La représentation de l’âme de la Vierge dans la Dormition ...

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九州大学学術情報リポジトリ Kyushu University Institutional Repository La représentation de l’âme de la Vierge dans la Dormition : d’après les notes d’Émile Mâle 加藤, 靖恵 名古屋大学大学院人文学研究科 : 准教授 https://doi.org/10.15017/2203037 出版情報:Stella. 37, pp.1-18, 2018-12-18. Société de Langue et Littérature Françaises de l’Université du Kyushu バージョン: 権利関係:

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La représentation de l’âme de la Vierge dansla Dormition : d’après les notes d’Émile Mâle

加藤, 靖恵名古屋大学大学院人文学研究科 : 准教授

https://doi.org/10.15017/2203037

出版情報:Stella. 37, pp.1-18, 2018-12-18. Société de Langue et Littérature Françaises del’Université du Kyushuバージョン:権利関係:

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La représentation de l’âme de la Viergedans la Dormition :

d’après les notes d’Émile Mâle

Yasué KATO

L’iconographie médiévale concernant la Vierge est largement fondée sur la légende qui introduit des anecdotes absentes du texte du Nouveau Testament. La mère du Dieu, qui « se montrait rarement dans les vieilles églises romanes », devient l’un des thèmes principaux des vitraux et des façades des cathédrales françaises à partir du XIIIe siècle 1). Dans son premier livre, Émile Mâle consacre une trentaine de pages à la Vierge

(L’Art religieux du XIII e siècle en France, thèse de doctorat publiée en 1898, chapitre III « Les traditions légendaires sur l’Ancien et le Nouveau Testament »), en particulier à l’histoire de sa mort, suivie de son Ascen‑sion et de son couronnement, qui est « tout entière apocryphe » 2). Il s’agit du sujet préféré des tympans et des linteaux des portails lui étant con‑ sacrés. Dans des notes de bas de pages, Mâle énumère d’abord des exemples iconographiques concernant cette histoire :

description œuvres citées1 les églises consacrées à la Vierge montrant « son

couronnement à la place d’honneur, dans un tympan, dans un pignon, dans un gâble de la façade » (pp. 320‑321)

« Chartres (tympan de la porte centrale, façade du nord) ; Reims (gâble du portail central) ; Laon (portail central) ; Bourges (à droite du portail central) ; Sens (id.) ; Rouen (dans le pi‑gnon qui est au‑dessus de la rose du portail de la Calende) ; Auxerre (façade ; tympan de la porte de gauche) ; Paris (façade, tympan de la porte de gauche). Noyon (portail de droite, tym‑pan à peine visible) »vitraux : « Lyon (vitrail central de l’abside). Troyes (vitrail de l’abside). (n. 1 de la page 321)

2 « Le couronnement de la Vierge a été sculpté jusqu’à trois fois dans la seule cathédrale de Paris » (p. 321)

« Paris : porte de gauche (façade occidentale) ; porte rouge (tympan) ; bas‑reliefs du mur sep‑tentrional. » (n. 2)

3 « et cinq bas‑reliefs y sont consacrés à sa mort et à son Assomption » (ibid.)

« Tympan du portail de gauche de la façade occidentale, et les bas‑reliefs du mur septen‑trional. » (n. 3)

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Nous nous intéresserons surtout, à l’instar de Mâle, à la représentation de l’âme de la Vierge dans cette histoire. Le récit de sa mort remonte aux versions arabes qui sont présentées à « l’Église des Gaules » par Grégoire de Tours :

[…] Apprenant qu’elle [la Vierge] allait être enlevée du monde, ils [les apôtres] veillaient avec elle, et voici que le Seigneur survint escorté de ses anges, et recevant l’âme de Marie, il remit à l’archange Michel, et se retira. Au point du jour, les apôtres levèrent le corps avec la couche, le lacèrent dans le tombeau et le gardèrent, attendant l’arrivée du Seigneur. Tout à coup Jésus leur apparut de nouveau, et, enlevant ce corps sacré sur un nuage, il le fit transporter ainsi dans le paradis, où maintenant, ayant repris son âme, Marie savoure avec les élus de Dieu les biens de l’éternité qu’aucune fin ne saurait atteindre. 3)

