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LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE ET LES BOULEVERSEMENTS DE L’EUROPE
Situation d’introduction : Otto Dix Der krieg 1929‐32 Un peintre allemand du XXème siècle : Otto Dix est né en 1891 et mort en 1969. Fils d’ouvrier, il est d’abord apprenti
chez un peintre‐décorateur, puis étudiant aux écoles des Beaux‐Arts de Dresde et de Düsseldorf jusqu’en 1914. Ses influences : les maîtres anciens de la Renaissance, auxquels il emprunte la technique de la peinture sur glacis (il l’utilisera jusqu’en 1944), les précurseurs de l’expressionnisme comme Munch ou Van Gogh, les artistes d’avant‐garde comme les groupes “Die Brücke” ou “der Blaue Reiter”.
Après la guerre, il rencontre Georges Grosz dont il partage l’antimilitarisme. Ils participent tous deux à la Grande Foire Internationale Dada de Berlin en 1920.
À partir de 1924, il est un des principaux animateurs, toujours avec G. Grosz, du mouvement artistique baptisé “Nouvelle Objectivité”. La Nouvelle Objectivité, qui s’inscrit dans le courant expressionniste, est une forme de réalisme : montrer la société telle que les peintres la voient, avec ses tares et ses injustices. “Chez moi c’est l’homme, encore et toujours l’homme. Je suis de l’avis hérétique que l’art doit être utile de quelque façon, qu’il s’agisse d’une vision philosophique, religieuse ou autre encore, cela importe peu. Je rejette “l’art pour l’art”, car là quelque chose ne colle pas.” Dix
Un peintre chrétien : Otto Dix a, tout au long de sa carrière, peint des sujets religieux. Il s’inscrit dans la
grande tradition de la peinture occidentale. Des maîtres anciens il reprend les thèmes, tirés de l’ancien ou du nouveau testament : Madone, Christ souffrant, Piéta, Job..., mais aussi la structure traditionnelle du triptyque, structure qu’il a utilisée à plusieurs reprises.
Selon les époques et les préoccupations de l’artiste, l’utilisation de la thématique religieuse est liée soit à des interrogations existentielles (“Je dois me rendre compte par moi‐même de tous les abîmes de l’existence”), soit au contexte historique : solitude de Job dans l’Allemagne dévastée de 1946, critique du nazisme dans “les sept péchés capitaux” (1933)... Dans le cas de “la guerre”, la forme (le choix du triptyque) rejoint le fond (l’identification du massacre à la passion du Christ), dans une représentation clairement inspirée du retable d’Issenheim de Grünewald.
Un peintre pacifiste : “Le tableau a été réalisé dix ans après la première guerre mondiale. J’avais, durant
ces années, effectué de nombreuses études afin de réaliser ensuite un tableau traitant de cet événement. En 1928, je me suis senti prêt à aborder ce grand sujet dont l’exécution me préoccupa durant plusieurs années. A cette époque d’ailleurs, durant la République de Weimar, de nombreux livres prônaient à nouveau librement l’héroïsme et une conception du héros qui avaient été poussés à l’absurde dans les tranchées de la première guerre. Les gens commençaient à oublier déjà ce que la guerre avait apporté de souffrances atroces. C’est de cette situationlà qu’est né le triptyque.” (Dix)
L’expérience de la guerre a bouleversé Otto Dix. Engagé volontaire au début du conflit, nationaliste exalté comme une grande partie de la jeunesse de son pays, il
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découvre rapidement l’horreur et la souffrance et cherchera toute sa vie à l’exprimer par sa peinture. La guerre est donc un des grands thèmes obsessionnels de Dix et elle a marqué toute son œuvre. “J’ai bien étudié la guerre. Il faut la représenter d’une manière réaliste pour qu’elle soit comprise. L’artiste travaillera pour que les autres voient comment une chose pareille a existé. J’ai avant tout représenté les suites terrifiantes de la guerre. Je crois que personne d’autre n’a vu comme moi la réalité de cette guerre, les déchirements, les blessures, la douleur.” (Dix)
Il a consacré à la première guerre mondiale un nombre considérable de dessins, gravures et peintures. En 1924, il réalise un cycle de gravures à l’eau‐forte qui évoquent par leur force d’expression certaines images de Jacques Callot et de Goya. Dans les années 20 toujours, il peint les estropiés, les laissés‐pour‐compte, les gueules cassées, dont les représentations pathétiques contrastent cruellement avec l’insouciance des bourgeois et des femmes de petite vertu dans le Berlin des années folles. Dix a su créer des images devenues emblématiques de cette époque.
Le triptyque “la guerre” est inspiré du roman pacifiste d’Erich Maria Remarque : on retrouve, en particulier dans le panneau de gauche et dans la prédelle, des allusions précises au roman (voir film). Plus tard, Dix rendra un hommage appuyé à Henri Barbusse et à son livre “le feu” avec son dernier tableau sur la guerre : “Flandres” (1936). Bien que l’on y reconnaisse des uniformes allemands, le triptyque de Dresde n’est pas un tableau spécifiquement sur la guerre de 14‐18, il a bien entendu une portée universelle. Dix a pris soin de ne pas faire figurer d’ennemi : les soldats survivants du carnage se retrouvent face à eux‐mêmes et à leurs angoisses. Le personnage immobile et énigmatique au centre du panneau du milieu, le visage caché par un masque à gaz, n’a rien d’un héros d’épopée... Dans ses peintures et dessins réalisés pendant le conflit, Dix s’était surtout attaché à montrer les effets des combats sur la nature et les corps. Après la guerre, et en point d’orgue dans son triptyque, c’est le message d’une souffrance indicible qu’il tente de faire passer.
Un peintre symboliste : La mise en scène des personnages dans “la guerre” s’accompagne d’une
théâtralisation un peu maniériste. Le symbolisme s’exprime en particulier dans le jeu des mains et les regards. Les mains tiennent un grand rôle dans la peinture d’Otto Dix, pour qui l’extérieur était souvent le reflet de l’intérieur. On repérera ici en particulier la main crispée du cadavre, presque exactement au centre du tableau, celle du squelette, le doigt tendu, et celles de Dix lui‐même, agrippant un blessé. De la même manière, les yeux sont, dans beaucoup de ses toiles, porteurs d’émotion. L’observation des regards fournit une des clefs du triptyque. La plupart des personnages ne voient rien ou presque rien : yeux fermés par la mort ou le sommeil, regards obturés par les bandages ou les masques à gaz... Des deux soldats en queue de peloton du panneau de gauche, on ne distingue qu’un œil, terne, interrogateur. Quel contraste avec l’autoportrait du panneau droit ! Un regard de feu, face au spectateur, symbolise l’extra‐lucidité du survivant.
Symbolisme encore dans le choix de la structure polyptyque, qui permet à Dix de
figurer, autour d’un tourbillon mortel (panneau central) le cycle éternel de la vie (d’ailleurs évoqué par la roue dans le bas du panneau gauche).
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Un peintre “dégénéré” : “Cette “tranchée” n’est pas seulement piètrement exécutée, elle est infâme, avec
cette joie insupportable du détail... la cervelle, le sang, les entrailles, et tout cela peut pourtant être magnifiquement représenté. Ainsi la deuxième anatomie de Rembrandt, avec ce ventre ouvert, est absolument sublime. Mais Dix est excusez ce terme cru à vomir. Il y a un tel étalage de sang, de cervelle et d’entrailles que cela provoque en nous une réaction animale portée à son paroxysme.” Cette critique parue dans le Deutsche Allgemeine Zeitung du 13 juillet 1924, au sujet d’un tableau d’Otto Dix détruit dans les années 30 par les nazis, illustre la violence de certaines réactions dès l’époque de la république de Weimar. Malgré cela, Dix devient en 1927 titulaire d’une chaire à l’académie des Beaux‐Arts de Dresde, ce qui montre que son talent était officiellement reconnu.
Ses ennuis commencent avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933. Rapidement limogé, classé parmi les artistes “dégénérés”, il devient un exclu. Son art est jugé par les nazis répugnant, antiallemand, judéo‐bolchevique... Ses toiles “blessent le sens moral au plus haut point, menacent le renforcement des mœurs et portent préjudice à la volonté de défense du peuple allemand” (avis du ministre de l’intérieur de Saxe, 13 avril 1933). Ses œuvres sur la guerre, en particulier, provoquent leur colère : ils détestent son pacifisme, ses représentations de soldats allemands vaincus, son refus de représenter l’héroïsme guerrier.
Ses œuvres sont retirées des musées allemands, certaines brûlées. Plusieurs de ses toiles figurent dans l’exposition “d’art dégénéré” organisée par les nazis pour illustrer leurs propres conceptions artistiques. Le triptyque, caché en lieu sûr, échappera à la fureur nazie.
Pour Dix commence la période de l’exil intérieur. Il va encore peindre quelques toiles “engagées” comme “Flandres” ou “les sept péchés capitaux”, mais qui ne seront connues du grand public que des années plus tard. Pour échapper à la censure, il se cantonne à la fin des années 30 dans des thèmes neutres : paysages, madones... “On m’a exilé dans le paysage”. Otto Dix ou l’exemple d’un artiste vaincu par l’oppression: les nazis lui ont tout pris, ses tableaux, sa liberté de création, et jusqu’à son talent. Jamais, dans ses tableaux d’après‐guerre, il ne retrouvera l’inspiration et la profondeur de ses œuvres des années 20 et 30.
