La protection auditive des musiciens

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8 | La Lettre d'Oto-Rhino-Laryngologie • N° 344-345 - janvier-juin 2016 DOSSIER De la prothèse à l’implant La protection auditive des musiciens The musicians’ hearing protection C. Pimbert* * Audioprothésiste ; étudiante en master biologie santé, mention neu- roprothèses sensorielles et motrices, Faculté des Sciences, Montpellier L es musiciens sont exposés à de fortes inten- sités sonores lors de leur pratique musicale. De nombreuses études ont révélé la prévalence élevée de signes de traumatisme sonore au sein de groupes musicaux et orchestres (1). Malgré ces constats, peu de musiciens en sont conscients, se protègent et adoptent les gestes en conséquence ; quel paradoxe lorsque nous savons qu’ils travaillent quotidiennement leurs délicates oreilles ! Les ORL et les audioprothésistes, possédant les connaissances et les outils nécessaires à la protection auditive des populations à risque, pourraient constituer des acteurs clés dans la prévention des dommages audi- tifs chez les musiciens. Nous proposons donc de nous pencher, dans cette mise au point, sur les points spécifiques à la prise en charge du musicien, ainsi que sur les différents moyens de protection à sa disposition. Comprendre le musicien Risque auditif Bien que longtemps sujet de controverse, il est aujourd’hui admis que la musique peut repré- senter un danger pour l’audition. Dans le cas de la musique classique, l’intensité moyenne relevée dans les orchestres symphoniques est d’environ 85 à 110 dBA, avec des pics à 137 dBC (2, 3). Concernant la musique amplifiée, la puissance sonore des instruments, l’amplification et les retours-scène entraînent un risque très élevé, les intensités dépassant 120 dBA à 150 dBC. Beaucoup de musiciens ont des audiogrammes pathologiques sur au moins 1 des 2 oreilles, avec en particulier un scotome sur la fréquence 6 kHz, et une hyperacousie dans les fréquences aiguës (4, 5). Les musiciens décrivent également des acouphènes, qu’ils considèrent comme des phénomènes ordi- naires et peu préoccupants. De plus, les enquêtes par questionnaires témoignent d’une fatigue auditive et de difficultés de compréhension dans le bruit. L’audiométrie des musiciens dépend de l’instrument, les plus touchés étant ceux qui sont exposés aux instruments amplifiés tels que la guitare électrique, et/ou les plus sonores, tels que les percussions, le violon (oreille gauche surtout), le piccolo (oreille droite surtout) et les cuivres (6). Problématique Les musiciens répétent souvent de longues heures, sans pause auditive, dans des lieux non traités acous- tiquement, mais se plaignent peu, par peur de perdre leurs contrats. En effet, la surdité reste un tabou, car trop souvent associée à une perte de performances et de capacités. L’audioprothèse, mal connue, a éga- lement un visage péjoratif dans le métier car elle s’apparente souvent à l’appareillage de la personne “sourde” et âgée. Il est donc de notre devoir de dédia- boliser l’appareillage auditif et la surdité. De plus, étant donné le nombre de publications dévoilant les risques auditifs de la musique, il est navrant d’observer que leurs résultats ne sont pas transmis aux musiciens, qui sont pourtant les pre- miers touchés. Il en va de même pour les protec- tions auditives, peu connues par ces derniers, alors qu’elles leurs sont destinées. Il faut donc œuvrer pour renseigner ces musiciens et les amener vers la protection auditive. Législation Depuis le 12 mai 1986, des lois sont établies afin de protéger les travailleurs exposés à des bruits potentiellement traumatiques, dans les milieux industriels (7). La dernière loi en vigueur est sché- matisée dans la figure 1. Ces lois s’appliquent, depuis le 14 février 2008, aux domaines du divertissement et de la musique (8). Le musicien possède donc des moyens de défense contre le bruit, et peut faire

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8 | La Lettre d'Oto-Rhino-Laryngologie • N° 344-345 - janvier-juin 2016

