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www.copernic.paris Trimestriel • 2,50€ Septembre 2017 / Tichri 5778 un monde à réparer Israël de retour en Afrique Le Messager LE MAGAZINE DE L’UNION LIBÉRALE ISRAÉLITE DE FRANCE n° 201 LA NOUVELLE question religieuse LES combats de simone veil sont les nôtres

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Tr i m e s t r i e l • 2 , 5 0 €

Septembre 2017 / Tichri 5778

un monde à réparer

Israël de retour en Afrique

Le Messager

Le magazine de L’Union L ibéraLe israéL ite de France

n° 2

01

LA NOUVELLE

questionreligieuse

LES combats de simone veil sont les nôtres

Septembre 2017 - n° 201 / Le Messager 3 • המבשר

Chers amis,

Après avoir traité dans notre dernier numéro du Judaïsme de demain, l’environnement dans lequel nous évoluons nous fait aborder aujourd’hui un thème un peu connexe au précédent : la nouvelle question religieuse.

En effet, nous craignons tous la mainmise de la religion sur l’Etat dans certains pays ou certaines zones géographiques entraînant la terreur et le chaos jusqu’à chez nous, qu’il s’agisse de l’islamisme radical, des suprématistes blancs ou autres extrémistes.

Et nous sommes pourtant, heureusement, confiants, fiers et croyants dans les vertus de notre République et de l’ensemble des démocraties de par le monde.

Philippe Portier, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études, intervient sur ce thème en revenant sur la définition de la laïcité et sur la « nouvelle question religieuse » conduisant au retour de la question religieuse depuis les années 1970.

Jean-Marc Ferry, titulaire de la Chaire de philosophie de l’Europe à l’université de Nantes, analyse ce phénomène du retour des religions en le discriminant selon les pays ou continents.

Notre rabbin Jonas Jacquelin revient sur le concept de laïcité et son acceptation par les Juifs de France, ainsi que sur les racines chrétiennes de l’Europe.

Mais nous traitons également dans ce numéro d’Hamevasser bien d’autres sujets.

Notre rabbin Philippe Haddad nous présente son dernier livre « Disciples de Jésus », dans lequel il propose une lecture juive du « sermon sur la montagne ».

Isabelle Cohen a retraduit et commenté le « livre de Job » en insistant sur la notion de « souffrance imméritée », en particulier du peuple juif.

Nous ne pouvions pas ne pas rendre encore un hommage à Simone Veil, membre de notre communauté. C’est ce qu’a fait notre Président Jean-François Bensahel.

Ariane Bendavid nous relate son dernier voyage dans la vallée du Rhin, berceau du judaïsme ashkénaze.

Nous consacrons également dans ce numéro un article sur l’ONG « Zaka » dont vous voyez les hommes en gilet jaune sur les lieux d’attentats en Israël.

Bruno Finel nous parle de sa société « Africa-Israël Connect », qui organisera fin octobre un sommet entre Israël et le continent africain en présence de nombreux Présidents africains et de Benjamin Netanyahou.

Et comme d’habitude, nous vous rendons compte dans ce numéro de nos nombreuses activités cultuelles et culturelles.

Le Comité de rédaction d’Hamevasser et moi-même vous souhaitons Shana Tova. Que cette nouvelle année religieuse vous apporte tout le bonheur possible.

Bien amicalement

Richard Metzger,Administrateur et Directeur de la publication d’Hamevasser

Le Messager - Hamevasser est une publication de l‘Union Libérale Israélite de France - 24, rue Copernic - 75116 Paris - Tél. : 01 47 04 37 27 - Site internet : www.copernic.paris - Directeur de la publication : Richard Metzger - Comité éditorial : Jean-François Bensahel, Odette Chertok « z"l », Michael Bar-Zvi, Richard Metzger. Rédacteur en chef : Michaël Bar-Zvi - Photos : ULIF, Patrick Altar, Claire Delfino, DR, sauf mention contraire - Couverture : Thinckstock - Conception graphique : Muriel Bloch-Michel - Régie publicitaire : Pierre LEVY - Tél. : 07 85 74 44 32 - [email protected]. Impression : ETC Inn Avenue des Lions Sainte-Marie des champs - B.P. 198 76196 YVETOT Cedex - Tél. : 02 35 95 06 00 -

E-mail : [email protected] - ISSN 0221-346X.

BV/CdC/2108260Remerciements à nos partenaires : Israël Bonds, KKL, Lamartine, Les Salons Hoche.

Au sommaireLe mot du Président ……………………4 à 5

6 à 14

Construire Le judaïsme de demain

• La religion doit être un potentiel de raison Entretien avec Jean-Marc Ferry ………… 7 à 9

• Reconsidérer l’articulation du politique et du religieuxEntretien avec Philippe Portier ……… 10 à 13

• Accepter la République ne veut pas dire renoncer à ce que nous sommesRabbin Jonas Jacquelin ………………… 13 à 14

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A propos de « disciples de jésus » Rabbin Philippe Haddad

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un monde à réparerEntretien avec Isabelle Cohen

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les combats de Simone Veil sont les nôtresPar Jean-François Bensahel

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BLOC-NOTES La sélection d’Hamevasser

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les bonds, un atout stratégiqueEntretien avec Jonathan Touboul

24 à 26

les villes rhénanes et leurs grandes figuresPar Ariane Bendavid

27 à 29

ZAKA, les anges en gilets jaunesPar Michaël Bar-Zvi

30/31

israël est de retour en afriqueEntretien avec Bruno Finel

32 à 34

infos communautaires

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CARNET & AgENdA

ce numéro de Hamevasser a été réaLisé

avec Le soUtien de

DR

Édito

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Altar

Jean-François BensahelPrésident de l’ULIF

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Chers amis,

Le recul des vacances et leur temps suspendu, la lecture de la presse avec l’œil plus distant mais plus pénétrant aussi, le sentiment de la beauté du monde, l’accomplissement émerveillé des relations familiales, amicales, ou tout simplement humaines, le bonheur des rencontres nous donnent l’intuition de ce que l’humanité a de meilleur.

Mais, pourtant, le monde est en feu. Les violences, les guerres, le terrorisme, en l’espèce islamiste, la volonté de mort, la poursuite de la destruction de l’environnement, la désagrégation des liens sociaux partout, les prurits fascistes, à droite comme à gauche, en Europe, aux États-Unis, et ailleurs, islamo-fascisme ici, fascisme suprématiste blanc là, les menaces technologiques, qu’il s’agisse de la manipulation de l’ADN aux fins d’eugénisme, ou de la fabrication d’armes autonomes, véritables robots tueurs, jurent cruellement, odieusement avec le sentiment du bonheur que chacun de nous éprouvait encore durant ces mois d’été.

La question religieuse est redevenue centrale

pour le monde.

Donc nous ne pouvons nous résigner nonchalamment,

peureusement, ou cyniquement à cette hystérisation

de la violence. Nous, c’est à dire tout homme, toute

femme, digne de ce nom, quelles que soient ses

croyances ou ses incroyances, nous, c’est-à-dire aussi

toute homme, toute femme dotée d’une conscience

religieuse, nous, c’est à dire aussi, tout homme, toute

femme, juif.

Car il n’a échappé à personne que la religion est un

élément du drame humain. Sous une forme extrême,

elle a nom terrorisme islamiste qui exécute son ballet

funeste au nom d’un certain islam. Parfois, sous

une forme, hélas, plus banale, elle se vit dans des

organisations dont le but n’est pas d’accompagner

la vie spirituelle des individus, mais d’en prendre

le contrôle, non de développer la dignité humaine,

mais de briser le ressort de leur liberté, non de faire

grandir chacun, mais d’en tenir en laisse le plus

grand nombre.

Alors faut-il se résoudre à ce conflit entre des joies privées et des malheurs publics ? Mais nous avons appris que ce n’est pas possible parce que c’est une opinion non tenable, car non durable. Rappelons-nous ce que disait le pasteur Niemoller et qui doit nous servir de bréviaire quotidien, quand il dénonçait la lâcheté des intellectuels allemands devant la montée du nazisme :

« Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste.

Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate.

Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.

Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. »

Septembre 2017 - n° 201 / Le Messager 5 • המבשרDécembre 2016 - n° 198 / Le Messager 5 • המבשר

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Elle est bien problème pour le monde, alors qu’elle pourrait, qu’elle devrait faire partie de la solution. Elle devrait être une des réponses à la violence, au lieu de trop souvent la susciter. L’espérance qu’elle porte devrait être une alternative au nihilisme. Mais elle en est, trop souvent, la continuation par d’autres moyens.

Religion ne vient-il pas de 2 mots latins, qui l’un signifie relier, relier les hommes entre eux, et qui l’autre signifie relire. Et l’expérience la plus profonde montre que pour relier les hommes entre eux, les religions qui s’appuient sur des livres doivent les

relation éthique entre les hommes

- faire appel à la responsabilité

p e r s o n n e l l e d e l ' h o m m e ,

dans laquelle il se sent élu et

irremplaçable, pour réaliser une

société humaine où les hommes

se traitent en hommes. Cette

réalisation de la société juste est

ipso facto élévation de l'homme

à la société avec Dieu. » Ce qu'il

condense encore dans sa formule

lapidaire : « L'éthique est une

optique du divin. »

Mais n’est ce pas la définition de la

religion véritable, quelle qu’en soit

la forme ? Et la religion n’apparaît-

Alors que faire, puisque se retirer sur l’Aventin n’est pas la solution ? Faire prévaloir le triomphe des lumières sur l’obscurantisme, expliquer tout le temps qu’il y a une autre conception de la religion possible, amie de la raison, tremplin de la dignité humaine, fourrier de la fraternité universelle, totalement séparée du politique, l’expliquer aux pouvoirs publics, bien sûr, mais aux Juifs, si nombreux, et qui ne fréquentent jamais une synagogue, aux citoyens de notre quartier, de notre ville, de notre pays.

Que les Juifs célèbrent leur nouvel an en célébrant, envers et contre tout, la création de l’être humain,

Reconnaissons que, en France, la tradition politique, la culture publique, le consensus civil sont peu outillés pour la résoudre.

relire en permanence, les actualiser, les interpréter dans le sens de la paix et de la dignité, sinon c’est la mort et la violence. C’est en relisant, en méditant, en acceptant ce faisant le travail de la critique biblique, historique, universitaire, ce que Juifs et chrétiens ont depuis plusieurs siècles et parfois à leurs corps défendant, accepté, mouvement qu’il appartient aux musulmans de rejoindre pour une étude semblable du Coran, que l’autre acquiert considération et égale dignité, que l’humanité peut se rassembler autour d’un projet adamantin et sublime de fraternité universelle qu’Israël a révélé au monde.

Levinas l’a vigoureusement écrit en parlant du judaïsme : « Ramener le sens de toute expérience à la

elle pas alors comme l’un des sommets de l’esprit et du cœur humains ?

La ques t ion re l ig ieuse es t redevenue centrale pour le monde. Reconnaissons que, en France, la tradition politique, la culture publique, le consensus civil sont peu outillés pour la résoudre. Nous avons crû possible de cantonner la religion à l’intime. Or nous nous apercevons, islam oblige mais judaïsme également, et christianisme aussi, que ce n’est pas possible. Non l’intime, dans une société individualiste, où l’individu a tous les droits, l’intime n’est pas

de l’ordre du privé. Réveil terrible, en tout cas pour l’auteur de ces lignes. Mais il y a, me semble-t-il, nécessité de l’accepter comme un fait aussi brut que brutal.

parce qu’il peut devenir, sur le modèle d’Abraham, bénédiction, montre que tout n’est pas perdu, bien au contraire, en tout cas pour le judaïsme qui a, dans son fondement, le souci et le sens de l’autre, et qui peut être source d’inspiration : religion et espérance peuvent entretenir entre elles de solides correspondances.

A tous, je souhaite une année de paix, une année de santé, une année de vie heureuse, une année à l’abri des malheurs, une année de belles rencontres, une année de bénédiction, une année d’engagement pour le meilleur avenir possible de notre communauté, pour celui de notre pays, pour celui d’Israël et pour

celui du monde. ■

Shana tova oumetouka

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laïcité, le bien commun, l’intérêt général, ou la paix civile. La neutralité de l’Etat en matière de religion ne signifie pas le silence des religions. Elles ont des choses à dire sur les questions morales, sociétales et même économiques, et si elles acceptent les règles du jeu leur parole doit être écoutée et entendue. Certes depuis quelques années, la réapparition d’un islam encore habité par ses spectres de puissance planétaire a bouleversé la donne et modifié les enjeux. L’islam fondamentaliste essaie de précipiter une guerre de civilisations en exacerbant les ressentiments d’un monde arabo-musulman qui vit sa relation avec l’occident comme une humiliation permanente.

Il est temps pour les musulmans de bonne volonté de s’engager sur les pas des Catholiques, des Protestants et des Juifs pour accomplir de l’intérieur ce chemin vers le sens du bien commun dans le respect d’autrui.

Dans ce dossier la rédaction de Hamevasser a voulu s’interroger sur le tournant nouveau que prennent ces questions dans la société française. ■

Michaël Bar-Zvi

La nouvelle question religieuse

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On attribue souvent à Malraux une phrase qu’apparemment il n’aurait jamais prononcée « Le xxie siècle sera

religieux ou ne sera pas ». Précisément la formule est bien différente. En effet dans une interview donnée à un journal danois en 1955 Malraux dit : « Depuis cinquante ans la psychologie réintègre les démons dans l’homme. Tel est le bilan sérieux de la psychanalyse. Je pense que la tâche du prochain siècle, en face de la plus terrible menace qu’ait connu l’humanité, va être d’y réintroduire les dieux. » Or ce à quoi nous assistons n’est pas à un retour du religieux dans l’homme, à une élévation de l’âme par la spiritualité mais à une instrumentalisation de la religion par la politique, à un recours, à un pastiche, de la piété pour justifier les pires horreurs, et à une régression vers des pratiques archaïques. La nouvelle question religieuse n’est pas une réflexion sur la métaphysique, une appétence pour les études théologiques, mais un rejet du consensus social qui a établi la séparation entre l’Etat et le culte afin de permettre à chacun de vivre selon ses convictions. Le temps semble venu pour redessiner les contours de ce modus vivendi, et pour redéfinir les concepts qui lui servent de clés de voûte : la

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La religion doit être un potentiel de raison

■ Pensez-vous que nous assistons, comme l’avait prédit A. Malraux, à un retour du religieux ou de la religion depuis le début du siècle ? Ou bien est-ce plutôt un recours qu’un retour ?

J’aurais aimé pouvoir vous répondre par oui ou non, sur le « retour » comme sur le « recours ». Mais la question se pose différemment - ou du moins appelle-t-elle des réponses différenciées - suivant qu’elle concerne la globalité de la planète, ou seulement l’Atlantique Nord, ou l’Europe plutôt que les Etats-Unis et le Canada, ou l’Europe de l’Ouest plutôt que l’Europe de l’Est et du Centre, ou, en Europe de l’Ouest, plutôt les terres catholiques (ou post-catholiques) que les pays protestants.

A mon avis, la question d’un retour/recours, à propos du religieux, se pose surtout en ce qui concerne les pays ex-cathol iques d’Europe occidentale. Pourquoi ? -

Parce que, sauf exceptions (Portugal, Irlande), des pays tels que la France, l’Italie, l ’ Espagne , e t même la Belgique, ont enregistré une déchristianisation galopante, s i l ’on s ’en remet aux statistiques de fréquentation des églises et aux enquêtes sur l’intensité de la pratique rel igieuse. Celle-ci s ’est indéniablement relâchée dans des proportions et à un rythme qui ont fait penser que la sécularisation serait un corollaire absolu de la modernisation ; que, par conséquent, la religion serait appelée à reculer à proportion des avancées de la modernisation. C’est ce qu’en sociologie de la religion on a pu nommer « théorème du jeu à somme nulle ».

Quel rapport avec l’idée d’un « retour du religieux » ? - Le thème n’a quelque chance d’être pertinent que là où il y aurait eu - expression ambiguë - une « éclipse du religieux ». Or, c’est peut-être le cas dans les pays d’Europe

Entretien avec Jean-Marc Ferry

Propos recueillis par Michaël Bar-Zvi

Titulaire de la Chaire de Philosophie de l’Europe à l’université de Nantes, Jean-Marc Ferry est un philosophe d’une grande rigueur qui a largement contribué à faire connaître en France la pensée de J. Habermas dont il est l’un des traducteurs. Jean-Marc Ferry est un fervent défenseur de l’Europe, non pas comme structure administrative mais comme vecteur d’une identité constructive ou plutôt reconstructive. L’Europe est le lieu du « post-national » dans lequel les nations se confrontent sans violence, selon le modèle imaginé par Kant dans son ouvrage sur « la paix perpétuelle ». Pour Jean-Marc Ferry il ne s’agit pas de créer un fédéralisme européen mais de conserver l’identité des nations afin qu’elles assurent la transmission de leur culture. La religion est, à ses yeux, une expérience qui mène à la réflexion.

