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1 er COLLOQUE JEAN-YVES RIVARD LA RÉFORME DES AFFAIRES SOCIALES AU QUÉREC 1970-1980

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1 e r COLLOQUE JEAN-YVES RIVARD

LA RÉFORME DES AFFAIRES SOCIALES

AU QUÉREC 1 9 7 0 - 1 9 8 0

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SANTÉCOM Institut national de santé publique du Québec 4835, avenue- Christophn-Colomb bureau 200

Montréal (Québec) H2J3G8 Tél.: (514) 597-0606

instruments et contraintes

Actes du 1er colloque Jean-Yves Rivard tenu à Montréal, le 11 avril 1979

Gilbert Blain (éditeur) Département d'Administration de la Santé

Université de Montréal

Les Éditions Administration et Santé Montréal

1980

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Dépôt légal, 1er trimestre 1980 Bibliothèque Nationale du Québec

TABLE D E S MATIÈRES

page NOTICE BIOGRAPHIQUE 4

OUVERTURE DU COLLOQUE 5 par Gilbert Blain

LES INSTRUMENTS DE LA RÉFORME 7

Les instruments juridiques 9 par Andrée Lajoie

La participation comme instrument de réforme 15 par Jacques Brunet

Les instruments économiques 21 par Nicole Martin

Les instruments politiques 31 par Claude Castonguay

Extraits de la discussion 39

LES CONTRAINTES DE LA RÉFORME 49

Les contraintes du corporatisme 51 par Claude-Armand Sheppard

Les contraintes du syndicalisme 55 par Paul Pleau

Les contraintes des structures participatives 59 par Claude Forget

Les contraintes de la technocratie 71 par Jean Rochon

Extraits de la discussion • 76

CLÔTURE DU COLLOQUE 87 par Pierre Bois

* * *

Le comité d'organisation du colloque était formé de MM. André-Pierre Contandriopoulos (président), Gilbert Blain, Claude Desjardins, Raynald Pineault et Mlle Marcelle Bérubé.

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Notice biographique

Jean-Yves Rivard (1933-1977)

Jean-Yves Rivard venait à peine d'être nommé directeur du Département d'administration de la santé de l'Université de Montréal au moment de son décès le 7 novembre 1977.

Docteur en Économique de l'Université du Michigan, Jean-Yves Rivard s'était joint au Département d'administration de la santé en 1962. Il a été associé, de 1967 à 1970, à la Commission Castonguay-Nepveu et, de 1974 à 1976, à l'enquête sur la formation des professionnels de la santé appelée « Opération Sciences de la Santé » (O.S.S.). En 1976, il accédait au rang de professeur titulaire.

Jean-Yves Rivard a participé à la formation de quinze promotions d'étudiants inscrits au programme de maîtrise offert par le département. De plus, il a apporté une contribution régulière aux sessions d'été du programme de certificat. Enfin, il a été l'un des promoteurs du programme de doctorat qui a été inauguré en 1978.

Les recherches de Jean-Yves Rivard ont porté principalement sur les avantages et les inconvénients des divers modes de rémunération des médecins, sur la main-d'œuvre médicale et hospitalière, ainsi que sur l'évolution des profils de pratique depuis l'instauration de l'assurance -maladie au Québec.

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Ouverture du colloque

Gilbert Blain, M.D., M.A.H. Professeur titulaire

Département d'Administration de la santé Université de Montréal

Ce n'est pas sans une certaine émotion que je vous souhaite la bienvenue, ce matin, au premier colloque organisé à la mémoire de Jean-Yves Rivard. Plusieurs parmi vous ont connu cet homme. Au point de vue professionnel, personne ne l'a fréquenté plus que moi puisque nous avons travaillé côte à côte pendant plus de quinze ans.

Je voudrais avoir à ma disposition le temps nécessaire pour pouvoir, sans me hâter, rendre justice à ses mérites et, avec les anecdotes appropriées, faire un véritable éloge de Jean-Yves Rivard qui fut certes un chercheur aux projets multiples mais aussi un professeur toujours disponible aux étudiants, un intellectuel attaché aux valeurs académiques mais aussi un citoyen engagé quant aux affaires sociales, un bourreau de travail infatigable mais aussi un bon vivant dont la compagnie nous aura été trop tôt ravie.

Mais, comme il l'aurait sans doute souhaité lui-même, nous sommes réunis ici aujourd'hui non pas pour évoquer longuement sa mémoire, maintenant qu'il n'est plus avec nous, mais plutôt pour faire progresser autant que possible les travaux auxquels, de son vivant, il a consacré son temps et son énergie.

Le colloque d'aujourd'hui est le premier d'une série qui seront présentés annuellement et qui porteront sur des sujets d'administration des services de santé ou d'économie médicale, en mémoire de Jean-Yves Rivard. Pour ce premier colloque, quelques-uns des principaux artisans du Rapport Castonguay et de la réforme qu'il a provoquée ont accepté de venir discuter devant nous et avec nous les difficultés du changement social.

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Ce colloque ne porte pas sur la planification de l'avenir mais sur l'évaluation du passe le plus récent. Pendant six ans, de 1966 à 72, une commission a fait enquete, dans notre province, sur les services de santé et les services sociaux Dès 1970, avant même que la commission ait terminé ses travaux, une réforme fut entreprise et une réaction en chaîne fut déclenchée qui continue de se produire sous nos yeux et dont les retombées n'ont pas fini de bouleverser le milieu des affaires sociales.

En vue de réaliser la réforme projetée, divers instruments ont été utilisés • d ordre juridique, psychologique, économique et politique. Il faut certes, un jour ou 1 autre, tenter d'évaluer l'efficacité de ces instruments et comparer les résultats obtenus aux objectifs fixés.

D'autre part, dans cette évaluation de la réforme, il convient de tenir compte des relances qui se sont manifestées comme chaque fois que l'on cherche à modifier l'ordre établi. Ainsi divers groupes du milieu professionnels administrateurs, syndiqués, technocrates, en accord ou en opposition les uns pa^ rapport aux autres, ont pu, consciemment ou inconsciemment, nuire au

ouT'a r / 1 ! f S T Gt £ n t r a V e r SCS C h a n C 6 S d e S U C C è s ' H Au* certes, un jour ou 1 autre tenter dévaluer jusqu'à quel point ces contraintes ont pu freiner ou detourner le changement social recherché.

Aujourd'hui, justement, nous tenterons de faire une évaluation sommaire et provisoire, puISque la réforme n'est pas terminée mais en plein essor des instruments et des contraintes en rapport avec cette réforme

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La réforme des affaires sociales au Québec

(1970-1980)

Les instruments

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Les instruments juridiques

Andrée Lajoie, LL.L., M.A. Directeur

Centre de recherche en droit public Université de Montréal

Les organisateurs du colloque Jean-Yves Rivard nous convient ce matin à une réflexion commune sur le thème de la réforme de la santé. De cela je veux d'abord les remercier, non seulement parce qu'ils nous offrent l'agréable occasion de ce que l'on pourrait considérer comme une « amicale » de la Commission Castonguay, mais surtout parce qu'ils nous fournissent la possibilité, peu fréquente, de faire le point sur notre action passée.

Mieux encore, ce colloque va nous permettre d'associer le public à cet exercice critique, à ce relais d'une réforme encore inachevée. Il me semble que c'est la meilleure façon de continuer l'œuvre de Jean-Yves Rivard qui fut un universitaire honnête et critique, capable de remettre constamment en question les acquis de sa recherche et les suites que lui donnait l'action.

La question qui m'est posée est celle de savoir si les instruments juridiques de la réforme ont produit les résultats escomptés: bien sûr il faudrait se demander «escomptés par qui?» C'est même probablement la question la plus importante et celle qui permettrait de mettre le doigt sur les vraies explications. Aussi y reviendrons-nous en fin d'analyse. Mais nous allons, dans un premier temps, jouer le jeu et prendre pour hypothèse qu'il s'agit des résultats escomptés en regard des objectifs explicites de la réforme.

Ces objectifs explicites, énoncés par le Rapport et repris par la loi dès 1971, je ne crois pas les déformer beaucoup en les résumant comme suit: il s'agissait de rendre accessible à tous, sans distinction de revenu ou de lieu de résidence, une gamme complète de services sociaux et de services de santé de qualité, à partir d'un appareil administratif efficace et ouvert à la participa-tion.

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Chacun sait ou devine les décalages successifs qu'ont subis ces objectifs à partir de leur formulation dans le Rapport jusqu'à leur réalisation concrète en passant par leur transcription dans la loi, ses modifications innombrables, les règlements adoptés pour l'appliquer et leurs amendements successifs, sans parler des interprétations écrites ou appliquées, judiciaires ou administratives dont ces textes firent l'objet.

En rendre compte d'un point de vue critique demandera plusieurs mois, voire des années de travail à l'équipe de chercheurs qui se livre à cette analyse. Plus modestement, ce matin, je voudrais essayer, au cours des quelques minutes dont je dispose, de jeter un regard forcément trop rapide sur le droit actuel, tel qu'il s'offre à une lecture théorique, pour cerner jusqu'à quel point il paraît répondre aux objectifs que nous venons de mentionner.

Nous verrons successivement la définition du droit aux services, leur étendue, les qualifications dont il fait l'objet, puis les garanties juridiques de l'accessibilité tant économique que géographique et enfin, mais plus briève-ment encore parce que d'autres y reviendront après moi, le degré de régionalisation et de participation dans l'appareil chargé de son administra-tion. En deuxième partie, nous poserons quelques hypothèses d'explication de l'état du droit en cette matière.

I — L'ÉTAT DU DROIT

A. Le droit aux services

Le droit à la santé est un droit de la personne : c'est dire qu'il ne s'agit pas d'un droit absolu, universel, fondé dans un hypothétique «droit naturel», mais d'un droit dont les frontières varient selon les sociétés et les époques. Son extension et sa spécificité résultent, à un moment donné, de l'histoire d'un pays, du niveau de production des biens et services, du niveau de vie, des priorités sociales que se donne la collectivité, de l'équilibre des forces dont il est l'un des enjeux.

Au Québec, le droit à la santé a été reconnu expressément comme tel pour la première fois par la Commission Castonguay et consigné sous forme de droit aux services dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux de 1971.

Au départ, la gamme des services de santé offerts n'était pas complète et elle souffre encore certaines exceptions expresses : psychanalyse, plastie élective, soins dentaires aux adultes ; celle des services sociaux se résume aux services nommément mentionnés dans la loi.

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Mais l'étendue et la qualité des services disponibles est restreinte de façon beaucoup plus subtile par la définition juridique elle-même, que l 'on peut qualifier d'ouverte ou de vague suivant le point de vue que l'on adopte, et qui est au surplus assortie d'une clause restrictive discrétionnaire.

En effet, la loi prévoit que «toute personne a droit de recevoir des services de santé et des services sociaux adéquats aux plans scientifique, humain et social, de façon continue et personnalisée, compte tenu de l'organisation et des ressources des établissements qui les dispensent. » La liberté de choix du professionnel et de l'établissement y est assurée et la non discrimination dans la prestation des services y est prescrite.

Mais devant le silence de la loi et des règlements qui ne prévoient aucun critère, il y a lieu de s'interroger à savoir ce qui constitue un service adéquat au plan scientifique, humain et social... Quant à savoir à partir de quand des soins deviennent discontinus et quel degré de dépersonnalisation est tolérable, ce n'est pas non plus du droit dans son état actuel qu'il faut attendre la réponse.

Certes les textes prévoient à certains égards des sanctions disciplinaires contre les professionnels ou des dommages-intérêts pour les usagers, voire même des recours administratifs mais il y a encore une longue route à parcourir pour que la loi, les règlements et leur interprétation judiciaire nous permettent de passer d'un énoncé de principe juridique à l'opérationnalisation véritable d'un droit de la personne.

Au surplus, les difficultés toujours inhérentes à ce processus sont encore accrues par le fait que les dommages à la santé qui résultent de services inadéquats sont souvent permanents et l'indemnité à laquelle ils donnent droit, inapte à « réparer » un mal parfois irréversible, et augmentées par le monopole scientifique et technologique de l'appareil, face à l'absence d' infor-mation des bénéficiaires. Mais il ne faut pas sous-estimer l'effet que pourrait avoir l'utilisation des tribunaux administratifs et judiciaires sur la détermina-tion des critères d'adéquation des soins, pour peu que la population utilise les recours disponibles. On constate cependant que, contrairement aux États-Unis où les droits de la personne ont beaucoup progressé par les moyens judiciaires, cette stratégie n'a pas été beaucoup utilisée ici, sauf en ce qui concerne la responsabilité médicale et hospitalière et beaucoup plus à l'égard de la qualité scientifique des services que relativement à leur caractère humain, social, continu ou personnalisé.

B. Les garanties de l'accessibilité économique et géographique

Objet d'une définition aux contours encore imprécis, le droit aux services tels que fournis a cependant été accessible à tous sans égard à leur

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revenu, grâce aux politiques de paiement universel des services prévus par la Loi sur les services de santé et les services sociaux et celle de l'assurance-maladie, et c'est là le succès le plus indiscutable de la réforme.

Mais il n'en est pas de même de l'accessibilité qualitative et géographi-que. En effet, la clause restrictive qui prévoit que chacun a le droit aux services « compte tenu de l'organisation et des ressources des établissements » a pour effet de lier la nature, le niveau et la qualité des services disponibles à la discrétion gouvernementale et ministérielle.

Car l'organisation et les ressources des établissements varient selon les priorités budgétaires que le gouvernement et la législature accordent à la santé, selon la distribution des ressources que le ministre opère entre eux, d'abord en accordant des permis puis par l'approbation des subventions budgétaires et des plans d'organisation. De même la disponibilité et la répartition géographique des professionnels dépendent des politiques relatives au nombre de places dans les facultés de médecine ainsi qu'à l'internat et à la résidence, de la structure du tarif médical et des conventions collectives, ainsi que des incitations éventuelles à l'éloignement des centres.

Le droit à la santé varie donc selon la région, selon l'information dont dispose le bénéficiaire, selon que son état est conforme ou non aux priorités du moment : ainsi le chronique âgé a plus de chances d'être traité qu'il n'en avait il y a quelques années.

C. La régionalisation et la participation

Rien d'étonnant, en fait, à ce qu'un droit de la personne se voie circonscrit par des variables sociales, à condition que les politiques qui l'affectent soient arrêtées démocratiquement. C'est ce que la réforme visait en mettant de l'avant des objectifs de régionalisation et de participation.

Le Rapport Castonguay prévoyait, en effet, une décentralisation régio-nale importante appuyée sur une participation active de la population. Mais dans la loi de 1971, les pouvoirs prévus pour la région dans le rapport ont été aspirés vers les organes centraux de l'État et la participation directe en grande partie refoulée vers les établissements. Depuis lors, tant la pratique administrative d'une déconcentration ministérielle, même si elle est fort lente et rencontre beaucoup d'opposition, que les récentes modifications législati-ves, tentent de restaurer quelque peu l'équilibre.

D'autres après moi analyseront aujourd'hui cette situation plus en profondeur. Néanmoins, on peut déjà dire que les pouvoirs des usagers sur l'appareil restent sans prise sur l'essentiel puisque la définition des politiques leur échappe et qu'ils ne portent que sur la gestion.

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II - QUELQUES HYPOTHÈSES D'EXPLICATIONS

Comment expliquer qu'il en soit ainsi? Pourquoi le droit aux services est-il resté largement imprécis, les garanties fluctuantes, la participation sans prise réelle sur ce qui compte?

On sait déjà que le droit dans son ensemble n'est pas neutre — que c'est un enjeu débattu entre divers groupes sociaux, la concrétisation — figée momentanément — du résultat d'un rapport entre des forces sociales oppo-sées. Rien n'autorise à penser qu'il puisse en être autrement quand il s'agit du droit à la santé, du droit de la santé, qui s'insère dans un secteur ou l'enjeu est vital pour chacun, où les intérêts des bénéficiaires ne coïncident pas avec ceux des producteurs de services, ni ceux des bénéficiaires avec ceux de cet autre eux-mêmes que sont les contribuables, ni ceux des différents groupes de producteurs entre eux ; où l'État, comme toujours juge et partie dans sa propre cause, se distingue mal des technocrates qui l'incarnent...

La réforme de la santé a été un projet essentiellement mis de l'avant au nom des bénéficiaires et d'une idéologie de l'accessibilité et de la rationalisa-tion. Mais il a été mis de l'avant par des technocrates, c'est-à-dire, et sans connotation péjorative, par un groupe qui appuie son pouvoir sur les connaissances qu'il détient. C'est un projet qui a favorisé les classes émergentes dans le Québec des années soixante, soit les nouveaux diplômés en quête d'emploi dans le secteur public et qui allaient devenir les nouveaux administrateurs et les nouveaux personnels, au détriment relatif des anciens propriétaires religieux et des groupes professionnels alors dominants, soit les médecins et les infirmières.

Le temps nous fait défaut pour apporter ici les exemples pourtant abondants des affrontements législatifs, administratifs et judiciaires qui illustrent ces conflits patrimoniaux et professionnels — qui avaient pour enjeu le pouvoir et le prestige et l'appropriation des ressources dans les établissements et l'ensemble du secteur. Mais chacun de vous peut se reporter à son expérience pour vérifier jusqu'à quel point le droit de la santé depuis dix ans, dans ses aller-retours, dans ses modifications successives, dans son évolution lente, et surtout dans ses lacunes et ses silences, bref dans ce qu'il est devenu et surtout dans ce qu'il n'est pas devenu, est le reflet fidèle de ces conflits-là.

C'est le sens de la question que nous posions au début de cet exposé : les instruments juridiques ont-ils donné les résultats escomptés? Escomptés par qui? S'il s'agit des résultats favorables à ce groupe émergent, il faut répondre que les instruments juridiques les ont atteints, même s'ils n'étaient pas consciemment escomptés ni tous visés pour eux-mêmes. Nul ne peut nier en effet que la propriété des établissements est maintenant distincte de celle

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des communautés religieuses, ni que l'emploi se soit démultiplié dans ce secteur pour les détenteurs de nouvelles formations administratives et professionnelles, ni que le pouvoir ait glissé en d'autres mains.

Mais porté par une classe émergente de technocrates, ce projet prônait pourtant les intérêts des bénéficiaires et une idéologie d'accessibilite, de participation, de rationalisation qui aurait dû leur etre favorable. S il ne l a pas été autant que d'aucuns l'ont espéré, si l'accessibilite géographique, la qualité humaine et sociale des soins, leur continuité et leur personnalisation n'ont pas progressé au même rythme que la réalisation d autres objectifs pourtant non explicités de la réforme auxquels nous venons de faire allusion, c'est qu'il s'agissait d'un projet défini par d'autres pour les bénéficiaires mais

sans leur concours. La population qui n'avait pas défini la réforme n'en a pas tiré le profit

qu'elle aurait pu: désintérêt apparent au départ dans l'absence de participa-tion dans la non-utilisation des recours judiciaires ; désintérêt explicable par l'absence d'information certes, mais aussi par l'absence de confiance dans une participation sans objet, dans un appareil judiciaire complexe et lointain.

Si la question posée au départ visait les résultats escomptés pour les bénéficiaires, il faut répondre non: dans l'ensemble les instruments juridiques ne les ont pas encore atteints.

Mais l'opération, pour idéologique qu'elle ait été, il faut en convenir, n'aura pas été inutile même pour les bénéficiaires. Rien ne vaut en effet l'octroi d'apparences de droits et l'exercice de pouvoir sans objet pour susciter la prise de conscience du dénuement véritable où l'on se trouve et développer des appétits.

Les lacunes mêmes de cette réforme favorisent son évolution et permet-tent de poser à long terme — soyons plus réalistes cette fois — les jalons d'une réforme ultérieure et assumée cette fois par les titulaires du droit à la santé. Dix ans après, les instruments juridiques de la réforme de la santé permettent d'espérer que sont en place les éléments qui lui permettront de commencer... dans quelques années.

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La participation comme instrument de réforme

Jacques Brunet, M.D., F.R.C.P. Directeur des services professionnels Centre hospitalier de l'Université Laval

Québec

C'est avec grand plaisir que j'ai accepté de participer à ce colloque. J 'en profite pour rendre hommage à Jean-Yves Rivard avec qui j'ai eu l'occasion de travailler très activement, puisqu'il était de l'équipe de recherche de la commission. Mon plus grand regret est qu'il ne soit pas avec nous aujourd'hui pour participer à ce qui ressemble un peu à un dixième anniversaire, du moins pour ceux qui sont sur la tribune.

Pour plusieurs, la réforme, dans les affaires sociales et particulièrement dans la santé, a débuté en 1970, mais en réalité elle avait déjà commencé dans les années 60. Avant 60, c'était un monde où les acteurs étaient très limités en nombre et le pouvoir clairement identifiable. Il n'y avait vraiment que trois acteurs dans le réseau de santé à cette époque, soit le ministère, les communautés religieuses et les médecins. Le ministère était confiné aux programmes de santé publique et, à l'époque, tous étaient satisfaits de le laisser s'occuper de la santé publique. Lui-même avait la prudence de s'en tenir à ce secteur d'activités. En ce qui concerne l'organisation des hôpitaux, ce secteur était réservé à 90% ou presque aux communautés religieuses qui s'en occupaient activement de façon satisfaisante. Le troisième acteur, le médecin, exerçait librement sa profession, il en était responsable et ne rendait des comptes qu'à ses patients individuellement ainsi qu'à la corporation. Dans les années 60, c'était là le niveau de participation dans le réseau de la santé. Ces trois acteurs s'entendaient la plupart du temps comme larrons en foire et les disputes idéologiques ou autres se réglaient en dehors des tribunes publiques.