Problématique : pourquoi la Grande guerre a‐t‐elle autant parqué les esprits et
reste‐t‐elle encore aujourd’hui un événement majeur de l’histoire européenne ? I. Phases et théâtres de la première guerre mondiale A. Une guère d’abord européenne 1. La crise l’été 1914 (déjà vu dans le chapitre précédent). 2. Les principales phases de la guerre Une étude de cas : le chemin des Dames Doc. 1 Chronologie des événements du Chemin des Dames (19141918) Source : D’après les travaux d’André Loez « C’est à Craonne, sur le plateau… »
Dossier pédagogique pour une visite au Chemin des Dames, CRID 14‐18 et du Hors‐série du magazine l’Aisne 1917‐2007 Chemin des Dames, 90e anniversaire, mars 2007.
Doc 6 La nature de l’activité du front et le traitement des corps sur le
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Chemin des Dames entre le 3 aout 1914 et la 11 novembre 1918 Le tableau a été réalisé à partir de l’article de Thierry HARDIER, « Mourir sur le
Chemin des Dames : le traitement des corps, les sépultures et monuments pendant la guerre » in Nicolas OFFENSTADT (sd), Le Chemin des Dames de l’événement à la mémoire, Paris, Stock, 2004, 494 p.
Les grandes étapes du conflit sur le chemin des Dames • Le déroulement de la guerre au Chemin des Dames coïncidetil avec les
grandes phases du conflit ? Justifiez votre réponse • Quelle est la nature de l’activité du front dans le secteur du Chemin des
Dames ? doc 6 La guerre de mouvement, première phase du conflit commencée depuis le mois
d’août 1914 se termine dès les mois de septembre ‐ octobre 1914 dans le secteur du Chemin des Dames. La défaite de l’armée allemande, lors de la bataille de la Marne (6 au 9 septembre 1914), oblige celle‐ci à se replier d’une quarantaine de kilomètres pour s’établir au niveau de l’Aisne. Le 12 septembre 1914, la contre‐offensive franco‐britannique se brise sur les hauteurs qui dominent l’Aisne. A l’Est de Soissons commence la première bataille du Chemin des Dames. Le surlendemain, les régiments du 18e corps d’armée française s’élancent à l’assaut du plateau de Craonne et de la ferme d’Hurtebise mais la percée franco‐anglaise échoue.
Au soir du 14 septembre, les combattants des deux camps creusent leurs premières tranchées sur le plateau.
Ce sont les combats évoqués par ce jeune basque de 25 ans, Emile Lesca, du 34e régiment d’Infanterie engagé dans ce secteur le 14 septembre 1914 (document 10). Il relate, dans une lettre à sa sœur datée de décembre 1914, les premiers combats, leurs violences ainsi que les nouvelles conditions de vie dans les premières tranchées. Après six semaines de combats et des milliers de morts de part et d’autres (ex : les Britanniques ont 5000 hommes mis hors combat le 15 septembre 1914), le front se stabilise dans le secteur du Chemin des Dames : les Allemands sur les hauteurs, les Français dans la vallée ou sur les pentes… (document 9 c/).
Dans les semaines suivantes, à partir de novembre 1914, les deux armées tentent vainement de se déborder par l’ouest : c’est la « course à la mer » et le front se stabilise sur 700 kilomètres, de la mer du Nord à la frontière suisse. Aucune des deux armées n’a opéré de percée décisive. Les États‐majors, après avoir misé sur une victoire rapide, renoncent à la guerre de mouvement.
Les combattants sont alors confrontés à une guerre nouvelle, la phase la plus longue : la guerre de tranchée ou guerre de position de novembre 1914 jusqu’en mai 1918, pour le secteur du Chemin des Dames. La guerre devient une guerre d’usure, une guerre industrielle où les tranchées se transforment en lieu de vie pour les combattants.
Le document 6 permet de s’interroger sur les différents types d’activités du front pendant ces phases et qui ont prévalu dans ce secteur.
Au nombre de quatre, on peut distinguer les périodes où : • le Chemin des Dames se trouve complètement en dehors de la zone de combat (129 jours),
• le front passif (1129 jours) c‘est‐à‐dire où le front reste très calme ou relativement calme,
• le front devenu actif (214 jours) marqué par des attaques locales d’infanterie,
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des bombardements prolongés et des préparations d’artillerie en vue des grandes attaques et enfin
• les grandes offensives (40 jours). Les 2/3 du temps de guerre dans ce secteur correspondent à un front passif,
c’est‐à‐dire où l’activité des infanteries se réduit à une fonction défensive en assurant l’inviolabilité du front en tenant les tranchées. Ce qui ne signifie pas que la mort est totalement absente du plateau. On meurt chaque jour sur le Chemin des Dames même lorsque le front est qualifié de front passif. L’exemple du 18e Corps d’Armée qui occupe ce secteur illustre cette idée. Il comptabilise 942 tués entre le 1er février et le 23 avril 1916 soit 2 tués en moyenne par jour essentiellement dus à des tirs d’artillerie. Les tirs sont réguliers pendant la période du front passif car ils correspondent au changement d’équipes d’artilleurs qui se livrent alors à des tirs de réglages.
Connaître la nature de l’activité du front est importante car elle détermine les conditions de vies des soldats. Ce n’est pas la même chose d’être sur le Chemin des Dames en 1916 et en avril 1917 lors de l’offensive du général Nivelle.
La guerre de mouvement reprend au printemps 1918 (troisième et dernière
phase) après le déclenchement d’une succession d’opérations sur le front occidental menées par l’armée allemande. En effet, l’entrée en guerre des États‐Unis et la révolution russe modifient l’équilibre stratégique.
A partir du 21 mars 1918, l’armée allemande reprend l’initiative en déclenchant une succession d’offensives sur le front occidental (offensive Michael, offensive Georgette). Les Allemands retrouvent les lignes d’avancée maximale de septembre 1914 mais l’offensive allemande est stoppée le 4 juin. Dès lors, les Alliés reprennent l’initiative jusqu’à la signature de l’armistice le 11 novembre 1918 à Rethondes
Contextualisation Ainsi, on retrouve, à travers ce secteur géographique qu’est le Chemin des Dames
toutes les grandes phases de la guerre : la guerre de mouvement qui prend fin dès le mois de septembre, les premières tranchées avec la guerre de positions et enfin l’offensive allemande du printemps 1918 qui marque la reprise de la guerre de mouvement jusqu’à la contre‐offensive alliée également menée dans ce secteur.
Carte plan Schlieffen, début de la guerre
B. L’Europe est le principal théâtre de la guerre Même s’il s’agit de la première guerre mondiale
Carte des opérations militaires Europe puis extension
Voir les cartes du livre
II. Les combattants
Reprise de l’étude de cas sur le Chemin des Dames
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Doc 5a : effectifs à la veille de l’offensive Nivelle Doc 5b : matériels mobilisés à la veille de l’offensive, Doc 5c : effectifs et matériel côté allemand, Doc 5d : pertes françaises, Doc 7 : trois soldats assis sur les ruines d’une verrerie Compléments : Doc 9b : offensive de 1917 ; doc 11 : les tirailleurs sénégalais ; doc 15 une guerre
qui touche les civils : le village de Craonne.
Questions : La mobilisation des soldats : l’exemple de l’offensive Nivelle du 16 avril 1917.
En étudiant les effectifs mobilisés lors de l’offensive Nivelle, montrez l’ampleur de l’effort de guerre accompli par les différents pays (doc 5a, 5c)
De nombreux civils subissent les violences de la guerre. De quelles manières les populations ontelles été touchées par les batailles du
Chemin des Dames ? Doc 7 Entre 1914 et 1918, ce sont sans doute plus de 1000 régiments français et
coloniaux, allemands, mais aussi britanniques, américains, italiens, russes qui ont combattu au Chemin des Dames. L’engagement humain dans ce secteur à la veille de l’offensive du 16 avril 1917 est important, près d’un million d’hommes sont rassemblés sur la moitié d’un département (document 5a).
Il s’agit d’une mobilisation de masse pour de nouveaux types de combats. La guerre de position, qui s’accompagne de pertes énormes, oblige les États à faire appel à toutes les ressources humaines : mobilisation de nouvelles classes d’âge, recrutement colonial, passage à la conscription en Angleterre. Le document 11 permet d’étudier le parcours de deux tirailleurs sénégalais présents lors de l’offensive Nivelle.
Les premiers bataillons de tirailleurs sénégalais ont été créés à partir de 1857 par le général Faidherbe, gouverneur du Sénégal. Ceux qu’on appelle les « tirailleurs sénégalais » pendant la guerre de 1914‐1918 sont donc originaires de toute l’ancienne Afrique–Occidentale–Française (AOF) et ne sont soumis à l’autorité coloniale française que depuis une trentaine d’années. A quelques rares exceptions, ces hommes venus d’Afrique pour défendre la République ne jouissent pas des droits civiques et comprennent à peine le français. Au total, de 1914 à 1918, 165 000 tirailleurs ont été recrutés en AOF plus 17 000 tirailleurs d’Afrique‐Equatoriale‐Française (AEF) auxquels. De même, à la veille de l’offensive Nivelle, ce sont 20 bataillons, soit un peu plus de 15 000 hommes, qui sont rassemblés en première ligne. Mais 1 100 d’entre eux, victimes des intempéries, sont évacués avant le 16 avril pour pneumonies ou engelures. Le général Mangin les engage à attaquer autour de Vauxaillon‐Laffaux et autour de Paissy‐Hurtebise. Dès les premier jours de l’offensive, au moins 1 400 Sénégalais trouvent la mort dans les combats pour la conquête du Mont des singes, pour la prise des fermes de Moisy, d’Hurtebise et sur les pentes d’Ailles (document 9b). La plupart des « bataillons noirs » sont relevés dès le 18 avril à cause des pertes très élevées qu’ils ont subies (souvent les trois quarts de leurs effectifs). Le général Mangin a gagné au Chemin des Dames une réputation de « boucher » et de « broyeur de noirs », qui amène le général Nivelle à lui retirer le 29 avril, le commandement de la VIe armée.
