La recherche au service des dirigeants de la santé

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40 Healthcare Management Forum Gestion des soins de santé Dans ce numéro de FORUM, le Collège a le plaisir de vous proposer un texte rédigé par un éditorialiste invité, Jonathan Lomas. M. Lomas est directeur exécutif de la Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé (FCRSS). Étant donné les liens étroits qui existent entre le Collège canadien des directeurs de services de santé (CCDSS) et la FCRSS, dont le mandat consiste à favoriser l’intégration de le recherche à l’intention des décideurs, il ne fait aucun doute qu’il s’agit-là d’une collaboration gagnante. Nous présenterons d’autres éditoriaux du genre dans les numéros à venir. ans quelle sorte de monde serions-nous forcés de vivre si chaque action n’avait pas sa propre réaction? Au fait, à quoi bon servir un verre de vin si personne ne le boit ou cultiver la terre si personne ne consomme la récolte? Pourquoi bâtir une énorme piscine si personne ne sait nager? Évidemment, ça n’aurait aucun sens. On pourrait même qualifier une telle situation de ridicule. C’est pourtant le genre de chose qui se produit tous les jours dans le monde de la santé. Comment le savons- nous? Parce que nous avons posé la question. Nous avons demandé ce qui n’allait pas, ce qui manquait aux hommes et aux femmes qui dirigent le système de santé, ce dont de nombreux dirigeants de services de santé auraient besoin. Ils en avaient long à raconter, mais pas toujours ce à quoi nous nous attendions. Ils ont énuméré des thèmes importants pour lesquels ils ont exprimé le besoin de disposer de plus de recherche. Ils se disaient favorables au recours à un plus grand nombre de chercheurs professionnels pour faire ce travail. Mais ils ont également affirmé avoir besoin de formation sur la façon de repérer et d’utiliser les fruits de la recherche. L’accent que le gouvernement fédéral a mis sur l’innovation s’est avéré un véritable cadeau du ciel pour ceux qui œuvrent dans le monde de la recherche. Du côté de «l’action», il y a (ou il y aura bientôt) plus d’études et de recherche que jamais à la disposition des cliniciens, des gestionnaires et de tous ceux et celles qui tentent d’améliorer l’efficacité, la rentabilité et l’équité du système de santé pour la population canadienne. Il convient d’applaudir le gouvernement fédéral pour le soutien accordé aux chercheurs (les bourses de recherche du Canada), à l’infrastructure de recherche (la Fondation canadienne pour l’innovation), à la formation et aux projets de recherche (les Instituts de recherche en santé du Canada), de même que l’impulsion donnée à la recherche grâce à une dissémination plus efficace (par le financement de notre propre Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé). La recherche dans le monde de la santé connaît une expansion sans précédent depuis 1998 avec l’injection de près de 500 millions de dollars de plus par année, de sources fédérales seulement. Sans compter le financement issu des provinces qui est venu se greffer à ces investissements. Mais si ce boom de recherche est l’action, où est la réaction? Où est l’engagement envers les cliniciens et les dirigeants des services de santé afin de les aider à se saisir de la recherche et à l’apprivoiser? Bien sûr, le gouvernement a investi de l’argent dans l’exploitation de la recherche en vertu de son programme d’innovation. Mais pas dans le secteur qui sert les besoins de notre système public de santé — jusqu’à maintenant, le gouvernement a mis l’accent sur la mise en application de la É D I T O R I A L I S T E I N V I T É D La recherche au service des dirigeants de la santé par Jonathan Lomas Il convient d’applaudir le gouvernement fédéral pour le soutien accordé aux chercheurs, à l’infrastructure de recherche, à la formation et aux projets de recherche.

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40 Healthcare Management Forum Gestion des soins de santé

Dans ce numéro de FORUM, le Collège a le plaisir de vous proposer un texte rédigé par un éditorialisteinvité, Jonathan Lomas. M. Lomas est directeur exécutif de la Fondation canadienne de la recherchesur les services de santé (FCRSS). Étant donné les liens étroits qui existent entre le Collège canadiendes directeurs de services de santé (CCDSS) et la FCRSS, dont le mandat consiste à favoriserl’intégration de le recherche à l’intention des décideurs, il ne fait aucun doute qu’il s’agit-là d’unecollaboration gagnante. Nous présenterons d’autres éditoriaux du genre dans les numéros à venir.

ans quelle sorte de monde serions-nous forcés de vivre si chaque actionn’avait pas sa propre réaction? Au fait, à quoi bon servir un verre de vinsi personne ne le boit ou cultiver la terre si personne ne consomme larécolte? Pourquoi bâtir une énorme piscine si personne ne sait nager?

