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La protection par le droit d’auteur des créations générées par intelligence artificielle Mémoire Maîtrise en droit Claudia Gestin-Vilion Université Laval Québec, Canada Maître en droit (LL.M.) et Université Paris-Saclay Sceaux, France Master 2 (M2) © Claudia Gestin-Vilion, 2017

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La protection par le droit d’auteur des créations générées par intelligence artificielle

Mémoire Maîtrise en droit

Claudia Gestin-Vilion

Université Laval Québec, Canada

Maître en droit (LL.M.)

et

Université Paris-Saclay Sceaux, France Master 2 (M2)

© Claudia Gestin-Vilion, 2017

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RESUME

À l’heure où les formes de création connaissent une diversification croissante, la question de

leur protection par le droit d’auteur pose de plus en plus de questions. Tout particulièrement,

l’émergence des robots intelligents, et leurs débuts dans le milieu de la création artistique

tendent à brouiller considérablement la frontière entre les créations humaines assistées par

un ordinateur, et les créations véritablement générées par la machine. Dans ce contexte, il

devient nécessaire de se poser la question de savoir si les créations générées par une

intelligence artificielle peuvent, ou non, recevoir la protection que le droit d’auteur accorde

par principe aux œuvres de l’esprit. La spécificité de ces nouveaux modes de création pose

tout particulièrement la question de savoir quelles prérogatives pourraient être attachées aux

produits créatifs générés par une intelligence artificielle, et qui pourraient en être les

titulaires.

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TABLE DES MATIERES

Résumé III

Table des matières IV

Remerciements VI

Introduction 1

1. Les creations realisees par le biais d’une intelligence artificielle, susceptibles de recevoir la qualification d’œuvres ? 19

1.1 Un défaut des éléments qualificatifs de l’œuvre fermant la porte du droit d’auteur ? 19

1.1.1 Définition de l’œuvre de l’esprit 19 1.1.2 L’absence d’auteur-créateur, rendant vaine toute recherche d’originalité ? 25 1.1.3 La reconnaissance d’une personnalité juridique à l’intelligence artificielle, palliatif à

l’absence d’auteur personne physique ? 29 1.1.4 Accorder une personnalité juridique à l’IA : une solution risquée à l’utilité

contestable 33 1.2 La notion d’œuvre, décelable dans l’acte matériel de création à travers l’intention de

l’humain derrière la machine ? 40 1.2.1 La résurgence des questions relatives aux œuvres photographiques 40 1.2.2 L’intention créatrice de l’humain à l’origine de l’œuvre, désireux de se prévaloir de

la qualité d’auteur 44 1.2.3 Une objectivation de la notion d’originalité, la rendant accessible aux créations

générées par un ordinateur ? 48 1.2.4 L’exemple Common law-iste d’une empreinte de la personnalité en retrait, au profit

d’un critère de l’effort 51

2. La complexe determination des droits attaches aux creations generees par une intelligence artificielle et de leurs titulaires 58

2.1 La titularité des droits attachés à l’œuvre réalisée par une intelligence artificielle 58 2.1.1 Le créateur, personne physique titulaire ab initio des droits d’auteur 59 2.1.2 Une titularité des droits au profit de l’utilisateur de l’IA ? 62 2.1.3 Une titularité des droits au profit du programmeur de l’IA ? 67 2.1.4 Une titularité des droits au profit du titulaire de la licence du logiciel de l’IA ? 74 2.2. La nature des droits attachés à l’œuvre réalisée par une intelligence artificielle 78 2.2.1 La complexe reconnaissance d’un droit moral attaché aux créations générées par

IA 78

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2.2.2 La reconnaissance de droits patrimoniaux attachés aux créations générées par IA, plus aisément identifiables 84

2.2.3 Une absence de titulaire en cas d’indiscernabilité de l’empreinte de la personnalité de l’humain à travers la création de la machine ? 89

Conclusion 92

Bibliographie 97

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REMERCIEMENTS

Je souhaite tout d’abord adresser ma plus grande gratitude à Madame Groffe et à Monsieur

Azzaria, qui, en tant que directeurs de mémoire, se sont montrés d’une grande écoute et d’une

grande disponibilité tout au long de la réalisation de ce travail ; leur expertise et leurs conseils

ont été d’une aide précieuse dans la rédaction de ce mémoire.

Je remercie ensuite ma famille et tous ceux qui m’ont conseillée et orientée dans cette

recherche, notamment le Master PIFTN dans son ensemble pour son précieux soutien.

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INTRODUCTION

A wounded deer leaps highest

A wounded deer leaps highest,

I’ve heard the daffodil

I’ve heard the flag to-day

I’ve heard the hunter tell;

’Tis but the ecstasy of death,

And then the brake is almost done,

And sunrise grows so near

sunrise grows so near

That we can touch the despair and

frenzied hope of all the ages.1

Ces dix vers, au sujet desquels il convient de se poser la question de savoir s’ils constituent

un poème, sont en tout état de cause un véritable exploit technologique : confrontée à la

question de savoir si ce texte avait été écrit par un humain ou par un robot, la majorité des

personnes interrogées2 a cru qu’il s’agissait de l’œuvre d’un poète de chair et d’os, quand il

a en fait été réalisé par le robot-poète du chercheur Raymond Kurzwell3. Cette illustration

vient s’ajouter à la liste déjà conséquente des exemples d’immixtions des robots « ou plutôt

de leurs intelligences artificielles »4 (IA) dans la création artistique, qui ne cesse de croître.

Celles-ci sont désormais capables de réaliser des « œuvres » rivalisant avec celles des

1 « Additional Poems Written by Ray Kurzweil’s Cybernetic Poet », en ligne : <http://www.kurzweilcyberart.com/poetry/rkcp_poetry_samples.php> (consulté le 14 mars 2017). 2 61% des personnes interrogées ont cru que ce poème avait été écrit par un humain, d’après une expérience menée en ligne sur le site « botpoet » : « Leaderboard | bot or not », en ligne : <http://botpoet.com/leaderboard/> (consulté le 27 mars 2017). 3 Ce « robot » est capable de lire et d’analyser des poèmes écrits par un poète humain, et génère ensuite un modèle de langage propre à cet auteur. C’est à partir de ce modèle que le robot pourra ensuite composer ses propres poèmes, à l’image de celui cité plus haut. « How It Works », en ligne : <http://www.kurzweilcyberart.com/poetry/rkcp_how_it_works.php> (consulté le 14 mars 2017). 4 Pierre Sirinelli, « Robot banquier : le pouvoir de dire oui ? » [2016] Dalloz IP/IT 221.

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humains en matière de qualité artistique : ainsi, certaines IA sont capables de rédiger des

poèmes, de réaliser des peintures ou des dessins, de composer des morceaux de musique ou

d’émettre des avis juridiques, que même un observateur attentif distingue difficilement de

ceux réalisés par des personnes physiques. D’ailleurs, AIVA, un compositeur virtuel créé en

février 2016, et spécialisé dans la composition de musique classique et symphonique, a été

le premier à être reconnu comme compositeur auprès de la SACEM et a pu enregistrer de

nombreuses créations musicales5 auprès de la société de gestion collective de droits.

Le terme « robot », fréquemment employé afin de désigner ces nouveaux acteurs nécessite

d’être défini. Polysémique, il renvoie généralement à l’enveloppe mécanique permettant à

l’intelligence artificielle d’exécuter les actions prévues dans son programme. Ce sont en effet

celui-ci et les algorithmes qui la composent qui sont à l’origine de la création, le robot

physique ne servant souvent qu’à la matérialiser. Par ailleurs, si un robot peut être doté d’un

logiciel d’intelligence artificielle, il peut également en être dépourvu, et n’agir que comme

un simple automate. Enfin, si certains programmes nécessitent le support mécanique d’une

machine pour créer, d’autres peuvent parfaitement s’en passer, et le résultat de leur activité

sera alors une production dématérialisée, telle que le poème cité plus haut ou une composition

musicale numérique. Ainsi, afin d’écarter toute confusion, une distinction sera faite entre le

robot matériel et le robot virtuel. Il pourra également être fait référence à l’intelligence

artificielle (IA), au programme, au logiciel, au système ou à l’algorithme : tous renvoient au

responsable technique des opérations générant un résultat créatif6. En tout état de cause, seuls

les robots dits « intelligents » seront envisagés dans le cadre de ce sujet : en effet, un robot

qui ne serait qu’un automate au service d’un créateur personne physique ne susciterait pas de

polémique et serait simplement considéré, au sens du droit d’auteur, comme un outil. « Le

facteur singulier ne réside pas ici dans l’accomplissement d’actions par un robot, mais par

le développement de son autonomie. »7

5 « Résultats de recherche - La Sacem », en ligne : <https://repertoire.sacem.fr/resultats?filters=parties&query=AIVA#searchBtn> (consulté le 30 juin 2017). 6 Un système est décrit au moyen d’un algorithme, codé dans un langage de programmation (C, C++, Lisp, Fortran…), et l’implémentation de cet algorithme dans un ordinateur résultera en ce que l’on appelle un « programme », un « logiciel » ou une « application ». 7 Adrien Bonnet, mémoire de recherche : La Responsabilité du fait de l’intelligence artificielle - Réflexion sur l’émergence d’un nouvel agent générateur de dommages, Université Panthéon Assas Paris II, 2015.

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L’expression « intelligence artificielle » est apparue en 1956 avec le premier logiciel conçu

pour imiter le raisonnement humain8. Il englobe une variété considérable de programmes et

reçoit à peu près autant de définitions, aucun consensus n’ayant été trouvé au sein de la

communauté scientifique9. Il est composé des mots « intelligence » et « artificielle » mais ne

se conçoit pas comme la simple agrégation de ces deux termes. Le professeur Marvin Lee

Minsky, considéré par beaucoup comme l’un des pionniers de l’intelligence artificielle10, en

donne la définition suivante : « la construction de programmes informatiques qui s’adonnent

à des tâches qui sont, pour l’instant, accomplies de façon plus satisfaisante par des êtres

humains, car elles demandent des processus mentaux de haut niveau tels que :

l’apprentissage perceptuel, l’organisation de la mémoire et le raisonnement critique »11. Les

autres définitions de l’intelligence artificielle s’avèrent plutôt proches de celle donnée par

Minsky12, à l’exception de l’aspect ou de la forme de l’intelligence que l’on cherchera à

reproduire de façon artificielle. Pour certains, il s’agira de se rapprocher au plus de

l’intelligence humaine, pour d’autres, de tendre vers un modèle idéal d’intelligence : la

rationalité, qui ne s’en rapproche pas nécessairement13.

Le Parlement européen, quant à lui, a adopté une résolution contenant des recommandations

à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique. Si ce texte ne propose

pas de définition de l’IA, il suggère à la Commission d’opérer ce travail de qualification et

8 Le terme est apparu avec le programme « logic theorist » conçu par Allen Newell, Herbert A. Simon et Cliff Shaw. Bien que des programmes précédents (tels que des algorithmes permettant de résoudre un jeu d’échecs) auraient pu recevoir la qualification d’intelligence artificielle, c’est celui-ci qui a été considéré comme le véritable premier programme intelligent. V. Dominique Pastre, « l’intelligence artificielle définition, généralités, historique, domaines » [2000], en ligne : <http://www.math-info.univ-paris5.fr/~pastre/IA.pdf> (consulté le 16 mars 2017). 9 Stephen P Stich et Martin D Ringle, « Philosophical Perspectives in Artificial Intelligence. » (1983) 92:2 Philos Rev 280, DOI : 10.2307/2184941 : « Given the lack of agreement in the field, AI is best considered to encompass AT technology, AI simulation, AI modelling and AI theory. » Cité par : Marshall S Willick, « Artificial intelligence: Some legal approaches and implications » (1983) 4:2 AI Mag 5. 10 Aux côtés notamment de Dean Edmonds, grâce à la création en 1951 du premier réseau neuronal artificiel, et de John McCarthy. 11 Définition communément reprise mais dont la référence reste introuvable. 12 « Artificial intelligence (…) can be defined as the capability of a device to perform functions that are normally associated with human intelligence, such as reasoning, learning and self-improvement » Martin H Weik, « Standard dictionary of computers and information processing » dans Standard dictionary of computers and information processing, Rev. 2d ed, Rochelle Park, NJ, Hayden Book Co, 1977, 192. 13 Stuart J Russell et Peter Norvig, Artificial intelligence: a modern approach, 2nd ed, coll Prentice Hall series in artificial intelligence, Upper Saddle River, NJ, Prentice Hall/Pearson Education, 2003.

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de définir aussi bien les robots intelligents que ses sous-catégories en tenant compte des

« caractéristiques suivantes des robots intelligents :

– acquisition d’autonomie grâce à̀ des capteurs et/ou à l’échange de données avec

l’environnement (inter connectivité́) et à l’échange et l’analyse de ces données ;

– capacité d’auto-apprentissage à travers l’expérience et les interactions (critère

facultatif) ;

– existence d’une enveloppe physique, même réduite ;

– capacité d’adaptation de son comportement et de ses actes à son environnement ;

– non vivant au sens biologique du terme. »

Bien entendu, l’intelligence artificielle n’a pas fait son entrée en droit uniquement par la porte

du droit d’auteur, et ses incidences sont perceptibles dans différents domaines juridiques

depuis plusieurs années déjà : en matière de droit de la responsabilité, la Royal Bank of

Scotland (RBS) a, par exemple, investi dans un robot pour conseiller directement les clients14.

Dans une telle hypothèse, sur qui les obligations de bonne foi lors de la négociation et de

conseil du banquier doivent-elles peser ? L’impact des technologies numériques en matière

de droit du travail est lui aussi déjà très net dans le monde de la presse où des journalistes

chargés de rédiger des dépêches financières ont déjà été remplacés par des algorithmes15.

Enfin, il est à prévoir que les robots puissent également s’immiscer en droit des personnes et

de la famille, puisque certains auteurs ont déjà évoqué la possibilité d’« épouser une femme

robot16 », des androïdes faisant déjà office de compagnons de vie17.

Toutefois, si l’apparition de ces logiciels d’intelligence artificielle fait émerger de nombreux

problèmes juridiques, les questions soulevées en droit de la propriété intellectuelle se posent

avec une particulière acuité. En effet, la matière littéraire et artistique est le seul domaine

pour l’instant où l’on a pu considérer que le test de Turing avait — en quelque sorte — été

14 Sirinelli, supra, note 4. 15 Audrey Lebois, « Oeuvre de presse - Quelle protection juridique pour les créations des robots journalistes ? » (2015) 1 CCE Étude 2. 16 Xavier Labbée, « Épouser une femme robot » [2014] 352 Gaz Palais 5. 17 Voir entre autres les robots humanoïdes : Nao, Pepper et Romeo de Softbanks Robotics ou les robots d’Hiroshi Ishiguro.

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passé avec succès18 : c’est-à-dire qu’un humain, face à une création réalisée par une

intelligence artificielle, peut penser être en présence d’une œuvre réalisée par un de ses

pairs19. L’exemple a été donné plus haut de poèmes réalisés par une IA qui ont trompé la

plupart des personnes interrogées. Les portraits ou peintures réalisés par des robots

intelligents sont aujourd’hui pour la plupart indiscernables des œuvres réalisées par des

humains20. Enfin, une IA du nom de « Benjamin » a rédigé intégralement le script d’un court

métrage21, assez cohérent pour être ensuite interprété par des acteurs de cinéma. Si ce test est

critiqué par une partie de la communauté scientifique, il demeure une référence pour mesurer

le niveau d’intelligence (au sens « humain22 » du terme) atteint par des programmes

informatiques. C’est la raison pour laquelle le vaste sujet de l’entrée dans le domaine du droit

des programmes intelligents sera traité ici sous l’angle de leurs incidences en droit d’auteur.

Ainsi, les robots intelligents envisagés le seront selon une acception plus large que celle

proposée par le Parlement européen qui intégrera les robots virtuels. Circonscrire l’analyse

aux seuls robots dotés d’une « enveloppe physique, même réduite », conduit à exclure une

grande partie des logiciels créatifs, qui génèrent des morceaux de musique, des poèmes et

tout autre type d’œuvre immatérielle, sans l’intervention d’un robot au sens mécanique. Sauf

à considérer que l’enveloppe physique contenant l’IA pourrait être l’ordinateur sur lequel elle

s’exécute, mais cette précision paraîtrait quelque peu superflue, dans la mesure où tous les

programmes ou algorithmes, quels qu’ils soient, nécessitent un ordinateur afin de

fonctionner. Ainsi, il sera préféré la définition de l’IA donnée par l’Organisation

18 « Turing Test: Passed, using computer-generated poetry | Raspberry PI AI », en ligne : <https://rpiai.wordpress.com/2015/01/24/turing-test-passed-using-computer-generated-poetry/> (consulté le 15 mars 2017). 19 Le test de Turing consiste en réalité à mesurer l’intelligence d’une machine en faisant dialoguer celle-ci avec un humain par ordinateur. Si l’humain ne se rend pas compte qu’il est face à une intelligence artificielle, le test de Turing est considéré comme réussi. V. Alan M Turing, « Computing machinery and intelligence » (1950) 59:236 Mind 433–460. A ce jour, hormis un résultat très controversé en 2014, aucune machine n’a encore réussi ce test. Turing n’avait pas envisagé à l’époque de confronter des humains à des œuvres émanant de robots, mais il est fait référence aujourd’hui au test de Turing de façon courante lorsqu’il s’agit de mesurer l’intelligence artificielle en la comparant à l’intelligence humaine. V. Martin Untersinger, « Réussite contestée d’un ordinateur au légendaire test de Turing », Le Monde.fr (9 juin 2014), en ligne : Le Monde.fr <http://www.lemonde.fr/sciences/article/2014/06/09/un-ordinateur-reussit-le-legendaire-test-de-turing_4434781_1650684.html> (consulté le 15 mars 2017). 20 A titre d’exemple, voir les peintures du robot eDavid. 21 Voir le script du court métrage « Sunspring » réalisé dans le cadre du festival britannique « Sci-Fi London ». 22 C’est-à-dire que l’on cherche ici à reproduire artificiellement le fonctionnement du cerveau humain.

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Internationale de Normalisation (norme ISO)23 : « capacité d’une unité fonctionnelle à

exécuter des fonctions généralement associées à l’intelligence humaine telles que le

raisonnement et l’apprentissage ». Cette dénomination permet d’appréhender les robots

physiques sans exclure les programmes qui seront étudiés ici, à savoir ceux qui ont été conçus

par des humains afin d’exercer une activité créatrice nécessitant l’exercice de fonctions

cognitives.

La communauté scientifique s’accorde sans trop de mal pour distinguer deux sous-catégories

d’IA, familièrement qualifiées d’IA « faibles » et « fortes ». Ces deux sous-catégories se

subdivisant elles-mêmes en deux types d’IA différents, en fonction de leur degré

d’autonomie. Parmi les IA faibles, les plus basiques sont les reactive machines. Ce type d’IA

est à l’origine d’actions nécessitant d’effectuer des choix, mais il n’est pas capable de prendre

appui sur des expériences passées pour instruire des décisions futures. Ces machines n’ont

pas d’interaction avec leur environnement et, ainsi, si elles ne bénéficient pas de mise à jour,

elles réagissent toujours de la même façon face à un scénario identique. En matière de

création artistique, un exemple de reactive machine serait le robot eDavid. Celui-ci est

constitué d’un bras robotisé dirigé par un logiciel, qui lui permet de reproduire une image sur

une toile. Au cours du processus, le robot va ajuster l’épaisseur du trait, les couleurs et les

contrastes pour générer une peinture reproduisant le plus fidèlement possible l’image qui l’a

inspiré, mais il ne « s’améliorera » pas au fur et à mesure qu’il peindra. Ses expériences

passées n’influeront pas sur son mode de création futur et, s’il est confronté plusieurs fois à

un même sujet, le résultat généré sera toujours identique, la seule façon de l’améliorer étant

de modifier son code ou sa structure. Ensuite, le second type d’IA dite « faible » est constitué

des machines ayant une limited memory. À la différence des premières, elles emmagasinent

des expériences passées qui influent sur leurs décisions futures. Un exemple de ce type de

programme serait le logiciel Deepdream de Google qui, par des modifications successives,

transforme une image donnée afin de lui donner un aspect surréaliste, éventuellement jusqu’à

rendre l’image première méconnaissable. L’algorithme de ce programme se développe en

23 ISO/IEC 2382:2015, ICS : 01.040.35 Technologies de l'information (Vocabulaires) 35.020 Technologie de l'information (TI) en général. : « Capability of a functional unit to perform functions that are generally associated with human intelligence such as reasoning and learning. »

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fonction des images qui lui sont données à transformer24. Ensuite, les deux types d’IA dites

IA « fortes » sont celles de la « theory of mind », et celles dotées de « self-awareness » (ou

dotés d’une « conscience » propre). C’est ici que se dessine la frontière entre les logiciels

d’IA d’aujourd’hui et ceux de demain. Les prémices des programmes dotés d’une theory of

mind commencent à apparaître : il s’agit de logiciels capables de construire une

représentation du monde, et des éléments qui le constituent, par leurs fonctions

d’apprentissage. Quant aux logiciels disposant de « self-awareness », ils sont loin d’exister ;

en effet, pour que leur conception soit possible, il faudrait tout d’abord que l’on soit capable

d’expliquer le fonctionnement de la conscience et, ensuite, que l’on parvienne à la modéliser.

Les artistes se sont rapidement saisis des avancées technologiques et, comme le soulignent

certains d’entre eux : « À mesure que les ordinateurs se sont développés, nous avons vu notre

relation avec eux évoluer et le rôle de l'ordinateur passer de celui d'un « outil » sous le

contrôle direct de l'artiste à celui d'un collaborateur ou d'un partenaire créatif et,

potentiellement, d'une entité créative autonome. »25 Lors d’une exposition de l’artiste Georg

Nees à Stuttgart en février 1965, intitulée « Generative Computergraphik », le mouvement a

pris le nom de « generative art ». Considéré comme l’un des fondateurs de ce mouvement,

Georg Nees a ensuite rédigé la première thèse de doctorat ayant pour sujet l’art informatique

(« computer art ») en lui donnant le même titre que l’exposition. Ainsi, les deux termes ont

acquis des sens très proches, et sont souvent utilisés de manière interchangeable26. Il est

également fait référence parfois à l’« art de la programmation » ou « art du programme », qui

est défini comme : « un art dont le matériau sont les instructions algorithmiques et/ou qui

met l’accent sur les concepts culturels des logiciels. »27

24 Morgane Tual, « Le « deep learning », une révolution dans l’intelligence artificielle », Le Monde.fr (24 juillet 2015), en ligne : Le Monde.fr <http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/07/24/comment-le-deep-learning-revolutionne-l-intelligence-artificielle_4695929_4408996.html> (consulté le 30 juin 2017). 25 Jon McCormack et al, « Ten Questions Concerning Generative Computer Art » (2014) 47:2 Leonardo 135‑141. « As computers have developed, we have seen our relationship with them change and the computer’s role shift from that of a “tool” under the direct control of the artist to that of a collaborator or creative partner and, potentially, an autonomously creative entity. » 26 Margaret A Boden et Ernest A Edmonds, « What is generative art? » (2009) 20:1‑2 Digital Creativity 21‑46. 27 Annick Burreaud, « Art de la programmation et programmation esthétique. (French) » [2002] 283 Art-Press 90‑90.

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Cependant, l’art génératif, s’il se rapporte souvent à l’art créé au moyen d’un ordinateur, peut

s’entendre de façon plus large et concerner n’importe quel système réalisant un produit à

vocation artistique de manière autonome28. L’artiste et écrivain Philip Galanter en donne une

définition communément acceptée aujourd’hui. Ainsi, le terme art génératif « couvre des

pratiques artistiques où l’artiste crée un procédé qui agit selon un certain degré d’autonomie

pour créer tout ou partie d’une œuvre d’art »29. De la même façon, l’art réalisé au moyen de

programmes informatiques s’entend de nombreuses façons et, comme le souligne Annick

Bureaud, chercheuse en art et technosciences : « La variété du vocabulaire témoigne de

l'intensité et de la richesse des débats et des enjeux : art du code, art du programme (software

art), programme artistique (artistic software), art algorithmique, code-based media art (art

des médias reposant sur le code, introduit par Anne Nigten), art de la programmation, art

numérique. »30 Tous ces termes désignent le sujet qui sera ici traité à savoir : les robots

virtuels ou physiques programmés afin de générer des créations artistiques. Le terme « art

algorithmique » pourrait également servir à les désigner ; toutefois, son sens est ambigu car

il désigne souvent les créations visuelles générées au moyen d’algorithmes, or le sujet ne

souhaite exclure aucune forme d’expression artistique.

Cependant, en matière de création artistique, il sera nécessaire de distinguer les différents

logiciels d’IA car il serait trop approximatif de chercher à appliquer uniformément un même

régime à des logiciels reposant sur des fonctionnements qui peuvent varier considérablement.

Une distinction prenant en compte l’origine de ces créations (selon qu’il s’agit d’un

assemblage d’œuvres préexistantes ou d’une création totalement nouvelle) et le degré de

maîtrise de l’humain sur le processus créatif semble plus justifiée dans l’examen de la

question du point de vue du droit d’auteur. Cette précision permet de prendre en compte le

critère de l’empreinte de la personnalité de l’auteur, condition nécessaire d’accès au droit.

28 McCormack et al, supra, note 25 : « Generative procedures have a long history in art that predates the computer by thousands of years. Additionally, much contemporary generative art does not involve digital computers at all. » 29 « Art practices where the artist creates a process that acts with some degree of autonomy to create all or part of an artwork », Philip Galanter, « What Is Generative Art? Complexity Theory as a Context for Art Theory, » in 6th International Conference, Exhibition and Performances on Generative Art and Design (GA 2003), Milan. Cité par Gordon Monro, « Emergence and Generative Art » (2009) 42:5 Leonardo 476‑477. 30 Annick Bureaud, « Art de la programmation et programmation esthétique » [2002] 283 Art-Press 90‑90.

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Ainsi, les logiciels d’IA créatifs seront répartis en deux catégories principales, chacune se

subdivisant en deux sous-catégories.

La première catégorie de logiciels d’IA que l’on peut identifier correspondrait aux

programmes d’art génératif informatique dotés d’une créativité combinatoire31. La première

sous-catégorie serait constituée des programmes dotés d’une créativité combinatoire simple.

C’est-à-dire qu’ils réalisent des créations après que l’on a intégré un répertoire d’œuvres à

leur base de données. Ils effectuent ensuite une sorte de synthèse et génèrent une création

dépendante des œuvres préexistantes qu’ils auront intégrées32 en ce sens qu’ils reprennent

des extraits parfois assez conséquents pour que les œuvres ou les extraits d’origine soient

reconnaissables33 et les assemblent, les mélangent, les réorganisent afin de générer leur

création finale : synthèse de tous les éléments intégrés par le programme. Les logiciels de la

seconde sous-catégorie sont plus sophistiqués en ce qu’ils reposent également sur une

créativité combinatoire, mais couplée à une technologie d’apprentissage machine (ou

machine learning). Les programmes de cette catégorie analysent les œuvres de leur base de

données afin d’identifier des schémas récurrents et de les reproduire pour générer des

créations nouvelles. Les œuvres préexistantes incorporées au logiciel ne se retrouvent pas ici

dans la création finale, seuls leur schéma ou leur modèle de conception sont repris par la

machine34.

Ensuite, il existe une deuxième catégorie de logiciels qui pourraient être considérés comme

31 McCormack et al, supra, note 25. « Creativity is sometimes categorized into two fundamental types: combinatorial creativity, in which fixed primitive elements are combined to create new structures, and emergent creativity, where new structures or symbol primitives emerge ex nihilo. » 32 Le logiciel Pentametron, par exemple, compose des pentamètres iambiques (cinq pieds de deux syllabes chacun dont la seconde est accentuée [dans le système antique, la première syllabe est courte et la deuxième longue, de par la quantité de leurs voyelles respectives]) en assemblant des tweets. 33 La question de savoir si ces programmes enfreignent les droits d’auteur des œuvres premières intégrées à la base de données de l’IA ne sera pas abordée ici afin de se concentrer sur les droits pouvant ou non être rattachés aux créations générées par le programme. Toutefois, il semblerait que dans la plupart des cas, les fragments repris seraient assez brefs pour bénéficier de l’exception de courte citation prévu par l’article L.122-5 du CPI. (V. l’arrêt Klasen, Cass. civ. 1re, 15 mai 2015, no 13-27.391 P: Dalloz actualité, 2 juin 2015, note Daleau; D. 2015. 1672, note Bensamoun et Sirinelli; RTD com. 2015. 515, note Paullaud-Dulian; JAC 2015, no 26, p. 6, note Treppoz; LEPI juill. 2015, p. 1, obs. Lucas; CCE 2015. Étude 17, Vivant; ibid., no 55, note Caron; Légipresse 2015. III. 474, note Varet; Propr. intell. 2015, no 56, p. 281, note Lucas; ibid., p. 285, note Bruguière). 34 Un exemple serait le logiciel Magenta de Google, qui compose de la musique en reproduisant la structure des morceaux qui ont été intégrés à sa base de données.

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des programmes dotés d’une créativité émergente35, couplée ou non à une technologie

d’apprentissage profond. Ceux-ci sont programmés par un artiste, ou avec l’assistance de

celui-ci, afin de générer une œuvre. Ici, le style créatif et les règles inhérentes à une discipline

artistique sont traduits en lignes de code informatique et transmis à une machine. Celle-ci

génère alors des créations qui ne ressemblent à aucune œuvre préexistante, le robot n’ayant

jamais été mis en contact avec d’autres créations. Les robots virtuels appartenant à cette

catégorie sont principalement à l’origine d’écrits ou de compositions musicales et les robots

physiques constituent en majorité les robots-peintres (ou dessinateurs). Ces programmes

peuvent avoir un degré varié d’intelligence en ce qu’ils peuvent être capables de s’améliorer

de façon autonome, au fur et à mesure qu’ils produisent des créations, ou alors, ils peuvent

aussi générer celles-ci de façon très systématique, sans apprentissage. La distinction réside

ici dans la capacité (présente ou absente) d’apprentissage machine de ces programmes. La

distinction entre les deux catégories peut être ténue : par exemple, dans celle des robots non-

apprenants, l’on classe tous les robots-peintres qui se contentent de reproduire le sujet placé

devant eux, de façon systématique36, et dans la deuxième catégorie, l’on pourrait intégrer des

robots-peintres qui eux, grâce au machine learning apprennent de leurs créations et s’en

inspirent dans leurs « travaux » futurs. Ainsi, les robots de la seconde catégorie se

perfectionnent, et s’émancipent de la façon dont ils ont été programmés. Cette distinction est

importante lorsque l’on analyse la question du point de vue du droit d’auteur puisque, dans

le second cas, l’empreinte de la personnalité du programmeur, si elle peut être distinguée

dans la première série de programmes, sera moins marquée dans la seconde.

