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La parole des vieux

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Dans la collection

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Dominique ARGOUD Bernadette PUIJALON

La parole des vieux Enjeux, analyse, pratiques

Préface de Francis CHARHON

DUNOD

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Du même auteur

Dominique Argoud, Politique de la vieillesse et décentralisation, Paris, Érès, 1998. Dominique Argoud, Marie-Jo Guisset, Alain Villez, L'Accueil temporaire des personnes âgées, Paris, Syros, 1994.

Bernadette Veysset-Puijalon, Dépendance et vieillisement, Paris, l'Harmattan, 1989. Bernadette Veysset-Puijalon (sous la dir. de), « Être vieux. De la négation à l'échange », Autrement, n° 224,1991.

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REMERCIEMENTS

Cette étude sur la parole des vieux a nécessité deux années de travail. Elle a mobilisé de nombreuses personnes qui ont été sollicitées à un titre ou à un autre pour apporter leur pièce à l'édifice.

Un tel objet de recherche s'est avéré une aventure passionnante qui, espé- rons-le, débouchera sur de nombreux autres travaux. Néanmoins, le chantier était de taille et il a fallu défricher un terrain encore vierge pour tenter d'élaborer ce document qui revêt une dimension exploratoire. C'est pourquoi il était inconcevable de réaliser cette étude sans s'attacher diverses collaborations susceptibles de contribuer à cette réflexion collective sur la parole des vieux.

En particulier, ont collaboré à l'étude et au recueil de paroles les institu- tions suivantes : - la Mapad Les Roches d'Orgères à Fleurey-sur-Ouche ; - la Mapad La Folatière à Bourgoin-Jallieu ; - l'Association de gérontologie du XI arrondissement de Paris ; - l'Association de soins à domicile à Cachan ; - l'Association rhodanienne pour le développement de l'action sociale du

II arrondissement de Lyon ; - le service d'évaluation de l'autonomie mis en place par le centre hospitalier

de Saint-Nazaire ; - l'association Liberté du résidant en institution Centre-Est ; - le conseil des anciens à Saint-André-les-Vergers ; - la revue Entourage ; - l'organisme de formation et de conseil Irfa-Est à Mulhouse.

Par ailleurs, plusieurs personnes ont fourni un travail plus spécifique de recueil de paroles ou de réflexion : - Claude DEBRET, directeur, Mapad Saint-Vincent-de-Paul à Troyes ; - Valérie LUQUET, chargée d'étude, Cleirppa; - Virginie ROBIN, étudiante, École de la Croix-Rouge à Lyon ; - Jacqueline SCHWARTZ, secrétaire de l'Association du Conservatoire des

journaux francophones d'établissement; - Mado THIVEAUD, psychomotricienne, maison de retraite de Cahors.

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Préface

D epuis sa création, la Fondation de France s'est attachée à promouvoir de meilleures conditions de vie pour les personnes

âgées, qu'elles vivent à leur domicile ou en institution. Au-delà de l'histoire personnelle de chaque individu, lorsque son

état physique ou psychique requiert aide et soins, le rôle et l'attitude des intervenants sont déterminants pour permettre un « mieux vivre ». Ainsi, dans tout le champ de l'action sociale, il est actuellement demandé aux professionnels de prendre en compte la parole des personnes aidées. Il en est de même dans le domaine gérontologique où les promoteurs ont de plus en plus tendance à légitimer leurs projets en affirmant que les vieux sont au centre de dispositifs conçus pour eux. Mais de telles affirmations de principe reposent-elles sur une réalité et sur des pratiques, ou ne s'agit-il que d'un subterfuge destiné à séduire d'éventuels financeurs ou décideurs en empruntant un discours convenu ?

Quoi qu'il en soit, au-delà d'affirmations généreuses et d'effets de mode, la prise en compte de la parole pose un certain nombre de ques- tions, il suffit de parcourir les divers travaux gérontologiques pour se rendre compte qu'on parle plus souvent des personnes âgées qu'elles ne parlent d'elles-mêmes. La plupart des ouvrages et des revues géron- tologiques sont rédigés par des experts qui appliquent sur leur « objet d'étude » une grille de lecture en usage dans leur discipline (psycho- logie, économie, médecine, sociologie...). La parole des personnes âgées est alors souvent canalisée et codifiée au travers d'entretiens, de questionnaires et de grilles.

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En fait, l'utilisation codifiée de la parole relève plus largement d'une approche scientifique de la vieillesse. Il s'agit, par l'observation et l'expérimentation, d'établir des lois qui vont permettre de décrire le vieillissement à travers des régularités et des séries. L'influence du modèle biologique sur la connaissance scientifique tend à construire un savoir en extériorité sur la vieillesse.

C'est pourquoi la Fondation de France a demandé à Bernadette Puijalon et à Dominique Argoud d'examiner comment s'exprime la parole des vieux dans la vie quotidienne, comment les intervenants l'écoutent et la prennent en compte. Le postulat des auteurs est que la vieillesse demande à être comprise autant qu'expliquée. Si la vieillesse est le lot de chacun, elle ne peut se dire qu'à la première personne et elle s'observe dans le mouvement d'une histoire individuelle et toujours singulière.