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Les législations dans le domaine de la santé ont augmenté le rôle de l'État et le degré de participation. La première loi d'importance qui a bouleversé le cours de l'histoire de la santé au Québec, c'est la loi des hôpitaux de 1962. Cette loi a changé profondément le cours des choses, mais sans tambour ni trompette. Les discussions sur les implications de cette loi n'ont pas eu lieu sur la place publique et il n'y a pas eu de commission parlementaire à l'époque. Pourtant, à toute fin pratique, cette loi transformait la propriété des hôpitaux. Les communautés religieuses, propriétaires des hôpitaux, se sont vues forcées de distinguer entre le patrimoine de la communauté et celui de l'hôpital. Ce fut un changement auquel on opposa une vive résistance et qui n'a été complété qu'après une période d'environ dix ans.

Il s'agissait là d'une réforme majeure qui était nécessaire préalablement à l'apparition du rapport de la commission Castonguay. Je signale ces faits pour rappeler jusqu'à quel point, en ce qui regarde la participation, on était loin, dans les années 60, de ce que l'on observe aujourd'hui. Les discussions publiques et la participation des divers agents étaient extrêmement limitées.

On m'a souvent signalé que le concept de la participation n'est pas énoncé dans le rapport de la commission d'enquête sur la santé et le bien-être social qui porte sur la santé (volume IV). Il y est question de participation, à l'occasion, mais le concept lui-même n'y est pas défini. En fait, il faut se référer au rapport de la commission sur le développement (volume III) pour saisir quelle était la conception des commissaires en ce qui a trait à la participation.

Dans le rapport sur le développement, on a l'impression de trouver une définition d'une société malade. À cette époque, notre société était àla période des « happenings », des « hippies ». Sociologues, bureaucrates, rêveurs, tous, chacun à sa façon, cherchaient une formule pour atteindre une société idéale, à la recherche du bonheur pour tous. Il est bien évident que cet objectif n'a pas été atteint. Toutefois, cette vision de la société était imprégnée de l'idée de participation et le rapport de la commission est précis à ce sujet. La commission a examiné les exigences en vue de la participation des citoyens au progrès social. D'après le rapport de la commission, la société démocratique implique la décentralisation des pouvoirs en vue d'assurer la participation de la population aux processus de décisions. Les commissaires envisageaient deux types de participation: la participation consultative et la participation exécutive.

En regard de la participation consultative, la commission se faisait une idée précise du rôle des intervenants et a tenté de définir certaines règles du jeu. Examinons, à titre d'exemple, le rôle des personnes qui participent aux conseils d'administration des établissements. La commission considérait «qu'une organisation systématique et fonctionnelle de la consultation est essentielle pour compléter la participation par délégation qui existe dans les organisations de

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décision et dans les organismes d'exécution. Parce qu'ils sont élus ou nommés à un poste dans un organisme de décision ou d'exécution, les délégués des groupes et des citoyens doivent nécessairement défendre la cause commune et non plus la cause particulière de leur groupe. Cette attitude n'implique pas que les délégués doivent négliger le groupe qu'ils représentent. On constate cette attitude dans toutes les situations où doit s'exercer la démocratie y compris dans les expériences d'auto-gestion au niveau de l'entreprise». Pour la commission, il s'agissait là d'une position très claire qui ne devait pas poser de difficultés majeures. Pour avoir observé ce type de participation au niveau de diverses structures du réseau des Affaires sociales, je dois avouer que la réalité est plus complexe et exige des modifications quant à l'attitude des participants.

Le deuxième aspect concerne la participation exécutive. Dans ce processus de participation exécutive, la commission envisageait des modifications législatives et aussi le rôle politique de la participation. Les commissaires avaient la conviction profonde que tout changement social exige une participation active des citoyens. Qu'est-il advenu de cette idée de participation, lorsqu'un certain nombre des acteurs de la commission se sont retrouvés au ministère des Affaires sociales ? Je pense que cette idée a imprégné d'une façon très p ro fond^ les législations du ministère, du moins les principales législations des trois premières années. La loi du ministère des Affaires sociales est très formelle. Cette loi, qui a été soumise et adoptée en 1970, confie au ministre des Affaires sociales le pouvoir et le devoir de favoriser la participation. Une des lois subséquentes fut celle qui créait le « conseil des Affaires sociales », organisme qui a un rôle primordial dans le processus de la participation consultative. Le conseil a pour fonctions de critiquer certaines actions du ministère et d'effectuer des études sur les besoins de la population. Il est constitué de personnes représentant divers organismes du réseau des Affaires sociales.

La législation la plus complexe et la plus contestée f u t la loi sur les services de santé et les services sociaux. Sur le plan politique, cette loi a été un exercice majeur de participation. Tant la loi que ses règlements ont fait l'objet de nombreux mémoires présentés en commission parlementaire. On en a compté 105 soumis à la commission parlementaire sur la loi des services de santé et des services sociaux. Je suis convaincu que monsieur Castonguay se souvient de cette époque où il a cultivé l'art de la lecture... et aussi l'art d'écouter. C'était un exercice important de participation sur le plan politique, c'était un réveil du réseau des Affaires sociales, en vue de participer au processus législatif. Il est vrai que la loi dérangeait de nombreuses habitudes et ceci a sûrement favorisé la participation de nombreux intervenants.

Dans la loi sur les services de santé et les services sociaux, trois instruments de participation sont proposés. Premièrement, cette loi confie au ministre J ^ j f V responsabilité de favoriser la participation. Deuxièmement, la loi p r é v o ^ ^

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création de structures qui doivent faciliter la participation, la principale étant la mise en place de conseils régionaux. La notion de participation est étroitement liée à celle de décentralisation et il est d'autant plus facile de faire participer une population que le processus de décision est plus proche d'elle. Le facteur qui a joué contre la participation, ou contre une plus grande participation, c'est sûrement les résistances, tant au niveau gouvernemental qu'au niveau institutionnel, qu'on a opposées au processus de régionalisation et de décentralisation.

Troisièmement, en ce qui concerne la participation, la loi impose une nouvelle constitution des conseils d'administration des établissements. Trop souvent on a tendance à identifier participation à la présence des citoyens «ordinaires». Mais le processus de participation a été conçu comme un phénomène plus large. La loi fait appel non seulement à la participation des utilisateurs, des bénéficiaires, ou des clients, mais aussi à celle du personnel qui oeuvre à l'intérieur des établissements. C'est pourquoi la loi prévoit la représentation, aux conseils d'administration des établissements, des médecins, des membres du personnel clinique et du personnel non clinique. Il s'agissait là de nouveaux modes de participation dans le réseau de la santé. Je pense que le m a n q u e d'habitude, le manque de familiarité avec ce genre de participation a rendu les choses difficiles dans plusieurs établissements.

Ce sont là les principaux moyens qui ont été insérés dans la loi sur les services de santé et les services sociaux pour favoriser la participation. Il y a lieu de mentionner l'existence, à l'intérieur des établissements, d'un conseil consultatif du personnel clinique auquel on désirait associer la profession médicale. Toutefois, il a été finalement décidé de maintenir le conseil des médecins et dentistes, ce qui correspondait à la volonté exprimée par la professon médicale à l'époque.

De nombreux travaux ont été effectués depuis pour évaluer le résultat de cette participation, principalement au niveau des centres locaux de services communautaires. L'étude de la participation, dans le réseau des Affaires sociales, s'est principalement intéressée à la participation à l'intérieur des C.L.S.C. Évidemment, il s'agissait d'une expérience nouvelle et la participation dans les C L S C était une volonté de comités de citoyens qui a été exprimée avec vigueur.

Il ne m'appartient pas de porter un jugement de valeur sur les résultats de la participation. Toutefois, il y a une chose dont je suis certain, c'est que la situation des années 60 n'est sûrement pas la même que celle des années 70. Je me souviens très bien de ma première rencontre avec l'Association des Hôpitaux de la province de Québec, à l'époque où je suis devenu sous-ministre (juin 1970). À cette époque, la participation du public était majoritairement celle de membres des communautés religieuses. Il demeure assez extraordinaire, lorsqu'on se reporte en arrière, de constater jusqu'à quel point il y a eu un changement profond dans les personnes impliquées dans le réseau des affaires sociales au Québec.

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Qu'il me soit permis, en terminant, simplement de citer une phrase d'Alain Vinet à propos du processus de la participation : « Les partis politiques, les groupements de consommateurs, les comités de citoyens constituent autant d'instruments susceptibles d'être utilisés aux fins de participation, mais le pouvoir ne se donne pas, il se prend. Les structures de participation ne font pas la participation ; tout au plus, peuvent-elles la faciliter».

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Les instruments économiques

Nicole Martin, M .A., M.Sc. Directeur des programmes sociaux et de santé

Conseil du Trésor Gouvernement du Québec

On a toujours défini la science économique en fonction de la rareté des ressources. Elle consiste à s'accommoder de ressources rares. Qu'on parle d'économie de la santé, des ressources humaines, d'économie familiale ou d'économie du pétrole, il s'agit de la même question, soit celle de maximiser l'utilisation d'une ressource fixe.

En pays, comme en période, d'abondance, cette allocation se fait, le plus souvent, à la marge. On ne remet pas en cause l'opportunité de soigner les malades et, par conséquent, de distribuer des budgets aux hôpitaux, mais on se demande jusqu'où faut-il aller ? Cette allocation est aussi faite en termes relatifs. On considère les besoins concurrents et on s'interroge sur les rendements ou l'efficacité d'un secteur d'activité par rapport aux autres.

Transposons cette démarche en termes plus concrets. Il n'y a pas, bien sûr, de chiffre magique, quant à la fraction du produit national brut à consacrer à la santé. Nous sommes à 7% ! Pourquoi pas 15%? Après tout, la santé est une industrie rentable, diront certains, à forte intensité de travail et, un débouché exceptionnel, socialement utile, pour l'innovation technologique.

C'est la dépense publique, dont la santé absorbe 30 pour cent, qui est limitée. D'une part, par des impératifs économiques : il faut reproduire le capital. D'autres part, par des besoins concurrents. Chômage à résorber, maintien des revenus, impact du vieillissement, montée des revendications des groupes minoritaires, pour ne nommer que quelques secteurs d'activités publiques.

Face à ces pressions, toute croissance des dépenses de santé, au delà de celle du PNB ou de la capacité de payer des gouvernements, est devenue suspecte. Elle

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a conduit, naturellement, à des interrogations, sérieuses et persistantes, sur la rentabilité des dépenses de santé. N'est-il pas possible, après tout, de produire la santé à meilleur coût ? D'aucuns ajouteront : qu'est-ce d'ailleurs, que la santé ?

Ce genre d'interrogations est né avec la participation des États aux régimes d'assurance-maladie. Échelonné sur des périodes de 5 à 10 ans et, selon les pays, entre les années 1950 et 1970, ce transfert, des dépenses privées vers le secteur public, a produit, dans toutes les économies concernées, une croissance des dépenses publiques de santé, plus rapide, deux fois plus rapide, de fait, que celle des produits nationaux.

La Commission d'enquête sur la santé et le bien-être est née, justement, au milieu de cette période. Sous l'angle économique, les questions étaient celles énoncées précédemment. La formulation de ces questions, avec le contexte où elles s'inséraient, il y a une dizaine d'années, aidera, peut-être, à comprendre la démarche de la Commission et les instruments économiques qu'elle proposait. De là, à saisir la valeur de ces outils, leur durabilité, leur importance, ou leur désuétude, aujourd'hui.

La première question concernait l'assurance-maladie : Est-il opportun de transférer à l'État un autre bloc de dépenses privées, celui des frais médicaux ? Ce qui revient à dire, devons-nous consacrer plus de dollars publics à la santé ? La deuxième question touchait le contrôle des dépenses déjà assumées par l'État, soit principalement celles au titre de l'assurance hospitalisation. Ce qui revenait à dire : peut-on produire la santé à meilleur coût ?

La démarche de la Commission

Ayant jugé que l'on devait ajouter au dollar public, pour étendre la gratuité des services aux soins médicaux, la Commission estimait aussi que l'on pouvait produire la santé à un meilleur coût. On peut, en effet, réaliser un rythme de croissance raisonnable, à condition de profiter de certaines marges d'économies. La récupération de certaines de ces marges supposait, de l'avis de la Commission, des changements fondamentaux.

Où se trouvent ces marges d'économies? Quelle forme prend le gaspillage dans l'utilisation des ressources de santé ? De quel ordre de grandeur est-il ? Voilà les sous-questions. La Commission va emprunter, pour y . répondre, deux méthodes. L'une, la comptabilité des coûts. L'autre, la théorie économique1.

(1) La première est simple et statique. La seconde est dynamique, mais qualitative plutôt que quantitative. À partir de ces indices, on pourra, assez facilement, projeter les qualités et les défauts respectifs de ces approches.

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L'offre de ressources

La première méthode consiste à calculer nos marges d'économie en comparant nos variables d'utilisation, de productivité et de coût unitaire à celles des autres '. Cette démarche a permis d'identifier une première marge d'économies au niveau de l'offre même de ressources, c'est-à-dire, les lits hospitaliers. On estimait qu'une occupation et une utilisation optimales permettraient de planifier la ressource hospitalière à 2,5 lits de courte durée physique, au lieu de 4,5 ou 5,0 lits pour 1000 habitants.

Mais comment réaliser ces consommations optimales ? En soi, la méthode de comptabilisation des coûts nous renseigne peu sur la façon dont les autres ont réalisé ces niveaux de productivité. Il faut prendre soin d'examiner les contextes. Du «Kaiser Foundation Medical Care Program», base de référence pour la norme de 2,5 lits, nous savions qu'il s'agissait d'une pratique médicale de groupe intégrée à la pratique hospitalière, avec un mode de rémunération différent de celui que nous connaissons et où l'économie des coûts, sous forme d'hospitalisation, était partagée entre les bénéficiaires et les producteurs. Cette mesure de rationalisation ne pouvait donc pas être tenue isolée.

Pour la compléter, la Commission proposait un réseau d'une centaine de centres locaux de santé, tantôt privés, tantôt publics, mais dans tous les cas liés fonctionnellement au centre communautaire de santé, c'est-à-dire à l'hôpital. La Commission estimait que l'économie brute réalisée, par la réduction des lits, même en tenant compte des effets compensatoires sur les «per diem» et l'utilisation des services externes, était plus que suffisante pour financer les centres locaux.

Enfin, pour que ce plan d'optimisation de l'utilisation de l'hôpital réussisse, il fallait que les modes de rémunération des médecins évoluent vers un mode qui englobe le même type d'incitatif.

Les résultats

Je passe sous silence la difficulté de réaliser cet objectif de planification. Il imposait une réduction drastique des lits, dans une période où la population du Québec, devenue presque stable, allait vieillir, de ce fait avoir plus besoin de l'hôpital, et se déplacer des métropoles vers les villes-dortoirs, sans services.

(1) Par exemple, cette méthode a été utilisée en 1976 par les auteurs du rapport de l 'AHPQ portant sur un programme de contrôle des coûts de la santé. Ainsi, estimait-on qu'une réduction de la durée de séjour de Québec aux taux ontariens et américains rapporterait plusieurs millions. L'OCDE utilisait à son tour cette méthode en 1977. Sur cette base, elle estimait que le Canada pourrait économiser 1% de son PNB, en réduisant sa durée moyenne de séjour au taux moyen observé pour l'ensemble des pays de l'OCDE.

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Malgré tout, cet objectif n'a pas été sérieusement contesté. Au contraire, il a été proposé, avec des étapes plus modestes, disons, dans d'autres provinces du Canada et en 1977, le taux de 3,2 lits était proposé comme cible, pour l'État du Massachussets, par un groupe de travail, composé de représentants de l'administration hospitalière et du gouvernement. Pourquoi ? Notamment, parce que depuis 10 ans, certains facteurs sur lesquels on misait pour réduire l'hospitalisation ont évolué, même plus rapidement que prévu. On peut en donner comme exemple la pédiatrie, la chirurgie d'un jour, l'orthopédie, la réadaptation où la pratique évolue rapidement vers l'utilisation des services externes. Sans doute, est-ce ce qui a permis de réaliser une bonne part de cet objectif, sans trop de tension, en dépit du fait que le réseau des C.L.S.C. ne soit pas complet, qu'il ne soit ni greffé à l'hôpital ni, de façon prédominante, orienté vers les services de santé.

La gestion des ressources

On abordera maintenant le domaine de la gestion des ressources de santé.

La seconde méthode pour identifier les marges d'économie, dans le secteur de la santé, n'est ni empirique ni quantitative. Elle plonge dans l'univers de la théorie économique et, de la structure et des caractéristiques mêmes de l'industrie de la santé, déduit les facteurs d'inefficacité.

Selon la théorie économique, l'inflation des coûts de santé est de nature structurelle. À cause de l'intervention de tiers-payant, il n'y a pas de frein naturel à la croissance dans l'utilisation des services de santé1. Il n'y a pas davantage, pour les raisons que nous allons voir, de frein naturel au développement d'une « capacité excédentaire » des équipements hospitaliers ou médicaux spécialisés. Enfin, il n'y a pas non plus de motif évident de rechercher un coût minimum et ainsi de tendre à l'efficacité économique.

Il en est ainsi parce que le consommateur, du moins à titre individuel, ne subit aucun fardeau financier additionnel, du fait qu'il consomme davantage. Il ne peut, de fait, dans son esprit, qu'augmenter ses chances d'être mieux. Il en est ainsi parce que le médecin fixe son revenu par le volume et l'intensité des services qu'il rend et des facteurs de production qu'il retient. Il en est ainsi parce que les ressources dont dispose l'administrateur hospitalier sont, elles aussi, positivement reliées au niveau d'activités, à l'intensité d'utilisation des facteurs de production, quand ce n'est au niveau des coûts. Il en est ainsi, enfin, parce que la communauté locale, qui supervise ces trois partenaires, ne peut elle aussi que bénéficier de l'extension des services de son hôpital.

( 1 ) Imaginons seulement qu'aux États-Unis, on dépense un montant de $2,4 milliards pour les examens d'admission à l'hôpital : $66 par admission pour 37 millions d'admissions. L'équivalent est $200 millions pour le Canada et $60 millions pour le Québec.

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Bref, tous les acteurs retirent un bénéfice des décisions d'augmenter le niveau des ressources consenties à la santé. Comment une société, représentée par l 'État, peut-elle, dans ce contexte, contenir la croissance des coûts ?

Pour corriger l'inefficacité, la Commission a misé beaucoup sur une révision des méthodes de financement. Elle était, en cela, inspirée par l'idée de redonner aux administrateurs de la santé une certaine autonomie de gestion. On croyait, en donnant à l'administrateur une enveloppe budgétaire globale, assortie d'incitatifs et de contraintes, pouvoir recréer le climat de l'entreprise privée, en raison de la compétition, plus propice à l'efficacité.

Permettez-moi d'investiguer davantage ces deux aspects — budget global et incitatifs — qui, en dépit et sans doute en raison même de leur succès mitigé, conservent leur caractère d'actualité.

Le budget global

Le raisonnement qui a conduit à l'adoption du « budget global » est simple. On recherchait le meilleur coût possible. À cet égard, il fallait à tout prix renoncer au financement par articles de dépenses (fournitures, personnel, etc.). À propos de celui-ci, Fuchs a écrit : «Le taux de remboursement de chaque hôpital est fixé, de façon prédominante, par ses coûts. Ainsi, les hôpitaux qui coûtent le plus cher sont récompensés par un plus fort remboursement».1

Incidemment, cette condamnation par Fuchs des méthodes de financement publiques provient du contexte américain où le régime est d'ailleurs à 50 pour cent privé. Il va sans dire que toute ressemblance avec la situation vécue présentement au Québec serait l'effet d'un pur hasard.

Que mettre à la place du financement « par article » ? La Commission disait que, pour réaliser le meilleur coût possible, «les centres de santé doivent être libres de prendre toutes les décisions relatives à la gestion».2 On remarquera que pour le secteur privé, cette marge de manœuvre du gestionnaire se situe dans un contexte où les spécifications du produit constituent, à un moment donné du moins, des paramètres fixes. Il n'est pas question que cela change au gré des sous-entrepreneurs ou même des clients. J'aurai l'occasion de revenir sur ce point.

Un autre détail me semble important. Dans la perspective où se situait le «budget global », importait peu la façon qu'il fut fixé au départ. Par exemple, à partir du coût réel de chaque hôpital plutôt que d'un coût normalisé. La dynamique même de la gestion, encadrée par des objectifs, intéressée à cause de la

(1) Victor R. Fïichs. « Who shall live ? Health Economies and Social Choice » Basic Books Inc., New York, 1974 — page 81.

(2) Rapport de la Commission, volume IV, tome III, page 43.

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marge de manœuvre , motivée enfin par les incitatifs, allait, bien naturellement, conduire à récupérer les marges d'économie. De ce fait, le processus de gestion lui-même allait fixer le niveau des ressources approprié pour chaque hôpital. Posons la question brutale que nous avons peut-être, à ce moment-ci, à l'esprit : Était-ce là faire t rop confiance aux administrateurs de la santé ? Non, là n'est pas la question.