Les logiciels des deux catégories peuvent également être utilisés afin de générer des créations

dans le style d’un artiste préexistant, sans que celui-ci ait donné son accord, en ait été informé

ou alors qu’il est introuvable ou décédé37. Pour réaliser de tels logiciels, il faut d’une part y

35 Monro, supra, note 28. « One of the motivations for such a practice is a hope that something interesting and unforeseen will happen, that more will come out of a system than was put in, that emergence will occur. » 36 À l’image de Paul, robot-dessinateur de l’artiste Patrick Tresset. 37 Par exemple le projet « the next Rembrandt » avait pour but de construire une IA capable de reproduire des toiles à la manière du grand peintre. Ainsi, programmeurs et historiens de l’art ont travaillé ensemble à son élaboration, et le programme final a ainsi généré un « nouveau » Rembrandt, au moyen d’un algorithme pour la partie logicielle et d’une imprimante 3D pour la réalisation concrète du tableau. De la même façon, le logiciel Flowmachines a composé « Daddy’s car », un nouveau morceau des Beatles, en intégrant les œuvres préalablement réalisées par le groupe, et en « apprenant » ainsi leur style.

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intégrer des œuvres de l’artiste dont on souhaite reproduire le style et d’autre part donner au

programme les instructions nécessaires à l’analyse puis à la reproduction de ce style38. Dans

la quête de l’originalité des créations ainsi générées, il sera important de se poser la question

de savoir si l’on peut déceler à travers celles-ci l’empreinte de la personnalité de l’auteur dont

les œuvres ont été intégrées au logiciel39.

Une quatrième catégorie d’œuvres pourrait également être envisagée, qui seraient produites

de façon totalement autonome par une IA, c’est-à-dire, sans que celle-ci ait été

volontairement mise en contact avec des œuvres préexistantes et sans qu’elle ait été

programmée ou sans qu’on lui ait donné l’instruction de créer. Toutefois, cette dernière

catégorie relève pour l’instant de la fiction, et l’état actuel de la technique ne prévoit pas la

réalisation prochaine de logiciels disposant d’un tel niveau d’autonomie.

Les créations envisagées par la suite le sont donc dans l’acception de « réalisation » et non

comme des œuvres de l’esprit au sens de la loi française. Il conviendra de déterminer si elles

peuvent prétendre à cette qualité. De plus, les créations originellement dénuées d’originalité

telles qu’une simple compilation d’informations brutes ou la mise au point d’une méthode de

calcul seront exclues, afin de concentrer cette étude sur la problématique de la production de

créations potentiellement originales, et donc pouvant recevoir la qualification d’œuvres

créées par une IA.

Le droit d’auteur français a été pensé de façon humaniste, voire « romantique », plaçant

l’humain au cœur de la création. Comme le résume Nadia Walravens : « L’œuvre est la

création d’une personne physique, l’auteur dont elle reflète la personnalité. Le droit vise

ainsi à protéger l’auteur et tient compte du lien qui l’unit à l’œuvre. Par suite, il convient de

38 V. le projet « the next Rembrandt », conçu par une équipe d'historiens, de développeurs et d'analystes, qui viennent respectivement de Microsoft, de la banque ING, de l'université de Delft et de deux musées néerlandais et qui a réalisé un portrait imitant à la perfection le style de Rembrandt. 39 McCormack et al, supra, note 25. « The degree of autonomy and independence assigned to the computer varies significantly — from works that seek to minimize or exclude the creative “signature” of the human designer to those in which the computer’s role is more passive and the human artist has primary creative responsibility and autonomy (…). In a truly emergent system, new primitives emerge that were not explicitly defined when the system was specified, invoking a creativity attributable to the system itself. »

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protéger l’œuvre, mais surtout, à travers elle, la personne de l’auteur. »40 À une époque où

l’art se limitait aux formes classiques (architecture, sculpture, arts visuels, musique,

littérature, arts de la scène et cinéma), la question de la définition et de l’identification du

créateur ou de l’œuvre ne se posait pas. Il pouvait certes y avoir des querelles entre artistes

quant à la paternité d’une œuvre et nombre d’entre elles étaient orphelines, faute d’auteur

connu. Mais, hormis ces questions, le droit n’a jamais été confronté à la question de

l’identification de l’auteur. Le Code de la propriété intellectuelle (CPI) s’étant abstenu de

définir précisément l’objet de la protection, la doctrine a mis en lumière la nécessité pour une

œuvre de recevoir la qualification d’« œuvre de l’esprit » afin d’accéder au régime protecteur.

Cette qualification est alors accordée aux « créations de forme originales », l’originalité

correspondant à l’empreinte de la personnalité de l’auteur41. Une fois déterminé le caractère

original de l’œuvre, la titularité initiale des droits sur celle-ci est attribuée automatiquement

à l’auteur de l’œuvre, qui est présumé en être le créateur42.

Ces règles mises en évidence, les questions soulevées par les créations générées par une IA

— par définition dépourvue de personnalité — apparaissent très nettement. En l’absence

d’auteur personne physique, et donc d’empreinte de la personnalité de celui-ci, doit-on

considérer que les créations peuvent accéder au rang d’œuvres originales et donc à la

protection du droit d’auteur ? Un régime intégralement construit pour protéger un auteur à

travers son œuvre doit-il s’adapter afin d’intégrer ces nouvelles créations, au sein desquelles

on ne peut logiquement trouver de trace de la personnalité de l’auteur ? Avec l’apparition

d’œuvres d’un genre nouveau43, la définition de l’originalité comme empreinte de la

personnalité de l’auteur a déjà fait l’objet d’aménagements afin de les faire entrer dans le

champ de protection. Ne pourrait-on se fonder sur cet assouplissement afin d’accueillir les

créations générées par IA ? De plus, si la vision française du droit d’auteur ne semble pas très

40 Walravens, Nadia. L’œuvre d’art en droit d’auteur : forme et originalité des œuvres d’art contemporaines, coll Patrimoine, Paris : Paris, Institut d’études supérieures des arts ; Economica, 2005, p. 23. 41 V. infra : 1.1.1. La définition de l’œuvre. 42 L.111-1 CPI : « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété́ incorporelle exclusif et opposable à tous. » L. 111-2 CPI « l’œuvre est réputée créée ... du seul fait de la réalisation même inachevée de la conception de l’auteur. » 43 Le logiciel, par exemple, a trouvé une place au sein du droit d’auteur et bénéficie de la protection des œuvres littéraires art. L. 112-2 13° CPI.

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propice à l’inclusion de ces nouvelles formes de création, il en va autrement de certains pays

de common law. En effet, Le Royaume-Uni, par exemple, est bien plus favorable à une

valorisation de l’effort et de l’investissement que les pays de tradition civiliste qui protègent

l’auteur au travers de son œuvre, reflet de sa personnalité. Cette différence notable pourrait

conduire à une acception différente, dans ces deux régions, de la protection des créations

générées par une IA. Dès lors, une mise en perspective avec la doctrine de ces États de

Common law44 ainsi qu’une comparaison avec le système canadien — de tradition à la fois

civiliste et de Common law — pourront apporter d’intéressants éléments de réponse.

Toutefois, si ces créations générées par un robot font l’objet d’une protection par le droit

d’auteur, de nouvelles questions émergent : quelle serait la nature des droits accordés ?

Pourrait-on faire bénéficier une œuvre générée par IA d’un droit moral ? Et qui serait le

titulaire légitime de ces droits ? Plusieurs titulaires potentiels pourraient en effet être

envisagés, au premier rang desquels l’utilisateur du logiciel de l’IA, agent nécessaire au

déclenchement du processus créatif et à la mise en place éventuelle du cadre qui lui est

nécessaire. Mais on pourrait également penser au titulaire des droits sur le logiciel de l’IA,

qu’il s’agisse de son créateur (personne physique à l’origine de toutes les créations qui

découlent de l’IA) ou de celui qui en a acquis la licence d’utilisation (personne physique

ayant investi financièrement dans le logiciel afin d’en récolter les fruits). Certains auteurs45

sont allés jusqu’à considérer que l’IA pouvait elle-même être éventuellement titulaire de

droits : une audacieuse proposition qui impliquerait un bouleversement de règles-piliers du

droit.

Il convient d’ailleurs de relever que ces programmes, aussi performants soient-ils dans leur

domaine, n’ont aucune commune mesure avec les facultés de l’esprit humain. En effet, ils ne

peuvent fonctionner au-delà de la tâche bien spécifique qui leur est assignée. Cela n’a pas

changé depuis le rapport CONTU du Congrès des États-Unis, rédigé en 1974, et qui

44 Des chercheurs américains se sont intéressés à la question des incidences juridiques de l’intelligence artificielle dès le début des années 80, et ont très tôt proposé l’idée d’accorder une personnalité juridique aux logiciels d’IA. Voir notamment : Willick, supra, note 9. Ou encore : Vigderson, Tal. « Hamlet II: The Sequel? The Rights of Authors Vs. Computer-Generated “Read-Alike” Works » (1994) 28:401 Loyola of Los Angeles Law Review 401-445. 45 Notamment : l’auteure Pamela Mc Corduck, les avocats Alain Bensoussan, Muriel Cahen et Marshall Willick, ou encore la députée européenne Mady Delvaux.

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considérait alors que « L’ordinateur, au même titre qu’un appareil photo ou une machine à

écrire est un instrument inerte, capable de fonctionner seulement lorsqu’il est activé,

directement ou indirectement par un humain. Une fois activé, il n’est capable de faire que ce

qu’il lui a été demandé, de la façon dont on lui demandé de s’exécuter. »46 À cette époque,

la question de la création d’œuvres par une intelligence artificielle similaires à celles

d’origine humaine était considérée comme trop spéculative. C’est ce constat qui avait conduit

John Mc Carthy, alors directeur du laboratoire de Stanford consacré à l’IA, à suggérer à la

Commission de ne pas étudier cette question47. Aujourd’hui, le pas a été franchi et les robots

sont à l’origine de telles créations. Mais le jour est encore bien loin où ces machines créeront

de façon autonome, sans injonction humaine, ou réaliseront des créations qui iront au-delà

de ce pour quoi elles ont été programmées48. En effet, si l’on peut imaginer que les

productions réalisées par IA peuvent évoquer de manière troublante une œuvre humaine, il

faut garder à l’esprit que le logiciel ne peut créer que ce pour quoi il a été conçu, parfois en

se conformant au style artistique qui lui a été conféré49. En effet, une IA ne peut créer à partir

de rien ; il sera nécessaire de lui inculquer tout d’abord un style ou des instructions, ou de lui

transmettre une base d’œuvres préexistantes, afin de lui « enseigner » les règles de la

discipline artistique dans laquelle on souhaite qu’elle s’exécute. De plus, l’IA ne peut prendre

la décision de créer de façon autonome : un humain est toujours à l’origine du processus en

lançant ou en élaborant le programme. Il n’en demeure pas moins nécessaire d’anticiper ces

46 « The computer, like a camera or a typewriter, is an inert instrument, capable of functioning only when activated either directly or indirectly by a human. When so activated it is capable of doing only what it is directed to do in the way it is directed to perform. » National Commission on New Technological Uses of Copyrighted Works (CONTU), Final Report on the National Commission on New Technological Uses of Copyrighted Works, 1978. Chapter 3 – Computers and Copyright New Works. 47 Ibid. 48 Un rapport du Bureau Exécutif du Président des Etats-Unis (EOP), en date de décembre 2016, prévoyait qu’il était « peu probable que les machines fassent preuve d’une intelligence largement applicable, comparable ou supérieure à celle des humains dans les vingt prochaines années » (« it is unlikely that machines will exhibit broadly-applicable intelligence comparable to or exceeding that of humans in the next 20 years »). Cette idée est également défendue par la doctrine nord-américaine : Tal Vigderson, « Hamlet II: The Sequel? The Rights of Authors Vs. Computer-Generated “Read-Alike” Works » (1994) 28:401 Loyola Los Angel Law Rev 401‑445. P. 417 « French's Hal is supposed to be an independent entity, capable of creating works on its own. But it is universally admitted by scientists that AI has not reached that stage yet. » 49 Plusieurs IA ont été programmées afin « d’apprendre » le style de certains artistes, et de générer des œuvres à la façon de ces derniers. Voir notamment les cinq robots du peintre et informaticien Patrick Tresset, dessinant chacun selon un style différent, ou encore, le logiciel Swiftkey, capable de générer des poèmes dans le style de Shakespeare, après qu’on lui a transmis les vers de ce dernier.

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questions, afin d’éviter d’être pris de court dans l’hypothèse où ces créations générées de

façon totalement autonome surviendraient.

Si ces discussions sont d’une grande actualité en droit français, le législateur a toutefois su

faire preuve de réserve et aucune mention expresse de l’intelligence artificielle n’est encore

inscrite dans le droit positif. Le Conseil national du numérique (CNNum) a cependant été

consulté afin d’analyser les impacts économiques et sociaux de l’intelligence artificielle et a

récemment rendu compte d’une première étape de sa réflexion50. Certaines instances

européennes se sont, quant à elles, saisies de la question très tôt : dès 1985, en effet, le terme

apparaît pour la première fois dans une décision du Conseil des communautés européennes51.

Depuis, il est occasionnellement mentionné, mais l’IA n’a pas (encore) fait l’objet de mesures

légales concrètes au niveau communautaire. Une intervention du législateur, si elle ne doit

pas être prématurée serait cependant bienvenue. En effet, on assiste à une tendance de

privatisation de la norme qui tend à confier à des acteurs privés, se trouvant au cœur de

l’innovation en matière d’IA, le pouvoir de formuler les règles qui régiront ce domaine en

expansion. Il ne faudrait pas en effet que la prudence et la précaution du législateur délèguent

le pouvoir normatif à des acteurs personnellement intéressés par ces questions. Comme le

relèvent les professeurs Bensamoun et Loiseau :

Se pose alors la question de la légitimité de cette norme privée. D'abord, la norme devient le fait des opérateurs qui l'ont élaborée et qui y ont adhéré (…) Ensuite, la norme retenue ne va pas nécessairement dans le sens de l'intérêt général ou même seulement des valeurs humanistes qu'elle est présupposée porter. Car qui fixe ces valeurs ? Qui vérifiera la pertinence des objectifs retenus et l'adéquation des démarches à ces objectifs ? Et avec quelle légitimité ? Les enjeux de pouvoir, pour le gain n'en doutons pas d'avantages concurrentiels, ne peuvent être ignorés.52

50 Rand Hindi et al., Stratégie nationale en intelligence artificielle - Rapport du groupe de travail 3.2 : Anticiper les impacts économiques et sociaux de l’intelligence artificielle, France stratégie, Conseil National du Numérique, 2017. 51 « Décision du conseil du 26 novembre 1985 concernant la conclusion d’un accord de concertation Communauté-COST relatif à une action concertée dans le domaine de l’intelligence artificielle et de la reconnaissance des formes », Journal officiel des Communautés européennes (26 novembre 1985), en ligne : Journal officiel des Communautés européennes<Http://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/txt/pdf/?uri=celex:31985d0519&qid=1490220654181&from=fr> (consulté le 22 mars 2017). 52 Alexandra Bensamoun, Grégoire Loiseau « L’intelligence artificielle à la mode éthique » (2017) 24 Dalloz Sirey 1371‑1372.

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Par ailleurs, les questions relatives à la titularité des droits sur le robot, en tant que bien

corporel, ne seront pas traitées car réglées sans difficulté par les différentes branches du droit.

Le robot sera protégé par le droit des biens, sa forme extérieure et son nom peuvent être

protégés par le droit des dessins et modèles et par le droit des marques ; les composants

nécessaires à son fonctionnement peuvent faire l’objet de brevets et les données accumulées

par lui pourront bénéficier de la protection accordée aux bases de données53. On peut même

envisager de protéger le robot créateur par le droit d’auteur. Certains algoristes54 mettent en

scène le robot et son processus créatif dans des musées ou expositions et le présentent comme

une œuvre en tant que telle, une qualification justifiée et relayée dans la presse55. La question

de la protection de l’intelligence artificielle en elle-même sous sa forme logicielle sera

également exclue, puisque le logiciel est protégé sans soulever de difficulté (ou presque56)

par le droit d’auteur. Il conviendra toutefois de s’interroger sur les conséquences que pourrait

entraîner cette titularité de droits sur le logiciel de l’IA.

Ensuite, les créations assistées par ordinateur (CAO) ne seront pas directement envisagées

non plus. Même si cette question a pu susciter des débats57, ces créations, sous réserve de

remplir les conditions de protection58, relèvent du droit d’auteur : l’auteur étant ici l’humain

53 Jacques Larrieu, « La propriété intellectuelle et les robots » (2013) 24:4 J Int Bioéthique p. 125-126. 54 Un algoriste est défini ici par Daniel Cressey comme un artiste produisant des œuvres artistiques (un dessin, une peinture, une sculpture, un morceau de musique) en se basant sur des algorithmes. « The work should be based on algorithms but it should also produce an object of art — something concrete, such as a drawing, a painting, a sculpture, a piece of music. It should not be simply the concept behind an algorithm. »Daniel Cressey, « Q&A: The algorist » (2009) 462:7270 Nature 166‑166. 55 Catherine Mary, « Patrick Tresset, l’artiste et son double », Le Monde.fr (29 novembre 2012), en ligne : Le Monde.fr <http://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/11/29/patrick-tresset-l-artiste-et-son-double_1798080_1650684.html> (consulté le 26 juin 2017). « Mais Paul [le robot], par son côté fragile et rudimentaire, est aussi, à lui seul, une œuvre d'art. » 56 Il fut question pendant un temps de protéger les logiciels par le droit des brevets, et certains industriels (notamment outre-Atlantique) réclament encore une protection par ce biais. Voir également la proposition de directive du 20 février 2002 qui suggérait cette voie : Reinier Bakels et P Bernt Hugenholtz, La brevetabilité des programmes d’ordinateur - étude sur une législation communautaire dans le domaine des brevets de logiciels - Think Tank, Document de travail, PE 322357, Luxembourg, 2002. 57 Question aujourd’hui réglée par la jurisprudence. V. infra note 83. 58 À savoir, être une œuvre originale : Art. L 111-1 CPI : « L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. » Art. L112-1 CPI : « Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination. » Art. L112-4 CPI : « Le titre d'une œuvre de l'esprit, dès lors qu'il présente un caractère original, est protégé comme l'œuvre elle-même. »

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qui a reçu l’assistance de la machine pour créer, celle-ci jouant un simple rôle d’outil dans le

processus créatif. Si certains logiciels d’assistance à la création59 permettent à l’artiste

d’élaborer des œuvres hautement complexes, qu’il n’aurait pu réaliser sans l’aide de ceux-ci,

la question de la remise en cause du statut d’auteur de leur utilisateur ne se pose pas. En effet,

si ces créations accèdent au rang d’œuvres, c’est parce que l’empreinte de la personnalité de

l’auteur personne physique y est évidente. Ainsi, nul ne songerait à retirer sa qualité d’auteur

à un peintre ou à tout autre artiste, aussi perfectionnés que soient les outils qu’il utilise. Ce

critère de l’originalité en tant qu’empreinte de la personnalité de l’auteur distingue les

programmes d’assistance à la création, simples outils, des logiciels intelligents, considérés

comme principaux créateurs, et qui feront l’objet de cette étude. Il est cependant des cas qu’il

conviendra d’analyser, où la distinction est ténue, entre les créations assistées par ordinateur

et les créations assistées par une intelligence artificielle.

Ainsi, ce travail s’intéresse exclusivement aux incidences de l’apparition de ces nouveaux

acteurs en droit de la propriété intellectuelle, à l’exclusion des autres domaines juridiques

précités. Des parallèles pourront toutefois être établis avec le droit de la responsabilité civile :

en effet, des solutions proposées en la matière60 pourraient s’avérer transposables aux

questions qui seront soulevées dans le corps du développement. Plus précisément, il s’agira

de déterminer si les créations générées par une intelligence artificielle peuvent faire l’objet

d’une protection par le droit d’auteur, celui-ci étant en principe réservé aux seules œuvres

originales portant l’empreinte de la personnalité de leur auteur — personnalité dont l’IA est,

par nature, dépourvue — et, dans le cas où de tels droits seraient accordés, qui pourrait en

être le premier titulaire ? En effet, face à la multiplication de ces créations générées par une

IA, il convient de réagir et d’envisager le régime juridique qui pourrait leur être applicable.

Quelle que soit la réponse à cette question, il semble risqué de laisser ces créations dans

l’indétermination relativement au droit d’auteur. Comme le souligne Alain Bensoussan,

lorsque l’on n’est plus capable d’opérer une distinction entre les créations générées par une

59 On peut citer des logiciels tels qu’Adobe photoshop servant à réaliser des images numériques ou MusicMaker avec lequel il est possible de composer de la musique. 60 Plusieurs auteurs se sont déjà intéressés à cette question, notamment : Georgie Courtois, « Robots intelligents et responsabilité : quels régimes, quelles perspectives ? » [2016] Dalloz IP/IT 287 ; Cédric Coulon, « Du robot en droit de la responsabilité civile : à propos des dommages causés par les choses intelligentes » (2016) étude 6:4 Responsab Civ Assur.

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IA et celles réalisées par la main d’un être humain, il est nécessaire d’intervenir afin de

préserver la sécurité juridique61. Sinon, l’on s’expose également à une déperdition de valeur

de ces créations, qui ont vocation à se multiplier.

Il apparaît peu justifiable, aujourd’hui, d’exclure certaines créations générées par une

intelligence artificielle de la catégorie d’œuvres, et ce, malgré l’absence d’empreinte de leur

personnalité (1), mais, dans l’hypothèse où cette qualification viendrait à être retenue, se

poserait alors la difficile question de la détermination des droits attachés aux créations

générées par une intelligence artificielle, ainsi que celle de leur titularité (2).

61 Alain Bensoussan, « Informatique - Le temps est venu de créer un droit des robots les dotant d’une personnalité et d’une identité juridique » (2016) 51 Sem Jurid Ed Générale 1403.

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1. LES CREATIONS REALISEES PAR LE BIAIS D’UNE INTELLIGENCE

ARTIFICIELLE, SUSCEPTIBLES DE RECEVOIR LA QUALIFICATION

D’ŒUVRES  ?

Décrivant la structure circulaire du domaine de la protection, les notions fondamentales se renvoient les unes aux autres et fondent la conception personnaliste du droit d’auteur français : l’auteur d’une œuvre de l’esprit, création de forme originale, est celui qui intervient de manière originale dans l’univers des formes, celui donc qui crée une œuvre de l’esprit. Création, auteur, œuvre et originalité sont des notions liées, non définies par le législateur et qui non seulement bornent la matière, mais encore lui donnent sa logique. Et toutes les conditions convergent vers le rattachement à une personne physique.62

1.1 Un défaut des éléments qualificatifs de l’œuvre fermant la

porte du droit d’auteur ?

Le principal obstacle à la qualification d’œuvre réside dans le fait que les éléments

nécessaires à sa caractérisation se retrouvent difficilement dans les créations générées par

une IA.

1.1.1 Définition de l’œuvre de l’esprit

Cette définition est absente des textes français, ce sont alors la jurisprudence et la doctrine

qui se sont acquittées de la tâche de circonscrire cette notion d’œuvre.

1.1.1.1 L’absence de définition de l’œuvre de l’esprit dans les textes français

Comme le déplorent de nombreux auteurs, le Code de la propriété intellectuelle (CPI) est

muet quant à la définition de l’œuvre de l’esprit en droit d’auteur63. Il se contente en effet de

préciser des conditions indifférentes à la qualification d’œuvre, mais ne fournit pas de

62 Alexandra Bensamoun et Grégoire Loiseau, « L’intégration de l’intelligence artificielle dans certains droits spéciaux » [2017] Dalloz IP/IT 295. 63 Celle-ci est simplement évoquée à l’article L. 111-1 alinéa 1 du CPI : « L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. »

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définition positive de celle-ci, contrairement aux autres domaines de la propriété

intellectuelle qui, eux, délimitent précisément les contours de l’objet de la protection64. Le

CPI donne en effet une définition par la négative de l’œuvre de l’esprit, en précisant les

éléments qui sont indifférents à sa caractérisation. Tout d’abord, la protection par le droit

d’auteur n’est pas soumise à l’accomplissement de formalités (à l’inverse des autres

domaines du droit de la propriété intellectuelle, où la protection est conditionnée à un

enregistrement). Cette dispense de formalisme se déduit des articles L. 111-1 : « L’auteur

d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de

propriété incorporelle exclusif et opposable à tous » et L. 111-2 : « L’œuvre est réputée créée,

indépendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la réalisation, même

inachevée de la conception de l’auteur » du CPI. L’article L. 112-1 poursuit en incluant dans

le champ de la protection « toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme

d’expression, le mérite ou la destination ».

Cette « lacune » dans la définition se comprend et se justifie par le fait que le monde de l’art,

au contraire de domaines plus techniques, cherche sans cesse à bousculer les codes. Des

artistes, tels que Marcel Duchamp, s’inscrivent dans un mouvement contestataire qui cherche

précisément à s’émanciper du cadre artistique communément admis65. Ainsi, poser une

définition de l’œuvre de l’esprit au moment de la rédaction du Code aurait pu conduire à des

difficultés d’appréhension de certaines créations au regard du droit dans le cas où celle-ci

aurait été envisagée de façon trop restrictive.

1.1.1.2 La définition jurisprudentielle et doctrinale de l’œuvre de l’esprit

C’est donc la prudence du législateur qui a conduit à déléguer cette définition positive de

l’œuvre de l’esprit à la doctrine et à la jurisprudence. Cette question ne soulève guère de

débat aujourd’hui puisque les auteurs et les juges se sont accordés sur ses éléments. Il en

ressort que deux conditions sont requises afin d’accéder au statut d’œuvre de l’esprit : il faut

64 Les dessins et modèles sont définis aux articles L. 511-1 et suivants, les brevets aux articles L. 611-10 et suivants et les marques aux articles L. 711-1 et suivants du CPI. 65 Voir notamment le mouvement du Ready-made.

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être en présence d’une création de forme66 qui soit originale. Les idées, quant à elles, sont

selon un adage bien connu, « de libre parcours »67.

« L’œuvre ne peut donner prise au droit d’auteur qu’à partir du moment où elle quitte le

monde de la spéculation pour entrer dans le monde sensible de la forme »68 : c’est là un

prérequis incontournable pour accéder au droit d’auteur. La Cour de cassation précise

d’ailleurs que les œuvres sont protégées « dans leur forme sensible »69. Celle-ci doit être

perceptible au moins par l’un des cinq sens70 et elle doit être intelligible et identifiable71.

La notion d’originalité n’a guère fait l’objet de plus de précisions dans la loi et apparaît

seulement au détour de certaines dispositions du CPI72. Toutefois, sa définition doctrinale

réunit plus difficilement le consensus que celle de la forme. Le professeur Desbois émet une

proposition qui reflète fidèlement la vision humaniste selon laquelle elle a été pensée : « Est

originale toute création qui n’est pas la simple reproduction d’une œuvre existante et qui

exprime le goût, l’intelligence et le savoir-faire de son auteur, en d’autres termes, sa

personnalité dans la composition et l’expression. »73 La condition d’originalité a toutefois

été expressément posée par le législateur européen74 et est définie par plusieurs arrêts de la

66 Par opposition à une simple idée : TGI Paris, 26 mai 1987, D. 1988, SC 201, Paris, 13 mars 1986, D. 1987, IR 150, Cass. civ. 1re, 25 mai 1992, RIDA, oct. 1992, 156. 67 Henri Desbois, Le droit d’auteur en France : propriété littéraire et artistique, 3e éd. coll Propriété littéraire et artistique, Paris, Dalloz, 1978 p.22. 68 André Lucas, Henri-Jacques Lucas et Agnès Lucas-Schloetter, Traité de la propriété littéraire et artistique, 4. éd, Paris, LexisNexis, 2012 p.33. 69 Com., 10 décembre 2013, n° 11-19.872, F-D, Lancôme, Modefine et Prestige collection international c. P. Farque, D. 2014. 8, et les obs. ; PIBD 2014, n° 999. III. 113 ; Prop. Intell., janv. 2014, p. 51, obs. J.-M. Bruguière. 70 En effet, l’art. L. 112-1 du CPI précise l’indifférence de la « forme d’expression. » V. également Paris, 3 juil. 1975 : RIDA janv. 1977, p. 108 ; D. 1976. Somm. 19. 71 CA Paris, 12 nov. 2010 : PIBD 2011, n° 931, III, p. 21 : « Une forme intelligible et identifiable ». 72 L’article L 122-8 du CPI subordonne ainsi la protection à l’originalité de l’œuvre, sans en donner de définition. 73 Desbois, supra, note 67. 74 Art. 1.3 de la Directive 2009/24/CE du Parlement Européen et du Conseil du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur : « Un programme d'ordinateur est protégé s'il est original, en ce sens qu'il est la création intellectuelle propre à son auteur. Aucun autre critère ne s'applique pour déterminer s'il peut bénéficier d'une protection. » ; Art. 6 de la Directive 93/98/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993, relative à l'harmonisation de la durée de protection du droit d'auteur et de certains droits voisins. « Les photographies qui sont originales en ce sens qu'elles sont une création intellectuelle propre à leur auteur sont protégées conformément à l'article 1er. Aucun autre critère ne s'applique pour déterminer si elles peuvent bénéficier de la protection. » ; Art. 3 Directive 96/9/CE du Parlement Européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ; « les bases de données qui, par le choix ou la

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CJUE comme étant une « création intellectuelle propre à son auteur »75 ou l’expression de

ses choix libres et créatifs, selon les formules employées par les juges76. Si la Cour cède

parfois à des formulations plus lyriques77, c’est bel et bien l’empreinte de la personnalité de

l’auteur qui reste le critère déterminant de l’originalité.

Si l’on se fonde sur la définition de l’œuvre en droit français (une création de forme

originale), et si l’on s’attache ensuite à la définition de l’originalité (une création

intellectuelle propre à son auteur, empreinte de sa personnalité) la difficulté de faire entrer

les œuvres générées par une IA dans cette catégorie apparaît très nettement. Une IA étant un

programme informatique, elle est par nature (et du moins pour l’instant) dépourvue de

personnalité, cette dernière ne peut donc en aucune façon se retrouver dans ses créations.

1.1.1.3 La qualification d’œuvre composite

Cette question en appelle une seconde : si l’on est incapable de qualifier ces créations

générées par une IA, que faire alors des créations générées par un programme relevant de

l’art algorithmique synthétique ? À savoir, les programmes qui, selon la

technique recombinante, intègrent une base constituée de nombreuses œuvres puis restituent

une création dans laquelle se reconnaissent parfois une ou plusieurs des œuvres d’origine.

Peut-on alors qualifier cette création d’œuvre dérivée ou d’œuvre composite ? A priori non

car, pour recevoir la qualification d’œuvre composite, le CPI pose expressément la nécessité

d’être en présence de deux œuvres : une « œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre

préexistante »78. Cette exclusion est également fermement affirmée dans un rapport de

l’OMPI de 1982 : « En aucun cas, le logiciel utilisé ne peut être considéré comme intégré

dans le résultat qu’il produit et être qualifié d’élément d’une œuvre composite. »79

disposition des matières, constituent une création intellectuelle propre à leur auteur sont protégées comme telles par le droit d'auteur. Aucun autre critère ne s'applique pour déterminer si elles peuvent bénéficier de cette protection. » 75 CJUE 1er déc. 2011, n° C-145/10, Eva-Maria Painer c. Standardverlag et alii. 76 CJCE, n° C-5/08, Arrêt de la Cour, Infopaq International A/S contre Danske Dagblades Forening, 16 juillet 2009 donne une définition de la notion d’originalité. 77 Par ex. « expression de la touche personnelle de l’auteur. » 78 L. 113-2 al. 2 CPI. 79 Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), « Recommandations en vue du règlement des problèmes découlant, sur le plan du droit d’auteur, de l’utilisation de systèmes informatiques pour l’accès aux

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Cette question n’est pas anecdotique car, dans le cas d’une œuvre composite, le destin de

l’œuvre composite est intimement lié à celui de l’œuvre première. Tout d’abord, dès le stade

de sa conception, si l’œuvre première est toujours protégée, il conviendra d’obtenir

l’autorisation de son auteur préalablement à son incorporation dans une œuvre seconde80.

