaire de Chijipampa, village frontalier ou encore à La Paz.

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. Les chiffres présentés dans ce tableau démontrent clairement que le commerce de la laine d’alpaca, même quand le produit est transformé, demeure de loin moins rentable que l’extraction de l’or. Ce d’autant plus que le territoire d’Antaquilla est une réserve aurifère importante qui permet aux familles de retirer des revenus non pas énormes, mais substantiels. Les prix de la laine brute, de la laine filée ou des produits artisanaux ne prennent jamais en compte les couts de induits par l’élevage des bêtes ni d’ailleurs les couts de la main d’œuvre nécessaire pour assurer la transformation du produit.

Figure 8: Tonte de l'alpaca, au couteau.

Les prix de la laine ne reflètent pas non plus la qualité de la laine, qui est pourtant triée en fonction de la qualité de la laine en fonction des bêtes, des parties ou la laine est prélevée sur l’animal et de la couleur des fibres. En effet, la laine qui se situe aux extrémités du corps est dite « gruessa », c’est à dire, grossière, en revanche la laine issue des parties centrales du corps de l’alpaca est dite « pura » (pure). A aucun moment le prix d’achat prend en compte les différences de qualité de la laine. Concernant la couleur, nombre de bêtes ont plusieurs couleurs de laine. Il revient aux femmes de trier cette laine en fonction des différentes couleurs et de leur qualité.

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Figure 9: Tableau des différents types de laine d'alpaca et pesée de la laine

Dans la mesure ou le prix d’achat est unique, les éleveurs ne peuvent faire valoir la qualité de leurs produits sur le marché. Cette situation n’incite pas les éleveurs à améliorer la qualité de leur laine par un travail sur les techniques d’élevage.

Les mines d’or, source de pollution et de destruction des écosystèmes et des équilibres sociaux

Dans la culture indienne andine, les richesses naturelles du territoire que sont : la terre, le sous sol et l’eau sont des éléments constitutifs de la « pachamama », la terre mère, adorée comme divinité. A ce titre, les éléments naturels doivent être gérées selon les principes fondamentaux de la complémentarité entre les éléments, le respect des équilibres, la réciprocité et le partage. Pour établir un parallèle avec la culture occidentale, les richesses naturelles sont à la fois des biens communs, qui « appartient » à tous ceux qui peuplent le territoire, mais ce sont aussi des biens qui n’appartiennent à personne, car, comme éléments sacrés, ils ne peuvent être appropriés.

A la question posée à une femme « mineur », concernant l’apparent paradoxe entre les destructions engendrées par l’activité minière et les croyance indiennes quechua et aymara en la « Pachamama », nous obtiendrons cette réponse : « Beaucoup de gens adorent le nom de la Pachamama, mais pas la terre. On lui demande toujours que les mineurs trouvent de l’or et que les éleveurs reçoivent de la pluie pour faire pousser les pâturages. On fait des offrandes pour ça, deux fois par semaine ».

De plus en plus, le territoire d’Antaquilla revèle sa vulnérabilité, et ce non pas seulement celle des écosystèmes mais aussi celle des équilibres sociaux qui le structurent et lui garantissent une certaine dynamique vitale.

L’élevage d’alpacas nécessite des quantités importantes d’eau, ce dont le territoire regorge car ils est situé en zone de montagnes, qui sont de véritables réservoirs d’eau, grâce aux glaciers qui culminent à plus de 6000 m d’altitude. Sur ces terres arides, les « bufedales » sont des petits espaces où l’eau stagne et permet la pousse d’une herbe plus tendre dont les

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. alpacas se nourrissent. Les eaux des cascades alimentent de nombreux lacs de montagne qui sont également des réservoirs d’eau importants pour l’équilibre des écosystèmes. Plusieurs projets de développement ont permis d’augmenter le réseau d’irrigation qui permet aux bêtes de s’abreuver sur les grandes étendues ou ils vivent en semi-liberté.