Pour des professionnels désirant faire évoluer leurs pratiques, « entendre » la parole des vieux est alors un défi de première impor- tance. C'est même ce qui devrait constituer la base de tout programme de formation pour toute personne évoluant dans le champ social et médico-social. Car l'ouvrage révèle que, derrière l'apparente banalité des paroles échangées quotidiennement, se cachent d'importants enjeux qui déterminent la façon dont est conçu le travail en géronto- logie. En ce sens, ce livre aurait pu s'appeler « De la parole au regard ». En fonction de ce qui sera entendu par le professionnel, le regard porté sur le vieux ne sera pas le même...

Francis CHARHON directeur général de la Fondation de France

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Introduction

« On a tort de vouloir faire de la vieillesse un objet. De garder l'empirique pour oublier la transcendance. L'idée inadéquate, c'est de

croire qu 'on peut la connaître. On la comprend en même temps que la mort, l'amour, les joies de l'esprit, l'utilité de la douleur, la vocation, la vie. Ou on ne la comprend pas, on la fuit, on la nie, on la manque. » (Michel Philibert)

Beaucoup de projets en gérontologie fondent leur légitimité en mettant en place un dispositif centré sur la personne âgée. Cette volonté de réarticuler les pratiques professionnelles autour des personnes aidées est un principe qui a progressivement été affiché dans tous les domaines de l'action sociale. La notion de « projet de vie » est sans doute celle qui traduit le mieux cette tendance à reconnaître la primauté de l'individu sur le fonctionnement institutionnel.

Placer les personnes âgées au centre des préoccupations et des prati- ques revient à prendre en compte leurs désirs, leurs besoins, leurs attentes, pour pouvoir, dans un second temps, adapter le cadre et les conditions de vie qui leur sont proposés. Dans un tel schéma, les indi- vidus ne sont plus de simples objets aux mains de professionnels ; ils se voient reconnaître une existence en tant que sujets. En ce sens, la démarche est radicalement nouvelle. Certes, la volonté d'améliorer le

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cadre et les conditions de vie des personnes âgées est manifeste depuis la parution du rapport Laroque en 1962. Néanmoins, beaucoup de projets ont simplement visé à rendre plus agréables les conditions matérielles d'accueil de cette population, sans remettre en question les finalités de l'action gérontologique et la place reconnue aux individus.

La parole constitue alors un vecteur important pour mieux appré- hender les désirs et les besoins des personnes âgées. Le mot « parole » peut prêter à confusion car il laisserait à penser que ceux qui ne dispo- sent plus du pouvoir de parler - sous-entendu ceux qui s'expriment difficilement ou qui ont une parole jugée insensée - ne sont plus en mesure de s'intégrer dans un tel schéma centré sur leur personne. C'est pourquoi nous prendrons en compte la parole au sens large, incluant la dimension non verbale du langage.

Le thème de la prise en compte de la parole suscite un intérêt incon- testable qui dépasse très largement les limites de la gérontologie. Aujourd'hui, il est demandé aux parents de prendre en compte la parole de l'enfant, aux professeurs de prendre en compte la parole des élèves, aux éducateurs de prendre en compte la parole des jeunes en difficulté, aux services publics de prendre en compte la parole des usagers... L'émergence d'une telle préoccupation dans différents secteurs de l'action sociale n'est certainement pas due au hasard. Elle correspond à une remise en cause des pratiques professionnelles et institutionnelles basées sur un mode de « prise en charge », qui a induit une profonde inégalité dans la relation entre l'aidant et l'aidé. Au contraire, le succès d'un terme comme celui de l'« accompagnement », là encore bien au- delà du champ gérontologique, démontre une volonté chez un certain nombre d'acteurs sociaux d'insuffler de nouveaux modèles d'action fondés sur une plus grande réciprocité entre l'aidant et l'aidé.

Par ailleurs, en cette fin de XX siècle, il est fréquent de s'interroger sur « la crise du sens » qui secoue, à des degrés divers, les institutions (École, Église, Famille...). Beaucoup de professionnels s'interrogent sur le sens à donner à leur action, c'est-à-dire sur les significations subjectives liées à leur activité. Jusqu'alors, le sens allait de soi car il s'imposait avec évidence de l'extérieur par l'intermédiaire d'institu- tions exerçant de fortes régulations de contrôle. Désormais, il en va différemment ; les individus aspirent à être reconnus, chacun, comme des personnes uniques et singulières. Par conséquent, le sens devient de plus en plus une construction subjective et originale, qui dépend du vécu et des motivations propres à l'individu. Mais de telles interroga- tions sur le sens sont étroitement liées au sens que donne le vieux à son vieillissement, à sa vie. La parole peut alors constituer un support pour

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mieux appréhender la signification intime que chaque individu donne à entendre. Cependant, en sens inverse, la parole peut aussi être inhibée et le contexte peut ne pas favoriser une construction du sens.