Ensuite, l’exploitation de l’œuvre dérivée sera soumise à l’autorisation de l’auteur de l’œuvre

première qui pourra limiter les droits d’exploitation de l’auteur de l’œuvre dérivée, par

exemple, dans leur durée. Toutefois, si l’on ne peut pas qualifier l’œuvre générée par une IA

d’œuvre composite dans le cas où elle incorpore une création préexistante, son régime

d’exploitation en conformité avec les droits de l’auteur de l’œuvre première, devra être

repensé.

1.1.1.4 La qualification d’œuvre de collaboration

L’article L. 113-2 al. 1 du CPI définit l’œuvre de collaboration comme « l’œuvre à la création

de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques ». Il faut, conformément aux règles

du droit d’auteur, que les deux personnes ayant concouru à la création soient des personnes

physiques. Cette qualification a pu être suggérée pour plusieurs raisons. Tout d’abord, dans

le cas d’un programme doté d’une créativité émergente, le programmeur peut avoir eu

recours à l’expertise d’un artiste afin de transposer les règles artistiques et le style créatif en

lignes de code. En effet, ces règles et ces principes artistiques doivent tout d’abord être

formulés en langage humain81. Ainsi, dans ce cas-là, la création qui sera générée par le

programme pourra être considérée comme réalisée en collaboration par un programmeur et

par un artiste, les deux ayant réalisé un apport intellectuel l’empreinte de leur personnalité

pourrait se retrouver dans la création finale.

œuvres ou pour la création d’œuvres - Utilisation de systèmes informatiques pour la création d’oeuvres protégées » (1982) 115:9 Droit Auteur - Rev Mens Organ Mond Propr Intellect OMPI, p. 242. 80 TGI Paris, 8 mai 1969 : D 1970, somm. p. 7. 81 Par exemple, lors du projet The Next Rembrandt, des historiens de l’art ont collaboré avec des informaticiens afin de traduire le style du grand peintre dans un programme informatique.

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Ensuite, dans l’hypothèse où le programmeur seul a conçu le programme créatif et où un tiers

fait usage de celui-ci et dispose, lors de cette utilisation, d’une marge de manœuvre suffisante

pour exprimer des choix libres et créatifs, la création pourra être considérée cette fois comme

réalisée en collaboration entre le programmeur et l’utilisateur.

Enfin, la dernière hypothèse dans laquelle cette solution pourrait être retenue est le cas des

programmes dotés d’une créativité combinatoire où le logiciel intelligent a été réalisé par un

programmeur éventuellement assisté d’un artiste, mais incorpore également des œuvres ou

des extraits d’œuvres préexistantes. Dans ce cas-là, on pourrait considérer que l’auteur des

œuvres préexistantes a concouru, de façon indirecte, certes, à la réalisation de la création

finale, lui conférant ainsi le statut d’œuvre de collaboration (si la qualité d’œuvre devait être

retenue à son propos).

1.1.1.5 La qualification d’œuvre collective

L’œuvre collective a été définie à l’article L. 113-2 du CPI qui dispose : « Est dite collective

l'œuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la

divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers

auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue,

sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé. »

De nombreuses créations générées par IA sont en fait le fruit de travaux collectifs, souvent

entrepris par une personne morale qui développe des projets à grande échelle (pour ne citer

qu’eux, c’est le cas de Magenta développé par Google, Flow Machines développé par Sony,

Watson par IBM). Dans ces cas de figure, on pourrait considérer la création comme

l’agrégation des contributions personnelles des programmeurs, des artistes et des autres

intervenants qui ont joué un rôle créatif, l’ensemble de ces contributions se fondant dans une

œuvre qui est ensuite divulguée sous le nom de la personne morale initiatrice. Ainsi, ces

créations générées par IA pourraient correspondre à la définition de l’œuvre collective, dont

les droits reviendraient à la personne morale, dont elle est investie ab initio (conformément

à l’article L. 113-5 al. 2 du CPI).

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1.1.2 L’absence d’auteur-créateur, rendant vaine toute recherche

d’originalité ?

Lorsque l’humain a recours à l’assistance d’une machine pour créer82, l’utilisation d’un outil

— qu’il soit logiciel ou de toute autre nature — ne fait pas obstacle à la reconnaissance du

caractère original de l’œuvre qui en résulte. À ce titre, la cour d’appel de Douai, par exemple,

a considéré que l’emploi d’une machine n’était « évidemment pas de nature à faire perdre à

l’œuvre considérée son caractère d’originalité et de nouveauté »83, un principe réaffirmé à

plusieurs reprises par l’OMPI et l’UNESCO84 et par le TGI de Paris85, avant d’être rappelé

par la cour d’appel de Bordeaux qui a jugé en 2005 qu’« une œuvre de l’esprit créée à̀ partir

d’un système informatique sera protégeable si apparaît même de façon minime l’originalité

qu’a voulu apporter son concepteur »86.

Toutefois, il en va autrement des créations non pas simplement assistées par ordinateur mais

générées par le programme. Ici, l’humain n’intervient dans le processus de création que pour

initier celui-ci mais ne dispose d’aucun contrôle sur l’exécution du processus. Dans ce cas-

là, ce n’est pas la personne physique qui effectue l’acte matériel de création et la question de

l’existence d’un auteur-créateur se pose.

82 On parle alors de création assistée par ordinateur, ou CAO. 83 CA Douai, 4 déc. 1964 LNF c. Ass. USVA, Ann. 1965, 218. 1. Cité par : André R Bertrand, Le droit d’auteur: [histoire, évolution, nature, relation avec les autres droits privatifs, conditions de protection-œuvres protégeables, champ de la protection, droits et responsabilités des auteurs, titularité des droits d’auteurs, exploitation des œuvres, défense des droits d’auteur, droit d’auteur international], 3. éd, coll Dalloz action, Paris, Dalloz, 2010. § 103.24. 84 « Lorsque des systèmes sont utilisés pour la création d'œuvres, les États devraient les considérer avant tout comme un moyen technique dont l'homme se sert, au cours du processus de création, pour obtenir les résultats qu'il désire. » « 2e Comité d'experts gouvernementaux sur les problèmes découlant, sur le plan du droit d'auteur, de l'utilisation d'ordinateurs pour l'accès aux œuvres ou à la création d'œuvres. Paris juin 1982 », Dr. auteur 1982, 234.« Principe MW2. Lorsque des systèmes informatiques et/ou d'autres matériels (des synthétiseurs…) sont utilisés pour la création d'œuvres musicales, ces systèmes et matériels devraient être considérés seulement comme des moyens techniques dont l'homme se sert, au cours du processus de création pour obtenir le résultat qu'il désire. » Comité d'experts gouvernementaux chargé de faire l'évaluation et la synthèse des principes relatifs à différentes catégories d'œuvres, Dr. auteur 1988, 474. « Principe VA2. Lorsque des systèmes informatiques sont utilisés pour la création d'œuvres des arts visuels, ces systèmes devraient être considérés comme un moyen technique dont l'homme se sert, au cours du processus de création, pour obtenir les résultats qu'il désire. » Dr. auteur 1987, 68, et 1988, 400. Cité par : Ibid. 85 TGI Paris, 1re ch., 1re sect., 5 juill. 2000, Matt Cooper et al. c. Sté Ogilvy et al. ; M. Raingeart de la Bletiere, prés. et Mmes Nesi et Dallery, juges ; SCP Schmidt et Goldgrab, Wekstein, SCP Coblence, Ennochi, Jaraud, av. : Juris-Data n° 130310. 86 CA Bordeaux, 31 janv. 2005.

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En droit français, il est admis de longue date que l’auteur ne peut être qu’une personne

physique. Comme l’énonce le Professeur Caron : « Le duo formé par la notion de création et

de personne physique est indissociable. Il en résulte que le créateur est forcément une

personne physique87. » Les articles L. 113-2 al. 1 et L.113-7 al. 1 du CPI, quant à eux, font

expressément référence aux personnes physiques88. Par ailleurs, cette règle est réaffirmée de

façon constante par la jurisprudence qui a toujours refusé d’accorder la qualité d’auteur,

notamment, à un animal ou à une personne morale. Au sens du droit français, « Les animaux

sont des êtres vivants doués de sensibilité »89 mais ils n’en sont pas moins « soumis au régime

des biens »90. Ainsi, ils sont insusceptibles de créer, au sens du droit d’auteur. De la même

façon, les personnes morales, si elles peuvent être cessionnaires de droits d’auteur, ne

peuvent en être titulaires ab initio. Il existe une exception dans le cas de la fiction de la

personne morale mais la Cour de cassation en a soigneusement limité le champ

d’application à l’œuvre collective : « Une personne morale ne peut être investie à titre

originaire des droits de l’auteur que dans le cas où une œuvre collective, créée à son

initiative, est divulguée sous son nom »91. Comme l’affirme André Françon, une « personne

morale n’étant qu’une entité créée par le droit et non un être de chair, ne saurait, à

proprement parler, créer une œuvre de l’esprit »92.

Par ailleurs, comme le relèvent les professeurs Alexandra Bensamoun et Grégoire Loiseau,

« L’importance du lien entre l’humain et la création n’est […] pas une coquetterie

française »93, et nombre de décisions au niveau international ont également dénié la qualité

87 Christophe Caron, Droit d’auteur et droits voisins, 4e édition, coll Manuel, Paris, LexisNexis, 2015, § 47, p. 54. 88 Art. L.113-2 CPI : « Est dite de collaboration l'œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques. » Art. L. 113-7 CPI : « Ont la qualité d'auteur d'une œuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette œuvre. » 89 Art. 515-14 C.civ. 90 Ibid. 91 Cass. civ. 1re 17 mars 1982, no 80-14.838, JCP 1983. II. 20054, note Plaisant, D. 1983, IR 89, obs. Colombet, RTD com. 1982. 428, obs. Françon ; Cass. com. 5 nov. 1985, no 83-15.017, Bull. civ. IV, no 261, RIDA, oct. 1986. 140 ; Cass. civ. 1re. 19 févr. 1991, no 89-14.402, Bull. civ. I, no 67, D. 1991, IR 75 , RDPI 1991. 93, JCP 1991. IV. 149 ; 6 juin 1991, Juris-Data, no022878. Cass. civ. 1re, 8 déc. 1993, RIDA juill. 1994. 303 ; Cass. civ. 1re 15 janv. 2015 : CCE 2015, comm. 19, note Ch. Caron ; légipresse 2015 n°236, p. 223, note N.Binctin. 92 André Françon cité par Christophe Caron, supra, note 87. 93 Bensamoun et Loiseau, supra, note 62.

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d’auteur à des animaux, des personnes morales ou des logiciels. Tout d’abord, la Cour de

cassation néerlandaise, dans l’affaire Endstra, a réitéré la nécessité de l’intervention humaine

dans le processus créatif94, tout en déclarant que la condition de « choix conscient » n’était

pas pertinente pour juger de l’applicabilité du droit d’auteur. Ensuite, la Cour Suprême

australienne, lors de l’affaire Telstra, a refusé de protéger un annuaire par le droit d’auteur,

au motif que la compilation des données qu’il contenait n’était pas « de paternité humaine,

mais majoritairement générée par ordinateur »95. Puis, la Cour d’Appel singapourienne

(juridiction suprême) a refusé la qualité d’auteur à une personne morale en rappelant qu’un

auteur ne pouvait être qu’une personne physique en se fondant notamment sur l’affaire

Telstra précitée96. Pour justifier sa décision, la Cour prend également appui sur le fait que

« Les juridictions continentales envisageaient l’œuvre d’art comme une émanation ou une

extension de la personnalité de l’auteur, inséparablement liée à son honneur et à sa

réputation […] ce concept menant naturellement à la conclusion qu’un auteur doit être un

être humain97. » Ensuite, la Cour poursuit en opérant un parallèle avec le droit britannique.

Elle relève le fait que cette approche, en prévoyant une durée de protection de l’œuvre allant

jusqu’à cinquante ans après la mort de l’auteur, impliquait nécessairement que l’auteur soit

une personne physique98. Enfin, le Copyright Office américain a affirmé la nécessité du

caractère humain de l’auteur lors de l’enregistrement d’une œuvre d’art dans l’affaire du

« selfie simiesque »99. À cette occasion, sans donner suite aux revendications de l’association

94 Hoge Raad, 30 mai 2008, Zonen Endstra c. Nieuw Amsterdam, cité in A. Lucas, H.-J. Lucas et A. Lucas-Schloetter, Traité de propriété littéraire et artistique, LexisNexis, 2012, n° 57. 95 « The listings in the WPD in issue were not the result of human authorship but were predominantly computer generated. » Telstra Corporation Limited v. Phone Directories Company Pty Ltd, 2010 FCAFC 149 § 335. 96 Ibid. §57. 97 « Continental jurisdictions therefore regarded an author’s work as an emanation or extension of his or her personality, inseparably linked with his or her honour and reputation (…). This concept naturally leads to the conclusion that an author must be a human being. » 98 Asia Pacific Publishing Pte Ltd v. Pioneers & Leaders (Publishers) Pte Ltd [2011] SGCA 37. « §59 The UK’s approach to the duration of copyright has been slightly different from that of the Continental jurisdictions in that “those who seek legislation in favour of exclusive privileges which restrain trade and freedom of communication ought to show that they are justified in the public interest”: see Laddie at para 10.8. This approach equally takes into account the fact that the starting point of copyright is a human author. Both the UK Copyright Act 1911 and the 1988 UK Act have provided for the term of protection as the author’s life plus 50 years. This was supposed to reflect two generations of heirs of the author. » 99 Christophe Caron, « Le selfie simiesque » [2014] 10 CCE repère 9.

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PETA100, le tribunal de district de la Californie du Nord avait refusé de considérer qu’un

singe se prenant en photo pouvait se voir reconnaître un droit d’auteur, faute d’être humain101.

En droit français, les logiciels étant soumis au même régime des biens102 que les animaux et

n’étant pas (encore) reconnus comme des êtres doués de sensibilité, ils seraient a fortiori

encore moins susceptibles de se voir reconnaître la qualité de créateur et ce même s’ils sont

dotés d’une apparence humanoïde. Pour Yves Gaubiac, cette analyse débouche sur un cercle

vicieux, aux effets questionnables sur le droit d’auteur :

Pas d'auteur, par conséquent pas d'originalité et donc pas d'œuvre protégée par le droit d'auteur. Mais devrait-on connaître son auteur pour juger de l'originalité d'une œuvre ? Devrait-on savoir qu'il existe un auteur pour juger de l'originalité d'une œuvre ? Est-ce que l'existence d'un auteur est une condition objective pour juger qu'une œuvre est originale ? (…) Il nous paraît que le Code de la propriété intellectuelle suppose que pour s'appliquer à une œuvre, l'existence d'un auteur s'impose, et que, faute d'auteur, l'œuvre en cause n'entre pas dans la catégorie des œuvres protégées, avant même l'analyse de l'originalité de l'œuvre. (…) Cette doctrine est injuste ; elle conduit à rejeter toute protection et notamment tout droit patrimonial sur des œuvres en raison du fait qu'on ne pourrait leur attribuer une paternité.103

Cependant de nombreux artistes admettent – et c’est même parfois la condition et la finalité

de leur démarche – ne pas avoir une conscience préexistante précise du résultat de leur action.

Certains créent sous l’influence de substances pouvant affecter leur conscience et leur

capacité à raisonner. Pour Jacques Larrieu, « discriminer les créations en fonction de l’état

de conscience du créateur pourrait conduire à des solutions aberrantes et déboucher, du point

de vue de la protection par le droit d’auteur, sur une distinction parmi les œuvres de Van

Gogh selon les moments de sa vie où il les a peintes ». Ainsi, pour Jacques Larrieu, une

« approche objective de la création doit être préférée », il considère en effet que le processus

100 People for the Ethical Treatment of Animals. 101 Naruto, et al v. David John Slater et al, 2015 United States District Court northern district of California. 102 Une jurisprudence constante de la chambre commerciale de la Cour de cassation fait référence à la « vente » de logiciels, reconnaissant ainsi leur statut de bien : Cass. com. 5 juin 2007 ; Bull. civ. 2007. Cass. com. 11 juillet 2006 : « Le vendeur professionnel d'un matériel informatique est tenu d'une obligation de renseignement et de conseil envers un client dépourvu de toute compétence en la matière (…) l'obligation de délivrance du vendeur de produits complexes n'est pleinement exécutée qu'une fois réalisée la mise au point effective de la chose vendue. » et Cass. com. 28 septembre 2004, rendus au visa de l'art. 1604 du Code civil. 103 Yves Gaubiac, « Oeuvres créées avec un ordinateur » [2014] 392 Lexisnexis.

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ayant conduit à la réalisation est secondaire et que le résultat prime : « L’objet peut avoir un

caractère créatif en soi, quel que soit le processus créatif. » Ainsi, si l’on retient le résultat

créatif uniquement, comme il a été démontré en introduction, celui-ci peut sans difficulté

avoir été généré par un robot autonome.

Pour remédier à cette exclusion par le droit d’auteur des créations générées par IA, certains

ont alors proposé d’accorder une personnalité juridique à l’IA permettant ainsi de la doter

d’un patrimoine et de lui accorder des prérogatives appartenant en principe aux personnes

physiques. Cette solution, si elle est défendue par un nombre croissant d’auteurs, se heurte

toutefois à de nombreuses difficultés.

1.1.3 La reconnaissance d’une personnalité juridique à l’intelligence

artificielle, palliatif à l’absence d’auteur personne physique ?

Pour remédier à l’absence de créateur, condition nécessaire d’accès à la protection par le droit

de la propriété littéraire et artistique, de nombreux auteurs104 sont allés jusqu’à considérer

que l’IA pouvait se voir reconnaître une personnalité juridique à part entière : une audacieuse

proposition qui impliquerait un bouleversement de plusieurs piliers du droit et qui se justifie

difficilement.

Mus par des sentiments d’empathie105, certains auteurs ont proposé d’accorder une

personnalité juridique aux « robots », permettant de conférer des droits à ces derniers. Cette

dimension affective n’est pas ignorée non plus par le Parlement européen qui prévoit, dans

une résolution du 16 février 2017 concernant des règles de droit civil sur la robotique, qu’«

il convient d’accorder une attention toute particulière au fait qu’une relation émotionnelle

104 Notamment : l’auteure Pamela Mc Corduck, les avocats Alain Bensoussan, Muriel Cahen et Marshall Willick, ou encore la députée européenne Mady Delvaux. 105 Une expérience au cours de laquelle Pleo, un dinosaure robotisé se faisait maltraiter par des humains a conduit Kate Darling, chercheuse au MIT, à envisager la nécessité d’accorder une protection juridique aux robots sociaux « non pour eux-mêmes mais au bénéfice des humains » : Lucia Sillig, « Donnons des droits aux robots », Le Monde science et techno (17 février 2013). Pamela Mc Corduck, auteure de « Machines who think », établit, quant à elle, un parallèle entre le déni de personnalité juridique aux robots aujourd’hui et la privation de droits des femmes au 19e siècle, au prétexte qu’elles ne possédaient pas un corps masculin. (« Pamela McCorduck has noted that the structure-based argument against recognition of artificially intelligent machines as persons resembles nothing as clearly as the nineteenth-century assertions that women were inherently incapable of cognition for lack of a male body »), dans Willick, supra, note 9.

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est susceptible de se développer entre l’homme et le robot, notamment chez les personnes

vulnérables (enfants, personnes âgées, personnes handicapées), et attire l’attention sur les

problématiques soulevées par les éventuelles conséquences physiques ou émotionnelles

graves, pour l’utilisateur humain, d’un tel lien émotionnel106. » Cette solution résoudrait de

façon assez commode la question de savoir si les créations générées par une IA peuvent être

qualifiées d’œuvres ou non. En effet, à partir du moment où l’IA créatrice se verrait

reconnaître une personnalité juridique, il suffirait de se poser la question de savoir si la

création générée par celle-ci répond à l’exigence d’originalité. Si tel était le cas, la porte du

droit d’auteur s’ouvrirait alors sans plus de difficulté pour accueillir ces créations.

Si cette solution n’était guère envisageable il y a une vingtaine d’années, elle s’impose

aujourd’hui de plus en plus parmi la doctrine et a même trouvé écho dans la résolution du

Parlement européen précitée107 qui « demande à la Commission (…) d’évaluer et de prendre

en compte les conséquences de toutes les solutions juridiques envisageables, telles que (…)

la création, à terme, d’une personnalité juridique spécifique aux robots, pour qu’au moins

les robots autonomes les plus sophistiqués puissent être considérés comme des personnes

électroniques responsables, tenues de réparer tout dommage causé à un tiers ; il serait

envisageable de conférer la personnalité électronique à tout robot qui prend des décisions

autonomes ou qui interagit de manière indépendante avec des tiers ».

Si cette proposition vise originairement à résoudre l’épineuse question du régime de

responsabilité en cas de dommage causé par un robot intelligent, le fait de doter celui-ci d’une

personnalité juridique aura des répercussions dans d’autres domaines du droit et pourra servir

d’appui aux revendications de la doctrine favorable à la titularité de droits d’auteur au profit

de l’IA. On peut d’ailleurs trouver une trace de ces revendications dans un document

présentant des suggestions pour un livre vert concernant les problématiques légales soulevées

par la robotique108. En effet, ce document considère que « les utilisateurs d’agents artificiels

106 Parlement Européen, Règles de droit civil sur la robotique. Résolution du Parlement européen du 16 février 2017 contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique (2015/2103(INL), P8_TA-PROV(2017)0051, février 2017. 107 Ibid. 108 Christophe Leroux et al, euRobotics The European Robotics Coordination Action - Suggestion for a green paper on legal issues in robotics - Contribution to Deliverable D3.2.1 on ELS issues in robotics, Christophe Leroux, Roberto Labruto, 2012.

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n’ont aucun contrôle, sinon un contrôle très limité sur la création finale générée par ceux-

ci, ainsi, il semble pertinent d’adapter les critères de la protection par le droit de la propriété

intellectuelle pour accorder une telle protection aux œuvres générées par des robots »109 et

il va plus loin en considérant qu’une telle solution implique de reconnaître une personnalité

juridique à l’agent créateur110.

On trouve la consécration ultime de cet attachement des humains aux robots dans le scénario

imaginé par Xavier Labbée qui envisage, avec une certaine part d’ironie, un monde (pas si

éloigné du nôtre) dans lequel les humains chercheraient à consacrer par le mariage les liens

affectifs qu’ils entretiennent avec leurs robots : « Pourquoi ne pourrait-on s’attacher un

robot ? Et pourquoi ne pourrait-on dès lors chercher à l’épouser ?111 »

Parmi les plus fervents défenseurs de l’attribution d’une personnalité aux robots, il convient

de citer Alain Bensoussan, pour qui « le temps est venu de créer un droit des robots les dotant

d’une personnalité et d’une identité juridiques pour en faire, demain, des sujets de droit »112,

et ce, afin que les « activités robotiques se développent dans l’intérêt général »113. Pour cet

auteur, la création d’une personnalité juridique propre aux robots se justifie tout

particulièrement en matière de droit d’auteur car, selon lui, « Lorsqu’on est plus capable

d’opérer la distinction entre deux œuvres qui suscitent la même émotion de puissance

émotionnelle, il nous semble que le robot créateur doit voir ses droits reconnus. »114 En effet,

le risque de refuser d’accorder la qualité d’œuvre à de telles créations serait qu’elles tombent

instantanément dans le domaine public, générant ainsi une grande perte de valeur, notamment

pour les créateurs des robots et les programmeurs des logiciels qui en sont à l’origine, mais

aussi pour les personnes ayant investi dans de tels « robots-artistes ».

109 « Users of intelligent agents have no control, or if any, a very little one, over the final work created by it. That is why, it seems to be relevant to adapt the criteria of IP protection in order to grant such protection to robot-generated works », Ibid. p. 38. 110 « An intelligent agent can independently produce creative works. It seems therefore logical to consider whether the intelligent agent could be the owner of its works (…). This solution is supported by some people and implies that intelligent agent acquires a legal personality. » Ibid. p. 39. 111 Labbée, supra, note 16. 112 Bensoussan, supra, note 61. 113 Alain Bensoussan, « Point de vue : Plaidoyer pour un droit des robots : de la « personne morale » à la « personne robot ». » [2013] 1134 LJA. 114 Alain Bensoussan, « Le robot créateur peut-il être protégé par le droit d’auteur ? » [2016] 42 Planète Robots 16‑17.

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D’autres auteurs, tels que Marshall Willick, ont considéré qu’il n’y avait pas de raison pour

que l’IA ne bénéficie pas de la même fiction juridique que la personne morale, une

construction permettant de faciliter les rapports au sein d’une société115. Cet argument

s’appuie notamment sur le fait que les sociétés ont de plus en plus recours à l’IA dans le cadre

de leurs processus décisionnels, et à terme, il n’est pas à exclure que la personne morale et

l’algorithme décisionnel fusionnent en une même entité. Toutefois, dans l’hypothèse où le

logiciel viendrait effectivement à prendre une telle place au sein de l’entreprise, l’opportunité

d’accorder une personnalité juridique distincte au programme se justifie difficilement.

Enfin, dans une moindre mesure, certains souhaitent que l’émergence des créations

autonomes s’accompagne de « deux régimes différents [qui] cohabiteront, l’un régi[ssant]

les œuvres de l’esprit, l’autre accompagn[ant] et favoris[ant] “les œuvres de robots” »116.

En matière de création artistique, les programmes sont en mesure de générer des créations

s’éloignant considérablement de ce qu’aurait pu prévoir leur programmeur et le débat de

savoir si une machine pouvait exprimer une créativité « propre » (en ce sens qu’elle n’a pas

été préprogrammée) interroge encore les chercheurs117. En effet, une partie d’entre eux

considère :

Il y a deux objections courantes à la critique selon laquelle un programme informatique est incapable de générer quelque chose qu'il n'a pas été expressément programmé à faire. La première concerne la capacité humaine à connaître ou à prédire intégralement le comportement de tout programme. Ce comportement, tout en étant défini par le programme (créé par le programmeur), a généralement un nombre important, parfois considérable, de chemins exécutables. Cela rend impossible pour le programmeur de comprendre et de prédire complètement le résultat de tous les programmes, sauf les plus triviaux, – une des raisons pour lesquelles le logiciel a des « bugs ». La deuxième objection découle de la capacité d'un programme à se modifier. Les programmes

115 « Corporate personality provides a possible precedent for computer personality. There seems to be no reason why a computer could not equally satisfy the three factors cited above to justify personality. » Willick, supra, note 9. 116 Karine Riahi et Amira Bounedjoum, « Un robot peut-il être un auteur ? », L’Usine Nouvelle (5 décembre 2015), en ligne : L’usine nouvelle <http://www.usinenouvelle.com/article/un-robot-peut-il-etre-un-auteur.N329423> (consulté le 21 janvier 2017). 117 Jon McCormack et al., « Ten Questions Concerning Generative Computer Art » (2014) 47:2 Leonardo 135‑141.

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informatiques peuvent être adaptatifs ; ils peuvent apprendre et donc initier des comportements nouveaux et potentiellement créatifs.

Il semblerait toutefois que les défenseurs de la reconnaissance d’une personnalité juridique

au profit de l’IA constituent une minorité et que la prudence prévale parmi les auteurs qui se

sont jusqu’alors intéressés à la question. En effet, cette solution semble plutôt hasardeuse et,

dans tous les cas, prématurée.

1.1.4 Accorder une personnalité juridique à l’IA : une solution risquée

à l’utilité contestable

Comme le disait très justement Grégoire Loiseau : « Gardons le sens des catégories

juridiques, celle des personnes comme celles des choses, qui ne sont pas modulables au gré

des projections irrationnelles d’esprits prétendument avant-gardistes. »118

En effet, de sérieux obstacles s’opposent à la consécration d’une personnalité juridique à un

logiciel d’intelligence artificielle, dont l’étude dépasserait largement le cadre de ce travail.

Cette proposition résulte davantage de spéculations partiales que d’un raisonnement

juridique. Comme le disait Philippe Veber, « Vouloir donner des droits à un petit animal

robotisé au même titre qu’une personne physique procède d’une vision subjective. Cette

conception reste ancrée dans l’affectif, car elle montre, suggère et revendique la proximité

humaine, pour mieux susciter une approche émotionnelle. »119 Par ailleurs, il semble

prématuré de vouloir enfermer, au niveau européen, les innovations technologiques relatives

à l’intelligence artificielle dans un cadre aussi restreint. Comme le relèvent les professeurs

Bensamoun et Loiseau :

L’intelligence artificielle générale, qui serait comparable aux capacités généralistes de l’esprit humain, n’existe pas. Qu’il soit probabiliste ou déterministe, l’objet intelligent se limite à une mono-activité (…). D’autre part, l’autonomie du robot est elle-même relative, car, sans préjuger du développement des capacités d’auto-apprentissage, il n’y a pas d’intentionnalité dans son action. Le robot personne, pétri d’anthropomorphisme, relève tout au plus du

118 Grégoire Loiseau, « Des robots et des hommes » [2015] D. 2369. 119 Philippe Veber, « Les robots et les hommes naîtront-ils et demeureront-ils libres et égaux en droits ?? » [2013] Mag Décideurs.

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méta-droit.120

Tout d’abord, accorder une personnalité juridique aux « robots autonomes intelligents »,

conformément à ce qui est évoqué par le Parlement européen,121 n’aurait tout simplement pas

de sens. En effet, si l’on reprend les critères énoncés dans la proposition du Parlement, celui-

ci conditionne la qualification de robot à cinq conditions : « acquisition d’autonomie grâce

à̀ des capteurs et/ou à l’échange de données avec l’environnement (interconnectivité) et à

l’échange et l’analyse de ces données ; capacité d’auto-apprentissage à travers l’expérience

et les interactions (critère facultatif) ; existence d’une enveloppe physique, même réduite ;

capacité d’adaptation de son comportement et de ses actes à son environnement ; non vivant

au sens biologique du terme ». Or, l’acquisition d’autonomie, la capacité d’apprentissage et

la capacité d’adaptation sont des critères relativement similaires, reposant sur la technologie

du machine learning. Le Parlement aurait pu faire l’économie de ces trois critères, et adopter

un formulation plus concise et plus juste sur un plan technique. D’ailleurs, comme le

précisent les professeurs Bensamoun et Loiseau : « Le plus important, dans une approche

juridique, est d’en faire une notion-cadre, volontairement flexible, dont le plus petit

dénominateur commun serait la capacité cognitive en vue d’atteindre des objectifs de

manière autonome (cette définition, volontairement large, s’applique à l’intelligence

artificielle y compris lorsqu’elle est incorporée à un robot dit « intelligent »122). »

De plus, restreindre le champ d’étude aux robots dotés d’une enveloppe physique revient à

exclure une grande majorité de robots, les robots « virtuels », qui ont un rôle tout aussi

important à jouer dans la société de demain. En effet, le Parlement européen craint «  qu’à

long terme, la tendance actuelle au développement de machines intelligentes et autonomes,

dotées de la capacité d’apprendre et de prendre des décisions de manière indépendante, ne

procure pas seulement des avantages économiques, mais également de multiples

120 Alexandra Bensamoun et Grégoire Loiseau, « L’intégration de l’intelligence artificielle dans l’ordre juridique en droit commun : questions de temps » [2017] D. 239. 121 Règles de droit civil sur la robotique. Résolution du Parlement européen du 16 février 2017 contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique (2015/2103(INL), supra, note 106. 122 Bensamoun et Loiseau, supra, note 120.

