La Revue socialiste n°42 10 mai 1981 - 10 mai 2011 Héritages et Espérances

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    Hritageset esprances

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    2 Sommaire

    dito

    Martine Aubry,Notre 10 mai p. 5

    Introduction

    Alain Bergounioux,La force de lvnementp. 13

    Grand texte

    Franois Mitterrand,

    Que chaque citoyen se sente prince en son royaume p. 17

    Concordance des temps

    Jean-Nol Jeanneney,

    Mai 1981 : sur quelques leons dune victoire p. 25

    Jean Glavany,

    La campagne prsidentielle de 1981 p. 31

    Retour sur le 10 mai

    Pierre Mauroy,

    Lesprit de mai 1981 p. 37

    Yvette Roudy,

    Ctait il y a trente ans p. 41

    Robert Badinter,

    Les pines et les roses p. 47

    Louis Mermaz,

    Le 10 mai, pourquoi ? p. 53

    Laurent Fabius,

    Quelle politique conomique dans un nouvel environnement ? p. 57

    Michel Rocard,

    Regards sur le mandat de Franois Mitterrand p. 63

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    3Sommaire

    Lionel Jospin,

    Le 10 mai : ltat, les institutions, le parti p. 75

    Hubert Vdrine,

    Rflexion sur le 10 mai 1981. Trente ans aprs p. 81

    Regards sur le 10 mai

    Charlotte Brun,

    Moins dambition, moins de remords ? p. 91

    Matthias Fekl,

    Mai 1981, le cur et la raison p. 95

    Gwendal Rouillard,

    De la dcentralisation la Rpublique des territoires p. 99

    Najat Belkacem,

    Retour vers le futur p. 103

    Alain Fontanel,

    Esprances dhier, espoirs de demain dans le monde daujourdhui p. 107

    Bruno Julliard,

    Lducation, toujours lducation p. 111

    Pouria Amirshahi,

    Se souvenir des belles choses, ne pas oublier les checs p. 115

    Militants dhier, militants daujourdhui

    Alain Bergounioux,

    Militants dhier, militants daujourdhui p. 121

    Claude Dargent, Henri Rey,

    Les adhrents socialistes en 2011 : renouvellement socialet ancrages idologiques p. 123

    Henri Rey,

    Les adhrents socialistes : permanences et changements p. 125

    Claude Dargent,

    Les adhrents socialistes : attitudes, valeurs et ancrages idologiques p. 135

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    Martine Aubryest la premire secrtaire du Parti socialiste

    Notre 10 mai

    e 10 mai 1981 : les Franais, les socia-listes se souviennent de cette fervente

    rencontre attendue au long dune dcennie,

    entre un peuple, un espoir et lhomme quilincarnait, les trois devenant alors indisso-ciables. Ce soir-l, chacun limagine cestdj dans notre lgende , sur la route qui lemenait de Chteau Chinon Paris, FranoisMitterrand se savait porteur dune immensejoie populaire, et dj dtenteur duneresponsabilit historique et grave commeaucun avant lui sauf Blum qui lprouvacertainement , et aussi dun hritage qui lui

    permettait dinvoquer tous les combats de laRpublique et les luttes du mouvement socia-liste.

    Bien sr, il faut se rappeler le rejet du PrsidentGiscard dEstaing et les droites divises. Mais len-tre dans la crise avait fait dores et dj tant devictimes. Grande puissance prise de modernit,la France dcouvrait dj linscurit de lem-

    L ploi et lurgente ncessit de rinventer lactionpublique au service de lconomie. Surtout, la cons-truction opinitre dune force politique, entreprise

    des annes plus tt, permettait de prsenter au paysun candidat, mais aussi un projet de changement etune alliance gauche, entre des partis longtempsconcurrents qui avaient compris que seule unemaison commune permettrait dtre la hauteur delchance prsidentielle. Tous la redoutaient. Lagauche lavait rgulirement perdue, cette lection.

    Pour moi, trente ans aprs,cest loccasion dun tmoignage, pas seulement

    dun hommage, le moment dune inspirationplutt que dune commmoration. Cest

    prolonger un chemin. Le chemin du socialismequi conjugue lunit et la diversit. Le cheminde la gauche qui croit au changement par la

    dmocratie. Le chemin dune France qui se vitcomme nation et qui se veut dans lEurope.

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    Peu conforme notre culture dmocratique, il avaitfallu laffronter sans rpit et sans tat dme. Fran-ois Mitterrand avait montr le chemin. Pour moi,trente ans aprs, cest loccasion dun tmoignage,pas seulement dun hommage, le moment dune

    inspiration plutt que dune commmoration. Cestprolonger un chemin. Le chemin du socialisme quiconjugue lunit et la diversit. Le chemin de lagauche qui croit au changement par la dmocratie.Le chemin dune France qui se vit comme nation etqui se veut dans lEurope.Alors que les Franais perdent espoir et que laFrance des dbuts du XXIe sicle perd son rang,alors que nous sommes laube dune nouvellebataille prsidentielle, il est prcieux, il est forti-

    fiant, darpenter ce chemin, car cest, en vrit,celui du progrs retrouv. Trouver le chemin, biensr, mais aussi trouver la force de suivre le chemin.Malgr ladversit, malgr les preuves, malgr lescontraintes, malgr le vertige que donne la cons-cience qui la regarde en face, linjustice qui dvorenotre monde, cest dans un tel moment, dans unefraternit de mmoire et dengagement, que lonpeut puiser lnergie de suivre le chemin du 10 maiet dy conduire le peuple tout entier.

    Avant le 10 mai, ce fut le temps de la conqute. Ilfaut, pour ne jamais oublier la mthode, voquerune mobilisation sans prcdent des ides, destalents, des forces sociales qui, sans rompre avecleur indpendance, exprimaient les attentes popu-laires et apportaient des solutions originales, desmouvements associatifs dvous lmancipa-tion par lducation et la culture. Ce dimanche deprintemps fut leur fte inoubliable, la ntre, toutesgnrations confondues. Ils lavaient tant voulue,

    tant prpare, dans labngation militante commedans le fracas des controverses et des congrs.Pour Mitterrand, quand vint lexercice du pouvoir,il ny eut pas de point zro, parce quil sagissait delhistoire de France : elle a plus de mille ans. Aussila paix civile et la concorde doivent-elles primersur les motifs, rels ou supposs voire fabriqus, dedivision. Cette obsession de la pacification dun payssi longtemps dchir, indispensable la rconcilia-

    Notre 10 mai

    Pour Mitterrand, quand vint lexercicedu pouvoir, il ny eut pas de point zro,

    parce quil sagissait de lhistoire de France :elle a plus de mille ans. Aussi la paix civile

    et la concorde doivent-elles primersur les motifs, rels ou supposs

    voire fabriqus, de division.

    tion vraie avec ses voisins, a marqu la prsidencede Franois Mitterrand ds les premiers jours. Elleexplique aussi nombre de ses choix, heureux oucontestables. Cest parce que Mitterrand sait quela France puise loin ses origines que, chez lui, la

    rupture espre est conomique avec le systmecapitaliste , et non pas historique ou idologiqueavec le modle rpublicain comme cest le casdepuis 2007. Chez Mitterrand, la rupture est alter-native, elle nest pas revanche. Chez Mitterrand, lemandat sinaugure au Panthon

    Le chemin du 10 mai,cest un prsident socialiste

    qui lempruntaLe premier de la VeRpublique. Lunique, ce jour,galement. On mesure la performance. On mesureaussi la difficult pour la gauche de gravir la plushaute marche de ltat. Non que le pays dans sasociologie penche invitablement droite. LaFrance est le pays de lgalit avant tout, o le hautet le bas dterminent autant les choix que la droiteet la gauche. Simplement, la droite est plus laise

    avec les institutions actuelles. droite, on offredes chefs au pays, pas des dbats. gauche, cestle contraire. Le caporalisme est tranger et lunitnest jamais un postulat. Quand on latteint, elle estun rsultat. Ce fut le grand mrite de Mitterrand,dunifier les tribus du socialisme, puis les famillesdes penses de la gauche. Ce fut la dcennie quiprcda le 10 mai, celle qui commena pinayen juin 1971.

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    Surtout, un socialiste seulement sur les six prsi-dents qui se succdrent depuis 1958, cette statis-tique en dit long sur les embches qui parsmentlitinraire des prtendants de la gauche. La droitedispose de largent, des relais dopinion qui en

    dpendent, de lappareil bancaire et financier. Tousles sept ans, tous les cinq ans dsormais, il fautvoir quelle nergie les conservateurs et les librauxpeuvent dployer pour quun des leurs reste latte dun tat quils nont jamais cess, depuis laRvolution et malgr les alternances, de considrercomme leur proprit. Cest un torrent de carica-tures et parfois de haines, qui se dverse sur celuiou celle qui, portant les couleurs de la gauche,sattaque ce bail que la droite au pouvoir sest

    auto-attribue. Avant dtre un prsident respect,Mitterrand fut un prtendant empch. Or, face lexagration de ses adversaires, Mitterrand choisitla dmonstration, lexplication, la rflexion. Il enappela la conscience des Franais, non leurinstinct. Il le fit pour abolir la peine de mort dans lapremire anne de son mandat. Il le fit aussi pourexpliquer les difficults conomiques et financires,dont une large part venait des oligarchies de lar-gent, des plus fortuns des fortuns qui spculaient

    non pas contre la gauche, mais contre leur pays.

    Le chemin du 10 mai fut celui dela libert, ou plutt de la libration

    Libration des ondes, avec les premires radioslibres, puis la diversit du paysage audiovisuel.Libration des pouvoirs, travers la rvolutiontranquille de la dcentralisation, cette autonomie

    financire et de dcision accorde aux communes,aux dpartements, aux rgions, bientt aux inter-communalits qui permit de conjuguer proximit etefficacit. Toutes choses aujourdhui victimes de latentation ractionnaire de la recentralisation. Lib-ration des esprits travers les arts et la cration,avec le prix unique du livre, le quota de programmesfranais la tlvision, la sauvegarde dun cinmafranais indpendant, le dveloppement du spec-

    tacle vivant et des musiques, la modernisation desmuses rgionaux, le lancement des grands travaux.Libration aussi pour des catgories injustementstigmatises pour leur couleur ou pour leur orien-tation sexuelle quon songe quavant 1981, il

    existait un fichier des homosexuels la prfecturede police de Paris ! Libration du droit face laforce et larbitraire, travers la disparition de laCour de sret de ltat et des Quartiers de hautescurit. On sinsurge lide que, trente ans plustard, les prsidents de laudiovisuel public soient denouveau nomms par le chef de ltat, que le budgetde la culture et de lducation fondent comme peaude chagrin, quun ministre de lIntrieur demeure enfonction pendant des mois aprs avoir t condamn

    par un tribunal pour propos racistes.

