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L ’économie collaborative pourrait fournir un nouveau modèle pour consommer, produire, travailler, se loger ou se financer autrement. Proche du Do It Your- self (fabriquer soi-même), fondée sur le partage des données (open source), imprégnée de développe- ment durable et de circuits courts, adepte des financements par crowd- funding (financement participatif ), elle favorise l’accès à l’usage (co-voi- turage par exemple) plutôt qu’à la propriété, instaurant de nouvelles relations sociales. Neuf heures du matin au Port du Canal à Dijon. Les canards tout juste éveillés s’ébrouent, troublant la quiétude de ce petit para- dis où se croisent mamies lève-tôt et joggeurs acharnés. Au troisième étage de l’immeuble qui donne sur le Port, une bicyclette attend son pro- priétaire dans l’entrée de l’apparte- ment occupé par la coopérative Les Docks Numériques, un espace de co-working créé à Dijon en 2010.Une quinzaine de personnes y partagent bureaux, salles de réunion et réseaux numériques. Mais pas seulement, car c’est à l’usage que l’économie collaborative installe chez ses utili- sateurs de nouveaux modes rela- tionnels. Et c’est précisément ce qu’ont vécu les créateurs des Docks. SEULS ET ENSEMBLE L’idée de départ était de travailler les uns à côté des autres pour réduire les coûts, ce qui est souvent la rai- son première de l’entrée dans ce nou- veau mode d’échanges. Mais le gérant de la coopérative, Bruno Louis Séguin, confirme que très vite se sont développées des relations de confiance entre les co-loueurs – agence web, architecte, webmarke- ters et designers – qui les a conduits à monter des projets communs : « chacun vient avec ses clients, ses réseaux, que nous croisons pour por- ter des projets ensemble tout en res- tant indépendants ». Une façon de travailler à la fois individuelle et col- lective, qui met en condition de coopétition. Ce mélange assumé de coopération et de compétition fonc- tionne à plein aux Docks Numé- riques, qu’il s’agisse d’accompagner le plan d’action Bourgogne Numé- rique ou la sortie de nouveaux pro- duits pour Seb. C’est l’intelligence partagée et la communauté autour du lieu qui permettent, selon Silvère Denis, gérant des TIC Nerveuses et un des sept associés des Docks, « de pouvoir porter des projets de plus grande envergure ». Pas question pour autant de s’enfermer dans un fonc- tionnement communautaire : les Docks sont locaux mais aussi glo- baux, une règle qui traverse toute l’économie collaborative. LE RÉSEAU POUR MONDE Pourquoi se limiter au coin de la rue alors que les réseaux permet- tent d’échanger avec toute la pla- nète ? C’est ce qu’exprime Benoît Chevillot, gérant de Divioseo, qua- tre salariés: « nous ne sommes pas un village gaulois, nous sommes connectés à un réseau français, voire mondial ». Les Docks Numériques font d’ailleurs partie du réseau natio- nal des tiers-lieux, avec lequel il par- tage tous les mois idées et initiati- ves, dans un esprit « open source ». Ces trois années passées ensemble ont consolidé l’image des Docks et poussé ses associés à « aller plus loin dans la démarche », avec un projet d’espace de 2.000 mètres carrés, pré- cise le gérant, « pour accueillir plus d’entreprises, des formations, bar- camps ou lancements de projets, avec une très haute connectivité ». Der- nière grosse pièce du puzzle, les co- gérants souhaite y créer un data cen- ter de 600 mètres carrés avec une connectivité en double lien de plu- sieurs gigabits par seconde suscep- tible, selon Silvère Denis, « de faire revenir des entreprises hébergées à Lille, Paris ou Lyon et de diviser à Dijon les coûts par vingt ». Sylvie Kermarrec u lesdocks.net et lafonderie-idf.fr, un exemple en Ile-de-France. 