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préoccupations quant à leurs effets directs et indirects sur la société dans son ensemble »123.

Or, ces mutations sont d’ores et déjà visibles et sont bien souvent le fait de robots virtuels.

Pour ne citer que lui, le robot Watson d’IBM connaît déjà des applications multiples99, il

intervient lors de processus décisionnels en termes de planification financière124, il aide à

développer des plans de traitements pour des patients atteints du cancer, il est capable de

distinguer des profils génétiques susceptibles de réagir positivement à certains médicaments,

il joue le rôle d’un agent de voyage personnel125 et a collaboré avec des artistes tels qu’Alex

Da Kid pour l’élaboration de morceaux de musique126. Ainsi, le bouleversement attendu ne

viendra pas uniquement — tant s’en faut — des robots physiques, et exclure de la discussion

les robots virtuels conduirait à occulter une grande partie des questions qui préoccupent

aujourd’hui les chercheurs.

Cette nuance précisée, les obstacles à l’accès des robots (virtuels ou physiques) à une

personnalité juridique restent les mêmes. Tout d’abord, cette solution reviendrait à créer une

troisième catégorie, au croisement de la summa divisio entre les choses et les personnes127,

avec le risque également d’instaurer une forme de hiérarchisation parmi les choses,

génératrice d’insécurité juridique : où placer la frontière entre les choses intelligentes et celles

qui ne le sont pas ? Le degré et la nature de « l’intelligence » de ces programmes étant très

variables, en effet, celle-ci dépend uniquement du logiciel d’IA et de son degré de

perfectionnement. À partir de quel moment pourra-t-on considérer qu’un programme est

assez intelligent pour recevoir une personnalité ? De plus, la recommandation du parlement

123 Règles de droit civil sur la robotique. Résolution du Parlement européen du 16 février 2017 contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique (2015/2103(INL)), supra, note 106. Cons. G. 124 « Watson Analytics », en ligne : Watson Analytics <https://www.ibm.com/watson-analytics> (consulté le 9 juin 2017). 125 Ryan1 Abbott 2, « I Think, Therefore I Invent: Creative Computers and the Future of Patent Law » (2016) 57:4 Boston Coll Law Rev 1079‑1126. P.1091. « Watson is now assisting with financial planning, helping clinicians to develop treatment plans for cancer patients, identifying potential research study participants, distinguishing genetic profiles that might respond well to certain drugs, and acting as a personal travel concierge. » 126 « Listen to “Not Easy”, the new collaboration by AlexDaKid + IBM Watson. #CognitiveMusic » (10 octobre 2016), en ligne : IBM Watson Music <http://www.ibm.com/watson/music.> (consulté le 9 juin 2017). 127 Une division restée inchangée depuis les Institutes de Gaïus, et reprise dans le Code civil : « livre premier : des personnes » et « livre deuxième : des biens et des différentes modifications de la propriété ». Léo Domenget Gaius, Institutes de Gaïus: contenant le texte et la traduction en regard, avec le ..., A Marescq ainé, 1866, en ligne : <http://archive.org/details/institutesdegau00domegoog>. P. 9-10, C. 1, §8 : « tout le droit se rapporte aux personnes, aux choses ou aux actions. »

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précitée envisage d’instituer un « système européen général d’immatriculation des robots

avancés »128, mais le même problème se pose ici : à partir de quand un robot sera-t-il

suffisamment avancé pour devoir être soumis à cette immatriculation ? Hormis le test de

Turing, il n’existe pas de critère permettant de départager avec précision un programme

intelligent d’un autre, d’autant plus que l’intelligence de ces logiciels se manifeste de façons

très différentes, en fonction de leur domaine d’application.

Ensuite, accorder une personnalité juridique à l’IA comprend de grands risques sur le plan

du droit de la responsabilité : en effet, si l’IA est susceptible de se voir conférer des droits et

des obligations, sa responsabilité pourrait alors également être engagée, avec le risque de

décharger ainsi ses concepteurs et utilisateurs de la leur. Cet argument est soutenu par de

nombreux détracteurs de la reconnaissance d’une personnalité juridique aux robots

intelligents, tels que l’avocat Georgie Courtois : « La création d’une telle personnalité ne

semble pas nécessaire à la mise en œuvre d’un système de responsabilité et pourrait

déresponsabiliser les propriétaires en raison de l’existence d’un écran juridique à

l’engagement de leur responsabilité. »129

De plus, cette construction ne se justifie pas, en ce qu’elle n’est pas utile. Le droit positif

comporte, de façon latente, de nombreuses solutions qui permettent de faire face à ces

questions, sans qu’il soit besoin d’introduire une nouvelle catégorie. Il faudra certes

envisager des questions de responsabilité (ou de titularité des droits dans le présent cas) d’un

genre nouveau, mais la réponse à celles-ci ne nécessite sans doute pas de bouleversements

aussi radicaux.

Enfin, il faut garder à l’esprit qu’une IA n’est pas unique, et peut être simplement constituée

d’un logiciel pouvant être installé sur autant de machines qu’on le souhaite : à qui accorder

la personnalité dans ce cas-là ? Si un même logiciel est installé sur plusieurs machines,

faudra-t-il considérer que la personnalité réside dans le logiciel, et que les différentes

128 Règles de droit civil sur la robotique Résolution du Parlement européen du 16 février 2017 contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique (2015/2103(INL)), supra, note 106. Point 2. 129 Courtois, supra, note 60.

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machines qui l’exécutent ne sont que ses démembrements, ou bien faudra-t-il accorder une

personnalité juridique à chaque robot sur lequel le logiciel a été installé ? Par ailleurs, des

développeurs travaillent en permanence afin de rendre plus intelligents les programmes et

mettent au point des versions sans cesse élaborées de ceux-ci. Si l’on venait à leur accorder

une personnalité juridique, que faire lorsque, au gré des versions successives, le programme

subit des mutations qui l’éloignent considérablement de sa version d’origine ? Devra-t-on

considérer qu’il s’agit de la même « personne », ou bien faudra-t-il multiplier le nombre de

personnes créées ?

Par ailleurs, quand bien même cette personnalité juridique serait accordée aux robots

intelligents (qu’ils soient physiques ou virtuels), rien ne permet de penser qu’elle

s’accompagnerait d’une reconnaissance de la titularité ab initio des droits sur les créations

qu’ils génèrent. Cette personnalité resterait une fiction, de la même façon que celle de la

personne morale. Or, si celle-ci a tenté de nombreuses fois de se voir conférer une titularité

de droits d’auteur ab initio, elle se heurte au rejet de la Cour de cassation qui la lui refuse.

Réitérant constamment un principe aujourd’hui bien établi, la Cour affirme en effet qu’une

« personne morale ne peut être investie à titre originaire des droits de l’auteur que dans le

cas où une œuvre collective, créée à son initiative, est divulguée sous son nom »130. Ainsi,

rien ne laisse penser que les juges, détenteurs d’un pouvoir souverain d’appréciation des

critères de l’originalité, seraient plus enclins à accorder cette qualité d’auteur-créateur à un

robot qu’à une personne morale.

Pour revenir à la problématique de la création d’œuvres d’art par des logiciels intelligents, il

semble donc que recourir à la fiction de la personne juridique pour attribuer un auteur à ces

œuvres « orphelines » ne soit pas une solution viable, en raison de toutes les problématiques

juridiques qu’elle soulève. Si l’on se fonde sur des considérations plus philosophiques, on

130 Cass. civ. 1re, 17 mars 1982, no 80-14.838, JCP 1983. II. 20054, note Plaisant, D. 1983, IR 89, obs. Colombet, RTD com. 1982. 428, obs. Françon ; Cass. com. 5 nov. 1985, no 83-15.017, Bull. civ. IV, no 261, RIDA, oct. 1986. 140 ; Cass. civ. 1re, 19 févr. 1991, no 89-14.402, Bull. civ. I, no 67, D. 1991, IR 75, RDPI 1991. 93, JCP 1991. IV. 149 ; 6 juin 1991, Juris-Data, no 022878 ; Cass. civ. 1re, 15 janvier 2015, n° 13-23.566, publié au bulletin, ECLI:FR:CCASS:2015:C100034, D. 2015. 206 ; Propr. ind. 2015, n° 3, comm. 25, N. Brouche ; Expertises mars 2015, n° 400, p. 111, B. Lamon ; CCE mars 2015, comm. 19, p. 28, C. Caron ; RLDI févr. 2015, n° 112, L. Costes.

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pourrait également considérer que l’absence d’intention créatrice de l’IA pourrait constituer

un argument supplémentaire au rejet de la qualification d’œuvre. La notion d’intention est

parfois prise en compte à titre d’indice pour accorder le caractère d’œuvre à certaines

créations131. Or ici, l’intention créatrice de l’IA est purement absente : le programme crée

parce que c’est ce pour quoi il a été programmé mais il est totalement dénué de volonté propre

ou de libre arbitre et donc d’intention de créer. Le critère de l’intention, s’il était pris en

compte ici, pourrait servir d’indice afin de singulariser les créations méritant le titre d’œuvre.

Par ailleurs, si l’on se place du point de vue du « destinataire » d’une œuvre d’art, le public

en contemplation duquel elle a été conçue : une communication s’opère entre lui et l’auteur

par l’intermédiaire de l’œuvre. L’auteur crée, dans la plupart des cas, pour transmettre un

message à un public. Comme l’a dit Marcel Duchamp en 1957 : « L’acte créatif n’est pas

réalisé par l’artiste seul ; le spectateur (…) apporte sa contribution à l’acte créatif. »132 L’art

a toujours été un puissant vecteur d’idées, de pensées, une source de réflexion dans laquelle

puise son public. Or, les créations générées par une IA sont nécessairement dépourvues de

tout message artistique. Le robot « produit » des créations de façon purement automatique,

sans intention ni sans message à transmettre. Qualifier d’œuvres de telles productions sans

en avertir le public auquel on les présente ne reviendrait-il pas à lui mentir ? A ce propos, le

philosophe Anthony O’Hear affirme que, quel que soit le degré de sophistication ou

d’indépendance des machines, celles-ci ne peuvent générer de l’art, parce que l’art, dans le

plein sens du terme, est fondé sur l’expérience humaine et nécessite une communication entre

l’artiste et son audience, tirée de cette expérience partagée. Les créations générées par

ordinateur qui imitent cette communication ne sont que des parasites. Ils tirent leur

signification d'une analyse des objets d'art existants, et non directement de l'expérience

humaine.133 N’y aurait-il pas une forme de tromperie à confronter un public à une création,

131 Notamment par l’administration fiscale : « Ne peuvent être considérées comme des œuvres d’art susceptibles de bénéficier du taux réduit de la TVA que les photographies qui portent témoignage d’une intention créatrice manifeste de la part de leur auteur » Instr., 3 C-3-03, 25 juin 2003. L’intention artistique est une notion utilisée de longue date par la jurisprudence du Conseil d’État afin, parmi les productions d’artisans, de distinguer celles qui sont des œuvres d’art originales de celles qui ne sont que des productions utilitaires : CE, 4 déc. 1989, 7º et 8º et s., nº 90-993, Girardeau, Rec. Lebon. Cité dans : Jean-Louis Bilon, « Une stimulation fiscale à la création plastique » [2006] 20 RLDI. 132 Frieder Nake, « Algorithmic Art » (2014) 47:2 Leonardo 108 : « The creative act is not performed by the artist alone; the spectator . . . adds his contribution to the creative act. » 133 McCormack et al, supra, note 24 : « Philosophers such as Anthony O’Hear have argued that, no matter how sophisticated or independent, machines cannot originate art, because art “in the full sense is based in human experience” and requires a communication between artist and audience drawn from that shared

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sans l’informer de son origine robotique (et donc de la valeur artistique d’une nature

différente de celle-ci) ? Il n’est pas impossible de concevoir que l’on réfère à ces créations

comme à des « œuvres robotiques », mais l’information du public semble toutefois être une

composante qu’il ne faut pas délaisser.

Il apparaît des développements précédents que, si l’on se fonde sur la notion d’œuvre telle

qu’elle est traditionnellement envisagée en droit d’auteur, il sera difficile d’y faire entrer les

créations générées par une intelligence artificielle, le critère d’originalité qui se traduit par

l’empreinte de la personnalité de l’auteur n’étant pas rempli. Toutefois, le droit a su, quand

il l’estimait nécessaire, manier cette notion afin de faire entrer dans le champ de la protection

du droit d’auteur des créations qui n’y avaient pas leur place a priori. Ainsi, il pourrait être

envisageable d’interpréter différemment la notion d’originalité et de prendre exemple sur le

droit anglo-saxon afin d’envisager si celui-ci pourrait, en fonction de ses critères propres,

permettre la qualification.

experience. Computer works that mimic this communication are only parasitically meaningful; they derive their meaning from an analysis of existing art objects, not directly from human experience. »

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1.2 La notion d’œuvre, décelable dans l’acte matériel de

création à travers l’intention de l’humain derrière la

machine ?

Ainsi, il semblerait que l’absence d’auteur et d’originalité a priori, rendent difficile la

qualification d’œuvre puisqu’aucun de ses éléments caractéristiques ne se retrouve dans les

créations générées par une IA. Mais, malgré ces difficultés, une analyse divergente pourrait

parvenir à hisser ces créations au rang d’œuvres de l’esprit et ainsi faire naître des

prérogatives relevant du droit d’auteur.

1.2.1 La résurgence des questions relatives aux œuvres photographiques

Avant d’exposer les raisons qui pourraient conduire à inclure ces créations parmi les œuvres

de l’esprit, il sera intéressant de rappeler que les questions qui se posent ici ont été traitées

en grande partie par le passé relativement aux œuvres photographiques.

À ses débuts, la photographie n’était pas regardée comme un art, car l’on considérait que le

photographe, actionnant simplement l’obturateur de l’appareil photo, ne prenait aucunement

part à un processus créatif. Cet acte nécessitait tout au plus un certain savoir-faire.

L’empreinte de la personnalité du photographe ne pouvait alors se retrouver dans une création

réalisée par un simple processus mécanique. Ainsi, certains auteurs ont pu plaider pour un

refus total de protection134.

Toutefois, les œuvres photographiques ont finalement trouvé leur place sans trop de difficulté

au sein du CPI, où elles figurent désormais à l’article L. 112-2-9e. La jurisprudence et la

doctrine ont elles aussi admis que « l’appareil photographique (et maintenant l’ordinateur,

le logiciel, le téléphone portable) [ont] remplacé le pinceau, sans pour autant annihiler

l’exécution personnelle de l’œuvre »135. Pour recevoir la qualification d’œuvres de l’esprit,

celles-ci doivent toutefois être originales et porter l’empreinte de la personnalité de leur

134 V. A Morillot, De la protection accordée aux œuvres d’art, aux photographies, aux dessins et modèles industriels et aux brevets d’invention dans l’empire d’Allemagne, Paris, Berlin, 1878, p. 157 et s. Cité par Caron, supra, note 87. p.132. 135 Ibid.

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auteur136. La jurisprudence européenne a eu l’occasion de rappeler, à travers plusieurs arrêts,

que l’originalité d’une photographie pouvait se manifester lors des trois stades différents de

l’exécution de celle-ci. Tout d’abord, l’originalité peut se déceler au moment de la phase

préparatoire à la prise du cliché, lors de laquelle le photographe « compose le paysage ou la

scène qu’il va ensuite fixer »,137 notamment en choisissant le sujet138 de la photographie, « la

qualité des contrastes de couleurs et de reliefs, le jeu de la lumière et des volumes »139.

Ensuite, l’artiste dispose d’une marge d’appréciation au stade de la prise du cliché en ce qu’il

peut choisir « le cadrage, l’instant convenable de la prise de vue »140. Enfin, il pourra

effectuer des choix finaux lors du développement du cliché, auparavant, en choisissant le

format du tirage et les teintes de couleur et, aujourd’hui, en effectuant toute une série de

retouches au cliché, pouvant aller jusqu’à modifier les couleurs, recadrer l’image, ajouter ou

supprimer des éléments… La marge de manœuvre du photographe pour exercer des choix

libres et créatifs est très bien résumée dans l’arrêt Eva-Maria Painer :

Au stade de la phase préparatoire, l’auteur pourra choisir la mise en scène, la pose de la personne à photographier ou l’éclairage. Lors de la prise de la photographie de portrait, il pourra choisir le cadrage, l’angle de prise de vue ou encore l’atmosphère créée. Enfin, lors du tirage du cliché, l’auteur pourra choisir parmi diverses techniques de développement qui existent celle qu’il souhaite adopter, ou encore procéder, le cas échéant, à l’emploi de logiciels.141

Certains États, notamment le Canada, ont eu davantage de difficulté à appréhender la place

des œuvres photographiques au sein du droit d’auteur. En effet, la loi canadienne, si elle

considérait les photographies comme des œuvres, n’accordait pas pour autant la qualité

d’auteur de celles-ci au photographe mais au propriétaire de l’appareil photo142. Cependant,

136 V. par ex. Cass. civ. 1re, 17 déc. 1991, Bull. civ., nº 360 ; CA Versailles, 12e ch., 23 sept. 1999, D. 2000, Cah. D. aff., p. 668, note Bigot ; CA Paris, 4e ch. 24 mai 2000, Légipresse 2000, nº 173, I, p. 88 cité par Lionel Costes, « Conditions de protection par le droit d’auteur d’une oeuvre photographique » (2009) 46 Rev Lamy Droit Immatériel Ex Lamy Droit Inform 21‑21. 137 Caron, supra, note 87. 138 TGI Paris, 14 mai 1987, Cah. dr. auteur, 1988, p. 20. 139 CA Paris 11 juin 1990 ; RIDA oct. 1990, p. 293. 140 Ibid. 141 Eva-Maria Painer c. Standard VerlagsGmbH e.a, 2011 Cour de Justice de l’Union Européenne [Eva-Maria Painer]. 142 Art. 2 Loi sur le droit d’auteur. Version en vigueur du 2005-12-12 au 2012-11-06, LRC, ch C-42, 1985. Art. 10.2 Loi sur le droit d’auteur. L.R. (1985), ch. C-42, art. 10; 1993, ch. 44, art. 60; 1994, ch. 47, art. 69(F); 1997, ch. 24, art. 7.11. [Abrogé, 1997, ch. 24, art. 8] Abrogée le 6 nov. 2012. « Le propriétaire, au moment de la

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le droit d’auteur canadien a été modernisé par une loi de 2012 et l’article 10 de la version

antérieure qui disposait : « Le propriétaire, au moment de la confection du cliché initial ou

de la planche ou, lorsqu’il n’y a pas de cliché ou de planche, de l’original, est considéré

comme l’auteur de la photographie »143 a été abrogé. La qualité d’auteur de l’œuvre

photographique revient à présent à la personne ayant réalisé le cliché (sous réserve

d’originalité de celui-ci).

Si le régime qui était auparavant celui des œuvres photographiques est aujourd’hui dépassé,

il est toutefois une intéressante source d’inspiration quant au régime à conférer aux créations

générées au moyen d’une IA. Le droit est souvent réticent à accueillir de nouvelles

technologies mais la technique, à terme, a raison de ces arguments. Or, le processus de

réalisation d’une photographie est comparable à celui de certaines créations générées par IA.

En effet, le processus photographique est très semblable au fonctionnement de certains robots

physiques intégrant des logiciels relevant de l’art algorithmique « personnel »144 qui

reproduisent un objet placé devant eux. Afin de faire fonctionner ces robots145, il est

nécessaire tout d’abord de choisir un ou des sujets, de les placer dans des conditions

appropriées de luminosité et d’éclairage, de choisir éventuellement les couleurs qui seront

mises à la disposition du robot et tout au moins l’outil avec lequel celui-ci va exécuter la

reproduction du sujet qui aura été placé devant lui. Le choix du papier va également avoir

son importance dans le rendu final de la création. Une fois tous ces réglages et préparatifs

effectués, l’utilisateur du robot-peintre va amorcer le processus créatif en démarrant le robot,

de la même façon qu’un photographe appuierait sur l’obturateur de l’appareil photo. Dans la

confection du cliché initial ou de la planche ou, lorsqu’il n’y a pas de cliché ou de planche, de l’original, est considéré comme l’auteur de la photographie » 143 Ibid. 144 Programmation de logiciels par un artiste afin de générer une œuvre relevant de la musique, des arts graphiques ou plastiques. 145 Le plus connu d’entre est probablement e-David, mais il en existe de nombreux autres : les robots de Pindar Von Arman, notamment, CloudPainter et Bitpainter, qui réalisent des portraits à la peinture, Billy the LEGO robot, le robot développé par la « Guild of robotic artisans » de l’université du Minnesota, le robot NoRAA, le robot Picassnake qui peint au rythme de la musique, le robot Pixobot qui réalise des portraits à base de points ou de lignes, le Robot Artist de l’International Center of Excellence in Intelligent Robotics and Automation Research in National Taiwan University (NTU-iCeiRA), le robot ComBOT de l’University of Illinois at Chicago, les robots du groupe de recherche eegb, les robots epenko, Heartalion, Pix 18 ou encore JacksonBot. Nombre de ces robots sont à la fois capables de reproduire un sujet placé devant eux et de générer des œuvres « abstraites ». Certains toutefois ne sont capables que d’effectuer l’une ou l’autre de ces deux tâches.

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mesure du possible, l’humain pourra également intervenir durant le processus créatif : il est

permis d’imaginer que la personne peut changer l’outil ou les couleurs à la disposition du

robot, elle peut déplacer la feuille, ajuster l’éclairage… en bref, revenir sur tous les choix

qu’elle a effectués au moment de démarrer le robot.

Ainsi, même dans le cas où le produit est finalement le fruit d’une intelligence artificielle146,

la très grande similarité du processus créatif avec celui de la photographie pourrait laisser

penser que les créations ainsi générées mériteraient de bénéficier du même régime que celui

des photographies. Ainsi — et toujours sous réserve que la condition d’originalité soit

remplie — ces créations pourraient accéder au rang d’œuvre. L’originalité de l’œuvre

photographique étant laissée à la libre appréciation des juges du fond, ceux-ci pourraient

rechercher l’empreinte de la personnalité du créateur à travers tous les choix créatifs

précédemment mentionnés. Dans ce cas-là, le robot pourrait être considéré comme un outil

(certes très perfectionné) qui serait employé par l’artiste, de la même façon qu’un appareil

photo. Cependant, reconnaître la qualité d’œuvre à ces créations ne signifie pas reconnaître

la qualité d’œuvre à une création générée par une IA. Cela signifie que l’on considère ici que

l’IA est instrumentalisée par l’humain de façon à servir d’outil. Cependant, le même parallèle

n’est pas envisageable dans le cas des logiciels fonctionnant selon un schéma d’art

algorithmique « personnel » mais dépourvus de structure physique. En effet, dans ce cas-là,

l’apport créatif de l’humain utilisateur se résumera à l’entrée de quelques instructions

basiques, insuffisantes pour justifier qu’il imprime sa personnalité dans l’œuvre finale. Si

l’humain utilisateur dispose d’une marge de manœuvre suffisante, il ne s’agira plus d’une

création générée par une intelligence artificielle mais l’on reviendra au régime des créations

assistées par ordinateur.

Cette assimilation des « robots-peintres » aux appareils photos semble permise par la lecture

de l’article L. 112-2 9° du CPI qui dispose : « Sont considérées comme des œuvres de l’esprit

au sens du présent Code (…) Les œuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de

146 Puisque certains de ces robots perfectionnent leur technique de dessin ou de peinture au gré des créations qu’ils réalisent, c’est par exemple le cas des robots de Pindar Von Arman, qui sont eux dotés d’une véritable capacité d’apprentissage autonome, fondée sur l’expérience (sans intervention humaine sur le code source du programme).

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techniques analogues à la photographie. » Le législateur semble avoir souhaité, dès 1992, ne

pas exclure de la protection des œuvres réalisées au moyen de technologies alors inexistantes.

Ainsi, il semblerait qu’une inclusion, dans la catégorie des œuvres de l’esprit des créations

originales, marquées par les choix créatifs de leur auteur soit non seulement justifiée d’un

point de vue technique, mais également conforme à l’intention du législateur. Cette

protection ne prendrait pas en compte, en revanche, les créations qui n’ont pas été réalisées

« à l’aide de techniques analogues à la photographie » comme le mentionne l’article L. 112-

2 9° du CPI et exclurait donc les créations « abstraites » réalisées de façon autonome par des

robots qui ne reproduiraient pas fidèlement un objet placé devant eux, mais qui prendraient

des « libertés » créatives.

1.2.2 L’intention créatrice de l’humain à l’origine de l’œuvre, désireux

de se prévaloir de la qualité d’auteur

Le fait qu’une personne physique n’exécute pas matériellement la création mais qu’elle se

contente de réunir les conditions de sa production n’empêche pas nécessairement celle-ci

d’accéder au rang d’œuvre. Par exemple, personne ne songerait à retirer sa qualité d’auteur

à Pollock pour les œuvres qu’il a fait réaliser par un âne en attachant un pinceau trempé dans

de la peinture au bout de sa queue. Ou encore, dans la fameuse affaire Renoir-Guino147, la

qualité de coauteur a été attribuée à Renoir qui, dans l’incapacité de sculpter, avait donné à

son disciple Guino des directives très précises quant aux œuvres à réaliser. La Cour de

cassation avait alors considéré que sa personnalité transparaissait dans les directives

transmises, justifiant une attribution de droits d’auteur à son égard. On pourrait alors

considérer qu’une personne qui programmerait un logiciel et mettrait en place les conditions

matérielles nécessaires à la création par celui-ci mériterait la qualité d’auteur au même titre

que le célèbre artiste.

Ensuite, la place de l’humain dans les créations générées par IA ne doit pas être complètement

occultée. En effet, toute création, même artificiellement générée, trouve (encore) sa source

147 Cass. civ. 1ère, 13 novembre 1973, D. 1974, p. 533, note C. Colombet.

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dans l’esprit humain. L’intervention de l’humain est décelable à trois stades de la création, et

est absolument indispensable lors du premier.

Tout d’abord, en amont de la création, le programmeur de l’IA est l’auteur des lignes de code

déterminantes des actions futures de la machine. Dans le cas de l’art algorithmique

« personnel », un artiste-programmeur ou un artiste en collaboration avec un programmeur

traduit en code informatique des règles de création artistique. Pour l’instant, des programmes

de dessin, de composition musicale et d’écriture (romans, poésie, scripts…) sont développés

en majorité, mais cette technique pourrait sans difficulté être transposée à d’autres domaines

de création artistique (chorégraphie, sculpture…). Le droit d’auteur a d’ailleurs

volontairement ouvert le champ de la protection à tous types de création148. Ensuite, une fois

ces règles acquises, le robot va générer une création qui ne sera que le résultat de calculs

algorithmiques, toute la création en amont aura été programmée par un humain. Un

programme peut être intelligent, en ce sens qu’il peut « apprendre » de ses propres

créations149, mais il peut aussi exécuter constamment son programme et produire des

créations de façon aléatoire mais sans apprentissage, d’une façon systématique150. Dans ce

cas-là, le style de l’artiste à l’origine du programme créateur se retrouvera nécessairement

dans la réalisation finale, et il ne serait pas aberrant de considérer que l’empreinte de sa

personnalité y a également été transférée.

Dans le cas de l’art algorithmique « synthétique » et « imitant », l’intervention d’un artiste

est plus dispensable puisque l’on va « apprendre » au logiciel à créer en intégrant dans sa

base de données d’importantes quantités d’œuvres. Mais l’intervention humaine est toujours

nécessaire. Tout d’abord, les œuvres intégrées au programme ont été réalisées en amont par

des artistes humains, et ensuite, il faut programmer le logiciel afin qu’il analyse celles-ci et

en retire des schémas créatifs qu’il pourra reproduire afin de générer de nouvelles créations.

Ainsi, toute production découle, directement ou indirectement, de l’humain. En effet, le

robot, s’il est capable d’analyse et d’imitation, est incapable, au contraire de l’humain, de

148 Article L. 112-2 CPI : « Sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du présent code : (…) ». 149 À l’image de Cloudpainter. 150 À l’image des robots de l’artiste Patrick Tresset.

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s’émanciper des règles existantes. Il ne pourra rien produire de totalement novateur ou

révolutionnaire. Des chercheurs en art ont d’ailleurs mis en évidence le fait que :

Implicitement, toute œuvre générative « encode » les jugements esthétiques humains au sein de son choix de règles et de la réalisation. Cependant, même pour les systèmes capables de production à grande échelle (p. ex. systèmes évolutifs d'image), la variation esthétique de tous les produits est étroite, ce qui indique que la responsabilité esthétique dans l'art générique actuel réside principalement en l'artiste plutôt que dans le système qui génère le travail.151

Ensuite, au stade de la réalisation de l’œuvre, dans le cas où le robot créateur n’est pas un

robot virtuel mais matériel, l’humain peut jouer un rôle très important dans la mise en place

du cadre nécessaire à la création152. En effet, notamment dans le cas des robots-peintres, toute

la préparation matérielle nécessaire à la réalisation de l’œuvre, ainsi que de nombreux choix,

libres et arbitraires, sont effectués par l’humain qui donne ensuite l’ordre à la machine de

créer. Ces choix, assimilables à ceux du photographe, sont multiples (choix du sujet, de

l’angle, du support et des outils, du cadrage et de l’éclairage) et ne doivent aucunement être

minimisés. D’autant plus qu’il n’est pas à exclure que l’humain effectue des réglages

incidents ou des rectifications au cours du processus créatif, allant jusqu’à assister la

machine. Dans cette hypothèse, la frontière serait très ténue entre création assistée par

ordinateur et création générée de façon autonome par une machine. Le processus est

également très semblable à celui de la photographie et dénier un droit sur ces créations semble

difficilement justifiable au regard du droit d’auteur.

Enfin, au stade post-réalisation, l’humain démontre une intention créatrice et bien souvent

l’intention de se prévaloir de la qualité d’auteur. Même si le critère de l’intention est en

principe inopérant en la matière, il serait un indice intéressant d’identification de l’auteur.

L’on pourrait considérer que ce n’est pas l’empreinte de la personnalité du logiciel que l’on

décèle derrière ces créations, mais celle d’artistes ayant rendu sa réalisation possible. Le

151 McCormack et al, supra, note 25. « Implicitly, any generative artwork “encodes” human aesthetic judgments within its choice of rules and realization. However, even for systems capable of voluminous output (e.g. image evolving systems), the aesthetic variation over all outputs is narrow, indicating that aesthetic responsibility in current generative art resides primarily with the artist rather than the system that generates the work. » 152 C.f supra, 1.2.1 La résurgence des questions relatives aux œuvres photographiques.

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Professeur Gaudrat, notamment, insiste sur l’importance de l’intention lors de la divulgation

d’une œuvre : « Il n’y a donc d’empreinte [de la personnalité] qualifiante que dans le cadre

d’un processus volontaire d’expression. De plus, l’intention divulgatrice qui, à terme, destine

à un public ce qui est exprimé, est nécessaire153. » (C’est notamment de ce que fait Duchamp

en élevant un urinoir en œuvre d’art).