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Contextualisation Pendant la Grande Guerre, l’Afrique noire, selon les statistiques officielles, a
perdu 65 000 tirailleurs, 29 000 sont morts (soit presque un homme mobilisé sur cinq) et 36 000 ont été blessés au cours du conflit. L’engagement humain est total dans la bataille du Chemin des Dames comme il l’a été pour les pays engagés dans le conflit. Ainsi, en 1914, les deux camps en présence mobilisent plus de 21 millions d’hommes. A la fin de la guerre, ce sont près de 70 millions d’hommes qui ont été mobilisés.
La France, quant à elle, mobilise plus de 8,5 millions d’hommes dont 600 000 soldats nord‐africains, sénégalais, et indochinois.
On peut évoquer le rôle de Blaise Diagne (1872‐1934). Il est le premier africain noir à siéger au Parlement français.
Pendant la guerre, il intervient à plusieurs reprises à la chambre des députés pour dénoncer les conditions faites aux tirailleurs sénégalais, que se soit au front ou dans les camps d’hivernage. Lors du comité secret du 29 juin 1917, il prononce un réquisitoire contre les responsables de l’offensive Nivelle du 16 avril, en particulier contre le général Mangin, qui ont engagé les soldas noirs « un peu comme du bétail ». Au début de 1918, Clemenceau lui confie la mission de recruter en Afrique des milliers de nouveaux soldats noirs sans soulever, comme en 1915‐1916, de rébellion. Dans une longue tournée à travers l’AOF, il se présente comme le promoteur de l’égalité avec les Français de métropole : « En versant le même sang, vous gagnerez les mêmes droits ». Promesse qu’il tient à des hommes privés du droit de vote, soumis au Code de l’Indigénat et à l’impôt de capitation.
A. Se préparer, s’équiper 1. Qui sont‐ils ?
Un engagement de masse, une armée de masse. Les volumes humains mobilisés n’avaient jamais été atteints. 12 millions
d’hommes en Europe sont engagés dès l’été 1914. Les tableaux mettant en parallèle les mobilisés et les décédés permettent de saisir l’ampleur de ces volumes.
Quelques remarques. En France, une armée de conscription se nourrit des classes d’âges mobilisées par
les pouvoirs publics de 18 à 48 ans. Ainsi environ 8,5 millions d’hommes ont été mobilisés pendant la durée du conflit.
En Grande Bretagne la démarche est sensiblement différente. Le corps expéditionnaire se nourrit d’une armée de métier limitée en nombre et surtout d’engagés volontaires nombreux, recrutés dans le cadre d’une campagne impulsée par Lord Kitchener. Ces volontaires sont estimés à environ 2,6 millions. Cependant un peu moins de 6 millions de soldats ont servi pendant les quatre années. À partir du début de l’année 1916, le recrutement sur la base du volontariat ne peut satisfaire les exigences en nombre, aussi, décision de temps de guerre, les Britanniques mettent‐ils sur pied la conscription, entre 1916 et 1918 (ils la reproduisent en 1940).
Les États‐Unis, engagés dans la guerre depuis avril, offrent un corps expéditionnaire de 150 000 hommes en décembre 1917. Moins d’un an plus tard, 1,8 million de sammies sont présents en Europe.
Les coloniaux sont aussi présents comme l’a montré l’étude de cas
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En tout, 70 millions d’hommes sont mobilisés dans cette guerre, du jamais vu
2. Comment sont‐ils équipés ? Étude de K le Chemin des Dames Question
• À partir du doc 3c et 3d relevez les différentes armes utilisées et rencontrées sur le champ de batailles du chemin des Dames par Paul Clerfeuille.
Doc 3 Paul Clerfeuille, simple soldat
Paul Clerfeuille donne de précieuses indications sur l’armement utilisé le jour de l’attaque du 16 avril : « quatre grenades citron, un pistolet automatique, trois chargeurs, une poignée de balles, un couteau poignard dans une gaine pendue à la gauche de mon équipement et, enfin, mon fusil Lebel et ses cartouches, les deux masques à gaz et sans oublier mon casque ». Les armées du début de la guerre sont des armées de fantassins entraînés à porter leur maison sur le dos. Il n’est pas rare que le soldat se déplace avec un chargement d’une trentaine de kilos, voire davantage. On comprend dès lors l’épreuve épuisante que représente le moindre déplacement à travers les sinuosités des boyaux.
L’équipement de Paul Clerfeuille est représentatif de l’équipement du soldat de la Grande Guerre.
L’armement du fantassin repose sur le fusil, le Lebel français qui pouvait tirer jusqu’à 12 coups par minute. Les fusils évoluèrent peu à l’exception de l’introduction d’un nouveau modèle en 1916 dans l’armée française disposant d’un chargeur et susceptible d’atteindre une capacité de tir de 20 coups à la minute. Paul Clerfeuille donne peu d’indications sur la capacité de son arme le jour de l’offensive, il semble qu’il s’agisse plutôt du fusil Lebel « classique ». Néanmoins aucun tir collectif de fusils ne pouvait rivaliser avec l’efficacité d’une mitrailleuse dont la présence est régulièrement évoquée dans son témoignage causant les pertes les plus importantes : « la première vague part, mais est au deux tiers fauchée par les mitrailleuses… à gauche, une mitrailleuse en batterie…pour traverser en face de la mitrailleuse… ». Très meurtrières sur les champs de batailles, elles constituaient pourtant une arme encombrante : elles pesaient entre 40 et 60 kg. Trois à six hommes étaient nécessaires pour les faire fonctionner, d’où leur utilisation surtout défensive, à partir d’abris camouflés et protégés. Par contre, les grenades prennent une place croissante dans l’équipement des soldats, c’est d’ailleurs la première arme de son équipement qu’il cite. Les exigences du combat rapproché développent les armes de corps à corps comme le couteau poignard qu’il a dans une gaine pendue à gauche de son équipement, arme dont il est difficile de savoir à quelle échelle et de quelle manière elles étaient employées. La principale innovation dans l’équipement décrit par Paul Clerfeuille est la présence d’un casque. A partir de 1915, il s’affirme comme essentiel pour la protection du crâne et de la nuque. Il ne protège pas contre un coup direct, mais il est en mesure de faire ricocher un projectile ou d’arrêter des éclats de petite taille. La présence des deux masques à gaz évoque l’apparition de l’arme chimique au cours de la Grande Guerre. Elle constitue l’un des faits militaires les plus marquants du conflit. L’arme chimique, à l’instar de nombreuses tentatives tactiques, était une des voies suivies pour tenter de reconquérir le mouvement.
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Contextualisation • Uniformes voir doc, en particulier l’évolution qui montre que la guerre a
changé de nature ce que les Allemands avaient déjà compris par rapport aux Français. • L’équipement, les armes. Doc sur le bardas du poilu environ 30 kg, à partir
de 1915 présence du masque à gaz, fusil Lebel, grenade etc L’évolution est à mettre en rapport avec les progrès de la seconde
industrialisation en particulier en se qui concerne l’apparition des armes chimiques en particulier le gaz hypérie, dit gaz moutarde du fait de sa couleur.
Autre évolution aussi liée à l’industrialisation celle de l’aviation qui commence à jouer un rôle dans la guerre à partie de 1917 voir doc.
B. Combattre 1. Les tranchées Étude de cas du Chemin des Dames
doc 3 Paul Clerfeuille, simple soldat et doc 4 Alphonse Didier, fusillé la 12 juin 1917 Questions Vivre….
• Relevez les éléments importants de la biographie de Paul Clerfeuille et de Alphonse Didier. Quelles sont les limites de leurs témoignages ?
• Dans quelles conditions Paul Clerfeuille et Alphonse Didier vivent‐ils au front ….et mourir au Chemin des Dames.
• Qui meurt au Chemin des Dames ? Et comment ? doc 3, 4, 6 et 7 Doc 7 Trois soldats assis sur les ruines d’une verrerie
L’expérience combattante de chaque soldat est différente en fonction des jours, des mois, des années et des secteurs géographiques mais tous ces hommes ont en commun un lieu, la tranchée. À partir de la fin de l’année 1914 sur le front occidental, les soldats, épuisés par les immenses efforts de la guerre de mouvement et par l’impossibilité de se déborder, creusent alors des trous individuels qu’ils relient entre eux, formant ainsi les premières lignes de tranchées, profondes d’environs 2 m à 2,50 m et larges de 30 à 50 cm à la base, quelquefois à quelques dizaines de mètres les unes des autres. Ce système exprime une supériorité de la défense sur l’attaque qui constitue l’une des caractéristiques majeures de la Grande Guerre. La tranchée devient un monde à part marquant à jamais les soldats qui y vivent et reste, comme le précise Jean‐Jacques Becker, le symbole de la Grande Guerre.