    Le chemin du 10 mai, cest aussila volont de rconcilier lefficacitconomique et la justice sociale

    En 1981, cest la question du chmage qui avaitrythm la campagne prsidentielle. Aux responsa-bilits, la gauche a deux proccupations : relancer

    lactivit conomique et agir vite. Les prcdentsde 1924, 1936 et 1944 avaient prouv que lesrformes qui ne sont pas menes sur le champ lesont rarement par la suite. Les 110 propositions du candidat Mitterrand devaient se transformer enautant dactions, et dabord sur le front de lemploi,du pouvoir dachat, de lamlioration des conditionsde travail. Le mot dordre tait bien la relance .Relance de la consommation populaire, avec laug-mentation du SMIC horaire, du minimum vieillesse,

    des allocations familiales et logement. Relance delappareil productif, travers les aides lindus-trie ou la dotation en capital pour les entreprisesnationalises. Bien sr il y eut des difficults, lecours du franc qui avait t maintenu pendant desannes survalu, lappareil productif franaisqui se rvla insuffisamment modernis pour tirerparti de la relance, le redmarrage des tats-Unisnarriva pas la fin 1981 comme annonc, mais un

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    an plus tard. Mais, 1981 et les annes qui suivent

    laissent la trace dune gauche de gouvernementprofondment transformatrice, lorigine davan-ces auxquelles les Franais sont rests profon-dment attachs : lamlioration des conditions detravail et le renforcement des droits des salarisavec les lois Auroux, les 39 heures, lge lgal dudpart en retraire 60 ans, la cinquime semainede congs pays, limpt sur les grandes fortunessans oublier le succs de la lutte contre linflationqui minait notre comptitivit et pnalisait les cat-

    gories populaires et moyennes.

    Le chemin du 10 mai, cest celuidune Europe volontaire et solidaire

    Cest le fil dAriane de litinraire quil partagea avecdautres, gauche et au-del. La guerre et ses atro-cits, le fils de Jarnac et ceux de sa gnration ne lesavaient pas seulement connues dans les livres ou les

    rcits des anciens. Lui-mme fut soldat, prisonnier,vad. Le nationalisme, cest la guerre , lancera-t-il lors de son ultime discours de chef de ltat, enmai 1995, devant le Parlement europen, rsumantdune phrase lengagement de toute une vie. SurlEurope, sa construction, sa structuration, son poidssur la scne mondiale, ses valeurs hrites du chris-tianisme et des Lumires, nulle tactique mdiocre etnulle quivoque. Quand la gauche arriva au pouvoir

    en 1981, la machine europenne tait au point mort.Chacun se repliait sur son quant soi et voil quunsocialiste alli aux communistes prenait place latable du G7 et de lEurope des 9 ! Mitterrand faisaitfigure de gneur aux yeux des sociaux-dmocrates

    et dusurpateur au got des libraux. Navait-il pas,avec ses amis de la gauche du PS, pris lhabitudede fustiger les tats-Unis dEurope qui seraient lEurope des tats-Unis ? Et pourtant, Fontai-nebleau, il fut celui qui, avec le chancelier Kohl,mit lEurope sur les rails dune dcennie historiquequi souvrit sur lobjectif de faire adhrer lEspagne,la Grce et le Portugal et qui sacheva sur la crationde la monnaie unique. Comment ne pas concevoirlEurope actuelle comme une rgression par rapport

    ces acquis europens ? Vingt ans bientt ont passdepuis Maastricht, et la comptition entre tatsadversaires a remplac la coopration entre nationspartenaires.Justice sociale et efficacit conomique, traditionmillnaire et modernit rpublicaine, nation etEurope, Franois Mitterrand fut le prsident desrconciliations. Il savait que les dchirures delhistoire et les dchirements des hommes risquent tout moment de ressurgir et que la qute inlas-

    sable de lesprit de rassemblement doit prvaloir,lorsquon est en charge de lessentiel, sur toutesles autres considrations. Se souvenir de FranoisMitterrand, cest trouver un chemin pour 2012. Nonpour dupliquer, mais pour sinspirer. Et dabord delexigence de rconciliation entre les Franais, par-

    Notre 10 mai

    Cest le fil dAriane de litinraire quil partageaavec dautres, gauche et au-del. La guerre

    et ses atrocits, le fils de Jarnac et ceux desa gnration ne les avaient pas seulement

    connues dans les livres ou les rcits desanciens. Lui-mme fut soldat, prisonnier,

    vad. Le nationalisme, cest la guerre ,lancera-t-il lors de son ultime discours de chef

    de ltat, en mai 1995, devant le Parlementeuropen, rsumant dune phrase

    lengagement de toute une vie.

    Justice sociale et efficacit conomique,tradition millnaire et modernit rpublicaine,

    nation et Europe, Franois Mitterrandfut le prsident des rconciliations. Il

    savait que les dchirures de lhistoire et lesdchirements des hommes risquent tout

    moment de ressurgir et que la qute inlassablede lesprit de rassemblement doit prvaloir,

    lorsquon est en charge de lessentiel, surtoutes les autres considrations.

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    del les territoires, les catgories, les gnrations,les croyances religieuses ou les options philoso-phiques. Comme Jaurs ou Blum, Mitterrand nousparle, nous, aujourdhui. Que lon croit, commelui me spirituelle et laque plus que religieuse

    et mystique , ou que lon ne croit pas aux forcesde lesprit, comment ne pas tre interpelle par lesvaleurs quil a portes, luvre quil a forge, lhu-manisme qui la habit ? Comment tre insensible son histoire personnelle de la France, de Jarnac Cluny, de Vzelay lantique Bibracte ?Trente ans se sont couls depuis un certain10 mai, dimanche dalternance par les urnes,presque un demi-sicle aprs 1936, un momentdont Barbara chanta lintensit : Quelque chose

    a chang / Cest indfinissable . Oui, il y a une actualit du 10 mai, une somme dattitudes, de

    mots et dactes qui perdurent par-del le temps quipasse, le flux et le reflux des vnements, cette partdinvariant qui donne du sens au dvouement mili-tant de toute une vie. Ce que le philosophe appelle dialectique , ce que lcrivain nomme ironie

    du sort , ce que le peintre ou larchitecte dsignentcomme perspective , le prsident Mitterrand yvoyait le ressort mme de la vie, cette abolition dela chronologie par lHistoire, cette victoire finalede laction sur le commentaire, de la dcision surla critique, de la transformation sur la description.Le temps slectionne, talonne et rchelonne. Ilrend les jugements moins brlants et plus srs. Lesinventaires ont t faits, en leur temps. Le chemindu 10 mai ainsi accompli, la part de vrit de

    Franois Mitterrand devient une part profonde denotre rcit national.

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    sociale, culturelle du pays o les socialistes ont tprsents sur tous les fronts. Franois Mitterrand avidemment personnalis ce moment. Son apport

    dcisif dans la dtermination dune stratgie poli-tique, intelligente et courageuse, est reconnu. Maisnous manquerions une dimension essentielle sinous ne voyions pas le mouvement qui a permiscette victoire. Il a t videmment composite, il acharri des aspirations diffrentes, il a nourri par lmme des dbats et des conflits au sein de la gaucheet dans le Parti socialiste lui-mme le congrs deMetz de 1979 na pas t une promenade de santMais, par-del leurs diffrences, tous les socialistes

    avaient la conviction quil tait possible de cons-truire une nouvelle tape du progrs social.Comme il y a eu un avant du 10 mai, il y a eu aussiun aprs. Ce fut aussi le cas en 1936 comme en1945 o les contradictions lont emport en peu detemps : le Front populaire sest dfait, la guerrefroide a spar la gauche pour de longues annes.Mais, chaque fois, ct du souvenir des esp-rances collectives et de ce que pouvaient faire des

    Alain Bergouniouxest directeur deLa Revue socialiste

    La force de lvnement

    e 10 mai 1981, si loin, si proche. Entrente annes, en effet, le monde et

    la France ont profondment chang. Il y a

    aujourdhui plus de distance quentre lta-blissement de la Seconde Rpublique, en1848, et celui de la IIIeRpublique, celledes vrais rpublicains, en 1877 ! Les valeursqui nous animent nont pas chang. Mais lesproblmes ne se posent plus dans les mmestermes et, demandent des penses et des poli-tiques nouvelles. En mme temps, le souvenirde lvnement demeure prsent dans notremmoire mme pour celles et ceux qui

    ntaient pas ns cette date et qui militentaujourdhui dans le Parti socialiste

    Cela tient bien sr au fait que le 10 mai a t unevictoire aprs une longue priode dopposition et nous y aspirons fortement pour 2012 ! Mais,pas seulement. Le 10 mai a t aussi vcu commele couronnement de dix annes daction militanteintense dans tous les domaines de la vie politique,

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    hommes et des femmes rassembls, des acquis sontdemeurs qui ont port plus loin la promesse rpu-blicaine. Il en a t de mme en 1981. Les socia-listes, en gouvernant dans la dure, ont affront unemondialisation librale qui ne disait pas encore sonnom mais qui, dans les faits, contredisait direc-tement leur projet. Ils ont d adapter leurs poli-tiques pour faire face aux donnes de lconomie

    mondiale. Mais un grand nombre des rformesde 1981 et 1982 est toujours l et a faonn lasocit franaise, en termes social, culturel, insti-tutionnel. La lutte politique est faite davances etde reculs, mais ce qui est important, cest la ligne

    dans laquelle elle sinscrit. Et, de ce point de vue,le 10 mai a t un maillon important dans la chanedu progrs humain. Les dimensions conjonctu-relles, les jeux tactiques invitables et ncessairesdans laction politique, ne doivent pas cacher lasubstance.Cest lesprit dans lequel nous avons conu cenumro de laRevue socialiste. Il nest pas fait seule-ment pour commmorer ce qui serait dj bien.Il est fait surtout pour apprendre de notre pass

    commun. Nous avons un hritage dfendre, desleons tirer, et, avec le recul du temps, le plusimportant est de rflchir la manire dont descaractres affrontent les preuves. Nous avons uneesprance porter. Les militants sont au cur dece numro, mlant trois gnrations qui ont fait etfont le socialisme. Car, il ny a de vraie richesse quedhommes.

    La force de lvnement

    Comme il y a eu un avant du 10 mai, il y aeu aussi un aprs. Ce fut aussi le cas en 1936

    comme en 1945 o les contradictions lontemport en peu de temps : le Front populairesest dfait, la guerre froide a spar la

    gauche pour de longues annes.Mais, chaque fois, ct du souvenir des

    esprances collectives et de ce que pouvaientfaire des hommes et des femmes rassembls,des acquis sont demeurs qui ont port plus

    loin la promesse rpublicaine.Il en a t de mme en 1981.