Par ailleurs, si ce critère de l’intention créatrice se fait relativement discret au sein de la

doctrine relative à la propriété intellectuelle, il occupe une place importante en droit

administratif, et l’on en trouve également la trace dans quelques décisions judiciaires. Par

exemple, à propos de photographies : « Une telle finalité [publicitaire] n’est pas incompatible

avec l’intention créatrice de leur auteur154 » ou encore : « quelle que soit leur qualité, ces

photographies (…) ne présentent pas un caractère d’originalité et ne manifestent pas une

intention créatrice, susceptibles de les faire regarder comme des œuvres de l’esprit155 » ou

encore : «  l’ensemble ainsi élaboré, même si les divers éléments utilisés sont somme toute

banals, manifeste une certaine intention créatrice et est original156. » De nombreuses autres

décisions font également appel à ce critère afin de déterminer la qualité d’œuvre de l’esprit157.

Un tel contentieux administratif, centré autour de l’intention créatrice des photographes

s’explique par le fait que : « Les photographies qui “relèvent d’une démarche artistique et

portent témoignage d’une intention créatrice manifeste de la part de leur auteur” (…) sont

des œuvres de l’esprit ouvrant droit pour leur auteur à une exonération de la contribution

foncière des entreprises158 ».

C’est en outre le critère de l’intention artistique qui permet de faire le départ entre un objet

industriel et un objet d’art159. Une référence à l’intention artistique du « corps humain » a

153 Philippe Gaudrat, Répertoire de droit civil, 1 propriété des créateurs, § 1 - Qualités requises n°128, Dalloz, Propriété littéraire et artistique, 2007. n°128. 154 Cour administrative d'appel de Versailles – 26 mai 2005 – n° 03VE01074. 155 Cour administrative d'appel de Douai – 6 juin 2017 – n° 16DA01051. 156 CA Paris – 29 septembre 2006 – n° 05/21905. 157 V. Par exemple : Conseil d'État – 11 mai 1984 – n° 34600, Conseil d'État – 4 décembre 1989 – n° 90993, Cour administrative d'appel de Nantes – 21 avril 2016 – n° 15NT00073, CAA de NANTES – 12 juin 2014 – n° 13NT01760. 158 Photographes - CFE ou non ? – Armelle Verjat – JAC 2015, n°27, p.7. 159 Agnès Tricoire, « Le droit pénal au secours du ready-made, n’est pas Duchamp qui veut » [2006] D. 1827.

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également été faite pour apprécier son rôle dans la création des œuvres d’Yves Klein160. Et

enfin, Stéphanie Lequette-De Kervenoaël remarque que l’on « assiste ainsi à une extension

de la catégorie des œuvres d’art à des objets produits sans intention artistique, enracinés

dans la culture populaire161 », par opposition aux œuvres de l’esprit, qui, elles, nécessitent

cette intention artistique.

Ainsi, si l’intention reste un critère éminemment subjectif et ne compte pas parmi les

conditions d’attribution de la qualité d’œuvre, au moins en droit d’auteur, on ne peut nier son

importance. Il présenterait en effet une grande utilité pour tenter de reconnaître la qualité

d’œuvre aux créations générées par une IA. Les robots étant d’ailleurs souvent programmés

pour accomplir une tâche bien précise, cette intention créatrice est indéniablement présente

et sera bien souvent la raison d’être même du robot.

1.2.3 Une objectivation de la notion d’originalité, la rendant accessible

aux créations générées par un ordinateur ?

Depuis le célèbre arrêt Pachot de 1986162, et à cause de la multiplication du contentieux lié

aux logiciels, la Cour de cassation s’est vue contrainte de nuancer la définition subjective

classique163 de l’originalité jusqu’alors en vigueur. En effet, tenter de déceler l’empreinte de

la personnalité d’un auteur au travers de lignes de code composées d’instructions

standardisées relève d’un raisonnement assez artificiel. La notion d’originalité a donc dû

subir une adaptation afin de pouvoir appréhender ces nouvelles créations et l’on a alors

assisté à un mouvement d’objectivation de la notion d’originalité164.

160 « Pour peu qu'il soit « animé » d'une « intention artistique », le corps devient créatif dans la mesure où la vie qui l'habite est elle-même créatrice. Il se conduit alors comme un pinceau vivant qui vient déposer sur un monochrome blanc, en attente de passion, la trace de l'amour physique. Et on est transporté dans les fameuses anthropométries d'Yves Klein, où l'artiste dirigeait la reptation de modèles nus enduits de peinture bleue sur des feuilles de papier. » Bernard Edelman, « La création dans l’art contemporain » [2009] D. 38. 161 Françoise Labarthe, « Dire l’authenticité d’une oeuvre d’art » (2014) 18 D. 1047‑1053. 162 Cass., ass. plén., 7 mars 1986 [1re esp.], Babolat c. Pachot, no 83-10.477, D. 1986. 405, concl. Cabannes et note Edelman ; RTD com. 1986. 399, obs. Françon ; JCP 1986. II. 20631, obs. Mousseron, Teyssié et Vivant ; RIDA, 1986, no 129, p. 136, note A. Lucas. 163 L’originalité était alors définie comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur (voir supra, 1.1.1 Définition de l’œuvre de l’esprit). 164 Alexandra Bensamoun et Julie Groffe, « §3. Appréciation et siège de l’originalité » dans Répertoire de droit civil, 2017, 32‑33. Gaubiac, supra, note 102; Larrieu, supra, note 52; Bensamoun et Loiseau, supra, note 62.

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Dans cette acception, la condition d’originalité peut être satisfaite si le programmeur du

logiciel fait preuve d’un « effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une

logique automatique et contraignante et que la matérialisation de cet effort rési[dait] dans

une structure individualisée165 », suffisant à conférer au logiciel « la marque de son apport

intellectuel166. » Cette formulation emporte d’importants changements au regard de la notion

d’originalité telle qu’appréhendée jusqu’alors. Comme l’analyse une partie de la doctrine :

L’approche retenue de l’originalité est (…) moins centrée sur la personnalité de l’auteur, et l’adaptation de la notion n’est pas sans conséquence, dans la mesure où le concept d’apport intellectuel semble lié, plus qu’à l’originalité, à la nouveauté, pourtant propre à la propriété industrielle. En outre, cette seconde définition fait que l’originalité change de nature : de notion-cadre, elle devient notion polysémique, participant du désordre et de l’incertitude167.

Ce détachement de la notion d’empreinte de la personnalité de l’auteur pourrait conduire à

un élargissement de la catégorie des créations pouvant recevoir la qualification d’œuvre et

s’interpréter ainsi au bénéfice des créations générées par une intelligence artificielle. Cet

élargissement pourrait leur profiter, « compte tenu de la présence sous-jacente du programme

qui a contribué à la réalisation de cette œuvre168 » bien que celles-ci ne s’apparentent

nullement à des programmes d’ordinateur, mais à des créations à vocation artistique. Le

Professeur Vivant « préconise [d’ailleurs] de ramener l’originalité à la nouveauté dans

l’univers des formes », cette nouveauté étant par ailleurs aisément détectable dans nombre de

créations réalisées par une IA169.

Toutefois, cette tendance à l’objectivation de la notion d’originalité est à nuancer car la Haute

Cour pose une limite en sanctionnant les références abusives au « domaine de l’art connu »170

165 Arrêt Pachot précité note 117. 166 Ibid. 167 Alexandra Bensamoun et Julie Groffe, « §3. Appréciation et siège de l’originalité » dans Répertoire de droit civil, 2017, 32‑33. 168 Gaubiac, supra, note 103. 169 Michel Vivant et Jean-Michel Bruguière, Droit d’auteur et droits voisins, 2e édition, coll Précis Droit privé, Paris, Dalloz, 2013. p. 255 cité par Larrieu, supra, note 52. 170 Cass. com., 10 sept. 2013, n° 12-19.873 : JurisData n° 2013-019085 : « Alors (…) qu'en annulant en l'espèce le modèle de flacon déposé sous le n° 942417 aux motifs que la forme du buste masculin qui le compose ne se différencie pas des dessins et modèles de bustes appartenant au domaine de l'art connu (…), la Cour d'appel a

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ou à la caractérisation de l’originalité en référence à « l’absence d’antériorité de toutes pièces

et le caractère nouveau »171. Cette notion reste éminemment subjective, ce qui est rappelé à

intervalles réguliers par la CJUE, notamment dans l’arrêt Eva-Maria Painer172 qui fait par

exemple référence à la « création intellectuelle de l’auteur reflétant la personnalité de ce

dernier et se manifestant par les choix libres et créatifs de celui-ci »173.

De la même façon, le droit de la propriété intellectuelle a également su faire preuve de

souplesse afin d’accorder une protection aux bases de données, créations recelant une forte

valeur ajoutée mais dépourvues de l’empreinte de la personnalité de leur créateur à

proprement parler. En effet, celles-ci ont reçu une protection au niveau international174 avant

d’intégrer le CPI en 1998 dont l’article L.122-3 dispose alors : « Les auteurs (…) jouissent

de la protection instituée par le présent code sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre

originale. Il en est de même des auteurs (…) de recueils d’œuvres ou de données diverses,

tels que les bases de données, qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des

créations intellectuelles. » Cette protection est également reconnue par la Cour de cassation

qui a jugé a contrario que « ne sont protégeables par le droit d’auteur que les bases de

données qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations

intellectuelles originales »175.

privé sa décision de base légale au regard des articles L. 511-1 et L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle ». 171 Cass. civ. 1re, 22 janv. 2014, n° 11-24.273 : JurisData n° 2014-001202 : « La Cour d'appel, qui a fondé sa décision sur l'absence d'antériorité de toutes pièces et le caractère nouveau des choix opérés par l'architecte, n'a pas caractérisé en quoi ces choix, pour arbitraires qu'ils soient, portaient l'empreinte de la personnalité de leur auteur ; qu'en statuant ainsi, elle a violé les articles L. 112-1 et L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle. » 172 V. not. CJUE 1er déc. 2011, aff. C-145/10, Eva-Maria Painer c. Standardverlag et alii, Eva-Maria Painer, supra, note 141. D. 2012. 471, obs. J. Daleau, note N. Martial-Braz; ibid. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke; ibid. 2836, obs. P. Sirinelli; RTD com. 2012. 109, obs. F. Pollaud-Dulian; ibid. 118, obs. F. Pollaud-Dulian; ibid. 120, obs. F. Pollaud-Dulian. Ibid. 173 Eva-Maria Painer, supra, note 141. point 99. 174 Art. 5 traité OMPI 1996 : « Compilations de données (bases de données). Les compilations de données ou d’autres éléments, sous quelque forme que ce soit, qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles sont protégées comme telles. Cette protection ne s’étend pas aux données ou éléments eux-mêmes et elle est sans préjudice de tout droit d’auteur existant sur les données ou éléments contenus dans la compilation. » 175 Cass. civ. 1re, 22 septembre 2011, Strato Ip c. Benamran, n° 10-23.073, non publié au Bulletin ; RIDA oct. 2011, p. 243, obs. P. Sirinelli ; Cass. civ. 1re, 22 sept. 2011, Winsure, n° 09-71.337, non publié au Bulletin ; RIDA oct. 2011, p. 243, obs. P. Sirinelli.

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Par ailleurs, le producteur de la base de données bénéficie d’un droit sui generis sur celle-ci,

qui lui est conféré au niveau national par l’article L. 341-1 du CPI : « Le producteur d’une

base de données, entendu comme la personne qui prend l’initiative et le risque des

investissements correspondants, bénéficie d’une protection du contenu de la base lorsque la

constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement

financier, matériel ou humain substantiel. Cette protection est indépendante et s’exerce sans

préjudice de celles résultant du droit d’auteur ou d’un autre droit sur la base de données ou

un de ses éléments constitutifs. »

Ainsi, le droit sait s’accommoder sans trop de peine de l’absence d’originalité, au sens strict

du terme, pour accueillir certaines créations telles que les logiciels ou les bases de données

qui en sont à première vue dépourvues. Un effort créatif se retrouve, bien entendu, derrière

de telles réalisations mais l’on peut difficilement l’analyser comme l’empreinte de la

personnalité de l’auteur. Une distorsion similaire des catégories juridiques au profit des

créations générées par IA semblerait également envisageable et conforme au penchant du

droit d’auteur qui tend à s’adapter aux mutations technologiques, afin de ne délaisser aucune

forme de création.

Si cette objectivation de la notion d’originalité venait à être pérennisée et élargie au profit

des créations générées par une IA, cette évolution s’inscrirait dans le sens d’une

harmonisation du régime du droit d’auteur dans les États observant une tradition de Common

law, ceux-ci n’attachant pas autant d’importance à l’empreinte de la personnalité de l’auteur

que les États de tradition civiliste.

1.2.4 L’exemple Common law-iste d’une empreinte de la personnalité

en retrait, au profit d’un critère de l’effort

Dans certains États de Common law176, l’originalité s’apprécie d’une façon différente de celle

des États de tradition civiliste. En effet, l’empreinte de la personnalité de l’auteur y joue

176 Notamment le Canada, les États-Unis, l’Angleterre, l’Inde, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Le droit Québécois, quant à lui, empruntant à la fois à la tradition civiliste et à la tradition de common law pourrait offrir des éléments de comparaison intéressants.

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parfois un rôle résiduel, au profit du critère de l’effort. La doctrine dite du « sweat of the

brow » (« sueur du front ») souhaite tendre vers une valorisation de l’effort, plutôt qu’une

valorisation de l’empreinte de la personnalité de l’auteur, élargissant ainsi le spectre des

œuvres pouvant faire l’objet d’une protection. Par ailleurs, la finalité du droit d’auteur

américain est de « promouvoir le progrès de la science et des arts utiles177 ». Dans une telle

acception, il est permis de se demander si les créations générées par IA ne trouveraient pas

leur place au sein du domaine protégeable.

Cette doctrine a émergé au Royaume-Uni, dans la décision Walter v. Lane178 qui récompense

par la protection du droit d’auteur le « skill and labor » (« talent et travail ») de l’auteur179.

Ce critère d’appréciation de l’originalité s’est ensuite développé et répété et a pris le nom de

« sweat of the brow », ou « industrious collection » (collecte laborieuse)180. Il ressort des

décisions britanniques que la créativité n’est pas requise pour accéder à l’originalité. Seul le

critère du talent et du travail doit être rempli, c’est-à-dire que l’auteur peut accéder à la

protection en ayant effectué un travail laborieux (même de collecte d’informations factuelles)

et en ayant exprimé ces informations181. Cette conception est assez bien ancrée en droit

britannique, et les juges ont recours à plusieurs expressions différentes telles que : « skill,

judgement and labour”182 ou “labour, skill, and capital”183 ou encore “intellectual skill and

brain labour”184. De la même façon, deux décisions australienne et néo-zélandaise ont

reconnu l’originalité d’un annuaire pour l’une, et d’éléments annexes à un sondage (rubriques

et sous-titres) pour l’autre, à cause de l’effort qui avait été déployé pour la collecte de ces

177 « To promote the Progress of Science and useful Arts. » art. I, § 8, cl. USC. 178 Walter v. Lane [1900] A.C. 539. Cité par Krishna Hariani et Anirudh Hariani, « Analyzing Originality in Copyright Law: Transcending Jurisdictional Disparity » (2011) 51 IDEA Intellect Prop Law Rev 491‑510. P. 498. 179 Id. at 554-55. Cité par Ibid. 180 Ibid. p. 502. 181 Sawkins v. Hyperion Records Ltd., [2004] EWHC (Ch.) 1530, [2004] 4 All E.R. 418 (HC) (Eng.) at paras. 48-56 Ladbroke (Football) Ltd. v. William Hill (Football) Ltd, [1964] 1 W.L.R. 273 (Eng.) at 471; Univ. of London Press, Ltd. v. Univ. Tutorial Press, Ltd., [1916] 2 Ch. 601 (Eng.) at 611-14. Cité par Ibid. 182 Ladbroke (Football) Ltd v. William Hill (Football) Ltd[1964] 1 WLR 273 (HL). Cité par Mark Perry et Thomas Margoni, « From music tracks to Google maps: Who owns computer-generated works? » (2010) 26:6 Comput Law Secur Rev 621–629. 183 W.R. Cornish, Intellectual Property, London, 2003 at 10-04; K. Garnet – J. Rayner James – G. Davies, Copinger and Skone James on copyright, 14th Ed. at 3–85. Cité par Ibid. 184 Walter v. Lane [1900] AC 539, « decision reached before a statutory requirement of originality was inserted in the Copyright Act ». Cité par Ibid.

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données185. À l’inverse, dans l’affaire IceTV, la Cour suprême australienne précise sa

position en jugeant que les seuls critères du « skill and labour », non liés à la production

d’une œuvre, ne pouvaient pas constituer un acte d’expression empreint d’originalité186. Il

semblerait que l’Inde n’ait pas encore pris position sur ce critère de l’originalité mais, dans

plusieurs affaires, les juridictions se sont prononcées en faveur du test « sweat of the

brow »187. Les cours indiennes ont en effet tendance à faire référence à une nécessité de

démontrer du « skill and labor » afin d’accéder à la protection. Toutefois, il est parfois fait

référence à un « original skill and labor188 », mêlant ainsi le système britannique à la

conception européenne traditionnelle.

Si cette doctrine « sweat of the brow » s’est quelque peu exportée outre-Atlantique, elle n’a

guère eu de succès. Elle a fait son apparition notamment dans l’arrêt Gray v. Russel189. Dans

cette affaire, le Juge Story a accordé la protection à une grammaire annotée en prenant

l’exemple d’une hypothétique carte à laquelle son créateur aurait dédié « une grande partie

de son temps et de son attention » et affirme qu’un tiers ne devrait pas être en mesure de

reproduire cette carte sans déployer les mêmes talent et travail que son créateur190. Il ressort

de nombreuses conclusions du Juge Story que le droit d’auteur était accordé à des travaux

réalisés grâce à du talent, du travail ou de l’argent191. Ce critère a également été employé

dans l’affaire Jeweler’s Circular Publishing Co. v. Keystone Publishing Co. (au sujet d’un

annuaire) : « La personne parcourant les rues d’une ville et recensant le nom de ses habitants,

ainsi que leur profession et le numéro de leur rue acquiert ici un écrit dont il est l’auteur. Il

185 Australian Full Federal Court in Desktop Marketing Systems Pty. Ltd. v. Telstra Corp. Ltd.,48 and the New Zealand Court of Appeal in The University of Waikato v. Benchmarking Services Ltd. Cité par Hariani et Hariani, supra, note 178. p. 499. 186 IceTV Pty Limited v. Nine Network Australia Pty Limited, 2009 HCA, en ligne : <http://www.austlii.edu.au/cgi-bin/sinodisp/au/cases/cth/HCA/2009/14.html?stem=0&synonyms=0&query=ice%20TV>. 187 Hariani et Hariani, supra, note 178. 188 Govindan v. Gopalakrishna, 1955 A.I.R. Mad. 391, § 8-10; V. Burlington Home Shopping v. Rajnish Chibber, 1995 P.T.C. (15) 278; McMillan v. Suresh Chunder Deb, I.L.R. 17 (Cal.) 951, 961. Cité par Ibid. p. 503. 189 10 F. Cas. 1035 (C.C.D. Mass. 1839) (No. 5728). Cf. Blunt v. Patten, 3 F. Cas. 763, 765 (C.C.S.D.N.Y. 1828) (No. 1580). Cité par Dale P Olson, « Copyright Originality » (1983) 48 Mo Law Rev 29‑62. P. 35 19010 F. Cas. at 1038. Ibid. p.36 191 10 F. Cas. at 619 Ibid. p.37

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produit, par son travail, une compilation méritante, pour laquelle il mérite un droit d’auteur,

et le droit exclusif d’effectuer des reproductions de son œuvre192. »

Mais cette doctrine a été largement controversée aux États-Unis et si, pendant un temps, les

juges ont hésité sur la question de savoir si la créativité était ou non une condition de

l’originalité, elle a été définitivement écartée dans l’arrêt Feist193 précité et a conduit certains

auteurs à considérer que « doctrinally, at least, the ‘sweat of the brow’ test is as dead as the

proverbial doornail.»194 (D’un point de vue doctrinal, tout au moins, la doctrine du sweat of

the brow est morte et enterrée). La conception américaine de l’originalité se rapproche alors

de la vision européenne et notamment française. Le droit américain a subi en effet l’influence

de la conception continentale du droit d’auteur, ce qui a conduit les juges de la Cour Suprême

à considérer qu’un : « écrit (…) ne peut être qualifié d’original que s’il émane des pouvoirs

créatifs de l’esprit. Les écrits qui méritent protection sont le fruit d’un travail intellectuel,

incarné sous la forme de livres, d’imprimés, de gravures et autres assimilés »195. Ainsi, « si

la créativité n’émane pas d’un auteur, le procédé est purement mécanique, et son résultat

n’est pas protégeable. Les Cours américaines n’ont pas encore décelé de matériel protégeable

dans un produit ayant pour auteur un non-humain. Le copyright office américain interdit

même l’enregistrement de créations produites par une machine196. C’est ensuite l’arrêt

Bleistein v. Donaldson Lithographing Co.197 qui s’est attaché à préciser les contours de la

notion d’originalité et le Juge Holmes en donne une définition devenue référence : « La copie

192 281 F 83, 88 (2d Cir 1922), cité dans Hutchinson Telephone, 770 F2d at 131; Leon, 91 F2d at 486 : « The man who goes through the streets of a town and puts down the names of each of the inhabitants, with their occupations and their street number, acquires material of which he is the author. He produces by his labor a meritorious composition, in which he may obtain a copyright, and thus obtain the exclusive right of multiplying copies of his work. » cité par Howard B Abrams, « Originality and Creativity in Copyright Law » (1992) 55 Law Contemp Probl 3‑44. 193 « Feist Pubs., Inc. v. Rural Tel. Svc. Co., Inc. 499 U.S. 340 (1991) », en ligne : Justia Law <https://supreme.justia.com/cases/federal/us/499/340/> (consulté le 13 juin 2017). 194 Abrams, supra, note 192. p. 42. 195 En anglais dans le texte : « "originality is required" for anything to be classified as the writing of an author. » (…) « [W]hile the word writings may be liberally construed, as it has been .... it is only such as are original, and are founded in the creative powers of the mind. The writings which are to be protected are the fruits of intellectual labor, embodied in the form of books, prints, engravings, and the like. » These three cases, United States v. Steffens, United States v. Witteman, and United States v. Johnson, are jointly decided at 100 US 82 (1879). Cité par Ibid. p. 6. 196 Cindy Alberts Carson, « Laser Bones: Copyright Issues Raised by the Use of Information Technology in Archaeology » (1996) 10 Harv J Law Technol 281‑320. p. 298. 197 188 US 239 (1903). Cité par Abrams, supra, note 192. P. 6

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[originale] est la réaction personnelle d’un individu à la nature. La personnalité contient

toujours quelque chose d’unique. Sa singularité s’exprime jusque dans l’écriture

[manuscrite], et même une contribution artistique très modeste contient quelque chose

d’irréductible, propre à chaque homme. C’est cette chose unique et irréductible que protège

le droit d’auteur198. »

Ainsi, c’est surtout lorsque l’originalité au sens classique du terme était difficile à déceler,

notamment dans le cas d’une compilation de données199, que les juges en référaient à d’autres

critères afin de l’évaluer et notamment à l’approche « sweat of the brow ». Celle-ci considère

« à défaut » qu’une démonstration de l’effort est suffisante afin d’établir l’originalité, même

lorsque cet effort est dépourvu d’imagination ou de jugement. Ici, l’originalité requise réside

dans le temps, l’effort et l’argent engagés afin de générer le produit pour lequel la protection

est demandée.

Le Canada, quant à lui, se situe dans un entre-deux et a récemment pris position sur la

question. Jusqu’en 1997, la Cour fédérale d’appel considérait que200 les juridictions

canadiennes ne devaient plus se plier à cette doctrine de l’effort et devaient adopter la

conception américaine et continentale fondée sur la créativité qui a été mise en place dans

l’arrêt Feist précité. Mais un revirement partiel a eu lieu lors de l’arrêt CCH, dans lequel la

Cour a décidé d’opter pour une voie médiane entre « l’éclat de créativité » et « l’effort de

collecte ou l’effort industriel »201, jugeant que la conception américaine avait des exigences

trop élevées en matière de créativité et que le Royaume-Uni, à l’inverse, adoptait une position

trop laxiste. Pour la Cour canadienne, l’expression artistique ne doit pas être un exercice

purement mécanique. La Cour considère, dans le retentissant arrêt CCH, que :

198 En anglais dans le texte : « The copy is the personal reaction of an individual upon nature. Personality always contains something unique. It expresses its singularity even in handwriting, and a very modest grade of art has in it something irreducible, which is one man's alone. That something they may copyright unless there is a restriction in the word of the act » Bleistein, 188 US at 250. Cité par Ibid. p.7. 199 Dans le cas d’une compilation de données v. par exemple : Feist, note 190. 200 Tele-Direct (Publications)Inc. v. American Business Information Inc. [1998] 2 F.C. 22 (Can.). at paras. 29-38; cité par Hariani et Hariani, supra, note 178. 201 CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 RCS 339 (CSC).

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Pour être « originale » au sens de la Loi sur le droit d’auteur, une œuvre doit être davantage qu’une copie d’une autre œuvre. Point n’est besoin toutefois qu’elle soit créative, c’est-à-dire novatrice ou unique. L’élément essentiel à la protection de l’expression d’une idée par le droit d’auteur est l’exercice du talent et du jugement. J’entends par talent le recours aux connaissances personnelles, à une aptitude acquise ou à une compétence issue de l’expérience pour produire l’œuvre. J’entends par jugement la faculté de discernement ou la capacité de se faire une opinion ou de procéder à une évaluation en comparant différentes options possibles pour produire l’œuvre. Cet exercice du talent et du jugement implique nécessairement un effort intellectuel. L’exercice du talent et du jugement que requiert la production de l’œuvre ne doit pas être négligeable au point de pouvoir être assimilé à une entreprise purement mécanique. Par exemple, tout talent ou jugement que pourrait requérir la seule modification de la police de caractères d’une œuvre pour en créer une « autre » serait trop négligeable pour justifier la protection que le droit d’auteur accorde à une œuvre « originale ».

La Cour canadienne place ainsi le siège de l’originalité dans le talent et le jugement, ceux-ci

impliquant un effort intellectuel et non une action purement mécanique.

Si les juges américains font une utilisation plus souple, et peut-être plus opportuniste de la

notion d’originalité que les juges français202, et si d’autres États de Common law ont recours

au critère « sweat of the brow », cette interprétation semble toutefois servir principalement à

protéger un effort intellectuel qui ne peut être appréhendé par le droit d’auteur. Cette notion

est principalement utilisée afin de protéger une collecte industrieuse d’informations dans des

pays qui ne connaissent pas de droit sui generis des bases de données. Il faut donc nuancer

l’apport de cette doctrine en s’intéressant à sa finalité : dans la majorité des cas, elle avait

pour objectif de protéger des éléments à forte valeur ajoutée mais dépourvus d’originalité au

sens traditionnel du terme. Les juges américains ont par ailleurs explicitement refusé

d’accorder la qualité d’auteur à un non-humain. Il est donc assez peu probable que les juges

acceptent d’y recourir afin de faire entrer dans le champ de la protection des œuvres qui ont

été générées par une intelligence artificielle ; la finalité serait ici très différente.

Donc, si l’accès à la qualité d’œuvre de l’esprit des créations générées par une IA paraît

compromis, en raison principalement de l’absence d’auteur personne physique à l’origine de

202 D’ailleurs, dans le 17 U.S. Code § 102, l’originalité n’est intentionnellement pas définie, démontrant l’intention du législateur américain de ménager aux juges une souplesse dans son appréciation.

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ces créations, plusieurs arguments, portés notamment par le législateur européen, pourraient

conduire à une intégration progressive des robots, physiques comme virtuels, dans notre

société, et pourraient à terme conduire à reconnaître à leurs créations la qualité d’œuvre. Dans

une telle hypothèse, il paraît nécessaire d’envisager, dans un second temps, les droits qui

pourraient être rattachés à de telles créations, et les acteurs qui, parmi tous les intervenants

sur la chaîne de la production artistique, pourraient revendiquer le bénéfice de tels droits.

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2. LA COMPLEXE DETERMINATION DES DROITS ATTACHES AUX

CREATIONS GENEREES PAR UNE INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

ET DE LEURS TITULAIRES

« La focale s'est (…) aujourd'hui inversée : le robot n'est plus seulement objet de droits (…),

il participe désormais à augmenter le fonds de l'humanité par son activité de création. La

question devient alors celle du robot créateur, titulaire de droits, à tout le moins générateur

de droits. » 203

Les arguments avancés par les défenseurs de droits rattachés aux créations générées par une

IA sont nombreux, Jani Mc Cutcheon, par exemple, avance le fait que la protection

permettrait d’encourager la création, de promouvoir l’accès à l’information et à la

connaissance, de protéger ces créations de la copie, de réaliser des gains de productivité, de

soutenir les industries opérant dans ce secteur et de leur fournir une garantie de stabilité204.

Ainsi, il convient d’évaluer tout d’abord si des titulaires peuvent légitimement revendiquer

un droit d’auteur sur les créations générées par IA avant d’envisager lesquels de ces droits

pourraient être mis en œuvre.

2.1 La titularité des droits attachés à l’œuvre réalisée par une

intelligence artificielle

Si l’on considère que les créations générées par IA peuvent recevoir la qualification d’œuvre

de l’esprit et que des droits peuvent y être attachés, qui peut en revendiquer la titularité ? La

réponse à cette question implique de déterminer un titulaire ab initio des droits, c’est-à-dire,

une personne pouvant revendiquer la qualité d’auteur. La complexité de ce problème tient

notamment au nombre d’acteurs qui interviennent sur la chaîne de réalisation de l’ouvrage,

allant du concepteur du robot intelligent à l’utilisateur final de celui-ci, en passant par le robot

lui-même. Mais avant d’envisager ces différents prétendants à la titularité des droits, il

convient de définir la notion même d’auteur.

203 Bensamoun et Loiseau, supra, note 62. 204 Jani McCutcheon, « Curing the authorless void: protecting computer-generated works following IceTV and Phone Directories » [2013], pp. 953 à 957.

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2.1.1 Le créateur, personne physique titulaire ab initio des droits d’auteur

Plusieurs intervenants au processus créatif se dégagent comme candidats potentiels à cette

titularité des droits en fonction de leur degré d’intervention dans le processus créatif. Le

programmeur de l’IA tout d’abord, une fois dépassé le stade de l’idée, est le premier à

effectuer des actions concrètes, dans l’univers tangible de la forme, en vue de la création par

le robot. Si l’idée n’émane pas nécessairement de lui, il a pour le moins l’intention de mettre

au point un robot créateur. Ensuite, une fois ce robot achevé et mis en service, un utilisateur

l’emploie afin qu’il effectue la tâche pour laquelle il a été conçu : la création. Cet utilisateur

peut être le programmeur lui-même : artiste ayant conçu une machine pour le seconder dans

la création ou bien il peut être le cessionnaire du robot intelligent. Enfin, si de nombreux

robots ont vu le jour grâce à une vocation créatrice pure et désintéressée économiquement,

d’autres ont été conçus pour servir l’intérêt économique de personnes morales. Par exemple,

l’activité créatrice du robot virtuel Watson d’IBM205 n’est sans doute pas désintéressée.