11 m'est arrivé de croire que le « budget global » avait achoppé parce que greffé à une base budgétaire historique, somme toute, étouffé par elle. Il m'est arrivé de croire qu'on aurait dû insister davantage sur le niveau de ressources normatif. Non, le budget global n'est pas mal parti. Mais le budget global n'est pas allé loin. Il ne pouvait guère aller plus loin, sans que les outils prévus pour son application aient été développés.

Quels outils ? Le budget global est une méthode de financement, et non un système de gestion. À titre de système de gestion, et «pour concilier un financement central et une gestion décentralisée », la Commission préconisait : 1) la détermination des programmes et des objectifs avec une mesure de rendement; 2) l'utilisation des facteurs d'incitation positifs ou négatifs 3) l'indication d 'une limite au delà de laquelle on suspend la règle de décentralisation. Le fait que l'on n'ait réalisé, de façon satisfaisante, aucune de ces conditions, fait, à mon point de vue, une différence majeure.

On peut se demander ce que vient faire la détermination des programmes et des objectifs dans le monde hospitalier ? Cette condition a, au fond, la même valeur que tout système de gestion ou même, à cet égard, que tout instrument. Ce n'est pas l'instrument lui même qui est merveilleux, mais ce qu'il nous amène à faire.

Pour illustrer, imaginez-vous en train de définir un objectif pour certaines cliniques externes de l'hôpital. Vous retiendriez probablement l'idée générale de «rendre les services requis à ceux qui en ont besoin, dans un délai minimum et avec un minimum de ressources». Ce point de départ, banal s'il en est, vous conduirait beaucoup plus loin. Il vous faudrait, bon gré mal gré, franchir quatre étapes, i.e. :

1. Définir les critères par lesquels on jugera qu'un client a besoin des services de cette clinique et en conséquence, mettre en place un système d'accueil et d'orientation des patients ;

2. Définir les ressources auxquelles le client ayant des besoins a droit — types d'examens diagnostiques et de laboratoire, par exemple, et en déduire les instrants : personnel, etc.

3. Définir u n mécanisme de contrôle pour vérifier si ces spécifications sont rencontrées.

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4. Définir des mesures de rendement ou de rétroaction en vue de distribuer les récompenses ou, du moins, de réviser les objectifs de productivité.

Loin de moi l'idée d'accorder à ce genre de démarche plus de vertu qu'il n'en faut. Sa carence me sert, en quelque sorte, à prendre conscience de la place des incitatifs, comme de celle de la révision des bases budgétaires et aussi à réaliser combien nous sommes loin de cette démarche, avec son caractère décentralisé et intrinsèquement collégial. Car, l'administrateur peut-il franchir les quatre étapes que nous venons de décrire sans que les médecins et les autres personnels y soient associés, étroitement?1.

Les incitatifs

Quant aux incitatifs, rappelons d'abord qu'ils devaient être liés à la démarche de détermination des objectifs. En second lieu, il faut avouer que le rapport de la Commission était assez peu explicite sur le sujet. À ceux qui furent définis par la suite, incitatifs financiers liés à la réalisation d'un objectif de réduction des coûts, convenus entre le centre hospitalier et le ministère des Affaires sociales, on peut reprocher de n'avoir été taillés que pour l'administration. Plus que cela, ils contribuèrent sans doute à isoler le gestionnaire puisque les objectifs auxquels ils se greffaient étaient exclusivement des objectifs de réduction des coûts.

En l'absence d'objectifs et d'incitatifs, il ne restait plus qu'à déterminer le niveau de ressources par des contraintes. Cela fut fait, mais jamais, à ma connaissance, on n'exigea longtemps que ces contraintes fussent respectées. À cet égard, on se souvient peut-être qu'en 1967, les centres hospitaliers affichaient un déficit accumulé de $103,1 millions. Au cours des années qui suivirent, jusqu'en 1975, les déficits furent épongés. En mars 1978, il se rapprochaient encore d'une centaine de millions.

La révision des bases budgétaires

La révision des bases budgétaires paraît, à première vue, remplacer la nécessité de déterminer des objectifs au sein de l'hôpital et de fixer un niveau normatif global des ressources. À cet égard, c'est une méthode astucieuse. Elle sert l'équité, fixe un niveau global de ressources et, si elle est appliquée adéquatement, entraîne des gains de productivité, c'est-à-dire un cheminement vers une amélioration progressive de l'efficacité.

(1) Dans le rapport de la Commission, on faisait état de la nécessité, inhérente à cette approche, que la gestion soit décentralisée au niveau du département et que le processus de définition des objectifs et des mesures de rendement incorpore tous les personnels.

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Cette méthode a aussi ses limites. Bien qu'axée sur les produits, elle demeure fort sensible au volume. Son principal défaut est de favoriser la performance au détriment d'une utilisation parcimonieuse des ressources de santé. Elle relève d'un processus de contrôle externe à l'hôpital et voit dans l'administrateur l'unique distributeur des facteurs de production, ce qui est peu réaliste. Cela veut dire, donc, que pour l'une ou l'autre de ces raisons, elle ne peut remplacer vraiment, ni un processus de détermination des objectifs qui soit interne à l'hôpital, ni des incitatifs qui reposent sur une forme de décentralisation et d'autogestion. Qu'est-ce qui empêche, après tout, qu'un partage des résultats d'une plus grande efficacité, entre les personnes qui en sont responsables et les payeurs de taxe, soit érigé en incitatifs à un bon choix et à une bonne gestion des ressources de santé ?

Le coût de la réforme

Le Québec avait-il les moyens de cette réforme ? Voilà la question que je réservais pour la conclusion. Elle est difficile. À cause des jugements de valeur qui s'y glissent naturellement, du choix, toujours si facile, des statistiques qui conviennent et finalement du peu que l'on connaît de la qualité ainsi que du rendement des services de santé.

On sait, toutefois, que le fardeau des services publics est plus lourd au Québec qu'en Ontario. Pour la santé, j'avais estimé l'écart à $500 millions. C'est dire que si nous voulions un effort relatif — en rapport avec le PNB — comparable à celui de l'Ontario, nous devrions réduire nos services de santé. Évidemment, l'Ontario est plus riche que le Québec. Si l'on porte la comparaison à l'échelle canadienne,"notre position devient plus saine. Choisissant cette fois l'ensemble des dépenses publiques et privées de santé, on constatait, en 1975, que le Québec consacrait à la santé 7,3% de son PNB contre 7,5% pour la moyenne canadienne. Il n'y a donc pas d'écart significatif. Sur une base « per capita », les dépenses de santé se chiffraient à $478 pour le Québec, soit 8% de moins que la moyenne canadienne.

Les services de santé sont aussi moins chers et moins lourds à porter au Québec — et au Canada à ce même titre — qu'aux États-Unis. Pour la même année et sur une base comparable, les dépenses personnelles, publiques et privées, de santé s'élevaient à $547 par habitant aux États-Unis en 1975, soit 8,3% du PNB, et 15 pour cent de plus qu'au Québec1.

( 1 ) Bien que de se comparer à soi-même soit peu glorieux, il est amusant de co nstater que la Commission prévoyait un niveau de dépenses publiques de $2,923 milliers en 1976, alors qu'il a été de $2,335 milliers. La progression des soins hospitaliers avait été surestimée de 13,5%, le régime d'assùrance-maladie sous-estimé de 6,5%. Les autres programmes publics par contre, ont connu une croissance supérieure, de 20,0%, à celle prévue.

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Ces chiffres marquent donc des résultats très modestes. Les taux de croissance des dépenses de santé ne sont pas moins rapides au Québec qu'ailleurs. Il faudra donc continuer à contenir le régime de santé. Avec 1 ) des contraintes budgétaires, 2) des définitions de contenu et d'objectifs, 3) des incitatifs à y mettre ces contenus. À cet égard, les ingrédients de base n'ont pas beaucoup changé depuis 10 ans. On cherche encore la recette qui utiliserait un peu plus des deux derniers éléments et, un peu moins du premier. Elle paraîtrait, sans doute, meilleure au goût.

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Les Instruments politiques

Claude Castonguay, C.C., F.I.C.A. Président, Le Fonds Laurentien

Québec

J'aimerais, avant d'aborder le sujet que l'on m'a demandé de discuter avec vous, dire quelques mots au sujet de notre ex-collègue Jean-Yves Rivard et le donner en exemple à tous ceux qui ici s'adonnent à la recherche, à l'analyse. Je crois que Jean-Yves peut constituer un exemple parfait du chercheur à la fois rigoureux mais engagé, qui a toujours su garder une personnalité extrêmement humaine et attachante. Maintenant, vous comprendrez que ce genre d'exercice auquel nous nous prêtons est un peu difficile. Chacun de nous, qui avons participé aux délibérations de la Commission à un titre ou à un autre, a été, par la suite, impliqué directement dans l'application des recommandations. Aujour-d'hui, on nous demande en quelque sorte de faire une certaine évaluation de notre propre travail. Alors c'est un peu difficile de remémorer toutes les étapes et de demeurer complètement objectif.

Dans le secteur de la santé, la première partie des années 60 a été marquée, bien sûr, par l'instauration de l'assurance-hospitalisation. Mais cette période fu t également marquée, au Québec, par le début des discussions et débats qui conduisirent éventuellement à la réforme de la santé et des affaires sociales.

Loin d'avoir stabilisé le secteur de la santé, par la hausse rapide des coûts qu'elle entraîna, l'assurance-hospitalisation posait de façon encore plus aiguë nombre de questions fort importantes quant à l'avenir des services de santé au Québec. Il n'est pas inutile de rappeler certaines de celles-ci :

• Après plus de cinquante ans de discussions sur le sujet, on se demandait encore si le Québec pouvait supporter l'assurance-maladie du point de vue financier, ou du point de vue des ressources, et plus particulièrement des ressources humaines...

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• On se demandait si l'assurance-maladie ne donnerait pas lieu à une demande de soins extrêmement élevée ; si on pouvait freiner la hausse rapide des coûts de l'hospitalisation ; si l'assurance-maladie ne donnerait pas lieu à la même hausse rapide des coûts...

• On se questionnait sur le rôle des corporations professionnelles particulière-ment en ce qui a trait à la protection du public et à leur capacité de négocier pour leurs membres ; sur les moyens à prendre pour mieux répartir les ressources en fonction de la distribution de la population à travers le territoire et des besoins de cette population ; sur les besoins de formation de la main-d'œuvre ; sur les moyens à prendre afin de réduire les écarts considérables dans le niveau de santé de différentes parties de la population.

Ces quelques exemples rappellent le caractère fondamental des nombreuses questions qui se posaient alors. Il faut aussi rappeler que les opinions étaient profondément partagées relativement à la très grande majorité de celles-ci. Laissé à lui-même, tout permet de croire que le secteur de la santé aurait continué d'évoluer très lentement et, généralement, en réaction à la pression exercée par la hausse constante des coûts.

Il existait donc en juillet 1966, soit au lendemain de l'élection du gouvernement de Daniel Johnson et à l'occasion du deuxième arrêt de travail d'importance (la grève de trois semaines du personnel de soutien), un besoin immense de recueillir les données essentielles, de formuler correctement les vrais problèmes, de proposer des solutions et d'informer la population afin que des convergences d'opinion se développent et que parmi les solutions proposées, celles jugées les plus nécessaires et appropriées soient retenues et mises en application.

J'ai cru utile d'analyser brièvement chacun des principaux éléments propres au pouvoir politique en fonction de leur contribution à la poursuite de cet objectif fondamental. Ces éléments ou moyens sont : la commission d'enquête, le pouvoir législatif, le pouvoir réglementaire, la commission parlementaire et le pouvoir budgétaire.

Avant d'aller plus loin, j'aimerais faire une remarque d'un ordre un peu différent qui va colorer tous mes commentaires. Bien souvent au Québec (je pense que cette attitude est en voie de disparaître malgré qu'elle persiste) on a cru, au cours des 20 dernières années, qu'il était possible de faire des réformes brusques et rapides. Pendant un certain temps, on a cru qu'une réforme, dans le domaine des affaires sociales, pouvait se faire dans un an ou deux, sans préparation. Une vraie réforme, qui touche les mentalités et les comportements, qui change vraiment en profondeur, c'est long à réaliser. Dans le cas de la santé, les études ont commencé en 1966 et nous sommes aujourd'hui en 1979. Pourtant, il est encore trop tôt, à mon avis, pour porter des jugement définitifs sur ce qui s'est fait et se fait encore

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dans ce secteur. Je pense bien qu'il va falloir attendre encore une dizaine d'années pour voir plus clairement les résultats de cet exercice.

La commission d'enquête

À cause de sa nature, la commission d'enquête est un mécanisme qui est lourd et qui exige beaucoup de temps. Celle sur la santé et le bien-être social n'a pas fait exception à cette règle.

La commission d'enquête a donné l'occasion à un très grand nombre de groupes et d'individus de faire le point, de s'interroger sur l'état de la situation, sur les orientations souhaitables, les moyens à prendre, etc. La réception et la discussion de leurs mémoires en audiences publiques a donné lieu à la diffusion de ces renseignements, a suscité des répliques, des débats. En d'autres termes, la commission d'enquête, de la façon qu'elle a été utilisée, a vraiment mis en branle le processus si essentiel que nous avons défini plus tôt.

Elle a donc joué un rôle primordial à cet égard. Elle a également permis d'aller en profondeur, de recueillir une somme considérable d'informations, de s'enquérir des expériences étrangères. Encore plus important, elle a permis de présenter à tous les intéressés ses constatations et recommandations d'une façon objective (et que les gens perçoivent comme telle) ce qui a sûrement contribué de façon considérable à la poursuite de ces convergences dans les opinions.

L'expérience vécue au moment de l'implantation a démontré que la commission aurait dû formuler des objectifs généraux et s'en tenir aux grandes lignes sur le plan des moyens, quitte à aborder les aspects spécifiques de ceux-ci lorsque leur importance pouvait le justifier, comme par exemple quant à la question des dépassements d'honoraires dans l'assurance-maladie. En agissant ainsi, elle aurait gagné du temps et les grandes orientations proposées seraient apparues plus clairement. D'ailleurs, après notre arrivée au ministère, je me souviens que lorsqu'il fallait régler des détails, on ne retournait à peu près jamais au rapport de la Commission pour voir ce qui y était dit. Il y avait toutes sortes d'options qui se présentaient et les contraintes étaient déjà différentes de ce que nous avions pu percevoir.

La création des commissions parlementaires dans leur forme actuelle, en 1968 ou 1969, constitue d'ailleurs un mécanisme beaucoup plus approprié pour l'analyse détaillée que la commission d'enquête. Nous reviendrons sur cette question.

Le pouvoir législatif

En nous appuyant sur le rapport de la commission, nous avons utilisé le pouvoir législatif non seulement pour mettre en application les aspects de la

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reforme qui retenaient l'assentiment général mais également pour trancher certaines questions dont la discussion se serait éternisée et aurait mis en cause la réforme (ex : l'absence de dépassement d'honoraires, la création des C.L.S.C ) ou pour faire évoluer bon gré mal gré certaines mentalités (ex : la loi de la protection du malade mental qui remplaça la loi des hôpitaux psychiatriques et certaines autres dispositions législatives).

C'est le pouvoir législatif qui a permis également de conserver, à travers le grand nombre de nouvelles mesures, la cohérence nécessaire à une réforme globale. Par contre, comme il n'existait qu'une série de lois disparates et bien souvent désuètes, il nous a fallu introduire un ensemble de dispositions legislatives vraiment lourd et indigeste. Pendant une période qui a probablement été trop longue, la réforme a été vue et perçue comme un exercice à caractère surtout législatif. Il est devenu à l'occasion difficile de maintenir l'élan et le sens d orientation nécessaires à la poursuite de la réforme alors que toute l'attention était retenue par l'aspect législatif.

Le pouvoir réglementaire

Tous ceux qui ont été associés aux travaux de la commission se sont convaincus qu'il était essentiel de redonner aux différentes instances et particulièrement aux établissements, les pouvoirs nécessaires à leur gestion efficace. La lourdeur et l'inefficacité du pouvoir réglementaire (statutaire et non-statutaire) exercé pgr les fonctionnaires des deux ministères de la santé (fédéral et provincial) nous avaient tous fortement marqués.

C'est donc avec une certaine surprise que j'ai constaté à l'époque l'ampleur des règlements que nous avons fait adopter. Comme la plupart des hauts fonctionnaires alors impliqués, je me suis probablement convaincu trop rapidement de la nécessité d'une réglementation aussi détaillée. Ce que je ne pouvais savoir, c'est que les fonctionnaires du ministère utiliseraient sans réserve ces règlements et y ajouteraient généreusement des directives de toutes sortes.

_ Un phénomène auquel il était difficile de s'attendre a encore aggravé cette situation. Au ministère, bon nombre de ceux qui avaient participé aux travaux de la Commission etaient convaincus du besoin de redonner aux établissements 1 autonomie de gestion mais ce besoin n'était pas toujours compris de la même façon au niveau des établissements. Alors qu'on nous demandait moins de règlements, des qu un problème se posait on se retournait vers le ministère pour demander une directive. Évidemment, le fonctionnaire répondait avec le plus grand plaisir. Maintenant que je participe au conseil d'administration du CHUL a Quebec, je regarde tous les règlements auxquels nous devons nous conformer les directives qui nous arrivent du ministère et je me demande parfois si la situation s est améliorée sur ce point...

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La commission parlementaire

L'introduction dans notre système législatif, sous le gouvernement Bertrand, de la commission parlementaire dans sa formule actuelle s'est avérée un changement très positif. Il s'agit d'un mécanisme très souple qui peut être utilisé à plusieurs fins : l'étude détaillée d'un projet de loi, l'analyse d'une question épineuse ou controversée, et l'analyse d'un projet de règlement. Elle peut également servir en tant que mécanisme de conciliation ou de médiation.

Je me limiterai à dire quelques mots sur la supériorité de la commission parlementaire par rapport à la commission d'enquête au niveau concret et détaillé d'un projet. La commission d'enquête devrait se limiter aux principes fondamentaux, aux grandes orientations, aux grandes lignes des mesures ou programmes recommandés. D'abord, la commission d'enquête est un mécanisme trop lourd pour viser les questions de détail. De plus, chaque projet ou programme peut généralement être conçu ou appliqué de plusieurs façons ; la commission d'enquête n'est pas nécessairement le meilleur arbitre ou juge sur ce plan.

Enfin, l'imminence d'un projet de loi suscite des réactions d'un ordre différent des réactions provoquées par une commission d'enquête. Le sujet de la fabrication et de la vente des lentilles ophtalmiques constitue un bon exemple de cette diversité des réactions à divers moments.

En conclusion, au niveau de l'élaboration et de l'analyse du détail d'un projet de loi, la commission parlementaire s'avère un mécanisme supérieur à la commission d'enquête.

Le pouvoir budgétaire

Au niveau d'un gouvernement comme celui du Québec, couvrant une population de plus de six millions d'habitants, un vaste territoire et recevant ses services d'un ensemble d'établissements très variés, le pouvoir budgétaire doit être utilisé avec beaucoup de prudence.

De façon très succincte, nous avons conclu au moment des travaux de la commission d'enquête que le pouvoir budgétaire devait être utilisé dans u n secteur comme celui de la santé aux fins suivantes :

a) obtenir la meilleure répartition possible des ressources compte tenu de la distribution géographique de la population, d'une part, et des caractéristiques des services de santé, d'autre part ;

b) atteindre certains objectifs fondamentaux de la politique de la santé (ex : accès universel aux soins, accent sur la prévention, médicaments prescrits aux personnes âgées) ;

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C) permettre un fonctionnement efficace des établissements et services de santé.

_l S f ' 1 a S S e Z f a c i l e d ' a c c e P t e r c e s Principes, dans la pratique rien n'est 1 m e m ' V01C1 ' " 13 1 U m i è r e d £ r e X p é n e n c e ' ^Principaux

a) On a poussé jusqu'à la tracasserie, au niveau du ministère des affaires soc,aies, le souci de bien allouer les ressources. Alors que des progrès immenses ont ete accomplis sur le plan des grandes allocations, le ministère a eu etTencor du mal a remettre aux établissements l'allocation plus détaillée des ressources • b En ce qui a trait aux objectifs fondamentaux de la politique de la santé le plus grand anger réside dans la possibilité qu'avec le passage du temps Pon v,enne a perdre de vue, au niveau des mesures très concrètes, les objectifs Se cette politique et que le pouvoir budgétaire soit mal utilisé. L'accent qui fut mis il v a vingt ans, sur les services diagnostiques (radiologie, analyse de la bactérie) afin de réduire les hosp.talisations n'est plus justifié comme à cette époque. Une meilleur

radiologie) S r e S S ° U r œ S ^ ^ r e S S e r r e m e n t d a ™ ce secteur (ex

l ^ T T ^ T d 6 S f m a n C e S d G S h Ô p i t a U X e t in t roduct ion du budget global, au debut des années 70, visaient à redonner aux établissements leur

S S Ï Ï ^ Î f ? 1 ^ L'analyse comparative des performances d-établissements et, a 1 intérieur de ceux-ci, des centres d'activités devait permettre d identifier la partie des établissements et des services dont le I l u d e

performance demeurerait inacceptable. La tendance des établissements à demander des directives celle des

n n t 0 r e t r 7 4 n r U l 0 i r ^ Z * ™ * ™ ' h P ° U S S é e ^ n n i s t e des années 73 et 74 qui a eu pour effet de rendre les budgets globaux inadéquats se ont conjuguées pour annuler les effets positifs qu'auraient normalement d o ™

le nettoyage des finances et le budget global.

