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A la recherche du temps (mi"er,,'" Cosmologie , A la recherche du temps universel Lorsque deux observateurs se déplacent très vite l'un par rapport à l'autre, une année pour l'un peut valoir seulement une minute pour l'autre. Comment dès lors s'entendre sur un âge précis de l'Univers? Comment au juste peut-on dire que celui-ci est né voilà quinze milliards d'années? Le rayonnement de fond. cosmologique, le fameux 3 K, fournit une réponse. Stéphane Durand, physicien théoricien, université de Montréal L A théorie de la relativité nous a appris que le temps est une grandeur élas- tique: la vitesse et la gravité affectent son écoulement. Même si cet effet n'est pas apparent dans la vie de tous les jours, il peut devenir très important lorsque les vitesses ou les masses en jeu sont considé- rables. Comme dans le célèbre exemple des 46 Ciel & Espace Octobre 1998 -LM

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A la recherchedu temps (mi"er,,'"

Cosmologie,A larecherchedu tempsuniverselLorsque deux observateursse déplacent très vite l'unpar rapport à l'autre, uneannée pour l'un peut valoirseulement une minute pourl'autre. Comment dès lors

s'entendre sur un âge précisde l'Univers? Comment

au juste peut-on dire quecelui-ci est né voilà quinzemilliards d'années?

Le rayonnement de fond.cosmologique, le fameux3 K, fournit une réponse.

Stéphane Durand, physicien théoricien,université de Montréal

LA théorie de la relativité nous a apprisque le temps est une grandeur élas-tique: la vitesse et la gravité affectent

son écoulement. Même si cet effet n'est pasapparent dans la vie de tous les jours, ilpeut devenir très important lorsque lesvitesses ou les masses en jeu sont considé-rables. Comme dans le célèbre exemple des

46 Ciel & Espace Octobre 1998

-LM

plus long quand ils sonten mouvement que quandils sont au repos. Manifes-tement donc, le tempspeut ralentir. Et ce tempsélastique n'est pas qu'unsimple temps abstrait;c'est le temps physique,celui qui contrôle levieillissementde nos corps- deux personnes peu-vent bel et bien vieillir à

des rythmes différents.Un effet similaire est

provoqué par la gravité.En effet, un champ gravi-tationnel ralentit le temps,et ce d'autant plus effica-cement qu'il est intense.Ainsi, le temps d'unobservateur se trouvantaux abords immédiatsd'un trou noir s'écoulera

beaucoup moins vite que celui d'un obser-vateur resté prudemme)1t au loin. Onpourrait d'ailleurs transposer nos jumeauxdans ce nouveau contexte, en supposantque le voyageur, au lieu d'effectuer unpériple à très grande vitesse, séjournequelque temps aux environs d'un trou noir.Là encore, il serait à son retour sur Terre

,beaucoup plus jeune que son frère restésagement à la maison. Bien sûr, la gravitéterrestre étant très faible, le ralentissement

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jumeaux, où l'un parr en fusée animéed'une-très grande vitesse, et constate à sonretour que le temps s'est écoulé pour luibeaucoup moins vite que pour son frèrèresté à terre. ..

Pour que ce ralentissement du temps soitmanifeste, il faut bien sûr que la vitesse enquestion soit élevée, égale au moins à undixième de cellede la lumière. Lumière quivoyage à la vitesse record de 300 000 km/ s- elleparcourtainsila distanceMontr~al-

Paris e~ un soixantième de seconde; enune seconde, elle fait environ sept fois letour de la Terre. Or les plus rapides desfusées actuelles voyagent seulement à undix-millième de la vitesse de l;J.lumière,cequi explique que les effets du ralentisse-ment du temps ne nous soient pas per-ceptibles. Ainsi, des astronautes faisantl'aller-retour Terre-Lune ne "gagneront"qu'une infime fraction de seconde surnous. Même si cet effet est négligeable au

quotidien, il a étérigou-reusement vérifié à l'aide

d'horloges atomiques pré-cises au milliardième de

seconde près et embar-quées à bord d'avions. Demême, le ralentissementdu temps devient mani-feste dans les immensesaccélérateursde particules,où celles-ci voyagent àdes vitesses pratiquementégalesà cellede la lumière.Par exemple, le temps devie des muons (des sortesd'électrons lourds etinstables) est trente fois

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CosmologieÀ la reclterclt"