Ce texte sera reproduit au XIII e siècle dans La Légende doré de Jacques de Voragine. Accueillant Jésus dans son lit de mort, l’âme de Marie « sortit de son corps et s’envola dans les bras de son Fils ». Les « bien‑heureux » transportèrent cette âme vers le ciel. Trois jours plus tard, lorsque « l’archange Michel » présenta à Jésus l’âme de Marie, elle « rentra » aussitôt « dans son corps » avant de monter au ciel, « soutenu par les anges » 4). Voici la liste des interprétations iconographiques de ce texte relevées par Mâle 5):

4 « l’Église […] n’accueillit pourtant pas [ces lé‑gendes populaires] dans ses livres liturgiques. Je les ai vainement cherchées dans les vieux Lec‑tionnaires de la fin du XIIe siècle, […] et dans les Bréviaires du XIIIe. » (ibid.)

exceptions : « Sainte Geneviève, ms. no 554 f o 164 (lection. XIIe s.), no 555 f o 223 (lect. XIIe s.), no 131 f o 147 vo. (lec. XIIIe s.) — Arsenal. ms. no 162 f o 181 vo,. (lect. XIIe s) et no 279 f o 319 vo

(lect. XIIIe s.)

description de Mâle œuvres sources consultées1 Les apôtres rangés autour du lit de la Vierge et

Jésus tenant dans ses bras l’âme de sa mère (« avec quelques variantes »)

Les miniatures du Xe et du XIe siècle

Rohault de Fleury, La Sainte Vierge, t. I, chap. XI 6)

2 XIIIe siècle : Vitrail de Saint‑Quentin, tympan du portail central de la façade nord de Chart‑res Le porche restauré de Laon

3 XIIe siècle : Vitraild’Angers

Rohault de Fleury, ibid., pl. LXVII ; Lasteyrie,Histoire de la peinture sur verre, p. 106

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Plusieurs remarques sont inspirées par le livre de Charles Rohault de Fleury qui mentionne les œuvres suivantes dans le chapitre cité par Mâle :

4 « […] Jésus n’est plus là pour recevoir l’âme de sa mère ».

XIV e siècle : Notre‑Dame de Paris, bas‑reliefs

Courajod et Marcou,Catalogue raisonné duMusée du Trocadéro,1892, nos 601‑609.

5 « À Chartres, le texte a été interprété avec plus d’exactitude encore qu’à Paris, car, près du tombeau de Marie, deux archanges portent respectueu‑sement sur une nappe l’âme de la Vierge qui va se réunir à son corps. »

œuvres commentaires sur la représentationde l’âme pagination1 Xe

siècle(Hollande)Assomption : miniature d’un Évangéliairedonné par S. Bernalphe : l’église Deventer

« […] le Christ qui la [sa mère sur son lit funèbre] regarde et qui de ses deux mains exalte un médaillon renfermant son buste. On observera que ce médaillon est une particula‑rité fort rare, de plus que l’image de Marie n’y paraît pas celle d’un enfant […] »

LIX, 276

2 BN no 9448 Mort deMarie

« […] une Assomption des plus remarquables avec la donnée byzantine, modifiée par le génie des Latins. La sainte Vierge est couchée et endormie ; par derrière, Notre‑Seigneur […] tient la sainte Vierge ressuscitée et dont les yeux sont rouverts ; un ange la reçoit et la passe à un autre ange qui la remet à Dieu symbolisé par une main descendue du ciel. »

LX, 277‑278

3 Ravenne‑Assomption (un ivoire provenant du mu‑ sée des Camaldules de Murano, actuellement à la Bibliothèque de Ravenne)

« […] Notre‑Seigneur debout, par derrière, prend l’âme [de sa mère] sous les traits d’un enfant et l’élève vers deux anges qui s’apprê‑tent respectueusement à l’enlever. »

LXIV, 276

4 Assomption‑Darmstadt , probablement du XIe siècle, ivoire

« […] Notre‑Seigneur debout par derrière et les yeux inclinés vers le lit tient l’enfant enve‑loppée dans des bandelettes, les anges descen‑dent du ciel et l’un d’eux a déjà saisi le pieux fardeau qu’il emporte à tire‑d’aile. »

LXIV, 278

5 Florence, ivoire « La sainte Vierge est représentée couchée. Notre‑Seigneur, dans une auréole, la prend sur ses bras […] »

276‑277

6 Bibliothèque Barberini, Assomption, ivoire

Cette œuvre « représente la sainte Vierge couchée, les yeux ouverts et dans l’attitude de la prière, puis sous la forme d’un enfant en‑ ve loppé de langes et de bandelettes dans les bras de Notre‑seigneur nimbé et auréolé. »