Figure 10: Canal d’irrigation et lac Cololo

Les témoignages recueillis auprès des éleveurs révèlent une tendance générale des « bufedales » à s’assécher. Certes, dans ces zones de montagne, les « bufedales » ont toujours suivi le rythme des saisons. Pendant la saison sèche, la majorité des petits « bufedales » s’assèchent, pour ensuite se remplir de nouveaux. Cependant, les éleveurs se disent inquiet face à une tendance généralisée et durable d’assèchement de ces mini réservoirs d’eau qui garantissent la présence de nourriture pour les troupeaux. Ils nous disent que les pluies diminuent et qu’elles deviennent irrégulières, ne suivant plus le rythme des saisons. On peut supposer que cela serait une conséquence de la fonte des glaciers et du réchauffement des températures en zones de montagne, aucune preuve scientifique à l’appui cependant.

Les éleveurs reconnaissent la nécessité d’agrandir les réseaux d’irrigation afin de limiter l’assèchement des terres de pâturage et permettre une augmentation des « bufedales » qui correspondrait aux besoins des troupeaux, dont le nombre est en augmentation.

Autre problème d’importance soulevé par les éleveurs, la contamination des eaux, et assurément des sols, par l’activité minière. Exploité depuis des siècles de manière artisanale, l’or est désormais exploité non seulement de manière mécanisée mais requière aussi l’utilisation « massive » de produits chimiques tels que le mercure. En effet, la plupart du mercure rejeté par les activités humaines est rejeté dans l'air, lors de la combustion de combustibles fossiles, de l'exploitation minière, la fonderie, et la combustion des déchets solides. En quantité importante, le mercure est une substance toxique qui provoque des perturbations de l'estomac, des problèmes aux intestins, des échecs de reproductions ou une altération de l'ADN.

Les poissons sont des organismes qui absorbent des quantités importantes de méthyle de mercure des eaux de surfaces tous les jours. Par conséquent le méthyl de mercure peut

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. s'accumuler dans les poissons et les chaînes alimentaires auxquelles ils appartiennent.

Chez l’humain il a été prouvé que le mercure agit directement sur le système nerveux central, quand il est inhalé et absorbé. De nombreuses études ont prouvé que ce produit a des effets sur la : « coordination musculaire, l'humeur, le comportement, la mémoire, les sentiments et la conduction nerveuse ont été signalés chez des personnes exposées pendant longtemps par leur travail. Ces effets sont souvent observés chez des travailleurs soumis à une exposition élevée ou moyennement élevée au mercure. À un degré moindre d'exposition, les résultats ne sont pas concluants : certaines études ne signalent aucun effet et d'autres, des effets mineurs. Bien qu'une amélioration ait été observée après éloignement de la personne de la source d'exposition, il est possible que certains des changements soient irréversibles. Les effets de la toxicité du mercure sur le système nerveux portent parfois le nom de « maladie du Chapelier fou », car le nitrate mercureux servait autrefois à la confection des chapeaux de feutre »2.

Selon les témoignages recueillis, depuis plusieurs décennies, les mineurs artisanaux achètent du mercure pour traiter leur or. Les déversements de cette substance dans l’environnement ne sont donc pas un phénomène récent. Cependant avec le processus d’industrialisation en cours, les quantités utilisées ont substantiellement augmentées.

Les impacts du mercure sont difficilement observables sur le territoire d’Antaquilla, les femmes nous disent ignorer la toxicité de la substance, qui s’achète à la frontière du Pérou et à La Paz sous la marque « Espanola ».

Le mercure coute 380 bolivianos le kg à la frontière du Pérou et 340 bolivianos à La Paz. L’once de mercure est vendue environ 20 bolivianos. Les mineurs interrogés, qui travaillent dans les petites mines non mécanisées disent utiliser une once de mercure par semaine. Ils ne portent aucune protection. Hommes et femmes se plaignent de maux de tête. Cependant, la majorité des symptômes sont attribués au froid et è la fatigue, faute d’information sur la toxicité du produit.