Ainsi, la personne (physique ou morale), qui réalise un effort financier substantiel, nécessaire

au développement ces programmes intelligents, ne devrait-elle pas pouvoir récolter les fruits

de cet investissement sous la forme de droits patrimoniaux ?

Le CPI206, la Convention de Berne207 et la directive 2004/48 relative au respect des droits de

propriété intellectuelle208 posent une présomption simple d’autorat au profit de la personne

sous le nom de laquelle l’œuvre est divulguée. Mais, dans le cas des créations générées par

une IA, ce principe n’est pas d’un grand secours dans la détermination de l’auteur. En effet,

la personne sous le nom de laquelle la création est divulguée (si tant est que l’on puisse la

205 « IBM - Art with Watson » (18 avril 2017), en ligne : IBM - Art with Watson <https://www.ibm.com/watson/artwithwatson/> (consulté le 24 juin 2017). 206 art. L. 113-1 CPI. 207 OMPI, Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, art. 15.1, 9 septembre 1886 [Convention de Berne] : « Pour que les auteurs des œuvres littéraires et artistiques protégés par la présente Convention soient, sauf preuve contraire, considérés comme tels et admis en conséquence devant les tribunaux des pays de l’Union à exercer des poursuites contre les contrefacteurs, il suffit que le nom soit indiqué sur l’œuvre en la manière usitée. » 208 Le Parlement européen, Conseil de l’Union européenne, directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil relative au respect des droits de propriété intellectuelle, art. 5, 2003/0024/COD, avril 2004 : « Présomption de la qualité d'auteur ou de titulaire du droit. Aux fins de l'application des mesures, procédures et réparations prévues dans la présente directive, pour que l'auteur d'une œuvre littéraire ou artistique soit, jusqu'à preuve du contraire, considéré comme tel et admis en conséquence à exercer des poursuites contre les contrefacteurs, il suffit que son nom soit indiqué sur l'œuvre de la manière usuelle. »

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qualifier d’œuvre) ne sera pas, bien souvent, celle qui l’aura réalisée de sa main. Les qualités

essentielles de l’auteur seront donc à rechercher ailleurs. L’article L. 113-7 du CPI permet

mieux de cerner la notion puisqu’il précise qu’« ont la qualité d’auteur d’une œuvre

audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette

œuvre ». Si ce principe se limite à l’œuvre audiovisuelle, il pose toutefois la nécessité pour

l’auteur d’être le créateur intellectuel de l’œuvre. La jurisprudence précise également la

notion en ajoutant que « l’auteur effectif s’entend de celui qui réalise ou exécute

personnellement l’œuvre ou l’objet. »209 Elle insiste également, de façon constante, sur le

caractère de personne physique de l’auteur210.

La réponse apportée par la question de la définition de l’auteur par les États de Common law,

elle, soulève autant de questions qu’elle n’apporte de réponses. Au Royaume-Uni, le

Copyrights Designs and Patents Act de 1988 définit l’auteur comme « la personne qui crée

l’œuvre »211. L’article est toutefois plus complet que son équivalent français car il envisage

plusieurs cas d’œuvres spécifiques (enregistrement sonore, radiodiffusion, arrangement

typographique…) et précise, pour ces créations, qui doit se voir reconnaître la qualité

d’auteur. Cette exhaustivité témoigne d’une volonté de ne pas laisser d’œuvre « orpheline »,

volonté confirmée par le dernier alinéa de l’article qui dispose : « L’identité d’un auteur doit

être considérée comme inconnue s’il est impossible pour une personne d’établir sa qualité

par une enquête raisonnable ; mais si son identité vient à être connue, elle ne doit plus être

considérée comme inconnue. »212 Le droit américain, lui, est beaucoup plus évasif, puisque

la Copyright Law of the United States ne mentionne pas la définition de l’auteur dans la

section §101 de la loi mais prévoit simplement que « le droit d’auteur sur une œuvre protégée

209 Cass. civ. 1re, 15 nov. 2005 : D. 2006, 1116, note Tricoire ; Propr. intell. 2006, n°20, p. 356, obs. Vivant ; RIDA avr. 2006 note Kéréver. Ou encore « la qualité d’auteur d’une œuvre ne peut être attribuée à une personne physique que s’il est établi que cette personne a personnellement réalisé l’œuvre » : Cass. civ. 1re, 17 oct. 2000 : CCE 2001, n°98, note Caron. 210 V. supra, 1.2.2 L’absence d’auteur-créateur, rendant vaine toute recherche d’originalité ? 211 Parlement du Royaume-Uni, Copyright, Designs and Patents Act, Sect. 9, 15 novembre 1988 : « In this Part “author”, in relation to a work, means the person who creates it. » 212 Ibid. « The identity of an author shall be regarded as unknown if it is not possible for a person to ascertain his identity by reasonable inquiry ; but if his identity is once known it shall not subsequently be regarded as unknown. »

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par ce titre revient initialement à l’auteur ou aux auteurs de l’œuvre. »213 De façon analogue,

le droit australien définit l’auteur d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique

comme étant le titulaire d’un droit d’auteur rattachable à l’œuvre214. La loi canadienne n’est

guère plus précise, en ce qu’elle définit l’auteur d’une œuvre comme étant le « premier

titulaire du droit d’auteur sur cette œuvre. »215 Les conditions rattachées à cette qualité

d’auteur sont précisées dans l’article 5(1)a de cette même loi qui prévoit que le droit d’auteur

« existe » si l’œuvre est réalisée par le résident d’un pays signataire216 ou si la première mise

à disposition du public de l’œuvre a été faite dans un pays signataire. Le raisonnement est

appliqué tel quel par les juridictions canadiennes217, et la question de la qualité d’auteur ne

soulève guère de débat. Pourtant, ces définitions légales n’éclairent guère quant à la question

de savoir quelles conditions sont véritablement requises pour se voir conférer cette qualité

d’auteur ; quel degré de participation au processus créatif est requis pour se voir conférer

cette qualité.

Si de longs développements sont consacrés par la doctrine et la jurisprudence à la notion

d’œuvre de l’esprit, il est fait moins de cas de celle d’auteur. Renée-Pierre Lépaulle en

donnait la définition suivante en 1927 : « Seul l'individu qui a apporté à la société un élément

nouveau, qui par son travail est parvenu à faire sortir de son cerveau ou de la matière

quelque chose de différent de ce qu'on avait vu jusqu'alors, seul celui-là peut réclamer le

titre d'auteur. »218 Une délibération du comité exécutif de l’ALAI, en date de 1990, consacre

quant à elle de substantiels développements à la question de la qualité d’auteur, qui apportent

d’intéressantes précisions :

Affirmant que la définition de la notion d'auteur et la détermination du titulaire des droits d'auteur constituent deux questions d'importance capitale sur lesquelles

213 United States Congress, Copyright Law of the United States, USC, 17, A. 201(a) Ownership of copyright, 30 juillet 1947 : « Copyright in a work protected under this title vests initially in the author or authors of the work. » 214 Commonwealth Consolidated Acts, Copyright Act 1968, sect. 35(2) : « Subject to this section, the author of a literary, dramatic, musical or artistic work is the owner of any copyright subsisting in the work by virtue of this Part. » 215 art. 13.1 Loi sur le droit d’auteur, LRC, 1985.. 216 Pays partie à la Convention de Berne, à la Convention universelle ou au traité de l’ODA, ou membre de l’OMC. Art. 2 Loi sur le droit d’auteur, LRC, 1985.. 217 V. par ex : Wing c. Van Velthuizen (2000), 9 C.P.R. (4th) 449 (C.F.P.I.). 218 Renée-Pierre Lépaulle, Les droits de l’auteur sur son œuvre, Paris, Dalloz, 1927, p.22. Cité par : Bertrand, supra, note 83. n°103.12.

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repose l'édifice du droit d'auteur. Rappelant que la convention de Berne a de manière constante, dans sa lettre et dans son esprit, reconnu et limité au seul créateur, personne physique, la qualité d'auteur. Rappelant aussi qu'il ressort clairement des dispositions de la convention de Berne que c'est l'auteur qui est titulaire originaire des droits économiques sur l'œuvre qu'il a créée, bien que ces derniers puissent être transférés par voie contractuelle ou autrement à autrui, et sauf l'exception limitée de l'article 14 bis par. 2. Considérant que l'attribution de la titularité des droits économiques à d'autres personnes que le créateur ne saurait avoir pour effet d'étendre à ces derniers la qualité d'auteur. Constate que la définition du mot « auteur » telle qu'elle apparaît au document précité opère une confusion regrettable entre les concepts pourtant distincts d'auteur et de titulaires, confusion qu'il importe de dénoncer et de ne pas perpétuer. Recommande en conséquence que la définition du mot « auteur » telle qu'elle apparaît au document précité soit limitée comme suit : « L'auteur est la personne physique qui crée l'œuvre » ce qui n'exclut pas l'application de certaines dispositions de la loi à des personnes autres que l'auteur.219

Ainsi, il faut veiller à distinguer le titulaire ab initio des droits d’auteur de leur cessionnaire,

ce dernier n’étant pas nécessairement une personne physique, contrairement à l’auteur-

créateur.

Avant de considérer ces titulaires potentiels des droits, il semble souhaitable d’exclure de

prime abord le logiciel de l’IA en lui-même. Si cette solution est proposée par certains, lui

conférer cette qualité impliquerait un bouleversement de la conception personnaliste du droit

d’auteur qui prévaut en France et qui a influencé de nombreux systèmes juridiques. Ensuite,

cette qualité d’auteur, dans la mesure où elle lui conférerait des droits, nécessiterait de lui

accorder un patrimoine. Autant de solutions exclues précédemment en raison des risques

qu’elle comporte tant d’un point de vue éthique que juridique220.

2.1.2 Une titularité des droits au profit de l’utilisateur de l’IA ?

L’utilisateur du logiciel de l’IA dispose de sérieux arguments en sa faveur pour se voir

reconnaître une titularité des droits sur les créations générées par le robot. En effet, il est

l’acteur nécessaire au déclenchement du processus créatif (c’est lui qui amorce le

219 UNESCO, « Bulletin du droit d’auteur » (1990) XXIV:3 UNESCO, p 31. Cité par Bertrand, supra, note 83. §103.14. 220 V. supra, 1.1.3 La reconnaissance d’une personnalité juridique à l’intelligence artificielle, palliatif à l’absence d’auteur personne physique ?

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programme) et il est responsable de la mise en place éventuelle du « cadre créatif ».

L’intervention humaine étant souvent requise, à des degrés variés, afin de permettre au

programme de créer. Ici, l’utilisateur s’entend de la personne qui a la maîtrise concrète du

robot (virtuel ou physique) ; il s’entend, de la même manière qu’en droit civil, de la personne

qui a la garde de la chose, à savoir, qui en a l'usage, la direction et le contrôle221.

Dans le cas de l’art algorithmique recombinant (apprenant ou non), l’apport de l’humain est

minime puisque l’IA va générer une création composée d’extraits ou de fragments d’œuvres

préexistantes analysés et recombinés au moyen d’algorithmes. Ces programmes peuvent

également être dotés d’une capacité d’apprentissage, mais cela ne change rien à l’action

requise par l’utilisateur qui se limite à un choix entre plusieurs options fermées ou limitées.

Ainsi, la création finale ne sera pas un reflet de ses choix personnels. Tout au mieux, on

pourra y percevoir ceux effectués par les auteurs des œuvres préalablement incorporées au

programme. Par exemple, le script du court-métrage « Sunspring », écrit par une IA auto-

baptisée Benjamin, est quasi-intégralement le produit de calculs du logiciel. Des contraintes

scénaristiques mineures avaient été posées : on a indiqué au programme le contexte

approximatif de l’action (le futur, frappé d’un chômage de masse) et une scène dans laquelle

l’un des personnages prend un livre d’une étagère222. Tout le reste du script repose sur

l’analyse et la recombinaison d’extraits de films (notamment de science-fiction) qui ont été

intégrés au logiciel et analysés par celui-ci, sans apport créatif de l’humain utilisateur. Quant

au fonctionnement du programme DeepDream, il diffère légèrement, en ce qu’il est doté

d’une capacité d’apprentissage mais cela ne modifie pas le rôle de l’utilisateur qui sera tout

aussi limité. Ici, pour générer une création, la personne doit choisir une image préexistante

et lui appliquer des effets ou des filtres, en couches successives, qui déforment l’image

d’origine au point de la rendre méconnaissable223. L’on voit bien ici que le rôle de l’utilisateur

est très restreint : il ne dispose pas de la marge nécessaire à l’expression de choix libres et

221 Cour de Cassation, Franck, Chambres réunies, du 2 décembre 1941, Publié au bulletin. 222 V. « AI-written film “Sunspring” a surreal delight, upchucked eyeball included », en ligne : CNET <https://www.cnet.com/news/ai-written-film-sunspring-a-surreal-delight-upchucked-eyeball-included/> (consulté le 20 juin 2017). V. aussi le logiciel flowmachines : qui compose des morceaux de musique, sous réerve toutefois que son utilisateur ait choisi un genre musical. « Flow Machines: AI music-making », en ligne : Flow Machines <http://www.flow-machines.com/> (consulté le 20 juin 2017). 223 « Deep Dream Generator », en ligne : <https://deepdreamgenerator.com/generator> (consulté le 21 juin 2017).

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créatifs.

Dans le cas de l’art algorithmique simple ou simplement apprenant (sans recombinaison), la

marge décisionnelle de l’utilisateur est dans la plupart des cas tout aussi limitée que dans

l’hypothèse précédente. En présence d’un robot virtuel qui génère des créations prenant leur

source dans des calculs algorithmiques (peu importe que l’algorithme en question soit doté

ou non d’une capacité d’apprentissage), l’utilisateur de l’algorithme peut entrer des

paramètres basiques dans le logiciel mais, une fois le programme lancé, il perd toute maîtrise

sur le processus de création. Par exemple, dans le cas du logiciel musicien Flow Machines,

le libre-arbitre de l’utilisateur se limite au choix du style de musique et à la durée souhaitée

du morceau224. Le programme « compose » puis génère un résultat sur lequel l’utilisateur n’a

aucune prise. Ces cas sont assez représentatifs de l’utilisation qui est communément faite des

programmes générateurs d’art algorithmique et démontrent la faible prise de participation de

leur utilisateur au cours du processus créatif.

Accorder un droit d’auteur à cet utilisateur reviendrait à en dénaturer sévèrement la finalité

et reviendrait à ouvrir la porte du régime protecteur à de nombreux acteurs connexes à la

création, la personnalité des utilisateurs ne se retrouvant nullement dans les choix basiques

qu’il leur est demandé d’effectuer. La Cour de cassation insiste sur cette dimension et a

notamment énoncé que « la qualité d’auteur ne peut être reconnue à la personne qui s’est

limitée à fournir une idée ou un simple thème »225 comme c’est le cas en l’occurrence.

De plus, dans le cas des programmes d’art algorithmique non-apprenants, il n’est pas

invraisemblable que deux ou plusieurs personnes, indépendamment, sélectionnent les mêmes

paramètres, ce qui aura pour effet de générer des compositions strictement identiques. En

effet, la production d’un ordinateur ne s’apparente pas à celle réalisée par un humain en ce

que le programme n’est pas capable d’imagination ou de variation. Tout au mieux, il pourra

simuler l’aléa, mais l’exécution d’un programme configuré d’une façon donnée génèrera

224 Dans le cadre d’une utilisation « automatique » du logiciel. Il existe également un mode « interactif », permettant à l’utilisateur d’effectuer de véritables choix, mais l’on se situe ici davantage dans le cadre d’une création assistée par ordinateur. V. note 219. 225 Cass. civ. 1re, 8 nov. 1983 : Bull. Civ. I, n° 260.

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toujours le même résultat, à l’inverse du fameux exemple de Desbois :

Voici deux peintres qui, sans s’être concertés et se promettre un mutuel appui, fixent l’un après l’autre, sur leurs toiles, le même site, dans la même perspective et sous le même éclairage. Le second de ces paysages n’est pas une nouveauté au sens objectif du mot puisque, par hypothèse, le premier a pour sujet le même site. Mais le défaut de nouveauté ne met pas obstacle à la constatation de l’originalité : les deux peintres, en effet, ont déployé une activité créatrice, l’un comme l’autre, en traitant indépendamment l’un de l’autre le même sujet […]. Elles constituent l’une et l’autre des œuvres absolument originales.226

Les productions robotiques, tout au moins celles dépourvues d’aléa, ne connaissent pas cette

nuance. Le logiciel est programmé pour réaliser mathématiquement la même composition

autant de fois qu’il le lui sera demandé.

Les problèmes découlant de la reconnaissance de droits d’auteur sur ces réalisations

surgissent alors clairement. Faudrait-il considérer que les utilisateurs qui ne sont pas à

l’origine de la première production mais des suivantes réalisent une reproduction de la

première (alors même qu’ils peuvent ne pas avoir connaissance de l’existence de celle-ci) ?

Si l’on admet qu’il s’agit d’une reproduction, comment demander l’autorisation alors requise,

faute d’identification possible du premier utilisateur ? Faire peser une telle contrainte sur les

utilisateurs du programme rendrait celui-ci inutilisable. Il est impossible, avant chaque

création, de s’assurer qu’elle n’a pas déjà été réalisée. D’une autre façon, si l’on choisissait

de conférer une cotitularité du droit d’auteur227 à tous les utilisateurs à l’origine de la création,

celui-ci serait beaucoup trop complexe à mettre en œuvre puisque chaque reproduction ou

représentation de la création serait conditionnée par l’accord d’autant d’utilisateurs qu’il y a

de créations identiques. Par ailleurs, cette autorisation serait très aisément contournée puisque

celui qui chercherait à l’obtenir pourrait s’en passer en générant lui-même la création

souhaitée au moyen du programme créateur.

226 Desbois, supra, note 67. n°3. 227 A l’image du régime de l’œuvre de collaboration, qui prévoit une copropriété et un exercice en commun des droits sur l’œuvre, conformément aux dispositions de l’article L. 113-3 du CPI : « les coauteurs doivent exercer leurs droits d’un commun accord », et à la jurisprudence : Cass. civ. 1re, 4 oct. 1988 : D. 1989, jurispr. p. 482, note P.-Y. Gautier ; RTD com. 1990, p. 32, obs. A. Françon.

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Toutefois, il faut ici encore mettre à part le cas des robots fonctionnant selon une technique

analogue à la photographie : c’est-à-dire dotés d’une structure, mécanique ou non, guidée par

un programme d’art algorithmique simple (ni recombinant ni apprenant) qui lui permet de

reproduire sur un support physique ou numérique un sujet auquel il est confronté228. En effet,

comme évoqué précédemment, l’utilisateur d’un tel robot, qui effectue des choix libres et

créatifs pouvant être complexes (de choix d’un sujet, d’un cadre, d’outils et de support…),

dispose ici d’une véritable marge lui permettant d’empreindre de sa personnalité la création

finale. La marge de liberté créative constatée sera souvent plus grande a priori dans le cas de

l’utilisation d’un robot physique que dans le cas d’un robot virtuel, puisque les choix à

réaliser (des outils, du support…) auront tendance à être plus nombreux. Cependant, ce type

de robot se distingue d’un simple automate en ce qu’il est programmé. La création qu’il

génère repose sur les calculs d’algorithmes et n’est pas prédéterminée (à l’inverse d’une

imprimante 3D par exemple, qui n’a aucune autonomie dans sa création : et qui ne fait

qu’imprimer des objets en suivant le plan qui lui a été indiqué). Ainsi, dans cette hypothèse

exclusivement, il semble que l’utilisateur pourrait se voir reconnaître des droits d’auteur sur

la création (ou même l’œuvre) générée au moyen de l’IA. Bien entendu, cette protection reste

soumise à l’incontournable condition d’originalité dont le contrôle incombe au juge.

Le Copyright Act anglais vient au soutien de cette proposition car il prévoit dans son article

9.3 que « dans le cas d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique qui est

générée par ordinateur, l’auteur sera considéré comme la personne qui prend les

dispositions nécessaires pour la création de l’œuvre »229. Ainsi, le droit d’auteur anglais a

déjà envisagé cette question de la création générée par ordinateur et a conclu que l’intervenant

le plus à même d’en percevoir le fruit était celui « qui prend les dispositions nécessaires pour

la création de l’œuvre ». Si cet acteur peut s’entendre de plusieurs façons, il correspond le

plus vraisemblablement à l’utilisateur du robot. Cette disposition est quasiment

contemporaine aux conclusions de l’OMPI, intervenues trois ans plus tôt, et qui se prononçait

également en faveur d’une titularité des droits au profit de « la ou les personnes ayant fourni

228 V. supra, : 1.2.1 La résurgence des questions relatives aux œuvres photographiques. 229 Art. 9.3 Copyright, Designs and Patents Act, supra, note 211 : « In the case of a literary, dramatic, musical or artistic work which is computer-generated, the author shall be taken to be the person by whom the arrangements necessary for the creation of the work are undertaken. »

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l'élément de création sans lequel l'œuvre finale n'aurait pu faire l'objet d'une protection par

le droit d'auteur. »230 Cette position est également défendue par André Bertrand qui considère

que « Si une œuvre est créée de toutes pièces au moyen d'une machine ou d'un ordinateur,

son auteur sera, normalement, le manipulateur de la machine. »231

Toutefois, il est délicat ici de parler véritablement de « création générée par IA ». Ce cas très

spécifique se situe exactement à la frontière de la création générée par IA et de la création

assistée par IA. C’est la marge de manœuvre dont usera ou dont disposera l’utilisateur en

pratique qui fera basculer la création dans l’une ou l’autre des deux catégories.

2.1.3 Une titularité des droits au profit du programmeur de l’IA ?

La titularité des droits au profit du créateur de l’IA est une solution demandée par plusieurs

auteurs. Elle se justifie car le programmeur est la personne physique à l’origine de toutes les

productions qui seront générées par le robot. On pourrait considérer qu’il est le maillon de la

chaîne présentant les liens les plus forts avec les créations générées par son programme,

puisque les algorithmes créatifs sont siens. Il est à la genèse de toute création robotique et

Yves Gaubiac souligne en des termes très clairs l’importance de son rôle :

En présence d’une création littéraire, artistique ou musicale complètement mécanisée, une certaine créativité humaine subsiste dans l’œuvre finale ; un ordinateur ne peut qu’exploiter les règles dont il a été doté au préalable. Machine déterministe, il ne peut que simuler l’aléatoire. Même dans une hypothèse de création entièrement automatisée où tout se passe comme si c’était la machine elle-même qui prenait part à la création, le hasard ne peut intervenir que dans la mesure et selon les modalités imposées par un être humain. Il y a toujours place à la reconnaissance d’une originalité, puisque l’aléatoire est intégré dans un ensemble correspondant aux vues du créateur.232

Les rapports de l’OMPI précités se prononcent timidement sur la titularité des droits sur les

créations générées par IA en faveur de l’utilisateur mais sans exclure totalement le

230 Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), « Recommandations en vue du règlement des problèmes découlant, sur le plan du droit d’auteur, de l’utilisation de systèmes informatiques pour l’accès aux œuvres ou pour la création d’œuvres - utilisation de systèmes informatiques pour la création d’oeuvres protégées » (1982) 115:9 Droit Auteur - Rev Mens Organ Mond Propr Intellect OMPI, p. 242. 231 Bertrand, supra, note 83. n°103.26. 232 Gaubiac, supra, note 103.

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programmeur de la répartition : « le programmeur (la personne qui établit les programmes)

ne pourrait être considéré comme coauteur que si sa contribution à l'œuvre atteste un tel

effort de création. »233 Cette formulation permet de déduire a contrario que si le programmeur

démontre un effort de création, il pourra être considéré comme le coauteur, non de l’œuvre

logicielle, régulièrement protégée par le droit d’auteur mais de la création que celle-ci

générera. Toutefois, une titularité exclusive des droits à son profit n’est pas envisagée ici.

La Cour d’appel de Bordeaux a rendu un arrêt (précité) à ce sujet qui peut s’interpréter de

manière équivoque, elle a considéré en effet qu’« une œuvre de l’esprit créée à̀ partir d’un

système informatique sera protégeable si apparaît, même de façon minime, l’originalité qu’a

voulu apporter son concepteur »234. Faut-il ici en déduire que l’originalité transférée par le

programmeur dans le logiciel peut déteindre sur les œuvres de l’esprit qui seront créées à

partir de celui-ci ? Par ailleurs, en droit britannique, une décision s’est prononcée sur la

question de savoir quel acteur était visé par l’article 9(3) du Copyright Act (qui dispose qu’en

matière de création générée par ordinateur, les droits reviennent à la personne qui a entrepris

les arrangements nécessaires à la création de l’œuvre). La Cour a statué en l’espèce en faveur

du programmeur et lui a conféré la qualité d’auteur car « il a conçu l'apparence des différents

éléments du jeu et les règles et la logique selon lesquelles chaque image est générée et il a

écrit le programme informatique en question. »235

Parmi les auteurs défendant un droit d’auteur au profit du programmeur, certains soutiennent

qu’une protection du code par la propriété intellectuelle n’est pas suffisante et que leurs

efforts méritent d’être mieux rétribués :

233 Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), « Recommandations en vue du règlement des problèmes découlant, sur le plan du droit d’auteur, de l’utilisation de systèmes informatiques pour l’accès aux œuvres ou pour la création d’œuvres - utilisation de systèmes informatiques pour la création d’oeuvres protégées » (1982) 115:9 Droit Auteur - Rev Mens Organ Mond Propr Intellect OMPI p. 242. 234 CA Bordeaux, 31 janv. 2005. 235 20 janvier 2006, HC04C02882, Nova Productions Limited v. Mazooma Games Limited & Others, §105 : « the arrangements necessary for the creation of the work were undertaken by Mr Jones because he devised the appearance of the various elements of the game and the rules and logic by which each frame is generated and he wrote the relevant computer program. In these circumstances I am satisfied that Mr Jones is the person by whom the arrangements necessary for the creation of the works were undertaken and therefore is deemed to be the author by virtue of s.9(3). »

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Parmi les coûts les plus importants en programmation informatique sont ceux qui sont attribuables au développement de la structure et de la logique du programme. La règle proposée ici, qui permet une protection du droit d'auteur au-delà du code informatique littéral, offrirait une incitation appropriée aux programmeurs en protégeant leurs efforts les plus précieux, tout en ne freinant pas le développement de nouveaux appareils informatiques qui accomplissent le même but.236

D’autres estiment qu’une revendication de la qualité d’auteur par le programmeur serait

légitime dans le cas où la création générée par l’IA est un autre programme (au moins pour

les fragments de code émanant de lui-même, qui se retrouvent dans le programme dérivé) :

Lorsque le code compilé fourni par le compilateur contient un contenu supplémentaire qui ne se trouvait pas dans le code source d'origine. C'est-à-dire, lorsque le compilateur, lors de la compilation, copie des parties substantielles de son code dans l'exécutable. Dans un tel cas, il pourrait être envisagé que l'exécutable soit considéré comme un dérivé du compilateur. Dans une situation comme celle-ci, l'auteur du programme de compilation pourrait vouloir réclamer des droits de propriété sur l'exécutable en fonction du droit d'auteur.237

Cependant, d’autres considèrent qu’accorder un droit d’auteur au programmeur sur les

créations générées par une IA reviendrait à en élargir la portée de façon trop extensive. Le

programmeur est bel et bien auteur d’une œuvre, mais celle-ci réside dans le logiciel de l’IA,

pour lequel il bénéficie déjà d’une protection (sous réserve d’originalité de celui-ci). Le code

de l’IA ne se retrouve pas dans la création finale (excluant la qualification d’œuvre dérivée238)

ainsi le lien existant entre le programmeur et les créations générées par le logiciel est très

distendu. L’empreinte de sa personnalité est absente des créations de l’IA qui ne sont que le

résultat de calculs et de choix aléatoires. De plus, dans le cas où le logiciel utilise la

236 « [A]mong the more significant costs in computer programming are those attributable to developing the structure and logic of the program. The rule proposed here, which allows copyright protection beyond the literal computer code, would provide the proper incentive for programmers by protecting their most valuable efforts, while not giving them a stranglehold over the development of new computer devices that accomplish the same end. » Christos Badavas, « MIDI files: copyright protection for computer-generated works » (1994) 35 William Mary Law Rev 1135‑1175. P. 1155. 237 Perry et Margoni, supra, note 182. « When the compiled code delivered by the compiler has additional content that was not in the original source code. That is to say, when the compiler, during compilation, copies substantial parts of its code into the executable. In such a case, it might be envisaged that the executable be considered a derivative of the compiler. In a situation like this the author of the compiler program might want to claim proprietary rights in the executable based on copyright law. » 238 V. supra, 1.1.1. Définition de l’œuvre de l’esprit.

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technologie du machine learning (et plus précisément du deep learning) le logiciel évolue et

s’émancipe rapidement de ce qui avait été programmé initialement. Par exemple, le

programme Tay de Microsoft a été programmé afin de converser avec de jeunes adultes et de

poster des Tweets sur le fameux réseau social. Cette IA reposait sur une puissante technologie

de machine learning afin d’apprendre de façon autonome à converser avec ses utilisateurs.

Cependant, le programme a été rapidement confronté à un public mal intentionné qui a essayé

de repousser les limites du logiciel et, en quelques heures, le robot a commencé à poster des

Tweets et des réponses racistes et antisémites contraignant Microsoft à le retirer du réseau

social239. Doit-on tenir les développeurs de Microsoft pour responsables des propos de Tay

quand ce sont les utilisateurs du réseau qui, à force de propos (intentionnellement) racistes,

ont conduit à des dérives du programme ? La question de la responsabilité est l’une des

premières qui se posent lorsque l’on parle d’IA et une interrogation très fréquente consiste à

savoir sur qui faire peser la responsabilité du fait des voitures intelligentes. Doit-on tenir pour

responsable le conducteur de la voiture, qui n’a qu’un contrôle plus ou moins limité sur le

comportement de la voiture ? Doit-on considérer que la responsabilité incombe au

programmeur du logiciel intégré dans celle-ci, qui est en charge de la prise de décisions ? Ou

faut-il retenir une responsabilité du commerçant, vendeur de la voiture ?240 Ces questions

sont complexifiées par le fait que les programmes apprenants se distancient rapidement de

leur code d’origine et réalisent des actions que leur développeur n’a pu prévoir.

Pour revenir au cas des créations générées par une IA, il semble difficilement concevable

d’accorder un droit d’auteur quelconque à une personne sans que celle-ci ait ne serait-ce

qu’une représentation des créations qui pourront découler de son programme. C’est

également le point de vue partagé et très bien exposé par Yves Gaubiac, qui affirme que :

La forme finale de l’œuvre est déterminée par l’ordinateur, sans que le créateur ait souvent pu l’imaginer, ce qui donne une grande importance à l’ordinateur, par rapport aux autres instruments qu’utilise le créateur. La réalisation concrète d’une œuvre, jadis le privilège du créateur, devient la fonction attribuée à

239 Morgane Tual, « A peine lancée, une intelligence artificielle de Microsoft dérape sur Twitter », Le Monde.fr (24 mars 2016), en ligne : Le Monde.fr <http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/03/24/a-peine-lancee-une-intelligence-artificielle-de-microsoft-derape-sur-twitter_4889661_4408996.html> (consulté le 26 juin 2017). 240 Romain Gola, « L’adaptabilité de la règle de droit face à l’émergence des véhicules connectés et autonomes » (2017) 133 Rev Lamy Droit Immatériel Ex Lamy Droit Inform 57‑61.

