La propriété dans la doctrine et dans l'histoire

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LA PROPRIÉTÉ DANS LA DOCTRINE ET DANS L'HISTOIRE

Je cherche à être vrai, non à être nouveau. On est déjà bien assez nouveau par cela seul qu'on est vrai.

A. THIERS.

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OUVRAGES PARUS DANS LA MEME COLLECTION

I. — Louis BAUDIN, La réforme du crédit. (Epuisé). II. — Gaston LEDUC, La raison contre l'autarcie. III. — François PERROUX, Syndicalisme et capitalisme.

(Epuisé). IV. — Pierre-Benjamin VIGREUX, De la monnaie à l'écono-

nomie en France (1933-1938). V. — Raoul AGHION, Le contrôle des changes. (Epuisé).

VI. — Philippe FARGEAUD, Le problème, de l'embauchage et du licenciement de la main-d'œuvre.

VII. — André PIATIER, L'économie de guerre. (Epuisé). VIII. — Louis BAUDIN, Le mécanisme des prix. (Epuisé).

IX. — Camille ROSIER, La fiscalité française devant l'opi- nion publique.

X. — Louis BAUDIN, Le corporatisme. (Epuisé). XI. — Louis BAUDIN, L'économie dirigée à la lumière de

l'expérience américaine. (Epuisé). XII. — Pierre JOLLY, Le clearing n'est pas mort.

XIII. — Robert MALLET, Le retour à la terre. XIV. — J. SAINT-GERMÈS, Bourse et Banque, nouvelle régle-

mentation du marché financier. XV. — Y. M. GOBLET, La Formation des Régions (Introduc-

tion à une Géographie Economique, de la France). XVI. — Paulette et Louis BAUDIN. La consommation dirigée

en France en matière d'alimentation. XVII. — Jean LHOMME, Capitalisme et économie dirigée dans

la France contemporaine. XVIII. — André MARCHAL, L'action ouvrière et la transforma-

tion du régime capitaliste. XIX. — Jean LESCURE, Après la Paix. La reconstruction

économique.

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CHAPITRE PREMIER

GENERALITES SUR LA PROPRIETE

Dans les sociétés humaines même les plus rudimentaires, se pose le problème de l'appro- priation, c'est-à-dire le problème de la manière dont sera assurée, aux individus ou aux groupes, la faculté, plus ou moins durable et plus ou moins exclusive, de disposer des biens.

L'instinct d'appropriation n'est pas particulier à l'homme seul. De nombreuses espèces animales le possèdent : instinct d'appropriation du nid, du terrier, de la tanière — et aussi à côté de ces sortes de biens « immobiliers », de biens mobi- liers, tels que les approvisionnements.

Mais cet instinct est particulièrement déve- loppé chez l'homme. Il s'éveille en lui dès la plus petite enfance. « La propriété, dit le phy- siologiste Mirabeau, dont l'appétit se fait sentir à nous dans les bras mêmes de notre nour- rice... ». L'homme veut s'approprier tout objet qu'il juge propre à satisfaire ses besoins ; et ce désir se renforce dès qu'il a dû dépenser quel- que effort pour se le procurer. Dès lors, il va chercher à s'assurer la disposition exclusive de cet objet, d'une manière perpétuelle, ou tout au moins durable.

Mais cet instinct d'appropriation se trouve satisfait (ou contrarié) par la société de bien

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des manières. Et le droit de propriété, dans sa forme et dans son organisation, a beaucoup varié dans le temps et dans l'espace. De telle sorte que, pour ne parler que des types de propriétés les plus connus, nous nous trouvons en présence de la propriété commune, collective, ou indivi- duelle ; de la propriété publique ou privée ; de la propriété quiritaire, féodale, etc.

Certains de ces termes sont employés souvent comme synonymes dans la langue courante, alors qu'ils désignent des réalités très différen- tes. On dira par exemple, presque indifférem- ment, propriété commune ou propriété collec- tive ; et propriété privée ou propriété indivi- duelle. Ce sont là des confusions.

Propriété collective et propriété commune ne sont pas la même chose. A rigoureusement par- ler, la première expression implique l'idée que le droit appartient à la collectivité elle-même, prise comme unité, comme personne morale. La seconde implique plutôt une idée d'indivision entre une pluralité d'individus. Toutes deux d'ailleurs s'opposent à la propriété individuelle, qui appartient à l'individu comme tel. Mais elles ne s'opposent pas nécessairement toujours à la propriété privée : la propriété familiale, par exemple, peut être collective : elle reste privée.

