La nouvelle Economie et ses Paradoxes

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La nouvelle Economie et ses Paradoxes cahier LASER N°3

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La nouvelleE c o n o m i ee t s e sPa r a d o x e s

cahier

LASER Ndeg3

Dans la mecircme collection

Self service mondial ou nouvelle eacuteconomie de service Technologie emploi commerce - Premiegraveres conclusionsCahier LaSer ndeg1 1998Version numeacuterique teacuteleacutechargeable sur www00h00com

Commerce eacutelectronique marketing et liberteacutesCahier LaSer ndeg2Eacuteditions 00h00com 1999Version numeacuterique teacuteleacutechargeable sur www00h00com

La Nouvelle Eacuteconomie et ses paradoxesCahier LaSer ndeg3Eacuteditions 00h00com 2000Version numeacuterique teacuteleacutechargeable sur www00h00com

Cahier LASER ndeg3

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

LASER66 rue des Archives

75 003 Paris

copy LASER 2000

Cet ouvrage a eacuteteacute reacutealiseacute par les Eacuteditions 00h00compour le compte de LASER 66 rue des Archives 75 003 Paris

ISBN 2-7454-0369-9

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Sommaire

Qursquoest-ce que la nouvelle eacuteconomie

PHILIPPE LEMOINE 7

Chapitre 1 La nouvelle eacuteconomie des lois aux paradoxes

De nouvelles regravegles pour la nouvelle eacuteconomie

KEVIN KELLY29

Question Y-a-t-il une nouvelle eacuteconomie

ALAN GREENSPAN 55

Chapitre 2 Le paradoxe de Solow

Le paradoxe de Solow sur la productiviteacute en quoi les ordinateurs contribuent-ils agrave la productiviteacute

JACK E TRIPLETT 71

Chapitre 3 Le paradoxe du NAIRU

La capitulation de la politique eacuteconomique

JAMES K GALBRAITH 113

Agrave quelle vitesse lrsquoeacuteconomie ameacutericaine peut-elle croicirctre

PAUL KRUGMAN 125

Vitesse-limite reacutealiteacutes et fictions dans le deacutebat sur la croissance

ALAN S BLINDER 137

Chapitre 4 Le paradoxe boursier

Est-ce une bulle

EDWARD YARDENI 149

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Une succession de corrections

EDWARD YARDENI 159

Naissance drsquoune nouvelle eacuteconomie sept thegraveses sur lrsquoeacuteconomie de marcheacute agravelrsquoacircge du commerce eacutelectronique

PHILIPPE LEMOINE 167

Bibliographie 179

Note de lrsquoeacutediteur 183

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Qursquoest-ce que la nouvelle eacuteconomie

Philippe LEMOINE1

Dans les milieux financiers qui srsquointeacuteressent agrave Internet il existe une notion agrave laquelleon se reacutefegravere pour appreacutecier la valeur drsquoune entreprise le laquo cash burning raquo crsquoest-agrave-direla vitesse avec laquelle une entreprise a brucircleacute le cash les liquiditeacutes qursquoelle a leveacutees Lefait mecircme que lrsquoon puisse utiliser sans distance une telle notion teacutemoigne drsquoun senti-ment drsquoacceacuteleacuteration de rapiditeacute drsquoinsignifiance Une anneacutee Internet durerait un tri-mestre trois mois du temps classique

Tout deacutefile agrave un tel rythme que lrsquoon peut se demander srsquoil nrsquoy a pas eacutegalement unlaquo concept burning raquo une vitesse avec laquelle la socieacuteteacute brucircle les concepts qursquoelle a misen avant Lrsquoexpression de laquo nouvelle eacuteconomie raquo est menaceacutee par ces flammes Elle estaujourdrsquohui sous les feux de lrsquoactualiteacute Mais tout se consume agrave grande vitesse Un jourla nouvelle eacuteconomie va bien Le lendemain la nouvelle eacuteconomie descend aux enfersVa-t-elle srsquoaffirmer ou va-t-elle disparaicirctre

Pour reacutepondre agrave cette question il faudrait savoir ce qursquoest la nouvelle eacuteconomie Est-ce seulement une expression gadget qui scintille pour quelques mois dans les meacutedias Mais dans ce cas on srsquoeacutetonne que la notion ait pris forme dans des deacutebats mobilisantde tregraves grands eacuteconomistes ameacutericains Est-ce alors un concept scientifique deacutesignantclairement un nouvel horizon du monde Un manque certain de rigueur dans les ter-mes le choix de tailler large suggegraverent plutocirct qursquoil srsquoagit drsquoune notion en devenirQursquoest-ce donc que la nouvelle eacuteconomie

Un deacutebat important

Une question theacuteorique sous-jacente agrave ces interrogations sur la nouvelle eacuteconomiecrsquoest la question des relations entre la technologie drsquoune part lrsquoeacuteconomie et la socieacuteteacutedrsquoautre part Depuis plus de deux siegravecles il srsquoagit drsquoun point sensible difficile agrave analyseret sur lequel srsquoaccrochent des controverses fondamentales sur le deacuteterminisme sur lerocircle des hommes sur la conception de lrsquoHistoire Malgreacute de nombreux travaux philoso-

1 Philippe LEMOINE est Preacutesident de LASER

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phiques socio-eacuteconomiques eacutepisteacutemologiques la question nrsquoa fait que se complexifierDeux eacutevolutions contemporaines viennent en effet intensifier la difficulteacute de lrsquoanalyseLrsquoeacutevolution drsquoabord de la nature mecircme de la technologie Les technologies drsquoinforma-tion nrsquoont pas le mecircme mode de relation avec leur environnement que les technologiesmeacutecaniques drsquohier Elles traitent des informations elles sont programmables elles favo-risent lrsquointeractiviteacute il est clair que tout ceci soulegraveve de nouveaux enjeux et suppose descadres drsquoanalyse bien diffeacuterents des scheacutemas fondeacutes sur la causaliteacute meacutecanique simple

Lrsquoautre eacutevolution concerne les domaines de la vie eacuteconomique et sociale sur lesquelssrsquoapplique la progression des technologies drsquoinformation Depuis lrsquoinvention de lrsquoordi-nateur il y a plus de 50 ans les technologies drsquoinformation se sont en effet organiseacuteessur le modegravele de la tornade Un mouvement de spirale inteacutegrateur de plus en plusrapide assure la convergence de diffeacuterentes technologies autour drsquoun mecircme standardnumeacuterique informatique teacuteleacutecommunication audio-visuel robotique bureauti-que etchellip En mecircme temps la tornade progresse et son centre de graviteacute se deacuteplaceAvant-hier le centre de graviteacute crsquoeacutetait lrsquousine et lrsquounivers de la production Hier crsquoeacutetaitle bureau et le processus de gestion des entreprises Aujourdrsquohui le centre de graviteacute dela tornade agrave lrsquoegravere drsquoInternet crsquoest lrsquounivers de lrsquoeacutechange dans ses diffeacuterentes dimen-sions marchandes et non-marchandes

Agrave chaque eacutetape lrsquoanalyse devient de plus en plus compliqueacutee Mecircme srsquoil srsquoagissait detechnologies nouvelles on avait le sentiment de savoir raisonner tant que lrsquoon eacutetaitdans lrsquounivers de la production et de lrsquousine lieu de croissance de lrsquoeacuteconomie moderneet lieu de reacutefeacuterence de tant de travaux sociologiques Avec les bureaux et la gestion celadevenait plus compliqueacute Avec lrsquounivers de lrsquoeacutechange on entre dans des terres beau-coup moins connues ougrave il existe de grandes zones impenseacutees des gouffres et desdeacuteserts ougrave lrsquoon approche des meacutecanismes de la deacutepense et de ce que Bataille appelaitla laquo part maudite raquo de lrsquoeacuteconomie politique1

Le premier inteacuterecirct de cette notion de laquo nouvelle eacuteconomie raquo est preacuteciseacutement lagrave Mal-greacute lrsquoimpreacutecision du terme il srsquoagit drsquoun projet ambitieux penser lrsquoincidence des tech-nologies drsquoinformation sur lrsquoeacuteconomie au moment mecircme ougrave leur impact se centre surlrsquounivers de lrsquoeacutechange Certes la lecture quotidienne des journaux nous habitue agrave uneconception bien plus banale de ce qursquoest la nouvelle eacuteconomie Ce serait un secteurune autre faccedilon de parler de la high tech avec juste une heacutesitation de boursier faut-ilmettre dans le mecircme sac ou dans le mecircme indice toutes les valeurs TMT (TechnologiesMeacutedias Teacuteleacutecommunications) ou faut-il faire un sort particulier aux laquo pure players raquodu monde Internet Nous reviendrons sur ces questions mais affirmons-le drsquoentreacuteede jeu le deacutebat sur la nouvelle eacuteconomie ce nrsquoest pas cela cela nrsquoa jamais eacuteteacute cela Agravelrsquoopposeacute drsquoune vision laquo sectorielle raquo opposant les secteurs de la nouvelle et de

1 Georges Bataille La Part maudite Eacuteditions de Minuit 1967

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lrsquoancienne eacuteconomie il srsquoagit drsquoune interrogation sur les transformations en profon-deur qui affectent de maniegravere transversale toute la structure eacuteconomique

Il peut drsquoailleurs paraicirctre eacutetrange que la grille de lecture soit agrave ce point eacuteconomiqueIl y a 20 ans alors que les technologies transformaient un univers drsquoentreprise et deproduction beaucoup drsquointerrogations gravitaient autour de lrsquoexpression laquo socieacuteteacutedrsquoinformation raquo Aujourdrsquohui alors que ce qui est en cause crsquoest lrsquoeacutechange avec toutesses dimensions sociales culturelles politiques on veut srsquoen tenir agrave la laquo nouvelleeacuteconomie raquo Pourquoi Nrsquoy a-t-il pas lagrave un certain reacuteductionnisme

De fait une reacutegion du monde comme la Silicon Valley fait apparaicirctre des reacutealiteacutessociologiques de plus en plus contrasteacutees et il serait hors de question de les laisser horschamp Lrsquoacceacuteleacuteration des ineacutegaliteacutes fait partie de ces reacutealiteacutes Les riches sont de plus enplus riches dans la Silicon Valley et lrsquoon y deacutenombre des dizaines de milliers de million-naires en dollars Drsquoun autre cocircteacute ce nrsquoest pas exactement que les pauvres soient deplus en plus pauvres (ce deuxiegraveme mouvement semble dailleurs stabiliseacute sur lrsquoensem-ble des Eacutetats-Unis depuis environ 5 ans) Le pheacutenomegravene crsquoest plutocirct que les salarieacutesclassiques et notamment les salarieacutes des institutions publiques (professeurs drsquouniver-siteacutes instituteurs pompiers policiers) ont de plus en plus de mal agrave vivre dans cetendroit Souvent ils nrsquoarrivent mecircme plus agrave se loger tant les prix de lrsquoimmobilier ontflambeacute avec lrsquoenvoleacutee du pouvoir drsquoachat des riches Tout ceci creacutee des situationsdeacutecousues tendues preacuteoccupantes

Pour autant il ne semble pas qursquoil soit aujourdrsquohui possible de globaliser et de privileacute-gier agrave grande eacutechelle des cleacutes de lecture sociologiques Les travaux prospectifs de DanielBell1 ou drsquoAlain Touraine2 sur la laquo socieacuteteacute post-industrielle raquo sont des phares qui ont puis-samment eacuteclaireacute lrsquoavenir et qui se reacutevegravelent tregraves justes reacutetrospectivement Il faut cepen-dant se meacutefier de vouloir faire dire trop tocirct agrave la socieacuteteacute ce qursquoelle ne peut pas encoreincarner On a ainsi longuement gloseacute sur la laquo socieacuteteacute drsquoinformation raquo Mais qui la con-naicirct qui lrsquoa vue et qui parle pour elle Il y a des dangers de deacuterive et de manipulation agravece genre drsquoexpression et la formule laquo socieacuteteacute drsquoinformation raquo en a favoriseacute au moins trois

Il y a eu la deacuterive technocratique agrave la fin des anneacutees 70 avec le plan industriel que leJapon avait mis en œuvre sous le nom de laquo plan for information society raquo Il srsquoagissaitdrsquoanticiper la progression des technologies drsquoinformation et de mettre en œuvre desplans drsquoeacutequipement dans des secteurs socieacutetaux non-marchands (eacuteducation santeacutetransport environnement) afin de financer agrave lrsquoabri de la compeacutetition le deacuteveloppementdrsquoune industrie informatique nationale En France cette vision de la laquo socieacuteteacutedrsquoinformation raquo ne fut pas sans eacutecho et tout lrsquoenjeu du rapport Nora-Minc3 consista agrave

1 Daniel Bell Vers la socieacuteteacute post-industrielle Robert Laffont 19762 Alain Touraine La Socieacuteteacute post-industrielle Denoeumll 19693 Simon Nora Alain Minc LrsquoInformatisation de la socieacuteteacute La Documentation franccedilaise 1978

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maintenir la probleacutematique objective drsquoune laquo informatisation de la socieacuteteacute raquo plutocirct quedrsquoaccepter au nom drsquoune socieacuteteacute imaginaire en devenir de mettre en œuvre des grandsplans dirigistes avec des risques consideacuterables sur les eacutequilibres de la socieacuteteacute reacuteelle

Agrave la fin des anneacutees 80 il y a eu la deacuterive europeacuteenne avec la maniegravere dont la Com-mission srsquoest empareacutee de la socieacuteteacute drsquoinformation comme drsquoun drapeau Agrave lrsquoorigine ily avait drsquoailleurs quelque chose de sympathique dans cette deacutemarche Dans la peacuteriodeReagan les Eacutetats-Unis se concentraient sur une vision militaire de la technologie ettoute la recherche gravitait autour du programme laquo guerre des eacutetoiles raquo Il eacutetait con-forme au message de paix qui anime lrsquoEurope de promouvoir une conception civile duprogregraves technologique mais en mecircme temps lrsquoexpression laquo socieacuteteacute drsquoinformation raquojouait avec une certaine tradition laquo sociale raquo de lrsquoEurope et pouvait faire naicirctre des illu-sions quant au rocircle de la concertation entre forces sociales organiseacutees et quant agrave la maicirc-trise macroscopique des transformations technologiques en cours1

Assez curieusement on assiste aujourdrsquohui agrave une troisiegraveme deacuterive dont lrsquooriginereacuteside dans le lobby des stock-options Lrsquoopinion publique et les gouvernements reacuteagis-sent en effet assez neacutegativement dans plusieurs pays europeacuteens aux meacutecanismesdrsquoenrichissement rapide de la nouvelle eacuteconomie Drsquoougrave la construction dans nos paysde toute une rheacutetorique qui remet agrave la mode les expressions de laquo socieacuteteacutedrsquoinformation raquo de laquo socieacuteteacute du savoir raquo drsquo laquo eacuteconomie de la connaissance raquo Il srsquoagiten quelque sorte de leacutegitimer la richesse en se reacutefeacuterant aux mots et aux valeurs de lasocieacuteteacute mandarinale Il nrsquoest pourtant pas certain du tout que lrsquoinformatisation de lacommunication et que le commerce eacutelectronique se traduisent par un rocircle tellementplus eacuteminent de la connaissance et du savoir dans le fonctionnement de la socieacuteteacute

Drsquoune certaine maniegravere lrsquoexpression ameacutericaine de laquo nouvelle eacuteconomie raquo paraicirctplus approprieacutee et sans doute plus saine On peut comprendre qursquoelle eacutenerve les cher-cheurs et les intellectuels franccedilais par son cocircteacute trop facile Elle est de surcroicirct agrave mani-puler avec preacutecaution car nombre drsquointeacuterecircts industriels ou financiers en ont fait lapromotion pour des raisons diverses De mecircme le pouvoir politique ameacutericain a peut-ecirctre participeacute drsquoun certain cynisme en reacutecupeacuterant une expression porteuse

Mais ce qui importe ce nrsquoest pas cela Ce qui compte crsquoest qursquoaux Eacutetats-Unis denombreux esprits srsquoattachent agrave comprendre quelque chose de reacuteel et qui nrsquoest pas facileagrave penser Apregraves pregraves de 10 ans de croissance et de prospeacuteriteacute ininterrompues les eacuteco-nomistes srsquointerrogent Drsquoougrave vient cette croissance et nrsquoy a-t-il pas un lien avec le fortdeacuteveloppement des technologies Pourquoi dure-t-elle assiste-t-on agrave lrsquoallongementdes cycles eacuteconomiques voire agrave leur disparition La structure eacuteconomique nrsquoest-ellepas en train de changer de logique comme cela a eacuteteacute le cas lors de la bascule qursquoa eacuteteacute lareacutevolution industrielle

1Dominique Wolton Internet et apregraves Une theacuteorie critique des nouveaux meacutedias Paris Flammarion 1999

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Autour de tout cela il nrsquoy a pas de certitudes Il y a du travail il y a des questions ily a des oppositions Crsquoest pourquoi il paraissait important de consacrer un laquo cahierLaSer raquo agrave faire connaicirctre certains textes qui ont jalonneacute et structureacute ce deacutebat sur la nou-velle eacuteconomie Notre ambition est chaque anneacutee de contribuer agrave faire progresser lesinterrogations et les deacutebats sur lrsquoeacutetape actuelle de la mutation technologique Le cahierLaSer ndeg1 srsquointitulait laquo Self-service mondial ou nouvelle eacuteconomie de services raquo Lecahier LaSer ndeg2 portait sur laquo Commerce eacutelectronique marketing et liberteacutes raquo Le preacute-sent cahier porte sur laquo La nouvelle eacuteconomie et ses paradoxes raquo En livrant des textesque leurs auteurs nous ont aimablement autoriseacutes agrave traduire il srsquoagit de contribuer agraveasseoir un champ de reacuteflexion et drsquoinciter agrave aller plus loin

Trois paradoxes

Un signe du doute qui habite les diffeacuterentes parties prenantes du deacutebat sur la nouvelleeacuteconomie crsquoest qursquoils travaillent sur des contradictions ou sur des paradoxes Appli-quant une vision drsquoingeacutenieur agrave la compreacutehension de lrsquoeacuteconomie les commentateurs dela laquo reacutevolution de lrsquoinformation raquo srsquoen eacutetaient longtemps tenus agrave se reacutefeacuterer agrave des loisChacun cherchait agrave formuler une loi qui aurait borneacute un angle du nouveau paysage

Toute une litteacuterature sur les technologies drsquoinformation srsquoen tient ainsi agrave deux gran-des lois qui structureraient le nouveau paysage eacuteconomique La premiegravere la loi deMoore deacutecrit la progression exponentielle de la puissance des composantseacutelectroniques tous les 18 mois eacutenonce cette loi on assiste agrave un doublement du rap-port performanceprix des composants Formuleacutee degraves les anneacutees 60 cette loi srsquoest reacuteveacute-leacutee vraie et il srsquoen deacuteduit bien eacutevidemment tout un ensemble de conseacutequences sur larapiditeacute des progregraves de la technologie sur lrsquoaccessibiliteacute croissante de leur appropria-tion sur la sophistication sans limite des logiciels et des systegravemes de grande diffusion

Lrsquoautre loi qui balise nombre de reacuteflexions prospectives est la loi de Metcalfe Cetteloi exprime le fait que lrsquoactiviteacute drsquoun reacuteseau mailleacute progresse comme le carreacute du nombrede personnes qui y sont relieacutees De fait un reacuteseau de communication qui a un seul uti-lisateur nrsquoa aucun trafic Lrsquoactiviteacute ne commence qursquoavec deux personnes mais avec unmillion drsquointervenants lrsquoactiviteacute nrsquoest pas seulement multiplieacutee par 500 000 mais parconsideacuterablement plus car chaque utilisateur peut correspondre deux agrave deux La loi deMoore et la loi de Metcalfe sont au cœur de lrsquoexpansion rapide de lrsquoeacuteconomie Internet

Avec cette faccedilon de raisonner on est neacuteanmoins dans une sorte de preacutehistoire dudeacutebat eacuteconomique sur les technologies drsquoinformation Il srsquoagit de points de vuedrsquoacteurs de la technologie qui reacutefleacutechissent sur leur meacutetier Gordon Moore eacutetait un

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des fondateurs drsquoIntel Robert Metcalfe eacutetait un fondateur de 3Com Ceci nrsquoenlegraveverien agrave leur meacuterite bien au contraire ni agrave lrsquointeacuterecirct de leurs propositions Mais on nrsquoentredans un veacuteritable deacutebat eacuteconomique qursquoavec des eacuteconomistes qui appreacutehendent Inter-net et les technologies drsquoinformation agrave partir de concepts et de probleacutematiques issuesde lrsquoeacuteconomie politique elle-mecircme

Crsquoest ce changement qui a lieu avec lrsquointerrogation sur la nouvelle eacuteconomie Ce sontdes eacuteconomistes qui srsquoexpriment qursquoils soient universitaires eacuteditorialistes eacuteconomistesen chef dans des institutions financiegraveres responsables de banques centrales Les perspec-tives theacuteoriques srsquoeacutetoffent Les raisonnements font lrsquoaller-retour entre des faits et des con-naissances Signe manifeste de ce changement on ne srsquoexprime plus sous forme delaquo lois raquo mais sous forme de laquo paradoxes raquo Prenant enfin la technologie comme objet cen-tral de leurs travaux les eacuteconomistes traduisent le fait qursquoils en sont encore au stade desinterrogations et de la construction des objets theacuteoriques Ne mentionnant pas moins de12 laquo lois raquo le texte de Kevin Kelly paru dans Wired illustre lrsquoancien versant de cette appro-che de la nouvelle eacuteconomie avec des formulations drsquoailleurs tregraves stimulantes Le textedrsquoAlan Greenspan Preacutesident de la Fed est une bonne expression du nouveau versant ougravelrsquoon ne srsquoattarde pas sur les causes technologiques mais ougrave lrsquoon veut eacuteclairer les contrain-tes entre lesquelles se joue lrsquoavenir Plus caricatural il aurait eacuteteacute possible de citer StephenShepard reacutedacteur en chef de Business Week agrave la fois lyrique et concis sur le thegraveme favoride son magazine laquo La limite de la croissance passe de 2-25 agrave 3-35 un point de plus decroissance crsquoest ce que veut dire la nouvelle eacuteconomie Rien de plus rien de moins raquo1

Dans le cadre du preacutesent Cahier nous avons rassembleacute les textes que nous avions seacutelec-tionneacutes autour de trois grands paradoxes le paradoxe de Solow le paradoxe du NAIRU le paradoxe boursier Ce sont les deacutebats autour de ces trois grands paradoxes qui structu-rent en effet le contenu intellectuel de cette interrogation sur la nouvelle eacuteconomie

Le premier paradoxe le paradoxe de Solow joue un rocircle central

Il est contenu dans le constat que Robert Solow Prix Nobel drsquoeacuteconomie avait faiten 1987 laquo Des ordinateurs on en voit partout sauf dans les statistiques de producti-viteacute de la comptabiliteacute nationale raquo Travaillant sur un rapport relatif agrave lrsquoincidence de latechnologie sur la productiviteacute et lrsquoemploi Solow notait le fort deacutecalage entre les per-formances techniques toujours croissantes drsquoordinateurs toujours plus nombreux etune progression annuelle de la productiviteacute ameacutericaine qui avait fortement chuteacute (de26 en moyenne de 1950 agrave 1972 agrave 11 en moyenne de 1972 agrave 1995) De nom-breux blocages expliquaient ce pheacutenomegravene freins sociologiques (craintes pourlrsquoemploi) contraintes reacuteglementaires (monopoles publics et priveacutes) comportementsprofessionnels (corporatismes divers) Une eacutetude meneacutee en France agrave la fin desanneacutees 70 illustre excellemment le paradoxe de Solow Conduite par Claude Salzman

1 Stephen B Shepard The New economy what it really means Business Week novembre 1997

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pour la CEGOS1 cette eacutetude portait sur lrsquoinformatisation des fonctions comptables dansles grandes entreprises et faisait apparaicirctre que plus une entreprise informatisait sacomptabiliteacute plus elle employait de comptables Le groupe professionnel des compta-bles occupait en effet une position sociologique telle qursquoil pouvait obtenir que les gainsde performances reacutesultant de la technologie soient consacreacutes non agrave des suppressionsdrsquoemplois mais agrave des sophistications drsquoeacutetats comptables geacuteneacuterant agrave leur tour des creacutea-tions drsquoemplois pour les manipuler et les interpreacuteter

Crsquoest de cette situation que lrsquoeacuteconomie ameacutericaine semble ecirctre sortie avec des crois-sances fortes de la productiviteacute horaire du travail depuis 1996 de lrsquoordre de 25 agrave 3 par an Il srsquoagit lagrave drsquoun point cleacute pour lrsquoappreacuteciation drsquoune nouvelle eacuteconomie mais cenrsquoest pas un point certain Robert Solow lui-mecircme exprime ses doutes laquo Il est naturelde suspecter que cette acceacuteleacuteration de la croissance de la productiviteacute soit la conseacute-quence tant espeacutereacutee et attendue des technologies drsquoinformation en geacuteneacuteral ordina-teurs Internet etc Je pense que crsquoest probablement exact Il est tout agrave fait possible quece soit la fin du ldquo paradoxe des ordinateurs rdquo Mais je nrsquoen suis pas sucircr raquo2

Les chiffres sont frappants et lrsquoexplication theacuteorique paraicirct claire Degraves lors que latechnologie nrsquoest pas seulement une machine agrave productiviteacute mais qursquoelle peacutenegravetrelrsquoeacutechange et qursquoelle contribue agrave ouvrir de nouveaux deacuteboucheacutes beaucoup de blocagesdisparaissent qui empecircchaient lrsquoexteacuteriorisation des gains de productiviteacute Il srsquoagiraitdrsquoun pheacutenomegravene comparable agrave ce qursquoa connu la reacutevolution industrielle avec tous lesblocages qui ont entraveacute les machines agrave vapeur et les meacutetiers agrave tisser avant que lesmecircmes principes technologiques ne donnent naissance au chemin de fer et au deacutecloi-sonnement des marcheacutes avec de nouvelles voies de communication

Pourquoi ce doute alors sur les gains de productiviteacute Il y a agrave cela deux grandes rai-sons Drsquoabord les gains de productiviteacute semblent avant tout tireacutes par le secteur des tech-nologies drsquoinformation lui-mecircme plutocirct que par les autres secteurs de lrsquoeacuteconomieDans un article reacutecent de REXECODE3 Michel Didier le souligne en citant des travauxdrsquoailleurs partiellement contradictoires les travaux de Robert Gordon tout drsquoabordqui font apparaicirctre des gains de productiviteacute de 417 par an de 1995 agrave 1999 dans lesecteur mecircme des mateacuteriels informatiques contre 22 dans lrsquoensemble de lrsquoeacutecono-mie et seulement 15 dans les services les travaux de Kevin Stiroh par ailleurs quiadmet un accroissement de la productiviteacute du travail dans ces secteurs utilisateursmais avec un freinage de la productiviteacute globale des facteurs car ces secteurs utilisenttoujours plus de capital et de technologies drsquoinformation pour accroicirctre la productiviteacuteapparente du travail

1Claude Salzman Tant qursquoil y aura des comptables Eacutetudes drsquoimpact de lrsquoinformatique sur lrsquoemploi comp-table- CEGOS 19782Interview par Annie Kahn Le Monde 18 avril 20003REXECODE Nouvelle eacuteconomie et nouvelles technologies Revue REXECODE ndeg66 1er trimestre 2000

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Lrsquoautre facteur de doute crsquoest le fait que tous ces travaux sur la productiviteacute sont fon-deacutes sur un appareillage statistique qui paraicirct de moins en moins adapteacute agrave la mesuredrsquoune eacuteconomie ougrave lrsquoon produit de moins en moins de biens mateacuteriels Crsquoest drsquoailleursla reacutevision de lrsquooutil de comptabiliteacute nationale ameacutericain qui est largement agrave lrsquooriginede ce que lrsquoon mesure lorsque lrsquoon parle drsquoune acceacuteleacuteration de la croissance aux Eacutetats-Unis Mais drsquoougrave cela vient-il Uniquement du fait que lrsquoon a appris agrave mieux distinguerlrsquoeffet prix et lrsquoeffet volume dans les statistiques relatives au secteur des technologiesdrsquoinformation Cette seule correction a apporteacute plus drsquoun point agrave la croissance du PIBameacutericain La correction eacutetait-elle surestimeacutee Dans ce cas il nrsquoy a plus de base au dis-cours sur la nouvelle eacuteconomie La correction eacutetait-elle insuffisante et nrsquoaurait-il pasfallu moderniser drsquoautres mesures dans drsquoautres secteurs de lrsquoeacuteconomie Dans ce casles distorsions sectorielles ne seraient plus perccedilues de la mecircme maniegravere et le deacutebat surla nouvelle eacuteconomie aurait au contraire encore plus de vigueur

Quoi qursquoil en soit ces questions drsquoarbitrage entre prix et volume sont essentielles etelles renvoient agrave une interrogation geacuteneacuterale sur ce qursquoest un systegraveme de valeurs et surce qursquoest un systegraveme de prix dans une eacuteconomie de plus en plus immateacuterielle Crsquoest ceqursquoexprime le deacutebat autour du second paradoxe de la nouvelle eacuteconomie le para-doxe du NAIRU du laquo non-accelerating inflation rate of unemployement raquo Litteacuteralementle taux du chocircmage qui nrsquoacceacutelegravere pas lrsquoinflation

Le paradoxe crsquoest que le chocircmage ameacutericain ait pu passer de 85 de la populationactive agrave 41 aujourdrsquohui sans que lrsquoon observe jusqursquoici de relance de lrsquoinflation Leseacuteconomistes disposent drsquoun instrument les courbes de Phillips qui eacutetablissent pour-tant une correacutelation eacutetroite entre chocircmage et inflation Lorsque lrsquoemploi progresse ilapparaicirct un point au-delagrave duquel des tensions apparaissent sur le marcheacute du travail etougrave lrsquoon assiste agrave une remonteacutee des revendications salariales voire tout simplement agraveune surenchegravere entre entreprises pour attirer les salarieacutes Il en reacutesulte une pousseacutee pro-gressive de lrsquoinflation

Aux frontiegraveres entre lrsquoeacuteconomie reacuteelle et lrsquoeacuteconomie financiegravere et moneacutetaire lescourbes de Phillips constituent un outil central pour les eacuteconomistes classiques Cesont ces courbes qui expliquent que tant de conjoncturistes attendent chaque mois leschiffres du chocircmage et en tirent ces conclusions qui choquent le sens commun Untrop bon chiffre de lrsquoemploi une trop forte baisse de chocircmage va apparaicirctre commeun signal alarmant Il peut se traduire par un tour de vis des autoriteacutes moneacutetaires et dela Fed qui vont monter les taux drsquointeacuterecirct et reacuteduire la liquiditeacute de lrsquoeacuteconomie Drsquounemaniegravere ou drsquoune autre ceci se traduira alors par une limitation des capitaux precircts agravesrsquoinvestir sur les marcheacutes financiers et donc par un recul de la Bourse

Le deacutebat sur le NAIRU est illustreacute par des textes de James Galbraith de Paul Krugmanet drsquoAlan Blinder Ils analysent le paradoxe du NAIRU agrave la lumiegravere constante du para-doxe de Solow Si lrsquoeacuteconomie est en effet entreacutee dans une phase drsquoacceacuteleacuteration conti-

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nue des gains de productiviteacute alors un haut niveau drsquoemploi ne deacutebouchera pasmeacutecaniquement sur des tensions inflationnistes La productiviteacute croissante des fac-teurs de production engendrera de la valeur ajouteacutee et non une deacuterive des prix Crsquoesten cela que lrsquointerrogation sur la nouvelle eacuteconomie est au cœur des interrogations surlrsquoabaissement du NAIRU Certes chacun sait que des facteurs exogegravenes ont joueacute un rocircledans la stabiliteacute des prix aux Eacutetats-Unis Depuis plusieurs anneacutees lrsquoeacuteconomie ameacuteri-caine fonctionne en effet avec une forte deacutesinflation importeacutee lieacutee pendant tout untemps agrave la baisse des matiegraveres premiegraveres puis au processus drsquoencheacuterissement du dollarLe prix relatif des produits importeacutes ne cesse de baisser contribuant significativementagrave la non-relance de lrsquoinflation

Alan Greenspan a su neacuteanmoins jouer habilement avec le paradoxe du NAIRU enmaintenant une interrogation positive sur le passage agrave une nouvelle eacuteconomie quirepousserait la laquo speed limit raquo la limite de vitesse ougrave lrsquoeacuteconomie est menaceacutee par lasurchauffe Cette eacutevocation en demi-teinte sur des changements structurels eacutetaitsans doute une excellente approche pour deacutevelopper la confiance en profondeur desacteurs eacuteconomiques On est neacuteanmoins surpris par la superficialiteacute des analyses etdes arguments eacutevoqueacutes autour de cet enjeu du NAIRU Les textes se reacutefegraverent agrave lrsquohypo-thegravese de la nouvelle eacuteconomie mais ils nrsquoanalysent pas les meacutecanismes intrinsegravequesde cette nouvelle croissance non-inflationniste En particulier on reste sur sa faimquant agrave lrsquoabsence de toute reacuteflexion sur la productiviteacute du capital Les travaux de Sti-roh citeacutes plus haut montrent pourtant que lrsquoon ne peut analyser aujourdrsquohui lrsquoeacutevo-lution de la productiviteacute du travail sans srsquointerroger sur la productiviteacute globale desfacteurs

Nous reviendrons sur les hypothegraveses plus personnelles que lrsquoon peut preacutesenter dansce deacutebat sur le NAIRU Il convient cependant deacutejagrave de souligner qursquoune interrogation surlrsquoinflation ayant pour incidence la monnaie et la Bourse ne devrait pas se passer drsquountravail sur la productiviteacute du capital et sur la rotation du capital circulant Le troisiegravemeparadoxe eacutetudieacute le paradoxe boursier supposerait en effet pour ecirctre correctementappreacutehendeacute de disposer de donneacutees robustes sur la rentabiliteacute du capital Les textespreacutesenteacutes ici sont drsquoEdward Yardeni eacuteconomiste en chef de la Deutsche Bank Ils per-mettent drsquoappreacutecier avant et apregraves le laquo e-krach raquo drsquoavril 2000 comment la bourse dis-tingue les modes de valorisation des entreprises appartenant agrave lrsquoancienne ou agrave lanouvelle eacuteconomie Aveuglement bulle speacuteculative ou calcul rationnel

Pendant pregraves de 40 ans nous nrsquoavions pas veacutecu de paradoxe boursier Du deacutebut desanneacutees 60 au deacutebut des anneacutees 80 les indices boursiers (deacuteflateacutes des prix agrave la con-sommation) avaient baisseacute drsquoun facteur 3 tandis que les taux drsquointeacuterecirct agrave long termetriplaient La baisse boursiegravere eacutetait agrave peu pregraves inverse de la hausse des taux drsquointeacuterecirctDans les 20 anneacutees suivantes on assiste en France et jusqursquoen 1998 au mouvementstrictement symeacutetrique REXECODE note que les taux agrave 10 ans passent de 16 agrave 5 et

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que lrsquoindice SBF 250 est multiplieacute par un peu plus de 3 (lettre du 15 avril 2000) LaBourse rejoint son niveau laquo normal raquo de valorisation celui drsquoil y a 40 ans apregraves unevaste fluctuation dont lrsquoanalyse correspond rigoureusement au mode drsquoanalyse clas-sique

Le paradoxe boursier nrsquoapparaicirct reacuteellement que durant lrsquoanneacutee 1999 avec une valori-sation hors normes accordeacutee agrave toutes les entreprises high tech et plus particuliegraverement agravecelles de la galaxie Internet Comme le note REXECODE laquo de 1995 agrave 1998 lrsquoindice Nasdaqcomposite eacutevoluait agrave peine plus rapidement que lrsquoindice Standard and Poorrsquos 500 De finoctobre 1999 au 14 avril 2000 le SP 500 augmente de 10 alors que le Nasdaq compo-site progresse drsquoenviron 40 et lrsquoindice Computer de 50 Sur la mecircme peacuteriodelrsquoEurostoxx augmente de 30 lrsquoEurostoxx Technologie de 80 Agrave Paris le SBF 250 aug-mente de pregraves de 30 le nouvel indice technologique ITCAC de 125 raquo

Cette distorsion dans les critegraveres drsquoappreacuteciation boursiegravere choque les points de vueles plus traditionnels qui srsquoidentifient plus aiseacutement agrave lrsquoancienne eacuteconomie qursquoagrave lanouvelle Dans Forbes David Dreman illustre ce genre de reacuteticences laquo Agrave la finde 1999 400 grandes entreprises Internet avaient une capitalisation boursiegravere de1000 milliards de dollars (27 de la valeur du Dow Jones) Ce groupe reacutealisait un chif-fre drsquoaffaires global de 29 milliards de dollars soit seulement 2 du chiffre drsquoaffairesdu Dow Jones Plus significatif ces valeurs Internet vont perdre collectivement9 milliards de dollars cette anneacutee alors que les valeurs du Dow vont probablementgagner pregraves de 150 milliards de dollars raquo (Forbes 17 avril 2000) Lrsquoimpression est qursquoily a vraiment deux poids deux mesures et que la valorisation des activiteacutes laquo nouvelleeacuteconomie raquo serait purement speacuteculative

Est-ce bien seulement cela pourtant Nous laisserons de cocircteacute les arguments empi-riques tendant agrave fournir des instruments de valorisation des activiteacutes Internet tout enjustifiant leur niveau eacuteleveacute Diffeacuterents points de vue se sont exprimeacutes sur des critegraverespertinents multiples du chiffre drsquoaffaires vitesse du laquo cash burning raquo theacuteorie desoptions valeur des portefeuilles-clients Il faut cependant noter que certains de ces cri-tegraveres ont un effet pernicieux car pour ecirctre mieux valoriseacutees les entreprises srsquoy confor-ment mecircme si crsquoest au prix drsquoune voie de deacuteveloppement biaiseacutee Tel est le cas de cetoutil agrave manier avec une grande preacutecaution qursquoest la notion de valeur du client acquisAu nom de cet outil des entreprises immobilisent ce qursquoelles appellent un capitalimmateacuteriel mais dont il srsquoavegravere souvent qursquoil est tregraves volatile Pour conforter cet actifet pour mieux le valoriser sur les marcheacutes financiers les entreprises sont de surcroicirctinciteacutees agrave stocker et agrave traiter de grandes quantiteacutes drsquoinformations sur les personnesbien souvent beaucoup plus qursquoelles ne savent en utiliser sur un plan opeacuterationnelsoulevant par contre des problegravemes bien reacuteels drsquoinformatique et de liberteacutes1

1 Commerce eacutelectronique marketing et liberteacutes Cahier LaSer ndeg2 Eacuteditions 00h00 1999

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On peut consideacuterer les choses autrement Reacutepondant par avance aux arguments deForbes Masayoshi Son le patron de Softbank le principal acteur asiatique dans ledomaine Internet srsquointerrogeait ainsi au deacutebut de lrsquoanneacutee laquo Qursquoest-ce qui estirrationnel Est-ce vraiment que les valeurs Internet soient capitaliseacutees 1000 milliardsde dollars Ou est-ce que ce nrsquoest pas que les valeurs de lrsquoinformatique traditionnellecontinuent drsquoecirctre valoriseacutees 6000 milliards de dollars raquo Autrement dit est-ce queles marcheacutes font trop monter les valeurs Internet Ou bien est-ce que le vase commu-niquant ne fonctionne pas suffisamment et qursquoil devrait plus fortement sanctionnerles entreprises mal preacutepareacutees agrave cette reacutevolution technologique Par nature les raison-nements boursiers sont plus porteacutes agrave lrsquoanalyse sectorielle et on trouve lagrave les germes dela distinction commune entre nouvelle et ancienne eacuteconomie Les travaux sur le para-doxe de Solow et sur le NAIRU srsquoinscrivent dans une hypothegravese de changement trans-versal impliquant lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie Le deacutebat boursier est diffeacuterent encoreqursquoil nrsquoest pas contradictoire La Bourse nrsquoeacutemet en effet aucun jugement sur lrsquoavenirdrsquoun secteur eacuteconomique Elle se contente drsquoappreacutecier la capaciteacute agrave srsquoadapter des entre-prises qui appartiennent agrave un indice sectoriel

Fondamentalement le paradoxe boursier est un deacutebat sur la diversification desmodes de valorisation des entreprises selon le pronostic que lrsquoon porte sur leur deve-nir en peacuteriode de forte mutation Un aspect essentiel de ce deacutebat crsquoest la maniegravere donton appreacutecie les chances de lrsquoemporter qursquoont les puissances installeacutees (leslaquo empereurs raquo) face aux nouveaux entrants (les raquo barbares raquo) Il srsquoagit drsquoune questionparticuliegraverement priseacutee des cabinets de consultants Nombre de rapports de grandequaliteacute ont eacuteteacute eacutecrits par les cabinets de consulting strateacutegique et bien que chacun aitpris soin de se diffeacuterencier la trame en est souvent la mecircme Srsquoadressant agrave une clientegravelede grandes entreprises ces rapports disaient en substance laquo Internet est une reacutevolu-tion consideacuterable Crsquoest une menace mortelle pour votre entreprise avec des hordes denouveaux concurrents Mais gracircce agrave son organisation agrave sa notorieacuteteacute et agrave sa marquevotre entreprise saura triompher agrave la seule condition qursquoelle sache mettre en œuvreune strateacutegie ambitieuse soutenue de surcroicirct par de bons consultants raquo

Le problegraveme crsquoest que les marcheacutes financiers disent le contraire Ce qursquoils disent crsquoestque dans la confrontation entre une entreprise Internet et une entreprise classique crsquoestla nouvelle qui gagne Apregraves le e-krach et les premiegraveres faillites drsquoentreprises de commerceeacutelectronique on peut se demander si crsquoest si vrai que cela De fait il faudrait exclure delrsquoanalyse les secteurs ougrave la reacutevolution Internet est agrave peine entameacutee et ougrave les marcheacutes sontencore tout petits Dans de tels cas il nrsquoest pas vraiment eacutetonnant que les nouveauxentrants qui se lancent fort et vite se trouvent fragiliseacutes par lrsquoeacutetroitesse du marcheacute tandisque les entreprises en place ne sont guegravere eacutebranleacutees par le fait de supporter un compleacute-ment Internet agrave leurs activiteacutes traditionnelles Il en va tout agrave fait diffeacuteremment dans lessecteurs ougrave Internet repreacutesente deacutejagrave des parts de marcheacute importantes

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Dans la commercialisation des ordinateurs et des logiciels dans le laquo brokerage raquo desactions dans la distribution automobile dans le commerce des loisirs et des titres detransport le commerce eacutelectronique repreacutesente deacutejagrave 15 20 ou 30 des marcheacutesDans tous ces secteurs les gagnants sont des entreprises qui ont adopteacute des strateacutegiesnovatrices de creacuteation de valeur tandis que les anciens leaders se sont fait distancerDans le match entre le challenger Dell et le leader Compaq crsquoest Dell qui a su srsquoimposersur le marcheacute de la micro-informatique Dans le courtage des actions Charles Schwaba connu un succegraves fulgurant que tente vainement de suivre le puissant Merrill LynchDans le domaine automobile les moyens colossaux investis par les grands construc-teurs (Ford GM etchellip) ne sont pas parvenus jusqursquoici agrave enrayer la progression drsquounnouvel entrant comme Autobytel Crsquoest cela qursquoont releveacute les marcheacutes financiers etcrsquoest cela qursquoils ont traduit dans lrsquohiver 1999-2000 en creusant lrsquoeacutecart entre la valori-sation des entreprises de la nouvelle et de lrsquoancienne eacuteconomie

Un exemple frappant est celui de la fusion entre AOL et Time Warner Il ne srsquoagit paslagrave drsquoune opposition facile entre laquo vieux raquo et laquo nouveaux raquo secteurs puisque les deuxentreprises eacutetaient TMT (Technologie Meacutedia Teacuteleacutecommunication) Lrsquoune AOL avaitdes savoir-faire simples (lrsquoaccegraves agrave Internet) et un fonds de commerce somme toutelimiteacute (21 millions drsquoabonneacutes) Lrsquoautre Time Warner avait des compeacutetences riches etdiversifieacutees des clientegraveles multiples des activiteacutes dans le cacircble dans la teacuteleacutevision dansles magazines et la presse Et pourtant les marcheacutes financiers ont donneacute les moyens agraveAOL de racheter Time Warner Tout srsquoest passeacute comme si prenant acte de lrsquoavis geacuteneacuteralselon lequel Internet et les activiteacutes traditionnelles de laquo contenu raquo eacutetaient destineacutees agraveconverger les marcheacutes financiers srsquoeacutetaient poseacute la question de savoir qui eacutetait le mieuxplaceacute pour piloter cette rencontre Eacutetait-ce lrsquoentreprise la plus puissante et aux savoir-faire les plus varieacutes Ou lrsquoentreprise la plus apte agrave tout repenser dans une optiqueInternet La Bourse a trancheacute pour la seconde solution Et lorsque lrsquoon prend encompte la liste des deacuteboires que Time Warner avait connus pour maicirctriser la technolo-gie et lrsquointeractiviteacute on peut se demander si les marcheacutes financiers ont eacuteteacute aussilaquo irrationnels raquo qursquoon le dit

Un cadre drsquoanalyse

Les textes que nous preacutesentons ici incitent agrave penser sur les trois paradoxes imbriqueacutesde la nouvelle eacuteconomie Solow NAIRU Bourse Ils nrsquooffrent pas pour autant unereacuteflexion aboutie sur ce qursquoest la nouvelle eacuteconomie sur ses ressorts et sur son devenirCrsquoest la raison pour laquelle nous nous sommes permis de placer en conclusion un

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texte que nous avions eacutecrit en avril 1998 laquo Naissance drsquoune nouvelle eacuteconomie Septthegraveses sur lrsquoeacuteconomie de marcheacute agrave lrsquoacircge du commerce eacutelectronique raquo

Agrave lrsquoeacutepoque lrsquoexpression laquo nouvelle eacuteconomie raquo nrsquoeacutetait pas usuelle en France et ilnrsquoeacutetait pas aiseacute drsquointroduire un deacutebat sur cette question Aussi nrsquoeacutetions-nous pas alleacutesjusqursquoau bout drsquoune proposition qui est preacutesente entre les lignes Crsquoest que mecircme silrsquoon ne sait pas encore bien ce qursquoest la nouvelle eacuteconomie on commence agrave mieux pou-voir caracteacuteriser ce qursquoest lrsquoancienne eacuteconomie

Lrsquoancienne eacuteconomie ce nrsquoest pas en effet lrsquoeacuteconomie de lrsquoagriculture ou desgrands secteurs heacuteriteacutes de la reacutevolution industrielle du XIXe siegravecle Ce nrsquoest pas nonplus lrsquoeacuteconomie de service traditionnelle des vastes secteurs tertiaires organiseacutes (ban-que assurance distribution) Tous ces secteurs ont vocation agrave entrer dans la nouvelleeacuteconomie Pour autant le passage de lrsquoancienne agrave la nouvelle eacuteconomie nrsquoest pas seu-lement le pheacutenomegravene de la diffusion transversale des technologies drsquoinformationLrsquoancienne eacuteconomie ce nrsquoest pas lrsquoeacuteconomie preacute-informatiseacutee devenant nouvelle parle seul effet de lrsquoinformatisation

La frontiegravere est beaucoup plus preacutecise Elle correspond agrave la phase ougrave nous sommesdans le processus de deacuteplacement du centre de la mutation technologique la nouvelleeacuteconomie crsquoest lrsquoinformatisation de lrsquoeacutechange par opposition agrave une ancienne eacutecono-mie ougrave domine encore le modegravele strateacutegique impliqueacute par lrsquoinformatisation de la pro-duction et de la gestion Dans cette laquo ancienne raquo eacuteconomie (celle des 20 agrave 30 derniegraveresanneacutees) des lois srsquoeacutetaient imposeacutees avec des critegraveres de gestion normatifs Immergeacutesdans cette eacuteconomie-lagrave nous ne savions plus la voir Nous nrsquoeacutetions plus conscients delrsquoeacutepuisement de ce modegravele Ce qursquoInternet nous oblige agrave voir crsquoest qursquoil y avait de latechnologie mais que ce nrsquoeacutetait pas la bonne qursquoil y avait des nouveauteacutes mais quelrsquoinnovation srsquoeacutetiolait qursquoil y avait du tourbillon mais qursquoil nrsquoy avait pas de vitesseque lrsquoeacuteconomie mdash dans ses diffeacuterentes composantes mdash ralentissait

Le modegravele qui a domineacute pendant des anneacutees crsquoeacutetait le modegravele de lrsquoindustrie informa-tique elle-mecircme La technologie y geacuteneacuterait des gains de productiviteacute consideacuterables La loide Moore entraicircnait en effet la division par deux tous les 18 mois du coucirct des produitsFace agrave cela le modegravele strateacutegique dominant eacutetait caracteacuteriseacute par lrsquoaffirmation suivante laquo si notre vente moyenne est drsquoun dollar elle sera toujours drsquoun dollar agrave lrsquoavenir au lieude baisser les prix nous allons sophistiquer les produits et vendre plus de fonctionnaliteacutesagrave lrsquoutilisateur pour un dollar raquo IBM avait contribueacute agrave forger cette doctrine anti-deacuteflation-niste et tous les acteurs de lrsquoinformatique srsquoy eacutetaient reconnus La productiviteacute ne devaitpas servir agrave faire baisser les prix Elle devait venir financer la recherche et lrsquoinnovation-produit drsquoune part la publiciteacute et les actions commerciales drsquoautre part

Ce modegravele srsquoeacutetait reacutepandu dans de nombreux autres secteurs agrave la recherche eux aussidrsquoune strateacutegie de protection de la valeur Lrsquoindustrie automobile multipliait les acces-

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soires les combinatoires et les options mais ne baissait pas les prix Les teacuteleacutecommuni-cations deacuteveloppaient le trafic de la voix et des donneacutees mais en privileacutegiant dessolutions comme la commutation de circuits (permettant de vendre plus de ressour-ces) sur la commutation de paquets (visant agrave optimiser les ressources comme le fait leprotocole IP crsquoest-agrave-dire Internet) Moyennant quoi on innovait en France il y a20 ans en vendant du Minitel agrave 2 F la minute alors que la deacuteflagration actuelle drsquoInter-net permet de vendre la minute de communication Paris mdash New York agrave moinsdrsquo1 centime la minute

Autour de tout cela il y avait beaucoup de technologies beaucoup de fragilisationdes chaicircnes de valeurs donc beaucoup drsquoinvestissement dans les marques Plusqursquoaujourdrsquohui drsquoune certaine maniegravere cet acircge de lrsquoinformatisation eacutetait un acircge delrsquoimmateacuteriel La productiviteacute reacuteduisait chaque anneacutee la composante du traitementindustriel dans le prix final drsquoun produit Dans un produit de consommation couranteil ne repreacutesente souvent plus que de 15 agrave 30 de la valeur finale tout le reste eacutetant descoucircts de recherche-deacuteveloppement de packaging de logistique de distribution depubliciteacute Lrsquoinvestissement dans la marque eacutetait alors devenu un des moyens de proteacute-ger la coheacutesion drsquoun ensemble heacuteteacuteroclite drsquoeacuteleacutements de valeur Par lagrave-mecircme ce mou-vement favorisait le financement et le deacuteveloppement des meacutedias de communication

Lrsquoancienne eacuteconomie prenait ainsi des allures laquo drsquoeacuteconomie-baudruche raquo Commenous le deacutecrivions dans les laquo sept thegraveses raquo tout gonflait Avec un flux excessif drsquoinno-vation-marketing les stocks pesaient de plus en plus lourd dans lrsquoeacuteconomie (30 duPIB dans la France tertiariseacutee de 1995 contre 25 dans la France industrielle de 1950)Avec une absence de baisse des prix (malgreacute la deacutesinflation) et avec une conception eacuteli-tiste des services la valeur du temps social ne cessait de srsquoeacutelever (2 F la minute ) Lesactifs tournaient de moins en moins vite et lrsquoon oubliait mecircme dans les theacuteories moneacute-taires le concept de vitesse de circulation de la monnaie (au profit de la notion toutautre de vitesse de gonflement de la masse moneacutetaire) Contemplant leur culture etleur identiteacute de marque lrsquoorgueil des entreprises se dilatait

Lrsquoacte fondateur de la nouvelle eacuteconomie crsquoest le deacutegonflement de cette bau-druche On comprend qursquoil puisse en reacutesulter une bulle speacuteculative Degraves lors que latechnologie transforme lrsquoeacutechange et que son emploi est aux mains des personnes il enreacutesulte un renversement complet des chaicircnes de valeur Tant que la capaciteacute drsquoinno-vation eacutetait situeacutee en amont il pouvait ecirctre leacutegitime de ne pas restituer les gains de pro-ductiviteacute aux consommateurs Les grandes entreprises pouvaient faire valoir qursquoellesagissaient dans le sens de lrsquolaquo inteacuterecirct geacuteneacuteral raquo en captant ces ressources pour financerla recherche et lrsquoinnovation

La bascule apparaicirct avec la conjonction de deux pheacutenomegravenes Drsquoune part la capa-citeacute imaginative de lrsquoamont technique srsquoeacutepuise et dans les strateacutegies de lrsquoancienne eacuteco-nomie les gains de productiviteacute financent de moins en moins souvent le progregraves et de

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plus en plus souvent la preacuteservation des parts du marcheacute (cf gonflement des budgetscommerciaux des deacutepenses consacreacutees agrave la laquo coopeacuteration commerciale raquo aux ristour-nes et rabais en tous genres) Drsquoautre part la technologie aux mains des personnesreacutevegravele un immense besoin drsquoinnovation dans lrsquoadaptation des produits et des servicesagrave la diversiteacute des modes de vie Coinceacutes par des emplois du temps casse-tecircte il y a uneforte demande de services gain-de-temps et de juste-agrave-temps au niveau des personnesLes femmes qui travaillent et qui font carriegravere sont parmi les moteurs de cettedemande Crsquoest en srsquoappuyant sur elles qursquoune firme comme Autobytel a bouleverseacute lemode de commercialisation des voitures en inventant les appels drsquooffre personnaliseacutessur Internet et en asseyant son succegraves sur le slogan laquo Autobytel ou le moyen de luttercontre la souffrance drsquoacheter une automobile raquo

Toutes les grandes reacuteussites du commerce eacutelectronique sont le fruit drsquoune grandeaudace marketing Les nouveaux intermeacutediaires inventent une valeur ajouteacutee par uneproximiteacute eacutetroite avec le client final Ils construisent un business model et un principede rentabiliteacute fondeacute sur de veacuteritables avantages compeacutetitifs et sur le laquo siphonage raquo despoches de reacutetention de la productiviteacute En inventant la commercialisation drsquoordina-teurs personnaliseacutes produits agrave la commande et livreacutes en 8 jours Dell a inventeacute unmodegravele de distribution agrave tregraves forte rotation des stocks Agrave son bilan Dell nrsquoa que 5 joursde stock contre 10 fois plus pour ses concurrents Crsquoest la base de la performance de sonmodegravele drsquoattaque de marcheacute

Lrsquoacceacuteleacuteration de la rotation des actifs conjugueacutee agrave cette innovation-marketing lieacuteeagrave la proximiteacute-client sont agrave la base de la nouvelle eacuteconomie Degraves lors que la compeacuteti-tion se reacute-organise selon ces principes sur tous les marcheacutes il nrsquoest guegravere eacutetonnant quelrsquoon sorte du paradoxe de Solow on exteacuteriorise drsquoun seul coup les gains de productiviteacuteque lrsquoon avait pris pour regravegle de laquo stocker raquo pendant plusieurs deacutecennies Ceci expliqueeacutegalement que lrsquoon assiste au paradoxe du NAIRU Degraves lors qursquoapparaicirct une forte renta-biliteacute du capital circulant drsquoautres modegraveles peuvent en effet srsquoimposer dans lrsquouniversde lrsquoeacutechange que ceux fondeacutes sur une forte productiviteacute du travail

Dans le Cahier LaSer ndeg11 nous analysions par exemple le modegravele des superstores Wal-Mart En ayant fortement investi dans les technologies drsquoinformation Wal-Mart ainventeacute un modegravele innovateur le modegravele laquo every day low prices raquo (des prix bas tous lesjours) qui lrsquoa ameneacute agrave la premiegravere place des commerccedilants mondiaux Le modegravele consisteagrave limiter les agrave-coups promotionnels agrave utiliser la technologie pour acceacuteleacuterer la rotationdes stocks et la productiviteacute du capital circulant puis agrave investir ces gains laquo amont raquo dansdu service laquo aval raquo afin de mieux servir la clientegravele de mieux la comprendre et de la fideacute-liser Reacutesultat un superstore Wal-Mart moyen emploie 450 personnes pour faire un chif-

1 Self-service mondial ou nouvelle eacuteconomie de service - Technologie emploi commerce Premiegraveres conclu-sions Cahier LaSer ndeg1 1998

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fre drsquoaffaires de 420 MF contre 280 personnes pour le mecircme chiffre drsquoaffaires dans unhypermarcheacute franccedilais Mais alors que les stocks tournent 105 fois dans lrsquoanneacutee dans unhypermarcheacute franccedilais ils tournent 25 fois dans un surperstore Wal-Mart

En termes micro-eacuteconomiques le cas Wal-Mart est lrsquoillustration exacte du pheacuteno-megravene que constitue lrsquoabaissement du NAIRU Wal-Mart deacutemontre en effet que lrsquoon peutpratiquer des prix bas tout en creacuteant des emplois en jouant sur cette variable qursquoestlrsquoacceacuteleacuteration de la rotation du capital circulant Moins drsquoun an apregraves son arriveacutee enAngleterre Wal-Mart a provoqueacute un traumatisme en annonccedilant simultaneacutement unebaisse de 15 des prix et la creacuteation de 25 000 emplois avec lrsquoeacuteleacutevation du niveau deservices La proposition est tellement stupeacutefiante par rapport aux normes drsquouneancienne eacuteconomie ougrave lrsquoon opposait sans cesse prix et service que tous les concurrentssont obligeacutes peu ou prou de suivre En avril Tesco mdash le leader actuel du marcheacutebritannique mdash a annonceacute agrave son tour une baisse forte des prix la creacuteation drsquoune filialeInternet et 20 000 creacuteations drsquoemplois Nul doute qursquoen Grande-Bretagne on assiste agraveun affaissement du NAIRU du taux de chocircmage qui nrsquoacceacutelegravere pas lrsquoinflation

Si lrsquoon prolonge ces transformations on conccediloit que la nouvelle eacuteconomie est encoreloin drsquoavoir donneacute sa pleine mesure De nombreux secteurs du commerce traditionnelcontinuent de fonctionner avec 2 agrave 3 rotations de stocks par an Dans la comparaisondrsquoun hypermarcheacute franccedilais agrave un superstore Wal-Mart on a vu que lrsquoinformatisation drsquounmagasin peut faire monter la rotation de 10 agrave 25 fois par an Dans le cas de Dell et ducommerce eacutelectronique on a citeacute un modegravele avec moins de 7 jours de stocks plus de50 rotations par an Agrave la cleacute les avantages compeacutetitifs deacutegageacutes sont consideacuterables avecla possibiliteacute drsquoune forte diffeacuterenciation par le service et par la creacuteation drsquoemplois1

Dans la commercialisation de services ou de biens immateacuteriels la rotation peutatteindre lrsquoinfini Le cas drsquoun produit informationnel (logiciel air de musique etc) asouvent eacuteteacute commenteacute par les eacuteconomistes Il correspond agrave un modegravele ougrave la tradition-nelle courbe de baisse progressive des prix en fonction des volumes de production dis-paraicirct au profit drsquoun graphique plus brutal en forme drsquoeacutequerre Le coucirct du premierexemplaire du prototype est tregraves eacuteleveacute Le coucirct des exemplaires suivants est quasi-nulpuisqursquoil nrsquoy a plus de coucirct de production de transport et de distribution Il y a seule-ment des coucircts de reproduction et des coucircts drsquoaccegraves par le reacuteseau Eacutetant lui-mecircme unbien informationnel celui-ci est un bien dont lrsquousage est quasi-gratuit mecircme si sa miseen place est un investissement tregraves lourd

Consideacutereacutes hier comme des cas singuliers et paradoxaux ces exemples deviennentle cœur mecircme de lrsquoeacuteconomie de la nouvelle eacuteconomie Il en reacutesulte de nouvelles ten-sions et de nouveaux principes de creacuteation de valeur Dans lrsquoeacuteconomie de demain des

1 Philippe Lemoine in Les 35 heures une approche critique ouvrage collectif sous la direction de PaulFabra Eacuteditions Economica 1999

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tensions tregraves fortes sont agrave preacutevoir entre la logique des infrastructures et des investisse-ments en capital fixe et la logique de lrsquointermeacutediation et de lrsquoaccegraves au client Plus quejamais les inteacuterecircts sont antagoniques et lrsquoon nrsquoest pas pregraves de voir se reacuteconcilier lrsquooffreet la demande Mais crsquoest preacuteciseacutement parce que les logiques seront eacuteloigneacutees et que lestensions seront fortes que les acteurs eacuteconomiques rechercheront des positionne-ments ambigus inclassables agrave cheval entre la technologie le service et la proximiteacute-clients

Une meilleure productiviteacute du capital circulant sera de plus en plus le moyen de geacutererces tensions et de fonder de nouvelles approches de la creacuteation de valeur Et crsquoest lagravepeut-ecirctre que le changement est drsquoores et deacutejagrave le plus spectaculaire Avec lrsquoancienneeacuteconomie la Bourse srsquoeacutetait habitueacutee agrave un discours sur la creacuteation de valeur pourlrsquoactionnaire (laquo shareholder value raquo) dont le fondement eacutetait in fine la producti-viteacute du seul facteur travail le re-engineering les licenciements et le chocircmage Lesmarcheacutes financiers avaient bien noteacute dans les anneacutees 80 que lrsquoeacuteconomie nrsquoexteacuteriori-sait pas pleinement ses gains de productiviteacute Agrave partir de 1999 on srsquointeacuteresse aux res-tructurations et au laquo business process re-engineering raquo (BPR) tandis que des chercheursnotent la proximiteacute entre les dates des plans de licenciements et des assembleacutees geacuteneacute-rales avec lrsquoobjectif visible de doper le cours de bourse des grands groupes1 Danslaquo LrsquoHorreur eacuteconomique raquo Viviane Forrester reprendra et systeacutematisera ces ideacutees en sou-lignant la forte correacutelation entre creacuteation de valeur et plans sociaux2

Le veacuteritable paradoxe boursier crsquoest que ceci ne fonctionne plus Agrave lrsquoheuredrsquoInternet et de la nouvelle eacuteconomie drsquoautres principes de creacuteation de valeur sontreconnus par les marcheacutes Et ce qui a eacuteteacute frappant depuis un an environ crsquoest le deacutesarroide certains grands groupes multinationaux complegravetement pris agrave revers par ce brusquechangement des regravegles du jeu Constatant la mauvaise tenue de leurs cours et des mul-tiples boursiers tregraves peacutenalisants ils enragent de voir le marcheacute les valoriser agrave 20 15 oumecircme 10 fois leurs reacutesultats alors que les indices moyens des valeurs technologiquessont de lrsquoordre de 50

Plusieurs drsquoentre eux ont alors annonceacute de nouveaux plans de compression drsquoeffec-tifs Pour ne citer que quelques cas de lrsquoanneacutee 2000 et en se limitant agrave des stars de cequi est deacutejagrave lrsquoancienne eacuteconomie Coca-Cola Unilever Procter and Gamble BritishAirways De maniegravere spectaculaire deux grandes banques allemandes (Deutsche Banket Dresner) ont annonceacute en mecircme temps leur fusion et 16 000 suppressions drsquoemploisDans ce dernier cas le projet a eacuteteacute abandonneacute mais dans tous ces exemples ce fut descoups drsquoeacutepeacutee dans lrsquoeau

1 Ph Chevalier D Dure Pourquoi licencie-t-on in Geacuterer et Comprendre Annales des Mines septem-bre 19942 Viviane Forrester LrsquoHorreur eacuteconomique Fayard 1996

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Aucune de ces annonces ne srsquoest traduite par un veacuteritable effet laquo booster raquo sur le coursde bourse Drsquoougrave parfois un certain deacutesarroi Comment se fait-il Nous faisons toutbien Nous sommes dans la logique de la globalisation et du marcheacute mondial Nousnous concertons et nous fusionnons Nous sommes laquo obseacutedeacutes raquo par la creacuteation devaleur pour lrsquoactionnaire Nous comprimons et nous rationalisons Et notre cours nebouge pas Que faudrait-il donc faire Lrsquoenjeu est drsquoimportance car agrave lrsquoheure desfusions payeacutees en papier et en titres un multiple haut signifie que lrsquoon peut avoir lrsquoini-tiative des rapprochements tandis qursquoun multiple bas veut dire que lrsquoon termineraracheteacute par un autre Rage suprecircme des entreprises jeunes innovantes ne faisant pasde beacuteneacutefices et deacutegageant un chiffre drsquoaffaires balbutiant sont dans le mecircme temps por-teacutees au sommet

Comme souvent les marcheacutes financiers eacutetaient passeacutes drsquoun extrecircme agrave un autre Ilsnrsquoavaient jureacute hier que par une rentabiliteacute eacutegale agrave 15 des capitaux propres et drsquounseul coup identifiaient creacuteation de valeur et imagination Le fait de deacutegager des reacutesul-tats beacuteneacuteficiaires serait-il agrave jamais devenu deacutemodeacute Lrsquoengouement eacutetait tel qursquoil ne selimitait pas agrave ces entreprises de la nouvelle eacuteconomie disposant de business models soli-des fondeacutes sur la compeacutetitiviteacute propre drsquoInternet sur la proximiteacute client et sur la capa-citeacute agrave deacutestabiliser les anciens leaders Certes les Cisco les MCI-Worldcom les Dell lesSchwab etc repreacutesentent lrsquoessentiel de lrsquoargent investi en valeurs Internet Mais nom-bre de start-up fondeacutees sur une ideacutee plus ou moins aboutie ont profiteacute de la manne Etla bulle a gonfleacute de projets Internet promus par les entreprises traditionnelles precirctes agraveinvestir avec la foi du neacuteophyte pour se voir enfin reconnues par les marcheacutes La cor-rection eacutetait ineacutevitable Neacutecessairement les marcheacutes sont tels qursquoil y en aura drsquoautres

Malgreacute tout quelque chose de neuf est en train drsquoapparaicirctre La nouvelle eacuteconomie nrsquoestpas neacutee de la Bourse et son destin deacutepasse les courbes du Nasdaq Il faut espeacuterer qursquounegeacuteneacuteration de jeunes entrepreneurs ne sortira pas trop meurtrie de ces brusques traverseacuteesde montagnes russes Ce qui compte crsquoest que les eacuteconomies occidentales deacutegagent agrave nou-veau des capaciteacutes de croissance Les strateacutegies drsquoentreprises se donnent drsquoautres projetsqursquoune conception eacutetroite de la rationalisation Les marcheacutes valorisent enfin autre choseque la productiviteacute-spectacle Lrsquoheure est agrave la creacuteativiteacute et agrave la recherche de nouvelles sour-ces de richesse dans les processus de communication de services et drsquoeacutechanges

Lrsquoimportant est de se garder de toute caricature et de toute ideacuteologie Dans sa dimen-sion empirique et volontairement impreacutecise lrsquoexpression laquo nouvelle eacuteconomie raquo estfinalement bien adapteacutee agrave lrsquoeacutetat encore incertain de nos connaissances Il faut lire lestextes qui ont jusqursquoici jalonneacute le deacutebat et apprendre agrave aller plus loin dans la compreacute-hension des diffeacuterents paradoxes Il faut enrichir les questions souleveacutees par les eacutecono-mistes ameacutericains par des exemples concrets et par des analyses fines tireacutees drsquoune

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compreacutehension speacutecifique des technologies actuelles ainsi que drsquoune observationattentive de leur deacuteplacement et de la transformation progressive des marcheacutes qui enreacutesulte Nrsquoest-il pas temps en France et en Europe de faire progresser lrsquointerrogationsur la maniegravere de reconnaicirctre de deacutecrire et de conforter le deacuteploiement de cette nou-velle eacuteconomie encore pleine de mystegraveres et de promesses

Chapitre 1

La nouvelle eacuteconomie des lois aux paradoxes

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De nouvelles regravegles pour la nouvelle eacuteconomie douze principes fiables pour prospeacuterer

dans un monde turbulent

Kevin KELLY1

Septembre 1997

La reacutevolution digitale fait actuellement la Une de tous les journaux et magazinesPourtant il existe une reacutevolution bien plus profonde qui eacutevolue lentement sous cetteturbulence qui progresse si vite une reacutevolution qui entraicircne les tourbillons des techno-gadgets brancheacutes et des musts crsquoest celle de lrsquoeacuteconomie des reacuteseaux

Cette nouvelle eacuteconomie eacutemergente repreacutesente un veacuteritable bouleversement tecto-nique dans notre communauteacute une eacutevolution sociale qui reacuteordonne nos existencesplus encore que le hardware et le software ne pourraient le faire Elle preacutesente ses propresopportuniteacutes et possegravede ses regravegles speacutecifiques qui sont tout agrave fait nouvelles Ceux quiles observent prospeacutereront agrave la diffeacuterence de ceux qui ne les respecteront pas

Crsquoest degraves 1969 que lrsquoavegravenement de cette nouvelle eacuteconomie a eacuteteacute noteacute par PeterDrucker qui avait perccedilu lrsquoarriveacutee des travailleurs du savoir On deacutesigne drsquoailleurs sou-vent la nouvelle eacuteconomie sous lrsquoexpression drsquolaquo eacuteconomie de lrsquoinformation raquo en rai-son du rocircle eacuteminent joueacute dans la creacuteation de richesses par lrsquoinformation et non par lesressources mateacuterielles ou le capital

Je preacutefegravere quant agrave moi lrsquoexpression drsquolaquo eacuteconomie des reacuteseaux raquo car lrsquoinformation nesuffit pas agrave expliquer les discontinuiteacutes que lrsquoon y observe Pendant les cent ans quiviennent de srsquoeacutecouler nous avons eacuteteacute litteacuteralement inondeacutes par une mareacutee drsquoinforma-tions dont le niveau augmentait constamment De nombreuses entreprises se sontconstruites sur le capital repreacutesenteacute par lrsquoinformation mais crsquoest tregraves reacutecemmentqursquoune reconfiguration totale affectant lrsquoinformation elle-mecircme a provoqueacute une eacutevo-lution de lrsquoeacuteconomie tout entiegravere

1 KEVIN KELLY est co-fondateur et reacutedacteur en chef de la revue Wired le magazine de reacutefeacuterence de lareacutevolution numeacuterique Son livre New Rules for the New Economy (Penguin Putman Inc 1998) a eacuteteacute tra-duit en 11 langues sauf en franccedilais Cet article a eacuteteacute publieacute initialement en anglais dans Wired Septem-bre 1997 sous le titre laquoNew Rules for the New Economyraquo (httpwiredcomwired509newrules_prhtml) Traduit et reproduit avec lrsquoaimable autorisation de lrsquoauteur

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La grande ironie de notre eacutepoque crsquoest que lrsquoegravere des ordinateurs est reacutevolue Toutesles conseacutequences majeures des ordinateurs autonomes se sont deacutejagrave produites et enfait ces machines ont juste un peu acceacuteleacutereacute notre rythme de vie voilagrave tout

Agrave lrsquoinverse toutes les technologies les plus prometteuses qui eacutemergent aujourdrsquohuisont ducirces principalement agrave la communication entre ordinateurs autrement dit auxconnexions plutocirct qursquoaux calculs Et comme la communication est la base de la cul-ture bricoler agrave ce niveau est vraiment grave

Et en effet nous bricolons La technologie qui a eacuteteacute inventeacutee pour traiter des calculs enmasse a eacuteteacute deacutetourneacutee pour connecter des laquo isoleacutes raquo Ce qui caracteacuterise essentiellement lareacuteorganisation de lrsquoinformation crsquoest la geacuteneacuteralisation drsquoune deacutemarche inexorable pourconnecter tout agrave tout Nous sommes deacutesormais engageacutes dans un processus drsquoensemble des-tineacute agrave augmenter amplifier et eacutetendre les relations et les communications entre chaque ecirctrehumain et chaque chose Crsquoest pourquoi lrsquoeacuteconomie des reacuteseaux est une grande affaire

Les nouvelles regravegles qui gouvernent cette restructuration globale tournent autour deplusieurs axes Premiegraverement la richesse dans ce nouveau contexte deacutecoule directe-ment de lrsquoinnovation et non de lrsquooptimisation en drsquoautres termes elle ne vient pasdrsquoun perfectionnement du deacutejagrave su mais drsquoune emprise sur lrsquoinconnu mecircme de faccedilonimparfaite Deuxiegravemement pour cultiver lrsquoinconnu lrsquoenvironnement ideacuteal estdrsquoentretenir lrsquoagiliteacute suprecircme des reacuteseaux Troisiegravemement la domestication delrsquoinconnu signifie ineacutevitablement de brucircler ce qursquoon avait adoreacute de deacutefaire ce qui eacutetaitparfait Enfin dans la toile de lrsquoeacuteconomie des reacuteseaux qui se densifie le cycle trouver-faire croicirctre-deacutetruire se produit plus rapidement et plus intenseacutement que jamais

LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux ne constitue pas la fin de lrsquohistoire Eacutetant donneacute son rythmedrsquoeacutevolution une telle organisation peut ne pas durer plus que le temps correspondantagrave une ou deux geacuteneacuterations Une fois que les reacuteseaux auront satureacute le moindre espaceun nouvel ensemble de regravegles preacutedominera Celui que je vais deacutevelopper maintenantest donc temporaire

1 La Loi de la Connexion

Optez pour la puissance stupide

LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux se nourrit de la forte reacutesonance de deux bangs stellaires lemicrocosme des puces qui srsquoeffondre et le laquo teacuteleacutecosme raquo des connexions qui exploseCes eacutevolutions soudaines mettent en piegraveces les anciennes lois de la richesse et preacutepa-rent le terrain pour lrsquoeacuteconomie eacutemergente

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La taille des puces en silicone se reacutetreacutecit jusqursquoagrave devenir microscopique et leur prix sereacuteduit lui aussi dans les mecircmes proportions Ce sont des eacuteleacutements qui deviennent tregravesbon marcheacute et sont suffisamment minuscules pour ecirctre glisseacutes dans chaque objetproduit et dans cette derniegravere phrase crsquoest le mot laquo chaque raquo qui est essentiel Il y a 10ans on aurait trouveacute grotesque lrsquoideacutee de mettre une puce dans chaque portedrsquoimmeuble aujourdrsquohui on aurait bien du mal agrave trouver une porte drsquohocirctel ne preacutesen-tant pas une puce qui clignote ou qui eacutemet un signal Bientocirct pour peu que NationalSemiconductor soit en mesure de le reacutealiser et de le faire adopter on apposera sur chaquecolis expeacutedieacute par Federal Express un petit eacuteclat jetable de silicone qui en suivra le con-tenu Et si un colis est digne drsquoune puce alors qursquoil est extrecircmement eacutepheacutemegravere les objetsvous appartenant peuvent en incorporer eacutegalement une chaise un livre un nouveauvecirctement un ballon de basket De minces tranches de plastique comportent une pucesuffisamment intelligente pour jouer le rocircle de votre banquier Dans peu de temps tousles objets seront ainsi eacutequipeacutes drsquoune minuscule tranche drsquoesprit des chaussures de ten-nis aux marteaux en passant par les abat-jour et les soupes en boicircte Et pourquoi pas

La Terre est peupleacutee de 200 millions drsquoordinateurs Andy Grove de chez Intel estimeqursquoils seront 500 millions en 2002 Et pourtant le nombre de puces non destineacutees agravelrsquoinformatique et qui palpitent aujourdrsquohui dans le monde est de 6 milliards Elles sontdeacutejagrave incorporeacutees aux voitures aux eacutequipements hi-fi aux appareils de cuisson du rizComme elles peuvent ecirctre inteacutegreacutees rapidement et agrave faible coucirct comme des boules degomme on les appelle des laquo jelly beans raquo1 dans les secteurs industriels Or nous sommesagrave lrsquoaube drsquoune explosion de ces confiseries il y aura en 2005 10 milliards de grains desilicone en service et encore un milliard de plus peu de temps apregraves Un jour viendra ougraveces grains auront lrsquointelligence de fourmis qui seront enfouies dans nos habitations

En mecircme temps que nous implantons 1 milliard de grains dans tout ce qui se fabri-que nous les connectons Les objets fixes sont connecteacutes entre eux par des fils Ceuxqui ne sont pas fixes autrement dit la plupart des objets manufactureacutes sont relieacutes parradio et infrarouges creacuteant une toile bien plus grande que la premiegravere Pour autant ilnrsquoest pas neacutecessaire que chaque objet ainsi connecteacute transmette un grand nombredrsquoinformations Une minuscule puce installeacutee agrave lrsquointeacuterieur drsquoun reacuteservoir drsquoeau dansun ranch drsquoAustralie indique seulement laquo plein raquo ou laquo pas plein raquo une puce fixeacutee surune corne drsquoun bouvillon renseigne uniquement sur la localisation drsquoune tecircte debeacutetail tandis qursquoune puce incorporeacutee agrave un portail fournira une information sur le jourougrave celui-ci srsquoest ouvert pour la derniegravere fois laquo mardi raquo par exemple

Ce qui est extraordinaire chez ces petites miettes interconnecteacutees crsquoest qursquoelles nrsquoontpas besoin drsquoavoir une intelligence artificielle elles fonctionnent selon la puissance stu-

1 Les Jelly-beans sont des confiseries relativement molles que lrsquoon trouve en 96 couleurs diffeacuterenteschacune correspondant agrave un parfum speacutecifique NdT

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pide de quelques bits relieacutes entre eux La laquo puissance stupide raquo crsquoest ce que lrsquoon obtientquand on implante en reacuteseau des nœuds stupides dans un reacuteseau intelligent Crsquoest ce quele cerveau fait avec les neurones et qursquoInternet a fait avec les ordinateurs personnels UnPC correspond au niveau de son concept agrave un seul neurone logeacute dans un careacutenage enplastique Une fois qursquoils ont eacuteteacute relieacutes par le teacuteleacutecosme au sein drsquoun reacuteseau de neuronesces nœuds ont creacuteeacute cette fabuleuse intelligence que repreacutesente le World Wide Web autre-ment dit la Toile mondiale Cela marche dans drsquoautres domaines des eacuteleacutements stupidescorrectement interconnecteacutes donnent des reacutesultats intelligents

Le hardware ce sont un milliard de puces stupides interconnecteacutees dans une rucheintelligente Le software qui y passe crsquoest lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux Une planegravete entiegraverede puces hyper-relieacutees entre elles eacutemet un flux incessant de petits messages formantune cascade drsquoondes vives porteuses de sens Du moindre capteur drsquohumiditeacute dans uneferme jaillissent des donneacutees de chaque satellite meacuteteacuteo rayonnent des images digita-liseacutees de chaque caisse enregistreuse sont expulseacutes des torrents de bits de chaquemoniteur drsquohocircpital coulent en goutte agrave goutte des nombres chaque site Web enregis-tre les comportements chaque veacutehicule transmet sa localisation agrave tout moment Tou-tes ces informations repreacutesentent une veacuteritable mareacutee de signaux qui constitue la Toile

Celle-ci nrsquoest pas composeacutee uniquement drsquoecirctres humains communiquant entre eux parlrsquointermeacutediaire drsquoAOL mecircme si cette activiteacute en repreacutesente elle aussi un volet quidrsquoailleurs durera tant que lrsquoon aura envie de seacuteduire un(e) romantique ou de faire srsquoenflam-mer un(e) idiot(e) La Toile est bien plutocirct lrsquointeraction collective creacuteeacutee par un milliarddrsquoobjets et drsquoecirctres vivants dont le lien qui les connecte traverse lrsquoair aussi bien que le verre

Crsquoest ce reacuteseau qui engendre lrsquoeacuteconomie du mecircme nom Selon MCI le volume totalde trafic vocal sur lrsquoensemble des systegravemes teacuteleacutephoniques sera supplanteacute dans 3 ans parle volume eacutechangeacute de donneacutees intelligentes Nous nous dirigeons deacutejagrave vers une eacutecono-mie eacutelargie qui sera remplie de nouveaux participants agents objets machines ainsique quelques milliards drsquohommes de plus qursquoaujourdrsquohui Nrsquoattendons pas lrsquointelli-gence artificielle pour faire des systegravemes intelligents faisons-les avec la puissance stu-pide drsquoune informatique omnipreacutesente et des connexions envahissantes

Tout ce tremblement nrsquoest pas pour demain mais en tout cas la trajectoire est claire nous sommes en train de connecter tout agrave tout Chaque pas reacutealiseacute qui compte sur uneconnexion peu oneacutereuse endeacutemique et universelle va dans la bonne direction Parailleurs le plus sucircr moyen de favoriser ce laquo connexionnisme raquo massif consiste agrave exploiterles forces deacutecentraliseacutees crsquoest-agrave-dire agrave relier la base Vous voulez construire un superpont Faites parlez les piliers au tablier Vous voulez ameacuteliorer la culture des laitues Lais-sez le sol parler aux tracteurs Vous voulez qursquoun avion soit vraiment sucircr Arrangez-vouspour que les avions communiquent entre eux et recueillent leurs plans de vol respectifs

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux optez pour la puissance stupide

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2 La Loi de lrsquoAbondance

Plus donne plus

Il se passe des choses bien curieuses quand on connecte tout agrave tout Les matheacutemati-ciens ont deacutemontreacute que la somme drsquoun reacuteseau croicirct proportionnellement au carreacute dunombre de ses membres Autrement dit quand le nombre de nœuds augmente dansun reacuteseau selon une progression arithmeacutetique la valeur de ce reacuteseau augmente expo-nentiellement Il suffit donc drsquoajouter un petit nombre de membres pour augmenterconsideacuterablement la valeur dont profitent tous les membres

Prenons lrsquoexemple du premier teacuteleacutecopieur qui sortit de fabrication vers 1965 il avaitcoucircteacute des millions de dollars en recherche et deacuteveloppement mais sa valeur eacutetait eacutegaleagrave zeacutero nulle Le deuxiegraveme fax a degraves sa sortie donneacute une certaine valeur au premierpuisqursquoil y avait quelqursquoun agrave qui envoyer une teacuteleacutecopie Dans la mesure ougrave tous les teacuteleacute-copieurs se trouvent relieacutes dans un reacuteseau chaque nouvelle machine venant rejoindrela cascade augmente la valeur de tous les autres fax qui existaient preacuteceacutedemment

La valeur de ce reacuteseau est si grande que toute personne srsquoeacutequipant drsquoun teacuteleacutecopieurse transforme en proseacutelyte laquo Avez-vous un fax Non Vous devriez raquo Pourquoi agit-elle ainsi Parce que si vous en achetiez un vous augmenteriez la valeur de son eacutequi-pement Et une fois que vous en avez acheteacute un agrave votre tour vous vous mettez vousaussi agrave demander laquo Avez-vous un fax raquo (Le pheacutenomegravene srsquoobserve eacutegalement pourles e-mails ou tel ou tel type de logiciel) Chaque personne que vous arrivez agrave convain-cre drsquoentrer dans un reacuteseau augmente la valeur de votre eacutequipement

Donc quand vous achetez un teacuteleacutecopieur vous nrsquoachetez pas uniquement unecaisse qui coucircte $ 200 mais aussi et surtout la totaliteacute du reacuteseau des autres fax et lesconnexions existant entre eux autrement dit vous achetez une valeur plus grandeque la somme de tous les prix des teacuteleacutecopieurs en service

Cet exemple illustre bien le fait que le nombre ajoute de la valeur Mais cette notioncontredit deux des principaux axiomes que nous attribuons agrave lrsquoegravere industrielle

Premier veacuteneacuterable axiome la valeur naicirct de la rareteacute comme le prouvent les dia-mants lrsquoor le peacutetrole ou les diplocircmes universitaires

Second veacuteneacuterable axiome quand les choses sont produites en abondance elle sedeacutevalorisent degraves lors que les tapis sont tisseacutes par milliers par des machines ils ne con-tribuent plus agrave notre statut social

La logique du reacuteseau inverse les leccedilons de lrsquoindustrie Dans lrsquoeacuteconomie des reacuteseauxla valeur vient de lrsquoabondance de la mecircme faccedilon la valeur des teacuteleacutecopieurs srsquoaccroicirct deleur ubiquiteacute Que prolifegraverent les copies mecircme les copies physiques puisqursquoelles sontpeu chegraveres

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Ce qui a de la valeur dans ce contexte ce sont ces relations eacuteparpilleacutees qui en raison detoutes ces copies viennent senchevecirctrer dans le reacuteseau Et ces relations ont une valeur quimonte en flegraveche agrave mesure que le nombre de composantes saccroicirct fut-ce leacutegegraverementWindows NT les teacuteleacutecopieurs TCPIP les images GIF Real-Audio tous neacutes au cœur delEacuteconomie des Reacuteseaux obeacuteissent agrave cette logique Mais il en va de mecircme pour les clefs deserrage les piles normaliseacutees ou les autres biens beacuteneacuteficiant dune standardisation agraveleacutechelle mondiale plus ces articles sont reacutepandus plus on a inteacuterecirct agrave adheacuterer au standard

Agrave lavenir les chemises de coton les flacons de vitamines les tronccedilonneuses et tous lesobjets fabriqueacutes de par le monde obeacuteiront aussi agrave cette loi de lAbondance agrave mesure que lecoucirct de production dun exemplaire suppleacutementaire tombera en flegraveche tandis que dansle mecircme temps augmentera la valeur du reacuteseau qui les conccediloit les produit et les distribue

Dans lEacuteconomie des Reacuteseaux la rareteacute est submergeacutee par les coucircts marginaux quireacutetreacutecissent Et partout ougrave le coucirct de production dun exemplaire suppleacutementairedevient neacutegligeable ce qui ne se veacuterifie pas uniquement pour le software on constateun veacuteritable boom de la valeur des normes et des reacuteseaux

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux plus donne plus

3 La Loi de la Valeur Exponentielle

La reacuteussite est non lineacuteaire

La corne drsquoabondance que repreacutesentent les profits de Microsoft est tregraves reacuteveacutelatrice quandelle est expliciteacutee sous forme de graphique car elle reflegravete plusieurs autres courbes caracteacute-risant certaines eacutetoiles montantes de lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux Pendant ses 10 premiegraveresanneacutees les profits de Microsoft eacutetaient neacutegligeables et ils nrsquoont commenceacute agrave eacutemergerqursquoaux environs de 1985 Mais degraves qursquoils ont commenceacute agrave grimper ils ont exploseacute

Federal Express a connu une trajectoire similaire des anneacutees drsquoaugmentations infi-mes de profits ont ameneacute lrsquoentreprise agrave un seuil invisible puis une vertigineuse ascen-sion srsquoest produite au deacutebut des anneacutees 1980

De la mecircme faccedilon la peacuteneacutetration des teacuteleacutecopieurs se traduit par un succegraves ininter-rompu depuis 20 ans qui faisait suite agrave 20 autres anneacutees drsquoune reacuteussite tregraves marginale Etpuis au milieu des anneacutees 1980 le nombre de machines composant le parc a tranquille-ment passeacute le point de non-retour et le fax est aujourdrsquohui partout de faccedilon irreacuteversible

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux lrsquoarcheacutetype de la reacuteussite est repreacutesenteacute par InternetComme tout pionnier se fera un plaisir de vous lrsquoapprendre Internet a eacuteteacute pendant

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2 deacutecennies un deacutesert mais un deacutesert ocirc combien exaltant avant de rencontrer le radardes meacutedias Quand on regarde un graphique du nombre drsquohocirctes drsquoInternet agrave partir desanneacutees 1960 on constate que la courbe a drsquoabord bien du mal agrave deacutecoller de lrsquoaxe desabscisses Et puis vers 1991 on assiste agrave une prolifeacuteration des hocirctes qui donne agrave lacourbe une allure exponentielle dans le monde entier

Chacune de ces courbes (et je remercie John Hagel auteur de Netgain de mrsquoavoirfourni ces 4 exemples) repreacutesente le scheacutema classique drsquoune courbe exponentielleCelui-ci est bien connu des biologistes car il correspond pratiquement agrave la deacutefinitiondrsquoun systegraveme biologique Crsquoest la raison pour laquelle on utilise des termes de biologiepour deacutecrire de faccedilon plus preacutecise lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux En fait si la Toile donnelrsquoimpression drsquoune frontiegravere crsquoest parce que pour la premiegravere fois dans lrsquohistoire noussommes les teacutemoins drsquoune croissance drsquoordre biologique affectant des systegravemes tech-nologiques

En mecircme temps chacun des exemples citeacutes ci-dessus constitue un modegravele classiquede lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux Les reacuteussites de Microsoft de FedEx des teacuteleacutecopieurs etdrsquoInternet srsquoarticulent toujours sur une loi fondamentale des reacuteseaux la valeur con-naicirct une explosion exponentielle avec la multiplication des participants ce qui va enalimenter de plus en plus le nombre Et ce cercle vertueux grossit jusqursquoagrave ce que tousles membres potentiels aient rejoint le groupe

Il convient toutefois de noter un point important dans les 4 cas citeacutes lrsquoexplosionnrsquointervient guegravere que dans le milieu ou la fin des anneacutees 1980 et au cours de cettepeacuteriode il srsquoest passeacute quelque chose les 2 big bangs repreacutesenteacutes par les laquo jelly beans raquoet lrsquoeffondrement du prix des teacuteleacutecommunications qui ont rendu possiblelrsquoeacutechange de donneacutees pratiquement en tout lieu agrave tout moment et ce pour un coucircttregraves faible La Toile la formidable Toile a alors commenceacute agrave nucleacuteer et la puissancedu reacuteseau a suivi

Maintenant que nous sommes entreacutes dans le royaume ougrave les cercles vertueux peu-vent ouvrir des succegraves immeacutediats sur un mode biologique voici un conte moral Il yavait un jour sur une plage de minuscules algues rouges qui prospeacuteraient dans unegrande mareacutee rouge Et puis quelques semaines plus tard ce tapis srsquoeacutevanouit juste aumoment ougrave il semblait ecirctre indeacuteleacutebile Les lemmings eux aussi prolifegraverent puis dispa-raissent Les forces biologiques qui provoquent une augmentation des populationssont celles-lagrave mecircme qui peuvent la tempeacuterer De la mecircme faccedilon les forces qui srsquoalimen-tent mutuellement pour amplifier les eacuteleacutements drsquoun reacuteseau jusqursquoagrave les transformer enstandards tregraves puissants dans un deacutelai record peuvent eacutegalement opeacuterer en sensinverse et les reacuteduire en un rien de temps Les deacutebuts modestes peuvent mener agrave degrands reacutesultats alors que les fortes perturbations nrsquoont que des effets limiteacutes

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux la reacuteussite est non lineacuteaire

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4 La Loi des Points de Basculement

Ce sera signifiant avant que de se deacuteployer

Il existe une autre leccedilon agrave tirer de ces succegraves primitifs de lrsquoEacuteconomie des Reacuteseauxpour laquelle il faut aussi faire reacutefeacuterence agrave la biologie On voit sur les courbes que agrave uncertain point lrsquoacceacuteleacuteration est telle que le succegraves devient eacuteclatant et vient tout sub-merger Pour ainsi dire il est devenu contagieux et si envahissant qursquoil devient difficileaux sujets non atteints de ne pas succomber entre nous combien de temps pouvez-vous tenir sans teacuteleacutephone

En eacutepideacutemiologie le point correspondant agrave une infection drsquohocirctes si nombreux quelrsquoinfection nrsquoest plus une maladie locale mais devient une eacutepideacutemie peut ecirctre vu commeun point de basculement la contagion a pris une telle puissance que crsquoest comme siapregraves avoir gravi une colline elle roulait sur lrsquoautre versant En biologie le point de bas-culement des maladies mortelles est assez eacuteleveacute mais en matiegravere de technologie il sedeacuteclenche agrave des pourcentages nettement plus bas de victimes ou de personnes toucheacutees

Dans chaque entreprise qursquoelle opegravere dans lrsquoindustrie ou en reacuteseau on constate tou-jours un point de basculement au-delagrave duquel la reacuteussite srsquoalimente drsquoelle-mecircme Tou-tefois en raison des coucircts fixes peu eacuteleveacutes des coucircts marginaux insignifiants et de ladistribution rapide dont beacuteneacuteficie lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux le basculement srsquoeacutetablitplus bas que dans lrsquoindustrie traditionnelle et donc plus vite crsquoest comme si les nou-veaux virus eacutetaient plus contagieux plus puissants aussi Les petits ruisseaux peuventformer des riviegraveres deacutebordantes

Le point de basculement eacutetant plus bas le seuil ougrave lrsquoactiviteacute devient significatif seralui aussi consideacuterablement moins eacuteleveacute que pendant lrsquoegravere industrielle Ce seuil se situeagrave la peacuteriode preacuteceacutedant le point de basculement au cours de laquelle il faut prendre auseacuterieux un mouvement une croissance ou une innovation Il est absolument essentielde deacutetecter ces eacuteveacutenements tant qursquoils restent en-deccedila de ce seuil

Ainsi par exemple les grands commerccedilants ameacutericains ont neacutegligeacute de srsquointeacuteresser auteacuteleacute-achat pendant les anneacutees 1980 parce qursquoagrave lrsquoorigine le nombre de teacuteleacutespectateursqui passaient commande eacutetait si faible et si marginal qursquoil nrsquoatteignait pas un seuilsignificatif pour le commerce de deacutetail Au lieu de porter leur attention sur ce nouveauet imperceptible seuil de lrsquoeacuteconomie des reacuteseaux les commerccedilants ont attendu quesonne le signal du basculement moyennant quoi par deacutefinition il eacutetait trop tardpour qursquoils en tirent des revenus

Autrefois crsquoeacutetait la puissance drsquoune innovation qui confeacuterait agrave celle-ci toute sasignification dans lrsquoenvironnement du reacuteseau crsquoest lrsquoinverse qui se produit crsquoestsignificatif avant drsquoecirctre puissant

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Les biologistes eacutevoquent souvent lrsquoexemple de la feuille de neacutenuphar qui double detaille en 24 heures La veille du jour ougrave la mare a eacuteteacute complegravetement recouverte onvoyait encore la moitieacute de la surface de lrsquoeau et la veille encore les 3 quarts et la veilleencore il nrsquoy avait qursquoun miseacuterable huitiegraveme de mare qui eacutetait recouvert Ce neacutenupharpousse imperceptiblement pendant tout lrsquoeacuteteacute et crsquoest seulement pendant la derniegraveresemaine du cycle que la plupart des passants remarquent qursquoil est apparulaquo soudainement raquo mais la plante a alors deacutejagrave deacutepasseacute le stade du basculement

LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux preacutesente des analogies avec ce neacutenuphar Ainsi par exem-ple la Toile est une feuille qui double de taille tous les 6 mois Il existe drsquoautres feuillesdans la mare du reacuteseau MUD1 et MOO2 teacuteleacutephones Teledesic ports de donneacutees sansfil agents collaboratifs capteurs agrave distance Pour lrsquoinstant ce ne sont que de minuscu-les cellules de neacutenuphar infestant gaiement la mare en ce deacutebut de lrsquoeacuteteacute torride desreacuteseaux

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux ce sera signifiant avant que de se deacuteployer

5 La Loi des Rendements Croissants

Faites des cercles vertueux

Crsquoest la loi essentielle en matiegravere de reacuteseau La valeur explosant avec lrsquoaugmentationdu nombre de membres elle aspire de nouveaux membres ce qui gonfle encore lereacutesultat Un vieux dicton lrsquoexprime ainsi laquo ceux qui en ont en auront davantage raquo

On voit les effets de cette loi dans le mode de croissance de certaines zones la SiliconValley par exemple chaque nouvelle start-up qui reacuteussit en attire une nouvelle qui agraveson tour attire plus de capital et de compeacutetences et donc plus de start-up Drsquoailleurscette reacutegion ainsi que drsquoautres zones tregraves marqueacutees par le high-tech repreacutesentent elles-mecircmes des reacuteseaux intimement imbriqueacutes de talents de ressources et drsquoopportuniteacutes

La loi des Rendements Croissants va nettement au-delagrave de la notion drsquoeacuteconomiedrsquoeacutechelle Agrave lrsquoeacutepoque des regravegles anciennes la reacuteussite drsquoHenry Ford srsquoeacutetait effectueacutee pareffet de levier le produit de la vente de voitures permettant de mettre au point desmeacutethodes de fabrication plus efficaces Cette approche a permis agrave Ford de vendre sesvoitures moins cher ce qui a augmenteacute le volume des ventes augmentation qui agrave sontour a alimenteacute lrsquoinnovation et des meacutethodes de production plus performantes

1 Multi-User Durgeons (Donjons et dragons)2 MUDs Orienteacutes-Objet

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encore au total lrsquoentreprise srsquoest hisseacutee jusqursquoau sommet Alors que la loi des rende-ments croissants et les eacuteconomies drsquoeacutechelle reposent toutes deux sur des boucles defeedback positifs drsquoinformations la premiegravere est propulseacutee par lrsquoeacutetonnante force de lapuissance du reacuteseau alors que ce nrsquoest pas le cas des eacuteconomies drsquoeacutechelle Tout drsquoabordcelles-ci varient de faccedilon lineacuteaire alors que dans la loi des rendements croissants lavaleur augmente de faccedilon exponentielle la diffeacuterence est agrave peu pregraves analogue agrave celleexistant entre une tirelire et un inteacuterecirct composeacutehellip

Ensuite et crsquoest plus important encore les eacuteconomies drsquoeacutechelle industrielles proviennentdrsquoefforts herculeacuteens dispenseacutes par une seule organisation pour distancer ses concurrents encreacuteant plus de valeur pour un coucirct moindre En lrsquooccurrence lrsquoexpertise et lrsquoavantage deacuteve-loppeacutes par lrsquoentreprise leader appartiennent agrave celle-ci et uniquement agrave elle Au contraire lesrendements croissants en reacuteseau sont creacuteeacutes et partageacutes par le reacuteseau tout entier et crsquoest laparticipation de nombreux agents utilisateurs et concurrents qui creacutee la valeur du reacuteseauMecircme si les gains des rendements croissants peuvent ecirctre ineacutegalement reacutecolteacutes par les dif-feacuterentes organisations la valeur de ces gains reacuteside dans la toile eacutelargie des relations

Des sommes consideacuterables peuvent affluer vers des entreprises qui ont reacuteussi dans lereacuteseau comme Cisco Oracle ou Microsoft mais mecircme si les firmes citeacutees venaient agravedisparaicirctre on assisterait agrave la poursuite de lrsquoexpansion de la matrice hyper-satureacutee derendements croissants qui srsquoest tisseacutee agrave travers elles

De la mecircme faccedilon les rendements croissants que lrsquoon constate dans la Silicon Valleyne deacutependent pas de la reacuteussite drsquoune entreprise en particulier AnnaLee Saxenianauteur de Regional Advantage note que cette zone est effectivement devenue unegrande entreprise reacutepartie laquo Lagrave-bas on raconte qursquoon peut changer de job sans chan-ger de covoiturage raquo ajoute-t-elle lors drsquoune interview donneacutee agrave Elizabeth Corcorandu Washington Post laquo Certaines personnes disent qursquoelles se reacuteveillent le matin enpensant qursquoelles travaillent pour la Silicon Valley elles sont plus loyales envers lesavanceacutees technologiques et la reacutegion qursquoenvers une entreprise en particulier raquo

Suivons cette ideacutee nous allons vers une egravere dans laquelle ceux qui travaillent et ceuxqui consomment se montreront plus fidegraveles agrave un reacuteseau qursquoagrave une entreprise La grandeinnovation de la Silicon Valley crsquoest qursquoelle a inventeacute non pas le hardware et le softwaremais lrsquoorganisation sociale des firmes qui y sont installeacutees et ce qui est plus importantencore la structure reacuteticuleacutee de la reacutegion elle-mecircme un reacuteseau extrecircmement com-plexe drsquoanciens drsquoune mecircme entreprise de collegravegues devenus intimes de fuitesdrsquoinformations drsquoune entiteacute agrave lrsquoautre de cycles de vie rapides et de culture e-mail Cetissu social baignant dans le hardware tiegravede des puces agrave bas prix et des neurones de cui-vre crsquoest lui qui creacutee une veacuteritable Eacuteconomie des Reacuteseaux

Par sa nature la loi des rendements croissants favorise les premiers arriveacutes les para-megravetres de deacutepart et les conventions passeacutees agrave lrsquoorigine qui confegraverent agrave un reacuteseau son

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pouvoir mecircme se figent rapidement pour devenir des normes inalteacuterables Une tellesolidification constitue agrave la fois un bienfait et un fleacuteau pour un reacuteseau bienfait parceque crsquoest de lrsquoaccord collectif de facto que deacutecoule la puissance deacutebrideacutee des rendementscroissants fleacuteau parce que ceux qui possegravedent ou controcirclent la norme en tirent desbeacuteneacutefices disproportionneacutes

Seulement lrsquoun ne va pas sans lrsquoautre dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux Si lrsquoon tolegravere lesmilliards de Microsoft crsquoest que bien drsquoautres entreprises de cette Eacuteconomie ont col-lectivement gagneacute des milliards gracircce aux standards de Microsoft en matiegravere de rende-ments croissants

Dans une Eacuteconomie des Reacuteseaux la vie est difficile pour les consommateurs qui doi-vent srsquoengager sur un protocole de deacutepart il est douloureux de se retirer plus tard drsquounreacuteseau de relations qui nrsquoeacutetait pas le bon mais ce nrsquoest pas aussi dramatique que pour desentreprises qui parient leurs vies sur le mauvais standard Ceci poseacute il vaut encore mieuxse tromper que passer totalement agrave cocircteacute drsquoune dynamique car il nrsquoy a pas drsquoavenir danslrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux pour les systegravemes hermeacutetiquement clos Plus il y a de dimen-sions accessibles agrave la contribution et agrave la creacuteativiteacute des membres plus les rendementscroissants pourront animer le reacuteseau et plus le systegraveme prospeacuterera en srsquoauto-alimentantAgrave lrsquoinverse moins il permettra ce deacuteveloppement moins il attirera de membres

LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux reacutecompense la creacuteation deacutecentraliseacutee et punit les systegravemesqui ne la permettent pas Pendant lrsquoegravere industrielle un constructeur automobile srsquoatta-chait agrave garder le controcircle de tous les aspects de la fabrication du veacutehicule et de ses piegrave-ces Agrave lrsquoegravere des reacuteseaux il va tisser une toile de normes et de fournisseurs exteacuterieurs etencourager cette toile agrave inventer une voiture il va ensemencer de connaissances le sys-tegraveme et reacuteunir le plus grand nombre possible de participants afin de creacuteer une bouclevertueuse dans laquelle le succegraves de chacun est partageacute par tous et influe sur tous

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux faites des cercles vertueux

6 La Loi des Prix Inverseacutes

Pariez sur le bas prix

LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux preacutesente une curieuse caracteacuteristique qui eacutetonnerait beau-coup un citoyen qui aurait veacutecu en 1897 il y a donc un siegravecle crsquoest que le meilleurdevient moins cher drsquoune anneacutee sur lrsquoautre Il srsquoagit lagrave drsquoun principe de base qui est siancreacute dans le style de vie contemporain que lrsquoon nrsquoa pas tendance agrave srsquoen eacutemerveiller or on le devrait car ce paradoxe est un moteur essentiel dans la nouvelle eacuteconomie

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Pendant la plus grande partie de lrsquoegravere industrielle la qualiteacute srsquoameacuteliorait leacutegegraverementmoyennant une faible augmentation du prix Mais lrsquoarriveacutee des microprocesseurs abalayeacute cette eacutequation agrave lrsquoegravere de lrsquoinformation les consommateurs en sont rapidementvenus agrave escompter une qualiteacute radicalement supeacuterieure pour un prix devant progres-sivement diminuer Les courbes de prix et de qualiteacute divergent si consideacuterablementqursquoil peut parfois sembler que meilleur est un produit moins il coucircte cher

Ce sont les puces qui ont inaugureacute cette inversion comme le note justement Ted Lewisauteur de The Friction Free Economy Les ingeacutenieurs informatiques ont exploiteacute les vertuscapitales des ordinateurs pour creacuteer de faccedilon directe et indirecte la geacuteneacuteration suivanteplus performante En recombinant de la mecircme faccedilon notre expeacuterience on obtient plusavec moins de matiegravere Les puces ont un tel pouvoir de recombinaison que tout ce qursquoellestouchent tombe sous leur charme voitures vecirctements alimentshellip Lrsquoexpeacuterience cumu-leacutee acquise dans la miniaturisation des puces a permis la production en flux tendus et unesous-traitance de la fabrication high tech aupregraves drsquoune main-drsquoœuvre bon marcheacute ce quia encore contribueacute agrave lrsquoabaissement du prix des marchandises

Aujourdrsquohui la reacuteduction des puces se conjugue agrave un reacuteseau qui explose De la mecircmefaccedilon que nous avons une deacutemultiplication de lrsquoexpeacuterience acquise avec la creacuteation dumicroprocesseur nous sommes actuellement en train drsquoexercer les mecircmes effets delevier et de deacutemultiplication avec la toile des communications globales nous utilisonsles vertus capitales des communications en reacuteseau pour creacuteer directement ou non demeilleures versions de communications en reacuteseau

Les microprocesseurs ont connu ce pheacutenomegravene pratiquement degraves leur apparitionen 1971 crsquoest-agrave-dire une reacuteduction par deux du prix ou un doublement de capaciteacutetous les 18 mois Aujourdrsquohui les teacuteleacutecommunications srsquoapprecirctent agrave connaicirctre lamecircme eacutevolution mais agrave une eacutechelle encore plus impressionnante Lrsquoeacutevolution de cerapport coucirctcapaciteacute est connu sous le nom de la loi de Moore Le mecircme rapport appli-queacute au Net est connu sous le nom de Loi de Gilder Georges Gilder un technotheacuteori-cien radical promet pour les 25 prochaines anneacutees un triplement de la bande passante(la capaciteacute du flux de communication) tous les 12 mois

Le pouvoir de communication qui augmente consideacuterablement et les puces qui seminiaturisent et coucirctent toujours moins cher conduisent Gilder agrave parler drsquoune bandepassante qui devient gratuite

Il veut dire par lagrave que le prix par bit transmis baisse en suivant une asymptote quitend vers zeacutero Lrsquoasymptote preacutesente une analogie avec le paradoxe de Zeacutenon drsquoEacuteleacutee agrave chaque pas la tortue srsquoapproche de la limite mais en fait nrsquoy parvient jamais De lamecircme faccedilon une courbe de prix asymptotique approche de la gratuiteacute sans jamaislrsquoatteindre mais ce qui est important crsquoest que sa trajectoire soit parallegravele agrave la gratuiteacutetout en eacutetant voisine de celle-ci

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Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux il nrsquoy a pas que la largeur de bande qui a pris cettedirection Plongent ainsi vers la gratuiteacute les calculs en MIPS1 par dollar les coucircts detransaction de lrsquoinformation tels les gros titres de lrsquoactualiteacute et les cours de la bourseEn fait tous les biens pouvant ecirctre reproduits qursquoils soient mateacuteriels ou immateacuterielsobeacuteissent agrave la loi des prix inverseacutes et deviennent moins chers agrave mesure qursquoils srsquoameacutelio-rent Certes les voitures ne seront jamais gratuites mais le prix au kilomegravetre va chuterpour se rapprocher de la gratuiteacute crsquoest la fonction par dollar qui continuera agrave baisser

Pour les consommateurs crsquoest le paradis en revanche crsquoest un monde cruel pour ceuxqui espeacuteraient une rente de situation Les prix vont finir par srsquoeacutetablir agrave proximiteacute de la gra-tuiteacute mais il nrsquoy aura pas de limite supeacuterieure agrave la qualiteacute Ainsi par exemple il y aura bienun jour ougrave les services teacuteleacutephoniques seront agrave volonteacute et pratiquement gratuits mais leurqualiteacute ne pourra que continuer agrave srsquoameacuteliorer simplement pour rester compeacutetitive

Mais comment donc les teacuteleacutecommunications et bien drsquoautres activiteacutes vont-ellesavoir des revenus suffisants pour financer la maintenance ainsi que la recherche et ledeacuteveloppement tout en deacutegageant des profits Tout simplement en eacutelargissant lanotion de teacuteleacutephone Le temps aidant tout produit inventeacute repreacutesente un aller simplepour franchir la falaise des prix inverseacutes et descendre vers la gratuiteacute Dans la mesure ougravelrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux se communique agrave tous les articles manufactureacutes ceux-ci vonttregraves rapidement se retrouver sur ce toboggan Notre tacircche consiste donc agrave creacuteer de nou-velles choses agrave envoyer sur le toboggan en bref agrave ce que le rythme drsquoinvention soit plusrapide que la vitesse agrave laquelle les objets deviennent des marchandises

Crsquoest plus facile agrave faire dans une eacuteconomie baseacutee sur les reacuteseaux car dans ce contextelrsquoentrecroisement des ideacutees lrsquoagiliteacute confeacutereacutee aux alliances et la rapiditeacute de creacuteation denœuds viennent soutenir la mise au point constante de nouveaux biens et services lagraveougrave auparavant il nrsquoexistait rien

Et du coup lrsquoappeacutetit devient insatiable toute nouvelle invention introduite dansle circuit eacuteconomique creacutee lrsquoopportuniteacute et le deacutesir drsquoen posseacuteder deux autres Alors quele service teacuteleacutephonique de base tend vers la gratuiteacute jrsquoai maintenant trois lignes qui neservent qursquoagrave mes machines peut-ecirctre aurai-je un jour une laquo ligne raquo de donneacutees pourtous les objets se trouvant chez moi Mais il y a plus important encore la gestion deces lignes les donneacutees qursquoelles transmettent les messages qui me sont adresseacutes et leurarchivage le besoin de mobiliteacute tous ces eacuteleacutements eacutelargissent la notion que jrsquoavais duteacuteleacutephone et du prix fort que je suis disposeacute agrave payer

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux on peut compter sur le meilleur agrave prix toujours plusbas ce qui ouvre un espace pour quelque chose de nouveau qui est cher Pariez sur lebas prix

1 MIPS millions drsquoinstructions par seconde

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7 La Loi de la Geacuteneacuterositeacute

Pratiquez la gratuiteacute

Si drsquoune part les services prennent de la valeur agrave mesure qursquoils sont plus abondants (loindeg2) et si drsquoautre part moins ils coucirctent meilleurs ils sont et plus ils sont valoriseacutes (loindeg6) alors on peut dire en poussant le raisonnement que les choses qui ont le plus devaleur sont celles qui sont donneacutees

Microsoft donne son browser Internet Explorer Qualcomm qui produit le pro-gramme standard de courrier eacutelectronique Eudora le donne dans la perspective drsquoenvendre des versions ameacutelioreacutees On distribue gratuitement un million drsquoexemplairespar mois du logiciel anti-virus de McAfee Et bien sucircr Sun a distribueacute gratuitementJava faisant monter le cours de son action et donnant naissance agrave une mini-industriede deacuteveloppeurs drsquoapplications en langage Java

Pourrait-on imaginer un jeune cadre qui dans les anneacutees 1940 aurait dit agrave sa direc-tion qursquoil venait drsquoavoir lrsquoideacutee de distribuer gratuitement les 40 premiers millionsdrsquoexemplaires de son unique produit Il aurait eacuteteacute immeacutediatement remercieacute pour-tant crsquoest bien ce qursquoa fait Netscape 50 ans plus tard

Aujourdrsquohui cette pratique constitue une strateacutegie parfaitement reacutefleacutechie et applau-die qui mise sur les nouvelles regravegles du reacuteseau Dans la mesure ougrave la deacutemultiplicationdu savoir du reacuteseau inverse les prix le coucirct marginal drsquoun exemplaire suppleacutementaireest voisin de zeacutero (le terme drsquoexemplaire srsquoapplique ici agrave un bien mateacuteriel ou immateacute-riel) La valorisation srsquoappreacuteciant en proportion de lrsquoabondance un deacuteluge drsquoexem-plaires augmente la valeur de chacun drsquoentre eux Cette valorisation accrue rend lebien de plus en plus deacutesirable et la diffusion du produit srsquoaccomplit drsquoelle-mecircme Unefois bien eacutetablis la valeur du produit et son caractegravere indispensable lrsquoentreprise peutvendre des services annexes ou des versions ameacutelioreacutees ce qui lui permet de continueragrave ecirctre geacuteneacutereuse et agrave maintenir ce cercle merveilleux

On pourrait objecter que cette terrifiante dynamique ne marche qursquoavec le logiciel puis-que le coucirct marginal drsquoun exemplaire suppleacutementaire est deacutejagrave voisin de zeacutero ce seraitmeacuteconnaicirctre lrsquouniversaliteacute de la loi des prix inverseacutes Celle-ci reacutegit eacutegalement tout produitmateacuteriel constitueacute drsquoatomes degraves lors qursquoil est en reacuteseau on donne des teacuteleacutephones cellu-laires afin de vendre des services et on peut srsquoattendre agrave ce que pour les mecircmes raisons ondistribue des antennes paraboliques ou tout autre produit pour lequel les avantages de lamise en reacuteseau excegravedent le coucirct de reproduction de lrsquoobjet et le prix diminue