En 2009, une délégation de plus de 1500 personnes arrive à Antaquilla pour dénoncer la pollution de leurs eaux par les mines. Ces gens sont venus à pied de Camacho, une province située à 150 km d’Antaquilla, dans la vallée. Ils viennent demander aux autorités de la mine de Suchez de polluer leurs eaux. Plusieurs travailleurs de cette mine sont des gens originaires de la province de Camacho, ils sont donc au courant que la mine augmente de manière drastique la turbidité de l’eau. Les eaux rejetées par la mine, sont donc non seulement polluées par le mercure (ce que les communautés ignorent en grande partie), mais elles sont surtout polluées par les gravas, la poussière et de nombreuses autres particules. Sachant que les eaux du lac Sanchez se déversent plus bas dans le Lac Titicaca, c’est à titre de consommateurs d’eau désormais impropre à la consommation humaine, d’éleveurs et d’agriculteurs que ces populations demandent des comptes aux responsables de la mine. Certains, plus informés accusent la mine de pollution par le mercure, les rejets des batteries usées qui sont laissées à l’abandon et le diesel utilisé par les engins qui polluent leurs eaux. L’affaire fait grand bruit car des rixes s’en suivent. Le Lac Sanchez est située à la frontière bolivienne et péruvienne. Les mines péruviennes sont aussi une source 2 Pour plus d’informations voir le site du gouvernement du Canada : http://www.cchst.ca/oshanswers/chemicals/chem_profiles/mercury/health_mercury.html#_1_5

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. importante de contamination des eaux du lac. Les Ministres des affaires étrangères (Concilleres) des deux pays se rencontrent pour aborder le thème de cette pollution bilatérale. Aux dires des autorités rencontrées … « le changement est en marche ». Personne n’a rien pu nous dire de plus, même pas les représentants du Service national des aires protégées (SERNAP) interrogées.

Au niveau local, comme l’élevage, les mines ont beaucoup besoin d’eau pour traiter le minerai. Les mineurs pompent directement l’eau des lacs et rejettent, sans traitement préalable les eaux sales dans l’environnement. La mécanisation est encore trop récente pour que les effets se fassent sentir à grande échelle et à long terme dans les zones habitées. Mais dans les zones ou les populations sont rares, les eaux contaminées affectent surement déjà les populations d’alpacas.

Figure 11 : Pompage de l'eau du lac Cololo par la mine

Les initiatives locales et externes, l’évolution de la situation

Positionnement des pouvoirs locaux

En 2010, le maire de la communauté Pelechuco, qui est la seconde section municipal de la province Franz Tamayo, a fait des déclarations qui ont provoqué la polémique, mais qui ont aussi démontré le peu d’importance que certaines autorités portent à la problématique de la contamination minière.

Originaire du village minier de Suchez, le maire qui représente l’Etat au niveau local répond à un journaliste qui lui pose la question de la pollution des eaux par la mine et des actions

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. entreprises : « rien, de toute façon les eaux partent au Pérou ». En février 2010, la préfecture est intervenue en affirmant que toute exploitation minière serait suspendue dans la réserve jusqu’à ce que les autorités obtiennent les fiches environnementales de la part des entreprises. Les mineurs interrogés n’ont jamais eu à arrêter leurs activités.

Actions entreprises par les autorités originaires indigènes.

Comme nous l’avons expliqué précédemment, les communautés autochtones aymara et quechua gèrent le district municipal indigène, ou territoire communautaire originaire (TCO) à partir de divisions traditionnelles que sont la marka, les ayllus et les zones.

Ces modes de gestion induisent la création de six commissions, destinées à poser collectivement les grands défis qui se posent sur le territoire. Chaque commission est présidée par le dirigeant de la Marka, qui collabore avec le représentant que désigne chacun des Ayllus, soit un total de 8 représentants dans le cas de la Marka Antaquilla.