Affirmer la primauté de la parole peut également susciter des objec- tions. • La parole est contradictoire : la personne qui exprime son désir dessine un paysage bien différent du discours rationalisé et hiérarchisé d'un planificateur. Besoins et désirs émergent en fonction d'un ordre qui fait très « désordre » car la clef n'appartient qu'au sujet. • La parole se situe dans le registre de l'affect : un observateur extérieur, distancié, connaissant l'ensemble du dispositif est mieux à même d'appré- cier une situation que l'individu submergé par ses affects. Une telle objec- tion a déjà été soulevée dans Le Roi Lear auquel une de ses filles déclare :

« Oh Monsieur, vous êtes vieux. La nature en arrive chez vous à ses ultimes confins. Vous devriez être gouverné et conduit par une sage tutelle qui discerne votre état mieux que vous ne le pouvez vous-même. »

• La parole n 'a pas de réelle utilité : beaucoup de ce qui se dit est banal, sans importance. La parole n'est pas ce qui, dans la vie quotidienne, permettra d'éviter ce qui peut avoir de graves conséquences aux âges élevés, comme par exemple la fracture du col du fémur. • La parole suppose une écoute individuelle : or, en établissement, si l'écoute individualisée est possible, les personnels travaillent et agissent au quotidien dans une entité collective. Comment passe-t-on du niveau individuel au grand nombre ?

S'il est devenu commun d'affirmer la nécessité de prendre en compte la parole des personnes âgées, il n'est pas aisé de mettre en pratique ce principe sur le terrain. Il en résulte un écart, souvent dénoncé par les professionnels eux-mêmes, entre les principes affichés et la réalité. En effet, de nombreux obstacles s'opposent très concrète- ment à la mise en pratique d'un tel principe. - Comment faire avec les personnes qui ne parlent plus ou dont les

propos sont incohérents ? - Pourquoi et comment susciter la parole chez des générations qui

n'ont pas été habituées à s'exprimer librement? - Quelle parole prendre en compte ? - Ne faut-il pas poser des limites à cette prise en compte de la parole ? - Quels lieux ou modes de fonctionnement peuvent favoriser la prise

de parole ?

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Répondre à de telles questions et objections suppose, pour l'obser- vateur, de mieux appréhender, d'une part, les différentes facettes de la parole, et d'autre part, les conditions de sa « production ». Or cette démarche n'est pas aussi aisée qu'il y paraît au premier abord. Il est d'ailleurs significatif que, tout au long de cette étude, nous ayons rencontré des professionnels qui avaient effectué un travail de retrans- cription de paroles. Ce travail a souvent été réalisé sans aucune pers- pective pratique, mais simplement parce que, à un moment donné, un professionnel avait spontanément ressenti l'importance de consigner des paroles qui ne l'avaient pas laissé indifférent.

En réalité, les outils habituels utilisés par le sociologue pour appré- hender une situation - à savoir, essentiellement, le questionnaire et l'entretien - se sont vite avérés inadaptés à l'objectif de l'étude. Si la parole constitue un matériau privilégié pour mieux comprendre le vieillissement, le choix d'une méthode dépend des hypothèses sous- jacentes à la recherche car il conditionne la façon dont l'objet d'étude sera appréhendé et la parole utilisée. Or cette étude sur la parole répond à une volonté de la Fondation de France de favoriser - à travers les projets qu'elle finance - une évolution des pratiques des professionnels. Dans ce cadre, on peut faire l'hypothèse que la prise en compte de la parole des vieux constitue un puissant levier pour impulser de tels changements.

Jusqu'à présent, les divers travaux gérontologiques accordent rare- ment une importance à la parole des vieux, alors que paradoxalement il est souvent affirmé qu'une place centrale doit leur être reconnue. Il suffit pour s'en convaincre de se rendre dans un centre de documenta- tion et de constater que la plupart des ouvrages ou revues consacrés au domaine de la vieillesse sont rédigés par des experts. Ceux-ci appli- quent sur leur objet d'étude une grille de lecture en usage dans leur discipline (psychologie, économie, sociologie, médecine...). Cela ne signifie pas que la parole ne constitue pas un support pour ces études. Mais il s'agit moins d'une parole « brute », telle qu'elle est exprimée par la personne âgée, que d'une parole canalisée et codifiée à travers des entretiens, des questionnaires ou des grilles. À l'extrême, le succès actuel des grilles de dépendance témoigne de « l'inutilité » de prendre en compte la parole puisque ce qui importe n'est pas ce que la personne âgée dit pouvoir faire, mais ce qu'elle fait réellement et qui peut être observé par un œil expert et objectif.

En fait, l'utilisation codifiée de la parole relève plus largement d'une approche scientifique de la vieillesse. Il s'agit, par l'observation

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et l'expérimentation, d'établir des lois grâce une conceptualisation rigoureuse. Dans cette optique, le vieillissement est décrit comme la série des modifications qui affectent de manière cumulative, séquen- tielle et irréversible l'ensemble des individus d'une même espèce, dans leur organisme, leur physiologie ou leur comportement. Par opposition, les changements qui résultent d'initiatives individuelles, de traditions, de modes ou de circonstances particulières, surviennent dans le désordre et affectent différemment la vie de certains individus ou de certains sous-groupes. Mais l'approche scientifique ne prend en compte que les régularités et les séries.