277

7 XI e BN no 12056 a. Mort de Marie

« Notre‑Seigneur s’y trouve seul avec la sainte Vierge, mais Elle y figure deux fois, d’abord couchée et dormant, puis éveillée dans les bras du Sauveur, emmaillotée comme un enfant et voilée. Elle semble rajeunir en montant au ciel. »

LX, 279

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8 BN Assomption : Ms 17325, miniatures

LXI, 279

9 Assomption : Manuscrit (18005) BN

« […] ce n’est plus un corps nu ou un enfant qui pouvait laisser du doute sur l’Assomption corporelle ; c’est une figure exactement pareille à celle qui est dans le lit, avec la même coif‑fure. […] Notre‑Seigneur, debout derrière le lit, regarde avec amour sa mère qu’il y voit étendue, et il l’enlève vers le ciel où six anges s’apprêtent à la recevoir dans leurs mains voilées. »

LXII, 280

10 Ravenne‑Assomption‑Darmstadt

LXIV

11 N.D. du Port à Clermont, chapiteau

« […] nous voyons le tombeau ; par derrière, le Sauveur qui enlève sa bienheureuse mère, mais qui l’enlève adulte, enveloppée encore de bandelettes funèbres et ne laissant à la tombe aucune dépouille de ce corps béni. »

LXV, 280

12 Musée du Vatican, petit tableau

« Jésus‑Christ debout, au centre, se dresse majestueusement et porte sa sainte mère dans ses bras. […] La sainte Vierge qu’il embrasse a les bras croisés sous un linge ou linceul qui l’enveloppe entièrement, linge qui ressemble encore à ceux dont on revêt les enfants au maillot ; il est d’un blanc verdâtre. »

278

13 Porte de Saint‑Paul « […] ici nous ne voyons que Marie, les deux apôtres et le Sauveur, qui tient dans ses bras l’enfant symbolique […] »

279

14 Trèves ivoire, Assomption 27915 XII e Mort de Marie, Portes à

Pise et à RomePise : « Enfin le Sauveur prend sa mère en‑tourée de bandelettes et l’enlève vers le ciel. »

LX, 284

16 Cathédrale d’Angers, vitrail montrant différentes scènes de l’histoire

[sans représentation de l’âme de la Vierge en enfant]

LXVII, 282‑283

17 Reims, bas‑relief « Deux anges debout, les ailes déployées, en‑lèvent la sainte Vierge figurée sous les traits d’un enfant nu […] »

283

18 Autel d’argent de Lisbjerg (Danemark)

« […] la mort de Marie, son tombeau, le Christ qui emporte son âme ; […] les deux anges agenouillés et les mains voilées qui la saisissent pour l’enlever […] »

283

19 British Museum, manus‑crit (Coll. Nero, c. IV), page 20

« La sainte Vierge est figurée enlevée au ciel sous la forme d’un enfant emmaillotée. »

284

20 Chapelle du Liget, pein‑tures

« La sainte Vierge est étendue sur son lit funèbre et couronnée ; derrière elle Notre‑Seigneur prend l’âme entre ses mains voilées par un geste très particulier et en se rejetant un peu en arrière. Dans le haut, deux anges dans un cercle s’apprêtent à la recevoir. »

284

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L’enquête de Rohault de Fleury s’arrête au XII e siècle dont, selon lui, les artistes commencent à être indépendants de l’école byzantine. « À partir du XIII e siècle, les arts latins vivent davantage de leur vie, ils ont […] coupé le câble qui les reliait à l’Orient » et aux « maîtres grecs ». Alors que disparaît « le type byzantin qui étend Marie sur son lit funèbre, qui met son âme entre les bras du Sauveur », « le type occidental » devient do‑minant pour représenter par préférence l’Assomption glorieuse de la Vierge enlevée par les anges vers le ciel (286‑287). Mâle constate que l’âme de la Vierge est représentée aussi dans les œuvres du XIII e siècle absentes de la liste de Rohault de Fleury, des portails de certaines cathédrales et des lectionnaires. Quant à Viollet‑le‑Duc, il affirme que « presque tous les bas‑reliefs de la mort de la sainte Vierge », datés des XIII e et XIV e siècles, représentent Jésus Christ auprès du lit de de sa mère, qui « porte son âme entre ses bras comme on porte un enfant ». On trouve dans la même page une illustration d’un bas‑relief en bois du XIII e siècle de Strasbourg 7). Cette remarque n’est retenue ni dans le texte final ni dans les manuscrits du livre en question de Mâle.