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    Franois Mitterrand lors dun des meetings de la campagne prsidentielle de 1988. (Photo IFM).

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    Que chaque citoyen se sente princeen son royaume

    La Revue socialiste, n 52, fvrier-mars 1981

    ranois Mitterrand, pourquoi a-t-

    on envie de devenir Prsident de la

    Rpublique ? La charge nest-elle pas trop

    lourde lheure du risque nuclaire ?Ai-je bien saisi la porte de votre question ? Selonvous, la gravit croissante des responsabilitsdu Prsident de la Rpublique dcourageraitles postulants la candidature, Ou dissiperaitleur dsir den assumer la charge. Les faits neparaissent gure vous donner raison : les candi-datures se multiplient, nullement rebutes parlampleur ventuelle de la tche ! ces candidatsde dcider, en leur me et conscience, si leur

    envie , comme vous le dites, est la mesure dela mission accomplir.Pour un socialiste, linterrogation est toute autre.En premier lieu, sa vie, son combat, son uvre nese dcident pas au seul gr des chances lec-torales. Certes les succs antrieurs, et demainpeut-tre la victoire, ne le laissent pas indiffrents.Qui nierait notamment limportance de llection la Prsidence de la Rpublique ? Elle nest pour-

    F tant ni le commencement ni la fin de tout. Aussibien un candidat socialiste la prsidence doit-ilconduire sa campagne avec srnit et tranquillit,

    m par lambition de faire gagner ses ides plusencore que sa personne. Ce qui ne doit rien luiretirer de la pugnacit ncessaire. la diffrence des candidats des partis de lar-gent, le candidat socialiste nest pas solitaire enson combat. Son envie , cest dabord lenviede centaines de milliers de militants et de milliersde citoyens : lenvie de faire enfin respirer pleinspoumons un pays qui touffe sous le poids desprivilges de la caste au pouvoir. La force et la

    volont du candidat socialiste sont nourries parllan des forces les plus cratives et les plusardentes et par la vaillance de son parti : le seulgrand parti dmocratique franais.Au demeurant, si demain il est port laPrsidence par lallgresse et lenthousiasme desFranais, il ne se retrouvera pas seul matre bordaccaparant jalousement toutes les fonctions deltat. Vous le savez, mon projet est de rquilibrer

    Franois Mitterranda t Prsident de la Rpublique de 1981 1995

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    le partage des tches entre les organes du pouvoir. chacun son rle : au Prsident de dfinir lesorientations principales ; au gouvernement degouverner avec efficacit ; au Parlement de lgi-frer librement ; aux collectivits territoriales de

    sautoadministrer. Le dsordre sest install dansltat par lintervention permanente du Prsidentdans le fonctionnement quotidien de ladministra-tion : se mlant de tout, il oublie lessentiel. Votrequestion se rfre ce que vous appelez la lour-deur de la charge de Prsident de Rpublique :o ainsi conue par le prsident sortant, la chargeest aujourdhui si lourde quelle tombe des mainsfragiles de son dpositaire. vouloir tout rgenter,on ne gouverne rien ! Au pied du trne roule la

    couronne : les privilgis sen emparent pour lgi-timer leur toute-puissance. Faute dun gouverne-ment solide, ce sont eux qui gouvernent, ce sonteux les vrais matres. Ils organisent la crise, lechmage, linflation. Avec la bndiction dunprsident qui nen peut mais.

    Quelquun a crit un jour que le monde tait

    transform par les fous, les gens raisonna-

    bles saccommodant de ce qui est. Est-ce

    folie que de vouloir transformer le monde ?Je dirai alors que cette folie si folie il y a est laplus souveraine des sagesses : une sorte de raisonsuprieure. Mditons cette vidence : lhistoire deshommes progresse par paradoxes successifs, cest--dire au sens tymologique, par infractions aveclopinion convenue. Au nom de la doxa, au nomde la pense rgnante, combien de crimes contrela vrit nont-ils pas t perptus ? Voyez lesconqutes de la science, les inventions de lart, les

    bouleversements technologiques, les rvolutionsdes murs : souvent, ils senfantent contre le vudes matres idologiques au pouvoir, ils violententlordre culturel dominant dont ils subvertissent lalogique. Tout novateur commet, leurs yeux, undlit de draison ou de dmesure.Un fou, ce Galile ! Il faut le faire abjurer. Desfous, ces peintres impressionnistes ! Il faut leurdnier droit de cit.

    Un fou, ce Lon Blum ! Il faut le lyncher. Lheuresonne un peu plus tard o les excommunicateursdhier ou leurs hritiers spirituels dressent

    leurs victimes les plus imposants mausoles.Ainsi agissent toujours les conservateurs. Desbandelettes dlicatement parfumes, on enveloppeaujourdhui le souvenir de Molire, de Stravinski,ou de Jaurs Les hommes de la droite onttoujours prfr limmobilit au mouvement, lanuit la lumire. Ils ont peur du soleil et de laclart. Ils perdent la vue au lever du jour. Mulesaveugles : ainsi les appelait durement FranoisMauriac.

    Mme lorsquils ont assimil une pense dhier,ils nen comprennent pas aujourdhui la vraieporte. Que reste-t-i1 de lhommage solennelrendu Valogne par M. Giscard dEstaing Tocqueville, lorsque dans sa rcente dclara-tion au Figaro Magazineil ordonne le procs despartis ? Saperoit-il quil foule aux pieds le tho-ricien glorifi des contre-pouvoirs ? Oublie-t-ilque Tocqueville condamne svrement le despo-tisme centralisateur et voit dans lart de sasso-

    cier et un parti est dabord une association decitoyens libres ! un contrepoison efficace la rouille des socits ?J reviens votre question initiale : est-ce vraimentfolie de vouloir transformer le monde ? Cest envrit folie de ne point le changer ! Cest folie de lefiger dans la glace des injustices et du gaspillage.Le seul programme de M. Giscard dEstaing est : Je suis au pouvoir, jy reste . Pour y faire quoi ?

    Franois Mitterrand : Que chaque citoyen se sente prince en son royaume

    Un fou, ce Galile ! Il faut le faire abjurer.Des fous, ces peintres impressionnistes !

    Il faut leur dnier droit de cit.Un fou, ce Lon Blum ! Il faut le lyncher.

    Lheure sonne un peu plus tard o lesexcommunicateurs dhier ou leurs

    hritiers spirituels dressent leurs victimesles plus imposants mausoles. Ainsi agissent

    toujours les conservateurs.

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    Imaginez ce que serait ltat de la France aprs lessept nouvelles annes dpreuves dune prsidenceGiscard dEstaing : un pays ruin, englu dans ledsespoir ou bien lindiffrence terrass parles firmes multinationales. Confier de nouveau les

    r ceux qui ont failli serait une offense au bonsens. Pour le coup, oui, une vraie folie !

    Vous navez jamais dout de la renaissance

    du socialisme franais. Pensez-vous quil y

    a ainsi, inscrites dans la dure historique,

    des permanences, des familles de pense qui

    perdurent ? Si oui, comment imaginer que le

    monde se transforme ?

    Oui, vous avez raison. Les familles de pense

    dcoupant traditionnellement la socit franaisemuent lentement et se reclassent difficilement.Lcole franaise de la nouvelle histoire a, avecbonheur, mis en vidence la permanence desmentalits de longue dure. Je pense en particu-lier Georges Duby, Jacques Le Goff, PhilippeAris, Le Roy-Ladurie ou notre ami Jean-PaulAron. La gologie des mouvements politiquesrvle la superposition de gisements ou de stratesaccumuls au fil des sicles. Observez la droite

    actuelle, ses ascendances, ses filiations. Nest-ellepas lhritire des Orlanistes et des Versaillais ?Ne prfre-t-elle pas toujours ses intrts lin-trt de la patr ie ? En 1871 comme en 1940 ?Aujourdhui encore, elle sacrifie le service de lanation au bnfice de quelques-uns.Vous me dites alors : sil y a perptuation descomportements traditionnels travers les gn-rations, comment imaginer un changement ? Je

    rpondrai dabord que rien ne se construit enun seul jour et que la dure est une composantedterminante de toute action de transformation.Il faut laisser le temps au temps : le temps de lafcondation, le temps de la maturation, le temps

    de lclosion. Lidologie dominante dispose demoyens puissants de pntration des consciences.Cest par une lente et patiente conqute que nosides font leur chemin. Aujourdhui le moment estpeut-tre venu de leur victoire.Au fond, cest une redcouverte dune donnepermanente de leur mmoire que depuis dix ans,nous convions les Franais. Le socialisme de lalibert, enfoui dans leur cur, ne demandait qurenatre. Le socialisme de la libert occupe une

    place centrale dans notre patrimoine dides etdattitudes communes. Rendre le socialisme laFrance, cest lui restituer son bien spirituel. Cestfaire affluer la surface une aspiration puissante,occulte par vingt ans de matraquage officiel. Envotant socialiste, les citoyens accompliront fina-lement un geste naturel. Ce sera le choix du bonsens. Le carrefour des hritages spirituels franaisassure la jonction entre la volont de justice etle dsir de libert. Une France enfin rconcilie

    avec elle-mme choisira lautre chemin, le vraichemin vers la renaissance du pays. Au printempsprochain, la France naura pas seulement rendez-vous avec la saison nouvelle. Elle aura dabordrendez-vous avec elle-mme.

    Dans la russite ou lchec dune action

    politique, quelle est selon vous la part du

    destin comme on dit, la part de la nces-

    sit objective (la situation est mre ou ne

    lest pas, comme on dit encore) et celle de lavolont individuelle ?

    Je crois la puissance de la volont humaine.Cest un message du socialisme. Est-ce prsomp-tueux de le dire ? Mon destin, cest peut-tre dene pas me soumettre au destin. Je nabandonne lalatoire que la part la plus modeste.Au vrai, je naime pas le vocable destin . Sansdoute en raison de cet usage politique qui coupe

    Grand texte

    Observez la droite actuelle, ses ascendances,ses filiations. Nest-elle pas lhritire des

    Orlanistes et des Versaillais ? Ne prfre-t-elle pas toujours ses intrts lintrt de la

    patrie ? En 1871 comme en 1940 ? Aujourdhuiencore, elle sacrifie le service de la nation au

    bnfice de quelques-uns.

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    Lautre sens du mot destin que je rprouve estcelui qui accrdite la thse de la fatalit des souf-frances des Franais. Les servitudes conomiquesne sont pas crites dans les toiles. Nous autressocialistes ne parlons jamais en termes de destin,

    mais en termes davenir. Pour le reste, il convientsimplement de dterminer, comme le disait Hugo, la quantit davenir quon peut introduire dans leprsent, cest tout le succs dun grand gouverne-ment .