Propriété individuelle et propriété privée sont aussi deux termes nullement équivalents. La pro- priété individuelle n'est qu'une forme de la pro- priété privée : la plus typique, il est vrai, et, de nos jours, la plus importante de beaucoup, mais non pas la seule, comme nous venons de le voir

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précisement par l'exemple de la propriété fami- liale (1).

En réalité, ce qui s'oppose logiquement à la propriété privée, c'est la propriété publique.

La propriété collective ou la propriété com- mune de famille est sans doute plus proche de la propriété privée individuelle que de la pro- priété collective ou commune publique.

Et la grande démarcation se tracerait, moins entre ce qui est rigoureusement individuel d'une part, et ce qui est collectif ou commun de l'autre, qu'entre ce qui est privé et ce qui est public. Quand Bodin, dans sa République (2), nous dit en substance que le grand problème social con- siste à distinguer ce qui, dans la société, est « commun », c'est-à-dire tombe dans le domaine et la sphère d'action de l'Etat, et ce qui est « propre », c'est-à-dire ressort à l'action indivi- duelle ou familiale, il pose fort bien la question. Question autour de laquelle continuent de com- battre aujourd'hui les diverses écoles politiques et économiques.

(1) On peut citer aussi l'exemple d'une propriété appartenant à une personne morale privée.

(2) V. R. Gonnard, Histoire des doctrines économiques. I. II, ch. IV.

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CHAPITRE II

DE L'EVOLUTION GENERALE DE LA PROPRIETE

On admettait naguère, quant à l'évolution de la propriété, un schéma général, qu'on trouve encore assez souvent reproduit, mais qu'il serait sans doute téméraire de juger définitivement établi, et qui a été, beaucoup trop hâtivement, considéré comme tel.

Ce schéma peut se résumer ainsi. Il suppose qu'aux origines — c'est-à-dire aux

époques les plus éloignées sur les institutions desquelles nous puissions nous hasarder à émet- tre des conjectures — aurait régné, dans les sociétés humaines les plus diverses, un régime de communisme (ou, parfois, de collectivisme) primitif. C'était déjà la croyance des Anciens, croyance poétiquement exprimée par la légende de l'âge d'or ; croyance ressuscitée de nos jours, sous une forme scientifique ou prétendue telle, par certains sociologues modernes, tels que Laveleye en Belgique (1), Sumner-Maine en Angleterre (2), Engels en Allemagne (3), il y a

(1) La propriété et ses formes primitives, 1874. (2) Etudes sur l'ancien droit. (3) Origines de la famille, de la propriété privée et de l'Etat,

1884.

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déjà longtemps ; croyance reproduite, encore aujourd'hui, dans maints ouvrages de vulgari- sation (4), avec un absolutisme qu'expliquent seuls une grande légereté, ou un solide parti- pris (5). Certains auteurs, comme l'a fait remar- quer M. Olivier-Leroy, s'attachent à cette idée par goût de la généralisation, d'autres parce qu'elle flatte leur idéal social. Il est à remarquer cependant que certains sociologues, qu'on cite parfois à côté des précédents, tels que Bücher, croient au contraire à la priorité d'une forme individuelle de la propriété.

Sur cette base d'un communisme primitif, les auteurs dont nous parlons, admettent que ce communisme, d'abord communisme de tribu, s'est scindé ensuite, par suite de partages tem- poraires des terres entre les familles ; puis que ces partages sont devenus de plus en plus espa- cés, et ont fini par se consolider. Un commu- nisme de famille aurait donc succédé, qui à son tour, aurait été graduellement rongé par les empiètements d'une propriété individuelle s'ap- pliquant d'abord à quelques objets mobiliers, puis à un plus grand nombre, et s'étendant enfin à la terre, de plus en plus largement.

Ce schéma se lie d'ailleurs à un autre, celui d'une évolution au cours de laquelle les sociétés humaines auraient successivement demandé leurs ressources et appliqué leurs techniques

(4) V. Lacombe, L'Appropriation du sol (1912), et L'appro- priation privée du sol dans r Antiquité, Revue de Synthèse histo- rique, avril 1907.

(5) V. L. Ségal, Principes d'économie politique, 1936.