DOSSIERDe la prothèse

à l’implant

La protection auditive des musiciensThe musicians’ hearing protection

C. Pimbert*

* Audioprothésiste ; étudiante en master biologie santé, mention neu-roprothèses sensorielles et motrices, Faculté des Sciences, Montpellier

Les musiciens sont exposés à de fortes inten-sités sonores lors de leur pratique musicale. De nombreuses études ont révélé la prévalence

élevée de signes de traumatisme sonore au sein de groupes musicaux et orchestres (1). Malgré ces constats, peu de musiciens en sont conscients, se protègent et adoptent les gestes en conséquence ; quel paradoxe lorsque nous savons qu’ils travaillent quotidiennement leurs délicates oreilles ! Les ORL et les audioprothésistes, possédant les connaissances et les outils nécessaires à la protection auditive des populations à risque, pourraient constituer des acteurs clés dans la prévention des dommages audi-tifs chez les musiciens. Nous proposons donc de nous pencher, dans cette mise au point, sur les points spécifiques à la prise en charge du musicien, ainsi que sur les différents moyens de protection à sa disposition.

Comprendre le musicien

Risque auditif

Bien que longtemps sujet de controverse, il est aujourd’hui admis que la musique peut repré-senter un danger pour l’audition. Dans le cas de la musique classique, l’intensité moyenne relevée dans les orchestres symphoniques est d’environ 85 à 110 dBA, avec des pics à 137 dBC (2, 3).Concernant la musique amplifiée, la puissance sonore des instruments, l’amplification et les retours-scène entraînent un risque très élevé, les intensités dépassant 120 dBA à 150 dBC. Beaucoup de musiciens ont des audiogrammes pathologiques sur au moins 1 des 2 oreilles, avec en particulier un scotome sur la fréquence 6 kHz, et une hyperacousie dans les fréquences aiguës (4, 5). Les musiciens décrivent également des acouphènes, qu’ils considèrent comme des phénomènes ordi-naires et peu préoccupants. De plus, les enquêtes par questionnaires témoignent d’une fatigue auditive

et de difficultés de compréhension dans le bruit. L’audio métrie des musiciens dépend de l’instrument, les plus touchés étant ceux qui sont exposés aux instruments amplifiés tels que la guitare électrique, et/ou les plus sonores, tels que les percussions, le violon (oreille gauche surtout), le piccolo (oreille droite surtout) et les cuivres (6).

Problématique

Les musiciens répétent souvent de longues heures, sans pause auditive, dans des lieux non traités acous-tiquement, mais se plaignent peu, par peur de perdre leurs contrats. En effet, la surdité reste un tabou, car trop souvent associée à une perte de performances et de capacités. L’audioprothèse, mal connue, a éga-lement un visage péjoratif dans le métier car elle s’apparente souvent à l’appareillage de la personne “sourde” et âgée. Il est donc de notre devoir de dédia-boliser l’appareillage auditif et la surdité. De plus, étant donné le nombre de publications dévoilant les risques auditifs de la musique, il est navrant d’observer que leurs résultats ne sont pas transmis aux musiciens, qui sont pourtant les pre-miers touchés. Il en va de même pour les protec-tions auditives, peu connues par ces derniers, alors qu’elles leurs sont destinées. Il faut donc œuvrer pour renseigner ces musiciens et les amener vers la protection auditive.

Législation

Depuis le 12 mai 1986, des lois sont établies afin de protéger les travailleurs exposés à des bruits potentiellement traumatiques, dans les milieux industriels (7). La dernière loi en vigueur est sché-matisée dans la figure 1. Ces lois s’appliquent, depuis le 14 février 2008, aux domaines du divertissement et de la musique (8). Le musicien possède donc des moyens de défense contre le bruit, et peut faire

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Principe généralRéduire le bruit au niveau le plus bas, en tenant compte des possibilités de l’entreprise Exposition sonore à un niveau compatible avec la santé (Leq < 85 dBA et Lc < 135 dBC)

Leq = exposition sonore moyenne au travail (8 h/j, 5 j/sem.)dBA (fidèle à la sensibilité de l’oreille)

Bruits continus ++

Lp C = niveau de pression acoustique crête (maximas)dBC (niveau instantané)Bruits impulsionnels ++

Si niveau inférieur non atteint, déclenchement d’actions

Interdiction d’exposer un employé à une intensité > Leq = 87 dBA et Lp C = 140 dBC, protecteurs inclus

Premièreobligation

Évaluation desrisques

Mesurage du bruit subi

pendant letravail

Programmesd’actions

Techniques (actionsur l’émission,

la réflexion, etc.)

