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Tous droits réservés © Santé mentale au Québec, 1981 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 28 sep. 2020 14:39 Santé mentale au Québec La psychanalyse se meurt, la psychanalyse est morte, vive la G.R.C. psychiatrique! Psychoanalysis is dying, psychoanalysis is dead, long live the RCMP! François Peraldi Où va la psychiatrie ? Volume 6, numéro 2, novembre 1981 URI : https://id.erudit.org/iderudit/030108ar DOI : https://doi.org/10.7202/030108ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Revue Santé mentale au Québec ISSN 0383-6320 (imprimé) 1708-3923 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Peraldi, F. (1981). La psychanalyse se meurt, la psychanalyse est morte, vive la G.R.C. psychiatrique! Santé mentale au Québec, 6 (2), 107–118. https://doi.org/10.7202/030108ar Résumé de l'article Dans cet article, l’auteur est intéressé par la psychanalyse comme pratique théorique. Il fait le lien entre la psychanalyse et le marxisme, et nous montre que Freud n’était pas aussi éloigné du marxisme comme certaines personnes le pensent. Ses réflexions et expériences l’amènent à fortement critiquer la psychiatrie qui, de son point de vue, est une pratique répressive contribuant au mérite de la psychanalyse comme pratique qui questionne la vérité du sujet.

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Tous droits réservés © Santé mentale au Québec, 1981 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

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Document généré le 28 sep. 2020 14:39

Santé mentale au Québec

La psychanalyse se meurt, la psychanalyse est morte, vive laG.R.C. psychiatrique!Psychoanalysis is dying, psychoanalysis is dead, long live theRCMP!François Peraldi

Où va la psychiatrie ?Volume 6, numéro 2, novembre 1981

URI : https://id.erudit.org/iderudit/030108arDOI : https://doi.org/10.7202/030108ar

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Éditeur(s)Revue Santé mentale au Québec

ISSN0383-6320 (imprimé)1708-3923 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articlePeraldi, F. (1981). La psychanalyse se meurt, la psychanalyse est morte, vive laG.R.C. psychiatrique! Santé mentale au Québec, 6 (2), 107–118.https://doi.org/10.7202/030108ar

Résumé de l'articleDans cet article, l’auteur est intéressé par la psychanalyse comme pratiquethéorique. Il fait le lien entre la psychanalyse et le marxisme, et nous montreque Freud n’était pas aussi éloigné du marxisme comme certaines personnes lepensent. Ses réflexions et expériences l’amènent à fortement critiquer lapsychiatrie qui, de son point de vue, est une pratique répressive contribuant aumérite de la psychanalyse comme pratique qui questionne la vérité du sujet.

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LA PSYCHANALYSE SE MEURT, LA PSYCHANALYSE EST MORTE,VIVE LA G.R.C. PSYCHIATRIQUE!

François Peraldi*

L'un des reproches le plus galvaudé adressé àla psychanalyse tant par certains intellectuels degauche (que nous ne confondrons pas avec lesmilitants de gauche tant l'abîme qui les sépareest immense), que par les ordres professionnelsrégis par la pan-psychiatrie nouvelle (psycholo-gues, travailleurs sociaux, infirmiers psychiatri-ques, thérapeutes en tous genres voire mêmepsychanalystes, tous unis sous la férule du psy-chiatre et de son administration), est que lapsychanalyse ne s'intéresserait qu'à l'individu.Cet individualisme "outrancier" la place, pour lesuns, parmi les idéologies proprement bourgeoises(au sens marxiste du terme) et, pour les autres,parmi des pratiques beaucoup trop ponctuellespour être rentables et assujettir convenablementles masses à la norme requise pour leur exploita-tion. Une norme, et une adaptation à cette norme(et à cette seule norme) que les psychiatres, voirecertains psychanalystes n'hésitent pas à décrire,soit en terme de "structures normales de la per-sonnalité", soit en terme de profil de guérison auterme d'une "cure psychanalytique" avec unenaïveté dont on se demande si elle confine aucynisme ou à l'imbécillité.

Ce reproche d'individualisme qui n'a que trèsrarement le statut d'une critique en bonne et dueforme, repose d'une part sur une confusion et del'autre sur un phénomène proprement idéologiqueen voie d'expansion dans les sociétés capitalistesavancées que je nommerai : Palexie sociale.

La plupart de ceux qui condamnent la psycha-nalyse confondent l'usage qui en est fait, parexemple ici-même, au Québec, avec la pratique

théorique qui porte légitimement ce nom. S'ilapparaît effectivement à l'usage que la pratiquede la psychanalyse est, du fait même des psycha-nalystes, élitiste (de par son coût et sa valorisationidéologique et culturelle), normative (c'est-à-direpsychologisante et adaptatrice à la norme bour-geoise) et plus ou moins réduite à n'être qu'unevariante des thérapies psychiatriques, ce n'estcertainement pas à la psychanalyse en tant quepratique théorique qu'il convient de s'en prendre,mais aux psychanalystes eux-mêmes et à leurssociétés et institutions. Il s'avère, en effet, que,contre le vœu même de Freud, ils ont réussi àréduire la psychanalyse-pratique-théorique à uneforme complètement dégénérée, une vulgaireidéologie pratique1 qui, à la limite, porte assezbien le nom de psychanalysme2.

Il suffit de lire le chapitre, heureusement fortcourt qu'Ellenberger consacre à l'histoire de lapsychiatrie dans le récent Précis de PratiquePsychiatrique (Ellenberger, 1981), pour avoirun aperçu de ce qu'on entend, en psychiatrie,par "méthodologie scientifique" en matièred'histoire des sciences. Il aligne à travers le filcontinu et linéaire de l'histoire, des "faits" quitémoignent d'un soi-disant "progrès" de la psy-chiatrie depuis les époques originaires de la Grèceantique en passant par l'inévitable "obscurantismemédiéval", le retour aux autorités antiques avantl'avènement de la raison préludant au technicismepositiviste XIXe siècle, pour enfin s'épanouirdans l'avènement de la pan-psychiatrie, supposé-ment multidisciplinaire depuis qu'elle se présentecomme une approche "bio-psychosociale" del'homme. Malheureusement personne aujourd'huidepuis la révolution scientifique du début duvingtième siècle, les travaux de Hegel sur l'Histoireet, plus précisément ceux d'Alexandre Koyré(1962, 1968) et de Gaston Bachelard (1973)

* L'auteur est psychanalyste et professeur au départe-ment de linguistique, Université de Montréal.

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sur l'histoire des sciences, ne peut, sans afficherautre chose qu'une prise de position réactionnaire,opter pour une position "continuiste" de l'histoirequi ne nous offrirait que le "spectacle permanentde l'esprit humain à l'œuvre dans la science".Aujourd'hui, précisément depuis les travaux deMarx, après Hegel, sur l'Histoire, de Koyré, deBachelard, de Canguilhem (1966, 1968) voiremême de Kuhn (1962), l'histoire apparaît beau-coup plus comme une série d'aires secouées detensions dialectiques et séparées les unes desautres par de vastes "coupures" ou "révolutions"qui traversent non seulement le champ de l'écono-mie et des rapports de force entre les classessociales, mais aussi les aires scientifiques, lesopposant les unes aux autres de façon radicaleainsi que les idéologies et les philosophies qui lesentourent.