3 DU 20 AU 26 MAI 2013 - N° 4342 - LE JOURNAL DU PALAIS DE BOURGOGNE - ENTREPRISES www.forumeco.com Dijon La nouvelle propriété, c’est le partage Économie collaborative. Enfant de l’internet et des réseaux sociaux, sera-t-elle la révolution industrielle du XXI e siècle ? Deux exemples locaux, avec Les Docks Numériques de Dijon et le fablab Net-iKi dans le Jura. Agathe Bonnin de Open 21, Bruno Louis Séguin de La Toilerie, Silvère Denis gérant des TIC Nerveuses, et Benoît Chevillot de Diviseo, tous associés de la coopérative Les Docks Numériques. JDP nnnPhilippe Patrice Mougel étudie « les bruits faibles », ces murmures de fonds de la société qui annoncent des changements à venir. Doc- teur en sciences sociales a l’université de Bour- gogne, chargé de mission à l’agence régionale Bourgogne Bâtiment Durable, il s’intéresse à l’économie collaborative qui, en instaurant l’autoproduction « devrait représenter un vrai changement de paradigme », une révolution de notre façon de consommer - moins- et de produire. Pour lui, il ne fait aucun doute que dans un avenir proche, beaucoup oseront pro- duire par eux-mêmes, des simples objets du quotidien jusqu’à leur habitat, avec des maté- riaux hight tech mis au point grâce à l’intelli- gence collective et à la propriété partagée. Comme dans les fablabs (lire ci-contre), qui seront « la boite à outils des humains du 21 e siècle », ou dans les techshops, leur version indus- trielle, qui pourront produire par exemple des bâtiments sur-mesure clé en main à moindre coût. L’autoproduction devrait également impacter les comportements : « en augmen- tant le sentiment d’efficacité personnelle, elle redonnera aux individus une capacité d’agir ». Les systèmes collaboratifs, qui passent par les réseaux, « mettent en jeu des liens faibles, infor- mels et non hiérarchiques » donc plus ouverts et favorables aux processus de changement et d’innovation. Philippe Patrice Mougel en est convaincu, « le fablab est l’entrée dans le dispo- sitif, le techshop sera le lien vers l’industrie et les instituts universitaires apporteront l’innova- tion », sur le mode du schéma anglo-saxon. S. K. ufing.org . Fondation internet nouvelle généra- tion, le think tank des évolutions du numérique. De consommateurs de masse à autoproducteurs Le village monde du fablab Net-iKi nnnLes créateurs du fablab de Biarne, près de Dole, ont le triomphe modeste, eux qui pourtant ont ouvert dans un village de 360 habitants un des sept premiers fablab français, le « canal historique », comme le dit avec humour Pascal Minguet, l’un des fondateurs. D’abord cyber base du village, Net-iKi , ici en patois, est depuis 2012 un laboratoire local de production. Il connecte un ordinateur équipé d’un logiciel de modélisation à une imprimante 3D pour créer des objets sur mesure par ajout de matière. Fervent opposant de l’obsolescence programmée, Net-iKi voit défiler les makers biarnais venus fabriquer une pièce cassée de leur électroména- ger, les BTS Design de Dole, ou les licences pro Eco- design de Besançon qui ouvrent un fablab dans l’uni- versité. Des entreprises viennent y créer des pré-prototypes, bijoux ou créations industrielles. Sans parler des trois pôles de compétitivité régionaux venus « enquêter » dans ce village gaulois du futur. Partage des savoir-faire et des savoirs sont au fondement de tous les fablabs. Jean-Baptiste Fontaine, le fablab mana- ger de Net-iKi, parle même « d’un lieu où l’on construit le bien commun, où de nouvelles logiques de propriété et de partage aboutissent à des relations sociales différen- tes ». À Dijon, le fablab Kelle Fabrik devrait être opéra- tionnel en mai. S. K. ufnet-village.org/fablab L’imprimante 3D de Net-iKi peut réaliser, par ajout de matière, des pièces d’une hauteur de 15 cm. Le fablab s’équipera bientôt d’une découpe laser. JDP JDP 4342FBOUR_03:914FBOUR_03 CH 17/05/13 10:20 Page9