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d'abord à la simple « cueillette », puis à la chasse et à la pêche — ensuite à l'élevage des troupeaux — à l'agriculture, et finalement à l'industrie.

L'un et l'autre schéma sont séduisants ; ils offrent un tableau qui peut, a priori, paraître vraisemblable, facile à embrasser et à saisir. Et ils paraissent s'étayer mutuellement. Il n'en reste pas moins qu'à l'examen historique, ils se décèlent très fragiles.

Leurs partisans — Laveleye par exemple, dont l'exposé est particulièrement représentatif, en même temps qu'aisé et agréable à lire — ont prétendu prouver la généralité d'une telle évolu- tion en s'appuyant sur deux ordres de preuves, tirées : 1° de l'examen de certaines sociétés sau- vages d'aujourd'hui, considérées comme ayant des institutions « primitives » ; 2° de l'étude de certaines sociétés du passé, appartenant à l'An- tiquité ou même au Moyen-Age. Mais leurs dé- monstrations, souvent entachées de promptitude ou de subjectivisme, ont été contestées par les historiens de l'école de Fustel de Coulanges, et

XX par certains sociologues plus récents. Les dis- cussions qui se sont élevées ont, au moins, mon- tré qu'il y avait imprudence à généraliser, et que la question est infiniment plus délicate qu'on ne l'avait cru. Deux choses sont apparues comme à peu près hors de doute : la première, que, chez la plupart des peuples de l'Antiquité, les documents connus ne permettent pas d'affirmer l'existence d'un communisme (ou d'un collecti- visme) primitif et généralisé (même simplement foncier) ; la seconde que, chez les peuples de nos jours, sauvages ou à l'économie arriérée, où

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l'on trouve une place importante faite à la pro- priété commune (ou collective), il est souvent très hasardeux de voir dans ce fait la survi- vance d'un passé très lointain : souvent son ori- gine apparaît, au contraire, comme relativement assez récente — c'est-à-dire ne remontant qu'à quelques siècles. Reprenons ces deux points.

Il est, d'abord, très risqué d'affirmer l'exis- tence, à titre général, de la propriété commune (ou collective) chez les grands peuples de l'Anti- quité, aux époques les plus éloignées de leur histoire. Il y a bien eu, en Egypte, un certain socialisme d'Etat : mais c'était à une époque de déjà très haute civilisation, et après une longue évolution, dont les débuts nous sont moins con- nus. Au reste, ce socialisme d'Etat n'excluait pas la propriété privée, qu'on trouve en Egypte (et en Chaldée), aussi loin que l'on puisse re- monter, au moins comme droit de propriété utile, sous réserve du droit de propriété émi- nente des souverains. Il y a bien eu aussi, à une certaine époque, des institutions communistes en Chine, mais ici aussi, non aux origines, mais après une évolution déjà fort longue, et partant d'un état de choses que nous ne connaissons pas. Dans l'Inde, si nous en croyons l'ouvrage récent de M. Ghoshal (6), très documenté, « l'institution de la propriété privée remonte aux temps les plus anciens de l'histoire des Indo-Aryens. »

Et quant aux Aryens d'Europe, la thèse du

(6) The agrarian system in ancient India. V. la notice que lui a consacré Charles Gide, Revue d'économie politique, mars 1932.

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communisme primitif a été rejetée par toute une série d'historiens, dont plusieurs de premier ordre. Parmi eux, Fustel de Coulanges (7), Guiraud (8), H. Sée (9), Toutain (10).

Guiraud, en ce qui concerne la Grèce, établit ainsi ses positions. Pour l'époque préhistorique (et on pourrait presque dire: par définition) nous n'avons devant nous que des hypothèses gratui- tes. Quant à l'époque protohistorique, que trou- vons-nous ? Evidemment, nous constatons la présence de certaines propriétés collectives ou communes, —mais en partie familiales, privées. Il y a aussi des propriétés publiques. Mais à côté des premières, et non à l'exclusion de celles-ci. Elles ne constituent pas la règle. Gui- raud considère même comme probable qu'elles ne sont pas les plus anciennes, et ses minutieu- ses analyses — si différentes des allégations rapides de Laveleye et d'autres — sollicitent fortement la conviction. Il fait, entre autres choses, remarquer ceci : s'imaginer, parce que la propriété privée n'occupait qu'une partie du sol à certaines époques éloignées, en Grèce, que la propriété commune ou collective devait occu- per tout le reste, c'est pure illusion d'optique. C'est une idée de jurisconsulte moderne, trans- portée dans un milieu où elle n'a que faire. Si on se place en face des descriptions des auteurs

(7) Recherches sur quelques problèmes d'histoire, 1891. (8) La propriété foncière en Crèce. (9) Les classes rurales et le régime domanial en France ou

Mayen-Age. (10) L' économie antique.