C'est au nom de cette conception disconti-nuiste de l'histoire que nous pouvons dénoncerles récupérations et le réductionisme à l'œuvrecontre la "Révolution Freudienne" dans ce Précisexemplaire et, plus précisément, dans tous lestextes qui y parlent de la psychanalyse commed'une branche de la psychiatrie, au nom, précisé-ment, de la continuité de l'histoire des scienceset de la culture. Qu'on en juge :

"C'est également au tournant du siècle queSigmund Freud élabora son système de "psychiatriedynamique" (sic!) la psychanalyse... disons sim-plement qu'elle fut le point de départ d'unevaste expansion de la psychiatrie dynamique,tant par elle-même que par ses dissidents, AlfredAdler et Cari Gustav Jung, qui développèrent,chacun de leur côté, un système dynamique ori-ginal qui différait radicalement de la psycha-nalyse" (Ellenberger, 1981). (Mais pas au point,bien sûr, de ne pouvoir être subsumée dans lapsychiatrie dynamique). "Ces deux systèmes,ainsi que la psychanalyse débordent largementdes limites traditionnelles de la psychiatrie. C'étaitlà une manifestation d'une tendance nouvelleque l'on pouvait appeler "explosion psychiatri-que" (Ellenberger, 1981).

Il serait tout à fait illusoire de croire que cequ'Ellenberger nomme ici l'explosion psychia-trique pourrait avoir quoi que ce soit de communavec l'explosion des révolutions socialistes desXIXe et XXe siècles. Ce n'est pas à une révolution

qu'il fait allusion ici, mais bien plutôt à un véri-table essor de l'impérialisme psychiatrique dans leschamps de la culture (le biologique, le sociolo-gique et la psychanalyse) dont les fondementsépistémologiques et logiques ne sont jamais nianalysés, ni mis en question ni même comparés.

Parler de "psychiatrie dynamique" à proposde Freud est tout simplement faux. Une allégationde ce genre est du même ordre que celle quifaisait annoncer la mort de Jacques Lacan dansLe Devoir en ces termes : "une grande perte pourla psychiatrie française!". C'est non seulementfaux, c'est malhonnête puisqu'il apparaît quecelui qui énonce de telles remarques ne s'estmême pas donné la peine de lire Freud, pas plusque Lacan puisque ce dernier, de toute façon,est réputé illisible. Citons donc Freud ici-même,contre Ellenberger et ses pairs, lorsqu'il eut àprendre la défense de Théodore Reik contre lespsychiatres Nord-américains, ceux-là même qui,aujourd'hui, se sont assurés du contrôle de l'Asso-ciation Psychanalytique Internationale.

"Quel mauvais vent vous a poussé, vous, préci-sément vous, vers l'Amérique? Vous auriez dûsavoir avec quelle amabilité des analystes non-médecins seraient reçus par nos collègues pour quila psychanalyse n'est qu'une des servantes de lapsychiatrie. N'auriez-vous pas pu rester pluslongtemps en Hollande?... Naturellement je suisheureux d'écrire n'importe quel certificat qui voussera utile. Mais je doute fort qu'il vous apporteune aide. Où existe-t-il là-bas une institution quiserait intéressée à protéger la continuation denos recherches?" (Freud, 1953). La lettre dont jeviens de citer un extrait est datée du 3 juillet 1938et, lorsqu'il pose la question de savoir "quelleinstitution est intéressée à poursuivre" les re-cherches de la psychanalyse en Amérique duNord, tout en laissant clairement entendre qu'En'en existe aucune, la question est d'autant pluscruelle que la New York Psychoanalytic Societyainsi que YAmerican Psychoanalytic Associationont été toute deux fondées vingt-six ans aupara-vant, soit en 1911 ! La méfiance radicale de Freudà l'endroit de "l'extraordinaire diffusion de lapsychanalyse" en Amérique du Nord et, en parti-culier, dans la psychiatrie qu'elle a effectivementfait "exploser", tient précisément à ce que ce quise diffuse et que les psychiatres reconnaissent sous

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le nom de "psychiatrie dynamique de Freud" n'a,en fait, absolument rien à voir avec la recherchepsychanalytique telle que son inventeur pouvaitencore la concevoir au seuil même de sa mort.La désillusion de Freud et son rejet de l'Amériquedevaient se trouver grandement justifiés lors-qu'après sa mort, Y American Psychoanalytic Asso-ciation devait finir par investir et contrôler l'orga-nisme que Freud avait créé pour éviter à la psycha-nalyse le sort qui devait la frapper en Amérique duNord, l'Association Psychanalytique Internationale.C'est pourquoi ce n'est pas sans amusement que jepeux lire sous la plume de Dufresne et Saucier(1981) que les seuls psychanalystes sont ceuxhabilités par une Société adhérente à l'AssociationInternationale alors que cette dernière n'est plusqu'un jouet entre les mains de Y American Psy-choanalytic Association désavouée par Freud!!!

Il faut donc avoir côtoyé quelque temps lemonde des institutions psychanalytiques pour nepas manquer de constater que si la psychanalysedoit mourir — à supposer qu'elle ne soit déjàmorte — ce sera de la main même de ceux quiavaient pour tâche de la faire vivre et de lui con-server toute la virulence subversive qu'elle doit àson statut très particulier dans le champ scienti-fique d'être, au même titre que le marxisme, unepratique théorique, plutôt qu'une 'science' au senssuranné que les psychiatres et les psychologuesdonnent aujourd'hui à ce terme.

Il faut bien reconnaître, hélas ! que la formationlinguistique, anthropologique, socio-économiquevoire mythologique et littéraire que Freud exi-geait pour tout psychanalyste (il n'a jamais recom-mandé la formation médicale qui ne lui fut utile,comme il ne cesse de le rappeler au début de savie professionnelle, que comme gagne-pain!), faittotalement défaut à la plupart et que cette absencede culture réelle, donc d'occasion de penser,se trouve, comme il se doit, comblée par la massedes préjugés idéologiques et des préjugés de classe.Au Québec, comme un peu partout ailleurs, laplupart des psychanalystes appartiennent auxclasses bourgeoises et petites-bourgeoises, ce qu'ilsne manquent pas de manifester lorsque, d'aven-ture, il leur arrive de prendre position sur tel outel sujet. Je ne peux m'empêcher de penser icià la seule réunion scientifique qui ait jamais faitsalle comble à la Société Psychanalytique de

Montréal et qui date de quelques années déjà; elleavait pour objet de définir les recours juridiquesqu'avaient les psychanalystes lorsque leurs analy-sants ne les payaient pas... !

Disons-le d'emblée, il n'y a rien à attendre desinstitutions psychanalytiques d'autre que la mortde la psychanalyse. Nous voyons déjà se mani-fester les symptômes de son agonie dans des signespériphériques :

1°) La récupération de ses instances de forma-tion et de la question de la transmission, enFrance tout au moins, par l'État ;

2°) la réduction médicale et psychologique deson discours ;

3°) sa transformation en une chose littérairepour mass media;

4°) la désaffection croissante de ses institutsde formation (surtout aux États-Unis), par lesjeunes intellectuels;

5°) le tarissement de toute forme de créativitéau sein des instituts et sociétés tout autant quedans l'ensemble des publications officielles. Onen arrive à attendre la publication complète deslettres de Freud à Fliess comme un événementdont l'importance n'aura d'égale que celle desmanuscrits de la mer Morte. À quoi bon si per-sonne ne sait les lire?