Dans ces conditions il est tout agrave fait naturel de se demander comment les entreprisespeuvent survivre dans un monde aussi geacuteneacutereux Trois points peuvent aider agrave le com-prendre

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Premiegraverement il faut penser la gratuiteacute comme un objectif dans la maniegravere dont onconccediloit le prix Il existe un mouvement vers la gratuiteacute la gratuiteacute asymptotique quimecircme si elle nrsquoest pas atteinte fait que le systegraveme se comporte comme si elle lrsquoeacutetait un prix tregraves bas en ordonneacutee et tregraves plat produit les mecircmes effets que la gratuiteacute

Deuxiegravemement quand un produit est gratuit il valorise les autres services Crsquoest laraison pour laquelle Sun distribue Java gratuitement pour favoriser la vente de ses ser-veurs et Netscape donne des browsers pour vendre des serveurs Netscape

Troisiegravemement et crsquoest le point le plus important le fait de pratiquer la gratuiteacuteconstitue une sorte de reacutepeacutetition geacuteneacuterale agrave la chute ineacutevitable du prix On structureson activiteacute comme si le produit creacuteeacute eacutetait gratuit pour anticiper son prix futur Lesconsoles de jeu Sega ne sont pas gratuites mais elles sont vendues agrave perte pour acceacuteleacutererleur destin drsquoobjet qui sera donneacute gratuitement dans une Eacuteconomie des Reacuteseaux

On peut aussi envisager cet effet en terme drsquoattention Le seul facteur qui se rareacutefiedans un monde drsquoabondance crsquoest lrsquoattention dont on dispose Chaque ecirctre humainse heurte agrave une limite absolue il nrsquoa que 24 heures par jour pour precircter attention auxmillions drsquoinnovations et drsquoopportuniteacutes que produit lrsquoeacuteconomie agrave jet continu Or lefait de donner attire lrsquoattention et cette laquo part drsquoattention raquo va mener agrave la part demarcheacute

La pratique de la gratuiteacute marche eacutegalement en sens inverse si lrsquoun des moyensdrsquoaugmenter la valeur drsquoun produit consiste agrave le distribuer gratuitement nombreusessont les choses qui ne coucirctent rien aujourdrsquohui mais qui dissimulent une tregraves grandevaleur Il est donc possible drsquoanticiper la richesse en utilisant la gratuiteacute

Dans la premiegravere peacuteriode drsquoexistence de la Toile les premiers index de ce terri-toire inexploreacute eacutetaient consigneacutes par des eacutetudiants et offerts Ces index permet-taient aux gens de focaliser leur attention sur quelques sites parmi les milliersexistants de sorte que les webmasters facilitaient le travail des eacutetudiants Eacutetant gra-tuits ces index sont devenus omnipreacutesents ce qui a rapidement entraicircneacute uneexplosion des valeurs boursiegraveres de ceux qui rendaient ce service et permis agravedrsquoautres sites Web de prospeacuterer

Qursquoest-ce qui est gratuit aujourdrsquohui et qui pourrait ulteacuterieurement beacuteneacuteficier drsquouneextrecircme valorisation Ougrave de nos jours la geacuteneacuterositeacute preacutecegravede-t-elle la richesse Uneseacutelection de candidats en ligne nous donne les reacutedacteurs de laquo digests raquo les guides leseacutediteurs de catalogues les FAQs1 les web-cams2 les sites promotionnels et de nom-breux agents intelligents Gratuits aujourdrsquohui ces produits permettront un jour ougravelrsquoautre lrsquoeacutedification autour drsquoeux drsquoentreprises florissantes Ces fonctions actuellement

1 FAQs Frequently Asked Questions2 Cameacutera videacuteo sur Internet en temps reacuteel

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marginales ne sont pas neacutegligeables rappelons-nous par exemple que agrave lrsquoegravere indus-trielle le Readerrsquos Digest eacutetait le magazine le plus lu au monde que TV Guide est encoreplus profitable que les 3 grands reacuteseaux dans lesquels il guide les teacuteleacutespectateurs et quelrsquoEncyclopœdia Britannica a deacutebuteacute comme une petite encyclopeacutedie dont les entreacuteeseacutetaient reacutedigeacutees par des amateurs ce qui nrsquoest pas si diffeacuterent des FAQs

Mais il nrsquoest pas possible de preacutecipiter le passage de lrsquoutilisation adapteacutee agrave la com-mercialisation Lrsquoun des corollaires de la loi de la geacuteneacuterositeacute est que dans lrsquoEacutecono-mie des Reacuteseaux la valeur exige une eacutetape preacute-commerciale Ici encore la richesseprocure lrsquoomnipreacutesence et lrsquoomnipreacutesence appelle un certain niveau de partage Agraveleurs deacutebuts lrsquoInternet et la Toile ont permis le deacuteveloppement drsquoune eacuteconomie dudon eacutetonnamment robuste les biens et services srsquoeacutechangeaient se partageaientgeacuteneacutereusement ou se donnaient carreacutement en fait crsquoeacutetait le seul mode drsquoeacutechangesur Internet Aussi ideacutealiste que puisse ecirctre une telle attitude crsquoeacutetait la seule solu-tion saine pour lancer une eacuteconomie marchande dans cet espace eacutemergeantWilliam Gibson as de la science-fiction avait trouveacute une faille dans la Toile sacapaciteacute agrave gaspiller un temps absolument consideacuterable En reacutealiteacute comme le noteraplus tard Gibson cette faille se reacutevegravelera en fait ecirctre son salut Dans une Eacuteconomiedes Reacuteseaux les innovations doivent drsquoabord srsquoensemencer dans lrsquoinefficaciteacute delrsquoeacuteconomie du don avant de germer plus tard dans lrsquoefficaciteacute des eacuteconomies mar-chandes

Aujourdrsquohui rare et bien sot serait lrsquoeacutediteur de logiciel qui ne ferait pas ses premierspas dans lrsquoeacuteconomie du don avec une version beta Il y a 50 ans on aurait consideacutereacutecomme lacircche meacutediocre ou totalement stupide le fait de lancer un produit non encorefini en comptant sur le public pour aider agrave le terminer Mais dans le nouveau reacutegime ougravenous sommes cette eacutetape de preacute-commercialisation srsquoanalyse comme une deacutemarche agravela fois courageuse prudente et vitale

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux pratiquez la gratuiteacute

8 La Loi de lrsquoAlleacutegeance

Commencez par nourrir la toile

Ce qui caracteacuterise les reacuteseaux crsquoest qursquoils ne comportent ni centre ni peacuteripheacuterie quisoient nettement discernables Dans une Eacuteconomie des Reacuteseaux la distinction essen-tielle entre le soi (nous) et le non-soi (eux) devient moins significative alors que danslrsquoegravere industrielle elle srsquoillustrait par lrsquoalleacutegeance de lrsquohomme envers lrsquoorganisation Le

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seul point de repegravere aujourdrsquohui crsquoest laquo ecirctes-vous ou non sur le reacuteseau raquo Lrsquoalleacutegeanceindividuelle se deacuteplace vers les reacuteseaux et les plates-formes (laquo Ecirctes-vous Windows ouMac raquo)

On constate donc un farouche enthousiasme des consommateurs envers lesarchitectures ouvertes Les utilisateurs votent en faveur de la maximisation de lavaleur du reacuteseau lui-mecircme et les entreprises doivent elles aussi suivre le mouve-ment Comme lrsquoaffirme le consultant John Hagel lrsquoobjectif essentiel drsquoune organi-sation dans un monde en reacuteseau ne consiste pas agrave maximiser la valorisation delrsquoentreprise en question mais agrave maximiser la valeur de lrsquoinfrastructure tout entiegravereAinsi par exemple les entreprises de jeux consacrent autant drsquoeacutenergie agrave promou-voir la plate-forme (lrsquoenchevecirctrement des utilisateurs les deacuteveloppeurs les fabri-cants de hardware etc hellip) que le produit lui-mecircme Si leur reacuteseau ne se deacuteveloppepas elles meurent

Le reacuteseau est une usine du possible qui produit en seacuterie de nouvelles opportuni-teacutes Mais agrave moins que cette explosion ne soit exploiteacutee elle va noyer ceux qui nesont pas preacutepareacutes Ce que lrsquoindustrie informatique appelle laquo standards raquo repreacutesenteune tentative drsquoapprivoiser la fragilisante abondance drsquoalternatives en concur-rence potentielle Les standards renforcent un reacuteseau et les contraintes qursquoilsimposent viennent stabiliser la voie ce qui permet une acceacuteleacuteration du rythme desinnovations et des eacutevolutions Ce besoin de les reacuteduire est si vital que les organisa-tions doivent faire drsquoun standard commun leur toute premiegravere alleacutegeance Cellesqui se positionnent agrave lrsquoentreacutee drsquoun standard sont celles qui recueilleront les plusgros beacuteneacutefices Mais quand une entreprise prospegravere la prospeacuteriteacute touche aussi ceuxqui se trouvent dans son reacuteseauhellip

Un reacuteseau preacutesente une analogie avec un pays dans les deux cas le moyen le plussucircr pour augmenter sa propre prospeacuteriteacute consiste agrave augmenter celle de lrsquoensemble Lrsquoegravereindustrielle nous a drsquoailleurs bien montreacute une chose crsquoest que la prospeacuteriteacute agrave laquelleparviennent les individus est plus eacutetroitement lieacutee agrave la prospeacuteriteacute de la nation qursquoagrave leurspropres efforts

Mais si le reacuteseau srsquoapparente agrave un pays il srsquoen distingue par trois diffeacuterencesimportantes

1- Il nrsquoy existe aucune frontiegravere drsquoordre spatial ou temporel les liaisons srsquoeacutetablissant24 heures sur 24 7 jours sur 7 et 365 jours par an

2- Les relations y sont plus eacutetroitement coupleacutees plus intenses plus continues etpar bien des aspects plus intimes que celles qui se deacuteveloppent dans un pays

3- Il existe de multiples recouvrements des reacuteseaux et de multiples recouvrementsdrsquoalleacutegeances

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Mais en tout eacutetat de cause quel que soit le reacuteseau la regravegle est la mecircme pour connaicirc-tre une prospeacuteriteacute maximale commencez par nourrir la toile

9 La Loi de la Reacutegression

Lacircchez prise au sommet

Les caracteacuteristiques drsquointerconnexion de toute eacuteconomie lrsquoamegravenent agrave se comporterde faccedilon eacutecologique et crsquoest tout particuliegraverement le cas de lrsquoEacuteconomie des Reacuteseauxqui est ultra-connecteacutee Le sort drsquoune organisation ne deacutepend pas entiegraverement de sespropres meacuterites il est eacutegalement lieacute au destin de son voisinage de ses allieacutes de ses con-currents et bien sucircr de son environnement immeacutediat

Dans la nature il existe certains biotopes qui nrsquooffrent que peu drsquoopportuniteacutes au deacuteve-loppement de la vie Dans lrsquoArctique il nrsquoy a que quelques modes de vie et une espegravece adonc inteacuterecirct agrave adopter lrsquoun drsquoentre eux Drsquoautres biotopes foisonnent au contrairedrsquoopportuniteacutes en perpeacutetuel renouvellement qui apparaissent et disparaissent dans letemps biologique au greacute des luttes des espegraveces pour leur adaptation agrave leur environnement

De par sa forme luxuriante interactive et extrecircmement plastique lrsquoEacuteconomie desReacuteseaux ressemble agrave un biotope en effervescence De nouvelles niches se manifestentconstamment et srsquoeacutevanouissent aussi vite qursquoelles sont apparues les concurrentsbourgeonnent sous vos pieds et vous avalent tout net vous ecirctes un jour le roi drsquounemontagne qui le lendemain nrsquoexistera mecircme plus

Les biologistes verraient dans cette lutte meneacutee par un organisme pour srsquoadapter agraveson biotope comme la longue ascension drsquoune montagne une altitude plus eacuteleveacutee cor-respondant agrave une meilleure adaptation Crsquoest donc quand il se trouve au sommet quelrsquoorganisme en question atteint une adaptation plus grande Il est facile drsquoimaginer lasituation si au lieu drsquoun organisme on a affaire agrave une entreprise celle-ci deacuteploie tousses efforts pour gravir la montagne crsquoest-agrave-dire pour faire eacutevoluer son produit de faccedilonqursquoil parvienne au sommet autrement dit qursquoil soit le plus adapteacute possible agrave lrsquoenviron-nement des consommateurs

Qursquoelles aient ou non un but lucratif les organisations se trouvent toutes confron-teacutees agrave deux problegravemes quand elles cherchent agrave atteindre leur forme optimale Ces deuxproblegravemes sont amplifieacutes par lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux dans laquelle la turbulenceconstitue la norme

Premiegraverement agrave la diffeacuterence de lrsquoenvironnement relativement simple de lrsquoegravereindustrielle ougrave lrsquoon avait une vision assez claire de ce agrave quoi pouvait ressembler un pro-duit optimal et de lrsquoendroit ougrave une entreprise devait se positionner sur un horizon eacutevo-

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luant lentement il est de plus en plus difficile dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux dediscerner quelles sont les collines les plus hautes et quels sont les sommets factices

Grande ou petite une entreprise peut se trouver confronteacutee agrave ce problegraveme Il nrsquoestpas eacutevident de savoir si lrsquoon doit tout mettre en œuvre pour devenir le meilleur fabri-cant mondial de disques durs alors que la montagne soutenant le sommet viseacute risquede ne plus exister quelques anneacutees plus tard Une organisation peut donc tregraves biendeacuteployer des efforts insenseacutes pour devenir lrsquoexpert de reacutefeacuterence drsquoune technologie quisrsquoavegraverera ulteacuterieurement ecirctre une impasse pour deacutecrire pareille situation les biologis-tes eacutevoqueraient lrsquoorganisme coinceacute sur un sommet tregraves localiseacute

Ce qui est cruel dans la nouvelle eacuteconomie crsquoest qursquoon est certain drsquoecirctre coinceacute agrave lamaniegravere de cet organisme Tocirct ou tard et plutocirct tocirct que tard un produit se trouve for-ceacutement eacuteclipseacute alors qursquoil se trouve agrave lrsquoapogeacutee car tandis qursquoil est au sommet un autreproduit va deacuteplacer la montagne en changeant les regravegles

Pour eacutechapper agrave cette situation lrsquoorganisme ne dispose que drsquoune seule solution reacutegres-ser Autrement dit srsquoil veut passer drsquoun sommet drsquoaltitude agrave un autre il lui faut drsquoabord des-cendre traverser une valleacutee puis entreprendre lrsquoascension drsquoune autre montagne il fautdonc qursquoil devienne moins adapteacute moins en forme bref moins optimal

Cela nous amegravene agrave lrsquoautre problegraveme Tout comme les ecirctres humains les organisationssont cacircbleacutees pour optimiser ce qursquoelles savent faire et non pour gaspiller leur succegraves Etdonc les entreprises considegraverent que le fait de reacutegresser est primo impensable secundoimpossible Il nrsquoy a tout bonnement dans lrsquoentreprise pas de place pour le concept delaquo lacirccher prise raquo et agrave plus forte raison pour avoir la compeacutetence pour lacirccher prise sur quel-que chose qui marche Crsquoest donc en traicircnant les pieds qursquoelles descendent vers le chaos

Et effectivement crsquoest chaotique et dangereux agrave plus faible altitude car quand on estmoins adaptable on est plus proche de lrsquoextinction Dans ces conditions la deacutecouvertedu sommet suivant devient tout agrave coup une question de vie ou de mort Mais que lrsquoonsache il nrsquoexiste pas drsquoautre solution que de laisser derriegravere soi des produits parfaitsune technologie dont la mise au point a repreacutesenteacute des coucircts importants et des mar-ques magnifiques pour descendre vers les problegravemes afin de remonter ailleurs Il srsquoagitlagrave drsquoune marche forceacutee qui agrave lrsquoavenir deviendra une routine

Du fait de la nature biologique de cette egravere nouvelle la soudaine deacutesinteacutegration dedomaines bien eacutetablis est aussi certaine que la survenue soudaine de nouveauteacute Il nepeut donc y avoir expertise dans lrsquoinnovation srsquoil nrsquoy a aussi expertise dans la deacutemoli-tion de ce qui est installeacute

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux une qualiteacute sera inestimable la capaciteacute agrave abandon-ner un produit une profession ou un domaine drsquoactiviteacute alors qursquoils sont agrave leur apogeacuteeLacircchez prise au sommet

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10 La Loi de la Substitution

Crsquoest le reacuteseau qui est gagnant

Nombreux sont les observateurs qui ont noteacute que dans notre eacuteconomie les mateacute-riaux eacutetaient progressivement supplanteacutes par lrsquoinformation Ainsi par exemple lepoids des voitures est nettement plus faible qursquoautrefois alors que les performances sesont ameacutelioreacutees Les veacutehicules ne comportent plus un certain nombre de mateacuteriauxqui ont eacuteteacute remplaceacutes par un savoir-faire technologique dont le poids est voisin de zeacuterosous forme de plastiques et de fibres composites Ce remplacement drsquoune masse par desbits va se poursuivre dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux

Alors que dans le passeacute la dynamique exceptionnelle de lrsquoindustrie du software et delrsquoordinateur (rendements croissants pratique de la gratuiteacute etc) eacutetait consideacutereacuteecomme un cas agrave part dans lrsquoeacuteconomie plus eacutetendue et plus laquo reacuteelle raquo de lrsquoacier dupeacutetrole de lrsquoautomobile ou de lrsquoagriculture la dynamique des reacuteseaux continuera agraveremplacer lrsquoancienne dynamique jusqursquoagrave ce que le comportement en reacuteseau soit celuide lrsquoeacuteconomie tout entiegravere

Prenons par exemple la nouvelle logique automobile telle qursquoelle a eacuteteacute souligneacutee parun visionnaire Amory Lovins La voiture est veacuteritablement lrsquoarcheacutetype du produit delrsquoegravere industrielle et pourtant cette derniegravere peut ecirctre supplanteacutee par les puces et lesreacuteseaux mecircme dans le secteur automobile La plus grande partie de lrsquoeacutenergie consom-meacutee lors drsquoun voyage est utiliseacutee pour deacuteplacer non le passager mais le veacutehicule Doncsi lrsquoon parvient agrave diminuer la taille du moteur et de la carrosserie une voiture aurabesoin drsquoune puissance moindre autrement dit on pourra faire des moteurs encoreplus petits et donc un modegravele encore plus petit lui aussi et ainsi de suite selon lamecircme courbe descendante de valeur composeacutee qursquoont suivie les microprocesseursDans ce processus le rocircle de lrsquoacier se trouve reacuteduit par des mateacuteriaux intelligents dontlrsquoinvention et la production exigent des compeacutetences de plus en plus grandes

Agrave Detroit et au Japon on a construit des concept cars en fibres composites ultra-leacutegegraveres ces voitures pegravesent environ 450 kg et sont eacutequipeacutees drsquoun moteur hybride carburant pluseacutelectriciteacute Les puces en reacuteseau y ont remplaceacute les masses du radiateur de lrsquoessieu et delrsquoarbre de transmission De la mecircme faccedilon que le freinage est rendu plus sucircr par lrsquoincor-poration de puces lrsquoautomobiliste dispose drsquoune plus grande seacutecuriteacute gracircce agrave lrsquointelli-gence en reacuteseau connecteacutee par fils un choc accroicirct lrsquointelligence de multiples airbagsun peu analogues agrave un emballage pelliculeacute dont les bulles seraient intelligentes

Lrsquoeffet cumuleacute de ce remplacement de mateacuteriaux par du savoir se traduit dans unelaquo hyper-voiture raquo qui sera nettement plus sucircre qursquoun veacutehicule actuel et pourra de sur-croicirct traverser les Eacutetats-Unis drsquoun oceacutean agrave lrsquoautre avec un seul plein de carburant

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Aujourdrsquohui deacutejagrave une voiture lambda dispose drsquoune puissance informatique supeacute-rieure agrave celle drsquoun PC basique de bureau Mais indique Lovins ce que promet lrsquolaquo hyper-voiture raquo ce nrsquoest pas des roues comportant de nombreuses puces crsquoest au contraire unepuce avec des roues Une voiture peut se consideacuterer comme destineacutee agrave devenir unmodule eacutelectronique se conduisant sur un systegraveme routier qui repreacutesentera de plus enplus un reacuteseau eacutelectronique deacutecentraliseacute obeacuteissant aux lois de lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux

Une fois que lrsquoon considegravere lrsquoautomobile comme des puces monteacutees sur roues il estnettement plus facile drsquoimaginer que les avions sont des puces pourvues drsquoailes lesexploitations agricoles des puces entoureacutees de terre les habitations des puces environ-neacutees drsquooccupants Certes ces diffeacuterents objets repreacutesenteront encore une masse maiscelle-ci sera soumise agrave la domination du savoir et des informations qui y passeront enabondance en termes eacuteconomiques ils se comporteront comme si leur masse eacutetaitreacuteduite agrave zeacutero et donc ils migreront vers lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux

Nicholas Negroponte surnommeacute laquo Atoms-to-Bits raquo estime que cette eacuteconomieatteindra un billion de dollars en lrsquoan 2000 Ce que cette eacutevaluation ne prend pas encompte crsquoest lrsquoeacutechelle du monde eacuteconomique qui eacutevolue vers Internet ce formidablereacuteseau drsquoobjets interconnecteacutes dans la mesure ougrave lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux infiltre lesautomobiles aussi bien que leur circulation lrsquoacier aussi bien que le bleacute Mecircme si toutesles voitures ne se vendent pas on-line pour lrsquoinstant la faccedilon dont les veacutehicules sontconccedilus produits et utiliseacutes deacutependra de la logique du reacuteseau et du pouvoir des puces

Quelle sera lrsquoampleur du commerce on-line Cette question sera de moins en moinspertinente au fil du temps dans la mesure ougrave quelle que soit sa nature le commerceest en train de srsquoengouffrer dans lrsquoInternet Les distinctions entre lrsquoEacuteconomie desReacuteseaux et lrsquoeacuteconomie industrielle vont srsquoestomper pour aller vers la diffeacuterence exis-tant entre lrsquoanimeacute et lrsquoinerte Si lrsquoargent et lrsquoinformation circulent agrave travers quelquechose ce quelque chose fait partie de lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux crsquoest le reacuteseau qui est gagnant Toutes les transactionset tous les objets tendent agrave obeacuteir agrave sa logique

11 La Loi du Brassage

Recherchez le deacuteseacutequilibre permanent

Dans la logique industrielle lrsquoeacuteconomie eacutetait une machine qui devait ecirctre gonfleacuteepour donner une efficaciteacute optimale et qui une fois preacuteciseacutement reacutegleacutee srsquoentretenaitdans une harmonie productive Il srsquoagissait donc de proteacuteger et chouchouter les entre-

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prises et industries particuliegraverement geacuteneacuteratrices de travail ou de marchandisescomme srsquoil srsquoagissait de montres de prix dans une vitrine

Les reacuteseaux ayant infiltreacute notre monde lrsquoeacuteconomie en est venue agrave ressembler agrave un eacuteco-systegraveme drsquoorganismes interconnecteacutes et eacutevoluant conjointement en perpeacutetuel change-ment profondeacutement enchevecirctreacutes et en continuelle expansion De reacutecentes eacutetudes nousont appris que lrsquoeacutequilibre nrsquoexiste pas dans la nature au fur et agrave mesure des progregraves delrsquoeacutevolution il se produit de perpeacutetuelles ruptures agrave mesure que de nouvelles espegraveces enremplacent drsquoautres plus anciennes que des biotopes modifient leur organisation queles organismes et environnements se transforment Il en va de mecircme pour le reacuteseau lesentreprises naissent et meurent rapidement les meacutetiers sont des patchworks de voca-tions les industries sont des groupements indeacutefinis drsquoentreprises fluctuantes

Le changement nrsquoest pas eacutetranger agrave lrsquoeacuteconomie industrielle ou agrave lrsquoeacuteconomieembryonnaire de lrsquoinformation En 1970 Alvin Toffler parlait de laquo choc du futur raquopour deacutesigner la mecircme reacuteaction de lrsquohomme agrave des changements allant srsquoacceacuteleacuterantMais lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux est passeacutee du changement au brassage

Mecircme sous sa forme toxique le changement se deacutefinit par une diffeacuterence rapide Lebrassage quant agrave lui srsquoapparente plus agrave la diviniteacute hindoue Ccediliva force agrave la fois de des-truction et de creacuteation En effet il renverse ceux qui sont en place et creacutee une plate-forme ideacuteale pour favoriser lrsquoinnovation et la naissance crsquoest une laquo renaissancedeacutemultiplieacutee raquo Et cette genegravese plane sur le bord du chaos

Donald Hicks de lrsquoUniversiteacute du Texas a eacutetudieacute la demi-vie des entreprises de cetEacutetat pendant ces 22 derniegraveres anneacutees Il a constateacute que la longeacuteviteacute de ces organisationsa baisseacute de moitieacute depuis 1970 ccedila crsquoest du changement Mais en mecircme temps Austinla ville du Texas ougrave lrsquoespeacuterance de vie des nouvelles entreprises est la plus faible estaussi celle ougrave la croissance du nombre des emplois est la plus forte et ougrave les salaires sontles plus eacuteleveacutes ccedila crsquoest du brassage

laquo La tregraves grande majoriteacute des entreprises et des emplois qui donneront du travailaux Texans en 2026 ou mecircme en 2006 nrsquoexiste pas encore raquo a indiqueacute Hicks agrave sessponsors texans Pour produire 3 millions drsquoemplois agrave lrsquohorizon 2020 il faut en creacuteer15 millions du fait du brassage Sous la plume de Jerry Useem un magazine destineacuteaux petites entreprises Inc a preacutesenteacute les reacutesultats de ces travaux On y lit notam-ment la recommandation suivante de Donald Hicks laquo Au lieu de consideacutererlrsquoemploi comme une somme fixe qursquoil faut proteacuteger et augmenter lrsquoEacutetat ferait mieuxdrsquoencourager le brassage afin drsquoaboutir agrave une re-creacuteation perpeacutetuelle de lrsquoeacuteconomiedu Texas raquo Autrement dit la stabiliteacute agrave long terme ne peut naicirctre que du brassage quelle ironie

Cette notion drsquoeacutevolution continue est familiegravere aux eacutecologistes et aux personnes quigegraverent des reacuteseaux de grande ampleur Un reacuteseau complexe ne peut conserver sa vita-

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liteacute qursquoen provoquant son propre deacuteseacutequilibre si le systegraveme srsquoinstalle dans lrsquoeacutequilibreet lrsquoharmonie il va finir par stagner puis mourir

Lrsquoinnovation srsquoanalyse comme une rupture et lrsquoinnovation constante est une rup-ture constante Le maintien drsquoun perpeacutetuel deacuteseacutequilibre semble effectivement ecirctrelrsquoobjectif des reacuteseaux bien constitueacutes LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux commence agrave fairelrsquoobjet drsquoeacutetudes de la part drsquoun certain nombre drsquoeacuteconomistes parmi lesquels PaulRomer et Brian Arthur ils constatent par ailleurs que cette eacuteconomie fonctionne en setenant en bordure drsquoun chaos incessant Et crsquoest dans ce brassage chaotique que se trou-vent les forces de vie le renouveau et la croissance

La diffeacuterence entre le chaos et la bordure du chaos est extrecircmement subtile Enrecherchant une situation de deacuteseacutequilibre persistant tout en restant innovant AppleComputer peut srsquoecirctre un peu trop pencheacute du cocircteacute du deacuteseacutequilibre et srsquoeacuteteindre Ou sila chance est avec lui apregraves une laquo near-death experience raquo couronnant la reacutegression ilpeut se remettre en route pour une nouvelle montagne agrave escalader

Le cocircteacute obscur du brassage crsquoest que la nouvelle eacuteconomie repose sur la disparitionconstante drsquoentreprises individuelles qui sont deacutepasseacutees ou meacutetamorphoseacutees en entre-prises toujours nouvelles dans de nouveaux domaines drsquoactiviteacute Les industries etlrsquoemploi sont eux aussi sujets agrave ce brassage on va vers une succession rapide de chan-gements de postes lrsquoemploi agrave vie nrsquoexistant plus a fortiori Les carriegraveres si lrsquoon peutencore utiliser le terme en lrsquooccurrence vont ressembler de plus en plus agrave des reacuteseauxdrsquoengagements multiples et simultaneacutes avec une rotation continue de nouvelles com-peacutetences et de rocircles deacutepasseacutes

La turbulence et lrsquoincertitude sont des caracteacuteristiques des reacuteseaux La perspectivedrsquoune deacutemolition constante de ce qui marchait bien fait que le choc du futur va sem-bler bien plat Certes nous accepterons le deacutefi de deacutefaire ce qui repreacutesentait des reacuteussi-tes bien eacutetablies mais en mecircme temps nous trouvons eacutepuisant cette productionpermanente de choses nouvelles LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux est si precircte agrave geacuteneacuterer de lanouveauteacute spontaneacutee que cette mareacutee naissante peut srsquoanalyser comme un certaintype de violence

Neacuteanmoins dans cette peacuteriode de brassage agrave venir on va assister agrave la chute des titansde lrsquoegravere industrielle LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux a en effet pour tacircche premiegravere la destruc-tion au sens poeacutetique du terme de cette eacuteconomie industrielle entreprise par entre-prise et secteur par secteur Et en deacutefaisant ainsi une industrie agrave son apogeacutee elle tisseune toile plus grande de nouvelles organisations plus agiles et plus eacutetroitement lieacutees

Ce sera tout un art de parvenir agrave un brassage efficace En tout eacutetat de cause les ten-tatives visant agrave favoriser la stabiliteacute agrave deacutefendre la productiviteacute et agrave proteacuteger la reacuteussitesrsquoapparentent agrave de lrsquoacharnement theacuterapeutique Dans le doute il vaut mieux opterpour le brassage Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux recherchez le deacuteseacutequilibre permanent

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12 La loi de lrsquoInefficaciteacute

Ne reacutesolvez pas les problegravemes

En deacutefinitive que nous apporte lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux

Les eacuteconomistes ont penseacute pendant un certain temps que lrsquoegravere qui srsquoannonccedilaitapporterait une productiviteacute extrecircme Mais paradoxalement le poids de plus en plusfort de la technologie ne srsquoest pas traduit par des augmentations quantifiables de la pro-ductiviteacute

Parce que la productiviteacute crsquoest preacuteciseacutement le sujet dont il ne faut pas se soucier Ilnrsquoy a que les robots qui devraient se preacuteoccuper de productiviteacute Et en fait les seulsdomaines dans lesquels on a effectivement constateacute une augmentation de la produc-tiviteacute ont eacuteteacute les industries de transformation ameacutericaines et japonaises qui ont enre-gistreacute une croissance annuelle drsquoenviron 3 agrave 5 pendant toutes les anneacutees 1980 etjusqursquoau deacutebut des anneacutees 1990 Il srsquoagit preacuteciseacutement des secteurs dans lesquels il estsouhaitable drsquoobserver une croissance de la productiviteacute En revanche on ne constatepas de gains de productiviteacute dans le secteur tertiaire expression regroupant des activi-teacutes tregraves diverses Mais pourquoi donc les services devraient-ils se montrer productifs Lrsquoentreprise cineacutematographique drsquoHollywood qui produit des films plus longs par dol-lar investi est-elle plus productive que celle dont les films sont plus courts

Le problegraveme de la productiviteacute crsquoest que quand on essaie de la quantifier on nemesure que la faccedilon dont des personnes compeacutetentes peuvent srsquoacquitter de tacircchesinapproprieacutees En fait on devrait sans doute eacuteliminer tous les postes susceptibles drsquoecirctreainsi mesureacutes

Peter Drucker a noteacute que dans lrsquoegravere industrielle la tacircche de chacun consistait agrave trou-ver comment il pouvait mieux faire son travail et ccedila crsquoest de la productiviteacute Maisdans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux ougrave ce sont des machines qui font la plus grosse partie dutravail inhumain de fabrication les choses sont diffeacuterentes la question agrave se poser nrsquoestpas laquo Comment faire ce travail correctement raquo mais laquo Quel est le travail le plusapproprieacute que je pourrais faire raquo Dans lrsquoegravere qui se profile le fait de faire la chose exac-tement approprieacutee sera nettement plus laquo productif raquo que lrsquoeffort de mieux faire lamecircme chose que preacuteceacutedemment Mais comment quantifier facilement cet eacutelan vitalvers lrsquoexploration et la deacutecouverte que les repegraveres de productiviteacute ne perccediloivent pas

Crsquoest en perdant du temps et en eacutetant incompeacutetent que lrsquoon arrive agrave deacutecouvrir deschoses Si la Toile est exploiteacutee par de jeunes gens de 20 ans crsquoest parce qursquoils peuventse permettre de gaspiller les 50 heures neacutecessaires pour acqueacuterir des compeacutetences dansson exploration Les quadrageacutenaires nrsquoarrivent pas agrave partir en vacances sans se deman-der comment ils vont justifier que leur voyage a eacuteteacute productif drsquoune maniegravere ou drsquoune

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autre mais les jeunes eux peuvent suivre leurs intuitions et creacuteer des nouveauteacutesapparemment stupides sur la Toile sans se preacuteoccuper de ce qursquoils font en termes drsquoeffi-caciteacute ou drsquoinefficaciteacute Et crsquoest par ces bidouillages que passe lrsquoavenir

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux ce nrsquoest pas la productiviteacute qui repreacutesente le gouletdrsquoeacutetranglement notre capaciteacute agrave reacutesoudre les problegravemes eacuteconomiques et sociaux seratoujours limiteacutee par notre manque drsquoimagination qui nous conduit agrave systeacutematique-ment tenter drsquooptimiser les solutions alors qursquoil faut saisir les opportuniteacutes laquo Ne reacutesol-vez pas les problegravemes cherchez des opportuniteacutes raquo disait Peter Drucker dans unephrase reacutecemment reprise par George Gilder Quand on reacutesoud des problegravemes oninvestit dans ses propres faiblesses quand on recherche des opportuniteacutes on comptesur le reacuteseau Et ce qui est formidable avec lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux crsquoest qursquoelle solliciteles points forts de lrsquohomme La reacutepeacutetition les suites les copies et lrsquoautomation tendenttoutes vers la gratuiteacute alors que lrsquoinnovateur lrsquooriginal et lrsquoimaginatif augmententconsideacuterablement la valeur

Au deacutebut nos esprits seront ligoteacutes par les anciennes regravegles de la croissance eacutecono-mique et de la productiviteacute lrsquoeacutecoute du reacuteseau peut deacutefaire ces liens Dans lrsquoEacuteconomiedes Reacuteseaux ne reacutesolvez pas les problegravemes cherchez les opportuniteacutes

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Y-a-t-il une nouvelle eacuteconomie

Alan GREENSPAN1

4 septembre 1998

Question y a-t-il une nouvelle eacuteconomie

La question qui mrsquoest poseacutee pour cette confeacuterence de savoir srsquoil y a une nouvelle eacuteco-nomie va au-delagrave de cette reacuteponse drsquoeacutevidence bien eacutevidemment notre eacuteconomiechange jour apregraves jour et en ce sens elle est toujours laquo nouvelle raquo Mais la questionsous-jacente consiste agrave se demander sil y a une modification profonde et fondamen-tale dans le fonctionnement de leacuteconomie qui creacutee une rupture par rapport au passeacuteet promette une trajectoire plus eacuteleveacutee pour la croissance que celle que nous avons con-nue pendant les deacutecennies preacuteceacutedentes

La question a eacuteteacute souleveacutee agrave la suite des performances eacuteconomiques des Eacutetats-Unisau cours de ces 5 derniegraveres anneacutees qui agrave certains eacutegards nont pas connu de preacuteceacutedentIl est pour le moins inhabituel que linflation connaisse pareille chute dans une peacuteriodedexpansion ce qui va agrave lencontre des theacuteories traditionnelles fondeacutees sur des modegraveleshistoriques

Bien des deacuteseacutequilibres qui ont eacuteteacute observeacutes dans le passeacute sur les rares peacuteriodes quiont connu une expansion eacuteconomique de plus de sept anneacutees sont largement absentsaujourdrsquohui Crsquoest sucircr le marcheacute du travail est inhabituellement tendu et nous devonsrester vigilants par rapport aux pressions qui srsquoexercent sur ce marcheacute et risquent dedeacuteborder sur les coucircts et les prix Mais jusqursquoagrave maintenant il nrsquoen a rien eacuteteacute

En outre il est tout agrave fait vain dimaginer que les Eacutetats-Unis puissent rester une oasisde prospeacuteriteacute qui ne serait pas affecteacutee par un monde qui subit un stress de plus en plusaccentueacute Les deacuteveloppements agrave leacutetranger ont contribueacute agrave maintenir les prix et lademande globale aux Eacutetats-Unis agrave un bas niveau face agrave une forte deacutepense inteacuterieureLes bouleversements exteacuterieurs sintensifiant et se reacutepercutant sur nos marcheacutes finan-ciers la contrainte est susceptible decirctre plus vive Au printemps et au deacutebut de leacuteteacute le

1ALAN GREENSPAN est le preacutesident du Board of Governors de la Reacuteserve Feacutedeacuterale des Eacutetats-Unis Cetarticle est la traduction du texte de la confeacuterence donneacutee par ALAN GREENSPAN le 4 septembre 1998 agravelrsquooccasion du Haas Business Faculty Research Dialogue agrave lrsquoUniversiteacute de Californie agrave Berkeley Le texteoriginal sous le titre laquoQuestion Is There a New Economyraquo est publieacute sur le site de la Reacuteserve Feacutedeacuteraleameacutericaine (httpbogfrbfedusboarddocsspeeches199819980904htm)

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Federal Open Market Committee sest inquieacuteteacute de ce que la principale menace risquantdaffecter lexpansion continue de leacuteconomie eacutetait une hausse de linflation Lors de lareacuteunion du mois daoucirct les risques seacutetaient eacutequilibreacutes le Comiteacute devra donc en exa-miner soigneusement les ramifications potentielles sur une plus longue dureacutee

Certains de ceux qui procircnent une laquo nouvelle eacuteconomie raquo attribuent geacuteneacuteralementcelle-ci aux innovations technologiques et aux avanceacutees radicales de la mondialisationqui accroissent la productiviteacute et geacutenegraverent une nouvelle capaciteacute de la demande et quien conseacutequence et sur une base plus durable ont retireacute aux producteurs mondiaux lepouvoir de faire les prix

Il est clair quil y a une part de veacuteriteacute dans cette proposition Ainsi par exemple auxEacutetats-Unis on constate manifestement du fait des eacutevolutions technologiques unebaisse dans les deacutelais drsquoapprovisionnement moyens pour lachat de nouveaux biensdrsquoeacutequipement qui a permis de maintenir agrave des niveaux modeacutereacutes la capaciteacute de produc-tion et a pratiquement eacutelimineacute la plupart des ruptures de stocks et goulets deacutetrangle-ment qui preacutevalaient dans les peacuteriodes de croissance eacuteconomique soutenue

Il y a eu sans aucun doute de profonds changements dans la maniegravere dont nous orga-nisons nos eacutequipements initions une politique de flux tendus et dont nous maillonsagrave ce processus notre systegraveme financier dune sophistication reacutecente et qui est sensibleau risque Toutefois il existe une importante objection agrave cette ideacutee que nous vivonsdans une nouvelle eacuteconomie elle concerne la psychologie humaine

Lenthousiasme et les craintes qui eacutetreignaient nos ancecirctres on les retrouve chez lesgeacuteneacuterations qui participent activement agrave leacuteconomie ameacutericaine aujourdhui Lesactions humaines senracinent toujours dans la preacutevision des conseacutequences de cesactions Quand le futur devient neacutebuleux les gens eacutevitent dagir et se deacutemettent de leursengagements anteacuterieurs Certes le degreacute daversion face au risque varie dune personneagrave lautre mais on ne trouve pas de diffeacuterences significatives dans le comportement desprix sur les marcheacutes actuels par rapport agrave ce qui se passait il y a un siegravecle ou plus La faccedilondont on eacutevalue les actifs dont les changements de ces valeurs affectent notre eacuteconomiene procegravede pas de regravegles diffeacuterentes de celles qui animaient nos ancecirctres

Donc lanccedilons une premiegravere pierre dans le jardin agrave la question laquo y a-t-il une nou-velle eacuteconomie raquo la reacuteponse dans un sens plus profond est non Aussi perfectionneacuteesoit-elle notre eacuteconomie est essentiellement mue comme par le passeacute par la faccedilondont la psychologie faccedilonne le systegraveme de valeurs qui est le moteur dune eacuteconomie demarcheacute compeacutetitive Or ce processus est inextricablement lieacute agrave la nature humaine quieacutetant par essence immuable ancre lavenir au passeacute

Ceci poseacute dimportants changements technologiques ont vu le jour ces derniegraveresanneacutees la faccedilon dont nous organisons la production commerccedilons entre pays et assu-rons de la valeur aux consommateurs sen trouve consideacuterablement modifieacutee

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Pour examiner la signification de ces changements et leur inteacuterecirct dans une eacuteven-tuelle laquo nouvelle eacuteconomie raquo il nous faut en premier lieu deacutetailler certaines caracteacuteris-tiques clefs de notre systegraveme

Comme toutes celles des pays capitalistes deacuteveloppeacutes leacuteconomie ameacutericaine setrouve dans un processus continuel de laquo destruction creacuteatrice raquo pour reprendre uneexpression quutilisa Joseph Schumpeter il y a un certain nombre de deacutecennies Lesbiens deacutequipement les proceacutedeacutes de fabrication les infrastructures des marcheacutes finan-ciers et du travail et toute la panoplie des eacutetablissements priveacutes qui constituent uneeacuteconomie de marcheacute sont en permanence dans un eacutetat de mutation qui dans prati-quement tous les cas eacutevolue vers une meilleure efficaciteacute

Avec juste un peu drsquoexageacuteration on peut voir les actifs mdash cest-agrave-dire les usines et leseacutequipements qui permettent la production des marchandises et des services mdash commecontinuellement deacutemolis et reconstruits

Nos actifs et le niveau de compeacutetence de notre main-drsquoœuvre sont effectivementremis agrave niveau agrave mesure que la concurrence presse les dirigeants dentreprise de trouverdes moyens toujours plus innovants et efficaces pour reacutepondre aux attentes toujoursplus fortes des consommateurs en termes de quantiteacute de qualiteacute et de varieacuteteacute Au fildes geacuteneacuterations loffre et la demande se sont trouveacutees interagir dans un environne-ment concurrentiel pour porter toujours plus haut le niveau de vie En fait cest cemecircme processus qui eacutevoluant par agrave-coups caracteacuterise depuis le deacutebut de la reacutevolutionindustrielle notre eacuteconomie de marcheacute et celle dautres pays mais autrefois les con-ditions de vie changeaient extrecircmement peu dune geacuteneacuteration agrave lautre

Cette eacuteconomie de marcheacute qui sefforce daugmenter le niveau de vie est donclaquo nouvelle raquo mais il sagit lagrave dune tautologie

Au deacutebut du XIXe siegravecle les Eacutetats-Unis eacutetant une nation en cours de deacuteveloppementnotre pays a emprunteacute en abondance technologies et fonds pour pouvoir mettre lepied agrave lrsquoeacutetrier de la croissance Mais au cours des cent ans qui viennent de seacutecoulerlAmeacuterique sest hisseacutee agrave lavant-garde de la technologie

Il ne fait pas de doute que les eacuteveacutenements modifient en permanence le profil et lanature de nos processus eacuteconomiques les progregraves technologiques jouent un tregravesgrand rocircle en loccurrence et peut-ecirctre mecircme tout reacutecemment ont-ils acceacuteleacutereacute lerythme de conceptualisation de notre PIB Ainsi par exemple nous avons consideacutera-blement reacuteduit la taille de nos appareils de radio en substituant des transistors auxtubes agrave vide de mecircme les cacircbles de fibres optiques qui sont minces ont remplaceacute destonnages consideacuterables de fil de cuivre Les nouvelles technologies en matiegravere darchi-tecture dingeacutenierie et de mateacuteriaux ont permis la construction dimmeubles qui parrapport agrave ceux qui seacutedifiaient il y a 50 ou 100 ans et agrave espace comparable se reacutealisentavec nettement moins de matiegravere De mecircme tregraves reacutecemment la taille des teacuteleacutephones

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mobiles a eacuteteacute notablement reacuteduite Ces eacutevolutions ont pour conseacutequence que le poidsphysique de notre PIB naugmente que tregraves lentement Lexploitation des nouveauxconcepts explique pratiquement toute la croissance de la production corrigeacutee delinflation

On ne peut faire que des conjectures sur la cause de cette spectaculaire eacutevolution versune reacuteduction de taille Peut-ecirctre les limitations spatiales agrave laccumulation de biens etagrave leur deacuteplacement dans un environnement geacuteographique de plus en plus encombreacutese sont-elles traduites par des pressions sur les coucircts destineacutees agrave obtenir une taille et unencombrement moindres Peut-ecirctre aussi la perspective de coucircts accrus de traitementde quantiteacutes toujours plus grandes de ressources physiques a-t-elle ameneacute les produc-teurs agrave sorienter vers des produits plus petits Rappelons-nous que il y a moins de30 ans le Club de Rome publiait une mise en garde tregraves pessimiste sur le risque darriveragrave un eacutepuisement des ressources physiques que lon preacutetendait neacutecessaires au maintiende notre niveau de vie Finalement comme on a repousseacute les frontiegraveres technologiqueset fait pression pour obtenir une acceacuteleacuteration du traitement de linformation on a eucomme reacutesultat des puces de plus en plus compactes par exemple

Mais il y a une chose qui a toujours eacuteteacute vraie dans le passeacute et qui le restera agrave lavenircest que la production dune eacuteconomie de marcheacute et la notion de creacuteation de richessesreflegravetent les systegravemes de valeur des hommes Le concept mecircme de richesse na pasdautre signification Le bleacute ou une machine ou encore un logiciel nont pas de valeurintrinsegraveque si ces produits sont valoriseacutes cest tout simplement parce quils satisfontactuellement les besoins de lhomme ou que lon considegravere quils seront capables de lefaire agrave lavenir Et ce sont ces preacutefeacuterences de valeur qui en sexprimant dans les signauxclefs du marcheacute que sont les prix des produits et des actifs informent les producteurssur ce qui a de la valeur et qui pourrait ecirctre profitable compte tenu de la technologieexistante

Pour en revenir aux bases la valeur dun eacutequipement de production quelqursquoil soitdeacutepend de la valeur perccedilue des biens et services que cet eacutequipement est destineacute agrave pro-duire On peut de faccedilon plus formelle consideacuterer que sa valeur actuelle est la sommede la valeur escompteacutee de toutes les productions agrave venir nette des coucircts

Agrave capaciteacute de production identique des eacutequipements peuvent avoir diffeacuterentesvaleurs de marcheacute en fonction de la confiance accordeacutee par les investisseurs agrave la capa-citeacute de lentreprise agrave percevoir et reacuteagir agrave son environnement futur de production Pre-nons lexemple dune acieacuterie ayant la capaciteacute immuable de produire de lacier entocircles sa valeur peut varier selon une tregraves large amplitude en fonction du niveau destaux dinteacuterecirct du taux global dinflation et dun certain nombre dautres facteursnayant aucun rapport avec les aspects techniques de la production dacier Ce quiimporte en loccurrence cest la faccedilon dont les investisseurs perccediloivent les marcheacutes surlesquels les tocircles sortant de cette usine doivent ecirctre eacutecouleacutees sur un certain nombre

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danneacutees Si le degreacute de confiance en lavenir est eacuteleveacute les valeurs escompteacutees serontelles aussi eacuteleveacutees de mecircme que les prix des titres qui bien entendu sont les creacuteancessur les actifs productifs

Les forces qui faccedilonnent ce degreacute de confiance sont dans une large mesure endogegrave-nes au processus eacuteconomique qui en geacuteneacuteral sautoreacutegule dans la mesure ougrave les con-sommateurs et les investisseurs interagissent avec un marcheacute en perpeacutetuelchangement

Je ne preacutetends pas ici que le comportement dun marcheacute constitue systeacutematique-ment une reacuteponse rationnelle agrave des changements dans le monde reacuteel mais cest biensouvent le cas Car sil en eacutetait autrement on ne constaterait pas cet environnementeacuteconomique relativement stable qui sest manifesteacute pendant des geacuteneacuterations dans lesplus grands pays industrialiseacutes

Il est certain que le degreacute de confiance que lrsquoon peut avoir dans les reacutesultats futursdeacutepend dans une large mesure de la stabiliteacute politique sous-jacente agrave tout pays ayantune eacuteconomie de marcheacute Si les acteurs de ce marcheacute ne sont pas assureacutes que leurs enga-gements et contrats futurs sont proteacutegeacutes par des regravegles de droit il ny aura pasdengagements les efforts de production se focaliseront seulement sur les impeacuteratifsde survie immeacutediate agrave court terme ce qui empecircchera tout effort de construction duneinfrastructure permettant de preacutevoir les besoins futurs

Une socieacuteteacute qui protegravege les aspirations agrave des actifs productifs agrave grande longeacuteviteacuteencourage donc agrave coup sucircr leur deacuteveloppement elle pousse les niveaux de productionagrave aller au-delagrave des besoins du moment correspondant agrave une consommation immeacute-diate car on sinteacuteressera beaucoup plus agrave la valorisation de la production future quesi on se trouve dans un contexte dinstabiliteacute politique et par exemple un environne-ment de faible reacuteglementation des contrats Quand on est arriveacute agrave ce niveau de seacutecuriteacutetous les eacuteleacutements permettant de bacirctir une eacuteconomie sophistiqueacutee fondeacutee sur des enga-gements agrave long terme sont en place ce sera une eacuteconomie qui eacutepargne et investitautrement dit confiante en lavenir et qui donc va croicirctre

Mais mecircme si le droit est extrecircmement vigilant quant au respect des contrats uneeacuteconomie de marcheacute compeacutetitive se trouve systeacutematiquement dans une situation dechangement continuel en conseacutequence la perception que lon a de sa productiviteacuteest toujours sujette agrave une incertitude plus ou moins grande qui est ineacutevitablement asso-cieacutee aux tentatives destineacutees agrave anticiper les reacutesultats futurs

Leacutetat geacuteneacuteral de confiance et la disposition des consommateurs et des investisseursagrave investir agrave long terme sont donc eacutetayeacutes par la perception de la stabiliteacute de la socieacuteteacute etde leacuteconomie mais lhistoire deacutemontre que ce degreacute de confiance est sujet agrave damplesvariations qui reacutesultent de la tregraves grande difficulteacute agrave former un jugement et donc agrave con-clure des engagements concernant lavenir Il arrive que ce soit preacuteciseacutement cette dif-

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ficulteacute qui megravene agrave des eacutevaluations moins meacutethodiques favorisant la volatiliteacute des prix elles encouragent aussi dans certains cas les bulles financiegraveres crsquoest-agrave-dire le gonfle-ment de la valeur des actifs qui repose davantage sur lespeacuterance que les autres paierontplus que sur un jugement bien informeacute sur leur valeur reacuteelle

Le comportement des eacuteconomies de marcheacute dans le monde entier ces derniegraveresanneacutees et tout particuliegraverement en Asie et aux Eacutetats-Unis a mis en eacutevidence combiences anticipations peuvent jouer un grand rocircle dans le deacuteveloppement reacuteel de leacutecono-mie Les eacuteconomistes parlent de coucirct dopportuniteacute pour deacutesigner le choix que les indi-vidus sont disposeacutes agrave faire en excluant la notion de risque entre la consommationactuelle et la consommation future Certains facteurs mesurables corrigent ensuite cetaux pour tenir compte des incertitudes qui assombrissent ineacutevitablement lavenir

Les bouleversements observeacutes soulignent agrave quel point lrsquoeacutevaluation humaine quandelle interagit avec les changements reacuteels de la production peut profondeacutement affecterlrsquoeacuteconomie comme les expeacuteriences en Asie lrsquoont amplement deacutemontreacute lrsquoanneacutee der-niegravere

Des cycles vicieux sont survenus en Asie du Sud-Est sans preacuteavis On a eu un tempslimpression que leacuteconomie se deacutebattait mais guegravere plus quauparavant et justeapregraves on a assisteacute agrave la chute libre des prix de marcheacute et de leacuteconomie

Lexpeacuterience que nous avons de ces cycles vicieux en Asie met en lumiegravere le rocircle clefque joue dans une eacuteconomie de marcheacute un attribut humain essentiel la confiancedans le fonctionnement du systegraveme Si nous nous engageons implicitement dans unedivision du travail cest parce que nous pensons que les autres produiront et serontprecircts agrave vendre les biens et services que nous ne produisons pas nous-mecircmes

Nous consideacuterons comme allant de soi que les contrats seront honoreacutes dans les affai-res parce que nous faisons confiance au droit et tout particuliegraverement au droit con-tractuel Mais si cette confiance seacutevaporait et que chaque contrat devait ecirctre porteacute enjustice le systegraveme de division du travail seacutecroulerait Et le point clef du cycle vicieuxqui en est peut-ecirctre la cause essentielle cest preacuteciseacutement le manque de confiance

Nous ne nous attendions pas agrave pareil effondrement en Asie et quant agrave moi jauraistendance agrave penser quil eacutetait pratiquement impossible de le preacutevoir en raison de lanature mecircme du processus Ce qui sest passeacute preacutesente une analogie avec de leau quiferait pression sur un barrage tout se preacutesente normalement jusquagrave ce quune fissureprovoque un deacuteluge

Cet effondrement sest bien sucircr reacutepercuteacute en premier lieu sur les engagements futursqui ont eacuteteacute boudeacutes Sans doute a-t-il eacuteteacute provoqueacute par le fait que les precircteurs interna-tionaux seacutetaient mis agrave douter de plus en plus quune croissance aussi spectaculairepuisse continuer agrave ecirctre entretenue chez les laquo tigres raquo asiatiques le cours des eacuteveacutene-

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ments a peut-ecirctre eacuteteacute preacutecipiteacute par leacutemergence au plan mondial dun excegraves de capaciteacutedes semi-conducteurs qui repreacutesentaient pour ces tigres de preacutecieux revenus En touteacutetat de cause la naissance et la monteacutee dincertitudes ont provoqueacute une forte augmen-tation de la deacutevalorisation des revenus futurs et en conseacutequence la chute des prix delimmobilier et de la Bourse Ce processus sest ensuite alimenteacute de lui-mecircme lesdeacutesengagements ont aggraveacute les perturbations et les incertitudes ce qui a augmenteacuteles primes de risque et les facteurs de deacutecote et provoqueacute une chute brutale de la pro-duction

Le pheacutenomegravene inverse autrement dit le cycle vertueux nrsquoest pas tout agrave fait symeacutetri-que En fait lexpansion eacuteconomique ameacutericaine actuelle se comprend tregraves bien dansun contexte drsquoanticipations favorables qui interagissent avec la production et lafinance pour entraicircner lexpansion de leacuteconomie et non son implosion

La stabiliteacute de leacuteconomie ameacutericaine au cours de ces 5 derniegraveres anneacutees a favoriseacuteune confiance accrue en lavenir ce qui a eu pour conseacutequence une actualisation de lavalorisation boursiegravere de linfrastructure productive de notre eacuteconomie qui a ajouteacutequelques trillions de dollars agrave la richesse nette des meacutenages entre le deacutebut de 1995 etle deuxiegraveme trimestre de cette anneacutee

Alors que la plus grande partie de ces gains augmentait les programmes de retraite etautres programmes deacutepargne une part non neacutegligeable a eacuteteacute consacreacutee agrave la consom-mation ce qui a abaisseacute de faccedilon significative la proportion des revenus que les meacutena-ges pensaient neacutecessaire deacutepargner et tout particuliegraverement ceux qui se situent dansles tranches les plus eacuteleveacutees

De surcroicirct plus eacutetait maintenu haut le niveau de valeur des actions plus il eacutetait vrai-semblable que les consommateurs considegraverent leurs gains en capital comme des increacute-ments permanents agrave leur valeur nette donc pouvant ecirctre deacutepenseacutes Cette reacutecentemanne a financeacute non seulement des deacutepenses de consommation personnelles pluseacuteleveacutees mais eacutegalement les achats immobiliers Il est difficile dexpliquer le niveaurecord que lon a constateacute sur les ventes de maisons sans faire reacutefeacuterence aux gains enBourse qui avaient eacuteteacute engrangeacutes preacuteceacutedemment

Laugmentation de la valeur boursiegravere sest par ailleurs traduite par une chute ducoucirct du capital qui a sans aucun doute acceacuteleacutereacute le rythme des nouveaux investisse-ments Les investissements en eacutequipements avaient deacutejagrave eacuteteacute fortement stimuleacutes parlacceacuteleacuteration quavaient connue les deacuteveloppements technologiques ce qui a bieneacutevidemment augmenteacute le potentiel de profits au cours de ces derniegraveres anneacutees La fortepousseacutee des deacutepenses en capital au cours de ces 5 derniegraveres anneacutees a apparemmentrefleacuteteacute lexistence de taux plus eacuteleveacutes de rendement sur un large spectre dinvestisse-ments et ce gracircce agrave une acceacuteleacuteration des avanceacutees technologiques notamment dansles domaines de linformatique et des teacuteleacutecommunications

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Il sagit lagrave de lorigine apparente de laugmentation du rythme de productiviteacute donton a reacutecemment eu la preuve Outre que les reacutecents progregraves technologiques ont mani-festement apporteacute une flexibiliteacute nouvelle et de plus en plus marqueacutee la capaciteacute deces technologies agrave ameacuteliorer les processus de production (sujet que je deacutevelopperaiprochainement) a reacuteduit de faccedilon significative les besoins en travail par uniteacute produiteIl sagit lagrave sans aucun doute dun facteur qui a contribueacute agrave une augmentation spectacu-laire des reacuteductions deffectifs au deacutebut des anneacutees 1990 Le taux de chocircmage a ensuitecommenceacute agrave baisser quand le rythme des embauches destineacutees agrave exploiter des nou-veaux eacutequipements a exceacutedeacute celui des licenciements de personnes occupeacutees dans deseacutequipements anciens

Soit dit en passant ces bouleversements dans la structure de la main-drsquoœuvre aucours des anneacutees 1990 ont et cest bien normal augmenteacute limpression dobsolescencedes compeacutetences chez un nombre significatif de personnes tout particuliegraverementparmi ceux qui sont le plus intimement lieacutes aux technologies anciennes Ces pressionsse reflegravetent dans la sensible augmentation des formations en entreprises et dans laspectaculaire expansion des inscriptions dans les faculteacutes tout particuliegraverement dansle premier cycle De ce fait lacircge moyen des eacutetudiants ne poursuivant pas en mecircmetemps une activiteacute reacutemuneacutereacutee a tregraves fortement augmenteacute au cours de ces derniegraveresanneacutees puisquun grand nombre de personnes ayant une expeacuterience professionnelleretournaient faire des eacutetudes Mais la notion dune obsolescence acceacuteleacutereacutee des compeacute-tences a eacutegalement conduit agrave une apparente bonne volonteacute des employeacutes agrave renonceragrave une hausse de leurs revenus et avantages au profit de la seacutecuriteacute de lemploi Et doncmalgreacute lincroyable eacutetroitesse du marcheacute du travail les augmentations de salairehoraire continuent agrave ecirctre relativement modestes

Coupleacutee avec la croissance acceacuteleacutereacutee de la productiviteacute la modeacuteration des salaires etdes avantages a permis de contenir laugmentation du coucirct du travail ce qui a freineacutelinflation et permis aux marges beacuteneacuteficiaires datteindre de hauts niveaux

Cest ce qui agrave son tour a apparemment constitueacute la force motrice qui au deacutebut delanneacutee 1995 a ameneacute les analystes boursiers agrave effectuer une reacutevision agrave la hausse deleurs projections de gains agrave long terme entreprise par entreprise Ces reacutevisions et labaisse des taux dinteacuterecirct constituent deux forces clefs sous-jacentes qui ont pousseacute lesinvestisseurs agrave deacuteclencher lun des marcheacutes haussiers les plus notables de lhistoire

Mais il ne sagit pas des seules forces existantes La seacutequence constitueacutee par un inves-tissement plus eacuteleveacute en capital une augmentation de la productiviteacute et une chute delinflation a elle aussi entretenu et fortifieacute lideacutee dune croissance stable agrave long termeLes gens avaient plus confiance en lavenir ce qui a eu pour conseacutequence une contrac-tion spectaculaire du coucirct du risque au cours de ces deux derniegraveres anneacutees jusquagrave unbas niveau pratiquement historique cet eacuteteacute tout reacutecemment Le coucirct du risque cest lecoucirct correspondant aux risques suppleacutementaires que les marcheacutes exigent de voir

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reacutemuneacuterer pour deacutetenir des actions plutocirct que des titres de creacuteance offrant une tran-quilliteacute absolue Quand les risques perccedilus pour lavenir sont bas les primes de risquesont basses elles aussi et les cours boursiers sont encore plus eacuteleveacutes que dans le con-texte dune espeacuterance de gains agrave long terme plus importants et de taux dinteacuterecirct plusbas et sans risque

Et donc la reacuteponse agrave lexistence dune nouvelle eacuteconomie amegravene agrave se poser une ques-tion essentielle les preacutevisions actuelles dune stabiliteacute future qui sont nettement plusoptimistes quil y a une dizaine danneacutees sont-elles justifieacutees par les changementsaffectant leacuteconomie Car si les preacutevisions dune stabiliteacute plus grande se confirmentles primes de risque resteront peu eacuteleveacutees Dans ce cas le coucirct du capital restera lui aussiagrave bas niveau ce qui entraicircnera une augmentation des investissements et du rythme dela croissance au moins pendant un certain temps

Deux consideacuterations sont donc essentielles dans laugmentation des valeurs dactifet de la croissance eacuteconomique la premiegravere consiste agrave se demander si le glissementvers le haut de lavance technologique va se prolonger la seconde a trait agrave lampleur dela confiance dans la stabiliteacute de lavenir que les consommateurs et les investisseursseront capables de soutenir

Concernant le premier point agrave quel rythme peut avancer la technologie qui aug-mente le nombre dopportuniteacutes dinvestissement agrave haut rendement ce qui engen-dre dautres espeacuterances de gains plus forts Les progregraves technologiques sont fortdifficiles agrave deacuteceler longtemps agrave lavance comme le prouvent de nombreux exemplesqui nous sont fournis par lhistoire Or les synergies particuliegraveres entre nouvelles etanciennes technologies sont en geacuteneacuteral trop complexes pour quune anticipationsoit possible

On ne peut prendre pleinement conscience du potentiel dune innovation quauterme dameacuteliorations de grande envergure ou dinnovations dans dautres domainesCharles Townes laureacuteat du prix Nobel pour ses travaux sur le laser rapporte que agrave lafin des anneacutees 1960 les avocats de Bells Labs avaient refuseacute de faire breveter le laser carils pensaient que celui-ci ne permettait aucune application dans le domaine des teacuteleacute-communications Cest seulement dans les anneacutees 1980 apregraves des ameacuteliorations con-sideacuterables dans la technologie des fibres optiques que lon a pris conscience delimportance du laser dans le secteur des teacuteleacutecommunications

Lavenir des avanceacutees technologiques peut ecirctre difficile agrave preacutevoir mais il est possibleque des technologies ayant deacutejagrave prouveacute leur utiliteacute naient pas encore eacuteteacute exploiteacuteestotalement Un certain nombre dentreprises indiquent que quand elles se trouventconfronteacutees dans un environnement concurrentiel agrave une hausse des coucircts ne pou-vant ecirctre reacutepercuteacutee elles sont capables de compenser cette hausse agrave volonteacute semble-t-il en adoptant des technologies plus nouvelles

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De telles situations semblent tregraves eacutetranges sil eacutetait possible de reacuteduire les coucircts agravevolonteacute pourquoi les investissements nont-ils pas eacuteteacute effectueacutes plus tocirct Ceci impli-que un comportement sous-optimal tout agrave fait contraire agrave ce qui senseigne dans lesuniversiteacutes Mais dans le monde reacuteel il est rare que les entreprises maximisent pleine-ment leurs profits elles se focalisent sur les seuls segments de leur activiteacute qui appa-raissent offrir les meilleures reacutecompenses et sont en geacuteneacuteral incapables dopeacuterersimultaneacutement sur tous les fronts en y deacuteployant une efficaciteacute maximale Cest donclors daugmentations de coucircts que les dirigeants dune entreprise concentrent leurattention sur les investissements afin den limiter les effets

Mais si cette baisse des coucircts agrave la demande est un pheacutenomegravene courant elle supposeune accumulation de projets inexploiteacutes au cours des derniegraveres anneacutees dans le cas ougraveelle serait reacuteelle cela impliquerait que le potentiel de gains continus de productiviteacute soitproche des taux eacuteleveacutes de ces deux derniegraveres anneacutees Mecircme si cest effectivement le casalors que seules des anecdotes le soutiennent il est peu vraisemblable que lon assiste surles 3 ou 5 prochaines anneacutees agrave une croissance de 13 par an du revenu par actioncomme lont reacutecemment suggeacutereacute les analystes en Bourse Cela supposerait une part deprofit toujours plus grande dans le revenu national agrave partir dun niveau qui est deacutejagrave eacuteleveacutesi on se reacutefegravere au passeacute Lhistoire nous montre que de telles conditions ont conduit agrave despressions sur le marcheacute du travail qui ont contrarieacute laugmentation ulteacuterieure des profits

La seconde consideacuteration sur le niveau daugmentation des valeurs dactifs est lasuivante jusquougrave peuvent chuter les primes de risque Le recul de linflation agrave desniveaux extrecircmement bas constitue en loccurrence un eacuteleacutement clef Le niveau croissantde confiance dans les reacutesultats futurs que lon a observeacute ces derniegraveres anneacutees est sansaucun doute lieacute agrave la baisse de linflation qui bien sucircr a repreacutesenteacute un facteur essentieldans la chute des taux dinteacuterecirct mais aussi et cest tregraves important dans celle des primesde risque Il est probable quune deacuteflation si elle devait se deacuteclarer augmenterait lincer-titude et entraicircnerait une reacuteeacutemergence dinquieacutetudes similaires agrave celles que lon constateen peacuteriode dinflation Agrave quasi stabiliteacute des prix le risque perccedilu du deacuteveloppement desaffaires serait donc agrave son niveau le plus bas et lon doit supposer que ce serait eacutegalementle cas pour les primes de risque En tout eacutetat de cause il existe une limitation dans letemps en-deccedilagrave de laquelle les investisseurs peuvent rationnellement escompter laveniravec un eacutetat desprit favorable et donc abaisser le niveau des primes de risque Actuelle-ment cette projection est possible sur les 20 ou 30 ans agrave venir mais au-delagrave

Des valeurs boursiegraveres eacuteleveacutees par rapport aux revenus et agrave la production repreacutesen-tent un risque dinstabiliteacute accru Comme je lai eacutevoqueacute preacuteceacutedemment une partie desgains en capital augmente la consommation et les revenus Dans la mesure ougrave lesvaleurs des actions sont manifestement plus variables que les revenus quand la partdes valeurs boursiegraveres augmente par rapport aux revenus et au PIB on peut sattendreagrave ce que leurs fluctuations affectent le PIB plus que quand ces valeurs sont basses

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Il est clair que dans le contexte actuel on est inciteacute agrave la prudence par lhistoire de cesgrands mouvements de balancier qui ont pour des raisons rationnelles ou non affecteacutela confiance des investisseurs et le niveau des primes de risque Nous avons reacuteappris aucours de ces derniegraveres semaines que de la mecircme faccedilon quun marcheacute boursier se sentindeacutefiniment en seacutecuriteacute tant quil est agrave la hausse et que prospegravere leacuteconomie il ne par-vient pas en peacuteriode de contraction agrave concevoir quune reprise soit possible Bien sucircrces impressions opposeacutees sont toutes deux erroneacutees mais du fait de la difficulteacute agrave ima-giner un revirement quand on est assailli par de telles eacutemotions les peacuteriodes deupho-rie ou de deacutesarroi ont tendance agrave sauto-alimenter En fait si tel neacutetait pas le cas il estvraisemblable que nexisteraient pas dans lactiviteacute eacuteconomique ces mouvements deflux et de reflux dorigine psychologique

Peut-ecirctre comme lavancent certains lrsquohistoire jouera-t-elle moins son rocircle de guideque par le passeacute Il y a toujours une part du futur qui ne se rattache agrave rien de ce qui apreacuteceacutedeacute Et il y a toujours de nouveaux records Ceci poseacute mon expeacuterience dobserva-teur au jour le jour de leacuteconomie ameacutericaine sur une dureacutee deacutepassant un demi-siegravecleme donne agrave penser que lon peut sattendre agrave ce que lavenir repose sur un continuumheacuteriteacute du passeacute pour une part importante et peut-ecirctre mecircme tregraves substantielleComme je lai deacutejagrave souligneacute la nature humaine est immuable dune geacuteneacuteration agravelautre et donc relie lavenir au passeacute de maniegravere inextricable

Neacuteanmoins jai indiqueacute et je reacutepegravete ici que je ne nie pas que au cours de ces derniegraveresanneacutees il y a eu une indeacuteniable ameacutelioration sous-jacente dans le fonctionnement desmarcheacutes ameacutericains et dans le rythme de deacuteveloppement des technologies de pointequi a deacutepasseacute toutes les preacutevisions

Dans les anneacutees 1990 on a assisteacute agrave une tregraves impressionnante augmentation deffi-caciteacute de nos actifs crsquoest-agrave-dire de notre capaciteacute de production thegraveme que jeacutevoquaispreacuteceacutedemment Alors que linvestissement brut a atteint un montant eacuteleveacute il eacutetaitcomposeacute ces derniegraveres anneacutees et dans une proportion significative dactifs de courtedureacutee se deacutepreacuteciant rapidement Malgreacute son acceacuteleacuteration reacutecente le taux de croissancedes actifs nets reste nettement au-dessous des taux les plus eacuteleveacutes afficheacutes pendant les50 ans qui viennent de seacutecouler

Malgreacute leacutelargissement des mouvements internationaux de capitaux au cours de cesderniegraveres deacutecennies une analyse empirique suggegravere que linvestissement inteacuterieurdeacutepend encore dans une large mesure de leacutepargne inteacuterieure et ce tout particuliegravere-ment agrave la marge Nombreux sont ceux qui ont deacutefendu de faccedilon convaincante et jesuis de ceux-lagrave la thegravese selon laquelle nous eacutepargnons trop peu Cette propension denos compatriotes a entraicircneacute une prime sur lutilisation effective dun capital rare et surla reacuteduction des opportuniteacutes dinvestissement offrant potentiellement une moindreproductiviteacute donc les moins profitables

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Cest lune des raisons pour lesquelles notre systegraveme financier qui a pour rocircle dassu-rer lutilisation productive du capital physique a eu une telle importance dans notreeacuteconomie notamment au cours de ces 20 derniegraveres anneacutees Dans les deacutecennies quiviennent de srsquoeacutecouler ce sont les signaux refleacuteteacutes dans les prix des actifs financiers lestaux drsquointeacuterecirct et la reacutepartition des risques qui mateacuterialisent la modification de la struc-ture de notre production et lrsquoeacutevolution de ce que les consommateurs valorisent Cecia confeacutereacute une valeur deacuteriveacutee significative agrave un systegraveme financier qui en est effective-ment capable et malgreacute de reacutecentes restrictions agrave une valorisation boursiegravere des ins-titutions qui forment ce systegraveme

Manifestement le niveau eacuteleveacute des retours sur investissements constitue lun desindices que notre capital physique est affecteacute agrave la production de biens et de servicesparticuliegraverement valoriseacutes par les consommateurs Un eacutequipement qui fabriqueraitun produit infeacuterieur ne trouverait pas gracircce parmi le public non plus quune route agravepeacuteage qui ne megravenerait nulle part ces offres engendreraient des profits neacutegatifs ouau-dessous de la normale et dans la plupart des cas il serait impossible de reacutecupeacuterersur la dureacutee de vie de lactif le montant de linvestissement augmenteacute du coucirct en capi-tal investi

Linvestissement en capital et laugmentation de la productiviteacute et du niveau de viepassent donc par une eacutepargne inteacuterieure adapteacutee mais si cette condition est neacuteces-saire elle nest pas suffisante

Prenons le cas de lancienne Union sovieacutetique les investissements y eacutetaient exces-sifs et la discipline que font reacutegner les prix de marcheacute nexistant pas ils ont fait lobjetdaffectations plus que malheureuses Les planificateurs avaient des preacutefeacuterences quideacutebouchaient sur un gaspillage de ressources importantes car ils autorisaient cesinvestissements dans des secteurs de leacuteconomie ougrave la production ne correspondait pasaux souhaits des consommateurs ceacutetait particuliegraverement le cas dans lrsquoindustrielourde Il nest donc pas surprenant que dans ce pays les ratios capitalproductionaient eacuteteacute plus eacuteleveacutes que dans les eacuteconomies occidentales de leacutepoque

Ce pheacutenomegravene de surinvestissement sobserve mecircme dans les eacuteconomies de marcheacutesophistiqueacutees Au Japon le taux deacutepargne et linvestissement brut ont eacuteteacute nettementplus eacuteleveacutes quaux USA mais le potentiel de croissance par habitant y est infeacuterieur aunocirctre On peut penser que les entraves qui affectent le systegraveme financier de ce pays con-tribuent au moins en partie agrave ce manque de performances eacuteconomiques

Pour autant il convient de srsquoabstenir de toute complaisance Crsquoest vrai la forte aug-mentation du marcheacute des valeurs a fortement stimuleacute la valeur nette deacutetenue par lesmeacutenages Mais alors que les gains en capital augmentent la valeur des actifs existantsils ne creacuteent pas directement les ressources neacutecessaires agrave linvestissement dans de nou-velles installations physiques Et cela seule leacutepargne tireacutee du revenu peut le faire

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En reacutesumeacute sur les 5 agrave 7 derniegraveres anneacutees ce qui a sans conteste repreacutesenteacute lune desmeilleures performances eacuteconomiques de notre histoire est soit annonciateur dunenouvelle eacuteconomie soit juste une version laquo cosmeacutetiseacutee raquo de lancienne le temps quipasse inexorablement nous le dira et jaurais tendance agrave penser que nos petits-enfantspuis leurs propres petits-enfants deacutebattront peacuteriodiquement du point de savoir silsvivent dans une nouvelle eacuteconomie

Pour qui ce boom

Extrait de Stephen S Roach laquo The Boom for Whom Revisiting AmericarsquosTechnology ParadoxJanuary 9 1998 Morgan Stanley Dean Witter

httpwwwmsdwcomGEFdatadigestssr19980112pdf

Jamais lrsquohistoire drsquoamour qursquoentretient lrsquoAmeacuterique avec les nouvelles technologies delrsquoEgravere de lrsquoInformation nrsquoa eacuteteacute aussi intense les sommes consacreacutees au hardware parles entreprises excegravedent maintenant 220 millions de $ par an ce qui repreacutesente et deloin le premier poste dans les budgets de deacutepenses drsquoinvestissement Pourtant il srsquoagitlagrave bien sucircr de la partie visible de lrsquoiceberg dans le coucirct drsquoune fonction technologiquequi compte eacutegalement le logiciel les exigences continuelles drsquoun cycle de remplace-ment de produits toujours plus court et des leacutegions de personnes qui travaillent agrave lagestion des systegravemes drsquoinformation Mais nombreux sont ceux qui croient qursquoil existedes signes indiquant aujourdrsquohui lrsquoimminence du remboursement du capital de cettefreacuteneacutesie technologique attendu depuis si longtemps Point nrsquoest besoin de remonterau-delagrave du laquo miracle raquo macro-eacuteconomique de 1997 anneacutee de croissance en flegravechenon accompagneacutee drsquoinflation Comment lrsquoeacuteconomie ameacutericaine aurait-elle pu entrerdans le pays leacutegendaire du nouveau paradigme autrement que pour une renaissancede productiviteacute conduite par la technologie

Les miracles de 1997 vont bien au-delagrave de lrsquoapparente disparition de lrsquoinflationLrsquoexplosion de lrsquoInternet la naissance du commerce eacutelectronique qui lui est correacuteleacuteeet lrsquoavegravenement de la plate-forme eacuteconomique mondiale entiegraverement en reacuteseau sontlargement consideacutereacutes comme de simples indicateurs de la puissance agrave lrsquoeacutetat brut dureacutetablissement de lrsquoAmeacuterique tireacute par les technologies eacutemergentes On doit agrave PeterSchwartz et Peter Leyden dans un reacutecent article publieacute dans Wired et devenu leacutegen-daire la plus acheveacutee des expressions de cette conviction Ils eacutecrivent que laquo nous som-mes sur la crecircte des premiegraveres vagues drsquoune eacuteconomie agrave forte expansion qui va durer25 ans raquo Crsquoest un conte qui promet quelque chose agrave chacun dont la fin de la pauvreteacuteet des tensions geacuteopolitiques et se termine par les miracles drsquoune reacutesurgence de lacroissance drsquoune productiviteacute dont le moteur est la technologie Cette saga futuristesrsquoest reacutepandue au point de devenir le manifeste de lrsquoegravere digitale

Preacutesenteacute sur cette toile de fond le preacutetendu paradoxe mdash longtemps fondeacute sur la convic-tion que les possibiliteacutes de rentabilisation macroeacuteconomique des nouvelles technologiesde lrsquoinformation est largement compromis mdash semble deacutesespeacutereacutement deacutepasseacute ou tout

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bonnement erroneacute Et malgreacute cela les deacutefis de base agrave lrsquoattrait et au battage meacutediatiquede lrsquoEgravere de lrsquoInformation ne trouvent pas de reacutepondant Finalement le deacutebat se reacutesumeagrave la productiviteacute repegravere de toute capaciteacute drsquoune eacuteconomie agrave creacuteer de la richesse agrave sou-tenir une concurrence et agrave geacuteneacuterer un niveau de vie eacuteleveacute Les nouvelles technologies etles perceacutees des applications qui leur sont associeacutees ont-elles maintenant atteint la massecritique qui peut veacuteritablement deacuteclencher lrsquoavegravenement drsquoune nouvelle egravere de crois-sance soutenue de productiviteacute susceptible de profiter agrave la nation tout entiegravere Ou leboom des anneacutees 1990 a-t-il plutocirct agrave voir avec une autre force totalement diffeacuterente agravesavoir la strateacutegie obstineacutee de reacuteduction des coucircts dans les entreprises qui a beacuteneacuteficieacute agraveun nombre eacutetonnamment restreint drsquoacteurs de lrsquoeacuteconomie ameacutericaine

Chapitre 2

Le paradoxe de Solow

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Le paradoxe de Solow sur la productiviteacute En quoi les ordinateurs contribuent-ils agrave la productiviteacute

Jack E TRIPLETT1

20 mai 1998

laquo Lrsquoegravere de lrsquoinformatique se constate partoutsauf dans les statistiques de productiviteacute raquo

Robert SOLOW 1987

On eacutevoque souvent lrsquoaphorisme de Solow eacutenonceacute voici maintenant plus de dix ansMais existe-t-il un paradoxe et si oui que peut-on en dire Dans cet article je me pro-pose de passer en revue et de commenter les laquo explications raquo qui ont eacuteteacute le plus cou-ramment apporteacutees agrave ce paradoxe Ces explications sont exposeacutees en preacuteambule etfont ulteacuterieurement lrsquoobjet drsquoun deacuteveloppement

On ne voit pas des ordinateurs laquo partout raquo au sens eacuteconomique et fort du terme les ordi-nateurs et mateacuteriels de traitement de lrsquoinformation repreacutesentent une proportion rela-tivement faible du PIB et du capital social

On a lrsquoimpression et seulement lrsquoimpression que les ordinateurs sont partoutLrsquoindice de prix heacutedonique des ordinateurs qursquoutilise le gouvernement chute laquo troprapidement raquo et donc lrsquoaugmentation reacuteelle de la production telle qursquoelle est mesureacuteeest elle aussi laquo trop rapide raquo

On ne voit pas des ordinateurs partout mais la production est peu mesureacute dans certains sec-teurs eacuteconomiques qui sont pourtant ceux ougrave on en voit le plus Ainsi par exemple la banqueet lrsquoassurance utilisent massivement les technologies de lrsquoinformation alors pourtantque le concept drsquooutput y est peu preacutecis

Que lrsquoon voie ou non des ordinateurs partout une partie du travail reacutealiseacute par ceux-ci nrsquoestpas comptabiliseacutee dans les statistiques Mentionnons agrave titre drsquoexemple la faciliteacute de tra-vail la commoditeacute drsquoutilisation lrsquoameacutelioration de lrsquointerface etc

1 JACK E TRIPLETT ancien Chief Economist du Bureau of Economic Analysis des Eacutetats-Unis est profes-seur deacuteconomie agrave la Brookings Institution agrave Washington (DC) Cet article a eacuteteacute publieacute initialement enanglais sous le titre laquoThe Solow Productivity Paradox What Do Computers Do to Productivityraquo Broo-kings Institution May 20 1998 (httpwwwcslscanewrevpaperhtml ou httpbrookingsorgesresearchproductivityrevpaperpdf) Traduit et reproduit avec lrsquoaimable autorisation de lrsquoauteur

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On ne voit pas encore les ordinateurs dans les statistiques de productiviteacute mais il suffitdrsquoattendre un peu On retrouve lagrave ce qui srsquoest passeacute en son temps pour lrsquoeacutelectriciteacute lrsquoimpact drsquoune nouvelle technologie sur la productiviteacute ne se constate qursquoau termedrsquoun long deacutecalage dans le temps

On voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productiviteacute parce que les ordi-nateurs ne sont pas aussi productifs qursquoon le croit

Il nrsquoy a pas de paradoxe certains eacuteconomistes eacutevaluent les innovations et les nouveaux pro-duits sur une eacutechelle arithmeacutetique alors qursquoelle devrait ecirctre logarithmique

Le paradoxe de Solow

Extrait de Erik Brynjolfsson (MIT Sloan School of Management amp Stanford BusinessSchool)) and Lorin Hitt (The Wharton School Univ of Pennsylvania) Beyond the Produc-

tivity Paradox Computers are the Catalyst for Bigger Changes June 1998

httpccsmiteduerikbpppdf

Linteacuterecirct pour le laquo paradoxe de la productiviteacute raquo a eacuteteacute deacuteclencheacute par une eacutetude simplemais provocante laquo Americas Technology Dilemma A Profile of the InformationEconomy raquo publieacutee en date du 22 avril 1987 dans la lettre eacuteconomique de MorganStanley et reacutealiseacutee par le responsable de son service eacuteconomique Steven Roach Celui-ci sattachait agrave expliquer pourquoi le taux de croissance de la productiviteacute constateacutedans leacuteconomie ameacutericaine avait nettement ralenti depuis 1973

Roach notait que la puissance informatique par col blanc avait augmenteacute consideacutera-blement au cours des deacutecennies 1970 et 1980 alors que dans le mecircme temps lacourbe de productiviteacute eacutetait plate Il en concluait que la formidable augmentation duparc informatique avait eu des reacutepercussions tregraves faibles sur les performances de leacuteco-nomie notamment dans les secteurs occupant un grand nombre de laquo travailleurs delinformation raquo

Dautres eacutetudes elles aussi aboutissaient agrave des conclusions similaires sur labsencedune correacutelation entre les investissements informatiques et la productiviteacute dans lesindustries manufacturiegraveres ou dans un eacutechantillon de divisions de grandes entreprisesDans un nombre limiteacute deacutetudes il eacutetait fait mention deffets positifs sur des eacuteleacutementsintermeacutediaires tels que la rentabiliteacute ou la part de marcheacute sans que lon puisse veacuterita-blement eacutetablir un lien avec le reacutesultat financier Par ailleurs malgreacute la consideacuterableaugmentation de puissance des ordinateurs les statistiques densemble indiquaientque la productiviteacute avait augmenteacute plus lentement depuis 1973 quentre 1950et 1973 Agrave la fin des anneacutees 80 on admettait communeacutement que lordinateur ne con-tribuait pas de faccedilon significative agrave la productiviteacute laquo Legravere de lordinateur se constatepartout sauf dans les statistiques de productiviteacute raquo reacutesumait Robert Solow dans laNew York Times Book Review (12 juillet 1987)

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Contexte

Agrave premiegravere vue le paradoxe de la productiviteacute se rattache agrave la question suivante pourquoi la production ameacutericaine nrsquoaugmente-t-elle pas plus vite alors que nousinvestissons toujours plus dans lrsquoinformatique Mais en fait lrsquoaphorisme de Solow tiretoute sa reacutesonance drsquoune question diffeacuterente encore que connexe lrsquoaugmentationdes investissements informatiques et les technologies de lrsquoinformation va-t-elle com-penser le ralentissement de la productiviteacute constateacute agrave partir de 1973 De 1948 agrave 1973la productiviteacute multi-facteurs a augmenteacute aux Eacutetats-Unis de 19 et la croissance dela productiviteacute du travail a crucirc selon un taux de 29 Apregraves 1973 ces taux ont chuteacuteagrave respectivement 02 et 11 1 On a constateacute des baisses similaires dans la plupart deseacuteconomies industrialiseacutees de lrsquoOCDE

Le contexte tient eacutegalement au meacutecanisme de diffusion des changements techni-ques dans lrsquoeacuteconomie Nombreux sont les eacuteconomistes qui considegraverent que lrsquoaugmen-tation de la productiviteacute se gagne gracircce aux investissements en nouvelles machinesEn adoptant ce point de vue quel que soit le changement technique que nous connais-sons aujourdrsquohui il doit ecirctre compteacute dans lrsquoinvestissement au titre des technologies delrsquoinformation puisque crsquoest le type drsquoinvestissement qui augmente en 1997 lesinvestissements en mateacuteriels de traitement de lrsquoinformation ont repreacutesenteacute 34 desinvestissements durables des producteurs ce qui est nettement plus que la part repreacute-senteacutee par les investissement en machines de production qui est de 22 2

Ces laquo nouvelles machines raquo alimentent un large deacutebat Il va de soi que agrave un certainniveau une nouvelle technologie se traduit par de nouvelles machines toutefois ilnrsquoest pas eacutevident que celles-ci soient le seul moteur des gains de productiviteacute En faitsi lrsquoon prend correctement en compte lrsquoaugmentation de productiviteacute imputable auxnouvelles machines autrement dit si lrsquoon effectue une correction qualitative sur lesdonneacutees concernant les inputs en capital on constate que les machines plus perfor-mantes ne vont pas participer aux gains de productiviteacute multi-facteurs mais qursquoellesvont geacuteneacuterer une augmentation de productiviteacute du travail habituelle

Le paradoxe de la productiviteacute des ordinateurs trouve aussi sa reacutesonance dans lefait que nous sommes devenus une eacuteconomie de lrsquoinformation comme on lrsquoentend

1 Source US Department of Labour (1998a 1998b)2 En 1977 ces parts eacutetaient de 22 pour le mateacuteriel de traitement de lrsquoinformation 26 pour les

eacutequipements industriels Dans les chiffres du Bureau of Economic Analysis la rubrique laquo Traitementde lrsquoinformation et mateacuteriels connexes raquo regroupe les cateacutegories Machines de bureau drsquoinformatiqueet de calcul (ce qui inclut les ordinateurs et leurs peacuteripheacuteriques) Eacutequipement de communication Ins-truments et Photocopie et mateacuteriels connexes En 1997 les ordinateurs et leurs peacuteripheacuteriques repreacute-sentaient environ 40 du poste Eacutequipement de traitement de lrsquoinformation et environ 14 du posteInvestissements en biens drsquoeacutequipement durables par les producteurs

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freacutequemment avancer sans pour autant que cette affirmation soit quantifieacutee Ondit souvent que les changements qualitatifs repreacutesentent aujourdrsquohui une partbeaucoup plus importante du rendement final que dans le passeacute ces changementsqualitatifs lrsquoapparition de produits plus personnaliseacutes et lrsquoaugmentation des ser-vices (dans la consommation des entreprises comme eacuteleacutements de la demande desconsommateurs comme contributeurs aux exportations ameacutericaines) exprimenttous une veacuteriteacute commune lrsquoinformation contribue nettement plus que par le passeacuteau processus de production Srsquoil est exact que lrsquoon assiste agrave lrsquoutilisation croissantede lrsquoinformation en tant qursquoinput productif ou srsquoil est vrai que lrsquoinformation estdevenue un input plus productif que par le passeacute ce rocircle renforceacute accentue enmecircme temps lrsquoimportance que revecirctent les technologies de lrsquoinformation dans uneeacuteconomie moderne

Ainsi donc lrsquointeacuterecirct du paradoxe de Solow tourne autour drsquoun certain nombre dequestions et problegravemes drsquoordre eacuteconomique qui ne sont pas reacutesolus il y a ce ralen-tissement de productiviteacute observeacute apregraves 1973 qui pour lrsquoinstant a reacutesisteacute agrave toutesles tentatives drsquoexplication Il y a ce glissement que lrsquoon a tendance agrave consideacuterercomme reacutecent drsquoune eacuteconomie de marchandises agrave une eacuteconomie de services enfait cette eacutevolution nrsquoest pas aussi reacutecente qursquoon veut bien le dire puisque en 1940plus de la moitieacute des salarieacutes ne travaillaient pas dans les secteurs traditionnels dela production de biens1 Il y a aussi cette eacutevolution vers une laquo eacuteconomie delrsquoinformation raquo ce qui caracteacuterisait lrsquoeacuteconomie auparavant ce nrsquoeacutetait certaine-ment pas une absence drsquoinformation mais sans doute une moindre abondance delrsquoinformation en raison de son prix plus eacuteleveacute Aucune de ces eacutevolutions eacuteconomi-ques nrsquoest veacuteritablement bien comprise or la compreacutehension de ces tendances aune grande importance dans le cadre des questions extrecircmement varieacutees de politi-que eacuteconomique le rocircle de lrsquoeacuteducation et de la formation dans lrsquoeacuteconomie le rocircledes investissements - donc celui des mesures drsquoencouragement et la fiscaliteacute desinvestissements - les facteurs deacuteterminants de la croissance la preacutevision des ten-dances dans la reacutepartition des revenus et bien drsquoautres sujets Sur chacune de cesquestions on considegravere que lrsquoinformatique et la contribution des technologies delrsquoinformation jouent un rocircle clef Ainsi par exemple Kreuger (1993) a deacutecouvertque les salarieacutes qui utilisaient des ordinateurs eacutetaient mieux reacutemuneacutereacutes que ceuxqui ne recouraient pas agrave lrsquoinformatique et en a conclu que les eacutevolutions deacutefavora-bles constateacutees ces derniegraveres anneacutees aux Eacutetats-Unis en matiegravere de montant et dereacutepartition de revenus avaient un lien avec lrsquoinformatisation Cette thegravese susciteun deacutebat elle aussi dans certains cas lrsquoordinateur remplace lrsquohomme comme il le

1 Les secteurs traditionnels de production de biens lrsquoAgriculture la sylviculture et la pecircche lesMines les Industries de transformation et le BTP occupaient 49 des salarieacutes et 49 de la laquo main-drsquoœuvre expeacuterimenteacutee raquo dans le recensement de 1940 (Statistical Abstract of the United States 1944)

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fait pour drsquoautres inputs et cette substitution reacuteduit la demande pour certains pos-tes celui de guichetier de banque par exemple

Il convient ici de mentionner des points de vue tregraves discordants se manifestant parun refus drsquoassocier le paradoxe de Solow agrave certaines questions Ainsi par exemple Gri-liches (1997) eacutenonccedilait ceci

laquo Mais nous voici toujours bloqueacutes par cette question du ralentissement des gains deproductiviteacute ce paradoxe qui repreacutesente un problegraveme mais pas un problegraveme informa-tique Le ralentissement est-il ou non reacuteel Ou est-ce simplement une question demesure Ou encore et crsquoest bien plus important est-il chronique ou transitoire Leparadoxe ne se pose pas tant en termes drsquoinformatique que dans la faccedilon dont sontaffecteacutes la science la creacuteativiteacute et bien drsquoautres activiteacutes raquo

Voici successivement preacutesenteacutees en sept rubriques les laquo explications raquo proposeacutees agrave ceparadoxe

1 On ne voit pas des ordinateurs laquo partout raquo au sens eacuteconomique et fort du terme

Ce qui compte en lrsquooccurrence crsquoest la quote-part des ordinateurs dans les actifs etdans les moyens de production mis en œuvre Or ces proportions sont faibles et unmoyen de production repreacutesentant une tregraves faible part ne peut pas apporter une grandecontribution agrave la croissance eacuteconomique il est donc vain drsquoespeacuterer des investisse-ments en ordinateurs un impact fort sur la croissance (dans cet article je parle drsquoordi-nateurs et eacutegalement drsquoeacutequipement informatique pour deacutesigner indiffeacuteremment lesordinateurs et leurs peacuteripheacuteriques llsquoexpression laquo eacutequipement de traitement delrsquoinformation raquo sera utiliseacutee pour deacutesigner une plus large cateacutegorie dont lrsquoordinateur etses peacuteripheacuteriques sont des composants)

Les eacutetudes les plus pousseacutees ont eacuteteacute reacutealiseacutees par Oliner et Sichel (1994) drsquoune partet par Jorgenson et Stiroh (1995) drsquoautre part Dans les deux cas les auteurs calculentlrsquoeacutequation de la croissance comptable

(1) dt Y = scdtKc + scdtKnc + sLdtL + dtπ

dans laquelle dtY = d Ydt repreacutesente le taux de croissance de la production dtKcdtKnc et dtL repreacutesentent les taux de croissance des facteurs de production Kc est lecapital employeacute en ordinateur Knc est le capital non employeacute en ordinateur et L est letravail

si = est la part de lrsquoinput i dtπ est la croissance de la productiviteacute multi-facteurs

Lrsquoeacutequation indique que le taux de croissance de la production (dtY) est eacutegal agrave la crois-sance pondeacutereacutee des moyens de production (par exemple scdtKc est le taux de crois-

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sance des investissements en ordinateurs pondeacutereacute par la part des investissements enordinateurs rapporteacutee aux investissements totaux) augmenteacute du taux de croissance dela productiviteacute multi-facteurs

Jorgenson et Stiroh (1995) estiment la part de capital employeacutee en ordinateur parlrsquoinvestissement en eacutequipement informatique en utilisant la structure comptableutiliseacutee par Jorgenson (1980 1989) Oliner et Sichel (1994) utilisent la part de reve-nus imputable aux ordinateurs et agrave leurs peacuteripheacuteriques Comme le montre letableau 1 p 106 les reacutesultats de ces deux eacutetudes sont compatibles Les ordinateurset leurs peacuteripheacuteriques ont apporteacute une contribution relativement faible agrave la crois-sance eacuteconomique mecircme pendant les anneacutees 1980 ougrave lrsquoinformatique srsquoest tregraves lar-gement diffuseacutee dans toute lrsquoeacuteconomie Dans lrsquoeacutequation comptable dereacutefeacuterence (1) quand un eacutequipement repreacutesente une part modeste sa contributionagrave la croissance est relativement faible mecircme dans le cas drsquoun taux de croissancerapide de lrsquoinput ce qui a effectivement eacuteteacute le cas des ordinateurs et de leurs peacuteri-pheacuteriques Comme on le voit dans le tableau 2 ceux-ci ne repreacutesententqursquoenviron 2 et peut-ecirctre mecircme moins

Oliner et Sichel eacutelargissent la deacutefinition des ordinateurs en englobant tous les mateacute-riels de traitement de lrsquoinformation (voir leur tableau 10 page 305) ainsi que le logicielet les personnes utilisant lrsquoordinateur (voir leur tableau 9 page 303) le reacutesultat srsquoentrouve inchangeacute Quelle que soit la deacutefinition retenue mdash mateacuteriel informatique mateacute-riel de traitement de lrsquoinformation ou combinaison entre le mateacuteriel le logiciel et letravail mdash les parts restent limiteacutees (voir le tableau 2 ci-apregraves) de mecircme que la contri-bution agrave la croissance des technologies de lrsquoinformation

Pour veacuterifier le bien-fondeacute de leurs conclusions Oliner et Sichel (1994) effectuentune simulation en partant du principe que les ordinateurs rapportent des reacutesultats au-dessus de la normale (lrsquoeacutequation (1) implique que les ordinateurs fournissent le mecircmetaux de retour que les autres investissements) Romer (1986) Brynjolfsson et Hitt(1996) ainsi que Lichtenberg (1993) ont tous soutenu ou laisseacute entendre que les ordi-nateurs donnaient de meilleurs retours que les autres investissements Leurs simula-tions amegravenent une augmentation de la contribution de lrsquoeacutequipement informatique agravela croissance (de 02 dans le tableau 1 agrave 03 ou 04) mais elles se heurtent toutes aumecircme problegraveme la part de lrsquoeacutequipement informatique est trop faible pour qursquounretour raisonnable sur investissement en ordinateurs se traduise par une importantecontribution agrave la croissance eacuteconomique

Les exercices comptables de la croissance mesurent la contribution des ordinateursagrave la croissance et non sa contribution agrave la productiviteacute multi-facteurs La comptabiliteacutede la croissance apporte une reacuteponse agrave la question laquo Pourquoi la productiviteacute nrsquoest-elle pas plus eacuteleveacutee raquo Comme le montre lrsquoeacutequation (1) la contribution agrave la croissanceeacuteconomique de la productiviteacute multi-facteurs est distincte de la contribution drsquoun

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input quel qursquoil soit mecircme celui des ordinateurs Si lrsquoon considegravere que le paradoxe dela productiviteacute srsquoapplique agrave la productiviteacute multi-facteurs les exercices comptables dela croissance nrsquoeacuteclairent pas beaucoup cela1

Changement de mesures

Extrait de Brent R Moulton GDP and the Digital Economy Keeping upwith the Changes BEA US Department of Commerce

Washington (DC) May 1999 httpmitpressmiteduUDEdemoultnpdf

Avant 1996 les Comptes de la Nation mesuraient les variations de la productionlaquo reacuteelle raquo crsquoest-agrave-dire corrigeacutee de lrsquoinflation en mesurant les changements de volumede la production sur la base des prix drsquoune anneacutee de reacutefeacuterence On savait que cettemeacutethode entraicircnait un biais car les prix srsquoeacutecartaient des niveaux de lrsquoanneacutee de reacutefeacute-rence mais on supposait que le changement des prix relatifs eacutetait suffisammentmodeste pour que la distorsion puisse ecirctre neacutegligeacutee Toutefois lorsque lrsquoon a introduitun meilleur indice des prix pour les ordinateurs il devint manifeste que la tendance agravela baisse de cet indice agrave la fois extrecircme et prolongeacutee deacutegradait gravement les mesuresagrave prix constant du PIB reacuteel la substitution du nouvel indice entraicircnait une sureacutevalua-tion dans les estimations de croissance du PIB de lrsquoordre de 1 Par ailleurs commele biais nrsquoeacutetait pas constant dans le temps on arrivait agrave des distorsions significativesdans la mesure des tendances de la croissance agrave long terme

Le Bureau of Economic Analysis entreprit alors un programme de recherche qui abou-tit agrave lrsquoadoption en janvier 1996 drsquoindices de prix et de quantiteacutes chaicircneacutes crsquoest-agrave-diredes indices pour lesquels les pondeacuterations eacutetaient mises agrave jour en permanence au lieudrsquoecirctre fixes En drsquoautres termes les prix utiliseacutes pour mesurer les eacutevolutions quantitati-ves drsquoune anneacutee sur lrsquoautre sont aujourdrsquohui ceux qui se pratiquent pendant les deuxanneacutees conseacutecutives faisant lrsquoobjet drsquoune comparaison Ces nouveaux indices corri-gent une distorsion haussiegravere dans la croissance du PIB la modification a donc desconseacutequences allant dans le sens inverse agrave celles qui avaient eacuteteacute entraicircneacutees par lrsquoincor-poration des nouveaux indices de prix des ordinateurs Les utilisateurs des donneacuteesfournies par les comptes de la Nation ont ducirc se familiariser avec ces mesures car eacutetantchaicircneacutees elles ne sont pas additives et elles requiegraverent certains changements dans lesmeacutethodes drsquoanalyse Ces transformations meacuteritaient toutefois drsquoecirctre opeacutereacutes car ellesont permis lrsquoeacutelimination drsquoune source majeure et significative de distorsion et drsquoutiliserles meilleures meacutethodes statistiques disponibles

1 Si on pense que le paradoxe de Solow se reacutefeacuterait agrave la productiviteacute du travail lrsquoaugmentation delrsquoinput en ordinateur affecterait la productiviteacute du travail mecircme si elle nrsquoaffecte pas la productiviteacutemulti-facteurs Il semble agrave moi comme agrave drsquoautres (par exemple David 1990) que Solow ait voulu parlerde productiviteacute multi-facteurs et non de productiviteacute du travail En tout eacutetat de cause la productiviteacutedu travail a elle aussi baisseacute apregraves 1973

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Dans les comptes de la croissance la croissance des ordinateurs est seulement la reacuteponsede la demande en moyens de production agrave la grande chute des prix des ordinateurs En faitJorgenson agrave lrsquooccasion de plusieurs preacutesentations de mecircme que Stiroh ont souligneacute cepoint Conformeacutement au cadre standard de lrsquoanalyse de la production lrsquoeacutenorme chute desprix de la puissance informatique a conduit agrave substituer les ordinateurs agrave tous les autresmoyens de production y compris les autres types drsquoinvestissements De ce point de vuelrsquoimpact eacuteconomique des ordinateurs nrsquoest pas du tout une affaire de productiviteacute

Cette substitution de moyen de production appelle une premiegravere reacuteserve car la pro-duction des ordinateurs (et donc lrsquoinvestissement en ordinateurs) est estimeacute par ajus-tement en dollars constants par recours aux indices de prix heacutedoniques desordinateurs Le prix et la quantiteacute ne sont pas estimeacutes seacutepareacutement Certains ont avanceacutele fait que la baisse de prix des ordinateurs est surestimeacutee dans les statistiques gouver-nementales (voir la section suivante) et si la diminution de prix est surestimeacutee lrsquoaug-mentation de lrsquoinput des ordinateurs lrsquoest eacutegalement et il existe donc une moindresubstitution que ce que laissent entendre les donneacutees

Une deuxiegraveme reacuteserve tient au fait que de nombreux eacuteconomistes semblent penserque la somme drsquoinnovations constateacutees dans lrsquoeacuteconomie autrement dit le nombre etlrsquoaspect persuasif des nouveaux produits y compris les nouvelles meacutethodes de produc-tion et les nouvelles prouesses technologiques repreacutesente plus que ce que lrsquoon auraitpu raisonnablement attendre drsquoune substitution de bien de production De ce point devue il doit eacutegalement y avoir un problegraveme de mesures erroneacutees indeacutependant de la vali-diteacute du problegraveme de la substitution Cette approche sera eacutevoqueacutee dans la section VII

Une troisiegraveme reacuteserve tient au fait que la productiviteacute globale du travail est basse eacutega-lement et que ce nrsquoest pas seulement la productiviteacute multi-facteurs qui est basse Si lesordinateurs se substituaient simplement agrave drsquoautres inputs on aboutirait agrave une aug-mentation de la productiviteacute du travail en raison de lrsquoaugmentation du capital par tecirctemecircme en lrsquoabsence de croissance de productiviteacute multi-facteurs Crsquoest preacuteciseacutement ceque deacutemontre Stiroh (1998) agrave lrsquoeacutechelle industrielle une utilisation plus intensive delrsquoordinateur augmente la productiviteacute du travail par substitution drsquoinput mais nrsquoaug-mente pas la productiviteacute multi-facteurs du secteur Au niveau global la part des ordi-nateurs est trop faible pour avoir une influence forte soit sur la croissance de laproduction soit sur la productiviteacute du travail

Bien que ne lrsquoayant pas fait de faccedilon implicite Flamm (1997) a reacuteinterpreacuteteacute le paradoxede productiviteacute de Solow en lrsquoappliquant aux semi-conducteurs laquo Lrsquoegravere des semi-conducteursse constate partout et pas seulement dans lrsquoindustrie informatique raquo Les indices de prix deces mateacuteriels ont chuteacute encore plus rapidement que le prix des ordinateurs (voir commen-taires dans la section II) et les semi-conducteurs se retrouvent aussi dans drsquoautres types demachines (systegravemes anti-blocage de freins ou systegravemes de suspension laquo intelligents raquo danslrsquoautomobile par exemple) Flamm calcule que pour le consommateur le surplus ducirc agrave la

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baisse des prix des semi-conducteurs est drsquoenviron 8 de la croissance annuelle du PIBce qui donne un total gigantesque pour toute lrsquohistoire des semi-conducteurs vieille de cin-quante ans Au niveau de lrsquoanalyse du paradoxe de la productiviteacute les reacutesultats de Flammne permettent pas de distinguer entre drsquoun cocircteacute la part de la demande en semi-conducteursimputable agrave la substitution drsquoinput (substitution drsquoordinateurs et autres mateacuteriels incorpo-rant des semi-conducteurs au deacutetriment des inputs nrsquoutilisant pas de semi-conducteurs) etde lrsquoautre cocircteacute la part de la demande en semi-conducteurs imputable agrave lrsquoameacutelioration deproductiviteacute des industries utilisatrices (si effectivement ils affectent la productiviteacute) Tou-tefois Flamm estime lrsquoeacutelasticiteacute de la croissance de la production par rapport agrave la demandeen semi-conducteurs agrave agrave peu pregraves huit fois lrsquoeacutelasticiteacute de leur prix par rapport agrave la demandePar ailleurs il estime agrave environ 02 pour ces derniegraveres anneacutees la contribution des semi-conducteurs au PIB ce chiffre est peut-ecirctre fortuitement similaire agrave celui calculeacute dans lescomptes de la croissance pour les ordinateurs

Pour reacutesumer les ordinateurs apportent une faible contribution agrave la croissance carils ne repreacutesentent qursquoune petite part de lrsquoinvestissement en capital Cette part reacuteduitesuggeacutererait-elle qursquoils ne peuvent pas non plus avoir une incidence sur laproductiviteacute Peut-ecirctre Il nrsquoen reste pas moins que le paradoxe conserve la faveurdont il jouit pour drsquoautres raisons qui sont exposeacutees dans les sections ci-dessous

2 On a lrsquoimpression et seulement lrsquoimpression que les ordinateurs sont partout

Lrsquoassertion selon laquelle lrsquoindice des prix des ordinateurs chute trop vite et doncque lrsquooutput des ordinateurs en dollars constants croicirct trop rapidement obeacuteit agrave plu-sieurs logiques qui ne sont pas particuliegraverement relieacutees

Denison (1989) a souleveacute deux arguments diffeacuterents contre les indices de prix heacutedoni-ques des ordinateurs que calcule la BEA1 Drsquoabord il a soutenu que la baisse des indices deprix de lrsquoinformatique nrsquoayant pas connu de preacuteceacutedent elle eacutetait suspecte Aujourdrsquohuion peut mettre cette objection de cocircteacute ce qui srsquoest passeacute aux Eacutetats-Unis srsquoest reproduit dansdrsquoautres pays ougrave lrsquoon a constateacute des chutes tout aussi rapides (pour la France voir Moreau1996) Les indices de prix heacutedoniques chutent encore plus rapidement pour les semi-con-ducteurs que pour les ordinateurs2 Trajtenberg (1996) a montreacute que les indices de prix

1 BEA Bureau of Economic Analysis2 Les travaux empiriques les plus importants sur lrsquoindice de prix des semi-conducteurs sont ceux de

Flamm (1993 1997) de Dulberger (1993) et de Grimm (1998) Triplett (1996) compare les indices deprix des ordinateurs des semi-conducteurs et des eacutequipements des industries de transformation incor-porant des semi-conducteurs

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heacutedoniques des scanners utiliseacutes en scannographie subissaient des baisses similaires agrave cel-les des ordinateurs Raff et Trajtenberg ont mis en eacutevidence des chutes importantes desindices de prix heacutedoniques dans lrsquoautomobile au deacutebut du XXe siegravecle Dans la plupart descas ces baisses nrsquoont pas eacuteteacute prises en compte par les statistiques conventionnelles ainsipar exemple lrsquoautomobile ne figure qursquoagrave partir des anneacutees 1930 ou 1940 dans les statisti-ques gouvernementales et celles-ci ne permettent mecircme pas aujourdrsquohui de deacuteterminerquel est le montant drsquoinvestissements en scannographie reacutealiseacutes par les hocircpitaux Si Deni-son ne voyait pas de preacuteceacutedent agrave cette baisse des prix de lrsquoinformatique crsquoest tout simple-ment qursquoaucune publication anteacuterieure nrsquoen mentionnait

Le second argument de Denison qursquoil opposait agrave tous les indices citeacutes ci-dessus con-sistait agrave dire que les indices de prix heacutedoniques eacutetaient de par leur concept mecircme ina-dapteacutes aux Comptes de la nation Il pensait qursquoils ne mesuraient que la disposition agravepayer pour des ameacuteliorations qualitatives (le cocircteacute demande du marcheacute) et non pour lecoucirct de production de cette augmentation de qualiteacute (le cocircteacute offre) Toutefois jrsquoaideacutemontreacute (1983 1989) qursquoil srsquoagit drsquoune proposition incorrecte mecircme si elle estpertinente en effet on peut interpreacuteter les mesures heacutedoniques aussi bien du cocircteacute delrsquooffre que de celui de la demande Denison avanccedilait par ailleurs que les mesures cocircteacutedemande et cocircteacute offre divergeaient dans le cas des ordinateurs or il nrsquoexiste pas de preu-ves suffisantes drsquoune telle divergence (voir Triplett 1993) Pour autant que je sache laposition de Denison sur lrsquoinadaptation conceptuelle des indices de prix ne trouve aucunsoutien actuellement il nrsquoest donc pas neacutecessaire de srsquoeacutetendre plus ici sur ce point

Concernant les indices de prix heacutedoniques il existe un autre raisonnement impor-tant mettant lrsquoaccent sur lrsquoutilisation de ces ordinateurs personnels qui se trouvent surde tregraves nombreux bureaux Leurs utilisateurs font souvent ce type de commentaire laquo Jeme servais peut-ecirctre du quart de la capaciteacute de mon ancien ordinateur maintenantjrsquoen ai un nouveau dont jrsquoutilise le dixiegraveme de la capaciteacute Ougrave est le progregraves raquo McCar-thy (1997 paragraphes 4 et 15) exprime un point de vue similaire

laquo Il est peu vraisemblable que lrsquoaugmentation theacuteorique du potentiel productif (desordinateurs) telle qursquoelle a eacuteteacute mesureacutee par les augmentations de leurs caracteacuteristiquesait jamais eacuteteacute reacutealiseacutee dans la pratique (hellip) Par ailleurs la taille et la complexiteacute crois-santes des systegravemes drsquoexploitation et du logiciel vont probablement entraicircner une aug-mentation de lrsquoinefficaciteacute relative entre mateacuteriel et logiciel (hellip) Et si la complexiteacute estplus grande il y a forceacutement une partie de la vitesse de lrsquoordinateur qui est deacutetourneacuteedu traitement pour geacuterer la complexiteacute accrue du logiciel raquo

En drsquoautres termes les ordinateurs personnels sont de plus en plus rapides et puis-sants leur meacutemoire est de plus en plus grande mais ils finissent par ecirctre utiliseacutes pourtaper du courrier alors que la vitesse de dactylographie nrsquoa pas fondamentalement eacutevo-lueacute Nrsquoest-ce pas la preuve que les indices de prix des ordinateurs chutent trop vite

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Personnellement je ne le pense pas Le fait de taper une lettre sollicite le hardwareet le software ainsi que la contribution de la personne qui dactylographie et qui est demoins en moins souvent une secreacutetaire Dans ce processus le goulet drsquoeacutetranglementtechnique se situe souvent au niveau de lrsquoutilisateur mais cela ne justifie pas que lrsquoonreacutevise agrave la hausse lrsquoindice des prix de lrsquoordinateur celui-ci a eacuteteacute acheteacute on a deacutejagrave payeacutesa capaciteacute et lrsquoaffirmation selon laquelle lrsquoacheteur aurait pu faire aussi bien avec unmateacuteriel drsquoune geacuteneacuteration preacuteceacutedente nrsquoest pas pertinente si tant est qursquoelle soit prou-veacutee Et drsquoailleurs effectivement ce nrsquoest pas prouveacute lrsquoaugmentation de capaciteacute desordinateurs a eacuteteacute reacutealiseacutee pour rendre lrsquoordinateur plus convivial et efficace et pas sim-plement pour qursquoil soit plus rapide (mais voir les sections IV et VI)

Un troisiegraveme eacuteleacutement srsquoest fait jour dans les travaux de McCarthy (1997) il srsquoagit drsquounarticle qui a susciteacute de nombreux commentaires dans les autres pays de lrsquoOCDE qui envi-sagent de suivre lrsquoinitiative ameacutericaine concernant les indices heacutedoniques de prix pour lesordinateurs McCarthy observe que les indices de prix sont typiquement inexistants pourle logiciel et se demande si les prix du logiciel ne baissent pas moins rapidement que ceuxdes ordinateurs Or on a fait une estimation des indices de prix pour les logiciels de traite-ment de texte les tableurs et les gestionnaires de base de donneacutees (Gandal 1994 Oliner etSichel 1994 Harhoff et Moch 1997) il se trouve que ces recherches corroborent lrsquohypo-thegravese de McCarthy et que effectivement les prix du logiciel ont connu une baisse reacutegu-liegravere mais selon un taux nrsquoayant rien de comparable avec ceux des ordinateurs