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grecs dépeignant les origines d'une cité, on voit tout autre chose.

Ce que l'on voit, c'est, sur un territoire, ou désert, ou occupé seulement par des barbares, de petits groupes de colons s'installant, et com- mençant par attribuer des lots de terrain aux différentes familles. Autour de ces propriétés originaires — privées — subsistait, comme lors de l'implantation des colons français ou anglais dans l'Amérique du Nord au XVI siècle, un vaste no man's land, mal connu, mal exploré, res nullius plutôt même que res communis. Puis, quand l'Etat se fortifiait, il s'attribuait, peut- être, la propriété de tout ou partie de ce terri- toire. C'était donc la propriété privée qui était la plus ancienne ; elle ne se constituait pas comme démembrement d'une propriété com- mune plus vaste : elle la précédait ; et la pro- priété commune ou collective d'Etat venait en quelque sorte remplir les interstices qu'elle avait laissés.

A Rome, marche des évènements quelque peu différente, mais permettant des conclusions ana- logues. La fondation de l'Urbs eut lieu par un acte précis sur un territoire limité. Dès le début, la propriété privée se trouve organisée, au moins sous la forme familiale. A côté, une propriété publique d'Etat, l'ager publicus, sans cesse ali- menté, d'une part, par la conquête, sans cesse rongé, d'autre part, par les empiètements de la propriété privée.

Chez les Gaulois, Camille Julian (11) affirme,

(11) Histoire de la Gaule, t. II, p. 71 et suiv.

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après Fustel et Lécrivain — contre d'Arbois de Jubainville — que les Gaulois de l'indépendance connaissaient la propriété privée sous ses deux formes, mobilière et immobilière. Ce qui appert de maints textes de César, et de tout ce qu'on sait de l'économie gauloise d'avant la conquête.

C'est pour les Germains que la thèse du com- munisme primitif a, peut-être, été le plus affir- mée. César semble dire qu'ils ne connaissaient pas la propriété privée (immobilière au moins). Mais Fustel de Coulanges interprète dans le sens opposé le fameux texte de Tacite (Arva per an- nos mutant), qui, d'après lui, concernerait les mutations annuelles de culture, et non de pro- priété. Et l'on sait, d'autre part, que de César à Tacite, les Germains ne semblent avoir réalisé aucun progrès politique, économique, ou social : le grand historien en conclut que le passage d'une propriété commune de tribu à la propriété privée n'a pu s'opérer dans l'intervalle. Il croit qu'en réalité le régime variait suivant les peu- ples ou même les classes, et qu'en somme la propriété privée prévalait (12) ; qu'en tout cas, on ne peut affirmer que les Germains l'aient ignorée. Plusieurs historiens admettent, au moins, que les premières fractions cultivées du sol l'ont été en propriété privée, dans de petits lopins de terre attenant aux habitations, le reste du territoire de la tribu n'étant pas utilisé, et constituant une res nullius, plutôt soumise à

(12) L'Invasion germanique, p. 288. — Non seulement la propriété foncière existait, mais l'hérédité ; la terre était transmise au fils, et non à la fille.

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un droit vague de souveraineté qu'expressément constituée en propriété commune ou collective. Plus tard seulement, défriché collectivement, ce territoire serait devenu la mark. Dans cette hypothèse, qui se rapproche de celle de Guiraud concernant la Grèce, la propriété privée ne se serait pas détachée de la mark collective ou commune, mais lui aurait été antérieure.

Au reste, pour tout ce qui est des peuples de l'Antiquité, le raisonnement de Laveleye appa- raît très défectueux. Voulant établir l'existence du communisme agraire chez ces peuples, il les passe en revue ; et chaque fois qu'il en trouve un, pour lequel font défaut des preuves suffi- santes, il s'en tire en disant qu'il serait surpre- nant que ce peuple ne se soit pas conformé à la règle générale. C'est-à-dire qu'il fait chaque preuve partielle, en se référant à l'hypothèse générale, qui est à prouver. Ce défaut reparaît d'ailleurs même plus accentué, chez certains de ses successeurs (13). Bien plus sérieuses, plus

(13) Par exemple, Lacombe, qui dans son livre précité, pré- tend justifier l'idée du communisme primitif, et le schéma tradi- tionnel à ce sujet en disant : « Il a dû en être ainsi, parce qu'il est impossible qu'il en ait été autrement » (chap. I). De même, M. Ségal, à qui l'autorité d'Engels suffit pour lui permettre d'af- firmer l'existence du communisme primitif.