6°) Ce tarissement de la créativité n'est d'ail-leurs, en grande partie, que le résultat de l'édulco-ration, voire la mutilation pure et simple, par les"didacticiens", du texte même qui constitue lefondement de la psychanalyse : le texte de Freud.

J'en reviens par ce biais à cette alexie socialequi consiste en ceci : que "nos contemporainsne savent pas lire". C'était dans ces termes queStéphane Mallarmé répondait, il y a près d'unsiècle, à l'agression dont sa poésie, jugée tropobscure, était l'objet de la part des critiques lit-téraires. C'est également dans ces termes qu'ilconvient de juger la plupart des opinions, desprises de position, des controverses et des péti-tions de principe, voire des prises à parti, autourde la pensée et du texte de Freud.

Dire, par exemple, de la psychanalyse, qu'ellene s'intéresse qu'à l'individu ne dit strictementrien qui vaille de la pratique théorique psychana-lytique, mais indique par contre, de la façonla plus claire que le sujet d'un tel énoncé ne s'estmême pas donné la peine de lire Freud. Par "lire

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Freud", nous entendons : dégager sous le jeuexcessivement complexe des métaphores (phy-siques, neurologiques, biologiques, littéraires,mythologiques etc.), des paradoxes, des contra-dictions, des discontinuités discursives, des signespropres au sujet de renonciation, les lignes deforce de la structuration de cette pensée autourde certains termes clés, de noyaux intangiblesqui, plus que des concepts, sont de véritables"dits fondamentaux" {Grundwortëf, les piliersfondateurs d'une nouvelle manière de penserl'homme. Non seulement des concepts, mais desconcepts qui dévoilent des lieux inexplorés duréel, des concepts qui font apparaître de nouveauxfaits, ou des faits déjà connus, sous un éclairagetout à fait autre, des concepts qui annoncentl'à-penser. Et c'est si vrai, que la révolution scienti-fique du début du siècle a contraint au renverse-ment des positions positivistes et objectivantesqui ont pu faire dire à Claude Bernard que devantla vérité des faits la théorie venait en second,ce que n'a pas manqué de citer l'un des psychia-tres du Précis. Tous deux ont tort. Chez Freud,comme dans la physique contemporaine, commedans la biologie (celle de François Jacob5 et noncelle des psychiatres biologisants), comme chezMarx, c'est la théorie qui permet de se dégager duterrorisme immobilisateur des faits, c'est elle quipermet leur déplacement, c'est à partir d'elle ques'effectue le plus grand essor du nouvel espritscientifique, lorsque le savant réussit à s'aperce-voir, contre l'empirisme harcelant du sens com-mun, qu'avant d'être un fait, le phénomènephysique est une équation. La psychanalyse naîtvéritablement non pas de la psychopathologie,mais à l'occasion d'études sur la psychopathologie,de brusques élans théoriques dans lesquels Freudmet en place la structure du sujet de l'inconscient.Une structure qui n'est que théorique, qui estprésente dès 1895 dans les lettres à Fliess ainsique dans YEsquisse pour une psychologie scien-tifique, une structure purement théorique sanslaquelle ni Y Interprétation des rêves, ni la Psycho-pathologie de la vie quotidienne ni Le mot d'espritn'auraient jamais vu le jour, ni l'ensemble de lathéorie psychanalytique. Cette structure n'a sonpareil nulle part dans les diverses conceptions quedepuis Platon, si l'on tient à remonter jusqu'auxGrecs, depuis Descartes, si l'on veut être plus

rigoureux, les sciences de l'homme se sont faitesdu sujet, mais c'est une structure qui apparaîtcurieusement, presque simultanément, donc à unmoment bien particulier de l'histoire (celui desrévolutions du XIXe siècle), chez Marx, chezNietzsche et chez Freud. Cette nouvelle manièrede penser l'homme, ce "nouvel esprit scientifi-que" comme l'appelle Bachelard, est totalementétranger au rationalisme positiviste et empiriquequi règne en maître au sein de la psychiatrie etde la psychologie d'aujourd'hui et qui, aprèsavoir été essentiel à un certain moment du déve-loppement des sciences au siècle de la raison, enconstitue aujourd'hui la limite et l'un des obstaclesle plus redoutable à la formation du nouvelesprit scientifique, donc de la psychanalyse.

Cette alexie sociale autour de laquelle noustournons, se manifeste suivant deux axes qui sont :

1°) la déduction de ces dits fondamentauxà de simples notions psychologiques ou médicales,voire du sens commun ;

2°) la suppression, l'élision pure et simpled'un certain nombre de ces dits fondamentaux(qui ne valent qu'en tant qu'ils sont eux-mêmespris dans un système qui fait qu'ils ne valent quel'un par l'autre et chacun par l'ensemble dusystème dans lequel ils apparaissent) lorsqu'ilsrésistent plus fortement que d'autres à touteforme de réductionisme. Je pense évidemmentaux pulsions de mort (Todes Triebé) que JeanLaplanche - assurément meilleur viticulteur quethéoricien de la psychanalyse — peut, dans lespremiers chapitres de son cours sur Y Angoissedans la théorie freudienne (Laplanche, 1980),balayer d'un revers de main, en déclarant toutuniment qu'à la différence de Freud, il considé-rait que le pulsionnel ne pouvait être que sexuel.Alors que Freud, quant à lui et sans doute pourdes raisons théoriques plus essentielles que cellesde Laplanche, a maintenu ces pulsions de mortau cœur de son élaboration théorique, envers etcontre tous, dès leur introduction en 1923 dansle Moi et le Ça, jusqu'à sa propre mort. Sansdoute Laplanche tranche-t-il ainsi le nœud gordienqu'elles constituent au sein de la théorie, mais ensimplifiant ainsi les choses, il participe aussiallègrement au meurtre de la psychanalyse qued'aucuns ont participé en leur temps (1963-1964), aux tentatives de destruction de l'ensei-

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gnement de Jacques Lacan, qu'il ne s'agissait passeulement d'exclure de la Société, mais surtout deréduire au silence. Évoquons ici la mésaventure

I plus grave qui survint au grand marxiste italienI Gramsci que son juge devait envoyer pourrir enI prison avec cette remarque terrifiante : "II fautempêcher cette tête de penser". Tel était le propos

; des psychiatres américains lorsqu'ils exigèrentl'exclusion de Lacan du milieu psychanalytique.