La Bibliothèque de l’Institut conserve les notes préparatoires à cette thèse sur le XIII e siècle (Ms 7613). Il s’agit des feuilles coupées à la main, dont la plupart est de 9 × 12 cm, couvertes par des notes personnelles griffonnées au crayon ou à l’encre avec de nombreuses abréviations. Elles sont conservées dans neuf pochettes de carton sur lesquelles l’auteur décrit le contenu. Nous transcrirons ci‑dessous les notes concernant la mort de la Vierge qui se trouvent dans la pochette no 1 :

Mort de la Vierge‑ Vitrail du Mans (XIII e s) donné par l’abbaye. D’Évreux (trifor. Du chœur)‑ vitrail du Mans (XIII e s)Triforium du chœur dans la légende de S. Calais. On voit le gd. prêtre retenu par les mains. Le couronnement de la Vierge‑ Vitrail du Mans (XIII e s)Triforium du chœur. sépulture. assomption. couronnement.‑ au tympan du portail central (au nord à Chartres)1. Les apôtres autour d’elle2. Les anges.3. Son couronnement (f o 311 ro et vo)

Mort de la Vierge

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Vitrail d’Angers pl. LXVIIt. I R. de Fl[eury] (f o 312 ro)

La mort de la Vierge(les apôtres n’ont aucun attribut) (f o 315 r o)

Mort de la ViergeChartres. Verrières de la croisée septentrionale (XV). 3 tableauxmort de la Vierge. Les anges emportent son âme. Elle est reçue par son fils.

(f o 316 ro)

Apocryphes‑ La mort de la ViergeL’ange apportant une palme à la S te Vierge pr. lui annoncer sa mort. – C’est S. Jean q. la porte au moment de l’enterrement – Pierre et Paul ont le cercueil sur leurs épaules.‑ Voir le poème latin attribué à S. Jean – certainem. ancien – un de prototypes de la Légende dorée‑ R. de Fleury (tome I er page 260 sqq.‑ un vitrail d’Angers (milieu du XII e s) décrit par R. de Fleury planche (LXVII) tome I)on y voit — la mort les funérailles ([mots illisibles] les mains coupées) S. Jean portant la palme — la Vierge entourée par les anges – son couronnement (sujet q. commence vers le XIIe siècle ?)‑ L’assomption des gdes verrières de Lyon et de Clermont. – portail de Stras‑bourg. (f o 317 ro–vo)

Mort de la ViergeS. Yved de Braisne (d’abord consacré à la Ste Vierge présentant au portail mort. assomption. couronnement au‑dessus [mot illisible] ancêtres de la ViergeEd. Fleury Antiq. du départ. de l’Aisne tome IV page 22 (f o 321 ro)

Il s’agit du travail d’Édouard Fleury (Antiquités et monuments de l’Aisne, Paris : Laon, 1877‑1891, 4 vol.) mentionné aussi dans L’Art religieux du XIII e siècle en France (note 6 de la page 293).

Mort de la ViergePorte septentr. (centrale) à Chartres. Linteau1° Mort de Marie Elle est sur son lit. les apôtres autour. Jésus porte son âme

(nue)2° Résurrection – 3 jours après – les anges ouvrent son tombeau. 2 autres appor‑tent son âme q. va se réunir à son corps.

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— 3°tympan Couronnement de la Vierge.[…] dans les voussures on voit angesarbre de Jessé‑ le souvenir des paroles de la légende dorée« Jésus arrive accompagné d’une multitude d’anges et de martyrs et de patriar‑ches et de confesseurs et de vierges et le chœur des vierges se range devant le lit de la vierge‑ cela explique les personnages des voussures à N. D. de Paris – Reims –Plus bas où elle fut entourée de roses et de lys des vallées [mot illisible] des martyres et des vierges

(f o 322 ro –vo)

Mort de la ViergeLaon – portail central (porche occident)Sur le linteau : mort de la Vierge – les apôtres (St. Jean tient la palme, Jésus a son âme ‑‑ Son ascension sur le linteau‑ son couronnement sur le tympanToutes les scènes ont été presque refaites – mais ce sont bien là les sujets pri‑mitifs – […] (f o 323 r o) 8)

‑ mort de la ViergePortail de Bourges (à droit du jugement)1. La Vierge sur son lit entourée des apôtres2. Son assomption ‑ emportée par les anges qui tiennent légèrement son suaire3. Son CouronnementTout autour des anges ?? (f o 325 r o)