Conclusion

c o l l o o P n r r e ' j ï m e i ' a i S d i r e q U £ t 0 U t C£ q U e V 0 U S e n t e n d e z cour» de ce se e S d T o J 0 " ' 1 6 " m P r S 1 ° n d ' ™ e 6 S p è C e d e S C é n a r i 0 t r è s b i e n o r fonné qui se seiait déroulé au cours des années, de 1966 jusqu'à aujourd'hui. Je dois vous d u e que la réalité est très différente : il y a eu toutes sortes d'imprévus qui se son produits et l'avenir nous en réserve évidemment encore d'autres Je n e ï ï s a s c

e n 1 9 7 0 p a r « ^ p * . J e n w p a s p r i s ]a ^ ^

S c sion C t e ° U e n C ° r e S1' 6 n 1 9 7 3 ' C l a u d e "'avait pas pris la decs ,on de se presenter et ne m'avait pas succédé. Lorsqu'on fait une

S u t u r e b i e n ° r e C e ! l e T ' ^ ^ ^ ^ ^ — b l e ' a u j o u f d ' h u î , il contraire ' *** ^ ^ U n e X e r d c e a b s t r a i t " B i e n au

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Quant à moi, je crois qu'au cours des quinze dernières années, il y a eu des progrès énormes qui ont été accomplis dans la réforme des affaires sociales. J e n'aurais pas exprimé cette opinion si cette réforme avait été identifiée à un seul individu. Je l'exprime parce que je pense qu'aujourd'hui, c'est très clair dans l'esprit de tout le monde que cette réforme a été faite par un grand nombre de personnes qui ont participé, à un titre ou à un autre, aux travaux de la commission ou du ministère. La réforme a été une entreprise collective. L'occasion ne m'a jamais été donnée, comme c'est le cas ce matin, de rendre un témoignage à tous ceux qui se sont associés à cette réforme et qui y ont consacré beaucoup de temps, d'efforts et de dévouement.

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Extraits de la discussion

Mme Claire Laberge-Nadeau :

Le professeur Friedman de Chicago, dans un texte extrêmement provocateur présenté récemment à la clinique Mayo, attaquait le secteur public et mentionnait qu'il souhaiterait l'abolition des corporations professionnelles. J e me demande comment réagiraient nos conférenciers sur ce sujet.

M. Claude Castonguay : On sait qu'aux États-Unis, les « organismes de régulation », que ce soit dans

le domaine des transports, des assurances ou autres, sont devenus extrêmement puissants. Dans ce pays de la libre entreprise, on en est venu à se rendre compte que ces organismes servent souvent à freiner la concurrence et même à l'éliminer puisque, dans certains cas ils ont clairement contribué à la création de monopoles. Alors Friedman, qui est en tenant du système de libre entreprise et de concurrence, ne voit pas la place de ces organismes de régulation parmi lesquels il range les corporations professionnelles qui présentent certains attributs auxquels il s'oppose.

Mme Nicole Martin :

Je voudrais simplement prendre l'aspect du secteur public décrié par Friedman et comparer notre expérience, en santé, à celle des États-Unis. Les États-Unis ont choisi de garder, dans le domaine de la santé, une grosse place au secteur privé et, somme toute, il y a sûrement des couches de population qui paient très cher pour ça. J'ai parlé tantôt des coûts per capita, aux États-Unis, pour la santé. Mes chiffres datent de 1975 mais on peut estimer qu'en 1978, le coût doit être autour de $770. per capita pour l'ensemble des dépenses publiques et privées de santé. Or j'ai vu récemment un chiffre qui m'a fait sursauter. J'ai lu que les compagnies d'assurance ont payé dans un an, aux États-Unis, tant de millions pour tant d'assurés, ce qui donnait $1,600. par assuré pour les services de santé. Si, avec $1,600. par client des compagnies privées (qui couvrent une bonne partie de la population) on arrive à un per capita deux fois plus petit pour tout le pays, il faut qu'il y ait des couches de population, aux États-Unis, qui n'ont vraiment pas accès aux services de santé...

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Par contre, je ne veux pas dire qu'il n'y a pas d'excès, à un moment donné, dans le secteur public. On peut avoir une certaine compréhension de la limite des dépenses publiques et des gens qui vont défendre la «proposition 13» en Californie...

J'ajouterai un commentaire au sujet du corporatisme. C'est probablement un domaine où la réforme a mis de l'ordre mais, dix ans après, on a l'impression que le problème est presque identique à ce qu'il était au départ. Le corporatisme a changé de nature mais il est encore très fort. Par exemple, le corporatisme est un facteur très important dans la vie quotidienne d'un hôpital ou d'un centre de services sociaux. C'est une source de conflits continuels. Il aurait été intéressant d'aller beaucoup plus loin dans la réforme des corporations professionnelles. Il y a le diplôme d'État qui existe aux États-Unis de façon beaucoup plus large qu'ici, au Québec. C'est un problème qui n'a pas été solutionné et qui est sociologique en même temps que législatif.

M. Yves André :

Nous entendons dire parfois, de la part des médecins, qu'ils ont été et continuent d'être absents de la réforme de la santé, ce qui risque de compromettre les objectifs qui avaient été mis de l'avant. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

Dr Jacques Brunet :

J'ai l'impression que c'est exact et que les médecins sont en grande partie responsables de cette situation. Au Ministère, nous avons fait des efforts nombreux pour recruter des médecins. La difficulté, qui est liée d'une certaine façon à leur mode de rémunération et aussi peut-être à leur niveau de rémunération, est extrêmement grande de recruter des médecins pour la fonction publique. Le niveau de rémunération qu'on peut leur offrir est, en général, loin de les satisfaire et de plus, la structure administrative hiérarchique ne leur convient pas. Se situer à un deuxième niveau, sous le ministre, c'est souvent difficile pour un médecin ; sous-ministre adjoint c'est-à-dire sous-sous-ministre, c'est presque un désastre ; directeur dans une direction, c'est une tragédie ; en dessous de ça, c'est impensable! Le même phénomène se produit au niveau hospitalier. Regardez le petit nombre de médecins qui sont directeurs généraux dans un établissement ou qui accèdent à des postes de direction. Ceci dit, je pense que les médecins devraient être impliqués. De toute façon, ils ont leur mot à dire et ils ont des mécanismes de représentation fort importants et fort puissants. Il n'est pas possible de les ignorer. Quelle que soit leur perception de la chose, leur pouvoir demeure très grand et leur influence énorme à l'intérieur du milieu hospitalier.

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M. Claude Castonguay :

Je me souviens d'avoir souvent entendu dire que les optométristes se sentaient mis à l'écart, que les dentistes se sentaient mis à l'écart... Si on s'attend de trouver des médecins, des dentistes ou des optométristes dans des postes administratifs, je ne suis pas convaincu que ce serait nécessairement la meilleure des choses. À mon avis, il a deux aspects importants. D'abord c'est qu'au moment des études effectuées par la commission ou de l'élaboration des programmes au niveau du ministère, des médecins aient été consultés et aient apporté leur point de vue, qu'ils aient participé aux travaux. Il y a plusieurs médecins qui ont été associés à toutes les étapes : Madeleine Patry, Jean Rochon, Jacques Brunet, Martin Laberge, pour ne nommer que ceux-là. L'autre aspect important est celui du changement des mentalités. On l'a dit : une réforme est valable en autant que les mentalités changent. Évidemment, je suis mal placé pour bien évaluer jusqu'à quel point la mentalité des médecins s'est modifiée mais ce n'est pas le gouverne-ment qui peut faire ces changements, c'est la profession médicale elle-même.

M. Yves Bergevin :

Les centres locaux de santé que la commission avait prévus étaient censés être reliés aux centres communautaires de santé, c'est-à-dire aux hôpitaux. Or la loi 48 ne prévoyait pas une telle association. Pensez-vous que l'absence d'une association directe avec les centres hospitaliers a contribué au manque d'essor des centres locaux de services communautaires ?

M. Claude Castonguay :

Si ma mémoire est bonne, les centres locaux de santé, selon le rapport de la commission, devaient être une extension de l'hôpital ou presque. Lorsque le moment est arrivé de préparer la législation, il y a eu, encore une fois, une période de discussion et on a décidé de les créer autonomes parce que les hôpitaux avaient réagi sans aucun enthousiasme à cette idée et aucun d'entre eux n'avait pris les devants pour établir de tels centres. Au contraire, il y avait quelques centres locaux à Montréal qui éprouvaient de grandes difficultés dès qu'ils s'adressaient aux hôpitaux pour accepter leurs patients ou obtenir un peu d'aide.

De plus, comme les hôpitaux avaient déjà assez de difficulté à s'administrer eux-mêmes, on s'est demandé s'ils seraient capables d'administrer, en plus, des extensions à distance d'une façon efficace et vraiment appropriée. Par contre, si ma mémoire est bonne, tous les services de santé communautaire devaient être reliés avec un centre hospitalier. De toute façon, je vois maintenant ce qui se passe au CHUL de Québec: nous avons des liens contractuels avec quelques CLSC. Nous apprenons, de part et d'autre, à faire en sorte que ces liens soient plus

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positifs et plus valables. Si on avait établi ces liens par voie de législation, je ne suis pas convaincu qu'on aurait progressé davantage.

Dr Gilbert Blain :

Il y avait peut-être une autre raison aussi pour ne pas relier les centres locaux aux hôpitaux : ces centres étaient projetés, au départ, comme des centres de santé mais ils sont devenus, par la suite, des centres de services communautaires, avec des objectifs beaucoup plus vastes dont certains dépassaient le champ d'action des hôpitaux.

M. Jacques Desautels :

On a souligné qu'il fallait apporter des changements dans les mentalités et que ça prenait un certain temps. La commission Castonguay suggérait des changements importants dans la pratique des professionnels. De plus, il faut penser à tous ceux qui administrent les différents établissements du réseau : c'est une nouvelle classe de fonctionnaires ou de para-fonctionnaires. Ma question est la suivante : est-ce que, dans la réforme envisagée, on avait pensé à la formation de ces professionnels, est-ce qu'on avait pensé aller plus loin que les comités mixtes entre les corporations et les institutions universitaires ou collégiales? Depuis sont intervenus différents types de problèmes : dans beaucoup de secteurs, on ne sait qui doit former quoi et on voit toutes les difficultés que connaissent les institutions universitaires et collégiales. Je suis un peu étonné de voir que si peu a été fait dans ce domaine. Finalement, dix ans après le début de la réforme, le réseau d'éducation, et notamment le ministère de l'éducation, semble démuni face à ces modifications et face à cette nouvelle mentalité qu'il faudrait créer chez les professionnels et les administrateurs.

Dr Jacques Brunet :

C'est une des difficultés que la commission croyait relativement facile à régler, par la collaboration entre le ministère des affaires sociales, le ministère de l'éducation, les universités et les collèges. Il y a deux facteurs qui ont joué de façon importante. D'abord, le ministère de l'éducation est responsable de la formation et il a toujours été vigilant quant à son autonomie vis-à-vis le ministère, des affaires sociales ; le deuxième facteur tout aussi important, c'est l'autonomie des universités face au ministère de l'éducation.

C'est un débat qui dure encore et qui va durer assez longtemps. L'influence que peut avoir le ministère des affaires sociales dans le processus de formation est indirecte et se limite à des suggestions en vue d'influencer les partenaires. Nous avons eu des rencontres, par exemple, avec des doyens de facultés et des

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directeurs d'écoles pour essayer de les informer des orientations nouvelles. Ainsi, nous avons toujours été conscients de la difficulté de travailler dans les CLSC pour les travailleurs sociaux, les médecins et les infirmières, alors qu'au cours de leurs études, il n'y avait aucun stage de formation pratique dans ces milieux-là et aucune habitude de travailler ensemble.

Les changements se font lentement et progressivement. Les professeurs doivent jouer leur rôle dans ce domaine. Je ne pense pas qu'on puisse envisager un mécanisme formel pour résoudre ce problème. Si c'était à recommencer, je ne vois pas comment on pourrait faire plus rapidement ces changements qui doivent venir du milieu. C'est comme au ministère de l'éducation : si on avait attendu d'avoir tous les maîtres parfaitement préparés pour faire la réforme de l'éducation, on ne l'aurait jamais faite. On a fait la réforme de l'éducation et a formé des maîtres en cours de route. C'est ce qui doit arriver aussi dans la réforme des affaires sociales.

M. Claude Castonguay :

Au sein de la commission, il y a eu un problème sur ce sujet qui a existé tout le long de nos travaux et on y revenait constamment. Les commissaires et les gens qui travaillaient avec la commission se disaient qu'il fallait aborder la question de la formation des effectifs. Il y avait, à l'époque, une étude assez extensive qui se déroulait en parallèle, sous la direction de Thomas Boudreau, sur la main d'oeuvre hospitalière. Cette étude ne couvrait pas tout mais elle était assez vaste. Il y avait aussi, dans le rapport de la commission, le concept de la régionalisation. Trois grandes régions étaient prévues qui devaient être chapeautées chacune par une université. C'était une façon d'impliquer directement l'université dans la réforme. Au moment de la création des nouvelles structures par voie législative, cette idée n'a pas été retenue et finalement on a adopté la division en douze régions administratives dont trois ici, à Montréal. Il est intéressant de penser que les universités auraient pu s'impliquer si le modèle initial avait été retenu.

Dr Gilbert Blain :

Sur le sujet de la formation professionnelle, on pourrait dire que l'enquête de la Commission Castonguay s'est prolongée dans l'enquête «Opération Sciences de la Santé » à laquelle Jean-Yves Rivard a participé également.

Dr Paul David :

Tout d'abord, je veux présenter des félicitations aux panelistes qui ont eu le courage de faire une excellente critique de la réforme et, plus encore, une auto-critique. Puis, je voudrais exprimer un souhait. M. Castonguay et le Dr Brunet,

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après avoir été ministre et sous-ministre, sont aujourd'hui à l'autre bout du fil, membres d'un conseil d'administration. Après avoir siégé quelque temps dans un conseil d'administration d'établissement, je souhaiterais qu'ils prennent une année sabbatique pour pouvoir analyser les avantages et les inconvénients qu'ils auront expérimentés aux deux bouts de la ligne...

Enfin, j'aurais deux questions à poser, la première sur la participation. J'ai l'impression qu'il y a, dans les centres hospitaliers, une pseudo-participation et une pseudo-démocratie quant à l'élection de certains membres du conseil d'administration. Je pense à deux classes particulières : les usagers, d'une part, et les groupes socio-économiques, d'autre part.

Ma deuxième question porte sur l'intégration des médecins. Je crois que c'est l'élément de base d'un système ou d'une réforme qui doit fonctionner et j'ai l'impression qu'au niveau hospitalier de même qu'au niveau gouvernemental, on a peut-être manqué d'imagination jusqu'à maintenant. Je souhaite que ça change et qu'on en vienne à établir une meilleure intégration entre le gestionnaire et le corps médical. J'aimerais avoir les interprétations du Dr Brunet et de M. Castonguay sur ce point.

Dr Jacques Brunet :

Le mode de sélection des membres des conseils d'administration est boiteux. Il était considéré comme boiteux dès l'origine. C'est une formule qui a été trouvée à défaut de mieux. L'idéal, ce serait un processus électif. À ce moment-là, il n'y avait pas de liste électorale permanente et on n'a pas voulu créer un mécanisme d'élection identique à celui de l'éducation. Il faudrait trouver un moyen plus démocratique d'élire les gens aux conseils d'administration. Il reste que c'est une forme de participation valable, telle que' pratiquée actuellement.

D'après mon expérience, depuis que je suis revenu dans le milieu hospitalier et que je participe à un conseil d'administration, je dois dire que la présence des nouveaux membres du conseil délégués par les usagers ou les groupes socio-économiques modifie le comportement des élites professionnelles. Aujourd'hui un directeur général ne se comporte plus, vis-à-vis son conseil d'administration, comme dans les années 60 alors que les conseils étaient très différents et ne comprenaient que des religieuses avec un docteur et, en général, un homme politique de la bonne couleur. Les discussion, d'après ce que j'en sais, étaient fort différentes de celles qui ont lieu aujourd'hui. Alors c'est une pseudo-participation si vous voulez, mais c'est une participation tout de même, qui a modifié de façon importante non seulement les discussions mais aussi les décisions qui sont prises.

Pour ce qui est de la profession médicale, j'ai fait mes commentaires tout à l'heure. Il y a une chose importante que je n'ai pas dite. Les administrateurs

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doivent apprendre à vivre et à travailler en collaboration avec les médecins. Il est bien évident que si l'administrateur se voit comme l'ennemi des médecins dans l'hôpital, ça crée un drôle de climat. Les problèmes naissent si on méprise la profession médicale et si on considère qu'il s'agit de gens qui n'ont rien à dire quant on fonctionnement de l'hôpital. Un hôpital où les médecins seraient tenus à l'écart marcherait plutôt mal, quel que soit le talent du gestionnaire.

M. Claude Castonguay :

Je n'ajouterai rien à ce que le Dr Brunet a dit quant à la participation au niveau des conseils. Je partage son point de vue. Sur la question de la participation de la profession médicale dans la réforme, je veux exprimer une opinion. Pendant les trois ans et demi que j'ai été au ministère, il n'y a rien que j'aurais souhaité davantage que d'avoir la collaboration de la profession médicale. Je peux vous dire que la profession médicale (je ne parle pas des individus mais comme groupe) ne donne pas facilement sa collaboration. Il n'y a rien que j'aurais plus souhaité que de l'avoir. On a vécu une grève, on a vécu des résistances féroces au moment de l'introduction de certains projets de loi. Il y a eu des démarches de toutes sortes pour essayer de bloquer la réforme. La profession médicale, pendant les années où j'ai été ministre, ne s'est pas engagée vraiment dans la réforme. Heureusement qu'au niveau des individus, plusieurs ont agi différemment, ce qui fait que nous sommes rendus où nous sommes aujourd'hui.

Mme Nicole Martin :

L'intégration des médecins est un thème majeur et j'aimerais surtout qu'on la recherche au niveau de l'hôpital plutôt qu'au niveau de la définition des politiques, Je garde l'idée que l'administrateur vise une économie des ressources alors que le médecin a intérêt à ce qu'il ait le plus de marge possible, le plus de ressources possibles pour rendre des services.

Dr René-Maurice Bélanger :

Je voudrais savoir pourquoi, dans la réforme, on a délaissé l'aspect de santé au travail que l'on retrouve à l'avant-scène aujourd'hui.

Dr Jacques Brunet :

Le thème de la santé au travail n'est pas apparu dans la première période des réformes, c'est exact. Ce domaine constituait une préoccupation du ministère mais il faisait partie de la santé publique. Les changements de structure dans la santé publique se sont faits de façon relativement informelle, c'est-à-dire sans

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base législative, sans pouvoir réel. La première allusion législative aux départements de santé communautaire apparaît en 1974 ou 75 et lorsqu'il est question de ces départements dans les textes législatifs, ils sont déjà en place. De plus, le règlement dans lequel on désigne les hôpitaux où il y aura un département de santé communautaire a une valeur juridique qu'on peut mettre en doute. À l'époque, les comités de législation et de contrôle de la réglementation ont permis, en plusieurs occasions, de publier des réglementations dont l'assise juridique était discutable. Ces réglementations étaient préparées par nos conseillers juridiques, à l'intérieur du ministère, et étaient approuvées par le conseil des ministres. Je pense que l'on est beaucoup plus sévère aujourd'hui.

La santé au travail n'est devenue une priorité qu'une fois que les départements de santé communautaire ont été organisés. L'option qui a été prise au niveau du ministère et du gouvernement, jusqu'en 1976, a été de procéder graduellement, compte tenu du peu de ressources humaines disponibles et du peu d'expertise dans ce domaine.

À partir de 1976, on a pris une option différente : on a fait de la santé au travail un projet législatif et maintenant on discute sur cette législation depuis deux ans. Le terrain qui a été parcouru en médecine du travail rend actuellement possible la législation dans ce domaine. Il y a eu des actions concrètes au niveau de plusieurs départements de santé communautaire, en ce qui regarde la santé des travailleurs. Il y a eu aussi la formation d'un bon nombre de professionnels dans ce secteur depuis cinq ans.

M. Claude Cantonguay :

Il faut se souvenir aussi que tout ce qui touchait la santé au travail relevait de la Commission des accidents du travail. C'était gardé jalousement par cet organisme. Or, au moment des travaux de la commission, nous n'avions pas comme mandat de couvrir ce secteur et, pendant les années que j'ai été au ministère, le président de la Commission des accidents du travail était un ancien ministre de l'Union Nationale, ce qui n'aidait pas ma tâche !... Enfin, au moment où on a commencé les travaux à la commission, on était très marqué par le fait qu'il existait toutes sortes de systèmes parallèles : un pour la psychiatrie, un pour les chroniques, un pour ceci, un pour cela... On n'a pas voulu faire une étude détaillée sur chaque secteur ; on a plutôt voulu faire un ensemble de propositions avec comme objectif d'intégrer le tout. Il y avait bien d'autres déficiences qui auraient pu être soulignées. Par exemple, on aurait pu faire un rapport spécial sur la question de la réadaptation. On ne l'a pas fait parce que notre option était de prôner l'intégration.

