La Plaine des asphodèles...et d’au-delà, la dimension symbolique (conduites, mythes et rites)...

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Du même auteur

La Société intégrale, Climats, 2009.L’Actualité pure. Essai sur le temps paralysé, Climats, 2009.

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Cédric Lagandré

La Plaine des asphodèlesou le monde à refaire

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© Climats, un département des éditions Flammarion,Paris, 2012.

ISBN : 978-2-0812- -9187 4

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« Cette époque a-t-elle encore uneréalité ? Possède-t-elle une réalité axio-logique où se conserve le sens de lavie ? Existe-t-il une réalité pour le non-sens d’une non-vie ? Où la réalité s’est-elle réfugiée ? »

Hermann Broch, Les Somnambules.

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Préambule

Pour la multitude, le mythe a peu d’égards : le lieuqu’il réserve à sa vie post mortem, entre le Tartare desabominations et les Champs Élysées des exploits, n’apas de raison d’exister, mais il faut bien mettre lesmorts quelconques quelque part. Tout au plus ydispose-t-il à la va-vite quelques fleurs mortuaires – desasphodèles, chrysanthèmes de l’époque – puis s’endésintéresse, le décor est suffisant. Il n’a même pas prisla peine de lui ménager de l’espace ; quand on voit lesillustrations des Enfers, on ne comprend pas bien com-ment on pouvait y faire rentrer tant d’âmes – toutel’humanité à vrai dire, à quelques individus près. Àquoi leur servirait de l’espace ? Écrasées les unes sur lesautres, mais incapables d’être ensemble, les âmes qui,

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de toute leur vie, n’ont rien fait d’exceptionnel, c’est-à-dire dont l’existence, sitôt qu’elle a cessé, a cessé d’avoireu lieu, la perpétuent dans cette banlieue lugubre : ladésolante plaine des asphodèles. Le mythe les a oubliées,elles ont vécu et péri dans un univers symbolique où lesâmes ne meurent jamais, mais on n’a rien prévu pourleur vie d’après. On les a mis là en attendant, mais enattendant rien.

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Le mythe a cessé d’être, et les hommes démystifiésn’ont en effet plus rien à attendre. Ils se consacrent àl’aménagement d’une existence confortable, affranchiedu besoin de sens, et à laquelle suffit amplement laperspective d’une prolongation indéfinie. Ce que lemythe avait imaginé pour l’au-delà de la plupart deshommes, le monde présent l’expérimente ici-bas. DuTartare, des Champs Élysées, on se moque bien désor-mais ; l’exceptionnel est ravalé, la statistique gouverne.Le mythe réprouvait les tièdes ; aujourd’hui le quel-conque est la norme, la statistique sa technique dedomination. Du point de vue du mythe, la masse estun reste négligeable ; le mythe sanctionne le mémo-rable, et les vies qui font événement. De la masse il n’ya rien à dire. Du point de vue de la statistique aucontraire, la masse est la norme, et les héros sont négli-geables. La statistique instaure sur terre le règne dunon-événement ; de son point de vue, rien ne veutrien dire, aucune conduite n’est significative (digned’un récit), le monde est tissé de constantes éternelleset insignifiantes, de lois biologiques, comportemen-tales, sociologiques, statistiques, qui le disposent à unecomplète objectivation. Adossée à ces « lois », et au

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confort d’une normalité à laquelle rien n’échappe,l’humanité prépare tranquillement, sciemment pourainsi dire, sa propre végétalisation : les problèmes quise posaient aux hommes du mythe, qui les exposaientau Tartare et aux Champs Élysées, qui dotaient leurexistence d’un sens possible et faisaient d’eux lessujets d’une vie, ont été résolus. Rien n’exige plus dequête : là où ils se trouvent, se trouve aussi ce qui est

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PRÉAMBULE

nécessaire à leur existence. Rien n’exige qu’ils soientles sujets d’une vie ; prétendre l’être encore, c’est êtremûr pour une thérapie : car la science nous enseigneque seule gouverne la fatalité des processus cérébraux,du code génétique, des lois statistiques… L’histoirepassée, ses Tartares, ses Élysées, apparaissent commedes dramaturgies heureusement révolues : dépassion-née, la vie humaine tend désormais vers la tranquilleinsignifiance d’un anonyme fonctionnement. Alen-tour, finis les reliefs tourmentés du Tartare, les douxzéphyrs de l’Élysée, finies les ténèbres, et fini aussil’éternel printemps. Au lieu de cela s’annonce un« monde » commode à tout point de vue, ajusté sansmédiation aux usages humains et réduit de force à cesseuls usages : un monde sans arrière-fond, sans possibi-lités secrètes, pas même orienté vers un mieux, visantsa seule perpétuation.