C’est dans ce cadre que Paul Clerfeuille (document 3) et Alphonse Didier
(document 4), deux combattants du Chemin des Dames évoluent. Deux trajectoires différentes, mais précieuses pour saisir les conditions de vie auxquelles ils sont confrontés.
Paul Clerfeuille, originaire de la Vienne, est un homme de 32 ans, marié et père
de deux enfants. Sans instruction particulière, il exerce le métier de roulier comme son père à Civray avant d’être mobilisé le 5 août 1914. Il combat quelques semaines plus tard en Lorraine puis demeure à l’arrière presque toute l’année 1915 suite à une
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maladie. Il part à Salonique en janvier 1916 et revient en juillet atteint du paludisme. En novembre, il est en Champagne puis participe à l’offensive du 16 avril 1917 avec le 273e Régiment d’Infanterie. Pendant deux ans, après sa démobilisation le 11 mars 1919, il consacre « ses veillées » à recopier ses notes, les détaillant parfois selon les images que lui fournissait sa mémoire. Il y écrit ses souvenirs avec le seul souci de raconter ce qu’il a vu et vécu. Il livre rarement ses sentiments. Quelques allusions montrent qu’il est peu sensible à la religion et qu’il regrette que la clairvoyance de Jaurès n’ait pas porté ses fruits, comme l’indique Rémy Cazals. Son témoignage est celui d’un homme engagé dans une grande offensive qui s’inscrit dans un temps court de la Grande Guerre (document 6) mais le plus meurtrier. Il s’agit donc d’un récit dans l’après‐coup sans que l’on sache ce qui relève d’une écriture immédiate des événements d’une réécriture d’après guerre.
L’itinéraire de Alphonse Didier, 33 ans, marié, trois enfants, employé de
commerce, originaire des Vosges, diffère de celui de Paul Clerfeuille. Soldat au 18e Régiment d’Infanterie, il est impliqué dans les mutineries qui se déroulent à Villers‐sur‐Fère le 27 mai 1917. Reconnu coupable d’avoir menacé de mort ceux qui ne voulaient pas se joindre à l’émeute et d’avoir giflé un officier qui s’interposait pour rétablir l’ordre, il est fusillé le 12 juin 1917 à Maizy (Aisne) avec trois autres compagnons de son unité (Denis Rolland). L’enquête réalisée suite à la violente manifestation des hommes du 18e R.I. et les propos recueillis par son aumônier transcrits par le général Hirschauer sont les principales sources. Elles permettent de retracer le fil de cette journée du 27 mai et d’être au plus près du vécu du soldat Alphonse Didier. Il s’agit donc du parcours d’un homme construit à partir de sources essentiellement judiciaires et militaires.
Ces deux profils ainsi que le document 9e (coupe topographique Saint Victor/ Bois du roi), permettent de mieux appréhender les conditions de vie des soldats ainsi que toute la complexité de leur vécu au front et à l’arrière. La coupe topographique met en relief la configuration du terrain et par là même les difficultés rencontrées par les soldats français le jour de l’offensive Nivelle pour remplir la mission qui leur était assignée. L’importance de la dénivellation du terrain associée aux nombreuses défenses allemandes – mitrailleuses, abris fortifiés, avant‐postes à flanc de coteau –, expliquent les difficultés rencontrées par les soldats pour réaliser la percée tant espérée mais également pour se déplacer dans des boyaux avec un équipement de plusieurs dizaines de kilos. Les tranchées, volontairement sinueuses pour limiter les pertes que provoquerait un tir en enfilade, deviennent un véritable calvaire pour les hommes lors de leur déplacement, qu’il soit collectif pour assurer la relève en première ligne ou bien individuel pour aller chercher la soupe à la roulante. C’est le cas de Paul Clerfeuille lorsqu’il doit prendre position dans les tranchées, près de Craonnelle avec ses camarades, la nuit précédant le déclenchement de l’offensive Nivelle du 16 avril 1917 (il fait partie de la deuxième vague) : « … nous devons atteindre ….Craonnelle. (…) Nous y arrivons, après mille détours et contours dans les boyaux, vers 4h… ». Avec ses compagnons, il marche pendant une heure et demie, de nuit pour rejoindre sa position avec un équipement que l’on devine très lourd puisqu’il part avec des vivres pour six jours auxquels il faut ajouter son équipement de soldat (fusil, grenades, cartouches…). Il précise également que ce déplacement est précédé d’une « nuit sans sommeil due aux préparatifs ».
Le manque de mobilité des troupes est accentué par les mauvaises conditions météorologiques. Le 16 avril 1917, et les jours suivants, elles sont extrêmes raconte Paul Clerfeuille : « La température s’en mêle, le ciel s’assombrit et la neige tombe à gros flocons
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comme en décembre » puis le lendemain : « nous sommes gelés et une eau glaciale a succédé à la neige ». Le secteur du Chemin des Dames, au début de l’année 1917, connaît un hiver rigoureux avec des températures atteignant les – 20°C. Les mois de mars et d’avril alternent des épisodes de froid et de neige. Ces conditions accentuent les difficultés du quotidien du combattant. Toutefois, même par temps sec, les transports à dos d’homme, pour ravitailler les tranchées, sont pénibles du fait de l’étroitesse des boyaux.
La lettre d’Emile Lesca, doc 10, soldat du 34e Régiment d’Infanterie, adressée à sa sœur où il relate ce qu’il a vécu au mois de septembre 1914 va dans le même sens (document 10) : « Le 13 septembre (1914), nous montons à l’assaut du plateau (…) Nous faisions nos besoins dans des boîtes que nous jetions audessus de la tranchée (…) ». Les tranchées sont donc, dès les premières semaines du conflit, un véritable enfer pour les combattants et les conditions, au regard du témoignage de Paul Clerfeuille, s’améliorent très peu, en premières lignes, durant les quatre années de guerre.
La tranchée est aussi le lieu ou l’on conserve un lien avec l’arrière, la famille grâce aux courriers : « (…) comme nous savons pas si nous en reviendrons, il fallait en profiter ; une courte lettre à sa famille, presque un adieu ». En première ligne, les combattants demeurent une quinzaine de jours dans des tranchées qui ne sont pas prévues pour des séjours prolongés, avant de laisser la place à la relève et de partir vers les lignes arrière. C’est ici que le soldat prend le temps d’écrire à ses proches ou bien de prendre des renseignements sur son bétail ou son exploitation.
Le récit de la violente manifestation à Villers‐sur‐Fére, le 27 mai, donne également de précieux renseignements sur la vie à l’arrière. Lors de la relève du 18e Régiment d’Infanterie après les durs combats sur les plateaux de Californie et de Craonne, une première série de permissions est distribué (25% de l’effectif) avant de diminuer très fortement (9 %). Il ressort également du document 4, le rôle joué par le débit de boisson « Au rendezvous des poilus » situé en face du cantonnement. Les hommes s’y retrouvent, bavardent, échangent des nouvelles autour d’un verre de vin, et s’inscrivent dans une sociabilité proche de celle qu’ils connaissent dans leurs villages pour la plupart.
Il est à noter également que, par le contact avec la population civile et les soldats rencontrés provenant des autres régiments, les soldats connaissent et assurent une transmission des nouvelles entre les hommes.
De même, le document 17 L’heure de la soupe dans les tranchées à l’arrière, une autochrome, montre une toute autre organisation de vie alors que les hommes sont à quelques kilomètres du champ de bataille. Autrement dit, la vie des poilus est très différente selon la distance qui les sépare du front et ces différents documents mettent en lumière toute la complexité du vécu des soldats de la Grande Guerre. A l’arrière, c’est pour le poilu un moment où il peut s’occuper de lui (hygiène) mais aussi répondre aux attentes des États‐majors en faisant des exercices militaires ou des défilés.
A ces conditions de vie au front viennent s’ajouter les peurs et les angoisses inhérentes à l’attaque de la tranchée ennemie. La mort est omniprésente. Dans son témoignage, Paul Clerfeuille n’évoque pas son ressenti au moment de sortir de la tranchée, mais décrit plutôt ce qu’il voit c’est‐à‐dire ses camarades tombés au cours de l’attaque ainsi que l’ampleur des pertes : « nous heurtons des morts de la première vague (…) ça et là des morts et des mourants (…) nous gravissons des ravins, redescendons, heurtons à chaque pas des morts (…) nous remplaçons un bataillon qui n’a presque plus personne (…) nous en sommes écœurés, nous avons les larmes aux yeux. Quelques sénégalais, morts eux aussi (…) ».
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Les tranchées, c’est aussi le danger permanent provoqué par les tireurs ennemis et les bombardements. Chaque jour, dans le secteur du Chemin des Dames, des combattants sont tués ou blessés (document 6). L’exemple du 18e Corps d’Armée présent dans ce secteur est très parlant puisqu’il comptabilise 942 tués entre le 1er février 1915 et le 23 avril 1916 soit une moyenne de 2 tués par jour alors que le secteur ne connaît aucune grande activité militaire. Cette période est d’ailleurs qualifiée de front passif (très calme voir relativement calme). L’étude du document 7 souligne que les populations civiles font également partie des victimes. Les destructions engendrées par les bombardements d’artillerie des villages sont meurtrières.