McCarthy soutient ensuite que le logiciel eacutetant souvent vendu en laquo bundle raquo aveclrsquoordinateur la baisse plus lente du prix du logiciel entraicircne une distorsion dans lesindices de prix des ordinateurs laquo La qualiteacute globale drsquoune offre informatique (ordina-teurs et logiciels associeacutes) nrsquoa pas augmenteacute aussi rapidement que celle des caracteacuteris-tiques fonctionnelles du mateacuteriel sur lesquelles se fondent les estimations heacutedoniquesdrsquoameacutelioration de la qualiteacute De ce fait on arrive agrave une surestimation des ajustementsqualitatifs utiliseacutes dans lrsquoestimation des deacuteflateurs de prix des investissements eninformatique et donc les baisses des investissements sont elles aussi sureacutevalueacutees(McCarthy 1997 alineacutea 8)

Cette thegravese peut ecirctre preacutesenteacutee de maniegravere plus convaincante si lrsquoon reformule ainsi ladeacuteclaration de McCarthy Un indice de prix drsquoordinateur peut ecirctre consideacutereacute comme unindice de prix correspondant agrave des caracteacuteristiques de la machine Supposons pour la commoditeacutede la deacutemonstration que les fonctions heacutedoniques sont lineacuteaires et que lrsquoindice de prix estlui aussi lineacuteaire (index Laspeyres)1 Dans ce cas srsquoil y a trois caracteacuteristiques vendues en pac-kage dans un ordinateur personnel vitesse (s) meacutemoire (m) et software (z) on a

1 Si lrsquoon ne procegravede pas agrave ces deux hypothegraveses simplificatrices lrsquoindice de prix devient une construc-tion extrecircmement complexe comme je lrsquoai indiqueacute dans Triplett (1989) ce qui complique inutilementla deacutemonstration Toutefois au niveau empirique la mesure est sensible aux deux hypothegraveses

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(2) Ic = aIs + bIm + cIz

Dans laquelle a b et c sont des pondeacuterations Lrsquoindice global de prix des ordinateurs (Ic)tel qursquoil devrait ecirctre calculeacute constitue le reacutesultat pondeacutereacute des trois caracteacuteristiques lieacutees agrave lamachine Toutefois dans lrsquoindice de prix retenu on neacuteglige lrsquoincidence du logiciel alors quecet eacuteleacutement est vendu avec lrsquoordinateur sans suppleacutement de prix Or lrsquoindice correspondantau logiciel baissant moins que les deux autres caracteacuteristiques (IzgtIs Ic) lrsquoindice de prix desordinateurs va chuter trop rapidement puisqursquoil est assis sur les deux autres caracteacuteristiquesLe mecircme argument peut srsquoappliquer sous une forme modifieacutee si on utilise dans les comp-tes nationaux un indice de prix pour le mateacuteriel dans lrsquoobjectif de corriger la valeur agrave la foisdu mateacuteriel et du logiciel peut-ecirctre parce qursquoil nrsquoexiste pas drsquoindice speacutecifique au logiciel

Si les indices de prix heacutedoniques eacutetaient effectivement constitueacutes en fonction de lameacutethode de laquo lrsquoindice de prix baseacute sur les diffeacuterentes caracteacuteristiques raquo (2) ci-dessus jerejoindrais McCarthy sur le fait qursquoils subissent effectivement une distorsion agrave la baisseLa distorsion serait la mecircme si on consideacuterait que la croissance veacuteritable de lrsquoinvestisse-ment en ordinateurs correspondait aux taux de croissance pondeacutereacutes des caracteacuteristiquesdu mateacuteriel (ce qui correspond agrave la forme sous laquelle McCarthy a fait sa deacutemonstration)

Quand on regarde les calculs effectueacutes on constate que le fait de neacutegliger le logicielentraicircne une distorsion agrave la hausse de lrsquoindice de prix des ordinateurs ce qui est con-traire agrave ce qursquoavance McCarthy Lrsquoindice est en fait calculeacute en ajustant qualitativementles prix constateacutes en fonction de la valeur attacheacutee aux modifications des caracteacuteristi-ques du mateacuteriel Supposons que nous observions les prix de deux ordinateurs diffeacute-rents et appelons respectivement ces prix Pc1 et Pc2 chacun de ces ordinateursconsiste en un package de vitesse de meacutemoire et de software Les coefficients heacutedoni-ques de reacutegression sur le hardware (vitesse et meacutemoire) servent agrave ajuster la diffeacuterencede prix entre les deux ordinateurs si on en change les caracteacuteristiques de vitesse et demeacutemoire On a donc lrsquoeacutequation suivante

(3) (Pc1) = Pc1 (hs [s2s1] + hm [m2m1

dans laquelle la partie gauche de lrsquoeacutegaliteacute repreacutesente le prix ajusteacute de lrsquoordinateur 1en fonction de sa qualiteacute agrave droite hi est le prix laquo heacutedonique raquo de la caracteacuteristique iet s et m repreacutesentent respectivement la vitesse et la meacutemoire Lrsquoindice des prix utilisede la faccedilon suivante le prix ajusteacute pour tenir compte de la qualiteacute

(4) Ic = Pc2(Pc1)

Lrsquoeacutequation (4) nrsquoincorpore aucun ajustement pour la quantiteacute de logiciel composantune partie du prix de lrsquoordinateur (par exemple hz [z2z1]) Si lrsquooffre inclut plus de logi-ciel ou un logiciel ameacutelioreacute lrsquoajustement qualitatif de lrsquoeacutequation 3 mdash (hs [s2s1] + hm[m2m1]) mdash est trop faible et non lrsquoinverse car lrsquoameacutelioration du logiciel ne fait lrsquoobjetdrsquoaucun ajustement Le prix ajusteacute (Pc1) est trop bas et non lrsquoinverse Autrement dit

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lrsquoindice de prix des ordinateurs chute trop lentement la distorsion est agrave la hausse etnon agrave la baisse ce qui est contraire agrave ce que preacutetend McCarthy1

De toute faccedilon la question nrsquoest pas que le prix du logiciel baisse plus rapidementque celui du mateacuteriel ou que la quantiteacute de logiciel vendue avec le mateacuteriel augmentemoins vite que le taux drsquoameacutelioration des caracteacuteristiques du mateacuteriel comme lavitesse ou la meacutemoire Lrsquoindice de prix pour lrsquooffre jointe ordinateurlogiciel ne baissepas suffisamment vite parce qursquoaucune correction nrsquoa eacuteteacute effectueacutee pour tenir comptede la valeur de lrsquoaugmentation de quantiteacute de logiciel implicitement cette quantiteacuteest consideacutereacutee comme ayant une valeur eacutegale agrave zeacutero

En conclusion aucune preuve ni aucun raisonnement nrsquoindiquent une forte distor-sion agrave la baisse de lrsquoindice de prix des ordinateurs Personnellement je suis en phaseavec Griliches (1994 page 6) quand il eacutecrit au sujet des indices de prix des ordinateurseacutelaboreacutes par le BEA

laquo Il nrsquoy avait pas de problegraveme au niveau de lrsquoindice lui-mecircme En fait cela a repreacute-senteacute une avanceacutee capitale (hellip) mais (hellip) il srsquoagissait drsquoun ajustement exceptionnel aucun autre produit de haute technologie nrsquoavait reccedilu pareil traitement (hellip) raquo2

3 On ne voit pas des ordinateurs partout mais leur contribution est peu mesureacutee danscertains secteurs eacuteconomiques qui sont pourtant ceux ougrave on en voit le plus

Griliches (1994) a noteacute que plus de 70 des investissements ameacutericains en ordina-teurs dans le secteur priveacute eacutetaient concentreacutes dans le commerce de gros ou de deacutetail la

1 En supposant que lrsquoexclusion du logiciel de la reacutegression heacutedonique nrsquoentraicircne pas de distorsiondes coefficients des variables incluses La distorsion de lrsquoindice de prix des variables exclues peut se faireagrave la hausse ou agrave la baisse en fonction de la correacutelation qui nrsquoest pas connue entre variables incluses etexclues et aussi des mouvements non observeacutes de la variable exclue2 Apregraves lrsquointroduction par le BEA des indices de prix heacutedoniques pour les eacutequipements informatiques

en 1985 de tels indices nrsquoont pas eacuteteacute eacutetendus agrave drsquoautres biens en raison de la combinaison de deuxfacteurs (a) un manque de ressources au sein du BEA Mecircme srsquoil existe une part de vrai agrave ce sujetlrsquolaquo Initiative Boskin raquo visant agrave lrsquoameacutelioration des statistiques eacuteconomiques est intervenue relativementpeu de temps apregraves (1989) et il nrsquoexistait pas drsquoapproche heacutedonique dans lrsquoInitiative Boskin parailleurs les ressources agrave allouer aux ameacuteliorations des indices de prix eacutetaient extrecircmement limiteacutees (USDepartment of Commerce 1990) (b) peut-ecirctre une mauvaise appreacuteciation par les deacutecideurs de lrsquoimpor-tance du travail effectueacute et une reacuteaction deacutemesureacutee dans ses proportions agrave une critique somme toutedouce de lrsquoexteacuterieur et agrave une autre critique plus appuyeacutee encore qursquoindirecte eacutemanant de lrsquointeacuterieurdu systegraveme de statistiques ameacutericains Mecircme srsquoil eacutetait aviseacute de laisser les choses se tasser un peu apregraveslrsquointroduction des indices de prix des ordinateurs il nrsquoen reste pas moins qursquoil srsquoest agi incontestable-ment de lrsquoinnovation qui a eu au plan international la plus grande porteacutee au plan des comptes natio-naux pendant toute la deacutecennie 1980 (sur certains aspects internationaux voir Wyckoff 1995)

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finance lrsquoassurance lrsquoimmobilier et les services (divisions F G H et I du Standard Indus-trial Classification System de 1987)1 Or il srsquoagit preacuteciseacutement des secteurs eacuteconomiquesougrave le rendement est le moins bien mesureacute et ougrave dans certains cas la notion mecircme de ren-dement est mal deacutefinie (lrsquoassurance la finance le conseil sont des exemples classiques)

Pourquoi ceci cet investissement en ordinateur ne srsquoest-il pas traduit par des gains visi-bles de productiviteacute Le principal eacuteleacutement de reacuteponse est simple lrsquoinvestissement est alleacutedans nos laquo secteurs non mesurables raquo et donc son influence sur la productiviteacute ne sereflegravete pas dans les statistiques mecircme si elle est tout agrave fait reacuteelle (Griliches 1994 page 11)

Qursquoil existe de seacuterieux problegravemes de mesure dans tous ces domaines est un fait bieneacutetabli Lrsquoouvrage de Griliches (1992) constitue un exemple relativement reacutecent de lalongue histoire des tentatives destineacutees agrave affiner les meacutethodes et les concepts appliqueacutesaux services Triplett (1992) preacutesente un autre rapport sur les problegravemes conceptuelsde quantification du rendement bancaire et Sherwood (publication attendue) traitele problegraveme de cette mesure dans le secteur de lrsquoassurance

Les services participent pour une large part agrave la production Ceux qui ont uneinfluence directe sur le PIB sont constitueacutes par les deacutepenses de consommation desmeacutenages et les exportations nettes et bien sucircr il est par ailleurs notoire que le rende-ment de toute lrsquoactiviteacute gouvernementale est tregraves mal mesureacute2 La consommation desservices nrsquoayant pas trait au logement repreacutesente environ 43 des deacutepenses person-nelles de consommation soit 29 du PIB et les exportations nettes de services pegravesentpour environ 13 dans le PIB

Les chiffres de productiviteacute ne sont pas calculeacutes pour le PIB total Il existe un mode BLS3

de calcul tregraves largement utiliseacute ayant pour reacutefeacuterence lrsquoeacuteconomie priveacutee Il est difficiledrsquoisoler de faccedilon explicite la composante Services dans cet agreacutegat Toutefois en sontmanifestement exclus les traitements des fonctionnaires verseacutees par le gouvernementla consommation en capital et les logements occupeacutes par leur proprieacutetaire et lrsquoon peutenlever ces composants du PIB pour obtenir une estimation grossiegravere de lrsquoeacuteconomie pri-veacutee (agricole et non agricole) (voir tableau 3) Les services ayant trait aux deacutepenses deconsommation non lieacutees au logement plus les exportations nettes de services repreacutesen-tent environ 43 de la demande finale du secteur priveacute hors immobilier

Les services repreacutesentent donc une grande part du ratio de la productiviteacute drsquoensemblemais ne sont pas correctement mesureacutes Il est bien eacutevident que le terme englobe un certain

1 Dans les donneacutees reacuteviseacutees des actifs du BEA ces secteurs repreacutesentent 723 des actifs en ordina-teurs pour lrsquoanneacutee de reacutefeacuterence 19922 La plupart des services regroupeacutes dans la division I du Standard Industrial Classification System

repreacutesentent des produits intermeacutediaires (services de consultants en eacuteconomie par exemple) ne ren-trant pas dans le PIB final3 Bureau of Labor Statistics

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nombre de services agrave la personne comme par exemple les transports urbains les salonsde coiffure ou drsquoestheacutetique etc qui nrsquoont sans doute pas profiteacute de faccedilon substantielle delrsquoameacutelioration de productiviteacute et donc de rendement apporteacutee par les ordinateursCependant dans certaines cateacutegories plus importantes de services une faible erreur demesure se reacutepercuterait fortement sur les statistiques de productiviteacute Si le signe (+ ou -) delrsquoerreur de mesure allait dans le bon sens les services faisant lrsquoobjet drsquoune quantificationerroneacutee pourraient nettement contribuer agrave reacutesoudre le paradoxe de la productiviteacute

Quel est le signe de lrsquoerreur de mesure dans le rendement des services Mecircme si unsecteur est mal quantifieacute on ne peut pas savoir de faccedilon certaine quel est le signe delrsquoerreur crsquoest-agrave-dire si elle intervient en plus ou en moins Une mauvaise mesure ne setraduit pas toujours par une distorsion haussiegravere de lrsquoindice des prix et une distorsionbaissiegravere dans le rendement et la productiviteacute

Ainsi par exemple la banque est un secteur dont la quantification nrsquoest pas satisfai-sante alors que son rendement pegravese lourd dans les Comptes de la nation La mesure durendement bancaire a fait lrsquoobjet de recherches consideacuterables dans diffeacuterentes voies jrsquoenai eacutevoqueacute de nombreuses dans Triplett 1992 mais il existe des eacutetudes plus reacutecentes Ber-ger et Merger (1997) et Fixler et Zieschang (1997) Ces autres mesures du rendement ban-caire sont pour moi bien plus justifieacutees que celles utiliseacutees pour les statistiquesgouvernementales1 Mais il ne semble pas qursquoelles indiquent un taux de croissance pluseacuteleveacute du rendement et de la productiviteacute du secteur Ainsi par exemple Berger et Mester(1997) soulignent que la productiviteacute multi-facteurs dans la banque a chuteacute agrave une peacuteriodeagrave laquelle augmentait fortement la mesure BLS de productiviteacute du travail dans la banque

Les autres mesures concernant la banque comme par exemple celles utiliseacutees par legouvernement precirctent le flanc agrave la critique car elles ne prennent pas en compte un cer-tain nombre drsquoeacuteleacutements par exemple le confort drsquoutilisation apporteacute agrave la clientegravele parles distributeurs automatiques de billets (DAB) Pour cette raison et pour bien drsquoautresBresnahan (1986) montre que lrsquoinfluence en aval des technologies de lrsquoinformation estsubstantielle Lors de discussions priveacutees il a par ailleurs mis lrsquoaccent sur le fait quelrsquoinnovation qui rendait inteacuteressante lrsquoutilisation du DAB eacutetait destineacutee agrave reacuteduire lafraude Mais Berger et Humphrey (1996) montrent que les DAB ont eu sur les coucircts ban-caires des effets pervers un retrait par distributeur coucircte agrave peu pregraves 50 de moinsqursquoagrave un guichet mais en revanche les transactions par DAB sont drsquoun montant moinsimportant et agrave volume total eacutegal de transactions sont deux fois plus nombreuses Sile distributeur a eu un faible impact sur les coucircts bancaires toutes les ameacuteliorationsapporteacutees par les DAB sur la productiviteacute des banques proviennent de lrsquoopinion duconsommateur qui y trouve plus de confort et nrsquoa plus peur de la fraude Mais dans la

1 La mesure de la production effectueacutee par le BLS utiliseacutee pour quantifier la productiviteacute du secteurbancaire repreacutesente une deacutefinition notablement diffeacuterente de la mesure utiliseacutee par le BEA pour calcu-ler les composants du PIB voir Triplett (1992)

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mesure ougrave un retrait par distributeur ne donne pas lieu agrave paiement de frais il faut esti-mer le beacuteneacutefice consommateur et lrsquoinclure dans la mesure de la production bancaire silrsquoon veut obtenir une estimation de la contribution de la technologie au rendement etagrave la productiviteacute du secteur bancaire

Le fait de tenir compte de ce plus produirait-il un fort ajustement agrave la hausse Frei et Har-ker (1997) ont rapporteacute qursquoune grande banque a tregraves rapidement perdu une partie impor-tante de sa clientegravele apregraves avoir chercheacute de faccedilon agressive agrave reacuteduire lrsquoaccegraves aux guichetsclassiques dans lrsquoespoir de reacuteduire ses coucircts Les clients veulent aussi avoir affaire agrave des gui-chetiers Mecircme si les DAB constituent incontestablement un avantage pour eux au-delagravedrsquoun certain seuil drsquoutilisation leur inteacuterecirct devient moindre que celle drsquoun guichetier

Ajouter une valorisation des DAB augmenterait probablement le taux mesureacute decroissance de la production des banques et donc leur productiviteacute Une ameacuteliorationde la mesure du rendement au niveau bancaire et financier contribuerait donc agrave reacutesou-dre le paradoxe Mais comme le suggegravere lrsquoeacutetude preacuteciteacutee une telle estimation est com-pliqueacutee et il est certain que les ordres de grandeur ne sont pas clairs

Certains eacuteconomistes ont abordeacute ce problegraveme de mesure dans les services en examinantpour ainsi dire les preuves drsquoun comportement anormal des statistiques dans certains desdomaines ougrave les mesures sont mauvaises Ainsi Stiroh (1998) utilise en lrsquoeacutelargissant lameacutethodologie de Jorgenson et Stiroh (1995) pour analyser la contribution des ordinateursagrave la croissance au niveau sectoriel Il identifie parmi 35 secteurs industriels ceux qui sont leplus utilisateur drsquoordinateurs Ces secteurs de services correspondent agrave ceux que Grilichesavait signaleacutes comme eacutetant mal mesureacutes commerces de gros et de deacutetail finance assu-rance immobilier services (division 1 du Standard Identification Classification System)

Stiroh constate que la croissance de la production non lieacutee aux ordinateurs a dimi-nueacute agrave mesure que la contribution des ordinateurs augmentait de faccedilon intensive dansles secteurs informatiseacutes Des ordinateurs moins chers se sont substitueacutes agrave drsquoautres fac-teurs de production y compris le travail Mais en mecircme temps les taux de croissancede la production mesureacutes augmentaient moins rapidement laquo Pour tous les secteursutilisant lrsquoordinateur (hellip) le taux moyen de croissance de la productiviteacute multi-fac-teurs a chuteacute alors que le capital (ordinateur) augmentait raquo (Stiroh 1998) Effective-ment il semble anormal drsquoavoir une correacutelation inverse entre lrsquoinvestissement enordinateurs et la croissance de la productiviteacute multi-facteurs voir aussi Morrison etBerndt (1991) qui parviennent agrave un reacutesultat similaire Soit les ordinateurs ne sont pasproductifs soit lrsquoaugmentation du rendement est sous-estimeacutee Cette anomalie estcoheacuterente avec lrsquohypothegravese drsquoune laquo mauvaise mesure des services raquo Toutefois elle seconstate eacutegalement dans les reacutesultats des travaux de Stiroh sur les industries de trans-formation utilisant lrsquoordinateur de faccedilon intensive par exemple celle des carriegraveres delrsquoargile ou du verre ougrave les problegravemes de mesure de la production sont sinon inexis-tants en tout cas peu connus

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Prescott (1997) note que les prix des services agrave la consommation qursquoil considegraverecomme laquo mal deacutefinis raquo (affaires domestiques parmi lesquels la finance et lrsquoassurancefigurant dans la liste de Griliches plus le logement occupeacute par son proprieacutetaire lessoins meacutedicaux et lrsquoenseignement) ont gonfleacute de 64 entre 1985 et 1995 tandis queles autres services ceux qui sont laquo raisonnablement bien deacutefinis raquo ont augmenteacute seu-lement de 40 Prescott y voit une erreur de mesure au niveau des anciens prix1 Lapreuve de la divergence de prix nrsquoest pas en elle-mecircme fascinante aucun principe eacuteco-nomique ne preacutetend que les prix devraient toujours eacutevoluer conjointement et il estcourant de constater dans la theacuteorie des indices de prix une divergence des prix relatifsMais si les indices de prix sont sur-estimeacutes alors la croissance de la production deacuteflateacuteeet la hausse de la productiviteacute multi-facteurs sont toutes deux sous-eacutevalueacutees

La Commission Boskin a estimeacute que lrsquoindice des prix agrave la consommation qui fournitdes deacuteflateurs agrave de nombreux composants des deacutepenses de consommation des meacutenages(PCE2) eacutetait au cours de ces derniegraveres anneacutees sur-eacutevalueacutes de 11 dont 04 corres-pondant agrave une mesure incorrecte des prix des services aux consommateurs Cela se tra-duirait dans une large mesure par une erreur dans lrsquoeacutevaluation de la production deacuteflateacuteedes services au sein des mesures de productiviteacute3 Pour que cette erreur de mesure expli-que le ralentissement de la croissance eacuteconomique de la productiviteacute ou de la consom-mation reacuteelle il faudrait qursquoelle ait augmenteacute depuis 1973 ce dont on nrsquoa pas de preuvessuffisantes ou que la part des secteurs mal mesureacutes ait augmenteacute or si les services onteffectivement augmenteacute leur part nrsquoa pas augmenteacute autant que la productiviteacute a baisseacuteEn outre lrsquoaugmentation de lrsquoerreur de mesure si elle srsquoest effectivement aggraveacutee au fildu temps a ducirc ecirctre progressive alors que la chute de la productiviteacute eacutetait brutale

1 Prescott (1997) inclut dans la cateacutegorie laquo mal deacutefinis raquo les services correspondant aux logementsoccupeacutes par leurs proprieacutetaires il srsquoappuie pour cela sur le fait qursquoune mesure de coucirct pour lrsquoutilisateurde services au logement est theacuteoriquement preacutefeacuterable agrave un loyer eacutequivalent au logement en questionparamegravetre qui est actuellement utiliseacute dans les comptes nationaux et dans lrsquoindice des prix agrave la con-sommation Dans la mesure ougrave le coucirct drsquoutilisation du capital a une valeur de location repreacutesenteacutee parla partie gauche de lrsquoeacutequation standard de Jorgenson (1989) le point de vue de Prescott ne peut pas ecirctretheacuteorique puisque les mesures du loyer et de lrsquooccupation par un proprieacutetaire devraient en theacuteorie ecirctreles mecircmes Je pense plutocirct qursquoil affirme implicitement que les estimations du coucirct drsquoutilisation fonc-tionnent mieux empiriquement dans le cas drsquoun logement occupeacute par son proprieacutetaire que dans celuidrsquoun logement loueacute Cette question de lrsquoempirisme a eacuteteacute tregraves abondamment exploreacutee dans la litteacuteratureeacuteconomique et lrsquoeacutevidence va contre lrsquoaffirmation de Prescott Voir Gillingham (1983) pour le cas drsquounlogement occupeacute par son proprieacutetaire et Harper Berndt et Wood (1989) pour lrsquoanalyse de problegravemescomparables dans lrsquoestimation du coucirct drsquoutilisation pour drsquoautres biens drsquoeacutequipement Je ne veux pasdire par lagrave qursquoil nrsquoexiste pas de problegraveme agrave mesurer le coucirct drsquoun logement occupeacute par son proprieacutetairejrsquoindique simplement que le raisonnement de Prescott ne semble pas coheacuterent avec les travaux empi-riques meneacutes sur le mecircme sujet2Personal Consumption Expenditures3 Jrsquoai commenteacute les estimations de distorsion reacutealiseacutees par la Commission Boskin et leurs implica-

tions au niveau de la mesure des deacutepenses de consommation des meacutenages (PCE reacuteel) et donc de la pro-ductiviteacute dans Triplett (1997)

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Je doute quant agrave moi que lrsquoaccentuation drsquoune mauvaise quantification de la consom-mation de services puisse expliquer le ralentissement apregraves 1973 de la consommationreacuteelle par habitant et donc de la productiviteacute Toutefois ces mesures erroneacutees pourraientexpliquer la perte drsquoune partie de la contribution des ordinateurs agrave la croissance sur unepeacuteriode couvrant agrave peu pregraves les vingt derniegraveres anneacutees qui viennent de srsquoeacutecouler

Au total la mauvaise mesure des services est sans doute affecteacutee du signe approprieacutepour reacutesoudre le paradoxe mais lrsquohypothegravese drsquoune mesure erroneacutee a-t-elle suffisam-ment de force pour le reacutesoudre en totaliteacute Je ne le pense pas

4 Que lrsquoon voie ou non des ordinateurs partout une partie du travail reacutealiseacute par ceux-ci nrsquoest pas comptabiliseacutee dans les statistiques

On trouve dans laquo Windows pour les Nuls raquo page 12 la phrase suivante laquo Windowsremplit lrsquoeacutecran avec plein de petites boicirctes et images rigolotes DOS crsquoest pour les gensqui ne mettent jamais drsquoautocollants sur leurs pare-chocs raquo

Plus loin ce manuel souligne agrave juste titre le fait que les images demandent une puis-sance nettement plus grande de lrsquoordinateur et que donc le fait drsquoutiliser Windows 95exige de disposer drsquoun ordinateur relativement puissant Un nombre consideacuterabledrsquoordinateurs et de logiciels reacutecemment lanceacutes sur le marcheacute a eacuteteacute conccedilu dans lrsquooptiquedrsquoune plus grande faciliteacute drsquoemploi

Mais ougrave donc dans les statistiques eacuteconomiques trouve-t-on comptabiliseacutee la valo-risation drsquoune meilleure commoditeacute et drsquoun meilleur interface Si ces eacuteleacutements sontproductifs autrement dit si par exemple les images et icocircnes permettent de faire plusde travail lrsquoameacutelioration en question va se retrouver dans les statistiques de producti-viteacute ou agrave tout le moins dans les donneacutees concernant la productiviteacute du travail

Drsquoun autre cocircteacute si les images sont juste destineacutees agrave apporter un cocircteacute laquo fun raquo jrsquoimagineqursquoun nouveau logiciel incorporant des graphiques agrave lrsquoeacutecran des controcircles laquo pointez-cliquez raquo et autres commoditeacutes entraicircne une consommation plus importante qursquoun logi-ciel plus ancien or cette consommation de travail ne figure nulle part dans les statisti-ques Si un logiciel contribue en partie agrave la production et en partie agrave rendre lrsquoutilisateurplus content de travailler une partie de ces gains est perdue au niveau des statistiques

Mecircme si je conviens qursquoun peu de laquo fun raquo ne nuit pas je soupccedilonne les technologuesdrsquoavoir exageacutereacute les meacuterites de ces raquo petites boicirctes et images rigolotes raquo On nrsquoa pas encorereacutesolu la question de savoir si les tout reacutecents deacuteveloppements concernant les ordina-teurs et les logiciels ont effectivement apporteacute de la convivialiteacute on nrsquoa drsquoailleurs pasnon plus trancheacute sur la justification du surcoucirct par rapport aux beacuteneacutefices apporteacutes

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Mais si les concepteurs de logiciels ont atteint leurs buts si les ordinateurs et logicielssont aujourdrsquohui plus souples et plus conviviaux et si la puissance de la machine quiest sur votre bureau est destineacutee agrave cet objectif les statistiques eacuteconomiques ne saisis-sent pas grand-chose de lrsquoameacutelioration de lrsquointerface

Lrsquoordinateur facilite par ailleurs la reacuteorganisation de lrsquoactiviteacute or les gains engen-dreacutes par cette reacuteorganisation peuvent eacutegalement ne pas figurer dans les statistiquesVoici un exemple que lrsquoon doit agrave Steiner (1995) lrsquoanalyse ne lui en revenant pas

Prenons un cas qui nrsquoest pas si hypotheacutetique celui drsquoune entreprise ameacutericaine speacute-cialiseacutee dans le jouet Gracircce agrave lrsquoinformatique et agrave des communications plus rapides etmoins chegraveres par lrsquoInternet cette socieacuteteacute a pu deacutevelopper son activiteacute jusqursquoagrave inteacutegrationglobale Aujourdrsquohui la direction baseacutee aux Eacutetats-Unis deacutetermine quels sont les pro-duits qursquoelle est susceptible de vendre aux USA conccediloit les jouets eacutelabore sa campagnemarketing et planifie la distribution Mais elle contracte avec tous les fabricants drsquoAsiequi ne sont pas forceacutement affilieacutes agrave lrsquoentreprise par le biais drsquoune participation Une foisles jouets fabriqueacutes ils sont expeacutedieacutes directement par bateau agrave des grossistes importantsinstalleacutes aux Eacutetats-Unis lrsquoentreprise ameacutericaine de jouets nrsquoa donc pas drsquoantenne com-merciale lui permettant de vendre au deacutetail des quantiteacutes importantes La facturation etles flux financiers sont assureacutees par une entiteacute eacutetrangegravere situeacutee disons aux BahamasDans cet exemple lrsquoordinateur et les technologies avanceacutees de lrsquoinformation ont permisagrave lrsquoentreprise ameacutericaine de jouets de reacutepartir les activiteacutes de fabrication de distributionet de suivi financier dans diffeacuterentes reacutegions du monde ougrave les coucircts sont les moins eacuteleveacutes

Du point de vue des actionnaires et des dirigeants lrsquoordinateur a apporteacute une forteaugmentation de la profitabiliteacute de lrsquoentreprise ceci poseacute ougrave ces gains se retrouvent-ils dans les statistiques ameacutericaines de productiviteacute

Les ressorts de lrsquoefficience

Extrait de Alan Greenspan laquo Information productivity and capital investment raquoThe Federal Reserve Board Remarks by Chairman Alan Greenspan

Before The Business Council Boca Raton Florida October 28 1999

httpwwwbogfrbfedusboarddocsspeeches1999199910282htm

La veacuteritable avalanche de donneacutees en temps reacuteel a favoriseacute une reacuteduction prononceacuteedes heures de travail neacutecessaires par uniteacute produite et une large expansion de nou-veaux produits dont la production a absorbeacute la force de travail qui nrsquoeacutetait plus indis-pensable pour soutenir le niveau et la composition anteacuterieurs de la production Cecontexte sur les cinq derniegraveres anneacutees srsquoest mateacuterialiseacute par une acceacuteleacuteration extrecircme-ment forte de la productiviteacute et en conseacutequence par une nette augmentation duniveau de vie du meacutenage Ameacutericain moyen

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Avant cette reacutevolution technologique la plupart des deacutecideurs dans les entreprises duXXe siegravecle eacutetaient handicapeacutes par une information moins abondante Nombre drsquoentrevous se rappellent qursquohier le bon fonctionnement des entreprises exigeait de preacutevoirdes redondances substantielles en raison du manque drsquoinformation sur les besoins desclients sur la localisation des stocks et sur les flux de matiegraveres drsquoœuvre au sein des com-plexes systegravemes de production

Ce doublonnage tant sur les mateacuteriaux que sur les employeacutes eacutetait indispensable pourcompenser en temps reacuteel les erreurs ineacutevitables drsquoappreacuteciation sur laquo lrsquoeacutetat raquo de lrsquoentre-prise Les deacutecisions se prenaient en fonction drsquoinformations vieilles de plusieurs heuresplusieurs jours voire mecircme plusieurs semaines De ce fait la planification de la produc-tion demandait des stocks de seacutecuriteacute extrecircmement coucircteux et des eacutequipes plus nom-breuses pour pouvoir reacuteagir agrave des situations impreacutevues ou mal eacutevalueacutees

Il reste bien sucircr de larges pans drsquoinformation qui restent inconnus et les preacutevisions deseacuteveacutenements dont deacutependent en dernier ressort les deacutecisions des entreprises demeurentdans un eacutetat drsquoincertitude ineacutevitable Pour autant au cours de ces derniegraveres anneacutees leremarquable essor observeacute dans la disponibiliteacute en temps utile des informations oppor-tunes a permis aux dirigeants de se passer largement du matelas de seacutecuriteacute repreacutesenteacutepar des stocks trop importants et certains salarieacutes qui faisaient double emploi

Le monde des entreprises est donc non seulement capable de reacuteagir avec unemeilleure preacutecision aux eacutevolutions de la demande mais en plus il offre des reacuteponsesplus rapides et plus efficaces Lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation en temps reacuteel qui deacutecoule parexemple de proceacutedeacutes tels lrsquoeacutechange de donneacutees informatiseacutees ou la localisation parsatellite des camions de livraison a favoriseacute la reacuteduction marqueacutee des deacutelais de livrai-son et des heures de travail neacutecessaires pour produire des biens de toute nature deslivres jusqursquoaux biens drsquoeacutequipement Cette situation a agrave son tour diminueacute la taille rela-tive des investissements neacutecessaires agrave la production des biens et services

Les proceacutedeacutes intermeacutediaire de production et de distribution qui eacutetaient absolumentessentiels agrave une peacuteriode ougrave la quantiteacute drsquoinformations et le controcircle qualiteacute laissaient agravedeacutesirer font actuellement lrsquoobjet drsquoune reacuteduction drsquoeacutechelle et parfois mecircme drsquoune eacuteli-mination Les sites Internet qui se font omnipreacutesents promettent une modification signi-ficative dans la faccedilon dont des pans entiers de nos systegravemes de distribution sont geacutereacutes

Dans lrsquoexemple que nous avons choisi lrsquoordinateur a augmenteacute la productiviteacute desfabricants asiatiques des armateurs libeacuteriens des eacutetablissements financiers des Caraiuml-bes en leur donnant un meilleur accegraves aux marcheacutes et agrave la distribution ameacutericains Laseule activiteacute restant agrave lrsquoentreprise ameacutericaine de jouets se reacuteduit agrave son eacutequipedirigeante ougrave est la mesure de lrsquooutput drsquoun eacutetat-major

Si lrsquoimpact de lrsquoordinateur sur la profitabiliteacute de cette entreprise participe effective-ment agrave la productiviteacute ameacutericaine le calcul de cette contribution exige que lrsquoon trouvedes meacutethodes permettant de tenir compte du design du marketing de la distribution

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et des activiteacutes de coordination reacutealiseacutes par lrsquoeacutequipe de direction or il srsquoagit lagrave drsquoactiviteacutesde services pour lesquels les outputs sont actuellement mesureacutes de faccedilon imparfaite1

5 On ne voit pas encore les ordinateurs dans les statistiques de productiviteacute mais ilsuffit drsquoattendre un peu

David (1990) a eacutetabli une analogie entre la diffusion de lrsquoeacutelectriciteacute et celle de lrsquoordi-nateur La connexion entre ces innovations tient selon lui au fait que toutes deuxlaquo forment les eacuteleacutements nodaux raquo des reacuteseaux et laquo occupent des positions clefs dans unetoile de relations techniques fortement compleacutementaires raquo Le paralleacutelisme desreacuteseaux amegravene David agrave preacutevoir que la diffusion des ordinateurs et les effets de ceux-cisur la productiviteacute suivront la mecircme eacutevolution sur une dureacutee prolongeacutee que lrsquoon aobserveacutee pour lrsquoeacutelectriciteacute

laquo Ce nrsquoest pas avant le deacutebut des anneacutees 1920 que lrsquoeacutelectrification des usines (hellip) aeu un impact sur lrsquoaugmentation de productiviteacute dans les secteurs industriels Agrave cetteeacutepoque agrave peine plus du quart de lrsquoeacutenergie meacutecanique eacutetait eacutelectrifieacute dans les uniteacutes deproduction (hellip) Or on eacutetait quatre deacutecennies apregraves lrsquoouverture de la premiegravere centraleeacutelectrique destineacutee aux entreprises raquo (David 1990 page 357)

Cette theacuteorie a fait lrsquoobjet drsquoune tregraves large diffusion dans la presse populaire

Que lrsquoordinateur ait ou non deacutejagrave atteint son potentiel maximal (voir la section VI)je doute que lrsquoanalogie avec lrsquoeacutelectriciteacute soit eacutedifiante Mokyr (1997) adresse drsquoailleursune mise en garde laquo Les analogies historiques sont tout aussi instructives qursquoelles peu-vent ecirctre trompeuses et elles deviennent plus dangereuses que partout ailleurs quandil srsquoagit de progregraves technologiques ougrave les changements sont impreacutevisibles cumulatifset irreacuteversibles raquo Les reacuteseaux respectifs des ordinateurs et de lrsquoeacutelectriciteacute peuvent ounon preacutesenter une analogie mais lrsquoordinateur diffegravere fondamentalement de lrsquoeacutelectri-citeacute par son comportement en termes de prix et donc par son scheacutema de diffusion

Plus de quarante ans ont passeacute depuis le lancement du premier ordinateur commer-cial Le coucirct de la puissance repreacutesente aujourdrsquohui moins de 00005 de ce qursquoil eacutetaitau moment de la preacutesentation du premier ordinateur (voir le tableau 4) Le prix de lapuissance a eacuteteacute diviseacute par plus de 2 000 en pregraves de 45 ans

On ne retrouve pas agrave la naissance de lrsquoeacutelectriciteacute une chute de prix drsquoune ampleurressemblant agrave celle-ci de pregraves ou de loin David note que les prix de lrsquoeacutelectriciteacute nrsquoontcommenceacute agrave baisser que dans la quatriegraveme deacutecennie suivant son introduction Nord-

1 Et en tout eacutetat de cause il nrsquoexiste pas actuellement de convention permettant de les imputer auxeacutetats-majors

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haus (1997) estime certes que le prix de lrsquoeacuteclairage par lumen a diminueacute de 85 entre 1883 et 1920 mais les deux tiers de cette baisse sont imputables agrave lrsquoaugmenta-tion drsquoefficaciteacute des ampoules et non agrave la production drsquoeacutelectriciteacute Sichel (1997) quantagrave lui arrive agrave une estimation diffeacuterente Gordon (1990) a reacutealiseacute des indices de prix desappareils geacuteneacuterateurs drsquoeacutelectriciteacute qui ne vont que jusqursquoagrave 1947 mais on voit maldans cet historique ce qui pourrait suggeacuterer une baisse des prix drsquoun niveau compara-ble mecircme de loin agrave celle qursquoont connue les ordinateurs

Dans la mesure ougrave lrsquoeacutevolution des prix est extrecircmement diffeacuterente drsquoun produit agrave lrsquoautreles modegraveles de diffusion de lrsquoeacutenergie eacutelectrique et de la puissance informatique sont eux aussifondamentalement dissemblables Dans la diffusion drsquoune innovation quelle qursquoelle soiton distingue deux sources de demande soit cette innovation supplante une ancienne tech-nologie pour effectuer les mecircmes choses soit elle facilite la reacutealisation de choses nouvelles

Au deacutepart lrsquoeacutelectriciteacute nrsquoa pas affecteacute les activiteacutes qui faisaient autrefois appel agravelrsquoeacutenergie hydraulique ou agrave la vapeur La manufacture qui eacutetait situeacutee pregraves drsquoun coursdrsquoeau dont elle obtenait son eacutenergie meacutecanique ne srsquoest pas convertie agrave lrsquoeacutelectriciteacute etsi elle ne lrsquoa pas fait crsquoest que lrsquoeacutenergie fournie par lrsquoeau restait moins chegravere pour elle en effet lrsquoeacutelectriciteacute aurait neacutecessiteacute une double transformation celle de lrsquoeacutenergiehydraulique en eacutenergie eacutelectrique puis en eacutenergie meacutecanique1 En revanche lrsquoeacutelectri-citeacute a permis lrsquoimplantation drsquousines agrave distance des cours drsquoeau et donc sa diffusionsrsquoest accompagneacutee agrave lrsquoorigine de nouvelles faccedilons de faire Crsquoest seulement agrave lrsquoissuedrsquoune longue peacuteriode que sa production a affecteacute ce qui se faisait auparavant en recou-rant agrave lrsquoeacutenergie hydraulique ou agrave la vapeur

Pour ce qui concerne le processus de diffusion de lrsquoordinateur les premiegraveres applica-tions ont supplanteacute des technologies anciennes de calcul2 Lrsquoeacutenergie hydraulique ou lavapeur ont surveacutecu longtemps agrave lrsquoapparition de lrsquoeacutelectriciteacute mais les machines de cal-

1 David (1990 page 357) note la ldquonon-profitabiliteacute du remplacement de sites de transformationencore exploitables et preacutesentant des technologies de production recourant agrave lrsquoeacutenergie meacutecanique pro-venant de lrsquoeau et de la vapeurrdquo Il fait remarquer que ldquoles applications de lrsquoeacutenergie eacutelectrique ontattendu que se deacutepreacutecient ulteacuterieurement les structures industrielles agrave longue dureacutee de vierdquo Le fait queles industriels aient attendu que leurs eacutequipements fonctionnant agrave lrsquoeacutenergie hydraulique ne soient plusutilisables avant de les remplacer par des eacutequipements eacutelectriques vient confirmer de faccedilon eacuteloquentela puissance de lrsquoimpact prix et lrsquoobsolescence affectant les ordinateurs lrsquoeacutevidence suggegravere que les ordi-nateurs ne se deacuteteacuteriorent pas de faccedilon substantielle agrave lrsquousage (Oliner 1993) mais pour autant combienreste-t-il en service de machines datant de la premiegravere ou de la deuxiegraveme deacutecennie de lrsquoegravere delrsquoinformatique Lrsquoordinateur et lrsquoeacutelectriciteacute ont des histoires diffeacuterentes et non pas similaires2 Pour illustrer ce point mentionnons Longley (1967) qui a montreacute que les algorithmes drsquoinversion

de matrice dans les premiers programmes de reacutegression des ordinateurs eacutetaient deacutetermineacutes drsquoapregraves desmeacutethodes simplifieacutees utiliseacutees pour les calculatrices meacutecaniques et contenaient donc des erreurs quiaffectaient les coefficients de reacutegression au premier ou deuxiegraveme chiffres significatifs A lrsquoorigine lesconcepteurs de ces meacutethodes plus rapides et moins oneacutereuses nrsquoont pas tireacute parti de la vitesse des ordi-nateurs pour ameacuteliorer la preacutecision des calculs simplement ils ont ldquoinformatiseacuterdquo ce qui se pratiquaitauparavant

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cul existant avant lrsquoordinateur ont disparu depuis fort longtemps deacutejagrave Nos assistantsde recherche utilisent-ils encore des calculatrices Marchant si tant est qursquoils sachentde quoi il srsquoagit La baisse forte et continue du prix des ordinateurs contribue depuisbien des anneacutees agrave peser dans la deacutecision de remplacer les calculatrices cartes perforeacuteeset autres outils de mecircme nature par des machines modernes de la mecircme faccedilon que enson temps le moulin a ceacutedeacute la place agrave lrsquoeacutenergie hydraulique

Dans lrsquohistoire de lrsquoeacutelectriciteacute lrsquoextension agrave de nouvelles applications a preacuteceacutedeacute leremplacement des meacutethodes anciennes parce que le prix de lrsquoeacutelectriciteacute ne rendait pascelles-ci immeacutediatement obsolegravetes Dans le cas de lrsquoordinateur la disparition desanciennes meacutethodes a deacutebuteacute immeacutediatement lrsquoobsolescence eacutetant acceacuteleacutereacutee par larapide chute des prix de lrsquoinformatique

Mecircme si certaines applications nouvelles de la puissance de lrsquoordinateur consti-tuent de prodigieuses ameacuteliorations en termes de possibiliteacutes lrsquoeffet prix reste extrecirc-mement important lui aussi Quand on passe agrave lrsquoinformatisation ce sont lesmeacutethodes les plus valoriseacutees qui sont implanteacutees en premier lieu Agrave mesure que lapuissance informatique devient moins chegravere les nouvelles installations ont unevaleur moindre et sont marginales Ce principe est suggeacutereacute par les taux drsquoutilisation ainsi par exemple quand jrsquoeacutetais en troisiegraveme cycle jrsquoemportais mes cartes perforeacuteesau centre informatique et lagrave jrsquoattendais un ordinateur qui eacutetait cher alors que jrsquoavaispeu de moyens Aujourdrsquohui crsquoest lrsquoordinateur que jrsquoai sur mon bureau quimrsquoattend et ce nrsquoest pas tant que je pegravese beaucoup plus financiegraverement crsquoest plutocirctqursquoil est devenu si bon marcheacute qursquoon peut lrsquoutiliser pour des activiteacutes qui ne sont pasen elles-mecircmes particuliegraverement valoriseacutees

Quand on compare les quarante premiegraveres anneacutees de lrsquoeacutenergie eacutelectrique et de lapuissance informatique on constate que mille choses au moins seacuteparent ces deuxinnovations Et ce que lrsquoon sait sur leurs processus respectifs de diffusion concorde avectoutes ces diffeacuterences En fait il est inconcevable qursquoil en soit autrement et donc je necrois pas que lrsquohistoire de la diffusion de lrsquoeacutenergie eacutelectrique telle que lrsquoa deacutecrite Davidait quoi que ce soit agrave voir avec lrsquohistoire et les perspectives de lrsquoinformatique

6 On voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productiviteacute parce queles ordinateurs ne sont pas aussi productifs qursquoon le croit

Dans un dessin humoristique de Dilbert dateacute du 5 mai 1997 on lit que laquo la totaliteacutedu temps passeacute par les hommes agrave attendre le chargement des pages de Web (hellip) annuletous les gains de productiviteacute de lrsquoegravere de lrsquoinformation raquo Dilbert nrsquoest certainement pas

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le seul racircleur agrave srsquoecirctre demandeacute si lrsquoexpansion des technologies de lrsquoinformation srsquoeacutetaittraduite par des beacuteneacutefices correspondant soit agrave lrsquoinvestissement soit agrave la forte aug-mentation de la vitesse des ordinateurs

Crsquoest un lieu commun de dire que lrsquohistoire de lrsquoordinateur se reacutesume au remplace-ment constant drsquoune technologie par une autre Mais ces progregraves technologiques tregravesrapides ont pour contrepartie un taux drsquoobsolescence absolument vertigineux quimegravene au rebut des pans entiers drsquoinvestissements alors que les machines sont encoreen eacutetat de fonctionnement Si celles-ci avaient eacuteteacute conserveacutees le flux de services seraitplus grand aujourdrsquohui mais guegravere de beaucoup En effet un ordinateur personneleacutequipeacute drsquoune puce 8086 atteignait 033 MIPS (une mesure de vitesse) en 1978 unordinateur baseacute sur Pentium offrait 150 MIPS en 1994 et leur vitesse est de plus de 200actuellement Donc si elles avaient eacuteteacute gardeacutees toutes les machines 8086 qui ont eacuteteacuteconstruites ne contribueraient que tregraves marginalement au stock total actuel de MIPSinstalleacutes

Ceci poseacute mecircme si elles ne valent plus grand-chose aujourdrsquohui ces machines 8086 ontapporteacute de reacuteelles ressources agrave la production entre 1978 et 1982 peacuteriode agrave laquelle ellesconstituaient des mateacuteriels de pointe Or il nrsquoexiste pas actuellement de retour pour les res-sources substantielles qui ont eacuteteacute investies dans les ordinateurs dans un passeacute reacutecent

Il ne srsquoagit pas uniquement du mateacuteriel on entend parler de nombreux projets delaquo refonte des systegravemes informatiques raquo agrave un coucirct prohibitif Il sont traiteacutes de faccedilonanecdotique dans la presse quand il srsquoagit de projets tregraves coucircteux ou encore quand lrsquoundrsquoentre eux a connu la honte de lrsquoeacutechec apregraves avoir englouti une masse drsquoinvestisse-ments Les exemples abondent en la matiegravere comme lrsquoeacutechec qui a coucircteacute il y a plusieursanneacutees plus de 3 milliards de dollars agrave lrsquoInternal Revenue Service1 ou plus reacutecemmentle projet Medicare qui a eacuteteacute tregraves critiqueacute Dans un certain nombre drsquoorganisationslrsquoeacutetude drsquoun projet de refonte du systegraveme informatique fait presque toujours preacutetendreque lrsquoancien systegraveme est deacutepasseacute et doit ecirctre remplaceacute par un nouveau Agrave la une de soneacutedition du 30 avril 1998 le Wall Street Journal indique que laquo 42 des projets drsquoentre-prise concernant les nouvelles technologies sont abandonneacutes avant achegravevement raquo etque laquo 50 des projets ne reacutepondent pas aux attentes des dirigeants raquo Le bug delrsquoan 2000 pourrait venir compleacuteter le tableau encore qursquoil srsquoagisse plus drsquoun problegravemede management ou drsquoun logiciel qui aurait eacuteteacute utiliseacute plus longtemps que ne le preacute-voyaient ses concepteurs plutocirct que drsquoune question inheacuterente agrave la relation ordina-teurprogramme

Pour ce qui concerne les ordinateurs personnels on assiste agrave des lancements en per-manence de nouveaux systegravemes drsquoexploitation traitements de texte etc Mecircme si tou-tes les nouvelles versions repreacutesentaient une ameacutelioration substantielle pour les

1 Lrsquoeacutequivalent drsquoune Direction des Impocircts (NdT)

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utilisateurs il faudrait se poser la question de leur coucirct de remplacement Nombreuxsont ceux qui dans lrsquoindustrie informatique ou dans drsquoautres secteurs se demandentsi ces coucircts de conversion ont eacuteteacute correctement pris en compte dans le cycle de renou-vellement La plupart des utilisateurs ont-ils vraiment besoin drsquoun logiciel dernier cri En attendant les mises agrave jour se succegravedent

Raff et Trajtenberg (1997) montrent que la baisse des prix des voitures coupleacutee avecune ameacutelioration de la qualiteacute qui a marqueacute les deacutebuts de lrsquohistoire de lrsquoautomobileest comparable agrave celle des ordinateurs Il existe toutefois une notable diffeacuterence crsquoestque pour un grand nombre drsquoacheteurs de voitures la Ford T eacutetait largement suffi-sante Ses conducteurs nrsquoavaient pas besoin drsquoecirctre agrave la pointe de la technologie mecircmesi certains voulaient absolument ce qui se faisait de mieux Le fait que lrsquoindustrie infor-matique nrsquoait pas reacuteussi agrave produire lrsquoeacutequivalent drsquoun modegravele T constitue peut-ecirctre lamanifestation drsquoun manque de discipline des ingeacutenieurs mais peut-ecirctre aussi lapreuve de diffeacuterences fondamentales entre les marcheacutes informatique et automobileQuand on achetait une Ford T drsquooccasion on pouvait la conduire sur les mecircmes routesque si on srsquoeacutetait eacutequipeacute drsquoun modegravele neuf agrave lrsquoinverse il nrsquoest plus possible de se servirdrsquoun vieil ordinateur sur les nouvelles autoroutes de lrsquoinformation De surcroicirct ontrouvait toujours quelqursquoun pour reacuteparer un modegravele ancien de voiture alors que lemarcheacute de lrsquoapregraves-vente drsquoordinateurs est loin drsquoavoir connu la mecircme croissance quecelui des ordinateurs neufs

Toutes ces nouvelles versions se traduisent-elles par une augmentation de producti-viteacute ou sont-elles inutiles Les opinions divergent sur ce sujet On peut faire les mecircmestacircches en traitement de texte avec une technologie nouvelle qursquoavec une ancienneQuelle est la valeur des ameacuteliorations marginales en termes de confort ou de vitessepar exemple Peut-ecirctre nrsquoest-elle pas si forte comme lrsquoaffirment certains utilisateursmais en tout eacutetat de cause elle repreacutesente un faible coucirct dans la toute nouvelle techno-logie Ainsi les graphiques et les icocircnes occupent une part non neacutegligeable de la capa-citeacute mais dans la mesure ougrave cette capaciteacute est peu oneacutereuse dans les deacuteveloppementstechnologiques les plus reacutecents le coucirct diffeacuterentiel venant en contrepartie de lrsquooffre degraphiques et icocircnes est faible et ces eacuteleacutements sont donc incorporeacutes dans les logicielssortis derniegraverement Les techniciens considegraverent que srsquoil est possible de fournir agrave faiblecoucirct aux utilisateurs une petite icocircne animeacutee qui indique qursquoune page est en coursdrsquoimpression il nrsquoy a pas de raison de srsquoen priver De la mecircme faccedilon si on peut offrirpour un coucirct modique un choix extraordinaire de menus pourquoi ne pas le faire

Les esprits chagrins feront remarquer que le fait drsquoajouter toutes ces caracteacuteristiquesdonne au bout du compte un ordinateur de plus en plus puissant offrant une capaciteacutede meacutemoire de plus en plus grande mais qui effectue la plupart des tacircches plus lente-ment qursquoun modegravele drsquoordinateur plus ancien et moins puissant Un 386 avec un sys-tegraveme drsquoexploitation et un traitement de texte des premiegraveres geacuteneacuterations est peut-ecirctre

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plus rapide pour certaines opeacuterations qursquoun Pentium offrant les technologies les plusreacutecentes en la matiegravere Pour beacuteneacuteficier des avantages de la derniegravere mise agrave jour drsquountraitement de texte il faut parfois engager des sommes importantes de mise agrave jour delrsquoordinateur et du systegraveme drsquoexploitation et il arrive mecircme que lrsquoon soit contraint derenoncer agrave un certain nombre de possibiliteacutes offertes par lrsquoancien systegraveme mais nondisponibles sur le nouveau On serait donc bien loin du point de vue purement tech-nologique exprimeacute par les programmeurs

Le choix des menus se traduit lui aussi par un coucirct Ainsi par exemple ma derniegraveremessagerie eacutelectronique offre un choix beaucoup plus vaste que la preacuteceacutedente maispour effectuer certaines tacircches il faut maintenant que je frappe plus de touches parailleurs le systegraveme est plus lent que lrsquoancien agrave exeacutecuter certains ordres Il srsquoagit en faitlagrave de lrsquoapplication agrave lrsquoinformatique drsquoun principe eacuteconomique geacuteneacuteral qui veut quealors qursquoil existe un deacutesir de disposer drsquoopportuniteacutes de choix de plus en plus nombreu-ses le fait drsquoopeacuterer des choix est une deacutemarche coucircteuse et donc je refuse drsquoecirctre forceacutede choisir dans un menu qui est de plus en plus fourni

Certains professionnels de lrsquoinformatique srsquoeacutetonnent par ailleurs des orientationsprises reacutecemment par les creacuteateurs de logiciels Ainsi par exemple on trouve agrave la pre-miegravere page du New York Times du 24 juin 1997 en section C cette opinion deMichael Dertouzos laquo Qualifier un ordinateur de convivial simplement parce qursquoiloffre un choix infini de polices de caractegraveres et de fonds drsquoeacutecran cela revient agrave vouloirfaire croire qursquoun chimpanzeacute est chirurgien parce qursquoon lui a passeacute une blousedrsquohocircpital raquo

Par ailleurs lrsquoutilisateur est conscient mecircme si le programmeur ne lrsquoest pas que lechangement lui-mecircme est coucircteux Il ne srsquoagit pas uniquement du coucirct drsquoacquisitiondrsquoune nouvelle version de logiciel ou du coucirct drsquoinstallation et de parameacutetrage le faitdrsquoapprendre les nouvelles commandes et de deacutesapprendre les anciennes se traduit luiaussi en termes financiers et de faccedilon substantielle1 Le coucirct du temps des utilisateursrepreacutesente sans aucun doute la composante la plus importante quand on veut chif-frer les conseacutequences drsquoun changement il est nettement plus eacuteleveacute que les coucirctsdirects Or traditionnellement seuls ceux-ci sont pris en compte dans la comptabi-liteacute des entreprises alors que les laquo temps morts raquo constituent un poids qui obegravere laproductiviteacute Blinder et Quandt (1997) insistent eacutegalement sur les coucircts drsquoapprentis-sage et drsquoobsolescence qui sont des freins au potentiel de gains de productiviteacute desordinateurs

1 Il serait bien difficile de ne pas se demander si on nrsquoaurait pas pu eacuteviter une bonne partie de ce coucirctdans lrsquohypothegravese ougrave lrsquoon aurait conserveacute les anciens symboles et icocircnes dans les nouvelles versionsLrsquoanalogie avec le clavier QWERTY de la machine agrave eacutecrire qui a eacuteteacute conserveacute sur les ordinateurs est toutagrave fait pertinente pourquoi ne constate-t-on pas une inertie similaire dans le software au niveau descommandes et des icocircnes

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Les porte-parole de lrsquoindustrie informatique se plaisent agrave eacutevoquer lrsquoanalogie entre lesgains technologiques de leur secteur drsquoactiviteacute et la mise agrave disposition des consomma-teurs drsquoune Rolls-Royce qui irait agrave 300 kmh ne consommerait que 4 litres aux 100 etne coucircterait que 100 dollars Quand on lui parle de progregraves en informatique le rabat-joie entend plutocirct la version suivante laquo On vous fournit un logiciel eacutequivalent agrave unenouvelle route agrave peacuteage mais pour pouvoir emprunter celle-ci il faut drsquoabord acheterun nouvel ordinateur eacutequivalent agrave une Rolls-Royce en plus vous ne pourrez plus con-duire sur lrsquoancienne route qui avait eacuteteacute inteacutegralement payeacutee parce qursquoon ne va pluslrsquoentretenir raquo

Pour autant en regravegle geacuteneacuterale et de faccedilon tregraves nette les gens ne laissent pas passerles derniegraveres ameacuteliorations pour garder lrsquoancienne technologie ou en tout cas il nele font pas tregraves longtemps Il est troublant de recourir pour en donner une explica-tion agrave une certaine forme drsquoeacutechec du marcheacute allant agrave lrsquoopposeacute du cas si deacutecrieacute deMicrosoft et de sa situation de monopole Srsquoil existe une explication au paradoxeinformatique relative agrave un gacircchis il faut plutocirct chercher du cocircteacute drsquoun eacutechec mana-geacuterial ou drsquoun manque de prise de deacutecision de la part des utilisateurs drsquoordinateurs etde logiciels

Si les deacutecisions prises dans le passeacute concernant les ordinateurs srsquoavegraverent inefficacesque dire de lrsquoavenir Une faccedilon drsquoenvisager les choses consiste agrave dire que quand onaura appris agrave utiliser les ordinateurs le futur promet de satisfaire les espoirs si souventdeacuteccedilus du passeacute Les ordinateurs sont productifs ce sont les hommes qui ne les ont pasutiliseacutes de maniegravere productive Et ces machines ameacutelioreront la productiviteacute agrave lrsquoavenirmecircme si elles ne lrsquoont pas fait dans le passeacute Autrement dit le rendement veacuteritable desordinateurs est plus important dans lrsquoavenir que ce qui a eacuteteacute mesureacute jusqursquoagrave preacutesent Etsi lrsquoapport veacuteritable ou potentiel est nettement plus important il faut que lrsquoeacuteconomieinvestisse dans les ordinateurs plus encore qursquoelle ne lrsquoa fait jusqursquoagrave preacutesent

Mais si les deacutecisions prises dans le passeacute ont eacuteteacute mauvaises ou inapproprieacutees celapeut vouloir dire aussi que lrsquoon a deacutejagrave trop investi dans les ordinateurs qui srsquoavegraverentmoins productifs qursquoon lrsquoavait penseacute au moment ougrave ont eacuteteacute prises les deacutecisions drsquoinfor-matisation Un tel cas de figure augure moins bien de lrsquoavenir comme crsquoest en geacuteneacuteralle cas en lrsquooccurrence ce que nous ont apporteacute pour lrsquoinstant les recherches sur ce pointne va pas au-delagrave du regard poseacute par Dilbert sur le sujet

Pour terminer eacutevoquons un dernier point Lrsquoordinateur a peut-ecirctre entre autrestalents celui de reacuteduire les coucircts de certains comportements la recherche drsquoune loca-tion par exemple ou encore de favoriser les situations drsquoeacutemulation en oligopole lesstrateacutegies de partage de marcheacutes etc Il a permis par exemple drsquoexeacutecuter un plus grandnombre drsquoopeacuterations de bourse en simultaneacute Bresnahan Milgrom et Paul (1992) onteacutetudieacute la valeur drsquoune richesse plus importante en informations sur le marcheacute boursierIls en ont conclu que ce surcroicirct drsquoinformations ne contribuait pas agrave la productiviteacute

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parce que ces informations ne concernaient que les personnes recevant des gains ellesnrsquoaugmentaient donc pas le gain social de lrsquoactiviteacute boursiegravere tout entiegravere Ceci vientmettre lrsquoaccent sur le fait qursquoil ne faut pas confondre lrsquoimpact de lrsquoordinateur sur lespersonnes ou les entreprises et ses effets sur lrsquoeacuteconomie nationale Dans certains cason ne constate pas drsquoeffet net agrave lrsquoeacutechelle eacuteconomique les gains se faisant au deacutetrimentdrsquoautres personnes ou entreprises

7 Il nrsquoy a pas de paradoxe certains eacuteconomistes eacutevaluent les innovations et les nou-veaux produits sur une eacutechelle arithmeacutetique alors qursquoelle devrait ecirctre logarithmique

Pour de nombreux eacuteconomistes et notamment les eacuteconomistes drsquoentreprises ledeacutebat preacuteceacutedent nrsquoest pas satisfaisant Ils voient plus drsquoeacutevolutions techniques plus denouveaux produits plus de changements dans le service aux consommateurs dans lesmeacutethodes de livraison et dans drsquoautres secteurs innovants que ne le laissent entendreles statistiques gouvernementales en termes de productiviteacute et cette incoheacuterence estselon eux constitutive du paradoxe Nous sommes agrave cet eacutegard dans une laquo nouvelleeacuteconomie raquo inondeacutes drsquoun flot drsquoinnovations et de nouveaux produits qui nrsquoa pas depreacuteceacutedent et rien de ce flot nrsquoest pris en compte dans les chiffres concernant la produc-tiviteacute

Cette position est reprise par les journaux les magazines eacuteconomiques et aussi lesbulletins de la Reacuteserve feacutedeacuterale et srsquoentend eacutegalement lors de confeacuterences Il est vraiqursquoautrefois tous les produits eacutetaient standardiseacutes et faciles agrave mesurer dit-on aujourdrsquohui en revanche on nous indique un flot de nouveaux produits drsquoameacuteliora-tions qualitatives et de produits sur mesure correspondant agrave des niches les cycles desproduits se raccourcissent et de nouveaux services dans des secteurs tels que la banqueou la finance sont mis en place avec une rapiditeacute ineacutedite Crsquoest agrave un point tel que lepreacutesident de la Reacuteserve feacutedeacuterale a indiqueacute que le niveau actuel drsquoinnovations techno-logiques constituait un pheacutenomegravene se produisant une fois par siegravecle qui entraicircneraitune augmentation spectaculaire de la productiviteacute

Du point de vue de la nouvelle eacuteconomie le paradoxe de la productiviteacute nrsquoest pasveacuteritablement un paradoxe lieacute agrave lrsquoordinateur les gens ont tendance agrave engranger desanecdotes sur le sujet qui peuvent eacutemaner de leur propre entreprise ou provenir de lalecture de journaux ou encore avoir eacuteteacute raconteacutees par des tiers Lrsquoaccumulation de tou-tes ces histoires ne semble pas coheacuterente avec lrsquoaugmentation modeste des chiffressur la productiviteacute De ce point de vue on nrsquoest pas tant dans la conviction que lrsquoordi-nateur a augmenteacute la productiviteacute que dans la conviction que la productiviteacute a aug-

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menteacute mais sur la base drsquoautres preuves En effet la phrase de Solow (1987) preacuteceacutedantimmeacutediatement son ceacutelegravebre aphorisme soulegraveve le mecircme point laquo [Les auteurs] sontsouvent gecircneacutes par le fait que ce que chacun pense avoir repreacutesenteacute une reacutevolution techno-logique un changement radical dans nos vies productives srsquoaccompagne partout (hellip)drsquoun ralentissement de lrsquoaugmentation de productiviteacute et non par une acceacuteleacuteration raquo

Par conseacutequent lrsquoordinateur a constitueacute un signal ou peut-ecirctre un symbole de toutecette productiviteacute par lrsquoinnovation et les nouveaux produits que lrsquoon imaginait Il afourni une logique permettant drsquoexpliquer pourquoi eacutetait exacte la perception que lerythme de lrsquoeacutevolution technique srsquoacceacuteleacuterait et pourquoi eacutetaient fausses les statisti-ques sur la productiviteacute Crsquoest pour cette raison que les eacuteconomistes ont pris le para-doxe au seacuterieux Ce nrsquoest pas tant que lrsquoon pouvait ou non voir des ordinateurs partoutou qursquoils eacutetaient productifs ou encore que certaines de leurs utilisations srsquoanalysaienten gaspillage ou encore les sections 1 agrave 6 du preacutesent article Crsquoest plutocirct que lrsquoordina-teur donnait une creacutedibiliteacute agrave toutes les choses nouvelles que les eacuteconomistes pen-saient voir de faccedilon anecdotique mais qui nrsquoapparaissaient pas dans les chiffresglobaux de productiviteacute

Ces anecdotes sur les nouveaux produits les nouveaux services les nouvellesmeacutethodes de distribution et les nouvelles technologies constituent sans aucun doutedes observations valables Bien que personne ne sache comment faire le compte de cesnouveauteacutes il nrsquoy a pas agrave discuter sur le fait qursquoelles sont plus nombreuses que jamaisde nos jours Ceci poseacute ces anecdotes manquent totalement drsquoune perspective histo-rique et en ce sens sont trompeuses quand on les considegravere comme des preuves deproductiviteacute

Pour qursquoexiste un impact sur la productiviteacute il faut que le taux de creacuteation de nou-veaux produits et drsquoapparition de nouvelles technologies soit plus grand que dans lepasseacute comme le montre un simple exemple chiffreacute Supposons que toutes les ameacutelio-rations de productiviteacute proviennent du deacuteveloppement de nouveaux produits Suppo-sons par ailleurs que agrave lrsquoanneacutee A0 il existe 100 produits et que dix pour cent soientnouveaux Pour que le taux de productiviteacute soit en augmentation constante il faudraque soient creacuteeacutes 11 nouveaux produits lrsquoanneacutee suivante et 12 nouveaux produitslrsquoanneacutee A2 Si lrsquoon maintient constant ce taux de productiviteacute il faudra creacuteer26 nouveaux produits au bout de 10 ans 62 produits au bout de 20 ans et ainsi desuite en suivant une progression arithmeacutetique Au fil de la croissance de lrsquoeacuteconomie ilfaut donc un nombre toujours plus important de nouveaux produits pour garder untaux constant de croissance de productiviteacute

La plupart des anecdotes consideacutereacutees comme constituant la preuve drsquoune laquo nouvelleeacuteconomie raquo amegravenent agrave penser que effectivement il y a bien un nombre plus grand denouveauteacutes mais cela ne veut pas neacutecessairement dire que le taux de nouveauteacutes soitplus grand Ainsi par exemple de nombreux eacuteconomistes considegraverent que le nombre

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accru de reacutefeacuterences dans un supermarcheacute constitue la preuve drsquoun choix plus vasteoffert au consommateur drsquoinnovations marketing etc1 Diewert et Fox (1997tableau 5) rapportent que en 1994 il y a deux fois plus de produits dans un supermar-cheacute moyen qursquoen 1972 respectivement 19 000 et 9 000 Mais le taux de croissancepour la peacuteriode 1948-1972 (2 200 produits en 1948 et 9 000 en 1972) eacutetait plus de qua-tre fois supeacuterieur agrave celui de la peacuteriode 1972-1994 on notera par ailleurs que ces deuxpeacuteriodes sont de longueur agrave peu pregraves eacutegale Par conseacutequent il est vrai que lrsquoon trouveplus de produits dans les supermarcheacutes en 1994 que vingt ans auparavant pourtantle taux de croissance a chuteacute

Il existe drsquoautres illustrations de cette mecircme deacutemonstration Ainsi par exemple laCommission Boskin preacutesente comme un gain en bien-ecirctre le fait de disposer de vinsfins importeacutes La baisse des coucircts de transport permet de trouver aux Eacutetats-Unis desvins australiens agrave bas prix et presque au mecircme prix qursquoen Australie Il y a donc bienune augmentation du nombre de produits disponibles et en ce sens on peut parlerdrsquoun progregraves Pour autant peut-on dire que cette augmentation entraicircne un accroisse-ment proportionnel plus important en termes drsquoopportuniteacutes de choix et de consom-mation que les augmentations survenues dans le passeacute

Diewert (1993) donne en exemple deacutejagrave releveacute par Alfred Marshall le cas drsquoun nou-veau produit au XIXe siegravecle La baisse des coucircts de transport rendue possible notam-ment gracircce au chemin de fer a permis drsquoacheminer du poisson frais depuis les cocirctesvers lrsquointeacuterieur du pays et ce pour la premiegravere fois en Angleterre au milieu du XIXe

siegravecle Mokyr (1997) observe que laquo lrsquoaugmentation importante de la qualiteacute et de lavarieacuteteacute des biens de consommation est une caracteacuteristique indeacuteniable de la reacutevolu-tion industrielle en Angleterre Cependant la classe ouvriegravere consacre toujourslrsquoessentiel de son revenu agrave se nourrir et agrave se loger raquo Si lrsquoon considegravere le tregraves petit nom-bre de biens de consommation accessibles agrave lrsquoouvrier moyen et mecircme en tenantcompte du fait que le poisson frais eacutetait agrave lrsquoorigine consommeacute principalement par lesclasses moyennes peut-on dire que lrsquointroduction du poisson frais repreacutesente uneaugmentation du nombre de nouveaux produits moindre que la disponibiliteacute envins drsquoAustralie et autres produits similaires au siegravecle suivant Jrsquoaurais tendance agravepenser que la meilleure reacuteponse consiste agrave dire que nous nrsquoen savons rien Mais nousavons aussi examineacute la deacutecennie 1990 selon une perspective historique beaucouptrop courte

Sur un point voisin Mokyr (1997) eacutevoque laquo les ameacuteliorations consideacuterables dans lescommunications au cours du XIXe siegravecle que lrsquoon doit au teacuteleacutegraphe et qui pour la pre-miegravere fois ont permis agrave lrsquoinformation de circuler plus vite que lrsquohomme (hellip) Lrsquoinven-

1 Il convient drsquoexprimer des reacuteserves sur cette interpreacutetation concernant le nombre de produits quelrsquoon trouve dans les supermarcheacutes

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tion du timbre-poste agrave un penny dans les anneacutees 1840 a fait beaucoup plus pour lescommunications que tout ce qui se pratiquait auparavant Sa contribution marginalene fut sans aucun doute pas infeacuterieure agrave celle de Netscape agrave une eacutepoque reacutecente raquo

On pourrait continuer ainsi Lrsquoexemple chiffreacute eacutevoqueacute ci-dessus impliquait que cha-que produit ait une valeur identique au produit preacuteceacutedent En fait les nouveaux pro-duits des anneacutees 1990 doivent avoir la mecircme valeur que lrsquoautomobile ou les appareilsdes deacutecennies 1920 et 1930 (ainsi par exemple lrsquoair conditionneacute est apparu au deacutebutdes anneacutees 1930) ou encore que la teacuteleacutevision ou autres innovations en matiegravere decommunication des anneacutees 1940 et 1950 (les premiers teacuteleacutephones portables remon-tent aux anneacutees 1940) Si la valeur moyenne des nouveaux produits de ladeacutecennie 1990 est infeacuterieure agrave celle des nouveaux produits apparus preacuteceacutedemment ilfaut alors que le nombre de ceux-ci soit plus important pour justifier la conception duparadoxe du point de vue de la nouvelle eacuteconomie

Le mecircme raisonnement srsquoapplique agrave la qualiteacute Il est surprenant de voir dans la presseles ameacuteliorations qualitatives des voitures dans les anneacutees 1990 aussi importantessoient-elles consideacutereacutees comme un exemple du processus de la nouvelle eacuteconomie par comparaison avec les progregraves contenus dans une tonne drsquoacier Une telle compa-raison est erroneacutee dans la mesure ougrave en fait et preacuteciseacutement le changement qualitatifdans une tonne drsquoacier a eacuteteacute extraordinaire Par ailleurs lrsquoameacutelioration de la qualiteacute desvoitures est un sujet tregraves ancien dans les statistiques eacuteconomiques mais crsquoest seule-ment dans les anneacutees 1990 qursquoelle est apparue en tant que caracteacuteristique de la nou-velle eacuteconomie La meacutethodologie des indices de prix heacutedoniques a preacuteciseacutement eacuteteacutemise au point dans les anneacutees 1930 pour reacutepondre agrave ces modifications qualitativesdans lrsquoautomobile (Court 1939) Lrsquoeacutetude de Raff et Trajtenberg (1997) indique que letaux drsquoameacutelioration de la qualiteacute des voitures eacutetait plus important dans la premiegraveredeacutecennie du XXe siegravecle que dans la derniegravere Encore une fois lrsquoessentiel de ce qui a eacuteteacutedit sur la nouvelle eacuteconomie est vrai ce qui a manqueacute et manque encore crsquoest unereacuteelle appreacuteciation historique de lrsquoamplitude et de la signification des nouveaux pro-duits et des ameacuteliorations qualitatives intervenus dans le passeacute

Je pense que le nombre de nouveaux produits ou de laquo choses nouvelles raquo est plusgrand aujourdrsquohui qursquoil ne lrsquoeacutetait preacuteceacutedemment Mais lagrave nrsquoest pas le problegraveme car lavraie question est la suivante le taux drsquoameacutelioration et le taux drsquointroduction de nou-veaux produits ont-ils connu un preacuteceacutedent dans lrsquohistoire Je ne crois pas que nousconnaissions la reacuteponse agrave cette question Si le nombre de laquo choses nouvelles raquo repreacute-sente une mesure de lrsquoameacutelioration de la productiviteacute il faut qursquoil y ait aussi une aug-mentation du taux drsquointroduction de laquo choses nouvelles raquo et pas seulement uneaugmentation de leur nombre La plupart des anecdotes mentionneacutees dans le cadre dela laquo nouvelle eacuteconomie raquo montrent que les eacuteconomistes se sont trompeacutes de problegravemeen prenant en compte le nombre de choses nouvelles plutocirct que la variation du taux

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Par conseacutequent si le paradoxe a gagneacute en acceptabiliteacute crsquoest en partie parce que certainseacuteconomistes ont par erreur fait un compte des nouvelles innovations sur une eacutechellearithmeacutetique ils ont penseacute deacutetenir la preuve du paradoxe en deacutecomptant des innovationsde plus en plus nombreuses En reacutealiteacute ils auraient ducirc utiliser une eacutechelle logarithmiquepour tenir compte du fait qursquoil faut un nombre toujours plus grand de laquo choses nouvelles raquopour maintenir le taux de laquo choses nouvelles raquo au mecircme niveau qursquoautrefois

Quand on regarde les nouveaux produits et les nouvelles technologies de la fin duXXe siegravecle on est tout agrave fait impressionneacute et agrave juste titre Il est clair que ces nouveauxproduits ameacuteliorent le bien-ecirctre et que les innovations technologiques contribuent agraveleur production Mais augmentent-ils agrave un taux croissant le nombre de nouveaux pro-duits augmente-t-il plus rapidement sur une eacutechelle logarithmique Ce nrsquoest pasprouveacute car pour que les laquo choses nouvelles raquo ameacuteliorent la productiviteacute il fautqursquoelles augmentent agrave un rythme croissant Selon moi il reste agrave accomplir un travailempirique sur lrsquohistoire eacuteconomique pour confirmer cette hypothegravese drsquoun taux allanten augmentation

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Tableau 1 Contribution des ordinateurs des eacutequipements informatiques et des logiciels agrave la croissance eacuteconomique

Notes a) Oliner et Sichel (1994) Table 3 page 285 sauf indication contraireb) Oliner et Sichel (1994) Table 10 page 305c) Oliner et Sichel (1994) Table 9 page 303 Agrave noter la peacuteriode de reacutefeacuterence diffegravere de celle des autres lignes de la colonned) Jorgenson et Stiroh (1994) Valeurs mises agrave jour fournies par les auteurs

Tableau 2 Parts des ordinateurs eacutequipements informatiques et logiciels (Donneacutees de 1993)

Notes a) Oliner et Sichel (1994) Table 2 page 279 part des actifs totauxb) Oliner et Sichel (1994) Table 10 page 305c) Oliner et Sichel (1994) Table 10 page 305d) Oliner et Sichel (1994) page 297e) Tableaux mis agrave jour fournis par les auteurs part des actifs productifs y compris la terre et les biens durables

Oliner et Sichel (1994)a Jorgenson et Stiroh (1994)d

1970-79 1980-92 1979-85 1985-90 1990-96

Taux de croissance de la production

Taux annuel moyen

342 227 235 309 236

Contribution de lrsquoeacutequipement en mateacuteriel informatique

009 021 015 014 012

Eacutequipement informatique 025b 035b na na na

Mateacuteriels logiciels et travail associeacutes (1987-93)

na 040c na na na

Oliner et Sichel (1994) Jorgenson et Stiroh (1994)

Part des actifs Part du Revenu Part des actifs Part des emplois en capital

Eacutequipement en mateacuteriel informatique

20a 09b 05e 18e

Eacutequipements informatiques

117a 35c na na

Mateacuteriels logiciels et travail associeacutes

na 27d na na

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Tableau 3 Demande finale de services comme proportion des deacutepenses priveacutees hors logement (1996 en milliards)

Source Survey of Current Business december 1997 NIPA Tables 11 and 22

Tableau 4 Indices des prix des eacutequipements en mateacuteriel

1 Produit inteacuterieur brut (hors administrations et loge-ment)

54421 1000

2 Consommation finale de services (hors logement) 22512 414

3 Exportation nette de services 966 18

4 Demande finale de services (ligne 3 plus ligne 4) 23478 431

Mainframes PCs Eacutequipement informatique

1958 1427736

1972 37504

1982 825 5785 4049

1987 1449 2176 1704

1992 1000 1000 1000

1996 491 379 455

1997 421 252 346

Chapitre 3

Le paradoxe du NAIRU

111

La theacuteorie du NAIRU

Extrait de Robert Eisner Our NAIRU Limit The Governing Myth of Economic PolicyThe American Prospect Ndeg 21 Spring 1995

httpwwwprospectorgarchives2121eisnhtml

Le concept du NAIRU qui constitue un prolongement de la notion de laquo taux naturelde chocircmage raquo deacuteveloppeacutee par Milton Friedman rejette les relations de substitutionsupposeacutee entre le chocircmage et lrsquoinflation deacutecrites par la courbe de Phillips ainsi appeleacuteedu nom drsquoun eacuteconomiste Neacuteo-zeacutelandais original AW Phillips Cette courbe suggegravereque le maintien drsquoun taux de chocircmage peu eacuteleveacute provoque une augmentation delrsquoinflation mais qursquoagrave un taux de chocircmage donneacute lrsquoinflation est constante Du point devue du NAIRU la courbe de Phillips constitue seulement une relation agrave court terme Lestentatives de reacuteduire le nombre de chocircmeurs en augmentant les deacutepenses ou lademande globale peuvent srsquoaveacuterer efficaces pendant un temps mais une inflation plusforte annule les effets de ce stimulus Une augmentation de lrsquoinflation augmentera lesanticipations drsquoune inflation future seul le surplus drsquoinflation ce qui est encore au-dessus de ce qursquoattendent les travailleurs les employeurs les emprunteurs et les precirc-teurs stimulera lrsquoeacuteconomie Agrave chaque manche il faudra des deacutepenses plus importan-tes et une inflation plus forte pour maintenir la reacuteduction initiale du chocircmage

Selon la theacuteorie du NAIRU les politiques fiscales ou moneacutetaires destineacutees agrave reacuteduire le chocirc-mage auraient tout du chien qui court apregraves sa queue Si ces politiques avaient pourobjectif le maintien des deacutepenses globales agrave un niveau suffisamment haut pour mainte-nir le chocircmage au-dessous de son laquo taux naturel raquo lrsquoinflation augmenterait agrave un rythmede plus en plus rapide Et pour finir les deacutecideurs seraient obligeacutes de renoncer en raisonde prix qui augmenteraient agrave un rythme galopant Le chocircmage reviendrait alors agrave sonniveau naturel et lrsquoinflation cesserait son acceacuteleacuteration mais en restant agrave un niveau pluseacuteleveacute jusqursquoagrave ce que le chocircmage deacutepasse son taux naturel et que le processus srsquoinversece qui srsquoaccompagnerait drsquoun certain nombre de conseacutequences douloureuses

Dans cette logique le seul moyen de reacuteduire le chocircmage sauf peut-ecirctre agrave court termeconsiste agrave modifier les conditions affectant lrsquooffre de main-drsquoœuvre par exemple enbaissant le salaire minimum en reacuteduisant ou en eacuteliminant totalement les avantages lieacutesau chocircmage ou encore en ameacuteliorant les compeacutetences de la main-drsquoœuvre Si lrsquoonprend au seacuterieux la theacuteorie du NAIRU des mesures concernant lrsquooffre sont le seulmoyen de reacuteduire le chocircmage et de maintenir celui-ci agrave un niveau peu eacuteleveacute Et si letaux de chocircmage se situe au niveau du NAIRU ou en est proche les autoriteacutes moneacutetai-res doivent prendre sans tarder des mesures anti-inflationnistes pour eacuteviter une sur-chauffe de lrsquoeacuteconomie A deacutefaut non seulement lrsquoinflation sera plus forte mais desurcroicirct sera lanceacutee sur une acceacuteleacuteration dont on ne pourra la deacutetourner que par unseul remegravede celui drsquoun chocircmage excessif autrement dit un taux srsquoeacutetablissant au-des-sus de celui du NAIRU

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Tel est le point de vue qui sous-tend neacutecessairement la politique du Federal ReserveBoard inexplicable autrement La plupart de nos banquiers centraux croient que nousnous situons au niveau du taux naturel de chocircmage ou au-dessous de celui-ci et quenous devons parvenir agrave un chocircmage plus important avant qursquoil ne soit trop tard Laprincipale diffeacuterence observeacutee parmi les eacuteconomistes tient au fait que les conserva-teurs ont tendance agrave placer plus haut le NAIRU aux environs de 6 agrave 7 pour cent alorsque les libeacuteraux le placent agrave 6 ou mecircme autour de 5 et quelques fraction de pour centQuelques acircmes courageuses suggegraverent que les estimations du NAIRU manquant depreacutecision on devrait essayer de faire baisser le taux de chocircmage avec une tregraves grandeprudence jusqursquoagrave ce que lrsquoon note des signes drsquoinflation drsquoautres considegraverent qursquoilserait alors deacutejagrave trop tard

Les eacuteconomistes qui ont contesteacute le concept de base du NAIRU sont peu nombreux Ily a soixante ans Keynes observait que les eacuteconomistes pouvaient srsquoaccrocher avecentecirctement agrave leurs ideacutees mecircme quand la reacutealiteacute les deacutementait totalement crsquoest ainsipar exemple que au plus fort de la Grande Deacutepression certains eacuteconomistes soute-naient qursquoil ne pouvait pas y avoir de chocircmage involontaire Il est fort possible que lrsquoonassiste agrave des manifestations drsquoun aveuglement similaire Les grands patrons font eacutetatdrsquoun point qui est confirmeacute par les statistiques nationales malgreacute la baisse du taux dechocircmage au-dessous du NAIRU traditionnel on ne voit aucun signe drsquoacceacuteleacuteration delrsquoinflation pourtant nombreux sont les eacuteconomistes que lrsquoeacutevidence laisse froids

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La capitulation de la politique eacuteconomique

James K GALBRAITH1

Mars-Avril 1996

Il existe en matiegravere de politique eacuteconomique un point de vue commun qui recouvreagrave quelques diffeacuterences drsquointensiteacute pregraves un large eacuteventail allant de la droite radicale agraveBill Clinton Sur le fond tous srsquoaccordent agrave dire que lrsquoessentiel du travail du gouverne-ment consiste agrave contribuer au bon fonctionnement des marcheacutes En ce qui concernelrsquooffre le gouvernement peut aider jusqursquoagrave un certain point en prenant en chargelrsquoenseignement la formation lrsquoinfrastructure et la recherche scientifique autrementdit tous les biens de nature publique sous-valoriseacutes par les marcheacutes Mais quand il srsquoagitde politique macroeacuteconomique le gouvernement devrait srsquoabstenir drsquointervenir saufpour rechercher lrsquoeacutequilibre budgeacutetaire et laisser agir la Reacuteserve Feacutedeacuterale

Accepter lrsquoeacutequilibre budgeacutetaire et le jugement moneacutetaire incontesteacute de la ReacuteserveFeacutedeacuterale signifie par deacutefinition eacutevincer la macroeacuteconomie de la sphegravere politique Ainsiles diffeacuterences qui subsistent entre Clinton et le Congregraves portent sur des deacutetails doit-onviser lrsquoeacutequilibre budgeacutetaire en sept huit ou dix ans Faut-il supprimer (ou imposer) telleou telle mesure de protection de lrsquoenvironnement Les subventions pour le Head Startles Americorps et la technologie sont-elles justifieacutees hellip et ainsi de suite en une longuelitanie de questions dont personne ne pense qursquoelles transformeront la vie des Ameacuteri-cains Mecircme si des gains importants eacutetaient possibles par des investissements publics auniveau de lrsquooffre le consensus fiscal conservateur les exclurait en refusant les ressources

Deux preacutesidents deacutemocrates Carter et Clinton ont eacuteteacute seacutevegraverement attaqueacutes du faitqursquoils ne contestaient pas cette orthodoxie au bon moment Ils nrsquoont par conseacutequentpu controcircler les leviers de la politique macro Crsquoest la macroeacuteconomie et non la micro-eacuteconomie qui repreacutesente le centre actif du pouvoir Les conservateurs laquo pratiques raquolrsquoont bien compris Ce nrsquoest pas un hasard srsquoils cherchent toujours agrave occuper le terrainde la politique des taux drsquointeacuterecirct et du deacuteficit Et personne nrsquoest surpris non plus qursquoenfaisant cette concession les libeacuteraux se mettent eux-mecircmes drsquoentreacutee hors-jeu

1 JAMES K GALBRAITH est professeur deacuteconomie agrave la Lyndon B Johnson School of Public Affairs et auDepartment of Government de lUniversiteacute du Texas agrave Austin Cet article a eacuteteacute publieacute initialement enanglais dans The American Prospect Issue 25 March-April 1996 sous le titre laquoThe Surrender of EconomicPolicyraquo (httpwwwprospectorgarchives2525galbhtml) Traduit et reproduit avec lrsquoaimable autori-sation de lrsquoauteur Reprinted with permission from The American Prospect 25 March April 1996 Copyright1996 The American Prospect PO Box 772 Boston MA 02102-0772 All rights reserved

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Cependant lrsquoeacuteconomie qui srsquoabrite derriegravere ce consensus est agrave la fois reacuteactionnaireet profondeacutement invraisemblable Elle prend corps aux fins fonds drsquoune theacuteorie abs-traite concocteacutee pendant vingt-cinq ans par les disciples de Milton Friedman et diffu-seacutee par eux agrave toute la profession Les libeacuteraux et toute personne concerneacutee par laprospeacuteriteacute eacuteconomique devraient rejeter cette faccedilon de consideacuterer le monde

Le consensus de la droite sur lrsquoemploi et lrsquoinflation

Le dogme macroeacuteconomique conservateur repose sur trois eacuteleacutements essentiels Il ya tout drsquoabord le moneacutetarisme par sa politique moneacutetaire la Reacuteserve Feacutedeacuterale con-trocircle lrsquoinflation mais elle a peu drsquoinfluence sur la production et le marcheacute de lrsquoemploisauf peut-ecirctre agrave tregraves court terme Le deuxiegraveme fondement concerne les attentesrationnelles les agents eacuteconomiques individuels sont si habiles si bien informeacutes et sibien eacuteduqueacutes dans le domaine eacuteconomique qursquoils ne commettent aucune erreur systeacute-matique en matiegravere de deacutecisions eacuteconomiques notamment au niveau des choix essen-tiels de lrsquooffre de travail Crsquoest pour ce concept que Robert Lucas vient de recevoir lePrix Nobel Le troisiegraveme principe est celui de la compensation des marcheacutes toutes lestransactions y compris lrsquoembauche et le licenciement des salarieacutes se font agrave des prixauxquels srsquoeacutegalisent les forces eacuteleacutementaires de lrsquooffre et de la demande

Consideacutereacutees conjointement ces hypothegraveses font apparaicirctre un marcheacute du travailperformant qui conduit agrave des niveaux drsquoemplois et de salaires approprieacutes Le niveaudrsquoemploi geacuteneacutereacute par cette abstraction est le cœur du concept mecircme de la politiquemacroeacuteconomique courante connu comme laquo le taux naturel de chocircmage raquo Si le tauxde chocircmage est supeacuterieur au taux naturel la theacuteorie implique que les prix et les salairesvont chuter srsquoil est infeacuterieur agrave ce taux lrsquoinflation va augmenter Une croissance viablenon inflationniste se produit seulement au taux naturel1

Controverse

Extrait de Robert Eisner Our NAIRU Limit The Governing Myth of Economic PolicyThe American Prospect Ndeg 21 Spring 1995

httpwwwprospectorgarchives2121eisnhtml

Mieux vaut ne pas trop nous reacutejouir Trop de croissance trop peu de chocircmage toutcela nrsquoest pas bon De telles ideacutees nrsquoexpriment pas les penseacutees futiles des angoisseacutes delrsquoeacuteconomie non ce sont celles qui conduisent la politique eacuteconomique des Eacutetats-

1 Robert Eisner Our NAIRU Limit The Governing Myth of Economic Policy The American ProspectPrintemps 1995

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Unis Apregraves que la croissance reacuteelle du PIB a atteint 45 au dernier trimestre de 1994et que le taux de chocircmage a chuteacute agrave 54 en deacutecembre de la mecircme anneacutee le FederalReserve Board est intervenu le 1er feacutevrier 1995 en augmentant les taux drsquointeacuterecirct pourla septiegraveme fois en moins drsquoun an Pourquoi Pour ralentir notre taux de croissancetrop rapide et enrayer la baisse du taux de chocircmage ou en inverser la tendance Etpourquoi Pour lutter contre lrsquoinflation

Une telle mesure doit sans doute laisser perplexe le commun des mortels Lrsquoinflationglobale telle que lrsquoavait mesureacutee le deacuteflateur de prix implicite du PIB eacutetait descendueagrave un taux de 21 le plus bas que lrsquoon ait observeacute sur une peacuteriode de trente ansLrsquoindice des prix agrave la consommation nrsquoa augmenteacute que de 27 en 1994 et un certainnombre drsquoanalystes compeacutetents parmi lesquels Alan Greenspan preacutesident du FederalReserve Board reconnaissent que cette mesure exagegravere lrsquoaugmentation des prix agrave laconsommation drsquoun diffeacuterentiel repreacutesentant jusqursquoagrave deux points

Les analystes eacuteconomiques et les grands patrons qui ne font pas de sentiment seposent eux aussi des questions Ils mettent en avant les avanceacutees technologiques et lesreacuteductions drsquoeffectifs dans lrsquoindustrie ameacutericaine et considegraverent que la productiviteacute etle potentiel de production pourraient bien croicirctre agrave un rythme plus soutenu queles 25 de taux de croissance agrave long terme consideacutereacutes par Greenspan et drsquoautrescomme marquant la limite extrecircme de ce que lrsquoeacuteconomie peut supporter De pluscomme les gens perdent des postes agrave fort revenus dans des entreprises ougrave ils avaientune forte ancienneteacute pour rechercher deacutesespeacutereacutement un autre emploi fucirct-il moinsbien payeacute il y a du jeu dans la main-drsquoœuvre Par ailleurs et crsquoest peut-ecirctre plus impor-tant encore le renforcement de la mondialisation et de la concurrence entre payslimite la capaciteacute des entreprises ameacutericaines agrave augmenter leurs prix et celle des tra-vailleurs agrave faire pression pour obtenir de meilleurs salaires

Pour lrsquoinstant ces prises de position heacutereacutetiques nrsquoont pas entameacute le dogme dominantqui hante la politique eacuteconomique Le fondement de ce dogme est un concept fami-liegraverement connu parmi les eacuteconomistes sous le nom de NAIRU (Non-Accelerating Infla-tion Rate of Unemployment) le taux de chocircmage qui nrsquoacceacutelegravere pas lrsquoinflation Bienqursquoinconnu du grand public ce concept est devenu lrsquoun des concepts les plus influentde la politique eacuteconomique de ce siegravecle Toutefois mes reacutecents travaux montrent quemecircme sur la base drsquoun modegravele conventionnel utiliseacute pour estimer le NAIRU il nrsquoexistepas de fondement permettant de conclure qursquoun taux de chocircmage peu eacuteleveacute consti-tue une menace permanente drsquoacceacuteleacuteration de lrsquoinflation Et selon un autre modegraveleplus en accord avec les donneacutees lrsquoinflation pourrait ecirctre plus basse avec un taux dechocircmage plus bas que celui que nous connaissons aujourdrsquohui

De faccedilon eacutetonnante pour la plupart des eacuteconomistes ces ideacutees ne font pas lrsquoobjet decontroverse Le seul litige existant entre eux concerne un petit point de politiqueeacuteconomique y a-t-il une quelconque valeur agrave chercher agrave tirer lrsquoeacuteconomie vers le tauxnaturel srsquoil advient que le taux pendant une dureacutee limiteacutee passe au-dessus ou en-dessous Pour les deacutefenseurs des taux naturels ne rien faire est toujours et partout la

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bonne solution parce que lrsquoeacuteconomie reviendra automatiquement agrave son taux naturelLa politique ne peut ecirctre drsquoaucune aide et les instruments speacutecifiques de la politiquemacroeacuteconomique devront ecirctre abandonneacutes

Une espegravece que lrsquoon a pu observer dans lrsquoadministration Clinton des laquo neacuteo-keyneacutesiens raquo autoproclameacutes pense qursquoun rocircle reacutesiduel peut ecirctre preacuteserveacute pour la politi-que macroeacuteconomique Le chocircmage peut persister au-delagrave du taux naturel parce que lessalaires mettent plus de temps que les autres prix agrave srsquoajuster aux fluctuations de lrsquooffre etde la demande ce qui induit lrsquoincapaciteacute du marcheacute du travail agrave srsquoautoreacuteguler Cela eacutetantil nrsquoy a pas ou peu de mal agrave intervenir par des mesures politiques (une petite incitationde temps agrave autre quand il y a une seacutevegravere reacutecession) pour acceacuteleacuterer le retour au taux natu-rel pour autant qursquoun laquo atterrissage en douceur raquo ait eacuteteacute soigneusement preacutepareacute

Heacutelas dans la reacutealiteacute le taux naturel de chocircmage nrsquoest pas perceptible Pire ce sataneacutemachin eacutevolue sans cesse non seulement il est invisible mais en plus il se deacuteplace Cela nrsquoest pas un problegraveme pour les partisans du laisser-faire En revanche cela creacutee dedouloureuses difficulteacutes pour les preacutetendus interventionnistes ces quelques voix danslrsquoadministration qui reacuteclament de temps en temps des emplois drsquoeacuteteacute une politiquedes grands travaux et des taux drsquointeacuterecirct plus bas Comment peut-on justifier que lrsquoonse rue sur un but quand on ignore ougrave il se trouve Les neacuteo-keyneacutesiens estiment et reacutees-timent la position du taux naturel dans le but de guider leurs choix de politique Mal-heureusement ils nrsquoont jamais pu le localiser cela pourrait peut-ecirctre expliquer qursquoilnrsquoy ait jamais eu laquo drsquoatterrissage en douceur raquo reacuteussi

Ougrave se trouve le taux naturel de chocircmage

Dans la mesure (tout agrave fait contestable) ougrave la Reacuteserve Feacutedeacuterale a une theacuteorie macroeacuteco-nomique coheacuterente elle a tendance agrave ecirctre implicitement keyneacutesienne sur ce problegravemeEn fait le Comiteacute des Gouverneurs de la Reacuteserve Feacutedeacuterale est un interventionniste inveacute-teacutereacute qui relegraveve les taux drsquointeacuterecirct quand le chocircmage est trop bas et les baisse agrave contrecœurpour eacuteviter les peacuteriodes de reacutecessions etou parfois y mettre fin Et donc la Reacuteserve Feacutedeacute-rale passe aussi beaucoup de temps et deacuteploie beaucoup drsquoefforts agrave essayer de deacutefinir preacute-ciseacutement ce fantomatique et insaisissable taux naturel de chocircmage

En 1994 avec un taux naturel de chocircmage estimeacute agrave environ 6 par de nombreuxastrologues les artisans de la politique moneacutetaire se sont trouveacutes face agrave un problegravemeinteacuteressant Le chocircmage effectif agrave 58 eacutetait tombeacute agrave un niveau infeacuterieur agrave lrsquoestima-tion du taux naturel de chocircmage Comment doit-on alors interpreacuteter le reste des don-neacutees qui contrairement agrave la theacuteorie nrsquoont aucunement mis en eacutevidence uneacceacuteleacuteration de lrsquoinflation Le manque apparent drsquoacceacuteleacuteration inflationniste signifie-

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t-il que le taux naturel de chocircmage avait eacuteventuellement chuteacute et si oui de quellevaleur Ou bien le seuil avait-t-il eacuteteacute franchi et selon les propos de Robert Solowlrsquoacceacuteleacuteration de lrsquoinflation eacutetait-elle ineacuteluctable comme il le suggeacuterait en eacutecrivantqursquoelle eacutetait laquo juste au coin de la rue raquo Ou encore toute la theacuteorie eacutetait-elle complegrave-tement vaseuse et bonne agrave jeter agrave la poubelle

La Reacuteserve Feacutedeacuterale a deacutemontreacute son hostiliteacute agrave modifier ses estimations du taux natu-rel de chocircmage Ainsi elle a renforceacute sa politique moneacutetaire de feacutevrier 1994 jusqursquoaudeacutebut de feacutevrier 1995 alors que lrsquoeacuteconomie atteignait la limite des 6 de chocircmageMais ensuite elle a modifieacute ses directives et commenceacute agrave baisser les taux drsquointeacuterecirct enjuillet 1995 mecircme si le chocircmage restait en deccedilagrave de 6 Pourquoi Il sera inteacuteressantde savoir quand on en connaicirctra tous les deacutetails si la Reacuteserve Feacutedeacuterale a officiellementchangeacute son estimation du taux naturel de chocircmage pour juillet 1995 et dans lrsquoaffir-mative selon quels critegraveres et pour quelle valeur Nous pourrions peut-ecirctre aussiapprendre que la Reacuteserve Feacutedeacuterale nrsquoa plus reacuteellement de theacuteorie sur le taux naturel dechocircmage mais se raccroche simplement agrave la rheacutetorique de ces ideacutees dans lrsquoattentedrsquoune quelconque alternative qui soit acceptable par les ideacuteologues conservateurs

Les composantes du faible taux drsquoinflation actuel ne sont absolument pas coheacuteren-tes avec la theacuteorie du taux naturel de chocircmage La pression inflationniste actuelle ouplus exactement ce qursquoil en reste nrsquoa aucun rapport avec les salaires la masse salarialequi repreacutesente les 23 des coucircts est constante Lrsquoinflation actuelle modeacutereacutee tient agrave lamonteacutee en flegraveche des profits et des retours sur investissement ainsi qursquoaux effets decette envoleacutee sur les prix des matiegraveres premiegraveres et autres composantes secondaires duprocessus inflationniste La hausse des taux drsquointeacuterecirct imposeacutee par la politique de laReacuteserve Feacutedeacuterale elle-mecircme depuis feacutevrier 1994 y a eacutegalement contribueacute

Le rapport traditionnel entre lrsquoinflation et le coucirct du travail a eacuteteacute briseacute depuis queReagan a licencieacute les controcircleurs du trafic aeacuterien et que Volcker et lui ont sureacutevalueacute ledollar En deacutepit drsquoune augmentation annuelle des prix de 27 les salaires bougent agravepeine Agrave vrai dire on voit que toutes les peacuteriodes drsquoacceacuteleacuteration de lrsquoinflationapregraves 1960 ont eacuteteacute causeacutees par les prix et non par les salaires agrave la seule exception decelle qui a fait suite agrave la campagne pour lrsquoeacutelection de Nixon en 1972 pendant laquellele controcircle des prix eacutetait tregraves important

NAIRU avec un N comme Nomade

Comment doit-on reacuteconcilier tout cela avec la theacuteorie de lrsquoacceacuteleacuteration de lrsquoinflationfondeacutee uniquement sur le taux naturel de chocircmage dans le marcheacute global du travail Ce nrsquoest pas possible Sil y a une demande trop importante en main-drsquoœuvre il est cer-

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tain qursquoun bon eacuteconomiste classique (un nouvel eacuteconomiste classique) insistera sur lefait que les salaires reacuteels augmentent Or ce nrsquoest pas le cas et cela ne lrsquoa pas eacuteteacute en20 ans Quelque chose est probablement erroneacute dans la modeacutelisation du taux naturelde chocircmage les bons eacuteconomistes de la Reacuteserve Feacutedeacuterale le savent et cela les perturbecomme il se doit En fait il y a quelque chose qui est plus que faux dans ce modegravele quinrsquoest qursquoagrave mettre au rancart on aurait ducirc le savoir depuis bien longtemps

Quand on considegravere lrsquoeacutevolution du taux de chocircmage sur les quarante derniegraveresanneacutees on constate qursquoil eacutetait bas dans les anneacutees 1950 assez eacuteleveacute dans lesanneacutees 1970 Les donneacutees reacutecentes sont comparables agrave celles des anneacutees 50 ce quiindiquerait une baisse possible du chocircmage sans pour autant que lrsquoinflation dispa-raisse En fonction de la faccedilon dont on integravegre le taux drsquoinflation eacuteleveacute desanneacutees 1970 une estimation honnecircte du taux naturel de chocircmage mecircme si on croitagrave cette notion ne serait que de 6 voire nettement moins

On peut montrer combien est vaine la recherche du taux naturel de chocircmage Enutilisant les moyennes mobiles des donneacutees mensuelles de lrsquoinflation et du chocircmagecentreacutees sur 12 mois on peut voir que la croissance de lrsquoinflation est par essenceimpreacutevisible les chocs qui la provoquent se produisent tantocirct quand le chocircmage estimportant tantocirct pas avant qursquoil ne soit tregraves bas Dans les donneacutees reacutecentes il nrsquoexisteaucun signe que lrsquoinflation augmente agrave mesure que le chocircmage diminue

En fait le modegravele des spirales en expansion srsquoest inverseacute apregraves la grande reacutecessionde 1982 Durant le reste des anneacutees 1980 le chocircmage a baisseacute sans qursquoil y ait de retom-beacutees sur les salaires et sans augmentation importante de lrsquoinflation La reacutecessionde 1989 srsquoest produite alors que lrsquoinflation eacutetait basse par rapport aux critegraveres histori-ques Et pendant ces quatre derniegraveres anneacutees de 1992 agrave 1995 il y a eu une chute duchocircmage accompagneacutee drsquoune diminution des coucircts et ceci sans la moindre augmen-tation de lrsquoinflation Aujourdrsquohui nous ne savons pas ougrave se trouve ce taux de chocircmagenomade qui acceacutelegravere lrsquoinflation parce que nous ne savons pas quand aura lieu le pro-chain choc Alors pourquoi ne pas chercher le plein emploi

Les libeacuteraux ont perdu sur le front de lrsquooffre

Agrave tout le moins lrsquoacceptation neacuteo-keyneacutesienne de la structure theacuteorique neacuteoclassi-que reacuteduit la politique macroeacuteconomique agrave un rocircle marginal celui drsquointervenant agravegrande eacutechelle seulement pendant les peacuteriodes de reacutecessions longues et profondesDans toutes les autres circonstances les maicirctres en macroeacuteconomie sont deacutesavoueacutestout comme lrsquoa eacuteteacute Clinton lui-mecircme pendant sa courte peacuteriode keyneacutesienne audeacutebut de 1993

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Que peuvent donc faire les libeacuteraux Lrsquoapproche actuelle de lrsquoadministration Clin-ton le deacutemontre ils peuvent favoriser lrsquoeacuteducation la formation et lrsquoaide agrave lrsquoadapta-tion ainsi que drsquoautres programmes de remise agrave niveau permettant de passer drsquounemploi agrave un autre Ils peuvent soutenir les investissements publics en infrastructuressous reacuteserve que ces derniegraveres viennent renforcer la compeacutetitiviteacute internationale delrsquoeacuteconomie Ils peuvent soutenir un systegraveme drsquoaide agrave la recherche et au deacuteveloppementdes entreprises des secteurs de pointe tout en travaillant agrave ouvrir les marcheacutes eacutetrangersaux produits ameacutericains ce qui aiderait les entreprises ameacutericaines agrave consolider leurspositions dans le monde Srsquoils se sentent courageux ils peuvent aussi encourager agravelrsquoaugmentation des salaires minimums

Toutes ces mesures obeacuteissent agrave la theacuteorie de lrsquooffre excepteacutee la derniegravere qui est uneintervention directe sur le marcheacute du travail Elles ont pour objectif drsquoameacuteliorer sur lelong terme la compeacutetitiviteacute de lrsquoeacuteconomie ameacutericaine en se basant sur lrsquoideacutee qursquouneeacuteconomie plus productive geacuteneacuterera une progression du niveau de vie Lrsquoideacutee plus pous-seacutee selon laquelle ces moyens plus importants auront des retombeacutees vers les salairesles plus bas est laisseacutee de cocircteacute on se contente de le supposer

Nous pouvons tous ecirctre drsquoaccord sur les bienfaits qursquoapportent les deacutepenses dans ledomaine de lrsquoeacuteducation de la formation de la recherche et du deacuteveloppement et delrsquoinfrastructure Mais un engagement macroeacuteconomique en faveur du plein emploi estdeacuteterminant pour transformer ces investissements en croissance et en ameacutelioration duniveau de vie

Eacuteducation et Formation Comme lrsquoont deacutemontreacute les travaux de Richard Rothsteindans cette revue1 et ailleurs le systegraveme drsquoeacuteducation publique ameacutericain est bienmeilleur que les critiques le preacutetendent Certes il y a des Ameacutericains qui ne peuventpreacutetendre agrave des salaires eacuteleveacutes en raison drsquoune instruction insuffisante Cependantcomme lrsquoont montreacute Katherine Newman et Chauncy Lennon2 il y a dans le centre deHarlem beaucoup plus de candidats qualifieacutes que drsquoemplois reacutemuneacutereacutes au salaire mini-mum Dans ce climat macroeacuteconomique baseacute sur la theacuteorie erroneacutee du NAIRU lrsquoeacuteleacuteva-tion des standards drsquoeacuteducation ne geacuteneacuterera pas de meilleurs emplois Ceci demeure unproblegraveme de la theacuteorie de la demande Pour autant il ne srsquoagit pas drsquoabandonner lrsquoameacute-lioration de lrsquoenseignement en ville Cela signifie seulement qursquoagrave moins que nousnrsquoeacutelevions en mecircme temps le taux de croissance mecircme si on donnait agrave tout le mondedes doctorats tant que la Reacuteserve Feacutedeacuterale maintient son taux de croissance agrave 25 cela ne changera pas la courbe actuelle du niveau de vie Comme mrsquoa dit un de meseacutetudiants de Buenos-Aires si lrsquoeacuteducation elle-mecircme eacutetait si puissante lrsquoArgentineserait bien plus riche qursquoelle ne lrsquoest

1 The American Prospect2 Katherine Newman et Chauncy Lennon The Job Ghetto The American Prospect Eacuteteacute 1995

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Recherche et Deacuteveloppement On peut faire plus de cas de lrsquoideacutee que les programmesgouvernementaux de recherche et deacuteveloppement aident les entreprises ameacutericainesagrave devenir techniquement plus avanceacutees et plus compeacutetitives sur les marcheacutes globauxPendant quatre deacutecennies notre politique interventionniste dans la haute technolo-gie eacutetait un sous-produit de la guerre froide Maintenant une politique technologiquecivile plus explicite est neacutecessaire pour compenser la RampD du Pentagone qui a eacuteteacutereacuteduite La politique technologique et scientifique a certainement un rocircle geacuteneacuteral agravejouer car au bout du compte les technologies ameacuteliorent les conditions de vie Maiselles nrsquoapportent pas et ne peuvent pas apporter le plein emploi pas plus qursquoellesnrsquoapportent un ordre social plus juste et plus eacutequitable Faire de la politique scientifi-que et technologique la piegravece maicirctresse drsquoun programme progressif tout en abandon-nant la macroeacuteconomie est absurde

Infrastructure Les deacutepenses en matiegravere de travaux publics sont la pierre angulairehistorique de lrsquointerventionnisme libeacuteral Les travaux publics sont le moyen le plusrapide le plus direct de remettre les chocircmeurs au travail Ils ont des effets directs etmultiplicateurs sur lrsquoemploi en geacuteneacuteral Ils preacutesentent lrsquoavantage suppleacutementaire defaire reacutealiser des travaux qui restent eux-mecircmes utiles pendant plusieurs deacutecenniesapregraves leur achegravevement Ils repreacutesentent eacutegalement dans la meacutemoire politique le triom-phe du libeacuteralisme durant le premier New Deal

Mais les libeacuteraux partisans de lrsquooffre revendiquent quelque chose de complegravetement dif-feacuterent en matiegravere de deacutepenses de travaux publics Ils les rebaptisent laquo infrastructures raquocomme je lrsquoai moi-mecircme fait maintes fois et avancent que les deacutepenses drsquoinfrastructurescontribuent de faccedilon notable agrave la productiviteacute du secteur priveacute Les emplois creacuteeacutes directe-ment pour la reacutealisation des travaux sont sans importance dans ce deacutebat Ce qui importecrsquoest dans quelle mesure le travail une fois acheveacute contribue indirectement agrave la reacuteductiondes coucircts et agrave une augmentation de la production dans le secteur priveacute

La preuve que de tels effets existent est heacutelas fort simple La quasi-totaliteacute srsquoappuiesur des rapports statistiques agreacutegeacutes et essentiellement sur le simple fait que la crois-sance de la productiviteacute moyenne a deacuteclineacute pendant les anneacutees qui ont vu la diminu-tion des investissements publics Pratiquement rien ne repose sur lrsquoanalyse deacutetailleacutee dela contribution de projets particuliers agrave lrsquoefficaciteacute des entreprises

Et ceci nrsquoest pas surprenant Alors que lrsquoAmeacuterique pourrait beacuteneacuteficier de nettementplus drsquoinvestissements publics en matiegravere drsquoeacutequipements collectifs lrsquoentreprise indus-trielle ameacutericaine tourneacutee vers lrsquoexport nrsquoest absolument pas paralyseacutee par les problegravemesdrsquoinfrastructures Les routes chemins de fer eacutelectriciteacute et voies fluviales conviennent agraveleurs besoins Boeing ne manque pas de pistes pour faire partir ses avions et la Silicon Val-ley ne souffre pas de pannes drsquoeacutelectriciteacute partielles Les teacuteleacutephones marchent parfaite-ment dans ce pays et on a mecircme lrsquoInternet Quant aux coucircts de la pollution ils neretombent pas sur les producteurs de nuisances eux-mecircmes mais sur leurs voisins

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Les deacutepenses en matiegravere drsquoinfrastructures et drsquoenvironnement sont indubitable-ment neacutecessaires et coucircteuses Mais pour qui Pour le citoyen Ameacutericain car ellesconstituent des eacuteleacutements de son niveau de vie Les routes lrsquoeau les eacutegouts lrsquoeacutelectriciteacuteet les systegravemes de communication sont tous des biens de consommation publique Cesont les consommateurs et les travailleurs et non les principaux affreacuteteurs profession-nels qui heurtent les nids-de-poule sur la route Ce sont les gens qui respirent lrsquoair boi-vent lrsquoeau et font du bateau sur les riviegraveres et les lacs Tout cela a tregraves peu de rapport avecla compeacutetitiviteacute internationale crsquoest peut-ecirctre triste mais crsquoest vrai Ceci expliquepourquoi les inteacuterecircts commerciaux ne neacutecessitent pas de deacutepenses en infrastructuresplus importantes et pourquoi eacutegalement ces questions ont eacuteteacute les premiegraveres agrave eacutechouerface agrave lrsquoopposition reacutepublicaine du Congregraves

Nous voilagrave donc devant la conclusion deacuteplaisante que le courant libeacuteral est tombeacutedans le piegravege de se leurrer lui-mecircme La droite a pris le commandement de la politiquefiscale et moneacutetaire laissant aux libeacuteraux des montants symboliques agrave deacutepenser dansdes interventions en faveur de lrsquooffre Lrsquoeacuteducation la formation et les infrastructuressont tregraves importantes mais pas pour les raisons habituellement invoqueacutees Le mondedes affaires ne souffrira pas de les financer aux niveaux souhaiteacutes par les libeacuteraux etcrsquoest se faire des illusions que de penser qursquoil le devrait Nous devons trouver plutocirctun langage pour deacutefendre ces deacutepenses au nom des gens eux-mecircmes et faire en sorteque lrsquoon se feacutedegravere autour drsquoeux en raison des beacuteneacutefices qursquoils apportent (comme parexemple les mouvements de deacutefense de lrsquoenvironnement de protection du consom-mateur de la santeacute ou de la seacutecuriteacute le font traditionnellement) Autrement ils conti-nueront agrave perdre les batailles budgeacutetaires