On voudrait que cela suffise, que cela fonctionne, segouverne seul comme la nature, mais les âmes résistent,prétendent être mortelles encore, c’est-à-dire pasmortes, soit qu’elles forment des îlots de désir, deparole, tentent de faire monde dans leur coin, réinsè-rent du potentiel et du devenir dans le monde aplati,

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soit que tout simplement elles soient tristes, déprimées,dévastées, en dépit d’apparences convenables et d’unenormalité à toute épreuve : la violence du réel estinsoutenable, pour qui doit la soutenir seul. Car aprèstout ce sont des hommes qu’on a coincés dans la plaine,des mortels qu’on voudrait faire vivre « immortelle-ment », comme des êtres statistiques menant des vies sta-tistiques, immédiatement ajustés au fonctionnement

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social, vecteurs actifs de leur être-quelconque. La mor-talité, la vulnérabilité, la faiblesse, c’est-à-dire le réel del’existence en tant qu’humaine, sont des secrets hon-teux. Non qu’elles comptent pour rien pour la statis-tique ; mais les malaises individuels ne sont que des cas,marge irréductible et négligeable d’« inemployabilité »,de maladie, d’inadaptation, d’« incivisme ».

Comme ce non-lieu interdit toute perspective com-mune, qu’elle condamne chacun à trouver en lui seull’avenir et le sens qui collectivement font défaut, et quepar suite chacun a seul en charge son humanité, il estpresque impossible de se figurer sous quelle forme col-lective le monde présent pourrait quitter la plaine. Celan’interdit pourtant pas de penser l’urgence de la quit-ter, aussi glacial soit éventuellement le diagnostic. Onne sait jamais, après tout, comment les événements his-toriques se produisent ; ils dépassent la plupart dutemps les intentions de ceux qui agissent, et sont, quantaux conditions de leur survenue, totalement impré-visibles. Loin d’interdire les descriptions désobligeantesdu présent, l’impossibilité d’imaginer les formes poli-tiques et culturelles à venir plaide en faveur de l’origi-nalité absolue de ces formes autant que de leur

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nécessité. Et il ne peut s’agir d’opposer un « modèle »social, économique, culturel, politique, qui se donne enalternative, et réitère le terrorisme des utopies dont ilserait bon que l’on sorte, mais de se rendre capables desaisir l’occasion historique dont notre époque est, dansson mutisme même, l’annonce bruyante, occasion defaire monde à nouveau et sous des formes inouïes.Qu’elle s’avoue sans « solution » n’ôte donc rien à la

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PRÉAMBULE

légitimité de la pensée critique, dont le rôle, durant lavacance du réel, du réel en souffrance, du réel réfugiédans les ténèbres du cœur humain, est d’en assurer enquelque façon la garde.

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Le dieu captif

« Comment avons-nous pu viderla mer ? »

Nietzsche, Le Gai Savoir, §125.

« Et il n’y aura plus de mer ».Apocalypse, 21, 1.

Les cultures du passé semblent aujourd’hui dessystèmes de réponses fantasques et exotiques à desquestions qui ne se posent plus, et qui nous sontdevenues incompréhensibles. Le monde auquel ellesavaient affaire, et qui les rendait nécessaires, plein dedivinités, de replis inquiétants, d’épais mystères,n’existe plus. Il n’y a plus ni crainte ni tremblement :l’être est apaisé, le positivisme triomphe. Le silence du

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réel a cessé d’être équivoque : idiot, sans double-fond, sans « arrière-monde », réduit à ce qu’il est. Leshommes peuvent désormais, pour user d’une formuleà contre-emploi, se consacrer entièrement à leursaffaires profanes : le monde ne fait plus question, sonfait mystérieux ne les concerne plus. L’heure est à sonaménagement, à sa rationalisation pour l’usage deshommes.