Lacombe ajoute, il est vrai, que l'impossibilité qu'il en ait été autrement tient à ce que seul, le schéma tracé par de Laveleye et les autres auteurs précités est conforme à cet autre schéma que nous avons signalé, celui de l'évolution technique cueillette — chasse et pêche, — élevage, — agriculture, etc. Le malheur est que cet autre schéma n'est pas plus solide que le premier — au moins dans ses prétentions à la généralité, — et qu'il est fort ébranlé aujourd'hui. De telle sorte que vouloir s'en servir pour étayer le premier, c'est vouloir consolider un édifice chancelant avec des poutres vermoulues.

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convaincantes dans leur modération, nous appa- raissent les conclusions de M. O. Leroy, dans son Essai d'introduction critique à l'étude de l'économie primitive (14) : « Celui qui considère sans préjugé les formes de la propriété dans les sociétés simples, s'aperçoit bientôt que la vie, plus riche que les théories, admet libéralement la propriété privée (15) à côté de la propriété commune, ces formes extrêmes laissant place au moyen terme de la propriété familiale, et sans que rien nous suggère une séquence chronolo- gique ».

Ce qu'on peut maintenir, c'est que, dans le passé lointain de certains peuples de l'Antiquité, nous rencontrons des communautés de village ou de tribu. Mais : 1° il n'est pas sûr que ce soit la forme de propriété la plus ancienne ; 2° il est moins sûr encore que cette forme de propriété se soit généralisée partout ; 3° il n'est pas sûr encore que là où elle a existé, elle se soit appliquée à tous les biens, ni même seule- ment à tous les biens fonds.

Quant à l'argument tiré de l'état, plus ou moins communautaire, dans lequel vivent cer- tains peuples de nos jours, ou de l'époque mo- derne, il n'est pas plus solide que le précédent.

En ce qui concerne les sauvages proprement dits, il est très aventureux de généraliser ce qu'on a pu constater (sans toujours pousser

(14) Essai, p. 42. V. aussi, du même auteur, L'activité écono- mique primitive, Revue d'hist. écon. et soc., janvier 1926.

(15) M. Leroy comme le montre le contexte, entend ici par propriété privée, la propriété individuelle.

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l'examen bien à fond) chez diverses peuplades. D'autre part, on sait l'objection opposée à cer- tains sociologues trop portés à faire état de l'exemple des sauvages considérés comme des primitifs : le sauvage d'aujourd'hui est-il un primitif attardé, ou, au contraire, un dégénéré ? Et cette dernière hypothèse apparaît la bonne, au moins dans un certain nombre de cas (16 ) . Enfin les institutions communautaires que l'on peut constater réellement ont-elles une origine très ancienne, ou celle-ci n'est-elle pas, souvent, relativement récente ?

Ce caractère récent d'institutions qu'on a voulu parfois considérer comme des vestiges d'un passé très lointain, peut être aujourd'hui affirmé dans plusieurs cas très importants.

Par exemple, en ce qui concerne les institu- tions des Inka (17), qui ont été étudiées de re- marquable façon par notre savant collègue de Paris, M. Louis Baudin (18), il apparaît que, bien que des institutions communautaires aient existé depuis un temps difficile à préciser dans les tri- bus que les Inka subjuguèrent, le socialisme inka lui-même ne fut organisé, au plus tôt, qu'à

(16) « Il n'y a rien d'absurde dans l'hypothèse de Renouvier, qui voyait dans la situation actuelle des Fuégiens, ou des indigènes australiens, comme un état de dégradation, où les avait réduits une décadence continue » (Darlu, La démocratie et le Progrès, Revue politique et parlementaire, 10 déc. 1920). A rapprocher de certaines vues de G. Tarde, et de constatations faites par C. Jul- lian touchant des peuplades africaines.

(17) J' orthographie le nom sans « s » au pluriel, comme le fait M. Louis Baudin.

(18) L'Empire socialiste des Inka.

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