Ce dont nous sommes tous redevables à Lacanet ce, à des degrés fort divers, c'est de nous avoirmontré, en nous apprenant à lire Freud, que lapsychanalyse n'est absolument pas une théoriede l'individu, fut-il malade ou sain, mais la science

I de l'homme comme sujet, c'est-à-dire en tant qu'il! parle et que, de ce fait, il se trouve être dans unI rapport au monde qui l'entoure, aux autres etj à lui-même, à nul autre pareil et, en tout cas,! irréductible à son animalité voire à son organi-cité. C'est vers une conception de plus en pluscollective et sociale du sujet que, tout au long dudéveloppement de sa pensée, Freud s'orienteet qui, si elle ne se trouve pas pleinement déve-loppée dans son œuvre même, y trouve néanmoinsdès Totem et Tabou en passant par Psychologiecollective et analyse du moi, L'avenir d'uneillusion pour aboutir à Malaise dans la civilisation(soit de 1913 à 1929), un certain nombre derepères, de traits, de remarques incidentes quirapprochent la psychanalyse de cette autre grandepratique théorique qu'est le marxisme.

Louis Althusser, ce grand lecteur de Marx,a bien montré qu'il n'y avait aucune incompati-bilité entre la pratique théorique marxiste et lapratique théorique psychanalytique. La psycha-nalyse et le marxisme se déploient dans une mêmeaire épistémologique dont ils ont tous deuxcontribué à ouvrir l'espace et à fixer les limites6.On ne saurait impunément condamner ces deuxgrandes pratiques théoriques de notre temps sousprétexte que certains psychanalystes, voire certainsmarxistes, de par leur appartenance à des institu-tions plus ou moins étatiques (hôpitaux, univer-sités, etc.) se sont avérés incapables d'opérerl'ensemble des ruptures idéologiques et épistémo-logiques qu'exigent respectivement la psychanalyseet le marxisme avec les disciplines, les idéologiespratiques et les philosophies qui les entouraient,déjà, telles des fées ambiguës, lors de leur nais-

sance. À défaut d'avoir effectué ces ruptures, ilsse sont faits les agents de la récupération et de laréduction de la psychanalyse et du marxisme,dans et par l'idéologie dominante et ses formespratiques comme, par exemple, la psychologieet la psychiatrie, fut-elle bio-psychosociale.

Lorsque certains psychologues, définissent lapsychologie, par sa méthodologie (c'est-à-diretout l'arsenal des groupes témoins, le contrôledes falsifications, des échantillonnages, etc.), etqu'ils font de cette méthodologie le critère dereconnaissance de toute science, ils manifestenttout d'abord une compréhension singulièrementrestreinte et datée de la science. Nous pourrionsleur opposer l'exemple de la physique à qui l'onne saurait dénier le titre de science et qui, pour-tant, ne se définit absolument pas par sa méthode(si elle l'a d'ailleurs jamais fait), mais par sonobjet et ses modes de théorisation de cet objet.Lorsqu'ils concoctent leurs petits plats cuisinés,les psychologues ne font guère que mettre enapplication des modes de vérification d'un savoirprésupposé, en d'autres termes ils n'invententrien que ce qu'ils savaient déjà devoir être là, nonparce que cela s'y trouvait effectivement, maisparce que cela doit y être. Ce "doit" n'étant pascelui de l'éthique, mais celui d'une vision norma-tive et "normativante" du monde. D'ailleurs latâche des psychologues, pour autant que j'ai pules voir à l'œuvre au Douglas Hospital, par exem-ple, n'est rien d'autre que la substitution cheztel sujet réduit à n'être qu'un "malade", c'est-à-dire réduit à ses symptômes, d'un système dereprésentations déviant par un système de repré-sentations "normative", soit le passage d'un état 1à un état 2, chacun des deux états pouvant êtredécrit, défini et compris au sein d'un systèmedescriptif clos. La consolidation de l'état 2 se fai-sant selon les modalités diverses du conditionne-ment. Il faudrait demander aux psychologues,quelles questions éthiques et politiques soulèventpour eux une telle objectivation du sujet.

C'est tout à fait dans cet ordre de passage d'unétat à un autre que nous est présentée la curepsychanalytique dans ce Précis qui, ici, me sertde cible. Un peu comme s'il fallait aux auteurs,rassurer leurs collègues psychiatres sur la bonnetenue morale, à défaut d'être "scientifique", decette cousine un peu folle de la psychiatrie. Voici

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un homme qui souffre de toutes sortes de symp-tômes que l'on nous décrit dans la bonne traditionpsychiatrique, il se noue à l'intérieur de la cureanalytique une relation d'un tout autre ordrequ'avec le psychiatre ou le psychologue tradition-nels, puisque ce qui fonde cette relation au théra-peute est le transfert, cette mise en acte de l'in-conscient, mais qui semble se réduire ici à la réac-tivation d'anciens modes relationnels au papa età la maman dont le psychanalyste, neutre etbienveillant, se fera le support d'autant mieuxqu'il sera plus neutre et plus bienveillant et qu'ilsaura départager les sentiments ambigus que peutprovoquer en lui le fait d'être pris pour un(e)autre, de ce qui parviendra mystérieusement del'inconscient de son analysant au sien. Ce quiparaît tout de même mystérieux dans le récit decette cure témoin, c'est qu'il aura suffi à ce mon-sieur de retrouver, tant dans ses souvenirs quegrâce aux judicieuses interprétations du et dansle transfert, ce qu'étaient effectivement ces modesrelationnels oubliés, refoulés, mais qui le contrai-gnaient à une répétition épuisante de comporte-ments avortés, pour que son moi, qui ressemblefort à la norme bourgeoise, prenne le dessusde l'enfant incorrigible et monstrueux qu'il futdans la réalité ou le fantasme, et qu'il puisse enfinmener la vie qui convient à tout bourgeois. Cen'est certes pas le conditionnement qui aura joué,mais quelque chose de beaucoup plus pernicieuxque les auteurs nous laissent entrevoir dans laconclusion de cette cure : l'identification au moifort de l'analyste que l'analysé quitte dans unegratitude ambivalente, certes, mais comme onquitte un "père spirituel" (sic). Je suis désolé,mais je dois avouer que je ne connais aucunanalyste, et Dieu sait si j'en connais des tas, queje quitterais ou considérerais comme un "pèrespirituel", Lacan le premier. Et si c'est sur "l'iden-tification au moi de l'analyste" que doit se ter-miner une cure, je ne vois pas en quoi cette find'analyse diffère en quoi que ce soit, en fin decompte, de ce à quoi aboutit une thérapie beha-viorale de la pire espèce : l'aliénation du moi dusujet à une norme, dans la plus complète mécon-naissance de ce qu'il est comme sujet.

C'est dans la problématique entièrement nou-velle du statut du sujet que le dit fondamentaldu transfert, par exemple, doit être saisi. Une

problématique qui tend à penser le sujet (c'est-à-dire, répétons-le, l'homme dans son rapport aulangage et à l'usage qu'il en fait et qui, en retour,le structure), par l'élaboration d'un système deconcepts-questions. "Concepts-questions qu'enpsychanalyse il ne faut jamais prendre pour desconcepts-réponses : dire pour nous référer d'unesimple indication à ce cas paradigmatique, quele rêve a un sens, et même qu'il accomplit undésir inconscient, sexuel, infantile, c'est ouvrirune recherche plutôt que clore une question;une recherche qui devra chaque fois se préciseren fonction de chaque cas comme une fonctionde tous, bien plutôt qu'une question temporaire-ment posée et qui se serait trouvée résolue pourun certain nombre d'entre eux" (Schotte, 1964).