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M. André-Pierre Contandriopoulos :

Dans la perspective de la participation des médecins au processus de réforme, on a parlé plus tôt du mode de rémunération. M. Castonguay a indiqué que quelquefois le pouvoir législatif permettait de trancher dans le vif une question qui risquait autrement de durer longtemps et d'entraîner des discussions interminables. Alors pourquoi, lors de la mise en application des recommandations de la commission, le mode de rémunération des médecins n 'a-t-il pas été modifié ?

M. Claude Castonguay :

Pour deux très bonnes raisons. D'abord, sur le plan politique, il n'apparaissait pas possible de faire à la fois l'assurance-maladie et de changer le mode de rémunération des médecins. De plus, nous n'avions pas d'autres modes de rémunération très bien élaborés qui auraient pu se substituer assez rapidement et de façon ordonnée aux modes pré-existants, soit la rémunération à l'acte pour une grande partie et à certains endroits, un autre mode. C'est extrêmement complexe de développer de nouveaux modes de rémunération qui ne nous feront pas tomber dans des problèmes aussi grands que ceux que nous pouvons connaître auj ourd'hui...

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La réforme des affaires sociales au Québec

(1970-1980)

Les contraintes

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Les contraintes du corporatisme

Claude-Armand Sheppard, B.C.L. Avocat

Montréal

Je vais essayer de cerner deux sortes de contraintes que l'on pourrait appeler les contraintes corporatistes ou les entraves corporatistes qui ont retardé, empêché ou contrecarré la récente réforme des affaires sociales au Québec.

La première catégorie de contraintes sont celles qui découlent de la nature et des activités des corporations professionnelles elles-mêmes. La deuxième sorte de contraintes forment le pendant de ces premières contraintes: ce sont les problèmes qui résultent de l'attrait apparemment irrésistible qu'exerce pour beaucoup de gens le statut de corporation professionnelle.

Parlons tout d'abord des contraintes qui découlaient de l'existence et de la nature des corporations professionnelles. Le catalogue des difficultés que je vais mentionner est loin d'être complet et il est forcément négatif. Cela ne veut pas dire que les corporations ne jouent pas également des rôles fort fructueux, fort utiles et de façon consciencieuse. Mais certaines corporations professionnelles ont manifesté (et manifestent toujours) des tendances condamnables et qui méritent d'être dénoncées publiquement.

Je pense tout d'abord que c'est un truisme de dire que la nature même des corporations professionnelles les a toujours portées à défendre avant tout leur monopole de l'exercice de leur profession ou bien de l'utilisation du titre. Et cette situation a toujours posé d'énormes difficultés. Si, d'une part, on pouvait prétendre que ce maintien du monopole se justifiait par la protection du public, on a toujours soupçonné et on a eu souvent la preuve que ce souci recouvrait aussi la préoccupation plus égoïste de protéger les intérêts matériels des membres de ces corporations. L'une des grandes réussites de cette réforme des affaires sociales au Québec a été de faire éclater publiquement ce conflit entre le rôle d'émanation ou de mandataire de l'État qu'assume une corporation professionnelle et le rôle

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souvent contradictoire de cette corporation comme groupe d'intérêt ou groupe de pression représentant les intérêts de ses membres. L'une des manifestations les plus fréquentes de cet égoïsme corporatiste se retrouvait naturellement dans les conflits inter-professionnels et les querelles interminables qui se poursuivent jusqu'à ce jour entre les différentes corporations professionnelles sur les champs de compétence. Les médecins, par exemple, ont toujours soutenu que tous les domaines de la santé relevaient de la médecine sans exception et que les autres corporations des professions de la santé étaient restreintes limitativement à pratiquer à l'intérieur d'un petit démembrement de l'exclusivité médicale. Je n'irai pas plus loin sur ce sujet qui souligne au départ les obstacles qu'il y avait à vaincre...

Les corporations professionnelles ont toujours été portées à confondre l'intérêt public et l'intérêt matériel de leurs membres. Je pense que ce sont les corporations qui avant G.M. ont pratiqué le slogan : «What is good for General Motors is good for the country ». Ce qui était bon pour l'Ordre des médecins était bon pour les malades. On est loin d'avoir complètement éliminé ce conflit. Ainsi il est évident que, pour ne prendre qu'un exemple récent, la réforme Payette de l'assurance-automobile lésait les intérêts matériels de beaucoup de membres de ma profession. Comment un Barreau pourtant chargé aussi de la protection de l'intérêt public peut-il être objectif et oublier ces intérêts ? Le conflit d'intérêt interdit normalement à un juge ou à un arbitre de siéger, mais les corporations professionnelles ne voyaient pas ces difficultés, ce qui ne les empêchait pas de discipliner leurs membres, qui, dans l'exercice de leur profession, se rendaient coupables de conflits analogues !

Les corporations professionnelles, en outre, ont toujours eu, et ont encore aujourd'hui en général, une conception complètement désuète de la déontologie professionnelle. On s'était fait un portrait-robot, un fantasme, du professionnel idéal : de préférence un monsieur très sérieux, très bourgeois, affublé d'un titre, et ne prenant jamais de position socialement ou politiquement avancée. C'était le souci essentiel des professions en matières de déontologie, et cela, je regrette dele dire, n'a pas tellement changé. Pour ne parler que du Barreau, vous savez qu'il est contraire à la déontologie de ma profession de ridiculiser la magistrature ou les lois, c'est-à-dire que si je disais tout haut ce que, à l'instar de nombreux confrères, je pense de certains juges ou de certaines lois ou de la justice en général, je m'exposerais à des sanctions inévitables. Je sais, d'autre part, qu'un Ordre professionnel, dans votre domaine, essaie de réglementer dans quel endroit et dans quelle sorte d'édifice, un professionnel a le droit d'avoir son cabinet, réglementation qui a pour effet d'empêcher le professionnel d'exercer là où il serait le plus accessible à ses patients et à ses clients.

Une autre entrave d'ordre corporatiste était, et demeure toujours, le souhait de certaines corporations de laver leur linge sale en famille et surtout de ne pas

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entourer de publicité les poursuites disciplinaires qu'elles sont obligées d'intenter contre certains de leurs membres. D'ailleurs, ces poursuites sont rarissimes et quand elles ont lieu, elles se déroulent généralement en secret, soi-disant pour protéger le professionnel et son client. On se demande pourquoi vous et moi, à titre de professionnels, bénéficions de toutes ces préventions que les autres justiciables n'ont pas l'heur de connaître quand ils sont accusés en justice. Le secret professionnel appartient au client ou au patient et non au professionnel. Si l'un de mes clients portait plainte contre moi, c'est certainement à lui de décider si, ou ou non, il veut de la publicité. Il y a eu une résistance palpable, que l'on constate encore aujourd'hui, à toute tentative d'insuffler un peu d'air frais dans les procédures disciplinaires et d'attirer l'attention du public sur les règles de déontologie et sur les possibilités de dénoncer des professionnels. La situation s'est améliorée un peu mais je puis vous assurer qu'on est encore loin de l'idéal d'une justice disciplinaire franche et ouverte.

Une autre contrainte se traduisait par l'insouciance presque généralisée à l'égard du recyclage, de l'éducation permanente et de la vérification continue de la compétence. En somme, celui qui avait réussi à être reçu à l'âge de vingt-cinq ans dans une profession détenait une licence à vie de soigner ou de traiter les gens, sans obligation de recyclage ou de renouvellement de sa compétence, même si la discipline avait été complètement redéfinie et modifiée par la suite et, à condition de ne pas commettre d'impair remarquable et remarqué (surtout remarqué) et de payer ses cotisations, il était assuré d'exercer sa profession impunément et à vie. On se demande pourquoi il a fallu si longtemps et pourquoi il faut encore tellement de temps pour que l'on exige une vérification permanente ou répétée de la compétence, et pas seulement de la compétence professionnelle, mais aussi de la compétence physique et psychologique. Nous connaissons tous, dans notre profession, des gens qui sont de véritables menaces à la sécurité, à la santé, au bien-être et je dirais même au patrimoine de leur client ou de leur patient...

Une autre source de difficultés pour toute tentative de réforme était l'hostilité systématique des corporations à toute surveillance établie, à toute intervention de la société. Les corporations ont toujours oublié qu'elles sont finalement une émanation de l'État, qu'elles exercent des pouvoirs délégués par l'État pour le bien des citoyens en général et que le minimum que l'on puisse exiger, en contrepartie des monopoles et des privilèges qui leur sont consentis, c'est qu'elles rendent des comptes. Or dès que l'État, timidement et d'ailleurs très rarement, réclamait un droit de regard, on criait à l'atteinte à la liberté et à l'invasion étatique. Et pourtant les corporations faisaient leur pèlerinage régulier pour demander à ce même État de leur accorder des pouvoirs accrus renforçant leur monopole ! Tout en partageant le souci de protéger l'indépendance des professions en ce qui regarde la qualité des services, le secret professionnel et la liberté générale des professionnels d'exercer selon leur conscience, nous ne

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pouvons pas contester à la société un droit de regard sur des activités formant l'objet de monopoles concédés par l'État.

Il y a, enfin, une autre contrainte que vous connaissez et qui n'a pas encore été résolue, à mon avis. C'est le conflit larvé entre ceux qui assurent la formation universitaire des professionnels et qui indirectement sont, eux aussi, tributaires de l'État qui paie la note des universités et, d'autre part, les corporations professionnelles qui décident des critères d'admission dans les professions. Il y a toujours une sorte de contradiction entre ce que nous, comme corporations ou professionnels, attendons des universités et ce que ces dernières prétendent fournir. Ces conflits sont d'autant plus graves que l'on parle de l'avenir de milliers de jeunes et de la sécurité même des citoyens.

Le temps ne me permet pas de traiter comme je l'aurais voulu de la deuxième sorte de contrainte d'ordre corporatiste: l'attrait du statut de corporation professionnelle.

Ce deuxième problème découle du fait que tout Québécois digne de ce nom, et indépendamment de sa langue ou de ses origines, estime qu'il a le droit d'exercer son métier ou sa profession dans le cadre d'une «corporation professionnelle ». Il en est résulté une procession régulière et interminable de toutes sortes de gens qui allaient réclamer à Québec le statut de corporation professionnelle, l'exclusivité du titre ou l'exclusivité de l'exercice. La commission Castonguay cherchait à établir, pour la première fois, une politique et des critères pour décider qui et comment avait le droit d'accéder au statut de corporation professionnelle.

Vous trouverez des solutions qui ont été apportées tant bien que mal à ce problème dans notre excellent Code des professions.

Je conclus avec cette pensée que l'on a tort de parler des contraintes professionnelles au passé simple ou au passé composé ; c'est plutôt au présent et au futur qu'on devrait traiter de ces questions...

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Les contraintes du syndicalisme

Paul Pleau, C.A. Directeur général

Hôpital du Saint-Sacrement Québec

Au cours des derniers jours, j'ai passé en revue les recommandations de la Commission d'Enquête sur la santé et le bien-être social et j'ai tenté d'établir un parallèle entre ces recommandations et le vécu dans le domaine des relations de travail depuis une dizaine d'années. En particulier, j'ai tenté de voir s'il y avait eu des recommandations qui s'étaient appliquées de façon spéciale dans ce domaine.

Les objectifs généraux de la réforme étaient l'amélioration de la santé et l'amélioration de l'environnement. Parmi les recommandations de la commission, il y en avait une qui m'avait frappé particulièrement et qui disait que la politique de santé au Québec avait pour objectif d'établir un système de services de santé efficace, c'est-à-dire fondé sur le recours aux méthodes modernes d'organisation et de distribution des soins. On proposait un réseau comprenant des centres locaux de santé, des centres hospitaliers appelés communautaires, des CHU, et puis au-dessus des établissements, on trouvait un Office régional de la santé qui, avec le ministère, devait planifier et contrôler tout le secteur de la santé.

Pour atteindre l'objectif proposé, on devait développer, au niveau régional, divers mécanismes quant aux relations de travail. Ainsi, pouvait-on imaginer qu'au niveau de l'Office régional, on aurait pu retrouver des spécialistes de la main-d'œuvre, des experts pour fin de négociation. Ce modèle aurait pu s'apparenter à celui qu'on retrouvait dans les grandes centrales syndicales telles que la CSN ou la FTQ, où il y a, au niveau régional, des permanents qui ont des relations étroites avec les syndicats locaux.

C'était le modèle proposé en 1970. Vous savez aujourd'hui qu'entre le modèle proposé et la réalité, il y a quand même une différence très grande. On a parlé, ce matin et aussi il y a quelques minutes, d'une centralisation très grande

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dans le domaine des affaires sociales. Dans le secteur des relations de travail, on peut difficilement associer la centralisation à la réforme proposée dans le rapport Castonguay car cette centralisation était déjà quasi réalisée depuis 1966. Ceux qui ont vécu cette époque difficile se rappellent que la mise en place de l'organisation provinciale des négociations s'est faite d'une façon plutôt brutale. On n'a pas demandé à la partie patronale mais aux dirigeants syndicaux s'ils préféraient négocier provincialement, régionalement ou localement. La décision fut essentiellement politique. Le gouvernement a établi une direction des relations de travail au ministère de la santé et tout au long des négociations, qui se pratiquaient à cette époque sur une base régionale, on a décrété une échéance pour la fin des négociations locales ou régionales : le 31 décembre 1965. Avec la bénédiction des grandes centrales syndicales, la négociation provinciale a pris naissance en 1966 avec le résultat qu'on a connu, à ce moment-là, un bouleversement considérable dans les établissements de santé : trois semaines de grève et une convention collective dont on subit encore les effets puisque les principaux éléments qu'on a essayé de changer au cours des années 1968, 1972, 1976 et probablement 1979, sont contenus dans la convention de 1966. Plusieurs de ces éléments sont en complète contradiction avec les objectifs promulgués par la commission Castonguay en 1970.

Les problèmes qui se posent présentement dans ce secteur, pour n'en nommer que quelques-uns, ce sont ceux qui font la manchette constamment : la mobilité, l'activité syndicale, la co-gestion dans la responsabilité, la non-participation sauf par la voie de la négociation, la sécurité d'emploi, la mise à pied, etc... Ces éléments, on les retrouve dans la convention de 1966. À partir d'une décision mal préparée, à mon point de vue, et beaucoup trop hâtive d'arriver à un consensus dans les négociations, on a sacrifié, à cette époque-là, les clauses normatives, les clauses de gestion.

Il y a eu cependant un certain nombre de recommandations de la Commission Castonguay qui ont été appliquées dans le réseau au cours des années 1970-75, et qui ont eu un effet très bénéfique dans le domaine des relations de travail. Il y a eu toute une série de recommandations concernant le perfectionnement, le recyclage qu'on a pu réaliser au cours des dix dernières années, plusieurs nouvelles formules qui ont permis à bon nombre de gens de trouver, à l'intérieur du système, un changement d'emploi en se recyclant ou en se perfectionnant.

Il faudrait ajouter que la réforme a contribué à rendre les choses encore plus complexes. Ainsi au modèle qui avait été proposé en 1970, on a ajouté, en 1972, toute une série d'établissements qui n'avaient eu auparavant aucune relation avec le ministère de la santé. On avait dorénavant un ministère des « affaires sociales » et par conséquent les centres d'accueil, les centres de services sociaux et divers autres organismes ont été intégrés dans les relations de travail. Cette complication

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du système a eu pour effet d'ajouter deux problèmes avec lesquels on doit vivre aujourd'hui : la multiplication des emplois et l'augmentation des classifications. À ce sujet, la commission recommandait de ne pas nécessairement procéder par voie de négociations mais plutôt par voie d'une étude ou d'une analyse en profondeur pour examiner toutes les facettes de ce problème. Elle suggérait même de recourir aux universités. Je pense que le syndicat, au niveau provincial, a bien identifié le problème et privilégié un seul lieu de discussion : la table de négociations. Il n'y a pas eu d'analyse, il n'y a pas eu d'enquête et on se retrouve aujourd'hui avec 350 emplois dans le secteur des affaires sociales. Si on fait le rapprochement avec les problèmes analogues qu'on retrouve au niveau de l'Office des professions, on découvre une dimension nouvelle de ce débat difficile. D'une part, les professions (on le voit actuellement à l'occasion des débats à la commission parlementaire au sujet des actes délégués) défendent l'exercice exclusif ; d'autre part, on verra, au cours des prochaines semaines, si les syndicats professionnels auront un mot à dire dans cette affaire. C'est un débat qui est loin d'être tranché. Actuellement il semble, à première vue en tout cas, que c'est à la table des négociations que la plupart de ces questions se régleront...

En guise de conclusion, je voudrais aborder un dernier point. On a dit, durant ce colloque, que la commission avait proposé un modèle régional et que, pour mille et une raisons, on n'a pas pu pousser à fond la mécanique de la structure régionale. Quand je parle de structure régionale, je ne parle pas strictement d'un modèle unique. Je pense plutôt à trouver, au niveau régional, un certain nombre de gens d'établissements qui ont le goût de faire des choses ensemble. Il pourrait s'écouler quatre ou cinq ans avant qu'on passe des lois, qu'on institue règles et règlements en vue d'en arriver à un modèle unique...

Aujourd'hui certains problèmes se posent dont je ne vois la solution qu'à ce niveau-là. On parle, par exemple, dans le monde syndical et patronal, de la mobilité. Un phénomène nouveau s'est produit dont il faut tenir compte. Dorénavant un grand nombre de femmes mariées travaillent à l'extérieur de leur foyer, d'où une plus grande mobilité personnelle. Pour ma part, la mobilité du personnel peut se concevoir au niveau d'une sous-région comme au niveau d'une région. On recoupe ici une des recommandations de la commission, celle de faire des choses dans un territoire restreint, avec une population qui n'est pas trop dispersée, dans un environnement que les gens connaissent. On parle de mises à pied, de transferts ; ce sont les questions de l'heure. La solution de ces problèmes se trouve, en partie, au niveau régional. Trouvez-vous raisonnable qu'actuellement, dans une région, un établissement ait des buandiers en surplus mais, qu'à cause des mécanismes complexes de la convention, on ne puisse pas les transférer dans un autre hôpital à un kilomètre de distance, où on a besoin de buandiers ? Ils sont de trop dans une buanderie et il en manque dans l'autre mais on ne peut pas faire de transfert! La convention ne le permet pas... Et des

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problèmes de cette nature, il y en a plusieurs. On a négocié provincialement pour appliquer le carcan d'une convention unique sans tenir compte des problèmes locaux à régler. Il me semble que, dans ce domaine-là, on devra, dans l'avenir, s'intéresser davantage à la dimension régionale.

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Les contraintes des structures participatives

Claude Forget, Ph.D. Député de St-Laurent

Assemblée nationale, Québec

Si l'on demandait à tous ceux qui ont vécu durant cette période de réforme des services de santé, soit comme intéressés, soit comme spectateurs, de résumer en un mot le sens de cette réforme, il est probable que ce mot serait la «participation». Cette notion qui suggère de façon confuse le contraire de « paternalisme » ou « d'autoritarisme » semble être très rapidement devenue la caractéristique de premier plan pour décrire les recommandations de la Commission d'enquête et l'esprit général des politiques et des lois qui en ont découlé. Cet idéal de participation s'est traduit par des réformes de structures : le projet de loi 65 de 1971 a créé un cadre juridique entièrement nouveau, fortement marqué par la participation, pour toutes les catégories d'établissements de santé et de services sociaux.

Mon propos d'aujourd'hui consiste en ceci: la notion particulière de participation véhiculée par la loi 65 était inappropriée au secteur des Affaires sociales car elle était basée sur de fausses prémisses à la fois sur le plan théorique et sur le plan pratique. En conséquence, les structures participatives agirent souvent comme des contraintes significatives dans l'application des autres éléments de la réforme, au point même de les mettre sérieusement en échec.

Certains seront peut-être déçus que je m'adresse aux structures issues de la loi 65 plutôt qu'à celles qui les ont précédées comme constituant les contraintes à la réforme. Les syndicats, les corporations professionnelles et la bureaucratie gouvernementale qui agirent parfois évidemment comme des sources d'obstacles à la réforme, faisant l'objet d'exposés distincts, je me dois de passer leur rôle sous silence. Quant aux structures restantes, soit les associations d'établissements et de cadres et les anciennes corporations d'établissements, elle ne jouèrent pas à mon

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avis un rôle significatif dans le déroulement de la réforme des Affaires sociales. Une fois assurées d'une présence même minoritaire au nouveau conseil d'administration des établissements et de la possibilité d'une ségrégation des fonds de dotation ou à destination spéciale, les anciennes corporations s'éclipsèrent du débat. Quant aux associations d'établissements, et surtout l'A.H.P.Q., c'est un secret de polichinelle d'affirmer que durant la période de 1970 à 1975, au moins, il y eut un affaissement presque total de leur influence et même de leur rôle propre.

Entendons-nous bien : je ne me livrerai pas aujourd'hui à un plaidoyer contre la participation en général mais, au contraire, à l'analyse d'une expérience quelque peu décevante de participation. L'idée selon laquelle le consommateur ou bénéficiaire de services de santé et de services sociaux ou, si l'on veut, le contribuable doit avoir son mot à dire sur la manière dont de tels services devraient lui être offerts : cette idée-là n'est pas prête à disparaître. Cependant, pour la réaliser effectivement, de vagues symboles sont insuffisants.