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L’économiecollaborativep o u r r a i tfournir unn o u v e a u

modèle pour consommer, produire,travailler, se loger ou se financerautrement. Proche du Do It Your-self (fabriquer soi-même), fondéesur le partage des données (opensource), imprégnée de développe-ment durable et de circuits courts,adepte des financements par crowd-funding (financement participatif),elle favorise l’accès à l’usage (co-voi-turage par exemple) plutôt qu’à lapropriété, instaurant de nouvellesrelations sociales. Neuf heures dumatin au Port du Canal à Dijon. Lescanards tout juste éveillés s’ébrouent,troublant la quiétude de ce petit para-dis où se croisent mamies lève-tôtet joggeurs acharnés. Au troisièmeétage de l’immeuble qui donne surle Port, une bicyclette attend son pro-

priétaire dans l’entrée de l’apparte-ment occupé par la coopérative LesDocks Numériques, un espace deco-working créé à Dijon en 2010.Unequinzaine de personnes y partagentbureaux, salles de réunion et réseauxnumériques. Mais pas seulement,car c’est à l’usage que l’économiecollaborative installe chez ses utili-sateurs de nouveaux modes rela-tionnels. Et c’est précisément cequ’ont vécu les créateurs des Docks.

SEULS ET ENSEMBLEL’idée de départ était de travailler

les uns à côté des autres pour réduireles coûts, ce qui est souvent la rai-son première de l’entrée dans ce nou-veau mode d’échanges. Mais legérant de la coopérative, Bruno LouisSéguin, confirme que très vite se sontdéveloppées des relations deconfiance entre les co-loueurs –agence web, architecte, webmarke-ters et designers – qui les a conduits

à monter des projets communs :« chacun vient avec ses clients, sesréseaux, que nous croisons pour por-ter des projets ensemble tout en res-tant indépendants ». Une façon detravailler à la fois individuelle et col-lective, qui met en condition decoopétition. Ce mélange assumé decoopération et de compétition fonc-tionne à plein aux Docks Numé-riques, qu’il s’agisse d’accompagnerle plan d’action Bourgogne Numé-rique ou la sortie de nouveaux pro-duits pour Seb. C’est l’intelligencepartagée et la communauté autourdu lieu qui permettent, selon SilvèreDenis, gérant des TIC Nerveuses etun des sept associés des Docks, « depouvoir porter des projets de plusgrande envergure». Pas question pourautant de s’enfermer dans un fonc-

tionnement communautaire : lesDocks sont locaux mais aussi glo-baux, une règle qui traverse toutel’économie collaborative.

LE RÉSEAU POUR MONDEPourquoi se limiter au coin de la

rue alors que les réseaux permet-tent d’échanger avec toute la pla-nète ? C’est ce qu’exprime BenoîtChevillot, gérant de Divioseo, qua-tre salariés: « nous ne sommes pasun village gaulois, nous sommesconnectés à un réseau français, voiremondial ». Les Docks Numériquesfont d’ailleurs partie du réseau natio-nal des tiers-lieux, avec lequel il par-tage tous les mois idées et initiati-ves, dans un esprit « open source ».Ces trois années passées ensembleont consolidé l’image des Docks et

poussé ses associés à « aller plus loindans la démarche », avec un projetd’espace de 2.000 mètres carrés, pré-cise le gérant, « pour accueillir plusd’entreprises, des formations, bar-camps ou lancements de projets, avecune très haute connectivité ». Der-nière grosse pièce du puzzle, les co-gérants souhaite y créer un data cen-ter de 600 mètres carrés avec uneconnectivité en double lien de plu-sieurs gigabits par seconde suscep-tible, selon Silvère Denis, « de fairerevenir des entreprises hébergées àLille, Paris ou Lyon et de diviser àDijon les coûts par vingt ».

Sylvie Kermarrec

u lesdocks.net et lafonderie-idf.fr,un exemple en Ile-de-France.