À la différence de la psychologie et de la psy-chiatrie, fut-elle "psychanalytique", la psychana-lyse n'opère pas par ses méthodes et ses techniquesle passage d'un état 1 (par exemple : névrosé oumalade) à un état 2 (normal ou guéri) ; elle ouvrepour le sujet qui s'engage dans l'expérience analy-tique — et devient de ce fait un analysant —l'espace d'un devenir illimité. Elle ré-ouvre unespace de questions, de désirs inscrits effective-ment dans l'histoire du sujet, et plus précisémentdans son histoire infantile. Là il a été nié, refoulévoire même forclos et cet espace ré-ouvert luirestitue son statut de sujet-en-devenir, un sujetpluriel, un sujet infiniment adaptable, et non pasadapté au seul ordre bourgeois, et ce aussi long-temps qu'il ne sera pas refermé par une réponse,une interprétation "normativante", un "tu dois"qui l'assujettirait de nouveau (ne fut-ce que sousla forme de l'identification) à une unicité factice,à un état dont la stabilité aveugle est la garantiemême de l'exploitation dont, dans notre systèmecapitaliste, il est à la fois l'agent et la victime.

Le transfert est effectivement ce qui permetla ré-ouverture de ce qui était refoulé, clos voireforclos, et contraignait le sujet à la répétition.Plutôt qu'un espace de questions ou de désirsqui ne seraient tels qu'à toujours viser un manqueradical, disons que le transfert, en psychanalyse,est de l'ordre de ce qu'il y a à reconnaître. À laplace des questions "mais qu'est-ce que j'ai,docteur? qu'est-ce que je suis?", à quoi un spé-cialiste sera toujours prêt à répondre : "unenévrose", ou "un schizophrène incurable", doit

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pouvoir être substitué un "qui suis-je?", à savoir :"quelle combinatoire pulsionnelle détermine mon

I statut, mon mouvement en tant que sujet et mon! inscription dans un procès qui me dépasse?" (etI non un ordre qui m'assujettit).

En d'autres termes le transfert, si essentiel audévoilement de la structure du sujet, n'est passeulement le simple déplacement sur l'analystedes sentiments vécus par le sujet dans sa primeenfance à l'endroit de ses parents, sentimentsrefoulés puis réactivés dans la relation thérapeute/patient (ce qui constitue une définition plutôtpsychologisante). Le transfert est bien plutôt"la mise en acte de l'inconscient"7, en tant que

I cette mise en acte constitue la relation psychana-lytique proprement dite. C'est parce qu'il y atransfert à reconnaître que la psychanalyse estpossible, c'est parce que du transfert est reconnucomme mise en acte, démasquage d'un incons-cient qui n'est tel que d'avoir été refoulé, qu'ily a effectivement analyse. Que ce repérage s'ef-fectue sous la forme d'une reconnaissance plutôtmétaphorique de situations affectives antérieure-ment vécues dans l'espace œdipianisé de la familleimporte peu si toutefois ces métaphores familialesne sont jamais prises que comme de véritablesmises en scène, de véritables représentationsthéâtrales et théâtralisantes d'un sujet agi par desdéterminismes pulsionnels qui ne se réduisent pasà ces petites pulsions des familles, à ces petitsémois sexuels à quoi Laplanche réduit le pul-sionnel, mais sont plutôt cachées par elles et sonten fait "quelque chose de grave et de formidable,dont nous voudrions nous approcher avec cir-conspection" (Freud).

Par son silence, son attention soutenue et égaleà l'usage que l'analysant fait du langage, l'analystefavorise la lente émergence d'une parole à la foisplurielle et questionnante, la parole pleine, laparole vraie du sujet, un "qui suis-je?" moduléde mille manières possibles, à quoi, contrairementau psychologue, au médecin ou au spécialistenormatifs qui savent toujours déjà la réponse,il ne répondra jamais qu'un "che vuoi?", un "queveux-tu?", lui aussi modulé de mille et une maniè-res : du grognement inarticulé, à la phrase la plusalambiquée dans laquelle il se retrouve parfoispris à son grand dam, mais qu'il émettra, en finde compte, que pour maintenir la tension de

l'interrogation, par la relance du discours del'analysant hors du camp d'une compréhensionimmédiate, d'une prise dans le sens, afin que lemoi du sujet (l'image qu'il s'est construite delui-même par le jeu des identifications spéculairessuccessives aux autres, ceux qui ont tour à toursecoué ses amours et ses haines8 s'effrite devantce miroir continuellement changeant et pourtantimmuable qui ne lui renvoie jamais la mêmeimage de lui-même, et qu'advienne enfin le sujetde l'inconscient envers et contre tous les méca-nismes de défense du moi.

C'est la possibilité même de cet avènementqu'on nomme transfert, de cet avènement d'unsujet pulsionnel "qui ne fait signe, comme l'écri-virent Serge Leclaire et Jean Laplanche (1963)(en un temps où il était mieux inspiré), ni à lapremière, ni à la troisième personne, mais enpersonne". Ce sera, par exemple, un "Wutze!"fort malsonnant qui, brusquement, déchirera lediscours autrement poli et bien organisé de telanalysant, injure où toute la violence contenue,refoulée mais qui, de ce fait, le constitue commesujet de l'inconscient, le manifeste par son incon-gruité et sa non-appartenance aux énoncés qui enentourent l'apparition. Le transfert est constituéde l'irrépressibilité même de l'émergence de cessignifiants qui, malgré la force colossale desmécanismes de refoulement, a tout de mêmeproduit la psychanalyse tout autant qu'elle produitle sujet humain en devenir.

Nous sommes loin, avec cette conception pro-prement freudienne du transfert, des élucubrationspaternalisantes du psychanalyste qui ne voit, dansle transfert, sa propre position que comme celledu substitut du père ou de la mère et risque d'enarriver à croire, de ce fait, aux vertus de la bonté,comme Sacha Nacht (1963), ou, ce qui n'est guèremieux, à sa fonction d'objet d'identification pourses analysants.

Si le transfert peut, à la rigueur, commencer àse métaphoriser par ce biais, c'est bien au-delà dela contemplation de son papa et de sa mamanvoire de son psychanalyste sur la scène de sonpetit théâtre imaginaire et personnel qu'il mènele sujet embarqué "sur le chemin qui ne mènenulle part" de la psychanalyse, ainsi que Freuddevait le constater dans l'un de ses grands textes :Analyse terminée, analyse interminable.

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S'il répond à la question de l'amour, ou de lamort ou de la volonté de maîtrise (la grandetrilogie pulsionnelle), ce n'est pas pour dévoilerau sujet comment il a aimé (et/ou haï) sa mèreet/ou son père, mais comment il aime, tout court,fût-ce aimer à en crever.