Et si nous voulons le plein emploi nous avons besoin de quelque chose drsquoautre unepolitique macroeacuteconomique visant au plein emploi

La macroeacuteconomie dans un monde structuraliste

Les conservateurs recourent au mythe du marcheacute pour opposer les solutions politi-ques aux problegravemes de la redistribution Mais laisser les choses au marcheacute nrsquoest pasmoins un choix politique qursquoun autre

Supposons que le concept drsquoun marcheacute global du travail et la meacutetaphore associeacuteedrsquoun taux naturel de chocircmage puissent ecirctre eacutelimineacutes drsquoun seul coup de la consciencedes professionnels (ce qui au demeurant serait meacuteriteacute) La notion politique selonlaquelle le controcircle de la reacuteduction du chocircmage est la principale faccedilon de combattrelrsquoinflation perdrait son pouvoir Il deviendrait alors intellectuellement possible de

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raviver lrsquoideacutee de donner un emploi agrave quiconque le souhaiterait Le problegraveme nrsquoest pluslaquo Combien drsquoemplois raquo mais laquo Qui employer et selon quelles conditions raquo

Investissement et consommation Creacuteer des emplois crsquoest trouver des choses agrave faire faireaux gens Des investissements de toute espegravece creacuteent des emplois et la stabilisation de lademande drsquoinvestissement priveacute est le problegraveme macroeacuteconomique traditionnel Destaux drsquointeacuterecirct faibles et stables sont ici essentiels jrsquoy reviendrai Lrsquoinvestissement publicpeut aller lagrave ougrave lrsquoinvestissement priveacute ne peut le faire et devrait ecirctre conccedilu et poursuivipour ses beacuteneacutefices directs et non pour ses beacuteneacutefices imaginaires et indirects Mais la con-sommation est aussi un important objectif politique souvent deacutecrieacute Les meacutenagesdevraient avoir les revenus dont ils ont besoin pour ecirctre bien nourris logeacutes et vecirctus et aussipour jouir de la vie Les services publics peuvent apporter leur aide les garderies lrsquoeacuteduca-tion la santeacute publique la culture et lrsquoart neacutecessitent tous davantage de soutien financier

Technologie Le renouveau technologique devrait ecirctre compris comme faisant partiedrsquoune strateacutegie de maintien de la demande drsquoinvestissement Il devient progressive-ment senseacute drsquoen finir avec la preacutepondeacuterance accordeacutee au marcheacute boursier pour des rai-sons de deacutefense de lrsquoenvironnement de seacutecuriteacute drsquoefficaciteacute et de compeacutetitiviteacute Unereacuteglementation correctement conccedilue peut aider et cela ouvrira sur des opportuniteacutesdrsquoinvestissement pour de nouvelles technologies En mecircme temps une structure plusuniforme des salaires et un laquo filet de seacutecuriteacute raquo plus conseacutequent incluant la formationcontinue mais aussi des retraites anticipeacutees plus geacuteneacutereuses pour les travailleurs tropacircgeacutes pour ecirctre requalifieacutes reacuteduirait le coucirct des pertes drsquoemploi et la reacutesistance des tra-vailleurs concerneacutes par les changements Encore une fois il srsquoagit drsquoun compleacutement agraveune politique macroeacuteconomique de croissance eacuteleveacutee non drsquoun substitut

Inflation Lrsquoinflation ne serait pas eacutelimineacutee Mais la poursuite drsquoune relative stabiliteacuteplutocirct que drsquoecirctre le reacutesultat drsquoune croissance lente et sans beaucoup drsquoargent pourraitsrsquoattacher agrave la gestion drsquoeacuteleacutements particuliers de coucirct agrave mesure que lrsquoeacuteconomie se rap-procherait du plein emploi Ceci a inclu des pressions sur les salaires mais aussi sur lesprix des mateacuteriaux des loyers et sur les inteacuterecircts Lrsquoorganisation de la demande globale- qui repreacutesente une force indeacuteniable sur les prix non salariaux pourrait fonctionnergracircce agrave des moyens ayant moins drsquoeffets sur lrsquoemploi une taxe variable sur les beacuteneacutefi-ces suppleacutementaires par exemple Eacutetant donneacute que les salaires sont un eacuteleacutement majeurdes coucircts la politique de lutte contre lrsquoinflation serait concerneacutee par les meacutecanismesinstitutionnels de neacutegociation des salaires

Redistribution Cet exercice nous ramegravene agrave des questions bien reacuteelles ineacutevitablementpolitiques obscurcies par le laquo charabia raquo technique sur le taux naturel du chocircmage notrestructure geacuteneacuterale de revenus et drsquoavantages Comment devraient ecirctre reacutepartis les revenus Dans quelle fourchette entre le haut et le bas Entre le capital et le travail Entre les quali-fieacutes et les non qualifieacutes Et selon moi la tendance actuelle agrave une ineacutegaliteacute croissante doitecirctre inverseacutee et les libeacuteraux devraient franchement soutenir les mesures politiques neacuteces-

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saires agrave cet objectif Les syndicats devraient ecirctre renforceacutes et les nouvelles campagnes agres-sives de lrsquoAFL-CIO soutenues sans reacuteserve Les salaires minimums devraient ecirctre releveacutes Etles libeacuteraux devraient deacutefendre eacutenergiquement lrsquoimpocirct progressif et apporter leur soutien agraveun impocirct sur la richesse comme lrsquoa proposeacute Edward Wolf dans cette revue1

Crsquoest seulement quand la reacutepartition eacuteleacutementaire des revenus aura eacuteteacute correctementreacutealiseacutee que des gains suppleacutementaires sur les salaires reacuteels pourront se produire enmoyenne au taux de croissance de la productiviteacute Mais pour empecirccher la redistribu-tion drsquoempirer agrave nouveau ces gains devraient ecirctre distribueacutes de faccedilon substantielledans le domaine social et seulement leacutegegraverement dans le domaine industriel ou indivi-duel En drsquoautres termes il nous faut revenir au principe de la solidariteacute il faut quetoute la socieacuteteacute avance en mecircme temps

Des salaires minimums plus eacuteleveacutes sont particuliegraverement importants pour atteindrecet objectif Dans leur dernier ouvrage Myth and Measurement David Card et AlanKrueger avancent que lrsquoaugmentation du salaire minimum dans une mesure raison-nable ne condamnerait pas drsquoemplois En fait des salaires minimums plus eacuteleveacutes peu-vent augmenter lemploi en reacuteduisant le taux de rotation des emplois Crsquoest un travaildoublement important drsquoabord pour sa pertinence en matiegravere de politique directeensuite parce que cela contredit cateacutegoriquement et affaiblit consideacuterablement lesmodegraveles standards du marcheacute global du travail

Taux drsquointeacuterecirct En la matiegravere deux maicirctres mots bas et stable Les taux drsquointeacuterecirctdevraient perdre leur fonction macroeacuteconomique qui a eacuteteacute de garantir la stagnationIls devraient plutocirct servir agrave arbitrer la redistribution du revenu entre deacutebiteurs et creacute-diteurs capital financier et initiative En premiegravere approximation les taux reacuteels de ren-dement de lrsquoargent agrave court terme devraient ecirctre de 0 Et il nrsquoy a pas de raison que lestaux drsquointeacuterecirct agrave long terme excegravedent le taux de croissance reacuteel agrave long terme de lrsquoeacutecono-mie Ils devraient en effet se situer au-dessous de cette valeur et agir dans le sens drsquouneredistribution progressive de la richesse des creacutediteurs vers les deacutebiteurs et drsquoune sta-bilisation agrave long terme des bilans des meacutenages et des entreprises La speacuteculation sur lesmarcheacutes financiers devrait ecirctre lourdement taxeacutee

Deacuteficits Lrsquoironie veut que le deacuteficit du budget apparaisse agrave peine dans cette discus-sion Pendant lrsquoessor spectaculaire de lrsquoapregraves-guerre nous avions une socieacuteteacute agrave fort tauxdrsquoemploi agrave taux drsquoinflation et drsquointeacuterecirct bas avec une fiscaliteacute progressive Ce type desocieacuteteacute nrsquoa pas de problegravemes de deacuteficit structurel Un budget militaire de temps de paixaiderait eacutegalement beaucoup En tout eacutetat de cause lrsquoobsession preacutesente visant agrave eacutequi-librer le budget est une heacutereacutesie comme devraient le deacutenoncer agrave haute voix tous les eacuteco-nomistes seacuterieux

1 Edward Wolf How the Pie Is Sliced Americarsquos Growing Concentration of Wealth The American Pros-pect Eacuteteacute 1995

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Ce qui vient drsquoecirctre exposeacute pris dans son ensemble serait une politique macroeacuteco-nomique qui vaut qursquoon se batte pour elle Les libeacuteraux partisans de lrsquooffre en microeacute-conomie peuvent faire des choses utiles mdash du moins le pensent-ils mdash en attribuantquelques subventions agrave lrsquoeacuteducation agrave la formation et aux infrastructures Mais il srsquoagitdrsquoaugmenter le niveau de vie drsquoaccroicirctre la seacutecuriteacute les loisirs et de pourvoir desemplois qui en vaillent la peine Cela neacutecessite de notre part la reacutehabilitation de lamacroeacuteconomie en tant qursquooutil essentiel de politique

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Agrave quelle vitesse lrsquoeacuteconomie ameacutericaine peut-elle croicirctre

Paul KRUGMAN1

Juillet-Aoucirct 1997

La plupart des eacuteconomistes croient que lrsquoeacuteconomie des Eacutetats-Unis est aujourdrsquohuitregraves proche voire mecircme au-dessus du niveau maximum toleacuterable drsquoemploi et drsquoutili-sation de la capaciteacute de production Srsquoils ont raison la croissance agrave venir proviendrasoit drsquoune augmentation de la productiviteacute (crsquoest-agrave-dire du volume de la productionpar travailleur) soit drsquoune augmentation de la quantiteacute de la main-drsquoœuvre poten-tielle Les statistiques officielles montrent que la productiviteacute et la capaciteacute de travailprogressent mollement donc selon lrsquoanalyse eacuteconomique classique nous ne devonspas nous attendre agrave une progression de plus de 2 dans les prochaines anneacutees Et sinous ou plus preacuteciseacutement la Reacuteserve Feacutedeacuterale essayions drsquoacceacuteleacuterer cette croissance enmaintenant bas les taux drsquointeacuterecirct le reacutesultat le plus important serait purement et sim-plement un retour aux mauvais jours de sinistre meacutemoire drsquoune forte inflation

Neacuteanmoins de nombreuses personnes drsquoinfluence mdash des hommes drsquoaffaires desjournalistes et mecircme quelques eacuteconomistes reacuteputeacutes mdash nrsquoacceptent pas une perspectiveaussi terne Ils croient que les anciennes limitations agrave la croissance sont abrogeacutees voireque lrsquoideacutee mecircme de limitation est devenue obsolegravete La base conceptuelle de leur opti-misme se rattache parfois agrave la perspective drsquoune laquo nouvelle eacuteconomie raquo pompeuse-ment appeleacutee aussi laquo nouveau paradigme raquo Quelle que soit son appellation cettenouvelle vision de lrsquoeacuteconomie srsquoest reacutepandue avec une veacutelociteacute rare dans les annales dela penseacutee eacuteconomique Il nous faut revenir agrave la monteacutee de la theacuteorie de lrsquooffre desanneacutees 1970 pour trouver un cas de theacuteorie tregraves novatrice en matiegravere drsquoeacuteconomie quiait eacuteteacute si rapidement admise par un nombre important de leaders drsquoopinion

La base fondamentale de ce nouveau paradigme est que les changements que tout lemonde peut voir dans notre eacuteconomie (lrsquoessor de la technologie numeacuterique le volumecroissant des investissements et du commerce international) ont qualitativementalteacutereacute les regravegles du jeu Lrsquoeacuteconomie peut croicirctre plus rapidement que par le passeacute en rai-son de lrsquoeacutevolution rapide des technologies ce qui constitue le fondement du nouveauparadigme du fait de la concurrence mondiale nous ne devons plus avoir peur qursquoune

1PAUL KRUGMAN est professeur drsquoeacuteconomie au Massachussets Institute of Technology Cet article a eacuteteacutepublieacute initialement en anglais dans Harvard Business Review JulyAugust 1997 sous le titre laquoHow Fastcan the US Economy Growraquo (httpwebmitedukrugmanwwwhowfasthtml) Copyright copy 1997by the President and Fellows of Harvard College all rights reserved Pour cette traduction Copyrightcopy 2000 by the President and Fellows of Harvard College

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eacuteconomie en surchauffe ne geacutenegravere lrsquoinflation Crsquoest sucircrement une vision attractivepour ceux qui souhaiteraient une croissance plus rapide que les quelques 2 deacutece-vants proposeacutes par les eacuteconomistes conventionnels crsquoest aussi une vision qui corres-pond agrave ce que constatent les hommes drsquoaffaires dans leurs propres secteurs Nous nedevons donc pas nous eacutetonner du succegraves de cette vision dans les milieux drsquoaffaires

Il nrsquoy a qursquoun problegraveme crsquoest que si on analyse attentivement le nouveau para-digme on se rend compte qursquoil nrsquoa pas de sens Il comporte drsquoeacutenormes lacunes concep-tuelles et empiriques qui paraissent eacutevidentes agrave de nombreux eacuteconomistes mais quipour une raison ou pour une autre nrsquoont pas eacuteteacute efficacement porteacutees agrave la connais-sance du grand public En fait ce problegraveme nrsquoest pas reacuteellement difficile ni mecircmetechnique la simple logique conjugueacutee agrave lrsquoanalyse de quelques expeacuteriences reacutevegravele leproblegraveme du nouveau paradigme

Pourquoi lrsquoeacuteconomie a-t-elle une laquo limite de vitesse raquo

Avec lrsquoeacuteclatement de la famille traditionnelle ougrave lrsquoon pouvait compter sur lrsquoentou-rage pour prendre soin des enfants de nombreux parents ameacutericains ont chercheacutedrsquoautres solutions La plus freacutequente est la coopeacuterative de baby-sitting dans laquelle uncertain nombre de parents prennent lrsquoengagement de srsquoentraider sur des bases de reacuteci-prociteacute chacun pouvant ecirctre laquo baby-sitter raquo ou laquo baby-sitteacute raquo Ce genre de coopeacuterativeneacutecessite des regravegles permettant drsquoassurer aux membres un partage eacutequitable Unereacuteponse naturelle agrave cette exigence drsquoeacutegaliteacute au moins pour les gens familiariseacutes aveclrsquoeacuteconomie de marcheacute consiste agrave adopter une sorte de systegraveme de laquo jetons raquo ou delaquo points raquo les parents laquo gagnent raquo des laquo jetons raquo en assurant un baby-sitting ils endeacutepensent lorsque leurs propres enfants sont gardeacutes par drsquoautres parents Par exempleune toute reacutecente coopeacuterative dans lrsquoouest du Massachusetts utilise des bacirctonnets deglace agrave lrsquoeau chacun repreacutesentant une heure de baby-sitting Lorsqursquoun parent integravegrela coopeacuterative il reccediloit une premiegravere attribution de dix bacirctonnets

Ce systegraveme se reacutegule de lui-mecircme en ce sens que sur une dureacutee de temps prolongeacuteeune famille donnera agrave peu pregraves le mecircme temps de garde qursquoelle beacuteneacuteficiera drsquoheures debaby-sitting Neacuteanmoins il srsquoavegravere que ce systegraveme de jetons ne suffit pas agrave lui seul pourqursquoune coopeacuterative fonctionne correctement il est eacutegalement neacutecessaire que lesjetons soient relativement bien reacutepartis entre les membres Supposons par exempleqursquoil y ait tregraves peu de jetons en circulation Certains parents peuvent vouloir avoir unereacuteserve de jetons assez pour pouvoir sortir un certain nombre de fois avant de devoirfaire du baby-sitting et donc drsquoen gagner Chaque parent peut aussi bien sucircr accumu-

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ler encore plus de jetons en assurant plus de baby-sitting et en sortant moins Mais quese passe-t-il si presque tout le monde essaie drsquoaccumuler des jetons ce qui est le casquand il y en a peu en circulation La deacutecision drsquoun parent de sortir constitue lrsquooppor-tuniteacute pour un autre de faire du baby-sitting Donc si tous les membres de la coopeacutera-tive essaient drsquoadditionner des jetons pour augmenter leur reacuteserve il y aura tregraves peudrsquoopportuniteacutes de garder des enfants Ceci aboutit agrave ce que les gens heacutesitent agrave sortirafin de ne pas gaspiller leurs eacuteconomies de jetons et donc le niveau drsquoactiviteacute de lacoopeacuterative peut baisser jusqursquoagrave un niveau extrecircmement deacutecevant

La solution agrave ce problegraveme consiste bien sucircr agrave mettre en circulation plus de bacirctonnetsMais pas trop car lrsquoexcegraves de bacirctonnets peut eacutegalement provoquer un problegraveme graveSupposons que dans la coopeacuterative presque tous les membres possegravedent un nombrede bacirctonnets exceacutedant leurs besoins ils auront tous envie de sortir et rechigneront agravegarder des enfants Il sera alors tregraves difficile de trouver des baby-sitters et tant que lesopportuniteacutes drsquoutiliser les bacirctonnets seront rares les membres seront encore moinsdeacutesireux de perdre du temps et de faire des efforts pour gagner des jetons Donc onobservera des effets destructeurs en situation drsquoexceacutedent de jetons en circulation aussibien que de peacutenurie

Mais qursquoest-ce que cela a agrave voir avec le nouveau paradigme Et bien une coopeacuterativede baby-sitting est une sorte de macroeacuteconomie en miniature un systegraveme dans lequelles deacutecisions individuelles de deacutepenser et drsquoeacutepargner sont tregraves deacutependantes les deacutepen-ses de lrsquoun constituant les revenus de lrsquoautre et vice et versa Lrsquoeacutetat de crise drsquoune coo-peacuterative de baby-sitting ducirc agrave une circulation insuffisante de jetons est par essence lemecircme que celui de lrsquoeacuteconomie ameacutericaine dans son ensemble quand elle sombre dansla reacutecession Et les capaciteacutes drsquoun Paul Volcker ou drsquoun Alan Greenspan agrave provoquer unredressement reacutesident dans le controcircle qursquoils ont sur lrsquooffre de monnaie autrement ditsur le nombre de bacirctonnets

Entre lrsquoeacuteconomie grandeur nature et la coopeacuterative de baby-sitting comprenant toutau plus quelques douzaines de membres il y a eacutevidemment drsquoimportantes diffeacuterencesLrsquoune drsquoentre elles reacuteside dans le fait que lrsquoeacuteconomie possegravede un marcheacute de capitaux les individus qui manquent drsquoargent peuvent en emprunter agrave drsquoautres qui sont richesen capitaux de faccedilon agrave ce que les effets drsquoune peacutenurie geacuteneacuterale ou drsquoune profusiondrsquoargent srsquoarbitrent par le niveau des taux drsquointeacuterecirct Une diffeacuterence plus grande encoretient aux prix ceux-ci sont fixes dans une coopeacuterative de baby-sitting type un bacircton-net permettant drsquoacheter une heure de baby-sitting un point crsquoest tout Dans lrsquoeacutecono-mie proprement dite les entreprises sont libres de changer leurs prix de les casser sielles ont des problegravemes pour vendre leur produits de les augmenter si elles jugentqursquoune hausse ne stoppera pas les ventes Les entreprises ont une forte tendance agrave refu-ser de casser les prix tout comme les ouvriers sont reacutecalcitrants agrave accepter une baisse desalaire si des reacutecessions prolongeacutees megravenent parfois agrave la baisse des prix cela se fait pro-

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gressivement et avec difficulteacute Lrsquohistoire montre toutefois que les entreprises sontmoins reacuteticentes agrave augmenter leurs prix dans des conditions de forte croissance Crsquoestpour cette raison que lrsquoespegravece de situation de peacutenurie subie par la coopeacuterative quand ily a trop de jetons en circulation est rarement grave dans les eacuteconomies de marcheacute alorsqursquoune eacutemission excessive de monnaie elle se dissipe plutocirct en inflation

Pourtant lrsquoeacuteconomie du bacirctonnet peut nous aider agrave dissiper quelques malentendustregraves reacutepandus sur les raisons amenant les eacuteconomistes agrave penser qursquoil existe des limitesagrave la rapiditeacute de la croissance Premiegraverement personne ne preacutetend que lrsquoeacuteconomie selimite agrave une vitesse de croissance de 2 et quelques en toutes circonstances Quandune coopeacuterative de baby-sitting est en eacutetat de deacutepression agrave cause drsquoune offre insuffi-sante de bacirctonnets son PBB (Produit Baby-sitting Brut) peut srsquoeacutelever rapidement degravesque lrsquooffre progresse Jusqursquoici rien drsquoinexplicable dans la capaciteacute qursquoa eue lrsquoeacuteconomieameacutericaine drsquoatteindre un taux de croissance de plus de 3 de 1982 agrave 1989 agrave partirdrsquoune reacutecession qui avait fait grimper le chocircmage agrave un taux de 107 et maintenu pro-bablement la production agrave 10 au-dessous de sa capaciteacute la politique drsquoexpansionmoneacutetaire a permis agrave lrsquoeacuteconomie de rebondir La laquo limite de vitesse raquo ne srsquoapplique quelorsque lrsquoeacuteconomie srsquoest deacuteveloppeacutee autant qursquoelle le pouvait en utilisant toute sa capa-citeacute et en employant les ressources inexploiteacutees

Deuxiegravemement la logique de lrsquoargument eacuteconomique standard contre les objectifsde croissance trop ambitieux alors que lrsquoeacuteconomie est proche du plein emploi est aussilargement mal comprise De nombreux critiques de cette argumentation sinon la plu-part fondent leur opposition sur une caricature trompeuse de ce que disent les eacutecono-mistes Bien trop souvent des avocats drsquoune croissance plus rapide affirment que pourleurs adversaires laquo la croissance creacutee lrsquoinflation raquo cette supposeacutee maniegravere de voir estensuite tourneacutee en ridicule Apregraves tout lrsquoinflation nrsquoest-elle pas une inadeacutequationentre un excegraves drsquoargent et une peacutenurie de biens Et si crsquoest le cas comment la crois-sance peut-elle ecirctre la cause de lrsquoinflation alors qursquoelle se traduit par une plus grandeabondance de biens Mais ce nrsquoest pas ce que disent les eacuteconomistes qui pensent qursquounobjectif de croissance trop ambitieux serait inflationniste Personne ne preacutetend que lacoopeacuterative de baby-sitting souffrirait de peacutenurie si elle se deacuteveloppait en accueillantde nouveaux adheacuterents ou en ameacuteliorant lrsquoefficaciteacute des familles pour la garde desenfants de telle sorte qursquoelle puisse assurer davantage de baby-sitting Les limites mdash etdonc le risque drsquoinflation mdash ne srsquoappliquent qursquoagrave une croissance reacutesultant drsquounedemande accrue autrement dit en augmentant le nombre de bacirctonnets

Agrave partir de quand est-ce trop Revenons agrave nouveau agrave notre eacuteconomie du baby-sittingComment pourrait-on savoir qursquoil y a trop de bacirctonnets en circulation Un indicateurinteacuteressant pour cela serait la freacutequence avec laquelle les parents recherchent et ne trou-vent pas lrsquooccasion de faire du baby-sittingce qui correspondrait fondamentalement autaux de chocircmage de la coopeacuterative Un autre indicateur serait la freacutequence agrave laquelle les

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parents cherchent et ne trouvent pas de baby-sitter ce qui pourrait correspondre plus oumoins au laquo taux drsquoemplois non satisfaits raquo dans lrsquoeacuteconomie ameacutericaine Un chocircmagetregraves bas et un taux eacuteleveacute drsquoemplois non satisfaits indiquent qursquoil existe un exceacutedent dedemande au sein de la coopeacuterative Dans lrsquoeacuteconomie agrave grande eacutechelle il srsquoavegravere que letaux de chocircmage et celui des emplois non satisfaits sont eacutetroitement correacuteleacutes mais inver-sement Mais les donneacutees collecteacutees les plus reacuteguliegraverement et les plus systeacutematiquementeacutetant celles du chocircmage nous pouvons utiliser ce taux de chocircmage tregraves facilement dis-ponible comme un assez bon indicateur de lrsquoeacutetroitesse du marcheacute du travail

Que veut dire trop bas pour un taux de chocircmage Pour ecirctre honnecircte les incertitudessur cette question sont nombreuses Lrsquoeacutevidence des anneacutees drsquoavant 1990 suggeacuteraitalors agrave la plupart des eacuteconomistes que lrsquoinflation commencerait agrave srsquoacceacuteleacuterer quand letaux de chocircmage tomberait en dessous de 6 or on fut surpris de constater que avecun taux de chocircmage agrave peine au-dessus de 5 lrsquoaugmentation des prix se discernait agravepeine Neacuteanmoins la progression des salaires a commenceacute agrave srsquoacceacuteleacuterer et les anecdotessur la peacutenurie de main-drsquoœuvre plutocirct rares dans lrsquoeacuteconomie ameacutericaine sont deve-nues monnaie courante dans les 6 derniers mois de 1996 ce genre drsquoanecdotes srsquoestdeacuteveloppeacute trois fois plus que lrsquoanneacutee preacuteceacutedente Il semble donc qursquoil y ait peu de chan-ces de reacuteduire le taux de chocircmage simplement par une augmentation de la demande(Il srsquoagit lagrave de couper court aux arguments selon lesquels il serait possible de stopper lechocircmage gracircce agrave la formation professionnelle ou agrave toute autre intervention Qursquoilsfonctionnent ou non de tels scheacutemas nrsquoont rien agrave voir avec les tenants du nouveauparadigme qui preacutetendent que la Reacuteserve Feacutedeacuterale peut continuer agrave augmenter sesobjectifs de croissance mecircme en lrsquoabsence de programmes destineacutes agrave augmenter lenombre de travailleurs employables)

Ce que nous connaissons assez bien crsquoest le taux de croissance qui est compatibleavec le maintien du taux de chocircmage agrave son niveau agrave peu pregraves courant Il existe une rela-tion frappante entre le taux de la croissance eacuteconomique et celui de la variation du tauxde chocircmage relation qui fait partie bien sucircr des quelques constatations que les eacuteco-nomistes veulent eacuteriger en laquo loi raquo (loi de Okun) avec le plus grand des seacuterieux Les don-neacutees entre 1980 et 1995 indiquent qursquoau cours de cette peacuteriode le taux de chocircmageprogresse si le taux de croissance tombe en dessous de 24 et diminue si ce dernierest supeacuterieur (il srsquoavegravere que chaque point de progression de la croissance reacuteduit le chocirc-mage drsquoun demi-point) On constate que le taux de croissance en rapport avec le main-tien du taux de chocircmage plus ou moins au niveau ougrave il en est aujourdrsquohui a eacuteteacute dansun passeacute reacutecent drsquoenviron 2

Il nrsquoest en revanche pas eacutevident que le taux de croissance compatible avec un tauxde chocircmage constant mdash le taux de croissance maximum susceptible drsquoecirctre soutenulorsque lrsquoeacuteconomie tourne agrave pleine capaciteacute mdash ait progresseacute ces quelques derniegraveresanneacutees Le taux moyen de chocircmage de 1995 voisin de 56 est agrave peu pregraves le mecircme

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qursquoen 1990 Or la croissance moyenne sur les 5 derniegraveres anneacutees a eacuteteacute de 19 crsquoest-agrave-dire en dessous de la croissance extrapoleacutee sur la courbe

Pourquoi le taux de croissance qursquoil est possible de soutenir semble-t-il si lent Il ya deux raisons principales Premiegraverement la force de travail ameacutericaine ne progresseplus aussi vite que dans les anneacutees ougrave les enfants du baby-boom eacutetaient devenus adul-tes et ougrave les femmes inteacutegraient le marcheacute du travail entre le deacutebut des anneacutees 1990et aujourdrsquohui le nombre de personnes travaillant ou recherchant un emploi nrsquoa pro-gresseacute qursquoau taux annuel drsquoenviron 1 Deuxiegravemement selon les chiffres officiels laproductiviteacute (production par travailleur) nrsquoa elle-mecircme progresseacute que drsquoun tout petitpour-cent La somme de ces deux chiffres donne 2 ce qui correspond au potentielde croissance de la productiviteacute eacuteconomique

Tout ceci semble assez bien eacutetabli Alors comment les tenants du nouveau para-digme peuvent-ils encore preacutetendre que lrsquoeacuteconomie est en fait capable drsquoune crois-sance plus rapide Leur reacuteponse reacuteside en partie dans le fait que tout simplement ilsne croient pas les chiffres officiels ils pensent que les statistiques sont deacutepasseacutees etsous-estiment grandement la croissance de la productiviteacute Mais cela est-il vrai Et sur-tout est-ce un problegraveme

Les paradoxes de la productiviteacute

Crsquoest un truisme drsquoaffirmer que lrsquoaugmentation de la productiviteacute autrement dit duPNB par travailleur repreacutesente la clef drsquoune croissance eacuteconomique durable Il fautpeut-ecirctre srsquoinquieacuteter du lent cheminement que montrent les chiffres officiels de la pro-ductiviteacute ameacutericaine et qui dure depuis le deacutebut des anneacutees 1970 la progressionannuelle de la production horaire du travail reste environ agrave 1 par an bien en dessousdu taux annuel de presque 3 des anneacutees 1950 et 1960

Par conseacutequent nombreux sont les grands patrons qui ont bien du mal agrave croire cesstatistiques officielles Pour une part ils pensent improbable que la reacutevolution numeacute-rique qui a eu tant drsquoimpact sur la conduite des affaires nrsquoait pu montrer davantagede retour sur investissement De plus les dirigeants de nombreuses entreprises pensentque lrsquointensiteacute de la concurrence les a forceacutes agrave engager des mesures radicales pour aug-menter la productiviteacute et ils ne peuvent croire qursquoil y ait aussi peu de retombeacutees surlrsquoeacuteconomie dans son ensemble

Pour ceux qui croient que les si monotones statistiques officielles sur la productiviteacutesont fausses il apparaicirct eacutevident que les monotones visions conventionnelles sur leslimites de la croissance sont eacutegalement fausses Apregraves tout supposons que nous

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croyions que la croissance reacuteelle de la productiviteacute dans les anneacutees 1990 a eacuteteacute deux foisplus importante que cette mesure de 1 disons qursquoelle a eacuteteacute de 25 par exempleNous devons alors croire eacutegalement que la croissance du potentiel eacuteconomiquesomme de ces taux de 1 pour la croissance de la productiviteacute et pour la force de tra-vail est reacuteellement de 35 et non de 2 Alors la Fed ne pourrait-elle pas laisser lrsquoeacuteco-nomie srsquoeacutechapper

Prenons le problegraveme par eacutetape Il faut drsquoabord admettre que les critiques des statisti-ques officielles de productiviteacute sont fondeacutees bien qursquoil y existe des contre-argumentsDes techno-sceptiques aiment agrave souligner que mecircme si la technologie numeacuterique estclinquante et laquo glamour raquo on constate qursquoelle fait moins pour la production reacuteelle destravailleurs que ne lrsquoont fait dans le passeacute bien des innovations moinslaquo photogeacuteniques raquo pour donner un exemple drsquoune technologie qui sans avoir quoi quece soit de laquo glamour raquo a eu un effet profond sur lrsquoeacuteconomie jrsquoeacutevoque souvent la conte-neurisation du fret qui a litteacuteralement eacutelimineacute le besoin en centaines de milliers de doc-kers et autres manutentionnaires Lrsquoenthousiasme initial passeacute les affaires ont deacutemontreacuteque certaines nouvelles technologies parmi lesquelles les ordinateurs de bureau com-portaient des coucircts cacheacutes importants On a par ailleurs fait remarquer que de nombreu-ses entreprises en se restructurant nrsquoeacuteliminent pas tant les postes de travail qursquoelles neles externalisent ces postes glissant depuis de grandes firmes ougrave les reacutemuneacuterations sonteacuteleveacutees agrave de petits fournisseurs qui ont eux des eacutechelles de salaires plus basses Du pointde vue de la socieacuteteacute restructureacutee il peut sembler que le mecircme travail est reacutealiseacute par unnombre de personnes nettement moindre de celui de lrsquoeacuteconomie dans son ensemblela production par travailleur peut ne pas avoir beaucoup grimpeacute voire pas du tout Cequi est bien pire crsquoest que des eacuteconomistes tentent drsquoeacutevaluer la croissance de la produc-tiviteacute et restent parfaitement indeacutecis quant aux reacutesultats la productiviteacute a eacuteteacute grande-ment sous-eacutevalueacutee pour un petit nombre drsquoentre eux elle lrsquoaurait eacuteteacute de moitieacute maisun nombre conseacutequent drsquoeacuteconomistes pensent aussi que les chiffres officiels sont plusou moins vrais

Neacuteanmoins cette discussion est vraiment drsquoun inteacuterecirct mineur pour le problegraveme enquestion car si nous nous demandons quel est lrsquoobjectif de croissance approprieacute ilnrsquoest pas important que les chiffres officiels soient justes Il est essentiel de se rappelerque la productiviteacute par deacutefinition se deacutefinit comme la production par travailleurQuand on parle de productiviteacute dans lrsquoeacuteconomie globale ameacutericaine on parle du PNBreacuteel par travailleur employeacute aux Eacutetats-Unis ni plus ni moins (en anticipant sur la pro-chaine partie peut-ecirctre ne faut-il pas oublier que ni la production geacuteneacutereacutee ni les tra-vailleurs employeacutes par des compagnies ameacutericaines en dehors des Eacutetats-Unis ne jouentun rocircle dans le calcul du PNB ou de la productiviteacute) Supposons agrave preacutesent qursquoil soit vraique la productiviteacute (PNB reacuteel par travailleur) a reacuteellement grimpeacute agrave 25 depuis 1990 cela veut-il dire pour autant que la Fed aurait ducirc preacutevoir un objectif de croissance

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de 35 pour cette peacuteriode et qursquoen autorisant le PNB agrave monter agrave 2 seulement lepotentiel eacuteconomique srsquoest trouveacute bloqueacute Pas du tout Apregraves tout si la productiviteacuteest par deacutefinition eacutegale au PNB reacuteel par travailleur et si personne ne soutient que leschiffres sur lrsquoemploi sont faux preacutetendre que la vraie croissance de la productiviteacute estreacuteellement de 15 supeacuterieure aux statistiques crsquoest eacutegalement preacutetendre que le vraiPNB est supeacuterieur drsquoautant Nous pouvons alors non pas accuser la Fed de ne pas avoirinsuffleacute agrave lrsquoeacuteconomie les 35 qursquoelle meacuteritait mais la feacuteliciter drsquoavoir donneacute un tauxde croissance absolument exact

Voyons les choses un peu diffeacuteremment si la Fed avait tenteacute de parvenir agrave un tauxmesureacute mais non reacuteel de 35 cela aurait correspondu en fait agrave ambitionner un tauxreacuteel de croissance de 5 autrement dit bien au-dessus du potentiel eacuteconomique Etune tentative analogue sur la peacuteriode 1990-1996 aurait provoqueacute une baisse brutale dutaux de chocircmage agrave 2 bien en dessous des niveaux actuels Ce taux ne paraicirct reacutealisa-ble qursquoagrave un nombre limiteacute de personnes La question de savoir si les statistiques denotre eacuteconomie sous-estiment la croissance de la productiviteacute est tregraves importante dansde nombreux cas toutefois elle nrsquoapporte rien quand on se demande si le taux decroissance consideacutereacute comme objectif agrave atteindre serait plus haut si on utilisait cesmecircmes statistiques

Mondialisation et inflation

Lrsquoaffirmation selon laquelle lrsquoeacuteconomie ameacutericaine en deacutepit de statistiques moro-ses est actuellement en train de connaicirctre un taux eacuteleveacute de croissance de productiviteacuteest lrsquoun des deux jetons importants du nouveau paradigme Le second consiste agrave preacute-tendre que gracircce agrave la nouvelle ampleur de la concurrence mondiale le fait drsquoaugmen-ter la demande ne megravenera pas agrave lrsquoinflation mecircme avec des taux de chocircmage tregraves basLrsquohistoire continue diffeacuterente du passeacute Les entreprises ameacutericaines ont aujourdrsquohui agraveaffronter la compeacutetition reacuteelle ou potentielle drsquoadversaires europeacuteens et asiatiques mecircme en cas de forte demande elles nrsquooseront donc pas monter les prix de peur queses adversaires ne srsquoemparent du marcheacute

Comme dans le cas de la sous-estimation de la croissance de la productiviteacute il estpossible de veacuterifier cette affirmation sur des faits Il est indeacuteniable que de nombreusesfirmes ameacutericaines affrontent la concurrence internationale jusqursquoagrave un degreacute sans preacute-ceacutedent Neacuteanmoins cette compeacutetition mondiale a lieu essentiellement dans ledomaine de la production de biens car tregraves peu de services sont commercialiseacutes sur lemarcheacute international Et mecircme dans lrsquoindustrie bon nombre drsquoentreprises restent

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totalement agrave lrsquoeacutecart de la concurrence eacutetrangegravere avez-vous vu reacutecemment des reacutefrigeacute-rateurs chinois Comme nous avons essentiellement une eacuteconomie de service pasplus de 25 et probablement moins de 15 des emplois et de la valeur ajouteacutee sontreacuteellement soumis agrave cette sorte de discipline du marcheacute mondial procircneacutee par le nou-veau paradigme

Mais discuter sur lrsquoextension exacte de la mondialisation comme discuter sur le justetaux de la croissance de la productiviteacute est hors sujet Mecircme si la concurrence mondialejouait un rocircle plus important dans lrsquoeacuteconomie ameacutericaine qursquoelle ne le fait reacuteellementune telle compeacutetition nrsquoaugmenterait pas la vitesse limite de lrsquoeacuteconomie En effet peuimporte la taille de lrsquoeacuteconomie mondiale car mecircme si tous les rattrapages eacuteconomiquesont eacuteteacute faits le taux maximum de croissance dans nrsquoimporte quel domaine de cetteeacuteconomie est eacutegal agrave la somme de la croissance de la productiviteacute et de la force de travailde ce domaine

Ce point semble particuliegraverement difficile agrave saisir probablement parce que de nom-breuses personnes supposent faussement que lrsquoeacuteconomie mondiale est drsquoune faccedilon oudrsquoune autre plus importante que la somme des eacuteconomies nationales qursquoelle contientPour corriger cette impression erroneacutee souvenons-nous de la parabole preacutesenteacutee parPaul Samuelson du MIT il y a plus de 30 ans jrsquoai coutume de me reacutefeacuterer agrave cette para-bole comme lrsquohistoire de lrsquoange de Samuelson

En gros lrsquoideacutee de Samuelson eacutetait drsquoimaginer le cours de lrsquohistoire agrave lrsquoenvers Nouspensons normalement que lrsquoeacuteconomie mondiale reacutesulte drsquoune plus grande unificationeacuteconomique et crsquoest la voie que nous avons suivie pour arriver ougrave nous sommes MaisSamuelson suggeacuterait en alternative drsquoimaginer ce qursquoil se passerait si partant drsquouneeacuteconomie unifieacutee nous lrsquoeacuteclations Il proposait preacuteciseacutement la parabole suivante imaginons que agrave lrsquoorigine toutes les ressources mondiales travaillaient librementensemble sans problegraveme de distance ni de frontiegravere Mais soudain un ange descenditdu ciel et dispersa les ressources dans de nombreux pays par la suite les nationsauraient ainsi pu commercer entres elles mais neacuteanmoins des ressources telles que letravail se figegraverent (cette parabole est clairement inspireacutee de Genegravese 11 passage eacutevo-quant lrsquohistoire de la tour de Babel probablement les facteurs de production ont oseacutelancer un deacutefi au ciel) Le point important de cette parabole est que lrsquoeacuteconomie globalereacutesultant de la mise en piegravece drsquoune eacuteconomie qui nrsquoa pas de commerce internationalpuisque pas de partenaire pour commercer serait indiffeacuterentiable drsquoune eacuteconomie glo-bale produite en reacuteunissant partiellement des eacuteconomies nationales seacutepareacutees au preacutea-lable ce qui se passe en fait

Or il est facile de se leurrer en pensant que le rassemblement des eacuteconomies changeles regravegles drsquoune faccedilon ou drsquoune autre et supprime les vieilles contraintes de la politiqueeacuteconomique On pourrait agrave peine srsquoattendre agrave obtenir une nouvelle liberteacute en matiegraverede politique eacuteconomique en eacuteclatant une eacuteconomie unifieacutee Et pourtant lrsquoeacuteconomie

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mondiale reacuteelle imparfaitement unifieacutee peut ecirctre vue sous lrsquoun ou lrsquoautre angle ce quiindique qursquoil y a quelque chose de faux agrave preacutetendre que les vieilles contraintes nrsquoexis-tent plus

Les tenants du nouveau paradigme affirment une fois encore que lrsquoexpansion peutagrave preacutesent se poursuivre sans risque drsquoinflation gracircce agrave la mondialisation moneacutetaireCela peut-il ecirctre vrai Essayons de le deacutecouvrir avec lrsquoaide de lrsquoange

Drsquoabord imaginons un monde preacute-angeacutelique dans lequel toutes les ressources peu-vent travailler ensemble sans obstacle ougrave il y a un langage commun et une monnaieunique disons une monnaie constitueacutee de billets de banque rouges Cette eacuteconomiemondiale nrsquoest qursquoune grande coopeacuterative de baby-sitting si bien que lrsquoinjection deplus drsquoargent peut accroicirctre la production jusqursquoagrave un point au-delagrave duquel elle irait agravelrsquoencontre de la productiviteacute et serait naturellement dissipeacutee en inflation (Il est vraique lrsquoeacuteconomie mondiale est incroyablement immense le produit mondial brut estprobablement de lrsquoordre de 25 trillions de dollars Mais lrsquoeacuteconomie ameacutericaine agrave elleseule avec ses 7 trillions de dollars de PNB est eacutegalement incroyablement immenseOn peut utilement neacuteanmoins lrsquoimaginer comme une coopeacuterative de baby-sitting le fait de monter drsquoun cran sur lrsquoeacutechelle ne provoque pas une diffeacuterence qualitative)Supposons agrave preacutesent que lrsquoange descende et divise le monde en deux nations cha-cune posseacutedant ses propres ressources et devises un pays utilise maintenant des billetsbleus et lrsquoautre des billets verts Comment cette situation modifie-t-elle le contexte

Et bien supposons que le monde dans son ensemble soit proche du plein emploi etque les deux pays accroissent simultaneacutement leur offre de monnaie disons que chacunedrsquoelle double le nombre de billets en circulation Eacutevidemment il nrsquoy aura pas de diffeacute-rence par rapport agrave ce qui se serait passeacute si la production drsquoargent avait augmenteacute dansles mecircmes proportions dans lrsquoeacuteconomie preacute-angeacutelique Une fois que les secteurs affaiblisde lrsquoeacuteconomie mondiale auront eacuteteacute relanceacutes plus drsquoexpansion megravenera agrave lrsquoinflation

Le problegraveme aurait eacuteteacute quelque peu diffeacuterent si un seul pays avait essayeacute drsquoaccroicirctreson offre de monnaie disons que seul le pays des billets verts lrsquoait fait et pas celui desbillets bleus Il pourrait sembler que dans ce cas la compeacutetition venant du pays infla-tionniste limiterait la monteacutee des prix dans lrsquoeacuteconomie en expansion Peut-ecirctre lemonde dans son ensemble nrsquoest-il pas exempt de limitations de vitesse mais au moinsles conseacutequences inflationnistes drsquoune expansion unilateacuterale sont atteacutenueacutees Mais il y aaussi un problegraveme avec cet argument Qursquoest-il censeacute arriver au taux de change Dansle cas drsquoun taux de change flottant un accroissement du nombre de billets verts megraveneraagrave une deacutevaluation des devises vertes par rapport aux bleues Cela enclenchera directe-ment la monteacutee des prix des marchandises que le pays en expansion importe (quand onle mesure en monnaie verte) Les prix des produits en devises bleues qui sont en compeacute-tition avec les marchandises laquo vertes raquo grimperaient eacutegalement probablement en don-nant lrsquoopportuniteacute agrave ces entreprises drsquoaugmenter leurs prix En fait jusqursquoagrave la monteacutee du

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nouveau paradigme lrsquoopinion geacuteneacuterale eacutetait que lrsquoexpansion moneacutetaire megravene agrave lrsquoinfla-tion ou du moins lrsquointroduit plus rapidement si elle est supporteacutee unilateacuteralement parun seul pays plutocirct que si elle srsquoinstalle simultaneacutement dans de nombreuses nations EtlrsquoAmeacuterique a un taux de change flottant le dollar monte et descend assez rapidementsuivant que la Fed risque de relacirccher ou de renforcer sa politique

Tout ceci nrsquoest qursquoargumentaire conceptuel Mieux vaut se souvenir que si un com-merce international agrave grande eacutechelle peut encore paraicirctre nouveau en Ameacuterique laplupart des autres pays sont depuis longtemps eacutetroitement deacutependants du commerceexteacuterieur mecircme aujourdrsquohui la part des exportations et des importations dans le PNBameacutericain reste tregraves au-dessous des niveaux qui sont devenus ordinaires ailleurs etdepuis de nombreuses deacutecennies Lagrave encore lrsquoeacutevidence internationale deacutemontre aiseacute-ment que lrsquoexcegraves drsquoexpansion moneacutetaire megravene agrave lrsquoinflation aussi sucircrement dans leseacuteconomies largement ouvertes que chez celles qui font peu de commerce

Tout ceci nrsquoa pas pour but de minimiser lrsquoimportance de la mondialisation pourbeaucoup de problegravemes eacuteconomiques Par exemple il est eacutevident que la croissance ducommerce mondial a eacuteteacute un facteur important dans le deacuteveloppement eacuteconomique denombreux pays pauvres en revanche le rocircle qursquoil a joueacute dans lrsquoineacutegaliteacute croissante desrevenus dans les pays deacuteveloppeacutes fut moins heureux Quoi qursquoil en soit la mondialisa-tion nrsquoa sucircrement pas changeacute de faccedilon importante les regravegles reacutegissant lrsquoallure de crois-sance de lrsquoeacuteconomie ameacutericaine Mondialisation ou pas si la Fed tente une expansioneacuteconomique plus rapide que la somme de la croissance de la force de travail et de laproductiviteacute il en reacutesultera lrsquoinflation

Le succegraves drsquoun paradigme

Il y a quelque chose drsquoincroyable dans la faveur dont jouit le paradigme Celui-cirepose sur deux arguments cleacutes une croissance eacuteleveacutee de la productiviteacute justifie desobjectifs de croissance plus eacuteleveacutes et la compeacutetition mondiale preacuteserve de lrsquoinflationQuoi qursquoil en soit et comme nous lrsquoavons vu preacuteceacutedemment ces deux arguments netiennent pas et mecircme paraissent assez sots quand on fait une analyse critique simpleet superficielle En outre les critiques eacutevoqueacutees dans cet article ne vont pas tregraves loin etrestent banales ma propre expeacuterience me montre que quand on essaye drsquoexpliquerle nouveau paradigme agrave un macro-eacuteconomiste classique qui ignore la doctrine delrsquoinfluence de la croissance il formule essentiellement la mecircme critique que celle quevous venez de lire et il lui paraicirct impossible que quiconque puisse consideacuterer cette doc-trine seacuterieusement

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Neacuteanmoins et tout particuliegraverement dans le monde des affaires de nombreuses per-sonnes prennent cette doctrine tregraves au seacuterieux Pourquoi Tout drsquoabord les critiquesdeacutecrites ici ne viennent pas spontaneacutement chez un homme drsquoaffaires Les affaires setraitent essentiellement dans un milieu microeacuteconomique cela implique de com-prendre ce qui se passe au niveau drsquoun seul marcheacute mais non la faccedilon dont les marcheacutesinteragissent Un chef drsquoentreprise nrsquoa en geacuteneacuteral pas besoin de comprendre les pro-blegravemes de la macroeacuteconomie qui a pour essence lrsquointeraction des marcheacutes Pourquoiun directeur geacuteneacuteral devrait-il savoir ou srsquoinquieacuteter de lrsquoinfluence de lrsquoaccroissementde lrsquooffre moneacutetaire sur le PNB ou la faccedilon dont ces effets varient suivant que le tauxde change est flottant ou fixe Le succegraves du nouveau paradigme tient agrave une seconderaison crsquoest qursquoil dit bien sucircr ce que les hommes drsquoaffaires ont envie drsquoentendre Quine serait pas attireacute par une doctrine promettant que lrsquoeacuteconomie peut srsquoeacutetendre sanslimites et pour un temps infini

Toutefois il existe un motif suppleacutementaire agrave cet attrait particulier du nouveauparadigme il est extrecircmement flatteur pour son public constitueacute drsquohommes drsquoaffai-res Imaginons un avocat du nouveau paradigme srsquoadressant agrave un groupe disons deplusieurs centaines de dirigeants Ils srsquoentendront dire que leur nouveau style de mana-gement efficace et leur option pour la technologie de pointe ont provoqueacute une reacutevo-lution dans la productiviteacute alors qursquoils savent tous qursquoils ne peuvent augmenter lesprix car ils doivent faire face agrave une intense concurrence mondiale Sucircrement dans cegroupe quelques directeurs reacuteagiront honnecirctement laquo Et bien il est possible que cesoit comme cela dans drsquoautres branches Neacuteanmoins dans mon usine le fait est que laproductiviteacute nrsquoa pas beaucoup progresseacute reacutecemment Mais cela nrsquoa pas vraimentaffecteacute notre beacuteneacutefice en fait nos produits nrsquoentrent pas trop dans la compeacutetitionmondiale et nous avons un accord tacite avec nos concurrents nationaux afin de nepas provoquer une guerre des prix ce qui est de notre inteacuterecirct agrave tous raquo Soyons reacutealistesquelle est la probabiliteacute pour que quelqursquoun se legraveve et le dise

Peut-ecirctre ne devons-nous pas alors nous eacutetonner de la progression rapide de ce nou-veau paradigme qui met agrave lrsquoaise les hommes drsquoaffaires quant agrave leurs perspectives eacuteco-nomiques et aussi avec eux-mecircmes

Mais il est temps de redevenir seacuterieux aussi attrayante soit-elle une doctrine eacuteco-nomique qui ne supporte pas une critique fondeacutee doit ecirctre rejeteacutee Nous aimerionscroire qursquoil suffit que la Fed laisse faire pour que la croissance ameacutericaine soit beaucoupplus rapide mais toutes les eacutevidences suggegraverent que ce nrsquoest pas le cas

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Vitesse-limite Reacutealiteacutes et fictions dans le deacutebat sur la croissance

Alan S BLINDER1

laquo Say it ainrsquot so Joe raquo (Dis-moi qursquocrsquoest pas vrai Joe)

Crsquoest ce qursquoaurait dit en 1919 un jeune garccedilon srsquoadressant agrave Shoeless Joe Jackson starternie de lrsquoinfacircme laquo Black Sox raquo de Chicago On a entendu le mecircme cri en feacutevrier 1997quand le Council of Economic Advisers2 alors dirigeacutee par Joseph Stiglitz a bloqueacute letaux de croissance agrave long terme agrave seulement 23 par an laquo Say it ainrsquot so Joe raquo

Tel ce jeune fan de base-ball les optimistes de la croissance qursquoils soient de gauchecomme de droite ne veulent pas qursquoune dure reacutealiteacute investisse et ruine leurs recircves MaisJoe Jackson ne pouvait pas dire que ce nrsquoeacutetait pas vrai parce que ccedila lrsquoeacutetait bel et bien et Joe Stiglitz ne pouvait pas le dire non plus

En se basant sur des regravegles arithmeacutetiques simples que je vais exposer briegravevement leseacuteconomistes conventionnels sont pour une fois tous drsquoaccord sur le fait que le taux decroissance tendanciel du PNB aux Eacutetats-Unis celui gracircce auquel le taux de chocircmagereste stable se situe entre 2 et 25 En fait le point central de la preacutetenduelaquo controverse raquo opposant lrsquoadministration Clinton au Congressional Budget Office(CBO) sur le choix des hypothegraveses eacuteconomiques porte sur la question de savoir si letaux de croissance tendanciel agrave retenir pour les preacutevisions du budget est de 23 oude 21 Le CBO preacuteconise le dernier chiffre voilagrave ougrave se situe la controverse

Neacuteanmoins nombre de politiciens de premier plan de dirigeants influents etdrsquoauteurs connus du grand public refusent drsquoaccepter cette conclusion laquo pessimiste raquoIls preacutetendent que lrsquoon pourrait progresser plus rapidement si le gouvernement menaitune politique favorisant davantage la croissance Agrave vrai dire cet argument comportedeux variantes distinctes que lrsquoon confond souvent mais qui doivent plutocirct ecirctre con-sideacutereacutees seacutepareacutement

1 ALAN S BLINDER est professeur deacuteconomie agrave lUniversiteacute de Princeton et directeur du PrincetonsCenter for Economic Policy Studies Cet article a eacuteteacute publieacute initialement en anglais dans The AmericanProspect Issue 34 September-October 1997 sous le titre laquoThe Speed Limit Fact and Fancy in theGrowth Debateraquo (httpwwwprospectorgarchives3434blinfshtml) Traduit et reproduit aveclrsquoaimable autorisation de lrsquoauteur Reprinted with permission from The American Prospect 34 Septem-ber-October 1997 Copyright 1997 The American Prospect PO Box 772 Boston MA 02102-0772 Allrights reserved2 LrsquoAssembleacutee des conseillers eacuteconomiques de la Maison Blanche (NdT)

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Dans la premiegravere variante il existe un point de vue reacutecurrent les politiques moneacute-taires trop rigoureuses brident lrsquoeacuteconomie Selon les critiques de droite comme de gau-che lrsquoavarice de la Reacuteserve Feacutedeacuterale prive lrsquoeacuteconomie ameacutericaine de son potentielquand sont actionneacutes preacutematureacutement les freins moneacutetaires sous preacutetexte que cetteinstitution voit des fantocircmes inflationnistes Cela provoque une stagnation consideacute-rable du systegraveme et nous pourrions prospeacuterer beaucoup plus vite pendant quelquetemps en engageant dans la production des ressources inutiliseacutees

La seconde variante au contraire met en eacutevidence un problegraveme sur la croissance agravelong terme la tendance de croissance est ou pourrait ecirctre plus rapide que lrsquoestimationconventionnelle de 2 agrave 25 Nous pourrions deacutepasser deacutefinitivement cette fausselaquo limite de vitesse raquo en adoptant une politique de reacuteglementation et de taxation ducapital plus douce Cette critique eacutemane geacuteneacuteralement de la droite ainsi par exemplependant la campagne preacutesidentielle de 1996 Bob Dole a affirmeacute que son projet eacutecono-mique qui preacutevoyait une importante baisse de lrsquoimpocirct sur le revenu ferait grimper lacroissance agrave 35 lrsquoan Son colistier Jack Kemp est alleacute encore plus loin en affirmantque cette politique ferait doubler le taux de croissance Doubler Lrsquoamener agrave 5 Deacutecideacutement nous avons vraiment lagrave un fan de Shoeless Joe Jackson

Les eacuteconomistes traditionnels prennent ces deux arguments pour des balivernes etjrsquoexplique pourquoi dans cet article Mais auparavant je souhaite affirmer sans eacutequivo-que que personne nrsquoaimerait plus que moi que ces arguments soient vrais Je souhaiteeacutegalement que les Dodgers retournent agrave Brooklyn et qursquoil nrsquoy ait plus de misegravere dans lemonde Malheureusement aucune de ces perspectives fabuleuses nrsquoest imminente

Plus vite agrave court terme

Tout drsquoabord voyons lrsquoargument reacutecurrent des taux drsquointeacuterecirct plus bas pourraientfaire grimper la croissance pendant quelque temps sans augmenter lrsquoinflation LaReacuteserve Feacutedeacuterale devrait donc assouplir sa position et donner agrave lrsquoeacuteconomie plus deliberteacute Est-ce veacuterifiable Examinons quelques faits pertinents

Le taux de chocircmage ne repreacutesente en aucun cas un indicateur parfait de la pressionglobale sur la capaciteacute de production mais crsquoest un concept qui a en tout cas le meacuteritedrsquoexister on pourrait drsquoailleurs dire la mecircme chose de lrsquoindice de capaciteacute de produc-tion de la Reacuteserve Feacutedeacuterale Donc le taux de chocircmage a chuteacute de 77 en juin 1992agrave 58 en septembre 1994 ensuite il a connu de faibles variations entre 58 et 54 jusqursquoen juin 1996 peacuteriode agrave laquelle il a encore baisseacute drsquoun cran Il srsquoest eacutetabli enmoyenne agrave 53 entre juin 1996 et mars 1997 Les chiffres correspondant agrave avril et

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mai 1997 sont descendus en dessous des 5 crsquoeacutetait les plus bas niveaux que lrsquoon aitconnus depuis 1973

Observons maintenant comment srsquoest comporteacutee lrsquoinflation pendant chacun de cestrois eacutepisodes De juin 1992 agrave aoucirct 1994 le taux de chocircmage a eacuteteacute continuellementsupeacuterieur agrave 6 puisqursquoil srsquoeacutetablissait en moyenne agrave 68 et lrsquoinflation a baisseacuteEnsuite de lrsquoeacuteteacute 1994 agrave lrsquoeacuteteacute 1996 le chocircmage a atteint la moyenne de 56 et lrsquoinfla-tion est resteacutee remarquablement stable De cette expeacuterience on a conclu que ces 56 constituaient une excellente estimation de ce que lrsquoon appelle le NAIRU (horrible acro-nyme pour laquo Non Accelerating Inflation Rate of Unemployment raquo autrement dit leniveau de chocircmage auquel lrsquoinflation nrsquoaugmente ni ne descend)

Les taux drsquoinflation et de chocircmage sur les 10 derniegraveres anneacutees

Source Bureau of Labor Statistics

Eacutetant donneacute que lrsquoinflation a baisseacute quand le chocircmage a atteint en moyenne 68 et srsquoest stabiliseacutee quand le taux de chocircmage a atteint en moyenne 56 il est tout agravefait logique de penser qursquoun chocircmage nettement infeacuterieur agrave 56 devrait faire aug-menter lrsquoinflation La derniegravere fois que nous avons connu un taux de chocircmage aussibas sur une peacuteriode prolongeacutee on eacutetait entre 1988 et 1990 Ce taux a drsquoabord plongeacuteau-dessous de 6 agrave la fin de 1987 et a continueacute agrave deacutecroicirctre jusqursquoagrave 5 enmars 1989 pour ne pas remonter agrave 6 avant novembre 1990 Pendant cette

88 93 94 95 96 9790 91 9289

2

3

4

5

6

7

8

Inflation(change in core CPIfrom one year earlier

Unemployment

Ind

ex 1

992

=100

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peacuteriode lrsquoinflation structurelle est passeacutee de 4 agrave environ 55 Il semble donc quela theacuteorie se justifie

Lrsquoexpeacuterience tregraves reacutecente a cependant eacuteteacute plus favorable que le passeacute le laissait enten-dre et nombreux sont ceux qui lrsquoont fait remarquer Notamment lrsquoinflation a baisseacutealors que le taux de chocircmage eacutetait descendu agrave moins de 54 Mais cette peacuteriode a dureacutemoins drsquoun an ce qui est bien trop court pour tirer des conclusions eacutetant donneacute le tempsde reacuteponse (long) de lrsquoinflation en regard de marcheacutes tendus Par exemple on peut esti-mer grossiegraverement que si le NAIRU est de 56 une anneacutee agrave 52 de chocircmage devraitfaire augmenter le taux drsquoinflation de 02 Une telle augmentation est bien tropminuscule pour ecirctre deacutetecteacutee dans les donneacutees Surtout lorsqursquoexactement au mecircmemoment des ameacuteliorations dans lrsquoindice des prix agrave la consommation reacuteduisent lrsquoinfla-tion mesureacutee Certes lrsquoexpeacuterience reacutecente offre reacuteellement quelque espoir que le NAIRU

soit agrave 55 Mais il serait preacutematureacute de tirer une conclusion agrave ce stade

Pour finir demandons-nous ce que faisait la parcimonieuse Reacuteserve Feacutedeacuterale pendantce tempshellip Au cours drsquoune peacuteriode de pregraves de 2 ans ougrave le chocircmage eacutetait agrave 56 (chiffreque la plupart des observateurs en 1994 pensaient infeacuterieur agrave celui du NAIRU) la ReacuteserveFeacutedeacuterale a drsquoabord du jour au lendemain releveacute son taux drsquointeacuterecirct de 125 (ennovembre 1994 et en feacutevrier 1995) pour ralentir lrsquoeacuteconomie ensuite elle lrsquoa rabaisseacutede 075 (en juillet 1995 deacutecembre 1995 et janvier 1996) pour donner un petit coup defouet agrave lrsquoeacuteconomie Apregraves cela jusqursquoen mars 1997 elle nrsquoest pas intervenue alors que letaux de chocircmage non seulement restait bas mais de surcroicirct deacuterivait agrave la baisse Selon moiune telle attitude nrsquoest pas digne drsquoun Harpagon la Reacuteserve Feacutedeacuterale devait plutocirct cher-cher agrave deacutecouvrir avec prudence (peut-ecirctre par hasard) agrave quel niveau pouvait ecirctre le NAIRU

La Reacuteserve Feacutedeacuterale maintenait-elle vraiment la croissance en dessous de son potentiel Rappelons-nous que la croissance tendancielle se deacutefinit comme le taux de croissance quisuffit agrave absorber lrsquoaugmentation annuelle de la main-drsquoœuvre et qui ne fait ni monter ni des-cendre le taux de chocircmage Observons maintenant les chiffres Entre le 1er trimestre 1994et le 1er trimestre 1997 le taux annuel de croissance du PNB a atteint en moyenne 26 Pendant ces deux ans et demi le taux de chocircmage a chuteacute drsquoenviron 07 ce qui signifieque les 26 de croissance sont leacutegegraverement au-dessus de la tendance

Affirmer que nous aurions pu progresser plus vite sans une inflation plus forterevient agrave dire que le chocircmage aurait pu chuter beaucoup plus qursquoil ne lrsquoa fait sans pourautant entraicircner une augmentation de lrsquoinflation Regardons agrave nouveau les chiffres Sila croissance avait atteint en moyenne les 35 au lieu des 26 le taux de chocircmageserait maintenant infeacuterieur agrave 4 niveau que lrsquoon a connu pour la derniegravere fois lors dela guerre du Vietnam Aucun observateur seacuterieux du marcheacute du travail ameacutericain necroit que nous avons ce niveau de main-drsquoœuvre inutiliseacutee En fait les teacutemoignages dupays entier abondent qui confirment lrsquoopinion geacuteneacuteralement admise que le marcheacutedu travail est maintenant tregraves tendu

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Le taux de chocircmage reacuteel

Extrait de Lester Thurow The Crusade Thats Killing ProsperityThe American Prospect ndeg25 March-April 1996

httpwwwprospectorgarchives2525thurhtml

Agrave lrsquoautomne 1995 le taux officiel de chocircmage aux Eacutetats-Unis stagnait aux environsde 57 Mais de la mecircme faccedilon que crsquoest la partie immergeacutee de lrsquoiceberg qui est laplus importante ces statistiques ne repreacutesentaient en fait qursquoun faible pourcentage dunombre de travailleurs cherchant davantage de travail

Agrave cette eacutepoque entre 75 et 8 millions drsquoAmeacutericains eacutetaient officiellement recenseacutescomme chocircmeurs Si on y ajoute drsquoune part les 5 agrave 6 millions de personnes qui ne tra-vaillent pas mais qui ne reacutepondent agrave aucun des tests pour ecirctre compteacutees parmi les actifssans emploi et ne sont donc pas consideacutereacutees comme chocircmeurs et drsquoautres part les45 millions de travailleurs agrave temps partiel qui souhaiteraient un emploi agrave plein tempson arrive agrave un total de 17 agrave 185 millions de personnes qui cherchent agrave travaillerdavantage Tout ceci porte le taux de chocircmage reacuteel agrave pregraves de 14

La faiblesse de la croissance a eacutegalement geacuteneacutereacute un eacutenorme contingent de main-drsquoœuvre sous-employeacutee On compte aux Eacutetats-Unis 81 millions de travailleurs tem-poraires 2 millions de personnes qui travaillent laquo sur demande raquo et 83 millions detravailleurs indeacutependants (dont un grand nombre de licencieacutes eacuteconomiques qui onttregraves peu de clients mais srsquointitulent eux-mecircmes consultants parce qursquoils sont trop fierspour admettre qursquoils sont au chocircmage) En additionnant les effectifs de ces trois popu-lations on aboutit agrave un total de plus de 18 millions de personnes la majoriteacute drsquoentreelles souhaitent elles aussi plus de travail et de meilleurs emplois Tous ces travailleurscontingents repreacutesentent eux aussi 14 de la population active Selon les termes dumagazine Fortune laquo La pression agrave la hausse sur les salaires est nulle car un tregraves grandnombre des personnes employeacutees font partie de ces travailleurs laquo contingents raquo quine disposent pas de pouvoir de neacutegociation face agrave un employeur et les employeacutes sala-rieacutes reacutealisent qursquoils doivent nager dans le mecircme oceacutean darwinien raquoTout comme leschocircmeurs ces travailleurs contingents exercent des pressions agrave la baisse sur les salaires

En outre il manque 58 millions drsquohommes ayant entre 25 et 60 ans soit 4 autres pour-cent de la population active qui figurent dans les recensements mais non dans les sta-tistiques du travail Ils ne beacuteneacuteficient pas de moyens de subsistance repeacuterables ce sontdes personnes qui sont en acircge de travailler ont eu un emploi autrefois ne sont pas enformation et sont encore trop jeunes pour ecirctre retraiteacutes On ne les voit ni dans les statis-tiques de lrsquoemploi ni dans celles du chocircmage Il srsquoagit drsquohommes qui volontairement ouagrave leur corps deacutefendant ont deacutecrocheacute du circuit normal certains sont devenus sansdomicile fixe les autres ont disparu dans lrsquoilleacutegaliteacute de lrsquoeacuteconomie souterraine

Si lrsquoon additionne ces trois groupes on arrive agrave la conclusion qursquoun Ameacutericain sur troisen acircge drsquoecirctre actif est potentiellement en train de rechercher du travail Ajoutez-y les11 millions drsquoimmigrants (leacutegaux ou illeacutegaux) qui sont entreacutes aux Eacutetats-Unis

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entre 1980 et 1993 et qui souhaitent travailler davantage et mieux gagner leur vie on arrive agrave un oceacutean de personnes qui sont soit au chocircmage soit sous-employeacutees soitnouvellement arriveacutees sur le territoire et agrave la recherche de travail

Ces millions de personnes agrave la recherche drsquoun emploi conduisent agrave mieux replacer agravelrsquoeacutechelle humaine la reacutesultante que chacun comprend aiseacutement agrave 5 heures du soir uneentreprise de taille moyenne speacutecialiseacutee dans la pacircte de verre annonce 10 postes agrave pour-voir sur son tableau drsquoaffichage le lendemain matin agrave 5 heures 2 000 postulantsforment deacutejagrave une file drsquoattente pour ces 10 postes

En somme il est fort peu probable que notre eacuteconomie ait beaucoup de champ avantdrsquoatteindre sa capaciteacute de plein emploi Il est plus probable en fait que nous avons deacutejagraveatteint ce point Les eacuteconomistes en sont-ils certains agrave 100 Bien sucircr que non il nesrsquoagit pas de physique ou drsquoune autre science exacte Mais si vous avez lrsquointention deparier le contraire vous risquez gros

La perspective agrave long terme

Venons-en maintenant au problegraveme le plus important les estimations sur la ten-dance de croissance de lrsquoeacuteconomie agrave long terme Pour commencer avec une estimationlaquo du haut vers le bas raquo rappelons que le chocircmage a chuteacute alors que la croissance du PNBatteignait environ 26 Cela signifie que la tendance doit ecirctre infeacuterieure agrave 26 paran Et de combien La faccedilon la plus simple drsquoestimer la tendance est de calculer la crois-sance reacuteelle du PNB agrave un intervalle de 2 ans avec un taux de chocircmage constant onpourrait drsquoailleurs tout aussi bien utiliser des trimestres mais le recours agrave des anneacuteesplutocirct qursquoagrave des trimestres permet de lisser les anomalies au niveau des donneacuteesLrsquoexemple le plus reacutecent drsquoun tel contexte est la peacuteriode de 1990 agrave 1995 Pendant ces5 anneacutees la croissance reacuteelle a atteint une moyenne de 19 par an

Un calcul inverse (laquo du bas vers le haut raquo) donne une estimation similaire Selon leslois de lrsquoarithmeacutetique le taux de croissance tendancielle de la production srsquoobtient enadditionnant le taux de croissance de la main-drsquoœuvre et celui de la productiviteacute de lamain-drsquoœuvre crsquoest-agrave-dire la production par heure travailleacutee Les estimations habi-tuelles situent chacun de ces chiffres autour de 11 par an Donc la croissance ten-dancielle est estimeacutee agrave 22 agrave 1 ou 2 dixiegravemes pregraves

Ougrave donc est lrsquoerreur Il ne peut guegravere y avoir matiegravere agrave discussion sur le taux de crois-sance tendancielle de la main-drsquoœuvre puisqursquoil est connu avec une tregraves faible margedrsquoerreur Notons au passage que la main-drsquoœuvre a augmenteacute drsquoenviron 17 lrsquoan

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dans les anneacutees 1980 et de 27 dans les anneacutees 1970 crsquoest lrsquoune des raisons pour les-quelles nous ne pouvons plus progresser aussi rapidement que nous le faisions alors etpar exemple des pheacutenomegravenes comme lrsquoeacutenorme augmentation de la main-drsquoœuvrefeacuteminine ne peuvent se reproduire

Le litige entre 22 et 35 de croissance potentielle ne provient donc pas de lamain-drsquoœuvre Son origine doit donc neacutecessairement se situer au niveau de lrsquoaugmenta-tion de la productiviteacute et crsquoest le cas La preuve de cette opinion geacuteneacuterale est soigneuse-ment reacutesumeacutee dans le graphique ci-dessous qui est adapteacute du Rapport eacuteconomique duPreacutesident de 1997 Il y est deacutemontreacute que la production horaire dans le secteur industrielameacutericain a progresseacute beaucoup plus lentement apregraves 1973 qursquoavant seulement 11 par an pendant 23 ans Un preacutevisionniste prudent aurait extrapoleacute cette tendance etnrsquoaurait pas supposeacute qursquoune brusque recrudescence de la productiviteacute eacutetait imminente

Le ralentissement de lrsquoaugmentation de productiviteacute

La production par heure travailleacutee dans le secteur industriel ameacutericain

1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995

40

60

80

120

100

Actual

Trend

Trend = 11 (annual rate)

Trend = 29 (annual rate)

Per

cen

t

January 1998 - April 1997 (Monthly) Source Department of Labour

Output per hour

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Lagrave les optimistes de la croissance se legravevent pour protester laquo Dites attendez uneminute avec tous les miracles technologiques dans lrsquoinformatique et les teacuteleacutecommu-nications et avec toute la restructuration industrielle comment pouvez-vous espeacuterernous faire admettre que la croissance de la productiviteacute aux Eacutetats-Unis est seulementde 11 par an Les chiffres doivent ecirctre faux raquo Jrsquoaimerais reacutepondre agrave cette objectionagrave 2 niveaux car drsquoune certaine faccedilon je suis agrave certains eacutegards en accord avec elle et endeacutesaccord agrave certains autres eacutegards

Le deacutesaccord lrsquoemporte quand mecircme Supposons que notre taux de croissance de la pro-ductiviteacute en cours de mesure officielle soit reacuteellement beaucoup plus eacuteleveacute que 11 Pourecirctre concrets utilisons par exemple lrsquoestimation Dole-Kemp de 24 Dans ce cas la crois-sance du PNB de 19 par an entre 1990 et 1995 aurait ducirc ecirctre obtenue avec moins de tra-vail puisque la production agrave lrsquoheure a augmenteacute plus rapidement En fait le nombredrsquoemplois salarieacutes a augmenteacute de presque 8 millions Crsquoest donc eacutevidemment faux Onpeut arriver agrave cette mecircme conclusion drsquoune autre faccedilon si la croissance reacuteelle de ces5 anneacutees se trouvait amputeacutee de 16 de croissance par an (19 au lieu de 35 ) le taux dechocircmage aurait ducirc croicirctre drsquoenviron 4 points sur cette peacuteriode En fait il est resteacute inchangeacute

Mais il y a une raison pour laquelle les optimistes de la croissance peuvent avoirraison il se peut que les donneacutees officielles sous-estiment la croissance de la produc-tiviteacute Les statistiques gouvernementales veulent nous faire croire que ce que les eacuteco-nomistes appellent laquo la productiviteacute totale des facteurs raquo (la variation positive de laproduction deacutecoulant de lrsquoefficaciteacute du travail des technologies et de lrsquoorganisationsans qursquoil soit besoin de facteurs de production additionnels) nrsquoa absolument pas aug-menteacute depuis 1977 Or cette proposition est absolument impensable

Les lecteurs de The American Prospect ont connaissance du reacutecent deacutebat sur la preacuteten-due distorsion de lrsquoindice des prix agrave la consommation Les arguments selon lesquels cetindice sur-eacutevalue lrsquoinflation sont irreacutefutables mecircme si lrsquoampleur de la distorsion estfortement contesteacutee En revanche moins nombreux sont ceux qui semblent avoirremarqueacute que nrsquoimporte quelle distorsion agrave la hausse dans la mesure de lrsquoinflationimplique une distorsion correspondante dans la mesure de la croissance reacuteelle Eteacutetant donneacute que la contribution de la main-drsquoœuvre est quantifieacutee assez preacuteciseacutementlrsquoerreur drsquoeacutevaluation porte au niveau de la productiviteacute Par exemple si lrsquoinflation estsurestimeacutee de 1 par an la croissance reacuteelle peut en fait ecirctre de 1 au-dessus des sta-tistiques officielles crsquoest-agrave-dire 3 au lieu de 2

Dans ce cas cependant ils ont encore tort ces optimistes de la croissance qui srsquoinsur-gent contre la Reacuteserve Feacutedeacuterale agrave qui ils reprochent drsquoavoir freineacute lrsquoeacuteconomie Les cri-tiques se trompent sur 2 points

Premiegraverement les erreurs drsquoeacutevaluation de la productiviteacute affectent les donneacutees duPNB au niveau reacuteel aussi bien que potentiel Donc elles nrsquoimpliquent en aucun cas que

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lrsquoeacuteconomie a plus de capaciteacute de reacuteserve que nous le pensons Le problegraveme nrsquoest pasque nous devrions croicirctre plus vite que nous ne le faisons mais crsquoest plutocirct que nouscroissons plus rapidement que ne le montrent les donneacutees

Eacutevidemment ceux qui preacutetendent que lrsquoeacuteconomie ameacutericaine a reacutecemment connuune pousseacutee de croissance de la productiviteacute doivent expliquer pourquoi lrsquoerreur demesure srsquoest aggraveacutee durant les deux derniegraveres anneacutees car les statistiques officiellesnrsquoindiquent pas une telle pousseacutee Personne nrsquoa encore proposeacute une explication agrave cela

Pourquoi existe-t-il un deacutesaccord

Les preuves que je viens de preacutesenter nrsquoont rien de secret elles sont agrave la dispositionde quiconque srsquoy inteacuteresse Pourquoi alors des gens intelligents raisonnent-ils autre-ment de Bob Dole et Jack Kemp agrave droite et agrave Lester Thurow et Feacutelix Rohatyn agrave gaucheen passant par Jerry Jasinowski au centre Jrsquoai trouveacute 6 raisons dont 3 sont lieacutees agrave desproblegravemes drsquoeacutevaluation

Tout drsquoabord comme nous venons de le noter la surestimation potentielle de lrsquoinfla-tion signifie que la croissance reacuteelle a probablement eacuteteacute sous-estimeacutee notre croissanceaurait peut-ecirctre bien eacuteteacute de 3 pendant les anneacutees 1990

Deuxiegravemement le gouvernement a modifieacute son systegraveme drsquoeacutevaluation au deacutebut de 1996en adoptant ce que les Verts appellent le PNB laquo chaicircneacute raquo Jusqursquoagrave la fin 1995 le gouverne-ment calculait le PNB reacuteel en valorisant tous les biens et services agrave des prix de 1987 ce quia fortement sureacutevalueacute certains eacuteleacutements les ordinateurs par exemple Le PNB laquo chaicircneacute raquoutilise des prix de marcheacute plus reacutecents et donc le poids des ordinateurs y est moins impor-tant Ceci produit naturellement une croissance mesureacutee moins rapide mecircme srsquoil nrsquoy apas de changement dans lrsquoeacuteconomie reacuteelle Le nouveau systegraveme drsquoeacutevaluation a probable-ment reacuteduit le taux de croissance de 1996 drsquoenviron trois quarts de point

Troisiegravemement notre systegraveme archaiumlque de statistiques accorde beaucoup tropdrsquoimportance aux industries de transformation alors que ce secteur ne repreacutesenteque 20 du PNB La performance en productiviteacute dans le domaine de la production indus-trielle a certes eacuteteacute excellente ces derniegraveres anneacutees et il nrsquoy a rien agrave redire lagrave Le problegraveme sesitue au niveau des 80 restants de lrsquoeacuteconomie qui occupent la plupart drsquoentre nous

Quatriegravemement la tendance agrave tout rendre public megravene droit agrave ce que jrsquoappelle laquo latyrannie de lrsquoanecdote seacutelective raquo La presse eacuteconomique comme les entreprises elles-mecircmes ont tendance agrave claironner les succegraves et passer sous silence les eacutechecs Quand desresponsables drsquoentreprises particuliegraverement florissantes me disent qursquoils ont obtenu desbeacuteneacutefices fabuleux je les crois Mais lrsquoeacuteconomie ameacutericaine reacuteelle ne fait en aucun cas laUne de Business Week Certaines entreprises reacuteduisent les effectifs et font faillitedrsquoautres srsquoautomatisent et obtiennent des reacutesultats catastrophiques Crsquoest la raison pourlaquelle nous avons besoin drsquoinformations agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoeacuteconomie dans son ensemble

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Cinquiegravemement on a tendance agrave oublier les problegravemes de reconversion qui vont depair avec des reacuteductions drsquoeffectifs Quand une grande entreprise se restructure pourproduire le mecircme reacutesultat avec beaucoup moins de main-drsquoœuvre sa productiviteacute aug-mente consideacuterablement Mais les employeacutes remplaceacutes doivent chercher du travailailleurs srsquoils trouvent un emploi dans une entreprise dont la valeur ajouteacutee paremployeacute est infeacuterieure la productiviteacute agrave lrsquoeacutechelle globale peut tregraves bien ne pas augmen-ter beaucoup en deacutepit des preacutetendus miracles qui lui sont attribueacutes

Pour terminer jrsquoen viens agrave ce qui est sans doute le plus mysteacuterieux et qui peut-ecirctreexplique la reacuteaction laquo Say it ainrsquot so Joe raquo les progregraves en informatique et dans les tech-niques de lrsquoinformation en geacuteneacuteral Comme lrsquoa eacutenonceacute Robert Solow laquo Lrsquoegravere de lrsquoinfor-matique se constate partout sauf dans les statistiques de productiviteacute raquo Pourquoi

Le rythme auquel lrsquoeacutelectronique a avanceacute est tout agrave fait eacutepoustouflant et les entre-prises communiquent maintenant agrave la vitesse de lrsquoeacuteclair Certaines servent leurs clientsau moyen de systegravemes automatiseacutes les distributeurs automatiques de billets le cour-rier vocal ou les ventes par Internet en constituent des exemples courants substituantles machines agrave lrsquohomme

Lrsquoinformatisation a eacutegalement reacutevolutionneacute certaines usines ainsi que la gestion destocks de nombreuses entreprises et ainsi de suite Tout cela est absolument incontestable

Mais ce nouveau monde informatiseacute est-il beaucoup plus laquo productif raquo dans le sensrestreint de la laquo production drsquoun PNB plus important par heure de travail raquo Les statis-tiques officielles disent que non En fait le moment de ralentissement dont on parle(graphique 2) correspond approximativement agrave lrsquoinvention de lrsquoordinateur person-nel De plus quand on examine les donneacutees secteur par secteur certaines des pires per-formances en productiviteacute se situent lagrave ougrave on aurait pu srsquoattendre agrave ce que lesinnovations dans les technologies de lrsquoinformation produisent les meilleurs dividen-des Que se passe-t-il donc

Personne nrsquoa de certitude mais mon approche est la suivante il ne faut pas se laisserprendre par le battage meacutediatique Bien sucircr que je peux maintenant surfer sur le Netenvoyer un e-mail en quelques secondes et avoir plus de puissance informatique surmon bureau que jamais auparavant Mais est-ce que cela mrsquoa fait produire plus de PNBpar heure de travail Nrsquooublions pas qursquoun changement perpeacutetuel de mateacuteriel et delogiciel nous maintient dans un processus drsquoapprentissage constant que les gens pas-sent des heures innombrables a explorer stupidement Internet et agrave jouer sur leur ordi-nateur et que la plupart drsquoentre nous souffrent drsquoun excegraves drsquoinformations plutocirct quedrsquoune peacutenurie Et puis aussi et crsquoest le plus important on peut se demander si le cer-veau humain nrsquoa pas avanceacute agrave un rythme diffeacuterent de celui du microprocesseur

Peut-ecirctre une productiviteacute miracle baseacutee sur lrsquoordinateur nous guette-t-elle au coinde la rue Peut-ecirctre mais si crsquoest le cas il srsquoagit de la rue drsquoagrave cocircteacute pas de celle-ci

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Ce que peut faire une politique intelligente

Une derniegravere remarque Jrsquoai eacutecrit cet article dans lrsquointention drsquoexaminer la reacutealiteacutenon de susciter le deacutesespoir Qursquoelle soit de 21 de 23 ou de 25 notre tendance decroissance eacuteconomique agrave long terme nrsquoest pas de nature constante La croissance peutse deacutevelopper gracircce agrave une politique eacuteconomique intelligente aussi bien que subir lesdommages occasionneacutes par une politique imbeacutecile

Ainsi par exemple la reacuteduction du deacuteficit budgeacutetaire gouvernemental devrait avoirpour moteur non un hommage agrave nos ancecirctres puritains mais la stimulation de la forma-tion du capital et ainsi lrsquoacceacuteleacuteration de la croissance eacuteconomique De la mecircme faccediloncela fait longtemps que je reacuteclame des investissements plus importants dans les domainesde lrsquoeacuteducation et de la formation car ils favorisent la croissance Et lrsquoargument le plus eacuteleacute-mentaire en faveur du deacuteveloppement et de la recherche subventionneacutes par le gouverne-ment crsquoest que la R amp D est le maillon essentiel de la croissance de la productiviteacute totaledes facteurs Mecircme des impocircts bien conccedilus ou des politiques commerciale ou de reacutegula-tion ne peuvent apporter qursquoune contribution modeste et passagegravere agrave la croissance

Nombreuses sont ces politiques qui meacuteriteraient drsquoecirctre meneacutees Une combinaisonbien choisie pourrait ajouter un quart ou mecircme une moitieacute de point au taux de crois-sance eacuteconomique pour un temps ce qui serait certainement une superbe prouesseMais il y va de la croissance eacuteconomique comme de tout autre domaine on doit semeacutefier des moulins agrave paroles qui promettent des remegravedes miracles Rien je le reacutepegravete rienque les eacuteconomistes ne connaissent sur la croissance ne donnera la recette du point depourcentage suppleacutementaire au taux de croissance national sur une base durable Mecircmesi nous voulions qursquoil en soit autrement il faut bien dire laquo qursquocrsquoest pas vrai raquo

Le NAIRU en Europe et en France

Extrait de laquo Croissance inflation et emploi dans la zone euro Reacuteflexions sur le sentier de croissance europeacuteenne agrave moyen terme raquo

par Ch de Boissieu et MC Marchesi Centre dObservation Economique(COE de la Chambre de Commerce et dIndustrie de Paris)

Contribution au XIVe colloque de reacuteflexion eacuteconomique du Seacutenatlaquo Quelles perspectives de croissance dans la zone euro raquo le 16 juin 1999

httpwwwsenatfrrapr98-466r98-4665html

Notre hypothegravese le reacutegime de basse inflation va se prolonger

Linflation nest pas uniforme dans la zone euro et les situations asymeacutetriques du cocircteacutede la croissance et de linflation ne vont pas disparaicirctre du jour au lendemain Agrave sen

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tenir aux pays du noyau dur le taux dinflation devrait agrave lhorizon des trois-quatreprochaines anneacutees demeurer modique (en rythme annuel compris entre 0 et 2 plus probablement entre 0 et 15 ) Cette hypothegravese ne tient pas compte du deacutebatpar ailleurs justifieacute sur la bonne mesure de linflation mais les premiers travaux effec-tueacutes par lINSEE sur ce sujet suggegraverent quen France la correction agrave apporter serait delordre de 03-04 en rythme annuel (en moins) contre 1 agrave 2 aux Eacutetats-UnisNotre vue prospective reacutesulte elle-mecircme de la conjugaison de plusieurs eacuteleacutements

a) La remonteacutee reacutecente des prix du peacutetrole et de quelques autres matiegraveres premiegraveresne peut ecirctre extrapoleacutee Fondamentalement et malgreacute une deacutemonstration inverse detemps agrave autre lOPEP est et va rester un cartel faible traverseacute par des dissensions sansoublier le poids des producteurs agrave lexteacuterieur du cartel Par delagrave dineacutevitables fluctua-tions agrave court terme les prix du peacutetrole et des grandes matiegraveres premiegraveres vont ecirctre plusinfluenceacutes par le sentier deacutevolution de la demande donc par la croissance agrave moyenterme de leacuteconomie mondiale que par lincertaine organisation de loffre

b) Le chocircmage va rester eacuteleveacute dans la zone euro speacutecialement dans certains pays dunoyau dur (France Allemagne) Raisonnons pour la France avec un NAIRU de8 agrave 9 (donc proche de sa valeur actuelle une estimation leacutegegraverement infeacuterieure agravecelle habituellement retenue par exemple celle du FMI comprise entre 9 et 10 ) Enpartant dun taux de chocircmage effectif de 11 (pour simplifier) il faudrait avec unecroissance annuelle de 3 de cinq agrave huit anneacutees pour retomber au NAIRU Et le tauxde chocircmage naturel lui-mecircme devrait progressivement sabaisser en Europe commeil la fait aux Eacutetats-Unis sous leffet de la croissance des nouvelles technologies delessor des services etc Conclusion il existe encore en Europe continentale unemarge significative avant que la courbe de Phillips joue agrave plein et que la reacuteduction duchocircmage ne provoque des tensions sur les coucircts salariaux unitaires et sur les prix

c) Mecircme si la nouvelle eacuteconomie ameacutericaine comporte des speacutecificiteacutes eacutevidentescertaines de ses composantes vont concerner lEurope pour les dix prochaines anneacuteesOn pense bien sucircr aux effets deacutejagrave preacutesents de la concurrence et de la globalisation surla formation des prix (ougrave sont aujourdhui en France les secteurs abriteacutes de la concur-rence internationale et speacutecialement de la concurrence europeacuteenne Mecircme si les ser-vices publics les plus traditionnels sont deacutesormais exposeacutes) mais aussi aux nouvellestechnologies aux gains de productiviteacute agrave en attendre et donc au sentier deacutevolutiondes coucircts salariaux unitaires Pour les nouvelles technologies le pheacutenomegravene de rat-trapage devrait jouer agrave tous les niveaux la France va combler une partie de son retardvis-agrave-vis des Eacutetats-Unis et lAllemagne va elle-mecircme dans les anneacutees qui viennent rat-traper la France se creacuteant ainsi de nouvelles marges de croissance et de productiviteacuteAvec des taux de chocircmage qui mecircme en baisse vont rester agrave lhorizon des cinq pro-chaines anneacutees au dessus du NAIRU et des reacuteserves de nouvelles technologies quiengendrent des reacuteserves de gains de productiviteacute on voit mal dougrave pourrait venir agravelhorizon de lanalyse linflation salariale

Chapitre 4

Le paradoxe boursier

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Ougrave se fondent les anticipations

Extrait de Alan Greenspan laquoThe American economy in a world contextraquoThe Federal Reserve Board Remarks by Chairman Alan Greenspan

At the 35th Annual Conference on Bank Structure and Competition of theFederal Reserve Bank of Chicago Chicago Illinois May 6 1999

httpwwwbogfrbfedusboarddocsspeeches199919990506htm

Agrave partir de 1993 lrsquoinvestissement en capital et tout particuliegraverement en haute tech-nologie a augmenteacute tregraves nettement au-dessus de ce que lrsquoon connaissait dans le con-texte habituel des cycles eacuteconomiques sans doute ce pheacutenomegravene a-t-il traduitcomme toujours une anticipation de rendements accrus Si ces espoirs de profit nesrsquoeacutetaient pas mateacuterialiseacutes on aurait ducirc assister agrave une chute des deacutepenses or lrsquoaugmen-tation de leur rythme srsquoest maintenue pendant toute la deacutecennie

On trouve dans les donneacutees des entreprises une preuve plus directe et de plus en pluseacutevidente de cette profitabiliteacute sous-jacente Il semble vraisemblable que les synergiesentre elles des avanceacutees technologiques dans les domaines du laser des fibres opti-ques des satellites et de lrsquoinformatique mais aussi les synergies de ces technologiesavec drsquoautres plus anciennes aient eacutelargi le champ des opportuniteacutes et deacuteboucheacute surun taux de rendement supeacuterieur au coucirct du capital La pousseacutee dans lrsquoexploitation deces taux de rendement potentiels laquo excessifs raquo srsquoest trouveacutee stimuleacutee par lrsquoacceacuteleacuterationde la baisse des prix des eacutequipements de haute technologie amorceacutee en 1995 Lrsquoallo-cation de capaciteacute de production investie dans des domaines restreints de la techno-logie a entraicircneacute une importante baisse suppleacutementaire des prix Le rythme soutenudes innovations a encourageacute un raccourcissement du cycle de vie des produits et con-tribueacute aussi agrave entraicircner vers le bas le prix des eacutequipements de haute technologie

Rares sont ceux qui dans les affaires font eacutetat drsquoune diminution significative du poten-tiel de ces synergies qui sont encore agrave la fois profitables et inexploiteacutees Au cours de cesderniegraveres anneacutees le monde des affaires srsquoest souvent deacuteclareacute capable drsquoexploiter cepotentiel pour financer des investissements substitutifs des coucircts de main-drsquoœuvre silrsquoaugmentation de ceux-ci agrave court terme devait devenir trop sensible

Ce point de vue est partageacute par des analystes boursiers dont on peut supposer qursquoilsconnaissent bien les entreprises qursquoils suivent Cette veacuteritable armeacutee de techniciensprojette des croissances de gains agrave cinq ans qui sont de plus en plus eacuteleveacutes enmoyenne et ce agrave en croire IBES socieacuteteacute drsquoeacutetude de Wall Street qui consolide ces esti-mations pour le S amp P 500 depuis le deacutebut de lrsquoanneacutee 1995 En janvier 1995 les ana-lystes projetaient que les gains sur cinq ans augmenteraient en moyenne de 11 paran Apregraves plusieurs reacutevisions agrave la hausse ils ont estimeacute en mars 1999 lrsquoaugmentationagrave 135 par an (en profit pondeacutereacute) ce qui repreacutesente un veacuteritable apogeacutee pour cette

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phase drsquoexpansion Mecircme srsquoil existe un certain nombre de donneacutees permettant deconclure que ces estimations sont biaiseacutees agrave la hausse on ne dispose pas de preuvessuffisantes pour contredire la tendance

On a peu matiegravere agrave douter que les constantes reacutevisions agrave la hausse des analystes reflegrave-tent ce que leur transmettent les entreprises pour ce qui est de lrsquoameacutelioration du con-trocircle de leurs coucircts qui consideacutereacutes sur la base consolideacutee de lrsquoeacuteconomie du paysajoute agrave lrsquoacceacuteleacuteration de la productiviteacute du travail Les autres explications mdash une crois-sance plus rapide des gains sur les opeacuterations agrave lrsquoeacutetranger lrsquoacceacuteleacuteration du taux drsquoaug-mentation des valeurs ajouteacutees pour les prix consentis ou encore lrsquoargument plusmacroeacuteconomique drsquoune augmentation toujours plus forte de la main-drsquoœuvre dis-ponible mdash ne sont pas creacutedibles Apparemment donc les entreprises signalent auxanalystes que agrave ce jour elle nrsquoanticipent pas de diminution quant agrave lrsquoacceacuteleacuteration dela productiviteacute Cela ne veut pas dire pour autant que les analystes ont raison ou queles entreprises ne se trompent pas cela signifie simplement que ce que les entreprisesdisent agrave lrsquoeacutevidence aux analystes quant agrave leur productiviteacute et agrave leurs profits se reflegravetesans doute aucun dans les projections de profits agrave long terme En tout eacutetat de causeles donneacutees macro-eacuteconomiques disponibles aujourdrsquohui ne montrent pas de preuvesdrsquoun ralentissement de la croissance de la productiviteacute

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Est-ce une bulle

Edward YARDENI1

Feacutevrier 2000

Valeurs de lrsquoancienne ou de la Nouvelle eacuteconomie Le marcheacute boursier connaicirct-ilactuellement une bulle speacuteculative Les tenants optimistes de la Nouvelle eacuteconomie(les laquo bulls raquo) reacutepondent agrave cette question par un laquo non raquo cateacutegorique Les partisans desmeacutethodes traditionnelles de valorisation (les laquo bears raquo) font entendre un grand laquo oui raquotout aussi cateacutegorique Pour lrsquoinstant ce sont les premiers qui ont raison Les gagnantsde la Nouvelle eacuteconomie sont les entreprises des secteurs de la technologie des teacuteleacute-communications des meacutedias et des loisirs Ensemble ces diffeacuterents secteurs repreacutesen-tent maintenant 43 mdash niveau stupeacutefiant mdash de la capitalisation boursiegravere duSampP 500 soit le double de la faible capitalisation de 21 atteinte en 1997(Graphique 1 )

Prenons lrsquohypothegravese la plus extrecircme et supposons que les investisseurs (et mecircmeoui les speacuteculateurs) forts de leur sagesse commune eacutevaluent correctement les titresde la Nouvelle eacuteconomie Il est toujours hasardeux de deacuteclarer que laquo cette fois-ci crsquoestdiffeacuterent raquo Lrsquohistoire a tendance agrave se reacutepeacuteter mais avec cependant toujours de leacutegegraveresvariations La nature humaine nrsquoa guegravere ou pas du tout changeacute depuis Adam et Egraveve Etpourtant peut-ecirctre la bulle qui semble caracteacuteriser les actions de la Nouvelle eacuteconomieest-elle diffeacuterente des bulles preacuteceacutedentes

Tulipes ou laquo com raquo Par le passeacute la plupart des bulles speacuteculatives sont apparueslorsque de nombreux acheteurs disposant drsquoargent agrave bon marcheacute se preacutecipitaient surce qui semblait ecirctre une offre restreinte de marchandises tulipes or ou peacutetrole brutLa speacuteculation nrsquoavait alors pour seul effet que de faire augmenter les prix ce qui sti-mulait en retour la production et entraicircnait finalement une baisse des prix de la mar-chandise rechercheacutee perccedilant ainsi la bulle Aux Eacutetats-Unis la speacuteculation sur lesobligations des chemins de fer a malgreacute tout permis de financer la grande reacutevolution

1EDWARD YARDENI est Chief Economist responsable de la strateacutegie mondiale drsquoinvestissement et direc-teur de Deutsche Bank Securities Il est lrsquoauteur de nombreux articles publieacutes entre autres dans le WallStreet Journal le New York Times et la revue Barronrsquos Ce texte en franccedilais reproduit avec lrsquoaimable auto-risation de lrsquoauteur a eacuteteacute publieacute sur le site Dr Ed Yardenirsquos Economics Network httpwwwyar-denicomfrenchaa000214Frepdf Copyright copy 2000 Deutsche Bank Securities and Alex Brown Inc

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qursquoont connue les transports au deacutebut du vingtiegraveme siegravecle Mais des capitaux excessifsentraicircnegraverent des capaciteacutes excessives qui firent eacuteclater la bulle

Lrsquoun des plus grands strategraveges de Wall Street a dit que les actions ne sont finalementque de simples feuilles de papier correspondant chacune agrave une histoire preacutecise Lors-que tout le monde srsquoenthousiasme au mecircme moment pour des titres racontant lamecircme histoire lrsquoaction correspondante et ses nouveaux concurrents attirent des som-mes drsquoargent trop importantes jusqursquoagrave ce que les reacutesultats financiers deacutecevants ramegrave-nent tout le monde agrave la reacutealiteacute Bien sucircr les marcheacutes boursiers ont deacutejagrave connu des bullesspeacuteculatives particuliegraverement en 1929 (Eacutetats-Unis) et en 1989 (Japon) Historique-ment ces bulles se sont en geacuteneacuteral mal termineacutees leur eacuteclatement a souvent eu de gra-ves conseacutequences eacuteconomiques

Agrave lrsquoheure actuelle la valorisation des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes technologiques donnele vertige Le tableau 1 preacutesente les coefficients de capitalisation des reacutesultats (PER)des 100 socieacuteteacutes agrave plus forte capitalisation coteacutees sur le NASDAQ Sur la base des beacuteneacute-fices preacutevisionnels du consensus drsquoanalystes pour lrsquoanneacutee le PER moyen atteint lavaleur astronomique de 100 qui reste malgreacute tout infeacuterieure au PER de 237 obtenuagrave partir des beacuteneacutefices de 1999 En comparaison lrsquoindice boursier SampP 500 qui com-prend 69 valeurs technologiques affiche un PER de 24 (Graphique 2) Une bulle agravenrsquoen pas douter clament les partisans de la valorisation Jrsquoai tendance agrave ecirctre du mecircmeavis mais qursquoest-ce que ccedila change Certaines des entreprises sureacutevalueacutees du NASDAQpeut-ecirctre mecircme un grand nombre drsquoentre elles ne connaicirctront pas la croissancerapide des beacuteneacutefices que preacutevoient les investisseurs Mais les beacuteneacutefices drsquoun certainnombre de ces entreprises ont deacutepasseacute les preacutevisions et pourraient continuer sur leurlanceacutee

Les laquo histoires raquo des titres de la Nouvelle eacuteconomie diffegraverent des tulipes qui ont parle passeacute susciteacute lrsquoengouement des speacuteculateurs Pour commencer les speacuteculateurs nemisent pas sur une seule histoire Les technologies les teacuteleacutecommunications les meacutediaset les loisirs englobent un grand nombre drsquoactiviteacutes varieacutees srsquoadressant aux entrepriseset aux consommateurs Les marcheacutes de ces produits et de ces services sont veacuteritable-ment mondiaux et affichent de superbes perspectives de croissance La Nouvelle eacuteco-nomie est extrecircmement concurrentielle Pour srsquoimposer les entreprises doiventsatisfaire aux quatre conditions suivantes

1) Elles doivent reacuteduire leurs coucircts en permanence

2) Elles doivent ameacuteliorer leur productiviteacute en permanence

3) Elles doivent constamment innover crsquoest-agrave-dire commercialiser de nouveauxproduits et services

4) Elles doivent avoir des capaciteacutes de distribution mondiales

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a plupart des entreprises satisfont aux deux premiegraveres conditions Mais combiensatisfont eacutegalement aux deux derniegraveres Elles ne sont pas nombreuses agrave entrer danscette cateacutegorie et il srsquoagit pour la plupart drsquoentreprises des secteurs de la technologiedes teacuteleacutecommunications des meacutedias et des loisirs Peut-ecirctre meacuteritent-elles alors leurscoefficients de capitalisation tregraves eacuteleveacutes

Par le passeacute les bulles speacuteculatives attiraient des centaines de speacuteculateurs qui agrave partdes prix plus eacuteleveacutes ne produisaient pas grand chose Agrave lrsquoheure actuelle la Nouvelleeacuteconomie attire les eacuteleacutements les plus brillants de lrsquoancienne eacuteconomie Leurs talentscreacuteatifs seront semble-t-il mieux exploiteacutes agrave leurs nouveaux postes Bon nombre de cesmaicirctres de lrsquounivers srsquoattendent agrave faire fortune Mais ce ne sera le cas que si le cours deleurs actions grimpe en flegraveche une fois que les investisseurs et les speacuteculateurs aurontestimeacute que leur entreprise a de bonnes chances de reacuteussir dans la Nouvelle eacuteconomie

Argent agrave bon marcheacute ou capitaux agrave bon marcheacute Par le passeacute les bulles speacutecula-tives attiraient trop de capitaux qui entraicircnaient des exceacutedents de production et decapaciteacutes Agrave lrsquoheure actuelle la Nouvelle eacuteconomie beacuteneacuteficie de capitaux qui coulent

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agrave flot Agrave nrsquoen pas douter certains de ces investissements nrsquoauront aucune valeur Maisun certain nombre drsquoentre eux produiront probablement de nouveaux produits et ser-vices destineacutes agrave des marcheacutes de plus en plus mondiaux

Nikkei ou NASDAQ Au cours de nombreuses conversations avec de nombreux ges-tionnaires de portefeuilles lrsquoan dernier nous avons reconnu agrave lrsquounanimiteacute que le mar-cheacute boursier connaissait actuellement une bulle speacuteculative classique Toutes cesconversations se sont conclues par le mecircme refrain laquo ccedila va mal se terminer raquo Bien sucircrnous savions que la plupart des titres nrsquoeacutetaient pas sureacutevalueacutes par la bulle Le problegravemese limitait avant tout aux valeurs boursiegraveres de la technologie et de la communicationet concernait avant tout lrsquoindice NASDAQ agrave preacutepondeacuterance technologique Il eacutetait par-ticuliegraverement inquieacutetant de constater la hausse impressionnante du cours des valeursdes socieacuteteacutes laquo com raquo introduites en bourse dont la plupart nrsquoavaient aucune chancedrsquoafficher des beacuteneacutefices dans un avenir proche

Pour lrsquoinstant cette anneacutee la bulle du NASDAQ nrsquoa cesseacute de gonfler en grande partiesous lrsquoeffet des valeurs technologiques Pendant ce temps lrsquoadjectif laquo meacutediocre raquo restele qualificatif qui deacutecrit le mieux les performances du reste du marcheacute boursier Lrsquoandernier jrsquoai fait remarquer que lrsquoeacutetroit marcheacute haussier des valeurs technologiquesmasquait un large marcheacute baissier ougrave deacuteclinait le reste des valeurs En effet pregravesde 70 des titres coteacutes agrave la bourse de New York ont enregistreacute une baisse en 1999 Pourlrsquoinstant cette anneacutee ce pourcentage est de 68 (Graphique 3) Au lieu de srsquoeacutelargir lemarcheacute haussier semble continuer agrave se reacutetreacutecir la plupart des valeurs se laissant entraicirc-ner par la tendance agrave la baisse Parmi mes collegravegues agrave la strateacutegie pro-achat beaucoupreconnaissent que tout cela se terminera mal mais ils continuent quand mecircme agrave deacutete-nir la plupart des titres qui sont le plus sureacutevalueacutes laquo Nous nrsquoavons pas le choix nousdevons nous inteacuteresser agrave ces titres speacuteculatifs expliquent-ils Beaucoup trop de ges-tionnaires de portefeuilles laquo valeur raquo risquent de perdre leur emploi raquo

Agrave la fin de lrsquoan dernier le parallegravele frappant qui existait entre le NASDAQ de lapeacuteriode 1998-fin 1999 et le Nikkei de la peacuteriode 1988-fin 1989 a intrigueacute bon nombredrsquoentre nous (Graphique 4) La bulle du Nikkei a eacuteclateacute en 1990 Il existe une correacutela-tion du mecircme ordre entre le NASDAQ de 1998 jusqursquoagrave maintenant et le prix de lrsquoorentre 1978 et 1980 (Graphique 5) Ces correacutelations semblent indiquer que la bulle duNASDAQ pourrait bien connaicirctre le mecircme sort en 2000 Pour lrsquoinstant rien de tel nesrsquoest produit Au contraire lrsquoindice NASDAQ a augmenteacute de 9 cette anneacutee apregraves deshausses spectaculaires de 41 en 1998 et de 84 en 1999 (Graphiques 6 et 7)

Seul lrsquoavenir dira si la hausse du NASDAQ nrsquoest qursquoune bulle parmi drsquoautres ou au con-traire une valorisation leacutegitime de la Nouvelle eacuteconomie Les beacuteneacutefices impression-nants reacutealiseacutes au quatriegraveme trimestre de lrsquoan dernier semblent faire pencher la balanceen faveur de cette deuxiegraveme hypothegravese les beacuteneacutefices drsquoexploitation du SampP 500 ontprogresseacute de plus de 20 par rapport agrave la mecircme eacutepoque lrsquoanneacutee preacuteceacutedente Le pour-

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centage de reacutesultats neacutegatifs impreacutevus est descendu au niveau le plus bas enregistreacutedepuis plusieurs anneacutees (Graphiques 8 et 9) ce qui a eacutegalement de quoi impression-ner

Pirates eacutelectroniques ou FBI La semaine derniegravere des pirates informatiques ontlanceacute quelques attaques reacuteussies contre plusieurs sites Web qui figurent parmi les plusimportants drsquoInternet et dont les services sont alors devenus inaccessibles Ils sont par-venus agrave les paralyser pendant quelques heures en les bombardant de fausses deman-des

Le FBI srsquoefforce de localiser les auteurs de ces attaques Mais il est peu probable qursquoily arrive Il existe certes des contre-mesures qui obligeront tous les serveurs relieacutes agraveInternet agrave adopter des mesures de seacutecuriteacute beaucoup plus strictes Drsquoun cocircteacute on peut sereacutejouir que les pirates nrsquoaient pas endommageacute les fichiers des sites Web attaqueacutes Drsquounautre cocircteacute si le FBI nrsquoarrive pas agrave mettre un terme agrave ces attaques le trafic et la fiabiliteacutedrsquoInternet pourraient en pacirctir Agrave court terme cela pourrait percer la bulle du secteurInternet sur les marcheacutes financiers et refroidir lrsquoenthousiasme des investisseurs quiachegravetent ce type drsquoactions et financent ce genre de projets Agrave long terme de meilleuresmeacutethodes de seacutecuriteacute seront ineacutevitablement adopteacutees

Note Retrouvez lrsquoensemble des graphiques illustrant cet article agrave lrsquoadressesuivante

httpwwwyardenicomfrenchaa000214Frepdf

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Une succession de corrections

Edward YARDENI1

Avril 2000

Ceux qui oublient le passeacute sont condamneacutes agrave le revivre On ne peut pas vrai-ment prouver qursquoune bulle est une bulle jusqursquoagrave ce qursquoelle eacuteclate Ainsi que lrsquoa fortjustement expliqueacute le preacutesident de la Fed M Alan Greenspan le 17 juin 1999 aucours de sa deacuteposition devant le Congregraves laquo Mais la plupart du temps on ne se rendcompte que lrsquoon a eu affaire agrave une bulle qursquoapregraves coup Parler de bulle avant tout lemonde suppose que lrsquoon a deacutetermineacute que des centaines de milliers drsquoinvestisseurs setrompent complegravetement Or il est geacuteneacuteralement risqueacute de parier agrave contre-courantdu marcheacute raquo

Je suis drsquoavis que le marcheacute haussier des actions nrsquoest pas la bulle classique deacutecritepar M Greenspan cette anneacutee Il me semble en fait plus exact de dire que depuislrsquoeacuteteacute 1998 le tregraves eacutetroit marcheacute haussier de la laquo nouvelle eacuteconomie raquo dissimule le tregraveslarge marcheacute de laquo lrsquoancienne eacuteconomie raquo Il ne srsquoagit pas drsquoune seule bulle au sein dumarcheacute de la nouvelle eacuteconomie mais de plusieurs bulles qui sont en train drsquoeacuteclaterou tout au moins de commencer agrave se deacutegonfler

Je crois que cette eacutetape aura un effet salubre en insufflant un peu drsquooxygegravene auxactions sous-eacutevalueacutees de lrsquoancienne eacuteconomie tout particuliegraverement dans les sec-teurs de lrsquoeacutenergie de la distribution et de la finance Je preacutevois mecircme un regain defaveur pour quelques-uns des plus grands noms mondiaux des produits de grandeconsommation ou pharmaceutiques en raison de leur aptitude agrave geacuteneacuterer des reacutesul-tats plus modestes mais plus preacutevisibles Lrsquoeacuteconomie a connu une laquo succession dereacutecessions raquo durant les anneacutees 80 et a afficheacute une croissance plus stable et plus eacutegaledepuis le deacutebut de la derniegravere deacutecennie Agrave lrsquoheure actuelle la bourse subit unelaquo succession de corrections raquo et il devient difficile de qualifier le marcheacute de haussierou de baissier

1 EDWARD YARDENI est Chief Economist responsable de la strateacutegie mondiale drsquoinvestissement et direc-teur de Deutsche Bank Securities Il est lrsquoauteur de nombreux articles publieacutes entre autres dans le WallStreet Journal le New York Times et la revue Barronrsquos Ce texte en franccedilais reproduit avec lrsquoaimable auto-risation de lrsquoauteur a eacuteteacute publieacute sur le site Dr Ed Yardenirsquos Economics Network httpwwwyar-denicomfrenchaa000403Frepdf Copyright copy 2000 Deutsche Bank Securities and Alex Brown Inc

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Un grand nombre drsquoinvestisseurs chevronneacutes ont deacuteceleacute dans la bourse ameacutericaineles symptocircmes drsquoune bulle degraves octobre 19981 Lrsquoassouplissement de la politique de laFed lors de la crise de la Reacutepublique populaire de Greenwich (autrement dit lrsquoeffondre-ment du fonds drsquoinvestissement speacuteculatif mdash hedge fund mdash Long-Term Capital Mana-gement baseacute dans lrsquoEacutetat du Connecticut) a provoqueacute un rebond eacutetonnant des cours dela bourse les indices boursiers Dow Jones SampP 500 et NASDAQ ont enregistreacute des haus-ses respectives de 42 55 et 214 depuis cette date Une analyse un peu plusdeacutetailleacutee reacutevegravele que la bulle concerne visiblement lrsquoindice NASDAQ avant tout La plusforte avanceacutee de la courbe des progressionsreculs de la Bourse de New York remonteen fait agrave avril 1998 Depuis cette date 79 des titres coteacutes agrave la bourse de New York ontaccuseacute une baisse de leur cours2 La bourse est un marcheacute drsquoactions et la plupart drsquoentreelles subissent les effets drsquoun marcheacute baissier depuis deux ans Le marcheacute haussier esten fait tregraves limiteacute et ressemble agrave certains eacutegards agrave une bulle

Depuis un an on a pu en fait observer plusieurs bulles particuliegraverement dans lessecteurs du commerce eacutelectronique et de la biotechnologie Pas de catastrophe pour lesbeacuteneacutefices des socieacuteteacutes technologiques La chute rapide observeacutee reacutecemment pour cesdeux secteurs a certainement permis de deacutegonfler un tant soit peu la bulle du NASDAQLa liquidation atteint maintenant les actions cyber-technologiques

1 Jrsquoappelle laquo investisseur chevronneacute raquo tout investisseur qui sait que les initiales laquo VC raquo nrsquoont pas tou-jours signifieacute laquo venture capitalist raquo (investisseur en capital risque) Il fut un temps ougrave laquo VC raquo signifiaitViet Cong2 On trouvera un graphique de cette seacuterie reacuteguliegraverement mis agrave jour agrave lrsquoadresse suivante wwwyar-

denicomstocklabasp

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Les investisseurs des secteurs technologiques redoutent la catastrophe Lrsquoeacuteclatementde la bulle du secteur Internet provoquerait un recul des deacutepenses effectueacutees par lessocieacuteteacutes laquo pointcom raquo nouvelles et existantes en eacutequipement informatique ordina-teurs personnels serveurs logiciels routeurs et mateacuteriel de teacuteleacutecommunications

Pour un grand nombre de laquo pointscom raquo extrecircmement deacutepensiegraveres lrsquoimpossibiliteacutede faire appel agrave des financements suppleacutementaires entraicircnerait pratiquement certai-nement la faillite Si les gloutons du secteur technologique meurent de faim les speacute-culateurs en seront pour leurs frais

Mes preacutevisions au sujet des deacutepenses et des revenus du secteur technologique sontplus optimistes En fait je pense que nous sommes au seuil de la Phase II de la reacutevolu-tion du laquo high-tech raquo Au cours de la Phase I tout au long de la derniegravere deacutecennielrsquoordinateur personnel eacutetait litteacuteralement en train de prendre son eacutelan Ce nrsquoest quevers la fin des anneacutees 90 que lrsquoordinateur personnel et Internet ont donneacute naissance agraveune technologie tregraves utile permettant aux socieacuteteacutes de reacuteduire leurs coucircts de fonction-nement et drsquoaccroicirctre la productiviteacute Je preacutevois qursquoau cours de la prochaine deacutecennielrsquoassociation de lrsquoordinateur personnel drsquoInternet de lrsquoaccegraves agrave large bande de la tech-nologie sans fil et des eacutequipements lieacutes agrave Internet auront pour effet drsquoacceacuteleacuterer lrsquoeacutemer-gence de la Net-eacuteconomie crsquoest-agrave-dire de la nouvelle eacuteconomie