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Étrange mutisme que celui du réel « mondialisé » ;autrefois le mutisme de la matière intriguait, semblaitun commencement de parole, faisait énigme : d’êtreainsi et pas autrement donnait aux choses un air louchequi regardait les hommes, leur imposait des conduites,des pratiques, des rituels. Leur être-tel inquiétait,autant que la gratuité du destin. Toute la savante com-plexité des édifices religieux était nécessaire pour ver-rouiller par le haut le panthéisme démoniaque et lacacophonie sans parole du multiple. Mais maintenantque le verrou divin a sauté, que le mot de l’énigmen’est plus qu’un mot, faute d’énigme, la bizarrerie duréel nous est devenue indifférente. La domination tech-nique paraît démystifier à l’avance ce qui reste de mys-tère (ce qui n’est pas dominé le sera un jour), etl’objectivation de l’existence humaine annule la singu-larité des destins. Tant que le monde restait impossibleà totaliser, à « mondialiser », qu’il était pénétré d’ailleurset d’au-delà, la dimension symbolique (conduites,mythes et rites) était nécessaire aux hommes qui l’habi-taient. Maintenant qu’il se donne aux hommes commed’ores et déjà parcouru en tout sens, connu dans saglobalité, toute transcendance l’a déserté. Plus rien qui

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se tienne au-dessus de la matière muette, rien que leshommes ne puissent techniquement dominer. Ce quiveut dire aussi que l’homme n’a plus d’autre. La seulealtérité qui demeure est celle, relative, facile à maîtriser,de la matière, mais le monde lui-même a cessé des’opposer à l’homme.

Cette platitude du réel à l’ère de la « mondialisa-tion » est pourtant à elle seule une énigme. Comment

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LE DIEU CAPTIF

le panthéisme a-t-il pu se dissoudre sans reste dansl’athéisme ? Cette question si urgente à laquelle les civi-lisations du passé apportaient sinon des réponses, dumoins des formulations, s’est-elle tout bonnement tue ?Pourquoi l’absence de Dieu ne rend-elle pas vertigi-neuse notre expérience du monde, désormais flottantau milieu du « mauvais infini » de l’univers indifférent ?Quoi donc oblitère le vertige ? Quoi donc empêchel’absurdum du réel – qui rend un son sourd, littérale-ment : qui ne répond pas, notamment à la question dusens – d’être vécu comme tel ? Quoi donc sature l’êtrecomme problème, sinon peut-être la survie de Dieu,dans l’anonymat de son immanence ? Ou encore :comment un tel verrouillage ontologique serait-il pos-sible sans Dieu, ou du moins sans ce dont Dieu étaitle nom ?

Récapitulation fonctionnelle

Le « formidable événement » de la modernité, ainsique le proclamait Nietzsche, fut la disparition de Dieu :le verrou qui tenait en respect la vertigineuse contin-

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gence de toute chose a sauté. Et cependant, commedans le célèbre aphorisme 125 du Gai Savoir, « lesouffle du vide » ne se fait guère sentir. L’absence deDieu semble tenue captive, empêchée d’apparaître ; soitqu’abandonnée par la philosophie la question de l’absolusoit forclose comme question par la croyance religieuse ;soit que le monde, dans son fait surprenant, soitdémembré, récapitulé et redistribué en fonctionnalités

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humaines ; soit qu’enfin le « ne-pas-tourner-rond » res-tant, qui est proprement le réel dans son anarchie, dansson fait injustifié et sans fond, surgisse enfin, reste irré-solu de la question de Dieu et de la question dumonde, comme obsédante question du moi posée àl’analyste 1. Ainsi les trois questions que Kant congé-diait de la philosophie, la question de Dieu, celle dumonde et celle du moi, ces questions naturellement nese sont pas tues : mais c’est la médecine, celle du corpsou celle de l’esprit, qui prétend aujourd’hui prendre encharge leur importune insistance. Au lieu d’être collec-tivement vécu au travers d’une culture qui lui prête unesyntaxe et lui imprime le caractère signifiant de l’expé-rience partagée, le son sourd de l’absurde, du non-sensdu réel, ne retentit plus aujourd’hui aux oreilles des« sujets » éparpillés que comme déficience par rapportà la norme, maladie du je incapable de surmonter levertigineux quelconque de son existence. Le vertige est« hors-sujet », et la question de la santé s’est substituéeapparemment sans reste à celle du salut. Sa bizarrerieinquiète davantage le sujet que celle du monde, et lesilence de sa messagerie l’effraie plus que celui desespaces infinis. Le statut contemporain de la mortalité