Jean-Marc Ferry

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occ identa le d ’anc ienne tradition catholique. Bien sûr, je ne voudrais pas ignorer le fait massif d’un retour du religieux dans les pays européens qui furent soumis au joug soviétique, et j’y inclus la Russie. Dans ces pays, où Slaves, Baltes, Hongrois, Roumains, Albanais, ont été endoctrinés et privés de la liberté de culte sur plus de quarante ans, voire soixante-dix ans (pour la Russie), il est clair que le retour du religieux a revêtu une signification libératrice. Il avait d’ailleurs été amorcé avant la chute du Mur, mais de façon discrète, secrète, suivant, à ce qu’on dit, ce scénario typique, dans le cas de la Russie soviétique : orientation, d’abord, vers le paranormal, puis vers les religions orientales, puis vers les religions monothéistes dites du Livre, ou abrahamiques, ou prophétiques. Maintenant, je considère que « l’autre Europe » relève d’un cas à part, si important soit-il, car il s’agit de populations où, encore une fois, un couvercle policier a pesé sur leur sentiment religieux dont on ne sait comment il évoluera maintenant. Il est possible que l’on assiste en Europe centrale, puis orientale, au même tassement des pratiques religieuses qu’en Europe occidentale.

En ce qui concerne l’Europe de l ’Ouest de tradi t ion catholique, le « retour du religieux » me semble être en revanche une possibilité ouverte, mais à condition qu’il ne s’agisse justement pas d’un retour. La notion de « retour » serait, en l’espèce, fallacieuse et trompeuse, car nos orientations, religieuses ou athées, sont devenues largement « réflexives ».

Qu’est-ce à dire ? - L’option religieuse a cessé d’être évidente dans les sociétés marquées par ce que le philosophe, Charles Taylor,

nomme « âge séculier ». L’option par défaut, si l’on peut dire, y serait maintenant plutôt l’athéisme. Être croyant a cessé d’aller de soi, cela n’a plus rien d’automatique. Il ne s’agit plus d’un fait de naissance ou d’appartenance, mais plutôt du résultat de démarches personnelles, de questionnements. C’est pourquoi le mot « retour » est inapproprié pour caractériser la perspective d’un éventuel regain de spiritualité. Ce serait l’envisager comme de l’extérieur.

l’on préfère, une forme de privatisation de la conviction religieuse, au nom de la responsabilité politique. Je crois déceler des tendances qui mettent ce principe en question. Il s’agit notamment de nouvelles attentes de reconnaissance (réclamation de droi ts d ’ ident i té ou d ’express ion cu l ture l le , linguistique, cultuelle), de nouveaux problèmes de société en demande de règlement juridique (GPA, PMA, adoption d’enfants par

religieuse, résulterait une situation, où les religions seraient davantage intégrées dans nos espaces publics. Une telle perspective n’est a l o r s r a i sonnab lemen t env i sageab le que sous certaines conditions : du côté des religions, intérioriser les principes d’une société ouverte, soit, principalement : le faillibilisme, le criticisme, le perspectivisme ; du côté des politiques, assouplir la raison publique en l’ouvrant à des registres expressifs qui prennent en considération les manifestations (attestations, témoignages) d’expériences vécues.

■ La nouvelle question religieuse ne semble-t-elle pas être plutôt une question politique qu’une interrogation sur le sens dans un monde désenchanté ?

L’interrogation sur le sens dans un monde désenchanté serait plutôt une question p h i l o s o p h i q u e q u ’ u n e question religieuse. Cette interrogation devient même, sous nos latitudes, une tarte à la crème de la philosophie mondaine. Mais qu’appelle-t-on « nouvelle question religieuse » ? Si vous faites référence au livre de Jeremy Gunn, qui porte ce titre, il s’agit clairement, en effet, d’une question politique sur l’attitude à adopter et les mesures à prendre de la part des Etats face aux problèmes posés par la montée des mouvements radicaux et le développement des sectes. Ce problème est important, mais mon approche de la question religieuse est très différente. Elle interroge plutôt la « situation spirituelle de notre temps » , pour reprendre une formule du philosophe, Karl Jaspers, tout en tâchant de présenter de la religion un concept renouvelé par rapport aux approches conventionnelles. L’enjeu

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Cependant, je n’exclus pas, en France, une réactivation du religieux, c’est-à-dire la concrétisation d’un intérêt pris aux questions existentielles fondamentales.

Pourquoi ces quest ions s on t - e l l e s , un t emps , passées à l’arrière-plan ? Les explications qui me viennent à l ’espri t (dérivat i fs de l’angoisse par les attraits de la société de consommation, assimilation des religions à un pouvoir régressif et répressif, adhésion à des idéologies de substitution), ces motifs peuvent , au fond, être conjoncturels. Passées, en effet, les illusions de bonheur compensatoire, induites par les promesses matérialistes, on se retrouvera autant et plus qu’auparavant ouverts aux horizons spiritualistes. C’est ce qui me paraît se tramer, aujourd’hui.

■ Un siècle après la loi sur la séparation entre l’Etat et le culte, ne sommes-nous pas les témoins de l’érosion de ce modèle de société ? Le concept de laïcité a-t-il encore un sens, hormis la neutralité du pouvoir en matière de religion ?

Notre principe de laïcité révèle ses propres limites, dans la mesure où il durcit une certaine « excommunication » politique du religieux, ou, si

des couples homosexuels, euthanasie, manipulations g é n é t i q u e s , e t c . ) , d e nouveaux rapports entre religion et politique (appel de l’UE à un « dialogue ouvert, transparent et régulier » des religions entre elles et avec les Pouvoirs publics), d’une nouvelle articulation entre la raison et la foi (où la notion de croyance fait place à celle de confiance). Je ne vais pas ici entrer dans le contenu de ces quatre thèmes annonciateurs d’un âge post-séculier. Mais il me semble que les nouvelles a t t e n t e s e t n o u ve a u x problèmes évoqués invitent à reconsidérer le partage libéral-républicain, entre le public et le privé, avec les oppositions ou dichotomies q u i l ’ a c c o m p a g n e n t : opposition entre la raison publique et la conscience privée, entre la politique et la religion, entre le droit et la morale, entre le Juste et le Bien ou le Bon, entre les normes et les valeurs, entre la responsabilité et la conviction, entre la science et l’opinion. De la révision des relations entre raison publique, politico-juridique, et conviction privée, éthico-

Septembre 2017 - n° 201 / Le Messager 9 • המבשר

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est que l’idée de la religion ne soit plus renvoyée à des formes historiques passées, déclassées par le progrès des sciences positives, mais que l’on puisse au contraire voir dans la religion en général un potentiel de raison, qui n’a pas dit son dernier mot. Je me soucie de présenter la religion comme une forme symbolique évolutive, dont, si j’ose dire, l’avenir n’est pas derrière elle.

■ Les sociétés libérales ont confiné l’expérience religieuse à la sphère privée, pourtant nous constatons que le besoin de communauté est de plus en plus fort et qu’il s’exprime à travers des associations dont le fondement est religieux. Le religieux, dans son sens originel, n’est-il pas aussi un moyen de créer du lien ?

Ma réponse est « oui » à vos deux questions (s’il y en a deux, au demeurant, pas très ouvertes, n’est-ce pas ?). Je partage votre diagnostic en ce qui concerne le confinement de l’expérience religieuse à la sphère privée. Cela résulte sans doute de l ’histoire européenne, singulièrement, des guerres de religion. Elles ont failli disloquer les sociétés, à l’aube de l’âge moderne. Songez que la guerre de trente ans (1618-1648) aurait fait au total cinq millions de victimes, en terre germanique, sur les vingt millions d’habitants du Saint Empire ! Je pense aussi aux conversions forcées, imposées notamment aux juifs d’Europe, pas seulement en Espagne. A l’évidence, ils conservaient leur identité religieuse, mais devaient pratiquer en secret. En France et en Angleterre, c’est au cantonnement de la convict ion re l ig ieuse dans le « for intérieur » (l’expression date de l’époque) de la conscience privée individuelle, que l’on doit

■ Avec la montée de l’islam intégriste les enjeux de la religion ne sont-ils pas devenus des enjeux géopolitiques et stratégiques ?

Egalement mais pas seulement. Il n’est d’ailleurs pas évident qu’avec l’islamisme nous ayons affaire à une religion. Certes, le salafisme est un mouvement religieux de l’islam sunnite. Il fournit son idéologie de combat à l’islamisme. Mais l’islamisme n’est pas lui-même une religion ; ou, dirait-on, c’est une « religion politique ». J’emprunte l’expression au philosophe, Eric Vœgelin, dans un ouvrage qui date de 1938. Par cette expression, Eric Vœgelin visait ce que nous nommerions « idéologies totalitaires » ; à son époque, le stalinisme et l’hitlérisme, les deux grands totalitarismes européens.

A présent, l’ennemi totalitaire se réclame de l’islam radical. Mais il n’en est pas moins que ses prédécesseurs une religion politique. Une tendance des intellectuels musulmans que je connais, et qui sont des amis, serait de combattre ce fléau avec des arguments philosophiques, moraux, théologiques. Pourquoi pas ? Mais la question, me semble-t-i l , n’est pas avant tout doctrinale, même s’il est vrai, comme le pensait et disait, Mohammed Arkoun, que l’on a fait du Coran un « corpus officiel clos » qui appelle une critique rénovatrice,

Pensez à l’axiome traditionnel en terre française : « Une foi, une loi, un roi » ; et le droit romain prévoyait qu’un peuple possédant lex et rex puisse par-là être crédité d’une religion… C’est un long débat.

Maintenant, il est vrai que lex, la loi, est originairement à comprendre comme ce qui nous lie. C’est ainsi que les Pères de l’Eglise ont compris la religion.

menée en pro fondeur. Cependant , l a donnée internationale, géopolitique, est une dimension majeure du problème. Elle ne doit pas être sous-estimée.

la véritable résolution des conflits entre catholiques et protestants.

La p r i va t i s a t i on de l a conviction religieuse est une voie de pacification qui prolonge le principe « cujus regio, ejus religio » (« Tel pays, telle religion »), lequel exige des gens qu’ils adoptent la même religion que leur prince. Elle fut salutaire en son temps, mais révèle aujourd’hui ses limites. Elle tend à déliter la croyance, car toute conviction a besoin d’être éprouvée au feu de confrontations, certes, civiles, paisibles, mais ouvertes, publiques. Ainsi disait Kant : « Penserions-nous beaucoup et penserions-nous bien, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec les autres qui nous font part de leurs pensées et auxquels nous communiquons les nôtres ? ».

Oui , la pensée, la v ie d e l ’ e s p r i t , a b e s o i n d e c o m m u n a u t é s d e c o m m u n i c a t i o n . L e s communautés religieuses en sont une figure première, mais elles doivent s’ouvrir, au sens fort, afin d’être en phase avec la réflexivité requise. Soit dit en passant, je ne suis pas certain qu’il faille voir dans l’étymologie latine du mot religion un religere ou un religare signifiant l’élément qui nous relie. Peut-être le mot religio résulte-t-il d’une contraction de lex et de rex (au génitif : legis, regis) : la loi et le roi.

■ Le retour du religieux n’est-il pas un des avatars de la postmodernité et du multiculturalisme ambiant, et pour reprendre vos concepts le moment où la communauté de convictions reprend le pas sur la communauté de dispositions ?

En parlant d’une « communauté de dispositions », je visais une forme de dépassement des communautés traditionnelles, et je pensais aux sociétés libérales. Cela peut sembler paradoxal, car on a coutume de dire que nos sociétés modernes, individualistes, ont rompu avec le principe communautaire, hiérarchique, des sociétés traditionnelles. « Communauté de dispo-sitions », cette expression renvoie à l’idée d’un fonde-ment « communautaire », oui, des sociétés modernes, libérales et individualistes quant à leur principe. Il s’agit de dispositions communes à accepter le principe d’une constitution politique reposant sur le droit.

Votre question me paraît alors insinuer que le retour du religieux aurait partie liée avec une critique des droits de l’homme, la stigmatisation d’un éthos individualiste, dit parfois « droit de l’hommiste ». C’est possible, si l’on cible le milieu intellectuel. Il existe là une tendance à porter la critique à l’encontre d’une « religion athée » des droits humains, laquelle conduirait à isoler l’individu dans la masse en créant un vide social. Les porteurs ou colporteurs de ce genre de critique ne sont pas nécessairement eux-mêmes des adeptes du multiculturalisme, du retour aux communautés « chaudes » et, finalement, d’une forme abâtardie de religion. Mais ils en portent une responsabilité, dans la mesure où ils s’en tiennent à un diagnostic pessimiste sur « la situation spirituelle de notre époque ».■

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■ Un siècle après la loi sur la séparation entre l’Etat et le culte, ne sommes-nous pas les témoins de l’érosion de ce modèle de société ? Le concept de laïcité a-t-il encore un sens, hormis la neutralité du pouvoir en matière de religion ?

Peut-être faut-il, avant d’entrer dans notre conversation, définir l’idée de laïcité. Elle agence un cadre d’existence marqué par deux éléments essentiels. D’abord, elle vise à préserver la liberté de conscience : un régime est laïque lorsqu’il permet à chacun de développer à son gré ses propres croyances ou convictions. Chacun en son sein peut croire ou ne pas croire, et exprimer ses opinions en la matière publiquement et, s’il le souhaite, collectivement. La laïcité accueille donc nécessairement la pluralité.

Ensuite, la laïcité suppose la neutralité de l’Etat. Celui-ci doit se défaire de toute conception a priori du bien moral (et du salut) : s’il ne doit pas interférer dans l’expression des croyances de ses sujets (ce qui le conduit à ne pas les

Philippe Portier

Philippe Portier est, depuis 2007, directeur d’études à l’École pratique des hautes études (Paris-Sorbonne), où il occupe la chaire « Histoire et sociologie des laïcités », et dont il est membre du Conseil scientifique. Depuis 2008, il est directeur du Groupe Sociétés, Religions, Laïcités. Agrégé de science politique, il était, avant d’être élu à la Sorbonne, professeur à l’Université de Rennes 1, dont il dirigeait le master de science politique et l’École doctorale Droit, Science politique et

Philosophie. Membre, durant plusieurs années, du Conseil national des Universités (2002-2009), il est également professeur à Sciences-Po Paris où il enseigne en Master la théorie politique. Ses recherches portent principalement sur l’analyse comparée des régimes de sécularité, la sociologie et la philosophie de la laïcité française, la relation religion/politique, la sociologie du catholicisme, la théorie de la démocratie, la philosophie politique contemporaine.

Reconsidérer l’articulation

du politique et du religieux

■ La nouvelle question religieuse ne semble-t-elle pas être plutôt une question politique qu’une interrogation sur le sens dans un monde désenchanté ?

Il est, en effet, une « nouvelle question religieuse », qu’on voit poindre au tournant des années 1970-1980. Les décennies précédentes avaient été marquées par le discours de la perte : la sociologie estimait que le religieux était voué à s’effacer de nos champs d’expérience, publics et même privés. Elle s’appuyait, non point seulement sur les prophéties positivistes des penseurs du xixe siècle, mais sur le constat d’une dissolution, un peu partout dans le monde, des allégeances religieuses. C’était vrai, pensait-on, en Europe où les Eglises connaissaient l’épreuve du vide, aux Etats-Unis où la foi maintenue s’accompagnait d’une adhésion aux principes du libéralisme moral, dans le Tiers-Monde même dont les élites politiques et sociales se réclamaient tantôt du communisme tantôt d’un nationalisme séculier.

Entretien avec Philippe Portier Propos recueillis par Michaël Bar-Zvi

discriminer à raison de leurs opinions en matière religieuse) non plus que dans le fonctionnement des institutions du croire (ce qui suppose d’accorder aux Eglises une véritable autonomie de fonctionnement), il ne peut non plus se laisser subjuguer par une Eglise particulière. Il n’est pas de laïcité sans séparation du politique et du religieux.

La laïcité n’est donc pas un concept vide. Dans la diversité de ses formes, elle est l’expression de la revendication d’autonomie (individuelle et collective) issue de la révolution moderne, et la condition d’actualisation de la liberté subjective sur le terrain convictionnel. La laïcité est, ainsi, une garantie de la double souveraineté de l’Etat (contre l’Eglise) et du sujet (contre l’Etat). Sa défense est aujourd’hui d’autant plus nécessaire qu’une réaction religieuse, dans de nombreux pays, s’emploie à récuser le principe de liberté (et celui de pluralité qui l’accompagne) pour lui substituer celui d’unité, assis lui-même sur une conception exclusiviste de la vérité.

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puissance. Mais il est aussi l’expression, dans le champ politique, de cette recherche de sens qui valorise la nation et la religion, en développant de surcroît une politique de consolidation morale dans laquelle peuvent se retrouver des populations qui se sentent atomisées. Il en va de même du Hamas en Palestine, ou des partis sionistes religieux en Israël, ou du parti hindouiste (BJP) en Inde.

■ Les sociétés libérales ont confiné l’expérience religieuse à la sphère privée, pourtant nous constatons que le besoin de communauté est de plus en plus fort et qu’il s’exprime à travers des associations dont le fondement est religieux. Le religieux, dans son sens originel, n’est-il pas aussi un moyen de créer du lien ?

Votre question renvoie au processus d ’éga l i sa t ion des condit ions annoncé par Tocqueville qui affecte aujourd’hui, à des niveaux d ivers , l a p lupar t des sociétés, et pas seulement les sociétés démocratiques. Ce mécanisme, effet de la globalisation économique et juridique mais aussi de la dynamique intellectuelle de la modernité, se déploie à deux niveaux. Au plan normatif, il débouche sur un principe d’immanentisation : le sujet est appelé à construire son propre système de sens, sans référence à un ordre transcendant, ce que traduit la philosophie des droits de l’homme. Au plan social, i l ouvre sur un principe d’individualisation, échouant sur l’affaiblissement du lien social.