Si cette approche scientifique est encore prédominante, c'est parce que le vieillissement est d'abord étudié sous un angle biologique. Or, si nécessaire que soit la connaissance biologique de l'homme en l'inscri- vant dans la lignée animale et en pointant son inscription dans un milieu, elle ne saurait proposer une théorie adéquate pour saisir l'ensemble des phénomènes inclus dans le vieillissement. Pourtant, comme cela s'est passé pour l'étude d'autres phénomènes humains, l'ensemble des disciplines qui se sont intéressées à cette période de la vie ont cherché à reproduire ce modèle biologique oubliant que les phénomènes sont toujours donnés dans le devenir du monde historique et que celui-ci n'offre ni répétition spontanée, ni possibilité d'isoler des variables en laboratoire. Mais alors que les sciences humaines, en approfondissant leurs différences par rapport aux sciences de la nature, ont peu à peu forgé leurs instruments spécifiques d'intelligibilité (typo- logies, périodisations, modèles...), le vieillissement, parce qu'il relève de l'ensemble de ces registres, n'a pas encore échappé à cette domina- tion du modèle biologique. Parler du vieillissement en terme de généra- lités à travers une approche rationnelle, en passant d'une discipline à l'autre (de la biologie à la sociologie, puis à la médecine ou l'histoire), c'est suivre une approche rassurante, séduisante, mais simplificatrice.

La vieillesse demande à être comprise tout autant qu'expliquée. Elle est

« une histoire, une géographie, une terre, un continent : elle a ses odeurs, sa couleur, sa matière, son aire, son espace. Il faut pour la comprendre se faire son historien, son géographe, et le patient carto- graphe de ses terres. »

(Sallenave, 1987, p. 3)

Il est faux de croire qu'on peut la connaître. Comme pour l'amour ou la mort, on reste à la porte du mystère : il y a une part des phénomènes que l'on peut comprendre rationnellement, mais toujours une autre part échappe. On peut pointer les modifications qu'elle entraîne, lister les

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transformations, mais elle ne rentre dans aucun raisonnement et ne se laisse pas définir. Car alors, il faudrait la figer et ignorer qu'elle est le produit d'une histoire, qu'elle est mouvement. Relevant du registre du temps et non de l'espace, elle est inassignable, littéralement insaisis- sable. La vieillesse se vit, se voit, s'éprouve, elle est du registre de l'expérience, non du raisonnement.

La multiplicité des vécus vient contredire l'impression banale que rien ne ressemble plus à un vieux qu'un autre vieux. Si la vieillesse est le lot de chacun, elle ne peut se dire qu'à la première personne et elle s'observe dans le mouvement d'une histoire individuelle. Parler de la vieillesse, c'est entrer dans la vie d'un sujet concret. Une longue histoire de vie est productrice des plus extrêmes singularités et spécifi- cités. Approcher le vieillissement à travers la parole des vieux, c'est se confronter à des discours fragmentés, contradictoires, mais le kaléidos- cope ainsi créé brosse un paysage qui permet d'être au plus près, au plus vrai. Dans cette perspective, la vieillesse n'est pas le problème des vieux - qui se taisent ou qui n'écoutent pas -, mais celui des non-vieux qui disent leur crainte, leur appréhension, leur pessimisme. On peut appliquer à la vieillesse la recommandation de Pierre Bourdieu concer- nant l'étude des lieux difficiles comme le grand ensemble ou l'école. On peut reconnaître qu'elle est difficile à écrire et à penser. Alors,

« il faut substituer aux images simplistes, et unilatérales, une représen- tation complexe et multiple, fondée sur l'expression des mêmes réalités dans des discours différents, parfois inconciliables ; et à la manière de romanciers tels que Faulkner, Joyce ou Virginia Woolf, abandonner le point de vue unique, central, dominant, bref quasi divin, auquel se situe volontiers l'observateur, et aussi son lecteur (aussi longtemps qu'il ne se sent pas concerné), au profit de la pluralité des points de vue coexis- tants et parfois directement concurrents. »

(Bourdieu, 1993, p. 9-10) Cela implique d'accepter l'incertitude et la part de mystère de toute vie. Aujourd'hui la leur, demain, la nôtre.

Partant de l'hypothèse que la reconnaissance de la multiplicité des vécus ne peut se limiter à une analyse scientifique, objectivante et exogène, qui est forcément réductrice, nous avons pris le parti de ne pas « expertiser » le vieillissement à travers la parole. Autrement dit, il ne s'agit pas de décortiquer et de catégoriser la parole des personnes âgées à travers nos propres grilles de lecture. Cette démarche reviendrait en effet à nier partiellement le sujet âgé et, surtout, à figer sa parole. C'est donc

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volontairement que nous remplacerons le terme très homogénéisant de « personnes âgées » par celui de « vieux ». Parler des vieux, c'est affirmer que les personnes considérées ont vécu une histoire qui leur est propre et qu'elles s'inscrivent dans une dialectique passé-présent-futur. Par conséquent, la parole ne peut être analysée sans prendre en compte cette dynamique et ce rapport au temps. Par opposition, qualifier un indi- vidu de « personne âgée », c'est déjà présupposer qu'il appartient à une catégorie partageant un sort commun lié à l'âge. Il résulte de cette appar- tenance un comportement statistiquement appréhendable et l'attribution explicite ou implicite d'une place et d'un rôle social dans la société.