Évidemment, ça n’aurait aucun sens. On pourrait même qualifier unetelle situation de ridicule. C’est pourtant le genre de chose qui seproduit tous les jours dans le monde de la santé. Comment le savons-nous? Parce que nous avons posé la question. Nous avons demandé cequi n’allait pas, ce qui manquait aux hommes et aux femmes quidirigent le système de santé, ce dont de nombreux dirigeants de servicesde santé auraient besoin. Ils en avaient long à raconter, mais pastoujours ce à quoi nous nous attendions. Ils ont énuméré des thèmes

importants pour lesquels ils ont exprimé le besoin de disposer de plus de recherche.Ils se disaient favorables au recours à un plus grand nombre de chercheursprofessionnels pour faire ce travail. Mais ils ont également affirmé avoir besoin deformation sur la façon de repérer et d’utiliser les fruits de la recherche.

L’accent que le gouvernement fédéral a mis sur l’innovation s’est avéré un véritablecadeau du ciel pour ceux qui œuvrent dans le monde de la recherche. Du côté de«l’action», il y a (ou il y aura bientôt) plus d’études et de recherche que jamais à ladisposition des cliniciens, des gestionnaires et de tous ceux et celles qui tententd’améliorer l’efficacité, la rentabilité et l’équité du système de santé pour lapopulation canadienne. Il convient d’applaudir le gouvernement fédéral pour lesoutien accordé aux chercheurs (les bourses de recherche du Canada), àl’infrastructure de recherche (la Fondation canadienne pour l’innovation), à laformation et aux projets de recherche (les Instituts de recherche en santé du Canada),de même que l’impulsion donnée à la recherche grâce à une dissémination plusefficace (par le financement de notre propre Fondation canadienne de la recherchesur les services de santé). La recherche dans le monde de la santé connaît uneexpansion sans précédent depuis 1998 avec l’injection de près de 500 millions dedollars de plus par année, de sources fédérales seulement. Sans compter lefinancement issu des provinces qui est venu se greffer à ces investissements.

Mais si ce boom de recherche est l’action, où est la réaction? Où est l’engagementenvers les cliniciens et les dirigeants des services de santé afin de les aider à se saisirde la recherche et à l’apprivoiser? Bien sûr, le gouvernement a investi de l’argent dansl’exploitation de la recherche en vertu de son programme d’innovation. Mais pasdans le secteur qui sert les besoins de notre système public de santé — jusqu’àmaintenant, le gouvernement a mis l’accent sur la mise en application de la

É D I T O R I A L I S T E I N V I T É

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La recherche au service desdirigeants de la santé par Jonathan Lomas

Il convient d’applaudir

le gouvernement fédéral

pour le soutien accordé aux

chercheurs, à l’infrastructure

de recherche, à la formation

et aux projets de recherche.

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recherche lorsqu’elle peut être rentable pour les entreprisescanadiennes. Cela signifie que cette politique sert les desseinsdes investisseurs en capital de risque et des entrepreneurs quisont en mesure de commercialiser les fruits de la recherche.Mais cela laisse sombrer dans l’oubli d’autres domaines derecherche — par exemple, des travaux visant à trouverl’équilibre le plus rentable des équipes de personnel médicalaux unités de soins intensifs, ou encore les structures degestion nécessaires pour améliorer la continuité des services desanté mentale. Au plan des revenus, ce sont des sujetsbeaucoup moins séduisants. Et qui plus est, tant et aussilongtemps que le système de santé canadien demeure public,les dirigeants des services de santé et les cliniciens ne serontpas des investisseurs de capital de risque ni des entrepreneurs.Leurs besoins, leurs sources de motivation et leurs talents sontfort différents, créant un fossé qui doit être comblé par unnouvel élément du programme d’innovation du gouvernementfédéral. Le programme devrait appuyer les dirigeants deservices de santé et les cliniciens et les aider à apprendre àdénicher et à utiliser l’aboutissement des travaux de rechercheen santé afin de s’attaquer aux grandes questions de laprestation des services de santé qui n’ont rien à voir avecl’entrepreneuriat ou le capital de risque.