Organisationnels(éloignement dessources de bruit,

réduction du tempsd’exposition, etc.)

Protection individuelle

Doit garantir uneexposition sonore

résiduelle Leq < 85 dBA,Lc < 135 dBC

Si 80 dBA < Leq < 85 dBAet 135 dBC < Lc < 137 dBC,

vérification du portdes protections

Signaux d’avertissementsi risques d’accidentsavec les protections

Formationdes employés

Méthodes detravail pour

réduire le bruit

Port et modalitéd’utilisation des

protecteurs individuels

Surveillancemédicale

Dépistage, diagnostic,prévention

Examen avantl’exposition, puis

examens périodiques

OtoscopieAudiométrie liminairetonale en conduction

aérienne

RECOMMANDATIONS EN MUSIQUERéduction du son à la source

Baisse de l’amplification, préférence de la musicalité à la puissance, répétition dans une nuance moyenne, avec une sourdine d’appartement, travail mental du morceau (déchiffrage, nuances, etc.)

Choix des œuvres jouéesAdapter le répertoire à la salle, en alternant les œuvres sonores et peu sonores, inclure des pauses auditives

Organisation des lieux de travailAugmentation de la distance entre les instrumentistes, traitement acoustique avec des matérieux absorbants,

action sur les instruments les plus sonores (placement sur une estrade, en ligne plutôt qu’en bloc, et installationd’écans pare-son et/ou absorbants, entre eux et les instrumentistes situés devant).

Figure 1. Directives du décret n°2006-892 du 19 juillet 2006 relatif aux prescriptions de sécurité et de santé applicables en cas d’exposition des travailleurs aux risques dus au bruit, et propositions d’applications dans le domaine musical.

RésuméLes musiciens sont soumis à des intensités sonores élevées, et peu d’entre eux sont informés des risques qu’ils encourent. Pourtant, un traumatisme sonore peut avoir des conséquences dramatiques pour le musicien dont l’oreille est un des principaux outils de travail.Fort de ces constats, le monde de l’audition se doit d’agir pour la prévention de ce précieux capital auditif.Pour cela, il est nécessaire de prendre en charge le musicien en vue d’une protection auditive complète, passant par une sensibilisation aux risques, un examen auditif approfondi et l’adaptation de protections auditives.

Mots-clésTraumatisme sonore

Musicien

Sensibilisation

Audiométrie

Protections auditives

SummaryMusicians are exposed to loud sounds, and only a few of them are aware of the risks they could incur. However, a sound trauma could also have tragic consequences for a musician, whose ear is one of the main tool for work.Based on these results, hearing care professionals should act in the protection of the precious hearing capital: awarness of the hearing risks, detailed audiometric test, and advise of specific ear protections.

KeywordsAcoustic trauma

Musician

Hearing awarness

Audiometric test

Earplugs

appliquer ses droits concernant sa santé auditive. Remarquons cependant que, sur le terrain, ces lois sont difficilement applicables pour les métiers musi-caux. En effet, contrairement aux salariés qui sont, dans le meilleur des cas, suivis et protégés, les inter-mittents du spectacle cumulent les employeurs, la plupart du temps peu sensibilisés à la santé audi-

tive. De plus, la mesure du bruit au travail ne prend pas souvent en compte l’entraînement solitaire du musicien, le danger implicite induit par les autres ins-trumentistes, ainsi que l’hétérogénéité de l’environ-nement acoustique dans lequel il évolue (salle, style, durée, etc.). Notons également que les musiciens ne sont pas toujours suivis par la médecine du travail,

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La protection auditive des musiciens

DOSSIERDe la prothèse

à l’implant

et que l’audiogramme est souvent réalisé dans une salle peu isolée, pouvant masquer la présence d’un scotome pourtant préoccupant. De plus, beaucoup de musiciens n’osent pas contrôler leur audition, de peur de perdre leur aptitude à exercer leur profession en cas de perte avérée. Il semble donc essentiel d’inclure une surveillance audiométrique dans la prise en charge du musicien.