Le mot « religion » a connu plusieurs étymologies. Cicéron évoque relegere, qui insiste sur la « relecture » ; Lactance religare. « Relier » : Il s’agit, dans ce deuxième cas, de rappeler que le propre de

la religion est de créer du lien avec Dieu, mais aussi, par ce schéma de paternité, avec les autres. Comme l’a signalé Saint Augustin, les deux significations ne sont pas nécessairement opposées : l a re lec ture peut ê t re « relecture de Dieu en soi ». Ces étymologies permettent de faire retour à la situation contemporaine : la religion revient pour recréer du lien et du sens (avec une forte insistance sur les questions familiales) dans un monde confronté à la crise du moi collectif et à la désorientation, qui en résulte, des existences individuelles. La sociologie parle de phénomène de « compensation ».

Le trai té de Westphal ie en 1 6 48 a é t ab l i une déconfessionnalisation de la politique internationale : le fac teur re l ig ieux se trouve alors absorbé par le facteur polit ique ; les princes revendiquent, tout en s’adossant à une religion nationale, de penser les relations internationales de leurs Etats à partir de la seule logique de la souveraineté. Cette tendance était à l’œuvre déjà dans les textes d’un Jean Bodin au xvie siècle. Ce modèle des relations internationales a été analysé par les théoriciens de l’école réaliste (tels Morgenthau, mais aussi Aron) comme un système de rapports de force

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Deux é léments doivent cependant être notés. D’abord, le dit-retour du religieux ne concerne pas toutes les populations : le phénomène de sécularisation, comme phénomène de désaffiliation, n’est pas enrayé. Ensuite, le retour du religieux opère sur un mode contre-utopique : il ne s’agit pas d’accompagner la modernité, mais de faire obstacle à ses principes subjectivistes, en pointant leurs effets anomiques.

■ Avec la montée de l’islam intégriste les enjeux de la religion ne sont-ils pas devenus des enjeux géopolitiques et stratégiques ?

entre des Etats portés par le souci de leur puissance ou, du moins de leurs intérêts.

Or, il semble bien que le religieux qu’on croyait en déshérence (même s’il ne l’était pas réellement comme le montrent les textes des mouvements de libération n a t i o n a l e e n A l gé r i e , analysés récemment par Jean Birnbaum), est revenu au premier plan comme enjeu ou facteur dans les interactions entre les Etats ou les peuples. On a vu, depuis les années 1970-1980, poindre des conflits qui mettaient le religieux au premier plan, sous l’effet de mouvements q u i m o b i l i s a i e n t ( e t

Or, depuis quatre décennies, s’affirme un flux contraire. On a pu parler d’une « revanche de Dieu », d’un « réenchantement du monde », d’une « désé-cularisation ». Ce phénomène a touché tous les continents, et tous les mondes religieux : des réaffirmations identitaires, souvent en lien avec des réaffirmations nationalistes, ont eu lieu tant du côté des monothéismes (Judaïsme, christianismes, islam) que du côté des religions orientales (bouddhisme, hindouisme, shintoïsme), et même du côté des chamanismes (comme en Mongolie).

Il est très difficile, quand on étudie ces mobilisations, de faire le partage entre la quête de pouvoir et la quête de sens. Sans doute s’entremêlent-e l l e s . Les mouvements religieux auxquels vous faîtes référence sont, presque unanimement, très critiques à l’égard du grand partage du politique et du religieux instauré par la modernité. Ils entendent souvent ré-instituer le monde social sous tutelle des significations religieuses que leurs leaders prétendent interpréter authentiquement, parfois d’ailleurs, comme l’a montré Olivier Roy, en rupture avec leur propre tradition.

Cette visée de pouvoir croise cependant d’autres affects. Ces mouvements reçoivent en effet le soutien de populations qui ne se retrouvent pas dans la rationalité instrumentale de l’époque contemporaine, ni dans la mondialisation et l ’ individualisation des compor tement s qu ’e l l e produit. Elles recherchent, du cô té des d i scours religieux, des réassurances symboliques, des repères iden t i t a i re s e t même , contrairement à ce qui est dit parfois, normatifs. Prenons les partis politiques à orientation religieuse. Le Parti Droit et Justice en Pologne répond certes à des intentions de

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reconstruisaient) les identités traditionnelles au service d’une cause politique de type souvent nationaliste. On a pu parler d’ethno-religions. La Yougoslavie a été le théâtre de ce genre de divisions entre la Croatie catholique, la Serbie orthodoxe, la Bosnie en grande partie musulmane. Le conflit israélo-palestinien, qui mettait aux prises à l’origine des mouvements portés par des idéologies séculières, a été retraduit dans des termes confessionnels, sous l’effet de la montée en puissance du Bloc de la Foi ici, du Hamas là. En Irak et en Syrie aujourd’hui, le conflit oppose clairement chiites et sunnites. L’Ukraine a vu s’opposer, au sein de la communauté orthodoxe, deux sensibilités attachées à des patriarcats différents.

Le religieux est-il le facteur pr imord ia l des conf l i t s actuels ? C ’es t la thèse de Samue l Hun t ing ton lorsqu’il décrit le monde comme agencé autour des fractures (clash) entre les grandes civilisations elles-mêmes structurées par leurs « noyaux » religieux. Il faut nuancer. Les religions sont des forces puissantes dans la mobilisation des affects. Souvent d’ai l leurs, leurs textes fondateurs comportent des appels à la « guerre cosmique », comme l’écrit Mark Juergensmeyer, selon une logique de l’opposition entre le bien absolu et le mal absolu, ce qui peut donner lieu d’ailleurs à la « montée aux extrêmes » qu’autorise la « violence divine » . I l reste que cette dynamique guerrière n’advient pas hors contexte. L’effet agonistique du religieux au cours de la période récente est souvent venu, dans un contexte de difficultés économiques ou politiques, de processus de construction par lesquels des groupes organisés sont parvenus à construire ce qu’Amin Maalouf appelait

des « identités meurtrières ». Observons de surcroît que les guerres, souvent, ne sont ni causées ni justifiées par le religieux, et, surtout, que les religions peuvent être facteurs de pacification.

■ L’Etat n’a-t-il pas trop tendance à confondre laïcité et anticléricalisme et ce faisant ne se prive-t-il pas de l’apport de la parole des communautés et associations religieuses, dont l’expérience en termes de solidarité et de fraternité est pourtant très riche ?

Ma réponse ne va concerner que les sociétés occidentales. Des Etats-Unis à l’Allemagne, du Danemark à la France, on a, aux XIXe-XXe siècle, affirmé l’extériorité réciproque du politique et du religieux : il a été décidé partout de placer le politique en dehors de la tutelle du religieux, et la croyance en dehors de la censure de l’Etat. Il reste que les processus de « modernisation » ont pris des configurations différentes. Dans nombre de pays , essentiellement protestants, se sont maintenues des relations de partenariat entre l’Etat et les communautés religieuses. Souvent, dans les pays catholiques notamment, cela n’a pas été le cas. Les gouvernements ont construit des systèmes de séparation stricte, et parfois anticléricale. Ce fut le cas dans l’Espagne républicaine des années 1930. En France, la séparation a été stricte. Si l’anticléricalisme est évident dans toute une fraction du camp laïque, il n’a pas empêché cependant que la loi du 9 décembre 1905, de nature libérale, accorde aux cultes une liberté très large d’autodétermination sous les seules contraintes l im i t a t i ve s de l ’ o rd re public. Ce qui a permis aux communautés religieuses de se déployer dans la sphère

sociale, d’autant que la loi de 1901 sur les associations leur permettait d’organiser leurs activités sociales sans autorisation préalable.

Il reste que ce déploiement d’activités et de prises de parole ne s’est pas fait , in i t i a lement , dans une coopération avec l’Etat. En France, l’Etat est en effet pensé comme « Etat fort », comme dit Pierre Birnbaum, qui prétend disposer seul de la rationalité. Renouvier, grand inspirateur du camp républicain, écrivait ainsi dans les années 1860 : « L’Etat a charge d’âmes aussi bien que les Eglises mais à un titre plus universel ». Il résulte de cette structure du politique que, si les Eglises ont pu s’exprimer librement, c’est à titre privé, sans que leur parole soit reconnue par les autorités étatiques comme un apport nécessaire à la délibération publique. Ce discours de content ion du rel ig ieux visait principalement en France le catholicisme dont les Républicains, à gauche, disaient volontiers, souvent à juste titre, qu’il faisait obstacle à l’avènement de la liberté et de la raison autonome. C’est un discours qu’on trouve aussi à droite.

groupements religieux se sont volontiers radicalisés au point d’entrer dans des processus de rupture avec les valeurs démocratiques, les autorités confessionnelles ont souvent passé compromis avec le régime libéral en en acceptant les règles constitutionnelles, sans en baptiser néanmoins toutes les productions législatives (comme on l’a vu au moment de la controverse sur le « mariage pour tous »). Une mutation politique : l ’Etat éprouve de plus en plus son impotence, et estime souvent nécessa i re de recour i r aux ressources cognitives, symboliques, et sociales des forces religieuses. On peut parler aujourd’hui , après le temps de la laïcité séparative, du temps de la laïcité recognitive.

La s i tuat ion ne va pas sans réticence cependant, notamment sur les questions qui relèvent de la morale de l’intime : une grande partie des opinions publ iques occidentales, favorable par ailleurs aux interventions humanitaires des Eglises, réprouve leurs posit ions souvent restrictives en la matière.

Il apparaît que, dans nos démocraties, malgré des attaques virulentes contre l a re l i g i o n e nv i s a gé e globalement — on peut penser à la réflexion d’un Michel Onfray en France ou d’un Christopher Hitchens aux E ta ts -Un is - , ce t te excommunication politique du religieux se trouve aujourd’hui souvent remisée, sous l’effet d’une double mutation. Une mutation religieuse : si certains

On se souvient de l’amiral de Joybert, au début des années 1970, intimant aux évêques qui avaient pris position contre les essais nucléaires de « se mêler de leurs oignons ».

■ Y a – t-il une alternative à la sécularisation ? Si oui, est ce que la « désécularisation » est envisageable ?

La sécularisation ne doit pas être confondue avec la laïcisation. Celle-là renvoie à un phénomène social : la désaffiliation des populations vis-à-vis des Eglises ; celle-ci renvoie à une décision politique : la séparation du politique d’avec le religieux. Les deux processus sont

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souvent liés, mais pas toujours.

Il n’est pas certain que le pronostic posé par Peter Berger d’une désécularisation du monde soit vérifié dans le futur. Il est bien sûr des mouvements de réaffirmation de la foi, une foi souvent puissamment identitaire. Ils n’abolissent pas des mouvements de subjectivation des existences dans le monde occidental, et ailleurs également, y compris dans certaines zones de l’arc musulman.

Pour la délaïcisation, on a vu au cours de la période récente des phénomènes allant en ce sens à la faveur de la montée en puissance des nationalismes religieux.

La Pologne post-communiste a construit sa démocratie en s’appuyant sur la « force du droit ». Elle semble bien la retourner aujourd’hui contre son modèle initial en faisant prévaloir la figure d’un catholicisme national, o rgan i sé au tour de l a défense d’une conception substantielle de la patrie et de la famille. Cette délaïcisation pose problème évidemment pour le maintien des libertés publiques.

■ Les « modérés », c’est à dire les non fondamentalistes dans chacune des religions, peuvent-ils faire entendre leur voix dans l’espace public ? Si oui, comment ?

Certains en rêvent du côté des fondamentalismes : leur projet, depuis certains courants évangé l iques jusqu ’aux tenants de l’islam politique en passant par les radicaux du sionisme religieux, est de substituer la volonté d’un Dieu de puissance à la liberté humaine. L’effet est de remettre en cause le socle libéral de nos sociétés. La laïcité d’exclusion est-elle la solution ? Elle nous priverait des ressources de sens portées par les institutions religieuses. Jürgen Habermas

a pu insister, à propos des rel igions chrétiennes et juives, sur l’importance de la sacralité de la personne humaine dans leurs dépôts respectifs. Elles peuvent tenir ainsi un discours critique contre la « colonisation du monde vécu ». Encore faut-il qu’elles fassent droit à une « modération » théologique qui puisse les porter à éviter le langage de la vérité absolue et, comme le dit le philosophe allemand, à « traduire » leurs idées dans le lexique de la raison constitutionnelle. ■

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Votre question permet de reconsidérer l’articulation du politique et du religieux dans la société ultra-moderne où nous sommes installés. Faut-il défendre l’éventualité d’une délaïcisation ?

Entretien avec le rabbin Jonas Jacquelin

Propos recueillis par Michaël Bar-Zvi

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Accepter la République ne veut pas dire renoncer à ce que nous sommes

remettre en cause de quelque manière que ce soit.

A cette époque, beaucoup des partisans de cette loi de séparation ne la concevaient d’ailleurs pas uniquement comme une lég is la t ion permettant d’organiser la neutralité du pouvoir en matière de religion, mais aussi comme un moyen de lutter contre des pouvoirs religieux qu’ils considéraient à tort ou à raison comme des forces réactionnaires et vectrices d’obscurantisme.

Nous n’en sommes plus là aujourd’hui. Bien sûr, il existe parmi les partisans de la laïcité ceux que l’on appelle fréquemment l a ï ca rds , hostiles à toute forme de religion ou de religiosité, mais dans une large mesure les défenseurs de la laïcité considèrent qu’elle offre un cadre permettant à chaque citoyen, selon sa conscience, de pratiquer ou non une religion. Dans ce sens, elle garantit la possibilité pour

les cultes de cohabiter et de s’organiser mais elle protège aussi ceux qui pourraient se sentir menacés par les prétent ions de certains religieux à dicter aux uns et aux autres la conduite qu’ils seraient supposés devoir adopter.

C’est la raison pour laquelle je crois que le concept de laïcité garde tout son sens et toute son acuité aujourd’hui. Il est celui qui assure l’existence d’un certain pluralisme au sein de notre société et à l’intérieur des différentes religions. J’ajouterais même que paradoxalement peut-être, il est celui qui protège les religions d’elles-mêmes. Dans la mesure où elles peuvent toucher à une certaine forme d’absolu, les traditions religieuses portent en elles, à différents degrés, des tendances ou des dispositions au fanatisme que seul un pouvoir fort et indépendant d’elles est capable de limiter.

■ Un siècle après la loi sur la séparation entre l’Etat et le culte, ne sommes-nous pas les témoins de l’érosion de ce modèle de société ? Le concept de laïcité a-t-il encore un sens, hormis la neutralité du pouvoir en matière de religion ?

Rabbin Jonas Jacquelin : Comment aurait-il pu en être autrement ? Par définition, avec le passage des années,

le monde évolue et chaque société connaît des mutations. En ce sens, il est évident que nous vivons aujourd’hui dans un contexte très différent de celui de 1905 dans lequel, dans une grande mesure, la République, un siècle après la révolution, devait se séparer institutionnellement de ce qu’était encore le pouvoir de l’Eglise et empêcher que, même symboliquement, sa souveraineté puisse se voir

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■ Dans ce sens, il n’y a pas de raison pour que le judaïsme s’oppose d’une façon ou d’une autre à la laïcité.

L’idée selon laquelle il convient de respecter les lois et les institutions du pays dans lequel nous vivons est ancienne et très solidement inscrite dans la tradition juive. Je pense notamment à la magnifique lettre envoyée par le prophète Jérémie1 aux exilés en Babylonie après la destruction du premier Temple. Au-delà de la tristesse, ces derniers sont invités à bâtir des maisons, planter des arbres et en manger les fruits, se marier, faire des enfants et œuvrer à la prospérité des villes dans lesquelles ils résident désormais. C’est un devoir religieux que de contribuer au bien-être et au développement des pays dans lesquels nous vivons et donc d’en accepter les institutions.

le premier des Grands-Prêtres. Un seul et même homme ne saurait se voir investi de ces deux missions.

Dans leurs commentaires, les Sages ont toujours jugé avec beaucoup de sévérité le fait qu’au moment de l’épopée hasmonéenne, ce sont des prêtres qui finissent par monter sur le trône des rois d’Israël.

Pour revenir à une époque plus proche de la nôtre, dans la France de 1905, les minorités religieuses qu’étaient les Protestants et les Juifs étaient très largement acquises au principe de séparation entre l ’Etat et les cultes. C’est d’ailleurs grâce à cette loi qu’une communauté religieuse comme l ’Union L ibéra le Israélite a pu se constituer en 1907, indépendamment du Consistoire qui jusqu’alors était l’institution unique au travers de laquelle pouvait se développer un culte public juif.

Cette question de la laïcité se pose aujourd’hui en Israël, où les différents cultes bénéficient d’un certain nombre de prérogatives, notamment pour tout ce qui touche aux questions de statut personnel et d’état civil. La gestion de ces aspects par un rabbinat contrôlé par des éléments quasi-exclusivement issus du monde de l’ultra-orthodoxie et effrayés par toute possibilité de changement et d’évolution, contribue à creuser le fossé qui existe entre une population dite laïque et les institutions s upposée s rep ré sen t e r l ’héritage juif. Dans cette perspective, une laïcité inspirée du modèle de séparation français pourrait avoir le mérite de permettre une meilleure représentation de la pluralité du judaïsme.