Les deacutepenses en eacutequipement technique vont fortement beacuteneacuteficier de la prolifeacuteration desNet-eacutechanges crsquoest-agrave-dire des marcheacutes et chaicircnes drsquoapprovisionnement eacutelectroniques

Les deacutepenses de consommation en eacutequipements lieacutes agrave Internet (notamment les teacuteleacute-phones portables boicirctiers deacutecodeurs eacutequipement photographique numeacuterique etappareils meacutenagers) seront eacutegalement agrave lrsquoorigine drsquoune demande importante dans lesecteur de la technologie

En fin de compte la technologie nrsquoest plus une activiteacute cyclique La croissance ten-dancielle de lrsquoindustrie est si forte qursquoelle annihile toutes les pressions de nature cycli-que1

Creacutedit sur marge Il ne fait aucun doute que lrsquoabondance du creacutedit sur marge acontribueacute agrave lrsquoinflation de quelques-unes des bulles de la bourse Nous sommes nom-breux agrave avoir demandeacute agrave la Fed de renforcer les exigences de couverture de creacutedit surmarge au lieu de relever les taux drsquointeacuterecirct de faccedilon agrave deacutegonfler un peu les bulles Lemois dernier la reacuteponse eacutecrite du preacutesident de la Fed aux questions poseacutees par lesparlementaires (au cours de sa deacuteposition semi-annuelle devant le congregraves ameacuteri-cain selon les termes de la loi Humphrey-Hawkins) contenait les observationssuivantes

1 Jrsquoanalyse cette situation dans laquo High-Tech Trends raquo (les tendances du high-tech) mis agrave jour reacuteguliegrave-rement agravelrsquoadresse suivante httpwwwyardenicomcyberasp

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En ce qui concerne les exigences de couverture des analyses effectueacuteespar le passeacute suggegraverent que les modifications de ces conditions nrsquoont paseu drsquoimpact appreacuteciable et preacutevisible sur les cours des actions Ce quinrsquoempecircche pas la Federal Reserve [Bank] drsquoadmettre que lrsquoutilisation decreacutedit sur marge pour les achats de titres de participation est assortie drsquounrisque consideacuterable tout particuliegraverement au sein de marcheacutes volatils[La Banque] estime de mecircme que les precircteurs aussi bien que les emprun-teurs devraient eacutevaluer soigneusement les risques preacutesenteacutes par leursopeacuterations sur marge

Bien que certaines firmes de courtage aient effectivement renforceacute leurs exigencesde couverture il nrsquoen reste pas moins que ce type drsquoopeacuterations a connu une croissanceexplosive de 83 milliards de dollars au cours des quatre derniers mois preacuteceacutedant feacutevrier(Tableau 1) Je ne comprends pas tregraves bien comment une analyse peut conclure que lesconditions de couverture nrsquoont pas drsquoimpact sur les cours de la bourse dans la mesureougrave ces exigences nrsquoont pas connu de modifications depuis 1974 date agrave laquelle la cou-verture minimale a eacuteteacute rameneacutee agrave 50

Table 1 Equity Mutual Funds vs Margin Credit Flows (billions of dollars)

Net inflows including reinvested dividends

Source Investment Company Institute and Federal Reserve Board

Equity Mutual Funds

Margin Credit Total

1999

Oct 224 30 254

Nov 217 240 457

Dec 450 223 673

2000

Jan 413 150 563

Feb 548 217 765

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Le vaisseau spatial de la net-eacuteconomie passe agrave la vitesse Warp II

On annonce lrsquoacte suivant Comme je lrsquoai mentionneacute preacuteceacutedemment je crois quenous sommes au seuil de la Phase II de la reacutevolution laquo high-tech raquo On aura affaire agrave ungrand nombre de laquo Toutes nouvelles choses raquo au sein de la nouvelle eacuteconomie Les eacuteco-nomistes qui persistent agrave se servir de paradigmes de lrsquoancienne eacuteconomie notammentles cycles conjoncturels et le taux de chocircmage naturel nrsquoont pas fini de srsquoeacutetonner de lacoexistence drsquoune forte croissance eacuteconomique et drsquoun faible taux drsquoinflation Ils conti-nueront agrave sous-estimer la productiviteacute Srsquoil leur eacutetait demandeacute de remplacer le capitaineKirk aux commandes dans Star Trek ils pourraient piloter le vaisseau spatial Enterpriseagrave la vitesse Warp I mais se retrouveraient complegravetement perdus agrave la vitesse Warp II

Le juste-agrave-temps deuxiegraveme eacutepoque Au cours des anneacutees 90 le vaisseau spatial ameacute-ricain de la Net-eacuteconomie a commenceacute son acceacuteleacuteration de Warp I agrave Warp II On peut leconstater notamment en examinant le ratio comparant les stocks des entreprises agrave leurchiffre drsquoaffaires (StocksVentes) qui en deacutepit drsquoune certaine volatiliteacute oscillait autourde 15 durant les anneacutees 80 mais eacutetait tombeacute agrave 13 vers la fin des anneacutees 90 (Graphique 1)On peut attribuer cette eacutevolution agrave la mise en place de technologies permettant la gestionde stocks agrave flux tendus (laquo juste-agrave-temps raquo) au cours de la derniegravere deacutecennie

Les technologies de gestion de stock juste-agrave-temps ont permis une importantereacuteduction des coucircts lieacutes aux stocks En fait si le ratio eacutetait encore agrave lrsquoheure actuellede 15 les stocks de fabrication et de distribution deacutepasseraient 1 300 milliards de dol-lars au lieu des 1 150 milliards actuels (Graphique 2) Le secteur de la fabrication etsurtout de la fabrication de biens durables a beacuteneacuteficieacute de la quasi-totaliteacute des gains dusaux technologies du juste-agrave-temps Au niveau de la distribution et de la vente en grosles ratios stocksventes nrsquoont guegravere eacutevolueacute entre le milieu des anneacutees 80 et 1999(Graphiques 3 4 5 6 et 7)

Je preacutevois encore des progregraves pheacutenomeacutenaux agrave mesure que les fabricants aussi bienque les distributeurs utilisent le Net-eacutechange crsquoest-agrave-dire les marcheacutes drsquoeacutechanges et leschaicircnes drsquoapprovisionnement drsquoInternet de faccedilon agrave reacuteduire leurs coucircts et agrave augmenterencore plus rapidement leur productiviteacute Il est probable que la reacutevolution du juste-agrave-temps passera elle aussi de la Phase I agrave la Phase II durant les dix prochaines anneacutees

Titres de participation analyse des mouvements de fonds

Une peacutenurie drsquoactions En deacutepit de la faiblesse agrave court terme afficheacutee reacutecemmentpar les cours des actions les donneacutees relatives aux mouvements de fonds continuentagrave deacutepeindre un avenir agrave long terme tout agrave fait favorable Ces chiffres suggegraverent mecircme

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une peacutenurie drsquoactions Le tableau ndeg2 indique que les titres de participation de socieacuteteacutesdes secteurs non financiers aussi bien que financiers ont reculeacute de 1624 milliards dedollars en 1999 une eacutevolution compenseacutee en partie par les 945 milliards de dollars deplacements effectueacutes par les investisseurs ameacutericains sur les places financiegraveres eacutetrangegrave-res Par conseacutequent le chiffre net des eacutemissions a chuteacute de 678 milliards de dollars lrsquoandernier apregraves un deacuteclin de plusieurs anneacutees (Graphique 8) Cette eacutevolution srsquoexpliquepar les programmes de rachat drsquoactions et les fusions et acquisitions qui risquent dedonner un solde net neacutegatif pour lrsquoensemble des eacutemissions de titres de participation

Acheteurs et vendeurs Selon les comptes de mouvements de fonds de la Fed cesont les particuliers qui ont vendu le plus grand nombre drsquoactions ces derniegraveres anneacutees(Graphique 9) Quoique surprenant agrave premiegravere vue ce reacutesultat est logique mdash car ilsrsquoagit drsquoun secteur reacutesiduel dans les comptes mdash et reflegravete la reacuteduction de la quantiteacutedrsquoactions deacutetenues par ce secteur du fait des fusions et des acquisitions reacutealiseacutees Unautre secteur tregraves vendeur est celui des fonds de caisses de retraite priveacutees(Graphique 10) La prolongation du marcheacute haussier des actions a provoqueacute une sur-capitalisation drsquoun grand nombre drsquoentre elles qui procegravedent donc agrave des ventes detitres pour reacuteeacutequilibrer la reacutepartition de leurs placements obligations et actions Lrsquoandernier quatre groupes drsquoinvestisseurs principaux (les fonds communs de placementsles caisses de retraite publiques les assurances-vie et les investisseurs eacutetrangers) ontchacun fait lrsquoacquisition drsquoenviron 100 milliards de dollars en titres de participationameacutericains (Tableau 2 et Graphique 11)

Lrsquoheure est aux fonds communs de placement Pour le moment cette anneacutee lesinvestisseurs en fonds communs de placement semblent plus inteacuteresseacutes que jamais parles actions Les fonds de placement en titres de participation ont attireacute un flux net de548 milliards de dollars en feacutevrier inclusion faite du reacuteinvestissement des dividendes(Tableau 1 et Graphique 12)

Note Retrouvez lrsquoensemble des graphiques illustrant cet article agrave lrsquoadressesuivante

httpwwwyardenicomfrenchaa000403Frepdf

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Revers de Fortune

xtrait de Dr Edward Yardeni Revers de FortuneStrateacutegie mondiale de portefeuille ndeg13 Deutsche Bank Securities Inc

and DB Alex Brown LLC 17 avril 2000

httpwwwyardenicomfrenchaa0004Frepdf

Insenseacute Jeremy Irons remporta un Oscar pour avoir interpreacuteteacute le personnage de Clausvon Bulow dans un film de 1990 qui srsquointitulait en version originale Reversal of Fortune(revers de fortune devenu en franccedilais Le Mystegravere von Bulow) Ce film relatait un eacutepisodede la vie de Claus von Bulow innocenteacute gracircce agrave ses avocats apregraves avoir eacuteteacute accuseacutedrsquoavoir tenteacute drsquoassassiner sa femme extrecircmement riche Crsquoest maintenant au tour desinvestisseurs de valeurs technologiques de subir un revers de fortune agrave lrsquoheure ougrave leNasdaq tombe en chute libre Ils reconnaissent que lrsquoenvoleacutee de certains titres avaitatteint des niveaux insenseacutes mais certains me disent maintenant que la liquidationmassive est tout aussi insenseacutee

Je comprends leur douleur Mon portefeuille personnel a eacutegalement subi les effets drsquounmini-krach technologique Comme Tony Soprano lrsquoaimable parrain du feuilleton teacuteleacute-viseacute ameacutericain The Sopranos le confiait reacutecemment agrave son psy laquo Ouiinnn pauvre demoi raquo En effet mecircme si jrsquoestime depuis lrsquoan dernier qursquoune bulle speacuteculative srsquoeacutetait for-meacutee sur le Nasdaq jrsquoai dans mon portefeuille certaines valeurs technologiques Mais ilmrsquoa toujours sembleacute qursquoil existait de grandes diffeacuterences entre cette bulle et les preacuteceacute-dentes Sur le plan des donneacutees fondamentales les perspectives de lrsquoindustrie technolo-gique restent en effet tregraves positives

()

La valorisation compte-t-elle encore Drsquoapregraves la version la plus simple du modegravelede valorisation boursiegravere de la Fed qui calcule la juste valeur du cours des actions endivisant les beacuteneacutefices preacutevisionnels drsquoun consensus drsquoanalystes par le rendement desobligations du Treacutesor le SampP 500 eacutetait sureacutevalueacute de 68 mdash proportion stupeacutefiantemdash pendant la semaine du 21 janvier A cette date le SampP aurait ducirc en effet ecirctre de 861alors qursquoil avait en reacutealiteacute deacutejagrave atteint 1449 points Drsquoapregraves les derniers calculs obtenusagrave lrsquoaide de ce modegravele la sureacutevaluation nrsquoeacutetait plus que de 32 dans la semaine du14 avril ()

Selon le modegravele de valorisation boursiegravere de la Fed le coefficient de capitalisation desreacutesultats (PE) correspondant agrave la juste valeur est tout simplement lrsquoinverse du rende-ment des bons du Treacutesor agrave 10 ans Pendant la semaine du 14 avril ce coefficient eacutetaitde 170 Le PE reacuteel eacutetait de 225 () La sureacutevaluation du SampP 500 est imputable entotaliteacute au secteur de la technologie qui affichait en mars un PE de 47 apregraves unehausse spectaculaire ces cinq derniegraveres anneacutees (le PE de 1995 eacutetait drsquoenviron 15)Une fois exclu le secteur technologique le PE nrsquoeacutetait que de 179 en mars ce qui cor-respond presque au PE de la juste valeur ()

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Le modegravele de valorisation boursiegravere de la Fed est tregraves simple Il ne tient compte que desbeacuteneacutefices preacutevisionnels des 12 mois agrave venir et du rendement des bons du Treacutesor agrave10 ans Selon leur approche ascendante les analystes financiers de Wall Street preacutevoientpour le SampP 500 des beacuteneacutefices par action de 6023 $ dans les 12 prochains mois Il srsquoagitlagrave drsquoun niveau record () Mais pour que le marcheacute soit agrave sa juste valeur il faudrait quele rendement obligataire baisse jusqursquoagrave 4 Ce modegravele simple nrsquoinclut aucune variablecorrespondant au risque ou agrave la croissance agrave long terme des beacuteneacutefices Les investisseursestiment peut-ecirctre que dans notre nouvelle eacuteconomie le risque de reacutecession est moin-dre et les perspectives de croissance des beacuteneacutefices plus prometteuses

Dans la nouvelle version ameacutelioreacutee du modegravele la juste valeur est eacutegale aux beacuteneacuteficespreacutevisionnels diviseacutes par la diffeacuterence entre le rendement composite des obligationsde socieacuteteacute classeacutees A par Moodyrsquos et une fraction de la croissance preacutevisionnelle surcinq ans des beacuteneacutefices pour le SampP 500 Par le passeacute la valeur reacuteelle du SampP 500 eacutetaiteacutegale agrave sa juste valeur lorsque la fraction du taux de croissance eacutetait de 10 Enmars 2000 les beacuteneacutefices preacutevisionnels de Wall Street sur cinq ans ont atteint un niveaurecord de 161 Mecircme avec ce chiffre stupeacutefiant il aurait fallu pour que le niveaudu SampP 500 soit eacutegal agrave sa juste valeur que les investisseurs multiplient presque par troisla pondeacuteration qursquoils accordent agrave la croissance agrave long terme des beacuteneacutefices Si nous don-nions agrave la croissance agrave long terme des beacuteneacutefices la pondeacuteration moyenne obtenue parle passeacute la juste valeur du SampP 500 serait drsquoenviron 900

La derniegravere fois que jrsquoai abordeacute la question de la valorisation dans lrsquoAnalyse eacuteconomi-que mondiale du 10 janvier 2000 je suis arriveacute agrave la conclusion suivante

Je crois que les preacutevisions de croissance du marcheacute et le poids attribueacute agrave cette derniegraverefont preuve drsquoun trop grand optimisme En revanche nous avons maintenant affaireagrave la Nouvelle eacuteconomie mondiale concurrentielle productive de haute technolo-gie animeacutee par M Greenspan et tutti quanti Il faudrait donc peut-ecirctre accorder plusde poids agrave la croissance agrave long terme des revenus Conclusion les cours ne sont pasbon marcheacute mais la version simple du modegravele de valorisation des titres de la FederalReserve Bank exagegravere visiblement la sureacutevaluation du marcheacute

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Naissance drsquoune nouvelle eacuteconomie Sept thegraveses sur lrsquoeacuteconomie de marcheacute

agrave lrsquoacircge du commerce eacutelectronique

Philippe LEMOINE1

Le 28 avril 1998

Aux Eacutetats-Unis le thegraveme de la nouvelle eacuteconomie est deacutebattu dans plusieurs cercles le cercle du lobby de la high tech le cercle des boursiers optimistes le cercle des politi-ques modernistes Lrsquoideacutee geacuteneacuterale est que lrsquoeacuteconomie nrsquoobeacuteirait plus aux mecircmes loisdepuis que les technologies drsquoinformation sont devenues les principaux leviers decroissance et drsquoinvestissement Il srsquoen deacuteduit qursquoil nrsquoy a pas de raisons de srsquoattendre agraveune fin rapide du cycle long de deacuteveloppement sans inflation ougrave sont les Eacutetats-Unisdepuis plus de 7 ans Loin de baisser les voiles ou de reacuteduire la toile il faudrait aller plusloin dans la lutte contre toutes les entraves de la nouvelle eacuteconomie Lrsquoarmeacutee et les ser-vices secrets ne devraient plus srsquoopposer agrave une large utilisation de la cryptologie par lesentreprises Les Eacutetats de lrsquoUnion ne devraient plus chercher agrave proteacuteger leurs taxes loca-les car le commerce eacutelectronique doit devenir sur tout le territoire des Eacutetats-Unis etmecircme dans son extension au reste du monde une vaste zone de libre-eacutechange unespace de circulation sans obstacle et mecircme sans coutures juridiques fiscales ou doua-niegraveres Un laquo capitalisme sans frottement raquo comme le dit Bill Gates

Que faut-il penser de ce thegraveme Agrave vrai dire en France on nrsquoen pense rien On deacutecou-vre deacutejagrave le laquo New Labour raquo anglais alors srsquoinitier en mecircme temps au thegraveme de la laquo NewEconomy raquo ameacutericaine Quelques milieux restreints ont une opinion et elle est geacuteneacute-ralement neacutegative Les intellectuels flairent sans mal lrsquoodeur de lrsquoideacuteologie et il fautbien avouer qursquoil y en a des traces tenaces Les responsables pensants et les penseursresponsables ne sont pas precircts agrave miser un cent sur un discours qui ne reacutesistera pas agravelrsquoineacutevitable et prochaine correction boursiegravere Comment eacuteviter le ridicule ce terriblemal franccedilais si lrsquoon a parleacute de laquo nouvelle eacuteconomie raquo quelques semaines avant unkrach Mieux vaut srsquoabstenir

Et pourtant cette question de la nouvelle eacuteconomie ne doit pas ecirctre traiteacutee agrave laleacutegegravere Drsquoabord parce que mecircme si le diagnostic ne peut pas ecirctre accepteacute globalementet sans reacuteserve il a le meacuterite drsquoinsister sur lrsquoampleur des changements en cours et de

1PHILIPPE LEMOINE est preacutesident de LASER Ce texte a eacuteteacute preacutesenteacute en mai 1998 au premier symposiumLes Pionniers Enjeux Il a eacuteteacute publieacute dans la Revue drsquoEacuteconomie financiegravere (ndeg53 3e numeacutero de lrsquoanneacutee 1999)

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montrer que cette fois-ci la classe dirigeante eacuteconomique et politique ne va plus pou-voir regarder de loin les questions de technologie et que celles-ci sont deacutesormais aucentre du paysage Ensuite dans le cas de la France un deacutebat sur ces thegravemes aurait lemeacuterite drsquoeacuteclairer autrement notre cheminement collectif depuis 20 ans de mieuxcomprendre lagrave ougrave nous avons progresseacute et lagrave ougrave nous nous sommes collectivementtrompeacutes Enfin en faisant lrsquoeffort de penser cette question de la nouvelle eacuteconomie ilpeut se dessiner une nouvelle approche des prioriteacutes politiques

Agrave titre personnel il srsquoagit de questions sur lesquelles je travaille depuis longtempsDans mon travail comme dirigeant du groupe Galeries Lafayette en charge de LaSernotre branche laquo services et technologie raquo je suis confronteacute agrave la progression du com-merce eacutelectronique Jrsquoai œuvreacute degraves la fin de 1996 pour lancer un deacutebat sur la maniegraverede poser aujourdrsquohui les liens entre technologie emploi services et commerce

Drsquoautres travaux se sont inscrits dans ce filon et on commence agrave entrevoir une faccedilonpositive de penser lrsquoemploi en liaison avec la reacute-organisation des entreprises autourdrsquoune logique clients Mais il mrsquoa sembleacute qursquoil fallait aller plus loin et je vous proposeaujourdrsquohui 7 thegraveses sur lrsquoeacuteconomie de marcheacute mdash car crsquoest bien drsquoelle qursquoil srsquoagit mdash agravelrsquoacircge du commerce eacutelectronique

Thegravese 1 Apregraves avoir transformeacute les usines apregraves avoir peacuteneacutetreacute les bureaux les tech-nologies drsquoinformation bouleversent aujourdrsquohui lrsquounivers de lrsquoeacutechange

Thegravese 2 Lrsquoeacuteconomie sort du laquo Solow Paradox raquo et du pieacutetinement de la productiviteacute degraveslors que les entreprises constatent lrsquoouverture des marcheacutes et lrsquoeacutelargissement des deacuteboucheacutes

Thegravese 3 Le paradoxe et les blocages resurgissent agrave un autre niveau si les institutionsfinanciegraveres et moneacutetaires voient la technologie comme un moyen de controcircle surlrsquoeacuteconomie reacuteelle

Thegravese 4 La persistance drsquoun niveau eacuteleveacute des stocks montre que lrsquoacceacuteleacuteration de larotation des actifs bute sur le ralentissement de la vitesse de circulation de la monnaie

Thegravese 5 La valorisation de lrsquoimmateacuteriel ne peut pas ecirctre une reacuteponse agrave la circulationtrop lente du capital dans un contexte ougrave la technologie fait baisser non seulement leprix des biens mais aussi celui des services

Thegravese 6 Le plein emploi est un objectif atteignable dans le cadre de strateacutegies foca-liseacutees sur le service et sur le client agrave lrsquoappui drsquoun accroissement de la productiviteacute ducapital circulant

Thegravese 7 LrsquoEurope doit tourner la page de la laquo socieacuteteacute drsquoinformation raquo au profit drsquounevision plus eacuteconomique tout en concentrant son message moral sur lrsquoenjeu de laliberteacute des personnes

Je vous propose de reprendre rapidement ces 7 points Il ne srsquoagit pas de les deacutevelop-per car nous en aurions pour plusieurs heures mais drsquoeacuteclairer lrsquoarchitecture du raison-

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nement qui est derriegravere chacune de ces thegraveses et qui sous-tend une approche desenjeux actuels qursquoil faut rendre coheacuterente et globale

Premiegravere thegravese les technologies drsquoinformation transforment lrsquounivers de lrsquoeacutechange

Cela crsquoest un constat Tout le monde le sait Internet symbolise une nouvelle eacutetapede lrsquoinformatisation La baisse du prix des composants diffuse lrsquoinformatique dans legrand public et pregraves drsquoun foyer sur deux dispose drsquoun micro-ordinateur aux Eacutetats-UnisLa numeacuterisation assure la convergence entre informatique teacuteleacutecommunications etaudiovisuel Les reacuteseaux se connectent les uns aux autres agrave lrsquoeacutechelle du globe

La conseacutequence crsquoest que le centre de graviteacute de la tornade des technologies drsquoinfor-mation se deacuteplace Il nrsquoest plus dans les usines et les ateliers Il nrsquoest plus seulementdans les bureaux Il est dans lrsquounivers de lrsquoeacutechange au sens le plus large du terme Oninsiste parfois sur les enjeux de la communication qursquoil srsquoagisse de la communicationavec les meacutedias ou de la communication entre les personnes Mais tout montre quelrsquoenjeu va bien au-delagrave du relationnel et que lrsquoimpact sera encore plus fort sur le tran-sactionnel et les rapports marchands

Derriegravere lrsquolaquo electronic commerce raquo lrsquoe-business les entreprises inventent drsquoautresmaniegraveres de commercer entre elles ou de vendre aux particuliers

Deuxiegraveme thegravese lrsquoeacuteconomie sort du laquo Solow Paradox raquo

Je vous rappelle de quoi il srsquoagit Dans les anneacutees 70 au moment ougrave nous avions enFrance le rapport Nora-Minc sur lrsquoinformatisation de la socieacuteteacute les premiegraveres inquieacutetu-des apparaissaient aux Eacutetats-Unis sur lrsquoimpact de la technologie sur lrsquoemploi et le chocirc-mage Une commission avait eacuteteacute mise en place par le gouvernement ameacutericain poureacuteclairer cette question Preacutesideacutee par Robert Solow professeur au MIT et prix Nobel drsquoeacuteco-nomie cette commission eacutetait parvenue au constat suivant oui lrsquoeacuteconomie utilise deplus en plus lrsquoinformatique oui les ordinateurs vont vite mais on ne constate aucuneacceacuteleacuteration des gains de productiviteacute Crsquoest ce que lrsquoon appelle le laquo Solow Paradox raquo

Au-delagrave du constat le paradoxe soulignait lrsquoexistence de nombreux obstacles agravelrsquoexteacuteriorisation des gains de productiviteacute dans lrsquoeacuteconomie ameacutericaine Au niveau des

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marcheacutes au niveau des professions au niveau des entreprises tout un ensemble deregravegles et de rapports sociaux servaient de contrepoids agrave lrsquoimpact de lrsquoinformatisationJe me souviens agrave cette eacutepoque drsquoune eacutetude meneacutee en France sur les grandes entrepriseset qui montrait que plus une entreprise investissait pour informatiser sa comptabiliteacuteplus elle avait de comptables

Sociologiquement ce corps professionnel avait le pouvoir de transformer la perfor-mance des ordinateurs en une occasion drsquoaccroicirctre le nombre et la sophistication deseacutetats comptables et de soutenir ainsi son propre emploi

Le paysage a complegravetement changeacute depuis lors Si lrsquoon compare la reacutevolution encours agrave la reacutevolution industrielle la meacutetaphore de la technologie ce nrsquoest plus seule-ment la machine agrave vapeur lrsquooutil de production avec toutes les craintes et les blocagesqui ont trait agrave lrsquoavenir de lrsquoemploi Il faut comparer la technologie aux chemins de feraux autoroutes (les fameuses autoroutes de lrsquoinformation) aux peacuteneacutetrantes qui contri-buent agrave deacutecloisonner les marcheacutes et agrave eacutelargir les deacuteboucheacutes

Tout change degraves lors que lrsquoon ne raisonne plus autour du seul modegravele drsquoune substi-tution du capital au travail Le formidable dynamisme dont fait preuve lrsquoeacuteconomieameacutericaine traduit le fait qursquoelle est sortie du laquo Solow Paradox raquo Elle exteacuteriorise sanscomplexes les gains de productiviteacute car les deacuteboucheacutes srsquoaccroissent tandis que lesregravegles de la compeacutetition sur les marcheacutes se deacuteplacent favorisant des notions de reacuteacti-viteacute de juste-agrave-temps et drsquoinnovation-service qui supposent que la technologiedevienne un instrument agrave lrsquoappui des strateacutegies commerciales

La maniegravere dont les entreprises ameacutericaines se sont empareacutees du commerce eacutelectro-nique est impressionnante Les premiegraveres expeacuteriences significatives de vente sur Inter-net datent de 1995 Aujourdrsquohui on compte plusieurs entreprises qui font deacutejagrave plusdrsquo1 milliard de dollars de CA par Internet On ne bricole plus Je ne parle pas seulementdrsquoentreprises comme General Electric Intel ou Cisco qui font du commerce eacutelectroni-que B-to-B Business-to-Business avec leurs entreprises clientes ou leurs fournisseursJe pense agrave des entreprises comme Charles Schwab qui a inventeacute le laquo discountbrokerage raquo en donnant aux particuliers la possibiliteacute drsquoacqueacuterir des actions avec desprix drsquointermeacutediation tregraves bas Comme Dell qui vend pour plus de 5 millions de dollarspar jour sur Internet avec un modegravele sans stock ougrave le client conccediloit lui-mecircme sonmicro-ordinateur personnaliseacute avant qursquoil soit mis en fabrication et livreacute en moins de8 jours Comme Comp-U-Card qui a inventeacute le marcheacute du laquo membership raquo en ayantdeacutesormais dans le monde 67 millions de clients abonneacutes agrave ses services drsquoinformationet de shopping Comme Auto-By-Tel qui fait moins un meacutetier de commerccedilant que decourtier en permettant agrave des particuliers de lancer des appels drsquooffre personnaliseacutes surle Net lorsqursquoils veulent changer de voiture Auto-By-Tel ne se reacutemunegravere pas par descommissions sur les ventes mais par un abonnement souscrit par les garagistes qui veu-lent recevoir des appels drsquooffre Jrsquoajoute qursquoavec ce systegraveme Auto-By-Tel suscite

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40000 ventes de voiture par mois Si la voiture ameacutericaine moyenne vaut 20000 $cela repreacutesente 800 millions de dollars de chiffre drsquoaffaires par mois pour cette seuleentreprise

Troisiegraveme thegravese la tentation du controcircle

Dans ce contexte de bouleversement de lrsquounivers de lrsquoeacutechange un enjeu majeur estcelui de la monnaie et des systegravemes de paiement En disant cela je nrsquoentends pas par-tager lrsquoideacutee selon laquelle le commerce eacutelectronique serait menaceacute par des risquesmonumentaux de fraude Les risques existent de mecircme qursquoexiste le risque drsquoune utili-sation drsquoInternet pour le recyclage de lrsquoargent sale Mais ces risques sont drsquoampleurlimiteacutee probablement comparables agrave ce qui existe dans le commerce traditionnel Silrsquoon parle tellement des moyens de paiement crsquoest qursquoon assiste au choc des meacutetiersqui gegraverent les flux drsquoinformation et des meacutetiers qui gegraverent la circulation des signesmoneacutetaires Crsquoest lagrave qursquoest le veacuteritable enjeu Il ne srsquoagit pas seulement drsquoune situationde rivaliteacute entre deux professions mais compte tenu de la nature particuliegravere de ceteacutequivalent geacuteneacuteral qursquoest la monnaie de compeacutetition entre strateacutegies qui peuventavoir une incidence importante sur lrsquoorganisation des marcheacutes et le dynamismedrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie

Il y a 3 ans les banques ameacutericaines avaient eacuteteacute traumatiseacutees de se faire traiter dedinosaures Elles ont fait capoter la tentative meneacutee par Microsoft pour srsquoinstaller aucœur des systegravemes de paiement en rachetant Quicken le produit leader utiliseacute par lesameacutericains pour geacuterer leur treacutesorerie domestique Depuis elles ont repris lrsquooffensive eneacutecartant tout scheacutema de geacuteneacuteralisation drsquoune monnaie eacutelectronique crsquoest-agrave-dire drsquouninstrument moneacutetaire anonyme qui circulerait librement sur les reacuteseaux entre les par-ticuliers et les commerccedilants puis entre ceux-ci et les autres acteurs eacuteconomiques

Au nom de la preacutevention des risques de fraude les banques favorisent des scheacutemasagrave boucle beaucoup plus eacutetroite ougrave lrsquoensemble des transactions de paiement seraienttraccedilables et controcirclables par leur profession Dans des scheacutemas triangulaires de ce typeles commerccedilants sont garantis des paiements qursquoils encaissent mais agrave la condition queles particuliers se soient connecteacutes agrave leur banque pour chaque paiement Des standardset des techniques ont eacuteteacute deacutefinis pour jouer de maniegravere fluide ces rocircles de laquo tiers deconfiance raquo et de laquo certificateurs raquo Les beacuteneacutefices directs et indirects que les banquespeuvent en tirer sont consideacuterables tant en termes de commissions perccedilues que drsquoenri-chissement des bases de donneacutees marketing Ni les banques centrales ni le fisc nevoient drsquoobstacles bien au contraire agrave de tels scheacutemas

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Cette tentation de controcircle un peu corporatiste risque pourtant de peser sur le dyna-misme eacuteconomique car elle vient parachever lrsquoeacutevolution systeacutematique des 2 deacutecenniesutilisant la technologie pour limiter la circulation de la monnaie Je ne pense pas seule-ment agrave la baisse de la part relative des billets et espegraveces qui sont pourtant la forme demonnaie ayant la rotation la plus forte Je pense agrave toutes les eacutevolutions qui ont limiteacute lapossibiliteacute drsquoendosser les chegraveques ou qui ont substitueacute des effets de commerce valablesune fois comme les LCR aux traites qui pouvaient circuler et ecirctre reacute-escompteacutees

Sur un plan theacuteorique ces eacutevolutions se sont accompagneacutees de la disparition detoute reacutefeacuterence agrave un concept pourtant essentiel celui de vitesse de circulation de lamonnaie Les autoriteacutes moneacutetaires ne connaissent plus que diffeacuterentes strates de massemoneacutetaire et en matiegravere de vitesse ne suivent que le rythme du gonflement ou dudeacutegonflement de ces masses ce qui est tout agrave fait diffeacuterent drsquoune notion de vitesse derotation drsquoun encours donneacute

On peut faire lrsquohypothegravese que la deacuteceacuteleacuteration de lrsquoinflation dans lrsquoensemble dumonde deacuteveloppeacute srsquoest accompagneacutee drsquoun fort ralentissement mdash malgreacutelrsquoeacutelectronique malgreacute les reacuteseaux mdash de la vitesse de circulation de la monnaie Il estsucircr en tout cas que dans la fameuse eacutequation selon laquelle le niveau geacuteneacuteral des prixest fonction du produit de la masse de monnaie par sa vitesse de circulation ce dernierparamegravetre est tombeacute dans un trou noir theacuteorique et statistique

Quatriegraveme thegravese La faible rotation des actifs

Le ralentissement de la circulation de la monnaie a eu comme contrepartie danslrsquoeacuteconomie reacuteelle un ralentissement de la rotation des actifs Cela peut sembler para-doxal de dire cela alors que les manuels drsquoeacuteconomie et de management ne parlent quede reacuteactiviteacute de juste-agrave-temps et de flux tendus mais crsquoest ainsi

En 1992 jrsquoavais fait reacutealiser un travail sur les stocks par Rexecode agrave lrsquooccasion drsquounlivre que jrsquoavais eacutecrit Le commerce dans la socieacuteteacute informatiseacutee (Economica 1993)Alors qursquoil nrsquoexiste pas un outil statistique de qualiteacute sur le niveau des stocks en valeurabsolue lrsquoideacutee eacutetait de voir comment le poids des stocks dans lrsquoeacuteconomie avait eacutevolueacutesur longue peacuteriode et comment cela srsquoeacutetait passeacute dans les principaux pays deacuteveloppeacutesRexecode vient de reacuteactualiser ce travail

Je passe sur les consideacuterations de meacutethode pour commenter les reacutesultats Ce graphi-que fait lrsquohypothegravese que les stocks repreacutesentaient 25 du PIB au lendemain de laguerre qursquoils tournaient 4 fois dans lrsquoanneacutee On voit apparaicirctre 3 groupes de pays

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mdash le Japon et le Canada qui sont agrave 14-16 apregraves avoir miseacute sur les reacuteseaux et le juste-agrave-temps

mdash la France dont on reparlera qui est dans une situation hors norme agrave 27 environaujourdrsquohui

mdash le groupe central (Eacutetats-Unis Grande-Bretagne Allemagne) qui est agrave 18-22

Agrave ce stade jrsquoinsiste sur la contre-performance de ces 18-22 Apregraves une vague de deacutesin-flation faire 18-22 au lieu de 25 drsquoun PIB qui a profondeacutement changeacute dans sa com-position avec une part bien plus importante des productions de biens immateacuteriels et deservices sans stocks crsquoest tout agrave fait insuffisant Cela reflegravete en fait avant le deacuteveloppe-ment du commerce eacutelectronique une situation de ralentissement marqueacute de la rotationdes actifs avec des paliers de stagnation venant contrecarrer le mouvement de baisse

Cinquiegraveme thegravese Lrsquoimpasse de lrsquoeacuteconomie de lrsquoimmateacuteriel

Au XVIIIe siegravecle agrave lrsquoaube de la reacutevolution industrielle un deacutebat a agiteacute le monde deseacuteconomistes mercantilistes laquo Faut-il vendre cher pour ecirctre riche Peut-on ecirctre riche

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et bon marcheacute raquo Ce deacutebat srsquoest retrouveacute ces derniegraveres anneacutees dans une interrogationsur lrsquoeacuteconomie de lrsquoimmateacuteriel Drsquoun seul coup tout le monde voulait valoriserlrsquoimmateacuteriel Les comptables voulaient inscrire des actifs immateacuteriels importants dansles bilans Les financiers voulaient valoriser les goodwills Les commerciaux voulaientvendre chers les services tandis que les strategraveges ne juraient que par la valeur ajouteacutee

Cet orgueil de lrsquoimmateacuteriel est agrave mettre en relation directe avec le ralentissement dela rotation des actifs et de la circulation de la monnaie le cas de la France illustre biencela Agrave la fin des anneacutees 80 nous nous sommes en effet orienteacutes vers une politique dedeacutesinflation compeacutetitive qui se voulait lrsquoeacutequivalent agrave lrsquoeacutechelle drsquoune nation de ceqursquoest le discount agrave lrsquoeacutechelle drsquoun commerce On ne deacutevalue pas la monnaie mais onbaisse les prix par rapport agrave ce que pratique la concurrence Agrave gains de productiviteacuteidentiques cela signifie que lrsquoon ristourne plus de marge agrave nos clients exteacuterieurs quelrsquoon en garde moins pour lrsquoeacuteconomie nationale

Sur le long terme une telle politique nrsquoest viable que si elle srsquoaccompagne drsquoune rota-tion des actifs plus rapide que celle des concurrents Malgreacute lrsquoaccroissement du volumedes exportations on a vu que tel nrsquoavait pas eacuteteacute le cas globalement Aussi la questionse pose-t-elle de savoir comment le PIB franccedilais a continueacute de croicirctre en exportant agraveprix discount et sans compensation par des effets volume La reacuteponse est agrave rechercherme semble-t-il dans le partage laquo prixvolume raquo de ce qui srsquoexportait moins avec larecherche systeacutematique drsquoune valorisation excessive de lrsquoimmateacuteriel et des servicesTout srsquoest passeacute comme pour un commerccedilant qui aurait agrave la fois des prix drsquoappel et desrayons mieux margeacutes

Une bulle srsquoest formeacutee reposant sur une sur-valorisation du temps social En Franceagrave la fin des anneacutees 80 les services aux particuliers se sont mis agrave fonctionner agrave 2 F laminute Le modegravele se retrouve par exemple dans la restauration Dans un fast-food onreste 15 minutes et cela coucircte 30 F Une brasserie ougrave lrsquoon reste 1 heure coucircte 120 F Unrepas dans un restaurant plus chic ougrave lrsquoon reste deux heures 240 F Il y a bien sucircr desexceptions mais la plupart des points srsquoajustent selon une droite ougrave le talent du cuisi-nier ne se reacutemunegravere qursquoen fonction de lrsquoincitation qursquoil procure agrave consommer plus detemps

Le risque en facturant ainsi chegraverement le temps est celui drsquoune contagion de lrsquoeacuteco-nomie de la lenteur La monnaie est lente les stocks stagnent les services sont chersLa norme eacutetait installeacutee en France au deacutebut des anneacutees 1990 le minitel eacutetait agrave 2 F laminute les taxis agrave 2 F la minute le teacuteleacutephone inter-urbain agrave 2 F la minute Le GSM aeacuteteacute introduit agrave 2 F la minute Tout agrave 2 F la minute Le virage que symbolise Internetcrsquoest celui de lrsquoabandon de ces facturations agrave la dureacutee de la chute reacuteelle du coucirct descommunications de la reacuteconciliation des deacutemarches laquo prix raquo et des deacutemarcheslaquo services raquo

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Sixiegraveme thegravese le plein emploi gracircce aux deacutemarches clients

La France est une eacuteconomie agrave fort niveau de stock et agrave faible niveau drsquoemploi Lrsquounest la contrepartie de lrsquoautre dans un contexte drsquoopposition deacutepasseacutee entre le prix et leservice Nous pouvons inverser le processus et viser le plein emploi Encore faut-il ecirctrepreacutecis sur le diagnostic et sur lrsquoaction agrave mener

Les travaux que jrsquoai eu agrave piloter sur le commerce du deacutetail font apparaicirctre qursquoagrave luiseul ce secteur pourrait creacuteer 1 million et demi drsquoemplois Pour reacutepondre aux besoinsde 100 habitants la France compte en effet 3 actifs contre 55 aux Eacuteats-Unis (cf cahierLaSer ndeg1 laquo Self-service mondial ou nouvelle eacuteconomie de services raquo avec des con-tributions de Rexecode et de J Kaspar) La question que creuse cette eacutetude crsquoest desavoir pourquoi Drsquoougrave vient cette diffeacuterence et que faut-il faire pour la combler

On met geacuteneacuteralement en avant le coucirct du travail et il est exact que le prix de revienttoutes charges comprises drsquoune heure de travail aux Eacutetats-Unis est sensiblement plusfaible qursquoen France Mais on doit agrave nouveau se poser la question du pourquoi Le pro-blegraveme nrsquoest pas en effet celui drsquoune diffeacuterence portant sur le seul marcheacute du travailCrsquoest celui drsquoune diffeacuterence qui porte sur la dynamique geacuteneacuterale des marcheacutes sur lesregravegles actuelles de la compeacutetition Aux Eacutetats-Unis la cleacute de la compeacutetition crsquoestaujourdrsquohui le service Partant de lagrave il srsquoen deacuteduit des laquo business models raquo diffeacuterentsun recours plus important au temps partiel un recrutement de salarieacutes qui ressemblentaux clients donc une pyramide des acircges plus eacutequilibreacutee qursquoen France donc des jeuneset des personnes assez acircgeacutees nrsquoayant pas besoin de couverture sociale suppleacutementairespeacutecifique donc in fine un coucirct du travail plus bas

Lrsquoexemple de Wal-Mart le leader ameacutericain (et mondial) du commerce illustre cettethegravese Depuis des anneacutees cette entreprise utilise en effet la technologie au service drsquounestrateacutegie drsquoentreprise preacutecise optimiser ses stocks et son capital circulant pour creacuteer unavantage compeacutetitif reacuteinvestir les gains de productiviteacute obtenus sur lrsquoamont dans le ser-vice laquo aval raquo afin de mieux fideacuteliser les clients Les moyens mis en œuvre sontimpressionnants saisie unitaire systeacutematique des ventes centralisation de lrsquoinformationgracircce agrave un reacuteseau priveacute de satellites V-SAT accegraves des fournisseurs agrave une base permettant deconnaicirctre chaque jour les ventes de chaque reacutefeacuterence dans chacun des 2500 magasinseacutechange drsquoinformations partage de responsabiliteacutes datamining intranet web mondialetc Lrsquoimpact de tout ceci on le voit bien dans un graphique comparant un hypermarcheacutefranccedilais moyen et un supercenter Wal-Mart moyen crsquoest-agrave-dire une formule de Wal-Martcommercialisant des produits alimentaires et non-alimentaires comme un hypermarcheacute

Le hasard fait qursquoavec un dollar agrave 6 F un Wal-Mart de 1996 faisait exactement lemecircme chiffre drsquoaffaires qursquoun hyper franccedilais 420 MF Mais on voit qursquoaucun paramegrave-

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tre nrsquoest comparable Lrsquohypermarcheacute nrsquooptimise pas le flux de marchandises et trouveun eacutequilibre eacuteconomique par une forte rentabiliteacute du capital investi (CAmsup2) et par uneforte productiviteacute du personnel Lrsquoaxe de rationalisation de Wal-Mart est au contrairela rotation du capital circulant les stocks tournent 25 fois dans lrsquoanneacutee contre 10 enFrance Et il y a 2 fois plus de personnel pour faire le mecircme chiffre drsquoaffaires

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Septiegraveme thegravese LrsquoEurope doit tourner la page de la laquo socieacuteteacute drsquoinformation raquo

Le commerce eacutelectronique et lrsquoinformatisation des eacutechanges sont une eacutetape essen-tielle pour lrsquoEurope Lrsquoenjeu est drsquoacceacuteleacuterer la rotation des stocks drsquoacceacuteleacuterer la circula-tion de la monnaie drsquoacceacuteleacuterer la circulation du capital Une dynamique forte tendantau plein-emploi est agrave attendre de cette politique

Lrsquoessentiel est une affaire de comportement drsquoentreprises mais les pouvoirs publicsont un rocircle important agrave jouer Au niveau de lrsquoEurope deux prioriteacutes nous semblentsrsquoimposer La premiegravere est de tourner la page du thegraveme que lrsquoon appelle agrave Bruxelleslaquo socieacuteteacute drsquoinformation raquo et qui ordonne les moyens importants que lrsquoEurope consacreaujourdrsquohui agrave ces sujets Ce thegraveme a 3 inconveacutenients Il suggegravere qursquoil faudrait anticiperun futur alors que personne nrsquoest leacutegitime pour faire lrsquoingeacutenierie drsquoune socieacuteteacute nou-velle et qursquoil srsquoagit plus modestement drsquoaccompagner un preacutesent Il deacutebouche commele font souvent les anticipations technocratiques sur une focalisation des eacutenergies versdes enjeux non-marchands eacuteducation santeacute environnement transports urbainsCes sujets sont fondamentaux mais il ne faut pas vouloir les faire progresser indeacutepen-damment de la dynamique qui se met en place dans les entreprises pour faire face auxnouveaux rapports marchands Le thegraveme laquo socieacuteteacute de lrsquoinformation raquo a enfin lrsquoincon-veacutenient drsquoecirctre imbriqueacute dans toute une approche orgueilleuse de lrsquoimmateacuteriel dont ilest vital aujourdrsquohui de percer la baudruche Crsquoest un risque pour lrsquoeacuteconomie de sesatisfaire de la valorisation de lrsquoimmateacuteriel et du cycle lent des actifs Crsquoest un risquepour lrsquoemploi de confondre lrsquoavenir avec le seul tertiaire supeacuterieur de la connaissancedu savoir et de la communication en neacutegligeant le potentiel des meacutetiers du commerceet de lrsquoeacutechange ou en ne le traitant que dans le cadre de reacuteflexions sur les basses quali-fications

Mieux vaudrait aujourdrsquohui parler drsquoeacuteconomie que de socieacuteteacute de lrsquoinformation Celaveut-il dire que lrsquoEurope doit laisser de cocircteacute un message moral et solidariste qursquoelle sentde sa mission de tenir face agrave ce qui se passe aux Eacutetats-Unis Nullement Mais la prioriteacuteici serait drsquoidentifier intelligemment les sujets sur lesquels nous pouvons reacuteellementaffirmer notre conception du monde Mecircme en eacutetant favorables agrave lrsquoeacuteconomie de mar-cheacute il nrsquoest ainsi pas eacutevident de laisser les Eacutetats en dehors drsquoun grand deacutebat sur les frau-des et sur la seacutecuriteacute des paiements Le deacutebat ne serait-il pas assaini si les pouvoirspublics passaient agrave la vitesse supeacuterieure en matiegravere de lutte contre la mafia et lrsquoargentsale

Mais crsquoest sur le terrain des liberteacutes priveacutees et publiques que lrsquoEurope peut le mieuxsrsquoaffirmer Nombre de pays drsquoEurope ont une leacutegislation laquo informatique et liberteacutes raquo etlrsquoUnion europeacuteenne a adopteacute une directive en ce sens Ce nrsquoest pas le cas des Eacutetats-UnisPourtant les sondages montrent que la crainte drsquoune traccedilabiliteacute trop grande est deve-

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nue lrsquoobstacle numeacutero 1 agrave une extension du commerce eacutelectronique et qursquoune majo-riteacute des internautes ameacutericains est deacutesormais favorable agrave une loi comparable agrave ce quiexiste en Europe Sur le fond lrsquoexistence de telles leacutegislations nrsquoest pas contradictoiremdash bien au contraire mdash avec les tendances les plus innovantes du marketing personna-liseacute et laquo one-to-one raquo que permet la technologie Au-delagrave de la consommation demasse la question est en effet de savoir si nous allons vers lrsquoindividualisation (crsquoest agravedire le ciblage des comportements par des technologies centrales) ou vers la personna-lisation (crsquoest-agrave-dire la liberteacute de choix de simulation et de reconfiguration des offrespar une technologie aux mains des personnes)

Les lois laquo Informatique et Liberteacutes raquo favorisent la seconde tendance au deacutetriment dela premiegravere Mais crsquoest la voie la plus novatrice dans les eacutevolutions en cours et lrsquoEuropea la possibiliteacute sur ce sujet drsquoaffirmer sa vision et de la placer au centre de lrsquoeacutevolutiondes marcheacutes et de lrsquoeacuteconomie

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Le Monde Eacuteconomie 27041999 Les Eacutetats-Unis prototype dune ldquoNouvelle Eacuteconomie rdquo

Le Monde Eacuteconomie 30111999 Tribunes La France est-elle entreacutee dans la ldquonouvelle eacuteconomierdquo Qua-tre experts et la ldquonouvelle eacuteconomierdquo Anton Brender Daniel Cohen Michel Didier Jean Pisani-Ferry

Les Echos du 06121999 au 11121999 Enquecircte ldquoLa nouvelle eacuteconomierdquo (1) Lentreacutee dans lacircge delimmateacuteriel (2) Lalchimie de la croissance ameacutericaine (3) E-commerce la reacutevolution en marche (4) Le clientau cœur de lentreprise (5) Les deacutefis sociaux de legravere Internet

DIDIER M Nouvelle eacuteconomie et nouvelles technologies quatre aspects de la nouvelle eacuteconomie Rexecode1er trimestre 2000

Macroeconomic Advisers Productivity and Potential GDP in the ldquoNewrdquo US Economy MacroeconomicAdvisers LLC Sep 1999 httpwwwmacroadviserscom

MANDEL M J Internet - Le nouveau moteur de la croissance mondiale Le Point Business Week ndeg 141104101999

MOULTON B R PARKER R P SESKIN E P A Preview of the 1999 Comprehensive Revision of the NationalIncome and Product Accounts Definitional and Classificational Changes Survey of Current Business Bureauof Economic Analysis (BEA) Aug 1999 httpwwwbeadocgovbeaan0899niwmaintexthtm

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OLINER SD SICHEL DE ldquoComputers and Output Growth Revisited How Big Is the Puzzlerdquo BrookingsPapers on Economic Activity Feb1994

PAULREacute B La laquo New Economy raquo enjeux et limites Quaderni ndeg40

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

181

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SAWYER M The Nairu A critical Appraisal The Jerome Levy Economics Institute 1997 httpeconwpawustledu8089epsmacpapers97129712013pdf

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SENGES G Les Eacutetats-Unis entrent agrave plein reacutegime dans leur 10e anneacutee dexpansion Les Echos ndeg 28022000

SFEZ L Contribution aux deacutebats sur la laquo Nouvelle eacuteconomie raquo Quaderni ndeg40

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STRASSMANN PA Information Productivity Assessing Information Productivity Assessing InformationManagement Costs of USCorporations Information Economics Press 1997

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The Emerging Digital Economy II 22061999 httpwwwecommercegovede

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VICKREY W Fifteen Fatal Fallacies of Financial Fundametalism 1996 httpwwwcolumbiaedudlcwpeconvickreyhtml

YARDENI Ed Dr Ed Yardenis Economics Network httpwwwyardenicom

183

Note de lrsquoeacutediteur

La recherche entreprise pour ce Cahier LASER consacreacute agrave la nouvelle eacuteconomie a eacuteteacutemeneacutee par le GIE RECHERCHE HAUSSMANN cellule de recherche et drsquoinnovation techno-logique de LASER Conduite pour lrsquoessentiel sur lrsquoInternet source ineacutepuisable drsquoinfor-mations elle srsquoest accompagneacutee drsquoun suivi de la presse et des publications sur lanouvelle eacuteconomie et les thegravemes associeacutes Elle srsquoest par ailleurs appuyeacutee sur laquo les Jour-neacutees drsquoeacutetudes drsquohistoire eacuteconomiques organiseacutee par le laboratoire Isys-Matisse (Uniteacutede recherche CNRS de lrsquoUniversiteacute Paris 1 Pantheacuteon Sorbonne) sous le titrelaquo Transformations de la division du travail et nouvelles reacutegulations raquo

Tous les textes qui sont ici traduits et reproduits proviennent du World Wide Web desites acadeacutemiques ou de sites des eacutediteurs qui doublent leurs publications commercia-les par une eacutedition en ligne librement accessible

Le foisonnement des sources lrsquoabondance des ramifications et lrsquohistoire se faisantdans le mecircme temps que lrsquoinvestigation toute intention drsquoexhaustiviteacute si lrsquoon y avaitsongeacute eacutetait exclue Pour tous les textes qui nrsquoeacutetaient pas libres de droit lrsquoautorisationdes auteurs a eacuteteacute systeacutematiquement recueillie Nous tenons agrave les remercier

Au bout du compte crsquoest parmi plusieurs dizaines drsquoarticles de grand inteacuterecirct qursquoil afallu trouver un chemin avec deux principes directeurs pour la seacutelection finale de cestextes qursquoils contribuent agrave se former une ideacutee aussi claire que possible des theacutemati-ques de fond de la nouvelle eacuteconomie que leur arrangement permette de rendrecompte drsquoune geacuteneacutealogie en mecircme temps que drsquoun mouvement drsquoideacutees et reflegraveteautant que possible les arriegravere-plans du deacutebat ameacutericain

Dans le cadre que nous nous eacutetions fixeacute nous avons ducirc renoncer agrave de nombreuses con-tributions Il nous a ainsi fallu deacutelaisser agrave regret certains textes au caractegravere fondateurcomme laquo The New Wave Manifesto raquo de Edward Yardeni qui propheacutetisa en octobre1988 le renouveau du deacuteveloppement eacuteconomique des Eacutetats-Unis ou encore laquo TheLong Boom A History of the Future 1980-2020 raquo de Peter Schwartz et Peter Leydenqui paru dans Wired en juillet 1997 joua le rocircle drsquoun deacutetonateur de lrsquoespoir dans le cielameacutericain De mecircme il nous a fallu renoncer agrave des articles qui srsquoefforcent drsquoouvrir lesperspectives sur un apregraves de la nouvelle eacuteconomie tels Building Wealth de Lester Thu-row et Beyond the Information Revolution de Peter Drucker (parus dans The AtlanticMonthly respectivement en juin et en octobre 1999) On trouvera les reacutefeacuterences et lesliens pour tous ces articles dans la bibliographie

Les traductions ont eacuteteacute assureacutees par Olivier Le Goff

Eric BARCHECHATH

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Cet ouvrage peut ecirctre obtenu aupregraves de LASER dans sa version papier ou teacuteleacutechargeacute depuis le site des Eacuteditions 00h00com dans sa version numeacuterique

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[1] COMMENT NAVIGUER DANS LrsquoEXEMPLAIRE NUMEacuteRIQUE [2] COMMENT FAIRE UNE RECHERCHE DE MOTS DANS UN PDF [3] COMMENT AMEacuteLIORER LA LECTURE Agrave LrsquoEacuteCRAN [4] COMMENT SAUVEGARDER UN PDF RECcedilU PAR E-MAIL

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  • Cahiers LaSer ndeg3
    • Sommaire
    • Quest-ce que la nouvelle eacuteconomie Philippe Lemoine
      • Un deacutebat important
      • Trois paradoxes
      • Un cadre danalyse
        • Chapitre I La nouvelle eacuteconomie des lois aux paradoxes
          • De nouvelles regravegles pour la nouvelle eacuteconomie douze principes fiables pour prospeacuterer dans un monde turbulent Kevin Kelly
            • 1 La Loi de la Connexion
            • 2 La Loi de lAbondance
            • 3 La Loi de la Valeur Exponentielle
            • 4 La Loi des Points de Basculement
            • 5 La Loi des Rendements Croissants
            • 6 La Loi des Prix Inverseacutes
            • 7 La Loi de la Geacuteneacuterositeacute
            • 8 La Loi de lAlleacutegeance
            • 9 La Loi de la Reacutegression
            • 10 La Loi de la Substitution
            • 11 La Loi du Brassage
            • 12 La Loi de lInefficaciteacute
              • Y-a-t-il une nouvelle eacuteconomie Alan Greenspan
                • Chapitre II Le paradoxe de Solow
                  • Le paradoxe de Solow sur la productiviteacute en qui les ordinateurs contribuent-ils agrave la productiviteacute Jack E Triplett
                    • Contexte
                      • 1 On ne voit pas des ordinateurs laquo partout raquo au sens eacuteconomique et fort du terme
                      • 2 On a limpression et seulement limpression que les ordinateurs sont partout
                      • 3 On ne voit pas des ordinateurs partout mais leur contribution est peu mesureacutee dans certains secteurs eacuteconomiques qui sont
                      • 4 Que lon voie ou non des ordinateurs partout une partie du travail reacutealiseacute par ceux-ci nest pas comptabiliteacutee dans les s
                      • 5 On ne voit pas encore les ordinateurs dans les statistiques de productiviteacute mais il suffit dattendre un peu
                      • 6 On voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productiviteacute parce que les ordinateurs ne sont pas aussi pro
                      • 7 Il ny a pas de paradoxe certains eacuteconomistes eacutevaluent les innovations et les nouveaux produits sur une eacutechelle arithmeacutet
                        • Chapitre III Le paradoxe du Nairu
                          • La capitulation de la politique eacuteconomique James K Galbraith
                            • Le consensus de la droite sur lemploi et linflation
                            • Ougrave se trouve le taux naturel de chocircmage
                            • Nairu avec un N comme Nomade
                            • Les libeacuteraux ont perdu sur le front de loffre
                            • La macroeacuteconomie dans un monde structuraliste
                              • Agrave quelle vitesse leacuteconomie ameacutericaine peut-elle croicirctre Paul Krugman
                                • Pourquoi leacuteconomie a-t-elle une laquo limite de vitesse raquo
                                • Les paradoxes de la productiviteacute
                                • Mondialisation et inflation
                                • Le succegraves dun paradigme
                                  • Vitesse-limite Reacutealiteacutes et fictions dans le deacutebat sur la croissance Alan S Blinder
                                    • Plus vite agrave court terme
                                    • La perspective agrave long terme
                                    • Le ralentissement de laugmentation de productiviteacute
                                    • Ce que peut faire une politique intelligente
                                        • Chapitre IV Le paradoxe boursier
                                          • Est-ce une bulle Edward Yardeni
                                          • Une succession de corrections Edward Yardeni
                                            • Le vaisseau spatial de la net-eacuteconomie passe agrave la vitesse Warp II
                                            • Naissance dune nouvelle eacuteconomie Sept thegraveses sur leacuteconomie de marcheacute agrave lacircge du commerce eacutelectronique Philippe Lemoine
                                            • Titres de participation analyse des mouvements de fonds
                                              • Naissance dune nouvelle eacuteconomie Sept thegraveses sur leacuteconomie de marcheacute agrave lacircge du commerce eacutelectronique Philippe Lemoine
                                                • Bibliographie
                                                • Note de leacutediteur
                                                  • Petit guide pdf
Page 2: La nouvelle Economie et ses Paradoxes

Dans la mecircme collection

Self service mondial ou nouvelle eacuteconomie de service Technologie emploi commerce - Premiegraveres conclusionsCahier LaSer ndeg1 1998Version numeacuterique teacuteleacutechargeable sur www00h00com

Commerce eacutelectronique marketing et liberteacutesCahier LaSer ndeg2Eacuteditions 00h00com 1999Version numeacuterique teacuteleacutechargeable sur www00h00com

La Nouvelle Eacuteconomie et ses paradoxesCahier LaSer ndeg3Eacuteditions 00h00com 2000Version numeacuterique teacuteleacutechargeable sur www00h00com

Cahier LASER ndeg3

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

LASER66 rue des Archives

75 003 Paris

copy LASER 2000

Cet ouvrage a eacuteteacute reacutealiseacute par les Eacuteditions 00h00compour le compte de LASER 66 rue des Archives 75 003 Paris

ISBN 2-7454-0369-9

5

Sommaire

Qursquoest-ce que la nouvelle eacuteconomie

PHILIPPE LEMOINE 7

Chapitre 1 La nouvelle eacuteconomie des lois aux paradoxes

De nouvelles regravegles pour la nouvelle eacuteconomie

KEVIN KELLY29

Question Y-a-t-il une nouvelle eacuteconomie

ALAN GREENSPAN 55

Chapitre 2 Le paradoxe de Solow

Le paradoxe de Solow sur la productiviteacute en quoi les ordinateurs contribuent-ils agrave la productiviteacute

JACK E TRIPLETT 71

Chapitre 3 Le paradoxe du NAIRU

La capitulation de la politique eacuteconomique

JAMES K GALBRAITH 113

Agrave quelle vitesse lrsquoeacuteconomie ameacutericaine peut-elle croicirctre

PAUL KRUGMAN 125

Vitesse-limite reacutealiteacutes et fictions dans le deacutebat sur la croissance

ALAN S BLINDER 137

Chapitre 4 Le paradoxe boursier

Est-ce une bulle

EDWARD YARDENI 149

Cahiers LASER ndeg3

6

Une succession de corrections

EDWARD YARDENI 159

Naissance drsquoune nouvelle eacuteconomie sept thegraveses sur lrsquoeacuteconomie de marcheacute agravelrsquoacircge du commerce eacutelectronique

PHILIPPE LEMOINE 167

Bibliographie 179

Note de lrsquoeacutediteur 183

7

Qursquoest-ce que la nouvelle eacuteconomie

Philippe LEMOINE1

Dans les milieux financiers qui srsquointeacuteressent agrave Internet il existe une notion agrave laquelleon se reacutefegravere pour appreacutecier la valeur drsquoune entreprise le laquo cash burning raquo crsquoest-agrave-direla vitesse avec laquelle une entreprise a brucircleacute le cash les liquiditeacutes qursquoelle a leveacutees Lefait mecircme que lrsquoon puisse utiliser sans distance une telle notion teacutemoigne drsquoun senti-ment drsquoacceacuteleacuteration de rapiditeacute drsquoinsignifiance Une anneacutee Internet durerait un tri-mestre trois mois du temps classique

Tout deacutefile agrave un tel rythme que lrsquoon peut se demander srsquoil nrsquoy a pas eacutegalement unlaquo concept burning raquo une vitesse avec laquelle la socieacuteteacute brucircle les concepts qursquoelle a misen avant Lrsquoexpression de laquo nouvelle eacuteconomie raquo est menaceacutee par ces flammes Elle estaujourdrsquohui sous les feux de lrsquoactualiteacute Mais tout se consume agrave grande vitesse Un jourla nouvelle eacuteconomie va bien Le lendemain la nouvelle eacuteconomie descend aux enfersVa-t-elle srsquoaffirmer ou va-t-elle disparaicirctre

Pour reacutepondre agrave cette question il faudrait savoir ce qursquoest la nouvelle eacuteconomie Est-ce seulement une expression gadget qui scintille pour quelques mois dans les meacutedias Mais dans ce cas on srsquoeacutetonne que la notion ait pris forme dans des deacutebats mobilisantde tregraves grands eacuteconomistes ameacutericains Est-ce alors un concept scientifique deacutesignantclairement un nouvel horizon du monde Un manque certain de rigueur dans les ter-mes le choix de tailler large suggegraverent plutocirct qursquoil srsquoagit drsquoune notion en devenirQursquoest-ce donc que la nouvelle eacuteconomie

Un deacutebat important

Une question theacuteorique sous-jacente agrave ces interrogations sur la nouvelle eacuteconomiecrsquoest la question des relations entre la technologie drsquoune part lrsquoeacuteconomie et la socieacuteteacutedrsquoautre part Depuis plus de deux siegravecles il srsquoagit drsquoun point sensible difficile agrave analyseret sur lequel srsquoaccrochent des controverses fondamentales sur le deacuteterminisme sur lerocircle des hommes sur la conception de lrsquoHistoire Malgreacute de nombreux travaux philoso-

1 Philippe LEMOINE est Preacutesident de LASER

Cahiers LASER ndeg3

8

phiques socio-eacuteconomiques eacutepisteacutemologiques la question nrsquoa fait que se complexifierDeux eacutevolutions contemporaines viennent en effet intensifier la difficulteacute de lrsquoanalyseLrsquoeacutevolution drsquoabord de la nature mecircme de la technologie Les technologies drsquoinforma-tion nrsquoont pas le mecircme mode de relation avec leur environnement que les technologiesmeacutecaniques drsquohier Elles traitent des informations elles sont programmables elles favo-risent lrsquointeractiviteacute il est clair que tout ceci soulegraveve de nouveaux enjeux et suppose descadres drsquoanalyse bien diffeacuterents des scheacutemas fondeacutes sur la causaliteacute meacutecanique simple

Lrsquoautre eacutevolution concerne les domaines de la vie eacuteconomique et sociale sur lesquelssrsquoapplique la progression des technologies drsquoinformation Depuis lrsquoinvention de lrsquoordi-nateur il y a plus de 50 ans les technologies drsquoinformation se sont en effet organiseacuteessur le modegravele de la tornade Un mouvement de spirale inteacutegrateur de plus en plusrapide assure la convergence de diffeacuterentes technologies autour drsquoun mecircme standardnumeacuterique informatique teacuteleacutecommunication audio-visuel robotique bureauti-que etchellip En mecircme temps la tornade progresse et son centre de graviteacute se deacuteplaceAvant-hier le centre de graviteacute crsquoeacutetait lrsquousine et lrsquounivers de la production Hier crsquoeacutetaitle bureau et le processus de gestion des entreprises Aujourdrsquohui le centre de graviteacute dela tornade agrave lrsquoegravere drsquoInternet crsquoest lrsquounivers de lrsquoeacutechange dans ses diffeacuterentes dimen-sions marchandes et non-marchandes

Agrave chaque eacutetape lrsquoanalyse devient de plus en plus compliqueacutee Mecircme srsquoil srsquoagissait detechnologies nouvelles on avait le sentiment de savoir raisonner tant que lrsquoon eacutetaitdans lrsquounivers de la production et de lrsquousine lieu de croissance de lrsquoeacuteconomie moderneet lieu de reacutefeacuterence de tant de travaux sociologiques Avec les bureaux et la gestion celadevenait plus compliqueacute Avec lrsquounivers de lrsquoeacutechange on entre dans des terres beau-coup moins connues ougrave il existe de grandes zones impenseacutees des gouffres et desdeacuteserts ougrave lrsquoon approche des meacutecanismes de la deacutepense et de ce que Bataille appelaitla laquo part maudite raquo de lrsquoeacuteconomie politique1

Le premier inteacuterecirct de cette notion de laquo nouvelle eacuteconomie raquo est preacuteciseacutement lagrave Mal-greacute lrsquoimpreacutecision du terme il srsquoagit drsquoun projet ambitieux penser lrsquoincidence des tech-nologies drsquoinformation sur lrsquoeacuteconomie au moment mecircme ougrave leur impact se centre surlrsquounivers de lrsquoeacutechange Certes la lecture quotidienne des journaux nous habitue agrave uneconception bien plus banale de ce qursquoest la nouvelle eacuteconomie Ce serait un secteurune autre faccedilon de parler de la high tech avec juste une heacutesitation de boursier faut-ilmettre dans le mecircme sac ou dans le mecircme indice toutes les valeurs TMT (TechnologiesMeacutedias Teacuteleacutecommunications) ou faut-il faire un sort particulier aux laquo pure players raquodu monde Internet Nous reviendrons sur ces questions mais affirmons-le drsquoentreacuteede jeu le deacutebat sur la nouvelle eacuteconomie ce nrsquoest pas cela cela nrsquoa jamais eacuteteacute cela Agravelrsquoopposeacute drsquoune vision laquo sectorielle raquo opposant les secteurs de la nouvelle et de

1 Georges Bataille La Part maudite Eacuteditions de Minuit 1967

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lrsquoancienne eacuteconomie il srsquoagit drsquoune interrogation sur les transformations en profon-deur qui affectent de maniegravere transversale toute la structure eacuteconomique

Il peut drsquoailleurs paraicirctre eacutetrange que la grille de lecture soit agrave ce point eacuteconomiqueIl y a 20 ans alors que les technologies transformaient un univers drsquoentreprise et deproduction beaucoup drsquointerrogations gravitaient autour de lrsquoexpression laquo socieacuteteacutedrsquoinformation raquo Aujourdrsquohui alors que ce qui est en cause crsquoest lrsquoeacutechange avec toutesses dimensions sociales culturelles politiques on veut srsquoen tenir agrave la laquo nouvelleeacuteconomie raquo Pourquoi Nrsquoy a-t-il pas lagrave un certain reacuteductionnisme

De fait une reacutegion du monde comme la Silicon Valley fait apparaicirctre des reacutealiteacutessociologiques de plus en plus contrasteacutees et il serait hors de question de les laisser horschamp Lrsquoacceacuteleacuteration des ineacutegaliteacutes fait partie de ces reacutealiteacutes Les riches sont de plus enplus riches dans la Silicon Valley et lrsquoon y deacutenombre des dizaines de milliers de million-naires en dollars Drsquoun autre cocircteacute ce nrsquoest pas exactement que les pauvres soient deplus en plus pauvres (ce deuxiegraveme mouvement semble dailleurs stabiliseacute sur lrsquoensem-ble des Eacutetats-Unis depuis environ 5 ans) Le pheacutenomegravene crsquoest plutocirct que les salarieacutesclassiques et notamment les salarieacutes des institutions publiques (professeurs drsquouniver-siteacutes instituteurs pompiers policiers) ont de plus en plus de mal agrave vivre dans cetendroit Souvent ils nrsquoarrivent mecircme plus agrave se loger tant les prix de lrsquoimmobilier ontflambeacute avec lrsquoenvoleacutee du pouvoir drsquoachat des riches Tout ceci creacutee des situationsdeacutecousues tendues preacuteoccupantes

Pour autant il ne semble pas qursquoil soit aujourdrsquohui possible de globaliser et de privileacute-gier agrave grande eacutechelle des cleacutes de lecture sociologiques Les travaux prospectifs de DanielBell1 ou drsquoAlain Touraine2 sur la laquo socieacuteteacute post-industrielle raquo sont des phares qui ont puis-samment eacuteclaireacute lrsquoavenir et qui se reacutevegravelent tregraves justes reacutetrospectivement Il faut cepen-dant se meacutefier de vouloir faire dire trop tocirct agrave la socieacuteteacute ce qursquoelle ne peut pas encoreincarner On a ainsi longuement gloseacute sur la laquo socieacuteteacute drsquoinformation raquo Mais qui la con-naicirct qui lrsquoa vue et qui parle pour elle Il y a des dangers de deacuterive et de manipulation agravece genre drsquoexpression et la formule laquo socieacuteteacute drsquoinformation raquo en a favoriseacute au moins trois

Il y a eu la deacuterive technocratique agrave la fin des anneacutees 70 avec le plan industriel que leJapon avait mis en œuvre sous le nom de laquo plan for information society raquo Il srsquoagissaitdrsquoanticiper la progression des technologies drsquoinformation et de mettre en œuvre desplans drsquoeacutequipement dans des secteurs socieacutetaux non-marchands (eacuteducation santeacutetransport environnement) afin de financer agrave lrsquoabri de la compeacutetition le deacuteveloppementdrsquoune industrie informatique nationale En France cette vision de la laquo socieacuteteacutedrsquoinformation raquo ne fut pas sans eacutecho et tout lrsquoenjeu du rapport Nora-Minc3 consista agrave

1 Daniel Bell Vers la socieacuteteacute post-industrielle Robert Laffont 19762 Alain Touraine La Socieacuteteacute post-industrielle Denoeumll 19693 Simon Nora Alain Minc LrsquoInformatisation de la socieacuteteacute La Documentation franccedilaise 1978

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maintenir la probleacutematique objective drsquoune laquo informatisation de la socieacuteteacute raquo plutocirct quedrsquoaccepter au nom drsquoune socieacuteteacute imaginaire en devenir de mettre en œuvre des grandsplans dirigistes avec des risques consideacuterables sur les eacutequilibres de la socieacuteteacute reacuteelle

Agrave la fin des anneacutees 80 il y a eu la deacuterive europeacuteenne avec la maniegravere dont la Com-mission srsquoest empareacutee de la socieacuteteacute drsquoinformation comme drsquoun drapeau Agrave lrsquoorigine ily avait drsquoailleurs quelque chose de sympathique dans cette deacutemarche Dans la peacuteriodeReagan les Eacutetats-Unis se concentraient sur une vision militaire de la technologie ettoute la recherche gravitait autour du programme laquo guerre des eacutetoiles raquo Il eacutetait con-forme au message de paix qui anime lrsquoEurope de promouvoir une conception civile duprogregraves technologique mais en mecircme temps lrsquoexpression laquo socieacuteteacute drsquoinformation raquojouait avec une certaine tradition laquo sociale raquo de lrsquoEurope et pouvait faire naicirctre des illu-sions quant au rocircle de la concertation entre forces sociales organiseacutees et quant agrave la maicirc-trise macroscopique des transformations technologiques en cours1

Assez curieusement on assiste aujourdrsquohui agrave une troisiegraveme deacuterive dont lrsquooriginereacuteside dans le lobby des stock-options Lrsquoopinion publique et les gouvernements reacuteagis-sent en effet assez neacutegativement dans plusieurs pays europeacuteens aux meacutecanismesdrsquoenrichissement rapide de la nouvelle eacuteconomie Drsquoougrave la construction dans nos paysde toute une rheacutetorique qui remet agrave la mode les expressions de laquo socieacuteteacutedrsquoinformation raquo de laquo socieacuteteacute du savoir raquo drsquo laquo eacuteconomie de la connaissance raquo Il srsquoagiten quelque sorte de leacutegitimer la richesse en se reacutefeacuterant aux mots et aux valeurs de lasocieacuteteacute mandarinale Il nrsquoest pourtant pas certain du tout que lrsquoinformatisation de lacommunication et que le commerce eacutelectronique se traduisent par un rocircle tellementplus eacuteminent de la connaissance et du savoir dans le fonctionnement de la socieacuteteacute

Drsquoune certaine maniegravere lrsquoexpression ameacutericaine de laquo nouvelle eacuteconomie raquo paraicirctplus approprieacutee et sans doute plus saine On peut comprendre qursquoelle eacutenerve les cher-cheurs et les intellectuels franccedilais par son cocircteacute trop facile Elle est de surcroicirct agrave mani-puler avec preacutecaution car nombre drsquointeacuterecircts industriels ou financiers en ont fait lapromotion pour des raisons diverses De mecircme le pouvoir politique ameacutericain a peut-ecirctre participeacute drsquoun certain cynisme en reacutecupeacuterant une expression porteuse

Mais ce qui importe ce nrsquoest pas cela Ce qui compte crsquoest qursquoaux Eacutetats-Unis denombreux esprits srsquoattachent agrave comprendre quelque chose de reacuteel et qui nrsquoest pas facileagrave penser Apregraves pregraves de 10 ans de croissance et de prospeacuteriteacute ininterrompues les eacuteco-nomistes srsquointerrogent Drsquoougrave vient cette croissance et nrsquoy a-t-il pas un lien avec le fortdeacuteveloppement des technologies Pourquoi dure-t-elle assiste-t-on agrave lrsquoallongementdes cycles eacuteconomiques voire agrave leur disparition La structure eacuteconomique nrsquoest-ellepas en train de changer de logique comme cela a eacuteteacute le cas lors de la bascule qursquoa eacuteteacute lareacutevolution industrielle

1Dominique Wolton Internet et apregraves Une theacuteorie critique des nouveaux meacutedias Paris Flammarion 1999

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Autour de tout cela il nrsquoy a pas de certitudes Il y a du travail il y a des questions ily a des oppositions Crsquoest pourquoi il paraissait important de consacrer un laquo cahierLaSer raquo agrave faire connaicirctre certains textes qui ont jalonneacute et structureacute ce deacutebat sur la nou-velle eacuteconomie Notre ambition est chaque anneacutee de contribuer agrave faire progresser lesinterrogations et les deacutebats sur lrsquoeacutetape actuelle de la mutation technologique Le cahierLaSer ndeg1 srsquointitulait laquo Self-service mondial ou nouvelle eacuteconomie de services raquo Lecahier LaSer ndeg2 portait sur laquo Commerce eacutelectronique marketing et liberteacutes raquo Le preacute-sent cahier porte sur laquo La nouvelle eacuteconomie et ses paradoxes raquo En livrant des textesque leurs auteurs nous ont aimablement autoriseacutes agrave traduire il srsquoagit de contribuer agraveasseoir un champ de reacuteflexion et drsquoinciter agrave aller plus loin

Trois paradoxes

Un signe du doute qui habite les diffeacuterentes parties prenantes du deacutebat sur la nouvelleeacuteconomie crsquoest qursquoils travaillent sur des contradictions ou sur des paradoxes Appli-quant une vision drsquoingeacutenieur agrave la compreacutehension de lrsquoeacuteconomie les commentateurs dela laquo reacutevolution de lrsquoinformation raquo srsquoen eacutetaient longtemps tenus agrave se reacutefeacuterer agrave des loisChacun cherchait agrave formuler une loi qui aurait borneacute un angle du nouveau paysage

Toute une litteacuterature sur les technologies drsquoinformation srsquoen tient ainsi agrave deux gran-des lois qui structureraient le nouveau paysage eacuteconomique La premiegravere la loi deMoore deacutecrit la progression exponentielle de la puissance des composantseacutelectroniques tous les 18 mois eacutenonce cette loi on assiste agrave un doublement du rap-port performanceprix des composants Formuleacutee degraves les anneacutees 60 cette loi srsquoest reacuteveacute-leacutee vraie et il srsquoen deacuteduit bien eacutevidemment tout un ensemble de conseacutequences sur larapiditeacute des progregraves de la technologie sur lrsquoaccessibiliteacute croissante de leur appropria-tion sur la sophistication sans limite des logiciels et des systegravemes de grande diffusion

Lrsquoautre loi qui balise nombre de reacuteflexions prospectives est la loi de Metcalfe Cetteloi exprime le fait que lrsquoactiviteacute drsquoun reacuteseau mailleacute progresse comme le carreacute du nombrede personnes qui y sont relieacutees De fait un reacuteseau de communication qui a un seul uti-lisateur nrsquoa aucun trafic Lrsquoactiviteacute ne commence qursquoavec deux personnes mais avec unmillion drsquointervenants lrsquoactiviteacute nrsquoest pas seulement multiplieacutee par 500 000 mais parconsideacuterablement plus car chaque utilisateur peut correspondre deux agrave deux La loi deMoore et la loi de Metcalfe sont au cœur de lrsquoexpansion rapide de lrsquoeacuteconomie Internet

Avec cette faccedilon de raisonner on est neacuteanmoins dans une sorte de preacutehistoire dudeacutebat eacuteconomique sur les technologies drsquoinformation Il srsquoagit de points de vuedrsquoacteurs de la technologie qui reacutefleacutechissent sur leur meacutetier Gordon Moore eacutetait un

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des fondateurs drsquoIntel Robert Metcalfe eacutetait un fondateur de 3Com Ceci nrsquoenlegraveverien agrave leur meacuterite bien au contraire ni agrave lrsquointeacuterecirct de leurs propositions Mais on nrsquoentredans un veacuteritable deacutebat eacuteconomique qursquoavec des eacuteconomistes qui appreacutehendent Inter-net et les technologies drsquoinformation agrave partir de concepts et de probleacutematiques issuesde lrsquoeacuteconomie politique elle-mecircme

Crsquoest ce changement qui a lieu avec lrsquointerrogation sur la nouvelle eacuteconomie Ce sontdes eacuteconomistes qui srsquoexpriment qursquoils soient universitaires eacuteditorialistes eacuteconomistesen chef dans des institutions financiegraveres responsables de banques centrales Les perspec-tives theacuteoriques srsquoeacutetoffent Les raisonnements font lrsquoaller-retour entre des faits et des con-naissances Signe manifeste de ce changement on ne srsquoexprime plus sous forme delaquo lois raquo mais sous forme de laquo paradoxes raquo Prenant enfin la technologie comme objet cen-tral de leurs travaux les eacuteconomistes traduisent le fait qursquoils en sont encore au stade desinterrogations et de la construction des objets theacuteoriques Ne mentionnant pas moins de12 laquo lois raquo le texte de Kevin Kelly paru dans Wired illustre lrsquoancien versant de cette appro-che de la nouvelle eacuteconomie avec des formulations drsquoailleurs tregraves stimulantes Le textedrsquoAlan Greenspan Preacutesident de la Fed est une bonne expression du nouveau versant ougravelrsquoon ne srsquoattarde pas sur les causes technologiques mais ougrave lrsquoon veut eacuteclairer les contrain-tes entre lesquelles se joue lrsquoavenir Plus caricatural il aurait eacuteteacute possible de citer StephenShepard reacutedacteur en chef de Business Week agrave la fois lyrique et concis sur le thegraveme favoride son magazine laquo La limite de la croissance passe de 2-25 agrave 3-35 un point de plus decroissance crsquoest ce que veut dire la nouvelle eacuteconomie Rien de plus rien de moins raquo1

Dans le cadre du preacutesent Cahier nous avons rassembleacute les textes que nous avions seacutelec-tionneacutes autour de trois grands paradoxes le paradoxe de Solow le paradoxe du NAIRU le paradoxe boursier Ce sont les deacutebats autour de ces trois grands paradoxes qui structu-rent en effet le contenu intellectuel de cette interrogation sur la nouvelle eacuteconomie

Le premier paradoxe le paradoxe de Solow joue un rocircle central

Il est contenu dans le constat que Robert Solow Prix Nobel drsquoeacuteconomie avait faiten 1987 laquo Des ordinateurs on en voit partout sauf dans les statistiques de producti-viteacute de la comptabiliteacute nationale raquo Travaillant sur un rapport relatif agrave lrsquoincidence de latechnologie sur la productiviteacute et lrsquoemploi Solow notait le fort deacutecalage entre les per-formances techniques toujours croissantes drsquoordinateurs toujours plus nombreux etune progression annuelle de la productiviteacute ameacutericaine qui avait fortement chuteacute (de26 en moyenne de 1950 agrave 1972 agrave 11 en moyenne de 1972 agrave 1995) De nom-breux blocages expliquaient ce pheacutenomegravene freins sociologiques (craintes pourlrsquoemploi) contraintes reacuteglementaires (monopoles publics et priveacutes) comportementsprofessionnels (corporatismes divers) Une eacutetude meneacutee en France agrave la fin desanneacutees 70 illustre excellemment le paradoxe de Solow Conduite par Claude Salzman

1 Stephen B Shepard The New economy what it really means Business Week novembre 1997

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pour la CEGOS1 cette eacutetude portait sur lrsquoinformatisation des fonctions comptables dansles grandes entreprises et faisait apparaicirctre que plus une entreprise informatisait sacomptabiliteacute plus elle employait de comptables Le groupe professionnel des compta-bles occupait en effet une position sociologique telle qursquoil pouvait obtenir que les gainsde performances reacutesultant de la technologie soient consacreacutes non agrave des suppressionsdrsquoemplois mais agrave des sophistications drsquoeacutetats comptables geacuteneacuterant agrave leur tour des creacutea-tions drsquoemplois pour les manipuler et les interpreacuteter

Crsquoest de cette situation que lrsquoeacuteconomie ameacutericaine semble ecirctre sortie avec des crois-sances fortes de la productiviteacute horaire du travail depuis 1996 de lrsquoordre de 25 agrave 3 par an Il srsquoagit lagrave drsquoun point cleacute pour lrsquoappreacuteciation drsquoune nouvelle eacuteconomie mais cenrsquoest pas un point certain Robert Solow lui-mecircme exprime ses doutes laquo Il est naturelde suspecter que cette acceacuteleacuteration de la croissance de la productiviteacute soit la conseacute-quence tant espeacutereacutee et attendue des technologies drsquoinformation en geacuteneacuteral ordina-teurs Internet etc Je pense que crsquoest probablement exact Il est tout agrave fait possible quece soit la fin du ldquo paradoxe des ordinateurs rdquo Mais je nrsquoen suis pas sucircr raquo2

Les chiffres sont frappants et lrsquoexplication theacuteorique paraicirct claire Degraves lors que latechnologie nrsquoest pas seulement une machine agrave productiviteacute mais qursquoelle peacutenegravetrelrsquoeacutechange et qursquoelle contribue agrave ouvrir de nouveaux deacuteboucheacutes beaucoup de blocagesdisparaissent qui empecircchaient lrsquoexteacuteriorisation des gains de productiviteacute Il srsquoagiraitdrsquoun pheacutenomegravene comparable agrave ce qursquoa connu la reacutevolution industrielle avec tous lesblocages qui ont entraveacute les machines agrave vapeur et les meacutetiers agrave tisser avant que lesmecircmes principes technologiques ne donnent naissance au chemin de fer et au deacutecloi-sonnement des marcheacutes avec de nouvelles voies de communication

Pourquoi ce doute alors sur les gains de productiviteacute Il y a agrave cela deux grandes rai-sons Drsquoabord les gains de productiviteacute semblent avant tout tireacutes par le secteur des tech-nologies drsquoinformation lui-mecircme plutocirct que par les autres secteurs de lrsquoeacuteconomieDans un article reacutecent de REXECODE3 Michel Didier le souligne en citant des travauxdrsquoailleurs partiellement contradictoires les travaux de Robert Gordon tout drsquoabordqui font apparaicirctre des gains de productiviteacute de 417 par an de 1995 agrave 1999 dans lesecteur mecircme des mateacuteriels informatiques contre 22 dans lrsquoensemble de lrsquoeacutecono-mie et seulement 15 dans les services les travaux de Kevin Stiroh par ailleurs quiadmet un accroissement de la productiviteacute du travail dans ces secteurs utilisateursmais avec un freinage de la productiviteacute globale des facteurs car ces secteurs utilisenttoujours plus de capital et de technologies drsquoinformation pour accroicirctre la productiviteacuteapparente du travail

1Claude Salzman Tant qursquoil y aura des comptables Eacutetudes drsquoimpact de lrsquoinformatique sur lrsquoemploi comp-table- CEGOS 19782Interview par Annie Kahn Le Monde 18 avril 20003REXECODE Nouvelle eacuteconomie et nouvelles technologies Revue REXECODE ndeg66 1er trimestre 2000

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Lrsquoautre facteur de doute crsquoest le fait que tous ces travaux sur la productiviteacute sont fon-deacutes sur un appareillage statistique qui paraicirct de moins en moins adapteacute agrave la mesuredrsquoune eacuteconomie ougrave lrsquoon produit de moins en moins de biens mateacuteriels Crsquoest drsquoailleursla reacutevision de lrsquooutil de comptabiliteacute nationale ameacutericain qui est largement agrave lrsquooriginede ce que lrsquoon mesure lorsque lrsquoon parle drsquoune acceacuteleacuteration de la croissance aux Eacutetats-Unis Mais drsquoougrave cela vient-il Uniquement du fait que lrsquoon a appris agrave mieux distinguerlrsquoeffet prix et lrsquoeffet volume dans les statistiques relatives au secteur des technologiesdrsquoinformation Cette seule correction a apporteacute plus drsquoun point agrave la croissance du PIBameacutericain La correction eacutetait-elle surestimeacutee Dans ce cas il nrsquoy a plus de base au dis-cours sur la nouvelle eacuteconomie La correction eacutetait-elle insuffisante et nrsquoaurait-il pasfallu moderniser drsquoautres mesures dans drsquoautres secteurs de lrsquoeacuteconomie Dans ce casles distorsions sectorielles ne seraient plus perccedilues de la mecircme maniegravere et le deacutebat surla nouvelle eacuteconomie aurait au contraire encore plus de vigueur

Quoi qursquoil en soit ces questions drsquoarbitrage entre prix et volume sont essentielles etelles renvoient agrave une interrogation geacuteneacuterale sur ce qursquoest un systegraveme de valeurs et surce qursquoest un systegraveme de prix dans une eacuteconomie de plus en plus immateacuterielle Crsquoest ceqursquoexprime le deacutebat autour du second paradoxe de la nouvelle eacuteconomie le para-doxe du NAIRU du laquo non-accelerating inflation rate of unemployement raquo Litteacuteralementle taux du chocircmage qui nrsquoacceacutelegravere pas lrsquoinflation

Le paradoxe crsquoest que le chocircmage ameacutericain ait pu passer de 85 de la populationactive agrave 41 aujourdrsquohui sans que lrsquoon observe jusqursquoici de relance de lrsquoinflation Leseacuteconomistes disposent drsquoun instrument les courbes de Phillips qui eacutetablissent pour-tant une correacutelation eacutetroite entre chocircmage et inflation Lorsque lrsquoemploi progresse ilapparaicirct un point au-delagrave duquel des tensions apparaissent sur le marcheacute du travail etougrave lrsquoon assiste agrave une remonteacutee des revendications salariales voire tout simplement agraveune surenchegravere entre entreprises pour attirer les salarieacutes Il en reacutesulte une pousseacutee pro-gressive de lrsquoinflation

Aux frontiegraveres entre lrsquoeacuteconomie reacuteelle et lrsquoeacuteconomie financiegravere et moneacutetaire lescourbes de Phillips constituent un outil central pour les eacuteconomistes classiques Cesont ces courbes qui expliquent que tant de conjoncturistes attendent chaque mois leschiffres du chocircmage et en tirent ces conclusions qui choquent le sens commun Untrop bon chiffre de lrsquoemploi une trop forte baisse de chocircmage va apparaicirctre commeun signal alarmant Il peut se traduire par un tour de vis des autoriteacutes moneacutetaires et dela Fed qui vont monter les taux drsquointeacuterecirct et reacuteduire la liquiditeacute de lrsquoeacuteconomie Drsquounemaniegravere ou drsquoune autre ceci se traduira alors par une limitation des capitaux precircts agravesrsquoinvestir sur les marcheacutes financiers et donc par un recul de la Bourse

Le deacutebat sur le NAIRU est illustreacute par des textes de James Galbraith de Paul Krugmanet drsquoAlan Blinder Ils analysent le paradoxe du NAIRU agrave la lumiegravere constante du para-doxe de Solow Si lrsquoeacuteconomie est en effet entreacutee dans une phase drsquoacceacuteleacuteration conti-

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nue des gains de productiviteacute alors un haut niveau drsquoemploi ne deacutebouchera pasmeacutecaniquement sur des tensions inflationnistes La productiviteacute croissante des fac-teurs de production engendrera de la valeur ajouteacutee et non une deacuterive des prix Crsquoesten cela que lrsquointerrogation sur la nouvelle eacuteconomie est au cœur des interrogations surlrsquoabaissement du NAIRU Certes chacun sait que des facteurs exogegravenes ont joueacute un rocircledans la stabiliteacute des prix aux Eacutetats-Unis Depuis plusieurs anneacutees lrsquoeacuteconomie ameacuteri-caine fonctionne en effet avec une forte deacutesinflation importeacutee lieacutee pendant tout untemps agrave la baisse des matiegraveres premiegraveres puis au processus drsquoencheacuterissement du dollarLe prix relatif des produits importeacutes ne cesse de baisser contribuant significativementagrave la non-relance de lrsquoinflation

Alan Greenspan a su neacuteanmoins jouer habilement avec le paradoxe du NAIRU enmaintenant une interrogation positive sur le passage agrave une nouvelle eacuteconomie quirepousserait la laquo speed limit raquo la limite de vitesse ougrave lrsquoeacuteconomie est menaceacutee par lasurchauffe Cette eacutevocation en demi-teinte sur des changements structurels eacutetaitsans doute une excellente approche pour deacutevelopper la confiance en profondeur desacteurs eacuteconomiques On est neacuteanmoins surpris par la superficialiteacute des analyses etdes arguments eacutevoqueacutes autour de cet enjeu du NAIRU Les textes se reacutefegraverent agrave lrsquohypo-thegravese de la nouvelle eacuteconomie mais ils nrsquoanalysent pas les meacutecanismes intrinsegravequesde cette nouvelle croissance non-inflationniste En particulier on reste sur sa faimquant agrave lrsquoabsence de toute reacuteflexion sur la productiviteacute du capital Les travaux de Sti-roh citeacutes plus haut montrent pourtant que lrsquoon ne peut analyser aujourdrsquohui lrsquoeacutevo-lution de la productiviteacute du travail sans srsquointerroger sur la productiviteacute globale desfacteurs

Nous reviendrons sur les hypothegraveses plus personnelles que lrsquoon peut preacutesenter dansce deacutebat sur le NAIRU Il convient cependant deacutejagrave de souligner qursquoune interrogation surlrsquoinflation ayant pour incidence la monnaie et la Bourse ne devrait pas se passer drsquountravail sur la productiviteacute du capital et sur la rotation du capital circulant Le troisiegravemeparadoxe eacutetudieacute le paradoxe boursier supposerait en effet pour ecirctre correctementappreacutehendeacute de disposer de donneacutees robustes sur la rentabiliteacute du capital Les textespreacutesenteacutes ici sont drsquoEdward Yardeni eacuteconomiste en chef de la Deutsche Bank Ils per-mettent drsquoappreacutecier avant et apregraves le laquo e-krach raquo drsquoavril 2000 comment la bourse dis-tingue les modes de valorisation des entreprises appartenant agrave lrsquoancienne ou agrave lanouvelle eacuteconomie Aveuglement bulle speacuteculative ou calcul rationnel

Pendant pregraves de 40 ans nous nrsquoavions pas veacutecu de paradoxe boursier Du deacutebut desanneacutees 60 au deacutebut des anneacutees 80 les indices boursiers (deacuteflateacutes des prix agrave la con-sommation) avaient baisseacute drsquoun facteur 3 tandis que les taux drsquointeacuterecirct agrave long termetriplaient La baisse boursiegravere eacutetait agrave peu pregraves inverse de la hausse des taux drsquointeacuterecirctDans les 20 anneacutees suivantes on assiste en France et jusqursquoen 1998 au mouvementstrictement symeacutetrique REXECODE note que les taux agrave 10 ans passent de 16 agrave 5 et

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que lrsquoindice SBF 250 est multiplieacute par un peu plus de 3 (lettre du 15 avril 2000) LaBourse rejoint son niveau laquo normal raquo de valorisation celui drsquoil y a 40 ans apregraves unevaste fluctuation dont lrsquoanalyse correspond rigoureusement au mode drsquoanalyse clas-sique

Le paradoxe boursier nrsquoapparaicirct reacuteellement que durant lrsquoanneacutee 1999 avec une valori-sation hors normes accordeacutee agrave toutes les entreprises high tech et plus particuliegraverement agravecelles de la galaxie Internet Comme le note REXECODE laquo de 1995 agrave 1998 lrsquoindice Nasdaqcomposite eacutevoluait agrave peine plus rapidement que lrsquoindice Standard and Poorrsquos 500 De finoctobre 1999 au 14 avril 2000 le SP 500 augmente de 10 alors que le Nasdaq compo-site progresse drsquoenviron 40 et lrsquoindice Computer de 50 Sur la mecircme peacuteriodelrsquoEurostoxx augmente de 30 lrsquoEurostoxx Technologie de 80 Agrave Paris le SBF 250 aug-mente de pregraves de 30 le nouvel indice technologique ITCAC de 125 raquo

Cette distorsion dans les critegraveres drsquoappreacuteciation boursiegravere choque les points de vueles plus traditionnels qui srsquoidentifient plus aiseacutement agrave lrsquoancienne eacuteconomie qursquoagrave lanouvelle Dans Forbes David Dreman illustre ce genre de reacuteticences laquo Agrave la finde 1999 400 grandes entreprises Internet avaient une capitalisation boursiegravere de1000 milliards de dollars (27 de la valeur du Dow Jones) Ce groupe reacutealisait un chif-fre drsquoaffaires global de 29 milliards de dollars soit seulement 2 du chiffre drsquoaffairesdu Dow Jones Plus significatif ces valeurs Internet vont perdre collectivement9 milliards de dollars cette anneacutee alors que les valeurs du Dow vont probablementgagner pregraves de 150 milliards de dollars raquo (Forbes 17 avril 2000) Lrsquoimpression est qursquoily a vraiment deux poids deux mesures et que la valorisation des activiteacutes laquo nouvelleeacuteconomie raquo serait purement speacuteculative

Est-ce bien seulement cela pourtant Nous laisserons de cocircteacute les arguments empi-riques tendant agrave fournir des instruments de valorisation des activiteacutes Internet tout enjustifiant leur niveau eacuteleveacute Diffeacuterents points de vue se sont exprimeacutes sur des critegraverespertinents multiples du chiffre drsquoaffaires vitesse du laquo cash burning raquo theacuteorie desoptions valeur des portefeuilles-clients Il faut cependant noter que certains de ces cri-tegraveres ont un effet pernicieux car pour ecirctre mieux valoriseacutees les entreprises srsquoy confor-ment mecircme si crsquoest au prix drsquoune voie de deacuteveloppement biaiseacutee Tel est le cas de cetoutil agrave manier avec une grande preacutecaution qursquoest la notion de valeur du client acquisAu nom de cet outil des entreprises immobilisent ce qursquoelles appellent un capitalimmateacuteriel mais dont il srsquoavegravere souvent qursquoil est tregraves volatile Pour conforter cet actifet pour mieux le valoriser sur les marcheacutes financiers les entreprises sont de surcroicirctinciteacutees agrave stocker et agrave traiter de grandes quantiteacutes drsquoinformations sur les personnesbien souvent beaucoup plus qursquoelles ne savent en utiliser sur un plan opeacuterationnelsoulevant par contre des problegravemes bien reacuteels drsquoinformatique et de liberteacutes1

1 Commerce eacutelectronique marketing et liberteacutes Cahier LaSer ndeg2 Eacuteditions 00h00 1999

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On peut consideacuterer les choses autrement Reacutepondant par avance aux arguments deForbes Masayoshi Son le patron de Softbank le principal acteur asiatique dans ledomaine Internet srsquointerrogeait ainsi au deacutebut de lrsquoanneacutee laquo Qursquoest-ce qui estirrationnel Est-ce vraiment que les valeurs Internet soient capitaliseacutees 1000 milliardsde dollars Ou est-ce que ce nrsquoest pas que les valeurs de lrsquoinformatique traditionnellecontinuent drsquoecirctre valoriseacutees 6000 milliards de dollars raquo Autrement dit est-ce queles marcheacutes font trop monter les valeurs Internet Ou bien est-ce que le vase commu-niquant ne fonctionne pas suffisamment et qursquoil devrait plus fortement sanctionnerles entreprises mal preacutepareacutees agrave cette reacutevolution technologique Par nature les raison-nements boursiers sont plus porteacutes agrave lrsquoanalyse sectorielle et on trouve lagrave les germes dela distinction commune entre nouvelle et ancienne eacuteconomie Les travaux sur le para-doxe de Solow et sur le NAIRU srsquoinscrivent dans une hypothegravese de changement trans-versal impliquant lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie Le deacutebat boursier est diffeacuterent encoreqursquoil nrsquoest pas contradictoire La Bourse nrsquoeacutemet en effet aucun jugement sur lrsquoavenirdrsquoun secteur eacuteconomique Elle se contente drsquoappreacutecier la capaciteacute agrave srsquoadapter des entre-prises qui appartiennent agrave un indice sectoriel

Fondamentalement le paradoxe boursier est un deacutebat sur la diversification desmodes de valorisation des entreprises selon le pronostic que lrsquoon porte sur leur deve-nir en peacuteriode de forte mutation Un aspect essentiel de ce deacutebat crsquoest la maniegravere donton appreacutecie les chances de lrsquoemporter qursquoont les puissances installeacutees (leslaquo empereurs raquo) face aux nouveaux entrants (les raquo barbares raquo) Il srsquoagit drsquoune questionparticuliegraverement priseacutee des cabinets de consultants Nombre de rapports de grandequaliteacute ont eacuteteacute eacutecrits par les cabinets de consulting strateacutegique et bien que chacun aitpris soin de se diffeacuterencier la trame en est souvent la mecircme Srsquoadressant agrave une clientegravelede grandes entreprises ces rapports disaient en substance laquo Internet est une reacutevolu-tion consideacuterable Crsquoest une menace mortelle pour votre entreprise avec des hordes denouveaux concurrents Mais gracircce agrave son organisation agrave sa notorieacuteteacute et agrave sa marquevotre entreprise saura triompher agrave la seule condition qursquoelle sache mettre en œuvreune strateacutegie ambitieuse soutenue de surcroicirct par de bons consultants raquo

Le problegraveme crsquoest que les marcheacutes financiers disent le contraire Ce qursquoils disent crsquoestque dans la confrontation entre une entreprise Internet et une entreprise classique crsquoestla nouvelle qui gagne Apregraves le e-krach et les premiegraveres faillites drsquoentreprises de commerceeacutelectronique on peut se demander si crsquoest si vrai que cela De fait il faudrait exclure delrsquoanalyse les secteurs ougrave la reacutevolution Internet est agrave peine entameacutee et ougrave les marcheacutes sontencore tout petits Dans de tels cas il nrsquoest pas vraiment eacutetonnant que les nouveauxentrants qui se lancent fort et vite se trouvent fragiliseacutes par lrsquoeacutetroitesse du marcheacute tandisque les entreprises en place ne sont guegravere eacutebranleacutees par le fait de supporter un compleacute-ment Internet agrave leurs activiteacutes traditionnelles Il en va tout agrave fait diffeacuteremment dans lessecteurs ougrave Internet repreacutesente deacutejagrave des parts de marcheacute importantes

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Dans la commercialisation des ordinateurs et des logiciels dans le laquo brokerage raquo desactions dans la distribution automobile dans le commerce des loisirs et des titres detransport le commerce eacutelectronique repreacutesente deacutejagrave 15 20 ou 30 des marcheacutesDans tous ces secteurs les gagnants sont des entreprises qui ont adopteacute des strateacutegiesnovatrices de creacuteation de valeur tandis que les anciens leaders se sont fait distancerDans le match entre le challenger Dell et le leader Compaq crsquoest Dell qui a su srsquoimposersur le marcheacute de la micro-informatique Dans le courtage des actions Charles Schwaba connu un succegraves fulgurant que tente vainement de suivre le puissant Merrill LynchDans le domaine automobile les moyens colossaux investis par les grands construc-teurs (Ford GM etchellip) ne sont pas parvenus jusqursquoici agrave enrayer la progression drsquounnouvel entrant comme Autobytel Crsquoest cela qursquoont releveacute les marcheacutes financiers etcrsquoest cela qursquoils ont traduit dans lrsquohiver 1999-2000 en creusant lrsquoeacutecart entre la valori-sation des entreprises de la nouvelle et de lrsquoancienne eacuteconomie

Un exemple frappant est celui de la fusion entre AOL et Time Warner Il ne srsquoagit paslagrave drsquoune opposition facile entre laquo vieux raquo et laquo nouveaux raquo secteurs puisque les deuxentreprises eacutetaient TMT (Technologie Meacutedia Teacuteleacutecommunication) Lrsquoune AOL avaitdes savoir-faire simples (lrsquoaccegraves agrave Internet) et un fonds de commerce somme toutelimiteacute (21 millions drsquoabonneacutes) Lrsquoautre Time Warner avait des compeacutetences riches etdiversifieacutees des clientegraveles multiples des activiteacutes dans le cacircble dans la teacuteleacutevision dansles magazines et la presse Et pourtant les marcheacutes financiers ont donneacute les moyens agraveAOL de racheter Time Warner Tout srsquoest passeacute comme si prenant acte de lrsquoavis geacuteneacuteralselon lequel Internet et les activiteacutes traditionnelles de laquo contenu raquo eacutetaient destineacutees agraveconverger les marcheacutes financiers srsquoeacutetaient poseacute la question de savoir qui eacutetait le mieuxplaceacute pour piloter cette rencontre Eacutetait-ce lrsquoentreprise la plus puissante et aux savoir-faire les plus varieacutes Ou lrsquoentreprise la plus apte agrave tout repenser dans une optiqueInternet La Bourse a trancheacute pour la seconde solution Et lorsque lrsquoon prend encompte la liste des deacuteboires que Time Warner avait connus pour maicirctriser la technolo-gie et lrsquointeractiviteacute on peut se demander si les marcheacutes financiers ont eacuteteacute aussilaquo irrationnels raquo qursquoon le dit

Un cadre drsquoanalyse

Les textes que nous preacutesentons ici incitent agrave penser sur les trois paradoxes imbriqueacutesde la nouvelle eacuteconomie Solow NAIRU Bourse Ils nrsquooffrent pas pour autant unereacuteflexion aboutie sur ce qursquoest la nouvelle eacuteconomie sur ses ressorts et sur son devenirCrsquoest la raison pour laquelle nous nous sommes permis de placer en conclusion un

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texte que nous avions eacutecrit en avril 1998 laquo Naissance drsquoune nouvelle eacuteconomie Septthegraveses sur lrsquoeacuteconomie de marcheacute agrave lrsquoacircge du commerce eacutelectronique raquo

Agrave lrsquoeacutepoque lrsquoexpression laquo nouvelle eacuteconomie raquo nrsquoeacutetait pas usuelle en France et ilnrsquoeacutetait pas aiseacute drsquointroduire un deacutebat sur cette question Aussi nrsquoeacutetions-nous pas alleacutesjusqursquoau bout drsquoune proposition qui est preacutesente entre les lignes Crsquoest que mecircme silrsquoon ne sait pas encore bien ce qursquoest la nouvelle eacuteconomie on commence agrave mieux pou-voir caracteacuteriser ce qursquoest lrsquoancienne eacuteconomie

Lrsquoancienne eacuteconomie ce nrsquoest pas en effet lrsquoeacuteconomie de lrsquoagriculture ou desgrands secteurs heacuteriteacutes de la reacutevolution industrielle du XIXe siegravecle Ce nrsquoest pas nonplus lrsquoeacuteconomie de service traditionnelle des vastes secteurs tertiaires organiseacutes (ban-que assurance distribution) Tous ces secteurs ont vocation agrave entrer dans la nouvelleeacuteconomie Pour autant le passage de lrsquoancienne agrave la nouvelle eacuteconomie nrsquoest pas seu-lement le pheacutenomegravene de la diffusion transversale des technologies drsquoinformationLrsquoancienne eacuteconomie ce nrsquoest pas lrsquoeacuteconomie preacute-informatiseacutee devenant nouvelle parle seul effet de lrsquoinformatisation

La frontiegravere est beaucoup plus preacutecise Elle correspond agrave la phase ougrave nous sommesdans le processus de deacuteplacement du centre de la mutation technologique la nouvelleeacuteconomie crsquoest lrsquoinformatisation de lrsquoeacutechange par opposition agrave une ancienne eacutecono-mie ougrave domine encore le modegravele strateacutegique impliqueacute par lrsquoinformatisation de la pro-duction et de la gestion Dans cette laquo ancienne raquo eacuteconomie (celle des 20 agrave 30 derniegraveresanneacutees) des lois srsquoeacutetaient imposeacutees avec des critegraveres de gestion normatifs Immergeacutesdans cette eacuteconomie-lagrave nous ne savions plus la voir Nous nrsquoeacutetions plus conscients delrsquoeacutepuisement de ce modegravele Ce qursquoInternet nous oblige agrave voir crsquoest qursquoil y avait de latechnologie mais que ce nrsquoeacutetait pas la bonne qursquoil y avait des nouveauteacutes mais quelrsquoinnovation srsquoeacutetiolait qursquoil y avait du tourbillon mais qursquoil nrsquoy avait pas de vitesseque lrsquoeacuteconomie mdash dans ses diffeacuterentes composantes mdash ralentissait

Le modegravele qui a domineacute pendant des anneacutees crsquoeacutetait le modegravele de lrsquoindustrie informa-tique elle-mecircme La technologie y geacuteneacuterait des gains de productiviteacute consideacuterables La loide Moore entraicircnait en effet la division par deux tous les 18 mois du coucirct des produitsFace agrave cela le modegravele strateacutegique dominant eacutetait caracteacuteriseacute par lrsquoaffirmation suivante laquo si notre vente moyenne est drsquoun dollar elle sera toujours drsquoun dollar agrave lrsquoavenir au lieude baisser les prix nous allons sophistiquer les produits et vendre plus de fonctionnaliteacutesagrave lrsquoutilisateur pour un dollar raquo IBM avait contribueacute agrave forger cette doctrine anti-deacuteflation-niste et tous les acteurs de lrsquoinformatique srsquoy eacutetaient reconnus La productiviteacute ne devaitpas servir agrave faire baisser les prix Elle devait venir financer la recherche et lrsquoinnovation-produit drsquoune part la publiciteacute et les actions commerciales drsquoautre part

Ce modegravele srsquoeacutetait reacutepandu dans de nombreux autres secteurs agrave la recherche eux aussidrsquoune strateacutegie de protection de la valeur Lrsquoindustrie automobile multipliait les acces-

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soires les combinatoires et les options mais ne baissait pas les prix Les teacuteleacutecommuni-cations deacuteveloppaient le trafic de la voix et des donneacutees mais en privileacutegiant dessolutions comme la commutation de circuits (permettant de vendre plus de ressour-ces) sur la commutation de paquets (visant agrave optimiser les ressources comme le fait leprotocole IP crsquoest-agrave-dire Internet) Moyennant quoi on innovait en France il y a20 ans en vendant du Minitel agrave 2 F la minute alors que la deacuteflagration actuelle drsquoInter-net permet de vendre la minute de communication Paris mdash New York agrave moinsdrsquo1 centime la minute

Autour de tout cela il y avait beaucoup de technologies beaucoup de fragilisationdes chaicircnes de valeurs donc beaucoup drsquoinvestissement dans les marques Plusqursquoaujourdrsquohui drsquoune certaine maniegravere cet acircge de lrsquoinformatisation eacutetait un acircge delrsquoimmateacuteriel La productiviteacute reacuteduisait chaque anneacutee la composante du traitementindustriel dans le prix final drsquoun produit Dans un produit de consommation couranteil ne repreacutesente souvent plus que de 15 agrave 30 de la valeur finale tout le reste eacutetant descoucircts de recherche-deacuteveloppement de packaging de logistique de distribution depubliciteacute Lrsquoinvestissement dans la marque eacutetait alors devenu un des moyens de proteacute-ger la coheacutesion drsquoun ensemble heacuteteacuteroclite drsquoeacuteleacutements de valeur Par lagrave-mecircme ce mou-vement favorisait le financement et le deacuteveloppement des meacutedias de communication

Lrsquoancienne eacuteconomie prenait ainsi des allures laquo drsquoeacuteconomie-baudruche raquo Commenous le deacutecrivions dans les laquo sept thegraveses raquo tout gonflait Avec un flux excessif drsquoinno-vation-marketing les stocks pesaient de plus en plus lourd dans lrsquoeacuteconomie (30 duPIB dans la France tertiariseacutee de 1995 contre 25 dans la France industrielle de 1950)Avec une absence de baisse des prix (malgreacute la deacutesinflation) et avec une conception eacuteli-tiste des services la valeur du temps social ne cessait de srsquoeacutelever (2 F la minute ) Lesactifs tournaient de moins en moins vite et lrsquoon oubliait mecircme dans les theacuteories moneacute-taires le concept de vitesse de circulation de la monnaie (au profit de la notion toutautre de vitesse de gonflement de la masse moneacutetaire) Contemplant leur culture etleur identiteacute de marque lrsquoorgueil des entreprises se dilatait

Lrsquoacte fondateur de la nouvelle eacuteconomie crsquoest le deacutegonflement de cette bau-druche On comprend qursquoil puisse en reacutesulter une bulle speacuteculative Degraves lors que latechnologie transforme lrsquoeacutechange et que son emploi est aux mains des personnes il enreacutesulte un renversement complet des chaicircnes de valeur Tant que la capaciteacute drsquoinno-vation eacutetait situeacutee en amont il pouvait ecirctre leacutegitime de ne pas restituer les gains de pro-ductiviteacute aux consommateurs Les grandes entreprises pouvaient faire valoir qursquoellesagissaient dans le sens de lrsquolaquo inteacuterecirct geacuteneacuteral raquo en captant ces ressources pour financerla recherche et lrsquoinnovation

La bascule apparaicirct avec la conjonction de deux pheacutenomegravenes Drsquoune part la capa-citeacute imaginative de lrsquoamont technique srsquoeacutepuise et dans les strateacutegies de lrsquoancienne eacuteco-nomie les gains de productiviteacute financent de moins en moins souvent le progregraves et de

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plus en plus souvent la preacuteservation des parts du marcheacute (cf gonflement des budgetscommerciaux des deacutepenses consacreacutees agrave la laquo coopeacuteration commerciale raquo aux ristour-nes et rabais en tous genres) Drsquoautre part la technologie aux mains des personnesreacutevegravele un immense besoin drsquoinnovation dans lrsquoadaptation des produits et des servicesagrave la diversiteacute des modes de vie Coinceacutes par des emplois du temps casse-tecircte il y a uneforte demande de services gain-de-temps et de juste-agrave-temps au niveau des personnesLes femmes qui travaillent et qui font carriegravere sont parmi les moteurs de cettedemande Crsquoest en srsquoappuyant sur elles qursquoune firme comme Autobytel a bouleverseacute lemode de commercialisation des voitures en inventant les appels drsquooffre personnaliseacutessur Internet et en asseyant son succegraves sur le slogan laquo Autobytel ou le moyen de luttercontre la souffrance drsquoacheter une automobile raquo

Toutes les grandes reacuteussites du commerce eacutelectronique sont le fruit drsquoune grandeaudace marketing Les nouveaux intermeacutediaires inventent une valeur ajouteacutee par uneproximiteacute eacutetroite avec le client final Ils construisent un business model et un principede rentabiliteacute fondeacute sur de veacuteritables avantages compeacutetitifs et sur le laquo siphonage raquo despoches de reacutetention de la productiviteacute En inventant la commercialisation drsquoordina-teurs personnaliseacutes produits agrave la commande et livreacutes en 8 jours Dell a inventeacute unmodegravele de distribution agrave tregraves forte rotation des stocks Agrave son bilan Dell nrsquoa que 5 joursde stock contre 10 fois plus pour ses concurrents Crsquoest la base de la performance de sonmodegravele drsquoattaque de marcheacute