3DU 20 AU 26 MAI 2013 - N° 4342

- L E J O U R N A L D U P A L A I S D E B O U R G O G N E -

ENTREPRISESwww.forumeco.com

Dijon

La nouvelle propriété, c’est le partage

Économie collaborative. Enfant de l’internet et des réseaux sociaux, sera-t-elle larévolution industrielle du XXIe siècle ? Deux exemples locaux, avec Les Docks Numériques

de Dijon et le fablab Net-iKi dans le Jura.

Agathe Bonnin de Open 21, Bruno Louis Séguin de La Toilerie, Silvère Denis gérant des TICNerveuses, et Benoît Chevillot de Diviseo, tous associés de la coopérative Les DocksNumériques.

JDP

nnnPhilippe Patrice Mougel étudie « les bruitsfaibles », ces murmures de fonds de la sociétéqui annoncent des changements à venir. Doc-teur en sciences sociales a l’université de Bour-gogne, chargé de mission à l’agence régionaleBourgogne Bâtiment Durable, il s’intéresse àl’économie collaborative qui, en instaurantl’autoproduction « devrait représenter un vraichangement de paradigme », une révolutionde notre façon de consommer - moins- et deproduire. Pour lui, il ne fait aucun doute quedans un avenir proche, beaucoup oseront pro-duire par eux-mêmes, des simples objets du

quotidien jusqu’à leur habitat, avec des maté-riaux hight tech mis au point grâce à l’intelli-gence collective et à la propriété partagée.Comme dans les fablabs (lire ci-contre), quiseront « la boite à outils des humains du 21e

siècle», ou dans les techshops, leur version indus-trielle, qui pourront produire par exemple desbâtiments sur-mesure clé en main à moindrecoût. L’autoproduction devrait égalementimpacter les comportements : « en augmen-tant le sentiment d’efficacité personnelle, elleredonnera aux individus une capacité d’agir ».Les systèmes collaboratifs, qui passent par les

réseaux, « mettent en jeu des liens faibles, infor-mels et non hiérarchiques » donc plus ouvertset favorables aux processus de changement etd’innovation. Philippe Patrice Mougel en estconvaincu, « le fablab est l’entrée dans le dispo-sitif, le techshop sera le lien vers l’industrie et lesinstituts universitaires apporteront l’innova-tion », sur le mode du schéma anglo-saxon.

S. K.

ufing.org. Fondation internet nouvelle généra-tion, le think tank des évolutions du numérique.

De consommateurs de masse à autoproducteurs

Le village monde du fablab Net-iKinnnLes créateurs du fablab de Biarne, près de Dole,

ont le triomphe modeste, eux qui pourtant ont ouvertdans un village de 360 habitants un des sept premiersfablab français, le « canal historique», comme le dit avechumour Pascal Minguet, l’un des fondateurs. D’abordcyber base du village, Net-iKi , ici en patois, est depuis2012 un laboratoire local de production. Il connecte unordinateur équipé d’un logiciel de modélisation à uneimprimante 3D pour créer des objets sur mesure parajout de matière. Fervent opposant de l’obsolescenceprogrammée, Net-iKi voit défiler les makers biarnaisvenus fabriquer une pièce cassée de leur électroména-ger, les BTS Design de Dole, ou les licences pro Eco-design de Besançon qui ouvrent un fablab dans l’uni-versité. Des entreprises viennent y créer despré-prototypes, bijoux ou créations industrielles. Sansparler des trois pôles de compétitivité régionaux venus« enquêter » dans ce village gaulois du futur. Partagedes savoir-faire et des savoirs sont au fondement detous les fablabs. Jean-Baptiste Fontaine, le fablab mana-

ger de Net-iKi, parle même « d’un lieu où l’on construitle bien commun, où de nouvelles logiques de propriété etde partage aboutissent à des relations sociales différen-tes ». À Dijon, le fablab Kelle Fabrik devrait être opéra-tionnel en mai.

S. K.

ufnet-village.org/fablab

L’imprimante 3D de Net-iKi peut réaliser, par ajout de matière,des pièces d’une hauteur de 15 cm. Le fablab s’équipera bientôtd’une découpe laser.

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