    Certains responsables politiques tablis-

    sent une diffrence entre la France et les

    Franais. Quen pensez-vous ?

    La distinction traduit une vidence. Cest son

    usage que je rcuse. On se sert des Franais pourcraser la France, et de la France pour craser lesFranais.Ainsi justifie-t-on une politique nationaledabandon, par les difficults conomiquesintrieures : et la France de se faire petite pourqumander ici des contrats de ventes darmes, ldes fournitures ptrolires, ailleurs lachat de sojaou de brevets. Rien ny fait pourtant. Les changesextrieurs demeurent obstinment dficitaires.

    Cest quen vrit, seule une grande politique ext-rieure combine une croissance intrieure forteredonnerait la France sant, vitalit et apptit devivre.La mesquinerie et le mercantilisme nouvrentjamais les voies de lavenir. linverse, les dirigeants actuels savent brandirle drapeau France pour faire taire les Franaiset conduire une politique sociale de rpression.Au nom de lintrt suprieur de la nation, on

    perptue un systme dingalit, on dpouilleles pargnants de leurs conomies, on prcipitevers le chmage des centaines de millions detravailleurs actifs, on dtruit le patrimoine naturel,on gaspille les chances du dveloppement scienti-fique. La droite proclame toujours : la France exigesacrifices et privations. Elle oublie dajouter quela France ainsi conue se confond avec les intrtsles plus cupides de la classe sociale au pouvoir.

    Franois Mitterrand : Que chaque citoyen se sente prince en son royaume

    le monde en deux : dun ct le destin dhommesprovidentiels, ns sous une bonne toile simpose-r au peuple bloui et reconnaissant. De lautre ledestin des hommes anonymes les enliserait impla-cablement dans la grisaille : crass par une force

    inexorable et inconnue sur laquelle ils nauraientgure prise, ils ne devraient leur survie et leursalut quaux dons surnaturels de chefs rvls.La droite a besoin de faire croire la ncessit delappel un sauveur videmment prdestin ! homme unique et irremplaable qui conjurerale mauvais sort. La magie au service de largent !La sorcellerie au bnfice des privilgis ! Je vousrenvoie au cruel pamphlet de Bertrand PoirotDelpech : Valry Hasard-Destin.

    Tout autre est la dsignation par lhistoire telmoment prcis de tel homme ou de telle femmepour prendre la tte dun mouvement, faire corpsavec lui, et en devenir l e symbole : ainsi deJaurs et du socialisme, de De Gaulle et de laRsistance, de Brandt et de la politique de paix lEst Les hommes ports au premier rang duneuvre de transformation ont su intgrer dans leurvision la part du hasard et la part de la nces-sit. Programmer limprvu, cest aussi un acte de

    volont ! Ainsi peut-on vaincre ce que les conser-vateurs appellent limpossible .Dtermin et humble : voil les qualits premiresde lhomme public ! La parole fraternelle de Sartreconcluant Les Motspourrait tre heureusementmdite par chaque responsable politique : tre un homme, fait de tous les hommes, et qui lesvaut tous et que vaut nimporte qui . Et jajou-terai : Et que chaque citoyen se sente prince enson royaume !

    Les hommes ports au premier rang duneuvre de transformation ont su intgrer dansleur vision la part du hasard et la part de la

    ncessit. Programmer limprvu, cest aussi unacte de volont ! Ainsi peut-on vaincre ce queles conservateurs appellent limpossible .

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    Valry Giscard dEstaing a dclar que la

    France reprsentait 1 % de la population

    mondiale. Mme si la proportion est exacte,

    pensez-vous que la France ne soit que cela ?Au fond, pour vous, quest-ce que cest que

    la France ?

    Les propos que vous rapportez sont une illustra-tion de lutilisation des Franais pour abaisserla France. On flatte une certaine propension aurecroquevillement mental vers le seul hexagone.On renonce alors faire entendre la voix gn-reuse de la France, propager la culture et lalangue franaises, maintenir une prsence forte

    et rayonnante de notre pays.La comptabilit ne peut tenir lieu de politique. LaFrance nest pas une proportion, cest une mission.

    Quand on est un homme politique, il arrive

    que le sort soit contraire. Vous avez men

    depuis la Rsistance des combats souvent

    difficiles, vous avez souvent triomph, vous

    avez aussi connu des dfaites. Navez-vous

    jamais connu des doutes, des incertitudes ?

    Quest-ce qui vous a soutenu dans les

    moments les plus durs ?Dcidment, la question du destin vousinquite. Des doutes ? Jamais quand une dcisionest prise. Plus tard parfois lorsque vient le momentde lvolution rtrospective dune action passe.Ou encore avant darrter une dcision : ici fonc-t alors plutt, pardonnez-moi loutrecuidance,le doute scientifique au sens o Descartesi explorer toutes les issues, ne tenir jamaisr pour vrai qui ne soit dmontr. Ce doute-l est

    un doute fcond. Avant de se prononcer, le respon-sable se doit de recueillir les avis, de solliciter lesopinions, de peser les consquences de ses actes.Lhomme public nest pas un homme de marbrequi, sur toute question, a une rponse toute prte.Mais une fois la dcision prise, il doit sy tenir. Ce doute scientifique , je lai jadis exerc len-contre du systme conomique dans lequel nousvivons. Rpublicain, je suis devenu socialiste.Jai compris quune socit fonde sur le profit

    de quelques-uns asservissait lhomme, le privaitde son droit la vie, de son droit au bonheur. Jaidonc mis en question les lois qui rgissent lco-nomie de profit pour lui prfrer un systme quisassigne pour finalit lpanouissement de chaquecitoyen.

    Grand texte

    On flatte une certaine propension aurecroquevillement mental vers le seul

    hexagone. On renonce alors faire entendrela voix gnreuse de la France, propager la

    culture et la langue franaises, maintenir uneprsence forte et rayonnante de notre pays.

    La comptabilit ne peut tenir lieu de politique.La France nest pas une proportion,

    cest une mission.

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    Concordance

    des temps

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    21 Avril 1981 : meeting de Franois Mitterrand Lille pour la campagne prsidentielle. Ici, avec Pierre Mauroy, mairede Lille et futur premier ministre aprs le 10 mai. Photo M-P Guna. (Coll. FJJ-CAS.).

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    Jean-Nol Janneneyest actuellement prsident du conseil scientifique de lInstitut Franois Mitterrand

    et animateur dune mission de radio hebdomadaire sur France Culture,Concordance des temps

    Mai 1981 : sur quelques leonsdune victoire

    Le monde ne commence pas avec soi. Couper ses racinespour mieux spanouir est le geste idiot dun idiot.

    Il ny a pas dimagination sans mmoire .

    Franois Mitterrand, Ici et maintenant, 1980, p. 151-152.

    n veut croire qu Saint-Cyr lesprofesseurs de tactique et de stra-

    tgie prennent soin denseigner le dangerque reprsente, dans tous les combats, lesouvenir glorieux des victoires antrieures ;car les gnraux sont ports dployer lesprocds qui leur ont nagure russi sur unchamp de bataille diffrent : non sans risquedinadquation, donc de dconfiture.

    Chercher dans le succs de la gauche en 1981 desenseignements utiles pour lan prochain, commemy invite lamiti dAlain Bergounioux, exigedabord ce rappel primordial de prudence. Entredeux situations historiques, il existe toujours unfond de diffrences irrductibles. Chez nous et toutautour de la plante, en trente ans, que de change-ments vous renouveler les dfis pour la gauche

    Oen qute du pouvoir ! La quasi-disparition duParti communiste, fruit des nouveaux quilibresdu monde rsultant de la chute du mur, lnergiede lEurope pour lheure amollie, lmergence desnouvelles technologies de la communication donton na pas fini danalyser les consquences sur lavie dmocratique, les succs inquitants du terro-risme, les proccupations cologiques fouettes parle drame japonais rcent

    Et cependant quel motif voquer pour se priverde leons positives ou ngatives que lon peutdbusquer dans ce pass, trente ans de distance ?Considrant la victoire de la gauche la prsi-dentielle de mai 1981, je proposerai, du ct descontinuits plutt que du ct des ruptures, quatreconvictions qui dcoulent de son tude. Exerciceramass, ici, en peu de pages par quoi lon estcontraint de dessiner grands traits.

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    Candidatures : la matrisedes rythmes

    Rien de plus pernicieux que la doxachre Michel

    Rocard selon qui les mdias contemporains, entretlvision et Internet, seraient si oppressants quilsempcheraient de gouverner : imposant limm-diatet, interdisant toute rflexion sereine, toutepdagogie paisible. Cest faire bon march de ceque, dans le pass dj, la presse crite imposaitpar nature de passion instantane, entremle avecses analyses, et traduisait dmotions immdiates.La tlvision na pas cr cette donne, quand bienmme elle laccentue.

    Ce fut un talent de Mitterrand de ne pas se laisserbousculer par les brutalits de la conjoncture. Sonpremier rflexe tait le recul (et dailleurs il ntaitpas lhomme de la lucidit immdiate). Il cultivaitlart de rinjecter de la lenteur dans la vie publique ;et par l, souvent, de crer lui-mme lvnementsans se le laisser imposer. On a souvenir de soncomportement symbolique entre les deux tours dellection prsidentielle, marqu par une tranquil-lit majestueuse et ostensible.

    Limpatience des mdias est naturelle, y rsisterest salutaire, pour ne pas se laisser imposer lagenda , comme on dit prsent (entre latinet anglais). Et cela vaut en particulier pour la dsi-gnation du candidat. Il est naf, pour ne pas direabsurde, de sindigner de laffrontement des ambi-tions personnelles : les formations politiques ontaussipour rle, en dmocratie, de slectionner les

    futurs dirigeants. Mais il est prcieux de considrercomment les inconvnients de cette concurrence,

    qui est invitable, peuvent tre surmonts, au seindun parti, et de la gauche entire, et surtout quelmoment ils doivent ltre.La mmoire retient la bataille o se sont affron-tes les ambitions de Michel Rocard et de Fran-ois Mitterrand, avec le sentiment que lincertitudea dur. Cest vrai, mais dans quelles conditions ?Prenons-y garde : si Michel Rocard a hautementcontest le leadership de Franois Mitterrand,ds le Congrs de Metz davril 1980 un an avant

    llection , ce dernier y a t confirm au premiersecrtariat, grce son alliance avec le CERES deJean-Pierre Chevnement et Rocard y a dclarquil ne serait pas contre lui candidat la candi-dature . Ce qui jeta forcment, ensuite, sur safameuse dclaration, Conflans Ste-Honorine, le19 octobre suivant, un halo de doute qui fut pour luiravageur. La rivalit entre les deux hommes a tforte, exprimant dailleurs, par-del leur concur-rence personnelle, des divergences quant la tche

    accomplir, mais elle na pas handicap la bataillefinale contre le prsident sortant, puisque lun desdeux champions avait davance la certitude, sil selanait, de ntre pas contest par lautre. Accordqui ntait pas secret, autrement dit rvocable, maispublic, donc quasi impossible enfreindre.Au fond, en 1980, la gauche a gagn, au regard de lasuite, sur deux tableaux : la certitude, tt, quon auraitde toute faon un candidat de valeur, et la capacit

    Mai 1981 : sur quelques leons dune victoire

    Ce fut un talent de Mitterrand de ne passe laisser bousculer par les brutalits de

    la conjoncture. Son premier rflexe tait lerecul (et dailleurs il ntait pas lhomme de

    la lucidit immdiate). Il cultivait lart derinjecter de la lenteur dans la vie publique ; etpar l, souvent, de crer lui-mme lvnement

    sans se le laisser imposer.