Lors des récents ateliers À l’écoute, tenus dans le cadre d’unetournée de trois mois de consultation nationale menée par laFondation pour notre propre gouverne et celle de nospartenaires (Institut des services et des politiques de la santé(ISPS), des Instituts de recherche en santé du Canada / Officecanadien de coordination de l’évaluation des technologies de lasanté (OCCETS) / Institut canadien d’information sur la santé(ICIS) / Comité consultatif des services de santé de laConférence fédérale-provinciale-territoriale des sous-ministresde la Santé) — les dirigeants des services de santé et lescliniciens nous ont dit qu’il fallait en faire plus pour les aider àtrouver, à évaluer et à appliquer à leurs activités quotidiennes lefruit des travaux de recherche. Selon eux, l’un des plus grosenjeux résidait dans la direction et la gestion du changement.Et ils souhaitent avoir de l’aide pour trouver des études sur lafaçon de diriger le changement et apprendre à s’en servir pourgérer le changement. La Fondation est d’avis qu’il s’agit làd’aptitudes qui devraient venir s’ajouter à leur bagage deconnaissances, à défaut de quoi une grande part del’investissement consenti pour générer davantage de recherchesera tout simplement gaspillée. Les travaux de rechercheviendraient en effet garnir les revues spécialisées sans jamaisêtre consultés ou utilisés par les dirigeants de services de santé;non pas parce qu’ils se font tirer l’oreille mais plutôt, parcequ’on ne leur a jamais appris comment extraire lesconnaissances dont ils ont besoin des riches champs derecherche en santé.

À vrai dire, ils s’en sont tirés avec les moyens du bord pendanttrès longtemps à force de ténacité, d’intelligence et de volontéd’apprendre, tout à l’image des chercheurs. Et tout comme pourles chercheurs, le programme fédéral d’innovation doit leurfournir des ressources afin de leur permettre de disposer deplus de formation.

La Fondation a proposé un programme de formation pourrépondre à ce genre de besoin. Le programme s’appelle EXTRA(Executive Training for Research Application ou formation des cadrespour l’application de la recherche) et est conçu pour aider lepersonnel infirmier, les médecins et les dirigeants du système desanté à se servir de la recherche. Il s’agirait d’un fonds de30 millions de dollars servant à financer un programme de dixans offrant des bourses de recherche de trois ans au personnelinfirmier, aux médecins et aux dirigeants du système de santé, ycompris des colloques, des projets dans leur établissementd’attache et un mécanisme de mentorat. Les boursiersmettraient l’accent sur ce que la recherche a à leur offrir et ilsseraient appelés à mettre en pratique la recherche dans leurétablissement d’attache. On mettrait l’accent sur lesétablissements faisant partie de structures régionales de santéen vue de partager l’application de la recherche; les boursiersauraient aussi l’occasion de se spécialiser et d’apprendrecomment appliquer la recherche aux domaines des soins àdomicile, aux soins primaires et aux systèmes intégrés de santé.Un bureau central se chargerait d’apparier les mentors auxboursiers et de superviser les projets en cours. Parmi lespartenaires potentiels à une telle initiative, citons l’Associationdes infirmières et des infirmiers du Canada, l’Associationmédicale canadienne, le Collège canadien des directeurs deservices de santé et les gouvernements provinciaux.

Le processus de recherche ne se limite pas à la production deconnaissances mais aussi à sa diffusion auprès du personnelinfirmier, des médecins et des dirigeants qui participentvéritablement à l’organisation de la prestation des services desanté à l’intention de la population canadienne. Il imported’investir davantage afin de donner à ces gens la façon de penseret les aptitudes voulues pour acquérir, évaluer et appliquer cecorpus florissant de la recherche en santé à leur processusdécisionnel au quotidien. L’ère de l’information ne sepréoccupe pas seulement de la production d’information, maisaussi de l’apprentissage nécessaire à son utilisation. Lesdirigeants du 21e siècle et les patients qu’ils desservent vonttirer parti d’un programme de bourses qui pourra mieux préparerles professionnels à composer avec un processus décisionnelfondé sur des masses de recherche. Les ressources qu’exige lamise en œuvre d’un programme comme EXTRA n’ont pasencore été dégagées, mais nous y travaillons tout de même etnous espérons que le gouvernement fédéral saura en comprendrela nécessité à mesure qu’il avance dans la voie de l’innovation.

Jonathan Lomas est directeur exécutif de la Fondation canadienne de la

recherche sur les services de santé.