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Le temps cosmique, d'instant en instantLe temps cosmique est en quelque sortele temps "intrinsèque" de l'Univers. Maisune question vient vite à l'esprit: sonécoulement est-il constant dans le

temps? Autrement dit, le temps cos-mique, qui est le même d'un endroit àl'autre à un instant donné, est-il aussi lemême d'instant en instant? Malheureu-

sement, cene question ne semble pasavoir de sens dans le contexte de la relati-

vité générale. Bien sûr, elle peut semblerimportante (car si l'écoulement dutemps cosmique n'est pas constant, celafaussed'une certaine façon l'âge de l'Uni-vers), mais pour lui donner un sens, ilfaut pouvoir comparer l'écoulement dutemps à deux moments différents. Maiscomment faire, sachant que si le tempscosmique ralentit, toutes les horloges,

tous les processus physiques et méca-niques ralentiront de la même façon?Au contraire, dire qu'un champ gravita-tionnel ralentit le temps a un sens préciscar on peut comparer le temps d'une hor-loge dans ce champ aveccelui d'une hor-loge hors du champ. Pour comparer letemps cosmique à deux instants diffé-rents, il faudrait un "autre" temps de réfé-rence, par exemple un temps "extérieur"'à notre Univers ou non affecté par sonexpansion. Ainsi, que la question n'aitpas de sens dans le cadre de la relativitégénérale ne signifie pas qu'elle n'ait pasde sens dans un contexte plus large. Dansle cadre d'une théorie à univers multiples,par exemple, où l'on pourrait imaginerde comparer le temps cosmique d'ununivers avec celui d'un autre.

gravitationnel du temps n'est pas plus per-ceptible que le précédent dans la vie de tousles jours. Même si l'on vieillit effectivementmoins vite au premier étage d'un gratte-cielqu'au dernier, la différence est insignifiante(mais elle a tout de même été vérifiée expé-rimentalement à l'aide d'horloges ato-miques embarquées à bord d'hélicoptères).

Mouvementspropres,expansion:tout bougedans l'Univers

Si l'écoulement du temps dépend denotre mouvement ainsi que de la proxi-mité ou non d'un champ de gravité, queltemps dès lors faut-il choisir pour calculerl'âge de l'Univers? Par rapport à quoimesurer son histoire? Il est facile d'élimi-

ner les effets gravitationnels. Il suffit deconsidérer l'écoulement du temps loin detout corps céleste imposant. En effet, il estnaturel de considérer que le temps "glo-bal" de l'Univers est celui qui n'est pasaffecté localement par la présence dematière. Mais comment éliminer les effetsdus au mouvement ?,En se menant aurepos, direz-vous. D'accord, mais au repospar rapport à quoi? Même immobile chezvous, vous filez déjà à 30 km/s : c'est lavitesseà laquelle la Terre tourne autour duSoleil. Pire: le Système solaire lui-mêmeest en mouvement autour du centre de laGalaxie, à la vitesse de 230 km/s environ.

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Pire encore: la Galaxie est elle-même en

mouvement. Elle se déplace par rapportaux autres galaxiesde son amas, le Groupelocal. Et finalement, cet amas lui-mêmeest en mouvement du fait de l'expansioncosmique. Dès lors, à quoi correspondl'état de "repos naturel" ? Imaginons descoccinelles posées sur la surface d'un bal-lon en train de gonfler. La surface du bal-lon représente l'espace en expansion et lescoccinelles(J)symbolisent les galaxies (oules amas de galaxies). Celles-ci ont deuxtypes de mouvement très différents: unmouvement par rapport à la surface -elles peuvent tourner sur elles-mêmes oumarcher - et un mouvement dû à l'étire-

ment de la surface. À petite échelle, il peutainsi arriver que deux voisines se rappro-chent si elles marchent assezvite l'une versl'autre (comme la galaxie d'Andromède serapproche de nous, en quelque sorte). Àgrande échelle, en revanche" le mouve-ment général d'expansion l'emporte sur lemouvement local de chacune: les cocci-

nelles s'éloignent les unes des autres,..À quoi correspond dans cet exemple

l'état de repos naturel? À une immobilitépar rapport à la surface: pas de rotation, nide marche. Une coccinelle dans cet état

sera au repos par rapport à l'expansion del'espace. (Notez que deux coccinellesimmobiles relativement à la surface sont

quand même en mouvement l'une parrapport à l'autre à cause de l'expansion duballon.) Revenons à présent à notregalaxie.Nous savons qu'elle est eh mouve-ment par rapport à sesvoisines, mais nousest-il possible de différencier ses deux

'0lIl:

types de mouvement: son mouvementpropre par rapport à l'espace et son mou-vement dû à l'expansion de l'espace? Laréponse est oui: grâce au rayonnement defond cosmologique.

1Ce rayonnement qui baigne tout l'Uni-vers est l'écho lumineux du big bang.