    La rivalit entre Franois Mitterrand et MichelRocard a t forte, exprimant dailleurs, par-del

    leur concurrence personnelle, des divergencesquant la tche accomplir, mais elle na pashandicap la bataille finale contre le prsident

    sortant, puisque lun des deux champions avaitdavance la certitude, sil se lanait, de ntre

    pas contest par lautre. Accord qui ntait passecret, autrement dit rvocable, mais public,

    donc quasi impossible enfreindre.

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    de Franois Mitterrand ne se dclarer que tard, le8 novembre (et encore la chronique retient-elle quece fut plus tt quil ne laurait souhait, pouss quilsest trouv par la crmonie de Conflans), vitant dela sorte de se laisser user par un trop long tournoi.

    Quelques jours auparavant il avait dit ses prochesquil viterait, dans le cours des semaines suivantes,dapparatre trop souvent. Et il ne fut dsign offi-ciellement par son parti que le 24 janvier, lors ducongrs extraordinaire de Crteil.On comprend fort bien limpatience actuelle dela presse connatre le nom de celle ou de celuiqui portera les couleurs. Elle est l dans son rlenaturel. Mais songeons bien quaprs coup cetteattente un peu fivreuse sera oublie et que jadis

    lessor dcisif du PS dans les sondages data dumoment o Mitterrand se dclara son tour. Jelaisse les militants et sympathisants de la gauchetransfrer ce modle pour aujourdhui et les invite ne pas appeler cor et cri une dsignationtrs prochaine du candidat. Le cas de DominiqueStrauss-Kahn, laissant ouverte sa dcision, si loncomprend bien, jusquau dbut de lt prend, souscette lumire, une autre coloration. Le calendrierfix pour les primaires, tout neuf quen soit le prin-

    cipe, peut utilement se lire ainsi.

    lmergence de celle-ci ou de celui-ci, cestune calembredaine. Non pas quil ne soit pasprcieux, pour un parti de gauche, de multiplierles rflexions et de se faire, comme par un vasteentonnoir, le rceptacle de ce que la pense orga-

    nise et limagination des intellectuels, des experts,des acteurs associatifs, des militants et de tous lescitoyens dont limagination est ardente, peut offrir laction future sachant que celle-ci devra trearme, ds les premiers jours dcisifs du fameux tat de grce de convictions simples et dambi-tions primordiales. Mais cet effort dlaboration, aumoins dans sa phase finale, ne peut tre accompliquen liaison intime avec un leader dsign.Certes, on rappellera lexistence du Programme

    commun de gouvernement sign avec les commu-nistes en juin 1972 ; mais il tait en lambeauxdepuis que ces derniers avaient rcus lalliance,en septembre 1977. Relu ces temps-ci, le livredentretiens de Mitterrand avec Guy Claisse, Iciet maintenant, raliss durant lt 1980, prendsa pleine porte. Il prvient ds louverture que fidle, assurment, aux choix de son parti, il syexprime comme il lentend et ny engage que lui-mme . Ds lors quaujourdhui les primaires

    sannoncent comme heureusement ouvertes bienau-del des seuls militants du PS, voil bien unprincipe qui mrite dtre revivifi.La campagne du candidat Mitterrand sest faite,comme on sait, partir des 110 propositions labo-res par lui, partir dune liste tablie en hte parMichel Charasse si on en croit celui-ci , distancede lancien Programme commun. Ce texte a tpropos au congrs extraordinaire du PS de Crteil,le 24 janvier 1981 seulement, et port personnelle-

    ment par le premier secrtaire depuis peu candidat.Cest lui qui a fix, avec un cercle proche, la tonalitde la campagne, quillustre notamment la fameuseaffiche sur fond de France rurale.Devant une opinion dmocratique, il faut escompterque le programme socialiste soit incarn, au coursmme de son laboration, par un visage, par uneforce individuelle. LHistoire, disait pertinem-ment Mitterrand, toujours dans Ici et maintenant,

    Concordance des temps

    Quant lide abstraite quil conviendrait depeaufiner jusquau dtail un programme avant

    toute dcision sur qui sera la candidate ou lecandidat, et que ce texte devrait jouer un rle

    dcisif dans lmergence de celle-ciou de celui-ci, cest une calembredaine.

    Le programme a besoin du candidat

    Quant lide abstraite quil conviendrait de peau-finer jusquau dtail un programme avant toutedcision sur qui sera la candidate ou le candidat,et que ce texte devrait jouer un rle dcisif dans

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    (p. 37), commence ou recommence par la rencontre

    dun homme et dun vnement. Lvnement passetoujours par l. Mais lhomme ? A Jean Jaurs quimettait laccent sur le pouvoir collectif des peuples,Clemenceau (tant admir par Mitterrand) rpon-dait que, certes, il nen minimisait pas limportance,selon une dialectique ncessaire ; mais il observaitquaprs tout, le socialisme qui se voulait scienti-fique clbrait le rle dcisif dun individu spci-fique : Karl Marx lui-mme

    Il faut un contre-gouvernement

    Ce que jai dit du calendrier de la dsignation ducandidat dans ses relations avec le programmedfinitif ne vaut pas dire que celui-ci doive sortirsoudain tout arm de la cuisse de Jupiter. Le retouraux annes de prparation la victoire de 1981conduit se dire que le talent du leader auraitt plus efficace encore si un effet malheureux de

    mai 1968, bousculant la stratgie de Mitterrandaprs sa campagne brillante de 1965 contre deGaulle, navait pas jet un voile ngatif sur uneide quil avait mise en pratique prcdemment, autemps de la Convention rpublicaine : linstitutiondun contre-gouvernement, la manire dushadowcabinet inscrit, Outre-Manche, dans la traditionbritannique. Quelle quait t la valeur des jeunessocialistes, ambitieux, informs et ardents, qui

    staient regroups autour de Franois Mitterrandaprs sa victoire dpinay, on ne peut se dprendrede lide quils auraient t plus efficaces encore sileur leader avait pu revenir cette initiative. Llandes annes soixante-dix a quelque peu masqu le

    besoin dun contre-gouvernement. Aujourdhui ilme parat imprieux.Observons quaprs les dernires lections lgis-latives, le PS a tch dy avoir nouveau recours, linstigation de Jean-Marc Ayrault, prsident dugroupe lAssemble mais que la chose na gureprospr. On peut mme dire quelle na dur,devant lopinion, que lespace dun matin. Or,cest bien regrettable. Non quil sagisse doffrir divers lus lagrable frisson de se sentir ministre

    in partibus, ni de rien promettre personne pour lasuite. Mais lavantage est multiple.Dabord il est bon de sassurer quaux yeux de lopi-nion, et des mdias qui tout la fois lexprimentet qui linfluencent, une personnalit ait vocation,domaine par domaine, travailler les dossiers enprofondeur puis sexprimer en toute occurrence,lorsque la question quil a davance approfondiesurgit devant lopinion, en face face directe avecles membres du gouvernement en place, et par l

    sassure notamment que les grands mdias, lesjournaux tlviss du 20 heures par exemple,seront vous laccueillir quasiment part gale.Ensuite il est heureux que quelquun ait vocation,dans chaque domaine, protger la gauche, aprs

    Il est bienvenu quun lieu soit spcialementvou grce une petite quipe rassemble

    temps plein autour de chaque contre-ministre rassembler les multiples

    suggestions fcondes que jai voques plushaut et qui viennent de la socit civile , de

    tous ceux qui prouvent dsagrablementque la fcondit de leur exprience

    et de leur imagination ne trouve pasun accueil suffisant dans un parti accapar

    par ses bisbilles intrieures.

    Mai 1981 : sur quelques leons dune victoire

    Relu ces temps-ci, le livre dentretiens deMitterrand avec Guy Claisse, Ici et maintenant,

    raliss durant lt 1980, prend sa pleineporte. Il prvient ds louverture que

    fidle, assurment, aux choix de son parti,il sy exprime comme il lentend et ny engage

    que lui-mme . Ds lors quaujourdhui lesprimaires sannoncent comme heureusement

    ouvertes bien au-del des seuls militantsdu PS, voil bien un principe

    qui mrite dtre revivifi.

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    avoir beaucoup consult la ronde, contre unecacophonie dont lopinion de gauche se chagrineraet dont le camp adverse fera ses dlices.Il est aussi bienvenu quun lieu soit spcialementvou grce une petite quipe rassemble

    temps plein autour de chaque contre-ministre rassembler les multiples suggestions fcondesque jai voques plus haut et qui viennent de la socit civile , de tous ceux qui prouvent dsa-grablement (ce fut frquent ces derniers temps)que la fcondit de leur exprience et de leurimagination ne trouve pas un accueil suffisant dansun parti accapar par ses bisbilles intrieures. Ilapparat clairement que la responsabilit partageentre les secrtaires nationaux du PS ny suffit pas,

    faute que la plupart, fort occups dautre part, aientle loisir dy consacrer assez de temps et dnergie etdapparatre clairement devant lopinion.Ajoutons enfin que si cette instance dun contre-gouvernement tait pose comme devant dpasserles frontires du seul Parti socialiste, elle habi-tuerait, non sans profit intellectuel et humain, lescomposantes dune future majorit se retrouverautour des questions concrtes, et pas seulementdes accords dappareils, et prsenter aux lecteurs

    un front uni, qui, sans gommer la prcieuse diver-sit de leurs inspirations, annoncerait utilementla future conjugaison de leurs divers dynamismes.Sans compter que cela pourrait aider viter le trop-plein de candidatures sur lequel la chronique de1981 informe utilement. Et dissiper lillusion du rteau sur laquelle il faut sarrter un instant.Mitterrand chercha en vain, par le truchement deMaurice Faure, dtourner le radical de gaucheMichel Crpeau de son intention de se prsenter au

    premier tour. Il navait pas les moyens de dissuaderHuguette Bouchardeau pour le PSU ou ArletteLaguiller pour Lutte ouvrire. Mais Alain Krivine aracont comment, tonn de constater que le PS nelaidait pas, alors quil comprenait quon le lui avaitpromis, recueillir les 500 signatures lui permet-tant de se prsenter au nom de la Ligue commu-niste rvolutionnaire, il alla voir Mitterrand rue deBivre. Celui-ci fit ltonn, dit quil allait donner

    des instructions pour corriger cela et, bien entendu,il nen fit rien, laissant le leader gauchiste hors dujeu.Renonons dcidment, partir de ce rappel, dontla force est renforce par le sombre prcdent du

    21 avril 2002, lide fallacieuse selon laquelle cefameux rteau au premier tour permettrait derassembler plus large au second. Les blessures nesdes affrontements sont plus graves que ne sont avan-tageuses les connivences ultrieures escomptes.Que plusieurs sensibilits de la gauche soientreprsentes au premier tour, cest probablementinvitable ; on ne peut pas toujours, mme si cestregrettable, en revenir au prcdent de 1965 qui vitle PC soutenir Mitterrand ds le premier tour. Mais

    que lon sache que le nombre des petites candi-datures doit tre rduit au minimum possible, partous les ressorts de la ngociation et de la sagesse.