Est-ce à dire qu'une approche qui reconnaît la parole comme une expression subjective de la personne exclut d'emblée toute analyse ? Si la réponse est affirmative, l'observateur doit alors se contenter d'une collecte de paroles, sans qu'il ne soit possible d'aboutir à une théorie explicative fondée sur un raisonnement causal. Cela revient à la situa- tion du professionnel qui note attentivement ce qu'il entend autour de lui sans connaître a priori la finalité d'un tel travail. Sinon, le risque est de trahir la singularité des vécus individuels en se plaçant en position d'expert, dont le point de vue serait central et dominant parce qu'exté- rieur à l'acteur impliqué.

En fait, il n'est pas certain que l'alternative méthodologique soit aussi nettement tranchée entre, d'un côté, une approche scientifique qui catégorise des individus objectivement observables, et de l'autre, une approche subjective qui décrit des singularités, sans être en mesure d'agir sur la réalité. Pour le démontrer, nous avons pris appui sur un corpus relativement large.

D'une part, l'âge n'a pas été un critère discriminant dans le cadre de cette étude. Il est vrai que le sentiment d'être vieux est quelque chose de très relatif, qui ne peut dépendre d'un seul critère chronologique. Par ailleurs, nous ne souhaitions pas exclure, pour reprendre la termi- nologie anglo-saxonne, les «jeunes vieux », et se focaliser uniquement sur les « vieux-vieux ». Même si beaucoup d'initiatives en géronto- logie visent le grand âge, il n'en reste pas moins que les « porte- parole » des vieux sont plutôt des retraités jeunes et valides.

D'autre part, nous ne nous sommes pas centrés sur un type de parole en particulier. Ainsi, ont été recueillies des paroles de vieux en établissement ou aidés par un service à domicile, mais également des paroles de vieux qui ne bénéficient pas forcément d'aides.

Enfin, la parole « écrite » a été intégrée dans notre corpus car, si elle n'est effectivement pas de même nature que la parole orale, elle apporte un autre éclairage sur le vieillissement et la vieillesse.

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Un des postulats de cette étude est qu'on ne peut saisir le vécu du vieillissement en l'enfermant dans des discours d'expert. Mais en réfu- tant l'utilisation d'une certaine démarche théorique, ce postulat amène un certain nombre d'interrogations. Si une analyse scientifique de la parole génère des réductions et des généralisations trompeuses de la réalité, quelle posture de recherche convient-il d'adopter ? Une démarche scientifique est-elle possible dès lors que l'on prend pour objet la parole entendue comme la mise en forme d'un vécu? Est-il possible, à partir d'une démarche compréhensive, de dépasser le constat d'une succession de discours singuliers, sans pour autant « trahir » la parole des personnes ?

Plusieurs ouvrages ont récemment tenté d'appréhender la réalité sociale à travers une sociologie compréhensive. Ainsi, par exemple, Didier Demazière et Claude Dubar, qui ont travaillé sur un corpus de récits d'insertion de jeunes sortis de l'école, ont identifié trois postures de recherche ; la troisième posture étant celle qui présente, de leur point de vue, le plus d'intérêt (Demazière et Dubar, 1997). • La posture illustrative. Dans ce cadre, la subjectivité des personnes concernées est niée. Dans le droit fil de la sociologie durkheimienne, il s'agit d'une démarche hypothético-déductive, c'est-à-dire

« consistant à tester des hypothèses sur les relations objectives entre un objet sociologique considéré comme effet ou résultat et des variables indépendantes considérées comme des indicateurs de causes sociales. »

(p. 18)

L'usage de la parole est alors illustratif dans le sens où il s'agit d'en faire un usage sélectif afin de démontrer la validité d'une probléma- tique et de ses hypothèses. Ainsi,

« la parole des individus enquêtés est analysée comme un réservoir d'opinions et d'anecdotes, et non comme la trace d'une production de sens, dans l'interaction d'enquête, des expériences vécues. »

(p. 19)

C'est pourquoi chaque parole peut être confrontée à une grille commune d'analyse, même si le recueil ne s'est pas effectué sous la forme de questionnaires. Ce travail, qu'il soit effectué a priori (ques- tions prédéterminées) ou a posteriori (analyse de contenu), permet de passer des catégories du langage ordinaire aux catégories conceptuelles en faisant

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« entrer des éléments du discours dans un cadre qui n'est pas celui de la personne concernée, en réinterprétant ses paroles comme l'aveu d'une détermination généralement inconsciente de ses comportements. »

(p. 23)

• La posture restitutive. À l'opposé de la posture précédente, celle-ci est subjectiviste. Le sujet individuel devient le véritable acteur du social dans le sens où il est producteur de ses comportements. Cette posture théorique, qui trouve son origine dans l'ethnométhodologie, se traduit par un hyper-empirisme.