■ Les Juifs de France, comme les chrétiens, ont accepté de s’intégrer dans les codes de la République, mais pour autant doivent-ils s’abstenir de participer aux débats sur des questions morales, civilisationnelles ou sociales ? Ou bien peuvent-ils, les uns et les autres, rendre des services à la société française ?

Au contraire ! Accepter la République et ses codes ne veut pas pour autant dire renoncer à ce que nous sommes. Je dirais même que partager les enseignements de la tradition juive peut être considéré comme l’expression d’une forme de gratitude vis-à-vis du monde qui nous entoure. Le texte biblique et ses interprétations sont de nature à éclairer un grand nombre des questions qui se posent à notre société. Je pense plus particulièrement à des questions concernant l’identité, la violence, le genre ou la fin de vie.

Je ne dis pas que ces textes apportent des solutions clef en main ni que les options proposées par le judaïsme sont nécessairement celles qui devraient être suivies par l’ensemble de la société. Je considère en revanche que ce point de vue ne peut pas ne pas être pris en compte dans une réflexion sur ces différents sujets dans la mesure où il est l’héritier de l’une des plus anciennes civilisations et qu’il est l’un des socles sur lesquels s’est bâti l’Occident.

■ Qu’en est-il à vos yeux de la question de l’enseignement du fait religieux dans le cadre des programmes scolaires ?

L’enseignement des religions ou du fait religieux dans les écoles est à mes yeux une chose importante. Il faut bien évidement être vigilant à ce qu’il ne devienne pas une sorte de cheval de Troie de certaines institutions religieuses. C’est la raison pour laquelle il doit être élaboré dans le cadre d’un programme précis et enseigné par des professeurs qui ne sont pas l’émanation ou les représentants de ces institutions religieuses. Il ne s’agit donc pas d’un enseignement ayant vocation à se substituer à celui qui chez nous est dispensé au Talmud-Torah, mais plutôt de donner à chaque élève, c’est à dire à chaque futur citoyen, la possibilité de connaître les traditions religieuses qui ont façonné l’humanité.

Cela permettra peut-être de lutter contre certains

préjugés. Mais je ne suis pas naïf, je ne pense pas que la violence soit uniquement le fruit de l’ignorance ou de la misère. Elle s’enracine plutôt dans une forme de pulsion de mort contre laquelle il s’agit bien évidement de lutter. Le fait religieux, s’il doit être enseigné dans les écoles, n’a pas vocation à assurer la paix sociale mais plutôt à enrichir intellectuellement et culturellement les élèves.

■ En tant que rabbin, comprenez-vous que l’on puisse parler des racines chrétiennes de la France ou de l’Europe ?

Dire ou penser le contraire reviendrait à refuser ou nier l’histoire telle qu’elle est. C’est un fait que l’Occident en général, et la France en particulier, ont été structurés par la chrétienté. Tout au long de l’histoire, les Juifs, qui représentaient l’autre absolu dans cette Europe chrétienne, l’ont payé suffisamment cher.

Le fait que la France se soit émancipée de la tutelle de l’Eglise ne retire rien au fait qu’elle a été chrétienne et que ses paysages, son patrimoine ou son calendrier en restent profondément marqués. Cela ne veut pas dire qu’il faille être nécessairement chrétien pour être français mais que la culture française a partie liée avec cet héritage.

En tant que Juifs, nous l’acceptons car nous savons bien qu’un pays ou un peuple qui refuse son passé n’est jamais véritablement à même de se projeter avec confiance dans l’avenir. De plus, il est bien souvent possible de voir un lien entre le refus du passé religieux de la France et de l’Europe et l’hostilité à l’Etat d’Israël et au peuple juif.

Avant de vous laisser, je tiens à adresser une belle et douce année 5778 aux fidèles de Copernic. ■

Shana tova oumetouka.

Les Sages, dans la littérature rabbinique, développent le concept de Dina deMalkhouta Dina, l ’ idée selon laquelle la loi du pays dans lequel nous vivons est la loi qui s’applique aussi à nous. Il faut évidemment que cette loi n’oblige pas à transgresser les commandements de base du judaïsme, mais tant que ce n’est pas le cas, c’est la loi du pays qui se doit d’être appliquée avec loyauté.

Par ailleurs, l’étude de l’histoire biblique montre bien qu’il existe une distinction entre celui qui exerce une autorité politique et celui qui exerce une autorité religieuse. Au moment de la Sortie d’Égypte, Moïse exerce une autorité politique quand Aron devient

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■ Dans votre dernier livre vous proposez une lecture juive du Sermon sur la montagne, est-ce un commentaire à la lumière de ce qu’était la vie juive à l’époque de Jésus, ou bien un dialogue avec l’interprétation chrétienne de ce texte ?

Une partie de mon étude consiste à dégager des enseignements de Jésus les liens avec la tradition juive. Car rapidement pour des raisons à la fois religieuse et politique, le discours de l’Eglise romaine est devenu concurrentiel à l’encontre de la Synagogue. La vérité de Dieu se situait du côté du christianisme, alors que le judaïsme restait aveugle à son propre messie. On connaît ces statues de la Cathédrale de Strasbourg : l’une montrant une femme triomphante, l’Eglise, et l’autre les yeux bandés, la Synagogue. Les différents Conciles ont tous été centrés sur la figure du Jésus théologique ; messie, fils de Dieu, Trinité… Mais qu’en est-il vraiment de l’enseignement de Jésus, appelé Rabbi ? Le plus bel exemple est le Sermon sur la Montagne, qui, au fond, constitue une longue dracha (sermon), comme tout rabbin exprimant ses ‘hiddouchin, ses renouvellements de sens. Malgré le côté

polémique de l’écriture, nous pouvons percevoir un message qui parle à la foi juive.² Et c’est là que la recherche devient passionnante, car on y entend des formulations tardives du Talmud et du Midrach.

■ Voulez-vous dire que Jésus a influencé le Talmud ou le Midrach ?

Non, mais chronologiquement, l’écriture des Evangiles (au plus tard vers 90) précède l’écriture du Talmud, puisque sa première compilation se situe entre 200 et 220. Mais beaucoup de ses enseignements datent d’une période antérieure à Jésus (Hillel et Chamaï) ou bien de l’époque du second Temple. En fait la tradition orale était foisonnante, et Rabbi Yéhouda Hanassi a encouragé l’écriture de la Michna pour ne pas l’oublier. On peut donc dire que Jésus et les Rabbis puisent à des sources orales communes qui touchent à l’imaginaire biblique ou au quotidien des Judéens (les arbres, le berger et ses brebis, le maître et ses serviteurs, etc.)

■ Pouvez-vous nous donner quelques exemples d’enseignements fidèles au judaïsme ?

Dans son Sermon, Jésus dit « Vous avez entendu : « Tu ne tueras point ; celui qui tuera mérite d’être puni par les juges ». Mais moi, je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère mérite d’être puni par les juges ». Jésus déplace le meurtre en acte en meurtre en parole. La colère vaut crime. Beaucoup de théologiens et penseurs chrétiens affirment que Jésus est libre avec la Loi et qu’il la dépasse. En fait, ils ignorent qu’il s’agit du travail herméneutique de la pensée juive. En effet, cette liberté d’interpréter à l’infini la Torah constitue le Talmud et le Midrach. Et nos rabbins énonceront des idées parallèles sur la colère ou l’injure à l’encontre de notre prochain.

Et un peu plus loin, Jésus enseigne qu’avant d’offrir son sacrifice à Dieu, il faut se réconcilier avec son prochain. Or cette leçon se trouve à propos de Kippour, les fautes contre le prochain n’étant pardonnées par Dieu à Kippour, qu’après réconciliation.

■ Pendant longtemps le judaïsme s’est refusé à lire les Evangiles et à les commenter, qu’est-ce qui a rendu possible, historiquement et spirituellement, cette ouverture ?

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Entretien avec le rabbin Phillippe Haddad Propos recueillis par Michaël Bar-Zvi

à propos de « disciples

de jésus »

LE DERNIER LIVRE DE NOTRE RABBIN PHILIPPE HADDAD

16 • Septembre 2017 - n° 201 / Le Messager המבשר

C’est la révolution de Vatican II, qu’à l’ULIF, sur l’initiative de notre cher Président J. F Bensahel, nous avons célébrée pour les 50 ans au Collège des Bernardins. L’Eglise catholique a fait un « saut pascal » au-dessus de sa théologie patristique pour renouer avec ses racines juives.

Et beaucoup de groupes se réunissent pour travailler l’hébreu biblique avec Rachi ou le Midrach. Je suis souvent sollicité pour proposer mes recherches qui ne remettent pas en cause la croyance chrétienne mais donnent une épaisseur à l’enseignement de Jésus. Bien entendu dans certains milieux piétistes juifs, il reste interdit de prononcer le nom de Jésus (Yéchou) ou d’entrer dans une église.

■ Peut-on opérer une lecture juive de tous les livres de l’Evangile ou bien celle-ci ne peut s’appliquer qu’à certains textes comme Marc ou Matthieu et pas à d’autres comme Luc ou Jean ?

tendre l’autre joue (nous disons un peu cela dans la prière de clôture de la âmida), se retrouvent énoncés par des maîtres du Talmud, du Midrach. Le Sermon sur la montagne présente un programme exigeant d’une vie pieuse faite d’une conscience aigüe de Dieu et d’une exemplarité morale devant les hommes. A cause de la rupture entre judaïsme et christianisme, ce Sermon a été christianisé.

E v i d e m m e n t l e s d é c l a r a t i o n s « Bienheureux (achré) les simples d’esprits, ou bienheureux les affligés » qui inaugurent le Sermon peuvent surprendre. Mais Jésus se veut un consolateur des pauvres du peuple juif qui croulent sous le poids de Rome et de quelques nantis qui profitent de la situation. Jésus, un profond croyant charismatique, aimait sincèrement ses frères et voulait les décharger de fardeaux trop lourds, même au plan

Jésus, qui était juif, avait son opinion sur le martyr, la pauvreté, certains juifs l’ont suivi de bonne foi.

■ Une des expressions célèbres du texte est celle de « pauvres d’esprit » ou plutôt « pauvres par l’esprit ou en esprit », comment comprenez-vous ce terme lié au contexte du judaïsme palestinien, et que l’on retrouve dans les Manuscrits de la Mer Morte ? Désigne-t-il uniquement les Esséniens ou les membres de l’unité Yahad ?

Difficile de répondre, car nous ne connaissons pas l’expression hébraïque ou araméenne. Le Psaume 34 déclare que « l’Eternel est proche des esprits contrits ». Il est possible que ces pauvres soient ceux qui ont fait vœu de pauvreté tels les Ebionites ou les Esséniens. Cette idée reste toujours cohérente avec nos textes fondateurs, même si Maïmonide s’est farouchement opposé à cette vision.

■ Peut-on dire qu’il a existé un mouvement judéo-chrétien important à partir du iie siècle, dans la continuité des Ebionites (dont le sens premier est pauvre…) ?

Si l’Eglise de Jérusalem, dirigée par Jacques, surnommé « le frère du Seigneur », avait survécu à la destruction du Temple, nous aurions eu un autre christianisme. Au fond ces judéo-chrétiens se voulaient pleinement juifs, garder la circoncision, respecter le Chabbat, manger cacher etc. tout en proclamant la messianité de Jésus, comme certains Loubavitch l’ont fait avec leur Rabbi. Ce que nous savons historiquement, c’est que beaucoup de chrétiens en Orient respectaient Chabbat jusqu’au iiie siècle et que les Conciles ont lutté pour ne pas judaïser.

■ Est-ce Paul qui a mis un terme au judaïsme ou à la judéité de Jésus ?

Il a ouvert incontestablement la voie, en l’universalisant pour les pagano-chrétiens. Il arrive encore que des chrétiens découvrent que Jésus était juif. En fait ils connaissent leur catéchisme par ouï-dire. Le dialogue interreligieux permet de revenir à de saines vérités historiques. ■

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I l existe une cohérence dans les Synoptiques, soit Matthieu, Marc et Luc, qui se veulent historiques ; par contre l’écriture de Jean se présente théologique, je m’y investis moins, quoi qu’il y ait des idées juives. Par contre avec les Epitres de Paul, cela se complique. Paul a vécu une expérience extatique sur le chemin de Damas, et pour lui l’évidence du Christ doit entrer dans la cohérence de la Bible. Là nous avons deux approches opposées : Pour Paul, dans une lecture centripète, toute la Bible annonce Jésus, alors que la lecture centrifuge juive ouvre immédiatement sur l’universel.

■ Le sermon sur la montagne énonce les fondements du christianisme, notamment à travers le passage sur les béatitudes, n’est-il pas en cela en contradiction avec certains principes du judaïsme ?

Le Sermon sur la montagne n’énonce pas le fondement du christianisme, car il reste audible dans une lecture juive. Même l’amour des ennemis ou

religieux, d’où les dénonciations de dérives pharisiennes par trop rigoristes (ça n’a pas beaucoup changé). Certaines de ses postures me rappellent Rabbi Nahman de Braslav auquel je suis très attaché. Et si vous faites allusion à une certaine martyrologie, on ne peut pas dire qu’elle n’appartient pas à la tradition juive. Le livre des Maccabées fait déjà l’éloge du martyr. Les rabbins qui se sont opposés au sionisme au début du 20e préféraient les pogroms et le martyr plutôt que ce que le Satmer Rebbe a nommé « l’œuvre du Satan ».

Il n’existe pas un judaïsme unique. Nous avons une Bible qui présente un long récit historique et antithéologique et une tradition orale (et encore les Sadducéens et Caraïtes la contestaient), à partir de là on construit des modèles. Si on demande la position du judaïsme par rapport à la mixité dans la synagogue, le modèle orthodoxe dit Non, le modèle libéral dit Oui. Doit-on s’engager dans Tsahal ? Les religieux sionistes disent Oui, les habitants de Méa Chéarim disent Non ; et toujours à partir des mêmes textes.

Cela a permis à des chrétiens de découvrir la pensée juive, sa liberté, sa méthodologie, sa langue.

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un bout de voile sur la question de la souffrance imméritée.

■ On a l’habitude de lire que Job est une réflexion sur le bien et le mal, or en fait vous récusez ce point de vue en y voyant avant tout un texte sur la souffrance, quelle est la différence ?

Lorsque la plupart des commentateurs juifs abordent le livre de Job, c’est souvent au cours de périodes noires pour le peuple juif. Ils ont besoin de trouver du réconfort et le livre de Job leur sert de ce point de vue-là. Or, comme le souligne bien P. Ricoeur la question morale du mal éclipse ou sacrifie celle de la souffrance. Dans le livre de Job on ne disserte pas sur le mal, sur ses causes ou sur ses conséquences, mais on parle de douleurs, de plaintes et de la révolte, comme Camus, dans son sens étymologique, faire volte-face. Job est face à Dieu, dans sa souffrance absolue, et la seule chose qu’il demande c’est de comprendre pourquoi tout cela lui arrive. Le livre de Job est un des plus compliqués de la Bible hébraïque, avec des mots qu’on ne comprend pas, à tel point que certains commentateurs et traducteurs comme E. Dhorme dans la Pléiade changent l’ordre de certains versets pour rendre le texte intelligible. Pour ma part j’ai refusé de changer l’ordre des versets ou de prétendre voir dans certains mots mystérieux, car n’apparaissant qu’une fois dans la Bible hébraïque, une « erreur de scribe ». Il y a,

I sabe l le Cohen, é lève de Mireille Hadas-Lebel, professeur émérite à Paris IV-Sorbonne, et du grand orientaliste du Collège de France André Caquot, nous livre l ’œuvre de sa vie. Mobilisant les ressources des commentaires antiques, méd iévaux , modernes et contemporains de la tradition juive, mais aussi les apports de la philologie et de la critique biblique, elle nous offre une traduction élégante et précise ainsi q u ’ u n c o m m e n t a i r e exhaustif qui rend justice à ce texte intemporel (Albin Michel). Le livre de Job pose la question religieuse la plus brûlante, pourquoi Dieu bon et tout-puissant permet-il la souffrance des innocents ? Isabelle Cohen connue aussi pour son activité au sein des commissions « Culture et Education juive » et « Lutte contre l’antisémitisme » de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, a répondu à nos questions.

■ Pour quelle raison avez-vous souhaité retraduire et commenter le livre de Job, dont il existe déjà de nombreuses versions ?

Isabelle Cohen : Mon but au départ n’était pas de traduire le livre de Job, mais de faire une recherche sur les commentaires de ce texte, à la suite de mon maître André Caquot, avec lequel j’avais fait une thèse sur la succession politique dans la littérature deutéronomique. Il me demandait en fait de travailler sur des sujets relatifs à la royauté. Après sa mort en 2004, je ne savais plus dans quelle direction m’orienter. Et je m’aperçois que son dernier article portait sur le livre de Job, et en m’y plongeant je me rends compte que, tout au long de sa vie, ce spécialiste des questions politiques n’avait cessé de lire et écrire sur Job, avec un regard beaucoup plus subjectif que rigoureux ou scientifique. Il révélait en quelque sorte son secret sur le livre de Job, en pointant le moment important de ce texte, à savoir le discours d’Elihu, en affirmant que cette strate de rédaction est postérieure au livre lui-même. Dans la démarche historico-critique les commentateurs négligent ce discours, qu’ils considèrent comme une pièce rapportée. Or André Caquot affirme que ce passage est fondamental et le relie à tout son travail sur la royauté, car Job était en en fait un

roi te let ou un proto-roi.