La notion de participation

Il n'est pas prouvé qu'il soit nécessaire à une société démocratique et à l'apprentissage des attitudes et des comportements appropriés au maintien des libertés démocratiques que tous les aspects de l'existence en société soient ouverts à la participation. Si l'on considère le développement historique des démocraties, il semble bien suffisant qu'un ou deux secteurs d'activités soient ouverts à la participation : des habitudes démocratiques authentiques et fortes se sont développées dès le 19e siècle dans des pays où la famille ainsi que l'entreprise obéissaient à un modèle très autoritaire alors que les activités municipales, les églises et les groupements volontaires offraient un vaste champ à la participation. On peut croire que notre époque doit définir autrement les secteurs ouverts à la participation à cause du déclin des secteurs où celle-ci s'exerçait traditionnelle-ment mais une telle affirmation est bien différente d'une aspiration générale à ouvrir à la participation toutes les organisations sociales partout et en toutes circonstances.

Le mot participation, très souvent utilisé depuis une quinzaine d'années, correspond, pour presque tous ceux qui l'entendent ou même qui l'utilisent, à une notion très vague. Il s'agit moins d'un terme descriptif que d'un idéal qui, s'il se réalisait, suppose une société dont toutes les composantes fonctionneraient selon un modèle démocratique.

Sans doute un gouvernement ne peut être démocratique à moins de faire place à une participation des citoyens. Mais il y a longtemps que l'on a cessé de croire qu'il était indispensable à la démocratie que chaque citoyen participe directement à décider de chacune des affaires de l'État. D'ailleurs, le souhaiterait-

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on que l'on constaterait rapidement qu'une participation aussi générale et intense est impossible : le citoyen moyen n'a ni les connaissances, ni le temps, ni le goût de prendre part à tous les débats ni même de formuler des préférences précises sur chacune des matières qui fait l'objet d'une intervention législative ou gouvernementale. Si une telle participation était nécessaire pour la démocratie, il faudrait conclure que la démocratie n'existe nulle part et qu'il est impossible d'y accéder.

Certains théoriciens de la science politique ont souligné, avec raison, que des institutions démocratiques ne peuvent s'établir ni durer dans une société qui n 'a pas certaines prédispositions à la démocratie. Ainsi les citoyens devraient avoir d'autres occasions de participation, outre le scrutin aux élections parlementaires, afin, en quelque sorte, de faire l'apprentissage de la démocratie et d'acquérir les attitudes et les habitudes nécessaires à la stabilité des institutions politiques démocratiques sur le plan de l'État. Il s'agit là d'une intuition d'une grande importance : on voit mal, en effet, comment des institutions politiques démocratiques pourraient durer dans un pays où tous les autres aspects de l'existence dans la famille, l'entreprise, les professions, les services locaux et les institutions à caractère social seraient caractérisés par un fonctionnement de type rigidement autoritaire.

D'autres théories de la participation se sont inspirées non pas du souci d'assurer un terrain propice aux libertés politiques mais plutôt du désir de diminuer les écarts sociaux entre capitalistes et prolétaires : que l'on se réfère ici à la copieuse et interminable discussion sur les avantages et les difficultés de la co-gestion, de la «démocratie industrielle», qui selon certains permettrait de surmonter les divergences et les conflits entre les intérêts de classes des travailleurs et des patrons.

Dans un cas comme dans l'autre, soit la théorie de la participation comme école des principes républicains et parlementaires soit la théorie de la participation des travailleurs à la gestion des entreprises, la participation est un instrument et non pas une fin en soi.

La participation, telle qu'on la retrouve dans la réforme des Affaires sociales, a pris les allures d'un objectif en soi, qui s'est ajouté aux autres objectifs, en les déformant. Ce genre de participation a des racines intellectuelles très fragiles. Si par contre, la participation pratiquée dans les Affaires sociales est évaluée à la lumière des théories qui ont d'authentiques lettres de créance et que j'ai décrites précédemment, on se rend aisément compte qu'il s'agit d'un instrument inapproprié, soit qu'on veuille enrichir notre vie démocratique soit qu'on veuille édifier un nouvel ordre social.

En outre, ce qui est frappant dans la notion de participation telle qu'elle fu t employée dans le contexte de la réforme du système de santé, c'est la manière non

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structurée avec laquelle elle fut appliquée. En d'autres termes, ce qui fut mis en place, c'est une participation à l'usage des individus mais à l'exclusion des groupes organisés. C'est l'utilisateur individuel des services de santé et le salarié qui furent invités à participer : la municipalité ou le conseil de comté, le syndicat et les associations volontaires furent écartés. Une participation aussi atomisée était destinée à avoir peu d'emprise sur le réel. Une telle approche, inspirée des institutions démocratiques, eut été sans défaut, si tous les participants eussent été sur le même pied mais ce n'était pas le cas. Les conseils de direction des hôpitaux devinrent non pas des mini-parlements mais des êtres hybrides à mi-chemin entre l'assemblée populaire et les états-généraux ou même la table de négociation.

En effet, la démocratie suppose l'égalité d'une part et d'autre part une allégeance à des normes communes. Pour ce qui est de l'égalité, il n'est pas question d'exiger de chaque individu qu'il soit également doué, motivé et informé sur tous les sujets imaginables mais plutôt d'exiger que le caractère des décisions qui doivent être prises démocratiquement soit tel que l'on puisse compter sur une capacité équivalente d'en comprendre les principales implications et de se former une opinion. Or, la nature même des décisions qui doivent être prises dans le secteur des services de santé, et cela en particulier à une époque de transition, entraîne comme conséquence une inégalité irrémédiable entre les professionnels de l'intérieur d'une part et les profanes de l'extérieur de l'autre.

Pour ce qui est d'une allégeance à des normes communes, la participation au sein des établissements de santé de professionnels appartenant à des catégories ou même des familles différentes sur le plan de la formation intellectuelle a produit, dans ce milieu, les mêmes déboires que l'imposition d'institutions parlementaires au sein de sociétés encore imprégnées de tribalisme : toutes les décisions sont décidées d'avance non pas par la discussion des alternatives à la lumière de l'intérêt commun mais en fonction de la force initiale des différentes tribus : une situation qui ne peut être modifiée qu'au rythme lent de l'évolution sociale ou bien au prix de dislocations et de secousses qui interrompent pour longtemps tout espoir de fonctionnement normal et efficace.

Malgré l'inégalité flagrante des partenaires, malgré l'absence de consensus inter-professionnel et les trop évidents conflits de juridiction et d'orientation entre médecins, infirmières, travailleurs sociaux et animateurs, le ministère des Affaires sociales, sous prétexte d'appliquer la philosophie participative douteuse de son volume sur le développement social, s'engagea sur la voie d'une réorganisation où la participation des individus recevait une large place. J'eus même l'occasion d'amender la loi relative aux établissements de santé de manière à contenir les manifestations extrêmes de cet esprit tribal qui animait certains groupes : les travailleurs syndiqués ayant voté une fois pour se donner un délégué au conseil d'administration cherchaient à voter une seconde fois pour s'en donner un

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deuxième à titre d'usager de l'établissement hospitalier où ils travaillaient. Les médecins eurent d'ailleurs le même comportement. Cette modification, conforme à l'esprit du régime de participation de multiples groupes, témoignait cependant de l'inexistence d'une des conditions de base qui eut pu rendre cette forme de participation un tant soit peu utile. La participation masquait mal des conflits non résolus et que la participation populaire était impuissante à dénoncer alors que ni une Commission d'enquête ni le pouvoir politique n'avaient pu le faire.

Il y avait, entre cette conception étriquée de la participation et (vu son mandat) l'impossibilité pour la Commission de remettre en question des éléments de base du régime politique et administratif en vigueur, une corrélation parfaite. Ainsi le caractère centralisé à l'excès des relations de travail, et en particulier de la négociation de conventions collectives de travail, rendait superficiellement plausible une participation des salariés syndiqués comme membres d'un groupe distinct aux conseils d'administration des établissements parce que ces conseils d'administration, tout en conservant la qualité formelle d'employeurs et donc de patrons, avaient perdu dans les faits les principaux attributs de cette qualité. Pourtant, une participation qui eut été jusqu'à une cogestion offerte aux syndicats était par définition exclue à moins de remettre en cause la structure rigide et centralisée de la négociation ainsi que ses objets. Dans le domaine des décisions d'investissement et d'équipement, il était possible d'ignorer une participation directe des municipalités à cause de la politique, sans exemple à l'extérieur du Québec, qui permet de faire émarger à 100% au budget de l'État toutes les dépenses d'immobilisation qui en découlent ; le désir d'ériger une participation symbolique fut toutefois satisfait par l'octroi à l'ensemble des maires d'une région, du droit de désigner deux membres des conseils régionaux. Dans les deux cas, participation des salariés syndiqués et participation municipale, la centralisation des décisions que l'on ne parvenait pas ou ne voulait pas remettre en question rendait illusoire ou purement symbolique la participation que l'on aurait cependant, par un curieux illogisme, voulu rendre réelle.

La participation étant devenue une préoccupation centrale du ministère des Affaires sociales, ce secteur d'activité dut assumer un fardeau qui n'était pas le sien et pour lequel il n'était pas le champ d'application le plus prometteur. Ce fardeau c'est celui d'une réforme peut-être nécessaire des institutions politiques. L'importance croissante du gouvernement dans la vie sociale, économique et culturelle du Québec au cours des dix années précédentes et la centralisation de plus en plus forte de nombreux secteurs d'activités soulevait dès 1970 le problème auquel la participation prétendait offrir une solution. Cependant, un nouvel équilibre entre ce que les citoyens peuvent faire pour eux-mêmes et ce que le gouvernement doit faire pour eux ne peut-être le fruit de la seule réorganisation des services de santé et des services sociaux.

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L'influence des structures participatives sur les autres objectifs de la réforme

L'introduction de la notion de participation et l'importance qui lui fut donnée dans la réforme des services de santé furent des événements plus néfastes qu'utiles, À cause de cette notion et de la fausse impression ainsi créée quant aux objectifs de la réforme, les auteurs de la réforme furent amenés à infléchir celle-ci dans une direction étrangère à leurs premières préoccupations. L'idée d'édifier un système bien intégré, un réseau d'établissements complémentaires et bien articulé ne put se réaliser au rythme prévu ni aussi complètement car la participation vint légitimer l'esprit de clocher traditionnellement entretenu au sein de chaque établissement. L'élément le plus novateur du nouveau système, le C.L.S.C., fut même complètement mis en échec par la nécessité de faire assimiler à des individus non préparés un idéal passablement en avance sur les mœurs et pour lequel il n'existait au départ pratiquement aucun exemple concret sur la scène

locale.

D'ailleurs, pour le profane, les réformes en question, dans la mesure où elles étaient dictées par d'autres principes, étaient passablement obscures voire mystérieuses. La participation du public à la gestion et à l'orientation des services avait, au contraire, intuitivement une signification claire et un indéniable attrait : le C.L.S.C., à la base de la pyramide des établissements du nouveau système de distribution de services, devait fournir à une échelle humaine et aisément compréhensible la possibilité pour le consommateur de contribuer à l'administration des services qui lui sont destinés et même à leur orientation. Dans les hôpitaux, les membres du public et de chacun des groupes professionnels acquéraient le droit de participer via leurs représentants élus à l'administration de l'établissement ; dans les conseils régionaux, les représentants élus par chaque catégorie d'établissements, par les universités et les maires acquéraient celui de déterminer l'orientation à moyen et à long terme des services et même d'exercer à la place de l'administration publique le pouvoir d'affecter certains deniers publics selon leurs priorités respectives. Sur le bureau des corporations professionnelles, des personnes non-membres d'une profession pouvaient contribuer à aiguillonner la corporation dans son rôle de protection.

Une telle caractéristique de la réforme comme se résumant à la participation n'est pas fausse car l'idée et la chose se retrouvent plus d'une fois au centre des innovations qu'ont connues les services de santé. Ce qu'il faut noter, ce n'est pas seulement que cette simplification, comme n'importe quelle simplification, omet d'autres aspects importants de cette réforme mais surtout qu'elle reflète les idées à la mode à la fin des années 60 au moment de la rédaction du rapport, de sa publication et des premiers commentaires qui l'ont accueillie. L'auteur ne prétend pas que la Commission a consciemment adopté un slogan à la mode bien qu'elle

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n'ait pu s'empêcher d'être influencée par l'ambiance intellectuelle de l'époque. Mais c'est plutôt la perception des lecteurs du rapport et des média d'information qui sont à l'origine de cette simplification.

Après de nombreux mois de réflexion et de discussion sur la plupart des recommandations les plus concrètes de la Commission, en particulier celles relatives aux hôpitaux et à la régionalisation des services de santé, la Commission décida de s'occuper de la préparation d'un texte plus «philosophique» sur les grands objectifs de la réforme qu'elle proposait et qui servirait en quelque sorte de préface à l'ensemble de ses recommandations particulières. Le fruit de ses efforts se trouve dans le chapitre sur «le développement» quoique la substance et d'ailleurs presque toute l'inspiration s'en retrouve à l'origine dans un essai sociologico-philosophique, publié comme annexe au rapport delà Commission sous la signature de Gérald Fortin, sociologue de l'Université Laval.

La publication du volume sur le « développement » a compté pour beaucoup dans le succès auprès de l'opinion publique du rapport de la Commission. Auprès de cette partie du public relativement bien informée des problèmes éprouvés pa r les services de santé, cet enrobage sociologico-philosophique conférait à des recommandations qui autrement eussent été facilement contestées, un caractère d'inviolabilité et de cohérence qui en intimida plus d'un.

Enfin, par un ironique retour des choses, cette perception faussée de la nature du rapport de la Commission devait rapidement devenir un élément autonome qui influença les suites données aux recommandations du rapport pa r le ministère des Affaires sociales. Plusieurs individus qui, au sein de la Commission et de son équipe de recherche, avaient élaboré des recommandations sans se préoccuper de leurs implications philosophiques, en particulier sous l'aspect de la participation populaire, en vinrent une fois passés dans l'administration publique à façonner des législations et à implanter des décisions inspirées davantage par l'idéal de participation que par les recommandations auxquelles ils avaient travaillé dans le cadre de la Commission.

La participation populaire était devenue une idée si importante comme instrument de promotion du rapport ou comme arme défensive que l'implantation des recommandations concrètes du rapport, pourtant jugées « d e l'intérieur » comme plus importantes, prirent malgré tout la deuxième place. A certains égards, on peut même aller jusqu'à croire que la notion de participation, ajoutée au caractère «global» de la réforme proposée, eut comme principal impact d'asseoir la crédibilité de la Commission d'enquête et du nouveau ministère des Affaires sociales et de conférer à ce dernier une discrétion très large même pour appliquer en fait à l'occasion des politiques étrangères à celles mises de l'avant dans le rapport de la Commission.

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La notion de participation, telle qu'elle s'exprima par les réformes des services de santé, eut par conséquent comme conséquence indirecte un accroissement de la centralisation, bien loin de favoriser la tendance contraire.

La notion de participation a, je crois, joué un rôle dans l'éviction plus ou moins complète, pour un temps, du volontariat et du bénévolat des services de santé et, en particulier, du départ des communautés religieuses de ce secteur d'activité alors que, jusque-là, ces dernières avaient assumé la plus grande part des responsabilités. Sans aucun doute le départ des communautés religieuses reflète surtout les transformations internes de ces communautés en réponse au déclin de la ferveur religieuse, aux difficultés croissantes de recrutement et au vieillissement qui en découle inévitablement pour les communautés. Dans ces circonstances, le désintéressement de ces communautés constituait une conséquence inévitable mais que le gouvernement ne fit rien comme tel pour accélérer; les termes ou conditions de ces abandons reflétèrent d'ailleurs profondément le changement intellectuel et social survenu plutôt qu'une politique d'expropriation. Il serait faux et injuste de voir dans le concept de participation une caution morale utilisée par l'État pour couvrir une volonté, secrète mais évidente par ses effets, de centralisation. Cependant, cette notion véhiculée avec force par la législation nouvelle applicable aux services de santé fut perçue comme un signal de l'opportunité du départ.

Le secteur sous le contrôle du volontariat subit, lui aussi, un important déclin. Son élimination à la direction des établissements fut, à vrai dire, considéré comme un objectif par le gouvernement qui ne pouvait tolérer l'incohérence et les doubles emplois qu'une telle situation semblait encourager. On voulait délibérément enlever aux établissements financés presque totalement par l'État le caractère de clubs privés et exclusifs qu'ils avaient toujours revêtu du moins dans leur gestion. Par contre, la disparition ou le déclin de multiples organismes volontaires promoteurs d'innovation et foyers d'une saine diversité des approches et des orientations n'était pas voulue. Cependant, dans un contexte intellectuel et social fortement marqué par la notion de l'État-providence et de la planification omnisciente, le public afficha une tiédeur croissante envers ces organismes qui ne pouvaient vivre sans son appui. En outre, à Montréal, la formation de Centraide, espèce de parodie volontaire et privée du ministère des Affaires sociales, rendit évidente l'incompatibilité du volontariat et d'une approche dépersonnalisée et centralisatrice. Cette évolution du volontariat démontre jusqu'à quel point l'esprit de système que la Commission avait exprimé à sa manière constituait une façon de voir largement répandue. Les communautés religieuses et le volontariat furent les victimes non pas d'une volonté de puissance gouvernementale mais d'une ambiance culturelle et sociale qui trouvait de multiples manifestations.

La participation, comme thème politique de la réforme, n'obéissait donc pas directement à un mobile de volonté de pouvoir. Cependant, elle eut dans une

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large mesure cet effet. Non seulement, comme on vient de le voir, le volontariat et les communautés religieuses furent-ils éclipsés mais, ce qui est plus important encore, la participation introduisait dans le système un facteur susceptible de placer les groupes professionnels dans le système de santé sur la défensive. L'introduction massive et désormais quasi officielle du syndicalisme au sein même du conseil d'administration, sinon en fait du moins comme « menace », et le bouleversement général des lois professionnelles tout comme de la loi régissant les établissements, au nom principalement de la participation, eurent l'avantage, au point de vue gouvernemental, de priver les groupes professionnels de l'initiative. Les groupes professionnels virent leur rivalité les uns envers les autres avivée par l'opportunité que chacun entrevoyait d'améliorer sa position relative et l'absence de cohésion, ou plus exactement, d'un sens collectif des responsabilités du groupe et d'une habitude suffisamment forte et répandue de les assumer, fit que le gouvernement put, avec quelques contestations mais sans avoir à réfuter un point de vue contraire au sien proposant un autre genre de réforme, procéder assez souvent comme il lui plaisait.

L'idée de participation, comme on le voit, a joué un rôle capital dans le processus politique qui a conditionné la réorganisation des services de santé. Étant une idée «à la mode», elle a contribué à la crédibilité de la Commission d'enquête et du ministère des Affaires sociales. Comme il s'agissait d'une notion mal précisée et d'ailleurs inadaptée au secteur auquel on l'appliquait, elle contribua à l'échec de certaines orientations nouvelles. Enfin, puisque malgré tout elle définissait une légitimité nouvelle et plaçait tous les groupes impliqués dans une situation aux conséquences imprévisibles, elle fit du gouvernement auquel elle donnait l'initiative le maître de jeu et souvent le seul intervenant efficace : ce renforcement du pouvoir gouvernemental est peut-être, de toutes ces conséquences, la principale dont l'effet se fasse encore sentir.

Conclusion

Le système de services de santé et de services sociaux qui a résulté de la réforme entreprise en 1970 est à bien des égards une réussite. Sa viabilité économique ne fait aucun doute. Je l'ai d'ailleurs affirmé à plusieurs reprises et depuis longtemps : les Affaires sociales absorbent une fraction stable et même déclinante du budget de l'État et même du revenu personnel ; le secteur des Affaires sociales n'est pas un tonneau des Danaïdes ; même s'il pose certains problèmes d'efficacité, il ne risque pas de faire banqueroute ni même de créer des problèmes financiers.

En outre, des sondages récents et fort détaillés démontrent une satisfaction élevée du public à l'endroit de la qualité et de l'accessibilité des services. Par ailleurs, le système, en dépit d'une centralisation poussée très loin, a su s'adapter aux changements de besoins ou même en prendre l'initiative.

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Cependant, en dépit de toutes ces raisons pour se réjouir des qualités du système et des politiques sociales du Québec, il ne faut pas ignorer qu'il demeure des raisons sérieuses pour anticiper et même encourager de nouveaux changements. Parmi les raisons qui vont motiver de nouveaux changements, on trouve, justement parce que jusqu'ici son application a été un échec, la notion de participation. Cet échec est double et des modifications à venir devront s'adresser également à ces deux aspects du problème.