La coupe topographique (document 9 e voir plus haut) montre un autre aspect du champ de bataille, celui du no man’s land. Cette zone de danger extrême qui sépare les belligérants mesure quelques centaines de mètres dans les zones de plaines jusqu’à quelques dizaines de mètres seulement en forêt ou en montagne. Le village de Craonne, situé au cœur du no man’s land, est pris entre les feux des combattants des deux camps ce qui explique sa totale destruction
(document 15 Une guerre qui touche les civils : le village de Craonne).
Craonne, chef lieu de canton, 608 hab. recensement de 1911 avant la guerre est totalement ravagé après les combats en 1917. Le site de l’ancien village, classé en zone rouge est confié en mars 1931, aux services des Eaux et Forêts. Un arboretum commence à y être planté en 1941 avec l’aide financière de la Suède. Le site est désormais inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments historique (2003). « Le conseil municipal renonce définitivement à réclamer le Vieux Craonne et demande que les Eaux et forêt le conservent et en fassent un parc qui perpétuera le souvenir de l’ancien village pendant la guerre. » Délibération du Conseil Municipal de Craonne 7 décembre 1930) Craonne en 1917 après les combats, Craonne en 2006
Contextualisation Le lieu emblématique de la Grande guerre est donc la tranchée qui transforme
radicalement le champ de bataille donc le type de combat. Pourquoi et à partir de quand les hommes s’enterrent‐ils dans ce réseau de
tranchées ? Dès la fin de 1914 voir étude de K sur le Chemin des dames dès octobre 1914.
C’est l ‘échec de la guerre de mouvement, cela correspond à un relative équilibre des forces de par et d’autres de la ligne de front qui s’étend sur 700 km de la Mer du Nord à la Suisse.
Doc sur les tranchées.
Avec le passage de la guerre de mouvement à la guerre de position, s’installe donc
un nouveau type de guerre, celui de la guerre de matériel, dont les conséquences sont rapidement terribles. Les gros obus utilisés pulvérisent les corps dont on ne retrouve rien (d’où le nombre de disparus) et dont les éclats peuvent couper un homme en deux…, des gaz de combats, des grenades et des mitrailleuses deviennent les armes clés de la guerre… les ballent tuent avec une efficacité inconnue jusque‐là (elles sont devenues coniques, rapides et pivotantes).
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Les batailles sont très longues : la bataille de la Somme dure quatre mois de juillet à novembre 1916, Verdun 10 mois. Il s’agissait plus de sièges en rase campagne que de batailles. Le champ de bataille s’est considérablement élargi à cause de la portée des armes : ainsi la notion même de champ de bataille perd de son sens. Les modalités du combat changent aussi.
Cent ans auparavant, les soldats sont au coude à coude, debout, étincelants, ils sont désormais dispersés, isolés et presque perdus dans le fracas des détonations, voire laissés à eux‐mêmes quand les liaisons sont coupées comme à Verdun, et disséminés au hasard des trous d’obus. À la fin c’est même la mort des batailles puisque la profondeur des arrières fronts permet premières lignes de se ravitailler, de résister aux nouvelles poussées ennemies. Sur la Somme, en 1916, quatre millions d’hommes se sont relayés de part et d’autre d’un front de 40 km de long. Plus du quart fut tué, fait prisonnier ou porté disparu. Toute offensive était condamnée. Il fallut les chars, l’arrivée des Américains et les offensives aériennes de 1918 pour briser cette nouvelle configuration.
2. Souffrir/ faire souffrir Reprendre les documents sur les conditions de vie dans les tranchées qui
montrent dans l’étude K sur le chemin des Dames Contextualisation La Grande Guerre est d’une violence jamais atteinte jusqu’alors ; « la
radicalisation de l’activité guerrière est au cœur de l’expérience de guerre des combattants de toutes les armées engagées dans le conflit » (Anne Dumenil). Le niveau des pertes humaines est le premier marqueur de ce changement. Chaque jour, 900 soldats sont tombés côté français, 457 côté britannique, 1 300 côté allemand et 1 459 côté russe. Dans les conflits précédents, les pertes étaient essentiellement provoquées par les maladies. Elles sont désormais imputables à des blessures qui sont « d’une variété et d’une gravité sans précédent » comme le souligne Stéphane Audouin‐Rouzeau. D’août 1914 au 31 juillet 1918, l’armée française dénombre 3,6 millions de blessures et 2,8 millions de blessés. Elles sont de 70 à 80% provoquées par les obus et leurs éclats alors qu’au XIXe siècle, 85% des blessés de guerre étaient le fait de balles. L’effet du souffle est aussi redouté pour les hémorragies internes qu’il provoque et qui tuent les soldats en quelques heures. De plus, ces données ne tiennent pas compte des énormes écarts selon les mois et les années : le vingt‐deux août 1914, 27 000 soldats français trouvent la mort.
Au Chemin des Dames, ce sont également les tirs d’artillerie qui causent le plus de
pertes (document 6). Les hommes sont confrontés à de nouvelles armes industrielles ce qui constitue une profonde mutation sur le champ de bataille. Le fait que la mort n’est plus donnée mais subie (document 13) modifie la nature de la guerre. Les hommes se trouvent alors confrontés à une mort quotidienne due à l’intensité du feu de l’artillerie et non plus au produit d’un combat au corps à corps. A la fin de la guerre, la mention « blessure par baïonnette » disparaît même des registres dans les hôpitaux, faute de blessures de ce type.
L’horreur du bombardement était renforcé par le sentiment d’impuissance totale
éprouvée par les soldats : il fallait attendre la fin du pilonnage pour sortir, le ravitaillement ne passait plus, impossible de dormir, le risque d’être enterré vivant faisait qu’on se disputait la place la plus proche de la sortie dans les abris (qui résistaient
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rarement, à moins d’être très profonds et bétonnés comme ceux aménagés par les Allemands sur la Somme). Quant à l’assaut, exceptionnel, il était proprement terrifiant : attente au pied de la tranchée devant l’échafaud, l’échelle, course au feu des mitrailleuses ennemies, pliés en deux pour éviter les balles, plongée dans des trous ou assaut au corps à corps dans la tranchée ennemie pour ceux qui avaient pu passer. Le front devient donc un lieu de mort de masse, on ne sait pas qui on tue, on ne sait pas qui vous tue et en fait on tue rarement soi‐même.
À cette déshumanisation de la guerre et au déséquilibre du plus en plus fort entre moyens de tuer et moyens de se protéger répond la multiplication des blessures et l’amoindrissement des chances de survie. Dans l’armée française on a dénombré 3 594 000 blessures pour 2 800 000 blessés. La moitié des hommes ont été blessés deux fois et 100 000 plus de trois fois. Au total, 40 % des mobilisés ont été blessés ce qui provoque une véritable inscription de la guerre sur les corps et dans les chairs comme le montre le cas des gueules cassées. Il faut imaginé le paysage social de l’après guerre peuplé de ces hommes jeunes amputés, défigurés plus ou moins gravement mutilés et souvent incapables de travailler.
D’où l’importance nouvelle de la médecine qui connaît la diffusion de nouvelles techniques (rayons X pour détecter les éclats, réduction des fractures pour éviter les amputations, les analgésiques..) mais qui restent en retard par rapport à la puissance destructrice des nouvelles armes.
3. Être un soldat en 1914 Rappelons d’abord qu’il existe autant d’expériences que de soldats mais si l’on
cherche des éléments communs ont peut tout de même en trouver. La guerre a changé le rapport au corps au lieu de combattre debout, fier, le soldat
s’est transformé en un être rampant, maculé de boue cherchant à disparaître pour échapper à la mort qui peut venir de n’importe où puisque l’ennemi est lui aussi invisible. À tout instant un tir d’artillerie peut venir mettre fin à la vie du soldat ou le mutiler de façon inconnue dans les guerres précédentes.
Pour un courant de l’historiographie autour de l’historien américain G. Mosse, les
soldats auraient alors fait l’expérience de la « brutalisation » traduit par « ensauvagement » pour A. Becker, concept récent qui essaye de rendre compte de cette nouvelle guerre. La brutalisation nait de l’exposition prolongée à la violence de la guerre et ses effets sont ensuite perceptibles en temps de paix, par le réinvestissement de ces comportements brutaux dans le champ politique. Les soldats auraient fait l’expérience de la mort de masse, de la durée, de la violence, de la fatigue, du stress. Cette violence qu’ils subissent et qu’ils utilisent les a rendu violents et ils réinvestissent cette violence dans la politique après la guerre. En fait cette notion est de plus en plus discutée car elle est trop globalisante, en fait l’expérience de guerre est différente selon la culture du pays, elle conduit en France et en Angleterre au pacifisme des anciens combattants alors qu’en Allemagne, pays vaincu le passage de la violence militaire à la violence politique a bien lieu dans la république de Weimar. Les troupes d’assaut ont ainsi été transformées en corps francs. Plus de 500 meurtres ont eu lieu, tous amnistiés avant l’arrivée de Hitler au pouvoir. Mais cette brutalisation est sans doute à mettre en relation avec la culture politique allemande : l’expérience de guerre de masse a été ici intégrée dans une culture bien antérieure à la guerre. De fait, en Allemagne, pour beaucoup de théoriciens, la force
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prime sur le droit. Le darwinisme social est très répandu : le monde appartient au plus fort. La guerre est un examen de passage auquel les nations ne peuvent se soustraire : seules les nations guerrières ont le droit de vivre. Il faut en plus ajouter que le pays est vaincu et le peuple assoiffé de revanche.