Le livre de Job serait en fin de compte, selon lui, une réflexion sur la royauté et le pouvoir. Intriguée et passionnée par ces affirmations d’André Caquot et encouragée par ses travaux à aborder la question douloureuse que pose le livre de Job, je me suis lancée dans cette recherche pendant plus de dix ans sur la question de la perte, qu’est-ce qui reste quand on a tout perdu ? A titre personnel, en tant que descendante de rescapés de la Shoah du côté maternel, cette interrogation était brûlante pour moi. Au fond de moi je pensais pouvoir lever

en creux, une réflexion sur le mal, mais le texte est avant tout centré sur la souffrance et la perte, sous tous ses aspects. La description des maux physiques et moraux est au cœur du livre, notamment à travers l’image de Job souffrant d’une maladie de peau, comme quelqu’un de décharné, qui n’a plus que la peau sur les os.

■ Une des choses les plus étonnantes

de ce texte c’est évidemment la langue

hébraïque utilisée dans ce livre, qui

évoque des choses atroces dans une

un monde à

réparer

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Entretien avec Isabelle Cohen Propos recueillis par Michaël Bar-Zvi

Isabelle Cohen

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er langue magnifique, littéraire, poétique,

comparable à celle du Cantique des Cantiques, comment expliquez-vous ce « paradoxe » ?

Le livre de Job est constitué de deux grands ensembles, le prologue et l’épilogue qui sont en prose, et les quarante-deux chapitres qui sont écrits en effet dans une langue poétique, à l’instar du Cantique des Cantiques. Le recours à la poésie ou au mythe pour décrire des événements horribles est chose courante, toutefois la poésie dans la Bible ce n’est pas l’art pour l’art, le Parnasse, on ne fait pas beau pour faire beau. Il ne s’agit pas d’une démarche esthétique gratuite. Rabbi Haïm Benattar nous dit que ce sont les aspérités du verset, ses obscurités, qui nous indiquent où creuser pour en trouver le secret. Dans le livre de Job il y a des secrets à toutes les pages, dont la conclusion ou l’enseignement ne sont absolument pas « les voies de Dieu sont impénétrables ». On n’aurait pas écrit 42 chapitres pour arriver à dire cela. Le recours à la poésie a plusieurs explications. Tout d’abord le lexique hébraïque est extrêmement réduit dans une langue hébraïque très concrète que je traduis ainsi. Or dans le livre de Job on parle de quelque chose d’invisible, d’abstrait, qui est le paroxysme de la souffrance et du paradoxe, puisque Job est une âme de cristal, un Juste à qui il arrive les pires horreurs. Quand on veut exprimer de l’abstrait avec un matériau très concret on rapproche des réalités éloignées, ce qui équivaut à créer des images, des métaphores. A cela s’ajoute un rythme scandé par tous les parallélismes des différents chapitres. Ce rythme haletant exprime la souffrance qui déchire, qui épuise, qui fait hurler. Il permet de sentir

de sensibilité. Ils disent : c’étaient les plus beaux prénoms du monde et les plus belles femmes du monde. Mais ils s’arrêtent là et pour moi, femme du vingt-et-unième, il me semble impensable de ne pas essayer de comprendre pourquoi Job a choisi ces prénoms, alors même que je pousse l’analyse étymologique très loin pour nombre d’autres termes du livre. Toutes les figures et représentations symboliques de nos prénoms, surtout après la Shoah, me reviennent en mémoire avec les changements de noms ou les attributions de noms de personnes disparues. Après la transformation que Job a vécue il n’a pas pu choisir les noms au hasard, il a voulu les protéger. Ma clé d’entrée dans le texte c’est justement cet acte d’attribution des prénoms aux filles par le « nouveau » Job. Grâce à ce fil j’ai compris les commentaires du Talmud et de Rachi. Le livre de Job n’est pas un livre sur la mort, car à aucun moment Job n’envisage le suicide, mais sur la souffrance et la perte que l’on surmonte en retrouvant la capacité de créer un certain type de lien avec ceux qu’on aime.

■ Pourtant on ne parle pas beaucoup de la femme de Job, dont le rôle est très secondaire dans le texte selon les commentateurs, pourquoi est-elle en retrait ?

Je ne suis pas du tout d’accord, et je m’efforce dans le livre de la « réhabiliter », car je pense qu’elle est une vraie « ezer ke negdo ». Elle place Job face à lui-même, elle ne supporte plus de le voir souffrir et l’enjoint de dire la chose horrible que l’on attend de lui, comme ça il mourra et ne souffrira plus, mais en faisant cela elle lui donne une décharge électrique qui va le réveiller et le faire sortir de sa prostration. Elle joue un vrai rôle de miroir et de vis-à-vis, comme un thérapeute. ■

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le souffle de Job qui délivre sa parole à ses interlocuteurs. Or images + rythme = poésie.

■ Au cours de cette décennie de recherches sur le livre de Job, qu’est-ce qui a changé ou évolué dans votre approche du texte ?

Tout d’abord moi j’ai changé, je ne vois plus la vie de la même façon. Au départ je voulais comprendre ce que nos maîtres, nos sages de l’étude juive, pensaient de ce texte. Je ne connaissais pas bien les différences entre Rachi, Nahmanide, Maimonide et autres grands penseurs dont nous sommes les héritiers spirituels. J’ai essayé de saisir les divergences entre les grandes « familles d’esprit » du judaïsme. Je me suis rendu compte que livre de Job remet en cause la fameuse théorie de la rétribution, qui voudrait que tout malheur soit le résultat d’une faute et propose une réflexion beaucoup plus fine. A chaque fois j’avais l’impression de ne pas comprendre ce que disait le Talmud dans le Traité Baba Batra, sur cette question, ni même ce que disait Rachi, et qu’ils n’apportaient pas de réponse à cette question de la rétribution. Après sept années de recherches et de lecture, j’ai eu tout d’un coup comme une illumination et j’ai trouvé ce qui me paraît être la clé d’entrée principale dans le livre de Job. A la fin du texte dix enfants nouveaux naissent. Parmi les commentateurs, seul Nahmanide pense qu’il s’agit en fait de ses enfants qui étaient cachés, mais ce qui compte c’est que Job pensait que ses enfants étaient morts. Il y a sept garçons et trois filles, mais seuls les noms des filles sont donnés. Ces prénoms sont magnifiques, poétiques. Nos commentateurs, lorsqu’ils parlent des femmes, sont pleins de délicatesse et

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Zikhrona Livrakha

Simone Veil est cette étoile-là pour nous aujourd’hui. Ses combats ont

été des combats prophétiques pour notre temps. Elle a tracé le chemin de ce que nous devons être aujourd’hui, nous Européens, nous Français, qui l’avons souvent désignée comme notre personnalité préférée, nous Juifs. Ses combats sont désormais les nôtres. Ne pas les mener à notre tour, c’est consentir à la ruine de notre civilisation, et se préparer au retour de la barbarie.

C’est pourquoi, en ce temps de grandes incertitudes et de risques de vents violents, sinon de tempêtes, il est impératif de lire, de méditer, de ruminer, et de conserver sur sa table de chevet « Mes combats », préfacé par Robert Badinter, qui regroupe une sélection de discours et de textes choisis par ses fils, Jean, et Pierre-François, discours et textes qui sont autant de monuments d’humanité, de sens du réel et du possible, d’absence totale de démagogie, de hauteur. La grandeur humaine en acte, portée dans ses trois combats. Et qui sont des combats à reprendre.

La reconnaissance de la Shoah et de son caractère unique

Simone Veil s’est battue pour que la Shoah ne soit pas oubliée, que l’on se souvienne de ceux qui ne sont pas revenus, pour qu’elle soit méditée, enseignée, qu’elle fasse partie de la mémoire des peuples européens, pour qu’elle leur soit transmise, pour que cela ne se reproduise plus. Sans la transmission de la Shoah, sans acceptation pleine et entière par chacun de ces peuples de ce passé, sans reconnaissance de cet héritage terrible, sa conviction est qu’il ne pouvait pas y avoir de projet européen et de réconciliation durable entre des nations ennemies. Mais, de la Shoah, elle s’est aussi engagée pour faire reconnaître son caractère absolument unique,

non assimilable à aucun des autres génocides que nous avons connus depuis ou avant même. Car l’objet des nazis était d’anéantir un peuple entier de la surface de la terre -en fait 2 car Simone Veil s’est toujours mobilisée pour rappeler que les tsiganes avaient été visés comme les Juifs-, et pas seulement de leur territoire, de les rayer de l’histoire et de la mémoire du monde, de faire en sorte que plus personne ne se souvienne des Juifs.

La Shoah constitue une rupture dans l’histoire de l’humanité. Simone Veil nous met en garde contre les dérives de l’Etat bureaucratique moderne et rappelle, à qui en doutait, que l’humanité est un enjeu, qu’elle ne va pas de soi, puisqu’elle a été détruite à Auschwitz.

Faire mémoire de la Shoah est, dès lors, pour tout homme, oui, tout homme quel qu’il soit, le socle du respect de la vie humaine et de notre civilisation.

Qui ne voit que ce combat est toujours à reprendre ?

L’engagement européen

Pour Simone Veil, il était nécessaire de faire la paix avec les Allemands. Il lui était apparu très tôt que la vengeance ne lui rendrait pas les siens, son père, sa mère, son frère, ainsi qu’aucun des disparus à leurs survivants. Par un sursaut de la conscience et une force d’âme exceptionnelle, elle jugeait nécessaire de créer entre nos deux pays, et entre les pays européens, des liens indéfectibles pour qu’ils aient l’envie et la nécessité de se connaître, s’apprécier, se rencontrer, échanger économiquement mais pas seulement, pour rendre impossible toute nouvelle guerre et construire la paix définitive entre la France et les Etats voisins. Son combat européen a été de tous les instants. Elle savait que, dès lors que l’Europe plaçait la Shoah au cœur de sa conscience, elle seule devenait capable de répondre aux

défis de la paix, de la liberté, de la démocratie, des droits de l’homme, du bien-être. Simone Veil a gagné son combat, tout en reconnaissant que l’Union Européenne était à parfaire. Mais en incarnant l’Europe et de quelle manière, elle lui a fait la promesse du futur.

Mais qui ne voit pas, là encore, que cet acquis n’est pas définitif, et que nombreux sont les opposants, les déçus, les hésitants. Oui il nous manque de la grandeur pour incarner de nouveau ce projet aussi utopique que réaliste. Cela sera l’un des rendez-vous de notre nouveau président.

Et, en méditant ses engagements européens, sa capacité à tourner la page sans oublier, ne se prend-on pas à rêver d’une paix possible entre Israël et les Etats voisins, comme il y eut la paix entre la France et les Etats voisins ?

L’égalité des hommes et des femmes

Nous connaissons tous son combat pour donner une assise légale à l’interruption volontaire de grossesse. Son discours à l’Assemblée Nationale du 26 novembre 1974 restera pour l’éternité un chef d’œuvre politique, moral, et d’humanité. Toute sa vie, sans croire à l’identité des hommes et des femmes, elle s’est engagée pour qu’une pleine égalité, dans la reconnaissance de leurs différences, leur soit accordée : dans la politique, dans les entreprises, dans la famille…

Elle apportait la preuve que les femmes peuvent avoir de l’autorité, ce dont à l’époque on doutait, elle militait

pour que l’on fasse confiance à la conscience des femmes.

Nous étions convaincus qu’elle avait gagné la partie. Mais qui ne voit pas que ce combat-là n’est pas fini, et que l’obscurantisme relève la tête, et partout. Nous devons reprendre le combat. Partout, y compris à Copernic.

Le triangle de ces combats est celui sur lequel repose l’Europe aujourd’hui. Il est à la base de la construction européenne. Il est le cœur de la conscience européenne. Les nouveaux arrivants ne peuvent vivre sur notre sol que si on le leur enseigne et qu’ils y adhèrent, ce qui ne les empêche pas d’être également fidèles à leur passé.

Simone Veil est, et doit être, un exemple pour eux aussi. Elle a toujours été fidèle au judaïsme, ce que la Shoah avait renforcé, disposait d’une grande culture juive, manifestait un très grand intérêt pour la vie juive, et notamment pour la culture des disparus. Elle s’est engagée dans les luttes de la communauté juive. Elle a été membre et a été toujours proche de Copernic, au centenaire de laquelle elle était présente et dont elle avait assuré le haut patronage.

Simone Veil était un prophète des temps modernes. Car qu’est-ce qu’un prophète sinon une personnalité qui voit clair sur les dangers et les enjeux de son temps, et qui se bat pour que le meilleur advienne et non le pire ? En ce sens, car il voit juste, le prophète illumine le présent et donc le futur, alors que nous, simples mortels, ne voyons en général qu’une réalité obscurcie, voilée. Qui voit clair aujourd’hui façonne le monde de demain.

Voilà, la tâche n’est pas finie. Hélas, nous sommes maintenant si tristes d’être un peu plus seuls, de ne plus pouvoir nous reposer sur cette énergie, cette vision, cette puissance d’humanité, de cette si grande française, de cette si grande juive. A chacun de nous de reprendre l’ouvrage et de se laisser porter par son exemple. Oui sa mémoire est force de bénédiction : en elle, grâce à elle, nous

pouvons devenir meilleurs. ■

Jean-François Bensahel

« J’ai appris que l’engagement dans la sphère publique est peut-être l’une des manifestations les plus nobles de l’esprit humain ». Conférence annuelle des organisations non gouvernementales, UNESCO, 3 septembre 2008.

« Mais avant tout c’est mon passé d’ancienne déportée, alors que je n’étais encore qu’une adolescente, qui me conduit à me révolter contre tout ce qui stigmatise, exclut, persécute et même assassine pour une raison ou plutôt un prétexte lié à la naissance ». Journée de l’amitié judéo-musulmane de France, 21 novembre 2004.

Dans notre monde en pleine reconfiguration, où nous sommes finalement tous guettés par le nihilisme, et nombreux sont ceux qui y succombent, il nous faut impérativement faire l’effort de nous surpasser, de ne pas baisser les bras, mais plutôt de les tendre et de nous accrocher aux étoiles, qui, elles, continuent à nous envoyer de la lumière et à éclairer notre route, et demeurent bien vivantes, même si elles se dérobent à nos regards.

les combats de

Simone Veilsont les nôtres

20 • Septembre 2017 - n° 201 / Le Messager המבשר

Bloc-notes

Hamevasser a sélectionné pour vous

en partenariat avec

LES AILES DE NATHAN Catherine Cerf-Verny Editions L’Harmattan

Catherine Cerf-Verny, professeur de russe et de français langue étrangère à Polytechnique, vient de publier son premier roman, « Les ailes de Nathan », récit émouvant de la rencontre improbable entre Nathan et Ella. Nathan, 62 ans aujourd’hui, juif d’origine polonaise, a vu sa vie basculer le 16 juillet 1942, lorsque sa mère et ses 2 sœurs ont été embarquées par la Police pour le Vel d’Hiv. Il ne les a jamais revues. Son père et lui ont miraculeusement

échappé à la rafle. Toute sa vie en a été bien sûr bouleversée, au point qu’il n’a jamais pu quitter l’appartement familial, ni fondé un foyer et qu’il a repris l’activité paternelle de tailleur. Bien des années plus tard, il rencontre Ella, 37 ans, intellectuelle et spécialiste de la Russie. Le récit de Nathan, émaillé des nombreuses lettres qu’il a écrites à sa

mère sans jamais les envoyer, bouleverse Ella. Ils se voient très souvent. Une histoire d’amour subtile naît entre eux, esquissée en filigrane. Ella essaie de faire revivre Nathan en l’initiant à la musique et à la littérature. Nathan ouvre enfin ses ailes à la vie. ■

Richard Metzger

La force de l’amour

LA SYNAGOGUE DE LA VICTOIRE, 150 ANS DU JUDAïSME FRANçAIS Éditions Porte-plume

C’est un « beau livre » de 500 pages magnifiquement illustrées, écrit par 18 auteurs, qui raconte les 150 ans de la grande synagogue de la Victoire à Paris et par là, une partie de l’histoire du judaïsme français. Cet ouvrage a vu le jour sous la co-direction de Jacques Canet, président de la synagogue de

la V ic to i re , et de Claude Nataf, historien et vice-prés-ident de la c o m m i s s i o n française des archives juives. En 1867, dans le

prolongement de la création du Consistoire et de l’organisation de la vie juive en France, Napoléon III décidait la construction d’une grande synagogue rue de la Victoire à Paris. Son architecture était proche de celle d’une cathédrale. C’est ainsi que l’avait voulue la communauté de l’époque, pour montrer son intégration à la société française, sans pour autant perdre son identité. C’était, selon Eric de Rothschild « le symbole d’un judaïsme fier et ouvert qui ne craint pas de se montrer ». Les auteurs ayant participé à la rédaction de ce livre nous montrent les différentes étapes historiques de cette synagogue, de sa genèse, de sa construction et des différents événements qui ont marqué le xxe siècle. En particulier, cette synagogue est restée ouverte pendant l’occupation allemande et a permis, malgré les risques évidents, la tenue des offices religieux qui rythment notre vie (je pense ici avec émotion à mon grand-père (z al) qui, expulsé d’Alsace et réfugié à Paris, se rendait à la Victoire tous les Shabbat !). Ce livre fait revivre les personnages majeurs du judaïsme français, en particulier (liste bien sûr non exhaustive) Adolphe Crémieux, Zadok Kahn, Edmond Fleg, Jacob Kaplan, Haïm Korsia… Il démontre la particularité de la communauté juive française – ceci pourrait s’appliquer à toutes les communautés juives du monde — respectueuse de ses traditions, mais soucieuse de s’intégrer à la société dans laquelle elle vit. A noter qu’un long chapitre est consacré à notre communauté, l’ULIF – Copernic, et à son premier Grand rabbin, Louis-Germain Levy.■

Richard Metzger

Une page du judaïsme français

LE FASCISME ISLAMIQUE Hamed Abdel-Samad Éditions Grasset

Intellectuel allemand d’origine égyptienne, élevé dans la foi musulmane par un père imam, Abdel-Samad introduit sa réflexion sur les sources de l’islam politique par un rappel du contexte historique : l’islamisme des Frères musulmans s’est développé en Egypte au même moment que le fascisme en Italie et le nazisme en Allemagne. Il ne s’agit pas d’une simple coïncidence chronologique, car les principes fondateurs de l’islam politique et les étapes de son établissement dans la péninsule arabique prouvent que l’idéologie fascisante est présente dès le premier jour. Le fascislamisme n’est pas une figure de style, mais une réalité historique. L’islamisme radical, contrairement

à ce que prétendent certains intellectuels, n’est pas la trahison ou la perversion récente d’une religion immaculée, mais la tare originelle de sa traduction dans le champ politique.