Si l'on peut assez rapidement découvrir quel'analysant aime son psychanalyste (bien qu'ilne cesse parfois de lui répéter qu'il s'étonne de nepas ressentir cet amour insensé dont il croyait quetout analysant idolâtrait son analyste, mais plutôtune sorte d'indifférence brumeuse), comme ilaimait ou croyait aimer sa mère, son père, etc.Il reste à savoir — et c'est à partir de ce moment-làque le transfert s'ouvre sur "les espaces graveset formidables des pulsions" - comment il aimait.C'est-à-dire dans quels faisceaux, dans quelle com-binatoire pulsionnelle qui le constitue commesujet, sa mère, mais ça aurait pu être n'importequi d'autre, fut appelée à jouer tel rôle hier età occuper telle place (comme le pion sur le jeud'échec ou le signifiant dans la parole) que lepsychanalyste occupe aujourd'hui et qu'entretemps tel, et tel, et tel autre auront tour à tourou simultanément occupée.

En fait, un pas considérable fut accompli parFreud hors du familialisme où il pataugeait, lors-qu'il s'aperçut que le statut du sujet s'élaboraitde façon plus rigoureuse avec l'introduction dunarcissime (S. Freud, 1914). Le premier objetd'amour du sujet n'est pas (comme pour la petiteoie de Konrad Lorenz) le premier objet venu às'occuper de lui, comme on se plaît à le croire,en fait ce premier objet, en général sa mère, ilaurait plutôt de bonnes raisons de s'en méfierdans la mesure où c'est elle qui, la première, le con-traint à renoncer aux satisfactions auto-érotiquespuis aux satisfactions objectales primitives etimmédiates de la prime enfance (qui suffisent à lapetite oie de Lorenz), pour y substituer des satis-factions différées d'ordre symbolique, c'est-à-diremédiatisées par le langage (ce que n'était pasl'échange de petits couinements qui unissaientLorenz à son oie) (Lorenz, 1969).

Le premier amour du sujet, c'est le sujet lui-même, et il est tout à fait extraordinaire d'avoirà constater que c'est cette découverte qui, appa-remment de façon paradoxale, devait amenerFreud à s'orienter de plus en plus décisivement

vers une compréhension de l'homme, non pas ertant que sujet individuel, mais en tant que sujeisocial. C'est en effet à partir de l'introduction dinarcissisme dans la théorie, qu'il substitue de pluien plus aux instances objectales individuelles, lepère, la mère etc., des instances purement socialesqui vont piéger le sujet, l'assujettir, participer auxmécanismes du refoulement, de la culpabilité etde la conscience morale qui en font ce légumeintellectuel que nous reconnaissons aujourd'huiun peu partout, cette copie conforme, ce clonedes temps modernes. Ces instances sont le moiidéal, l'idéal du moi et le surmoi. Elles sont expli-citement décrites par Freud comme le résultatde l'intériorisation par le sujet d'instances alié-nantes et répressives socialement. Cette intériori-sation se fait au terme de certains mécanismesd'assujettissement : l'identification, l'idéalisationet la sublimation.

Lorsque Freud indique au début de Psychologiecollective et analyse du moi, où sont développésces concepts, qu'il n'y a pas de différence fonda-mentale entre la structure du sujet telle qu'ellenous est révélée par l'analyse d'un individu ettelle qu'elle nous apparaît au sein des groupes,ce n'est absolument pas pour nous dire que lesgroupes sont analogiques aux individus, maisafin de nous indiquer qu'en fin de compte l'oppo-sition traditionnelle individu/société n'est paspertinente en psychanalyse (pas plus d'ailleursqu'elle ne l'est pour le marxisme) dans le cadred'une élaboration rigoureuse du statut du sujet.C'est une toute autre opposition qu'il met à laplace, celle du narcissime/idéal social. Si le sujetse définit dans son rapport au langage et à l'usagequ'il en fait et qui, en retour, le structure, com-ment peut-on penser une seule seconde (à moinsde réduire le langage à un comportement commeun autre), que Freud situe le statut du sujet etle problème de son assujettissement, en d'autrestermes que sociaux? |

Pris sous cet angle, le sujet de l'inconscient,apparaît comme refoulé, ligoté par un moi (d'oùs'origine le refoulement) qui n'est rien d'autrelui-même que le résultat de l'intériorisation, del'identification imaginaire à des objets (peut-être le père et/ou la mère) qui ne sont absolumentpas reconnus pour ce qu'ils sont effectivement,mais pour ce qui en est dit et ce qu'ils disent d'eux- '

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mêmes et des autres à l'enfant. Eux-mêmes, d'ail-leurs, et le marxisme nous est ici d'un apportprécieux, bien avant de pouvoir être des sujets ausens psychanalytique du terme (y parviendront-ils jamais?, sont avant tout des agents du social,d'un social articulé en Appareils de Pouvoir extrê-mement diversifiés? D'un social, d'une sociétédont la structure a été analysée par Marx, certes,plus que par Freud, mais dont Freud a tout demême parfaitement compris, à rencontre del'opinion commune toujours prévalente, qu'ellene se comprenait qu'en fonction de la manièredont elle assurait la répartition des richesses etorganisait les rapports de production (Freud,1927). De ce point de vue, la société dans laquelleil vivait lui-même, et dans laquelle nous vivons, lasociété capitaliste, se caractérisait par un systèmed'exploitation des masses si radical et si inégali-taire qu'il fallait bien admettre, écrit-il incidem-ment, qu'une telle société n'avait aucun droità l'existence et que ses pratiques justifiaientcertainement la révolution des masses laborieuses.

Comment être à ce point aveugle pour ne pasvoir dans ces remarques incidentes qui jalonnentUavenir d'une illusion et Malaise dans la civilisa-tion, les points d'une articulation possible etnécessaire de la psychanalyse au marxisme?

Ainsi donc, dans le transfert, ce ne sont passeulement les déterminismes pulsionnels qui,dans leur articulation aux structures et aux élé-ments fondamentaux du langage, définissent lesujet (Peraldi, 1978) et qui vont se trouver mis enacte et, éventuellement, écoutés voire, dansles meilleurs des cas, entendus, mais égalementl'ensemble de ces instances qui ont participé àl'aliénation du sujet et résultent de l'intériorisa-tion des instances sociales de répression, média-tisées par les agents des Appareils de Pouvoir (lepère ou la mère de famille, le professeur d'école,le curé de la paroisse, le médecin de famille, etc.)dont la fonction d'agent, qu'ils le veuillent ounon, qu'ils le sachent ou non, est surdéterminéepar leur appartenance à telle ou telle des institu-tions qui découpent le champ social : qu'il s'a-gisse de l'institution familiale, scolaire, paroissialeou médicale... Définissons ici, momentanément,l'institution comme un regroupement socialcodé qui fonctionne selon certaines normes etpoursuit certaines fins d'encodage spécifique des

sujets qui leur sont soumis : encodage œdipiendes enfants dans la famille, encodage scripturalet professionnel des élèves dans l'institutionscolaire, encodage idéologico-moral à l'église,etc. (Peraldi, 1976-1978).