    Concordance des temps

    Comme il le fera en 1988, avec une vigueur,pour ne pas dire une violence qui en tonnera

    beaucoup, Franois Mitterrand a choisidancrer sa campagne de 1981 fermement

    gauche, sans nulle concession la crainte demcontenter des centristes. Au premier tour on

    se diffrencie, au second on largit.

    Aux sources primordialesde la gauche

    Comme il le fera en 1988, avec une vigueur, pourne pas dire une violence qui en tonnera beaucoup,

    Franois Mitterrand a choisi dancrer sa campagnede 1981 fermement gauche, sans nulle concession la crainte de mcontenter des centristes. Au premiertour on se diffrencie, au second on largit. Rglede toujours. Telle est bien la logique que doiventinspirer la gauche les institutions de 1958-1962.Cela est vrai en 1980-1981 dans un climat qui nestpas si loin du ntre puisque le pouvoir alors enplace, qui avait lorigine conduit quelques rformes

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    socitales louables, drive prsent vers les posi-tions dune droite dure. Le septennat de GiscarddEstaing sest achev, comme la bien not RenRmond, dans un raidissement conservateur dont on trouve aisment lquivalent aujourdhui,

    pour dire le moins. Par exemple dans le domaine dela Justice : songeons la fameuse loi Scurit etlibert , adopte en dcembre 1980, avec laggra-vation des peines de toute sorte, le refus de remettreen cause la peine de mort, et laccent mis de maniredmagogique sur les rparations compassionnelles offrir aux victimes plutt que sur la recherche delquit au service de lquilibre de la socit.Franois Mitterrand, au nom de la gauche, ne secroit nullement contraint, dans ce champ, de courir

    derrire la peur deffaroucher une opinion inquitedune suppose monte des violences au quotidien.Il affiche au contraire une rigoureuse fidlit auxvaleurs fondamentales de la gauche. Il dnonce,dans son livre dentretiens dj cit, Ici et main-tenant, achev en octobre 1980 et paru la fin delanne, les auteurs de cette loi faisant le procs-spectacle de la violence . Il faut du temps,explique-t-il, pour que lopinion publique, surtoutquand elle tremble pour sa scurit, sache dmler

    dans la rpression du dlit ou du crime le momento commence labus de droit .On doit surtout faire un sort la question de la peinecapitale, hautement reprsentative. Lannonce ult-rieure faite par Mitterrand la tlvision, lors delmission Cartes sur tables , le 16 mars 1981,avec Alain Duhamel et Jean-Pierre Elkabbach,annonce qui inquite autour de lui les esprits tropprudents dont lil est riv sur les sondages et selonlaquelle, une fois lu, il abolira la peine capitale

    (dans la ligne de Hugo, de Jaurs, de Clemenceau,dAlbert Camus) claire sa stratgie. Dire le vrai,le simple, le clair, quand bien mme les sondagespourraient pousser ailleurs, cest faire confiance auxvertus de sa propre pdagogie, la possible mobi-lit des opinions mieux claires et une estimedu peuple pour la franchise et pour la fidlit auxprincipes fondamentaux qui ont nourri le parti dumouvement depuis la fin du XVIIIesicle.

    Je ne vois pas, en dpit de certains murmures, lequeldes candidats potentiels dont le nom est voquavant les futures primaires pourrait tre gn devantla perspective dune campagne fortement colore de

    la sorte. Et dores et dj on aimerait quune gauchelargement unie sexprime solennellement, sanssectarisme ni excs de prudence, un thme parconfrence de presse , sur tous les sujets quap-pellent en plein jour les dbordements dsordonnsdun chef de ltat qui dconstruit la Rpu-blique et qui nont pas toujours t fustigs, en face,dune manire assez solennelle et coordonne. Tels,entre autres, lhritage lumineux de 1789 et 1794corn, la lacit pitine Rome et Ryad puis

    dtourne de son sens profond aux dpens desFranais musulmans, le mpris affich des institu-tions rpublicaines et de la haute fonction publique,la dgradation profonde de linfluence culturelle dela France ltranger (ah ! le gchis mexicain !), laJustice humilie, la vulgarit des comportementsden haut (ah ! ce tutoiement universel !), les droitsde lhomme insults au-dedans et lamiti franco-allemande rabaisse au-dehors, la Rpublique ensomme agite comme dans une publicit pour un

    soda lorangeLHistoire rappelle une chose simple, en dfinitive,par-del le cas particulier de 1981 : chaque fois queles choses ont t dites haut et fort, dans le pass,sujet par sujet, par la gauche mlant le calme desvieilles troupes et la fracheur des indignationsjuvniles, elle a su toucher les curs et clairerles intelligences, jusquau point, quelquefois, demriter le pouvoir.

    Mai 1981 : sur quelques leons dune victoire

    Dire le vrai, le simple, le clair, quand bienmme les sondages pourraient pousser ailleurs,

    cest faire confiance aux vertus de sa proprepdagogie, la possible mobilit des opinionsmieux claires et une estime du peuple pour

    la franchise et pour la fidlit aux principesfondamentaux qui ont nourri le parti dumouvement depuis la fin du XVIIIesicle.

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    Jean Glavanyest dput des Hautes-Pyrnes.

    Il a t chef de cabinet de Franois Mitterrand de 1981 1988

    La campagne prsidentielle de 1981

    0 ans aprs et lapproche delchance si fondamentale de 2012,

    un retour sur lvnement inoubliable que fut

    la grande victoire lectorale de la gauche en1981 peut la fois fournir des leons delexprience et donner un clairage pourprparer au mieux ce prochain rendez-vous.

    1981 fut assurment la campagne prsidentielle qui,depuis 1962 et linstauration de llection prsiden-tielle au suffrage universel, a vu le dispositif poli-tique des socialistes la fois le plus cohrent etle plus pertinent. Cette cohrence a t construite

    autour des trois clefs politiques qui forment ce quejappelle le trinme du succs : un candidat crdible, reconnu et incontestable (

    dfaut dtre incontest jy reviendrai) ; une cohrence politique absolue entre le candidat

    et le parti, tant du point de vue du projet politique(le projet socialiste sous-tendait directement leprogramme du candidat, intitul les 110 proposi-tions ), que de celui du positionnement politique ;

    3 une stratgie politique, celle de lUnion de laGauche qui, il est vrai, lpoque, ne concernaitque 3 partenaires (PS, PC, MRG) et qui, mme si

    elle tait conteste par notre principal partenaire(le PC) depuis 1978, et si elle ne sest traduiteque par des accords de dsistement pour lautre(il y eut un candidat MRG au premier tour de1981), tait clairement affiche et revendiquepar le candidat et le parti. Au point que si lagauche se prsenta en ordre dispers au premiertour (avec les 5 candidatures de FranoisMitterrand, Georges Marchais, Michel Crpeau,Huguette Bouchardeau et Arlette Laguiller, six

    si on ajoute la candidature cologiste de BriceLalonde), ce positionnement unitaire permitde faciliter dexcellents reports de voix audeuxime tour.

    Pour information, rappelons les rsultats du premier

    tour : droite : Valry Giscard dEstaing (28,32 %),

    Jacques Chirac (18 %), Michel Debr (1,66 %),Maire-France Garraud (1,33 %) ;

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    gauche : Franois Mitterrand (25,85 %),Georges Marchais (15,35 %), Arlette Laguiller(2,3 %), Huguette Bouchardeau (1,11 %) et Brice

    Lalonde (3,88 %).On sourit devant ce score de presque 16 % ducandidat PC. Mais les historiens savent que cestseulement trois ans auparavant, aux lections lgis-latives de 1978 que le score du PS dpassa celui duPC pour la premire fois depuis des dcennies !La question dorganisation en 1981 a t tranchede la faon la plus simple qui soit : le comit decampagne, ctait le bureau excutif ! Le sigede la campagne, ctait le sige du parti, rue de

    Solfrino ! (ce qui fait sourire quand on a entendusi rgulirement depuis, les thses sur le thme ilne faut pas mlanger les genres et bien sparer leschoses !) Quant au directeur de campagne, cefut lun des principaux dirigeants du parti (PaulQuils). Il y avait osmose totale entre le candidat duparti et le staff de campagne. Mais ma convictionest, depuis toujours, que les questions dorganisa-tion, aussi importantes soient-elles, psent de peude poids par rapport aux critres politiques et que

    cest toujours la politique qui prime, dans quelquesens que ce soit. Cest pourquoi je voudrais avancerquelques rflexions sur 1981 claires parfois parlexprience de 2002 dautant quaprs avoir t au cur des deux campagnes de 1981 et 1988,dans le premier cercle de Franois Mitterrand, jaiaussi t, en 2002, directeur de campagne pourla plus grande dfaite de la gauche aux lectionsprsidentielles avec labsence de notre candidat

    au deuxime tour. L aussi, l encore, quelques retours dexprience teinteront mes rflexions.