« Ainsi, la parole des gens est considérée comme transparente, au point que rendre compte de cette parole devient le cœur même de la recherche sociologique. »

(p. 24)

Il s'agit alors de recueillir de façon la plus exhaustive possible toutes les traces d'interaction, y compris non verbales, ainsi que le contexte dans lequel ces paroles ont été exprimées. L'objectif n'est pas d'inter- préter ou d'expliquer ces paroles, mais de les restituer « telles quelles » pour

« comprendre en quoi ce qu'il a dit est naturel, possible, adapté, dès lors que l'on connaît le contexte. »

(p. 28)

• La posture analytique. Entre ces deux extrêmes, une troisième voie peut être identifiée si l'on n'admet pas le postulat précédent, à savoir la transparence de la parole. Il s'agit certes d'une approche compréhen- sive, partant de la parole ordinaire, mais à partir de laquelle le chercheur va tenter d'objectiver le sens.

« L'une des voies d'accès au sens subjectif - ni la seule, ni forcément la plus adéquate - est le recueil et le traitement compréhensif des paroles de sujets engagés dans le même type d'activités ou dans des activités historiques ou spatialement comparables. La question qui se pose alors est de savoir comment extraire de leurs paroles, récits ou témoignages, les bonnes raisons qui rendent compte du sens qu'ils attribuent subjec- tivement à leurs pratiques. »

(p. 36)

La méthode analytique suppose que la parole soit exprimée le plus librement possible (entretiens non directifs) pour que le sujet soit en mesure de structurer le sens de son mode social. Le chercheur pourra

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ainsi rechercher la structure de l'ordre catégoriel qui organise le récit pour, progressivement, dépasser le constat d'une hétérogénéité des paroles recueillies et identifier les schèmes communs et une théorisa- tion qui reste fondée sur une démarche inductive.

Ces trois postures théoriques ont évidemment toutes leur pertinence selon l'objet et la problématique de l'étude. En l'occurrence, s'agissant de la parole « orale », notre démarche est fortement inductive. Autre- ment dit, par réaction à une démarche objectiviste, nous avons pris le parti d'écouter les vieux, sans chercher à canaliser les paroles dans un cadre prédéterminé.

L'étude sur « la parole des vieux » vise autant à mieux connaître cette parole qu'à identifier les conditions favorisant sa prise en compte par le professionnel. Par conséquent, il y a, de notre part, une double posture : restitutive - recueillir des paroles brutes pour que les profes- sionnels soient en mesure de les entendre - et analytique - dépasser la singularité des paroles pour tenter d'appréhender le sens dont elles sont porteuses. Une telle approche globale peut être qualifiée d'inductive dans la mesure où il ne s'agit pas de vérifier une théorie préalable par la confrontation à des données empiriques. Il s'agit au contraire de s'appuyer sur des enquêtes de terrain pour valider progressivement la démarche de découverte théorique en cours de recherche (Glaser et Strauss, 1967).

Dans cette perspective, la parole écrite se prête à une démarche analytique car l'écrit constitue un support facilement identifiable et exploitable par le chercheur. Néanmoins, dans notre effort de mise en forme des paroles recueillies, nous n'avons pas procédé - ou tout au moins, le moins possible - à un découpage en fonction de catégories préétablies. Cette opération aurait consisté à faire entrer les paroles dans une problématique donnée qu'elles viendraient soutenir. Or nous avons délibérément rejeté la démarche illustrative car nous n'avions pas de thèse préalable sur ce que les paroles recueillies voulaient signi- fier. Celles-ci n'entrent pas dans une logique de validation ou d'invali- dation d'hypothèses.

C'est pourquoi le recueil de paroles n'a pas été effectué par des chercheurs sur la base d'entretiens non directifs. En effet, la réalisation d'entretiens « chercheur/interviewé » aurait inévitablement généré des effets pervers dans la mesure où le chercheur, qui est demandeur de l'interview, attire l'autre sur le terrain qu'il a choisi. Ainsi, des ques- tions du type : « Vous sentez-vous écouté par les personnels de la maison de retraite ? Par votre famille ? » introduisent une « déforma-

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tion » étant donné qu'il n'est pas certain que, du point de vue des vieux, la question de l'écoute se pose en ces termes.

À cet argument de fond s'ajoute un argument de forme : l'outil que constitue l'entretien n'aurait pas été d'un usage facile s'agissant de personnes dont l'usage de la parole est rendu plus difficile avec l'âge. À l'inverse, les personnels ont une connaissance plus approfondie, bien que nécessairement partielle, des personnes dont elles s'occupent. C'est pourquoi nous avons pris le parti de passer par leur intermédiaire pour effectuer un travail de recueil de paroles « ordinaires ».

D'autre part - et surtout -, une hypothèse de ce travail est que l'écoute de la parole n'est pas neutre. On suppose en effet qu'une situa- tion où le professionnel est mis expressément en situation d'entendre, et pas seulement d'écouter, la parole du vieux, n'est pas sans consé- quence sur sa pratique. Par conséquent, la parole des vieux n'apparaît qu'un moyen pour prendre en compte celle des professionnels. Un tel travail effectué à travers l'oreille des professionnels biaise sans aucun doute le recueil des paroles, et donc limite la portée d'une démarche inductive. Les biais se sont même avérés beaucoup plus importants que prévus car, comme nous le verrons plus loin, l'oreille des profession- nels s'est révélée très sélective, alors que la règle du jeu était fondée sur un recueil exhaustif de la parole « brute ». Mais, malgré ces biais, une telle démarche a considérablement enrichi l'étude en fournissant des clés de compréhension pour agir sur la réalité.