Lrsquoacceacuteleacuteration de la rotation des actifs conjugueacutee agrave cette innovation-marketing lieacuteeagrave la proximiteacute-client sont agrave la base de la nouvelle eacuteconomie Degraves lors que la compeacuteti-tion se reacute-organise selon ces principes sur tous les marcheacutes il nrsquoest guegravere eacutetonnant quelrsquoon sorte du paradoxe de Solow on exteacuteriorise drsquoun seul coup les gains de productiviteacuteque lrsquoon avait pris pour regravegle de laquo stocker raquo pendant plusieurs deacutecennies Ceci expliqueeacutegalement que lrsquoon assiste au paradoxe du NAIRU Degraves lors qursquoapparaicirct une forte renta-biliteacute du capital circulant drsquoautres modegraveles peuvent en effet srsquoimposer dans lrsquouniversde lrsquoeacutechange que ceux fondeacutes sur une forte productiviteacute du travail

Dans le Cahier LaSer ndeg11 nous analysions par exemple le modegravele des superstores Wal-Mart En ayant fortement investi dans les technologies drsquoinformation Wal-Mart ainventeacute un modegravele innovateur le modegravele laquo every day low prices raquo (des prix bas tous lesjours) qui lrsquoa ameneacute agrave la premiegravere place des commerccedilants mondiaux Le modegravele consisteagrave limiter les agrave-coups promotionnels agrave utiliser la technologie pour acceacuteleacuterer la rotationdes stocks et la productiviteacute du capital circulant puis agrave investir ces gains laquo amont raquo dansdu service laquo aval raquo afin de mieux servir la clientegravele de mieux la comprendre et de la fideacute-liser Reacutesultat un superstore Wal-Mart moyen emploie 450 personnes pour faire un chif-

1 Self-service mondial ou nouvelle eacuteconomie de service - Technologie emploi commerce Premiegraveres conclu-sions Cahier LaSer ndeg1 1998

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fre drsquoaffaires de 420 MF contre 280 personnes pour le mecircme chiffre drsquoaffaires dans unhypermarcheacute franccedilais Mais alors que les stocks tournent 105 fois dans lrsquoanneacutee dans unhypermarcheacute franccedilais ils tournent 25 fois dans un surperstore Wal-Mart

En termes micro-eacuteconomiques le cas Wal-Mart est lrsquoillustration exacte du pheacuteno-megravene que constitue lrsquoabaissement du NAIRU Wal-Mart deacutemontre en effet que lrsquoon peutpratiquer des prix bas tout en creacuteant des emplois en jouant sur cette variable qursquoestlrsquoacceacuteleacuteration de la rotation du capital circulant Moins drsquoun an apregraves son arriveacutee enAngleterre Wal-Mart a provoqueacute un traumatisme en annonccedilant simultaneacutement unebaisse de 15 des prix et la creacuteation de 25 000 emplois avec lrsquoeacuteleacutevation du niveau deservices La proposition est tellement stupeacutefiante par rapport aux normes drsquouneancienne eacuteconomie ougrave lrsquoon opposait sans cesse prix et service que tous les concurrentssont obligeacutes peu ou prou de suivre En avril Tesco mdash le leader actuel du marcheacutebritannique mdash a annonceacute agrave son tour une baisse forte des prix la creacuteation drsquoune filialeInternet et 20 000 creacuteations drsquoemplois Nul doute qursquoen Grande-Bretagne on assiste agraveun affaissement du NAIRU du taux de chocircmage qui nrsquoacceacutelegravere pas lrsquoinflation

Si lrsquoon prolonge ces transformations on conccediloit que la nouvelle eacuteconomie est encoreloin drsquoavoir donneacute sa pleine mesure De nombreux secteurs du commerce traditionnelcontinuent de fonctionner avec 2 agrave 3 rotations de stocks par an Dans la comparaisondrsquoun hypermarcheacute franccedilais agrave un superstore Wal-Mart on a vu que lrsquoinformatisation drsquounmagasin peut faire monter la rotation de 10 agrave 25 fois par an Dans le cas de Dell et ducommerce eacutelectronique on a citeacute un modegravele avec moins de 7 jours de stocks plus de50 rotations par an Agrave la cleacute les avantages compeacutetitifs deacutegageacutes sont consideacuterables avecla possibiliteacute drsquoune forte diffeacuterenciation par le service et par la creacuteation drsquoemplois1

Dans la commercialisation de services ou de biens immateacuteriels la rotation peutatteindre lrsquoinfini Le cas drsquoun produit informationnel (logiciel air de musique etc) asouvent eacuteteacute commenteacute par les eacuteconomistes Il correspond agrave un modegravele ougrave la tradition-nelle courbe de baisse progressive des prix en fonction des volumes de production dis-paraicirct au profit drsquoun graphique plus brutal en forme drsquoeacutequerre Le coucirct du premierexemplaire du prototype est tregraves eacuteleveacute Le coucirct des exemplaires suivants est quasi-nulpuisqursquoil nrsquoy a plus de coucirct de production de transport et de distribution Il y a seule-ment des coucircts de reproduction et des coucircts drsquoaccegraves par le reacuteseau Eacutetant lui-mecircme unbien informationnel celui-ci est un bien dont lrsquousage est quasi-gratuit mecircme si sa miseen place est un investissement tregraves lourd

Consideacutereacutes hier comme des cas singuliers et paradoxaux ces exemples deviennentle cœur mecircme de lrsquoeacuteconomie de la nouvelle eacuteconomie Il en reacutesulte de nouvelles ten-sions et de nouveaux principes de creacuteation de valeur Dans lrsquoeacuteconomie de demain des

1 Philippe Lemoine in Les 35 heures une approche critique ouvrage collectif sous la direction de PaulFabra Eacuteditions Economica 1999

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tensions tregraves fortes sont agrave preacutevoir entre la logique des infrastructures et des investisse-ments en capital fixe et la logique de lrsquointermeacutediation et de lrsquoaccegraves au client Plus quejamais les inteacuterecircts sont antagoniques et lrsquoon nrsquoest pas pregraves de voir se reacuteconcilier lrsquooffreet la demande Mais crsquoest preacuteciseacutement parce que les logiques seront eacuteloigneacutees et que lestensions seront fortes que les acteurs eacuteconomiques rechercheront des positionne-ments ambigus inclassables agrave cheval entre la technologie le service et la proximiteacute-clients

Une meilleure productiviteacute du capital circulant sera de plus en plus le moyen de geacutererces tensions et de fonder de nouvelles approches de la creacuteation de valeur Et crsquoest lagravepeut-ecirctre que le changement est drsquoores et deacutejagrave le plus spectaculaire Avec lrsquoancienneeacuteconomie la Bourse srsquoeacutetait habitueacutee agrave un discours sur la creacuteation de valeur pourlrsquoactionnaire (laquo shareholder value raquo) dont le fondement eacutetait in fine la producti-viteacute du seul facteur travail le re-engineering les licenciements et le chocircmage Lesmarcheacutes financiers avaient bien noteacute dans les anneacutees 80 que lrsquoeacuteconomie nrsquoexteacuteriori-sait pas pleinement ses gains de productiviteacute Agrave partir de 1999 on srsquointeacuteresse aux res-tructurations et au laquo business process re-engineering raquo (BPR) tandis que des chercheursnotent la proximiteacute entre les dates des plans de licenciements et des assembleacutees geacuteneacute-rales avec lrsquoobjectif visible de doper le cours de bourse des grands groupes1 Danslaquo LrsquoHorreur eacuteconomique raquo Viviane Forrester reprendra et systeacutematisera ces ideacutees en sou-lignant la forte correacutelation entre creacuteation de valeur et plans sociaux2

Le veacuteritable paradoxe boursier crsquoest que ceci ne fonctionne plus Agrave lrsquoheuredrsquoInternet et de la nouvelle eacuteconomie drsquoautres principes de creacuteation de valeur sontreconnus par les marcheacutes Et ce qui a eacuteteacute frappant depuis un an environ crsquoest le deacutesarroide certains grands groupes multinationaux complegravetement pris agrave revers par ce brusquechangement des regravegles du jeu Constatant la mauvaise tenue de leurs cours et des mul-tiples boursiers tregraves peacutenalisants ils enragent de voir le marcheacute les valoriser agrave 20 15 oumecircme 10 fois leurs reacutesultats alors que les indices moyens des valeurs technologiquessont de lrsquoordre de 50

Plusieurs drsquoentre eux ont alors annonceacute de nouveaux plans de compression drsquoeffec-tifs Pour ne citer que quelques cas de lrsquoanneacutee 2000 et en se limitant agrave des stars de cequi est deacutejagrave lrsquoancienne eacuteconomie Coca-Cola Unilever Procter and Gamble BritishAirways De maniegravere spectaculaire deux grandes banques allemandes (Deutsche Banket Dresner) ont annonceacute en mecircme temps leur fusion et 16 000 suppressions drsquoemploisDans ce dernier cas le projet a eacuteteacute abandonneacute mais dans tous ces exemples ce fut descoups drsquoeacutepeacutee dans lrsquoeau

1 Ph Chevalier D Dure Pourquoi licencie-t-on in Geacuterer et Comprendre Annales des Mines septem-bre 19942 Viviane Forrester LrsquoHorreur eacuteconomique Fayard 1996

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Aucune de ces annonces ne srsquoest traduite par un veacuteritable effet laquo booster raquo sur le coursde bourse Drsquoougrave parfois un certain deacutesarroi Comment se fait-il Nous faisons toutbien Nous sommes dans la logique de la globalisation et du marcheacute mondial Nousnous concertons et nous fusionnons Nous sommes laquo obseacutedeacutes raquo par la creacuteation devaleur pour lrsquoactionnaire Nous comprimons et nous rationalisons Et notre cours nebouge pas Que faudrait-il donc faire Lrsquoenjeu est drsquoimportance car agrave lrsquoheure desfusions payeacutees en papier et en titres un multiple haut signifie que lrsquoon peut avoir lrsquoini-tiative des rapprochements tandis qursquoun multiple bas veut dire que lrsquoon termineraracheteacute par un autre Rage suprecircme des entreprises jeunes innovantes ne faisant pasde beacuteneacutefices et deacutegageant un chiffre drsquoaffaires balbutiant sont dans le mecircme temps por-teacutees au sommet

Comme souvent les marcheacutes financiers eacutetaient passeacutes drsquoun extrecircme agrave un autre Ilsnrsquoavaient jureacute hier que par une rentabiliteacute eacutegale agrave 15 des capitaux propres et drsquounseul coup identifiaient creacuteation de valeur et imagination Le fait de deacutegager des reacutesul-tats beacuteneacuteficiaires serait-il agrave jamais devenu deacutemodeacute Lrsquoengouement eacutetait tel qursquoil ne selimitait pas agrave ces entreprises de la nouvelle eacuteconomie disposant de business models soli-des fondeacutes sur la compeacutetitiviteacute propre drsquoInternet sur la proximiteacute client et sur la capa-citeacute agrave deacutestabiliser les anciens leaders Certes les Cisco les MCI-Worldcom les Dell lesSchwab etc repreacutesentent lrsquoessentiel de lrsquoargent investi en valeurs Internet Mais nom-bre de start-up fondeacutees sur une ideacutee plus ou moins aboutie ont profiteacute de la manne Etla bulle a gonfleacute de projets Internet promus par les entreprises traditionnelles precirctes agraveinvestir avec la foi du neacuteophyte pour se voir enfin reconnues par les marcheacutes La cor-rection eacutetait ineacutevitable Neacutecessairement les marcheacutes sont tels qursquoil y en aura drsquoautres

Malgreacute tout quelque chose de neuf est en train drsquoapparaicirctre La nouvelle eacuteconomie nrsquoestpas neacutee de la Bourse et son destin deacutepasse les courbes du Nasdaq Il faut espeacuterer qursquounegeacuteneacuteration de jeunes entrepreneurs ne sortira pas trop meurtrie de ces brusques traverseacuteesde montagnes russes Ce qui compte crsquoest que les eacuteconomies occidentales deacutegagent agrave nou-veau des capaciteacutes de croissance Les strateacutegies drsquoentreprises se donnent drsquoautres projetsqursquoune conception eacutetroite de la rationalisation Les marcheacutes valorisent enfin autre choseque la productiviteacute-spectacle Lrsquoheure est agrave la creacuteativiteacute et agrave la recherche de nouvelles sour-ces de richesse dans les processus de communication de services et drsquoeacutechanges

Lrsquoimportant est de se garder de toute caricature et de toute ideacuteologie Dans sa dimen-sion empirique et volontairement impreacutecise lrsquoexpression laquo nouvelle eacuteconomie raquo estfinalement bien adapteacutee agrave lrsquoeacutetat encore incertain de nos connaissances Il faut lire lestextes qui ont jusqursquoici jalonneacute le deacutebat et apprendre agrave aller plus loin dans la compreacute-hension des diffeacuterents paradoxes Il faut enrichir les questions souleveacutees par les eacutecono-mistes ameacutericains par des exemples concrets et par des analyses fines tireacutees drsquoune

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compreacutehension speacutecifique des technologies actuelles ainsi que drsquoune observationattentive de leur deacuteplacement et de la transformation progressive des marcheacutes qui enreacutesulte Nrsquoest-il pas temps en France et en Europe de faire progresser lrsquointerrogationsur la maniegravere de reconnaicirctre de deacutecrire et de conforter le deacuteploiement de cette nou-velle eacuteconomie encore pleine de mystegraveres et de promesses

Chapitre 1

La nouvelle eacuteconomie des lois aux paradoxes

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De nouvelles regravegles pour la nouvelle eacuteconomie douze principes fiables pour prospeacuterer

dans un monde turbulent

Kevin KELLY1

Septembre 1997

La reacutevolution digitale fait actuellement la Une de tous les journaux et magazinesPourtant il existe une reacutevolution bien plus profonde qui eacutevolue lentement sous cetteturbulence qui progresse si vite une reacutevolution qui entraicircne les tourbillons des techno-gadgets brancheacutes et des musts crsquoest celle de lrsquoeacuteconomie des reacuteseaux

Cette nouvelle eacuteconomie eacutemergente repreacutesente un veacuteritable bouleversement tecto-nique dans notre communauteacute une eacutevolution sociale qui reacuteordonne nos existencesplus encore que le hardware et le software ne pourraient le faire Elle preacutesente ses propresopportuniteacutes et possegravede ses regravegles speacutecifiques qui sont tout agrave fait nouvelles Ceux quiles observent prospeacutereront agrave la diffeacuterence de ceux qui ne les respecteront pas

Crsquoest degraves 1969 que lrsquoavegravenement de cette nouvelle eacuteconomie a eacuteteacute noteacute par PeterDrucker qui avait perccedilu lrsquoarriveacutee des travailleurs du savoir On deacutesigne drsquoailleurs sou-vent la nouvelle eacuteconomie sous lrsquoexpression drsquolaquo eacuteconomie de lrsquoinformation raquo en rai-son du rocircle eacuteminent joueacute dans la creacuteation de richesses par lrsquoinformation et non par lesressources mateacuterielles ou le capital

Je preacutefegravere quant agrave moi lrsquoexpression drsquolaquo eacuteconomie des reacuteseaux raquo car lrsquoinformation nesuffit pas agrave expliquer les discontinuiteacutes que lrsquoon y observe Pendant les cent ans quiviennent de srsquoeacutecouler nous avons eacuteteacute litteacuteralement inondeacutes par une mareacutee drsquoinforma-tions dont le niveau augmentait constamment De nombreuses entreprises se sontconstruites sur le capital repreacutesenteacute par lrsquoinformation mais crsquoest tregraves reacutecemmentqursquoune reconfiguration totale affectant lrsquoinformation elle-mecircme a provoqueacute une eacutevo-lution de lrsquoeacuteconomie tout entiegravere

1 KEVIN KELLY est co-fondateur et reacutedacteur en chef de la revue Wired le magazine de reacutefeacuterence de lareacutevolution numeacuterique Son livre New Rules for the New Economy (Penguin Putman Inc 1998) a eacuteteacute tra-duit en 11 langues sauf en franccedilais Cet article a eacuteteacute publieacute initialement en anglais dans Wired Septem-bre 1997 sous le titre laquoNew Rules for the New Economyraquo (httpwiredcomwired509newrules_prhtml) Traduit et reproduit avec lrsquoaimable autorisation de lrsquoauteur

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La grande ironie de notre eacutepoque crsquoest que lrsquoegravere des ordinateurs est reacutevolue Toutesles conseacutequences majeures des ordinateurs autonomes se sont deacutejagrave produites et enfait ces machines ont juste un peu acceacuteleacutereacute notre rythme de vie voilagrave tout

Agrave lrsquoinverse toutes les technologies les plus prometteuses qui eacutemergent aujourdrsquohuisont ducirces principalement agrave la communication entre ordinateurs autrement dit auxconnexions plutocirct qursquoaux calculs Et comme la communication est la base de la cul-ture bricoler agrave ce niveau est vraiment grave

Et en effet nous bricolons La technologie qui a eacuteteacute inventeacutee pour traiter des calculs enmasse a eacuteteacute deacutetourneacutee pour connecter des laquo isoleacutes raquo Ce qui caracteacuterise essentiellement lareacuteorganisation de lrsquoinformation crsquoest la geacuteneacuteralisation drsquoune deacutemarche inexorable pourconnecter tout agrave tout Nous sommes deacutesormais engageacutes dans un processus drsquoensemble des-tineacute agrave augmenter amplifier et eacutetendre les relations et les communications entre chaque ecirctrehumain et chaque chose Crsquoest pourquoi lrsquoeacuteconomie des reacuteseaux est une grande affaire

Les nouvelles regravegles qui gouvernent cette restructuration globale tournent autour deplusieurs axes Premiegraverement la richesse dans ce nouveau contexte deacutecoule directe-ment de lrsquoinnovation et non de lrsquooptimisation en drsquoautres termes elle ne vient pasdrsquoun perfectionnement du deacutejagrave su mais drsquoune emprise sur lrsquoinconnu mecircme de faccedilonimparfaite Deuxiegravemement pour cultiver lrsquoinconnu lrsquoenvironnement ideacuteal estdrsquoentretenir lrsquoagiliteacute suprecircme des reacuteseaux Troisiegravemement la domestication delrsquoinconnu signifie ineacutevitablement de brucircler ce qursquoon avait adoreacute de deacutefaire ce qui eacutetaitparfait Enfin dans la toile de lrsquoeacuteconomie des reacuteseaux qui se densifie le cycle trouver-faire croicirctre-deacutetruire se produit plus rapidement et plus intenseacutement que jamais

LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux ne constitue pas la fin de lrsquohistoire Eacutetant donneacute son rythmedrsquoeacutevolution une telle organisation peut ne pas durer plus que le temps correspondantagrave une ou deux geacuteneacuterations Une fois que les reacuteseaux auront satureacute le moindre espaceun nouvel ensemble de regravegles preacutedominera Celui que je vais deacutevelopper maintenantest donc temporaire

1 La Loi de la Connexion

Optez pour la puissance stupide

LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux se nourrit de la forte reacutesonance de deux bangs stellaires lemicrocosme des puces qui srsquoeffondre et le laquo teacuteleacutecosme raquo des connexions qui exploseCes eacutevolutions soudaines mettent en piegraveces les anciennes lois de la richesse et preacutepa-rent le terrain pour lrsquoeacuteconomie eacutemergente

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

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La taille des puces en silicone se reacutetreacutecit jusqursquoagrave devenir microscopique et leur prix sereacuteduit lui aussi dans les mecircmes proportions Ce sont des eacuteleacutements qui deviennent tregravesbon marcheacute et sont suffisamment minuscules pour ecirctre glisseacutes dans chaque objetproduit et dans cette derniegravere phrase crsquoest le mot laquo chaque raquo qui est essentiel Il y a 10ans on aurait trouveacute grotesque lrsquoideacutee de mettre une puce dans chaque portedrsquoimmeuble aujourdrsquohui on aurait bien du mal agrave trouver une porte drsquohocirctel ne preacutesen-tant pas une puce qui clignote ou qui eacutemet un signal Bientocirct pour peu que NationalSemiconductor soit en mesure de le reacutealiser et de le faire adopter on apposera sur chaquecolis expeacutedieacute par Federal Express un petit eacuteclat jetable de silicone qui en suivra le con-tenu Et si un colis est digne drsquoune puce alors qursquoil est extrecircmement eacutepheacutemegravere les objetsvous appartenant peuvent en incorporer eacutegalement une chaise un livre un nouveauvecirctement un ballon de basket De minces tranches de plastique comportent une pucesuffisamment intelligente pour jouer le rocircle de votre banquier Dans peu de temps tousles objets seront ainsi eacutequipeacutes drsquoune minuscule tranche drsquoesprit des chaussures de ten-nis aux marteaux en passant par les abat-jour et les soupes en boicircte Et pourquoi pas

La Terre est peupleacutee de 200 millions drsquoordinateurs Andy Grove de chez Intel estimeqursquoils seront 500 millions en 2002 Et pourtant le nombre de puces non destineacutees agravelrsquoinformatique et qui palpitent aujourdrsquohui dans le monde est de 6 milliards Elles sontdeacutejagrave incorporeacutees aux voitures aux eacutequipements hi-fi aux appareils de cuisson du rizComme elles peuvent ecirctre inteacutegreacutees rapidement et agrave faible coucirct comme des boules degomme on les appelle des laquo jelly beans raquo1 dans les secteurs industriels Or nous sommesagrave lrsquoaube drsquoune explosion de ces confiseries il y aura en 2005 10 milliards de grains desilicone en service et encore un milliard de plus peu de temps apregraves Un jour viendra ougraveces grains auront lrsquointelligence de fourmis qui seront enfouies dans nos habitations

En mecircme temps que nous implantons 1 milliard de grains dans tout ce qui se fabri-que nous les connectons Les objets fixes sont connecteacutes entre eux par des fils Ceuxqui ne sont pas fixes autrement dit la plupart des objets manufactureacutes sont relieacutes parradio et infrarouges creacuteant une toile bien plus grande que la premiegravere Pour autant ilnrsquoest pas neacutecessaire que chaque objet ainsi connecteacute transmette un grand nombredrsquoinformations Une minuscule puce installeacutee agrave lrsquointeacuterieur drsquoun reacuteservoir drsquoeau dansun ranch drsquoAustralie indique seulement laquo plein raquo ou laquo pas plein raquo une puce fixeacutee surune corne drsquoun bouvillon renseigne uniquement sur la localisation drsquoune tecircte debeacutetail tandis qursquoune puce incorporeacutee agrave un portail fournira une information sur le jourougrave celui-ci srsquoest ouvert pour la derniegravere fois laquo mardi raquo par exemple

Ce qui est extraordinaire chez ces petites miettes interconnecteacutees crsquoest qursquoelles nrsquoontpas besoin drsquoavoir une intelligence artificielle elles fonctionnent selon la puissance stu-

1 Les Jelly-beans sont des confiseries relativement molles que lrsquoon trouve en 96 couleurs diffeacuterenteschacune correspondant agrave un parfum speacutecifique NdT

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pide de quelques bits relieacutes entre eux La laquo puissance stupide raquo crsquoest ce que lrsquoon obtientquand on implante en reacuteseau des nœuds stupides dans un reacuteseau intelligent Crsquoest ce quele cerveau fait avec les neurones et qursquoInternet a fait avec les ordinateurs personnels UnPC correspond au niveau de son concept agrave un seul neurone logeacute dans un careacutenage enplastique Une fois qursquoils ont eacuteteacute relieacutes par le teacuteleacutecosme au sein drsquoun reacuteseau de neuronesces nœuds ont creacuteeacute cette fabuleuse intelligence que repreacutesente le World Wide Web autre-ment dit la Toile mondiale Cela marche dans drsquoautres domaines des eacuteleacutements stupidescorrectement interconnecteacutes donnent des reacutesultats intelligents

Le hardware ce sont un milliard de puces stupides interconnecteacutees dans une rucheintelligente Le software qui y passe crsquoest lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux Une planegravete entiegraverede puces hyper-relieacutees entre elles eacutemet un flux incessant de petits messages formantune cascade drsquoondes vives porteuses de sens Du moindre capteur drsquohumiditeacute dans uneferme jaillissent des donneacutees de chaque satellite meacuteteacuteo rayonnent des images digita-liseacutees de chaque caisse enregistreuse sont expulseacutes des torrents de bits de chaquemoniteur drsquohocircpital coulent en goutte agrave goutte des nombres chaque site Web enregis-tre les comportements chaque veacutehicule transmet sa localisation agrave tout moment Tou-tes ces informations repreacutesentent une veacuteritable mareacutee de signaux qui constitue la Toile

Celle-ci nrsquoest pas composeacutee uniquement drsquoecirctres humains communiquant entre eux parlrsquointermeacutediaire drsquoAOL mecircme si cette activiteacute en repreacutesente elle aussi un volet quidrsquoailleurs durera tant que lrsquoon aura envie de seacuteduire un(e) romantique ou de faire srsquoenflam-mer un(e) idiot(e) La Toile est bien plutocirct lrsquointeraction collective creacuteeacutee par un milliarddrsquoobjets et drsquoecirctres vivants dont le lien qui les connecte traverse lrsquoair aussi bien que le verre

Crsquoest ce reacuteseau qui engendre lrsquoeacuteconomie du mecircme nom Selon MCI le volume totalde trafic vocal sur lrsquoensemble des systegravemes teacuteleacutephoniques sera supplanteacute dans 3 ans parle volume eacutechangeacute de donneacutees intelligentes Nous nous dirigeons deacutejagrave vers une eacutecono-mie eacutelargie qui sera remplie de nouveaux participants agents objets machines ainsique quelques milliards drsquohommes de plus qursquoaujourdrsquohui Nrsquoattendons pas lrsquointelli-gence artificielle pour faire des systegravemes intelligents faisons-les avec la puissance stu-pide drsquoune informatique omnipreacutesente et des connexions envahissantes

Tout ce tremblement nrsquoest pas pour demain mais en tout cas la trajectoire est claire nous sommes en train de connecter tout agrave tout Chaque pas reacutealiseacute qui compte sur uneconnexion peu oneacutereuse endeacutemique et universelle va dans la bonne direction Parailleurs le plus sucircr moyen de favoriser ce laquo connexionnisme raquo massif consiste agrave exploiterles forces deacutecentraliseacutees crsquoest-agrave-dire agrave relier la base Vous voulez construire un superpont Faites parlez les piliers au tablier Vous voulez ameacuteliorer la culture des laitues Lais-sez le sol parler aux tracteurs Vous voulez qursquoun avion soit vraiment sucircr Arrangez-vouspour que les avions communiquent entre eux et recueillent leurs plans de vol respectifs

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux optez pour la puissance stupide

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2 La Loi de lrsquoAbondance

Plus donne plus

Il se passe des choses bien curieuses quand on connecte tout agrave tout Les matheacutemati-ciens ont deacutemontreacute que la somme drsquoun reacuteseau croicirct proportionnellement au carreacute dunombre de ses membres Autrement dit quand le nombre de nœuds augmente dansun reacuteseau selon une progression arithmeacutetique la valeur de ce reacuteseau augmente expo-nentiellement Il suffit donc drsquoajouter un petit nombre de membres pour augmenterconsideacuterablement la valeur dont profitent tous les membres

Prenons lrsquoexemple du premier teacuteleacutecopieur qui sortit de fabrication vers 1965 il avaitcoucircteacute des millions de dollars en recherche et deacuteveloppement mais sa valeur eacutetait eacutegaleagrave zeacutero nulle Le deuxiegraveme fax a degraves sa sortie donneacute une certaine valeur au premierpuisqursquoil y avait quelqursquoun agrave qui envoyer une teacuteleacutecopie Dans la mesure ougrave tous les teacuteleacute-copieurs se trouvent relieacutes dans un reacuteseau chaque nouvelle machine venant rejoindrela cascade augmente la valeur de tous les autres fax qui existaient preacuteceacutedemment

La valeur de ce reacuteseau est si grande que toute personne srsquoeacutequipant drsquoun teacuteleacutecopieurse transforme en proseacutelyte laquo Avez-vous un fax Non Vous devriez raquo Pourquoi agit-elle ainsi Parce que si vous en achetiez un vous augmenteriez la valeur de son eacutequi-pement Et une fois que vous en avez acheteacute un agrave votre tour vous vous mettez vousaussi agrave demander laquo Avez-vous un fax raquo (Le pheacutenomegravene srsquoobserve eacutegalement pourles e-mails ou tel ou tel type de logiciel) Chaque personne que vous arrivez agrave convain-cre drsquoentrer dans un reacuteseau augmente la valeur de votre eacutequipement

Donc quand vous achetez un teacuteleacutecopieur vous nrsquoachetez pas uniquement unecaisse qui coucircte $ 200 mais aussi et surtout la totaliteacute du reacuteseau des autres fax et lesconnexions existant entre eux autrement dit vous achetez une valeur plus grandeque la somme de tous les prix des teacuteleacutecopieurs en service

Cet exemple illustre bien le fait que le nombre ajoute de la valeur Mais cette notioncontredit deux des principaux axiomes que nous attribuons agrave lrsquoegravere industrielle

Premier veacuteneacuterable axiome la valeur naicirct de la rareteacute comme le prouvent les dia-mants lrsquoor le peacutetrole ou les diplocircmes universitaires

Second veacuteneacuterable axiome quand les choses sont produites en abondance elle sedeacutevalorisent degraves lors que les tapis sont tisseacutes par milliers par des machines ils ne con-tribuent plus agrave notre statut social

La logique du reacuteseau inverse les leccedilons de lrsquoindustrie Dans lrsquoeacuteconomie des reacuteseauxla valeur vient de lrsquoabondance de la mecircme faccedilon la valeur des teacuteleacutecopieurs srsquoaccroicirct deleur ubiquiteacute Que prolifegraverent les copies mecircme les copies physiques puisqursquoelles sontpeu chegraveres

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Ce qui a de la valeur dans ce contexte ce sont ces relations eacuteparpilleacutees qui en raison detoutes ces copies viennent senchevecirctrer dans le reacuteseau Et ces relations ont une valeur quimonte en flegraveche agrave mesure que le nombre de composantes saccroicirct fut-ce leacutegegraverementWindows NT les teacuteleacutecopieurs TCPIP les images GIF Real-Audio tous neacutes au cœur delEacuteconomie des Reacuteseaux obeacuteissent agrave cette logique Mais il en va de mecircme pour les clefs deserrage les piles normaliseacutees ou les autres biens beacuteneacuteficiant dune standardisation agraveleacutechelle mondiale plus ces articles sont reacutepandus plus on a inteacuterecirct agrave adheacuterer au standard

Agrave lavenir les chemises de coton les flacons de vitamines les tronccedilonneuses et tous lesobjets fabriqueacutes de par le monde obeacuteiront aussi agrave cette loi de lAbondance agrave mesure que lecoucirct de production dun exemplaire suppleacutementaire tombera en flegraveche tandis que dansle mecircme temps augmentera la valeur du reacuteseau qui les conccediloit les produit et les distribue

Dans lEacuteconomie des Reacuteseaux la rareteacute est submergeacutee par les coucircts marginaux quireacutetreacutecissent Et partout ougrave le coucirct de production dun exemplaire suppleacutementairedevient neacutegligeable ce qui ne se veacuterifie pas uniquement pour le software on constateun veacuteritable boom de la valeur des normes et des reacuteseaux

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux plus donne plus

3 La Loi de la Valeur Exponentielle

La reacuteussite est non lineacuteaire

La corne drsquoabondance que repreacutesentent les profits de Microsoft est tregraves reacuteveacutelatrice quandelle est expliciteacutee sous forme de graphique car elle reflegravete plusieurs autres courbes caracteacute-risant certaines eacutetoiles montantes de lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux Pendant ses 10 premiegraveresanneacutees les profits de Microsoft eacutetaient neacutegligeables et ils nrsquoont commenceacute agrave eacutemergerqursquoaux environs de 1985 Mais degraves qursquoils ont commenceacute agrave grimper ils ont exploseacute

Federal Express a connu une trajectoire similaire des anneacutees drsquoaugmentations infi-mes de profits ont ameneacute lrsquoentreprise agrave un seuil invisible puis une vertigineuse ascen-sion srsquoest produite au deacutebut des anneacutees 1980

De la mecircme faccedilon la peacuteneacutetration des teacuteleacutecopieurs se traduit par un succegraves ininter-rompu depuis 20 ans qui faisait suite agrave 20 autres anneacutees drsquoune reacuteussite tregraves marginale Etpuis au milieu des anneacutees 1980 le nombre de machines composant le parc a tranquille-ment passeacute le point de non-retour et le fax est aujourdrsquohui partout de faccedilon irreacuteversible

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux lrsquoarcheacutetype de la reacuteussite est repreacutesenteacute par InternetComme tout pionnier se fera un plaisir de vous lrsquoapprendre Internet a eacuteteacute pendant

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2 deacutecennies un deacutesert mais un deacutesert ocirc combien exaltant avant de rencontrer le radardes meacutedias Quand on regarde un graphique du nombre drsquohocirctes drsquoInternet agrave partir desanneacutees 1960 on constate que la courbe a drsquoabord bien du mal agrave deacutecoller de lrsquoaxe desabscisses Et puis vers 1991 on assiste agrave une prolifeacuteration des hocirctes qui donne agrave lacourbe une allure exponentielle dans le monde entier

Chacune de ces courbes (et je remercie John Hagel auteur de Netgain de mrsquoavoirfourni ces 4 exemples) repreacutesente le scheacutema classique drsquoune courbe exponentielleCelui-ci est bien connu des biologistes car il correspond pratiquement agrave la deacutefinitiondrsquoun systegraveme biologique Crsquoest la raison pour laquelle on utilise des termes de biologiepour deacutecrire de faccedilon plus preacutecise lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux En fait si la Toile donnelrsquoimpression drsquoune frontiegravere crsquoest parce que pour la premiegravere fois dans lrsquohistoire noussommes les teacutemoins drsquoune croissance drsquoordre biologique affectant des systegravemes tech-nologiques

En mecircme temps chacun des exemples citeacutes ci-dessus constitue un modegravele classiquede lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux Les reacuteussites de Microsoft de FedEx des teacuteleacutecopieurs etdrsquoInternet srsquoarticulent toujours sur une loi fondamentale des reacuteseaux la valeur con-naicirct une explosion exponentielle avec la multiplication des participants ce qui va enalimenter de plus en plus le nombre Et ce cercle vertueux grossit jusqursquoagrave ce que tousles membres potentiels aient rejoint le groupe

Il convient toutefois de noter un point important dans les 4 cas citeacutes lrsquoexplosionnrsquointervient guegravere que dans le milieu ou la fin des anneacutees 1980 et au cours de cettepeacuteriode il srsquoest passeacute quelque chose les 2 big bangs repreacutesenteacutes par les laquo jelly beans raquoet lrsquoeffondrement du prix des teacuteleacutecommunications qui ont rendu possiblelrsquoeacutechange de donneacutees pratiquement en tout lieu agrave tout moment et ce pour un coucircttregraves faible La Toile la formidable Toile a alors commenceacute agrave nucleacuteer et la puissancedu reacuteseau a suivi

Maintenant que nous sommes entreacutes dans le royaume ougrave les cercles vertueux peu-vent ouvrir des succegraves immeacutediats sur un mode biologique voici un conte moral Il yavait un jour sur une plage de minuscules algues rouges qui prospeacuteraient dans unegrande mareacutee rouge Et puis quelques semaines plus tard ce tapis srsquoeacutevanouit juste aumoment ougrave il semblait ecirctre indeacuteleacutebile Les lemmings eux aussi prolifegraverent puis dispa-raissent Les forces biologiques qui provoquent une augmentation des populationssont celles-lagrave mecircme qui peuvent la tempeacuterer De la mecircme faccedilon les forces qui srsquoalimen-tent mutuellement pour amplifier les eacuteleacutements drsquoun reacuteseau jusqursquoagrave les transformer enstandards tregraves puissants dans un deacutelai record peuvent eacutegalement opeacuterer en sensinverse et les reacuteduire en un rien de temps Les deacutebuts modestes peuvent mener agrave degrands reacutesultats alors que les fortes perturbations nrsquoont que des effets limiteacutes

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux la reacuteussite est non lineacuteaire

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4 La Loi des Points de Basculement

Ce sera signifiant avant que de se deacuteployer

Il existe une autre leccedilon agrave tirer de ces succegraves primitifs de lrsquoEacuteconomie des Reacuteseauxpour laquelle il faut aussi faire reacutefeacuterence agrave la biologie On voit sur les courbes que agrave uncertain point lrsquoacceacuteleacuteration est telle que le succegraves devient eacuteclatant et vient tout sub-merger Pour ainsi dire il est devenu contagieux et si envahissant qursquoil devient difficileaux sujets non atteints de ne pas succomber entre nous combien de temps pouvez-vous tenir sans teacuteleacutephone

En eacutepideacutemiologie le point correspondant agrave une infection drsquohocirctes si nombreux quelrsquoinfection nrsquoest plus une maladie locale mais devient une eacutepideacutemie peut ecirctre vu commeun point de basculement la contagion a pris une telle puissance que crsquoest comme siapregraves avoir gravi une colline elle roulait sur lrsquoautre versant En biologie le point de bas-culement des maladies mortelles est assez eacuteleveacute mais en matiegravere de technologie il sedeacuteclenche agrave des pourcentages nettement plus bas de victimes ou de personnes toucheacutees

Dans chaque entreprise qursquoelle opegravere dans lrsquoindustrie ou en reacuteseau on constate tou-jours un point de basculement au-delagrave duquel la reacuteussite srsquoalimente drsquoelle-mecircme Tou-tefois en raison des coucircts fixes peu eacuteleveacutes des coucircts marginaux insignifiants et de ladistribution rapide dont beacuteneacuteficie lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux le basculement srsquoeacutetablitplus bas que dans lrsquoindustrie traditionnelle et donc plus vite crsquoest comme si les nou-veaux virus eacutetaient plus contagieux plus puissants aussi Les petits ruisseaux peuventformer des riviegraveres deacutebordantes

Le point de basculement eacutetant plus bas le seuil ougrave lrsquoactiviteacute devient significatif seralui aussi consideacuterablement moins eacuteleveacute que pendant lrsquoegravere industrielle Ce seuil se situeagrave la peacuteriode preacuteceacutedant le point de basculement au cours de laquelle il faut prendre auseacuterieux un mouvement une croissance ou une innovation Il est absolument essentielde deacutetecter ces eacuteveacutenements tant qursquoils restent en-deccedila de ce seuil

Ainsi par exemple les grands commerccedilants ameacutericains ont neacutegligeacute de srsquointeacuteresser auteacuteleacute-achat pendant les anneacutees 1980 parce qursquoagrave lrsquoorigine le nombre de teacuteleacutespectateursqui passaient commande eacutetait si faible et si marginal qursquoil nrsquoatteignait pas un seuilsignificatif pour le commerce de deacutetail Au lieu de porter leur attention sur ce nouveauet imperceptible seuil de lrsquoeacuteconomie des reacuteseaux les commerccedilants ont attendu quesonne le signal du basculement moyennant quoi par deacutefinition il eacutetait trop tardpour qursquoils en tirent des revenus

Autrefois crsquoeacutetait la puissance drsquoune innovation qui confeacuterait agrave celle-ci toute sasignification dans lrsquoenvironnement du reacuteseau crsquoest lrsquoinverse qui se produit crsquoestsignificatif avant drsquoecirctre puissant

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Les biologistes eacutevoquent souvent lrsquoexemple de la feuille de neacutenuphar qui double detaille en 24 heures La veille du jour ougrave la mare a eacuteteacute complegravetement recouverte onvoyait encore la moitieacute de la surface de lrsquoeau et la veille encore les 3 quarts et la veilleencore il nrsquoy avait qursquoun miseacuterable huitiegraveme de mare qui eacutetait recouvert Ce neacutenupharpousse imperceptiblement pendant tout lrsquoeacuteteacute et crsquoest seulement pendant la derniegraveresemaine du cycle que la plupart des passants remarquent qursquoil est apparulaquo soudainement raquo mais la plante a alors deacutejagrave deacutepasseacute le stade du basculement

LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux preacutesente des analogies avec ce neacutenuphar Ainsi par exem-ple la Toile est une feuille qui double de taille tous les 6 mois Il existe drsquoautres feuillesdans la mare du reacuteseau MUD1 et MOO2 teacuteleacutephones Teledesic ports de donneacutees sansfil agents collaboratifs capteurs agrave distance Pour lrsquoinstant ce ne sont que de minuscu-les cellules de neacutenuphar infestant gaiement la mare en ce deacutebut de lrsquoeacuteteacute torride desreacuteseaux

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux ce sera signifiant avant que de se deacuteployer

5 La Loi des Rendements Croissants

Faites des cercles vertueux

Crsquoest la loi essentielle en matiegravere de reacuteseau La valeur explosant avec lrsquoaugmentationdu nombre de membres elle aspire de nouveaux membres ce qui gonfle encore lereacutesultat Un vieux dicton lrsquoexprime ainsi laquo ceux qui en ont en auront davantage raquo

On voit les effets de cette loi dans le mode de croissance de certaines zones la SiliconValley par exemple chaque nouvelle start-up qui reacuteussit en attire une nouvelle qui agraveson tour attire plus de capital et de compeacutetences et donc plus de start-up Drsquoailleurscette reacutegion ainsi que drsquoautres zones tregraves marqueacutees par le high-tech repreacutesentent elles-mecircmes des reacuteseaux intimement imbriqueacutes de talents de ressources et drsquoopportuniteacutes

La loi des Rendements Croissants va nettement au-delagrave de la notion drsquoeacuteconomiedrsquoeacutechelle Agrave lrsquoeacutepoque des regravegles anciennes la reacuteussite drsquoHenry Ford srsquoeacutetait effectueacutee pareffet de levier le produit de la vente de voitures permettant de mettre au point desmeacutethodes de fabrication plus efficaces Cette approche a permis agrave Ford de vendre sesvoitures moins cher ce qui a augmenteacute le volume des ventes augmentation qui agrave sontour a alimenteacute lrsquoinnovation et des meacutethodes de production plus performantes

1 Multi-User Durgeons (Donjons et dragons)2 MUDs Orienteacutes-Objet

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encore au total lrsquoentreprise srsquoest hisseacutee jusqursquoau sommet Alors que la loi des rende-ments croissants et les eacuteconomies drsquoeacutechelle reposent toutes deux sur des boucles defeedback positifs drsquoinformations la premiegravere est propulseacutee par lrsquoeacutetonnante force de lapuissance du reacuteseau alors que ce nrsquoest pas le cas des eacuteconomies drsquoeacutechelle Tout drsquoabordcelles-ci varient de faccedilon lineacuteaire alors que dans la loi des rendements croissants lavaleur augmente de faccedilon exponentielle la diffeacuterence est agrave peu pregraves analogue agrave celleexistant entre une tirelire et un inteacuterecirct composeacutehellip

Ensuite et crsquoest plus important encore les eacuteconomies drsquoeacutechelle industrielles proviennentdrsquoefforts herculeacuteens dispenseacutes par une seule organisation pour distancer ses concurrents encreacuteant plus de valeur pour un coucirct moindre En lrsquooccurrence lrsquoexpertise et lrsquoavantage deacuteve-loppeacutes par lrsquoentreprise leader appartiennent agrave celle-ci et uniquement agrave elle Au contraire lesrendements croissants en reacuteseau sont creacuteeacutes et partageacutes par le reacuteseau tout entier et crsquoest laparticipation de nombreux agents utilisateurs et concurrents qui creacutee la valeur du reacuteseauMecircme si les gains des rendements croissants peuvent ecirctre ineacutegalement reacutecolteacutes par les dif-feacuterentes organisations la valeur de ces gains reacuteside dans la toile eacutelargie des relations

Des sommes consideacuterables peuvent affluer vers des entreprises qui ont reacuteussi dans lereacuteseau comme Cisco Oracle ou Microsoft mais mecircme si les firmes citeacutees venaient agravedisparaicirctre on assisterait agrave la poursuite de lrsquoexpansion de la matrice hyper-satureacutee derendements croissants qui srsquoest tisseacutee agrave travers elles

De la mecircme faccedilon les rendements croissants que lrsquoon constate dans la Silicon Valleyne deacutependent pas de la reacuteussite drsquoune entreprise en particulier AnnaLee Saxenianauteur de Regional Advantage note que cette zone est effectivement devenue unegrande entreprise reacutepartie laquo Lagrave-bas on raconte qursquoon peut changer de job sans chan-ger de covoiturage raquo ajoute-t-elle lors drsquoune interview donneacutee agrave Elizabeth Corcorandu Washington Post laquo Certaines personnes disent qursquoelles se reacuteveillent le matin enpensant qursquoelles travaillent pour la Silicon Valley elles sont plus loyales envers lesavanceacutees technologiques et la reacutegion qursquoenvers une entreprise en particulier raquo

Suivons cette ideacutee nous allons vers une egravere dans laquelle ceux qui travaillent et ceuxqui consomment se montreront plus fidegraveles agrave un reacuteseau qursquoagrave une entreprise La grandeinnovation de la Silicon Valley crsquoest qursquoelle a inventeacute non pas le hardware et le softwaremais lrsquoorganisation sociale des firmes qui y sont installeacutees et ce qui est plus importantencore la structure reacuteticuleacutee de la reacutegion elle-mecircme un reacuteseau extrecircmement com-plexe drsquoanciens drsquoune mecircme entreprise de collegravegues devenus intimes de fuitesdrsquoinformations drsquoune entiteacute agrave lrsquoautre de cycles de vie rapides et de culture e-mail Cetissu social baignant dans le hardware tiegravede des puces agrave bas prix et des neurones de cui-vre crsquoest lui qui creacutee une veacuteritable Eacuteconomie des Reacuteseaux

Par sa nature la loi des rendements croissants favorise les premiers arriveacutes les para-megravetres de deacutepart et les conventions passeacutees agrave lrsquoorigine qui confegraverent agrave un reacuteseau son

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pouvoir mecircme se figent rapidement pour devenir des normes inalteacuterables Une tellesolidification constitue agrave la fois un bienfait et un fleacuteau pour un reacuteseau bienfait parceque crsquoest de lrsquoaccord collectif de facto que deacutecoule la puissance deacutebrideacutee des rendementscroissants fleacuteau parce que ceux qui possegravedent ou controcirclent la norme en tirent desbeacuteneacutefices disproportionneacutes

Seulement lrsquoun ne va pas sans lrsquoautre dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux Si lrsquoon tolegravere lesmilliards de Microsoft crsquoest que bien drsquoautres entreprises de cette Eacuteconomie ont col-lectivement gagneacute des milliards gracircce aux standards de Microsoft en matiegravere de rende-ments croissants

Dans une Eacuteconomie des Reacuteseaux la vie est difficile pour les consommateurs qui doi-vent srsquoengager sur un protocole de deacutepart il est douloureux de se retirer plus tard drsquounreacuteseau de relations qui nrsquoeacutetait pas le bon mais ce nrsquoest pas aussi dramatique que pour desentreprises qui parient leurs vies sur le mauvais standard Ceci poseacute il vaut encore mieuxse tromper que passer totalement agrave cocircteacute drsquoune dynamique car il nrsquoy a pas drsquoavenir danslrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux pour les systegravemes hermeacutetiquement clos Plus il y a de dimen-sions accessibles agrave la contribution et agrave la creacuteativiteacute des membres plus les rendementscroissants pourront animer le reacuteseau et plus le systegraveme prospeacuterera en srsquoauto-alimentantAgrave lrsquoinverse moins il permettra ce deacuteveloppement moins il attirera de membres

LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux reacutecompense la creacuteation deacutecentraliseacutee et punit les systegravemesqui ne la permettent pas Pendant lrsquoegravere industrielle un constructeur automobile srsquoatta-chait agrave garder le controcircle de tous les aspects de la fabrication du veacutehicule et de ses piegrave-ces Agrave lrsquoegravere des reacuteseaux il va tisser une toile de normes et de fournisseurs exteacuterieurs etencourager cette toile agrave inventer une voiture il va ensemencer de connaissances le sys-tegraveme et reacuteunir le plus grand nombre possible de participants afin de creacuteer une bouclevertueuse dans laquelle le succegraves de chacun est partageacute par tous et influe sur tous

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux faites des cercles vertueux

6 La Loi des Prix Inverseacutes

Pariez sur le bas prix

LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux preacutesente une curieuse caracteacuteristique qui eacutetonnerait beau-coup un citoyen qui aurait veacutecu en 1897 il y a donc un siegravecle crsquoest que le meilleurdevient moins cher drsquoune anneacutee sur lrsquoautre Il srsquoagit lagrave drsquoun principe de base qui est siancreacute dans le style de vie contemporain que lrsquoon nrsquoa pas tendance agrave srsquoen eacutemerveiller or on le devrait car ce paradoxe est un moteur essentiel dans la nouvelle eacuteconomie

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Pendant la plus grande partie de lrsquoegravere industrielle la qualiteacute srsquoameacuteliorait leacutegegraverementmoyennant une faible augmentation du prix Mais lrsquoarriveacutee des microprocesseurs abalayeacute cette eacutequation agrave lrsquoegravere de lrsquoinformation les consommateurs en sont rapidementvenus agrave escompter une qualiteacute radicalement supeacuterieure pour un prix devant progres-sivement diminuer Les courbes de prix et de qualiteacute divergent si consideacuterablementqursquoil peut parfois sembler que meilleur est un produit moins il coucircte cher

Ce sont les puces qui ont inaugureacute cette inversion comme le note justement Ted Lewisauteur de The Friction Free Economy Les ingeacutenieurs informatiques ont exploiteacute les vertuscapitales des ordinateurs pour creacuteer de faccedilon directe et indirecte la geacuteneacuteration suivanteplus performante En recombinant de la mecircme faccedilon notre expeacuterience on obtient plusavec moins de matiegravere Les puces ont un tel pouvoir de recombinaison que tout ce qursquoellestouchent tombe sous leur charme voitures vecirctements alimentshellip Lrsquoexpeacuterience cumu-leacutee acquise dans la miniaturisation des puces a permis la production en flux tendus et unesous-traitance de la fabrication high tech aupregraves drsquoune main-drsquoœuvre bon marcheacute ce quia encore contribueacute agrave lrsquoabaissement du prix des marchandises

Aujourdrsquohui la reacuteduction des puces se conjugue agrave un reacuteseau qui explose De la mecircmefaccedilon que nous avons une deacutemultiplication de lrsquoexpeacuterience acquise avec la creacuteation dumicroprocesseur nous sommes actuellement en train drsquoexercer les mecircmes effets delevier et de deacutemultiplication avec la toile des communications globales nous utilisonsles vertus capitales des communications en reacuteseau pour creacuteer directement ou non demeilleures versions de communications en reacuteseau

Les microprocesseurs ont connu ce pheacutenomegravene pratiquement degraves leur apparitionen 1971 crsquoest-agrave-dire une reacuteduction par deux du prix ou un doublement de capaciteacutetous les 18 mois Aujourdrsquohui les teacuteleacutecommunications srsquoapprecirctent agrave connaicirctre lamecircme eacutevolution mais agrave une eacutechelle encore plus impressionnante Lrsquoeacutevolution de cerapport coucirctcapaciteacute est connu sous le nom de la loi de Moore Le mecircme rapport appli-queacute au Net est connu sous le nom de Loi de Gilder Georges Gilder un technotheacuteori-cien radical promet pour les 25 prochaines anneacutees un triplement de la bande passante(la capaciteacute du flux de communication) tous les 12 mois

Le pouvoir de communication qui augmente consideacuterablement et les puces qui seminiaturisent et coucirctent toujours moins cher conduisent Gilder agrave parler drsquoune bandepassante qui devient gratuite

Il veut dire par lagrave que le prix par bit transmis baisse en suivant une asymptote quitend vers zeacutero Lrsquoasymptote preacutesente une analogie avec le paradoxe de Zeacutenon drsquoEacuteleacutee agrave chaque pas la tortue srsquoapproche de la limite mais en fait nrsquoy parvient jamais De lamecircme faccedilon une courbe de prix asymptotique approche de la gratuiteacute sans jamaislrsquoatteindre mais ce qui est important crsquoest que sa trajectoire soit parallegravele agrave la gratuiteacutetout en eacutetant voisine de celle-ci

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Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux il nrsquoy a pas que la largeur de bande qui a pris cettedirection Plongent ainsi vers la gratuiteacute les calculs en MIPS1 par dollar les coucircts detransaction de lrsquoinformation tels les gros titres de lrsquoactualiteacute et les cours de la bourseEn fait tous les biens pouvant ecirctre reproduits qursquoils soient mateacuteriels ou immateacuterielsobeacuteissent agrave la loi des prix inverseacutes et deviennent moins chers agrave mesure qursquoils srsquoameacutelio-rent Certes les voitures ne seront jamais gratuites mais le prix au kilomegravetre va chuterpour se rapprocher de la gratuiteacute crsquoest la fonction par dollar qui continuera agrave baisser

Pour les consommateurs crsquoest le paradis en revanche crsquoest un monde cruel pour ceuxqui espeacuteraient une rente de situation Les prix vont finir par srsquoeacutetablir agrave proximiteacute de la gra-tuiteacute mais il nrsquoy aura pas de limite supeacuterieure agrave la qualiteacute Ainsi par exemple il y aura bienun jour ougrave les services teacuteleacutephoniques seront agrave volonteacute et pratiquement gratuits mais leurqualiteacute ne pourra que continuer agrave srsquoameacuteliorer simplement pour rester compeacutetitive

Mais comment donc les teacuteleacutecommunications et bien drsquoautres activiteacutes vont-ellesavoir des revenus suffisants pour financer la maintenance ainsi que la recherche et ledeacuteveloppement tout en deacutegageant des profits Tout simplement en eacutelargissant lanotion de teacuteleacutephone Le temps aidant tout produit inventeacute repreacutesente un aller simplepour franchir la falaise des prix inverseacutes et descendre vers la gratuiteacute Dans la mesure ougravelrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux se communique agrave tous les articles manufactureacutes ceux-ci vonttregraves rapidement se retrouver sur ce toboggan Notre tacircche consiste donc agrave creacuteer de nou-velles choses agrave envoyer sur le toboggan en bref agrave ce que le rythme drsquoinvention soit plusrapide que la vitesse agrave laquelle les objets deviennent des marchandises

Crsquoest plus facile agrave faire dans une eacuteconomie baseacutee sur les reacuteseaux car dans ce contextelrsquoentrecroisement des ideacutees lrsquoagiliteacute confeacutereacutee aux alliances et la rapiditeacute de creacuteation denœuds viennent soutenir la mise au point constante de nouveaux biens et services lagraveougrave auparavant il nrsquoexistait rien

Et du coup lrsquoappeacutetit devient insatiable toute nouvelle invention introduite dansle circuit eacuteconomique creacutee lrsquoopportuniteacute et le deacutesir drsquoen posseacuteder deux autres Alors quele service teacuteleacutephonique de base tend vers la gratuiteacute jrsquoai maintenant trois lignes qui neservent qursquoagrave mes machines peut-ecirctre aurai-je un jour une laquo ligne raquo de donneacutees pourtous les objets se trouvant chez moi Mais il y a plus important encore la gestion deces lignes les donneacutees qursquoelles transmettent les messages qui me sont adresseacutes et leurarchivage le besoin de mobiliteacute tous ces eacuteleacutements eacutelargissent la notion que jrsquoavais duteacuteleacutephone et du prix fort que je suis disposeacute agrave payer

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux on peut compter sur le meilleur agrave prix toujours plusbas ce qui ouvre un espace pour quelque chose de nouveau qui est cher Pariez sur lebas prix

1 MIPS millions drsquoinstructions par seconde

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7 La Loi de la Geacuteneacuterositeacute

Pratiquez la gratuiteacute

Si drsquoune part les services prennent de la valeur agrave mesure qursquoils sont plus abondants (loindeg2) et si drsquoautre part moins ils coucirctent meilleurs ils sont et plus ils sont valoriseacutes (loindeg6) alors on peut dire en poussant le raisonnement que les choses qui ont le plus devaleur sont celles qui sont donneacutees

Microsoft donne son browser Internet Explorer Qualcomm qui produit le pro-gramme standard de courrier eacutelectronique Eudora le donne dans la perspective drsquoenvendre des versions ameacutelioreacutees On distribue gratuitement un million drsquoexemplairespar mois du logiciel anti-virus de McAfee Et bien sucircr Sun a distribueacute gratuitementJava faisant monter le cours de son action et donnant naissance agrave une mini-industriede deacuteveloppeurs drsquoapplications en langage Java

Pourrait-on imaginer un jeune cadre qui dans les anneacutees 1940 aurait dit agrave sa direc-tion qursquoil venait drsquoavoir lrsquoideacutee de distribuer gratuitement les 40 premiers millionsdrsquoexemplaires de son unique produit Il aurait eacuteteacute immeacutediatement remercieacute pour-tant crsquoest bien ce qursquoa fait Netscape 50 ans plus tard

Aujourdrsquohui cette pratique constitue une strateacutegie parfaitement reacutefleacutechie et applau-die qui mise sur les nouvelles regravegles du reacuteseau Dans la mesure ougrave la deacutemultiplicationdu savoir du reacuteseau inverse les prix le coucirct marginal drsquoun exemplaire suppleacutementaireest voisin de zeacutero (le terme drsquoexemplaire srsquoapplique ici agrave un bien mateacuteriel ou immateacute-riel) La valorisation srsquoappreacuteciant en proportion de lrsquoabondance un deacuteluge drsquoexem-plaires augmente la valeur de chacun drsquoentre eux Cette valorisation accrue rend lebien de plus en plus deacutesirable et la diffusion du produit srsquoaccomplit drsquoelle-mecircme Unefois bien eacutetablis la valeur du produit et son caractegravere indispensable lrsquoentreprise peutvendre des services annexes ou des versions ameacutelioreacutees ce qui lui permet de continueragrave ecirctre geacuteneacutereuse et agrave maintenir ce cercle merveilleux

On pourrait objecter que cette terrifiante dynamique ne marche qursquoavec le logiciel puis-que le coucirct marginal drsquoun exemplaire suppleacutementaire est deacutejagrave voisin de zeacutero ce seraitmeacuteconnaicirctre lrsquouniversaliteacute de la loi des prix inverseacutes Celle-ci reacutegit eacutegalement tout produitmateacuteriel constitueacute drsquoatomes degraves lors qursquoil est en reacuteseau on donne des teacuteleacutephones cellu-laires afin de vendre des services et on peut srsquoattendre agrave ce que pour les mecircmes raisons ondistribue des antennes paraboliques ou tout autre produit pour lequel les avantages de lamise en reacuteseau excegravedent le coucirct de reproduction de lrsquoobjet et le prix diminue

Dans ces conditions il est tout agrave fait naturel de se demander comment les entreprisespeuvent survivre dans un monde aussi geacuteneacutereux Trois points peuvent aider agrave le com-prendre

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Premiegraverement il faut penser la gratuiteacute comme un objectif dans la maniegravere dont onconccediloit le prix Il existe un mouvement vers la gratuiteacute la gratuiteacute asymptotique quimecircme si elle nrsquoest pas atteinte fait que le systegraveme se comporte comme si elle lrsquoeacutetait un prix tregraves bas en ordonneacutee et tregraves plat produit les mecircmes effets que la gratuiteacute

Deuxiegravemement quand un produit est gratuit il valorise les autres services Crsquoest laraison pour laquelle Sun distribue Java gratuitement pour favoriser la vente de ses ser-veurs et Netscape donne des browsers pour vendre des serveurs Netscape

Troisiegravemement et crsquoest le point le plus important le fait de pratiquer la gratuiteacuteconstitue une sorte de reacutepeacutetition geacuteneacuterale agrave la chute ineacutevitable du prix On structureson activiteacute comme si le produit creacuteeacute eacutetait gratuit pour anticiper son prix futur Lesconsoles de jeu Sega ne sont pas gratuites mais elles sont vendues agrave perte pour acceacuteleacutererleur destin drsquoobjet qui sera donneacute gratuitement dans une Eacuteconomie des Reacuteseaux

On peut aussi envisager cet effet en terme drsquoattention Le seul facteur qui se rareacutefiedans un monde drsquoabondance crsquoest lrsquoattention dont on dispose Chaque ecirctre humainse heurte agrave une limite absolue il nrsquoa que 24 heures par jour pour precircter attention auxmillions drsquoinnovations et drsquoopportuniteacutes que produit lrsquoeacuteconomie agrave jet continu Or lefait de donner attire lrsquoattention et cette laquo part drsquoattention raquo va mener agrave la part demarcheacute

La pratique de la gratuiteacute marche eacutegalement en sens inverse si lrsquoun des moyensdrsquoaugmenter la valeur drsquoun produit consiste agrave le distribuer gratuitement nombreusessont les choses qui ne coucirctent rien aujourdrsquohui mais qui dissimulent une tregraves grandevaleur Il est donc possible drsquoanticiper la richesse en utilisant la gratuiteacute

Dans la premiegravere peacuteriode drsquoexistence de la Toile les premiers index de ce terri-toire inexploreacute eacutetaient consigneacutes par des eacutetudiants et offerts Ces index permet-taient aux gens de focaliser leur attention sur quelques sites parmi les milliersexistants de sorte que les webmasters facilitaient le travail des eacutetudiants Eacutetant gra-tuits ces index sont devenus omnipreacutesents ce qui a rapidement entraicircneacute uneexplosion des valeurs boursiegraveres de ceux qui rendaient ce service et permis agravedrsquoautres sites Web de prospeacuterer

Qursquoest-ce qui est gratuit aujourdrsquohui et qui pourrait ulteacuterieurement beacuteneacuteficier drsquouneextrecircme valorisation Ougrave de nos jours la geacuteneacuterositeacute preacutecegravede-t-elle la richesse Uneseacutelection de candidats en ligne nous donne les reacutedacteurs de laquo digests raquo les guides leseacutediteurs de catalogues les FAQs1 les web-cams2 les sites promotionnels et de nom-breux agents intelligents Gratuits aujourdrsquohui ces produits permettront un jour ougravelrsquoautre lrsquoeacutedification autour drsquoeux drsquoentreprises florissantes Ces fonctions actuellement

1 FAQs Frequently Asked Questions2 Cameacutera videacuteo sur Internet en temps reacuteel

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marginales ne sont pas neacutegligeables rappelons-nous par exemple que agrave lrsquoegravere indus-trielle le Readerrsquos Digest eacutetait le magazine le plus lu au monde que TV Guide est encoreplus profitable que les 3 grands reacuteseaux dans lesquels il guide les teacuteleacutespectateurs et quelrsquoEncyclopœdia Britannica a deacutebuteacute comme une petite encyclopeacutedie dont les entreacuteeseacutetaient reacutedigeacutees par des amateurs ce qui nrsquoest pas si diffeacuterent des FAQs

Mais il nrsquoest pas possible de preacutecipiter le passage de lrsquoutilisation adapteacutee agrave la com-mercialisation Lrsquoun des corollaires de la loi de la geacuteneacuterositeacute est que dans lrsquoEacutecono-mie des Reacuteseaux la valeur exige une eacutetape preacute-commerciale Ici encore la richesseprocure lrsquoomnipreacutesence et lrsquoomnipreacutesence appelle un certain niveau de partage Agraveleurs deacutebuts lrsquoInternet et la Toile ont permis le deacuteveloppement drsquoune eacuteconomie dudon eacutetonnamment robuste les biens et services srsquoeacutechangeaient se partageaientgeacuteneacutereusement ou se donnaient carreacutement en fait crsquoeacutetait le seul mode drsquoeacutechangesur Internet Aussi ideacutealiste que puisse ecirctre une telle attitude crsquoeacutetait la seule solu-tion saine pour lancer une eacuteconomie marchande dans cet espace eacutemergeantWilliam Gibson as de la science-fiction avait trouveacute une faille dans la Toile sacapaciteacute agrave gaspiller un temps absolument consideacuterable En reacutealiteacute comme le noteraplus tard Gibson cette faille se reacutevegravelera en fait ecirctre son salut Dans une Eacuteconomiedes Reacuteseaux les innovations doivent drsquoabord srsquoensemencer dans lrsquoinefficaciteacute delrsquoeacuteconomie du don avant de germer plus tard dans lrsquoefficaciteacute des eacuteconomies mar-chandes

Aujourdrsquohui rare et bien sot serait lrsquoeacutediteur de logiciel qui ne ferait pas ses premierspas dans lrsquoeacuteconomie du don avec une version beta Il y a 50 ans on aurait consideacutereacutecomme lacircche meacutediocre ou totalement stupide le fait de lancer un produit non encorefini en comptant sur le public pour aider agrave le terminer Mais dans le nouveau reacutegime ougravenous sommes cette eacutetape de preacute-commercialisation srsquoanalyse comme une deacutemarche agravela fois courageuse prudente et vitale

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux pratiquez la gratuiteacute

8 La Loi de lrsquoAlleacutegeance

Commencez par nourrir la toile

Ce qui caracteacuterise les reacuteseaux crsquoest qursquoils ne comportent ni centre ni peacuteripheacuterie quisoient nettement discernables Dans une Eacuteconomie des Reacuteseaux la distinction essen-tielle entre le soi (nous) et le non-soi (eux) devient moins significative alors que danslrsquoegravere industrielle elle srsquoillustrait par lrsquoalleacutegeance de lrsquohomme envers lrsquoorganisation Le

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seul point de repegravere aujourdrsquohui crsquoest laquo ecirctes-vous ou non sur le reacuteseau raquo Lrsquoalleacutegeanceindividuelle se deacuteplace vers les reacuteseaux et les plates-formes (laquo Ecirctes-vous Windows ouMac raquo)

On constate donc un farouche enthousiasme des consommateurs envers lesarchitectures ouvertes Les utilisateurs votent en faveur de la maximisation de lavaleur du reacuteseau lui-mecircme et les entreprises doivent elles aussi suivre le mouve-ment Comme lrsquoaffirme le consultant John Hagel lrsquoobjectif essentiel drsquoune organi-sation dans un monde en reacuteseau ne consiste pas agrave maximiser la valorisation delrsquoentreprise en question mais agrave maximiser la valeur de lrsquoinfrastructure tout entiegravereAinsi par exemple les entreprises de jeux consacrent autant drsquoeacutenergie agrave promou-voir la plate-forme (lrsquoenchevecirctrement des utilisateurs les deacuteveloppeurs les fabri-cants de hardware etc hellip) que le produit lui-mecircme Si leur reacuteseau ne se deacuteveloppepas elles meurent

Le reacuteseau est une usine du possible qui produit en seacuterie de nouvelles opportuni-teacutes Mais agrave moins que cette explosion ne soit exploiteacutee elle va noyer ceux qui nesont pas preacutepareacutes Ce que lrsquoindustrie informatique appelle laquo standards raquo repreacutesenteune tentative drsquoapprivoiser la fragilisante abondance drsquoalternatives en concur-rence potentielle Les standards renforcent un reacuteseau et les contraintes qursquoilsimposent viennent stabiliser la voie ce qui permet une acceacuteleacuteration du rythme desinnovations et des eacutevolutions Ce besoin de les reacuteduire est si vital que les organisa-tions doivent faire drsquoun standard commun leur toute premiegravere alleacutegeance Cellesqui se positionnent agrave lrsquoentreacutee drsquoun standard sont celles qui recueilleront les plusgros beacuteneacutefices Mais quand une entreprise prospegravere la prospeacuteriteacute touche aussi ceuxqui se trouvent dans son reacuteseauhellip

Un reacuteseau preacutesente une analogie avec un pays dans les deux cas le moyen le plussucircr pour augmenter sa propre prospeacuteriteacute consiste agrave augmenter celle de lrsquoensemble Lrsquoegravereindustrielle nous a drsquoailleurs bien montreacute une chose crsquoest que la prospeacuteriteacute agrave laquelleparviennent les individus est plus eacutetroitement lieacutee agrave la prospeacuteriteacute de la nation qursquoagrave leurspropres efforts

Mais si le reacuteseau srsquoapparente agrave un pays il srsquoen distingue par trois diffeacuterencesimportantes

1- Il nrsquoy existe aucune frontiegravere drsquoordre spatial ou temporel les liaisons srsquoeacutetablissant24 heures sur 24 7 jours sur 7 et 365 jours par an

2- Les relations y sont plus eacutetroitement coupleacutees plus intenses plus continues etpar bien des aspects plus intimes que celles qui se deacuteveloppent dans un pays

3- Il existe de multiples recouvrements des reacuteseaux et de multiples recouvrementsdrsquoalleacutegeances

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Mais en tout eacutetat de cause quel que soit le reacuteseau la regravegle est la mecircme pour connaicirc-tre une prospeacuteriteacute maximale commencez par nourrir la toile

9 La Loi de la Reacutegression

Lacircchez prise au sommet

Les caracteacuteristiques drsquointerconnexion de toute eacuteconomie lrsquoamegravenent agrave se comporterde faccedilon eacutecologique et crsquoest tout particuliegraverement le cas de lrsquoEacuteconomie des Reacuteseauxqui est ultra-connecteacutee Le sort drsquoune organisation ne deacutepend pas entiegraverement de sespropres meacuterites il est eacutegalement lieacute au destin de son voisinage de ses allieacutes de ses con-currents et bien sucircr de son environnement immeacutediat

Dans la nature il existe certains biotopes qui nrsquooffrent que peu drsquoopportuniteacutes au deacuteve-loppement de la vie Dans lrsquoArctique il nrsquoy a que quelques modes de vie et une espegravece adonc inteacuterecirct agrave adopter lrsquoun drsquoentre eux Drsquoautres biotopes foisonnent au contrairedrsquoopportuniteacutes en perpeacutetuel renouvellement qui apparaissent et disparaissent dans letemps biologique au greacute des luttes des espegraveces pour leur adaptation agrave leur environnement

De par sa forme luxuriante interactive et extrecircmement plastique lrsquoEacuteconomie desReacuteseaux ressemble agrave un biotope en effervescence De nouvelles niches se manifestentconstamment et srsquoeacutevanouissent aussi vite qursquoelles sont apparues les concurrentsbourgeonnent sous vos pieds et vous avalent tout net vous ecirctes un jour le roi drsquounemontagne qui le lendemain nrsquoexistera mecircme plus

Les biologistes verraient dans cette lutte meneacutee par un organisme pour srsquoadapter agraveson biotope comme la longue ascension drsquoune montagne une altitude plus eacuteleveacutee cor-respondant agrave une meilleure adaptation Crsquoest donc quand il se trouve au sommet quelrsquoorganisme en question atteint une adaptation plus grande Il est facile drsquoimaginer lasituation si au lieu drsquoun organisme on a affaire agrave une entreprise celle-ci deacuteploie tousses efforts pour gravir la montagne crsquoest-agrave-dire pour faire eacutevoluer son produit de faccedilonqursquoil parvienne au sommet autrement dit qursquoil soit le plus adapteacute possible agrave lrsquoenviron-nement des consommateurs

Qursquoelles aient ou non un but lucratif les organisations se trouvent toutes confron-teacutees agrave deux problegravemes quand elles cherchent agrave atteindre leur forme optimale Ces deuxproblegravemes sont amplifieacutes par lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux dans laquelle la turbulenceconstitue la norme

Premiegraverement agrave la diffeacuterence de lrsquoenvironnement relativement simple de lrsquoegravereindustrielle ougrave lrsquoon avait une vision assez claire de ce agrave quoi pouvait ressembler un pro-duit optimal et de lrsquoendroit ougrave une entreprise devait se positionner sur un horizon eacutevo-

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luant lentement il est de plus en plus difficile dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux dediscerner quelles sont les collines les plus hautes et quels sont les sommets factices

Grande ou petite une entreprise peut se trouver confronteacutee agrave ce problegraveme Il nrsquoestpas eacutevident de savoir si lrsquoon doit tout mettre en œuvre pour devenir le meilleur fabri-cant mondial de disques durs alors que la montagne soutenant le sommet viseacute risquede ne plus exister quelques anneacutees plus tard Une organisation peut donc tregraves biendeacuteployer des efforts insenseacutes pour devenir lrsquoexpert de reacutefeacuterence drsquoune technologie quisrsquoavegraverera ulteacuterieurement ecirctre une impasse pour deacutecrire pareille situation les biologis-tes eacutevoqueraient lrsquoorganisme coinceacute sur un sommet tregraves localiseacute

Ce qui est cruel dans la nouvelle eacuteconomie crsquoest qursquoon est certain drsquoecirctre coinceacute agrave lamaniegravere de cet organisme Tocirct ou tard et plutocirct tocirct que tard un produit se trouve for-ceacutement eacuteclipseacute alors qursquoil se trouve agrave lrsquoapogeacutee car tandis qursquoil est au sommet un autreproduit va deacuteplacer la montagne en changeant les regravegles

Pour eacutechapper agrave cette situation lrsquoorganisme ne dispose que drsquoune seule solution reacutegres-ser Autrement dit srsquoil veut passer drsquoun sommet drsquoaltitude agrave un autre il lui faut drsquoabord des-cendre traverser une valleacutee puis entreprendre lrsquoascension drsquoune autre montagne il fautdonc qursquoil devienne moins adapteacute moins en forme bref moins optimal

Cela nous amegravene agrave lrsquoautre problegraveme Tout comme les ecirctres humains les organisationssont cacircbleacutees pour optimiser ce qursquoelles savent faire et non pour gaspiller leur succegraves Etdonc les entreprises considegraverent que le fait de reacutegresser est primo impensable secundoimpossible Il nrsquoy a tout bonnement dans lrsquoentreprise pas de place pour le concept delaquo lacirccher prise raquo et agrave plus forte raison pour avoir la compeacutetence pour lacirccher prise sur quel-que chose qui marche Crsquoest donc en traicircnant les pieds qursquoelles descendent vers le chaos

Et effectivement crsquoest chaotique et dangereux agrave plus faible altitude car quand on estmoins adaptable on est plus proche de lrsquoextinction Dans ces conditions la deacutecouvertedu sommet suivant devient tout agrave coup une question de vie ou de mort Mais que lrsquoonsache il nrsquoexiste pas drsquoautre solution que de laisser derriegravere soi des produits parfaitsune technologie dont la mise au point a repreacutesenteacute des coucircts importants et des mar-ques magnifiques pour descendre vers les problegravemes afin de remonter ailleurs Il srsquoagitlagrave drsquoune marche forceacutee qui agrave lrsquoavenir deviendra une routine

Du fait de la nature biologique de cette egravere nouvelle la soudaine deacutesinteacutegration dedomaines bien eacutetablis est aussi certaine que la survenue soudaine de nouveauteacute Il nepeut donc y avoir expertise dans lrsquoinnovation srsquoil nrsquoy a aussi expertise dans la deacutemoli-tion de ce qui est installeacute

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux une qualiteacute sera inestimable la capaciteacute agrave abandon-ner un produit une profession ou un domaine drsquoactiviteacute alors qursquoils sont agrave leur apogeacuteeLacircchez prise au sommet

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10 La Loi de la Substitution

Crsquoest le reacuteseau qui est gagnant

Nombreux sont les observateurs qui ont noteacute que dans notre eacuteconomie les mateacute-riaux eacutetaient progressivement supplanteacutes par lrsquoinformation Ainsi par exemple lepoids des voitures est nettement plus faible qursquoautrefois alors que les performances sesont ameacutelioreacutees Les veacutehicules ne comportent plus un certain nombre de mateacuteriauxqui ont eacuteteacute remplaceacutes par un savoir-faire technologique dont le poids est voisin de zeacuterosous forme de plastiques et de fibres composites Ce remplacement drsquoune masse par desbits va se poursuivre dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux

Alors que dans le passeacute la dynamique exceptionnelle de lrsquoindustrie du software et delrsquoordinateur (rendements croissants pratique de la gratuiteacute etc) eacutetait consideacutereacuteecomme un cas agrave part dans lrsquoeacuteconomie plus eacutetendue et plus laquo reacuteelle raquo de lrsquoacier dupeacutetrole de lrsquoautomobile ou de lrsquoagriculture la dynamique des reacuteseaux continuera agraveremplacer lrsquoancienne dynamique jusqursquoagrave ce que le comportement en reacuteseau soit celuide lrsquoeacuteconomie tout entiegravere

Prenons par exemple la nouvelle logique automobile telle qursquoelle a eacuteteacute souligneacutee parun visionnaire Amory Lovins La voiture est veacuteritablement lrsquoarcheacutetype du produit delrsquoegravere industrielle et pourtant cette derniegravere peut ecirctre supplanteacutee par les puces et lesreacuteseaux mecircme dans le secteur automobile La plus grande partie de lrsquoeacutenergie consom-meacutee lors drsquoun voyage est utiliseacutee pour deacuteplacer non le passager mais le veacutehicule Doncsi lrsquoon parvient agrave diminuer la taille du moteur et de la carrosserie une voiture aurabesoin drsquoune puissance moindre autrement dit on pourra faire des moteurs encoreplus petits et donc un modegravele encore plus petit lui aussi et ainsi de suite selon lamecircme courbe descendante de valeur composeacutee qursquoont suivie les microprocesseursDans ce processus le rocircle de lrsquoacier se trouve reacuteduit par des mateacuteriaux intelligents dontlrsquoinvention et la production exigent des compeacutetences de plus en plus grandes

Agrave Detroit et au Japon on a construit des concept cars en fibres composites ultra-leacutegegraveres ces voitures pegravesent environ 450 kg et sont eacutequipeacutees drsquoun moteur hybride carburant pluseacutelectriciteacute Les puces en reacuteseau y ont remplaceacute les masses du radiateur de lrsquoessieu et delrsquoarbre de transmission De la mecircme faccedilon que le freinage est rendu plus sucircr par lrsquoincor-poration de puces lrsquoautomobiliste dispose drsquoune plus grande seacutecuriteacute gracircce agrave lrsquointelli-gence en reacuteseau connecteacutee par fils un choc accroicirct lrsquointelligence de multiples airbagsun peu analogues agrave un emballage pelliculeacute dont les bulles seraient intelligentes

Lrsquoeffet cumuleacute de ce remplacement de mateacuteriaux par du savoir se traduit dans unelaquo hyper-voiture raquo qui sera nettement plus sucircre qursquoun veacutehicule actuel et pourra de sur-croicirct traverser les Eacutetats-Unis drsquoun oceacutean agrave lrsquoautre avec un seul plein de carburant

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Aujourdrsquohui deacutejagrave une voiture lambda dispose drsquoune puissance informatique supeacute-rieure agrave celle drsquoun PC basique de bureau Mais indique Lovins ce que promet lrsquolaquo hyper-voiture raquo ce nrsquoest pas des roues comportant de nombreuses puces crsquoest au contraire unepuce avec des roues Une voiture peut se consideacuterer comme destineacutee agrave devenir unmodule eacutelectronique se conduisant sur un systegraveme routier qui repreacutesentera de plus enplus un reacuteseau eacutelectronique deacutecentraliseacute obeacuteissant aux lois de lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux

Une fois que lrsquoon considegravere lrsquoautomobile comme des puces monteacutees sur roues il estnettement plus facile drsquoimaginer que les avions sont des puces pourvues drsquoailes lesexploitations agricoles des puces entoureacutees de terre les habitations des puces environ-neacutees drsquooccupants Certes ces diffeacuterents objets repreacutesenteront encore une masse maiscelle-ci sera soumise agrave la domination du savoir et des informations qui y passeront enabondance en termes eacuteconomiques ils se comporteront comme si leur masse eacutetaitreacuteduite agrave zeacutero et donc ils migreront vers lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux

Nicholas Negroponte surnommeacute laquo Atoms-to-Bits raquo estime que cette eacuteconomieatteindra un billion de dollars en lrsquoan 2000 Ce que cette eacutevaluation ne prend pas encompte crsquoest lrsquoeacutechelle du monde eacuteconomique qui eacutevolue vers Internet ce formidablereacuteseau drsquoobjets interconnecteacutes dans la mesure ougrave lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux infiltre lesautomobiles aussi bien que leur circulation lrsquoacier aussi bien que le bleacute Mecircme si toutesles voitures ne se vendent pas on-line pour lrsquoinstant la faccedilon dont les veacutehicules sontconccedilus produits et utiliseacutes deacutependra de la logique du reacuteseau et du pouvoir des puces

Quelle sera lrsquoampleur du commerce on-line Cette question sera de moins en moinspertinente au fil du temps dans la mesure ougrave quelle que soit sa nature le commerceest en train de srsquoengouffrer dans lrsquoInternet Les distinctions entre lrsquoEacuteconomie desReacuteseaux et lrsquoeacuteconomie industrielle vont srsquoestomper pour aller vers la diffeacuterence exis-tant entre lrsquoanimeacute et lrsquoinerte Si lrsquoargent et lrsquoinformation circulent agrave travers quelquechose ce quelque chose fait partie de lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux crsquoest le reacuteseau qui est gagnant Toutes les transactionset tous les objets tendent agrave obeacuteir agrave sa logique

11 La Loi du Brassage

Recherchez le deacuteseacutequilibre permanent

Dans la logique industrielle lrsquoeacuteconomie eacutetait une machine qui devait ecirctre gonfleacuteepour donner une efficaciteacute optimale et qui une fois preacuteciseacutement reacutegleacutee srsquoentretenaitdans une harmonie productive Il srsquoagissait donc de proteacuteger et chouchouter les entre-

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prises et industries particuliegraverement geacuteneacuteratrices de travail ou de marchandisescomme srsquoil srsquoagissait de montres de prix dans une vitrine

Les reacuteseaux ayant infiltreacute notre monde lrsquoeacuteconomie en est venue agrave ressembler agrave un eacuteco-systegraveme drsquoorganismes interconnecteacutes et eacutevoluant conjointement en perpeacutetuel change-ment profondeacutement enchevecirctreacutes et en continuelle expansion De reacutecentes eacutetudes nousont appris que lrsquoeacutequilibre nrsquoexiste pas dans la nature au fur et agrave mesure des progregraves delrsquoeacutevolution il se produit de perpeacutetuelles ruptures agrave mesure que de nouvelles espegraveces enremplacent drsquoautres plus anciennes que des biotopes modifient leur organisation queles organismes et environnements se transforment Il en va de mecircme pour le reacuteseau lesentreprises naissent et meurent rapidement les meacutetiers sont des patchworks de voca-tions les industries sont des groupements indeacutefinis drsquoentreprises fluctuantes

Le changement nrsquoest pas eacutetranger agrave lrsquoeacuteconomie industrielle ou agrave lrsquoeacuteconomieembryonnaire de lrsquoinformation En 1970 Alvin Toffler parlait de laquo choc du futur raquopour deacutesigner la mecircme reacuteaction de lrsquohomme agrave des changements allant srsquoacceacuteleacuterantMais lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux est passeacutee du changement au brassage

Mecircme sous sa forme toxique le changement se deacutefinit par une diffeacuterence rapide Lebrassage quant agrave lui srsquoapparente plus agrave la diviniteacute hindoue Ccediliva force agrave la fois de des-truction et de creacuteation En effet il renverse ceux qui sont en place et creacutee une plate-forme ideacuteale pour favoriser lrsquoinnovation et la naissance crsquoest une laquo renaissancedeacutemultiplieacutee raquo Et cette genegravese plane sur le bord du chaos

Donald Hicks de lrsquoUniversiteacute du Texas a eacutetudieacute la demi-vie des entreprises de cetEacutetat pendant ces 22 derniegraveres anneacutees Il a constateacute que la longeacuteviteacute de ces organisationsa baisseacute de moitieacute depuis 1970 ccedila crsquoest du changement Mais en mecircme temps Austinla ville du Texas ougrave lrsquoespeacuterance de vie des nouvelles entreprises est la plus faible estaussi celle ougrave la croissance du nombre des emplois est la plus forte et ougrave les salaires sontles plus eacuteleveacutes ccedila crsquoest du brassage

laquo La tregraves grande majoriteacute des entreprises et des emplois qui donneront du travailaux Texans en 2026 ou mecircme en 2006 nrsquoexiste pas encore raquo a indiqueacute Hicks agrave sessponsors texans Pour produire 3 millions drsquoemplois agrave lrsquohorizon 2020 il faut en creacuteer15 millions du fait du brassage Sous la plume de Jerry Useem un magazine destineacuteaux petites entreprises Inc a preacutesenteacute les reacutesultats de ces travaux On y lit notam-ment la recommandation suivante de Donald Hicks laquo Au lieu de consideacutererlrsquoemploi comme une somme fixe qursquoil faut proteacuteger et augmenter lrsquoEacutetat ferait mieuxdrsquoencourager le brassage afin drsquoaboutir agrave une re-creacuteation perpeacutetuelle de lrsquoeacuteconomiedu Texas raquo Autrement dit la stabiliteacute agrave long terme ne peut naicirctre que du brassage quelle ironie

Cette notion drsquoeacutevolution continue est familiegravere aux eacutecologistes et aux personnes quigegraverent des reacuteseaux de grande ampleur Un reacuteseau complexe ne peut conserver sa vita-

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liteacute qursquoen provoquant son propre deacuteseacutequilibre si le systegraveme srsquoinstalle dans lrsquoeacutequilibreet lrsquoharmonie il va finir par stagner puis mourir

Lrsquoinnovation srsquoanalyse comme une rupture et lrsquoinnovation constante est une rup-ture constante Le maintien drsquoun perpeacutetuel deacuteseacutequilibre semble effectivement ecirctrelrsquoobjectif des reacuteseaux bien constitueacutes LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux commence agrave fairelrsquoobjet drsquoeacutetudes de la part drsquoun certain nombre drsquoeacuteconomistes parmi lesquels PaulRomer et Brian Arthur ils constatent par ailleurs que cette eacuteconomie fonctionne en setenant en bordure drsquoun chaos incessant Et crsquoest dans ce brassage chaotique que se trou-vent les forces de vie le renouveau et la croissance

La diffeacuterence entre le chaos et la bordure du chaos est extrecircmement subtile Enrecherchant une situation de deacuteseacutequilibre persistant tout en restant innovant AppleComputer peut srsquoecirctre un peu trop pencheacute du cocircteacute du deacuteseacutequilibre et srsquoeacuteteindre Ou sila chance est avec lui apregraves une laquo near-death experience raquo couronnant la reacutegression ilpeut se remettre en route pour une nouvelle montagne agrave escalader

Le cocircteacute obscur du brassage crsquoest que la nouvelle eacuteconomie repose sur la disparitionconstante drsquoentreprises individuelles qui sont deacutepasseacutees ou meacutetamorphoseacutees en entre-prises toujours nouvelles dans de nouveaux domaines drsquoactiviteacute Les industries etlrsquoemploi sont eux aussi sujets agrave ce brassage on va vers une succession rapide de chan-gements de postes lrsquoemploi agrave vie nrsquoexistant plus a fortiori Les carriegraveres si lrsquoon peutencore utiliser le terme en lrsquooccurrence vont ressembler de plus en plus agrave des reacuteseauxdrsquoengagements multiples et simultaneacutes avec une rotation continue de nouvelles com-peacutetences et de rocircles deacutepasseacutes

La turbulence et lrsquoincertitude sont des caracteacuteristiques des reacuteseaux La perspectivedrsquoune deacutemolition constante de ce qui marchait bien fait que le choc du futur va sem-bler bien plat Certes nous accepterons le deacutefi de deacutefaire ce qui repreacutesentait des reacuteussi-tes bien eacutetablies mais en mecircme temps nous trouvons eacutepuisant cette productionpermanente de choses nouvelles LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux est si precircte agrave geacuteneacuterer de lanouveauteacute spontaneacutee que cette mareacutee naissante peut srsquoanalyser comme un certaintype de violence

Neacuteanmoins dans cette peacuteriode de brassage agrave venir on va assister agrave la chute des titansde lrsquoegravere industrielle LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux a en effet pour tacircche premiegravere la destruc-tion au sens poeacutetique du terme de cette eacuteconomie industrielle entreprise par entre-prise et secteur par secteur Et en deacutefaisant ainsi une industrie agrave son apogeacutee elle tisseune toile plus grande de nouvelles organisations plus agiles et plus eacutetroitement lieacutees

Ce sera tout un art de parvenir agrave un brassage efficace En tout eacutetat de cause les ten-tatives visant agrave favoriser la stabiliteacute agrave deacutefendre la productiviteacute et agrave proteacuteger la reacuteussitesrsquoapparentent agrave de lrsquoacharnement theacuterapeutique Dans le doute il vaut mieux opterpour le brassage Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux recherchez le deacuteseacutequilibre permanent

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12 La loi de lrsquoInefficaciteacute

Ne reacutesolvez pas les problegravemes

En deacutefinitive que nous apporte lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux

Les eacuteconomistes ont penseacute pendant un certain temps que lrsquoegravere qui srsquoannonccedilaitapporterait une productiviteacute extrecircme Mais paradoxalement le poids de plus en plusfort de la technologie ne srsquoest pas traduit par des augmentations quantifiables de la pro-ductiviteacute

Parce que la productiviteacute crsquoest preacuteciseacutement le sujet dont il ne faut pas se soucier Ilnrsquoy a que les robots qui devraient se preacuteoccuper de productiviteacute Et en fait les seulsdomaines dans lesquels on a effectivement constateacute une augmentation de la produc-tiviteacute ont eacuteteacute les industries de transformation ameacutericaines et japonaises qui ont enre-gistreacute une croissance annuelle drsquoenviron 3 agrave 5 pendant toutes les anneacutees 1980 etjusqursquoau deacutebut des anneacutees 1990 Il srsquoagit preacuteciseacutement des secteurs dans lesquels il estsouhaitable drsquoobserver une croissance de la productiviteacute En revanche on ne constatepas de gains de productiviteacute dans le secteur tertiaire expression regroupant des activi-teacutes tregraves diverses Mais pourquoi donc les services devraient-ils se montrer productifs Lrsquoentreprise cineacutematographique drsquoHollywood qui produit des films plus longs par dol-lar investi est-elle plus productive que celle dont les films sont plus courts

Le problegraveme de la productiviteacute crsquoest que quand on essaie de la quantifier on nemesure que la faccedilon dont des personnes compeacutetentes peuvent srsquoacquitter de tacircchesinapproprieacutees En fait on devrait sans doute eacuteliminer tous les postes susceptibles drsquoecirctreainsi mesureacutes

Peter Drucker a noteacute que dans lrsquoegravere industrielle la tacircche de chacun consistait agrave trou-ver comment il pouvait mieux faire son travail et ccedila crsquoest de la productiviteacute Maisdans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux ougrave ce sont des machines qui font la plus grosse partie dutravail inhumain de fabrication les choses sont diffeacuterentes la question agrave se poser nrsquoestpas laquo Comment faire ce travail correctement raquo mais laquo Quel est le travail le plusapproprieacute que je pourrais faire raquo Dans lrsquoegravere qui se profile le fait de faire la chose exac-tement approprieacutee sera nettement plus laquo productif raquo que lrsquoeffort de mieux faire lamecircme chose que preacuteceacutedemment Mais comment quantifier facilement cet eacutelan vitalvers lrsquoexploration et la deacutecouverte que les repegraveres de productiviteacute ne perccediloivent pas

Crsquoest en perdant du temps et en eacutetant incompeacutetent que lrsquoon arrive agrave deacutecouvrir deschoses Si la Toile est exploiteacutee par de jeunes gens de 20 ans crsquoest parce qursquoils peuventse permettre de gaspiller les 50 heures neacutecessaires pour acqueacuterir des compeacutetences dansson exploration Les quadrageacutenaires nrsquoarrivent pas agrave partir en vacances sans se deman-der comment ils vont justifier que leur voyage a eacuteteacute productif drsquoune maniegravere ou drsquoune

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autre mais les jeunes eux peuvent suivre leurs intuitions et creacuteer des nouveauteacutesapparemment stupides sur la Toile sans se preacuteoccuper de ce qursquoils font en termes drsquoeffi-caciteacute ou drsquoinefficaciteacute Et crsquoest par ces bidouillages que passe lrsquoavenir

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux ce nrsquoest pas la productiviteacute qui repreacutesente le gouletdrsquoeacutetranglement notre capaciteacute agrave reacutesoudre les problegravemes eacuteconomiques et sociaux seratoujours limiteacutee par notre manque drsquoimagination qui nous conduit agrave systeacutematique-ment tenter drsquooptimiser les solutions alors qursquoil faut saisir les opportuniteacutes laquo Ne reacutesol-vez pas les problegravemes cherchez des opportuniteacutes raquo disait Peter Drucker dans unephrase reacutecemment reprise par George Gilder Quand on reacutesoud des problegravemes oninvestit dans ses propres faiblesses quand on recherche des opportuniteacutes on comptesur le reacuteseau Et ce qui est formidable avec lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux crsquoest qursquoelle solliciteles points forts de lrsquohomme La reacutepeacutetition les suites les copies et lrsquoautomation tendenttoutes vers la gratuiteacute alors que lrsquoinnovateur lrsquooriginal et lrsquoimaginatif augmententconsideacuterablement la valeur

Au deacutebut nos esprits seront ligoteacutes par les anciennes regravegles de la croissance eacutecono-mique et de la productiviteacute lrsquoeacutecoute du reacuteseau peut deacutefaire ces liens Dans lrsquoEacuteconomiedes Reacuteseaux ne reacutesolvez pas les problegravemes cherchez les opportuniteacutes

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Y-a-t-il une nouvelle eacuteconomie

Alan GREENSPAN1

4 septembre 1998

Question y a-t-il une nouvelle eacuteconomie

La question qui mrsquoest poseacutee pour cette confeacuterence de savoir srsquoil y a une nouvelle eacuteco-nomie va au-delagrave de cette reacuteponse drsquoeacutevidence bien eacutevidemment notre eacuteconomiechange jour apregraves jour et en ce sens elle est toujours laquo nouvelle raquo Mais la questionsous-jacente consiste agrave se demander sil y a une modification profonde et fondamen-tale dans le fonctionnement de leacuteconomie qui creacutee une rupture par rapport au passeacuteet promette une trajectoire plus eacuteleveacutee pour la croissance que celle que nous avons con-nue pendant les deacutecennies preacuteceacutedentes

La question a eacuteteacute souleveacutee agrave la suite des performances eacuteconomiques des Eacutetats-Unisau cours de ces 5 derniegraveres anneacutees qui agrave certains eacutegards nont pas connu de preacuteceacutedentIl est pour le moins inhabituel que linflation connaisse pareille chute dans une peacuteriodedexpansion ce qui va agrave lencontre des theacuteories traditionnelles fondeacutees sur des modegraveleshistoriques

Bien des deacuteseacutequilibres qui ont eacuteteacute observeacutes dans le passeacute sur les rares peacuteriodes quiont connu une expansion eacuteconomique de plus de sept anneacutees sont largement absentsaujourdrsquohui Crsquoest sucircr le marcheacute du travail est inhabituellement tendu et nous devonsrester vigilants par rapport aux pressions qui srsquoexercent sur ce marcheacute et risquent dedeacuteborder sur les coucircts et les prix Mais jusqursquoagrave maintenant il nrsquoen a rien eacuteteacute

En outre il est tout agrave fait vain dimaginer que les Eacutetats-Unis puissent rester une oasisde prospeacuteriteacute qui ne serait pas affecteacutee par un monde qui subit un stress de plus en plusaccentueacute Les deacuteveloppements agrave leacutetranger ont contribueacute agrave maintenir les prix et lademande globale aux Eacutetats-Unis agrave un bas niveau face agrave une forte deacutepense inteacuterieureLes bouleversements exteacuterieurs sintensifiant et se reacutepercutant sur nos marcheacutes finan-ciers la contrainte est susceptible decirctre plus vive Au printemps et au deacutebut de leacuteteacute le

1ALAN GREENSPAN est le preacutesident du Board of Governors de la Reacuteserve Feacutedeacuterale des Eacutetats-Unis Cetarticle est la traduction du texte de la confeacuterence donneacutee par ALAN GREENSPAN le 4 septembre 1998 agravelrsquooccasion du Haas Business Faculty Research Dialogue agrave lrsquoUniversiteacute de Californie agrave Berkeley Le texteoriginal sous le titre laquoQuestion Is There a New Economyraquo est publieacute sur le site de la Reacuteserve Feacutedeacuteraleameacutericaine (httpbogfrbfedusboarddocsspeeches199819980904htm)

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Federal Open Market Committee sest inquieacuteteacute de ce que la principale menace risquantdaffecter lexpansion continue de leacuteconomie eacutetait une hausse de linflation Lors de lareacuteunion du mois daoucirct les risques seacutetaient eacutequilibreacutes le Comiteacute devra donc en exa-miner soigneusement les ramifications potentielles sur une plus longue dureacutee

Certains de ceux qui procircnent une laquo nouvelle eacuteconomie raquo attribuent geacuteneacuteralementcelle-ci aux innovations technologiques et aux avanceacutees radicales de la mondialisationqui accroissent la productiviteacute et geacutenegraverent une nouvelle capaciteacute de la demande et quien conseacutequence et sur une base plus durable ont retireacute aux producteurs mondiaux lepouvoir de faire les prix

Il est clair quil y a une part de veacuteriteacute dans cette proposition Ainsi par exemple auxEacutetats-Unis on constate manifestement du fait des eacutevolutions technologiques unebaisse dans les deacutelais drsquoapprovisionnement moyens pour lachat de nouveaux biensdrsquoeacutequipement qui a permis de maintenir agrave des niveaux modeacutereacutes la capaciteacute de produc-tion et a pratiquement eacutelimineacute la plupart des ruptures de stocks et goulets deacutetrangle-ment qui preacutevalaient dans les peacuteriodes de croissance eacuteconomique soutenue

Il y a eu sans aucun doute de profonds changements dans la maniegravere dont nous orga-nisons nos eacutequipements initions une politique de flux tendus et dont nous maillonsagrave ce processus notre systegraveme financier dune sophistication reacutecente et qui est sensibleau risque Toutefois il existe une importante objection agrave cette ideacutee que nous vivonsdans une nouvelle eacuteconomie elle concerne la psychologie humaine

Lenthousiasme et les craintes qui eacutetreignaient nos ancecirctres on les retrouve chez lesgeacuteneacuterations qui participent activement agrave leacuteconomie ameacutericaine aujourdhui Lesactions humaines senracinent toujours dans la preacutevision des conseacutequences de cesactions Quand le futur devient neacutebuleux les gens eacutevitent dagir et se deacutemettent de leursengagements anteacuterieurs Certes le degreacute daversion face au risque varie dune personneagrave lautre mais on ne trouve pas de diffeacuterences significatives dans le comportement desprix sur les marcheacutes actuels par rapport agrave ce qui se passait il y a un siegravecle ou plus La faccedilondont on eacutevalue les actifs dont les changements de ces valeurs affectent notre eacuteconomiene procegravede pas de regravegles diffeacuterentes de celles qui animaient nos ancecirctres

Donc lanccedilons une premiegravere pierre dans le jardin agrave la question laquo y a-t-il une nou-velle eacuteconomie raquo la reacuteponse dans un sens plus profond est non Aussi perfectionneacuteesoit-elle notre eacuteconomie est essentiellement mue comme par le passeacute par la faccedilondont la psychologie faccedilonne le systegraveme de valeurs qui est le moteur dune eacuteconomie demarcheacute compeacutetitive Or ce processus est inextricablement lieacute agrave la nature humaine quieacutetant par essence immuable ancre lavenir au passeacute

Ceci poseacute dimportants changements technologiques ont vu le jour ces derniegraveresanneacutees la faccedilon dont nous organisons la production commerccedilons entre pays et assu-rons de la valeur aux consommateurs sen trouve consideacuterablement modifieacutee

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Pour examiner la signification de ces changements et leur inteacuterecirct dans une eacuteven-tuelle laquo nouvelle eacuteconomie raquo il nous faut en premier lieu deacutetailler certaines caracteacuteris-tiques clefs de notre systegraveme

Comme toutes celles des pays capitalistes deacuteveloppeacutes leacuteconomie ameacutericaine setrouve dans un processus continuel de laquo destruction creacuteatrice raquo pour reprendre uneexpression quutilisa Joseph Schumpeter il y a un certain nombre de deacutecennies Lesbiens deacutequipement les proceacutedeacutes de fabrication les infrastructures des marcheacutes finan-ciers et du travail et toute la panoplie des eacutetablissements priveacutes qui constituent uneeacuteconomie de marcheacute sont en permanence dans un eacutetat de mutation qui dans prati-quement tous les cas eacutevolue vers une meilleure efficaciteacute

Avec juste un peu drsquoexageacuteration on peut voir les actifs mdash cest-agrave-dire les usines et leseacutequipements qui permettent la production des marchandises et des services mdash commecontinuellement deacutemolis et reconstruits

Nos actifs et le niveau de compeacutetence de notre main-drsquoœuvre sont effectivementremis agrave niveau agrave mesure que la concurrence presse les dirigeants dentreprise de trouverdes moyens toujours plus innovants et efficaces pour reacutepondre aux attentes toujoursplus fortes des consommateurs en termes de quantiteacute de qualiteacute et de varieacuteteacute Au fildes geacuteneacuterations loffre et la demande se sont trouveacutees interagir dans un environne-ment concurrentiel pour porter toujours plus haut le niveau de vie En fait cest cemecircme processus qui eacutevoluant par agrave-coups caracteacuterise depuis le deacutebut de la reacutevolutionindustrielle notre eacuteconomie de marcheacute et celle dautres pays mais autrefois les con-ditions de vie changeaient extrecircmement peu dune geacuteneacuteration agrave lautre

Cette eacuteconomie de marcheacute qui sefforce daugmenter le niveau de vie est donclaquo nouvelle raquo mais il sagit lagrave dune tautologie

Au deacutebut du XIXe siegravecle les Eacutetats-Unis eacutetant une nation en cours de deacuteveloppementnotre pays a emprunteacute en abondance technologies et fonds pour pouvoir mettre lepied agrave lrsquoeacutetrier de la croissance Mais au cours des cent ans qui viennent de seacutecoulerlAmeacuterique sest hisseacutee agrave lavant-garde de la technologie

Il ne fait pas de doute que les eacuteveacutenements modifient en permanence le profil et lanature de nos processus eacuteconomiques les progregraves technologiques jouent un tregravesgrand rocircle en loccurrence et peut-ecirctre mecircme tout reacutecemment ont-ils acceacuteleacutereacute lerythme de conceptualisation de notre PIB Ainsi par exemple nous avons consideacutera-blement reacuteduit la taille de nos appareils de radio en substituant des transistors auxtubes agrave vide de mecircme les cacircbles de fibres optiques qui sont minces ont remplaceacute destonnages consideacuterables de fil de cuivre Les nouvelles technologies en matiegravere darchi-tecture dingeacutenierie et de mateacuteriaux ont permis la construction dimmeubles qui parrapport agrave ceux qui seacutedifiaient il y a 50 ou 100 ans et agrave espace comparable se reacutealisentavec nettement moins de matiegravere De mecircme tregraves reacutecemment la taille des teacuteleacutephones

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mobiles a eacuteteacute notablement reacuteduite Ces eacutevolutions ont pour conseacutequence que le poidsphysique de notre PIB naugmente que tregraves lentement Lexploitation des nouveauxconcepts explique pratiquement toute la croissance de la production corrigeacutee delinflation

On ne peut faire que des conjectures sur la cause de cette spectaculaire eacutevolution versune reacuteduction de taille Peut-ecirctre les limitations spatiales agrave laccumulation de biens etagrave leur deacuteplacement dans un environnement geacuteographique de plus en plus encombreacutese sont-elles traduites par des pressions sur les coucircts destineacutees agrave obtenir une taille et unencombrement moindres Peut-ecirctre aussi la perspective de coucircts accrus de traitementde quantiteacutes toujours plus grandes de ressources physiques a-t-elle ameneacute les produc-teurs agrave sorienter vers des produits plus petits Rappelons-nous que il y a moins de30 ans le Club de Rome publiait une mise en garde tregraves pessimiste sur le risque darriveragrave un eacutepuisement des ressources physiques que lon preacutetendait neacutecessaires au maintiende notre niveau de vie Finalement comme on a repousseacute les frontiegraveres technologiqueset fait pression pour obtenir une acceacuteleacuteration du traitement de linformation on a eucomme reacutesultat des puces de plus en plus compactes par exemple

Mais il y a une chose qui a toujours eacuteteacute vraie dans le passeacute et qui le restera agrave lavenircest que la production dune eacuteconomie de marcheacute et la notion de creacuteation de richessesreflegravetent les systegravemes de valeur des hommes Le concept mecircme de richesse na pasdautre signification Le bleacute ou une machine ou encore un logiciel nont pas de valeurintrinsegraveque si ces produits sont valoriseacutes cest tout simplement parce quils satisfontactuellement les besoins de lhomme ou que lon considegravere quils seront capables de lefaire agrave lavenir Et ce sont ces preacutefeacuterences de valeur qui en sexprimant dans les signauxclefs du marcheacute que sont les prix des produits et des actifs informent les producteurssur ce qui a de la valeur et qui pourrait ecirctre profitable compte tenu de la technologieexistante

Pour en revenir aux bases la valeur dun eacutequipement de production quelqursquoil soitdeacutepend de la valeur perccedilue des biens et services que cet eacutequipement est destineacute agrave pro-duire On peut de faccedilon plus formelle consideacuterer que sa valeur actuelle est la sommede la valeur escompteacutee de toutes les productions agrave venir nette des coucircts

Agrave capaciteacute de production identique des eacutequipements peuvent avoir diffeacuterentesvaleurs de marcheacute en fonction de la confiance accordeacutee par les investisseurs agrave la capa-citeacute de lentreprise agrave percevoir et reacuteagir agrave son environnement futur de production Pre-nons lexemple dune acieacuterie ayant la capaciteacute immuable de produire de lacier entocircles sa valeur peut varier selon une tregraves large amplitude en fonction du niveau destaux dinteacuterecirct du taux global dinflation et dun certain nombre dautres facteursnayant aucun rapport avec les aspects techniques de la production dacier Ce quiimporte en loccurrence cest la faccedilon dont les investisseurs perccediloivent les marcheacutes surlesquels les tocircles sortant de cette usine doivent ecirctre eacutecouleacutees sur un certain nombre

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danneacutees Si le degreacute de confiance en lavenir est eacuteleveacute les valeurs escompteacutees serontelles aussi eacuteleveacutees de mecircme que les prix des titres qui bien entendu sont les creacuteancessur les actifs productifs

Les forces qui faccedilonnent ce degreacute de confiance sont dans une large mesure endogegrave-nes au processus eacuteconomique qui en geacuteneacuteral sautoreacutegule dans la mesure ougrave les con-sommateurs et les investisseurs interagissent avec un marcheacute en perpeacutetuelchangement

Je ne preacutetends pas ici que le comportement dun marcheacute constitue systeacutematique-ment une reacuteponse rationnelle agrave des changements dans le monde reacuteel mais cest biensouvent le cas Car sil en eacutetait autrement on ne constaterait pas cet environnementeacuteconomique relativement stable qui sest manifesteacute pendant des geacuteneacuterations dans lesplus grands pays industrialiseacutes

Il est certain que le degreacute de confiance que lrsquoon peut avoir dans les reacutesultats futursdeacutepend dans une large mesure de la stabiliteacute politique sous-jacente agrave tout pays ayantune eacuteconomie de marcheacute Si les acteurs de ce marcheacute ne sont pas assureacutes que leurs enga-gements et contrats futurs sont proteacutegeacutes par des regravegles de droit il ny aura pasdengagements les efforts de production se focaliseront seulement sur les impeacuteratifsde survie immeacutediate agrave court terme ce qui empecircchera tout effort de construction duneinfrastructure permettant de preacutevoir les besoins futurs

Une socieacuteteacute qui protegravege les aspirations agrave des actifs productifs agrave grande longeacuteviteacuteencourage donc agrave coup sucircr leur deacuteveloppement elle pousse les niveaux de productionagrave aller au-delagrave des besoins du moment correspondant agrave une consommation immeacute-diate car on sinteacuteressera beaucoup plus agrave la valorisation de la production future quesi on se trouve dans un contexte dinstabiliteacute politique et par exemple un environne-ment de faible reacuteglementation des contrats Quand on est arriveacute agrave ce niveau de seacutecuriteacutetous les eacuteleacutements permettant de bacirctir une eacuteconomie sophistiqueacutee fondeacutee sur des enga-gements agrave long terme sont en place ce sera une eacuteconomie qui eacutepargne et investitautrement dit confiante en lavenir et qui donc va croicirctre

Mais mecircme si le droit est extrecircmement vigilant quant au respect des contrats uneeacuteconomie de marcheacute compeacutetitive se trouve systeacutematiquement dans une situation dechangement continuel en conseacutequence la perception que lon a de sa productiviteacuteest toujours sujette agrave une incertitude plus ou moins grande qui est ineacutevitablement asso-cieacutee aux tentatives destineacutees agrave anticiper les reacutesultats futurs

Leacutetat geacuteneacuteral de confiance et la disposition des consommateurs et des investisseursagrave investir agrave long terme sont donc eacutetayeacutes par la perception de la stabiliteacute de la socieacuteteacute etde leacuteconomie mais lhistoire deacutemontre que ce degreacute de confiance est sujet agrave damplesvariations qui reacutesultent de la tregraves grande difficulteacute agrave former un jugement et donc agrave con-clure des engagements concernant lavenir Il arrive que ce soit preacuteciseacutement cette dif-

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ficulteacute qui megravene agrave des eacutevaluations moins meacutethodiques favorisant la volatiliteacute des prix elles encouragent aussi dans certains cas les bulles financiegraveres crsquoest-agrave-dire le gonfle-ment de la valeur des actifs qui repose davantage sur lespeacuterance que les autres paierontplus que sur un jugement bien informeacute sur leur valeur reacuteelle

Le comportement des eacuteconomies de marcheacute dans le monde entier ces derniegraveresanneacutees et tout particuliegraverement en Asie et aux Eacutetats-Unis a mis en eacutevidence combiences anticipations peuvent jouer un grand rocircle dans le deacuteveloppement reacuteel de leacutecono-mie Les eacuteconomistes parlent de coucirct dopportuniteacute pour deacutesigner le choix que les indi-vidus sont disposeacutes agrave faire en excluant la notion de risque entre la consommationactuelle et la consommation future Certains facteurs mesurables corrigent ensuite cetaux pour tenir compte des incertitudes qui assombrissent ineacutevitablement lavenir

Les bouleversements observeacutes soulignent agrave quel point lrsquoeacutevaluation humaine quandelle interagit avec les changements reacuteels de la production peut profondeacutement affecterlrsquoeacuteconomie comme les expeacuteriences en Asie lrsquoont amplement deacutemontreacute lrsquoanneacutee der-niegravere

Des cycles vicieux sont survenus en Asie du Sud-Est sans preacuteavis On a eu un tempslimpression que leacuteconomie se deacutebattait mais guegravere plus quauparavant et justeapregraves on a assisteacute agrave la chute libre des prix de marcheacute et de leacuteconomie

Lexpeacuterience que nous avons de ces cycles vicieux en Asie met en lumiegravere le rocircle clefque joue dans une eacuteconomie de marcheacute un attribut humain essentiel la confiancedans le fonctionnement du systegraveme Si nous nous engageons implicitement dans unedivision du travail cest parce que nous pensons que les autres produiront et serontprecircts agrave vendre les biens et services que nous ne produisons pas nous-mecircmes

Nous consideacuterons comme allant de soi que les contrats seront honoreacutes dans les affai-res parce que nous faisons confiance au droit et tout particuliegraverement au droit con-tractuel Mais si cette confiance seacutevaporait et que chaque contrat devait ecirctre porteacute enjustice le systegraveme de division du travail seacutecroulerait Et le point clef du cycle vicieuxqui en est peut-ecirctre la cause essentielle cest preacuteciseacutement le manque de confiance

Nous ne nous attendions pas agrave pareil effondrement en Asie et quant agrave moi jauraistendance agrave penser quil eacutetait pratiquement impossible de le preacutevoir en raison de lanature mecircme du processus Ce qui sest passeacute preacutesente une analogie avec de leau quiferait pression sur un barrage tout se preacutesente normalement jusquagrave ce quune fissureprovoque un deacuteluge

Cet effondrement sest bien sucircr reacutepercuteacute en premier lieu sur les engagements futursqui ont eacuteteacute boudeacutes Sans doute a-t-il eacuteteacute provoqueacute par le fait que les precircteurs interna-tionaux seacutetaient mis agrave douter de plus en plus quune croissance aussi spectaculairepuisse continuer agrave ecirctre entretenue chez les laquo tigres raquo asiatiques le cours des eacuteveacutene-

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ments a peut-ecirctre eacuteteacute preacutecipiteacute par leacutemergence au plan mondial dun excegraves de capaciteacutedes semi-conducteurs qui repreacutesentaient pour ces tigres de preacutecieux revenus En touteacutetat de cause la naissance et la monteacutee dincertitudes ont provoqueacute une forte augmen-tation de la deacutevalorisation des revenus futurs et en conseacutequence la chute des prix delimmobilier et de la Bourse Ce processus sest ensuite alimenteacute de lui-mecircme lesdeacutesengagements ont aggraveacute les perturbations et les incertitudes ce qui a augmenteacuteles primes de risque et les facteurs de deacutecote et provoqueacute une chute brutale de la pro-duction

Le pheacutenomegravene inverse autrement dit le cycle vertueux nrsquoest pas tout agrave fait symeacutetri-que En fait lexpansion eacuteconomique ameacutericaine actuelle se comprend tregraves bien dansun contexte drsquoanticipations favorables qui interagissent avec la production et lafinance pour entraicircner lexpansion de leacuteconomie et non son implosion