Prise en charge du musicien

Sensibilisation auditive

La prévention auditive constitue un point clé dans la prise en charge du musicien. Elle doit être perti-nente et menée à long terme, car elle constituera son “dirigeable” tout au long de sa carrière musicale. Les professionnels de santé autour du musicien ne doivent pas hésiter à répéter les informations, car il faut du temps au musicien pour accepter la dangerosité de la musique à laquelle il se consacre avec passion. Atten-tion toutefois à ne pas entrer dans la surprotection ; la musique apporte de nombreux bienfaits, et nous agissons justement pour que le musicien en joue le plus longtemps possible. De nombreux points peuvent être abordés, tels que la physiologie de l’oreille, son vieillissement naturel et prématuré, l’intensité des instruments, les échelles de danger, les facteurs de nocivité d’un son, le trau-matisme sonore (mécanismes, signes avant-cou-reurs), ses conséquences (scotome, acouphènes, hyperacousie, effets extra-auditifs), les lois concer-nant la protection de la santé auditive, la médecine du travail, l’audiogramme, l’importance d’un suivi auditif, les protections auditives, la surdité et l’appa-reillage auditif, l’hygiène de vie, les comportements protecteurs, le respect de l’audition d’autrui, et le développement auditif de l’enfant (responsabilisation des professeurs).Le musicien possède une oreille entraînée à repérer les nuances des sons qui constitue un outil de mesure idéal pour estimer le volume sonore autour de lui (9). Nous pouvons donc, par exemple, lui faire écouter et mémoriser le seuil de danger (85 dB) pour qu’il le repère dans de futures situations. Pareillement, la mesure au sonomètre de l’intensité de son instrument à son oreille, lui permettra de se rendre compte de sa puissance sonore. Nous pouvons également le renseigner sur les ins-truments de mesure de l’intensité environnante qu’il pourrait utiliser (sonomètres, applications pour télé-phones, etc.).

Dans les conservatoires, aujourd’hui encore, les salles sont souvent petites, réverbérantes, et peu aérées, accueillant plusieurs musiciens, et exposant professeurs et élèves aux risques sonores. Les salles devraient donc être corrigées acoustiquement, et des protections auditives devraient être délivrées aux pro-fesseurs et aux élèves.Une sensibilisation aux risques devrait également être menée auprès du jeune musicien, pour qu’il s’habitue à utiliser ces outils, ainsi qu’auprès des professeurs, afin qu’ils adoptent un comportement protecteur et qu’ils l’enseignent aux futurs potentiels musiciens professionnels.

Examen auditif approfondi

La recherche affinée d’un éventuel traumatisme sonore et des situations les plus risquées, commence par l’interrogatoire du musicien sur des manifes-tations audiologiques et extra-auditives qu’il a pu subir au cours de sa pratique musicale, ainsi que sur son comportement et son ressenti face à ces manifestations. Il est possible de s’aider d’échelles visuelles ana-logiques, graduant la gêne de 0 à 10, ainsi que des questionnaires, afin d’évaluer l’impact psycho-logique du traumatisme sonore dans la vie du musicien. Il faut faire preuve d’empathie et d’écoute pour que le musicien puisse s’exprimer en toute liberté sur des thèmes délicats, et le soutenir lorsqu’il évoque les craintes concernant son audition et son avenir. De plus, il n’a pas à s’inquiéter de la divulgation des informations, car ORL et audioprothésistes sont tenus au secret professionnel. Il est intéressant de réaliser une audiométrie tonale précise, si possible incluant les hautes fréquences. La visualisation d’un scotome, même faible, n’est pas à négliger, car elle peut être un signe d’alerte d’une surdité professionnelle en évolution. Dans le cas d’une perte avérée, les résultats devront être annoncés sans brutalité, car le test auditif est un moment appréhendé par le musicien qui a construit une partie de son identité autour de son oreille musicale. Rappelons également que l’audiométrie, bien que largement utilisée, n’est pas l’outil idéal pour détecter précocement un traumatisme sonore, qui n’entraîne pas toujours une diminution des seuils auditifs liminaires. Des études ont montré que les otoémissions étaient plus adaptées pour ce dépis-tage (10).