C. Tenir 1. Consentement ou contrainte ? Qu’est ce qui a permis à ces millions d’hommes de tenir pendant quatre longues
années dans ces conditions ?` Plusieurs théories sont avancées par les historiens, théories qui ont provoquées
de véritables affrontements par écrits interposés entre les tenants de telle ou telle thèse. Doc sur le consentement ou la contrainte. Comment répondre, à partir de quelles sources ? Il s’agit d’interpréter le vécu des soldats confrontés à la guerre. Ce vécu se lit dans
un ensemble des traces, de témoignages, de courriers, des productions des temps de guerre ou postérieures à la guerre. Deux courants de pensée proposent des interprétations opposées, séparant la notion de consentement à la guerre pratiquée de celle de contrainte subie.
Doc 13b
Thèse de la contrainte. Les combattants ont tenus parce qu’ils y étaient tenus. Les formes de contraintes
sont multiples. L’appartenance au groupe joue un rôle important car elle crée cet espace dans lequel le soldat pratique ou apprend la solidarité et les contraintes qu’elle induit, par pression des groupes notamment primaires. Le discours ambiant alimenté par la propagande crée un climat d’acceptation de ce que le commandement impose, de ce que les autorités politiques fixent comme obligation pour que vive la nation. Le regard et les attentes de l’arrière peuvent augmenter la charge morale. À cela s’ajoute la peur des gendarmes, des jugements, des conseils de guerre. Si les cas de ténacité sont nombreux il ne faut pas négliger la gamme très large des formes d’évitement des positions jugées dangereuses soit de façon détournée, les embusqués notamment, soit de façon plus franche en courant les risque inhérents : refus d’obéissance, mutinerie, mutilation volontaire ou encore désertion à l’intérieur ou passage à l’ennemi.
Pour la thèse du consentement, le sacrifice subi mais aussi pratiqué par les
soldats leur est apparu comme une évidence. Il appartenait aux apprentissages du rôle, des devoirs du citoyen, mobilisés par une culture de guerre. Elle est composés d’un messianisme patriotique, animée par l’esprit de croisade et ayant construit une haine de l’autre si tenace que la mobilisation des esprits et des corps, spontanée au début a été
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entretenue tant bine que mal, tout au long du conflit. Cette approche rejoint celle de guerre totale, une guerre à laquelle les populations et les soldats adhèrent. Le consentement n’est pas en premier lieu une adhésion au discours de propagande ou du bourrage de crane, il s’appuie sur un ensemble de représentations du conflit qui lui donne sa signification. Ce corpus semble venir de la population elle même et contribue à construire l’unité de la nation pour lui faire affronter la guerre.
Mais, dans cette théorie, que faire des mutins ? ils sont certes environ 45 000, ce qui est beaucoup en valeur absolue mais rapporté aux nombre de soldats mobilisés le pourcentage de mutins est d’environ 1% soit très peu. Pour les partisans du consentement cela ne remet donc pas en cause leur théorie.
Ce qui paraît particulièrement intéressant c’est l’idée de croisade. Les
productions d’objets (croix, crucifix, chapelets..), de monuments, les comportements individuels notamment de retour vers les autels, traduisent une attente d’un monde meilleur sorti d’un conflit qui prend dès lors une dimension eschatologique. La guerre, nourrie de la haine de l’ennemi, de la volonté de faire disparaître l’autre est vécue comme une apocalypse dont le sens premier est bien révélation. De la fin du monde croisée sur les champs de bataille naîtra le monde meilleur.
2. La figure de l’ennemi L ‘idée de mener une guerre juste, de la civilisation contre la barbarie conduit à
l’animalisation de l’ennemi, à sa deshumanisation. Voir doc et doc 4 p. 227 3. Écrire, correspondre, témoigner Relativiser le rôle de la censure.
Voir tout ce que vous avez fait pour les TPE
III. Les sociétés en guerre A. Les fronts intérieurs 1. Produire La guerre s’accompagne d’une mobilisation de l’économie sans précédent. Étude de K doc 3, 5a, 5b, 5c, 5d et doc 8 Questions
Une mobilisation industrielle : l’exemple du Chemin des Dames (1914‐1918) • Quels moyens matériels sont mis en œuvre pour l’offensive Nivelle du 16 avril 1917 afin de réaliser la percée tant espérée par l’étatmajor ? doc 3b et 5b
• Qu’est ce qui montre dans le matériel utilisé et rencontré par P. Clerfeuille que toute la société française est impliquée dans la guerre?
La mobilisation des sciences et des techniques pour un nouveau type de combat • À partir du doc 8, montrez qu’il s’agit d’une guerre d’un genre nouveau.
Les gouvernements doivent assurer une production massive et totalement imprévue de matériel de guerre (armement, munitions, équipements divers…) et donner une importance particulière à la production d’obus, tout en assurant le ravitaillement
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nécessaire de la population civile. Jusqu’à présent, l’activité économique n’était pas du domaine des États. C’est pourquoi, l’État français organise la reconversion de l’activité économique afin de satisfaire les besoins militaires, qu’il s’agisse du matériel, de la main d’œuvre ou du financement. Pour cela, le gouvernement développe un partenariat avec les entreprises privées contrairement à l’Allemagne qui impose un véritable dirigisme d’État sous contrôle de l’armée.
Les besoins matériels lors de l’offensive Nivelle éclairent sur les besoins
militaires à satisfaire lors de ce conflit (documents 5b et 5c). La préparation de la grande offensive du 16 avril nécessite des quantités importantes de matériels, dont Paul Clerfeuille est le témoin le 10 avril 1917 : « les artilleurs, les camions, les tracteurs roulent jour et nuit des obus de tout calibre et du matériel d’offensive. Les bois sont pleins d’obus, des tas gros comme un village. Il y en a qui sont de la taille d’un homme ». Les chiffres du document 5b/, pour l’armée française, sont éloquents puisqu’il s’agit de la dotation en munitions pour 7 jours seulement (ex : 6,5 millions de cartouches de 75). Cela traduit l’effort consenti par l’économie et l’industrie pour préparer une telle offensive que se soit de la fabrication des obus, des canons jusqu’à leur acheminement sur les différents théâtres d’opérations.
L’affiche de Victor Prouvé (document 8) appartient à une série réalisée en 1918 pour illustrer la mobilisation économique totale de la société, les hommes restés à l’arrière se révélant indispensables pour ceux qui sont au front. Victor Prouvé (1858‐1943), peintre, paysagiste, sculpteur et graveur, travailla en collaboration avec Eugène Vallin, Fernand Courteix, Daum frères, Albert Heymann et surtout Émile Gallé pour lequel il dessina des décors de verrerie et des meubles. A la mort d’Émile Gallé, il devient le second président de l’École de Nancy. Pendant la guerre, il réalise de nombreuses affiches sur les thèmes habituels de la propagande : effort de guerre, atrocités allemandes, soutien des alliés, légitimité des buts de guerre français. Ici, son affiche (document 8), intitulée « Le laboratoire, l’usine, la guerre » montre au premier plan un laboratoire dont l’un des chercheurs porte l’uniforme afin que l’on comprenne bien qu’il s’agit de soldats détachés du front pour accomplir une mission indispensable et non de civils jouissant de privilèges exorbitants. La mobilisation industrielle n’est évoquée que par les usines en arrière‐plan. La carte du front est très défavorable à la France puisque 95 hauts fourneaux sur 123, la moitié des bassins houillers du Nord et du Pas‐de‐Calais, une bonne partie des usines métallurgiques, chimiques et textiles tombent dès les premiers mois du conflit aux mains de l’ennemi. La France perd environ les 2/3 de sa fonte et de son acier. Des ateliers se multiplient alors un peu partout sur le territoire afin de fournir les munitions nécessaires aux armées. C’est sans doute ce qu’il a choisi de représenter en arrière plan dans son affiche.
Les armes utilisées et rencontrées sur le champ de bataille indiquent qu’il s’agit également d’une guerre moderne et d’une guerre des savants comme le suggère l’affiche de Victor Prouvé. Dès le début du conflit, les scientifiques se mobilisent : en Allemagne, l’appel des 93 « An die Kulturwelt » ; les 89 Oxfords pamphlets publiés par les Britanniques et le Manifeste des universités françaises publiés le 3 novembre 1914 aux universités des pays neutres illustrent cette idée. Les scientifiques de chaque pays sont convaincus de combattre pour la culture et la civilisation. En France, la loi Dalbiez d’août 1915 organise la mobilisation des spécialistes. Les scientifiques quittent le front pour regagner leurs laboratoires et participent notamment à la guerre chimique.
L’artillerie qui atteint son apogée au cours de l’année 1916, constitue l’arme
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principale du champ de bataille. Le début de la guerre de position rend alors plus indispensable une artillerie lourde puissante, devenue nécessaire pour atteindre les abris profondément enfouis dans le sol, pour détruire les tranchées, frapper les positions arrière de l’ennemi. Le bombardement de masse était désormais la réponse tactique principale à la prolongation de la guerre de position. Ce rôle nouveau de l’artillerie se traduisit par un immense développement du nombre de pièces et de coups tirés d’où la nécessité d’adapter son économie pour répondre à ses besoins nouveaux. Par exemple, pendant la bataille des observatoires, entre le 8 mai et le 4 août 1917, l’activité quotidienne des artilleries est très élevée : l’artillerie du 37e Corps d’Armée tire en moyenne 4 937 obus par jour soit plus de 440 000 projectiles sur l’ensemble de la période.