La ViergeSes funérailles. Son assomption. Son Couronnement –portail de droit d’Auxerre de Sens.L’Église est pourtant consacrée à S. Étienne (f o 326 ro)

Mort de la Viergeabside de la cathédrale de Troyes planche d’étude XIII1. Les apôtres autre d’elle2. Les anges et les Ste femmes3. J. C. emporte son âme4. Son assomption ‹ elle a une palme ›5. Son Couronnement (f o 330 ro)

La ViergeSa mort

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Lectionnaire S. Genev. No 131 f o 147 vo

on voit la Vierge mise au tombeau par S. Pierre et S. Paulcommence. XIII e s.‑ ‑ ‑Arsenal no 279 f o 319 ro XIII e

La Vierge entourée par S. Pierre S. Paul et un 3e apôtre.Drap orné de fleurs de lys (f o 321 ro)

Le Lectionnaire de Saint‑Lô de Rouen (XIII e siècle) est de fait conservé à la Bibliothèque Sainte‑Geneviève sous la cote Ms 279. Au folio indiqué se trouve une enluminure représentant au‑dessus du corps de la Vierge son âme sous la figure d’un enfant nu sur une voile tenue par deux anges en l’air

(https://bvmm.irht.cnrs.fr//consult/consult.php?mode=ecran&reproduction Id=13220&VUE_ID=1352439&panier=false&carouselThere=false&nb Vignettes=4x3&page=2&angle=0&zoom=&tailleReelle=). C’est au Bréviaire de la collégiale du Saint‑Sépulcre de Caen (musique notée, XIII e siècle) que la Bibliothèque de l’Arsenal attribue la cote Ms 279. Au folio 319 recto est dessiné un ange tenant sur une voile trois âmes figurées en enfants nus à droite de la scène de la Dormition. Au folio 449 verso se trouve aussi une miniature d’un saint (Jésus ?) entourés par deux personnages, tenant dans ses bras une âme sous la forme d’une petite fille nue.

Les légendes de Marie sont étudiées aussi dans l’ouvrage de Mâle publié en 1922, intitulé L’Art religieux du XII e siècle en France. C’est « dans la seconde partie du XII e siècle » que « la Mort, la Résurrection, l’Assomption de la Vierge » commencent à « emplir les portails » 9). En suivant approxi‑mativement l’ordre chronologique, s’en présentent les principaux exemples. Le tympan mutilé de l’église détruite de Saint‑Pierre‑le‑Puellier, aujourd’hui au musée de Bourges, conserve la figure d’un ange prêt à recevoir l’âme de la Vierge (p. 435 et n. 4). Après le tympan de Bourges « d’une technique assez fine », arrive celui de Senlis, chef‑d’œuvre « émouvant » et « poétique » auquel Mâle consacre plus d’une demie page (pp. 435‑437). Ce tympan inspire, d’après lui, la collégiale de Mantes, le portail septentrional de la cathédrale de Chartres, la façade de Laon et celle de Saint‑Yves de Braine et même celui de Reims (pp. 436‑437). De même sont mentionnés les vitraux représentant le Couronnement de la Vierge (Notre‑Dame de Paris et Angers).

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Le dossier préparatoire de ce livre se constitue de la même manière que celle que l’auteur a adoptée pour son premier livre. Les notes manuscrites sur les feuilles volantes citent de nombreuses œuvres absentes de la ver‑sion finale :

MS 7624-1 pochette 2 « Pèlerinages. Épopée XII e, sources littéraires, portails romans, Grégoire de Tours »

ViergeIl est probable que le type des Vierges de pèlerinage a été reproduit au XII e s. dans l’artLa Vierge de Chartres reproduit à Chartres même – à Paris (S. Anne Cahier Martin le [mot illisible] Bourges ‑Les Vierges auvergnates dérivant de N. D. du Port – Les Vierges noires (Le Puy ?) (f o 600 ro)

MS 7624-2 pochette 8 « La Vierge. Les Saints. Vie de Jésus Christ »

‑ IdéeLe type de la madone tel que le haut moyen âge l’a reçu est une création orien‑tale / plutôt que byzantine/‑ Les scènes de la vie de la madone sont également orientales‑ Nativité de la Vierge (la scène du bain)‑ la mort de la Vierge est byzantine.‑ Son couronnement est occidental. (f o 57 ro)

Mort de la ViergeHésitation sur la représentation. mort de la Vierge. Allem. XII e s. (Lavallière no 351 B.N)v. Bastard. tome 24 (Sainte) Vierge C’est un ange q. prend l’âme. Enseveliss