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témoigne de cette évolution : la communauté ne four-nit plus, par le biais de représentations, de rites et demythes, de compensation symbolique à la mortalitéindividuelle, la mort est socialement envisagée comme

1. Jacques Lacan : « Ce qui marche, c’est le monde. Le réel,c’est ce qui ne marche pas. Le monde va, il tourne rond, c’est safonction de monde » (LeTriomphe de la religion, Seuil, 2005).

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problème posé à la technique médicale, et non auxindividus qui y sont exposés. Cette mort n’est pas laleur ; et pourtant il faut qu’ils meurent. Cette mort estsans compensation symbolique, parfaitement vide desens. Et réduit à lui-même, exposé sans recours à cettemort socialement présentée comme n’existant pas, etqui continue pourtant, comme mort individuelle, à lesolliciter, à l’interpeller dans son irrémédiable unicité,l’individu ne peut se hisser au niveau de cet appel oude cette interpellation : il ne peut trouver en lui seulles ressources d’un sens qui ne peut être que partagé.

D’un côté la destitution de la transcendance, grâce àlaquelle une technicité totale et un assujettissementsans reste de la matière sont possibles, aurait dû faireéclater l’absurdité du réel et la gratuité de l’existence ;mais curieusement, d’un autre côté, les hommes parais-sent indifférents à cette absurdité. Au lieu que la gra-tuité du monde lui donne des airs inquiétants, elleparaît autoriser au contraire une appropriation sansreste, et une reconstruction du monde dans le sensexclusif de l’usage des hommes. On veut bien croirequ’il y ait plus dans la modernité que la sécularisationdes catégories chrétiennes ; et cependant, si le lien reli-

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gieux s’est apparemment dissous en une multitude decroyances individuelles qui, faute d’un tel lien, assujet-tissent la « question de Dieu » à une décision subjectivesans enjeu, ce dont Dieu était le nom paraît pourtantsurvivre, dans le monde récapitulé de la mondialité, dumoins dans la mesure même où ce monde est désor-mais intégralement et sans reste pour l’homme. Ce pour-l’homme n’est plus le « semblant » qu’est la culture,

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ce « comme-si-le-monde-était-fait-pour-l’homme » qu’esttoute culture, il n’admet plus la médiation de laculture : il est immédiatement pour l’homme. La cultureétait le geste par lequel l’homme rendait le réel propreà son habitation. Cette appropriation du réel àl’homme était avant tout symbolique, même quand ellesollicitait des procédures techniques : ce qui se donnaitpour rien, par exemple le vent, soufflant pour rien denulle part vers nulle part, était « rédimé » par l’inven-tion de la voile, grâce à laquelle le vent semblait désor-mais souffler pour pousser le navire. Mais si, comme ledit Hannah Arendt, on réduit tout à fait le vent « auxbesoins humains de fraîcheur ou de chaleur », « le venten tant que chose objectivement donnée aura été éli-miné de l’expérience humaine » 1. Les usages humains,devenus d’ailleurs, étant donné l’obsolescence program-mée des biens d’usage, des consommations destruc-trices de ce dont il y a usage, s’affirment comme laraison finale des choses du monde, ainsi assignées àdemeure dans un ensemble ordonné de fonctions.Cette « fonctionnalisation » générale des choses dumonde est peut-être inséparable du point de vue sur-plombant, englobant que le monde humain a désor-

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mais sur lui-même, et le fait que la mondialisation sedonne le monde comme d’ores et déjà expérimenté soustoutes ses dimensions possibles, et sans pli ni virtualitéobscure. La mondialisation du monde est l’effectuationà même le réel d’un savoir issu de la technique, celui

1. Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, Pocket,2002, p. 213.

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Table

Préambule ........................................................... 9

1. Le dieu captif ................................................. 152. L’expérience du monde .................................. 413. Le protocole du sens ....................................... 814. La maison de fous .......................................... 1155. Apocalypse now ............................................. 163

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N° d’édition : L.01EHBN000377.N001Dépôt légal : octobre 2012