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DOSSIER

L’audiométrie vocale dans le bruit permet de relever le seuil d’inconfort pour déceler une hyperacousie. En cas d’acouphènes, il faut réaliser une acouphé-nométrie (11).

Les moyens de protection

La mise en place d’une protection auditive spécifique reste le moyen le plus fiable pour limiter les risques auditifs. Pourtant, les musiciens ne connaissent pas toujours l’existence de ces protections auditives sur mesure, utilisant des bouchons en mousse ou des mouchoirs en papier en dernier recours. Ils asso-cient donc souvent dégradation de la qualité sonore aux protections auditives. Ces musiciens ne savent pas non plus à qui s’adresser pour s’en procurer, et seraient loin de penser à un centre d’audioprothèse. De plus, il est fréquent que ceux qui ont reçu des

protections par leur travail les portent peu, car elles sont souvent standards et non adaptées à tous les conduits, et leur délivrance n’est pas accompagnée d’une explication de leur utilisation. La première étape consiste donc à instruire les musi-ciens sur les protections auditives, et à faire tomber les idées reçues les concernant.

Sélection de la protection auditive

Le choix de la protection auditive ne doit pas être traité à la légère, car il conditionnera le port de la protection auditive. Le tableau présente une liste non exhaustive des protections auditives utilisées par le musicien et/ou adaptées à celui-ci, leurs avan-tages et leurs inconvénients. La qualité sonore étant une priorité, les protections choisies doivent posséder une atténuation linéaire

Tableau. Liste non exhaustive des protections auditives utilisées par le musicien et/ou adaptées à celui-ci, leurs avantages et leurs inconvénients.

Protection Prix (euros) Atténuation Avantages Inconvénients

Papier mouchoir 0,2 Incertaine, faible En dernier recours Peu d’efficacité…

Boules de cireMoussesBouchons en silicone

0,42

5-20

Aléatoire (dépend du conduit)Non linéaire (dégrade les hautes fréquences)

Théoriquement adaptable à tous les conduits

Ne tient pas dans tous les conduitsEffet d’occlusion important

Protections standards avec filtres musique 12-30

Aléatoire (dépend du conduit)Assez linéaire, lorsque le conduit s’y prête

Bon rapport qualité-prixAtténuations et tailles différentes

Ne tient pas dans tous les conduits

Protections auditives sur mesure 80-200

StableQuasiment linéaireDifférentes atténuations

Confort et qualité sonoreMaintient et efficacitéLongévitéPeu d’effet d’occlusion

Investissement financierPrise d’empreinte (invasif)Ne convient pas si le conduit change rapidement (enfant)

Pianissimo®

Quatre filtres (− 10, − 15, − 25 ou − 30 dB)Linéarité sur toutes les fréquences

Conservation de la résonnance naturelle du conduit

Filtres non interchangeables

Symphonia®Deux filtres (− 15 et − 25 dB)Légèrement moins linéaire

Filtres interchangeablesRisque de dégradation lors du changement des filtres

EP2 musik®

Système de valves (ouvert/fermé)Non linéaire en fonction des fréquences et des intensités

Musique amplifiéeSilicone dur (diminue l’effet d’occlusion)

Atténuation trop forte pour la musique classiqueSilicone dur (problèmes si mouvements de mâchoire)

Sur mesure avec possibilité d’amplification

Musique amplifiéeMoins de larsenÉtanchéité, permet de baisser le son du retour-scène