[emen]t vierge (f o 59 ro)

Le premier document est Évangiles pour différentes fêtes. grandes peint. 1001-1100, conservé à la BnF sous la cote latin 17325 (historique de la conservation : La Vallière) [figure 1]. Mâle le mentionne déjà dans son carnet comme l’un des manuscrits à consulter pour sa thèse sur le XIIIe siècle : « 17325 Évangile pr. différentes fêtes / latin XI s. les 4 évangélistes

[…] La mort de la Vierge – 2 tableaux / Ce sont les anges q. présentent l’âme à J. C. – une femme près de la Vierge […] » (Ms 7613 pochette 7,

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f os 1509 ro et vo). Les enluminures en question sont analysées dans le livre de Rohault de Fleury (planche LXI et p. 279). Elles sont copiées dans Docu-ments archéologique du comte de Bastard, recueil factice des calques de la main de l’auteur qui sont classés alphabétiquement sous 24 volumes, avec le commentaire suivant :

AllemagneXII e siècle commt ou, 1ère moitiéVierge (sainte)mort et inhumation de la Vierge Mariedans un Évangéliaire de la bibliothèque du roi, Lavallière no 55

J. C. est vêtue d’un manteau brun‑rouge et d’une tunique blanche. – La Vierge est vêtue de violet très clair ; son âme porte une chasuble blanche ombre de violet‑clair.L’apôtre imberbe debout derrière. L’ange doit être S. Jean, le fils adoptif de Marie ; il est vêtu de même qu’à la miniature en regard. Remarquer la douleur peinte sur les visages des apôtres et de la femme. (AD‑150(X)‑FOL, t. 24, f o 21) [figure 2]

Auguste de Bastard d’Estang dessine de même « l’une des verrières du bas côté sud de la cathédrale de Strasbourg (f o 17, XV e siècle, « L’âme est entièrement vêtue de blanc. La Vierge porte une robe bleue de ciel et une guimpe blanche »), deux miniatures du XIII e siècle au folio 19 (« Biblio‑thèque de Varsenal, théol. lat. 199 A, XIII e siècle », « L’âme est vêtue de blanc. J. C. a une robe minim et un manteau cramoisie doublé de jaune ») ; « Breviarium et Pars Mifsalig, théol. lat. 129 », « Ce sujet a beaucoup souffert. L’âme est nue. ») et celle des Belles Heures de Jean de France duc de Berry au folio 22 (« La Vierge est entièrement vêtue d’azur. Son âme tenue par J. C. est tout à fait nue. »). Aussi pour d’autres thèmes, Mâle se rapporte à maintes reprises à ce document conservé aujour‑ d’hui dans le département des estampes de la BnF.

Retournons à ses notes manuscrites (MS 7624‑2 pochette 8) :

ViergeApocrypheL’histoire de la mort de la Vierge se trouve déjà dans le De gloiria martyrum de gr. de Tours. C’est lui q. la fait connaître en Gaule (f o 60 ro)

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Ce dossier contient plusieurs notes de lecture des articles publiés dans la revue Oriens Christianus, fondée par un chercheur allemand Carl Anton Baumstark en 1901 (Rome : E. Loescher), après la publication du premier livre de Mâle : Josef Strzygowski, « Der Schmuck der älteren el‑Hadrakirchc im syrisehen Kloster der sketisehen Wüste (La parure de l’ancienne église El‑Hadra dans le monastère syrien du désert de Sketish) », 1901, pp. 356‑372 ; Baumstark, « “Liturgia S.Gregorii Magni”, eine griechische Ueber‑setzung der romisehen Messe (“Liturgia S. Gregorii Magni” une traduction grecque de la messe romaine) », 1904, pp. 1‑27 ; Johann Georg Herzog zu Sachse, « Die Fresken in Deir‑es‑Surjânî (Les fresques de Deir‑es‑Surjâ‑nî) », 1913, pp. 111‑114 :

ViergeMort de la Vierge.Le type de la Dormition n’apparaît qu’après les iconoclastes. une des plus an‑ciennes dans l’église d’El‑Hadra (Oriens Christ. 1901 p. 358)Le type vient peut‑être de Jérusalem. (Baumstark. O. Christ. 1904. 1‑22 (f o 61 ro)

ViergeMort de la Viergeun exemple à l’église d’El‑Hadra (Lac Natron)J. C. tient l’âme de sa mère enveloppée de bandelettesDalton p. 286O. C. i 1901 358O. C. 1904 1‑22sur l’origine hierosalym. (f o 62 ro)