La foi musulmane i n d i v i d u e l l e e s t innocente, mais le

pouvoir islamique est coupable. Enseignant, entre autres, à l’Institut des Etudes juives de Munich, l’auteur a consacré six ouvrages à son parcours personnel et à l’islam, qu’il connaît sur le bout des doigts. Reconnu comme un des grands spécialistes de l’islam politique, Abdel-Hamad est menacé par une fatwa et vit sous protection policière.

En 2014 un éditeur français avait acquis les droits de ce livre, mais renonça à le publier pour ne pas envenimer la situation après les attentats de Charlie Hebdo et Hyper Cacher. Il voit enfin le jour en France… ■

Le totalitarisme vert

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Abdel-Samad, intellectuel allemand, est le fils d’un imam musulman sunnite et le troisième de cinq

enfants.

Wikipedia

Septembre 2017 - n° 201 / Le Messager 21 • המבשר

PRINTEMPS ET AUTRES SAISONS Israël Joshua Singer Éditions l’Antilope

Né en Pologne en 1893, fils de rabbin, frère aîné de d’Isaac Bashevis Singer, Prix Nobel de littérature, Israël Joshua Singer commence sa carrière littéraire en 1916 et deviendra l’un

des écrivains yiddish les plus connus. Il émigre à New York en 1934 où il meurt en 1944. Plusieurs de ces romans ont été traduits en français, « les Frères Ashkenazi », « Yoshé le fou », « la famille Karnovski ».

Dans ce recueil de nouvelles, publié en 1937, il campe, avec une apparente légèreté, des personnages tiraillés entre le

vieux continent et l’Amérique, entre le monde juif et les non juifs, entre la vie traditionnelle et l’existence moderne. Inédites en français ces nouvelles sont remarquablement traduites par Monique Charbonnel-Grinhaus.

Avec ces textes, l’œuvre d’Israël Joshua Singer est désormais entièrement disponible en français. ■

Un monde ancien et nouveau

LES PIèGES DE L’EXIL Philippe Kerr Éditions Seuil

Onzième livre de la série commencée avec « La trilogie berlinoise », ce polar nous fait retrouver Bernie Gunther, inspecteur de la police criminelle à Berlin dans les années trente, devenu malgré lui officier de la SS, puis détective privé. Gunther a fui l’Allemagne

et se retrouve, au début des années cinquante, concierge du Grand Hôtel de St Jean-Cap-Ferrat.

Sous une identité d’emprunt, i l se croit à l ’abri des poursuites. Pour tromper son ennui il joue au bridge avec un couple d’Anglais et le directeur italien du Casino de Nice. Il rencontre une séduisante cliente de l’hôtel, Anna French, qui écrit une

biographie de Somerset Maugham, et se retrouve rapidement entraîné dans une affaire de chantage.

La situation se corse et Gunther est rattrapé par son passé. Le roman offre un portrait intéressant de Maugham, espion de la Couronne britannique, pris dans un piège diabolique. Philip Kerr a réussi à créer un nouveau genre, repris par d’autres, celui du polar lié à la période nazie. ■

Un polar sur l’après-guerre

LE LIVRE DE LA CUISINE JUIVE Claudia Roden Flammarion

Rassemblant plus de 800 recettes au cours de quinze années de recherches et de voyages, Claudia Roden nous offre un ouvrage pétri de connaissances et de sagesse, à travers l’histoire, les rites et les cultures de toutes les communautés. Un magnifique cadeau pour les fêtes. Claudia Roden, qui vit en Angleterre aujourd’hui a répondu à nos questions sur l’art culinaire juif.

Peut-on parler d’une spécificité de la cuisine juive ou bien est-elle le reflet des lieux et des cultures dans lequels les Juifs ont vécu ?Les juifs ont adopté les cuisines des pays où ils vivaient, mais dans chacun de ces pays leur cuisine a gardé des saveurs particulières, des plats caractéristiques jusqu’à totalement originaux. Dans certains pays, comme aux Indes et en Turquie, par exemple, elle pouvait être franchement différente de celle de l’ensemble de la population.

Vous donnez une place plus importante à la cuisine sépharade qu’à la cuisine ashkénaze, est-elle vraiment plus riche ou bien est-ce en raison de vos origines ?La cuisine des juifs Ashkénazes originaires de l’Europe de l’Est et de Russie est relativement standard. Même s’ils venaient d’un territoire très étendu, leur cuisine, comme leur langue, le Yiddish, et leur culture, était semblable car ils avaient des racines et une histoire commune. La cuisine Sépharade est plus riche parce qu’elle variait d’un pays à l’autre et quelquefois d’une ville à l’autre. Au sens strict, le terme Sépharade désigne seulement les juifs dont les ancêtres vivaient dans la péninsule ibérique. Au sens large où il est utilisé actuellement, il désigne les juifs dont les racines se trouvent autour de la Méditerranée, au Moyen Orient et en Asie (ce qui veut dire en fait tous ceux qui ne sont pas Ashkénazes).

Votre livre n’est pas seulement un guide de recettes mais une recherche ethnographique et anthropologique, pensez-vous que la cuisine est avant tout l’expression d’une culture ?La cuisine est l’expression d’une culture. Elle a une place importante dans la culture parce qu’elle impacte la vie de tous les jours pour tout le monde.

Dans votre livre vous évoquez brièvement la cuisine israélienne, pensez-vous que celle-ci s’est développée ces dernières années, à l’instar de chefs israéliens ouvrant des restaurants originaux en Israël et à travers le monde ?La cuisine israélienne, s’est développée dans la restauration d’une façon merveilleuse ces dernières années. Ses chefs créateurs qui s’inspirent des cuisines de la diaspora, surtout sépharade, sont aujourd’hui très appréciés à travers le monde. ■

Entre judaïsme et gastronomie

HISTOIRE DE LA COLLABORATION François Broche et Jean-François Muracciole Tallandier

Enfin un livre rigoureux et scientifique, écrit par des historiens français, sur la sombre histoire de la collaboration. « Trois-quarts de siècles après l’effondrement de 1940, la collaboration demeure le plus délicat des problèmes posés par la défaite et la division de la France » (Stanley Hoffman). Peu d’historiens français ont tenté de démêler les nœuds de cette réalité complexe, floue, regroupant tous les comportements humains et tous les niveaux d’action. La collaboration n’a jamais été une politique clairement déterminée, fixée une fois pour toutes, car elle exigeait une adaptation permanente aux circonstances, aux demandes de l’occupant, à l’opinion des Français, au déroulement de la guerre mondiale. Elle recouvre un large éventail d’idées et de comportements impossibles à enserrer dans un cadre rigide. Son existence a marqué d’une empreinte indélébile l’histoire de France. Auteur du « Dictionnaire de la collaboration » et spécialiste de la France libre, François Broche s’est associé avec Jean-François Murraciole, professeur à l’université Paul Valéry de Montpellier, auteur de « L’encyclopédie de la seconde guerre mondiale » pour nous proposer un ouvrage documenté et argumenté sur ce sujet qui ne cesse d’animer de nouvelles controverses à chaque occasion. ■

La lumière sur une période obscure

TRANSPORT -Yves Flank Éditions L’Antilope

Roman singulier qui se déroule dans un train en direction des camps de la mort, « Transport » est le premier livre d’Yves Flank. Livre à deux voix croisant les pensées de l’homme brun et de la femme rousse. L’homme brun donne

à entendre, à voir, à sentir ce qui se passe. La femme rousse revit la passion amoureuse qu’elle chante dans sa tête, appelant son grand amour à son secours, en yiddish, en hébreu. Alliant le rêve à la réalité dans un lieu clos, présageant de la fin inéluctable, ce roman

n’est pas un témoignage mais une allégorie. Les sentiments, le désir, la beauté ont-ils encore leur place dans cette antichambre de l’enfer, où des êtres livrés à l’horreur continuent à bâtir un univers intérieur, avec des souvenirs et des espoirs ? La poésie n’est pas une réponse à la haine, pourtant elle peut transmettre des émotions et nous aider à comprendre ce que signifie la perte de tout, y compris de notre propre humanité. ■

La poésie de la mort

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des taux insoutenables (les taux d’emprunt sont passés en quelques mois de 4 % à 12 % lors de la seconde intifada en 2002). C’est un plan d’urgence absolument stratégique pour le Pays. C’est ainsi que lors d’un dîner à Washington au mois de juillet, Le Ministre des Finances israélien, Moshé Kahlon, a remercié les Bonds pour leur « incroyable et historique contribution envers l’État d’Israël ».

■ Quelles sont les perspectives de développement en France ?

Jonathan Touboul : Dans le passé, le réseau des Bonds en France avait une forme associative et était animé par des responsables communautaires ou encore

■ Que sont les « Bonds » de l’État d’Israël ?

Jonathan Touboul : Lorsque L’État d’Israël s’est créé en 1948, il n’avait pas accès aux marchés financiers et vivait principalement avec les dons de la Diaspora mais ces ressources étaient insuffisantes face aux besoins du Pays. La création des Bonds par David Ben Gourion en 1951 s’est avérée la solution adéquate pour pallier aux gigantesques besoins de financement nécessaires à la construction de l’État d’Israël. Le réseau mondial des Bonds a perduré depuis. Le terme « Bonds » signifie en français un Bon du Trésor, un prêt que l’on fait à l’État d’Israël qui verse en contrepartie des intérêts au souscripteur. Par ailleurs, l’État d’Israël connaît un parfait historique de remboursement des Bonds depuis leur création même si les performances passées ne présagent pas du futur. On peut souscrire en Euros, Dollars ou Livres Sterling pour des maturités allant de 2 à 10 ans. Rappelons ici que tous les documents réglementaires et facteurs de risques sont détaillés sur notre site www.bondsisrael.com.

■ En quoi les Bonds sont-ils un atout stratégique pour Israël aujourd’hui ?

Jonathan Touboul : Tou t d ’abord , politiquement, parce qu’ils représentent un moyen efficace pour contrer le mouvement BDS (« Boycott, Désinvestissement, Sanctions »

Entretien avec Jonathan Touboul

Directeur des Bonds pour l’Europe francophone

contre Israël – ndlr). Économiquement, 1.4 milliards de Dollars de Bonds sont collectés à peu près chaque année (dont 1 milliard aux États-Unis) et on compte près de 650 000 souscripteurs dans le monde. L’économie Israélienne est en pleine forme mais la « Start Up Nation » a encore de nombreux défis à relever notamment dans le domaine social. Parallèlement, de grands projets d’infrastructure sont à financer dont les plus importants sont le Métro de Tel Aviv, l’installation d’un canal reliant la Mer Rouge à la Mer Morte afin d’éviter son assèchement ou encore de vastes projets ferroviaires comme le TGV « Capital Express » qui permettra dès 2018 d’effectuer le trajet Tel Aviv - Jérusalem en 28 minutes et l’agrandissement du réseau ferré jusqu’à Eilat. Par ailleurs, les Bonds sont avant tout une source de liquidité pour Israël, ce qui contribue à la bonification de la note attribuée à Israël par les agences de notations et multiplie sa capacité d’endettement (environ 25 % de la dette Israélienne est émise via les Bonds chaque année). S&P et Fitch attribuent à Israël la note d’A+. Enfin, de façon primordiale, les Bonds permettraient à Israël en cas de problème géopolitique majeur de pouvoir continuer à se financer à des taux raisonnables alors que les taux proposés sur les marchés financiers s’élèveraient considérablement à

Jonathan Touboul

les bonds, un atout stratégique

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Depuis 1951

des ambassadeurs mais avec l’entrée d’Israël dans l’OCDE les Bonds ont évolué vers une réglementation plus stricte avec la création d’une nouvelle entité en France régulée par l’Autorité des Marchés Financiers. Nous souhaitons créer en France le même engouement qu’aux États-Unis où les Bonds sont un véritable club de networking professionnel dont l’un des principaux leaders est le célèbre investisseur Warren Buffett.

Aux États-Unis les Bonds sont également connus grâce aux Mazal Tov Bonds que l’on offre en cadeau pour les grandes occasions comme des mariages, Bar/Bat Mitsva ou

encore des naissances mais les Bonds peuvent aussi être offerts aux associations caritatives.

Nous allons prochainement organiser à l’ULIF une soirée -conférence qui sera l’occasion d’échanger de façon plus approfondie sur les Bonds.

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est attribuée : l’interdiction de rappeler au repenti ses fautes passées, et à celui qui a été converti de force, sa conversion passée. C’est sans aucun doute grâce à la famille Kalonymos et à Rabbi Gershom que le judaïsme ashkénaze a autant rayonné sur l’Europe du Nord.

La communauté de Worms, également très ancienne, connaît son apogée au 11e. Rachi s’est provisoirement insta l lé dans la v i l le en 1060. Sa maison, rendue à la communauté en 1945, est aujourd’hui transformée en musée juif. On peut également y visiter un impressionnant mikvé du 12e s. Le cimetière de Worms, dont la plus ancienne pierre tombale est datée de 1076, est considéré comme le plus ancien d’Europe, avec ses 2 000 tombes, dont celle de rabbi

Des juifs semblent s’être installés dans les provinces

de Germanie occidentale déjà à l’époque romaine, venant de Gaule, d’Italie, voire directement de la terre d’Israël comme marchands. La première preuve écrite de leur présence est un texte rédigé en 321 à Cologne, indiquant que les juifs ont des droits civiques, et que seule la fonction publique leur est interdite.

Bien qu’il n’y ait pas réellement consensus sur l’origine exacte des ashkénazes, qu’Arthur Koest ler voi t comme les descendants des Khazars convertis, nous pouvons dire que le nom d’Ashkénaze a désigné à partir du moyen-âge un vaste

ensemble ethnico-culturel né du partage de l’Empire de Charlemagne. C’est à cette époque qu’un certain nombre de juifs qui vivaient alors dans la France du Nord et de l’Est, se sont installés dans les villes rhénanes. C’est là également, à Worms plus précisément, que l’on a découvert, dans la marge d’un livre de prière, la première inscription en yiddish en notre possession. Elle date de 1272.

C’est essentiellement pour bénéficier d’une voie navigable propice au commerce que les premiers juifs se sont installés le long du Rhin. La plus ancienne communauté semble avoir été celle de Mayence, où s’est installé en 917 un savant

Savez-vous ce que désigne l’expression « SHOUM » ? Il s’agit, hébraïsées, des initiales des villes de Spire, Worms, et Mayence. Pourquoi être allés dans ces villes rhénanes où il ne reste hélas que bien peu de traces juives ? Simplement parce qu’elles ont été, il y a un millénaire, le berceau du monde ashkénaze. Comme toujours, ce voyage a été ponctué de conférences, et de belles rencontres.

Séjour organisé par l’Association Valiske, accompagné et animé par Ariane Bendavid

Mikvé de Spire. Synagogue de Worms.