En 2009, les autorités de la Marka ont créé une commission intitulée « Terres et Territoires ». Cette commission doit permettre d’analyser la situation et d’envisager des alternatives aux problèmes posés par l’avancée de l’exploitation minière et l’assèchement des zones de pâturage.

Un des dirigeants d‘ayllus dira : « Ceux qui exploitent les mines se rendent compte d’ils détruisent la terre ».

Cette commission commence à se réunir en mars 2010. Au moment de la rédaction de cette étude, la commission commence ses travaux d’analyse des problèmes rencontrés sur le territoire.

Un des enjeux qui se pose actuellement sur le territoire concerne les définitions que les populations donnent au concept de terre et de territoire. Certains membres d’ONG nous ont expliqué que la terre désignerait le sol, et le territoire serait constitué du sous-sol. Cet usage restrictif de la notion de territoire ne veut pas dire que ces populations n’ont aucune vision globale de leur territoire, bien au contraire. Il faut plutôt voir dans cet usage le fruit d’un emprunt culturel à langage développé essentiellement par les organisations religieuses et certaines ONG.

C’est en 1990 que les concepts de « terre et territoire » font leur apparition en Bolivie, portés par les populations indigènes de l’orient (province du Beni). Dans une marche historique de plusieurs centaines de km, qui les mènent jusqu’à la capitale, les communautés indiennes du Béni portent leurs revendications en réclamant le respect par l’Etat de leurs droits à conserver leurs terres et l’intégrité de leurs territoires indigènes. A cette époque, en effet, l’État bolivien distribue des concessions de plusieurs milliers de km2 à des entreprises privées d’exploitation des hydrocarbures, des mines et du bois. Les communautés indiennes sont directement menacées d’être expulsées de leurs territoires originaires.

Vingt ans plus tard, dans le territoire d’Antaquilla, les communautés ont recours à cette distinction entre terre et territoire pour tenter de distinguer le sol du sous-sol, division qui

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. traditionnellement n’existait pas dans la culture indienne andine. En effet, pour aborder les questions d’exploitation du sous-sol par l’activité minière et d’usage des sols par l’élevage, les populations ont désormais besoin de nouveaux éléments de langage qui traduisent des mutations historiques, telle que l’augmentation de l’exploitation du sous-sol par l’activité minière. Encore une fois, sous une autre forme, les notions de terre et de territoire sont utilisées comme instruments pour réfléchir aux menaces qui pèsent sur les équilibres humains et naturels. La notion de territoire est mobilisée alors que les communautés voient l’importance d’envisager des alternatives intégrées et intégrales face au processus continu de division de fragmentation de leurs terres collectives.

Le contrôle du SERNAP … en questions

L’aire naturelle nationale de gestion intégrée (Area Natural de Manejo Integrado Nacional- ANMIN) est gérée par un des services de l’Etat, le Service National des Aires Protégées, SERNAP qui relève du Ministère de l’environnement et de l’eau. Cette institution dispose d’un bureau à Antaquilla, ou nous avons rencontré deux gardiens du territoire.

L’un des gardiens est une jeune femme, formée en tourisme. L’autre est un homme plus âgé, formé en élevage. Tous les trois mois, ces gardiens sont remplacés par des collègues qui prennent la relève. Pour tout matériel ils disposent d’un petit bureau non informatisé et de deux motos. Il leur revient de contrôler l’ensemble des activités de la « marka Antaquilla », qui s’étend sur plusieurs dizaines de km2 et regroupe 8 communautés.