Nous lisons dans la page indiquée du livre d’Ormonde Meddock Dalton : « Les absides et l’extrémité ouest de la nef de l’ancienne église d’El Hadra, située au monastère syrien près des lacs de Natron, sont décorés de peintures murales. […] Dans la Koimesis, l’âme de la Vierge détenue par Notre‑Seigneur a la forme d’une petite figure enveloppée. » (Byzantine Art and Archaeology, Oxford : the Clarendon press, 1911) :

ViergeMort de la ViergeLe plus ancien ex. connu se voit à Daphnimilieu du XIe s (Diehl)‑ La fête était célébrée sous l’empereur Maurice (582‑602)

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‑ Exemple (plus ancien que Daphni ?) à El HadraO. C. 1901. 358 – originaire de Jérusalem ? (O. C. 1904 1‑22) (f o 63 ro)

Selon Charles Diehl, « le plus ancien exemple » représentant la Dormition de la Vierge « se rencontre à Daphni […] placé au‑dessus de la porte d’entrée » : « C’est une composition d’un goût tout antique, par le souci de la ligne décorative qui s’y révèle, par l’harmonieuse répartition des masses qui y apparaît. On a signalé plus d’une fois le saisissant contraste que forme la haute figure du Christ debout avec la ligne horizontale de la Vierge étendue et de la foule des assistants inclinés autour du lit funèbre »

(Manuel d’Art byzantin, Paris : Librairie Alphonse Picard et fils, 1910, p. 467):

Mort de la ViergeExemple ancien à Surjânî (désert Nitrie)Oriens Christianus I, 361 (f o 64 ro)

ViergeOrientMort de la ViergeUn des plus anciens exemples à Deir‑es‑Surjânî – monastère syrien dans le dé‑sert de Nitrie X e siècle peut‑êtreOr. Christ. 1913 p. 111 (figure) (f o 65 ro) [figure 3]

ViergeVie de la Vierge avec les apocryphes originaire de Syrie. Voir à ce sujet Baum‑stark, Oriens christianus IV (1904) 187‑190 et page 1‑22 (mort de la Vierge venant de Jérusalem)‑ BaumstarkR[ömische] Q[quartalschrift] XIX 201 XX 159

[…](f o 72 ro)

ViergeRésurrection du corps de la Vierge – un des plus anciens exemples sur le chapiteau de N.D. du Port à ClermontEst‑il, en somme, antérieur à Senlis 1180. autre formule il place ces Bréhier place ces chapiteaux après 1185.‑ Le chapiteau de Clermont abrégé de la formule byzantine mais il y a sarco‑phage au lieu du lit (f o 76 ro)

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Le nom Clermont‑Ferrand réapparaît à maintes reprises dans les notes de Mâle intéressé au culte de la Vierge en Auvergne. Louis Bréhier est l’auteur d’une série d’articles « Les chapiteaux historiées de Notre‑Dame‑du‑Port à Clermont. Étude iconographique », Revue de l’art chrétien, 1912, pp. 249‑262, 339‑350 (L’Art religieux du XIII e siècle en France, pp. 2 et 412). Le chapiteau en question [figure 4] est ainsi décrit : « Il s’agit bien du corps et non de l’âme de la Vierge : comme s’il ne voulait nous laisser aucun doute, le sculpteur a représenté sur le devant le sarcophage vide d’où le corps a été extrait. » (Bréhier, art. cité, p. 347). Mais la réflexion de Mâle se réfère plutôt au commentaire de Rohault de Fleury : « Il était impossible de mieux respecter le programme byzantin, en accusant plus clairement l’Assomption corporelle. […] Marie occupe une place inter‑ médiaire entre le lit funèbre et les bras du Sauveur ; mais ses deux posi‑tions sont réunies en une seule, et l’identité des deux actes représentée par l’unité de personne. » Autrement dit, pour ce monument produit de « l’effort des artistes romans, luttant contre les habitudes hiératiques de l’école byzantine », le sculpteur réunit en une seule figure la dépouille cou‑chée et l’âme réveillé dans les bras de son fils (Rohault de FLEURY, op. cit., p. 280) :

Viergemort de la Viergechapelle LigetFormule byzantine mais vierge ‹couchée› de droite à gauche, elle a une cou‑ronneJ. C. n’est pas exactement au milieu – il se penche pour tendre l’âme à 2 anges