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l’ordinateur. (…) Dans la création générée par ordinateur, le rôle de la personne peut diminuer substantiellement au profit de celui de la machine au point de limiter celui de la personne à l’idée, voire à un concept sur lequel elle revendique déjà une protection, s’en remettant à l’ordinateur pour une réalisation de l’œuvre que d’ailleurs souvent elles ne sauraient prévoir, se limitant quelques fois à choisir le résultat à divulguer et exploiter. Tout en confiant la réalisation de l’œuvre à l’ordinateur, les personnes à l’origine des œuvres revendiquent leur titularité sur l’ensemble de la production dès le concept posé, comme si le concept contenait toutes les œuvres à venir, considérant la réalisation comme secondaire.241

Cependant, l’art prenant des formes de plus en plus conceptuelles, des créations présentant

un très fort degré d’abstraction accèdent à la protection du droit d’auteur. Les exemples de

ces récentes formes d’art sont légion et, pour ne citer qu’elles, les affaires Paradis242,

Sorbelli243, ainsi que l’artiste Duchamp ont fait couler beaucoup d’encre parmi la doctrine

juridique. Certaines des œuvres d’art les plus récentes tendent à s’éloigner de plus en plus de

l’univers des formes pour rejoindre celui des idées mais peuvent bénéficier dans certains cas

de la protection du droit d’auteur. Celui-ci ayant été conçu de façon souple et accueillante,

pourquoi ne pas considérer l’auteur du programme comme auteur de l’œuvre conceptuelle

qui serait constituée à la fois du robot créateur et des créations qui en découlent ? Comme

l’énonce Yves Gaubiac :

L'idée, le concept, en matière d'art graphique notamment, semble souvent prévaloir sur la réalisation concrète, cela depuis le début du XXe siècle. L'auteur serait la personne dont provient l'idée, la réalisation de l’œuvre ne serait plus l’acte créatif par excellence comme nous le croyons encore souvent. Dans cette perspective, l'ordinateur a une voie royale sans compromettre l'analyse habituelle de l'acte de création qui attribue les droits aux personnes physiques et sans attacher trop d'importance à l'auteur du logiciel pour l'attribution de la qualité

241 Gaubiac, supra, note 103. 242 Un artiste avait apposé le mot « Paradis » en lettres d’or au-dessus d’une porte dans un hôpital psychiatrique désaffecté. La cour de Cassation a considéré que cette œuvre méritait la protection du droit d’auteur et a sanctionné le photographe qui en avait effectué des reproductions non autorisées : Cass. civ. 1re, 13 nov. 2008, no 06-19.021, D. 2009. 263, note Edelman ; D. 2009. 266, note. Treppoz ; RTD com. 2009. 121, obs. Pollaud-Dulian et 140, obs. Pollaud-Dulian. V. aussi Édouard Treppoz, « “La nouvelle Eve” au “Paradis” du droit d’auteur, suite et fin ! » (2009) 4 D. 266‑268. ; Bernard Edelman, « Un arrêt énigmatique » (2009) 4 D. 263‑266. 243 L’artiste Sorbelli, travesti en femme avait organisé une manifestation artistique lors de laquelle il posait devant des œuvres exposées au Louvre. La cour d’appel ayant considéré que « l’attitude de Sorbelli face à Mona Lisa (…) est une œuvre originale à part entière », et sanctionne donc une photographe qui avait réalisé des reproductions non autorisées de celle-ci. Paris, 3 déc. 2004, n° 04-06726, D. 2005. 1237, note E. Treppoz. Édouard Treppoz, « L’art contemporain entre droit d’auteur et droit à l’image » (2005) 18 D. 1237‑1240.

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d'auteur (…) lorsque l’ordinateur est le moyen technique qui a produit les multiples réalisations dont la source commune provient d’une idée, du concept de l’auteur qui a fait des choix et préparé en amont l’œuvre, si celle-ci se concrétise dans les multiples réalisations que propose l’ordinateur, elle n’est pas chaque réalisation issue de l’ordinateur, mais elle est le concept, l’idée à la base de chaque réalisation avec la création produite.

Par ailleurs, en délaissant un instant les considérations juridiques pour envisager la question

du point de vue de l’équité, dénier aux algoristes tout droit d’auteur, au prétexte que

l’empreinte de leur personnalité ne se retrouve pas dans les œuvres générées, serait

contestable, et en tout profondément inéquitable. Par exemple, l’artiste Patrick Tresset, un

peintre également pourvu d’un diplôme en informatique, a conçu une installation comprenant

cinq robots (ou plutôt bras robotiques) reliés à un logiciel qu’il a lui-même programmé afin

que les robots réalisent chacun un croquis de la personne placée devant eux. L’artiste a

programmé chaque logiciel de façon spécifique, conférant à chacun un style artistique

distinct. Ces robots, œuvres de l’esprit à eux seuls, avaient notamment pour but de seconder

l’artiste dans son œuvre, à un moment où sa créativité artistique faisait défaut244. Ainsi, priver

l’artiste des fruits d’une part si importante de son œuvre semble être une solution sévère et

pas nécessairement conforme à la philosophie du droit d’auteur. D’ailleurs, les auteurs dans

le domaine artistique revendiquent fermement cette qualité d’auteur au profit du

programmeur : « Il ne fait aucun doute que pour l'art algorithmique, l'artiste humain est

l'initiateur et le décideur. Seul l'effort marginal de faire fonctionner l'algorithme et de

générer le résultat est réalisé par la machine. En soumettant l'algorithme à l'ordinateur (sous

la forme d'un programme), l'artiste permet à la machine de faire la partie manuelle du

travail. »245

Sur le plan technique, cette solution pose aussi des problèmes car les logiciels créatifs

peuvent être développés par des équipes constituées d’une dizaine de programmeurs (ce qui

est le cas par exemple du programme Deepdream de Google, ou Watson d’IBM). Eu égard

244 Mary, supra, note 54. 245 Nake, supra, note 132 : « There can be no question that for algorithmic art the human artist is the originator and decision maker. Only the marginal effort of running the algorithm and outputting the result is contributed by the machine. By submitting the algorithm to the computer (in form of a program), the artist lets the machine do the manual part of the work. »

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aux quantités importantes de créations produites au moyen de ces logiciels, le nombre de

droits et de titulaires serait rapidement titanesque et bloquerait complètement l’utilisation de

ces programmes. Par ailleurs, il arrive que le programmeur mette à la disposition du public

le code source du programme créateur afin que l’utilisateur puisse y apporter les ajustements

souhaités246. Mais, dans cette hypothèse où l’utilisateur endosse partiellement le rôle de

programmeur, doit-il alors se voir conférer également une partie du droit d’auteur à ce titre ?

Mais accorder une titularité des droits au programmeur soulève des questions jusqu’alors

inabordées par le droit d’auteur, car leur réponse pouvait sembler évidente au temps où la

création était nécessairement le fait de personnes. Tout d’abord, de nombreux programmes

créateurs ont une vocation commerciale. Ils sont développés par des équipes de

programmeurs afin d’être utilisés en interne de façon à générer des revenus ou distribués à

des entreprises. Dans le cas où un tel programme a été commercialisé et est employé par une

personne tierce qui n’est pas le programmeur, conférer un droit d’auteur à ce dernier

reviendrait, d’une part, à lui conférer des droits sur des créations dont il ne connaît même pas

l’existence, et d’autre part, dans l’hypothèse où le programme est encore utilisé après son

décès, à lui conférer un droit d’auteur post-mortem.

Ces deux hypothèses sont, pour des raisons évidentes, à exclure. La conscience n’est certes

pas une condition d’attribution du droit d’auteur : « Nombre d'artistes contemporains

admettent qu'ils n'ont pas toujours une conscience précise du résultat de leur action. Des

artistes ont créé des œuvres remarquables alors que leur discernement pouvait être altéré

par l'alcool, la drogue ou des troubles psychiatriques. »247 Cependant, afin de revendiquer

la qualité d’auteur sur une œuvre, une personne doit, à tout le moins, avoir conscience de son

existence. Même si dans les cas les plus extrêmes on peut envisager une prise de conscience

a posteriori de l’existence de l’œuvre (dans le cas où elle aurait été produite alors que l’auteur

n’était pas en pleine possession de ses facultés mentales), il y a toujours une connaissance de

chaque œuvre de façon individuelle et le souhait de se voir reconnaître auteur de chacune

d’entre elles. Il serait absurde qu’un programmeur revendique des droits d’auteur sur une

246 C’est notamment le cas du logiciel Deepdream de Google. 247 Jacques Larrieu, « Robot et propriété intellectuelle » [2016] Dalloz IP/IT 291. V. également : Walravens, supra, note 40, p. 129. Cité par Larrieu, supra, note 52.

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masse de créations non-identifiées, sans avoir conscience de leur existence dans leur

individualité. Puis, a fortiori, lorsque l’auteur du programme décède, celui-ci pourra toujours

être utilisé sans peine afin de générer des créations. Lui accorder un droit d’auteur sur celles-

ci reviendrait à considérer qu’il peut se voir conférer ceux-ci post-mortem. Cette solution

serait très différente du régime des œuvres posthumes. Si l’on peut sans peine concevoir

qu’un auteur choisisse de ne dévoiler son œuvre au public qu’après sa mort et que celle-ci

génère un droit d’auteur au profit de ses héritiers, il en va autrement lorsque l’œuvre est créée

après la mort de l’auteur. Le CPI ne pose pas la condition qu’il faut être vivant pour créer

mais celle-ci semble évidente au regard du régime du droit d’auteur.

Une solution pourrait être, conformément aux préconisations de l’OMPI précitées,

d’envisager une titularité des droits au profit du programmeur de l’IA si celui-ci a effectué

un véritable effort de création, et conféré à celle-ci l’empreinte de sa personnalité. C’est-à-

dire que le programmeur, présumé exclu d’une titularité des droits sur la création générée par

IA, pourrait apporter la preuve contraire, démontrer son effort créatif et prouver que

l’empreinte de sa personnalité se retrouve bel et bien dans les créations robotiques. Celles-ci

pourraient alors, toujours sous réserve que la condition d’originalité soit remplie, accéder au

rang d’œuvres dont le programmeur serait l’auteur. Cette solution permettrait a priori d’éviter

des dérives (dans le cas de mastodontes comme Watson d’IBM sur lequel ont travaillé des

dizaines de programmeurs, ceux-ci seraient bien en peine de démontrer que l’empreinte de

leur personnalité se retrouve dans les créations du programme), tout en permettant aux

algoristes de ne pas se voir totalement dépossédés de leurs droits.

2.1.4 Une titularité des droits au profit du titulaire de la licence du

logiciel de l’IA ?

Les cas dans lesquels ce n’est pas directement le programmeur du logiciel qui utilise le robot

créatif mais un cessionnaire d’une licence d’utilisation de celui-ci sont appelés à se

multiplier. Comme mentionné précédemment, nombre de ces robots ont vocation à se

développer et à être utilisés dans un contexte commercial. Dans cette section, il sera donc fait

référence au cessionnaire en tant que personne ayant investi financièrement dans le robot

créatif afin d’en récolter les fruits. Ici, le lien entre cet acquéreur et les créations générées par

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l’IA est encore plus distendu que celui qui lie le programmeur au logiciel. A fortiori, il paraît

donc encore plus difficile d’envisager de lui accorder un droit d’auteur : il a certes réalisé un

effort financier, mais il n’intervient nullement dans le processus créatif. Lui accorder des

droits reviendrait à dénaturer totalement le droit d’auteur et à lui retirer sa fonction première,

à savoir celle de protéger la personnalité d’un auteur à travers sa création. D’autant plus qu’à

l’avenir, cet investisseur risque dans la plupart des cas d’être une personne morale, ce qui

rendrait encore moins justifiée l’application du régime du droit d’auteur.

Cependant, un mécanisme pourrait permettre aux personnes morales titulaires d’une licence

d’utilisation d’un logiciel de création intelligent de se voir reconnaître des droits sur les

créations générées par celui-ci : il s’agit du régime de l’œuvre collective. Celle-ci est définie

par l’article L. 113-2 al. 3 du CPI comme : « L'œuvre créée sur l'initiative d'une personne

physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans

laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond

dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun

d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé. » Excentricité du droit français, elle permet,

comme l’analyse Thierry Revet, d’accorder des droits ab initio à une personne morale, dans

un système centré sur l’auteur-créateur personne physique.

Dans le système français du droit d'auteur, dont le naturalisme semble exclure que des personnes non humaines puissent être auteur de créations littéraires et artistiques, l'œuvre collective est tenue pour une anomalie en tant qu'elle aboutit à conférer à un non créateur qui est très souvent une personne morale - initiateur et dirigeant du processus de production de cette œuvre - des prérogatives conçues comme le prolongement juridique de l'acte créatif et qui ne sauraient donc, pour ce motif, être accordées qu'aux créateurs.248

Ainsi, l’on pourrait considérer que tous les participants au processus créatif précédemment

évoqués apportent chacun une contribution (qu’il s’agisse de la conception du robot

mécanique, de la conception du logiciel – tant au stade de la programmation qu’au stade de

l’apport de connaissances artistiques traduites dans le logiciel –, ou de l’utilisation du robot).

L’agrégation de ces contributions aboutirait ainsi en une œuvre dans laquelle elles se fondent,

248 Thierry Revet, « La qualité d’auteur d’une œuvre de l’esprit ; Note sous Cour de cassation, première Chambre civile, 22 mars 2012, pourvoi numéro 11-10.132 » (2012) 2 Rev Trimest Droit Civ RTD Civ 338‑340.

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et la personne responsable de l’édition, de la publication et de la divulgation se verrait

reconnaître, non pas la qualité d’auteur, mais celle de propriétaire à titre originaire de

l’œuvre249. C’est d’ailleurs la solution qui a été retenue par la cour d’appel de Riom en

matière de photographies satellites250. Si celles-ci ont pu être considérées comme des œuvres,

et si l’on admet de la même façon que les créations générées par IA puissent recevoir cette

qualification, le régime de l’œuvre collective pourrait donc leur être appliqué afin d’accorder

des droits à la personne (la plupart du temps morale) qui en est à l’initiative.

Aux États-Unis, c’est la doctrine du work made for hire (ou travail sur commande) qui

pourrait venir au secours des personnes morales désireuses de voir les investissements

qu’elles ont réalisés rétribués par certaines prérogatives du droit d’auteur. Ce principe du

work made for hire est énoncé à l’article 201 U.S.C251 qui prévoit que, dans le cas d’un travail

sur commande, l’employeur ou toute autre personne pour qui le travail a été effectué est

considéré comme l’auteur de celui-ci et, sauf stipulation contractuelle contraire consignée

par écrit, est titulaire de tous les droits d’auteur en découlant. Les créations robotiques, sous

réserve de remplir les conditions légales, pourraient éventuellement se voir qualifiées de work

made for hire, et ainsi les droits d’auteur qui y sont potentiellement rattachés pourraient être

dévolus à l’employeur. Cependant, toutes les créations qui ont été réalisées dans le cadre d’un

travail sur commande ne peuvent entrer dans la définition du work made for hire. La liste des

œuvres susceptibles de recevoir cette qualification est prévue par la loi à l’article 101252 et se

249 V. Cass. civ. 1re, 28 oct. 2003, Malik c. Sté Eurêka livres diffusion et al., pourvoi n° W 01-03.059, inédit ; Cass. civ. 1re, 17 mars 1982 : RTD com. 1982, p. 428, obs. A. Françon ; JCP G 1983, II, 20054, note R. Plaisant. Cité par Christophe Caron, « Clair-obscur à propos de la protection d’une image satellite » (2003) 12 CCE 27‑29. 250 CA Riom, ch. com., 14 mai 2003, SAS Rubie's France c. SARL Msat Éditions et al. ; M. Bardel, prés. ; Mme Despierres et Jean, cons. ; Maîtres Zylberstein-Halpern, Rojinsky, Rosenthal et SCP Portejoie, Bernard, François, av. : Juris-Data n° 2003-221740. Cet arrêt est toutefois à considérer avec précaution, car la Cour d’appel assimile ici la personne morale et l’auteur des photographies. 251 Copyright Law of the United States, supra, note 211 : « In the case of a work made for hire, the employer or other person for whom the work was prepared is considered the author for purposes of this title, and, unless the parties have expressly agreed otherwise in a written instrument signed by them, owns all of the rights comprised in the copyright. » 252 Ibid. : « A “work made for hire” is— (1) a work prepared by an employee within the scope of his or her employment; or (2) a work specially ordered or commissioned for use as a contribution to a collective work, as a part of a motion picture or other audiovisual work, as a translation, as a supplementary work, as a compilation, as an instructional text, as a test, as answer material for a test, or as an atlas, if the parties expressly agree in a written instrument signed by them that the work shall be considered a work made for hire. For the purpose of the foregoing sentence, a “supplementary work” is a work prepared for publication as a secondary adjunct to

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limite aux réalisations faites par un employé dans le cadre de ses fonctions ou à une création

spécifiquement commandée afin d’être utilisée dans une œuvre collective, une traduction, un

supplementary work253, une compilation, un texte à visée instructive, un examen (ou les

réponses à celui-ci) ou un atlas. Ainsi, sous réserve de pouvoir être qualifiée de work made

for hire, la création robotique pourrait se voir appliquer ce régime, conduisant à une

dévolution automatique des droits à l’employeur, en l’occurrence la personne physique ou

morale qui aura acquis le robot à des fins de création dans le cadre de son activité

professionnelle.

a work by another author for the purpose of introducing, concluding, illustrating, explaining, revising, commenting upon, or assisting in the use of the other work, such as forewords, afterwords, pictorial illustrations, maps, charts, tables, editorial notes, musical arrangements, answer material for tests, bibliographies, appendixes, and indexes, and an “instructional text” is a literary, pictorial, or graphic work prepared for publication and with the purpose of use in systematic instructional activities. » 253 Une œuvre connexe à une autre, ayant pour but de l’introduire, de la préciser ou de l’illustrer.

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2.2. La nature des droits attachés à l’œuvre réalisée par une

intelligence artificielle

Si l’on retient des développements précédents que les créations générées par une IA peuvent

recevoir la qualification d’œuvre254, il deviendrait alors possible de leur rattacher des

prérogatives relevant du droit d’auteur. Toutefois, au regard de la nature très spécifique de

ces créations, une transposition à l’identique des règles classiques du droit d’auteur ne semble

ni souhaitable ni réalisable. Tout d’abord, eu égard à l’absence d’empreinte de la personnalité

d’un créateur personne physique (voire même à l’absence de créateur humain), la mise en

œuvre d’un droit moral paraît totalement injustifiée. Quant aux droits patrimoniaux, même

s’ils semblent dans une certaine mesure plus compatibles avec la philosophie du droit

d’auteur, n’en soulèvent pas moins de nombreuses questions.

2.2.1 La complexe reconnaissance d’un droit moral attaché aux créations

générées par IA

Pour plusieurs raisons, le droit moral se prête mal aux créations générées par une IA. Il

convient toutefois d’évoquer les hypothèses dans lesquelles il pourrait être mis en œuvre.

2.2.1.1 Le droit moral, intrinsèquement lié à la personne de l’auteur

Le droit moral, prévu à l’article L. 121-1 du CPI, est un droit extrapatrimonial, lié à la

personne de l’auteur. Il est « perpétuel, inaliénable et imprescriptible » et il vise à préserver

la personnalité de celui-ci au travers de plusieurs prérogatives. Le droit d’auteur français se

conçoit difficilement sans ce droit moral, tant celui-ci est intrinsèquement lié au créateur et à

son œuvre. Il est d’ailleurs perçu par certains comme le « symbole du droit d’auteur à la

française »255. Comme le souligne d’ailleurs Jeanne Daleau, à l’occasion d’un arrêt de la

254 La reconnaissance d’un droit moral est intrinsèquement liée à la qualification d’œuvre, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt Cass. civ. 1re, 7 avr. 1987 : RTD Com. 1988, p. 224 obs. A. Françon : « Le droit moral de l’auteur sur son œuvre ne préexiste pas à celle-ci. » V. E. Derieux, Œuvre de de commande, liberté de création et droit moral de l’auteur : RIDA juill. 1989, p. 199. 255 Caron, supra, note 87, §246.

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Cour de cassation de novembre 2016256 : « le droit moral [est] toujours intimement lié à la

personne physique ». Cet arrêt rejette fermement l’amalgame entre le photographe auteur et

la personne morale, titulaire des droits patrimoniaux.

La seule entorse à ce principe concerne le cas de l’œuvre collective dans lequel la personne

morale peut effectivement se voir reconnaître une titularité ab initio du droit moral (mais

aucunement la qualité d’auteur) : « en statuant ainsi, alors que la personne physique ou

morale à l’initiative d’une œuvre collective est investie des droits de l’auteur sur cette œuvre

et, notamment, des prérogatives du droit moral, la cour d’appel a violé le texte susvisé. » 257

Ainsi, reconnaître un droit moral reposant sur des créations générées artificiellement par une

machine semble être un non-sens absolu. L’essence du droit moral est de protéger l’auteur et

sa personnalité qui s’exprime à travers l’œuvre. Or, l’auteur, et donc a fortiori sa personnalité,

sont totalement absents de ces créations. En plus d’être antinomique, le fait de reconnaître un

droit moral sur des créations générées par IA n’est pas sans risque. En effet, cela reviendrait

à admettre l’idée d’une personnalité relative à l’IA, une possibilité précédemment exclue.

Dans l’hypothèse hasardeuse mais non exclue où l’on parviendrait à prouver que le

programmeur de l’IA ou bien son utilisateur ont su empreindre la création de leur

personnalité, un droit d’auteur comprenant des prérogatives morales comme patrimoniales y

sera rattaché. Cependant, ces deux situations sont bien différentes l’une de l’autre. Dans le

cas où l’on reconnaitrait des droits au profit du programmeur, cela reviendrait à rattacher

véritablement un droit d’auteur aux créations générées par IA. Tandis que si l’on

reconnaissait des droits au profit de l’utilisateur, il s’agirait en réalité d’accorder ceux-ci à

une création simplement assistée par IA, celle-ci jouant alors le rôle d’un outil. Cette situation

dans laquelle un artiste a recours à un robot intelligent afin de créer peut se situer à la frontière

entre la création assistée par IA et la création générée par IA. Si les choix créatifs de

256 Cass civ.1re 16 novembre 2016, n° 15-22.723. 257 Cass. civ. 1re, 22 mars 2012, n° 11-10.132, D. 2012. 1246, obs. J. Daleau, note A. Latil ; ibid. 2836, obs. P. Sirinelli ; ibid. 2013. 1924, obs. J.-C. Galloux et J. Lapousterle ; Rev. Sociétés 2012. 496, note N. Binctin; RTD civ. 2012. 338, obs. T. Revet ; RTD com. 2012. 321, obs. F. Pollaud-Dulian ; CCE juin 2012, comm. 61, Ch. Caron ; JCP E 2013, 1060, § 2, obs. M.-E. Laporte-Legeais.

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l’utilisateur sont suffisamment importants pour que l’on y décèle l’empreinte de sa

personnalité, il sera alors possible d’accorder aux créations la qualité d’œuvre. Les droits

d’auteur lui reviendront ensuite naturellement, dans leur aspect patrimonial aussi bien que

dans leur aspect moral. Ici, les notions d’auteur, d’œuvre et d’originalité s’entendent au sens

commun du droit d’auteur, dont ce cas ne déroge pas. Si en revanche le rôle de l’utilisateur

n’a été que secondaire lors du processus créatif, il faudra conclure à une création générée par

une IA, sur laquelle il ne peut se voir reconnaître de prérogatives de droit d’auteur.

2.2.1.2 La reconnaissance d’un droit moral au profit de l’utilisateur de l’IA ?

Rien n’empêche un artiste d’avoir recours à un robot intelligent dans le cadre d’une création

qui porte par ailleurs l’empreinte de sa personnalité. La frontière peut certes être ténue entre

la création assistée et générée par IA, mais il est nécessaire de distinguer ces deux cas et de

ne pas exclure par principe l’originalité d’une œuvre dès lors qu’un robot intelligent a pris

part au processus créatif. Le contrôle de celle-ci est alors, selon le principe en droit d’auteur,

soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond258 qui doivent préciser en quoi la

création démontre un apport intellectuel de l’auteur caractérisant une création originale259.

En effet, l’originalité ne peut s’attacher à un genre et s’apprécie au cas par cas260.

L’originalité serait notamment plus susceptible de se déceler dans le cas des œuvres générées

au moyen de techniques analogues à la photographie261.

Ainsi, sous réserve du caractère original de l’œuvre créée avec l’assistance d’une IA, son

auteur pourra bénéficier du droit moral prévu à l’article L. 121-1 du Code civil et des

prérogatives qui y sont rattachées, à savoir : un droit à la paternité262 (qui comprend le droit

258 Req. 27 juin 1910 : DP 1910. 1. 296 ; Cass. civ. 1re, 10 mai 1995 : RIDA oct. 1995, p. 291 et 233, obs. Kéréver ; Com. 21 mars 1995 : RIDA oct. 1995, p. 279 et 231, obs. Kéréver ; Cass. civ. 1re, 23 mai 1995 : RIDA oct. 1995, p. 299 et 231, obs. Kéréver ; Cass. civ. 1re, 11 mars 1997. 259 Cass. civ. 1re, 2 mai 1989 ; Com. 26 juin 1984 : Gaz. Pal. 1984. 2. Pan. 316 ; 3 mai 1994 : Bull. civ. IV, no 166 ; Com.17 mars 2004 : PIBD 2004. III. 367 ; RIDA juill. 2004, p. 183, note Kéréver ; Cass. civ. 1re, 12 juill. 2006 : Bull. civ. I, no 400 ; RTD com. 2007. 77, obs. Pollaud-Dulian ; Propr. intell. 2006, no 21, p. 443, obs. Lucas ; Cass. civ. 1re, 12 mai 2011 : RTD com. 2011. 542, obs. Pollaud-Dulian ; Propr. intell. 2011, no 41, p. 286, obs. Bruguière. 260 TGI Paris, 7 mai 2010 : D. 2011. Pan. 2167, obs. Sirinelli ; Paris, 19 mai 2010 : D. 2011. Pan. 2167, obs. Sirinelli. 261V. supra, 1.2.1 La résurgence des questions relatives aux œuvres photographiques. 262 art. L121-1 CPI.

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de voir apposé sur l’œuvre ses nom, titre et qualité ainsi que d’en contrôler l’utilisation ainsi

et le droit de publier l’œuvre sous un pseudonyme) ; un droit au respect de l’intégrité de

l’œuvre263 permettant de s’opposer aux éventuelles atteintes qui peuvent y être portées ; un

droit de divulgation264 (qui permet à l’auteur de contrôler la première communication au

public de son œuvre par un mode d’exploitation) et un droit de retrait et de repentir265

(permettant de mettre fin à l’exploitation d’une œuvre ou de la modifier).

2.2.1.3 La reconnaissance d’un droit moral au profit du programmeur de l’IA ?

Comme évoqué précédemment266, dans le cas où un artiste a conçu un robot intelligent afin

que celui-ci génère des œuvres, si sa personnalité transparaît clairement à travers les œuvres

ainsi réalisées, il pourrait être envisagé de lui accorder un droit d’auteur sur celles-ci. À la

différence de l’hypothèse précédente, il ne s’agirait pas d’un droit d’auteur sur des créations

assistées par une IA mais bel et bien d’un droit sur des créations générées par IA. En effet,

ici, l’acte créatif opéré par le programmeur a lieu au moment de la conception du programme.

Une fois celui-ci terminé, le concepteur du programme ne peut plus interférer avec celui-ci

(à moins de le mettre à jour en modifiant son code). Dans certains cas, ce développeur sera

également utilisateur du robot créateur et pourrait donc bénéficier du régime évoqué dans la

première hypothèse. Mais il faut ici s’intéresser au cas où le programmeur ne fait que

développer le programme, sans intervenir par la suite. Si cette hypothèse semble difficile à

mettre en œuvre et peu conforme à la finalité du droit d’auteur, plusieurs auteurs avancent

des arguments en faveur d’une reconnaissance de droits d’auteur à son profit sur les créations

ainsi générées267.

À présent, à considérer que la qualité d’auteur est retenue au profit du programmeur, le droit

moral y afférant nécessiterait quelques aménagements du fait de la nature très particulière du

processus créatif. Ici, l’œuvre effectivement réalisée par le développeur consiste en un

263 Ibid. 264 art. L121-2 CPI. 265 art. L121-4 CPI. 266 V. supra, 2.1.3 Une titularité des droits au profit du programmeur de l’IA ? 267 Ibid.

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programme d’ordinateur (sur lequel il dispose bien entendu d’un droit d’auteur plein et

entier). Dès lors, pourquoi ne pas considérer que, si un droit moral doit lui être accordé sur

les créations découlant de son programme, le régime de celui-ci pourrait être calqué sur le

droit moral des auteurs de programmes d’ordinateur ? Le faire bénéficier de ce régime serait

une solution déjà généreuse et plus en adéquation avec sa contribution personnelle que si des

droits sur une création totalement étrangère à sa création effective lui étaient accordés. Par

ailleurs, rattacher aux créations générées par une IA les prérogatives de droit moral du droit

commun du droit d’auteur serait impossible, à cause de l’ignorance par l’artiste de l’existence

des créations générées par sa machine. Tout particulièrement, comment mettre en œuvre le

droit de respect et de repentir, sachant qu’un tel droit n’est pas exerçable par lui sur le

programme générateur des créations ?

Si ce régime était retenu, les prérogatives de droit moral du programmeur sur les créations

générées par son programme seraient alors limitées, par rapport au droit commun du droit

d’auteur. Les logiciels sont en effet soumis, selon la formule de certains auteurs, à un « droit

moral atrophié et théorique »268. Tout d’abord, depuis la loi du 10 mai 1994 (transposant la

directive du Conseil des Communautés européennes n° 91-250-CEE, du 14 mai 1991),

l’article L. 121-7 al. 2 du CPI empêche – sauf stipulation contraire – l’auteur d’un logiciel

d’exercer son droit de retrait ou de repentir269 (une faculté cependant rarement utilisée en

droit d’auteur). De la même manière, il ne peut s'opposer à la modification du logiciel par le

cessionnaire des droits lorsqu'elle n'est préjudiciable ni à son honneur ni à sa réputation270,

limitant considérablement les hypothèses dans lesquelles il pourra exercer un recours contre

l’atteinte à l’intégrité de son œuvre. En effet, il est bien difficile pour un programmeur de

démontrer que l’altération de lignes de code porte atteinte à son honneur ou à sa réputation.

Cependant, le droit moral dans sa conception française est l’un des plus protecteurs (si ce

n’est le plus protecteur) au monde : ainsi la condition d’atteinte à l’honneur et à la réputation

afin de pouvoir défendre l’intégrité de l’œuvre ne fait que suivre la tendance internationale

majoritaire, en rapprochant le droit français de l’article 6bis(1) de la Convention de Berne

qui dispose : « Indépendamment des droits patrimoniaux d’auteur, et même après la cession

268 Caron, supra, note 87, §288. 269 Art. L. 121-7 2° CPI. 270 Ibid. 1°. V. également : TGI Paris, 3e ch., 26 nov. 2002, Forever Living Products, JurisData no218634.