La stabiliteacute de leacuteconomie ameacutericaine au cours de ces 5 derniegraveres anneacutees a favoriseacuteune confiance accrue en lavenir ce qui a eu pour conseacutequence une actualisation de lavalorisation boursiegravere de linfrastructure productive de notre eacuteconomie qui a ajouteacutequelques trillions de dollars agrave la richesse nette des meacutenages entre le deacutebut de 1995 etle deuxiegraveme trimestre de cette anneacutee

Alors que la plus grande partie de ces gains augmentait les programmes de retraite etautres programmes deacutepargne une part non neacutegligeable a eacuteteacute consacreacutee agrave la consom-mation ce qui a abaisseacute de faccedilon significative la proportion des revenus que les meacutena-ges pensaient neacutecessaire deacutepargner et tout particuliegraverement ceux qui se situent dansles tranches les plus eacuteleveacutees

De surcroicirct plus eacutetait maintenu haut le niveau de valeur des actions plus il eacutetait vrai-semblable que les consommateurs considegraverent leurs gains en capital comme des increacute-ments permanents agrave leur valeur nette donc pouvant ecirctre deacutepenseacutes Cette reacutecentemanne a financeacute non seulement des deacutepenses de consommation personnelles pluseacuteleveacutees mais eacutegalement les achats immobiliers Il est difficile dexpliquer le niveaurecord que lon a constateacute sur les ventes de maisons sans faire reacutefeacuterence aux gains enBourse qui avaient eacuteteacute engrangeacutes preacuteceacutedemment

Laugmentation de la valeur boursiegravere sest par ailleurs traduite par une chute ducoucirct du capital qui a sans aucun doute acceacuteleacutereacute le rythme des nouveaux investisse-ments Les investissements en eacutequipements avaient deacutejagrave eacuteteacute fortement stimuleacutes parlacceacuteleacuteration quavaient connue les deacuteveloppements technologiques ce qui a bieneacutevidemment augmenteacute le potentiel de profits au cours de ces derniegraveres anneacutees La fortepousseacutee des deacutepenses en capital au cours de ces 5 derniegraveres anneacutees a apparemmentrefleacuteteacute lexistence de taux plus eacuteleveacutes de rendement sur un large spectre dinvestisse-ments et ce gracircce agrave une acceacuteleacuteration des avanceacutees technologiques notamment dansles domaines de linformatique et des teacuteleacutecommunications

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Il sagit lagrave de lorigine apparente de laugmentation du rythme de productiviteacute donton a reacutecemment eu la preuve Outre que les reacutecents progregraves technologiques ont mani-festement apporteacute une flexibiliteacute nouvelle et de plus en plus marqueacutee la capaciteacute deces technologies agrave ameacuteliorer les processus de production (sujet que je deacutevelopperaiprochainement) a reacuteduit de faccedilon significative les besoins en travail par uniteacute produiteIl sagit lagrave sans aucun doute dun facteur qui a contribueacute agrave une augmentation spectacu-laire des reacuteductions deffectifs au deacutebut des anneacutees 1990 Le taux de chocircmage a ensuitecommenceacute agrave baisser quand le rythme des embauches destineacutees agrave exploiter des nou-veaux eacutequipements a exceacutedeacute celui des licenciements de personnes occupeacutees dans deseacutequipements anciens

Soit dit en passant ces bouleversements dans la structure de la main-drsquoœuvre aucours des anneacutees 1990 ont et cest bien normal augmenteacute limpression dobsolescencedes compeacutetences chez un nombre significatif de personnes tout particuliegraverementparmi ceux qui sont le plus intimement lieacutes aux technologies anciennes Ces pressionsse reflegravetent dans la sensible augmentation des formations en entreprises et dans laspectaculaire expansion des inscriptions dans les faculteacutes tout particuliegraverement dansle premier cycle De ce fait lacircge moyen des eacutetudiants ne poursuivant pas en mecircmetemps une activiteacute reacutemuneacutereacutee a tregraves fortement augmenteacute au cours de ces derniegraveresanneacutees puisquun grand nombre de personnes ayant une expeacuterience professionnelleretournaient faire des eacutetudes Mais la notion dune obsolescence acceacuteleacutereacutee des compeacute-tences a eacutegalement conduit agrave une apparente bonne volonteacute des employeacutes agrave renonceragrave une hausse de leurs revenus et avantages au profit de la seacutecuriteacute de lemploi Et doncmalgreacute lincroyable eacutetroitesse du marcheacute du travail les augmentations de salairehoraire continuent agrave ecirctre relativement modestes

Coupleacutee avec la croissance acceacuteleacutereacutee de la productiviteacute la modeacuteration des salaires etdes avantages a permis de contenir laugmentation du coucirct du travail ce qui a freineacutelinflation et permis aux marges beacuteneacuteficiaires datteindre de hauts niveaux

Cest ce qui agrave son tour a apparemment constitueacute la force motrice qui au deacutebut delanneacutee 1995 a ameneacute les analystes boursiers agrave effectuer une reacutevision agrave la hausse deleurs projections de gains agrave long terme entreprise par entreprise Ces reacutevisions et labaisse des taux dinteacuterecirct constituent deux forces clefs sous-jacentes qui ont pousseacute lesinvestisseurs agrave deacuteclencher lun des marcheacutes haussiers les plus notables de lhistoire

Mais il ne sagit pas des seules forces existantes La seacutequence constitueacutee par un inves-tissement plus eacuteleveacute en capital une augmentation de la productiviteacute et une chute delinflation a elle aussi entretenu et fortifieacute lideacutee dune croissance stable agrave long termeLes gens avaient plus confiance en lavenir ce qui a eu pour conseacutequence une contrac-tion spectaculaire du coucirct du risque au cours de ces deux derniegraveres anneacutees jusquagrave unbas niveau pratiquement historique cet eacuteteacute tout reacutecemment Le coucirct du risque cest lecoucirct correspondant aux risques suppleacutementaires que les marcheacutes exigent de voir

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reacutemuneacuterer pour deacutetenir des actions plutocirct que des titres de creacuteance offrant une tran-quilliteacute absolue Quand les risques perccedilus pour lavenir sont bas les primes de risquesont basses elles aussi et les cours boursiers sont encore plus eacuteleveacutes que dans le con-texte dune espeacuterance de gains agrave long terme plus importants et de taux dinteacuterecirct plusbas et sans risque

Et donc la reacuteponse agrave lexistence dune nouvelle eacuteconomie amegravene agrave se poser une ques-tion essentielle les preacutevisions actuelles dune stabiliteacute future qui sont nettement plusoptimistes quil y a une dizaine danneacutees sont-elles justifieacutees par les changementsaffectant leacuteconomie Car si les preacutevisions dune stabiliteacute plus grande se confirmentles primes de risque resteront peu eacuteleveacutees Dans ce cas le coucirct du capital restera lui aussiagrave bas niveau ce qui entraicircnera une augmentation des investissements et du rythme dela croissance au moins pendant un certain temps

Deux consideacuterations sont donc essentielles dans laugmentation des valeurs dactifet de la croissance eacuteconomique la premiegravere consiste agrave se demander si le glissementvers le haut de lavance technologique va se prolonger la seconde a trait agrave lampleur dela confiance dans la stabiliteacute de lavenir que les consommateurs et les investisseursseront capables de soutenir

Concernant le premier point agrave quel rythme peut avancer la technologie qui aug-mente le nombre dopportuniteacutes dinvestissement agrave haut rendement ce qui engen-dre dautres espeacuterances de gains plus forts Les progregraves technologiques sont fortdifficiles agrave deacuteceler longtemps agrave lavance comme le prouvent de nombreux exemplesqui nous sont fournis par lhistoire Or les synergies particuliegraveres entre nouvelles etanciennes technologies sont en geacuteneacuteral trop complexes pour quune anticipationsoit possible

On ne peut prendre pleinement conscience du potentiel dune innovation quauterme dameacuteliorations de grande envergure ou dinnovations dans dautres domainesCharles Townes laureacuteat du prix Nobel pour ses travaux sur le laser rapporte que agrave lafin des anneacutees 1960 les avocats de Bells Labs avaient refuseacute de faire breveter le laser carils pensaient que celui-ci ne permettait aucune application dans le domaine des teacuteleacute-communications Cest seulement dans les anneacutees 1980 apregraves des ameacuteliorations con-sideacuterables dans la technologie des fibres optiques que lon a pris conscience delimportance du laser dans le secteur des teacuteleacutecommunications

Lavenir des avanceacutees technologiques peut ecirctre difficile agrave preacutevoir mais il est possibleque des technologies ayant deacutejagrave prouveacute leur utiliteacute naient pas encore eacuteteacute exploiteacuteestotalement Un certain nombre dentreprises indiquent que quand elles se trouventconfronteacutees dans un environnement concurrentiel agrave une hausse des coucircts ne pou-vant ecirctre reacutepercuteacutee elles sont capables de compenser cette hausse agrave volonteacute semble-t-il en adoptant des technologies plus nouvelles

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De telles situations semblent tregraves eacutetranges sil eacutetait possible de reacuteduire les coucircts agravevolonteacute pourquoi les investissements nont-ils pas eacuteteacute effectueacutes plus tocirct Ceci impli-que un comportement sous-optimal tout agrave fait contraire agrave ce qui senseigne dans lesuniversiteacutes Mais dans le monde reacuteel il est rare que les entreprises maximisent pleine-ment leurs profits elles se focalisent sur les seuls segments de leur activiteacute qui appa-raissent offrir les meilleures reacutecompenses et sont en geacuteneacuteral incapables dopeacuterersimultaneacutement sur tous les fronts en y deacuteployant une efficaciteacute maximale Cest donclors daugmentations de coucircts que les dirigeants dune entreprise concentrent leurattention sur les investissements afin den limiter les effets

Mais si cette baisse des coucircts agrave la demande est un pheacutenomegravene courant elle supposeune accumulation de projets inexploiteacutes au cours des derniegraveres anneacutees dans le cas ougraveelle serait reacuteelle cela impliquerait que le potentiel de gains continus de productiviteacute soitproche des taux eacuteleveacutes de ces deux derniegraveres anneacutees Mecircme si cest effectivement le casalors que seules des anecdotes le soutiennent il est peu vraisemblable que lon assiste surles 3 ou 5 prochaines anneacutees agrave une croissance de 13 par an du revenu par actioncomme lont reacutecemment suggeacutereacute les analystes en Bourse Cela supposerait une part deprofit toujours plus grande dans le revenu national agrave partir dun niveau qui est deacutejagrave eacuteleveacutesi on se reacutefegravere au passeacute Lhistoire nous montre que de telles conditions ont conduit agrave despressions sur le marcheacute du travail qui ont contrarieacute laugmentation ulteacuterieure des profits

La seconde consideacuteration sur le niveau daugmentation des valeurs dactifs est lasuivante jusquougrave peuvent chuter les primes de risque Le recul de linflation agrave desniveaux extrecircmement bas constitue en loccurrence un eacuteleacutement clef Le niveau croissantde confiance dans les reacutesultats futurs que lon a observeacute ces derniegraveres anneacutees est sansaucun doute lieacute agrave la baisse de linflation qui bien sucircr a repreacutesenteacute un facteur essentieldans la chute des taux dinteacuterecirct mais aussi et cest tregraves important dans celle des primesde risque Il est probable quune deacuteflation si elle devait se deacuteclarer augmenterait lincer-titude et entraicircnerait une reacuteeacutemergence dinquieacutetudes similaires agrave celles que lon constateen peacuteriode dinflation Agrave quasi stabiliteacute des prix le risque perccedilu du deacuteveloppement desaffaires serait donc agrave son niveau le plus bas et lon doit supposer que ce serait eacutegalementle cas pour les primes de risque En tout eacutetat de cause il existe une limitation dans letemps en-deccedilagrave de laquelle les investisseurs peuvent rationnellement escompter laveniravec un eacutetat desprit favorable et donc abaisser le niveau des primes de risque Actuelle-ment cette projection est possible sur les 20 ou 30 ans agrave venir mais au-delagrave

Des valeurs boursiegraveres eacuteleveacutees par rapport aux revenus et agrave la production repreacutesen-tent un risque dinstabiliteacute accru Comme je lai eacutevoqueacute preacuteceacutedemment une partie desgains en capital augmente la consommation et les revenus Dans la mesure ougrave lesvaleurs des actions sont manifestement plus variables que les revenus quand la partdes valeurs boursiegraveres augmente par rapport aux revenus et au PIB on peut sattendreagrave ce que leurs fluctuations affectent le PIB plus que quand ces valeurs sont basses

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Il est clair que dans le contexte actuel on est inciteacute agrave la prudence par lhistoire de cesgrands mouvements de balancier qui ont pour des raisons rationnelles ou non affecteacutela confiance des investisseurs et le niveau des primes de risque Nous avons reacuteappris aucours de ces derniegraveres semaines que de la mecircme faccedilon quun marcheacute boursier se sentindeacutefiniment en seacutecuriteacute tant quil est agrave la hausse et que prospegravere leacuteconomie il ne par-vient pas en peacuteriode de contraction agrave concevoir quune reprise soit possible Bien sucircrces impressions opposeacutees sont toutes deux erroneacutees mais du fait de la difficulteacute agrave ima-giner un revirement quand on est assailli par de telles eacutemotions les peacuteriodes deupho-rie ou de deacutesarroi ont tendance agrave sauto-alimenter En fait si tel neacutetait pas le cas il estvraisemblable que nexisteraient pas dans lactiviteacute eacuteconomique ces mouvements deflux et de reflux dorigine psychologique

Peut-ecirctre comme lavancent certains lrsquohistoire jouera-t-elle moins son rocircle de guideque par le passeacute Il y a toujours une part du futur qui ne se rattache agrave rien de ce qui apreacuteceacutedeacute Et il y a toujours de nouveaux records Ceci poseacute mon expeacuterience dobserva-teur au jour le jour de leacuteconomie ameacutericaine sur une dureacutee deacutepassant un demi-siegravecleme donne agrave penser que lon peut sattendre agrave ce que lavenir repose sur un continuumheacuteriteacute du passeacute pour une part importante et peut-ecirctre mecircme tregraves substantielleComme je lai deacutejagrave souligneacute la nature humaine est immuable dune geacuteneacuteration agravelautre et donc relie lavenir au passeacute de maniegravere inextricable

Neacuteanmoins jai indiqueacute et je reacutepegravete ici que je ne nie pas que au cours de ces derniegraveresanneacutees il y a eu une indeacuteniable ameacutelioration sous-jacente dans le fonctionnement desmarcheacutes ameacutericains et dans le rythme de deacuteveloppement des technologies de pointequi a deacutepasseacute toutes les preacutevisions

Dans les anneacutees 1990 on a assisteacute agrave une tregraves impressionnante augmentation deffi-caciteacute de nos actifs crsquoest-agrave-dire de notre capaciteacute de production thegraveme que jeacutevoquaispreacuteceacutedemment Alors que linvestissement brut a atteint un montant eacuteleveacute il eacutetaitcomposeacute ces derniegraveres anneacutees et dans une proportion significative dactifs de courtedureacutee se deacutepreacuteciant rapidement Malgreacute son acceacuteleacuteration reacutecente le taux de croissancedes actifs nets reste nettement au-dessous des taux les plus eacuteleveacutes afficheacutes pendant les50 ans qui viennent de seacutecouler

Malgreacute leacutelargissement des mouvements internationaux de capitaux au cours de cesderniegraveres deacutecennies une analyse empirique suggegravere que linvestissement inteacuterieurdeacutepend encore dans une large mesure de leacutepargne inteacuterieure et ce tout particuliegravere-ment agrave la marge Nombreux sont ceux qui ont deacutefendu de faccedilon convaincante et jesuis de ceux-lagrave la thegravese selon laquelle nous eacutepargnons trop peu Cette propension denos compatriotes a entraicircneacute une prime sur lutilisation effective dun capital rare et surla reacuteduction des opportuniteacutes dinvestissement offrant potentiellement une moindreproductiviteacute donc les moins profitables

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Cest lune des raisons pour lesquelles notre systegraveme financier qui a pour rocircle dassu-rer lutilisation productive du capital physique a eu une telle importance dans notreeacuteconomie notamment au cours de ces 20 derniegraveres anneacutees Dans les deacutecennies quiviennent de srsquoeacutecouler ce sont les signaux refleacuteteacutes dans les prix des actifs financiers lestaux drsquointeacuterecirct et la reacutepartition des risques qui mateacuterialisent la modification de la struc-ture de notre production et lrsquoeacutevolution de ce que les consommateurs valorisent Cecia confeacutereacute une valeur deacuteriveacutee significative agrave un systegraveme financier qui en est effective-ment capable et malgreacute de reacutecentes restrictions agrave une valorisation boursiegravere des ins-titutions qui forment ce systegraveme

Manifestement le niveau eacuteleveacute des retours sur investissements constitue lun desindices que notre capital physique est affecteacute agrave la production de biens et de servicesparticuliegraverement valoriseacutes par les consommateurs Un eacutequipement qui fabriqueraitun produit infeacuterieur ne trouverait pas gracircce parmi le public non plus quune route agravepeacuteage qui ne megravenerait nulle part ces offres engendreraient des profits neacutegatifs ouau-dessous de la normale et dans la plupart des cas il serait impossible de reacutecupeacuterersur la dureacutee de vie de lactif le montant de linvestissement augmenteacute du coucirct en capi-tal investi

Linvestissement en capital et laugmentation de la productiviteacute et du niveau de viepassent donc par une eacutepargne inteacuterieure adapteacutee mais si cette condition est neacuteces-saire elle nest pas suffisante

Prenons le cas de lancienne Union sovieacutetique les investissements y eacutetaient exces-sifs et la discipline que font reacutegner les prix de marcheacute nexistant pas ils ont fait lobjetdaffectations plus que malheureuses Les planificateurs avaient des preacutefeacuterences quideacutebouchaient sur un gaspillage de ressources importantes car ils autorisaient cesinvestissements dans des secteurs de leacuteconomie ougrave la production ne correspondait pasaux souhaits des consommateurs ceacutetait particuliegraverement le cas dans lrsquoindustrielourde Il nest donc pas surprenant que dans ce pays les ratios capitalproductionaient eacuteteacute plus eacuteleveacutes que dans les eacuteconomies occidentales de leacutepoque

Ce pheacutenomegravene de surinvestissement sobserve mecircme dans les eacuteconomies de marcheacutesophistiqueacutees Au Japon le taux deacutepargne et linvestissement brut ont eacuteteacute nettementplus eacuteleveacutes quaux USA mais le potentiel de croissance par habitant y est infeacuterieur aunocirctre On peut penser que les entraves qui affectent le systegraveme financier de ce pays con-tribuent au moins en partie agrave ce manque de performances eacuteconomiques

Pour autant il convient de srsquoabstenir de toute complaisance Crsquoest vrai la forte aug-mentation du marcheacute des valeurs a fortement stimuleacute la valeur nette deacutetenue par lesmeacutenages Mais alors que les gains en capital augmentent la valeur des actifs existantsils ne creacuteent pas directement les ressources neacutecessaires agrave linvestissement dans de nou-velles installations physiques Et cela seule leacutepargne tireacutee du revenu peut le faire

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En reacutesumeacute sur les 5 agrave 7 derniegraveres anneacutees ce qui a sans conteste repreacutesenteacute lune desmeilleures performances eacuteconomiques de notre histoire est soit annonciateur dunenouvelle eacuteconomie soit juste une version laquo cosmeacutetiseacutee raquo de lancienne le temps quipasse inexorablement nous le dira et jaurais tendance agrave penser que nos petits-enfantspuis leurs propres petits-enfants deacutebattront peacuteriodiquement du point de savoir silsvivent dans une nouvelle eacuteconomie

Pour qui ce boom

Extrait de Stephen S Roach laquo The Boom for Whom Revisiting AmericarsquosTechnology ParadoxJanuary 9 1998 Morgan Stanley Dean Witter

httpwwwmsdwcomGEFdatadigestssr19980112pdf

Jamais lrsquohistoire drsquoamour qursquoentretient lrsquoAmeacuterique avec les nouvelles technologies delrsquoEgravere de lrsquoInformation nrsquoa eacuteteacute aussi intense les sommes consacreacutees au hardware parles entreprises excegravedent maintenant 220 millions de $ par an ce qui repreacutesente et deloin le premier poste dans les budgets de deacutepenses drsquoinvestissement Pourtant il srsquoagitlagrave bien sucircr de la partie visible de lrsquoiceberg dans le coucirct drsquoune fonction technologiquequi compte eacutegalement le logiciel les exigences continuelles drsquoun cycle de remplace-ment de produits toujours plus court et des leacutegions de personnes qui travaillent agrave lagestion des systegravemes drsquoinformation Mais nombreux sont ceux qui croient qursquoil existedes signes indiquant aujourdrsquohui lrsquoimminence du remboursement du capital de cettefreacuteneacutesie technologique attendu depuis si longtemps Point nrsquoest besoin de remonterau-delagrave du laquo miracle raquo macro-eacuteconomique de 1997 anneacutee de croissance en flegravechenon accompagneacutee drsquoinflation Comment lrsquoeacuteconomie ameacutericaine aurait-elle pu entrerdans le pays leacutegendaire du nouveau paradigme autrement que pour une renaissancede productiviteacute conduite par la technologie

Les miracles de 1997 vont bien au-delagrave de lrsquoapparente disparition de lrsquoinflationLrsquoexplosion de lrsquoInternet la naissance du commerce eacutelectronique qui lui est correacuteleacuteeet lrsquoavegravenement de la plate-forme eacuteconomique mondiale entiegraverement en reacuteseau sontlargement consideacutereacutes comme de simples indicateurs de la puissance agrave lrsquoeacutetat brut dureacutetablissement de lrsquoAmeacuterique tireacute par les technologies eacutemergentes On doit agrave PeterSchwartz et Peter Leyden dans un reacutecent article publieacute dans Wired et devenu leacutegen-daire la plus acheveacutee des expressions de cette conviction Ils eacutecrivent que laquo nous som-mes sur la crecircte des premiegraveres vagues drsquoune eacuteconomie agrave forte expansion qui va durer25 ans raquo Crsquoest un conte qui promet quelque chose agrave chacun dont la fin de la pauvreteacuteet des tensions geacuteopolitiques et se termine par les miracles drsquoune reacutesurgence de lacroissance drsquoune productiviteacute dont le moteur est la technologie Cette saga futuristesrsquoest reacutepandue au point de devenir le manifeste de lrsquoegravere digitale

Preacutesenteacute sur cette toile de fond le preacutetendu paradoxe mdash longtemps fondeacute sur la convic-tion que les possibiliteacutes de rentabilisation macroeacuteconomique des nouvelles technologiesde lrsquoinformation est largement compromis mdash semble deacutesespeacutereacutement deacutepasseacute ou tout

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bonnement erroneacute Et malgreacute cela les deacutefis de base agrave lrsquoattrait et au battage meacutediatiquede lrsquoEgravere de lrsquoInformation ne trouvent pas de reacutepondant Finalement le deacutebat se reacutesumeagrave la productiviteacute repegravere de toute capaciteacute drsquoune eacuteconomie agrave creacuteer de la richesse agrave sou-tenir une concurrence et agrave geacuteneacuterer un niveau de vie eacuteleveacute Les nouvelles technologies etles perceacutees des applications qui leur sont associeacutees ont-elles maintenant atteint la massecritique qui peut veacuteritablement deacuteclencher lrsquoavegravenement drsquoune nouvelle egravere de crois-sance soutenue de productiviteacute susceptible de profiter agrave la nation tout entiegravere Ou leboom des anneacutees 1990 a-t-il plutocirct agrave voir avec une autre force totalement diffeacuterente agravesavoir la strateacutegie obstineacutee de reacuteduction des coucircts dans les entreprises qui a beacuteneacuteficieacute agraveun nombre eacutetonnamment restreint drsquoacteurs de lrsquoeacuteconomie ameacutericaine

Chapitre 2

Le paradoxe de Solow

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Le paradoxe de Solow sur la productiviteacute En quoi les ordinateurs contribuent-ils agrave la productiviteacute

Jack E TRIPLETT1

20 mai 1998

laquo Lrsquoegravere de lrsquoinformatique se constate partoutsauf dans les statistiques de productiviteacute raquo

Robert SOLOW 1987

On eacutevoque souvent lrsquoaphorisme de Solow eacutenonceacute voici maintenant plus de dix ansMais existe-t-il un paradoxe et si oui que peut-on en dire Dans cet article je me pro-pose de passer en revue et de commenter les laquo explications raquo qui ont eacuteteacute le plus cou-ramment apporteacutees agrave ce paradoxe Ces explications sont exposeacutees en preacuteambule etfont ulteacuterieurement lrsquoobjet drsquoun deacuteveloppement

On ne voit pas des ordinateurs laquo partout raquo au sens eacuteconomique et fort du terme les ordi-nateurs et mateacuteriels de traitement de lrsquoinformation repreacutesentent une proportion rela-tivement faible du PIB et du capital social

On a lrsquoimpression et seulement lrsquoimpression que les ordinateurs sont partoutLrsquoindice de prix heacutedonique des ordinateurs qursquoutilise le gouvernement chute laquo troprapidement raquo et donc lrsquoaugmentation reacuteelle de la production telle qursquoelle est mesureacuteeest elle aussi laquo trop rapide raquo

On ne voit pas des ordinateurs partout mais la production est peu mesureacute dans certains sec-teurs eacuteconomiques qui sont pourtant ceux ougrave on en voit le plus Ainsi par exemple la banqueet lrsquoassurance utilisent massivement les technologies de lrsquoinformation alors pourtantque le concept drsquooutput y est peu preacutecis

Que lrsquoon voie ou non des ordinateurs partout une partie du travail reacutealiseacute par ceux-ci nrsquoestpas comptabiliseacutee dans les statistiques Mentionnons agrave titre drsquoexemple la faciliteacute de tra-vail la commoditeacute drsquoutilisation lrsquoameacutelioration de lrsquointerface etc

1 JACK E TRIPLETT ancien Chief Economist du Bureau of Economic Analysis des Eacutetats-Unis est profes-seur deacuteconomie agrave la Brookings Institution agrave Washington (DC) Cet article a eacuteteacute publieacute initialement enanglais sous le titre laquoThe Solow Productivity Paradox What Do Computers Do to Productivityraquo Broo-kings Institution May 20 1998 (httpwwwcslscanewrevpaperhtml ou httpbrookingsorgesresearchproductivityrevpaperpdf) Traduit et reproduit avec lrsquoaimable autorisation de lrsquoauteur

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On ne voit pas encore les ordinateurs dans les statistiques de productiviteacute mais il suffitdrsquoattendre un peu On retrouve lagrave ce qui srsquoest passeacute en son temps pour lrsquoeacutelectriciteacute lrsquoimpact drsquoune nouvelle technologie sur la productiviteacute ne se constate qursquoau termedrsquoun long deacutecalage dans le temps

On voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productiviteacute parce que les ordi-nateurs ne sont pas aussi productifs qursquoon le croit

Il nrsquoy a pas de paradoxe certains eacuteconomistes eacutevaluent les innovations et les nouveaux pro-duits sur une eacutechelle arithmeacutetique alors qursquoelle devrait ecirctre logarithmique

Le paradoxe de Solow

Extrait de Erik Brynjolfsson (MIT Sloan School of Management amp Stanford BusinessSchool)) and Lorin Hitt (The Wharton School Univ of Pennsylvania) Beyond the Produc-

tivity Paradox Computers are the Catalyst for Bigger Changes June 1998

httpccsmiteduerikbpppdf

Linteacuterecirct pour le laquo paradoxe de la productiviteacute raquo a eacuteteacute deacuteclencheacute par une eacutetude simplemais provocante laquo Americas Technology Dilemma A Profile of the InformationEconomy raquo publieacutee en date du 22 avril 1987 dans la lettre eacuteconomique de MorganStanley et reacutealiseacutee par le responsable de son service eacuteconomique Steven Roach Celui-ci sattachait agrave expliquer pourquoi le taux de croissance de la productiviteacute constateacutedans leacuteconomie ameacutericaine avait nettement ralenti depuis 1973

Roach notait que la puissance informatique par col blanc avait augmenteacute consideacutera-blement au cours des deacutecennies 1970 et 1980 alors que dans le mecircme temps lacourbe de productiviteacute eacutetait plate Il en concluait que la formidable augmentation duparc informatique avait eu des reacutepercussions tregraves faibles sur les performances de leacuteco-nomie notamment dans les secteurs occupant un grand nombre de laquo travailleurs delinformation raquo

Dautres eacutetudes elles aussi aboutissaient agrave des conclusions similaires sur labsencedune correacutelation entre les investissements informatiques et la productiviteacute dans lesindustries manufacturiegraveres ou dans un eacutechantillon de divisions de grandes entreprisesDans un nombre limiteacute deacutetudes il eacutetait fait mention deffets positifs sur des eacuteleacutementsintermeacutediaires tels que la rentabiliteacute ou la part de marcheacute sans que lon puisse veacuterita-blement eacutetablir un lien avec le reacutesultat financier Par ailleurs malgreacute la consideacuterableaugmentation de puissance des ordinateurs les statistiques densemble indiquaientque la productiviteacute avait augmenteacute plus lentement depuis 1973 quentre 1950et 1973 Agrave la fin des anneacutees 80 on admettait communeacutement que lordinateur ne con-tribuait pas de faccedilon significative agrave la productiviteacute laquo Legravere de lordinateur se constatepartout sauf dans les statistiques de productiviteacute raquo reacutesumait Robert Solow dans laNew York Times Book Review (12 juillet 1987)

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Contexte

Agrave premiegravere vue le paradoxe de la productiviteacute se rattache agrave la question suivante pourquoi la production ameacutericaine nrsquoaugmente-t-elle pas plus vite alors que nousinvestissons toujours plus dans lrsquoinformatique Mais en fait lrsquoaphorisme de Solow tiretoute sa reacutesonance drsquoune question diffeacuterente encore que connexe lrsquoaugmentationdes investissements informatiques et les technologies de lrsquoinformation va-t-elle com-penser le ralentissement de la productiviteacute constateacute agrave partir de 1973 De 1948 agrave 1973la productiviteacute multi-facteurs a augmenteacute aux Eacutetats-Unis de 19 et la croissance dela productiviteacute du travail a crucirc selon un taux de 29 Apregraves 1973 ces taux ont chuteacuteagrave respectivement 02 et 11 1 On a constateacute des baisses similaires dans la plupart deseacuteconomies industrialiseacutees de lrsquoOCDE

Le contexte tient eacutegalement au meacutecanisme de diffusion des changements techni-ques dans lrsquoeacuteconomie Nombreux sont les eacuteconomistes qui considegraverent que lrsquoaugmen-tation de la productiviteacute se gagne gracircce aux investissements en nouvelles machinesEn adoptant ce point de vue quel que soit le changement technique que nous connais-sons aujourdrsquohui il doit ecirctre compteacute dans lrsquoinvestissement au titre des technologies delrsquoinformation puisque crsquoest le type drsquoinvestissement qui augmente en 1997 lesinvestissements en mateacuteriels de traitement de lrsquoinformation ont repreacutesenteacute 34 desinvestissements durables des producteurs ce qui est nettement plus que la part repreacute-senteacutee par les investissement en machines de production qui est de 22 2

Ces laquo nouvelles machines raquo alimentent un large deacutebat Il va de soi que agrave un certainniveau une nouvelle technologie se traduit par de nouvelles machines toutefois ilnrsquoest pas eacutevident que celles-ci soient le seul moteur des gains de productiviteacute En faitsi lrsquoon prend correctement en compte lrsquoaugmentation de productiviteacute imputable auxnouvelles machines autrement dit si lrsquoon effectue une correction qualitative sur lesdonneacutees concernant les inputs en capital on constate que les machines plus perfor-mantes ne vont pas participer aux gains de productiviteacute multi-facteurs mais qursquoellesvont geacuteneacuterer une augmentation de productiviteacute du travail habituelle

Le paradoxe de la productiviteacute des ordinateurs trouve aussi sa reacutesonance dans lefait que nous sommes devenus une eacuteconomie de lrsquoinformation comme on lrsquoentend

1 Source US Department of Labour (1998a 1998b)2 En 1977 ces parts eacutetaient de 22 pour le mateacuteriel de traitement de lrsquoinformation 26 pour les

eacutequipements industriels Dans les chiffres du Bureau of Economic Analysis la rubrique laquo Traitementde lrsquoinformation et mateacuteriels connexes raquo regroupe les cateacutegories Machines de bureau drsquoinformatiqueet de calcul (ce qui inclut les ordinateurs et leurs peacuteripheacuteriques) Eacutequipement de communication Ins-truments et Photocopie et mateacuteriels connexes En 1997 les ordinateurs et leurs peacuteripheacuteriques repreacute-sentaient environ 40 du poste Eacutequipement de traitement de lrsquoinformation et environ 14 du posteInvestissements en biens drsquoeacutequipement durables par les producteurs

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freacutequemment avancer sans pour autant que cette affirmation soit quantifieacutee Ondit souvent que les changements qualitatifs repreacutesentent aujourdrsquohui une partbeaucoup plus importante du rendement final que dans le passeacute ces changementsqualitatifs lrsquoapparition de produits plus personnaliseacutes et lrsquoaugmentation des ser-vices (dans la consommation des entreprises comme eacuteleacutements de la demande desconsommateurs comme contributeurs aux exportations ameacutericaines) exprimenttous une veacuteriteacute commune lrsquoinformation contribue nettement plus que par le passeacuteau processus de production Srsquoil est exact que lrsquoon assiste agrave lrsquoutilisation croissantede lrsquoinformation en tant qursquoinput productif ou srsquoil est vrai que lrsquoinformation estdevenue un input plus productif que par le passeacute ce rocircle renforceacute accentue enmecircme temps lrsquoimportance que revecirctent les technologies de lrsquoinformation dans uneeacuteconomie moderne

Ainsi donc lrsquointeacuterecirct du paradoxe de Solow tourne autour drsquoun certain nombre dequestions et problegravemes drsquoordre eacuteconomique qui ne sont pas reacutesolus il y a ce ralen-tissement de productiviteacute observeacute apregraves 1973 qui pour lrsquoinstant a reacutesisteacute agrave toutesles tentatives drsquoexplication Il y a ce glissement que lrsquoon a tendance agrave consideacuterercomme reacutecent drsquoune eacuteconomie de marchandises agrave une eacuteconomie de services enfait cette eacutevolution nrsquoest pas aussi reacutecente qursquoon veut bien le dire puisque en 1940plus de la moitieacute des salarieacutes ne travaillaient pas dans les secteurs traditionnels dela production de biens1 Il y a aussi cette eacutevolution vers une laquo eacuteconomie delrsquoinformation raquo ce qui caracteacuterisait lrsquoeacuteconomie auparavant ce nrsquoeacutetait certaine-ment pas une absence drsquoinformation mais sans doute une moindre abondance delrsquoinformation en raison de son prix plus eacuteleveacute Aucune de ces eacutevolutions eacuteconomi-ques nrsquoest veacuteritablement bien comprise or la compreacutehension de ces tendances aune grande importance dans le cadre des questions extrecircmement varieacutees de politi-que eacuteconomique le rocircle de lrsquoeacuteducation et de la formation dans lrsquoeacuteconomie le rocircledes investissements - donc celui des mesures drsquoencouragement et la fiscaliteacute desinvestissements - les facteurs deacuteterminants de la croissance la preacutevision des ten-dances dans la reacutepartition des revenus et bien drsquoautres sujets Sur chacune de cesquestions on considegravere que lrsquoinformatique et la contribution des technologies delrsquoinformation jouent un rocircle clef Ainsi par exemple Kreuger (1993) a deacutecouvertque les salarieacutes qui utilisaient des ordinateurs eacutetaient mieux reacutemuneacutereacutes que ceuxqui ne recouraient pas agrave lrsquoinformatique et en a conclu que les eacutevolutions deacutefavora-bles constateacutees ces derniegraveres anneacutees aux Eacutetats-Unis en matiegravere de montant et dereacutepartition de revenus avaient un lien avec lrsquoinformatisation Cette thegravese susciteun deacutebat elle aussi dans certains cas lrsquoordinateur remplace lrsquohomme comme il le

1 Les secteurs traditionnels de production de biens lrsquoAgriculture la sylviculture et la pecircche lesMines les Industries de transformation et le BTP occupaient 49 des salarieacutes et 49 de la laquo main-drsquoœuvre expeacuterimenteacutee raquo dans le recensement de 1940 (Statistical Abstract of the United States 1944)

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fait pour drsquoautres inputs et cette substitution reacuteduit la demande pour certains pos-tes celui de guichetier de banque par exemple

Il convient ici de mentionner des points de vue tregraves discordants se manifestant parun refus drsquoassocier le paradoxe de Solow agrave certaines questions Ainsi par exemple Gri-liches (1997) eacutenonccedilait ceci

laquo Mais nous voici toujours bloqueacutes par cette question du ralentissement des gains deproductiviteacute ce paradoxe qui repreacutesente un problegraveme mais pas un problegraveme informa-tique Le ralentissement est-il ou non reacuteel Ou est-ce simplement une question demesure Ou encore et crsquoest bien plus important est-il chronique ou transitoire Leparadoxe ne se pose pas tant en termes drsquoinformatique que dans la faccedilon dont sontaffecteacutes la science la creacuteativiteacute et bien drsquoautres activiteacutes raquo

Voici successivement preacutesenteacutees en sept rubriques les laquo explications raquo proposeacutees agrave ceparadoxe

1 On ne voit pas des ordinateurs laquo partout raquo au sens eacuteconomique et fort du terme

Ce qui compte en lrsquooccurrence crsquoest la quote-part des ordinateurs dans les actifs etdans les moyens de production mis en œuvre Or ces proportions sont faibles et unmoyen de production repreacutesentant une tregraves faible part ne peut pas apporter une grandecontribution agrave la croissance eacuteconomique il est donc vain drsquoespeacuterer des investisse-ments en ordinateurs un impact fort sur la croissance (dans cet article je parle drsquoordi-nateurs et eacutegalement drsquoeacutequipement informatique pour deacutesigner indiffeacuteremment lesordinateurs et leurs peacuteripheacuteriques llsquoexpression laquo eacutequipement de traitement delrsquoinformation raquo sera utiliseacutee pour deacutesigner une plus large cateacutegorie dont lrsquoordinateur etses peacuteripheacuteriques sont des composants)

Les eacutetudes les plus pousseacutees ont eacuteteacute reacutealiseacutees par Oliner et Sichel (1994) drsquoune partet par Jorgenson et Stiroh (1995) drsquoautre part Dans les deux cas les auteurs calculentlrsquoeacutequation de la croissance comptable

(1) dt Y = scdtKc + scdtKnc + sLdtL + dtπ

dans laquelle dtY = d Ydt repreacutesente le taux de croissance de la production dtKcdtKnc et dtL repreacutesentent les taux de croissance des facteurs de production Kc est lecapital employeacute en ordinateur Knc est le capital non employeacute en ordinateur et L est letravail

si = est la part de lrsquoinput i dtπ est la croissance de la productiviteacute multi-facteurs

Lrsquoeacutequation indique que le taux de croissance de la production (dtY) est eacutegal agrave la crois-sance pondeacutereacutee des moyens de production (par exemple scdtKc est le taux de crois-

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sance des investissements en ordinateurs pondeacutereacute par la part des investissements enordinateurs rapporteacutee aux investissements totaux) augmenteacute du taux de croissance dela productiviteacute multi-facteurs

Jorgenson et Stiroh (1995) estiment la part de capital employeacutee en ordinateur parlrsquoinvestissement en eacutequipement informatique en utilisant la structure comptableutiliseacutee par Jorgenson (1980 1989) Oliner et Sichel (1994) utilisent la part de reve-nus imputable aux ordinateurs et agrave leurs peacuteripheacuteriques Comme le montre letableau 1 p 106 les reacutesultats de ces deux eacutetudes sont compatibles Les ordinateurset leurs peacuteripheacuteriques ont apporteacute une contribution relativement faible agrave la crois-sance eacuteconomique mecircme pendant les anneacutees 1980 ougrave lrsquoinformatique srsquoest tregraves lar-gement diffuseacutee dans toute lrsquoeacuteconomie Dans lrsquoeacutequation comptable dereacutefeacuterence (1) quand un eacutequipement repreacutesente une part modeste sa contributionagrave la croissance est relativement faible mecircme dans le cas drsquoun taux de croissancerapide de lrsquoinput ce qui a effectivement eacuteteacute le cas des ordinateurs et de leurs peacuteri-pheacuteriques Comme on le voit dans le tableau 2 ceux-ci ne repreacutesententqursquoenviron 2 et peut-ecirctre mecircme moins

Oliner et Sichel eacutelargissent la deacutefinition des ordinateurs en englobant tous les mateacute-riels de traitement de lrsquoinformation (voir leur tableau 10 page 305) ainsi que le logicielet les personnes utilisant lrsquoordinateur (voir leur tableau 9 page 303) le reacutesultat srsquoentrouve inchangeacute Quelle que soit la deacutefinition retenue mdash mateacuteriel informatique mateacute-riel de traitement de lrsquoinformation ou combinaison entre le mateacuteriel le logiciel et letravail mdash les parts restent limiteacutees (voir le tableau 2 ci-apregraves) de mecircme que la contri-bution agrave la croissance des technologies de lrsquoinformation

Pour veacuterifier le bien-fondeacute de leurs conclusions Oliner et Sichel (1994) effectuentune simulation en partant du principe que les ordinateurs rapportent des reacutesultats au-dessus de la normale (lrsquoeacutequation (1) implique que les ordinateurs fournissent le mecircmetaux de retour que les autres investissements) Romer (1986) Brynjolfsson et Hitt(1996) ainsi que Lichtenberg (1993) ont tous soutenu ou laisseacute entendre que les ordi-nateurs donnaient de meilleurs retours que les autres investissements Leurs simula-tions amegravenent une augmentation de la contribution de lrsquoeacutequipement informatique agravela croissance (de 02 dans le tableau 1 agrave 03 ou 04) mais elles se heurtent toutes aumecircme problegraveme la part de lrsquoeacutequipement informatique est trop faible pour qursquounretour raisonnable sur investissement en ordinateurs se traduise par une importantecontribution agrave la croissance eacuteconomique

Les exercices comptables de la croissance mesurent la contribution des ordinateursagrave la croissance et non sa contribution agrave la productiviteacute multi-facteurs La comptabiliteacutede la croissance apporte une reacuteponse agrave la question laquo Pourquoi la productiviteacute nrsquoest-elle pas plus eacuteleveacutee raquo Comme le montre lrsquoeacutequation (1) la contribution agrave la croissanceeacuteconomique de la productiviteacute multi-facteurs est distincte de la contribution drsquoun

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input quel qursquoil soit mecircme celui des ordinateurs Si lrsquoon considegravere que le paradoxe dela productiviteacute srsquoapplique agrave la productiviteacute multi-facteurs les exercices comptables dela croissance nrsquoeacuteclairent pas beaucoup cela1

Changement de mesures

Extrait de Brent R Moulton GDP and the Digital Economy Keeping upwith the Changes BEA US Department of Commerce

Washington (DC) May 1999 httpmitpressmiteduUDEdemoultnpdf

Avant 1996 les Comptes de la Nation mesuraient les variations de la productionlaquo reacuteelle raquo crsquoest-agrave-dire corrigeacutee de lrsquoinflation en mesurant les changements de volumede la production sur la base des prix drsquoune anneacutee de reacutefeacuterence On savait que cettemeacutethode entraicircnait un biais car les prix srsquoeacutecartaient des niveaux de lrsquoanneacutee de reacutefeacute-rence mais on supposait que le changement des prix relatifs eacutetait suffisammentmodeste pour que la distorsion puisse ecirctre neacutegligeacutee Toutefois lorsque lrsquoon a introduitun meilleur indice des prix pour les ordinateurs il devint manifeste que la tendance agravela baisse de cet indice agrave la fois extrecircme et prolongeacutee deacutegradait gravement les mesuresagrave prix constant du PIB reacuteel la substitution du nouvel indice entraicircnait une sureacutevalua-tion dans les estimations de croissance du PIB de lrsquoordre de 1 Par ailleurs commele biais nrsquoeacutetait pas constant dans le temps on arrivait agrave des distorsions significativesdans la mesure des tendances de la croissance agrave long terme

Le Bureau of Economic Analysis entreprit alors un programme de recherche qui abou-tit agrave lrsquoadoption en janvier 1996 drsquoindices de prix et de quantiteacutes chaicircneacutes crsquoest-agrave-diredes indices pour lesquels les pondeacuterations eacutetaient mises agrave jour en permanence au lieudrsquoecirctre fixes En drsquoautres termes les prix utiliseacutes pour mesurer les eacutevolutions quantitati-ves drsquoune anneacutee sur lrsquoautre sont aujourdrsquohui ceux qui se pratiquent pendant les deuxanneacutees conseacutecutives faisant lrsquoobjet drsquoune comparaison Ces nouveaux indices corri-gent une distorsion haussiegravere dans la croissance du PIB la modification a donc desconseacutequences allant dans le sens inverse agrave celles qui avaient eacuteteacute entraicircneacutees par lrsquoincor-poration des nouveaux indices de prix des ordinateurs Les utilisateurs des donneacuteesfournies par les comptes de la Nation ont ducirc se familiariser avec ces mesures car eacutetantchaicircneacutees elles ne sont pas additives et elles requiegraverent certains changements dans lesmeacutethodes drsquoanalyse Ces transformations meacuteritaient toutefois drsquoecirctre opeacutereacutes car ellesont permis lrsquoeacutelimination drsquoune source majeure et significative de distorsion et drsquoutiliserles meilleures meacutethodes statistiques disponibles

1 Si on pense que le paradoxe de Solow se reacutefeacuterait agrave la productiviteacute du travail lrsquoaugmentation delrsquoinput en ordinateur affecterait la productiviteacute du travail mecircme si elle nrsquoaffecte pas la productiviteacutemulti-facteurs Il semble agrave moi comme agrave drsquoautres (par exemple David 1990) que Solow ait voulu parlerde productiviteacute multi-facteurs et non de productiviteacute du travail En tout eacutetat de cause la productiviteacutedu travail a elle aussi baisseacute apregraves 1973

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Dans les comptes de la croissance la croissance des ordinateurs est seulement la reacuteponsede la demande en moyens de production agrave la grande chute des prix des ordinateurs En faitJorgenson agrave lrsquooccasion de plusieurs preacutesentations de mecircme que Stiroh ont souligneacute cepoint Conformeacutement au cadre standard de lrsquoanalyse de la production lrsquoeacutenorme chute desprix de la puissance informatique a conduit agrave substituer les ordinateurs agrave tous les autresmoyens de production y compris les autres types drsquoinvestissements De ce point de vuelrsquoimpact eacuteconomique des ordinateurs nrsquoest pas du tout une affaire de productiviteacute

Cette substitution de moyen de production appelle une premiegravere reacuteserve car la pro-duction des ordinateurs (et donc lrsquoinvestissement en ordinateurs) est estimeacute par ajus-tement en dollars constants par recours aux indices de prix heacutedoniques desordinateurs Le prix et la quantiteacute ne sont pas estimeacutes seacutepareacutement Certains ont avanceacutele fait que la baisse de prix des ordinateurs est surestimeacutee dans les statistiques gouver-nementales (voir la section suivante) et si la diminution de prix est surestimeacutee lrsquoaug-mentation de lrsquoinput des ordinateurs lrsquoest eacutegalement et il existe donc une moindresubstitution que ce que laissent entendre les donneacutees

Une deuxiegraveme reacuteserve tient au fait que de nombreux eacuteconomistes semblent penserque la somme drsquoinnovations constateacutees dans lrsquoeacuteconomie autrement dit le nombre etlrsquoaspect persuasif des nouveaux produits y compris les nouvelles meacutethodes de produc-tion et les nouvelles prouesses technologiques repreacutesente plus que ce que lrsquoon auraitpu raisonnablement attendre drsquoune substitution de bien de production De ce point devue il doit eacutegalement y avoir un problegraveme de mesures erroneacutees indeacutependant de la vali-diteacute du problegraveme de la substitution Cette approche sera eacutevoqueacutee dans la section VII

Une troisiegraveme reacuteserve tient au fait que la productiviteacute globale du travail est basse eacutega-lement et que ce nrsquoest pas seulement la productiviteacute multi-facteurs qui est basse Si lesordinateurs se substituaient simplement agrave drsquoautres inputs on aboutirait agrave une aug-mentation de la productiviteacute du travail en raison de lrsquoaugmentation du capital par tecirctemecircme en lrsquoabsence de croissance de productiviteacute multi-facteurs Crsquoest preacuteciseacutement ceque deacutemontre Stiroh (1998) agrave lrsquoeacutechelle industrielle une utilisation plus intensive delrsquoordinateur augmente la productiviteacute du travail par substitution drsquoinput mais nrsquoaug-mente pas la productiviteacute multi-facteurs du secteur Au niveau global la part des ordi-nateurs est trop faible pour avoir une influence forte soit sur la croissance de laproduction soit sur la productiviteacute du travail

Bien que ne lrsquoayant pas fait de faccedilon implicite Flamm (1997) a reacuteinterpreacuteteacute le paradoxede productiviteacute de Solow en lrsquoappliquant aux semi-conducteurs laquo Lrsquoegravere des semi-conducteursse constate partout et pas seulement dans lrsquoindustrie informatique raquo Les indices de prix deces mateacuteriels ont chuteacute encore plus rapidement que le prix des ordinateurs (voir commen-taires dans la section II) et les semi-conducteurs se retrouvent aussi dans drsquoautres types demachines (systegravemes anti-blocage de freins ou systegravemes de suspension laquo intelligents raquo danslrsquoautomobile par exemple) Flamm calcule que pour le consommateur le surplus ducirc agrave la

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baisse des prix des semi-conducteurs est drsquoenviron 8 de la croissance annuelle du PIBce qui donne un total gigantesque pour toute lrsquohistoire des semi-conducteurs vieille de cin-quante ans Au niveau de lrsquoanalyse du paradoxe de la productiviteacute les reacutesultats de Flammne permettent pas de distinguer entre drsquoun cocircteacute la part de la demande en semi-conducteursimputable agrave la substitution drsquoinput (substitution drsquoordinateurs et autres mateacuteriels incorpo-rant des semi-conducteurs au deacutetriment des inputs nrsquoutilisant pas de semi-conducteurs) etde lrsquoautre cocircteacute la part de la demande en semi-conducteurs imputable agrave lrsquoameacutelioration deproductiviteacute des industries utilisatrices (si effectivement ils affectent la productiviteacute) Tou-tefois Flamm estime lrsquoeacutelasticiteacute de la croissance de la production par rapport agrave la demandeen semi-conducteurs agrave agrave peu pregraves huit fois lrsquoeacutelasticiteacute de leur prix par rapport agrave la demandePar ailleurs il estime agrave environ 02 pour ces derniegraveres anneacutees la contribution des semi-conducteurs au PIB ce chiffre est peut-ecirctre fortuitement similaire agrave celui calculeacute dans lescomptes de la croissance pour les ordinateurs

Pour reacutesumer les ordinateurs apportent une faible contribution agrave la croissance carils ne repreacutesentent qursquoune petite part de lrsquoinvestissement en capital Cette part reacuteduitesuggeacutererait-elle qursquoils ne peuvent pas non plus avoir une incidence sur laproductiviteacute Peut-ecirctre Il nrsquoen reste pas moins que le paradoxe conserve la faveurdont il jouit pour drsquoautres raisons qui sont exposeacutees dans les sections ci-dessous

2 On a lrsquoimpression et seulement lrsquoimpression que les ordinateurs sont partout

Lrsquoassertion selon laquelle lrsquoindice des prix des ordinateurs chute trop vite et doncque lrsquooutput des ordinateurs en dollars constants croicirct trop rapidement obeacuteit agrave plu-sieurs logiques qui ne sont pas particuliegraverement relieacutees

Denison (1989) a souleveacute deux arguments diffeacuterents contre les indices de prix heacutedoni-ques des ordinateurs que calcule la BEA1 Drsquoabord il a soutenu que la baisse des indices deprix de lrsquoinformatique nrsquoayant pas connu de preacuteceacutedent elle eacutetait suspecte Aujourdrsquohuion peut mettre cette objection de cocircteacute ce qui srsquoest passeacute aux Eacutetats-Unis srsquoest reproduit dansdrsquoautres pays ougrave lrsquoon a constateacute des chutes tout aussi rapides (pour la France voir Moreau1996) Les indices de prix heacutedoniques chutent encore plus rapidement pour les semi-con-ducteurs que pour les ordinateurs2 Trajtenberg (1996) a montreacute que les indices de prix

1 BEA Bureau of Economic Analysis2 Les travaux empiriques les plus importants sur lrsquoindice de prix des semi-conducteurs sont ceux de

Flamm (1993 1997) de Dulberger (1993) et de Grimm (1998) Triplett (1996) compare les indices deprix des ordinateurs des semi-conducteurs et des eacutequipements des industries de transformation incor-porant des semi-conducteurs

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heacutedoniques des scanners utiliseacutes en scannographie subissaient des baisses similaires agrave cel-les des ordinateurs Raff et Trajtenberg ont mis en eacutevidence des chutes importantes desindices de prix heacutedoniques dans lrsquoautomobile au deacutebut du XXe siegravecle Dans la plupart descas ces baisses nrsquoont pas eacuteteacute prises en compte par les statistiques conventionnelles ainsipar exemple lrsquoautomobile ne figure qursquoagrave partir des anneacutees 1930 ou 1940 dans les statisti-ques gouvernementales et celles-ci ne permettent mecircme pas aujourdrsquohui de deacuteterminerquel est le montant drsquoinvestissements en scannographie reacutealiseacutes par les hocircpitaux Si Deni-son ne voyait pas de preacuteceacutedent agrave cette baisse des prix de lrsquoinformatique crsquoest tout simple-ment qursquoaucune publication anteacuterieure nrsquoen mentionnait

Le second argument de Denison qursquoil opposait agrave tous les indices citeacutes ci-dessus con-sistait agrave dire que les indices de prix heacutedoniques eacutetaient de par leur concept mecircme ina-dapteacutes aux Comptes de la nation Il pensait qursquoils ne mesuraient que la disposition agravepayer pour des ameacuteliorations qualitatives (le cocircteacute demande du marcheacute) et non pour lecoucirct de production de cette augmentation de qualiteacute (le cocircteacute offre) Toutefois jrsquoaideacutemontreacute (1983 1989) qursquoil srsquoagit drsquoune proposition incorrecte mecircme si elle estpertinente en effet on peut interpreacuteter les mesures heacutedoniques aussi bien du cocircteacute delrsquooffre que de celui de la demande Denison avanccedilait par ailleurs que les mesures cocircteacutedemande et cocircteacute offre divergeaient dans le cas des ordinateurs or il nrsquoexiste pas de preu-ves suffisantes drsquoune telle divergence (voir Triplett 1993) Pour autant que je sache laposition de Denison sur lrsquoinadaptation conceptuelle des indices de prix ne trouve aucunsoutien actuellement il nrsquoest donc pas neacutecessaire de srsquoeacutetendre plus ici sur ce point

Concernant les indices de prix heacutedoniques il existe un autre raisonnement impor-tant mettant lrsquoaccent sur lrsquoutilisation de ces ordinateurs personnels qui se trouvent surde tregraves nombreux bureaux Leurs utilisateurs font souvent ce type de commentaire laquo Jeme servais peut-ecirctre du quart de la capaciteacute de mon ancien ordinateur maintenantjrsquoen ai un nouveau dont jrsquoutilise le dixiegraveme de la capaciteacute Ougrave est le progregraves raquo McCar-thy (1997 paragraphes 4 et 15) exprime un point de vue similaire

laquo Il est peu vraisemblable que lrsquoaugmentation theacuteorique du potentiel productif (desordinateurs) telle qursquoelle a eacuteteacute mesureacutee par les augmentations de leurs caracteacuteristiquesait jamais eacuteteacute reacutealiseacutee dans la pratique (hellip) Par ailleurs la taille et la complexiteacute crois-santes des systegravemes drsquoexploitation et du logiciel vont probablement entraicircner une aug-mentation de lrsquoinefficaciteacute relative entre mateacuteriel et logiciel (hellip) Et si la complexiteacute estplus grande il y a forceacutement une partie de la vitesse de lrsquoordinateur qui est deacutetourneacuteedu traitement pour geacuterer la complexiteacute accrue du logiciel raquo

En drsquoautres termes les ordinateurs personnels sont de plus en plus rapides et puis-sants leur meacutemoire est de plus en plus grande mais ils finissent par ecirctre utiliseacutes pourtaper du courrier alors que la vitesse de dactylographie nrsquoa pas fondamentalement eacutevo-lueacute Nrsquoest-ce pas la preuve que les indices de prix des ordinateurs chutent trop vite

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Personnellement je ne le pense pas Le fait de taper une lettre sollicite le hardwareet le software ainsi que la contribution de la personne qui dactylographie et qui est demoins en moins souvent une secreacutetaire Dans ce processus le goulet drsquoeacutetranglementtechnique se situe souvent au niveau de lrsquoutilisateur mais cela ne justifie pas que lrsquoonreacutevise agrave la hausse lrsquoindice des prix de lrsquoordinateur celui-ci a eacuteteacute acheteacute on a deacutejagrave payeacutesa capaciteacute et lrsquoaffirmation selon laquelle lrsquoacheteur aurait pu faire aussi bien avec unmateacuteriel drsquoune geacuteneacuteration preacuteceacutedente nrsquoest pas pertinente si tant est qursquoelle soit prou-veacutee Et drsquoailleurs effectivement ce nrsquoest pas prouveacute lrsquoaugmentation de capaciteacute desordinateurs a eacuteteacute reacutealiseacutee pour rendre lrsquoordinateur plus convivial et efficace et pas sim-plement pour qursquoil soit plus rapide (mais voir les sections IV et VI)

Un troisiegraveme eacuteleacutement srsquoest fait jour dans les travaux de McCarthy (1997) il srsquoagit drsquounarticle qui a susciteacute de nombreux commentaires dans les autres pays de lrsquoOCDE qui envi-sagent de suivre lrsquoinitiative ameacutericaine concernant les indices heacutedoniques de prix pour lesordinateurs McCarthy observe que les indices de prix sont typiquement inexistants pourle logiciel et se demande si les prix du logiciel ne baissent pas moins rapidement que ceuxdes ordinateurs Or on a fait une estimation des indices de prix pour les logiciels de traite-ment de texte les tableurs et les gestionnaires de base de donneacutees (Gandal 1994 Oliner etSichel 1994 Harhoff et Moch 1997) il se trouve que ces recherches corroborent lrsquohypo-thegravese de McCarthy et que effectivement les prix du logiciel ont connu une baisse reacutegu-liegravere mais selon un taux nrsquoayant rien de comparable avec ceux des ordinateurs

McCarthy soutient ensuite que le logiciel eacutetant souvent vendu en laquo bundle raquo aveclrsquoordinateur la baisse plus lente du prix du logiciel entraicircne une distorsion dans lesindices de prix des ordinateurs laquo La qualiteacute globale drsquoune offre informatique (ordina-teurs et logiciels associeacutes) nrsquoa pas augmenteacute aussi rapidement que celle des caracteacuteris-tiques fonctionnelles du mateacuteriel sur lesquelles se fondent les estimations heacutedoniquesdrsquoameacutelioration de la qualiteacute De ce fait on arrive agrave une surestimation des ajustementsqualitatifs utiliseacutes dans lrsquoestimation des deacuteflateurs de prix des investissements eninformatique et donc les baisses des investissements sont elles aussi sureacutevalueacutees(McCarthy 1997 alineacutea 8)

Cette thegravese peut ecirctre preacutesenteacutee de maniegravere plus convaincante si lrsquoon reformule ainsi ladeacuteclaration de McCarthy Un indice de prix drsquoordinateur peut ecirctre consideacutereacute comme unindice de prix correspondant agrave des caracteacuteristiques de la machine Supposons pour la commoditeacutede la deacutemonstration que les fonctions heacutedoniques sont lineacuteaires et que lrsquoindice de prix estlui aussi lineacuteaire (index Laspeyres)1 Dans ce cas srsquoil y a trois caracteacuteristiques vendues en pac-kage dans un ordinateur personnel vitesse (s) meacutemoire (m) et software (z) on a

1 Si lrsquoon ne procegravede pas agrave ces deux hypothegraveses simplificatrices lrsquoindice de prix devient une construc-tion extrecircmement complexe comme je lrsquoai indiqueacute dans Triplett (1989) ce qui complique inutilementla deacutemonstration Toutefois au niveau empirique la mesure est sensible aux deux hypothegraveses

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(2) Ic = aIs + bIm + cIz

Dans laquelle a b et c sont des pondeacuterations Lrsquoindice global de prix des ordinateurs (Ic)tel qursquoil devrait ecirctre calculeacute constitue le reacutesultat pondeacutereacute des trois caracteacuteristiques lieacutees agrave lamachine Toutefois dans lrsquoindice de prix retenu on neacuteglige lrsquoincidence du logiciel alors quecet eacuteleacutement est vendu avec lrsquoordinateur sans suppleacutement de prix Or lrsquoindice correspondantau logiciel baissant moins que les deux autres caracteacuteristiques (IzgtIs Ic) lrsquoindice de prix desordinateurs va chuter trop rapidement puisqursquoil est assis sur les deux autres caracteacuteristiquesLe mecircme argument peut srsquoappliquer sous une forme modifieacutee si on utilise dans les comp-tes nationaux un indice de prix pour le mateacuteriel dans lrsquoobjectif de corriger la valeur agrave la foisdu mateacuteriel et du logiciel peut-ecirctre parce qursquoil nrsquoexiste pas drsquoindice speacutecifique au logiciel

Si les indices de prix heacutedoniques eacutetaient effectivement constitueacutes en fonction de lameacutethode de laquo lrsquoindice de prix baseacute sur les diffeacuterentes caracteacuteristiques raquo (2) ci-dessus jerejoindrais McCarthy sur le fait qursquoils subissent effectivement une distorsion agrave la baisseLa distorsion serait la mecircme si on consideacuterait que la croissance veacuteritable de lrsquoinvestisse-ment en ordinateurs correspondait aux taux de croissance pondeacutereacutes des caracteacuteristiquesdu mateacuteriel (ce qui correspond agrave la forme sous laquelle McCarthy a fait sa deacutemonstration)

Quand on regarde les calculs effectueacutes on constate que le fait de neacutegliger le logicielentraicircne une distorsion agrave la hausse de lrsquoindice de prix des ordinateurs ce qui est con-traire agrave ce qursquoavance McCarthy Lrsquoindice est en fait calculeacute en ajustant qualitativementles prix constateacutes en fonction de la valeur attacheacutee aux modifications des caracteacuteristi-ques du mateacuteriel Supposons que nous observions les prix de deux ordinateurs diffeacute-rents et appelons respectivement ces prix Pc1 et Pc2 chacun de ces ordinateursconsiste en un package de vitesse de meacutemoire et de software Les coefficients heacutedoni-ques de reacutegression sur le hardware (vitesse et meacutemoire) servent agrave ajuster la diffeacuterencede prix entre les deux ordinateurs si on en change les caracteacuteristiques de vitesse et demeacutemoire On a donc lrsquoeacutequation suivante

(3) (Pc1) = Pc1 (hs [s2s1] + hm [m2m1

dans laquelle la partie gauche de lrsquoeacutegaliteacute repreacutesente le prix ajusteacute de lrsquoordinateur 1en fonction de sa qualiteacute agrave droite hi est le prix laquo heacutedonique raquo de la caracteacuteristique iet s et m repreacutesentent respectivement la vitesse et la meacutemoire Lrsquoindice des prix utilisede la faccedilon suivante le prix ajusteacute pour tenir compte de la qualiteacute

(4) Ic = Pc2(Pc1)

Lrsquoeacutequation (4) nrsquoincorpore aucun ajustement pour la quantiteacute de logiciel composantune partie du prix de lrsquoordinateur (par exemple hz [z2z1]) Si lrsquooffre inclut plus de logi-ciel ou un logiciel ameacutelioreacute lrsquoajustement qualitatif de lrsquoeacutequation 3 mdash (hs [s2s1] + hm[m2m1]) mdash est trop faible et non lrsquoinverse car lrsquoameacutelioration du logiciel ne fait lrsquoobjetdrsquoaucun ajustement Le prix ajusteacute (Pc1) est trop bas et non lrsquoinverse Autrement dit

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lrsquoindice de prix des ordinateurs chute trop lentement la distorsion est agrave la hausse etnon agrave la baisse ce qui est contraire agrave ce que preacutetend McCarthy1

De toute faccedilon la question nrsquoest pas que le prix du logiciel baisse plus rapidementque celui du mateacuteriel ou que la quantiteacute de logiciel vendue avec le mateacuteriel augmentemoins vite que le taux drsquoameacutelioration des caracteacuteristiques du mateacuteriel comme lavitesse ou la meacutemoire Lrsquoindice de prix pour lrsquooffre jointe ordinateurlogiciel ne baissepas suffisamment vite parce qursquoaucune correction nrsquoa eacuteteacute effectueacutee pour tenir comptede la valeur de lrsquoaugmentation de quantiteacute de logiciel implicitement cette quantiteacuteest consideacutereacutee comme ayant une valeur eacutegale agrave zeacutero

En conclusion aucune preuve ni aucun raisonnement nrsquoindiquent une forte distor-sion agrave la baisse de lrsquoindice de prix des ordinateurs Personnellement je suis en phaseavec Griliches (1994 page 6) quand il eacutecrit au sujet des indices de prix des ordinateurseacutelaboreacutes par le BEA

laquo Il nrsquoy avait pas de problegraveme au niveau de lrsquoindice lui-mecircme En fait cela a repreacute-senteacute une avanceacutee capitale (hellip) mais (hellip) il srsquoagissait drsquoun ajustement exceptionnel aucun autre produit de haute technologie nrsquoavait reccedilu pareil traitement (hellip) raquo2

3 On ne voit pas des ordinateurs partout mais leur contribution est peu mesureacutee danscertains secteurs eacuteconomiques qui sont pourtant ceux ougrave on en voit le plus

Griliches (1994) a noteacute que plus de 70 des investissements ameacutericains en ordina-teurs dans le secteur priveacute eacutetaient concentreacutes dans le commerce de gros ou de deacutetail la

1 En supposant que lrsquoexclusion du logiciel de la reacutegression heacutedonique nrsquoentraicircne pas de distorsiondes coefficients des variables incluses La distorsion de lrsquoindice de prix des variables exclues peut se faireagrave la hausse ou agrave la baisse en fonction de la correacutelation qui nrsquoest pas connue entre variables incluses etexclues et aussi des mouvements non observeacutes de la variable exclue2 Apregraves lrsquointroduction par le BEA des indices de prix heacutedoniques pour les eacutequipements informatiques

en 1985 de tels indices nrsquoont pas eacuteteacute eacutetendus agrave drsquoautres biens en raison de la combinaison de deuxfacteurs (a) un manque de ressources au sein du BEA Mecircme srsquoil existe une part de vrai agrave ce sujetlrsquolaquo Initiative Boskin raquo visant agrave lrsquoameacutelioration des statistiques eacuteconomiques est intervenue relativementpeu de temps apregraves (1989) et il nrsquoexistait pas drsquoapproche heacutedonique dans lrsquoInitiative Boskin parailleurs les ressources agrave allouer aux ameacuteliorations des indices de prix eacutetaient extrecircmement limiteacutees (USDepartment of Commerce 1990) (b) peut-ecirctre une mauvaise appreacuteciation par les deacutecideurs de lrsquoimpor-tance du travail effectueacute et une reacuteaction deacutemesureacutee dans ses proportions agrave une critique somme toutedouce de lrsquoexteacuterieur et agrave une autre critique plus appuyeacutee encore qursquoindirecte eacutemanant de lrsquointeacuterieurdu systegraveme de statistiques ameacutericains Mecircme srsquoil eacutetait aviseacute de laisser les choses se tasser un peu apregraveslrsquointroduction des indices de prix des ordinateurs il nrsquoen reste pas moins qursquoil srsquoest agi incontestable-ment de lrsquoinnovation qui a eu au plan international la plus grande porteacutee au plan des comptes natio-naux pendant toute la deacutecennie 1980 (sur certains aspects internationaux voir Wyckoff 1995)

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finance lrsquoassurance lrsquoimmobilier et les services (divisions F G H et I du Standard Indus-trial Classification System de 1987)1 Or il srsquoagit preacuteciseacutement des secteurs eacuteconomiquesougrave le rendement est le moins bien mesureacute et ougrave dans certains cas la notion mecircme de ren-dement est mal deacutefinie (lrsquoassurance la finance le conseil sont des exemples classiques)

Pourquoi ceci cet investissement en ordinateur ne srsquoest-il pas traduit par des gains visi-bles de productiviteacute Le principal eacuteleacutement de reacuteponse est simple lrsquoinvestissement est alleacutedans nos laquo secteurs non mesurables raquo et donc son influence sur la productiviteacute ne sereflegravete pas dans les statistiques mecircme si elle est tout agrave fait reacuteelle (Griliches 1994 page 11)

Qursquoil existe de seacuterieux problegravemes de mesure dans tous ces domaines est un fait bieneacutetabli Lrsquoouvrage de Griliches (1992) constitue un exemple relativement reacutecent de lalongue histoire des tentatives destineacutees agrave affiner les meacutethodes et les concepts appliqueacutesaux services Triplett (1992) preacutesente un autre rapport sur les problegravemes conceptuelsde quantification du rendement bancaire et Sherwood (publication attendue) traitele problegraveme de cette mesure dans le secteur de lrsquoassurance

Les services participent pour une large part agrave la production Ceux qui ont uneinfluence directe sur le PIB sont constitueacutes par les deacutepenses de consommation desmeacutenages et les exportations nettes et bien sucircr il est par ailleurs notoire que le rende-ment de toute lrsquoactiviteacute gouvernementale est tregraves mal mesureacute2 La consommation desservices nrsquoayant pas trait au logement repreacutesente environ 43 des deacutepenses person-nelles de consommation soit 29 du PIB et les exportations nettes de services pegravesentpour environ 13 dans le PIB

Les chiffres de productiviteacute ne sont pas calculeacutes pour le PIB total Il existe un mode BLS3

de calcul tregraves largement utiliseacute ayant pour reacutefeacuterence lrsquoeacuteconomie priveacutee Il est difficiledrsquoisoler de faccedilon explicite la composante Services dans cet agreacutegat Toutefois en sontmanifestement exclus les traitements des fonctionnaires verseacutees par le gouvernementla consommation en capital et les logements occupeacutes par leur proprieacutetaire et lrsquoon peutenlever ces composants du PIB pour obtenir une estimation grossiegravere de lrsquoeacuteconomie pri-veacutee (agricole et non agricole) (voir tableau 3) Les services ayant trait aux deacutepenses deconsommation non lieacutees au logement plus les exportations nettes de services repreacutesen-tent environ 43 de la demande finale du secteur priveacute hors immobilier

Les services repreacutesentent donc une grande part du ratio de la productiviteacute drsquoensemblemais ne sont pas correctement mesureacutes Il est bien eacutevident que le terme englobe un certain

1 Dans les donneacutees reacuteviseacutees des actifs du BEA ces secteurs repreacutesentent 723 des actifs en ordina-teurs pour lrsquoanneacutee de reacutefeacuterence 19922 La plupart des services regroupeacutes dans la division I du Standard Industrial Classification System

repreacutesentent des produits intermeacutediaires (services de consultants en eacuteconomie par exemple) ne ren-trant pas dans le PIB final3 Bureau of Labor Statistics

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nombre de services agrave la personne comme par exemple les transports urbains les salonsde coiffure ou drsquoestheacutetique etc qui nrsquoont sans doute pas profiteacute de faccedilon substantielle delrsquoameacutelioration de productiviteacute et donc de rendement apporteacutee par les ordinateursCependant dans certaines cateacutegories plus importantes de services une faible erreur demesure se reacutepercuterait fortement sur les statistiques de productiviteacute Si le signe (+ ou -) delrsquoerreur de mesure allait dans le bon sens les services faisant lrsquoobjet drsquoune quantificationerroneacutee pourraient nettement contribuer agrave reacutesoudre le paradoxe de la productiviteacute

Quel est le signe de lrsquoerreur de mesure dans le rendement des services Mecircme si unsecteur est mal quantifieacute on ne peut pas savoir de faccedilon certaine quel est le signe delrsquoerreur crsquoest-agrave-dire si elle intervient en plus ou en moins Une mauvaise mesure ne setraduit pas toujours par une distorsion haussiegravere de lrsquoindice des prix et une distorsionbaissiegravere dans le rendement et la productiviteacute

Ainsi par exemple la banque est un secteur dont la quantification nrsquoest pas satisfai-sante alors que son rendement pegravese lourd dans les Comptes de la nation La mesure durendement bancaire a fait lrsquoobjet de recherches consideacuterables dans diffeacuterentes voies jrsquoenai eacutevoqueacute de nombreuses dans Triplett 1992 mais il existe des eacutetudes plus reacutecentes Ber-ger et Merger (1997) et Fixler et Zieschang (1997) Ces autres mesures du rendement ban-caire sont pour moi bien plus justifieacutees que celles utiliseacutees pour les statistiquesgouvernementales1 Mais il ne semble pas qursquoelles indiquent un taux de croissance pluseacuteleveacute du rendement et de la productiviteacute du secteur Ainsi par exemple Berger et Mester(1997) soulignent que la productiviteacute multi-facteurs dans la banque a chuteacute agrave une peacuteriodeagrave laquelle augmentait fortement la mesure BLS de productiviteacute du travail dans la banque

Les autres mesures concernant la banque comme par exemple celles utiliseacutees par legouvernement precirctent le flanc agrave la critique car elles ne prennent pas en compte un cer-tain nombre drsquoeacuteleacutements par exemple le confort drsquoutilisation apporteacute agrave la clientegravele parles distributeurs automatiques de billets (DAB) Pour cette raison et pour bien drsquoautresBresnahan (1986) montre que lrsquoinfluence en aval des technologies de lrsquoinformation estsubstantielle Lors de discussions priveacutees il a par ailleurs mis lrsquoaccent sur le fait quelrsquoinnovation qui rendait inteacuteressante lrsquoutilisation du DAB eacutetait destineacutee agrave reacuteduire lafraude Mais Berger et Humphrey (1996) montrent que les DAB ont eu sur les coucircts ban-caires des effets pervers un retrait par distributeur coucircte agrave peu pregraves 50 de moinsqursquoagrave un guichet mais en revanche les transactions par DAB sont drsquoun montant moinsimportant et agrave volume total eacutegal de transactions sont deux fois plus nombreuses Sile distributeur a eu un faible impact sur les coucircts bancaires toutes les ameacuteliorationsapporteacutees par les DAB sur la productiviteacute des banques proviennent de lrsquoopinion duconsommateur qui y trouve plus de confort et nrsquoa plus peur de la fraude Mais dans la

1 La mesure de la production effectueacutee par le BLS utiliseacutee pour quantifier la productiviteacute du secteurbancaire repreacutesente une deacutefinition notablement diffeacuterente de la mesure utiliseacutee par le BEA pour calcu-ler les composants du PIB voir Triplett (1992)

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mesure ougrave un retrait par distributeur ne donne pas lieu agrave paiement de frais il faut esti-mer le beacuteneacutefice consommateur et lrsquoinclure dans la mesure de la production bancaire silrsquoon veut obtenir une estimation de la contribution de la technologie au rendement etagrave la productiviteacute du secteur bancaire

Le fait de tenir compte de ce plus produirait-il un fort ajustement agrave la hausse Frei et Har-ker (1997) ont rapporteacute qursquoune grande banque a tregraves rapidement perdu une partie impor-tante de sa clientegravele apregraves avoir chercheacute de faccedilon agressive agrave reacuteduire lrsquoaccegraves aux guichetsclassiques dans lrsquoespoir de reacuteduire ses coucircts Les clients veulent aussi avoir affaire agrave des gui-chetiers Mecircme si les DAB constituent incontestablement un avantage pour eux au-delagravedrsquoun certain seuil drsquoutilisation leur inteacuterecirct devient moindre que celle drsquoun guichetier

Ajouter une valorisation des DAB augmenterait probablement le taux mesureacute decroissance de la production des banques et donc leur productiviteacute Une ameacuteliorationde la mesure du rendement au niveau bancaire et financier contribuerait donc agrave reacutesou-dre le paradoxe Mais comme le suggegravere lrsquoeacutetude preacuteciteacutee une telle estimation est com-pliqueacutee et il est certain que les ordres de grandeur ne sont pas clairs

Certains eacuteconomistes ont abordeacute ce problegraveme de mesure dans les services en examinantpour ainsi dire les preuves drsquoun comportement anormal des statistiques dans certains desdomaines ougrave les mesures sont mauvaises Ainsi Stiroh (1998) utilise en lrsquoeacutelargissant lameacutethodologie de Jorgenson et Stiroh (1995) pour analyser la contribution des ordinateursagrave la croissance au niveau sectoriel Il identifie parmi 35 secteurs industriels ceux qui sont leplus utilisateur drsquoordinateurs Ces secteurs de services correspondent agrave ceux que Grilichesavait signaleacutes comme eacutetant mal mesureacutes commerces de gros et de deacutetail finance assu-rance immobilier services (division 1 du Standard Identification Classification System)

Stiroh constate que la croissance de la production non lieacutee aux ordinateurs a dimi-nueacute agrave mesure que la contribution des ordinateurs augmentait de faccedilon intensive dansles secteurs informatiseacutes Des ordinateurs moins chers se sont substitueacutes agrave drsquoautres fac-teurs de production y compris le travail Mais en mecircme temps les taux de croissancede la production mesureacutes augmentaient moins rapidement laquo Pour tous les secteursutilisant lrsquoordinateur (hellip) le taux moyen de croissance de la productiviteacute multi-fac-teurs a chuteacute alors que le capital (ordinateur) augmentait raquo (Stiroh 1998) Effective-ment il semble anormal drsquoavoir une correacutelation inverse entre lrsquoinvestissement enordinateurs et la croissance de la productiviteacute multi-facteurs voir aussi Morrison etBerndt (1991) qui parviennent agrave un reacutesultat similaire Soit les ordinateurs ne sont pasproductifs soit lrsquoaugmentation du rendement est sous-estimeacutee Cette anomalie estcoheacuterente avec lrsquohypothegravese drsquoune laquo mauvaise mesure des services raquo Toutefois elle seconstate eacutegalement dans les reacutesultats des travaux de Stiroh sur les industries de trans-formation utilisant lrsquoordinateur de faccedilon intensive par exemple celle des carriegraveres delrsquoargile ou du verre ougrave les problegravemes de mesure de la production sont sinon inexis-tants en tout cas peu connus

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Prescott (1997) note que les prix des services agrave la consommation qursquoil considegraverecomme laquo mal deacutefinis raquo (affaires domestiques parmi lesquels la finance et lrsquoassurancefigurant dans la liste de Griliches plus le logement occupeacute par son proprieacutetaire lessoins meacutedicaux et lrsquoenseignement) ont gonfleacute de 64 entre 1985 et 1995 tandis queles autres services ceux qui sont laquo raisonnablement bien deacutefinis raquo ont augmenteacute seu-lement de 40 Prescott y voit une erreur de mesure au niveau des anciens prix1 Lapreuve de la divergence de prix nrsquoest pas en elle-mecircme fascinante aucun principe eacuteco-nomique ne preacutetend que les prix devraient toujours eacutevoluer conjointement et il estcourant de constater dans la theacuteorie des indices de prix une divergence des prix relatifsMais si les indices de prix sont sur-estimeacutes alors la croissance de la production deacuteflateacuteeet la hausse de la productiviteacute multi-facteurs sont toutes deux sous-eacutevalueacutees

La Commission Boskin a estimeacute que lrsquoindice des prix agrave la consommation qui fournitdes deacuteflateurs agrave de nombreux composants des deacutepenses de consommation des meacutenages(PCE2) eacutetait au cours de ces derniegraveres anneacutees sur-eacutevalueacutes de 11 dont 04 corres-pondant agrave une mesure incorrecte des prix des services aux consommateurs Cela se tra-duirait dans une large mesure par une erreur dans lrsquoeacutevaluation de la production deacuteflateacuteedes services au sein des mesures de productiviteacute3 Pour que cette erreur de mesure expli-que le ralentissement de la croissance eacuteconomique de la productiviteacute ou de la consom-mation reacuteelle il faudrait qursquoelle ait augmenteacute depuis 1973 ce dont on nrsquoa pas de preuvessuffisantes ou que la part des secteurs mal mesureacutes ait augmenteacute or si les services onteffectivement augmenteacute leur part nrsquoa pas augmenteacute autant que la productiviteacute a baisseacuteEn outre lrsquoaugmentation de lrsquoerreur de mesure si elle srsquoest effectivement aggraveacutee au fildu temps a ducirc ecirctre progressive alors que la chute de la productiviteacute eacutetait brutale

1 Prescott (1997) inclut dans la cateacutegorie laquo mal deacutefinis raquo les services correspondant aux logementsoccupeacutes par leurs proprieacutetaires il srsquoappuie pour cela sur le fait qursquoune mesure de coucirct pour lrsquoutilisateurde services au logement est theacuteoriquement preacutefeacuterable agrave un loyer eacutequivalent au logement en questionparamegravetre qui est actuellement utiliseacute dans les comptes nationaux et dans lrsquoindice des prix agrave la con-sommation Dans la mesure ougrave le coucirct drsquoutilisation du capital a une valeur de location repreacutesenteacutee parla partie gauche de lrsquoeacutequation standard de Jorgenson (1989) le point de vue de Prescott ne peut pas ecirctretheacuteorique puisque les mesures du loyer et de lrsquooccupation par un proprieacutetaire devraient en theacuteorie ecirctreles mecircmes Je pense plutocirct qursquoil affirme implicitement que les estimations du coucirct drsquoutilisation fonc-tionnent mieux empiriquement dans le cas drsquoun logement occupeacute par son proprieacutetaire que dans celuidrsquoun logement loueacute Cette question de lrsquoempirisme a eacuteteacute tregraves abondamment exploreacutee dans la litteacuteratureeacuteconomique et lrsquoeacutevidence va contre lrsquoaffirmation de Prescott Voir Gillingham (1983) pour le cas drsquounlogement occupeacute par son proprieacutetaire et Harper Berndt et Wood (1989) pour lrsquoanalyse de problegravemescomparables dans lrsquoestimation du coucirct drsquoutilisation pour drsquoautres biens drsquoeacutequipement Je ne veux pasdire par lagrave qursquoil nrsquoexiste pas de problegraveme agrave mesurer le coucirct drsquoun logement occupeacute par son proprieacutetairejrsquoindique simplement que le raisonnement de Prescott ne semble pas coheacuterent avec les travaux empi-riques meneacutes sur le mecircme sujet2Personal Consumption Expenditures3 Jrsquoai commenteacute les estimations de distorsion reacutealiseacutees par la Commission Boskin et leurs implica-

tions au niveau de la mesure des deacutepenses de consommation des meacutenages (PCE reacuteel) et donc de la pro-ductiviteacute dans Triplett (1997)

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Je doute quant agrave moi que lrsquoaccentuation drsquoune mauvaise quantification de la consom-mation de services puisse expliquer le ralentissement apregraves 1973 de la consommationreacuteelle par habitant et donc de la productiviteacute Toutefois ces mesures erroneacutees pourraientexpliquer la perte drsquoune partie de la contribution des ordinateurs agrave la croissance sur unepeacuteriode couvrant agrave peu pregraves les vingt derniegraveres anneacutees qui viennent de srsquoeacutecouler

Au total la mauvaise mesure des services est sans doute affecteacutee du signe approprieacutepour reacutesoudre le paradoxe mais lrsquohypothegravese drsquoune mesure erroneacutee a-t-elle suffisam-ment de force pour le reacutesoudre en totaliteacute Je ne le pense pas

4 Que lrsquoon voie ou non des ordinateurs partout une partie du travail reacutealiseacute par ceux-ci nrsquoest pas comptabiliseacutee dans les statistiques

On trouve dans laquo Windows pour les Nuls raquo page 12 la phrase suivante laquo Windowsremplit lrsquoeacutecran avec plein de petites boicirctes et images rigolotes DOS crsquoest pour les gensqui ne mettent jamais drsquoautocollants sur leurs pare-chocs raquo

Plus loin ce manuel souligne agrave juste titre le fait que les images demandent une puis-sance nettement plus grande de lrsquoordinateur et que donc le fait drsquoutiliser Windows 95exige de disposer drsquoun ordinateur relativement puissant Un nombre consideacuterabledrsquoordinateurs et de logiciels reacutecemment lanceacutes sur le marcheacute a eacuteteacute conccedilu dans lrsquooptiquedrsquoune plus grande faciliteacute drsquoemploi

Mais ougrave donc dans les statistiques eacuteconomiques trouve-t-on comptabiliseacutee la valo-risation drsquoune meilleure commoditeacute et drsquoun meilleur interface Si ces eacuteleacutements sontproductifs autrement dit si par exemple les images et icocircnes permettent de faire plusde travail lrsquoameacutelioration en question va se retrouver dans les statistiques de producti-viteacute ou agrave tout le moins dans les donneacutees concernant la productiviteacute du travail

Drsquoun autre cocircteacute si les images sont juste destineacutees agrave apporter un cocircteacute laquo fun raquo jrsquoimagineqursquoun nouveau logiciel incorporant des graphiques agrave lrsquoeacutecran des controcircles laquo pointez-cliquez raquo et autres commoditeacutes entraicircne une consommation plus importante qursquoun logi-ciel plus ancien or cette consommation de travail ne figure nulle part dans les statisti-ques Si un logiciel contribue en partie agrave la production et en partie agrave rendre lrsquoutilisateurplus content de travailler une partie de ces gains est perdue au niveau des statistiques

Mecircme si je conviens qursquoun peu de laquo fun raquo ne nuit pas je soupccedilonne les technologuesdrsquoavoir exageacutereacute les meacuterites de ces raquo petites boicirctes et images rigolotes raquo On nrsquoa pas encorereacutesolu la question de savoir si les tout reacutecents deacuteveloppements concernant les ordina-teurs et les logiciels ont effectivement apporteacute de la convivialiteacute on nrsquoa drsquoailleurs pasnon plus trancheacute sur la justification du surcoucirct par rapport aux beacuteneacutefices apporteacutes

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Mais si les concepteurs de logiciels ont atteint leurs buts si les ordinateurs et logicielssont aujourdrsquohui plus souples et plus conviviaux et si la puissance de la machine quiest sur votre bureau est destineacutee agrave cet objectif les statistiques eacuteconomiques ne saisis-sent pas grand-chose de lrsquoameacutelioration de lrsquointerface

Lrsquoordinateur facilite par ailleurs la reacuteorganisation de lrsquoactiviteacute or les gains engen-dreacutes par cette reacuteorganisation peuvent eacutegalement ne pas figurer dans les statistiquesVoici un exemple que lrsquoon doit agrave Steiner (1995) lrsquoanalyse ne lui en revenant pas

Prenons un cas qui nrsquoest pas si hypotheacutetique celui drsquoune entreprise ameacutericaine speacute-cialiseacutee dans le jouet Gracircce agrave lrsquoinformatique et agrave des communications plus rapides etmoins chegraveres par lrsquoInternet cette socieacuteteacute a pu deacutevelopper son activiteacute jusqursquoagrave inteacutegrationglobale Aujourdrsquohui la direction baseacutee aux Eacutetats-Unis deacutetermine quels sont les pro-duits qursquoelle est susceptible de vendre aux USA conccediloit les jouets eacutelabore sa campagnemarketing et planifie la distribution Mais elle contracte avec tous les fabricants drsquoAsiequi ne sont pas forceacutement affilieacutes agrave lrsquoentreprise par le biais drsquoune participation Une foisles jouets fabriqueacutes ils sont expeacutedieacutes directement par bateau agrave des grossistes importantsinstalleacutes aux Eacutetats-Unis lrsquoentreprise ameacutericaine de jouets nrsquoa donc pas drsquoantenne com-merciale lui permettant de vendre au deacutetail des quantiteacutes importantes La facturation etles flux financiers sont assureacutees par une entiteacute eacutetrangegravere situeacutee disons aux BahamasDans cet exemple lrsquoordinateur et les technologies avanceacutees de lrsquoinformation ont permisagrave lrsquoentreprise ameacutericaine de jouets de reacutepartir les activiteacutes de fabrication de distributionet de suivi financier dans diffeacuterentes reacutegions du monde ougrave les coucircts sont les moins eacuteleveacutes

Du point de vue des actionnaires et des dirigeants lrsquoordinateur a apporteacute une forteaugmentation de la profitabiliteacute de lrsquoentreprise ceci poseacute ougrave ces gains se retrouvent-ils dans les statistiques ameacutericaines de productiviteacute

Les ressorts de lrsquoefficience

Extrait de Alan Greenspan laquo Information productivity and capital investment raquoThe Federal Reserve Board Remarks by Chairman Alan Greenspan

Before The Business Council Boca Raton Florida October 28 1999

httpwwwbogfrbfedusboarddocsspeeches1999199910282htm

La veacuteritable avalanche de donneacutees en temps reacuteel a favoriseacute une reacuteduction prononceacuteedes heures de travail neacutecessaires par uniteacute produite et une large expansion de nou-veaux produits dont la production a absorbeacute la force de travail qui nrsquoeacutetait plus indis-pensable pour soutenir le niveau et la composition anteacuterieurs de la production Cecontexte sur les cinq derniegraveres anneacutees srsquoest mateacuterialiseacute par une acceacuteleacuteration extrecircme-ment forte de la productiviteacute et en conseacutequence par une nette augmentation duniveau de vie du meacutenage Ameacutericain moyen

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Avant cette reacutevolution technologique la plupart des deacutecideurs dans les entreprises duXXe siegravecle eacutetaient handicapeacutes par une information moins abondante Nombre drsquoentrevous se rappellent qursquohier le bon fonctionnement des entreprises exigeait de preacutevoirdes redondances substantielles en raison du manque drsquoinformation sur les besoins desclients sur la localisation des stocks et sur les flux de matiegraveres drsquoœuvre au sein des com-plexes systegravemes de production

Ce doublonnage tant sur les mateacuteriaux que sur les employeacutes eacutetait indispensable pourcompenser en temps reacuteel les erreurs ineacutevitables drsquoappreacuteciation sur laquo lrsquoeacutetat raquo de lrsquoentre-prise Les deacutecisions se prenaient en fonction drsquoinformations vieilles de plusieurs heuresplusieurs jours voire mecircme plusieurs semaines De ce fait la planification de la produc-tion demandait des stocks de seacutecuriteacute extrecircmement coucircteux et des eacutequipes plus nom-breuses pour pouvoir reacuteagir agrave des situations impreacutevues ou mal eacutevalueacutees

Il reste bien sucircr de larges pans drsquoinformation qui restent inconnus et les preacutevisions deseacuteveacutenements dont deacutependent en dernier ressort les deacutecisions des entreprises demeurentdans un eacutetat drsquoincertitude ineacutevitable Pour autant au cours de ces derniegraveres anneacutees leremarquable essor observeacute dans la disponibiliteacute en temps utile des informations oppor-tunes a permis aux dirigeants de se passer largement du matelas de seacutecuriteacute repreacutesenteacutepar des stocks trop importants et certains salarieacutes qui faisaient double emploi

Le monde des entreprises est donc non seulement capable de reacuteagir avec unemeilleure preacutecision aux eacutevolutions de la demande mais en plus il offre des reacuteponsesplus rapides et plus efficaces Lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation en temps reacuteel qui deacutecoule parexemple de proceacutedeacutes tels lrsquoeacutechange de donneacutees informatiseacutees ou la localisation parsatellite des camions de livraison a favoriseacute la reacuteduction marqueacutee des deacutelais de livrai-son et des heures de travail neacutecessaires pour produire des biens de toute nature deslivres jusqursquoaux biens drsquoeacutequipement Cette situation a agrave son tour diminueacute la taille rela-tive des investissements neacutecessaires agrave la production des biens et services

Les proceacutedeacutes intermeacutediaire de production et de distribution qui eacutetaient absolumentessentiels agrave une peacuteriode ougrave la quantiteacute drsquoinformations et le controcircle qualiteacute laissaient agravedeacutesirer font actuellement lrsquoobjet drsquoune reacuteduction drsquoeacutechelle et parfois mecircme drsquoune eacuteli-mination Les sites Internet qui se font omnipreacutesents promettent une modification signi-ficative dans la faccedilon dont des pans entiers de nos systegravemes de distribution sont geacutereacutes

Dans lrsquoexemple que nous avons choisi lrsquoordinateur a augmenteacute la productiviteacute desfabricants asiatiques des armateurs libeacuteriens des eacutetablissements financiers des Caraiuml-bes en leur donnant un meilleur accegraves aux marcheacutes et agrave la distribution ameacutericains Laseule activiteacute restant agrave lrsquoentreprise ameacutericaine de jouets se reacuteduit agrave son eacutequipedirigeante ougrave est la mesure de lrsquooutput drsquoun eacutetat-major

Si lrsquoimpact de lrsquoordinateur sur la profitabiliteacute de cette entreprise participe effective-ment agrave la productiviteacute ameacutericaine le calcul de cette contribution exige que lrsquoon trouvedes meacutethodes permettant de tenir compte du design du marketing de la distribution

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et des activiteacutes de coordination reacutealiseacutes par lrsquoeacutequipe de direction or il srsquoagit lagrave drsquoactiviteacutesde services pour lesquels les outputs sont actuellement mesureacutes de faccedilon imparfaite1

5 On ne voit pas encore les ordinateurs dans les statistiques de productiviteacute mais ilsuffit drsquoattendre un peu

David (1990) a eacutetabli une analogie entre la diffusion de lrsquoeacutelectriciteacute et celle de lrsquoordi-nateur La connexion entre ces innovations tient selon lui au fait que toutes deuxlaquo forment les eacuteleacutements nodaux raquo des reacuteseaux et laquo occupent des positions clefs dans unetoile de relations techniques fortement compleacutementaires raquo Le paralleacutelisme desreacuteseaux amegravene David agrave preacutevoir que la diffusion des ordinateurs et les effets de ceux-cisur la productiviteacute suivront la mecircme eacutevolution sur une dureacutee prolongeacutee que lrsquoon aobserveacutee pour lrsquoeacutelectriciteacute

laquo Ce nrsquoest pas avant le deacutebut des anneacutees 1920 que lrsquoeacutelectrification des usines (hellip) aeu un impact sur lrsquoaugmentation de productiviteacute dans les secteurs industriels Agrave cetteeacutepoque agrave peine plus du quart de lrsquoeacutenergie meacutecanique eacutetait eacutelectrifieacute dans les uniteacutes deproduction (hellip) Or on eacutetait quatre deacutecennies apregraves lrsquoouverture de la premiegravere centraleeacutelectrique destineacutee aux entreprises raquo (David 1990 page 357)

Cette theacuteorie a fait lrsquoobjet drsquoune tregraves large diffusion dans la presse populaire

Que lrsquoordinateur ait ou non deacutejagrave atteint son potentiel maximal (voir la section VI)je doute que lrsquoanalogie avec lrsquoeacutelectriciteacute soit eacutedifiante Mokyr (1997) adresse drsquoailleursune mise en garde laquo Les analogies historiques sont tout aussi instructives qursquoelles peu-vent ecirctre trompeuses et elles deviennent plus dangereuses que partout ailleurs quandil srsquoagit de progregraves technologiques ougrave les changements sont impreacutevisibles cumulatifset irreacuteversibles raquo Les reacuteseaux respectifs des ordinateurs et de lrsquoeacutelectriciteacute peuvent ounon preacutesenter une analogie mais lrsquoordinateur diffegravere fondamentalement de lrsquoeacutelectri-citeacute par son comportement en termes de prix et donc par son scheacutema de diffusion

Plus de quarante ans ont passeacute depuis le lancement du premier ordinateur commer-cial Le coucirct de la puissance repreacutesente aujourdrsquohui moins de 00005 de ce qursquoil eacutetaitau moment de la preacutesentation du premier ordinateur (voir le tableau 4) Le prix de lapuissance a eacuteteacute diviseacute par plus de 2 000 en pregraves de 45 ans

On ne retrouve pas agrave la naissance de lrsquoeacutelectriciteacute une chute de prix drsquoune ampleurressemblant agrave celle-ci de pregraves ou de loin David note que les prix de lrsquoeacutelectriciteacute nrsquoontcommenceacute agrave baisser que dans la quatriegraveme deacutecennie suivant son introduction Nord-

1 Et en tout eacutetat de cause il nrsquoexiste pas actuellement de convention permettant de les imputer auxeacutetats-majors

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haus (1997) estime certes que le prix de lrsquoeacuteclairage par lumen a diminueacute de 85 entre 1883 et 1920 mais les deux tiers de cette baisse sont imputables agrave lrsquoaugmenta-tion drsquoefficaciteacute des ampoules et non agrave la production drsquoeacutelectriciteacute Sichel (1997) quantagrave lui arrive agrave une estimation diffeacuterente Gordon (1990) a reacutealiseacute des indices de prix desappareils geacuteneacuterateurs drsquoeacutelectriciteacute qui ne vont que jusqursquoagrave 1947 mais on voit maldans cet historique ce qui pourrait suggeacuterer une baisse des prix drsquoun niveau compara-ble mecircme de loin agrave celle qursquoont connue les ordinateurs

Dans la mesure ougrave lrsquoeacutevolution des prix est extrecircmement diffeacuterente drsquoun produit agrave lrsquoautreles modegraveles de diffusion de lrsquoeacutenergie eacutelectrique et de la puissance informatique sont eux aussifondamentalement dissemblables Dans la diffusion drsquoune innovation quelle qursquoelle soiton distingue deux sources de demande soit cette innovation supplante une ancienne tech-nologie pour effectuer les mecircmes choses soit elle facilite la reacutealisation de choses nouvelles

Au deacutepart lrsquoeacutelectriciteacute nrsquoa pas affecteacute les activiteacutes qui faisaient autrefois appel agravelrsquoeacutenergie hydraulique ou agrave la vapeur La manufacture qui eacutetait situeacutee pregraves drsquoun coursdrsquoeau dont elle obtenait son eacutenergie meacutecanique ne srsquoest pas convertie agrave lrsquoeacutelectriciteacute etsi elle ne lrsquoa pas fait crsquoest que lrsquoeacutenergie fournie par lrsquoeau restait moins chegravere pour elle en effet lrsquoeacutelectriciteacute aurait neacutecessiteacute une double transformation celle de lrsquoeacutenergiehydraulique en eacutenergie eacutelectrique puis en eacutenergie meacutecanique1 En revanche lrsquoeacutelectri-citeacute a permis lrsquoimplantation drsquousines agrave distance des cours drsquoeau et donc sa diffusionsrsquoest accompagneacutee agrave lrsquoorigine de nouvelles faccedilons de faire Crsquoest seulement agrave lrsquoissuedrsquoune longue peacuteriode que sa production a affecteacute ce qui se faisait auparavant en recou-rant agrave lrsquoeacutenergie hydraulique ou agrave la vapeur

Pour ce qui concerne le processus de diffusion de lrsquoordinateur les premiegraveres applica-tions ont supplanteacute des technologies anciennes de calcul2 Lrsquoeacutenergie hydraulique ou lavapeur ont surveacutecu longtemps agrave lrsquoapparition de lrsquoeacutelectriciteacute mais les machines de cal-

1 David (1990 page 357) note la ldquonon-profitabiliteacute du remplacement de sites de transformationencore exploitables et preacutesentant des technologies de production recourant agrave lrsquoeacutenergie meacutecanique pro-venant de lrsquoeau et de la vapeurrdquo Il fait remarquer que ldquoles applications de lrsquoeacutenergie eacutelectrique ontattendu que se deacutepreacutecient ulteacuterieurement les structures industrielles agrave longue dureacutee de vierdquo Le fait queles industriels aient attendu que leurs eacutequipements fonctionnant agrave lrsquoeacutenergie hydraulique ne soient plusutilisables avant de les remplacer par des eacutequipements eacutelectriques vient confirmer de faccedilon eacuteloquentela puissance de lrsquoimpact prix et lrsquoobsolescence affectant les ordinateurs lrsquoeacutevidence suggegravere que les ordi-nateurs ne se deacuteteacuteriorent pas de faccedilon substantielle agrave lrsquousage (Oliner 1993) mais pour autant combienreste-t-il en service de machines datant de la premiegravere ou de la deuxiegraveme deacutecennie de lrsquoegravere delrsquoinformatique Lrsquoordinateur et lrsquoeacutelectriciteacute ont des histoires diffeacuterentes et non pas similaires2 Pour illustrer ce point mentionnons Longley (1967) qui a montreacute que les algorithmes drsquoinversion

de matrice dans les premiers programmes de reacutegression des ordinateurs eacutetaient deacutetermineacutes drsquoapregraves desmeacutethodes simplifieacutees utiliseacutees pour les calculatrices meacutecaniques et contenaient donc des erreurs quiaffectaient les coefficients de reacutegression au premier ou deuxiegraveme chiffres significatifs A lrsquoorigine lesconcepteurs de ces meacutethodes plus rapides et moins oneacutereuses nrsquoont pas tireacute parti de la vitesse des ordi-nateurs pour ameacuteliorer la preacutecision des calculs simplement ils ont ldquoinformatiseacuterdquo ce qui se pratiquaitauparavant

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cul existant avant lrsquoordinateur ont disparu depuis fort longtemps deacutejagrave Nos assistantsde recherche utilisent-ils encore des calculatrices Marchant si tant est qursquoils sachentde quoi il srsquoagit La baisse forte et continue du prix des ordinateurs contribue depuisbien des anneacutees agrave peser dans la deacutecision de remplacer les calculatrices cartes perforeacuteeset autres outils de mecircme nature par des machines modernes de la mecircme faccedilon que enson temps le moulin a ceacutedeacute la place agrave lrsquoeacutenergie hydraulique

Dans lrsquohistoire de lrsquoeacutelectriciteacute lrsquoextension agrave de nouvelles applications a preacuteceacutedeacute leremplacement des meacutethodes anciennes parce que le prix de lrsquoeacutelectriciteacute ne rendait pascelles-ci immeacutediatement obsolegravetes Dans le cas de lrsquoordinateur la disparition desanciennes meacutethodes a deacutebuteacute immeacutediatement lrsquoobsolescence eacutetant acceacuteleacutereacutee par larapide chute des prix de lrsquoinformatique

Mecircme si certaines applications nouvelles de la puissance de lrsquoordinateur consti-tuent de prodigieuses ameacuteliorations en termes de possibiliteacutes lrsquoeffet prix reste extrecirc-mement important lui aussi Quand on passe agrave lrsquoinformatisation ce sont lesmeacutethodes les plus valoriseacutees qui sont implanteacutees en premier lieu Agrave mesure que lapuissance informatique devient moins chegravere les nouvelles installations ont unevaleur moindre et sont marginales Ce principe est suggeacutereacute par les taux drsquoutilisation ainsi par exemple quand jrsquoeacutetais en troisiegraveme cycle jrsquoemportais mes cartes perforeacuteesau centre informatique et lagrave jrsquoattendais un ordinateur qui eacutetait cher alors que jrsquoavaispeu de moyens Aujourdrsquohui crsquoest lrsquoordinateur que jrsquoai sur mon bureau quimrsquoattend et ce nrsquoest pas tant que je pegravese beaucoup plus financiegraverement crsquoest plutocirctqursquoil est devenu si bon marcheacute qursquoon peut lrsquoutiliser pour des activiteacutes qui ne sont pasen elles-mecircmes particuliegraverement valoriseacutees

Quand on compare les quarante premiegraveres anneacutees de lrsquoeacutenergie eacutelectrique et de lapuissance informatique on constate que mille choses au moins seacuteparent ces deuxinnovations Et ce que lrsquoon sait sur leurs processus respectifs de diffusion concorde avectoutes ces diffeacuterences En fait il est inconcevable qursquoil en soit autrement et donc je necrois pas que lrsquohistoire de la diffusion de lrsquoeacutenergie eacutelectrique telle que lrsquoa deacutecrite Davidait quoi que ce soit agrave voir avec lrsquohistoire et les perspectives de lrsquoinformatique

6 On voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productiviteacute parce queles ordinateurs ne sont pas aussi productifs qursquoon le croit

Dans un dessin humoristique de Dilbert dateacute du 5 mai 1997 on lit que laquo la totaliteacutedu temps passeacute par les hommes agrave attendre le chargement des pages de Web (hellip) annuletous les gains de productiviteacute de lrsquoegravere de lrsquoinformation raquo Dilbert nrsquoest certainement pas

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le seul racircleur agrave srsquoecirctre demandeacute si lrsquoexpansion des technologies de lrsquoinformation srsquoeacutetaittraduite par des beacuteneacutefices correspondant soit agrave lrsquoinvestissement soit agrave la forte aug-mentation de la vitesse des ordinateurs

Crsquoest un lieu commun de dire que lrsquohistoire de lrsquoordinateur se reacutesume au remplace-ment constant drsquoune technologie par une autre Mais ces progregraves technologiques tregravesrapides ont pour contrepartie un taux drsquoobsolescence absolument vertigineux quimegravene au rebut des pans entiers drsquoinvestissements alors que les machines sont encoreen eacutetat de fonctionnement Si celles-ci avaient eacuteteacute conserveacutees le flux de services seraitplus grand aujourdrsquohui mais guegravere de beaucoup En effet un ordinateur personneleacutequipeacute drsquoune puce 8086 atteignait 033 MIPS (une mesure de vitesse) en 1978 unordinateur baseacute sur Pentium offrait 150 MIPS en 1994 et leur vitesse est de plus de 200actuellement Donc si elles avaient eacuteteacute gardeacutees toutes les machines 8086 qui ont eacuteteacuteconstruites ne contribueraient que tregraves marginalement au stock total actuel de MIPSinstalleacutes

Ceci poseacute mecircme si elles ne valent plus grand-chose aujourdrsquohui ces machines 8086 ontapporteacute de reacuteelles ressources agrave la production entre 1978 et 1982 peacuteriode agrave laquelle ellesconstituaient des mateacuteriels de pointe Or il nrsquoexiste pas actuellement de retour pour les res-sources substantielles qui ont eacuteteacute investies dans les ordinateurs dans un passeacute reacutecent

Il ne srsquoagit pas uniquement du mateacuteriel on entend parler de nombreux projets delaquo refonte des systegravemes informatiques raquo agrave un coucirct prohibitif Il sont traiteacutes de faccedilonanecdotique dans la presse quand il srsquoagit de projets tregraves coucircteux ou encore quand lrsquoundrsquoentre eux a connu la honte de lrsquoeacutechec apregraves avoir englouti une masse drsquoinvestisse-ments Les exemples abondent en la matiegravere comme lrsquoeacutechec qui a coucircteacute il y a plusieursanneacutees plus de 3 milliards de dollars agrave lrsquoInternal Revenue Service1 ou plus reacutecemmentle projet Medicare qui a eacuteteacute tregraves critiqueacute Dans un certain nombre drsquoorganisationslrsquoeacutetude drsquoun projet de refonte du systegraveme informatique fait presque toujours preacutetendreque lrsquoancien systegraveme est deacutepasseacute et doit ecirctre remplaceacute par un nouveau Agrave la une de soneacutedition du 30 avril 1998 le Wall Street Journal indique que laquo 42 des projets drsquoentre-prise concernant les nouvelles technologies sont abandonneacutes avant achegravevement raquo etque laquo 50 des projets ne reacutepondent pas aux attentes des dirigeants raquo Le bug delrsquoan 2000 pourrait venir compleacuteter le tableau encore qursquoil srsquoagisse plus drsquoun problegravemede management ou drsquoun logiciel qui aurait eacuteteacute utiliseacute plus longtemps que ne le preacute-voyaient ses concepteurs plutocirct que drsquoune question inheacuterente agrave la relation ordina-teurprogramme

Pour ce qui concerne les ordinateurs personnels on assiste agrave des lancements en per-manence de nouveaux systegravemes drsquoexploitation traitements de texte etc Mecircme si tou-tes les nouvelles versions repreacutesentaient une ameacutelioration substantielle pour les

1 Lrsquoeacutequivalent drsquoune Direction des Impocircts (NdT)

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utilisateurs il faudrait se poser la question de leur coucirct de remplacement Nombreuxsont ceux qui dans lrsquoindustrie informatique ou dans drsquoautres secteurs se demandentsi ces coucircts de conversion ont eacuteteacute correctement pris en compte dans le cycle de renou-vellement La plupart des utilisateurs ont-ils vraiment besoin drsquoun logiciel dernier cri En attendant les mises agrave jour se succegravedent

Raff et Trajtenberg (1997) montrent que la baisse des prix des voitures coupleacutee avecune ameacutelioration de la qualiteacute qui a marqueacute les deacutebuts de lrsquohistoire de lrsquoautomobileest comparable agrave celle des ordinateurs Il existe toutefois une notable diffeacuterence crsquoestque pour un grand nombre drsquoacheteurs de voitures la Ford T eacutetait largement suffi-sante Ses conducteurs nrsquoavaient pas besoin drsquoecirctre agrave la pointe de la technologie mecircmesi certains voulaient absolument ce qui se faisait de mieux Le fait que lrsquoindustrie infor-matique nrsquoait pas reacuteussi agrave produire lrsquoeacutequivalent drsquoun modegravele T constitue peut-ecirctre lamanifestation drsquoun manque de discipline des ingeacutenieurs mais peut-ecirctre aussi lapreuve de diffeacuterences fondamentales entre les marcheacutes informatique et automobileQuand on achetait une Ford T drsquooccasion on pouvait la conduire sur les mecircmes routesque si on srsquoeacutetait eacutequipeacute drsquoun modegravele neuf agrave lrsquoinverse il nrsquoest plus possible de se servirdrsquoun vieil ordinateur sur les nouvelles autoroutes de lrsquoinformation De surcroicirct ontrouvait toujours quelqursquoun pour reacuteparer un modegravele ancien de voiture alors que lemarcheacute de lrsquoapregraves-vente drsquoordinateurs est loin drsquoavoir connu la mecircme croissance quecelui des ordinateurs neufs

Toutes ces nouvelles versions se traduisent-elles par une augmentation de producti-viteacute ou sont-elles inutiles Les opinions divergent sur ce sujet On peut faire les mecircmestacircches en traitement de texte avec une technologie nouvelle qursquoavec une ancienneQuelle est la valeur des ameacuteliorations marginales en termes de confort ou de vitessepar exemple Peut-ecirctre nrsquoest-elle pas si forte comme lrsquoaffirment certains utilisateursmais en tout eacutetat de cause elle repreacutesente un faible coucirct dans la toute nouvelle techno-logie Ainsi les graphiques et les icocircnes occupent une part non neacutegligeable de la capa-citeacute mais dans la mesure ougrave cette capaciteacute est peu oneacutereuse dans les deacuteveloppementstechnologiques les plus reacutecents le coucirct diffeacuterentiel venant en contrepartie de lrsquooffre degraphiques et icocircnes est faible et ces eacuteleacutements sont donc incorporeacutes dans les logicielssortis derniegraverement Les techniciens considegraverent que srsquoil est possible de fournir agrave faiblecoucirct aux utilisateurs une petite icocircne animeacutee qui indique qursquoune page est en coursdrsquoimpression il nrsquoy a pas de raison de srsquoen priver De la mecircme faccedilon si on peut offrirpour un coucirct modique un choix extraordinaire de menus pourquoi ne pas le faire

Les esprits chagrins feront remarquer que le fait drsquoajouter toutes ces caracteacuteristiquesdonne au bout du compte un ordinateur de plus en plus puissant offrant une capaciteacutede meacutemoire de plus en plus grande mais qui effectue la plupart des tacircches plus lente-ment qursquoun modegravele drsquoordinateur plus ancien et moins puissant Un 386 avec un sys-tegraveme drsquoexploitation et un traitement de texte des premiegraveres geacuteneacuterations est peut-ecirctre

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plus rapide pour certaines opeacuterations qursquoun Pentium offrant les technologies les plusreacutecentes en la matiegravere Pour beacuteneacuteficier des avantages de la derniegravere mise agrave jour drsquountraitement de texte il faut parfois engager des sommes importantes de mise agrave jour delrsquoordinateur et du systegraveme drsquoexploitation et il arrive mecircme que lrsquoon soit contraint derenoncer agrave un certain nombre de possibiliteacutes offertes par lrsquoancien systegraveme mais nondisponibles sur le nouveau On serait donc bien loin du point de vue purement tech-nologique exprimeacute par les programmeurs

Le choix des menus se traduit lui aussi par un coucirct Ainsi par exemple ma derniegraveremessagerie eacutelectronique offre un choix beaucoup plus vaste que la preacuteceacutedente maispour effectuer certaines tacircches il faut maintenant que je frappe plus de touches parailleurs le systegraveme est plus lent que lrsquoancien agrave exeacutecuter certains ordres Il srsquoagit en faitlagrave de lrsquoapplication agrave lrsquoinformatique drsquoun principe eacuteconomique geacuteneacuteral qui veut quealors qursquoil existe un deacutesir de disposer drsquoopportuniteacutes de choix de plus en plus nombreu-ses le fait drsquoopeacuterer des choix est une deacutemarche coucircteuse et donc je refuse drsquoecirctre forceacutede choisir dans un menu qui est de plus en plus fourni

Certains professionnels de lrsquoinformatique srsquoeacutetonnent par ailleurs des orientationsprises reacutecemment par les creacuteateurs de logiciels Ainsi par exemple on trouve agrave la pre-miegravere page du New York Times du 24 juin 1997 en section C cette opinion deMichael Dertouzos laquo Qualifier un ordinateur de convivial simplement parce qursquoiloffre un choix infini de polices de caractegraveres et de fonds drsquoeacutecran cela revient agrave vouloirfaire croire qursquoun chimpanzeacute est chirurgien parce qursquoon lui a passeacute une blousedrsquohocircpital raquo