Nous avons défini notre objet d'étude de manière relativement large pour prendre en compte aussi bien la parole orale que la parole écrite. Cependant, ces paroles ne sont pas de même nature. Dans le cas de la parole écrite, quel qu'en soit le support, la parole fait l'objet d'un travail de mise en forme. Dans le cas de la parole orale, celle-ci est souvent plus spontanée et s'inscrit - dans le cadre de cette étude - dans des interactions.

Un objet d'étude aussi large constitue un matériau d'une grande richesse, mais qui n'est pas aisé à exploiter. Le principal risque consiste en effet à rendre plus intelligible ce matériau recueilli en l'analysant, le classant, le catégorisant. Nous retomberions alors dans une analyse purement exogène du vieux alors que nous avons formulé l'hypothèse selon laquelle la vieillesse ne demande pas à être expli- quée, mais à être comprise. Néanmoins, il est indéniable que les

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paroles n'ont pas toutes le même statut. En particulier, nous pouvons distinguer trois types de parole. • La parole en interaction. Quand il y a interaction, la parole du vieux est confrontée à une autre parole. Cela étant, la parole en interaction ne signifie pas nécessairement qu'il y ait communication. La nature de l'interaction sera guidée par les conditions dans lesquelles celle-ci se déroule (impact de la structure, de l'environnement...); on peut alors chercher à identifier les conditions qui favorisent la communication et l'échange. Cette parole correspond, dans le cadre de cette étude, à la parole prononcée par les vieux aidés par des professionnels, en établis- sement ou à domicile. Une telle parole est plus difficilement saisissable car elle est essentiellement orale. L'enjeu de la parole en interaction se situe clairement au niveau des pratiques des professionnels. Mais il pose également la question, à un niveau plus global, de la place du vieux dans les différents dispositifs gérontologiques. • La parole réflexive. La parole réflexive est tournée vers soi dans une dialectique passé/présent/futur, qui met plus ou moins l'accent sur chacun de ces temps. Cette parole est une remise en perspective de sa vie. Mais la fin de vie n'est pas l'unique moment où la parole réflexive est exprimée, même si, à ce moment-là, elle peut prendre une forme singulière qui est la relecture de vie. En fait, tout changement peut être l'occasion de ressentir le besoin d'exprimer une telle parole (passage à la retraite, décès du conjoint...). Les lieux où le vieux peut être amené à parler de lui, de sa vie, sont multiples : l'écriture constitue un support intéressant pour ce genre d'exercice (textes littéraires, journaux d'établissement...), mais il y a également des paroles orales. L'enjeu d'une prise en compte de la parole réflexive est la construction d'un savoir sur la vieillesse, non pas en extériorité, mais en intériorité. • La parole représentée. La parole représentée est une parole qui fait l'objet d'une mise en scène, c'est-à-dire d'un travail d'élaboration pour passer d'un niveau individuel à un niveau collectif. Autrement dit, le « nous » tend à se substituer au « je » ; ce faisant, ce mouvement tend à rapprocher le « nous » du « il » dans la mesure où il contribue à forger une représentation sociale du groupe qui devient sujet et objet de la parole. À la différence de la parole réflexive, ce type de parole est quan- tifiable parce qu'il vise à opérer des regroupements et des catégories parmi les individus. La parole représentée est caractéristique de la parole tenue par les organisations représentatives de retraités. Mais elle correspond également à la parole telle que la font ressortir les diverses enquêtes d'opinion. En ce sens, la parole représentée s'inscrit dans une logique de construction d'un savoir en extériorité sur la vieillesse. C'est

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pourquoi nous l'utiliserons dans le cadre de cette étude en contrepoint par rapport aux deux autres types de parole.

Une distinction doit être introduite entre le corpus écrit et le corpus oral. Dans le premier cas, l'observateur n'a pas d'emprise sur le contenu de la parole recueillie, si ce n'est par la sélection qu'il opère nécessairement entre de multiples matériaux pouvant être pris en considération. L'écrit présente la particularité de contraindre l'auteur à mettre en forme sa parole. Elle est alors un matériau beaucoup plus travaillé que ne l'est la forme orale. Elle présente une cohérence et une continuité que n'a pas nécessairement le langage parlé. En ce sens, elle constitue un matériau plus facilement repérable et susceptible d'être analysé de manière exogène.