En premier lieu, les C.L.S.C. devaient constituer la porte d'entrée dans le système et un véhicule pour faire sentir à l'ensemble du système les priorités et les besoins tels que le bénéficiaire les perçoit. Quelque soixante-dix C.L.S.C. furent créés en fonction de décision s'échelonnant de 1972 à 1975. Certains d'entre eux, se sont avérés des organismes remarquables, capables de répondre aux attentes formulées à leur égard. Depuis environ deux ans, le ministère des Affaires sociales a pratiquement stoppé tout développement des C.L.S.C. et n'a fourni aucune indication sur ses orientations futures. Ce n'est pas là une politique très courageuse ou même utile quoiqu'elle ne se soit certainement pas attirée les critiques de la profession médicale ni des hôpitaux ou des centres de services sociaux. La performance de plusieurs C.L.S.C. a été une source de déception et leur fonctionnement a fait surgir des problèmes auxquels on doit s'attaquer de front. Mais pourquoi justement le ministère ne s'y attaquerait-il pas en tâchant d'apprendre quelque chose de l'expérience passée ?

En deuxième lieu, il y a l'échec plus général d'une formule participative assez particulière comme principe déterminant la composition des conseils d'administration d¥établissements. À ce sujet, les orientations futures semblent confuses à l'excès. Des rumeurs contradictoires laissent croire à l'accroissement du nombre des membres désignés par le gouvernement ou encore du nombre de membres élus non plus par les usagers mais par la population selon un suffrage universel. La première possibilité n'est guère attrayante et la seconde serait probablement une nouvelle manière de courtiser l'échec. À travers toutes ces possibilités, l'illusion qu'il faut dénoncer, c'est celle qui consiste à croire qu'il existe une formule magique qu'il suffirait ensuite de généraliser à l'ensemble du réseau. Les établissements de santé et de services sociaux peuvent être organisés et administrés selon une grande variété de modèles et la loi, si elle est changée, devrait encourager un sain pluralisme plutôt que d'imposer une formule uniforme. Différents principes d'organisation peuvent être les meilleurs selon les circonstances particulières à chaque établissement. Un établissement peut s'épanouir s'il fonctionne en vertu de principes d'auto-gestion, avec un conseil entièrement désigné par les professionnels qui y pratiquent ; un autre peut préférer une administration confiée à des gestionnaires professionnels ; un autre enfin peut exiger une administration confiée à des administrateurs délégués, désignés par le ministre ou le conseil régional.

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Il ne sert à rien de jongler interminablement avec des formules hybrides dans l'espoir de voir s'y réaliser une prise en considération impartiale des points de vue de tous, y compris des usagers. Dans un tel contexte de confusion des responsabilités, l'élément le plus faible celui des usagers sera toujours mis de côté.

A mon avis, il est toutefois un endroit où le point de vue des usagers doit être non seulement présent mais dominant : c'est au bas de la pyramide, à la « porte d'entrée» du système, dans le C.L.S.C. Au Québec en particulier, le modèle coopératif d'organisation pourrait servir à réorienter, réorganiser et relancer les C.L.S.C. mais, cette fois, sur la base d'une appartenance élective et non plus territoriale. Un tel prolongement de la réforme suppose plus qu'une simple modification dans la structure des conseils d'administration ; il suppose également des modifications profondes aux mécanismes de financement de l'ensemble des services de santé et des services sociaux. Pour donner réellement plutôt que symboliquement le pouvoir aux usagers, il faudra leur redonner le contrôle sur les ressources auxquelles tout le système s'alimente.

Il faut un nouveau souffle à la réforme des Affaires sociales pour surmonter enfin les contraintes que le premier élan, malgré tous les efforts, n'a pas réussi à surmonter.

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Les contraintes de la technocratie

Jean Rochon, LL.L., M.D., D.Sc. Doyen de la Faculté de médecine

Université Laval Québec

La réforme des affaires sociales, inidée par la Commission d'enquête sur les services de santé et les services sociaux et la législation nouvelle qui l'a suivie, propose un système axé sur le concept de la régionalisation. Ce concept veut confier l'organisation des services dans un secteur donné à une même autorité pour une population définie d'une part, et situer les pouvoirs de décision au niveau le plus près de la population où se retrouve l'information nécessaire à la prise de décision d'autre part. Ainsi cette réforme veut centraliser au ministère provincial et aux conseils régionaux les tâches de planification et de contrôle, tout en décentralisant les responsabilités de gestion et d'évaluation auprès des centres hospitaliers et des centres locaux de services communautaires.

Or, après huit ans d'efforts soutenus et de relance des objectifs, on a l'impression que le mouvement de centralisation a dominé le processus de la réforme, non seulement au ministère des Affaires sociales mais aussi au sein des établissements. Parmi les facteurs invoqués pour expliquer cet état de fait, plusieurs retiennent, en premier lieu, la force d'inertie ou même d'action concertée provenant de la technocratie. S'agit-il d'une contrainte inéluctable dont on a sous-estimé l'importance? Peut-on procéder autrement et au besoin bannir la technocratie ? Si oui, à quel prix ? Pour tenter de répondre à ces questions nous réfléchirons d'abord sur la nature et la place de la technocratie dans un système, puis sur la méthode de travail utilisée par la commission et enfin sur quelques leçons que nous pouvons peut-être dégager de l'expérience de la réforme.

La place de la technocratie dans un système

La technocratie est un système politique où ceux qui possèdent la connaissance pratique occupent une place prédominante. Par la place qu'elle

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occupe, la technocratie est à la fois la cause du changement et une réponse à celui-ci.

La complexité des problèmes de santé et des moyens organisationnels et technologiques nécessaires pour les résoudre requiert la contribution d'un éventail de connaissances pour identifier et définir les problèmes, élaborer des solutions pratiques et appliquer ces solutions dans des situations concrètes. Le grand nombre de variables qu'il faut apprécier et contrôler, le degré d'incertitude dans lequel plusieurs décisions doivent être prises, les difficultés de l'évaluation des résultats des politiques choisies et des programmes mis en œuvre font appel à plusieurs spécialistes. Toutes ces conditions sont amplifiées dans une situation où l'état présent des choses est devenu insatisfaisant au point de nécessiter un changement d'importance.

Il est donc difficile d'imaginer comment on pourrait concevoir les stratégies de changement sans recourir à ceux qui possèdent les connaissances requises. Une fois le changement amorcé, les mêmes personnes s'imposent assez facilement et rapidement pour appliquer les solutions proposées. Possédant les connaissances et contrôlant l'information, les «techniciens» assument une influence déterminante et deviennent rapidement les technocrates du système, c'est-à-dire ceux qui détiennent l'autorité et l'exercent en fonction d'études théoriques et de critères propres à leur domaine de compétence.

Ainsi la technocratie n'est pas une réalité désincarnée ou un monstre inventé par la bureaucratie qui a besoin de s'approprier le contrôle de toutes les activités humaines pour assouvir ses appétits déréglés ! La technocratie est en quelque sorte une nécessité découlant de la spécialisation des connaissances. Elle rend le changement possible.

Cependant, malgré qu'ils soient nécessaires, les technocrates entraînent des inconvénients ou des risques. Le premier risque est sûrement que les aspects sociaux et humains des problèmes et des solutions soient négligés ou même ignorés dans l'élaboration des stratégies de changement. Car, tous les facteurs impondérables, difficilement mesurables et quantifiables, se prêtent mal aux modèles d'analyse des spécialistes. Pour ceux-ci, il devient facile d'oublier ou même de nier les situations sur lesquelles ils ne peuvent pas agir efficacement. Un deuxième risque consiste dans le danger que les technocrates imposent leur propre ordre de valeur à ceux qui doivent être les bénéficiaires du changement. En effet, même les technocrates sont humains... Comme tels, ils sont conditionnés par leur environnement et leur expérience et ils répondent à un système de valeurs culturelles qui peut être passablement différent de celui des autres groupes de la population et qu'il n'est pas nécessairement bon d'imposer à tous. Malgré tous les efforts d'objectivité et de rigueur, la marge d'incertitude devant plusieurs

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décisions qui doivent être prises permet l'intervention de plusieurs facteurs personnels et subjectifs dans les choix à définir.

La conséquence de ces risques peut être une sorte de dénaturation des choix sociaux et une aliénation de la population que l'on voulait, à l'origine, participante et même souveraine dans les mécanismes de prises de décision.

Si la technocratie est un peu un mal nécessaire, doit-on nécessairement en subir toutes les conséquences ? Peut-on au contraire l'utiliser en établissant des balises qui permettent de minimiser les risques en deçà de limites socialement acceptables et individuellement rentables ?

L'expérience de la commission

À mon avis, l'expérience de la commission fournit des éléments de réponse encourageants. D'une part, l'équipe de la Commission d'enquête sur les services de santé et les services sociaux, par son travail au sein de la commission et surtout par le rôle qu'elle a joué dans la première phase de la réforme, se qualifie assez bien au titre de technocrates. Par ailleurs, l'encadrement de travail pendant l'enquête et le type d'implication dans le changement par la suite ont constitué des garde-fous intéressants qu'on aurait peut-être profit à approfondir et à développer.

D'abord la commission n'a pas réalisé son œuvre en s'en remettant à des experts surspécialisés travaillant à l'intérieur d'un système hiérarchisé où chacun peut imposer ses choix dans son domaine de compétence. Au contraire, on a constitué des groupes de travail composés de gens provenant de différents milieux gouvernementaux, parapublics et universitaires. Ceux-ci ont d'abord dû apprendre à travailler ensemble, c'est-à-dire à recueillir, analyser et tester l'information en équipe et non individuellement. Les décisions étaient prises en groupe et de façon graduelle après toutes les confrontations nécessaires. Jean-Yves Rivard, qui a coordonné ces travaux pendant un bon moment, aurait sûrement pu témoigner comment ce processus est exigeant et oblige à garder toujours présente une interaction avec les milieux d'où provient l'information. Cette organisation de groupes de travail constituait une sorte de technostructure comme la décrit John Kenneth Galbraith dans son livre «The New Industrial State » et en le paraphrasant, on peut dire que le grand avantage de ce procédé consiste à choisir des gens ordinaires compétents dans un domaine spécialisé et à les amener, par une organisation de travail appropriée, à joindre leurs connaissances avec d'autres spécialistes, également des gens ordinaires. Cette méthode obvie au besoin de faire appel à des génies. La performance finale, quoique moins imposante, est beaucoup plus prévisible et réaliste.

Le deuxième aspect intéressant de l'expérience de la commission a été l'implication d'un grand nombre des membres de ces groupes de travail dans

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l'implantation de la réforme et dans la réalisation des objectifs proposés. Cela n'a pas été uniquement l'effet aléatoire du résultat des élections provinciales de 1970, quoique celui-ci ait été le facteur déterminant. En effet, plusieurs membres des équipes sont retournés dans les fonctions qu'ils occupaient auparavant ou ont assumé des responsabilités semblables à l'intérieur du réseau des affaires sociales et des universités. Chacun a donc dû assumer sa part de responsabilité dans la mise en œuvre des recommandations, en épousant les points de vue de différentes parties du système et en partageant les difficultés et les frustrations avec tous ceux qui étaient, d'une façon ou d'une autre, affectés par la réforme. Cependant, la méthode de travail de groupe a persisté et a contribué à réunir régulièrement les mêmes personnes et à en intégrer plusieurs autres. Cette démarche a aidé à rajuster constamment le tir pour tenir compte de la réalité et des effets du changement en tentant de respecter les principes de la réforme et de maintenir le cap sur les mêmes objectifs.

Je crois que l'on peut dire que le travail de groupe a permis à une équipe de réformateurs de réaliser collectivement les différentes phases de l'innovation à savoir : la conception, l'implantation et la consolidation.

Leçons pour le présent et pour l'avenir

Jusqu'à quel point l'expérience de la commission a-t-elle permis de profiter des avantages de la technocratie tout en maintenant les risques dans des limites raisonnables ? Ce type d'expérience est rarement concluant du premier coup et toujours perfectible. Personnellement, je juge les résultats assez positifs pour en tirer au moins deux leçons pour l'avenir immédiat.

Premièrement, on devrait étendre le précédé de créer des groupes de travail regroupant des gens « ordinaires » de la fonction publique, du réseau des affaires sociales, de l'entreprise privée et des universités, plutôt que de s'ingénier à répartir les responsabilités de concevoir le changement et d'appliquer les innovations entre des secteurs plus ou moins perméables les uns aux autres. En impliquant ainsi ensemble les différents partenaires sociaux, on augmente les chances de travailler dans u n contexte de collaboration et de coopération plutôt que de confrontation. De plus, on assure au processus de changement une plus grande continuité, plus de réalisme et une meilleure adéquation avec l'ordre de valeur de la société.

Ce travail conjoint et cette mise en commun des connaissances par ceux qui doivent s'impliquer aux différentes phases de l'innovation, plutôt que de confier la tâche à des experts du changement, pourraient être développés sur une plus grande échelle en favorisant la mobilité des spécialistes entre les différents réseaux du système social : ministères, établissements et universités. C'est la deuxième leçon que je voudrais retenir de nos expériences récentes. Ce mouvement ne

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devrait pas être laissé au hasard des arrangements individuels, ni limité à des cercles restreints. Il devrait au contraire s'inscrire à l'intérieur de plans de carrière prévoyant des mécanismes souples de prêts et de transferts sans pénalisation pour les individus et les groupes. Ces mécanismes devraient permettre de planifier à l'avance des carrières en intégrant les échelles de rémunération, les transferts de bénéfices sociaux, les critères de promotion, etc...

En terminant, je voudrais profiter de l'occasion qui m'est offerte pour rendre hommage à Jean-Yves Rivard qui a connu ce genre de mobilité en travaillant à l'intérieur de plusieurs de nos sous-systèmes sociaux et dans plusieurs groupes de travail. Tous ceux qui l'ont connu seront d'accord, je pense, pour dire qu'il a été un véritable exemple de technocrate compétent et toujours prêt à servir.

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Extraits de la discussion

Mme Marielle Tousignant :

Voyez-vous quelques aspects positifs au corporatisme actuel ? Si oui, quels sont-ils? Sinon, l'État est-il prêt à prendre en charge les rôles que jouent actuellement les corporations, c'est-à-dire un rôle législatif, un rôle dans la dispensation de la formation continue, un rôle dans l'information des membres et un rôle dans l'inspection professionnelle?

M. Claude Forget :

La façon dont la question a été posée illustre assez bien le genre de réponse qu'on peut faire parce que Mme Tousignant vient d'énumérer un certain nombre de fonctions qui effectivement sont des fonctions valables des corporations professionnelles, comme la formation continue et l'inspection professionnelle. Il n'y a pas de doute que ces fonctions sont assumées. Il peut y avoir des controverses sur la qualité de la « performance » des corporations professionnelles mais certainement pas une mise en doute systématique de leur raison d'être puisqu'elles remplissent des fonctions essentielles qui devraient être accomplies, me semble-t-il, de toute manière.

Seulement il y a certaines caractéristiques des corporations professionnelles, comme cette notion de monopole et cette tendance à confondre l'intérêt public avec leur intérêt privé, qui doivent être l'objet d'inquiétude de la population en général et du législateur en particulier. Plus profondément encore, il y a une contrepartie au droit, au privilège de monopole des corporations professionnelles qu'il faut s'assurer d'obtenir en terme de protection du public, dans la mesure où on peut donner un contenu précis à cette notion.

Dr Jean Rochon :

Je pense que les corporations peuvent être de très bonnes institutions sociales : tout dépend comment elles fonctionnent. D'autre part, souvent on dit : c'est ça ou c'est rien ; on a des corporations qui assurent un minimum de compétence des professionnels ou bien c'est une catastrophe. Certes, c'est un excellent moyen pour assurer la compétence mais on peut en imaginer d'autres.

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On peut penser à tous les mécanismes de protection des consommateurs, par exemple, qui se sont beaucoup développés dans nos sociétés au cours des dernières décennies et qui sont un autre option qu'une société peut prendre pour assurer les citoyens qu'ils reçoivent des services de qualité mais tout système a ses inconvénients. Les corporations peuvent très bien remplir les objectifs pour lesquels elles sont conçues mais le risque qu'elles présentent, c'est qu'elles devraient protéger le public contre certains de leurs membres qui peuvent être fautifs alors que parfois elles peuvent devenir des groupes qui défendent leurs intérêts plus que ceux du public. Dans l'avenir, tout va dépendre des gens qui dirigent ces corporations. S'ils travaillent vraiment pour le public, probablement que les gens vont vouloir les garder et les corporations vont finir par devenir des groupes de pression qui bénéficient d'un statut particulier en vue de protéger le public.

Mme Marie-Josèphe Chaussé :

Vous avez mentionné, M. Forget, qu'il n'y avait pas de formule magique pour la participation au niveau des conseils d'administration. Cependant, si on considère qu'il n'y a pas de formule magique, que chaque établissement devrait avoir la possibilité d'avoir un conseil adapté à ses besoins, comment pensez-vous qu'on peut arriver à cette formule ? Est-ce que c'est un sujet qui devrait être ignoré totalement dans la loi et les règlements ou est-ce qu'il devrait y avoir certaines conditions qui soient émises à partir desquelles les établissements pourraient faire de l'interprétation et constituer leur propre conseil ? Comment voyez-vous cette application de liberté surveillée ou non?

M. Claude Forget :

Je la vois vraiment très large, cette liberté, et j'ai mal à me persuader, expérience faite, qu'il y a un avantage quelconque à dicter une formule plutôt qu'une autre lorsque les circonstances, les conditions et les besoins sont tellement différents les uns des autres. Bien sûr, ces établissements ne fonctionnent pas dans un désert, dans l'isolement de tout le reste de la société. La véritable question n'est pas de savoir comment ils s'administrent, comment ils s'organisent pour leur gestion interne, à mon avis, c'est de savoir s'il est possible de concevoir une environnement qui permette d'exiger d'eux un certain produit, un certain rendement social. Est-ce qu'on peut prédéterminer ce rendement social en dictant une forme d'organisation interne ? Je ne pense pas que ce soit le cas.

Une exception possible serait probablement inspirée par le désir d'avoir au moins une situation claire quant à la qualité des services et à la responsabilité finale au sein de chaque établissement. Si on laissait une liberté absolument complète à tous les établissements pour se donner une structure selon leurs

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conceptions administratives, on obtiendrait parfois des situations où il serait impossible justement de savoir à qui s'adresser, dans l'établissement, pour demander des comptes, les comptes que la société a le droit d'exiger. La commission a passé énormément de temps, je me souviens, à la discussion des structures à l'intérieur du système hospitalier et elle avait noté cette tendance à avoir les administrateurs d'un côté, les médecins de l'autre, qui se divisent entre eux les domaines de compétence et de pouvoir. Les structures, sur un planformel, représentent une tentative, si imparfaite soit-elle, de résoudre ces problèmes.

Il reste qu'on se rend compte, dans les faits, que chaque établissement a réglé le problème à sa façon, en mettant de côté plus ou moins les formules imposées par la loi. Donc la situation que vous proposez ne serait peut-être pas tellement différente de ce qu'on connaît déjà, mais au moins on serait débarrassé d'une contrainte qui n'est peut-être pas nécessaire et qui contribue, dans le réseau, avec beaucoup d'autres contraintes, à créer l'impression que ceux qui sont sur la ligne de feu, qui fournissent les services et qui doivent faire le travail, ne sont pas dans la position de contrôler leur environnement. Il me semble que s'ils pouvaient avoir le plaisir d'aménager leur structure à leur goût, ça pourrait leur donner le sentiment qu'ils peuvent contrôler davantage leur environnement et ça serait peut-être mieux ainsi.

M. Daniel Letouzé :

Nous avons entendu ce matin la présentation du Dr Brunet qui nous a dit que la participation, en définitive, avait donné d'assez bons résultats. En écoutant M. Forget cet après-midi, j'ai acquis un sentiment un peu différent. M. Forget a soulevé des questions très pertinentes au sujet du rôle et de la valeur de cette participation. J'aimerais bien connaître les réactions de M. Brunet et de M. Castonguay au sujet de la position de M. Forget.

Dr Jacques Brunet :

Il est assez clair que mon impression et mon sentiment sur le phénomène de la participation sont différents de l'analyse de M. Forget. Il m'apparaît essentiel qu'une forme de participation soit présente. M. Forget pense peut-être autrement puisqu'il semble dire que la participation, c'est une fausse notion et qu'on a pris comme objectif ce qui n'aurait pas dû en être un dans le réseau des affaires sociales et particulièrement dans la santé. Là-dessus, je diverge d'opinion avec lui. Il nous est déjà arrivé d'avoir des opinions différentes sur d'autres sujets, ce qui ne nous a pas empêchés d'avoir de bons contacts et de travailler étroitement ensemble.

Il y a un autre point qu'il ne faudrait pas oublier. Pour l'avenir, le plus important, à mon avis, ce n'est pas les modifications qui surviendront dans les

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structures, c'est comment on va arriver à atteindre un des objectifs fondamentaux de la commission qu'on n'a pas discuté beaucoup aujourd'hui et qui est probablement le plus difficile à réaliser : l'amélioration de l'état de santé de la population. Je suis incapable de vous dire si la santé de la population du Québec est vraiment meilleure en 1979 qu'elle ne l'était en 1970. Je dois admettre que ça me déprime un peu de ne pas savoir si tout ce bouleversement nous a permis d'atteindre cet objectif qu'on s'était fixé. Il n'y a pas de doute qu'on a amélioré l'accessibilité géographique, sociologique et psycho-sociale mais qu'on ait vraiment amélioré l'état de santé des Québécois, je n'en suis pas sûr. Prenons, par exemple, la mortalité infantile. Elle a diminué au Québec mais elle a semblé suivre à peu près la même tendance que dans tous les pays du monde. Tout ce qui peut rassurer, c'est qu'il y a des pays comme la Russie où, à un moment donné, ça s'est mis à aller plus mal. C'est vraiment le défi des années futures, le défi des technocrates et des universitaires, d'essayer de déterminer comment on arrive à identifier l'état de santé puis à l'améliorer.