Aux sources du judaïsme ashkénaze les villes rhénanes

et leurs grandes figures

venu d’Italie, Kalonymos de Lucques, le premier d’une lignée d’exégètes qui marquera le judaïsme ashkénaze. Mais c’est là surtout qu’enseignait Rabbi Gershom ben Yehouda de Mayence, le Meor Ha-Gola (Metz 960- Mayence 1028), que beaucoup considèrent comme le père du judaïsme ashkénaze. Auteur du « commentaire de Mayence » ou « peroush rabbenou Gershom », il a fondé une importante yeshiva qui accueillait des étudiants venus de l’Europe entière. C’est lui qui prit la décision — qui l’a rendu célèbre jusqu’à aujourd’hui — d’interdire la polygamie sous peine d’excommunication, une interdiction qui n’est pourtant entrée en vigueur que dans un environnement chrétien, à l’exclusion donc des sépharades vivant en terre d’islam. Une autre takana importante lui

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rabbins de Brody demandent à leurs coreligionnaires de dénoncer les hérétiques et décrètent l’excommunication de tous les Frankistes. Mais Frank ne se laisse pas impressionner. En 1759, il réunit quelques centaines de ses fidèles dans une bourgade de Podolie pour leur délivrer son enseignement. C’est là qu’il organise sa secte, avec ses rites, ses prières, tout cela étant consigné dans son « Livre des paroles du Seigneur ». Il se présente comme celui qui est venu accomplir la parole de Shabtaï Tsvi, et non la remplacer, à cette différence près que c’est vers le christianisme qu’il penche – quand son prédécesseur s’était, lui, converti à l’islam : « Notre Seigneur et roi Shabtaï Tsvi a été contraint de passer par la religion d’Ismaël. Et moi, Jacob, parachèvement du tout, élite des patriarches, je suis contraint de passer par la religion nazaréenne. En effet, Jésus fut l’élite de l’écorce qui précède le fruit, et il ne lui fut permis de venir dans le monde que pour frayer la route au Messie véritable. C’est pourquoi nous devons adhérer en apparence à la religion chrétienne et l’observer aux yeux des chrétiens plus scrupuleusement qu’ils ne l ’observent eux-mêmes » . Il se fait enfin baptiser, avec d’abord 514 frankistes, suivis par des centaines d’autres, dans l ’égl ise de Lvov, le 17 septembre 1759. Plusieurs

Meïr de Rothenbourg (1215 – 1293), surnommé le Maharam (Morénou Ha-Rav Meïr) l’un des grands talmudistes de l’époque. Nous avons eu le privilège d’y être guidé par un professeur (non juif) , Roland Graser, spécialisé dans l’histoire des juifs de sa ville et de la région.

A Spire, c’est en 1084 qu’un évêque, Rüdiger, invite les juifs à s’établir, pour, selon ses propres termes, « accroître le prestige de sa ville » ! Les droits qu’il leur accorde sont consignés dans une charte appelée « privilèges de Rüdiger ». Ils y vivront dans un quartier protégé, autour de leur synagogue inaugurée en 1096, juste avant le début de la première croisade.

Mais les problèmes ne vont pas tarder à surgir avec la christianisation de la région, et l’appel à la Croisade d’Urbain II, en novembre 1095. Si l’objectif avoué en était la libération des lieux saints, cette croisade s’est vite transformée en massacre systématique par les croisés des juifs qui se trouvaient sur leur chemin, et ce, contre la volonté des Evêques, Jean de Spire, Albrand de Worms, et Ruthard II de Mayence qui ont tenté de les protéger.

La première croisade commence donc en 1096, en France. Quand les croisés arrivent sur le Rhin, ils contraignent les juifs à choisir entre la conversion et la mort – quand ils ne les massacrent pas sans autre forme de procès. Les premières victimes sont celles de Spire, attaquées un shabbat dans leur synagogue, le 3 mai. L’évêque de Spire parvient à éviter un bain de sang et il n’y aura, si je puis dire, qu’une douzaine de victimes. Le « pogrom » de Worms, finira beaucoup plus mal : 800 juifs sont massacrés après avoir refusé le baptême, malgré l’opposition de l’Evêque dont le palais épiscopal est envahi par les croisés. A Mayence, 1 100 juifs périssent en une seule journée. Un épisode est resté célèbre : le baptême forcé, dans le

Rav Amnon de Mayence, qui aurait eu les pieds et les mains coupés après avoir refusé de se convertir. Mais si les ashkénazes se la sont appropriée, cette prière, retrouvée dans la Gueniza du Caire, daterait en réalité de l’époque byzantine. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un hymne à la gloire de Dieu, qui

Synagogue de Kippelheim, façade d’aujourd’hui et photo de l’intérieur avant sa destruction par les nazis.

Gravure médiévale sur laquelle on peut voir le chapeau jaune, signe distinctif obligatoire.

Danube, des juifs de Ratisbonne. 10 000 à 12 000 périront en tout dans la seule année 1096. Et même si le Pape condamne, les auteurs de ces massacres sont rarement inquiétés.

De nombreuses chroniques juives de l’époque ont présenté les juifs de Rhénanie comme des martyrs. C’est le règne du Kiddoush ha-shem , la « sanctification du Nom », au point que cette notion de mort en martyr (même par suicide) pour la sanctification de Dieu entrera dans les prières des grandes fêtes. Une légende ashkénaze st ipule que le poème liturgique Ounetaneh toquef, aurait été récité pour la première fois par un certain

« juge nos actions et signe notre arrêt ». Cherchant une explication à la souffrance de juifs parfaitement orthodoxes, on va jusqu’à dire que cette croisade fait partie des Yissourei Ahava , ces « souffrances d’amour » que Dieu envoie à ses fidèles. Cela étant, beaucoup ont choisi la conversion, pour revenir ensuite au judaïsme une fois le danger passé… si tant est qu’il soit jamais vraiment passé. Au xiie siècle, c’est la deuxième croisade, et en 1349, les juifs sont accusés d’être responsables de l’épidémie peste noire. Des centaines d’entre eux meurent sur le bûcher.

Les communautés rhénanes n’ont pourtant pas disparu. Le xiie siècle a même été marqué par un important renouveau spirituel. C’est la naissance des Tossaphistes, commentateurs du Talmud de la génération suivant Rachi. L’un des plus célèbres n’est autre que le petit-fils de Rachi, Rabenou Tam, dont le nom apparaît souvent à côté de celui de Rachi dans les commentaires en marge du Talmud.

Plus tard, le monde ashkénaze connaîtra le développement d’une hérésie comparable à celle de Shabtaï Tsvi : le Frankisme. L’essor de ce mouvement initié par Jacob Frank, né en Podolie en 1726, a été favorisé d’une part par les répercussions de l’hérésie sabbataïste, d’autre part par la situation socio-économique très difficile de la Podolie et la Galicie. Très jeune déjà Frank a des tendances hérétiques. Au début des années 1750, il se lie d’amitié avec ceux qui sont restés fidèles à Shabtaï Tsvi et avec des dönmeh – juifs convertis à l’islam après l’apostasie de Tsvi. Il n’hésite pas à rejeter le Talmud au profit du Zohar, avant de plonger dans le nihilisme et d’appeler à l’abrogation de toutes les Lois de la Torah. Son attitude crée le scandale et en 1756, après qu’il se soit proclamé Messie, les

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à une modernisation du culte. Il faudra plusieurs assemblées rabbiniques et des débats virulents pour que cette réforme voie le jour. Nous en sommes, à Copernic, les héritiers.

Le prochain voyage organisé par l’Association Valiske, spécialisée dans les voyages culturels juifs, nous conduira à Turin et dans ses environs, pendant les vacances de Pâques 2018. ■

Ariane Bendavid

documents de 1760 dressent une liste non exhaustive des convertis. Pourtant, beaucoup ont cherché à échapper à ce baptême plus ou moins forcé, refusant d’embrasser la foi de ceux qu’ils considéraient encore comme leurs ennemis.

Comme pour Shabtaï Tsvi, les choses vont mal tourner. Le clergé a des doutes – et on le comprend — sur la foi et les motivations de Frank. Accusé de fausse conversion et d’hérésie, il est arrêté à Varsovie en

février 1760, et emprisonné pendant 13 ans. Relâché en 1773 par les Russes après le premier partage de la Pologne, il s’installe à Offenbach où il mourra en 1791. Ses adeptes seront tout de même plus de 20 000, à vivre comme une secte étrange, endogame, pratiquant une religion hybride imprégnée de tendances chrétiennes, jusqu’au milieu du xixe siècle.

Ce bref panorama serait incomplet si je n’évoquais

Plaque commémorative de la destruction de la synagogue de Heidelberg lors de la Nuit de cristal.

Synagogue de Francfort, détruite pendant la nuit de cristal et reconstruite.

Maison-musée de Rachi.également le grand mouvement de la Réforme, fille de la Haskalah et de la Wissenschaft – la Science du judaïsme. Israël Jacobson, Abraham Geiger, Zacharias Frankel, et Samuel Holdheim peuvent être considérés comme les pères spirituels du judaïsme moderne, qu’il soit libéral ou massorti. Dans une Allemagne qui voyait les juifs entrer de plain-pied dans la société, ils ont su répondre aux attentes d’une communauté qui aspirait

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de l ’ identif ication des parties de corps, Chesed Shel Emet. Depuis son commencement, l’organisation a grandi et comprend une unité de moto pour les secours d’urgence, une unité « Repérage et secours» et divers départements qui s’occupent d’éducation publique et de services communautaires.

Zaka a représenté plus d’une fois avec fierté l’état d’Israël, lorsqu’elle a aidé

des pays du monde entier lors de différentes catastrophes naturelles et attentats. Suite à ces interventions, Zaka a obtenu en 2005 la reconnaissance la plus prestigieuse qu’une organisation puisse recevoir : être agréée comme organisation humanitaire internationale par l’ONU. En 2016 Zaka a obtenu le statut d’observateur et conseiller à l’ONU. Ce nouveau statut permettra à ZAKA d’étendre librement ses activités à travers

Zaka, les anges en gilets jaunes

Tout le monde a vu lors des scènes d’attentat ces hommes en gilets jaunes qui, aux côtés des forces de sécurité, s’affairent sans compter sur le terrain. Quel est exactement leur rôle ? Nous avons voulu en savoir plus avec le responsable du Zaka pour la France, Barukh Niddam.

■ Quand et par qui l’association ZAKA a-t-elle été fondée ?

En 1989, tout en étudiant dans une yéshiva, Yéhuda Meshi Zahav, le fondateur et Président de ZAKA, ainsi que ses camarades étudiants ont été précipités dans la réalité par une déflagration assourdissante, 2 minutes de silence et puis une masse de cris perçants. L’autobus du numéro 405 a été dévié dans un précipice par un terroriste, il a explosé, 17 personnes sont mortes et un grand nombre blessées. Yéhuda et ses collègues se sont précipités sur place et ont commencé à s’occuper des blessés et des morts. C’était un chaos horrifiant, se rappelle Yéhuda. Pendant six ans après cet incident Meshi Zahav et un groupe de volontaires ont continué ce travail de Chesed Shel Emet, le travail qui « fait sourire D-ieu ». Les volontaires de ZAKA ont humblement surmonté l’horreur des attaques de terroristes pour récupérer les restes humains - accomplissant le commandement biblique d’enterrer les morts «le jour même». ZAKA est devenue une organisation officielle en 1995. Elle a commencé comme organisation responsable de la récupération et

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Aliza Bin Noun et Yéhuda Meshi Zahav

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le monde et uniquement une dizaine de salariés nécessaires au fonctionnement régulier de l’organisation. Avec le temps ZAKA a formé une dizaine d’unités afin d’intervenir avec l’expertise nécessaire selon l ’ incident et porter secours efficacement : Unité d’urgence - Unité Chesed Shel Emet (Respect des défunts) - Unité de recherche - Unité de sauvetage rapide - Unité des minorités ethniques - Unité de plongeurs - Unité nautique - Unité des jeeps - Unité Canine - Unité internationale.

Chaque unité reçoit une formation professionnelle propre à son unité, certains bénévoles appartiennent à plusieurs unités.

■ Quels sont les besoins d’une association comme ZAKA ? De quel matériel les membres ont-ils besoin pour effectuer leur tâche ?

d’équipement spécifiques : de la trousse de secours à la moto médicalisée pour l’unité de sauvetage rapide, de la combinaison au sonar pour l’unité de plongée…

■ Comment s’établit la relation sur le terrain avec les services de police et de sécurité, y-a-t-il une coordination directe ?

Comme je vous l’ai dit nous sommes reliés au réseau de communication de la police et la coordination est non seulement directe mais préparée car la police participe aux stages de formation des bénévoles. Un grand nombre de nos bénévoles participent également aux

le monde.. À ce titre, l’organisation pourra également participer à des congrès, débats et rencontres et proposer son aide et son savoir-faire.

Lors de la réception du document officiel de l’ONU, Meshi Zahav a dit : « c’est un grand honneur pour l’Etat d’Israël, pour l’organisation et ses bénévoles que l’ONU reconnaisse le travail particulier et sacré que nous faisons sans aucune différence entre les races et les religions. »

■ Quel est le rôle spécifique de ZAKA dans la chaîne d’intervention après un attentat ou un accident grave ?

En cas d’attentat , nos bénévoles interviennent après que les unités de déminage aient examiné le site et vérifié l’absence d’autres risques et après que la police scientifique ait prélevé les

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ZAKA est une organisat ion non gouvernementale (ONG) et reçoit une aide de l’Etat à hauteur de 20% de son budget, le reste provient de la générosité de nos donateurs. Chaque unité a besoin

indices qui peuvent les mener sur la piste des terroristes. En cas d’accident grave, nos bénévoles étant en lien sur le réseau d’urgence de la police sont informés immédiatement et sont souvent les premiers sur les lieux. Si c’est encore possible, ils traitent les blessés et si l’accident a été fatal, ils s’occupent du défunt et de récupérer ses restes, selon la devise de notre organisation : « Sauvez ceux qui peuvent l’être, honorer ceux qui ne peuvent plus l’être. »

■ Les membres de ZAKA sont-ils tous des bénévoles ou non et quelle est leur formation ?

Environ 3000 b é n é v o l e s en I s r a ë l e t 700 dans les différentes unités formées à travers

exercices nationaux avec l’armée et les forces d’intervention d’urgence, mettant en scène des catastrophes majeures afin d’être entraînés et coordonnés en cas de besoin.

■ Les membres de ZAKA sont

généralement des Juifs religieux,

pensez-vous que l’appartenance à ce

milieu est un atout nécessaire pour

accomplir votre difficile mission ?

Il est vrai qu’il y a beaucoup de religieux car la première mission de ZAKA est le respect dû aux défunts selon la stricte loi juive et il faut vraiment que cela soit important pour vous afin de pouvoir accomplir une tache aussi difficile. Mais il y a au sein de ZAKA des unités qui

Attentat dans un bus

Intervention en Haiti

Incendie CarmelBombay

Ban ki moon

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Site Internet : www.zaka-fr.orgEmail : [email protected] bis rue Louis Philippe92200 Neuilly sur Seine

Tél : 01 74 900 600

ne sont pas ou très peu, composées de religieux comme l’unité canine ou l’unité de plongeurs qui sont des hommes et des femmes, anciens membres des commandos de la marine. Il y a aussi l’unité des minorités ethniques composée de druzes, de bédouins et de musulmans.

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Ouragan Katherina

Defilé de véhicules

Rapatriement de corps

30 • Septembre 2017 - n° 201 / Le Messager המבשר

Après une longue absence Israël est de retour sur le continent africain. Même si l’on sait que les contacts et les relations n’ont jamais cessé entre Israël et de nombreux Etats africains, depuis quelques mois, et notamment après la participation du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou à un sommet en Afrique, la présence israélienne s’affiche au grand jour. A l’initiative de la société Africa-Israel Connect, dirigée par Bruno Finel, un sommet doit

se tenir du 23 au 27 octobre à Lomé, capitale du Togo. La société Africa-Israel Connect développe depuis des années les relations entre Israël et le continent dans de nombreux domaines. Elle a proposé au ministère israélien des Affaires Etrangères d’organiser ce sommet en Afrique afin de renforcer les liens diplomatiques avec les pays du continent. Bruno Finel, bien connu dans notre communauté, a répondu aux questions de Hamevasser.

■ Pourquoi avez-vous choisi de tenir ce somment au Togo ?

Bruno Finel : Le Togo entretient depuis toujours des relations amicales avec Israël et son président Faure Gnassingbe s’est rendu à deux reprises en Israël en un an. Netanyahou a participé il y a quelques mois à un forum en Afrique de l’est, où il n’était resté que quelques heures et nous avons pensé qu’il était important que ce sommet se déroule cette fois-ci en Afrique de l’ouest. Il s’agit d’un sommet qui va durer quatre jours avec la participation de plusieurs ministres israéliens, Economie, Agriculture, Santé et Netanyahou lui-même sera présent deux jours à cet événement. Le département de

développement des ressources du ministère des Affaires Etrangères, Mashav, sera évidemment sur place, car il joue un rôle important dans la mise en place des partenariats avec les Etats africains dans de nombreux domaines comme l’agriculture, la technologie ou la santé. Il s’agit également d’un sommet politique, car il y aura des chefs d’Etat africains et des ministres, cela dit une large part de notre programme est consacrée à l’économie et aux partenariats.

■ Quels sont les sujets qui seront abordés lors des travaux de ce sommet ?

Notre programme comprend en effet plusieurs volets. Le premier est celui de la lutte contre le terrorisme, c’est-à-

dire la question de la sécurité, car de nombreux pays africains sont touchés par ce fléau. Il s’agit en fait de traiter des problèmes de sécurité en général, aussi bien de la cyber-sécurité que de la protection des lieux sensibles, aéroports et sites, ce que l’on désigne par le terme Homeland security. Le second volet est celui de l’agriculture, avec la présentation de solution pour les problèmes d’irrigation. Le troisième volet est celui de la santé. Le quatrième volet est celui des nouvelles technologies avec, par exemple, la présentation de l’E-banking. Les start-up israéliennes qui viennent à ce sommet sont des sociétés qui présentent des produits adaptés à la situation de l’Afrique, dont certains pays

n’ont pas encore de réseau Internet. Des compagnies israéliennes viendront aussi proposer des systèmes de développement de l’énergie solaire ou éolienne.