En l'occurrence, nous avons choisi de travailler sur plusieurs types de supports écrits. Leur point commun est qu'il ne s'agit pas d'écrits sur les personnes âgées, mais de textes qui sont l'œuvre d'une ou plusieurs personnes ayant atteint un certain âge. Ainsi, ont été pris en compte : - une cinquantaine d'auteurs français contemporains qui ont écrit sur

leur vieillissement ou leur vieillesse. Il s'agit d'ouvrages d'auteurs âgés qui, s'ils ne centrent pas leur propos sur la vieillesse, font réfé- rence à leur expérience intime et à leur rapport au temps ;

- six revues d'organisations de retraités membres du Comité national des retraités et personnes âgées. Ces revues proviennent de trois types d'organisations : les associations de type « troisième âge » (Fédération nationale des associations de retraités, Fédération natio- nale des clubs des Aînés ruraux), les sections retraités des organisa- tions syndicales (Union confédérale des retraités CFDT, Union confédérale des retraités CGT-FO) et des associations à vocation mixte de revendications et de loisirs (Confédération nationale des retraités, Union nationale des retraités et personnes âgées). Les revues de ces organisations permettent de mieux appréhender la parole de ceux qui sont officiellement reconnus comme étant les porte-parole des retraités et personnes âgées ;

- les écrits du conseil des anciens de Saint-André-les-Vergers (Aube). Comme précédemment, les conseils de sages et d'anciens s'inscri- vent dans une logique de porte-parole. Néanmoins, la structuration de telles instances et leur implantation communale ou intercommunale

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sont différentes de celles des organisations traditionnelles de repré- sentation de retraités ;

- le courrier des lecteurs de la revue Entourage (revue appartenant au groupe Bayard Presse). Pour éviter la sélection opérée par le comité de rédaction en vue de publier au sein même de la revue quelques courriers des lecteurs, nous avons choisi de travailler sur l'ensemble du courrier reçu par le journal au cours d'une année, que celui-ci ait été publié ou non. Ces matériaux écrits présentent l'avantage d'offrir plusieurs

niveaux de discours, qui vont de la parole individuelle (l'écrivain qui écrit sur son vieillissement ou le lecteur d'une revue qui prend la plume) à la parole collective (revues d'organisations de retraités). Mais, dans les deux cas, on peut se demander quel est le vieux qui est mis en scène : s'agit-il de « moi » qui prend la plume ou s'agit-il d'un groupe dont je suis le porte-parole ? Autre question : ces paroles écrites sont-elles réellement singulières ou sont-elles plutôt proches de la représentation sociale dominante de la vieillesse ?

En tout état de cause, la parole écrite ne peut constituer qu'un maté- riau parmi d'autres. En effet, les gestionnaires et professionnels qui affichent la primauté de l'individu au sein du dispositif gérontologique s'appuient relativement peu sur les paroles écrites. L'oral occupe une part prédominante dans la mesure où l'écrit nécessite du temps, ainsi qu'une capacité et une aisance à manier la plume. C'est pourquoi plusieurs sites ont été choisis pour qu'un recueil de paroles (orales) puisse être réalisé. - Trois établissements : une Mapad Les Roches d'Orgères à Fleurey-

sur-Ouche (Côte-d'Or), une autre Mapad, La Folatière à Bourgoin- Jallieu (Isère), et un service de soins de longue durée (Côte-d'Or). Le choix de ces sites ne s'est pas fait en fonction de critères de représen- tativité (qu'il aurait été très difficile de définir a priori), mais en fonction d'opportunités. Réaliser un travail sur la parole des rési- dants n'est pas forcément facile à faire accepter par la direction et les personnels qui peuvent ressentir de multiples craintes à s'engager dans une telle voie (peur du regard extérieur, peur de la surcharge de travail...).

- Trois services d'aide à domicile : deux services de soins infirmiers à domicile (Association de gérontologie du XI arrondissement de

1. Maison d'accueil pour personnes âgées dépendantes.

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En gérontologie comme dans l'ensemble du champ social, l'ac- cent est mis désormais sur la prise en compte de la parole de la personne aidée. Cette ambition est généreuse mais sa mise en œuvre est difficile tant est grande la tentation d'institutionnaliser cette parole à travers des entretiens, des grilles et des question- naires pour aboutir à un savoir en extériorité sur la vieillesse. C'est donc volontairement que les auteurs ont remplacé le terme très catégoriel de «personne âgée» par celui de «vieux». La vieillesse demande à être comprise autant qu'expliquée et ne peut se dire qu'à la première personne, exprimant ainsi une histoire indivi- duelle et toujours singulière. Approcher le vieillissement à travers la parole des vieux c'est se placer au plus près de leur vécu et permettre une meilleure prise en compte de la personne par le professionnel. C'est l'objectif de ce livre qui offre à la fois une méthodologie de restitution des paroles et une typologie s'ap- puyant sur un corpus écrit et oral varié : textes d'auteurs âgés, revues d'organisation de retraités, courrier des lecteurs mais aussi recueil de paroles énoncées au sein d'établissements d'accueil ou dans le cadre de services à domicile. Entendre la parole des vieux devient alors un défi de première importance pour tous les professionnels du secteur gérontologique et du domaine social et médico-social désireux de faire évoluer leurs pratiques en plaçant les personnes aidées au centre du dispo- sitif d'accueil et de soins.

DOMINIQUE ARGOUD est sociologue. Il travaille au Centre de liaison, d'étude, d'information et de recherche sur les problèmes des personnes âgées (CLEIRPPA) et fait partie du Réseau de consultants en gérontologie.

BERNADETTE PUIJALON est anthropologue. Elle est maître de conférences à l'université Paris XII et responsable du diplôme de sciences humaines appliquées à la gérontologie; elle est également présidente du comité personnes âgées de la Fondation de France.

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