Ne convient pas pour la musique non amplifiée

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La protection auditive des musiciens

DOSSIERDe la prothèse

à l’implant

Références bibliographiques

en fréquence et en intensité, afin de préserver le timbre et les nuances. De plus, l’atténuation doit être modérée, pour conserver le retour auditif (perception du son de son propre instrument et des autres ins-truments), et faciliter la communication avec autrui. L’environnement sonore du musicien permet de choisir le filtre le plus adapté : l’atténuation sera d’autant plus grande que l’instrument est puissant et amplifié. Il faut également tenir compte des exigences du musicien, qui ne correspondent pas toujours à l’amplification idéale. Une protection sur-mesure sera toujours préférée, car elle apportera une étanchéité et un confort optimal. Toutefois, si la demande du musicien se tourne vers une protection standard, il faudra choisir avec soin sa taille de façon à assurer le meilleur maintien possible. Chez les enfants, dont le conduit évolue rapidement, une protection standard est souvent préférée, afin de ne pas renouveler la protection auditive trop souvent. La protection doit être bilatérale, et ce même si l’une des deux oreilles est moins exposée au son de l’instrument, car la différence d’intensité entre les deux oreilles reste faible et le danger peut venir des autres. Il est aussi préférable d’adapter la même protection auditive de chaque côté, pour conserver la binaura-lité et les repères sonores permettant au musicien d’exercer un rétrocontrôle sur son instrument, de localiser les sons, et de bénéficier de la sommation de sonie.

Prise d’empreinte

Pour la prise d’empreinte, dans la plupart des cas, il faut un compromis mâchoire détendue/ouverture naturelle, comme lors du jeu de l’instrument (taille de l’embouchure). Il faut être particulièrement vigilant pour les instru-mentistes à vent, pour lesquels il existe un risque de déplacement de la protection auditive vers l’ex-térieur en raison de la pression exercée par l’air sur l’oreille lorsque le musicien souffle dans son ins-trument.

Mesure objective de l’efficacité

Le contrôle objectif de l’efficacité est essentiel, car des problèmes d’étanchéité peuvent être présents sans que le musicien s’en rende compte.

L’audiométrie tonale liminaire en conduction aérienne, oreilles séparées, avec et sans protection permet de mesurer le niveau d’atténuation de la protection. Le confort auditif est apprécié par la comparaison des seuils d’inconfort avec et sans protection. La mesure la plus objective et la plus précise est la mesure in vivo, qui permet de mesurer, au tympan, l’atténuation de la protection auditive lors de l’envoi de bruits (rose, blanc, balayage de fréquences, etc.) et de sons musicaux, à différentes intensités. De plus, elle affine la mesure au sonomètre de l’intensité de l’instrument, car elle prend en compte la résonnance de l’oreille externe ainsi que la transmission du son de l’instrument par voie osseuse dans le conduit auditif.

Éducation prothétique et mesure de l’efficacité subjective

Le port de la protection peut modifier l’équilibre entre la transmission par voie aérienne et la trans-mission par voie osseuse du son, entraînant un changement de la sonorité (timbre, intensité), une impression de résonnance, et majorant la percep-tion des mouvements techniques de l’instrument (changement de clés, mouvements de langue, etc.). Ce phénomène s’observe particulièrement chez les instrumentistes ayant une partie du corps en contact avec l’instrument (cuivres, flûtistes, violonistes, etc.), ainsi que chez les chanteurs (augmentation de la captation des vibrations laryngées). Il faut donc avertir le musicien de cet inconvénient, afin qu’il ne soit pas déçu par la sonorité entendue ; il devra l’accepter et faire preuve de patience pour s’habituer à ces changements de couleur. L’absence d’explications concernant la manipulation, l’utilisation, et l’hygiène de la protection auditive peut être la cause d’un échec de son emploi par le musicien. Sa délivrance s’accompagnera donc toujours d’une éducation prothétique, ainsi que d’une vérification de l’absence de gêne physique, et d’un entraînement à sa mise en place optimale et reproductible. Certains points seront également à observer pendant le mois suivant la livraison, car il est possible de modifier la protection auditive auprès du fabricant : problèmes de maintien, manque d’étanchéité, aller-gies, douleurs/irritations, atténuation insuffisante/trop importante…Il faut également expliquer au musicien qu’il devra contrôler et peut être renouveler sa protection audi-tive, lorsque celle-ci n’assurera plus une bonne étan-chéité (modification du conduit auditif, dégradation des matériaux au bout de 5-6 ans, etc.).