■ Il y a également dans votre programme un volet consacré à la jeunesse, en quoi consiste-t-il ?

La veille du sommet nous organisons une rencontre Afrique-Israël de la jeunesse avec plusieurs dizaines de par t ic ipants . V ing t -c inq jeunes israéliens lycéens en classe de première viennent spéc ia lement pour ce t événement et une soixantaine de jeunes Africains, un peu plus âgés, viendront de tout le continent. Ils échangeront leurs expériences, et évoqueront

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Israël est de retour

en Afrique

Septembre 2017 - n° 201 / Le Messager 31 • המבשר

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e notamment ce qui intéressent

les jeunes, à savoir les réseaux sociaux, l ’entreprenariat , l’innovation etc.

■ Il y a dans votre

programme un volet en

partenariat avec le lobby

juif américain AIPAC et

l’American Jewish Committee,

quelle est la nature de ce

panel ?

Ce panel sera consacré à un nouvel axe de coopération entre l’Afrique, Israël et les Etats-Unis, aussi sur le plan politique qu’économique. Il s’agit bien évidemment de tisser

Nous ne disposons pas encore de la liste complète, car en Afrique les décisions se prennent souvent en dernière minute, pour des raisons de sécurité. Tous les pays ont été invités, sauf ceux qui refusent d’avoir des relations avec Israël, et nous savons aujourd’hui qu’au moins 25 Etats seront représentés au plus haut niveau, chefs d’Etat ou ministres, directeurs d’agences off iciel les, d’hôpitaux et de responsables des divers domaines concernés. Du côté israélien plus de 130 sociétés présenteront leurs produits dans le cadre de ce que l’on appelle des TED, mini

ophtalmos israéliens et togolais soigneront gratuitement des malades de la cataracte. De plus Israël va offrir au Togo une unité de réanimation et de trauma entièrement équipée, qui sera opérationnel six mois après. Mashav va également construire devant le centre de conférences un champ pour montrer les technologies d’agriculture disponibles en Israël et en faire bénéficier les Africains. Il y aura également une ONG israélienne qui présentera un programme de réhabilitation sociale et psychologique à travers le football.

En fait les relations n’ont jamais été mauvaises, mais souvent elles n’avaient pas un caractère officiel ou un écho important. Les visites de ministres sont nombreuses, quasiment toutes les semaines, mais l’idée de Netanyahou aujourd’hui est de fédérer ces relations et de sortir de contacts au coup par coup pour créer une dynamique de coopération à l’échelle du continent africain. En fin de compte il s’agit de constituer un cercle d’amis et Etats fidèles en Afrique. Il est clair que nous n’aurons pas cinquante-cinq Etats qui vont soutenir Israël, mais si nous arrivons à en avoir vingt ou vingt-cinq qui peuvent agir en cas de motion hostile à Israël, ce n’est pas négligeable. Aujourd’hui il n’y a que deux ou trois Etats qui soutiennent Israël dans les institutions internationales. Nous espérons construire des relations à long terme qui peuvent profiter à la fois au développement de l’Afrique et au renforcement de l’Etat d’Israël.

■ Quelle est l’attitude des pays à forte majorité musulmane ?

En fait la religion musulmane ne joue pas dans les relations sauf pour des pays comme ceux du Maghreb, le Soudan ou encore l’Afrique du sud pour des raisons historiques liées à l’apartheid. En revanche des pays comme le Sénégal ou le Mali ont des relations avec Israël et l’islam n’est pas du tout un obstacle. Ils comprennent aussi que l’intérêt d’un tel sommet n’est pas contradictoire avec les intérêts des Palestiniens sur le plan économique. L’Autorité palestinienne a essayé de lancer un mouvement de boycott qui a échoué. Ce qui est intéressant à signaler c’est que même le Quai d’Orsay annonce le sommet sur son site. ■

Interview réalisée

par Michaël Bar-Zvi

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n C

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des liens entre les responsables pol i t iques américains et africains, et éventuellement avec les réseaux d’affaires. Cela ne peut que bénéficier à l’image et au statut d’Israël.

■ Quels sont les pays

africains qui ont confirmé

leur participation à ce

sommet ?

conférence d’une quinzaine de minutes, secteur par secteur. Ces sociétés sont conduites par le centre national d’exportation israélien. Mashav sera très présent puisqu’il fera venir, pour les journées de la conférence, une clinique mobile pour soigner la cataracte. Pendant deux semaines une petite clinique sera installée devant le centre de conférences, où des

■ Avez-vous l’impression

qu’il y a un réel changement

politique dans les relations

entre Israël et les Etats

africains, et qu’il peut

permettre d’aboutir à un

soutien diplomatique dans

les forums internationaux ou

lors de votes de résolution

contre Israël ?

Bruno Finel

32 • Septembre 2017 - n° 201 / Le Messager המבשר

leur attitude, développement des oeuvres de coopération, réflexion autour de la place d’Israël dans la relation tissée entre Juifs et chrétiens. Ce nouveau document attestait, in fine, du parcours accompli par les Juifs et les chrétiens depuis la Seconde Guerre mondiale.

70 ans après la promulgation des Dix Points de Seelisberg, et 8 ans après celle des Douze Points de Berlin, quel bilan peut-on tirer de ces deux documents ? Quelle influence de ces deux textes majeurs sur l’histoire des relations judéo-chrétiennes ? Quelle utilité d’une charte en matière de relations judéo-chrétiennes ? Et quel futur à ces relations ? Ce sera l’objet de notre journée d’étude de le définir.

Infos communautairesIn

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En 1947 se tenait la première grande conférence judéo-chrétienne de

l’après-guerre : la conférence de Seelisberg. Quelque 70 délégués étaient présents, venus de 17 pays. Cette conférence, lancée à l’initiative du Council of Christians and Jews britannique, marque le point de départ d’un dialogue à l’échelle internationale. Au terme de plusieurs jours de travaux, la conférence de Seelisberg mit au point ses fameux « Dix Points », sur la base des 18 points proposés par l’historien Jules Isaac. Le document, qui avait valeur de recommandation, fut rapidement adopté comme la charte du dialogue judéo-chrétien naissant. Lutte contre l’antisémitisme, combat contre l’enseignement du mépris, rétablissement des liens historiques et théologiques entre Juifs et chrétiens : en dressant la liste des questions fondamentales à affronter pour assainir la relation entre Juifs et chrétiens, les « Dix Points » permirent de structurer l’action des différentes instances judéo-chrétiennes nationales.

Plus de soixante ans plus tard, l’International Council of Christians and Jews adoptait, lors de sa conférence annuelle de 2009, tenue à Berlin, un nouveau document constitué de 12 points. Adressé à la fois aux chrétiens et aux Juifs, ce document annonçait « un temps de réengagement » et définissait de nouveaux objectifs à la relation judéo-chrétienne : promotion du dialogue inter-religieux, approfondissement de la compréhension chrétienne du judaïsme sur un plan théologique, reconnaissance juive des efforts chrétiens pour réformer

dialogue judéo-chrétienjournée d’étude

Matinée : Les Dix Points de Seelisberg : un texte à s’approprier. Quel bilan en tirer aujourd’hui ?9 h 15 : Accueil9 h 30 : De l’utilité d’une charte en matière de relations judéo-chrétiennes,

par Jacqueline Cuche, présidente de l’AJCF10 h 30 : Étude des Dix Points en ateliers11 h 30-11 h 45 : Synthèse des ateliers12 h 00 : Déjeuner cacher (sur inscription)

Après-midi : De la conférence de Seelisberg à nos jours : une mise en perspective13 h 30 : Accueil - café14h-14h30 : La conférence de Seelisberg à partir des archives anglaises (1947),

par Olivier Rota, historien14 h 30 : Échange avec la salle14 h 45-15 h 15 : Les Douze Points de Berlin (2009), par Liliane Apotheker, première

vice-présidente de l’ICCJ15 h 15 : Échange avec la salle15 h 30-16 h : Le futur des relations judéo-chrétiennes : le dialogue aura-t-il le dernier

mot ?, par Jean-François-Bensahel, président de l’ULIFCopernic16 h 15 : Échange avec la salle16 h 45 : Conclusion

Centre Communautaire Jérôme Cahen 4, rue Jacques Dulud - Neuilly-sur-Seine Inscription obligatoire avant le 3 novembre : [email protected] 01 45 22 12 38 Réservation - repas casher 20 €pr

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Mon accompagnement dans le cadre du « Lien social et communautaire » à l’ULIF,

m’a amené à rencontrer, écouter et soutenir de nombreuses familles et personnes isolées, qui rencontraient tous types de difficultés.

En plus de 5 ans, j’ai suivi 91 familles soit 152 personnes. Actuellement, je suis 35 familles soit 50 personnes.

Elles vivent des situations toujours terribles, parfois extrêmes (difficultés familiales, séparation, problématiques d’emploi, maladies psychiques et physiques, vieillissement,…)

C’est par une écoute et un service atypique, très personnal isé, et dans un cadre communautaire accueillant, que petit à petit les personnes renouent, retissent un lien, une relation à l’autre et aux autres.

Notre service travaille en partenariat avec les administrations de droit commun et les institutions communautaires, jusqu’à ce que les familles puissent à nouveau redevenir autonomes dans leurs démarches, sans appréhension du jugement des autres et en toute dignité.

Mais, il ne faut pas idéaliser, car même si des solutions sont trouvées dans certaines situations, quelques difficultés demeurent ou peuvent réapparaitre de manière récurrente. Il faut continuer à être au plus près des personnes, pour qu’elles ne se découragent pas.

Septembre 2017 - n° 201 / Le Messager 33 • המבשר

Le lien social et communautaire à Copernic

Sylvie Trèves, Assistante de Service Social,

reçoit sur rendez-vous

Tel: 01 47 04 37 27 ou [email protected]

Synagogue Copernic 24 rue Copernic 75116 Paris

www.ulif.org

Ce lien communautaire est un lien électif et affectif. Les familles nous deviennent proches et nous faisons partie de leur quotidien. Preuve en est des nombreux shabbath shalom, que nous échangeons tous les vendredis.

LE LIEN SOCIAL ET COMMUNAUTAIRE, C’EST AUSSI :

• Des permanences juridiques gratuites : prochaines dates les 8 novembre et 6 décembre 2017.

• Des collectes de vêtements au profit du vestiaire du CASIP-COJASOR : prochaine collecte de Tishri du 28 août au 15 septembre 2016.

• Une inscription citoyenne par une collecte au profit des « restos du coeur » : du 6 au 16 novembre 2017 : Les familles en difficultés sont adressées vers les institutions de droit commun et des associations, telles que « les restos du coeur », il nous a semblé important de continuer notre ouverture sur la cité en organisant une collecte alimentaire au profit des « restos du coeur ».

Nous espérons, que vous vous joindrez nombreux à cette action.

Sylvie Trèves

34 • Septembre 2017 - n° 201 / Le Messager המבשר

VOCI COPERNIC (Les voix de Copernic)

Vous voulez chanter mais vous êtes débutant, vous ne connaissez pas la musique ?

Rejoignez Voci Copernic.

• Formation ouverte à tous sans tes t d ’admiss ion . Chan t s t r ad i t i onne l s , comédies musicales, chants israéliens, chants en ladino et en yiddish…

• Répétition le dimanche à 10 h 45 à Copernic, en moyenne 2 dimanches par mois.

• Page web dédiée (partitions, mp3)

Chef de chœur : Marlène Samoun

Cotisation annuelle : membres ULIF : 140 €

non-membres : 160 €

Voci Copernic assure l’anima-t i on de man i fe s t a t i ons diverses. La chorale s’est produite à Deauville et à la mairie du 4e arrondissement de Paris.

Infos communautairesIn

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Vous souhaitez chanter de la musique juive ou en rapport avec le judaïsme ?

L’ENSEMBLE CHORAL COPERNIC

Vous voulez chanter et vous avez quelques connaissances musicales, vous avez déjà fait du chant choral ?

Rejoignez l’Ensemble Choral Copernic.

• Œuvres du grand répertoire de la musique l iée au judaïsme, l i turgique ou profane.

• Répétition tous les mardis à 19 h 30 à Copernic.

• Test d’admission à l’entrée.

• Page web dédiée (partitions, mp3)

Chef de chœur : Itaï Daniel

Cotisation annuelle : membres ULIF : 150 €

non-membres : 180 €

L’Ensemble Choral Copernic donne au moins 3 concerts par an, il participe régulièrement à des festivals en France et à l’étranger.

Appel à bénévoles

Dans le cadre de ses conférences, concerts, dîners chabbatiques, envois de courriers, etc.,

nos bénévoles constituent un soutien logistique essentiel. En raison du nombre croissant des activités culturelles de Copernic, notre équipe actuelle, d’une qualité exceptionnelle, souhaite s’entourer de davantage de bénévoles.

Les personnes prêtes à donner un coup de main, occasionnel ou régulier, sont invitées à se faire connaître auprès de la Commission Culture [email protected], qui les en remercie par avance et les mettra en rapport avec la responsable de l’équipe.

Bienvenue à Victoria Simon-Locoge, née le 20 juin 2017, fille de Lucile, responsable de la communication et des relations presse de l’ULIF. Un grand Mazel Tov à la famille.

Collecte alimentaire au profit des

« restos du coeur »du 6 au 16 novembre 2017

DéPôT DES DENRéES NON PéRISSABLES à L’ULIF.

L’ULIF-Copernic vous propose ses deux choralesEn dehors de son chœur liturgique professionnel, présent à tous les offices religieux, Copernic propose ses deux chorales d’amateurs.

Renseignements : [email protected]

Septembre 2017 - n° 201 / Le Messager 35 • המבשר

dimanche 2 juillet 2017

Maud ELEZAM et Grégoire KARILA

Anna GOLDSTEIN et Michaël BOUCAï

Rosalie BRUN et Ted HARDY-CARNAC

Jeudi 6 juillet 2017

Déborah WAKSMAN et Raphaël NAIM

dimanche 9 juillet 2017

Eva SOUED et Julien RENAUD

Eloïse COHEN-SALMON et Emanuele DOMINICI

Lundi 10 juillet 2017

Marine MEIMON et Ilan LUMBROSO

Jeudi 13 juillet 2017

Sarah ESTRACH et David PERONIN

Jeudi 24 août 2017

Camille REZETTE et Ariel LEVY

dimanche 27 août 2017

Tifany PRUDHOMME et Jonathan PARTOUCHE

Lundi 28 août 2017

Yaël ELIGOULACHVILI et Jérémie WOOG

Julie HALIMI et Yves BRISSARD

dimanche 10 septembre 2017

Sandra BENSUSSAN et Yoann HAZIZA

dimanche 17 septembre 2017

Céline SARFATI et Jérémy BENDAVID

Marine Martin et Raphaël BAUDRY

Un grand Mazel tov aux famillesde la part de l’ULIF.

✡ Jacques BENEICH

✡ Fernand Chalom SLAMA

✡ Colette SONIGO née CHEVAT

✡ Chantal OTMEZGUINE

L’ULIF présente ses sincères condoléances

à leurs familles et à leurs proches.

Les offices de tichriSELIHOT

Dimanche 17 septembre 8 h 30 avec petit-déjeuner

Lundi 18 septembre 7 h 00 avec petit-déjeuner

Dimanche 24 septembre 8 h 30 Jeûne de Guédalia pas de petit-déjeuner

Lundi 25 septembre 7 h 00 avec petit-déjeuner

Jeudi 28 septembre 7 h 00 avec petit-déjeuner

ROCH HACHANA 5778Veille de Roch Hachana

mercredi 20 septembre 2017 au Palais des Congrès et Copernic à 19 h 00

Jeudi 21 septembre Palais des Congrès et Copernic à 10 h 00

Vendredi 22 septembre uniquement Copernic à 10 h 00

YOM KIPPOUR 5778Kol Nidré vendredi 29 septembre 2017

Palais des Congrés et Copernic à 19 h 00

Samedi 30 septembre Palais des Congrès et Copernic à 10 h 30

Yizkor vers 17 h 30

Fin du Jeûne à 20 h 19

SOUCCOTVeille mercredi 4 octobre 2017 uniquement Copernic 18 h 30

Jeudi 5 octobre 2017 uniquement Copernic à 10 h 00

SIM’HAT TORAH et CHEMINI ATSERET

Veille mercredi 11 octobre 2017 uniquement Copernic 18 h 30

Jeudi 12 octobre 2017 uniquement Copernic à 10h00

Samedi 1er juillet 2017

Salomé CALIFET

Mael TOLEDANO

Jarod GUENOUN

samedi 8 juillet 2017

Arthur HAZIZA

François TEALDI

Samedi 26 août 2017

Françoise COSSON

Samedi 2 septembre 2017

Sacha HAYAT

Matteo NAHOORAY

Samedi 9 septembre 2017

Raphaëlle BENSOUSSAN

Théo MEDIONI

samedi 16 septembre 2017

Raphaël ZRIBI

Elliot CHAOUAT

Léon ELKOUBY

Appel à bénévoles

Les plus belles émotions de votre vie...Au coeur de Paris...

En formule tout compris...

[email protected] 53 53 93 939 avenue Hoche, Paris 8ème