Leur rôle consiste à s’assurer que les normes inscrites dans le règlement destiné à protéger les écosystèmes de cette aire protégée sont bien appliquées. Leur constat est amer. Ils avouent que leur méconnaissance de l’endroit et le fait qu’ils ne restent que trois mois en poste ne leur donne pas les moyens d’agir, ni de bénéficier d’une certaine reconnaissance et légitimité auprès des populations. De plus, ils constatent le manque flagrant de moyens avec lesquels ils doivent travailler et faire respecter des règles qui vont à l’encontre des évolutions constatées sur le territoire. Ils attirent principalement notre attention sur les réactions très négatives des miniers qui ne peuvent envisager que le SERNAP, par le biais de ses représentants viennent contrarier leurs projets d’exploitation. Les gardiens rencontrés nous ont parlé des menaces que certains de leurs collègues ont reçu, lorsqu’ils ont tenté de réguler les projets miniers dans cette zone.

Les deux gardiens ont quand même tenu à préciser que pour ouvrir une mine, le propriétaire doit obtenir du SERNAP une fiche environnementale (ficha ambiental) et une Manifestation environnementale (Manifestation ambiental). Ils ont également évoqué l’existence de cours portant sur les techniques minières et les enjeux environnementaux. Au sein de la population rencontrée, les remarques ironiques ont été nombreuses « Une fiche environnementale, ça s’achète avec un peu d’or, on en a tous besoin pour se refaire faire les dents ».

Selon eux, il faudrait que l’Etat donne un appui aux éleveurs d’alpaca afin d’enrayer la fuite de ces derniers vers l’extraction de l’or. Ils évoquent la nécessité de construire plus de canaux d’irrigation, de réaliser un travail de conscientisation auprès des populations, de formation aux techniques d’élevage et de vente. A l’heure actuelle, nous n’avons pas

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. vraiment pu saisir le rôle exact tenu par ces gardiens. Les deux personnes interrogées sont restées très vagues sur le contenu actuel de leur mission.

Des projets locaux, et d’autres gérés par des ONG et agences étrangères de développement.

CECI

Alors que nous étions en voiture avec les dirigeants d’une des coopératives d’exploitation d’alpaca, au milieu d’une phrase en espagnol se glisse un « tabarnak », insulte québécoise. En interrogeant les personnes présentes nous apprenons que ces dernières années, des canadiens a mené un projet de renforcement de capacités pour l’élevage de l’Alpaca. Les éleveurs semblent avoir beaucoup appris et nous parlent de ce projet avec intérêt.

Le CECI, ONG canadienne a développé un projet dans le territoire Antaquilla en appui à la production d’alpaca et aux techniques de commercialisation. A l’époque, ce projet a permis de créer l’organisation ISQANI, qui se dédiait à la commercialisation de la fibre de lama au bénéfice des producteurs. Cette organisation a aujourd’hui disparu, la fibre est vendue et transformée majoritairement au Pérou. Les témoignages recueillis nous parlent d’une mauvaise gestion des fonds par les autorités ou encore de ponction importantes de la production de laine et de véhicules du projet effectuées part des fonctionnaires de douanes bolivienne.

AVSF

L’ONG française Agronomes et Vétérinaires sans Frontières (AVSF) initie, en 2010 un projet qui porte sur le renforcement des capacités des éleveurs concernant les techniques d’élevage et de vente afin d’établir un projet de commerce équitable pour la vente de la fibre d’alpaga. L'association Max Haveelar France a envoyé un représentant afin d’évaluer la faisabilité d’un tel projet et envisager quels marchés pourraient s’ouvrir pour la vente de fibre alpaga équitable. Les représentants de l’ONG AVSF vont embaucher un technicien dans la zone pour une durée de 4 ans. Il est question de permettre aux éleveurs d’augmenter la productivité de l'élevage et la qualité de la fibre, de trouver des nouvelles formes de commercialisation de leurs produits (vente en fonction de la qualité de la fibre, transformation fil ou vêtements sur place, etc.) et d’arriver à obtenir un « prix juste ». L’objectif consiste à favoriser des pratiques d’élevage respectueuses du milieu qui est très fragile à des altitudes supérieures à 4000 m en renforçant la gestion durable du territoire par les communautés traditionnelles (Ayllu, Marka). Le travail de l'ONG consiste aussi à renforcer une organisation (APCA), déjà existante, regroupant plus d'une centaine d'éleveurs d'alpagas, afin qu'elle se développe comme une entreprise performante au service de ses membres.