Lorsque Freud décrit l'idéal du moi comme unesorte de modèle composite et sommaire d'unepart, une sorte de "personnage bâclé à la six-quatre-deux", comme disait Schréber, au nomduquel le moi refoule le sujet de l'inconscientet auquel, dans le même temps, il tente de s'iden-tifier sous les espèces du moi idéal et d'autrepart comme résultant de l'identification au père,il ne pense pas au père réel, mais au père plus oumoins mythique, à l'image du père telle que,dans son discours, l'institution familiale ne cesse,de génération en génération, de la reproduire,de la reconduire sous les espèces du mythe œdi-pien. Dans ce sens l'idéal du moi est une purefiction idéologique et il faut toute la violencemenaçante du surmoi, qui résulte de l'intériori-sation des menaces de castration, elles aussid'origine sociale (et dont Freud rend plus oumoins heureusement compte avec son mythe dela horde primitive [Freud, 1913]), pour con-traindre le moi à renoncer non seulement à sa-tisfaire, mais même à reconnaître les motionspulsionnelles du sujet de l'inconscient, au profitd'une identification aliénante à l'idéal du moi.

Cet idéal du moi n'est d'ailleurs même pas làpour élever le sujet au-dessus de sa médiocriténative et l'amener par le biais de ce renoncementet de la sublimation de ses pulsions, à réaliserdes choses sublimes, comme a pu complaisammentle penser Freud, mais bien plutôt pour satisfairela structure narcissique de son désir en lui offrantune image idéalisée de lui-même (le moi idéal)en place de ce qu'il est réellement (un sujet di-visé), et pour l'astreindre à des structures decomportement et à un monde de représentationsidéologiques qui n'ont d'autre but que de satis-faire aux fins inégalitaires de l'exploitation desmasses propres à notre société.

C'est cette structure d'aliénation du sujet parle moi en tant que reflet de ces fantoches idéo-logiques que sont toutes les formes de l'idéal dumoi (le bon père, la bonne mère, le bon employé,le bon citoyen, le bon médecin, etc.) que lepsychanalyste a pour tâche d'analyser, c'est-à-dire

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de rendre accessible, de par sa présence au sujetdans le transfert, beaucoup plus que par ses"interprétations", afin qu'il puisse assouplir lesblocages, les refoulements, les défenses, l'ensembledes illusions qui constituent l'idéal du moi toutautant que son moi idéal et l'aliènent à des degrésdivers et sous des formes diverses. Non pas pourtendre vers une quelconque Norme, bien aucontraire, mais afin que s'ouvrent à lui les voiesinnombrables du devenir et du changement, fut-ce le changement du monde préconisé par Marxmais auquel Freud, déçu, n'osait guère croire10.

S'il peut sembler ici que cette conception freu-dienne du sujet tend un peu trop vers le social,c'est parce que la psychanalyse n'a pas pu rencon-trer à ce jour une biologie qui rendrait comptede ce que Freud désignait sous le terme de pul-sions. C'est-à-dire une biologie dont les fonde-ments épistémologiques seraient plus ou moinshomologues à ceux de la psychanalyse et dumarxisme. Une biologie qui aurait elle aussirompu avec cette biologie positiviste que l'on voitfleurir dans les conceptions organicistes de lapsychiatrie, voire génétiques. Ce n'est pas ici lelieu d'entreprendre une critique serrée de l'usagequi est actuellement fait par la psychiatrie pourjustifier ses hypothèses sur le caractère héréditairede certaines "maladies mentales" et dont unexemple nous est offert dans le Précis. Je renverraile lecteur intéressé au chapitre consacré à cesquestions et me contenterai ici de citer quelqu'unqui n'est peut-être pas l'un des pontes du CollègeCanadien de Médecine, mais qui a tout de mêmereçu pour ses travaux une récompense qui ensouligne la valeur : le Prix Nobel de médecine, ils'agit de François Jacob qui vient de publier unpetit livre (Jacob, 1981) qui vient à point en cequ'il nous offre une réponse que les auteurs duPrécis auraient tout avantage à méditer. Criti-quant ce qui lui semble l'extrême du réductio-nisme biologique, le caractère héréditaire duQ.I.. Jacob manifeste son étonnement de biolo-giste devant toute tentative de quantification del'intelligence et des aspects extrêmement diver-sifiés de son fonctionnement selon les circons-tances. "En fait, conclut-il, sur le comportementde l'être humain et sur les composantes généti-ques de ses aptitudes mentales, la biologie d'au-jourd'hui n'a guère à dire. La méthode de la géné-

tique consiste, à partir de ce qu'on voit, decaractères observables, de ce qu'on appelle 1(phénotype, à déduire ce qui est caché, l'état de:gènes, ce qu'on appelle le génotype. Cette méthode fonctionne parfaitement lorsque le phéno

,-type reflète plus ou moins directement le géno( typeiii Si une telle étude est possible pour des

malformations héréditaires que l'on peut suivrede génération en génération, ou de caractèrescomme le groupe sanguin, voire de certainesmaladies organiques connues, "en revanche, lesméthodes de la génétique s'appliquent mal àl'étude du cerveau humain et de ses performan-ces"... en effet "les performances intellectuellestelles qu'on peut les observer chez un individu nereflètent pas directement l'état de ses gènes.Elles reflètent l'état de nombreuses structurescachées au plus profond du cerveau, fonction-nant à de multiples niveaux d'intégration. Cesstructures, nous en ignorons totalement la rela-tion avec les gènes et nous n'y avons aucun accèsexpérimental". De par le fait même que certainssujets dits psychotiques aient pu atteindre lesformes les plus redoutables de l'autisme ou dudélire pour revenir à des formes de comportementqui leur permettaient de retrouver une place satis-faisante au milieu des hommes et des femmes,devrait suffire à nous indiquer qu'il ne s'agit enaucune façon de "maladie", au sens par exemple,où l'hémophilie est une maladie qui se transmetgénétiquement, donc, en quelque sorte inguéris-sable. Ce que soutiennent certains des auteurs dece Précis dès qu'il est question de psychose."Comme tout organisme, rappelle Jacob, l'êtrehumain est génétiquement programmé, mais ilest programmé pour apprendre. Tout un éventailde possibilités est offert par la nature au momentde la naissance. Ce qui est actualisé" (ce peutêtre une psychose, ou une névrose voire uneperversion)" se construit peu à peu pendant la viepar l'interaction avec le milieu". Or c'est préci-sément à une interaction lui permettant de retrou-ver comment il s'est construit, à la différence detous les autres, dans son interaction avec beau-coup d'autres, que la psychanalyse invite l'analy-sant et l'analyste dans le temps d'une analyse;non pas pour ramener cette diversité et réduirela différence à une seule Norme et ses variantesadmises, mais au contraire, pour redonner à cette

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diversité tout son éclat, son foisonnement et sarichesse.