Quant aux chars (document 16), aperçus par Paul Clerfeuille, ils sont nés des nécessités de la guerre, en réponse également au blocage de la guerre de tranchées. Les chars français sont engagés pour la première fois lors de l’offensive Nivelle d’avril 1917. Engagés sur un terrain trop bouleversé les pertes sont élevées (sur les 128 chars Schneider, 57 ont été détruits, 64 sont tombés en panne ou sont restés enlisés). Les chars lourds ne connaissent leurs premiers vrais succès qu’à la fin 1917 en ouvrant la route à l’infanterie et en faisant taire les mitrailleuses. L’armée française, tout en utilisant encore en 1918 des tanks lourds, fait basculer sa production vers des modèles de chars légers, confiés à Renault en octobre 1917 (le tank Renault pèse 6,5 tonnes, roule à 9 km/h, fonctionne avec un équipage de deux hommes seulement, et n’est armé que d’une mitrailleuse et d’un canon de 37 mm). Déployés comme arme de soutien rapproché à l’infanterie, appuyés par l’aviation, ils jouent un rôle important lors de la contre–offensive de l’Aisne du 18 juillet 1918. Le front allemand est enfoncé, c’est la deuxième bataille de la Marne que remportent les alliés. Cette victoire de la Marne est un tournant parce qu’elle traduit la supériorité croissante des Alliés, grâce à l’apparition sur le front des troupes américaines (3 divisions). C’est également un tournant au point de vue technique parce que le succès est dû en partie à l’engagement des chars et notamment aux chars Renault et aux nouveaux rôles attribués à l’aviation.
Utilisation des gaz est aussi un bon exemple de cette guerre moderne. Combien de victimes a fait cette nouvelle arme ? Le bilan est difficile à établir
mais il est incontestablement limité par rapport à la place réelle que lui accorde l’opinion.
Produire des gaz pour en faire des armes meurtrières pose également la question de la place de la science et de la recherche dans un conflit total. Le potentiel scientifique, en plein développement dans le cadre de l’application de la deuxième révolution industrielle, trouve dans la guerre un terrain d’application nouveau. Il se met au service du conflit, comme l’a montré l’affiche de Victor Prouvé. Les scientifiques, souvent associés avant guerre dans des rencontres internationales, manifestent pendant la guerre un patriotisme qui les conduit à mettre au service de leurs armées les armes les plus efficaces. Travaillant en lien étroit avec l’armée, et pas seulement sur les gaz, les chimistes ont pu devenir des acteurs clefs. Ce fut le cas de Fritz Haber en Allemagne, responsable de la première utilisation des gaz au cours de la bataille d’Ypres de 1915. Les équipes de recherche voient le nombre de leurs membres considérablement augmenter et il faut mettre sur pied une véritable organisation des services de la guerre chimique. La chimie allemande associe les instituts de recherche, comme le Kaiser Wilhelm de Berlin, et les laboratoires privés comme celui d’IG Farben puis progressivement toutes les grandes entreprises du secteur. Mais les chimistes d’autres
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pays travaillent aussi sur la production de gaz, au même moment, en France notamment. Ainsi la question de la responsabilité se résout‐elle aujourd’hui par une sorte de partage entre les principaux belligérants. Certes les Allemands les ont utilisés en premier mais les autres étaient prêts à le faire. Si les scientifiques, par leurs travaux, participent à la définition de la guerre totale entre 1914 et 1918, ils transmettent au siècle des moyens et des méthodes. Pershing souligne que « les Allemands avaient abandonné tout principe d’humanité dans le vent de Langemarck ». Ainsi est soulignée la barbarie de l’ennemi, leitmotiv d’un discours de guerre que l’utilisation des gaz alimente abondamment. Quand leur efficacité est la plus grande ils sont destinés à modifier la nature du combat, pas à gagner des positions. Il pousse les armées à se protéger. Bien qu’il soit destiné à lutter contre les effets nocifs des gaz, le masque à gaz entre lui aussi dans cette déshumanisation du soldat. Des dessins, des eaux fortes comme les plus connues sans d’Otto Dix, montrent cette transformation du visage par la pause d’un groin, animalisant le soldat dans l’horreur des combats d’un nouveau genre. L’intensification de la guerre chimique dans la dernière partie de la guerre répond à la double question du vecteur par la naissance d’une artillerie chimique et de l’efficacité des gaz par « une course à la toxicité » avec le développement d’agents létaux et incapacitants. il s’agit là d’un legs de la guerre chimique au XXe siècle, cette capacité à créer des produits de plus en plus efficaces dans leur œuvre de mort. Le tragique usage qui est fait des gaz dans le cadre de la Seconde guerre mondiale puise ses origines dans l’ensemble des démarches scientifiquement mises au point avec une efficacité relative pendant la Grande Guerre. Mais les bases d’une destruction d’êtres humains par un produit chimique étaient bel et bien posées. De même la guerre chimique peut également ouvrir la porte à d’autres types de guerre, comme la guerre biologique, dite aussi bactériologique, par l’exemplarité de la transgression. Les mentalités collectives leur ont attribué un pouvoir qu’ils n’ont de toute évidence pas eu. Utilisés selon la technique des nuages gazeux dérivants, ils ont été d’un intérêt tactique limité. Quand le projecteur permet d’inonder les positions ennemies ils jouent un rôle plus important pour apparaître ainsi à la fin de la guerre comme « une arme d’avenir ».
Il faudrait ajouter la question du financement de la guerre pour laquelle les États
mettent en œuvre tout l’arsenal possible : planche à billet, emprunt à l’étranger, principalement aux États‐Unis, emprunt auprès de la population, augmentation de la fiscalité….Un véritable dirigisme d’État se met en place et ce, alors que ces États pratiquant le libéralisme économique. Il faut remarquer que la mise à disposition de l’appareil économique par contrôle de la distribution de matières premières, par commandes prioritaires, par inflexion de la production, par intervention de l’État a sans doute été plus efficace dans les économies de l’Entente que pour celles de l’Alliance. Il y a donc un apparent paradoxe, retrouvé pendant la Seconde Guerre mondiale : les démocraties quand elles s’en donnent les moyens semblent mieux maîtriser les secteurs d’activités que les régimes autoritaires voire totalitaires !
L’économie connaît donc une reconversion qui nécessite un large appel à la main d’œuvre.
2. Mobiliser l’arrière Les hommes dans les colonies cas des Ammanites dans les usines d’aviation Les Annamites dans les usines d’armement doc de l’INA
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Ce reportage sur les Annamites (habitants d'Indochine) travaillant dans un atelier de fabrication d'avion permet de souligner l'importante discipline à laquelle étaient soumis les travailleurs coloniaux. Les ouvriers annamites travaillent d'ailleurs en uniforme, ce qui témoigne bien de leur militarisation. Des contrôleurs (sans doute des officiers français) se livrent à un contrôle permanent de leur travail. La pancarte au début du reportage précise qu'il s'agit d'une main‐d’œuvre "appréciée". Les Annamites étaient considérés comme habiles, ce qui explique leur utilisation dans les industries les plus modernes comme l'aéronautique. L'utilisation de la main‐d’œuvre coloniale répondit en fait à des critères ethniques lors de la Première Guerre mondiale, les coloniaux étant utilisés dans des secteurs et à des tâches différentes selon les stéréotypes de l'époque. Les reportages de la Première Guerre mondiale ne sont pas datés avec précision. Par convention, la date du 1/1/19 indique que le document a été tourné pendant l'année en cours.
Le rôle des femmes. Doc L’appel du président Viviani doc Les femmes et les enfants ne sont en effet pas tenus à l’écart de la guerre. Les
épouses remplacent le plus souvent les hommes partis au front, à l’usine et aux champs, elles jouent le rôle du chef de famille. D’autres sont infirmières ou marraines de guerre. Certaines, plus rares, combattent (résistance ou bataillon de combat sur le front russe). Les enfants n’échappent pas à la mobilisation morale au travers de l’école, des livres, de leurs jouets ou encore des emballages des friandises.