1. Thiery L. Estimation du risque auditif attribuable à la musique pour les professionnels du monde du spectacle. Les notes scienti-fiques et techniques de L’INRS. Vandœuvre : INRS, 2004;239:29.2. Michigan State University.Hearing Loss in the Orchestra. Now hear this… 2008;11(4):4. 3. Schmidt JH, Pedersen ER, Juhl PM et al Sound exposure of symphony orchestra musician. Ann Occup Hyg 2011;55(8): 893-905. 4. Petrescu N. Loud Music Listening. Mcgill J Med 2008; 11:169-76. 5. Emmerich E, Rudel L, Richter F. Is the audiologic status of pro-fessional musicians a reflec-tion of the noise exposure in classical orchestral music? Eur Arch Otorhinolaryngol 2008;265(7):753-8.6. Drake-Lee AB. Beyond music: auditory temporary threshold shift in rock musicians after a heavy metal concert. J R Soc Med 1992;85(10):617-9. 7. Directive 86/188/CEE du 12 mai 1986, dite “Directive Bruit”, concernant la protection des tra-vailleurs contre les risques dus à l’exposition au bruit.8. Décret n° 2006-892 du 19 juillet 2006 relatif aux pres-criptions de sécurité et de santé applicables en cas d’exposition des travailleurs aux risques dus au bruit et modifiant le code du travail.9. Hagerman B. Musicians’ ability to judge the risk of acquiring noise induced hearing loss. Noise Health 2013;15(64):199-203. 10. Hamdan AL, Abouchacra KS, Zeki Al Hazzouri AG, Zaytoun G. Transient-evoked otoacoustic emissions in a group of profes-sional singers who have normal pure-tone hearing thresholds. Ear Hear 2008;29(3):360-77. 11. S ergey enko Y , Lal l K , Liberman MC, Kujawa SG. Age-related cochlear synaptopathy: an early-onset contributor to auditory functional decline. J Neurosci 2013;33(34):13686-94.

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DOSSIER

Lors des contrôles ultérieurs, le questionnement sur le temps de port est un moyen astucieux pour connaître la satisfaction du musicien.

Autres utilisations

Les musiciens peuvent avoir recours à d’autres types de protections auditives, pour les expositions non musicales à risque (concerts, bricolage, etc.).Notons également que la protection auditive peut être élargie à toute personne exposée indirectement aux sons musicaux (chef de chœur ou d’orchestre, metteur en scène, ingénieur du son, etc.).

Conclusion

La musique est responsable de nombreux trauma-tismes sonores, et les musiciens ne sont pas armés pour faire face à ces agressions. Connaissant la valeur

de leurs oreilles, le monde pluridisciplinaire de l’au-dition doit œuvrer pour la mise en place d’une pro-tection la plus complète possible pour ces musiciens. Pour ce faire, il est nécessaire de les instruire sur les risques auditifs, ainsi que sur les moyens compor-tementaux, législatifs, acoustiques et prothétiques pour s’en protéger.La protection auditive individuelle reste le moyen le plus sûr pour se protéger, même si elle pré-sente quelques inconvénients, et devra donc tou-jours être proposée au musicien. La vérification de son efficacité est nécessaire, car les musiciens lui accorderont une totale confiance lors de leur exposition.Enfin, en délivrant des informations concernant la perte d’audition et l’appareillage auditif, l’audio-prothésiste efface le tabou et la peur que représente la surdité dans le milieu musical, et dédramatise l’image des musiciens malentendants qui se sont révélés être, depuis des siècles, d’excellents et majes-tueux musiciens. ■

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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