Malheureusement notre société n'accepte pas,et de moins en moins, cette diversification infiniedes sujets, au contraire. "Chaque jour, remarqueencore Jacob, s'amenuise cette extraordinairevariété qu'ont mis les hommes dans leurs croyan-ces, leurs coutumes, leurs institutions. Que lespeuples eux-mêmes s'éteignent physiquement ouqu'ils se transforment sous l'influence du modèlequ'impose la civilisation industrielle, bien des cul-tures sont en passe de disparaître. Si nous ne vou-lons pas vivre dans un monde envahi par un seulet unique mode de vie, par une seule culturetechnologique..., il nous faut faire très attention."Je ne sais si, comme le pense Jacob, il suffit demieux utiliser notre imagination pour parer àcette formidable menace, mais ce qui me semblecertain, c'est que ceux-là mêmes qui affrontentla question du sujet en tant que, ce faisant, c'estleur statut même de sujet qu'ils mettent en jeulorsqu'ils s'offrent à écouter un autre sujet tenterde leur parler de lui-même. Ils ne peuvent alors éviterde questionner de la manière la plus vigilante lesconditions sociales de leur pratique. On cherche-rait en vain, dans l'ensemble des articles du Précis,une quelconque réflexion sur les conditions socio-économiques du fonctionnement de la psychiatried'une part et du statut social de ses clients d'autrepart. La notion même de la classe sociale sembletotalement absente du chapitre consacré à l'épi-démiologie. Je n'en suis guère étonné car je mesouviens de l'expression de totale stupéfaction quis'est peinte sur le visage de H. Murphy lorsqu'aprèsune conférence faite à l'Institut Albert-Prévostje lui demandai s'il avait repéré comment larépartition des troubles psychologiques qu'ilavait étudiés dans divers quartiers de Montréal,recoupait la répartition des diverses classes socialesdans ces quartiers. Qu'une telle question puissemême se poser lui paraissait sans doute beaucoupplus la manifestation de mon délire ou d'un pen-chant à la contestation que quelque chose qu'il luiserait possible d'envisager un seul instant. Peut-être même crut-il y apercevoir, l'espace d'unéclair, le spectre menaçant de l'antipsychiatrie.Ce qui, pourtant, si l'on en croit Ellenberger,aurait peut-être pu lui ouvrir quelques voies nou-velles : "Quelle que soit l'explication que l'on

puisse donner à la vague récente de l'antipsychia-trie, celle-ci aura du moins été utile à la psychia-trie en l'obligeant à une révision de ses basesphilosophiques et de ses principes fondamentaux".

Il est vrai, en effet, qu'il faut que l'État et sesappareils soient de temps à autre secoués parquelque vague de contestation et de protestationqui semble sourdre de la masse populaire. L'Étata besoin de ses criminels pour justifier l'accroisse-ment de son appareil policier et de ses machinesde surveillance. L'État a besoin de ses terroristespour justifier la mise en place de réseaux d'espion-nage externe autant qu'interne (je pense à lalégalisation de l'intervention de la CI .A. au seinmême des États-Unis, par l'administration Reagan).L'État a besoin de se dire agressé pour déployerson armement sur le monde. Et l'État avait en effetsans doute besoin de l'antipsychiatrie pour orga-niser le contrôle pan-psychiatrique de la massedes travailleurs. En vérité l'antipsychiatrie aurapermis à la psychiatrie de jeter sur le peuple sonfilet, de rejeter le masque de la médecine dontelle se paraît pour enfin dévoiler les "bases philo-sophiques" sur lesquelles, désormais, elle fonc-tionne et prétend, par la même occasion, fairefonctionner, entre autres, la psychanalyse. Ilsuffit de penser à la loi de la Protection de lajeunesse article 39, et aux lois récentes abolissantle secret professionnel.

Nous ne nous en mêlerions pas et nous laisse-rions l'ordre pan-psychiatrique bio-psychosocialgérer la folie comme les industries pétrolièresgèrent les gisements de pétrole, c'est-à-dire en entirant un profit maximal et nous nous contente-rions d'attaquer la psychiatrie sur le plan poli-tique, comme nous pourrions le faire pour laC.I.A. ou les grands appareils répressifs d'État,afin de la contraindre à avouer les ressorts sociaux,économiques et politiques de son fonctionnementdans le cadre du système capitaliste canadien, si ellene tentait pas dans le même temps, à la manière desgrands groupements financiers, d'annexer quelquechose qui, en son essence, lui est absolument étran-ger : la psychanalyse et si, ce faisant et en légiférantsur les conditions légales de sa pratique, elle ne ladétruisait en la réduisant à un simple diverticule (ôtrès honoré, certes) du monstre tricéphale qu'elleprétend être, au service de l'ordre policier beau-coup plus que de la vérité du sujet.

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NOTES1. Définition : "les idéologies pratiques (par exemple

la morale, la religion, à quoi nous ajouterons le psy-chanalysme), sont des formes complexes de montage-notions-représentations d'une part et de montagesde comportements-conduites-attitudes-gestes d'autrepart. L'ensemble fonctionne comme des normespratiques qui gouvernent l'attitude et la prise deposition concrète des hommes à l'égard des objetsréels et des problèmes réels de leur existence socialeet individuelle, et de leur histoire", Louis Althusser,1970, Idéologie et Appareils idéologiques d'État.Positions, Éditions sociales.

2. Le psychanalysme est le nom que Robert Castel adonné aux phénomènes idéologiques qui ont entouréet entourent encore l'émergence de la psychanalyse.Cf. R. Castel, 1973, Le Psychanalysme, FrançoisMaspéro.

3. La question : La psychanalyse est-elle mortelle?doit servir de thème proposé à la réflexion de quel-ques psychanalystes, pour le premier numéro d'unerevue en gestation, Frayages, qui sera la seule revuede psychanalyse actuellement à Montréal.

4. Le terme est emprunté à Heidegger qui l'opposeaux concepts scientifiques proprement dits, entant qu'ils servent à décrire plus qu'à questionner.On sait toute l'importance du questionnement pourHeidegger.

5. Telle qu'elle est introduite de manière remarquableen fonction du renversement de ses positions épisté-mologiques dans Le jeu des possibles, Fayard, 1981.Renversement qui met la théorie en première place,dans la production des faits de connaissance enmatière de génétique.

6. Cf. Freud et Lacan, in Positions, Éditions sociales,1971.

7. Définition que l'on doit à Jacques Lacan, et large-ment développée dans son séminaire sur le Transfert,non publié.

8. Sur l'identification spéculaire qui caractérise lestade dit du miroir, introduit dans la théorie psycha-nalytique dès 1936 par Jacques Lacan, cf : Le stadedu miroir, in Écrits, Seuil, 1966.

9. La théorie des Appareils de pouvoir est développéepar Althusser dans Idéologie et Appareils idéologi-ques d'État (opus cité), elle est en fait empruntéeà Gramsci qui, quant à lui, parlait plutôt d'Appareilsd'hégémonie et qu'il présentait comme des structuresbeaucoup plus souples et mouvantes au sein duchamp social que les Appareils de Pouvoir Althus-seriens.

10. Ce qui l'a fait taxer d'anticommunisme, dans lamesure où il élevait quelques doutes quant auxchances de réussite de la révolution russe. N'oublionspas toutefois que ses doutes se sont accentués avecl'arrivée au pouvoir de Staline dont on doit tout demême reconnaître qu'il a sinistrement influencé ledevenir de la révolution communiste en Russie.

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SUMMARYIn this article the author is interested by psychoana-

lysis as a theoretical practice. He makes the connectionbetween psychoanalysis and marxism, and shows usthat Freud was not as far removed from marxism as somepeople think. His reflexions and experiences bring himto strongly criticize psychiatry which, in his view, is arepressive practice contributing to the murder of psycho-analysis as a practice which questions the truth of thesubject.