    1. Pour commencer, je voudrais dire quel pointje trouve que 1981 et 2012 se ressemblent tran-

    gement dun point de vue des circonstances poli-tiques : la droite au pouvoir et la gauche danslopposition depuis trs longtemps (23 ans en 1981,17 en 2012), le candidat sortant qui est la finde son premier mandat, aprs stre fait lire sur lethme du changement ou de la rupture dans lacontinuit , et lissue dun mandat o la rupturemorale est spectaculaire. Ce nest quune rflexionen passant. Je ne voudrais pas quelle laisse trop deplace loptimisme

    2. La question du calendrier de la campagne amne regarder 2012 laune de 1981 dune faondistancie. L encore un regard rtrospectif nouspermet de regarder 2012 avec le sourire : en effeten 1980, les amis de Michel Rocard souhaitaientune acclration du calendrier de dsignation ducandidat socialiste. Le parti a rsist cette pres-sion. De fait, Mitterrand ne sest dclar que finnovembre 1980, a disparu ensuite un mois et demi

    (voyage aux USA et participation au congrs duParti travailliste isralien en dcembre) et, sil sereplonge dans la vie politique franaise pour treinvesti par le parti Crteil fin janvier et pour ungrand meeting (immense !) la Porte de Versailles lesoir mme, il repart aussitt ltranger (en Chineen fvrier, et, mme, dbut mars, avec Willy Brandten Allemagne pour un plerinage sur la route deses trois vasions du stalag IX A). La campagne

    La campagne prsidentielle de 1981

    La question dorganisation en 1981a t tranche de la faon la plus simple qui

    soit : le comit de campagne, ctait le bureauexcutif ! Le sige de la campagne, ctait le

    sige du parti, rue de Solfrino !Quant au directeur de campagne, ce fut lun des

    principaux dirigeants du parti (Paul Quils).Il y avait osmose totale entre le candidat

    du parti et le staff de campagne.

    Tous ceux qui racontent quil faut au moinssix mois et mme un an ou presque pour fairecampagne oublient cette leon de lhistoire : la

    grande victoire de 1981 fut acquise par une descampagnes les plus ramasses de lhistoire :

    du 7 mars au 26 avril (date du premier tour)elle ne dura quun peu plus dun mois et demi

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    ne commena rellement pour lui que le 7 mars Beauvais. Tous ceux qui racontent quil faut aumoins six mois et mme un an ou presque pourfaire campagne oublient cette leon de lhistoire :la grande victoire de 1981 fut acquise par une des

    campagnes les plus ramasses de lhistoire : du7 mars au 26 avril (date du premier tour) elle nedura quun peu plus dun mois et demiDeux remarques relatives au droul de la campagnemritent dtre faites : La premire cest que Franois Mitterrand a

    partag sa campagne en deux parties distinctes : la premire partie, avant le premier tour, fut

    essentiellement marque par la volont de mobi-lisation et, donc, par lorganisation de grandes

    runions lectorales. Ce fut une vraie campagnede premier tour , celle qui a tant manqu en2002 ;

    la seconde partie, entre les deux tours, futplus thmatique, le candidat allant sur le terrain,dans des situations prcises, cibles scientifique-ment aprs ltude des rsultats du 1er tour, afinde dvelopper, dune manire courte, quelquespropositions programmatiques : femmes, artisans,personnes ges, jeunes travailleurs furent ainsi

    particulirement touchs par la campagne deFranois Mitterrand. Cest ce que nous avons fait, contretemps, pour la campagne du premier touren 2002.

    La seconde c'est que Franois Mitterrand avaitannonc ses collaborateurs et aux dirigeantsdu parti quil ne ferait que quelques grandsmeetings La pression de la demande et lacomplicit du directeur de campagne a aboutiau rsultat inverse : il en aura tenu prs dune

    trentaine en deux mois.

    3. Troisime rflexion : jentends beaucoup direque Mitterrand tait le candidat naturel , celui dont la candidature coulait de source ! L encorecest oublier lhistoire : lt 1980, personne jedis bien personne ! ne savait si Mitterrand seraitcandidat ou pas. Mieux : je peux tmoigner que finseptembre 1980, Jacques Attali affirma devant une

    dizaine de personnes dont je faisais partie : jeviens de passer deux heures avec lui ; ce coup-ci

    jen ai la confirmation il ne sera pas candidat ! .Visionnaire. Dautres que moi (Lionel Jospin, PierreJoxe) peuvent tmoigner de cette totale ignorancecollective sur les vritables intentions de FranoisMitterrand. Cest tellement vrai que la majorit duparti se divisait quant lattitude adopter faceau silence de Franois Mitterrand : pour un Jospinqui voulait respecter son libre choix, un Poperenfaisait pression sur le thme vous ne pouvez pasne pas tre candidat , tandis quun Chevnement

    nexcluait rien pour lui-mme . Autre leonpour 2012, complmentaire de celle du calendrier,quant lindcision collective. Elle pourrait aider garder ses nerfs

    4. Ma quatrime rflexion sur 1981 tient la pr-campagne de 1979-1980 et aux sondages de cettepriode. Je garde toujours prcieusement chez moile recueil ahurissant des sondages de 1980 prsen-tant les candidatures concurrentes de Franois

    Mitterrand et Michel Rocard. Cest difiant, stup-fiant et, bien des gards, drisoire ! Il ny avaitpas photo comme lon dit aujourdhui et deloin, vraiment trs loin : seul Rocard pouvait battreGiscard et Mitterrand navait strictement aucunechance de lemporter. Il faut se souvenir de cettepriode de tension extrmement brutale qui a faitvaciller ldifice socialiste, jusqu la fin du moisde novembre 1980 lorsque, Louis Mermaz prsi-

    La majorit du parti se divisait quant lattitude adopter face au silence de Franois

    Mitterrand : pour un Jospin qui voulaitrespecter son libre choix, un Poperen faisait

    pression sur le thme vous ne pouvez pas nepas tre candidat , tandis quun Chevnement

    nexcluait rien pour lui-mme . Autreleon pour 2012, complmentaire de celle du

    calendrier, quant lindcision collective. Ellepourrait aider garder ses nerfs

    Concordance des temps

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    dent du Comit directeur du parti, ayant lu, en toutdbut de runion de celui-ci, le message de FranoisMitterrand acceptant de soumettre sa candidatureaux suffrages des militants , Michel Rocard tenupar son engagement du congrs de Metz ( je ne

    serai pas candidat contre Franois Mitterrand ),annona aussitt son retrait. Mais auparavant, cefut un an et demi de pression mdiatique et sonda-gire dune violence inoue. Soyons honntes : je nesais pas si Michel Rocard laurait emport sil avaitt dsign. Laffirmer ou le nier serait malhonnte.Mais je sais deux choses : Les sondages disaient avec violence que

    Mitterrand n'avait aucune chance de l'emporter.Aucune.

    Si on avait organis des primaires mobilisantnos sympathisants et les lecteurs socialistes, en1980, mon intuition est que Rocard aurait tdsign.

    5. Cest pourquoi je me permets une autre remarquesur les rapports entre cette bulle sondagire et la ncessit dentrer en campagne en dyna-mique Nous avons gagn en 1981 aprs queMitterrand a t trs bas dans les sondages en

    dbut de campagne. la fin de lt 1980, avantque Franois Mitterrand ne prenne sa dcisiondtre candidat, lensemble des sondages simu-lant une lection prsidentielle taient extr-mement dfavorables : en intentions de votes aupremier tour, Valry Giscard dEstaing avoisinaitou dpassait les 35 %, tandis que lui restait endessous de la barre des 20 % o Marchais le talon-nait Franois Mitterrand ne sen offusqua pas :il savait que Valry Giscard dEstaing tait encore

    peru comme Prsident, quil ntait pas lui-mmeperu comme candidat potentiel et il compta sur leffet-campagne . Son calcul fut le bon : ds lafin de lanne 1980, les sondages samliorrent eteurent, sans doute, un effet motivant non ngli-

    geable sur les militants, doubl dun effet boule

    de neige sur llectorat. Dailleurs, dans le livreIci et maintenant, interrog sur ce point, il avaitprvu ce retournement de tendances des sondages : Jai commenc la campagne de 1965 avec 11 %des intentions de vote, de Gaulle avec 63 %. Jelai termine 45 %, de Gaulle 55. Un sondage,quinze jours avant le premier tour plaait Lecanuetavant moi. Jai eu deux fois plus de voix que lui.Peu de mois avant la campagne de 1974, quatresondages accordaient plus de 60 % des suffrages

    Giscard et moi moins de 40, jai fini 49,2, lui 50,8. Poher dans les premiers sondages de 1969crasait Pompidou ; Pompidou a t lu. () Sonentre en campagne sest faite sur une dynamiquede monte dans les sondages. En 2002 et 2007,nous avons perdu, alors mme que les sondagespour Lionel Jospin et Sgolne Royal taientlevs et faisaient deux des favoris et mme, dansune certaine mesure les seuls pouvoir battrele candidat de droite . L encore sachons raison

    garder et tirer les leons de lhistoire.Au-del de ces rflexions, je voudrais revenir lessentiel : cest bien la cohrence du dispositifsocialiste qui fut la clef de notre russite collective.Puissions-nous, en 2012, en retenir la leon.

    Jai commenc la campagne de 1965 avec11 % des intentions de vote, de Gaulle avec

    63 %. Je lai termine 45 %, de Gaulle 55 %. Un sondage, quinze jours avant le

    premier tour plaait Lecanuet avant moi. Jaieu deux fois plus de voix que lui. Peu de moisavant la campagne de 1974, quatre sondages

    accordaient plus de 60 % des suffrages Giscard et moi moins de 40, jai fini 49,2,

    lui 50,8. Poher dans les premiers sondages de1969 crasait Pompidou ; Pompidou a t lu.

    Franois Mitterrand

    La campagne prsidentielle de 1981

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    Retour sur le 10 mai

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    Pierre Mauroya t Premier ministre de 1981 1984

    Lesprit de mai 1981

    epuis toujours, la marche du tempset des hommes a t marque par

    des priodes plus ou moins longues de recul,

    voire danantissement, ou, au contraire, parde grands moments qui ont clair laveniret qui sont devenus des repres intangibles.Ces grands moments ne constituent pas seule-ment des dates dans les livres dhistoire queles professeurs font apprendre aux coliers.Ils sont le produit de laction des hommes, etparticulirement celui de la rencontre entrela volont, le courage et lenthousiasme dunpeuple et le destin dhommes et de femmes

    qui ont pressenti les lignes de force des muta-tions venir, qui ont su les orienter et lessublimer.

    Le XXesicle na pas t avare de cette loi de lHis-toire. Ds les premires annes, la guerre de 1914a boulevers lordre prvisible. Jaurs, sil avaitvcu, aurait-il pu tre entendu et viter le carnage ?Trente ans plus tard, la Seconde guerre mondiale

    D aurait pu conduire au pire si le gnral de Gaullenavait t cout et suivi. Il a redonn son honneur une France la drive. La Libration, quil a

    permise, a fait merger un renouveau politique,social et culturel indit auquel on se rfre encoreaujourdhui. Bien quil lui ait t trs oppos sur leplan politique, il nest pas draisonnable de consi-drer que Franois Mitterrand, accdant au pouvoirvingt-trois ans aprs lui, peut, dune certaine faon,lui tre compar. En effet, il a su rpondre auxattentes de la grande majorit du peuple franaisqui souhaitait tre libr de la chape de plomb qui

    Mai 1981 sinscrit au haut de lHistoire nonseulement parce que la victoire a t clatante

    mais parce que, comme la Libration, ellea inaugur une re nouvelle qui sest inscrite

    dans le temps et dont les valeurs quellea portes irriguent toujours le prsent et

    imprgneront, coup sr, les temps venir.