CIPCA

En 2007- 2008, le Centre d’investigation et de promotion des paysans, ONG de l’église

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. catholique (CIPCA, Centro de investigacion y de promosion del campesinado) développe un programme de renforcement des capacités auprès des éleveurs de lamas concernant l’organisation et la commercialisation des sous-produits. Dans le cadre de ce projet, les communautés participent à la construction d’infrastructures communales destinées à abriter les lamas dans des endroits couverts. Après le départ des membres de l’ONG, les infrastructures ne seront jamais utilisées.

UICN

L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) a initié, pour sa section Bolivie/Pérou un projet avec UICN International, d’une durée de 3 ans, qui s’achève en décembre 2010. La thématique de ce programme porte sur « Gouvernance et indicateurs ayant une pertinence culturelle pour le territoire et la biodiversité ». Sur le territoire de la réserve d’Apolobamba, l’UICN a recourt aux services de l’ONG bolivienne PODEMA, qui est une organisation membre de l’UICN. Elle a reçu un mandat technique d’appui à l’organisation d’ateliers de formation des leaders et élus locaux. Un atelier s’est tenu à La Paz au courant du mois de mai, avec une trentaine de dirigeants du territoire couvrant les alentours de la commune d’Antaquilla.

Il a été demandé aux participant de réaliser des communs (sous forme de cartes participatives), couvrant l’ensemble de leur territoire de vie, afin de faire émerger des indicateurs de « bien vivre ».

Les actions entreprises dans le cadre de ce programme semblent le produit d’une approche « bottom-up », qui consiste à réunir des individus pour leur faire « produire de la connaissance » sur leur territoire, sans forcement écouter, en amont, les besoins exprimés par les populations, ni envisager mettre en œuvre des moyens de travail adaptés aux pratiques familières des participants ou encore concevoir le véritable intérêt de l’exercice avec ces derniers.

Figure 12 : Séminaire avec les responsables du territoire Antaquilla, Podema pour l'UICN, La Paz, mai 2010.

Conclusions et pistes de réflexion

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. Cette étude aura permis de découvrir un territoire en rapide et profonde mutation. Elle illustre parfaitement les impacts directs que peuvent avoir les marchés internationaux sur certaines zones montagneuses parmi les plus reculées. Face au « rouleau compresseur » de la mondialisation, ces territoires mettent en œuvre des processus adaptatifs, qui ont comme principal objectif de permettre aux individus et aux familles de survivre sur leurs territoires. Or, soumis aux pressions économiques imposées par les marchés mondiaux, les membres de ces communautés tendent à perdre les référents au collectif et au commun qu’ils ont hérité de leurs ancêtres. Il semble que ces référents ont été pendant des siècles, des outils de gestion raisonnés et raisonnables des territoires. Les ressources ont longtemps été exploitées en « bien commun », sur la base de la culture traditionnelle andine et d’une cosmovision animiste qui ne conçoit aucune hiérarchie entre les espèces vivantes et l’environnement naturel. Or, aujourd’hui, malgré le statut de réserve naturelle conféré à ce territoire, les pratiques évoluent vers une course aux ressources minières. La mécanisation de cette activité, et sa forte connexion aux marchés mondiaux des matières premières, induit des évolutions profondes de nature, non seulement, économiques mais surtout sociales et culturelles. Avec la généralisation de l’activité minière, qui se réalise au dépend de la pratique de l’élevage, c’est un rapport au « monde et au collectif » qui évolue vers une culture plus individualiste, assortie d’une vision à court terme axée sur la quête rapide du gain.