M. Claude Castonguay :

J'ai été un peu surpris d'entendre mon ami Claude Forget faire son analyse de la participation. J'aurais mieux aimé l'entendre lorsqu'il était ministre, alors qu'il avait l'occasion d'apporter des modifications. Ceci dit, je pense qu'il est bon de se reporter à 1965 et se rappeler que le monde de la santé était extrêmement fermé. Il y avait une espèce de mystique qui entourait la question des soins ; il y avait des personnes qui étaient aptes à se prononcer, d'autres qui ne l'étaient pas. La grande majorité ne l'était pas...

Alors la commission a voulu faire en sorte que tout le monde soit un peu plus conscient qu'on pouvait participer d'une façon quelconque à l'organisation ou au fonctionnement des services. On a peut être exagéré un peu mais je dois dire que j'ai toujours vu la participation comme un instrument et non comme un objectif aussi fondamental que les autres. Si on a mis l'accent, pendant les étapes législatives, sur la participation, c'est qu'il y avait, à ce moment-là, dans les conseils d'administration d'un bon nombre d'établissements, des groupes qui se perpétuaient de façon permanente. Si ces groupes étaient restés avec la même emprise sur les établisements, tout effort pour modifier quoi que ce soit, d'après moi, aurait été vain. C'est pourquoi il fallait apporter des modifications à la loi pour faire en sorte qu'il y ait un renouvellement des personnes et un certain changement des idées. Aujourd'hui, que l'on veuille élargir les formules, les rendre plus souples, qu'on ne soit plus obligé de s'en tenir à tel ou tel nombre de membres provenant de tel ou tel secteur, je ne crains aucunement ces nouveaux changements.

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M. Claude Forget :

Le jugement que l'on pose aujourd'hui, c'est seulement aujourd'hui, pour plusieurs raisons, qu'on peut le poser. Une idée, que ce soit la participation ou n'importe quelle autre, telle qu'on la conçoit avant de l'appliquer, prend une signification toute différente huit ou neuf ans après, une fois qu'on l'a vécue. C'est ma réponse à la question que M. Castonguay posait : pourquoi ne pas avoir changé plus tôt les mécanismes de participation ? Cette expérience, il fallait la vivre et il n'aurait pas valu la peine de la vivre si on n'avait rien appris. On a appris un certain nombre de choses qu'on doit maintenant reconnaître.

Je suis complètement d'accord avec le docteur Brunet qui dit que le problème principal ne réside pas dans les structures. Dans le fond, quelles que soient les structures imposées par la loi, on se rend très bien compte que les milieux se sont adaptés et ont adapté les structures à leur façon de voir les choses. Ce n'est pas dans un débat sur les structures que l'on va répondre aux problèmes fondamentaux. Mais, dans un sens plus profond, je ne dénonce pas la participation sauf dans la mesure où on a voulu l'appliquer au même moment qu'on faisait de l'innovation. À ce moment-là, il y a une certaine contradiction qui n'est devenue apparente que beaucoup plus récemment et qui se manifeste surtout au niveau des CLSC. Les CLSC ont été instaurés en partie pour réaliser la participation mais c'était aussi une innovation considérable qui brisait avec tous les précédents.

En fait, ce qu'on a dit à la population du Québec, c'est d'essayer de façon autonome et originale de tomber un peu par hasard, par un processus de participation, sur une idée innovatrice que nous avions nous-mêmes tirée d'expériences étrangères. Et c'est effectivement par hasard qu'on a eu une coïncidence entre le modèle innovateur, tel qu'on l'avait conçu, et le jeu d'une participation qui laissait énormément, surtout au départ, à l'inspiration des milieux et à l'équilibre des forces en présence. Il y avait donc là une contradiction dans les termes. On pouvait soit innover, imposer pour un temps au moins un certain modèle nouveau, quitte à laisser la participation s'en emparer ensuite et puis éventuellement le transformer, ou encore se résoudre à ne pas innover et laisser la participation jouer librement. Mais cette participation-là, je pense qu'elle s'est retournée contre les CLSC dont le développement a été mis en veilleuse, à toute fin pratique, à cause des déceptions trop nombreuses malgré quelques succès éclatants que je suis le premier à applaudir et à reconnaître.

L'idée de participation est une idée extrêmement forte et dans un système public, on ne pourra pas l'ignorer. Dans la mesure où les gens sont déçus de la participation, ils vont en demander une qui soit plus véritable et plus authentique. Je pense que c'est à la base du système, dans un CLSC rénové, dans une structure qui donne aux consommateurs une meilleure voix et un peu plus d'égalité de

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statut face aux professionnels et face aux corporations professionnelles, qu'on va peut-être découvrir cette nouvelle participation.

Dr Jean-Guy Bonnier :

La réforme était basée sur le modèle social, le modèle ouvert. Est-ce qu'en rétrospective, le choix de ce modèle a influencé la réforme et aurait-elle été différente si on avait fait le choix d'un modèle fermé ou d'un modèle médical ?

Dr Jean Rochon :

Après avoir vu les objectifs et les caractéristiques des systèmes de santé et le besoin d'interaction avec l'environnement, la commission a pensé que ce qui convenait le mieux pour décrire l'organisation d'un système de santé, c'était un modèle de type ouvert, qui dépend beaucoup de son environnement où il puise différentes ressources, qui est très conditionné par la réponse que lui donne l'environnement à qui il fournit un produit ou un service. On a pensé que ce type de modèle correspondait à la réalité de l'hôpital. Mais ce qui est important, c'est que le bon modèle soit appliqué à la bonne organisation. Il y a certaines entreprises qui produisent un service pour lesquels les besoins d'échange avec leur environnement sont minimaux. Ça serait mauvais de les organiser puis de les faire fonctionner comme des systèmes ouverts. On leur créerait un tas de contraintes qui n'amélioreraient pas le produit. Quand, d'autre part, l'environnement est nécessaire à l'organisation, si on essaye de la faire fonctionner comme un système fermé, ça ne marche pas. C'est peut-être dans ce sens là que cette théorie a pris l'allure d'une critique parce qu'on a pensé qu'autrefois, l'hôpital était porté à se comporter comme un système fermé : « ici on produit tel genre de service ; ceux dont ça ne fait l'affaire peuvent aller ailleurs... » On a refusé cette conception. On s'est dit que l'hôpital est une organisation d ont les objectifs dépendent des besoins de l'environnement auquel ils doivent s'adapter continuellement. Alors le modèle ouvert, c'est un outil de travail et non pas nécessairement un idéal.

Dr Serge Mongeau :

Je voudrais revenir sur la question de la participation parce que je trouve que M. Forget a développé des idées intéressantes et qui traduisent bien la mentalité, la perception du ministère. Quand vous demandez un pluralisme de modèles de participation, la question que je me pose c'est qui va décider qui va participer? Vous avez dit que vous avez fait erreur en transformant l'instrument de la participation en objectif. Moi, je dis qu'on n'a pas vraiment fait cette erreur parce qu'on n'a pas véritablement transformé la participation en objectif. La participation a été conçue et elle est encore conçue comme un instrument de

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conciliation au niveau des conseils d'administration. On a mis les différentes parties ensemble en espérant que les conflits seraient solutionnés à cet endroit et qu'après, on serait efficace et qu'on remplirait les fonctions déléguées par le ministère.

Il y a des conflits et il ne faut pas s'étonner que certains établissements ne fonctionnent pas à des moments donnés, en particulier des CLSC, où on offre une certaine force aux usagers, aux représentants de la population, une force telle qu'ils sont capables d'équilibrer les autres intervenants. Donc on se perd en conflits, à ce moment-là, et parfois on est paralysé. La participation, j'ai l'impression qu'elle doit être un instrument de pouvoir. Or on a donné aux gens un instrument de pouvoir tronqué et ils en sont de plus en plus conscients. 11 y a des gens qui participent dans les conseils d'administration mais quand on a un ou deux représentants des bénéficiaires dans un conseil de quatorze ou quinze personnes, quelle est leur force? Quand, par exemple, les réunions du conseil d'administration sont faites à huis-clos, comment peut-on mobiliser la population ? La participation, ce n'est pas juste de donner un ou deux postes ; c'est aussi de donner aux représentants des usagers la capacité de mobiliser les gens et de consulter les autres usagers.

Ce qu'il faudrait faire actuellement, c'est donner davantage de pouvoir aux usagers. On a trop tendance à penser qu'ils ne sont pas en mesure de prendre les bonnes décisions. Pourtant, quand on prend le temps de les informer, de les aider à se former, quand on leur donne les instruments pour aller consulter les autres usagers, quand on leur explique quelles sont les priorités, les usagers sont capables d'administrer un CLSC d'une façon qui convient à leurs besoins. L'impression qu'on a, c'est que finalement ça ne fait pas l'affaire des ministères. Vous l'avez tantôt fort bien dit : on voulait innover et on donnait une formule aux gens en leur disant de faire ce qu'ils voulaient. Par la suite, on s'étonnait qu'à certains endroits, on n'innove pas. C'était paradoxal. Si on veut réussir l'expérience de la participation, il faut vraiment déléguer les pouvoirs et accepter que les gens ne fassent pas ce qu'on voudrait qu'ils fassent.

Dr Roger Lachance :

Ma question se situe dans le prolongement des commentaires qu'on vient d'entendre. J'aimerais savoir le point de vue des membres du panel sur la participation qui prend la forme de réunions ouvertes du conseil d'administration avec participation du public aux délibérations.

Dr Jean Rochon :

Comme le disait le Dr Brunet, ce n'est pas dans les structures qu'on va trouver les solutions. On essaye de réinventer d'autres genres de structures,

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espérant toujours finir par trouver une structure magique. À votre questionne serais porté à donner une réponse positive. Avant certaines décisions que prend le conseil d'administration sur des sujets de planification ou de politique générale pour l'organisation, ce serait peut-être bien utile qu'il y ait des discussions ouvertes au public. D'ailleurs, c'est ce que fait un conseil municipal ou une commission scolaire à certaines réunions. Par contre, d'autres réunions peuvent se tenir à huis clos lorsqu'il y a un problème de confidentialité, lorsqu'on fait référence à des gens ou à des situations précises.

M. Claude Castonguay :

Je suis membre du conseil d'administration d'un centre hospitalier et je peux vous dire que pour moi, et j'ai l'impression que c'est la même chose pour les autres membres du conseil, on ne s'identifie pas, lorsqu'on siège, comme le représentant des usagers ou le représentant des groupes socio-économiques ou le représentant d'autres milieux. On ne se surveille pas comme ça. On fait une équipe autour de la table et il n'y a personne qui possède la vérité plus que les autres dans les délibérations. J'ai vu des interventions extrêmement intéressantes de la part des membres du conseil délégués par les usagers comme aussi de la part du membre délégué par le personnel clinique ou des autres... De plus, nous avons toujours un bon nombre d'invités qui assistent à nos séances du conseil : de quatre à huit selon les circonstances. Jamais, à ma connaissance, on n'a demandé à ces gens-là, lorsqu'ils quittent la salle, de ne rien dire sur ce qu'ils ont entendu. C'est bien clair qu'une fois notre séance terminée, les gens se téléphonent pour se dire quelle décision a été prise et quels ont été les arguments. Alors, sans que les réunions soient officiellement publiques, elles sont assez ouvertes.

J'ai l'impression très nette que si nous ouvrions totalement nos séances, il y a bien des gens qui commenceraient à se sentir beaucoup plus embêtés de dire ce qu'ils ont à dire que ce n'est le cas présentement. Je ne suis pas convaincu du tout qu'on gagnerait quoi que ce soit d'utile si on rendait publiques nos séances et surtout si on permettait aux gens qui n'ont pas la responsabilité d'administrer d'intervenir. On est là pour essayer d'améliorer la situation et pour bien faire fonctionner l'hôpital. On n'est pas là pour paralyser le fonctionnement de l'établissement.

Ma dernière remarque portera sur les séances des conseils municipaux. C'est extrêmement lourd et long et je ne suis pas convaincu que c'est toujours très bon qu'ils fonctionnent ouvertement. J'ai assisté à beaucoup de séances de l'Assemblée nationale qui sont publiques. Je pense qu'on est tous d'accord que les débats prennent beaucoup de temps. Ce n'est pas pour rien que le cabinet siège à huis clos car il doit prendre des décisions rapides au fur et à mesure que c'est nécessaire.

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Dr Jean Rodrigue :

C'est la première fois que je constate qu'on puisse imputer à la participation le semi-échec ou la semi-réussite des CLSC. Si certains CLSC ont connu des difficultés, je ne voudrais pas que les gens qui sont étrangers à ces établissements gardent l'impression que la participation a pu être un facteur déterminant. Il y avait des gens qui n'avaient pas beaucoup d'expérience tant parmi les professionnels que parmi les usagers. Je pense aussi qu'il y a, dans les C L S C , des gens qui ont connu trois régimes ministériels et je ne dirai pas le n o m b r e de directions qui ont passé au ministère pendant cette période ! S'il y a des facteurs auxquels on pourrait imputer le retard de développement des CLSC, se serait bien plus, d'après moi, au niveau des professionnels et du gouvernement. Q u a n t à la participation, elle m'apparaît comme une cause très infime de problèmes dans les CLSC.

M. Claude Forget :

Je ne voudrais certainement pas laisser l'impression que la recherche de la participation constitue la seule difficulté dans la mise en place d'un nouveau concept comme celui des CLSC. Bien sûr il y a l'absence notoire, pour ne pas dire plus, de collaboration du côté de certains groupes professionnels. Il y a eu, malgré tout, d'autres innovations, comme l'établissement des départements de santé communautaire, qui ont été effectuées tranquillement et sans appui législatif et qui ont été des réussites. Cela ne veut pas dire qu'à priori toutes les condit ions étaient favorables. Il ne faudrait pas sous-estimer ces réalisations qui ont réussi en disant qu'il n'y avait pas d'obstacle ; il y en avait, mais peut-être que la méthode d'introduire l'innovation était plus susceptible que d'autres de les surmonter. Ceci dit, je ne voudrais pas sous-estimer l'importance des obstacles auxquels vous faites allusion et vous avez tout à fait raison de les mentionner.

M. Jean Lavigne :

À titre d'expérience personnelle, je puis dire que lorsque des groupes de citoyens ont exercé leur pouvoir, lorsqu'il y a eu des manifestations spontanées où des citoyens sont venus raconter leurs problèmes et expliquer leur situation, ils ont réussi à changer des choses. Je pourrais aussi donner l'exemple contraire. Je sais que des membres du conseil d'administration d'un établissement, dans un milieu ouvrier, ont refusé de discuter de la santé au travail parce que ce sont des « boss » qui considèrent que ça va très bien dans leur usine. Donc chacun défend ses intérêts là où il siège. Je pourrais donner encore d'autres exemples, c o m m e la façon dont les personnes âgées sont traitées dans les hôpitaux. S'il y avait moyen de canaliser les opinions de ces personnes, il y aurait, là aussi, des changements intéressants à apporter. Il ne faudrait pas croire qu'en effectuant quelques petites

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modifications, en essayant d'être un peu plus fonctionnel, on a des chances d'améliorer vraiment la situation. Il faudrait s'interroger sur les besoins des gens, sur la façon d'aller les chercher et de leur laisser l'occasion de s'exprimer.

M. Luc Allard : M. Forget nous a expliqué au début de l'après-midi, où il situait le CLSC,

c'est-à-dire la porte d'entrée dans le réseau des affaires sociales. Je demande à M. Forget comment il qualifierait actuellement les CLSC : s'ils ne sont pas la porte d'entrée, est-ce qu'ils sont la porte de côté ou la porte de service ? La participation, j'en suis'de tout cœur mais je me demande si elle ne revêt pas certains aspects utopiques. Est-ce que la participation, ce n'est pas quelque chose qui s'est développé en voulant mettre autant de chefs qu'il y a d'indiens ? Tant qu'on n'aura pas trouvé d'autres mécanismes que ceux qu'on a connus jusqu'à présent, la participation demeurera, à mon avis, quelque chose d'illusoire. Je repose ma question à M. Forget : comment qualifierait-il les C L S C ?

M. Claude Forget : Malheureusement, pour employer votre vocabulaire, c'est une petite porte

de côté. Je suis persuadé, mais peut-être ai-je tort, que le concept du CLSC, malgré les déceptions et à cause d'un certain nombre de réussites très intéressantes, demeure une idée dont on ne peut pas se passer et à laquelle il va falloir insuffler une nouvelle vie. On ne peut pas tolérer une situation où on reste paralysé parles doutes ou les hésitations. Il va falloir trancher ce nœud-là et le trancher dans le sens non pas d'allouer une participation à tout le monde. Il va falloir trancher en faveur d'un intérêt majoritaire et principal, celui de l'usager, de la personne qui a des besoins et qui ne possède aucun moyen d'action si on ne lui en donne pas un via un organisme comme celui-là qui est à sa mesure.

C'est une conviction dont je ne peux pas me défaire. Ce serait plus simple de dire que c'est une expérience qui doit être oubliée, qui n'a pas réussi, qu'il y a quelques exemples intéressants mais que ce sont des exceptions. Mais non. Je pense que la réforme ne sera véritablement achevée que lorsqu'on aura réussi à réinsuffler la vie aux CLSC. Le CLSC ne devrait pas être une petite porte de côté comme c'est le cas dans le moment ; il devrait être la porte principale.

M. Mathieu Lafrance :

Moi aussi, je travaille dans un CLSC et je ne voudrais pas que ce type d'établissement, qui a un modeste budget de cinquante millions pour quatre-vingts établissements, soit le bouc émissaire dans l'évaluation de la réforme. Je suis très heureux des paroles que M. Forget vient de prononcer : le malheur, c'est que de tels propos sont toujours exprimés dans l'Opposition !

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Clôture du colloque

Pierre Bois, M.D., Ph.D. Doyen de la Faculté de médecine

Université de Montréal

Ce colloque m'offre une nouvelle occasion d'exprimer l'appréciation de la faculté envers le regretté Jean-Yves Rivard, professeur titulaire du département d'Administration de la santé, qui par sa compétence, sa connaissance remarquable de l'économique et une vaste expérience en administration de la santé, a été un pionnier et un chef de file dont l'influence a débordé largement notre milieu. D'ailleurs, le succès de ce premier colloque qui porte son nom est un signe que cette influence dure toujours.

Je ne tenterai pas de faire la synthèse des communications et des discussions qui ont eu lieu au cours de cette journée. Mais j'aimerais rappeler une situation qu'on n'a peut-être pas mentionnée ce matin en parlant de formation professionnelle et plus spécialement de formation médicale, en rapport avec la réforme des années 1970. En 1969, il y avait entre 350 et 400 diplômés en médecine par année dans les trois facultés qui existaient à ce moment-là. En 1979, ce nombre dépasse 600. Il y a donc eu un accroissement considérable qui est apparu nécessaire et urgent en 1970. En même temps, il a fallu recevoir un plus grand nombre d'étudiants, formuler de nouveaux programmes, essayer de rencontrer les objectifs que les travaux de la Commission avaient proposés, c'est-à-dire produire de nouveaux professionnels de la santé, de nouveaux médecins dans des domaines comme la médecine familiale, la médecine de première ligne, la santé communautaire, etc. L'accroissement des effectifs étudiants et les nouvelles missions qu'on nous confiait ont entraîné des contraintes pour les université et les facultés de médecine.

En 1969, plus de soixante pour cent des diplômés choisissaient la médecine spécialisée. C'était l'époque de la médecine scientifique. Pour la formation de médecins de médecine générale, il n'y avait pas de programme véritable mais

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seulement des ébauches de programmes. Il a donc fallu, en un temps très court, organiser de nouveaux programmes en vue de former un nouveau type de médecin.

Nous n'avions pas, à cette époque, de cadre enseignant d'expérience dans les domaines de l'épidémiologie, de la médecine sociale et préventive, et de la médecine familiale. Au début des années 70, l'université, que ce soit à Montréal, McGill, Sherbrooke ou Laval, ne comptait que quelques professeurs dans ces disciplines et elle cherchait désespérément à en recruter d'autres ou d u moins à en envoyer quelques-uns se former ailleurs... Il a fallu former simultanément les enseignants et les enseignés. Cette situation a retardé et a rendu plus difficile l'activité du médecin dans les nouvelles structures que la réforme apportait . Il fallait de nouveaux médecins préparés à des formes d'exercice comme celles dont on a parlé tout au cours de la journée. Néanmoins, après dix ans, on peut dire que, même s'il a fallu faire vite, les facultés de médecine du Québec forment maintenant un nombre important de médecins préparés pour les secteurs de la médecine familiale et de la médecine communautaire. Le docteur J e a n Rochon a été lui-même l'un des pionniers de cette nouvelle format ion à la faculté de médecine de l'Université Laval.

En conclusion, je tiens à remercier sincèrement tous nos distingués conférenciers et aussi tous ceux qui ont bien voulu participer à ce colloque.

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AUTEUR :

BLAIN, GILBERT, ED.

LA REFORME DES AFFAIRES SOCIALES AU QUEBEC 1970- ! 80 |

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