[dessin du Jésus portant l’âme de sa mère]S. Jean s’incline sur les pieds – mais S. Pierre ne s’incline pas sur la tête S. Thomas est présent on ne voit pas S. Paul […] (f o 83 ro et vo) [figure 5]

Les parois intérieures de la chapelle Saint‑Jean du Liget (XII e siècle, Indre‑et‑Loire) sont couvertes de fresques romanes. Celle de la Dormition est mentionnée aussi par Rohault de Fleury (p. 284) et Viollet‑le‑Duc

(l’article « Âmes (les) », p. 15) [figure 6] :

ViergeL’assomption de la Vierge représente sur un chapiteau de S. Caprès d’Agere

(chapelle Ste Anne)

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on voit la Vierge dans auréole portée par des anges – c’est la vieille formule méroving. et caroling. – qui remplace le J. C. venant prendre l’âme de sa mère

(q. apparaît au XIIe s à Senlis sous l’infl. de l’Orient) (f o 87 ro)

Mort de la Viergechapelle à GureméEffacé – la Vierge couchée. J. C. debout portant sans doute son âme – ange dans le ciel. apôtres‑ Formule de Monreale (f o 140 ro)

[…]La chapelle de Liget était une chapelle expiatoire de son meurtrebâtie vers 1176. Étudier les fresques. (f o 366 ro)

Ces notes révèlent que l’auteur continue de se documenter sur les sources orientales de la Dormition et de l’Assomption afin d’éclairer com‑ment les artistes romans cherchent à se dégager de l’influence byzantine. La plupart des remarques rédigées sur ces feuilles ne servent pas au livre publié. Leur consultation nous permet de confirmer à nouveau que le Texte se compare à un iceberg : malgré leur dimension et leur richesse, même les livres publiés de Mâle ne constituent que la légère pointe d’une masse gigantesque dont la partie immergée reste invisible au lecteur.

NOTES

1 ) Émile MÅLE, L’Art religieux du XIII e siècle en France, Paris : Ernest Leroux, 1898, p. 306.

2 ) Ibid., pp. 320.3 ) Le Livres des martyrs, trad. du latin par H. L. Bordier ; revu par Nathalie

Desgrugillers, dans Œuvres complètes, Clermont‑Ferrand : Paleo, 2001‑, t. IV [2003], p. 10.

4 ) Émile MÅLE, op. cit., pp. 323, 325 et 327.5 ) Ibid., pp. 323‑327.6 ) Charles ROHAULT DE FLEURY, La Sainte Vierge : Études archéologiques et

iconographiques, 2 vol., Paris : Poussielgue, 1878, t. I.7 ) Eugène VIOLLET‑LE‑DUC, Dictionnaire raisonné de l’architecture francaise du

XI ème au XVI ème siècle, Paris : A. Morel, 10 vol., 1867‑1870, t. I, « Âmes (les) », pp. 14‑15.

8 ) Voir nos articles : « L’adoration de la Vierge dans les bas‑reliefs de l’église de

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Balbec : Proust et Émile Mâle », Bulletin Marcel Proust, no 62, 2012, pp. 74‑82 ; « Proust et Émile Mâle (3) : la visite de la cathédrale de Laon en avril 1903 », Stella, Université du Kyushu, n o 33, décembre 2014, pp. 93‑103 [en japonais] ; « Proust et Émile Mâle : la cathédrale de Laon », Bulletin Marcel Proust, no 64, 2014, pp. 57‑69.

9 ) Émile MÅLE, L’Art religieux du XII e siècle en France, Paris : Armand Colin, 1922, pp. 434‑435.

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Figure 1 : Latin 17325, f o 51 vo

(BnF).

Pour cette planche, consulterle site Gallica de la BnF :

<https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b550059715/f108.image>.

Figure 2 : Documents archéolo giques / réunis par le Cte de Bastard et classés alpha bé tique ment, AD‑150 (X)‑FOL, t. 24. f o 21 (BnF).

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Figure 3 : Dormition à Deir‑es‑Surjânî, Syrie (Orien Christianus, 1913, entre 112 et 113, Abb. 2).

Figure 4 : Assomption, Notre‑Dame‑du‑Port (photo de l’auteur).

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Figure 5 : Chapelle du Liget, Dormition : des‑sin de Mâle calqué par l’auteur (MS 7624‑2 pochette 8, f o 83 ro).

Figure 6 : Chapelle du Liget, Dormition : photo par Joël Thibault — Travail personnel, CC BY‑SA 4.0, <https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=71258129>).