Nous pouvons le mesurer très précisémentaujourd'hui, et même déterminer notrevitesse par rapport à lui. D'après la théoriedu big bang, il devrait être parfaitementuniforme dans toutes les directions. Or, cen'est pas tout à fait ce que nous mesurons.Il est un peu plus chaud dans une certainedirection. Pourquoi? Parce que nous nousdéplaçons dans cene direction. Lorsquenous courons sous la pluie, nous recevonsdavantage de gounes sur l'avant de notrecorps que sur l'arrière. Plus précisément,nous recevons davantage de gouttes à laseconde sur l'avant que sur l'arrière. Autre-ment dit, la fréquence des gouttes est plusgrande vers l'avant. Or, pour un rayonne-ment, qui dit fréquence plus élevée, diténergie de vibration plus grande, et donctempérature plus haute. (Par exemple, lafréquence de la couleur bleue étant plusimportante que celle du rouge, la partiebleue d'une flamme est plus chaude que

la rouge.)Nous mesurons

alllSl un rayonne-menr plus chaudplus bleu - dans une direc-tion, et plus rouge dans la direc- .tion opposée. Étant donné la précisionde ces mesures, on peur calculer que nous

, nous déplaçons'à 370 km/s par rapportà ce rayonnement - c'est la vitesse dela Terre résultant de la superposition detoutes les vitesses énumérées plus haut (2).Soit, pour un observateur se déplaçant ensens inverse à 370 km/s relativement à laTerre, le rayonnement apparaîtrait parfai-tement uniforme. Cet observateur

mesurerait une fréquence identiquedans toutes les directions. Il serait

donc au repos par rapportau rayonnement defond, c'est-à-direpar rapport àl'expansionde l'Uni-

vers (ouen c 0 r,e ,

l'expansion de l'Univers, ilsseraient tous au repos par rap-port au rayonnement de fond,c'est-à-dire par rapport aumouvement général d'expan-sion. Par conséquent, touss'entendraient sur l'histoire del'Univers. Ils dateraient exacte-ment de la même façon tous les

événements. Leurs horloges indi-queraient le même tempscosmique

(ou cosmologique), une sorte detemps universel (3).Du point de vue

de l'évolution cosmique, ce tempscosmique est donc privilégié. C'est

d'ailleurs lui qui apparaît dans les équa-tions d'Einstein lorsque, par exemple, onporte sur un graphique l'évolution durayon de l'Univers en fonction du tempspour discuter de son destin - expansionsans fin ou recontraction ?À 'noter qu'onne peut le définir que si l'Univers esthomogène et isotrope, c'est-à-dire sil'expansion est en quelque sorte uniformedans toutes les directions (ou, pour le direencore autrement, si la courbure de l'Uni-vers est constante, comme la surface duballon). ,

Puisque la Terre se déplace seulement àenviron un millième de la vitesse de lalumière (370 km/s versus300 000 km/s)par rapport au rayonnement de fond, ladifférence entre le temps terrestre et letemps cosmique est minime: 24 s par an !Autrement dit, lorsque nous exprimonsl'âge de l'Univers en fonction de notretemps terrestre, nous ne faisons qu'uneerreur d'environ 10 000 ans sur quinzemilliards d'années, c'est-à-dire une erreurd'une partie par million. Ce qui est biensûr tout à fait négligeable... .(1) Pour représenter le comportement des galaxies dans unUnivers en expansion, on utilise souvent l'analogie despoints

dessinés sur la suifàce d'un ballon. Mais l'image des cocci-nelles est meilleure. D'abord parce qu 'ellepermet de repré-

senter le mouvement local des galaxies, contrairementaux points qui sontfixes sur la suifàce. Ensuite parceque lespoints grossissent avec l'expansion de la sur-fàce. Ce qui n'est pas le caspour lesgalaxies, où lesfOrces de cohésion gravitationnelle sont de loin

supérieures à lafOrce d'expansion.

(2) Cette vitesse de 370 km/s (369 et ],5 km/s

exactement) correspond en réalité à celle duSoleil par rapport au rayonnement de fOndcosmologique. Puisque la Terre tourne autourdu Soleil à 30 km/s en changeant de direc-tion, sa 'vitessepar rapport au rayonnementde fond cosmologique varie au cours del'année de et 30 km/s. Elle est donc de 340 à400 km/s selon lessaisons:

(3) Il fàut remarquer qu'aucune horloge nepeut indiquer un temps plus grand que letemps cosmique et, donc, que l'âge del'Univers. En effit, cellesqui ne mesurent pasce temps cosmique (soit qu'elles sont en mou-vement par rapport au rayonnement defOnd,soit qu'elles sont affictées par un champ gra-vitationnel) retardent toujours par rapport àcellesqui le mesurent.

pour en revelllrà nos coccinelles,au

repos par rapport à lasurface du ballon).

Ainsi, quel que soit l'endroitoù l'on se trouve dans ru nivers,11existe un tel état de mouvement

(ou "référentiel") privilégié,immobile par rapport au rayon-nement de fond. Imaginonsmaintenant toute une série,

d'observateurs placés dans cesréférentiels, disséminés à

travers le cosmos. Bien

qu'en mouvement lesuns par rapport

aux autres dufait de

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