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desdits droits, l’auteur conserve le droit de revendiquer la paternité de l’œuvre et de

s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de cette œuvre ou à toute

autre atteinte à la même œuvre, préjudiciables à son honneur ou à sa réputation. » Il est utile

de relever, par ailleurs, comme le souligne Yves Gaubiac, que le Copyright Act anglais refuse

expressément le droit à la paternité et le droit au respect de l’œuvre271, non seulement pour

les programmes d’ordinateur en eux-mêmes, mais aussi pour les créations générées par ces

programmes272. Cependant, les créations qui seraient ici protégées ne seraient pas des

programmes d’ordinateur mais les créations générées par celui-ci, ainsi : il serait plus aisé de

porter atteinte à leur intégrité. Mais, comme évoqué précédemment, le programmeur du

logiciel, lorsqu’il accorde des licences d’utilisation de celui-ci, n’a pas connaissances des

créations réalisées ultérieurement : cela rend hypothétiques les cas dans lesquels il pourra

agir en défense de l’intégrité des créations.

Finalement, comme le précise la cour d’appel de Douai, en matière de logiciel, « Le droit

moral du programmeur, par interprétation a contrario de l'article L. 127-7 du CPI, se réduit

en matière de progiciel au droit au nom. »273 C’est-à-dire que le droit moral de l’auteur d’un

logiciel se limite au droit de voir mentionné son nom. Il ne faut pas cependant laisser de côté

le droit de divulgation de l’œuvre, prévu à l’article L. 121-2 du CPI, et qui permet à l’auteur

de contrôler le devenir de son œuvre et les modalités de sa divulgation au public. Mettant un

terme à une période de controverses et d’hésitations, la Cour de cassation précise que ce droit

de divulgation s’épuise, sauf indication contraire de l’auteur, lors de la première mise à

disposition du public de l’œuvre274.

271 Copyright, Designs and Patents Act, supra, note 211. art. 81.2 cité par Gaubiac, supra, note 103 : « The right conferred by section 80 (right to object to derogatory treatment of work) is subject to the following exceptions. (2) The right does not apply to a computer program or to any computer-generated work. » 272 art. 79.2(c) Copyright, Designs and Patents Act, supra, note 211 : « (1) Le droit conféré par la section 77 (droit d’être identifié comme auteur ou comme réalisateur) subit les exceptions suivantes. (2) Ce droit ne s’applique pas relativement aux œuvres suivantes (a) les programmes d’ordinateur (…) (c) n’importe quelle œuvre générée par ordinateur ». (« (1) The right conferred by section 77 (right to be identified as author or director) is subject to the following exceptions. (2) The right does not apply in relation to the following descriptions of work — (a) a computer program; (…) (c)any computer-generated work. ») Cité par Gaubiac, supra, note 103. 273 CA Douai, 1re ch., 1er juill. 1996, PIBD 1993, III, 129 cité par Bertrand, supra, note 83, §202.82. 274 Cass. civ. 1re, 11 déc. 2013, nos 11-22.031 et 11-22.522 P: D. 2014. 2078, obs. Sirinelli; RTD com. 2014. 115, Chron. Pollaud-Dulian; ibid. 613, Chron. Gaudrat; Dr. et patr. oct. 2014, p. 89; Légipresse 2014. 235, note

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Appliquée aux créations générées par IA, la paternité serait respectée si l’utilisateur du robot

rattachait le nom du programmeur du logiciel aux créations de celui-ci. Quant au droit de

divulgation, sa mise en œuvre est complexifiée par le fait qu’il y a, d’une part, la conception

du logiciel et, d’autre part, les créations que celui-ci va générer. Or, si l’on accorde au

programmeur un droit de divulgation sur les créations générées par le robot, ce droit sera

impossible à mettre en œuvre dans le cas où le programmeur cède la licence d’utilisation de

son logiciel et, à terme, après son décès. Dans ces hypothèses, le programmeur n’aura pas

connaissance des créations générées par son programme et sera face à l’impossibilité d’en

autoriser la divulgation. Dans ce cas-là, peut-être pourrait-on conclure à l’épuisement du droit

de divulgation lors de la première communication au public du logiciel. Cette solution se

justifierait, d’une part, parce que le régime de protection de la création générée par IA

accordée au programmeur serait calqué sur le droit relatif au programme, et, d’autre part,

parce que ce droit serait impossible à mettre en œuvre autrement. En effet, dès que le logiciel

quitte les mains du programmeur, celui-ci perd toute maîtrise sur les créations.

L’impossibilité pour le programmeur, pour les mêmes raisons, d’exercer un droit de retrait

et de repentir sur les créations générées par son programme justifie d’autant plus l’application

à celles-ci du droit moral associé aux programmes d’ordinateur.

2.2.2 La reconnaissance de droits patrimoniaux attachés aux créations

générées par IA, plus aisément identifiables

Les droits patrimoniaux – droit d’exploitation275 constitué du droit de reproduction276 et du

droit de représentation277 et droit de suite278, quant à eux, semblent plus aisés à reconnaître

lorsqu’il s’agit des créations générées par une IA, notamment parce que leur mise en œuvre

ne heurte pas la philosophie du droit d’auteur. Ainsi, les droits patrimoniaux

s’accommoderaient plus facilement que le droit moral du caractère non humain du créateur,

Vercken; CCE 2014. 30, no 15, note Caron; RLDI févr. 2014. 10, note Castets-Renard; Propr. intell. janv. 2014, no 50, p. 65, obs. Lucas. 275 art. L. 122-1 CPI. 276 art. L. 122-3 CPI. 277 art. L. 122-2 CPI. 278 art. L. 122-8 CPI.

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du fait de leur finalité différente. Cependant, en fonction du titulaire de ces droits, leur mise

en œuvre peut être rendue complexe.

2.2.2.1 Le droit de reproduction et de représentation au profit de l’utilisateur

Le droit de reproduction correspond à la faculté pour l’auteur d’autoriser ou d’interdire la

fabrication d’une ou plusieurs copies (totales ou partielles) de son œuvre. Le droit de

représentation, quant à lui, consiste en la faculté d’interdire ou d’autoriser la communication

de l’œuvre au public par un procédé quelconque. Dans le cas de l’utilisateur de l’IA qui a su

empreindre la création de sa personnalité, lui conférant ainsi une originalité qui lui ouvre la

possibilité de recevoir la protection du droit d’auteur, ces deux droits patrimoniaux pourront

être mis en œuvre sans difficulté conformément au droit commun du droit d’auteur. En effet,

l’utilisateur possède matériellement les exemplaires réalisés par le robot dont il peut disposer

comme il l’entend ; il peut également en contrôler la destination. Il a été envisagé

précédemment l’hypothèse dans laquelle plusieurs utilisateurs, faisant chacun usage d’un

exemplaire du robot ou du logiciel créatif, réaliseraient, sans concertation, des créations

identiques, résultant d’un paramétrage identique du robot créateur. Cependant, la mise en

œuvre du droit de reproduction ne pose pas de problème ici. Car, si des réglages ont permis

à deux utilisateurs de générer la même création, cela signifie nécessairement que les réglages

en questions étaient une combinaison de choix assez basiques pour avoir été reproduite

fortuitement. Dans ce cas-là, l’on ne peut pas considérer que l’empreinte de la personnalité

de l’utilisateur se retrouve dans ces créations, les excluant ainsi de la protection.

2.2.2.2 Le droit de suite au profit de l’utilisateur et du programmeur

Le droit de suite (droit inaliénable de participation au produit de toute vente d'une œuvre

[sous certaines conditions] après la première cession opérée par l'auteur ou par ses ayants

droit, lorsqu’intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du

marché de l'art.)279 peut également être mis en œuvre sans davantage de difficulté. Il

concerne certes « les œuvres créées par l'artiste lui-même et les exemplaires exécutés en

279 Ibid.

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quantité limitée par l'artiste lui-même ou sous sa responsabilité »280, mais le cas présent

concerne les utilisations qui sont faites de l’IA dans le cadre d’un processus créatif dans

lequel l’empreinte de la personnalité de l’auteur a toute latitude pour s’exprimer. Cette

condition est ainsi remplie dans le cas envisagé. Toutefois, puisque, dans ce cas-là, c’est une

machine qui produit la création graphique ou plastique, elle peut potentiellement en effectuer

autant de reproductions mécaniques que souhaité et sa production peut devenir quasiment

industrielle. Ainsi, il faudrait veiller à ce que celle-ci se limite au nombre d’exemplaires

prévus par le droit de suite281.

En revanche, si l’on décidait d’accorder un droit d’auteur au programmeur de l’IA, il serait

inexact de dire que les créations générées par sa machine ont été créées par l’artiste lui-même,

voire sous sa responsabilité, puisque, comme expliqué précédemment, il perd tout contrôle

sur la création une fois que la licence d’utilisation du programme a été cédée. Les créations

générées par celui-ci ne sont pas « de sa main ». En conséquence, mettre en œuvre un droit

de suite à son profit ne semble ni possible, ni souhaitable au regard de la loi. De plus, si l’on

fait bénéficier les auteurs de programmes créatifs des mêmes droits que les auteurs de

logiciels (comme évoqué dans le paragraphe précédent282), l’attribution d’un droit de suite

serait un non-sens puisque celui-ci a vocation à s’appliquer uniquement aux œuvres

graphiques et plastiques.

2.2.2.3 Le droit de reproduction et de représentation au profit de l’utilisateur et du

programmeur du robot intelligent

Quant à la mise en œuvre des droits de reproduction de représentation, elle ne se heurte à

aucun obstacle légal mais à une sérieuse contrainte technique : même si l’on souhaitait

accorder de tels droits au programmeur du robot intelligent, comment mettre cela en œuvre ?

Accorder de telles prérogatives au développeur supposerait, une fois les licences sur le

logiciel concédées, que l’utilisateur demande l’autorisation du programmeur à chaque fois

qu’il souhaiterait effectuer des reproductions ou des représentations de la création générée

280 Ibid. 281 Par exemple 12 exemplaires pour les sculptures. 282 V. supra : 2.2.1 La complexe reconnaissance d’un droit moral attaché aux créations générées par IA.

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au moyen de celui-ci. Si cette hypothèse semble assez peu réaliste, elle est également

contraire à la finalité de nombre de ces programmes. En effet, de nombreux outils sont rendus

accessibles aujourd’hui, parfois à titre gratuit, pour permettre à leurs utilisateurs de réaliser

des images ou des morceaux de musique rapidement, sans connaissance technique dans le

domaine artistique en question. L’objectif de nombre de ces programmes est d’ailleurs de

permettre à ses utilisateurs de créer rapidement des morceaux « libres de droit »283. Ainsi,

forcer un droit de reproduction et de représentation sur de telles créations semble peu réaliste

d’un point de vue technique et même contraire à la volonté des développeurs des programmes

créatifs. Si ce droit était mis en œuvre, son application resterait purement théorique. En

revanche, dans l’hypothèse où un artiste souhaiterait conserver la maîtrise des créations

générées par sa machine (ce qui se conçoit aisément, notamment parmi le mouvement des

algoristes), il lui suffirait de ne pas diffuser les robots créateurs (virtuels ou physiques). Ainsi,

l’artiste garderait la maîtrise pleine et entière des créations qu’ils généreront et, dans ce cas-

là, la mise en œuvre du droit de reproduction et de représentation sur ces créations serait

parfaitement envisageable.

2.2.2.4 La durée des droits

La durée de protection ne poserait pas de question particulière dans le cas de la création

d’œuvres par l’utilisateur au moyen de la machine : le délai de droit commun de soixante-dix

ans à compter de son décès284 pourra s’appliquer. Si c’est en revanche le programmeur qui

est protégé, ici encore, dans le cas où il perd la maîtrise de son robot créatif, la durée des

droits de soixante-dix ans serait impossible à mettre en œuvre et conduirait à un monopole

potentiellement perpétuel si de nouveaux droits étaient générés à chaque nouvelle création

du robot. Ainsi, en prenant ici encore exemple sur le régime de protection du logiciel, on

pourrait considérer que celui-ci, ainsi que les œuvres qui en découlent, seraient protégés par

le délai de soixante-dix ans après la mort de l’auteur.

283 « Jukedeck - Create unique, royalty-free soundtracks for your videos », en ligne : Jukedeck <http://www.jukedeck.com/> (consulté le 29 juin 2017). 284 art. L. 123-1 CPI.

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Le droit britannique a, quant à lui, déjà envisagé cette situation et prévoit un aménagement

de la durée de protection pour les créations générées par ordinateur, de « cinquante ans à

compter de la fin de l’année de réalisation de l’œuvre »285. Si l’on appliquait cette disposition

dans le présent cas, le raccourcissement du délai de protection aurait une incidence dans les

cas suivants : dans le cadre de la mise en œuvre du droit de reproduction, de représentation

et du droit de suite (pour le programmeur uniquement, et dans la mesure où il n’aurait pas

accordé de licence sur le robot créateur et conserve la maîtrise des créations générées par

celui-ci). Le droit moral étant imprescriptible, il ne serait pas affecté par ce raccourcissement.

Pour conclure, si des droits d’auteur sont accordés relativement à une création générée par

une IA, ils le seront dans une acception bien moindre qu’en droit commun du droit d’auteur.

Encore une fois, il faut distinguer le cas des créations assistées par IA des créations générées

par IA. Dans le premier cas, un auteur a simplement recours à un robot intelligent dans le

cadre de la réalisation d’une œuvre, sans que cette utilisation amoindrisse son apport créatif

et diminue la place que prendra l’empreinte de sa personnalité. Ici, l’artiste se verra

reconnaître un droit d’auteur plein et entier, ne nécessitant aucun aménagement par rapport

au régime de droit commun, si les conditions légales sont remplies. Dans le second cas, celui

de la création générée par ordinateur, l’utilisateur est donc mis à part, laissant subsister une

titularité au profit du programmeur. Comme évoqué, le droit moral du programmeur sur les

créations générées par son programme serait encore plus affaibli que le droit moral qui lui

est en principe accordé sur la conception d’un programme. Il se limiterait à un simple droit

de paternité dans les cas où le programmeur a cédé des licences d’exploitation de son

programme, droit auquel pourrait s’ajouter un droit de divulgation dans les cas où il conserve

la pleine et entière maîtrise de celui-ci. Les droits patrimoniaux seraient, ici également, assez

malmenés puisqu’ils ne pourraient être mis en œuvre que dans le cas où le programmeur a

gardé la maîtrise de son logiciel, et n’a pas concédé de licences d’utilisation à des tiers,

licences qui l’empêcheraient de suivre les créations générées au moyen de celui-ci.

285 art. 12(7) Copyright, Designs and Patents Act, supra, note 211 : « If the work is computer-generated the above provisions do not apply and copyright expires at the end of the period of 50 years from the end of the calendar year in which the work was made. »

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2.2.3 Une absence de titulaire en cas d’indiscernabilité de l’empreinte de

la personnalité de l’humain à travers la création de la machine ?

Ici encore est exclu le cas des auteurs ayant eu recours à un robot intelligent, dans le cadre

d’un processus créatif dont ils avaient la pleine maîtrise et toute la marge nécessaire pour

exercer des choix libres et créatifs. Si ces auteurs démontrent que les œuvres dont ils sont à

l’origine sont empreintes de leur personnalité, le droit d’auteur jouera son rôle habituel et

protégera ces créations dans son aspect moral comme dans son aspect patrimonial.

Au vu de la faiblesse et de l’artificialité du maintien d’un droit d’auteur sur les créations

générées par IA, et eu égard aux nombreuses critiques et contradictions découlant de celui-

ci, peut-être serait-il plus pertinent d’adopter une position plus tranchée. Il pourrait alors être

considéré que les créations générées par une IA puissent recevoir la qualification d’œuvres,

mais que celles-ci auraient vocation à tomber dans le domaine public. Cette solution peut

sembler viable, faute d’identification d’un auteur, sans avoir à passer par des consécrations

presque fictives de celui-ci, et faute de pouvoir garantir de façon satisfaisante le respect des

prérogatives d’ordre patrimonial dont il bénéficie en principe. Cette solution est celle qui est

retenue par une partie de la doctrine étrangère qui considère qu’une absence d’identification

de l’auteur devrait conduire à placer l’œuvre dans le domaine public286. C’est notamment

l’opinion de Ralph Clifford qui s’interroge :

Qui peut revendiquer un droit d'auteur sur les productions de la machine créative ? Une revendication par l'utilisateur de la machine semble très hasardeuse. L'utilisateur n’a pas été à l’origine de ces productions, car il n’a exercé aucun effort créatif spécifique. Par conséquent, une telle revendication de la qualité d'auteur par l'utilisateur n’est pas justifiée. De même, la machine créatrice n'est pas en mesure de réclamer le bénéfice du droit d'auteur parce que de telles revendications sont exclusives aux humains. La réponse à la question ultime est donc « personne ». Sans demandeur, l’œuvre entre vraisemblablement dans le domaine public.287

286 V. par exemple, Créations littéraires ou artistiques assistées et contrôlées par ordinateur, rapp. général de Paul Goldstein et V. rapp. nationaux, travaux du Congrès de l'Association littéraire et artistique internationale, Québec 1989, publié in l'Informatique et le droit d'auteur : éd. Yvon Blais inc. 1990, p. 453. Cité par Gaubiac, supra, note 103. 287 Ralph D Clifford, « Intellectual Property in the Era of the Creative Computer Program: Will the True Creator Please Stand Up » (1996) 71 Tulane Law Rev 1675‑1704. p. 1695 : « Who can claim a copyright in the

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Le domaine public est défini à l’article 714 du Code civil qui énonce sobrement qu’« il est

des choses qui n'appartiennent à personne et dont l'usage est commun à tous. » Une fois le

délai de protection de soixante-dix ans après la mort de l’auteur expiré, les œuvres tombent

dans le domaine public. C’est-à-dire qu’elles deviennent librement exploitables par

quiconque, sans demander l’accord des héritiers ou leur payer de redevance. Toutefois, ce

passage des œuvres dans le domaine public ne dispense pas du respect du droit moral qui,

lui, est imprescriptible. Ainsi, le droit à la paternité et le droit au respect de l’intégrité de

l’œuvre devront toujours être respectés et pourront être défendus devant les tribunaux par les

héritiers de l’auteur défunt.

Dans l’hypothèse où l’on considérerait que les créations générées par une IA peuvent recevoir

la qualification d’œuvres ayant pour auteur le programmeur, celles-ci pourraient générer des

droits. L’auteur de ces œuvres étant un programmeur qui réalise un programme d’ordinateur,

il paraît pertinent de leur attribuer par analogie le même régime de protection que celui qui

est destiné par le droit d’auteur aux logiciels. En effet, le lien entre le programmeur et les

créations générées par le robot étant très distendu, il paraît assez artificiel de vouloir lui

accorder un droit d’auteur relevant du régime commun sur lesdites créations. Pour les mêmes

raisons, la mise en œuvre des droits dans leur aspect patrimonial serait rendue quasiment

impossible, notamment lorsque le programmeur concède à des tiers des licences d’utilisation

du programme créateur et qu’il perd donc totalement la maîtrise des créations générées par

celui-ci. Ainsi, en considérant que ces œuvres tombent dans le domaine public dès qu’elles

sont achevées, elles bénéficieraient toujours du droit moral accordé sur les programmes

d’ordinateur. À savoir, un droit à la paternité et un droit de revendiquer le respect de

l’intégrité de l’œuvre, dans la mesure où l’atteinte à celle-ci porte préjudice à l’honneur et à

la réputation du programmeur.

expressive works fixed by the Creativity Machine? The claim of the user of the machine seems highly dubious. The user was not the originator of these expressions as no specific creative effort was exerted by the user. Consequently, a claim of authorship by the user is unsustainable. Similarly, the Creativity Machine itself is not able to claim the copyright because such claims are limited to humans. The answer to the ultimate question, therefore, is "no one." Without a claimant, the work presumably enters the public domain. »

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Cependant, les acteurs connexes à la production de créations par une intelligence artificielle

ne seraient pas totalement laissés sans ressources en cas d’utilisation de celles-ci qui ne

tomberaient pas sous le coup de la protection par le droit d’auteur. En effet, comme le

suggérait Audrey Lebois, l’action d’enrichissement sans cause, « parfois invoquée par la

jurisprudence comme fondement contre l’utilisation illicite de créations non protégées »288,

pourrait venir au secours des créateurs s’estimant bafoués par l’absence de protection. Par

exemple, comme le relève l’auteur, « Le tribunal de commerce de la Seine avait jugé en 1895

dans l’affaire Havas que l’agence pouvait exercer l’action de in rem verso contre ceux qui

avaient pillé ses nouvelles de presse, alors même qu’elle ne pouvait normalement faire valoir

aucun droit sur ces informations à la différence d’articles de presse. »289 Mais cette

possibilité reste hypothétique, car non explorée plus avant dans la jurisprudence pour la

protection de créations ne faisant pas l’objet d’un droit de propriété intellectuelle.

288 Lebois, supra, note 15. 289 Note 43 T. com. Seine, 4 sept. 1895 : DP 1902, jurispr. p. 405. H. Desbois, Le droit d'auteur en France : Dalloz 1978, n° 47 et s. cité par Ibid.

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CONCLUSION

Pour conclure, il apparaît que les créations générées par une IA peinent à entrer dans les

catégories juridiques préexistantes. Si l’on s’en tient à une définition formelle, elles ne sont

pas des œuvres de l’esprit. Tout d’abord, l’originalité, définie comme l’empreinte de la

personnalité de l’auteur, et condition sine qua non de la protection ne peut se retrouver dans

les créations d’un robot, faute d’auteur personne physique à l’origine de la réalisation

concrète de celles-ci. En effet, l’humain conçoit le robot (virtuel ou physique), à des fins de

création, mais une fois la réalisation de celui-ci achevée, il lui échappe, et l’auteur perd le

contrôle du processus créatif.

Cependant, certains auteurs ont pu soutenir que c’était précisément cette intention créatrice

émanant, à l’origine, de l’humain, qui pourrait conférer un caractère original aux créations

de la machine. En effet, le droit d’auteur a été conçu à son origine pour être le plus accueillant

et protecteur de l’artiste que possible. Il est évident qu’à sa naissance, les rédacteurs des lois

de 1791 et 1793 ne pouvaient pas prédire les formes que prendraient les nouvelles créations.

C’est pourquoi le législateur a pris le parti de rédiger des textes très ouverts, afin de leur

conférer une adaptabilité aux évolutions du monde moderne. La technique s’est d’ailleurs

bien saisie de cette souplesse, et on a ainsi pu faire entrer dans le droit d’auteur des créations

toujours plus diverses. Des œuvres très techniques où la créativité (dans un sens artistique)

est difficilement décelable, ou des œuvres présentant un fort degré d’abstraction y ont ainsi

trouvé leur place. Cet élargissement a parfois conduit la doctrine à se demander si le droit

d’auteur n’avait pas franchi le pas de la protection des idées. L’objectivation croissante de la

notion d’originalité a également contribué à cet élargissement de la catégorie des œuvres

protégeables.

Il semble donc que les obstacles à l’intégration dans le droit d’auteur des créations générées

par IA soient plus idéologiques que juridiques. Plusieurs raisonnements, plus ou moins

convaincants, permettraient en effet de faire bénéficier les créations générées par une

machine de la protection du droit d’auteur. Tout d’abord, on pourrait considérer que les

créations générées par une IA (qui constitue elle-même un programme d’ordinateur

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protégeable par le droit d’auteur) sont en fait le fruit de la création de son programmeur. Si

l’on accepte l’idée qu’une machine ne peut rien générer d’intrinsèquement nouveau, et que

pourtant, celle-ci produit des réalisations d’un haut niveau artistique, capables de confondre

le public et nombre d’experts : la créativité qu’ils y décèlent est bien à rechercher quelque

part. Dans ce cas, le programmeur du logiciel semble être le plus à même de recevoir le titre

de créateur. Certains sont allés plus loin en proposant la reconnaissance d’une personnalité

juridique aux IA les plus avancées, ce qui devrait permettre de leur conférer un droit d’auteur

sur les créations dont elles sont à l’origine. Cependant ce raisonnement présente des risques

d’une part et, d’autre part, il ne garantit en rien que les juges accepteront de conférer la qualité

d’auteur à des robots, aussi avancés fussent-ils, puisqu’ils refusent avec constance d’accorder

une telle qualité aux personnes morales, qui sont, elles, pourtant, dotées d’une personnalité

juridique.

Il faut rappeler ici la distinction entre les créations assistées par IA et les créations générées

par IA. Les premières, à partir du moment où leur auteur a fait preuve d’un apport créatif

suffisant, et qu’il n’a utilisé le logiciel que comme un outil ne doivent bien entendu pas être

exclues de la protection. Le droit d’auteur ne peut refuser par principe la qualité d’auteur a

un artiste qui aurait eu recours à un programme, aussi intelligent soit-il. Tant que son apport

créatif est suffisant pour empreindre l’œuvre de sa personnalité, il mérite une protection.

Cependant, il est vrai que le développement de tels logiciels rend bien mince la frontière entre

les créations générées ou assistées par ordinateur. Il faudra alors s’en remettre au pouvoir

souverain d’appréciation des juges pour déterminer la catégorie à laquelle elles

appartiennent.

Ainsi, si l’on venait à considérer que les créations générées (et non simplement assistées) par

IA devaient recevoir la qualification d’œuvres de l’esprit, encore faudrait-il se poser la

question de la mise en place du régime qui protège habituellement celles-ci. Ceci implique

de désigner tout d’abord un auteur créateur, titulaire ab initio des droits et, ensuite,

d’envisager les prérogatives qui pourraient être exercées sur les créations de nature très

particulière que sont celles générées par une IA.

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Il a semblé tout d’abord nécessaire d’exclure de la protection l’utilisateur de l’IA. Dans le

cas où celui-ci se contente d’initier un programme qui créera ensuite de façon totalement

autonome sans permettre de choix, d’intervention ou de rectifications de la part de

l’utilisateur, il n’y a pas lieu de lui accorder une protection. Il faut encore exclure plus

généralement l’idée de conférer des droits au profit du titulaire de la licence du programme

créatif dans le cas où celui-ci n’en serait pas l’unique créateur. Cette hypothèse concerne

particulièrement les personnes morales, qui emploient d’importantes équipes de

développeurs afin de concevoir ces IA créatives. Ici, si le programme de l’IA est protégeable

en soi par le droit d’auteur, la personne qui en sera à l’initiative présente un lien bien trop

faible avec les créations qui en découleront. En revanche, il faut distinguer l’hypothèse où

une personne physique conçoit un logiciel afin que celui-ci le seconde dans sa création. S’il

parvient à lui conférer l’empreinte de sa personnalité de sorte que celle-ci apparaisse dans les

créations générées par le programme, il pourrait être envisageable de lui conférer la qualité

d’auteur, non seulement du programme créateur mais également des créations générées par

ce dernier. C’est en tout cas le cas où la titularité de droits sur des créations générées par IA

semble être le plus en conformité avec le droit positif. Ici encore, les juges pourront user de

leur pouvoir souverain d’appréciation afin de déterminer si la personnalité du créateur est

assez présente dans les créations de son programme afin de lui conférer des droits sur celles-

ci.

Cependant, s’il peut être concevable d’accorder un droit d’auteur au programmeur sur les

créations générées par l’IA qu’il aura conçue, de sérieux obstacles viennent s’opposer à leur

exercice. En effet, dans cette hypothèse, le programmeur peut ne pas avoir connaissance de

l’existence des créations du robot dans les cas où il n’en a plus la maîtrise ni le contrôle.

Lorsque le programmeur cède une licence d’utilisation du logiciel de l’IA à un tiers, ou rend

le programme accessible au public en ligne, ou encore confie ou cède le robot : celui-ci pourra

continuer à générer des créations sans que le programmeur n’en ait connaissance. De plus,

après le décès de l’auteur, le robot, lui, pourra continuer à créer. Or, le droit d’auteur ne pose

pas pour principe qu’il faille avoir conscience de l’existence de la création, ou même qu’il

faille être vivant pour créer : cela relevait de l’évidence au moment de la rédaction des textes.

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L’on peut envisager sans trop de difficulté que les créations tombent automatiquement dans

le domaine public soixante-dix ans après le décès de l’auteur (le programmeur) et ce, quelle

que soit leur date de création. En revanche, l’exercice des droits du vivant de l’auteur pose

de plus grandes difficultés. En effet, comment envisager qu’un auteur revendique des droits

sur des créations dont il ne connaît même pas l’existence ? De plus, il faut garder à l’esprit

que l’auteur, initialement, est uniquement le créateur d’un programme d’ordinateur. Lui

accorder des prérogatives sur les créations qui découlent de celui-ci relève d’un raisonnement

un peu artificiel ; ainsi, il semblerait justifié de ne lui attribuer que les droits qui sont en

principe accordés aux auteurs de programmes d’ordinateur (dans la mesure où cela est

possible).

Au sujet des droits moraux, les droits de retrait et de repentir et de divulgation sont

inapplicables en matière de logiciel. L’auteur du programme pourrait donc se voir conférer

sur les créations générées par l’IA seulement un droit de paternité et un droit au respect de

l’intégrité de l’œuvre. Le droit de paternité peut s’exercer sans trop de difficulté : le

programmeur peut apposer son nom sur les créations générées par le robot, et dans le cas où

l’utilisation de celui-ci lui échappe, il peut obtenir de ceux à qui il en cède l’usage qu’ils

respectent son droit de paternité. Le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre, même s’il joue

un rôle résiduel habituellement en matière de logiciel, pourrait être mis en place de la même

manière. Le respect de ces deux droits serait certes conditionné par le respect qu’y attachent

les utilisateurs, mais cette question n’est pas nouvelle, et est apparue avec la dématérialisation

des œuvres. Par ailleurs, des mesures techniques de protection pourraient permettre à

l’auteur-programmeur dans certains cas d’apposer automatiquement une signature sur les

créations réalisées.

En ce qui concerne les droits patrimoniaux, ceux-ci se prêtent davantage à la protection de

créations générées par IA d’un point de vue théorique, mais sont tout aussi difficiles à exercer

en pratique que les droits moraux. Surtout dans l’hypothèse où l’auteur-programmeur n’a

plus la maîtrise du robot et des créations qu’il génère. En effet, dans ce cas-là, il paraît tout

simplement impossible de mettre en place un droit de reproduction et de représentation.

Puisque la création est matériellement exécutée par un tiers et que l’auteur peut ne pas en

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avoir connaissance, comment pourrait-il exiger des tiers que ceux-ci sollicitent son

autorisation afin de représenter ou de reproduire la création ? De plus, notamment dans

l’hypothèse où le robot créateur est immatériel, il peut avoir vocation tout comme les

programmes d’ordinateur, à être distribué à grande échelle. Accorder un droit de reproduction

et de représentation sur les créations qu’il génère pourrait conduire à une surmultiplication

des prérogatives accordées à l’auteur. Ainsi, l’exercice de ces droits ne peut se concevoir que

si le programmeur a gardé la maîtrise pleine et entière du robot créateur, et qu’il est en mesure

de contrôler les créations générées par celui-ci, ainsi que leur destination.

Cette question de la création « d’œuvres » par des machines ne représente cependant que

l’une des nombreuses manifestations des mutations qu’est en train de subir le droit d’auteur

actuellement. Il ne fait cependant pas de doute que celui-ci saura, comme toujours par le

passé, s’adapter afin d’accueillir des créations d’un genre toujours plus divers, tout en

conservant un équilibre primordial entre la protection des auteurs d’une part, et les intérêts

du public de l’autre.

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ANNEXE

Portrait réalisé par Paul, un robot conçu par l’artiste Patrick Tresset.

Québec, 2017