Question de l’émancipation des femmes par la guerre Les femmes, une émancipation en trompe l’œil ? Mythe communément répandu, la femme intégrée brutalement dans le conflit a
pu, à travers lui, modifier durablement ses conditions d’existence. Ce thème permet d’aborder les genderstudies, l’histoire du genre. Sans revenir sur la place que la guerre donne aux femmes, chose connue, la question réellement posée est celle de savoir si la guerre a favorisé son émancipation. L’appel de Viviani aux femmes françaises, transforme les femmes en une catégorie à part, leur propose finalement un ordre de mobilisation spécifique. Françoise Thébaud pose la question de la nationalisation de la femme pendant le conflit : est‐elle un objet à nationaliser, est‐elle le sujet de la nationalisation ? Idée spontanément soutenue par de nombreux documents iconographiques, c’est au travail des femmes dans la guerre que l’on pense. Il est bon parfois d’enfoncer une porte ouverte : les femmes ne font pas leur entrée dans le monde du travail en 1914. Elles représentent déjà plus du tiers de la population active. Mais le travail féminin, peu ou pas qualifié, faiblement rémunéré, s’intègre généralement à des stratégies familiales. Si l’homme pourvoit à ses besoins, la femme apporte un appoint. Ce sont ces situations que la guerre transforme : il y a essor et diversification du travail féminin, émergence du salaire féminin dominant dans les budgets. La femme exerce des emplois qu’elle n’avait pas coutume de remplir. Si le travail féminin est valorisé par les discours officiels, la guerre n’améliore pas la qualification des femmes. L’emploi féminin est organisé, encadré par les autorités avec des bureaux de placement pour orienter la main‐d’œuvre. De plus un vocabulaire spécifique et révélateur souligne la place des femmes dans l’appareil de production. « Les munitionnettes » au suffixe réducteur s’introduisent dans un secteur masculin en cours de féminisation, sans doute temporaire car lié aux temps de guerre. Cet essor de leur présence dans le monde du travail n’est en réalité qu’une
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arrivée dans des travaux et des métiers visibles. Ce qui se voit dans l’industrie se lit aussi dans le monde des employés. Les administrations lancent un appel massif à la main‐d’œuvre féminine. L’essor se traduit également par des contraintes. La législation du travail, si chèrement conquise, est allégée pour fait de guerre ce qui touche les femmes directement (augmentation de la durée quotidienne de travail, travail de nuit, accentuation de la dangerosité, de la pénibilité…). Ces éléments sont rarement compensés par des mesures sociales d’aide et de protection (pouponnière Citroën pour les jeunes mères, chambres d’allaitement…). Perçue comme faiblement active dans les mouvements sociaux avant le conflit, appoint logistique des mouvements, la femme prend une autre place pendant la guerre. Les ouvriers mobilisés et déplacés sur les unités de production sont dans l’incapacité de développer des mouvements sociaux. Les femmes deviennent de véritables actrices dont se méfient les syndicats. Pour la CGT par exemple, l’émancipation des femmes ne passe pas par le travail et la lutte sociale. Le masculinisme peut se montrer aussi redoutable que le capitalisme. Le consensus qui semble se dégager est celui d’une complémentarité et d’un remplacement : le travail féminin des temps de guerre est une simple substitution à celui de l’homme défendant l’arrière au prix de sa vie. Soldats et femmes au travail mènent un combat complémentaire dans des rôles sexués que seul un moment critique bouleverse. À la fin du conflit, la présence de la femme dans l’appareil de production est remise en cause par une tentative de retour à la norme d’avant guerre. Redonner le travail aux hommes fait que la femme se déplace d’une situation de substitution à celle de concurrence.
Touchée directement par un ensemble de souffrances, la femme est également une victime de la guerre. Le deuil touche majoritairement des femmes, mères, épouses et fiancées (veuves noires, veuves blanches), filles, sœurs, amies… de soldats décédés. Sur les 700 000 veuves de guerre que la France compte à la sortie du conflit, 262 500 étaient remariées en 1933. Le déficit des hommes n’explique pas tout. Certains deuils sont difficiles, impossibles et des femmes seules ont traversé le siècle comme une immense tragédie personnelle, que l’héroïsation du disparu ne peut satisfaire. Les veuves de 1918 sont des femmes jeunes comme les anciens combattants sont des hommes jeunes.
Les violences de guerre dont les femmes sont victimes peuvent être abordées sous le double angle de la violence faite au civil, de la violence dirigée contre la femme parce qu’elle est femme. Elle est bien objet de la violence de guerre : le corps de la femme de l’ennemi est un enjeu de guerre, la propagande de guerre érige le viol au rang d’illustration ultime de la barbarie de l’ennemi. L’enfant du viol devient un débat national, introduisant les notions d’avortement, d’infanticide.
La femme, rarement engagée dans les combats (il existe des bataillons de femmes russes engagés dans les combats par le gouvernement Kerenski), peut participer au conflit par des formes de résistance active dans les zones occupées ou proches du front. L’exemple de Louise de Bettignies espionne, prisonnière des Allemands depuis septembre 1915 et qui meurt de la tuberculose en captivité, et celui de Mata Hari sont également révélateurs de la place faite aux femmes.
L’exemple de Louise de Bettignies est en effet caractéristique. En février 1915, lors d’un séjour à Saint‐Omer, Louise de Bettignies est contactée par un officier français qui lui propose de servir son pays en tant qu’agent de renseignement. Elle met alors en place, dans le secteur de Lille l’embryon du futur "Service Alice" ou "Service Ramble". Passant par la Belgique et les Pays‐Bas, la désormais Alice Dubois transmet des informations en Grande‐Bretagne. Elle est arrêtée en 1915. A la fin de janvier 1917, Louise de Bettignies est mise au cachot pour avoir refusé de fabriquer des pièces
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d’armement destinées à l’armée allemande et avoir entraîné le soulèvement de ses co‐détenues. Elle succombe le 17 septembre 1918 des suites d’un abcès pleural mal opéré. Le 16 mars 1920, les alliés organisent à Lille une cérémonie‐hommage pendant laquelle la "Jeanne d’Arc du Nord" reçoit à titre posthume la croix de la Légion d’honneur, la croix de guerre 14‐18 avec palme, la médaille militaire anglaise. Elle est faite officier de l’ordre de l’empire britannique.
Les violences de guerre faites aux femmes, ce sont aussi les difficultés de la vie quotidienne, liées aux pénuries, à l’inflation, aux privations et qui se traduisent par des comportements nouveaux comme l’abandon de l’obligation scolaire ou l’augmentation de l’offre prostitutionnelle. La violence ne contribue bien évidemment pas à l’émancipation des femmes.
L’émancipation aurait pu être obtenue par la construction d’une citoyenneté féminine par la guerre. L’historiographie montre que les mouvements féministes ont rejoint l’Union sacrée dès le début de la guerre, que les femmes animées de patriotisme ont fait preuve de sens civique, alors qu’elles sont dénuées de droits politiques. La question du droit de vote des femmes, présente dans l’espace public avant guerre, est momentanément tue sans être totalement absente. Mais l’approche très masculine d’un transfert du droit de vote des soldats morts à leurs veuves est rejetée par les féministes. Comme pour le travail, les fonctions civiques masculines sont prises en charge par des femmes (maires notamment). Elles jouent également un rôle essentiel dans le lien entre front et arrière (services de santé, avec des infirmières admises au front à partir de 1915, sociétés de secours, marraine de guerre…). Des femmes, plus connues, offrent renom et compétences à des services actifs (Marie Curie et le service de radiologie). À vrai dire, ces formes d’investissement sont ressenties comme naturelles, missions féminines, non comme révélatrices d’acquis professionnels, ni de réelle insertion civique. À la sortie de la guerre, le droit de vote, accepté par la chambre des députés en 1919, leur est refusé par le Sénat, avec le rôle dominant des radicaux, maintenant les femmes dans l’exclusion politique. Elles sont du reste fort peu présentes dans les partis politiques. Les femmes ont donc bel et bien été intégrées à la nation par leur comportement de guerre. La guerre finie elles sont priées de regagner leurs places et statuts d’origine. Il n’y a donc ni émancipation par le travail, qui reste déqualifié, dévalorisé, ni émancipation civique. La femme française reste un être mineur, que les autorités après guerre vont mobiliser dans la bataille démographique. Les formes de domination s’exercent toujours par les hommes dans des domaines clefs. Une comparaison avec les autres États belligérants fait apparaître le retard français. Le Parlement britannique octroie le droit de vote aux femmes âgées de plus de trente ans dès février 1918, avant même la fin des hostilités. La restriction d’âge est levée en 1928, de plus dès le mois de novembre 1918, elles sont éligibles. Entre 1918 et 1919 les deux chambres du congrès américain accordent le droit de vote aux femmes, fermant un long débat indépendant de la guerre. La femme allemande obtient le droit de vote dans le contexte troublé de novembre 1918, confirmé par l’une des constitutions les plus modernes de son temps, avec une ouverture vers la démocratie sociale, sous Weimar. L’autonomie obtenue par le veuvage, le travail, peut se traduire par de petites avancées symboliques : en 1919, le baccalauréat féminin ouvre les portes de l’université. Cependant, les études menées sur les femmes de ces pays montrent que, comme pour la France, la guerre n’a pas fait disparaître les « relations et identités sexuelles de manière telle qu’elles auraient dû être reconstruites dans l’après‐guerre ». Pourquoi le mythe d’une femme nouvelle née de la guerre imprègne‐t‐il encore si fortement les mentalités ? La lecture des faits est sans doute biaisée par les manifestations culturelles d’après‐
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guerre qui livrent, parmi les élites, dans les grandes villes, une femme nouvelle, ouverte aux changements, production d’un microcosme certes vitalisant mais numériquement faible. La garçonne, création de la guerre comme des mouvements engagés avant elle, contribue à créer une émancipation en trompe l’œil. La culture elle aussi maintient la femme dans son rôle de modèle, de muse tant les créatrices perturbent l’ordre installé. Sources Pour l’étude de cas sur le Chemin des Dames M.‐C. Bonneau‐Darmagnac, F. Durdon, P. Hervé, La Grande Guerre coll. Trait d’Union, scérén CRDP Poitou‐Charentes Aide à la mise en œuvre des programmes de 1ère scéren A.Prost et J. Winter Penser la Grande Guerre, un essai d’historiographie, Paris, Le Seuil, coll Points histoire n°336, 2004 Manuel de la classe Différentes mises au point sur Internet comme aphgcaen.free/conférences/prost2.htm crid2428.org art‐ww1.com