Certaines initiatives locales, et d’autres, portées par des organisations de développement, semblent proposer des alternatives intéressantes pour qu’émerge une prise de conscience collective des menaces que fait peser sur le territoire un développement anarchique et non contrôlé des petites et moyens mines. D’autres initiatives, comme celle d’intégrer les éleveurs d’alpacas aux filières de « commerce équitable » ou encore de favoriser des appuis techniques pour améliorer les techniques d’élevage (sélection des bêtes, traitement de la laine, élargissement des filières de vente) émergent comme des alternatives intéressantes pour conserver, sur ce territoire, une activité millénaire qui est un des piliers de l’économie et de la culture locale.

Le type de développement qui est observable sur la commune d’Antaquilla, dans la réserve naturelle de gestion intégrale d’Apolobamba en Bolivie, pose également la question des modes de gestion des aires naturelles, face au manque de moyens, voir de volonté politique, pour stopper la prolifération des mines, un marché très lucratif, qui se développent au dépend de la préservation des équilibres naturels et humains. En revanche, il semble que les éleveurs d’alpaca souffrent de ne pas recevoir de soutien pour maintenir leur activité, qui, si elle n’a pas enrichi les familles, a au moins le mérite de maintenir les communautés sur leur territoire et de participer à une gestion soutenable des équilibres naturels dans la territoire de l’aire naturelle. Face au développement anarchique d’activités destructrice des milieux, il semble que ce genre de gestion, ou non gestion des « aires protégées » puisse servir d’argument pour que les aires naturelles se convertissent en sanctuaires de préservation de la nature. Or, cette étude tend à montrer qu’il ne s’agit pas d’opposer l’Homme « prédateur » à la préservation de la nature « menacée », mais plutôt de mettre en œuvre et soutenir des initiatives locales, régionales, nationales et internationales qui permettent à ces territoires d’évoluer et de s’adapter aux pressions extérieures, tout en conservant les équilibres humains et naturels qui sont les fondements de ces sociétés millénaires.

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ECADIM pour l’APMM- Programme « Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles »- juillet 2010. Médiagraphie

Vidéo

• Une vidéo montrant des éleveurs d’Alpaca de la commune d’Antaquilla qui tondent une bête au couteau selon des méthodes traditionnels (3mn).

Photos supplémentaires

• Environ 20 autres photos d’illustration de cette étude, prises dans le Parc au cours de la mission.

Sites Internet

Les différentes catégories d’aires protégées en Boliviehttp://es.wikipedia.org/wiki/Áreas_naturales_protegidas_de_BoliviaParks Watch- Site dédié à l’aire d’Apolobambahttp://www.parkswatch.org/parkprofile.php?l=spa&country=bol&park=apna&page=inf&p=bolAgronomes et Vétérinaires sans Frontières- Boliviehttp://www.avsf.org/fr/rubrique.php?rub_id=92BibliographieJavier Argandoña Espinoz, “Informe Memoria de exploracion area alpaquera de Apolobamba”, Comision de exploracion Apolobamba, AVSF, 3 al 6 de marzo de 2009, 14p. José Luis Rodríguez Alanez, “Agua, recurso accesorio en Minería”, Colectivo CASA, 2009, Oruro- Bolivia.Bibliographie indicative sur l’aire protégée d’Apolobamba (issue du site Internet Parks Watch)ECI. 1998. Proyecto Integral Araucaria Apolobamba: Gestión de Áreas Protegidas. Agencia Española de Cooperación Internacional.Amurrio, P. y J. C. Salcedo. 1997. Edafología. En Plan de Manejo Reserva Nacional de Fauna Ulla Ulla. Tomo I: Aspectos Físicos. Informe técnico. DNCB, CECI. La Paz. 80 pp.Aramayo, J.L. 2000. Amenazas a la Reserva Nacional de Fauna Ulla Ulla. Universidad de Tecnología Boliviana. La Paz, Bolivia. 81 pp.ARMVA. 2003. Plan de Manejo de la vicuña - ANMI Apolobamba. Asociación Regional de Manejadores de Vicuña Apolobamba, Instituto para la Conservación e Investigación de la

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