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    lappui de ceux-l mme qui les avaient vivementcombattues. Plbiscites par les Franais, elles ontt approfondies par tous les gouvernements quise sont succds depuis, de droite et de gauche, lexception du gouvernement Fillon qui, en 2010,

    a opr une recentralisation qui nose pas dire sonnom. Mais, nen doutons pas, ce retour en arrireest vou lchec tant laspiration des habitants participer directement aux dcisions qui les concer-nent dans leur vie quotidienne reste vive. De mme,la dmarche dcentralisatrice a t lorigine delpanouissement des villes franaises, malheu-reusement encore insuffisant pour leur permettrede se hisser la hauteur des grandes mtropoleseuropennes. Mais le mouvement est lanc et il ne

    sarrtera pas.Le mme souffle de libert a redonn sa vigueur auministre de la Culture. Deux mesures rsument elles seules lesprit de mai 1981 dans ce domaine.Qui remettrait en cause le prix unique du livre quia relanc le got de la lecture et permis aux petiteslibrairies de survivre ? Qui mettrait un terme lafte de la musique qui a fait flores et qui est orga-nise dsormais dans de trs nombreuses villesdans le monde ? Ce dynamisme culturel a large-

    ment contribu promouvoir la cration franaisedans le monde entier et y diffuser les idaux dela gauche.Sur le plan de la justice sociale, on mesure quelpoint les Franais sont rests attachs aux avancesralises sous le gouvernement que jai dirig, etnotamment la retraite soixante ans qui a cons-titu leurs yeux un progrs auquel ils ont prouvrcemment quils nentendaient pas renoncer. De

    Lesprit de mai 1981

    pesait sur la socit franaise aprs un rgne sanspartage pendant de si longues annes dune droitetrs conservatrice. lvidence, mai 1981 sinscritau haut de lHistoire non seulement parce que lavictoire a t clatante mais parce que, comme la

    Libration, elle a inaugur une re nouvelle qui sestinscrite dans le temps et dont les valeurs quelle aportes irriguent toujours le prsent et imprgne-ront, coup sr, les temps venir. En effet, mmesi la droite aujourdhui au pouvoir tente chaque jourde les remettre en cause, elles sont profondmentinscrites dans la conscience collective des Franaiset graves dans leur mmoire.Avec le recul du temps, lhritage de ce grandmoment de notre Histoire apparat avec plus de

    force encore. Mai 1981 a fait souffler sur la Franceun vent de libert et de dmocratie qui sest insinudans tous les rouages de la socit et qui, au-del,a promu une vision du monde fonde sur la justicesociale, les droits de lhomme, lgalit relle etparticulirement lgalit entre les femmes et leshommes, et le progrs conomique. Ainsi, commeun symbole fort des valeurs nouvelles, il est signi-ficatif que lune des premires lois votes dsnovembre 1981 ait mis un terme la barbarie de

    la peine de mort. Son abolition en France a servidexemple et provoqu un mouvement similaire enEurope qui a conduit le Conseil de lEurope faireadopter un protocole la convention de sauvegardedes droits de lhomme et des liberts fondamentalesinterdisant la peine de mort dans tous les tatssignataires.Ce sera aussi la libration des ondes dans unformidable mouvement de libert dexpression etde cration qui na cess de se dvelopper, notam-

    ment depuis larrive des nouvelles technologies delinformation et de la communication. Librationgalement des territoires par une dmarche dcen-tralisatrice indite en France dont toute lhistoiredes collectivits territoriales avait t marquejusqualors par un centralisme qui touffait les luslocaux soumis la tutelle du prfet et vidait la vielocale de toute initiative propre. Les lois de dcen-tralisation de 1982-1983 ont reu au fil du temps

    Sur le plan de la justice sociale, on mesure quel point les Franais sont rests attachs

    aux avances ralises sous le gouvernementque jai dirig, et notamment la retraite

    soixante ans qui a constitu leurs yeux unprogrs auquel ils ont prouv rcemment quils

    nentendaient pas renoncer.

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    mme, linstauration du premier ministre partentire des Droits de la femme a engag un mouve-ment qui perdure pour lgalit et la parit que pluspersonne ne remet en cause, du moins dans lesmots. Certes, elles sont encore loin dtre atteintes

    concrtement, mme si des progrs ont t accom-plis. Mais il est clair, par exemple, que la loi de1983 sur lgalit professionnelle a servi de socleaux lois qui ont suivi et qui ont renforc la lgisla-tion en faveur de lgalit entre les femmes et leshommes dans le monde du travail. Elle nest pastrangre non plus au vote de la loi sur la paritdans la sphre politique en 2000.Lhritage de mai 1981, cest aussi le choix irr-versible, en 1982, de lUnion europenne qui a

    permis sa remise en route en ouvrant la voie autrait de Maastricht, leuro et une Europe pluspolitique qui tarde cependant devenir ralit.Mais la ncessit se fait sentir chaque jour davan-tage, particulirement depuis la crise financireet conomique qui a frapp le monde en 2008 etdont toutes les consquences nen sont pas encoremesures, de renforcer lUnion, voire de redfinirson projet pour ladapter la nouvelle donne inter-nationale marque notamment par une concurrence

    conomique mondiale dune ampleur encore jamaisatteinte.Au total, larrive de la gauche au pouvoir en Francea opr la modernisation du pays non seulementdans ses structures conomiques et sociales maisaussi dans ses institutions et son fonctionnementpolitiques en installant lalternance dmocratique, limage des grandes dmocraties europennes. LeParti socialiste, notamment, est devenu le grandparti de la gauche franaise, dot dune culture de

    gouvernement quil navait eue que peu loccasiondacqurir auparavant. Son accession au pouvoiren mai 1981 lui a permis den finir avec lex-prience reste inacheve de 1936 et dcrireune nouvelle page de son histoire et de celle de laFrance et de lEurope en prenant appui sur luvrede Lon Blum, en la poursuivant, voire en la dpas-sant. La gauche a inscrit son action dans la dureet a acquis sa lgitimit gouverner le pays sur le

    long terme. Elle la fait dans un esprit de rforme,avec le souci dtre fidle son idal progressiste

    tout en affrontant les dures ralits de la gestiondun grand pays et cherchant concilier progrssocial et modernisation de lappareil de productionqui avait pris un retard considrable.Aujourdhui, face lchec patent de la droiteet dans un monde en complet bouleversement,la gauche, et notamment le Parti socialiste, est nouveau prte affronter les redoutables dfis dusicle naissant. En trente ans, en effet, le mondea beaucoup chang. Le Mur de Berlin est tomb,

    de nouvelles puissances politiques et conomiquesmergent, ainsi que de nouvelles ralits socialeset humaines. Le dveloppement de la mondialisa-tion saccompagne, en outre, dune acclration desvnements, parfois inattendus comme ceux quiagitent actuellement le Proche et le Moyen-Orient.Il est urgent que la France renoue avec lesprit demai 1981, conqurant, rassembleur et gnreux,qui lui a permis de progresser et de reprendreconfiance en elle. Dans un monde devenu complexe

    et imprvisible, des repres humanistes simposentpour prvenir toute tentation extrmiste. Seul unretour de la gauche au pouvoir en France, fidle ses valeurs dmocratiques, peut nouveau consti-tuer un exemple et un appui pour tous ceux qui, enFrance, en Europe et dans le monde, les partagentet veulent quelles guident le monde. Pourra-t-onbientt parler dun esprit de 2012 ? On ne peutque le souhaiter.

    Le Parti socialiste est devenu le grand partide la gauche franaise, dot dune culturede gouvernement quil navait eue que peu

    loccasion dacqurir auparavant. Son accessionau pouvoir en mai 1981 lui a permis den finiravec lexprience reste inacheve de 1936

    et dcrire une nouvelle page de son histoireet de celle de la France et de lEurope en

    prenant appui sur luvre de Lon Blum, en lapoursuivant, voire en la dpassant.

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    Yvette Roudya t ministre des Droits de la femme de 1981 1986

    Ctait il y a trente ans

    En prenant mes fonctions dans ceministre des Droits de la femme,

    ministre de mission atypique, sorte dobjet

    ministriel non identifi, javais lesprit lesmots de Lon Blum que Franois Mitterrandnous avait un jour rappels : le plus difficiledoit tre fait dans les six premiers mois .

    Cest pourquoi peine installe, je lanai sanstarder une campagne dinformation sur la contra-ception et le dossier du remboursement de lIVG.Initiatives prvues dans les 110 propositions duPrsident de la Rpublique pendant sa campagne,

    dont leffet immdiat fut de faire se lever mes oppo-sants les plus froces : la droite traditionnelle etlglise catholique romaine la plus conservatrice.Mais javais pour moi lintime conviction que lajustice tait de mon ct. Ces mesures taient atten-dues impatiemment par celles et ceux qui croyaienten nous. Non sans navet, je pensais que les lec-teurs du Prsident avaient tous lu son programme.Pendant des annes nous avions discut, multipli

    E les tudes, les conventions, les congrs. Nous avionstravaill avec les Europens les plus progressistes.Je me souviens dun sminaire dtude voulu par

    Franois Mitterrand, Chantilly avec Olof Palmeet son quipe, qui venaient juste de perdre leslections en Sude. Nous pensions que tout taitpossible. Nous ne doutions de rien. Nous tions lpour changer la vie . Et javais pour charge laredoutable mission de changer celle des femmes.

    Aprs la campagne dinformationsur la contraception et le remboursement de

    lIVG, se sont succdes la loi sur lgalitprofessionnelle, louverture des mtiers dits

    masculins jusqualors ferms aux femmes,lgalit entre poux en matire de biens,

    le recouvrement effectif des pensionsalimentaires, un statut des pouses

    dartisans et de commerants, diversescampagnes dinformation

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    Cest ainsi que pendant cinq ans (de 1981 1986)avec passion, jai conduit une srie de grandes loiset de mesures en faveur des femmes. Nous devionsrattraper le srieux retard qui nous sparait desautres pays europens. Je lavais constat lors de

    mon passage au Parlement de Strasbourg o javaissig de 1979 1981.Aprs la campagne dinformation sur la contracep-tion et le remboursement de lIVG, se sont succ-des la loi sur lgalit professionnelle, louverturedes mtiers dits masculins jusqualors ferms