Par ailleurs lrsquoutilisateur est conscient mecircme si le programmeur ne lrsquoest pas que lechangement lui-mecircme est coucircteux Il ne srsquoagit pas uniquement du coucirct drsquoacquisitiondrsquoune nouvelle version de logiciel ou du coucirct drsquoinstallation et de parameacutetrage le faitdrsquoapprendre les nouvelles commandes et de deacutesapprendre les anciennes se traduit luiaussi en termes financiers et de faccedilon substantielle1 Le coucirct du temps des utilisateursrepreacutesente sans aucun doute la composante la plus importante quand on veut chif-frer les conseacutequences drsquoun changement il est nettement plus eacuteleveacute que les coucirctsdirects Or traditionnellement seuls ceux-ci sont pris en compte dans la comptabi-liteacute des entreprises alors que les laquo temps morts raquo constituent un poids qui obegravere laproductiviteacute Blinder et Quandt (1997) insistent eacutegalement sur les coucircts drsquoapprentis-sage et drsquoobsolescence qui sont des freins au potentiel de gains de productiviteacute desordinateurs

1 Il serait bien difficile de ne pas se demander si on nrsquoaurait pas pu eacuteviter une bonne partie de ce coucirctdans lrsquohypothegravese ougrave lrsquoon aurait conserveacute les anciens symboles et icocircnes dans les nouvelles versionsLrsquoanalogie avec le clavier QWERTY de la machine agrave eacutecrire qui a eacuteteacute conserveacute sur les ordinateurs est toutagrave fait pertinente pourquoi ne constate-t-on pas une inertie similaire dans le software au niveau descommandes et des icocircnes

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Les porte-parole de lrsquoindustrie informatique se plaisent agrave eacutevoquer lrsquoanalogie entre lesgains technologiques de leur secteur drsquoactiviteacute et la mise agrave disposition des consomma-teurs drsquoune Rolls-Royce qui irait agrave 300 kmh ne consommerait que 4 litres aux 100 etne coucircterait que 100 dollars Quand on lui parle de progregraves en informatique le rabat-joie entend plutocirct la version suivante laquo On vous fournit un logiciel eacutequivalent agrave unenouvelle route agrave peacuteage mais pour pouvoir emprunter celle-ci il faut drsquoabord acheterun nouvel ordinateur eacutequivalent agrave une Rolls-Royce en plus vous ne pourrez plus con-duire sur lrsquoancienne route qui avait eacuteteacute inteacutegralement payeacutee parce qursquoon ne va pluslrsquoentretenir raquo

Pour autant en regravegle geacuteneacuterale et de faccedilon tregraves nette les gens ne laissent pas passerles derniegraveres ameacuteliorations pour garder lrsquoancienne technologie ou en tout cas il nele font pas tregraves longtemps Il est troublant de recourir pour en donner une explica-tion agrave une certaine forme drsquoeacutechec du marcheacute allant agrave lrsquoopposeacute du cas si deacutecrieacute deMicrosoft et de sa situation de monopole Srsquoil existe une explication au paradoxeinformatique relative agrave un gacircchis il faut plutocirct chercher du cocircteacute drsquoun eacutechec mana-geacuterial ou drsquoun manque de prise de deacutecision de la part des utilisateurs drsquoordinateurs etde logiciels

Si les deacutecisions prises dans le passeacute concernant les ordinateurs srsquoavegraverent inefficacesque dire de lrsquoavenir Une faccedilon drsquoenvisager les choses consiste agrave dire que quand onaura appris agrave utiliser les ordinateurs le futur promet de satisfaire les espoirs si souventdeacuteccedilus du passeacute Les ordinateurs sont productifs ce sont les hommes qui ne les ont pasutiliseacutes de maniegravere productive Et ces machines ameacutelioreront la productiviteacute agrave lrsquoavenirmecircme si elles ne lrsquoont pas fait dans le passeacute Autrement dit le rendement veacuteritable desordinateurs est plus important dans lrsquoavenir que ce qui a eacuteteacute mesureacute jusqursquoagrave preacutesent Etsi lrsquoapport veacuteritable ou potentiel est nettement plus important il faut que lrsquoeacuteconomieinvestisse dans les ordinateurs plus encore qursquoelle ne lrsquoa fait jusqursquoagrave preacutesent

Mais si les deacutecisions prises dans le passeacute ont eacuteteacute mauvaises ou inapproprieacutees celapeut vouloir dire aussi que lrsquoon a deacutejagrave trop investi dans les ordinateurs qui srsquoavegraverentmoins productifs qursquoon lrsquoavait penseacute au moment ougrave ont eacuteteacute prises les deacutecisions drsquoinfor-matisation Un tel cas de figure augure moins bien de lrsquoavenir comme crsquoest en geacuteneacuteralle cas en lrsquooccurrence ce que nous ont apporteacute pour lrsquoinstant les recherches sur ce pointne va pas au-delagrave du regard poseacute par Dilbert sur le sujet

Pour terminer eacutevoquons un dernier point Lrsquoordinateur a peut-ecirctre entre autrestalents celui de reacuteduire les coucircts de certains comportements la recherche drsquoune loca-tion par exemple ou encore de favoriser les situations drsquoeacutemulation en oligopole lesstrateacutegies de partage de marcheacutes etc Il a permis par exemple drsquoexeacutecuter un plus grandnombre drsquoopeacuterations de bourse en simultaneacute Bresnahan Milgrom et Paul (1992) onteacutetudieacute la valeur drsquoune richesse plus importante en informations sur le marcheacute boursierIls en ont conclu que ce surcroicirct drsquoinformations ne contribuait pas agrave la productiviteacute

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parce que ces informations ne concernaient que les personnes recevant des gains ellesnrsquoaugmentaient donc pas le gain social de lrsquoactiviteacute boursiegravere tout entiegravere Ceci vientmettre lrsquoaccent sur le fait qursquoil ne faut pas confondre lrsquoimpact de lrsquoordinateur sur lespersonnes ou les entreprises et ses effets sur lrsquoeacuteconomie nationale Dans certains cason ne constate pas drsquoeffet net agrave lrsquoeacutechelle eacuteconomique les gains se faisant au deacutetrimentdrsquoautres personnes ou entreprises

7 Il nrsquoy a pas de paradoxe certains eacuteconomistes eacutevaluent les innovations et les nou-veaux produits sur une eacutechelle arithmeacutetique alors qursquoelle devrait ecirctre logarithmique

Pour de nombreux eacuteconomistes et notamment les eacuteconomistes drsquoentreprises ledeacutebat preacuteceacutedent nrsquoest pas satisfaisant Ils voient plus drsquoeacutevolutions techniques plus denouveaux produits plus de changements dans le service aux consommateurs dans lesmeacutethodes de livraison et dans drsquoautres secteurs innovants que ne le laissent entendreles statistiques gouvernementales en termes de productiviteacute et cette incoheacuterence estselon eux constitutive du paradoxe Nous sommes agrave cet eacutegard dans une laquo nouvelleeacuteconomie raquo inondeacutes drsquoun flot drsquoinnovations et de nouveaux produits qui nrsquoa pas depreacuteceacutedent et rien de ce flot nrsquoest pris en compte dans les chiffres concernant la produc-tiviteacute

Cette position est reprise par les journaux les magazines eacuteconomiques et aussi lesbulletins de la Reacuteserve feacutedeacuterale et srsquoentend eacutegalement lors de confeacuterences Il est vraiqursquoautrefois tous les produits eacutetaient standardiseacutes et faciles agrave mesurer dit-on aujourdrsquohui en revanche on nous indique un flot de nouveaux produits drsquoameacuteliora-tions qualitatives et de produits sur mesure correspondant agrave des niches les cycles desproduits se raccourcissent et de nouveaux services dans des secteurs tels que la banqueou la finance sont mis en place avec une rapiditeacute ineacutedite Crsquoest agrave un point tel que lepreacutesident de la Reacuteserve feacutedeacuterale a indiqueacute que le niveau actuel drsquoinnovations techno-logiques constituait un pheacutenomegravene se produisant une fois par siegravecle qui entraicircneraitune augmentation spectaculaire de la productiviteacute

Du point de vue de la nouvelle eacuteconomie le paradoxe de la productiviteacute nrsquoest pasveacuteritablement un paradoxe lieacute agrave lrsquoordinateur les gens ont tendance agrave engranger desanecdotes sur le sujet qui peuvent eacutemaner de leur propre entreprise ou provenir de lalecture de journaux ou encore avoir eacuteteacute raconteacutees par des tiers Lrsquoaccumulation de tou-tes ces histoires ne semble pas coheacuterente avec lrsquoaugmentation modeste des chiffressur la productiviteacute De ce point de vue on nrsquoest pas tant dans la conviction que lrsquoordi-nateur a augmenteacute la productiviteacute que dans la conviction que la productiviteacute a aug-

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menteacute mais sur la base drsquoautres preuves En effet la phrase de Solow (1987) preacuteceacutedantimmeacutediatement son ceacutelegravebre aphorisme soulegraveve le mecircme point laquo [Les auteurs] sontsouvent gecircneacutes par le fait que ce que chacun pense avoir repreacutesenteacute une reacutevolution techno-logique un changement radical dans nos vies productives srsquoaccompagne partout (hellip)drsquoun ralentissement de lrsquoaugmentation de productiviteacute et non par une acceacuteleacuteration raquo

Par conseacutequent lrsquoordinateur a constitueacute un signal ou peut-ecirctre un symbole de toutecette productiviteacute par lrsquoinnovation et les nouveaux produits que lrsquoon imaginait Il afourni une logique permettant drsquoexpliquer pourquoi eacutetait exacte la perception que lerythme de lrsquoeacutevolution technique srsquoacceacuteleacuterait et pourquoi eacutetaient fausses les statisti-ques sur la productiviteacute Crsquoest pour cette raison que les eacuteconomistes ont pris le para-doxe au seacuterieux Ce nrsquoest pas tant que lrsquoon pouvait ou non voir des ordinateurs partoutou qursquoils eacutetaient productifs ou encore que certaines de leurs utilisations srsquoanalysaienten gaspillage ou encore les sections 1 agrave 6 du preacutesent article Crsquoest plutocirct que lrsquoordina-teur donnait une creacutedibiliteacute agrave toutes les choses nouvelles que les eacuteconomistes pen-saient voir de faccedilon anecdotique mais qui nrsquoapparaissaient pas dans les chiffresglobaux de productiviteacute

Ces anecdotes sur les nouveaux produits les nouveaux services les nouvellesmeacutethodes de distribution et les nouvelles technologies constituent sans aucun doutedes observations valables Bien que personne ne sache comment faire le compte de cesnouveauteacutes il nrsquoy a pas agrave discuter sur le fait qursquoelles sont plus nombreuses que jamaisde nos jours Ceci poseacute ces anecdotes manquent totalement drsquoune perspective histo-rique et en ce sens sont trompeuses quand on les considegravere comme des preuves deproductiviteacute

Pour qursquoexiste un impact sur la productiviteacute il faut que le taux de creacuteation de nou-veaux produits et drsquoapparition de nouvelles technologies soit plus grand que dans lepasseacute comme le montre un simple exemple chiffreacute Supposons que toutes les ameacutelio-rations de productiviteacute proviennent du deacuteveloppement de nouveaux produits Suppo-sons par ailleurs que agrave lrsquoanneacutee A0 il existe 100 produits et que dix pour cent soientnouveaux Pour que le taux de productiviteacute soit en augmentation constante il faudraque soient creacuteeacutes 11 nouveaux produits lrsquoanneacutee suivante et 12 nouveaux produitslrsquoanneacutee A2 Si lrsquoon maintient constant ce taux de productiviteacute il faudra creacuteer26 nouveaux produits au bout de 10 ans 62 produits au bout de 20 ans et ainsi desuite en suivant une progression arithmeacutetique Au fil de la croissance de lrsquoeacuteconomie ilfaut donc un nombre toujours plus important de nouveaux produits pour garder untaux constant de croissance de productiviteacute

La plupart des anecdotes consideacutereacutees comme constituant la preuve drsquoune laquo nouvelleeacuteconomie raquo amegravenent agrave penser que effectivement il y a bien un nombre plus grand denouveauteacutes mais cela ne veut pas neacutecessairement dire que le taux de nouveauteacutes soitplus grand Ainsi par exemple de nombreux eacuteconomistes considegraverent que le nombre

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accru de reacutefeacuterences dans un supermarcheacute constitue la preuve drsquoun choix plus vasteoffert au consommateur drsquoinnovations marketing etc1 Diewert et Fox (1997tableau 5) rapportent que en 1994 il y a deux fois plus de produits dans un supermar-cheacute moyen qursquoen 1972 respectivement 19 000 et 9 000 Mais le taux de croissancepour la peacuteriode 1948-1972 (2 200 produits en 1948 et 9 000 en 1972) eacutetait plus de qua-tre fois supeacuterieur agrave celui de la peacuteriode 1972-1994 on notera par ailleurs que ces deuxpeacuteriodes sont de longueur agrave peu pregraves eacutegale Par conseacutequent il est vrai que lrsquoon trouveplus de produits dans les supermarcheacutes en 1994 que vingt ans auparavant pourtantle taux de croissance a chuteacute

Il existe drsquoautres illustrations de cette mecircme deacutemonstration Ainsi par exemple laCommission Boskin preacutesente comme un gain en bien-ecirctre le fait de disposer de vinsfins importeacutes La baisse des coucircts de transport permet de trouver aux Eacutetats-Unis desvins australiens agrave bas prix et presque au mecircme prix qursquoen Australie Il y a donc bienune augmentation du nombre de produits disponibles et en ce sens on peut parlerdrsquoun progregraves Pour autant peut-on dire que cette augmentation entraicircne un accroisse-ment proportionnel plus important en termes drsquoopportuniteacutes de choix et de consom-mation que les augmentations survenues dans le passeacute

Diewert (1993) donne en exemple deacutejagrave releveacute par Alfred Marshall le cas drsquoun nou-veau produit au XIXe siegravecle La baisse des coucircts de transport rendue possible notam-ment gracircce au chemin de fer a permis drsquoacheminer du poisson frais depuis les cocirctesvers lrsquointeacuterieur du pays et ce pour la premiegravere fois en Angleterre au milieu du XIXe

siegravecle Mokyr (1997) observe que laquo lrsquoaugmentation importante de la qualiteacute et de lavarieacuteteacute des biens de consommation est une caracteacuteristique indeacuteniable de la reacutevolu-tion industrielle en Angleterre Cependant la classe ouvriegravere consacre toujourslrsquoessentiel de son revenu agrave se nourrir et agrave se loger raquo Si lrsquoon considegravere le tregraves petit nom-bre de biens de consommation accessibles agrave lrsquoouvrier moyen et mecircme en tenantcompte du fait que le poisson frais eacutetait agrave lrsquoorigine consommeacute principalement par lesclasses moyennes peut-on dire que lrsquointroduction du poisson frais repreacutesente uneaugmentation du nombre de nouveaux produits moindre que la disponibiliteacute envins drsquoAustralie et autres produits similaires au siegravecle suivant Jrsquoaurais tendance agravepenser que la meilleure reacuteponse consiste agrave dire que nous nrsquoen savons rien Mais nousavons aussi examineacute la deacutecennie 1990 selon une perspective historique beaucouptrop courte

Sur un point voisin Mokyr (1997) eacutevoque laquo les ameacuteliorations consideacuterables dans lescommunications au cours du XIXe siegravecle que lrsquoon doit au teacuteleacutegraphe et qui pour la pre-miegravere fois ont permis agrave lrsquoinformation de circuler plus vite que lrsquohomme (hellip) Lrsquoinven-

1 Il convient drsquoexprimer des reacuteserves sur cette interpreacutetation concernant le nombre de produits quelrsquoon trouve dans les supermarcheacutes

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tion du timbre-poste agrave un penny dans les anneacutees 1840 a fait beaucoup plus pour lescommunications que tout ce qui se pratiquait auparavant Sa contribution marginalene fut sans aucun doute pas infeacuterieure agrave celle de Netscape agrave une eacutepoque reacutecente raquo

On pourrait continuer ainsi Lrsquoexemple chiffreacute eacutevoqueacute ci-dessus impliquait que cha-que produit ait une valeur identique au produit preacuteceacutedent En fait les nouveaux pro-duits des anneacutees 1990 doivent avoir la mecircme valeur que lrsquoautomobile ou les appareilsdes deacutecennies 1920 et 1930 (ainsi par exemple lrsquoair conditionneacute est apparu au deacutebutdes anneacutees 1930) ou encore que la teacuteleacutevision ou autres innovations en matiegravere decommunication des anneacutees 1940 et 1950 (les premiers teacuteleacutephones portables remon-tent aux anneacutees 1940) Si la valeur moyenne des nouveaux produits de ladeacutecennie 1990 est infeacuterieure agrave celle des nouveaux produits apparus preacuteceacutedemment ilfaut alors que le nombre de ceux-ci soit plus important pour justifier la conception duparadoxe du point de vue de la nouvelle eacuteconomie

Le mecircme raisonnement srsquoapplique agrave la qualiteacute Il est surprenant de voir dans la presseles ameacuteliorations qualitatives des voitures dans les anneacutees 1990 aussi importantessoient-elles consideacutereacutees comme un exemple du processus de la nouvelle eacuteconomie par comparaison avec les progregraves contenus dans une tonne drsquoacier Une telle compa-raison est erroneacutee dans la mesure ougrave en fait et preacuteciseacutement le changement qualitatifdans une tonne drsquoacier a eacuteteacute extraordinaire Par ailleurs lrsquoameacutelioration de la qualiteacute desvoitures est un sujet tregraves ancien dans les statistiques eacuteconomiques mais crsquoest seule-ment dans les anneacutees 1990 qursquoelle est apparue en tant que caracteacuteristique de la nou-velle eacuteconomie La meacutethodologie des indices de prix heacutedoniques a preacuteciseacutement eacuteteacutemise au point dans les anneacutees 1930 pour reacutepondre agrave ces modifications qualitativesdans lrsquoautomobile (Court 1939) Lrsquoeacutetude de Raff et Trajtenberg (1997) indique que letaux drsquoameacutelioration de la qualiteacute des voitures eacutetait plus important dans la premiegraveredeacutecennie du XXe siegravecle que dans la derniegravere Encore une fois lrsquoessentiel de ce qui a eacuteteacutedit sur la nouvelle eacuteconomie est vrai ce qui a manqueacute et manque encore crsquoest unereacuteelle appreacuteciation historique de lrsquoamplitude et de la signification des nouveaux pro-duits et des ameacuteliorations qualitatives intervenus dans le passeacute

Je pense que le nombre de nouveaux produits ou de laquo choses nouvelles raquo est plusgrand aujourdrsquohui qursquoil ne lrsquoeacutetait preacuteceacutedemment Mais lagrave nrsquoest pas le problegraveme car lavraie question est la suivante le taux drsquoameacutelioration et le taux drsquointroduction de nou-veaux produits ont-ils connu un preacuteceacutedent dans lrsquohistoire Je ne crois pas que nousconnaissions la reacuteponse agrave cette question Si le nombre de laquo choses nouvelles raquo repreacute-sente une mesure de lrsquoameacutelioration de la productiviteacute il faut qursquoil y ait aussi une aug-mentation du taux drsquointroduction de laquo choses nouvelles raquo et pas seulement uneaugmentation de leur nombre La plupart des anecdotes mentionneacutees dans le cadre dela laquo nouvelle eacuteconomie raquo montrent que les eacuteconomistes se sont trompeacutes de problegravemeen prenant en compte le nombre de choses nouvelles plutocirct que la variation du taux

Cahiers LASER ndeg3

102

Par conseacutequent si le paradoxe a gagneacute en acceptabiliteacute crsquoest en partie parce que certainseacuteconomistes ont par erreur fait un compte des nouvelles innovations sur une eacutechellearithmeacutetique ils ont penseacute deacutetenir la preuve du paradoxe en deacutecomptant des innovationsde plus en plus nombreuses En reacutealiteacute ils auraient ducirc utiliser une eacutechelle logarithmiquepour tenir compte du fait qursquoil faut un nombre toujours plus grand de laquo choses nouvelles raquopour maintenir le taux de laquo choses nouvelles raquo au mecircme niveau qursquoautrefois

Quand on regarde les nouveaux produits et les nouvelles technologies de la fin duXXe siegravecle on est tout agrave fait impressionneacute et agrave juste titre Il est clair que ces nouveauxproduits ameacuteliorent le bien-ecirctre et que les innovations technologiques contribuent agraveleur production Mais augmentent-ils agrave un taux croissant le nombre de nouveaux pro-duits augmente-t-il plus rapidement sur une eacutechelle logarithmique Ce nrsquoest pasprouveacute car pour que les laquo choses nouvelles raquo ameacuteliorent la productiviteacute il fautqursquoelles augmentent agrave un rythme croissant Selon moi il reste agrave accomplir un travailempirique sur lrsquohistoire eacuteconomique pour confirmer cette hypothegravese drsquoun taux allanten augmentation

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Tableau 1 Contribution des ordinateurs des eacutequipements informatiques et des logiciels agrave la croissance eacuteconomique

Notes a) Oliner et Sichel (1994) Table 3 page 285 sauf indication contraireb) Oliner et Sichel (1994) Table 10 page 305c) Oliner et Sichel (1994) Table 9 page 303 Agrave noter la peacuteriode de reacutefeacuterence diffegravere de celle des autres lignes de la colonned) Jorgenson et Stiroh (1994) Valeurs mises agrave jour fournies par les auteurs

Tableau 2 Parts des ordinateurs eacutequipements informatiques et logiciels (Donneacutees de 1993)

Notes a) Oliner et Sichel (1994) Table 2 page 279 part des actifs totauxb) Oliner et Sichel (1994) Table 10 page 305c) Oliner et Sichel (1994) Table 10 page 305d) Oliner et Sichel (1994) page 297e) Tableaux mis agrave jour fournis par les auteurs part des actifs productifs y compris la terre et les biens durables

Oliner et Sichel (1994)a Jorgenson et Stiroh (1994)d

1970-79 1980-92 1979-85 1985-90 1990-96

Taux de croissance de la production

Taux annuel moyen

342 227 235 309 236

Contribution de lrsquoeacutequipement en mateacuteriel informatique

009 021 015 014 012

Eacutequipement informatique 025b 035b na na na

Mateacuteriels logiciels et travail associeacutes (1987-93)

na 040c na na na

Oliner et Sichel (1994) Jorgenson et Stiroh (1994)

Part des actifs Part du Revenu Part des actifs Part des emplois en capital

Eacutequipement en mateacuteriel informatique

20a 09b 05e 18e

Eacutequipements informatiques

117a 35c na na

Mateacuteriels logiciels et travail associeacutes

na 27d na na

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

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Tableau 3 Demande finale de services comme proportion des deacutepenses priveacutees hors logement (1996 en milliards)

Source Survey of Current Business december 1997 NIPA Tables 11 and 22

Tableau 4 Indices des prix des eacutequipements en mateacuteriel

1 Produit inteacuterieur brut (hors administrations et loge-ment)

54421 1000

2 Consommation finale de services (hors logement) 22512 414

3 Exportation nette de services 966 18

4 Demande finale de services (ligne 3 plus ligne 4) 23478 431

Mainframes PCs Eacutequipement informatique

1958 1427736

1972 37504

1982 825 5785 4049

1987 1449 2176 1704

1992 1000 1000 1000

1996 491 379 455

1997 421 252 346

Chapitre 3

Le paradoxe du NAIRU

111

La theacuteorie du NAIRU

Extrait de Robert Eisner Our NAIRU Limit The Governing Myth of Economic PolicyThe American Prospect Ndeg 21 Spring 1995

httpwwwprospectorgarchives2121eisnhtml

Le concept du NAIRU qui constitue un prolongement de la notion de laquo taux naturelde chocircmage raquo deacuteveloppeacutee par Milton Friedman rejette les relations de substitutionsupposeacutee entre le chocircmage et lrsquoinflation deacutecrites par la courbe de Phillips ainsi appeleacuteedu nom drsquoun eacuteconomiste Neacuteo-zeacutelandais original AW Phillips Cette courbe suggegravereque le maintien drsquoun taux de chocircmage peu eacuteleveacute provoque une augmentation delrsquoinflation mais qursquoagrave un taux de chocircmage donneacute lrsquoinflation est constante Du point devue du NAIRU la courbe de Phillips constitue seulement une relation agrave court terme Lestentatives de reacuteduire le nombre de chocircmeurs en augmentant les deacutepenses ou lademande globale peuvent srsquoaveacuterer efficaces pendant un temps mais une inflation plusforte annule les effets de ce stimulus Une augmentation de lrsquoinflation augmentera lesanticipations drsquoune inflation future seul le surplus drsquoinflation ce qui est encore au-dessus de ce qursquoattendent les travailleurs les employeurs les emprunteurs et les precirc-teurs stimulera lrsquoeacuteconomie Agrave chaque manche il faudra des deacutepenses plus importan-tes et une inflation plus forte pour maintenir la reacuteduction initiale du chocircmage

Selon la theacuteorie du NAIRU les politiques fiscales ou moneacutetaires destineacutees agrave reacuteduire le chocirc-mage auraient tout du chien qui court apregraves sa queue Si ces politiques avaient pourobjectif le maintien des deacutepenses globales agrave un niveau suffisamment haut pour mainte-nir le chocircmage au-dessous de son laquo taux naturel raquo lrsquoinflation augmenterait agrave un rythmede plus en plus rapide Et pour finir les deacutecideurs seraient obligeacutes de renoncer en raisonde prix qui augmenteraient agrave un rythme galopant Le chocircmage reviendrait alors agrave sonniveau naturel et lrsquoinflation cesserait son acceacuteleacuteration mais en restant agrave un niveau pluseacuteleveacute jusqursquoagrave ce que le chocircmage deacutepasse son taux naturel et que le processus srsquoinversece qui srsquoaccompagnerait drsquoun certain nombre de conseacutequences douloureuses

Dans cette logique le seul moyen de reacuteduire le chocircmage sauf peut-ecirctre agrave court termeconsiste agrave modifier les conditions affectant lrsquooffre de main-drsquoœuvre par exemple enbaissant le salaire minimum en reacuteduisant ou en eacuteliminant totalement les avantages lieacutesau chocircmage ou encore en ameacuteliorant les compeacutetences de la main-drsquoœuvre Si lrsquoonprend au seacuterieux la theacuteorie du NAIRU des mesures concernant lrsquooffre sont le seulmoyen de reacuteduire le chocircmage et de maintenir celui-ci agrave un niveau peu eacuteleveacute Et si letaux de chocircmage se situe au niveau du NAIRU ou en est proche les autoriteacutes moneacutetai-res doivent prendre sans tarder des mesures anti-inflationnistes pour eacuteviter une sur-chauffe de lrsquoeacuteconomie A deacutefaut non seulement lrsquoinflation sera plus forte mais desurcroicirct sera lanceacutee sur une acceacuteleacuteration dont on ne pourra la deacutetourner que par unseul remegravede celui drsquoun chocircmage excessif autrement dit un taux srsquoeacutetablissant au-des-sus de celui du NAIRU

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Tel est le point de vue qui sous-tend neacutecessairement la politique du Federal ReserveBoard inexplicable autrement La plupart de nos banquiers centraux croient que nousnous situons au niveau du taux naturel de chocircmage ou au-dessous de celui-ci et quenous devons parvenir agrave un chocircmage plus important avant qursquoil ne soit trop tard Laprincipale diffeacuterence observeacutee parmi les eacuteconomistes tient au fait que les conserva-teurs ont tendance agrave placer plus haut le NAIRU aux environs de 6 agrave 7 pour cent alorsque les libeacuteraux le placent agrave 6 ou mecircme autour de 5 et quelques fraction de pour centQuelques acircmes courageuses suggegraverent que les estimations du NAIRU manquant depreacutecision on devrait essayer de faire baisser le taux de chocircmage avec une tregraves grandeprudence jusqursquoagrave ce que lrsquoon note des signes drsquoinflation drsquoautres considegraverent qursquoilserait alors deacutejagrave trop tard

Les eacuteconomistes qui ont contesteacute le concept de base du NAIRU sont peu nombreux Ily a soixante ans Keynes observait que les eacuteconomistes pouvaient srsquoaccrocher avecentecirctement agrave leurs ideacutees mecircme quand la reacutealiteacute les deacutementait totalement crsquoest ainsipar exemple que au plus fort de la Grande Deacutepression certains eacuteconomistes soute-naient qursquoil ne pouvait pas y avoir de chocircmage involontaire Il est fort possible que lrsquoonassiste agrave des manifestations drsquoun aveuglement similaire Les grands patrons font eacutetatdrsquoun point qui est confirmeacute par les statistiques nationales malgreacute la baisse du taux dechocircmage au-dessous du NAIRU traditionnel on ne voit aucun signe drsquoacceacuteleacuteration delrsquoinflation pourtant nombreux sont les eacuteconomistes que lrsquoeacutevidence laisse froids

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La capitulation de la politique eacuteconomique

James K GALBRAITH1

Mars-Avril 1996

Il existe en matiegravere de politique eacuteconomique un point de vue commun qui recouvreagrave quelques diffeacuterences drsquointensiteacute pregraves un large eacuteventail allant de la droite radicale agraveBill Clinton Sur le fond tous srsquoaccordent agrave dire que lrsquoessentiel du travail du gouverne-ment consiste agrave contribuer au bon fonctionnement des marcheacutes En ce qui concernelrsquooffre le gouvernement peut aider jusqursquoagrave un certain point en prenant en chargelrsquoenseignement la formation lrsquoinfrastructure et la recherche scientifique autrementdit tous les biens de nature publique sous-valoriseacutes par les marcheacutes Mais quand il srsquoagitde politique macroeacuteconomique le gouvernement devrait srsquoabstenir drsquointervenir saufpour rechercher lrsquoeacutequilibre budgeacutetaire et laisser agir la Reacuteserve Feacutedeacuterale

Accepter lrsquoeacutequilibre budgeacutetaire et le jugement moneacutetaire incontesteacute de la ReacuteserveFeacutedeacuterale signifie par deacutefinition eacutevincer la macroeacuteconomie de la sphegravere politique Ainsiles diffeacuterences qui subsistent entre Clinton et le Congregraves portent sur des deacutetails doit-onviser lrsquoeacutequilibre budgeacutetaire en sept huit ou dix ans Faut-il supprimer (ou imposer) telleou telle mesure de protection de lrsquoenvironnement Les subventions pour le Head Startles Americorps et la technologie sont-elles justifieacutees hellip et ainsi de suite en une longuelitanie de questions dont personne ne pense qursquoelles transformeront la vie des Ameacuteri-cains Mecircme si des gains importants eacutetaient possibles par des investissements publics auniveau de lrsquooffre le consensus fiscal conservateur les exclurait en refusant les ressources

Deux preacutesidents deacutemocrates Carter et Clinton ont eacuteteacute seacutevegraverement attaqueacutes du faitqursquoils ne contestaient pas cette orthodoxie au bon moment Ils nrsquoont par conseacutequentpu controcircler les leviers de la politique macro Crsquoest la macroeacuteconomie et non la micro-eacuteconomie qui repreacutesente le centre actif du pouvoir Les conservateurs laquo pratiques raquolrsquoont bien compris Ce nrsquoest pas un hasard srsquoils cherchent toujours agrave occuper le terrainde la politique des taux drsquointeacuterecirct et du deacuteficit Et personne nrsquoest surpris non plus qursquoenfaisant cette concession les libeacuteraux se mettent eux-mecircmes drsquoentreacutee hors-jeu

1 JAMES K GALBRAITH est professeur deacuteconomie agrave la Lyndon B Johnson School of Public Affairs et auDepartment of Government de lUniversiteacute du Texas agrave Austin Cet article a eacuteteacute publieacute initialement enanglais dans The American Prospect Issue 25 March-April 1996 sous le titre laquoThe Surrender of EconomicPolicyraquo (httpwwwprospectorgarchives2525galbhtml) Traduit et reproduit avec lrsquoaimable autori-sation de lrsquoauteur Reprinted with permission from The American Prospect 25 March April 1996 Copyright1996 The American Prospect PO Box 772 Boston MA 02102-0772 All rights reserved

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Cependant lrsquoeacuteconomie qui srsquoabrite derriegravere ce consensus est agrave la fois reacuteactionnaireet profondeacutement invraisemblable Elle prend corps aux fins fonds drsquoune theacuteorie abs-traite concocteacutee pendant vingt-cinq ans par les disciples de Milton Friedman et diffu-seacutee par eux agrave toute la profession Les libeacuteraux et toute personne concerneacutee par laprospeacuteriteacute eacuteconomique devraient rejeter cette faccedilon de consideacuterer le monde

Le consensus de la droite sur lrsquoemploi et lrsquoinflation

Le dogme macroeacuteconomique conservateur repose sur trois eacuteleacutements essentiels Il ya tout drsquoabord le moneacutetarisme par sa politique moneacutetaire la Reacuteserve Feacutedeacuterale con-trocircle lrsquoinflation mais elle a peu drsquoinfluence sur la production et le marcheacute de lrsquoemploisauf peut-ecirctre agrave tregraves court terme Le deuxiegraveme fondement concerne les attentesrationnelles les agents eacuteconomiques individuels sont si habiles si bien informeacutes et sibien eacuteduqueacutes dans le domaine eacuteconomique qursquoils ne commettent aucune erreur systeacute-matique en matiegravere de deacutecisions eacuteconomiques notamment au niveau des choix essen-tiels de lrsquooffre de travail Crsquoest pour ce concept que Robert Lucas vient de recevoir lePrix Nobel Le troisiegraveme principe est celui de la compensation des marcheacutes toutes lestransactions y compris lrsquoembauche et le licenciement des salarieacutes se font agrave des prixauxquels srsquoeacutegalisent les forces eacuteleacutementaires de lrsquooffre et de la demande

Consideacutereacutees conjointement ces hypothegraveses font apparaicirctre un marcheacute du travailperformant qui conduit agrave des niveaux drsquoemplois et de salaires approprieacutes Le niveaudrsquoemploi geacuteneacutereacute par cette abstraction est le cœur du concept mecircme de la politiquemacroeacuteconomique courante connu comme laquo le taux naturel de chocircmage raquo Si le tauxde chocircmage est supeacuterieur au taux naturel la theacuteorie implique que les prix et les salairesvont chuter srsquoil est infeacuterieur agrave ce taux lrsquoinflation va augmenter Une croissance viablenon inflationniste se produit seulement au taux naturel1

Controverse

Extrait de Robert Eisner Our NAIRU Limit The Governing Myth of Economic PolicyThe American Prospect Ndeg 21 Spring 1995

httpwwwprospectorgarchives2121eisnhtml

Mieux vaut ne pas trop nous reacutejouir Trop de croissance trop peu de chocircmage toutcela nrsquoest pas bon De telles ideacutees nrsquoexpriment pas les penseacutees futiles des angoisseacutes delrsquoeacuteconomie non ce sont celles qui conduisent la politique eacuteconomique des Eacutetats-

1 Robert Eisner Our NAIRU Limit The Governing Myth of Economic Policy The American ProspectPrintemps 1995

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

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Unis Apregraves que la croissance reacuteelle du PIB a atteint 45 au dernier trimestre de 1994et que le taux de chocircmage a chuteacute agrave 54 en deacutecembre de la mecircme anneacutee le FederalReserve Board est intervenu le 1er feacutevrier 1995 en augmentant les taux drsquointeacuterecirct pourla septiegraveme fois en moins drsquoun an Pourquoi Pour ralentir notre taux de croissancetrop rapide et enrayer la baisse du taux de chocircmage ou en inverser la tendance Etpourquoi Pour lutter contre lrsquoinflation

Une telle mesure doit sans doute laisser perplexe le commun des mortels Lrsquoinflationglobale telle que lrsquoavait mesureacutee le deacuteflateur de prix implicite du PIB eacutetait descendueagrave un taux de 21 le plus bas que lrsquoon ait observeacute sur une peacuteriode de trente ansLrsquoindice des prix agrave la consommation nrsquoa augmenteacute que de 27 en 1994 et un certainnombre drsquoanalystes compeacutetents parmi lesquels Alan Greenspan preacutesident du FederalReserve Board reconnaissent que cette mesure exagegravere lrsquoaugmentation des prix agrave laconsommation drsquoun diffeacuterentiel repreacutesentant jusqursquoagrave deux points

Les analystes eacuteconomiques et les grands patrons qui ne font pas de sentiment seposent eux aussi des questions Ils mettent en avant les avanceacutees technologiques et lesreacuteductions drsquoeffectifs dans lrsquoindustrie ameacutericaine et considegraverent que la productiviteacute etle potentiel de production pourraient bien croicirctre agrave un rythme plus soutenu queles 25 de taux de croissance agrave long terme consideacutereacutes par Greenspan et drsquoautrescomme marquant la limite extrecircme de ce que lrsquoeacuteconomie peut supporter De pluscomme les gens perdent des postes agrave fort revenus dans des entreprises ougrave ils avaientune forte ancienneteacute pour rechercher deacutesespeacutereacutement un autre emploi fucirct-il moinsbien payeacute il y a du jeu dans la main-drsquoœuvre Par ailleurs et crsquoest peut-ecirctre plus impor-tant encore le renforcement de la mondialisation et de la concurrence entre payslimite la capaciteacute des entreprises ameacutericaines agrave augmenter leurs prix et celle des tra-vailleurs agrave faire pression pour obtenir de meilleurs salaires

Pour lrsquoinstant ces prises de position heacutereacutetiques nrsquoont pas entameacute le dogme dominantqui hante la politique eacuteconomique Le fondement de ce dogme est un concept fami-liegraverement connu parmi les eacuteconomistes sous le nom de NAIRU (Non-Accelerating Infla-tion Rate of Unemployment) le taux de chocircmage qui nrsquoacceacutelegravere pas lrsquoinflation Bienqursquoinconnu du grand public ce concept est devenu lrsquoun des concepts les plus influentde la politique eacuteconomique de ce siegravecle Toutefois mes reacutecents travaux montrent quemecircme sur la base drsquoun modegravele conventionnel utiliseacute pour estimer le NAIRU il nrsquoexistepas de fondement permettant de conclure qursquoun taux de chocircmage peu eacuteleveacute consti-tue une menace permanente drsquoacceacuteleacuteration de lrsquoinflation Et selon un autre modegraveleplus en accord avec les donneacutees lrsquoinflation pourrait ecirctre plus basse avec un taux dechocircmage plus bas que celui que nous connaissons aujourdrsquohui

De faccedilon eacutetonnante pour la plupart des eacuteconomistes ces ideacutees ne font pas lrsquoobjet decontroverse Le seul litige existant entre eux concerne un petit point de politiqueeacuteconomique y a-t-il une quelconque valeur agrave chercher agrave tirer lrsquoeacuteconomie vers le tauxnaturel srsquoil advient que le taux pendant une dureacutee limiteacutee passe au-dessus ou en-dessous Pour les deacutefenseurs des taux naturels ne rien faire est toujours et partout la

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bonne solution parce que lrsquoeacuteconomie reviendra automatiquement agrave son taux naturelLa politique ne peut ecirctre drsquoaucune aide et les instruments speacutecifiques de la politiquemacroeacuteconomique devront ecirctre abandonneacutes

Une espegravece que lrsquoon a pu observer dans lrsquoadministration Clinton des laquo neacuteo-keyneacutesiens raquo autoproclameacutes pense qursquoun rocircle reacutesiduel peut ecirctre preacuteserveacute pour la politi-que macroeacuteconomique Le chocircmage peut persister au-delagrave du taux naturel parce que lessalaires mettent plus de temps que les autres prix agrave srsquoajuster aux fluctuations de lrsquooffre etde la demande ce qui induit lrsquoincapaciteacute du marcheacute du travail agrave srsquoautoreacuteguler Cela eacutetantil nrsquoy a pas ou peu de mal agrave intervenir par des mesures politiques (une petite incitationde temps agrave autre quand il y a une seacutevegravere reacutecession) pour acceacuteleacuterer le retour au taux natu-rel pour autant qursquoun laquo atterrissage en douceur raquo ait eacuteteacute soigneusement preacutepareacute

Heacutelas dans la reacutealiteacute le taux naturel de chocircmage nrsquoest pas perceptible Pire ce sataneacutemachin eacutevolue sans cesse non seulement il est invisible mais en plus il se deacuteplace Cela nrsquoest pas un problegraveme pour les partisans du laisser-faire En revanche cela creacutee dedouloureuses difficulteacutes pour les preacutetendus interventionnistes ces quelques voix danslrsquoadministration qui reacuteclament de temps en temps des emplois drsquoeacuteteacute une politiquedes grands travaux et des taux drsquointeacuterecirct plus bas Comment peut-on justifier que lrsquoonse rue sur un but quand on ignore ougrave il se trouve Les neacuteo-keyneacutesiens estiment et reacutees-timent la position du taux naturel dans le but de guider leurs choix de politique Mal-heureusement ils nrsquoont jamais pu le localiser cela pourrait peut-ecirctre expliquer qursquoilnrsquoy ait jamais eu laquo drsquoatterrissage en douceur raquo reacuteussi

Ougrave se trouve le taux naturel de chocircmage

Dans la mesure (tout agrave fait contestable) ougrave la Reacuteserve Feacutedeacuterale a une theacuteorie macroeacuteco-nomique coheacuterente elle a tendance agrave ecirctre implicitement keyneacutesienne sur ce problegravemeEn fait le Comiteacute des Gouverneurs de la Reacuteserve Feacutedeacuterale est un interventionniste inveacute-teacutereacute qui relegraveve les taux drsquointeacuterecirct quand le chocircmage est trop bas et les baisse agrave contrecœurpour eacuteviter les peacuteriodes de reacutecessions etou parfois y mettre fin Et donc la Reacuteserve Feacutedeacute-rale passe aussi beaucoup de temps et deacuteploie beaucoup drsquoefforts agrave essayer de deacutefinir preacute-ciseacutement ce fantomatique et insaisissable taux naturel de chocircmage

En 1994 avec un taux naturel de chocircmage estimeacute agrave environ 6 par de nombreuxastrologues les artisans de la politique moneacutetaire se sont trouveacutes face agrave un problegravemeinteacuteressant Le chocircmage effectif agrave 58 eacutetait tombeacute agrave un niveau infeacuterieur agrave lrsquoestima-tion du taux naturel de chocircmage Comment doit-on alors interpreacuteter le reste des don-neacutees qui contrairement agrave la theacuteorie nrsquoont aucunement mis en eacutevidence uneacceacuteleacuteration de lrsquoinflation Le manque apparent drsquoacceacuteleacuteration inflationniste signifie-

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t-il que le taux naturel de chocircmage avait eacuteventuellement chuteacute et si oui de quellevaleur Ou bien le seuil avait-t-il eacuteteacute franchi et selon les propos de Robert Solowlrsquoacceacuteleacuteration de lrsquoinflation eacutetait-elle ineacuteluctable comme il le suggeacuterait en eacutecrivantqursquoelle eacutetait laquo juste au coin de la rue raquo Ou encore toute la theacuteorie eacutetait-elle complegrave-tement vaseuse et bonne agrave jeter agrave la poubelle

La Reacuteserve Feacutedeacuterale a deacutemontreacute son hostiliteacute agrave modifier ses estimations du taux natu-rel de chocircmage Ainsi elle a renforceacute sa politique moneacutetaire de feacutevrier 1994 jusqursquoaudeacutebut de feacutevrier 1995 alors que lrsquoeacuteconomie atteignait la limite des 6 de chocircmageMais ensuite elle a modifieacute ses directives et commenceacute agrave baisser les taux drsquointeacuterecirct enjuillet 1995 mecircme si le chocircmage restait en deccedilagrave de 6 Pourquoi Il sera inteacuteressantde savoir quand on en connaicirctra tous les deacutetails si la Reacuteserve Feacutedeacuterale a officiellementchangeacute son estimation du taux naturel de chocircmage pour juillet 1995 et dans lrsquoaffir-mative selon quels critegraveres et pour quelle valeur Nous pourrions peut-ecirctre aussiapprendre que la Reacuteserve Feacutedeacuterale nrsquoa plus reacuteellement de theacuteorie sur le taux naturel dechocircmage mais se raccroche simplement agrave la rheacutetorique de ces ideacutees dans lrsquoattentedrsquoune quelconque alternative qui soit acceptable par les ideacuteologues conservateurs

Les composantes du faible taux drsquoinflation actuel ne sont absolument pas coheacuteren-tes avec la theacuteorie du taux naturel de chocircmage La pression inflationniste actuelle ouplus exactement ce qursquoil en reste nrsquoa aucun rapport avec les salaires la masse salarialequi repreacutesente les 23 des coucircts est constante Lrsquoinflation actuelle modeacutereacutee tient agrave lamonteacutee en flegraveche des profits et des retours sur investissement ainsi qursquoaux effets decette envoleacutee sur les prix des matiegraveres premiegraveres et autres composantes secondaires duprocessus inflationniste La hausse des taux drsquointeacuterecirct imposeacutee par la politique de laReacuteserve Feacutedeacuterale elle-mecircme depuis feacutevrier 1994 y a eacutegalement contribueacute

Le rapport traditionnel entre lrsquoinflation et le coucirct du travail a eacuteteacute briseacute depuis queReagan a licencieacute les controcircleurs du trafic aeacuterien et que Volcker et lui ont sureacutevalueacute ledollar En deacutepit drsquoune augmentation annuelle des prix de 27 les salaires bougent agravepeine Agrave vrai dire on voit que toutes les peacuteriodes drsquoacceacuteleacuteration de lrsquoinflationapregraves 1960 ont eacuteteacute causeacutees par les prix et non par les salaires agrave la seule exception decelle qui a fait suite agrave la campagne pour lrsquoeacutelection de Nixon en 1972 pendant laquellele controcircle des prix eacutetait tregraves important

NAIRU avec un N comme Nomade

Comment doit-on reacuteconcilier tout cela avec la theacuteorie de lrsquoacceacuteleacuteration de lrsquoinflationfondeacutee uniquement sur le taux naturel de chocircmage dans le marcheacute global du travail Ce nrsquoest pas possible Sil y a une demande trop importante en main-drsquoœuvre il est cer-

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tain qursquoun bon eacuteconomiste classique (un nouvel eacuteconomiste classique) insistera sur lefait que les salaires reacuteels augmentent Or ce nrsquoest pas le cas et cela ne lrsquoa pas eacuteteacute en20 ans Quelque chose est probablement erroneacute dans la modeacutelisation du taux naturelde chocircmage les bons eacuteconomistes de la Reacuteserve Feacutedeacuterale le savent et cela les perturbecomme il se doit En fait il y a quelque chose qui est plus que faux dans ce modegravele quinrsquoest qursquoagrave mettre au rancart on aurait ducirc le savoir depuis bien longtemps

Quand on considegravere lrsquoeacutevolution du taux de chocircmage sur les quarante derniegraveresanneacutees on constate qursquoil eacutetait bas dans les anneacutees 1950 assez eacuteleveacute dans lesanneacutees 1970 Les donneacutees reacutecentes sont comparables agrave celles des anneacutees 50 ce quiindiquerait une baisse possible du chocircmage sans pour autant que lrsquoinflation dispa-raisse En fonction de la faccedilon dont on integravegre le taux drsquoinflation eacuteleveacute desanneacutees 1970 une estimation honnecircte du taux naturel de chocircmage mecircme si on croitagrave cette notion ne serait que de 6 voire nettement moins

On peut montrer combien est vaine la recherche du taux naturel de chocircmage Enutilisant les moyennes mobiles des donneacutees mensuelles de lrsquoinflation et du chocircmagecentreacutees sur 12 mois on peut voir que la croissance de lrsquoinflation est par essenceimpreacutevisible les chocs qui la provoquent se produisent tantocirct quand le chocircmage estimportant tantocirct pas avant qursquoil ne soit tregraves bas Dans les donneacutees reacutecentes il nrsquoexisteaucun signe que lrsquoinflation augmente agrave mesure que le chocircmage diminue

En fait le modegravele des spirales en expansion srsquoest inverseacute apregraves la grande reacutecessionde 1982 Durant le reste des anneacutees 1980 le chocircmage a baisseacute sans qursquoil y ait de retom-beacutees sur les salaires et sans augmentation importante de lrsquoinflation La reacutecessionde 1989 srsquoest produite alors que lrsquoinflation eacutetait basse par rapport aux critegraveres histori-ques Et pendant ces quatre derniegraveres anneacutees de 1992 agrave 1995 il y a eu une chute duchocircmage accompagneacutee drsquoune diminution des coucircts et ceci sans la moindre augmen-tation de lrsquoinflation Aujourdrsquohui nous ne savons pas ougrave se trouve ce taux de chocircmagenomade qui acceacutelegravere lrsquoinflation parce que nous ne savons pas quand aura lieu le pro-chain choc Alors pourquoi ne pas chercher le plein emploi

Les libeacuteraux ont perdu sur le front de lrsquooffre

Agrave tout le moins lrsquoacceptation neacuteo-keyneacutesienne de la structure theacuteorique neacuteoclassi-que reacuteduit la politique macroeacuteconomique agrave un rocircle marginal celui drsquointervenant agravegrande eacutechelle seulement pendant les peacuteriodes de reacutecessions longues et profondesDans toutes les autres circonstances les maicirctres en macroeacuteconomie sont deacutesavoueacutestout comme lrsquoa eacuteteacute Clinton lui-mecircme pendant sa courte peacuteriode keyneacutesienne audeacutebut de 1993

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Que peuvent donc faire les libeacuteraux Lrsquoapproche actuelle de lrsquoadministration Clin-ton le deacutemontre ils peuvent favoriser lrsquoeacuteducation la formation et lrsquoaide agrave lrsquoadapta-tion ainsi que drsquoautres programmes de remise agrave niveau permettant de passer drsquounemploi agrave un autre Ils peuvent soutenir les investissements publics en infrastructuressous reacuteserve que ces derniegraveres viennent renforcer la compeacutetitiviteacute internationale delrsquoeacuteconomie Ils peuvent soutenir un systegraveme drsquoaide agrave la recherche et au deacuteveloppementdes entreprises des secteurs de pointe tout en travaillant agrave ouvrir les marcheacutes eacutetrangersaux produits ameacutericains ce qui aiderait les entreprises ameacutericaines agrave consolider leurspositions dans le monde Srsquoils se sentent courageux ils peuvent aussi encourager agravelrsquoaugmentation des salaires minimums

Toutes ces mesures obeacuteissent agrave la theacuteorie de lrsquooffre excepteacutee la derniegravere qui est uneintervention directe sur le marcheacute du travail Elles ont pour objectif drsquoameacuteliorer sur lelong terme la compeacutetitiviteacute de lrsquoeacuteconomie ameacutericaine en se basant sur lrsquoideacutee qursquouneeacuteconomie plus productive geacuteneacuterera une progression du niveau de vie Lrsquoideacutee plus pous-seacutee selon laquelle ces moyens plus importants auront des retombeacutees vers les salairesles plus bas est laisseacutee de cocircteacute on se contente de le supposer

Nous pouvons tous ecirctre drsquoaccord sur les bienfaits qursquoapportent les deacutepenses dans ledomaine de lrsquoeacuteducation de la formation de la recherche et du deacuteveloppement et delrsquoinfrastructure Mais un engagement macroeacuteconomique en faveur du plein emploi estdeacuteterminant pour transformer ces investissements en croissance et en ameacutelioration duniveau de vie

Eacuteducation et Formation Comme lrsquoont deacutemontreacute les travaux de Richard Rothsteindans cette revue1 et ailleurs le systegraveme drsquoeacuteducation publique ameacutericain est bienmeilleur que les critiques le preacutetendent Certes il y a des Ameacutericains qui ne peuventpreacutetendre agrave des salaires eacuteleveacutes en raison drsquoune instruction insuffisante Cependantcomme lrsquoont montreacute Katherine Newman et Chauncy Lennon2 il y a dans le centre deHarlem beaucoup plus de candidats qualifieacutes que drsquoemplois reacutemuneacutereacutes au salaire mini-mum Dans ce climat macroeacuteconomique baseacute sur la theacuteorie erroneacutee du NAIRU lrsquoeacuteleacuteva-tion des standards drsquoeacuteducation ne geacuteneacuterera pas de meilleurs emplois Ceci demeure unproblegraveme de la theacuteorie de la demande Pour autant il ne srsquoagit pas drsquoabandonner lrsquoameacute-lioration de lrsquoenseignement en ville Cela signifie seulement qursquoagrave moins que nousnrsquoeacutelevions en mecircme temps le taux de croissance mecircme si on donnait agrave tout le mondedes doctorats tant que la Reacuteserve Feacutedeacuterale maintient son taux de croissance agrave 25 cela ne changera pas la courbe actuelle du niveau de vie Comme mrsquoa dit un de meseacutetudiants de Buenos-Aires si lrsquoeacuteducation elle-mecircme eacutetait si puissante lrsquoArgentineserait bien plus riche qursquoelle ne lrsquoest

1 The American Prospect2 Katherine Newman et Chauncy Lennon The Job Ghetto The American Prospect Eacuteteacute 1995

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Recherche et Deacuteveloppement On peut faire plus de cas de lrsquoideacutee que les programmesgouvernementaux de recherche et deacuteveloppement aident les entreprises ameacutericainesagrave devenir techniquement plus avanceacutees et plus compeacutetitives sur les marcheacutes globauxPendant quatre deacutecennies notre politique interventionniste dans la haute technolo-gie eacutetait un sous-produit de la guerre froide Maintenant une politique technologiquecivile plus explicite est neacutecessaire pour compenser la RampD du Pentagone qui a eacuteteacutereacuteduite La politique technologique et scientifique a certainement un rocircle geacuteneacuteral agravejouer car au bout du compte les technologies ameacuteliorent les conditions de vie Maiselles nrsquoapportent pas et ne peuvent pas apporter le plein emploi pas plus qursquoellesnrsquoapportent un ordre social plus juste et plus eacutequitable Faire de la politique scientifi-que et technologique la piegravece maicirctresse drsquoun programme progressif tout en abandon-nant la macroeacuteconomie est absurde

Infrastructure Les deacutepenses en matiegravere de travaux publics sont la pierre angulairehistorique de lrsquointerventionnisme libeacuteral Les travaux publics sont le moyen le plusrapide le plus direct de remettre les chocircmeurs au travail Ils ont des effets directs etmultiplicateurs sur lrsquoemploi en geacuteneacuteral Ils preacutesentent lrsquoavantage suppleacutementaire defaire reacutealiser des travaux qui restent eux-mecircmes utiles pendant plusieurs deacutecenniesapregraves leur achegravevement Ils repreacutesentent eacutegalement dans la meacutemoire politique le triom-phe du libeacuteralisme durant le premier New Deal

Mais les libeacuteraux partisans de lrsquooffre revendiquent quelque chose de complegravetement dif-feacuterent en matiegravere de deacutepenses de travaux publics Ils les rebaptisent laquo infrastructures raquocomme je lrsquoai moi-mecircme fait maintes fois et avancent que les deacutepenses drsquoinfrastructurescontribuent de faccedilon notable agrave la productiviteacute du secteur priveacute Les emplois creacuteeacutes directe-ment pour la reacutealisation des travaux sont sans importance dans ce deacutebat Ce qui importecrsquoest dans quelle mesure le travail une fois acheveacute contribue indirectement agrave la reacuteductiondes coucircts et agrave une augmentation de la production dans le secteur priveacute

La preuve que de tels effets existent est heacutelas fort simple La quasi-totaliteacute srsquoappuiesur des rapports statistiques agreacutegeacutes et essentiellement sur le simple fait que la crois-sance de la productiviteacute moyenne a deacuteclineacute pendant les anneacutees qui ont vu la diminu-tion des investissements publics Pratiquement rien ne repose sur lrsquoanalyse deacutetailleacutee dela contribution de projets particuliers agrave lrsquoefficaciteacute des entreprises

Et ceci nrsquoest pas surprenant Alors que lrsquoAmeacuterique pourrait beacuteneacuteficier de nettementplus drsquoinvestissements publics en matiegravere drsquoeacutequipements collectifs lrsquoentreprise indus-trielle ameacutericaine tourneacutee vers lrsquoexport nrsquoest absolument pas paralyseacutee par les problegravemesdrsquoinfrastructures Les routes chemins de fer eacutelectriciteacute et voies fluviales conviennent agraveleurs besoins Boeing ne manque pas de pistes pour faire partir ses avions et la Silicon Val-ley ne souffre pas de pannes drsquoeacutelectriciteacute partielles Les teacuteleacutephones marchent parfaite-ment dans ce pays et on a mecircme lrsquoInternet Quant aux coucircts de la pollution ils neretombent pas sur les producteurs de nuisances eux-mecircmes mais sur leurs voisins

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Les deacutepenses en matiegravere drsquoinfrastructures et drsquoenvironnement sont indubitable-ment neacutecessaires et coucircteuses Mais pour qui Pour le citoyen Ameacutericain car ellesconstituent des eacuteleacutements de son niveau de vie Les routes lrsquoeau les eacutegouts lrsquoeacutelectriciteacuteet les systegravemes de communication sont tous des biens de consommation publique Cesont les consommateurs et les travailleurs et non les principaux affreacuteteurs profession-nels qui heurtent les nids-de-poule sur la route Ce sont les gens qui respirent lrsquoair boi-vent lrsquoeau et font du bateau sur les riviegraveres et les lacs Tout cela a tregraves peu de rapport avecla compeacutetitiviteacute internationale crsquoest peut-ecirctre triste mais crsquoest vrai Ceci expliquepourquoi les inteacuterecircts commerciaux ne neacutecessitent pas de deacutepenses en infrastructuresplus importantes et pourquoi eacutegalement ces questions ont eacuteteacute les premiegraveres agrave eacutechouerface agrave lrsquoopposition reacutepublicaine du Congregraves

Nous voilagrave donc devant la conclusion deacuteplaisante que le courant libeacuteral est tombeacutedans le piegravege de se leurrer lui-mecircme La droite a pris le commandement de la politiquefiscale et moneacutetaire laissant aux libeacuteraux des montants symboliques agrave deacutepenser dansdes interventions en faveur de lrsquooffre Lrsquoeacuteducation la formation et les infrastructuressont tregraves importantes mais pas pour les raisons habituellement invoqueacutees Le mondedes affaires ne souffrira pas de les financer aux niveaux souhaiteacutes par les libeacuteraux etcrsquoest se faire des illusions que de penser qursquoil le devrait Nous devons trouver plutocirctun langage pour deacutefendre ces deacutepenses au nom des gens eux-mecircmes et faire en sorteque lrsquoon se feacutedegravere autour drsquoeux en raison des beacuteneacutefices qursquoils apportent (comme parexemple les mouvements de deacutefense de lrsquoenvironnement de protection du consom-mateur de la santeacute ou de la seacutecuriteacute le font traditionnellement) Autrement ils conti-nueront agrave perdre les batailles budgeacutetaires

Et si nous voulons le plein emploi nous avons besoin de quelque chose drsquoautre unepolitique macroeacuteconomique visant au plein emploi

La macroeacuteconomie dans un monde structuraliste

Les conservateurs recourent au mythe du marcheacute pour opposer les solutions politi-ques aux problegravemes de la redistribution Mais laisser les choses au marcheacute nrsquoest pasmoins un choix politique qursquoun autre

Supposons que le concept drsquoun marcheacute global du travail et la meacutetaphore associeacuteedrsquoun taux naturel de chocircmage puissent ecirctre eacutelimineacutes drsquoun seul coup de la consciencedes professionnels (ce qui au demeurant serait meacuteriteacute) La notion politique selonlaquelle le controcircle de la reacuteduction du chocircmage est la principale faccedilon de combattrelrsquoinflation perdrait son pouvoir Il deviendrait alors intellectuellement possible de

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raviver lrsquoideacutee de donner un emploi agrave quiconque le souhaiterait Le problegraveme nrsquoest pluslaquo Combien drsquoemplois raquo mais laquo Qui employer et selon quelles conditions raquo

Investissement et consommation Creacuteer des emplois crsquoest trouver des choses agrave faire faireaux gens Des investissements de toute espegravece creacuteent des emplois et la stabilisation de lademande drsquoinvestissement priveacute est le problegraveme macroeacuteconomique traditionnel Destaux drsquointeacuterecirct faibles et stables sont ici essentiels jrsquoy reviendrai Lrsquoinvestissement publicpeut aller lagrave ougrave lrsquoinvestissement priveacute ne peut le faire et devrait ecirctre conccedilu et poursuivipour ses beacuteneacutefices directs et non pour ses beacuteneacutefices imaginaires et indirects Mais la con-sommation est aussi un important objectif politique souvent deacutecrieacute Les meacutenagesdevraient avoir les revenus dont ils ont besoin pour ecirctre bien nourris logeacutes et vecirctus et aussipour jouir de la vie Les services publics peuvent apporter leur aide les garderies lrsquoeacuteduca-tion la santeacute publique la culture et lrsquoart neacutecessitent tous davantage de soutien financier

Technologie Le renouveau technologique devrait ecirctre compris comme faisant partiedrsquoune strateacutegie de maintien de la demande drsquoinvestissement Il devient progressive-ment senseacute drsquoen finir avec la preacutepondeacuterance accordeacutee au marcheacute boursier pour des rai-sons de deacutefense de lrsquoenvironnement de seacutecuriteacute drsquoefficaciteacute et de compeacutetitiviteacute Unereacuteglementation correctement conccedilue peut aider et cela ouvrira sur des opportuniteacutesdrsquoinvestissement pour de nouvelles technologies En mecircme temps une structure plusuniforme des salaires et un laquo filet de seacutecuriteacute raquo plus conseacutequent incluant la formationcontinue mais aussi des retraites anticipeacutees plus geacuteneacutereuses pour les travailleurs tropacircgeacutes pour ecirctre requalifieacutes reacuteduirait le coucirct des pertes drsquoemploi et la reacutesistance des tra-vailleurs concerneacutes par les changements Encore une fois il srsquoagit drsquoun compleacutement agraveune politique macroeacuteconomique de croissance eacuteleveacutee non drsquoun substitut

Inflation Lrsquoinflation ne serait pas eacutelimineacutee Mais la poursuite drsquoune relative stabiliteacuteplutocirct que drsquoecirctre le reacutesultat drsquoune croissance lente et sans beaucoup drsquoargent pourraitsrsquoattacher agrave la gestion drsquoeacuteleacutements particuliers de coucirct agrave mesure que lrsquoeacuteconomie se rap-procherait du plein emploi Ceci a inclu des pressions sur les salaires mais aussi sur lesprix des mateacuteriaux des loyers et sur les inteacuterecircts Lrsquoorganisation de la demande globale- qui repreacutesente une force indeacuteniable sur les prix non salariaux pourrait fonctionnergracircce agrave des moyens ayant moins drsquoeffets sur lrsquoemploi une taxe variable sur les beacuteneacutefi-ces suppleacutementaires par exemple Eacutetant donneacute que les salaires sont un eacuteleacutement majeurdes coucircts la politique de lutte contre lrsquoinflation serait concerneacutee par les meacutecanismesinstitutionnels de neacutegociation des salaires

Redistribution Cet exercice nous ramegravene agrave des questions bien reacuteelles ineacutevitablementpolitiques obscurcies par le laquo charabia raquo technique sur le taux naturel du chocircmage notrestructure geacuteneacuterale de revenus et drsquoavantages Comment devraient ecirctre reacutepartis les revenus Dans quelle fourchette entre le haut et le bas Entre le capital et le travail Entre les quali-fieacutes et les non qualifieacutes Et selon moi la tendance actuelle agrave une ineacutegaliteacute croissante doitecirctre inverseacutee et les libeacuteraux devraient franchement soutenir les mesures politiques neacuteces-

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saires agrave cet objectif Les syndicats devraient ecirctre renforceacutes et les nouvelles campagnes agres-sives de lrsquoAFL-CIO soutenues sans reacuteserve Les salaires minimums devraient ecirctre releveacutes Etles libeacuteraux devraient deacutefendre eacutenergiquement lrsquoimpocirct progressif et apporter leur soutien agraveun impocirct sur la richesse comme lrsquoa proposeacute Edward Wolf dans cette revue1

Crsquoest seulement quand la reacutepartition eacuteleacutementaire des revenus aura eacuteteacute correctementreacutealiseacutee que des gains suppleacutementaires sur les salaires reacuteels pourront se produire enmoyenne au taux de croissance de la productiviteacute Mais pour empecirccher la redistribu-tion drsquoempirer agrave nouveau ces gains devraient ecirctre distribueacutes de faccedilon substantielledans le domaine social et seulement leacutegegraverement dans le domaine industriel ou indivi-duel En drsquoautres termes il nous faut revenir au principe de la solidariteacute il faut quetoute la socieacuteteacute avance en mecircme temps

Des salaires minimums plus eacuteleveacutes sont particuliegraverement importants pour atteindrecet objectif Dans leur dernier ouvrage Myth and Measurement David Card et AlanKrueger avancent que lrsquoaugmentation du salaire minimum dans une mesure raison-nable ne condamnerait pas drsquoemplois En fait des salaires minimums plus eacuteleveacutes peu-vent augmenter lemploi en reacuteduisant le taux de rotation des emplois Crsquoest un travaildoublement important drsquoabord pour sa pertinence en matiegravere de politique directeensuite parce que cela contredit cateacutegoriquement et affaiblit consideacuterablement lesmodegraveles standards du marcheacute global du travail

Taux drsquointeacuterecirct En la matiegravere deux maicirctres mots bas et stable Les taux drsquointeacuterecirctdevraient perdre leur fonction macroeacuteconomique qui a eacuteteacute de garantir la stagnationIls devraient plutocirct servir agrave arbitrer la redistribution du revenu entre deacutebiteurs et creacute-diteurs capital financier et initiative En premiegravere approximation les taux reacuteels de ren-dement de lrsquoargent agrave court terme devraient ecirctre de 0 Et il nrsquoy a pas de raison que lestaux drsquointeacuterecirct agrave long terme excegravedent le taux de croissance reacuteel agrave long terme de lrsquoeacutecono-mie Ils devraient en effet se situer au-dessous de cette valeur et agir dans le sens drsquouneredistribution progressive de la richesse des creacutediteurs vers les deacutebiteurs et drsquoune sta-bilisation agrave long terme des bilans des meacutenages et des entreprises La speacuteculation sur lesmarcheacutes financiers devrait ecirctre lourdement taxeacutee

Deacuteficits Lrsquoironie veut que le deacuteficit du budget apparaisse agrave peine dans cette discus-sion Pendant lrsquoessor spectaculaire de lrsquoapregraves-guerre nous avions une socieacuteteacute agrave fort tauxdrsquoemploi agrave taux drsquoinflation et drsquointeacuterecirct bas avec une fiscaliteacute progressive Ce type desocieacuteteacute nrsquoa pas de problegravemes de deacuteficit structurel Un budget militaire de temps de paixaiderait eacutegalement beaucoup En tout eacutetat de cause lrsquoobsession preacutesente visant agrave eacutequi-librer le budget est une heacutereacutesie comme devraient le deacutenoncer agrave haute voix tous les eacuteco-nomistes seacuterieux

1 Edward Wolf How the Pie Is Sliced Americarsquos Growing Concentration of Wealth The American Pros-pect Eacuteteacute 1995

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Ce qui vient drsquoecirctre exposeacute pris dans son ensemble serait une politique macroeacuteco-nomique qui vaut qursquoon se batte pour elle Les libeacuteraux partisans de lrsquooffre en microeacute-conomie peuvent faire des choses utiles mdash du moins le pensent-ils mdash en attribuantquelques subventions agrave lrsquoeacuteducation agrave la formation et aux infrastructures Mais il srsquoagitdrsquoaugmenter le niveau de vie drsquoaccroicirctre la seacutecuriteacute les loisirs et de pourvoir desemplois qui en vaillent la peine Cela neacutecessite de notre part la reacutehabilitation de lamacroeacuteconomie en tant qursquooutil essentiel de politique

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Agrave quelle vitesse lrsquoeacuteconomie ameacutericaine peut-elle croicirctre

Paul KRUGMAN1

Juillet-Aoucirct 1997

La plupart des eacuteconomistes croient que lrsquoeacuteconomie des Eacutetats-Unis est aujourdrsquohuitregraves proche voire mecircme au-dessus du niveau maximum toleacuterable drsquoemploi et drsquoutili-sation de la capaciteacute de production Srsquoils ont raison la croissance agrave venir proviendrasoit drsquoune augmentation de la productiviteacute (crsquoest-agrave-dire du volume de la productionpar travailleur) soit drsquoune augmentation de la quantiteacute de la main-drsquoœuvre poten-tielle Les statistiques officielles montrent que la productiviteacute et la capaciteacute de travailprogressent mollement donc selon lrsquoanalyse eacuteconomique classique nous ne devonspas nous attendre agrave une progression de plus de 2 dans les prochaines anneacutees Et sinous ou plus preacuteciseacutement la Reacuteserve Feacutedeacuterale essayions drsquoacceacuteleacuterer cette croissance enmaintenant bas les taux drsquointeacuterecirct le reacutesultat le plus important serait purement et sim-plement un retour aux mauvais jours de sinistre meacutemoire drsquoune forte inflation

Neacuteanmoins de nombreuses personnes drsquoinfluence mdash des hommes drsquoaffaires desjournalistes et mecircme quelques eacuteconomistes reacuteputeacutes mdash nrsquoacceptent pas une perspectiveaussi terne Ils croient que les anciennes limitations agrave la croissance sont abrogeacutees voireque lrsquoideacutee mecircme de limitation est devenue obsolegravete La base conceptuelle de leur opti-misme se rattache parfois agrave la perspective drsquoune laquo nouvelle eacuteconomie raquo pompeuse-ment appeleacutee aussi laquo nouveau paradigme raquo Quelle que soit son appellation cettenouvelle vision de lrsquoeacuteconomie srsquoest reacutepandue avec une veacutelociteacute rare dans les annales dela penseacutee eacuteconomique Il nous faut revenir agrave la monteacutee de la theacuteorie de lrsquooffre desanneacutees 1970 pour trouver un cas de theacuteorie tregraves novatrice en matiegravere drsquoeacuteconomie quiait eacuteteacute si rapidement admise par un nombre important de leaders drsquoopinion

La base fondamentale de ce nouveau paradigme est que les changements que tout lemonde peut voir dans notre eacuteconomie (lrsquoessor de la technologie numeacuterique le volumecroissant des investissements et du commerce international) ont qualitativementalteacutereacute les regravegles du jeu Lrsquoeacuteconomie peut croicirctre plus rapidement que par le passeacute en rai-son de lrsquoeacutevolution rapide des technologies ce qui constitue le fondement du nouveauparadigme du fait de la concurrence mondiale nous ne devons plus avoir peur qursquoune

1PAUL KRUGMAN est professeur drsquoeacuteconomie au Massachussets Institute of Technology Cet article a eacuteteacutepublieacute initialement en anglais dans Harvard Business Review JulyAugust 1997 sous le titre laquoHow Fastcan the US Economy Growraquo (httpwebmitedukrugmanwwwhowfasthtml) Copyright copy 1997by the President and Fellows of Harvard College all rights reserved Pour cette traduction Copyrightcopy 2000 by the President and Fellows of Harvard College

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eacuteconomie en surchauffe ne geacutenegravere lrsquoinflation Crsquoest sucircrement une vision attractivepour ceux qui souhaiteraient une croissance plus rapide que les quelques 2 deacutece-vants proposeacutes par les eacuteconomistes conventionnels crsquoest aussi une vision qui corres-pond agrave ce que constatent les hommes drsquoaffaires dans leurs propres secteurs Nous nedevons donc pas nous eacutetonner du succegraves de cette vision dans les milieux drsquoaffaires

Il nrsquoy a qursquoun problegraveme crsquoest que si on analyse attentivement le nouveau para-digme on se rend compte qursquoil nrsquoa pas de sens Il comporte drsquoeacutenormes lacunes concep-tuelles et empiriques qui paraissent eacutevidentes agrave de nombreux eacuteconomistes mais quipour une raison ou pour une autre nrsquoont pas eacuteteacute efficacement porteacutees agrave la connais-sance du grand public En fait ce problegraveme nrsquoest pas reacuteellement difficile ni mecircmetechnique la simple logique conjugueacutee agrave lrsquoanalyse de quelques expeacuteriences reacutevegravele leproblegraveme du nouveau paradigme

Pourquoi lrsquoeacuteconomie a-t-elle une laquo limite de vitesse raquo

Avec lrsquoeacuteclatement de la famille traditionnelle ougrave lrsquoon pouvait compter sur lrsquoentou-rage pour prendre soin des enfants de nombreux parents ameacutericains ont chercheacutedrsquoautres solutions La plus freacutequente est la coopeacuterative de baby-sitting dans laquelle uncertain nombre de parents prennent lrsquoengagement de srsquoentraider sur des bases de reacuteci-prociteacute chacun pouvant ecirctre laquo baby-sitter raquo ou laquo baby-sitteacute raquo Ce genre de coopeacuterativeneacutecessite des regravegles permettant drsquoassurer aux membres un partage eacutequitable Unereacuteponse naturelle agrave cette exigence drsquoeacutegaliteacute au moins pour les gens familiariseacutes aveclrsquoeacuteconomie de marcheacute consiste agrave adopter une sorte de systegraveme de laquo jetons raquo ou delaquo points raquo les parents laquo gagnent raquo des laquo jetons raquo en assurant un baby-sitting ils endeacutepensent lorsque leurs propres enfants sont gardeacutes par drsquoautres parents Par exempleune toute reacutecente coopeacuterative dans lrsquoouest du Massachusetts utilise des bacirctonnets deglace agrave lrsquoeau chacun repreacutesentant une heure de baby-sitting Lorsqursquoun parent integravegrela coopeacuterative il reccediloit une premiegravere attribution de dix bacirctonnets

Ce systegraveme se reacutegule de lui-mecircme en ce sens que sur une dureacutee de temps prolongeacuteeune famille donnera agrave peu pregraves le mecircme temps de garde qursquoelle beacuteneacuteficiera drsquoheures debaby-sitting Neacuteanmoins il srsquoavegravere que ce systegraveme de jetons ne suffit pas agrave lui seul pourqursquoune coopeacuterative fonctionne correctement il est eacutegalement neacutecessaire que lesjetons soient relativement bien reacutepartis entre les membres Supposons par exempleqursquoil y ait tregraves peu de jetons en circulation Certains parents peuvent vouloir avoir unereacuteserve de jetons assez pour pouvoir sortir un certain nombre de fois avant de devoirfaire du baby-sitting et donc drsquoen gagner Chaque parent peut aussi bien sucircr accumu-

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ler encore plus de jetons en assurant plus de baby-sitting et en sortant moins Mais quese passe-t-il si presque tout le monde essaie drsquoaccumuler des jetons ce qui est le casquand il y en a peu en circulation La deacutecision drsquoun parent de sortir constitue lrsquooppor-tuniteacute pour un autre de faire du baby-sitting Donc si tous les membres de la coopeacutera-tive essaient drsquoadditionner des jetons pour augmenter leur reacuteserve il y aura tregraves peudrsquoopportuniteacutes de garder des enfants Ceci aboutit agrave ce que les gens heacutesitent agrave sortirafin de ne pas gaspiller leurs eacuteconomies de jetons et donc le niveau drsquoactiviteacute de lacoopeacuterative peut baisser jusqursquoagrave un niveau extrecircmement deacutecevant

La solution agrave ce problegraveme consiste bien sucircr agrave mettre en circulation plus de bacirctonnetsMais pas trop car lrsquoexcegraves de bacirctonnets peut eacutegalement provoquer un problegraveme graveSupposons que dans la coopeacuterative presque tous les membres possegravedent un nombrede bacirctonnets exceacutedant leurs besoins ils auront tous envie de sortir et rechigneront agravegarder des enfants Il sera alors tregraves difficile de trouver des baby-sitters et tant que lesopportuniteacutes drsquoutiliser les bacirctonnets seront rares les membres seront encore moinsdeacutesireux de perdre du temps et de faire des efforts pour gagner des jetons Donc onobservera des effets destructeurs en situation drsquoexceacutedent de jetons en circulation aussibien que de peacutenurie

Mais qursquoest-ce que cela a agrave voir avec le nouveau paradigme Et bien une coopeacuterativede baby-sitting est une sorte de macroeacuteconomie en miniature un systegraveme dans lequelles deacutecisions individuelles de deacutepenser et drsquoeacutepargner sont tregraves deacutependantes les deacutepen-ses de lrsquoun constituant les revenus de lrsquoautre et vice et versa Lrsquoeacutetat de crise drsquoune coo-peacuterative de baby-sitting ducirc agrave une circulation insuffisante de jetons est par essence lemecircme que celui de lrsquoeacuteconomie ameacutericaine dans son ensemble quand elle sombre dansla reacutecession Et les capaciteacutes drsquoun Paul Volcker ou drsquoun Alan Greenspan agrave provoquer unredressement reacutesident dans le controcircle qursquoils ont sur lrsquooffre de monnaie autrement ditsur le nombre de bacirctonnets

Entre lrsquoeacuteconomie grandeur nature et la coopeacuterative de baby-sitting comprenant toutau plus quelques douzaines de membres il y a eacutevidemment drsquoimportantes diffeacuterencesLrsquoune drsquoentre elles reacuteside dans le fait que lrsquoeacuteconomie possegravede un marcheacute de capitaux les individus qui manquent drsquoargent peuvent en emprunter agrave drsquoautres qui sont richesen capitaux de faccedilon agrave ce que les effets drsquoune peacutenurie geacuteneacuterale ou drsquoune profusiondrsquoargent srsquoarbitrent par le niveau des taux drsquointeacuterecirct Une diffeacuterence plus grande encoretient aux prix ceux-ci sont fixes dans une coopeacuterative de baby-sitting type un bacircton-net permettant drsquoacheter une heure de baby-sitting un point crsquoest tout Dans lrsquoeacutecono-mie proprement dite les entreprises sont libres de changer leurs prix de les casser sielles ont des problegravemes pour vendre leur produits de les augmenter si elles jugentqursquoune hausse ne stoppera pas les ventes Les entreprises ont une forte tendance agrave refu-ser de casser les prix tout comme les ouvriers sont reacutecalcitrants agrave accepter une baisse desalaire si des reacutecessions prolongeacutees megravenent parfois agrave la baisse des prix cela se fait pro-

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gressivement et avec difficulteacute Lrsquohistoire montre toutefois que les entreprises sontmoins reacuteticentes agrave augmenter leurs prix dans des conditions de forte croissance Crsquoestpour cette raison que lrsquoespegravece de situation de peacutenurie subie par la coopeacuterative quand ily a trop de jetons en circulation est rarement grave dans les eacuteconomies de marcheacute alorsqursquoune eacutemission excessive de monnaie elle se dissipe plutocirct en inflation

Pourtant lrsquoeacuteconomie du bacirctonnet peut nous aider agrave dissiper quelques malentendustregraves reacutepandus sur les raisons amenant les eacuteconomistes agrave penser qursquoil existe des limitesagrave la rapiditeacute de la croissance Premiegraverement personne ne preacutetend que lrsquoeacuteconomie selimite agrave une vitesse de croissance de 2 et quelques en toutes circonstances Quandune coopeacuterative de baby-sitting est en eacutetat de deacutepression agrave cause drsquoune offre insuffi-sante de bacirctonnets son PBB (Produit Baby-sitting Brut) peut srsquoeacutelever rapidement degravesque lrsquooffre progresse Jusqursquoici rien drsquoinexplicable dans la capaciteacute qursquoa eue lrsquoeacuteconomieameacutericaine drsquoatteindre un taux de croissance de plus de 3 de 1982 agrave 1989 agrave partirdrsquoune reacutecession qui avait fait grimper le chocircmage agrave un taux de 107 et maintenu pro-bablement la production agrave 10 au-dessous de sa capaciteacute la politique drsquoexpansionmoneacutetaire a permis agrave lrsquoeacuteconomie de rebondir La laquo limite de vitesse raquo ne srsquoapplique quelorsque lrsquoeacuteconomie srsquoest deacuteveloppeacutee autant qursquoelle le pouvait en utilisant toute sa capa-citeacute et en employant les ressources inexploiteacutees

Deuxiegravemement la logique de lrsquoargument eacuteconomique standard contre les objectifsde croissance trop ambitieux alors que lrsquoeacuteconomie est proche du plein emploi est aussilargement mal comprise De nombreux critiques de cette argumentation sinon la plu-part fondent leur opposition sur une caricature trompeuse de ce que disent les eacutecono-mistes Bien trop souvent des avocats drsquoune croissance plus rapide affirment que pourleurs adversaires laquo la croissance creacutee lrsquoinflation raquo cette supposeacutee maniegravere de voir estensuite tourneacutee en ridicule Apregraves tout lrsquoinflation nrsquoest-elle pas une inadeacutequationentre un excegraves drsquoargent et une peacutenurie de biens Et si crsquoest le cas comment la crois-sance peut-elle ecirctre la cause de lrsquoinflation alors qursquoelle se traduit par une plus grandeabondance de biens Mais ce nrsquoest pas ce que disent les eacuteconomistes qui pensent qursquounobjectif de croissance trop ambitieux serait inflationniste Personne ne preacutetend que lacoopeacuterative de baby-sitting souffrirait de peacutenurie si elle se deacuteveloppait en accueillantde nouveaux adheacuterents ou en ameacuteliorant lrsquoefficaciteacute des familles pour la garde desenfants de telle sorte qursquoelle puisse assurer davantage de baby-sitting Les limites mdash etdonc le risque drsquoinflation mdash ne srsquoappliquent qursquoagrave une croissance reacutesultant drsquounedemande accrue autrement dit en augmentant le nombre de bacirctonnets

Agrave partir de quand est-ce trop Revenons agrave nouveau agrave notre eacuteconomie du baby-sittingComment pourrait-on savoir qursquoil y a trop de bacirctonnets en circulation Un indicateurinteacuteressant pour cela serait la freacutequence avec laquelle les parents recherchent et ne trou-vent pas lrsquooccasion de faire du baby-sittingce qui correspondrait fondamentalement autaux de chocircmage de la coopeacuterative Un autre indicateur serait la freacutequence agrave laquelle les

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parents cherchent et ne trouvent pas de baby-sitter ce qui pourrait correspondre plus oumoins au laquo taux drsquoemplois non satisfaits raquo dans lrsquoeacuteconomie ameacutericaine Un chocircmagetregraves bas et un taux eacuteleveacute drsquoemplois non satisfaits indiquent qursquoil existe un exceacutedent dedemande au sein de la coopeacuterative Dans lrsquoeacuteconomie agrave grande eacutechelle il srsquoavegravere que letaux de chocircmage et celui des emplois non satisfaits sont eacutetroitement correacuteleacutes mais inver-sement Mais les donneacutees collecteacutees les plus reacuteguliegraverement et les plus systeacutematiquementeacutetant celles du chocircmage nous pouvons utiliser ce taux de chocircmage tregraves facilement dis-ponible comme un assez bon indicateur de lrsquoeacutetroitesse du marcheacute du travail

Que veut dire trop bas pour un taux de chocircmage Pour ecirctre honnecircte les incertitudessur cette question sont nombreuses Lrsquoeacutevidence des anneacutees drsquoavant 1990 suggeacuteraitalors agrave la plupart des eacuteconomistes que lrsquoinflation commencerait agrave srsquoacceacuteleacuterer quand letaux de chocircmage tomberait en dessous de 6 or on fut surpris de constater que avecun taux de chocircmage agrave peine au-dessus de 5 lrsquoaugmentation des prix se discernait agravepeine Neacuteanmoins la progression des salaires a commenceacute agrave srsquoacceacuteleacuterer et les anecdotessur la peacutenurie de main-drsquoœuvre plutocirct rares dans lrsquoeacuteconomie ameacutericaine sont deve-nues monnaie courante dans les 6 derniers mois de 1996 ce genre drsquoanecdotes srsquoestdeacuteveloppeacute trois fois plus que lrsquoanneacutee preacuteceacutedente Il semble donc qursquoil y ait peu de chan-ces de reacuteduire le taux de chocircmage simplement par une augmentation de la demande(Il srsquoagit lagrave de couper court aux arguments selon lesquels il serait possible de stopper lechocircmage gracircce agrave la formation professionnelle ou agrave toute autre intervention Qursquoilsfonctionnent ou non de tels scheacutemas nrsquoont rien agrave voir avec les tenants du nouveauparadigme qui preacutetendent que la Reacuteserve Feacutedeacuterale peut continuer agrave augmenter sesobjectifs de croissance mecircme en lrsquoabsence de programmes destineacutes agrave augmenter lenombre de travailleurs employables)

Ce que nous connaissons assez bien crsquoest le taux de croissance qui est compatibleavec le maintien du taux de chocircmage agrave son niveau agrave peu pregraves courant Il existe une rela-tion frappante entre le taux de la croissance eacuteconomique et celui de la variation du tauxde chocircmage relation qui fait partie bien sucircr des quelques constatations que les eacuteco-nomistes veulent eacuteriger en laquo loi raquo (loi de Okun) avec le plus grand des seacuterieux Les don-neacutees entre 1980 et 1995 indiquent qursquoau cours de cette peacuteriode le taux de chocircmageprogresse si le taux de croissance tombe en dessous de 24 et diminue si ce dernierest supeacuterieur (il srsquoavegravere que chaque point de progression de la croissance reacuteduit le chocirc-mage drsquoun demi-point) On constate que le taux de croissance en rapport avec le main-tien du taux de chocircmage plus ou moins au niveau ougrave il en est aujourdrsquohui a eacuteteacute dansun passeacute reacutecent drsquoenviron 2

Il nrsquoest en revanche pas eacutevident que le taux de croissance compatible avec un tauxde chocircmage constant mdash le taux de croissance maximum susceptible drsquoecirctre soutenulorsque lrsquoeacuteconomie tourne agrave pleine capaciteacute mdash ait progresseacute ces quelques derniegraveresanneacutees Le taux moyen de chocircmage de 1995 voisin de 56 est agrave peu pregraves le mecircme

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qursquoen 1990 Or la croissance moyenne sur les 5 derniegraveres anneacutees a eacuteteacute de 19 crsquoest-agrave-dire en dessous de la croissance extrapoleacutee sur la courbe

Pourquoi le taux de croissance qursquoil est possible de soutenir semble-t-il si lent Il ya deux raisons principales Premiegraverement la force de travail ameacutericaine ne progresseplus aussi vite que dans les anneacutees ougrave les enfants du baby-boom eacutetaient devenus adul-tes et ougrave les femmes inteacutegraient le marcheacute du travail entre le deacutebut des anneacutees 1990et aujourdrsquohui le nombre de personnes travaillant ou recherchant un emploi nrsquoa pro-gresseacute qursquoau taux annuel drsquoenviron 1 Deuxiegravemement selon les chiffres officiels laproductiviteacute (production par travailleur) nrsquoa elle-mecircme progresseacute que drsquoun tout petitpour-cent La somme de ces deux chiffres donne 2 ce qui correspond au potentielde croissance de la productiviteacute eacuteconomique

Tout ceci semble assez bien eacutetabli Alors comment les tenants du nouveau para-digme peuvent-ils encore preacutetendre que lrsquoeacuteconomie est en fait capable drsquoune crois-sance plus rapide Leur reacuteponse reacuteside en partie dans le fait que tout simplement ilsne croient pas les chiffres officiels ils pensent que les statistiques sont deacutepasseacutees etsous-estiment grandement la croissance de la productiviteacute Mais cela est-il vrai Et sur-tout est-ce un problegraveme

Les paradoxes de la productiviteacute

Crsquoest un truisme drsquoaffirmer que lrsquoaugmentation de la productiviteacute autrement dit duPNB par travailleur repreacutesente la clef drsquoune croissance eacuteconomique durable Il fautpeut-ecirctre srsquoinquieacuteter du lent cheminement que montrent les chiffres officiels de la pro-ductiviteacute ameacutericaine et qui dure depuis le deacutebut des anneacutees 1970 la progressionannuelle de la production horaire du travail reste environ agrave 1 par an bien en dessousdu taux annuel de presque 3 des anneacutees 1950 et 1960

Par conseacutequent nombreux sont les grands patrons qui ont bien du mal agrave croire cesstatistiques officielles Pour une part ils pensent improbable que la reacutevolution numeacute-rique qui a eu tant drsquoimpact sur la conduite des affaires nrsquoait pu montrer davantagede retour sur investissement De plus les dirigeants de nombreuses entreprises pensentque lrsquointensiteacute de la concurrence les a forceacutes agrave engager des mesures radicales pour aug-menter la productiviteacute et ils ne peuvent croire qursquoil y ait aussi peu de retombeacutees surlrsquoeacuteconomie dans son ensemble

Pour ceux qui croient que les si monotones statistiques officielles sur la productiviteacutesont fausses il apparaicirct eacutevident que les monotones visions conventionnelles sur leslimites de la croissance sont eacutegalement fausses Apregraves tout supposons que nous

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croyions que la croissance reacuteelle de la productiviteacute dans les anneacutees 1990 a eacuteteacute deux foisplus importante que cette mesure de 1 disons qursquoelle a eacuteteacute de 25 par exempleNous devons alors croire eacutegalement que la croissance du potentiel eacuteconomiquesomme de ces taux de 1 pour la croissance de la productiviteacute et pour la force de tra-vail est reacuteellement de 35 et non de 2 Alors la Fed ne pourrait-elle pas laisser lrsquoeacuteco-nomie srsquoeacutechapper

Prenons le problegraveme par eacutetape Il faut drsquoabord admettre que les critiques des statisti-ques officielles de productiviteacute sont fondeacutees bien qursquoil y existe des contre-argumentsDes techno-sceptiques aiment agrave souligner que mecircme si la technologie numeacuterique estclinquante et laquo glamour raquo on constate qursquoelle fait moins pour la production reacuteelle destravailleurs que ne lrsquoont fait dans le passeacute bien des innovations moinslaquo photogeacuteniques raquo pour donner un exemple drsquoune technologie qui sans avoir quoi quece soit de laquo glamour raquo a eu un effet profond sur lrsquoeacuteconomie jrsquoeacutevoque souvent la conte-neurisation du fret qui a litteacuteralement eacutelimineacute le besoin en centaines de milliers de doc-kers et autres manutentionnaires Lrsquoenthousiasme initial passeacute les affaires ont deacutemontreacuteque certaines nouvelles technologies parmi lesquelles les ordinateurs de bureau com-portaient des coucircts cacheacutes importants On a par ailleurs fait remarquer que de nombreu-ses entreprises en se restructurant nrsquoeacuteliminent pas tant les postes de travail qursquoelles neles externalisent ces postes glissant depuis de grandes firmes ougrave les reacutemuneacuterations sonteacuteleveacutees agrave de petits fournisseurs qui ont eux des eacutechelles de salaires plus basses Du pointde vue de la socieacuteteacute restructureacutee il peut sembler que le mecircme travail est reacutealiseacute par unnombre de personnes nettement moindre de celui de lrsquoeacuteconomie dans son ensemblela production par travailleur peut ne pas avoir beaucoup grimpeacute voire pas du tout Cequi est bien pire crsquoest que des eacuteconomistes tentent drsquoeacutevaluer la croissance de la produc-tiviteacute et restent parfaitement indeacutecis quant aux reacutesultats la productiviteacute a eacuteteacute grande-ment sous-eacutevalueacutee pour un petit nombre drsquoentre eux elle lrsquoaurait eacuteteacute de moitieacute maisun nombre conseacutequent drsquoeacuteconomistes pensent aussi que les chiffres officiels sont plusou moins vrais

Neacuteanmoins cette discussion est vraiment drsquoun inteacuterecirct mineur pour le problegraveme enquestion car si nous nous demandons quel est lrsquoobjectif de croissance approprieacute ilnrsquoest pas important que les chiffres officiels soient justes Il est essentiel de se rappelerque la productiviteacute par deacutefinition se deacutefinit comme la production par travailleurQuand on parle de productiviteacute dans lrsquoeacuteconomie globale ameacutericaine on parle du PNBreacuteel par travailleur employeacute aux Eacutetats-Unis ni plus ni moins (en anticipant sur la pro-chaine partie peut-ecirctre ne faut-il pas oublier que ni la production geacuteneacutereacutee ni les tra-vailleurs employeacutes par des compagnies ameacutericaines en dehors des Eacutetats-Unis ne jouentun rocircle dans le calcul du PNB ou de la productiviteacute) Supposons agrave preacutesent qursquoil soit vraique la productiviteacute (PNB reacuteel par travailleur) a reacuteellement grimpeacute agrave 25 depuis 1990 cela veut-il dire pour autant que la Fed aurait ducirc preacutevoir un objectif de croissance

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de 35 pour cette peacuteriode et qursquoen autorisant le PNB agrave monter agrave 2 seulement lepotentiel eacuteconomique srsquoest trouveacute bloqueacute Pas du tout Apregraves tout si la productiviteacuteest par deacutefinition eacutegale au PNB reacuteel par travailleur et si personne ne soutient que leschiffres sur lrsquoemploi sont faux preacutetendre que la vraie croissance de la productiviteacute estreacuteellement de 15 supeacuterieure aux statistiques crsquoest eacutegalement preacutetendre que le vraiPNB est supeacuterieur drsquoautant Nous pouvons alors non pas accuser la Fed de ne pas avoirinsuffleacute agrave lrsquoeacuteconomie les 35 qursquoelle meacuteritait mais la feacuteliciter drsquoavoir donneacute un tauxde croissance absolument exact

Voyons les choses un peu diffeacuteremment si la Fed avait tenteacute de parvenir agrave un tauxmesureacute mais non reacuteel de 35 cela aurait correspondu en fait agrave ambitionner un tauxreacuteel de croissance de 5 autrement dit bien au-dessus du potentiel eacuteconomique Etune tentative analogue sur la peacuteriode 1990-1996 aurait provoqueacute une baisse brutale dutaux de chocircmage agrave 2 bien en dessous des niveaux actuels Ce taux ne paraicirct reacutealisa-ble qursquoagrave un nombre limiteacute de personnes La question de savoir si les statistiques denotre eacuteconomie sous-estiment la croissance de la productiviteacute est tregraves importante dansde nombreux cas toutefois elle nrsquoapporte rien quand on se demande si le taux decroissance consideacutereacute comme objectif agrave atteindre serait plus haut si on utilisait cesmecircmes statistiques

Mondialisation et inflation

Lrsquoaffirmation selon laquelle lrsquoeacuteconomie ameacutericaine en deacutepit de statistiques moro-ses est actuellement en train de connaicirctre un taux eacuteleveacute de croissance de productiviteacuteest lrsquoun des deux jetons importants du nouveau paradigme Le second consiste agrave preacute-tendre que gracircce agrave la nouvelle ampleur de la concurrence mondiale le fait drsquoaugmen-ter la demande ne megravenera pas agrave lrsquoinflation mecircme avec des taux de chocircmage tregraves basLrsquohistoire continue diffeacuterente du passeacute Les entreprises ameacutericaines ont aujourdrsquohui agraveaffronter la compeacutetition reacuteelle ou potentielle drsquoadversaires europeacuteens et asiatiques mecircme en cas de forte demande elles nrsquooseront donc pas monter les prix de peur queses adversaires ne srsquoemparent du marcheacute

Comme dans le cas de la sous-estimation de la croissance de la productiviteacute il estpossible de veacuterifier cette affirmation sur des faits Il est indeacuteniable que de nombreusesfirmes ameacutericaines affrontent la concurrence internationale jusqursquoagrave un degreacute sans preacute-ceacutedent Neacuteanmoins cette compeacutetition mondiale a lieu essentiellement dans ledomaine de la production de biens car tregraves peu de services sont commercialiseacutes sur lemarcheacute international Et mecircme dans lrsquoindustrie bon nombre drsquoentreprises restent

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totalement agrave lrsquoeacutecart de la concurrence eacutetrangegravere avez-vous vu reacutecemment des reacutefrigeacute-rateurs chinois Comme nous avons essentiellement une eacuteconomie de service pasplus de 25 et probablement moins de 15 des emplois et de la valeur ajouteacutee sontreacuteellement soumis agrave cette sorte de discipline du marcheacute mondial procircneacutee par le nou-veau paradigme

Mais discuter sur lrsquoextension exacte de la mondialisation comme discuter sur le justetaux de la croissance de la productiviteacute est hors sujet Mecircme si la concurrence mondialejouait un rocircle plus important dans lrsquoeacuteconomie ameacutericaine qursquoelle ne le fait reacuteellementune telle compeacutetition nrsquoaugmenterait pas la vitesse limite de lrsquoeacuteconomie En effet peuimporte la taille de lrsquoeacuteconomie mondiale car mecircme si tous les rattrapages eacuteconomiquesont eacuteteacute faits le taux maximum de croissance dans nrsquoimporte quel domaine de cetteeacuteconomie est eacutegal agrave la somme de la croissance de la productiviteacute et de la force de travailde ce domaine

Ce point semble particuliegraverement difficile agrave saisir probablement parce que de nom-breuses personnes supposent faussement que lrsquoeacuteconomie mondiale est drsquoune faccedilon oudrsquoune autre plus importante que la somme des eacuteconomies nationales qursquoelle contientPour corriger cette impression erroneacutee souvenons-nous de la parabole preacutesenteacutee parPaul Samuelson du MIT il y a plus de 30 ans jrsquoai coutume de me reacutefeacuterer agrave cette para-bole comme lrsquohistoire de lrsquoange de Samuelson

En gros lrsquoideacutee de Samuelson eacutetait drsquoimaginer le cours de lrsquohistoire agrave lrsquoenvers Nouspensons normalement que lrsquoeacuteconomie mondiale reacutesulte drsquoune plus grande unificationeacuteconomique et crsquoest la voie que nous avons suivie pour arriver ougrave nous sommes MaisSamuelson suggeacuterait en alternative drsquoimaginer ce qursquoil se passerait si partant drsquouneeacuteconomie unifieacutee nous lrsquoeacuteclations Il proposait preacuteciseacutement la parabole suivante imaginons que agrave lrsquoorigine toutes les ressources mondiales travaillaient librementensemble sans problegraveme de distance ni de frontiegravere Mais soudain un ange descenditdu ciel et dispersa les ressources dans de nombreux pays par la suite les nationsauraient ainsi pu commercer entres elles mais neacuteanmoins des ressources telles que letravail se figegraverent (cette parabole est clairement inspireacutee de Genegravese 11 passage eacutevo-quant lrsquohistoire de la tour de Babel probablement les facteurs de production ont oseacutelancer un deacutefi au ciel) Le point important de cette parabole est que lrsquoeacuteconomie globalereacutesultant de la mise en piegravece drsquoune eacuteconomie qui nrsquoa pas de commerce internationalpuisque pas de partenaire pour commercer serait indiffeacuterentiable drsquoune eacuteconomie glo-bale produite en reacuteunissant partiellement des eacuteconomies nationales seacutepareacutees au preacutea-lable ce qui se passe en fait

Or il est facile de se leurrer en pensant que le rassemblement des eacuteconomies changeles regravegles drsquoune faccedilon ou drsquoune autre et supprime les vieilles contraintes de la politiqueeacuteconomique On pourrait agrave peine srsquoattendre agrave obtenir une nouvelle liberteacute en matiegraverede politique eacuteconomique en eacuteclatant une eacuteconomie unifieacutee Et pourtant lrsquoeacuteconomie

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mondiale reacuteelle imparfaitement unifieacutee peut ecirctre vue sous lrsquoun ou lrsquoautre angle ce quiindique qursquoil y a quelque chose de faux agrave preacutetendre que les vieilles contraintes nrsquoexis-tent plus

Les tenants du nouveau paradigme affirment une fois encore que lrsquoexpansion peutagrave preacutesent se poursuivre sans risque drsquoinflation gracircce agrave la mondialisation moneacutetaireCela peut-il ecirctre vrai Essayons de le deacutecouvrir avec lrsquoaide de lrsquoange

Drsquoabord imaginons un monde preacute-angeacutelique dans lequel toutes les ressources peu-vent travailler ensemble sans obstacle ougrave il y a un langage commun et une monnaieunique disons une monnaie constitueacutee de billets de banque rouges Cette eacuteconomiemondiale nrsquoest qursquoune grande coopeacuterative de baby-sitting si bien que lrsquoinjection deplus drsquoargent peut accroicirctre la production jusqursquoagrave un point au-delagrave duquel elle irait agravelrsquoencontre de la productiviteacute et serait naturellement dissipeacutee en inflation (Il est vraique lrsquoeacuteconomie mondiale est incroyablement immense le produit mondial brut estprobablement de lrsquoordre de 25 trillions de dollars Mais lrsquoeacuteconomie ameacutericaine agrave elleseule avec ses 7 trillions de dollars de PNB est eacutegalement incroyablement immenseOn peut utilement neacuteanmoins lrsquoimaginer comme une coopeacuterative de baby-sitting le fait de monter drsquoun cran sur lrsquoeacutechelle ne provoque pas une diffeacuterence qualitative)Supposons agrave preacutesent que lrsquoange descende et divise le monde en deux nations cha-cune posseacutedant ses propres ressources et devises un pays utilise maintenant des billetsbleus et lrsquoautre des billets verts Comment cette situation modifie-t-elle le contexte

Et bien supposons que le monde dans son ensemble soit proche du plein emploi etque les deux pays accroissent simultaneacutement leur offre de monnaie disons que chacunedrsquoelle double le nombre de billets en circulation Eacutevidemment il nrsquoy aura pas de diffeacute-rence par rapport agrave ce qui se serait passeacute si la production drsquoargent avait augmenteacute dansles mecircmes proportions dans lrsquoeacuteconomie preacute-angeacutelique Une fois que les secteurs affaiblisde lrsquoeacuteconomie mondiale auront eacuteteacute relanceacutes plus drsquoexpansion megravenera agrave lrsquoinflation

Le problegraveme aurait eacuteteacute quelque peu diffeacuterent si un seul pays avait essayeacute drsquoaccroicirctreson offre de monnaie disons que seul le pays des billets verts lrsquoait fait et pas celui desbillets bleus Il pourrait sembler que dans ce cas la compeacutetition venant du pays infla-tionniste limiterait la monteacutee des prix dans lrsquoeacuteconomie en expansion Peut-ecirctre lemonde dans son ensemble nrsquoest-il pas exempt de limitations de vitesse mais au moinsles conseacutequences inflationnistes drsquoune expansion unilateacuterale sont atteacutenueacutees Mais il y aaussi un problegraveme avec cet argument Qursquoest-il censeacute arriver au taux de change Dansle cas drsquoun taux de change flottant un accroissement du nombre de billets verts megraveneraagrave une deacutevaluation des devises vertes par rapport aux bleues Cela enclenchera directe-ment la monteacutee des prix des marchandises que le pays en expansion importe (quand onle mesure en monnaie verte) Les prix des produits en devises bleues qui sont en compeacute-tition avec les marchandises laquo vertes raquo grimperaient eacutegalement probablement en don-nant lrsquoopportuniteacute agrave ces entreprises drsquoaugmenter leurs prix En fait jusqursquoagrave la monteacutee du

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nouveau paradigme lrsquoopinion geacuteneacuterale eacutetait que lrsquoexpansion moneacutetaire megravene agrave lrsquoinfla-tion ou du moins lrsquointroduit plus rapidement si elle est supporteacutee unilateacuteralement parun seul pays plutocirct que si elle srsquoinstalle simultaneacutement dans de nombreuses nations EtlrsquoAmeacuterique a un taux de change flottant le dollar monte et descend assez rapidementsuivant que la Fed risque de relacirccher ou de renforcer sa politique

Tout ceci nrsquoest qursquoargumentaire conceptuel Mieux vaut se souvenir que si un com-merce international agrave grande eacutechelle peut encore paraicirctre nouveau en Ameacuterique laplupart des autres pays sont depuis longtemps eacutetroitement deacutependants du commerceexteacuterieur mecircme aujourdrsquohui la part des exportations et des importations dans le PNBameacutericain reste tregraves au-dessous des niveaux qui sont devenus ordinaires ailleurs etdepuis de nombreuses deacutecennies Lagrave encore lrsquoeacutevidence internationale deacutemontre aiseacute-ment que lrsquoexcegraves drsquoexpansion moneacutetaire megravene agrave lrsquoinflation aussi sucircrement dans leseacuteconomies largement ouvertes que chez celles qui font peu de commerce

Tout ceci nrsquoa pas pour but de minimiser lrsquoimportance de la mondialisation pourbeaucoup de problegravemes eacuteconomiques Par exemple il est eacutevident que la croissance ducommerce mondial a eacuteteacute un facteur important dans le deacuteveloppement eacuteconomique denombreux pays pauvres en revanche le rocircle qursquoil a joueacute dans lrsquoineacutegaliteacute croissante desrevenus dans les pays deacuteveloppeacutes fut moins heureux Quoi qursquoil en soit la mondialisa-tion nrsquoa sucircrement pas changeacute de faccedilon importante les regravegles reacutegissant lrsquoallure de crois-sance de lrsquoeacuteconomie ameacutericaine Mondialisation ou pas si la Fed tente une expansioneacuteconomique plus rapide que la somme de la croissance de la force de travail et de laproductiviteacute il en reacutesultera lrsquoinflation

Le succegraves drsquoun paradigme

Il y a quelque chose drsquoincroyable dans la faveur dont jouit le paradigme Celui-cirepose sur deux arguments cleacutes une croissance eacuteleveacutee de la productiviteacute justifie desobjectifs de croissance plus eacuteleveacutes et la compeacutetition mondiale preacuteserve de lrsquoinflationQuoi qursquoil en soit et comme nous lrsquoavons vu preacuteceacutedemment ces deux arguments netiennent pas et mecircme paraissent assez sots quand on fait une analyse critique simpleet superficielle En outre les critiques eacutevoqueacutees dans cet article ne vont pas tregraves loin etrestent banales ma propre expeacuterience me montre que quand on essaye drsquoexpliquerle nouveau paradigme agrave un macro-eacuteconomiste classique qui ignore la doctrine delrsquoinfluence de la croissance il formule essentiellement la mecircme critique que celle quevous venez de lire et il lui paraicirct impossible que quiconque puisse consideacuterer cette doc-trine seacuterieusement

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Neacuteanmoins et tout particuliegraverement dans le monde des affaires de nombreuses per-sonnes prennent cette doctrine tregraves au seacuterieux Pourquoi Tout drsquoabord les critiquesdeacutecrites ici ne viennent pas spontaneacutement chez un homme drsquoaffaires Les affaires setraitent essentiellement dans un milieu microeacuteconomique cela implique de com-prendre ce qui se passe au niveau drsquoun seul marcheacute mais non la faccedilon dont les marcheacutesinteragissent Un chef drsquoentreprise nrsquoa en geacuteneacuteral pas besoin de comprendre les pro-blegravemes de la macroeacuteconomie qui a pour essence lrsquointeraction des marcheacutes Pourquoiun directeur geacuteneacuteral devrait-il savoir ou srsquoinquieacuteter de lrsquoinfluence de lrsquoaccroissementde lrsquooffre moneacutetaire sur le PNB ou la faccedilon dont ces effets varient suivant que le tauxde change est flottant ou fixe Le succegraves du nouveau paradigme tient agrave une seconderaison crsquoest qursquoil dit bien sucircr ce que les hommes drsquoaffaires ont envie drsquoentendre Quine serait pas attireacute par une doctrine promettant que lrsquoeacuteconomie peut srsquoeacutetendre sanslimites et pour un temps infini

Toutefois il existe un motif suppleacutementaire agrave cet attrait particulier du nouveauparadigme il est extrecircmement flatteur pour son public constitueacute drsquohommes drsquoaffai-res Imaginons un avocat du nouveau paradigme srsquoadressant agrave un groupe disons deplusieurs centaines de dirigeants Ils srsquoentendront dire que leur nouveau style de mana-gement efficace et leur option pour la technologie de pointe ont provoqueacute une reacutevo-lution dans la productiviteacute alors qursquoils savent tous qursquoils ne peuvent augmenter lesprix car ils doivent faire face agrave une intense concurrence mondiale Sucircrement dans cegroupe quelques directeurs reacuteagiront honnecirctement laquo Et bien il est possible que cesoit comme cela dans drsquoautres branches Neacuteanmoins dans mon usine le fait est que laproductiviteacute nrsquoa pas beaucoup progresseacute reacutecemment Mais cela nrsquoa pas vraimentaffecteacute notre beacuteneacutefice en fait nos produits nrsquoentrent pas trop dans la compeacutetitionmondiale et nous avons un accord tacite avec nos concurrents nationaux afin de nepas provoquer une guerre des prix ce qui est de notre inteacuterecirct agrave tous raquo Soyons reacutealistesquelle est la probabiliteacute pour que quelqursquoun se legraveve et le dise

Peut-ecirctre ne devons-nous pas alors nous eacutetonner de la progression rapide de ce nou-veau paradigme qui met agrave lrsquoaise les hommes drsquoaffaires quant agrave leurs perspectives eacuteco-nomiques et aussi avec eux-mecircmes

Mais il est temps de redevenir seacuterieux aussi attrayante soit-elle une doctrine eacuteco-nomique qui ne supporte pas une critique fondeacutee doit ecirctre rejeteacutee Nous aimerionscroire qursquoil suffit que la Fed laisse faire pour que la croissance ameacutericaine soit beaucoupplus rapide mais toutes les eacutevidences suggegraverent que ce nrsquoest pas le cas

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Vitesse-limite Reacutealiteacutes et fictions dans le deacutebat sur la croissance

Alan S BLINDER1

laquo Say it ainrsquot so Joe raquo (Dis-moi qursquocrsquoest pas vrai Joe)

Crsquoest ce qursquoaurait dit en 1919 un jeune garccedilon srsquoadressant agrave Shoeless Joe Jackson starternie de lrsquoinfacircme laquo Black Sox raquo de Chicago On a entendu le mecircme cri en feacutevrier 1997quand le Council of Economic Advisers2 alors dirigeacutee par Joseph Stiglitz a bloqueacute letaux de croissance agrave long terme agrave seulement 23 par an laquo Say it ainrsquot so Joe raquo

Tel ce jeune fan de base-ball les optimistes de la croissance qursquoils soient de gauchecomme de droite ne veulent pas qursquoune dure reacutealiteacute investisse et ruine leurs recircves MaisJoe Jackson ne pouvait pas dire que ce nrsquoeacutetait pas vrai parce que ccedila lrsquoeacutetait bel et bien et Joe Stiglitz ne pouvait pas le dire non plus

En se basant sur des regravegles arithmeacutetiques simples que je vais exposer briegravevement leseacuteconomistes conventionnels sont pour une fois tous drsquoaccord sur le fait que le taux decroissance tendanciel du PNB aux Eacutetats-Unis celui gracircce auquel le taux de chocircmagereste stable se situe entre 2 et 25 En fait le point central de la preacutetenduelaquo controverse raquo opposant lrsquoadministration Clinton au Congressional Budget Office(CBO) sur le choix des hypothegraveses eacuteconomiques porte sur la question de savoir si letaux de croissance tendanciel agrave retenir pour les preacutevisions du budget est de 23 oude 21 Le CBO preacuteconise le dernier chiffre voilagrave ougrave se situe la controverse

Neacuteanmoins nombre de politiciens de premier plan de dirigeants influents etdrsquoauteurs connus du grand public refusent drsquoaccepter cette conclusion laquo pessimiste raquoIls preacutetendent que lrsquoon pourrait progresser plus rapidement si le gouvernement menaitune politique favorisant davantage la croissance Agrave vrai dire cet argument comportedeux variantes distinctes que lrsquoon confond souvent mais qui doivent plutocirct ecirctre con-sideacutereacutees seacutepareacutement

1 ALAN S BLINDER est professeur deacuteconomie agrave lUniversiteacute de Princeton et directeur du PrincetonsCenter for Economic Policy Studies Cet article a eacuteteacute publieacute initialement en anglais dans The AmericanProspect Issue 34 September-October 1997 sous le titre laquoThe Speed Limit Fact and Fancy in theGrowth Debateraquo (httpwwwprospectorgarchives3434blinfshtml) Traduit et reproduit aveclrsquoaimable autorisation de lrsquoauteur Reprinted with permission from The American Prospect 34 Septem-ber-October 1997 Copyright 1997 The American Prospect PO Box 772 Boston MA 02102-0772 Allrights reserved2 LrsquoAssembleacutee des conseillers eacuteconomiques de la Maison Blanche (NdT)

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Dans la premiegravere variante il existe un point de vue reacutecurrent les politiques moneacute-taires trop rigoureuses brident lrsquoeacuteconomie Selon les critiques de droite comme de gau-che lrsquoavarice de la Reacuteserve Feacutedeacuterale prive lrsquoeacuteconomie ameacutericaine de son potentielquand sont actionneacutes preacutematureacutement les freins moneacutetaires sous preacutetexte que cetteinstitution voit des fantocircmes inflationnistes Cela provoque une stagnation consideacute-rable du systegraveme et nous pourrions prospeacuterer beaucoup plus vite pendant quelquetemps en engageant dans la production des ressources inutiliseacutees

La seconde variante au contraire met en eacutevidence un problegraveme sur la croissance agravelong terme la tendance de croissance est ou pourrait ecirctre plus rapide que lrsquoestimationconventionnelle de 2 agrave 25 Nous pourrions deacutepasser deacutefinitivement cette fausselaquo limite de vitesse raquo en adoptant une politique de reacuteglementation et de taxation ducapital plus douce Cette critique eacutemane geacuteneacuteralement de la droite ainsi par exemplependant la campagne preacutesidentielle de 1996 Bob Dole a affirmeacute que son projet eacutecono-mique qui preacutevoyait une importante baisse de lrsquoimpocirct sur le revenu ferait grimper lacroissance agrave 35 lrsquoan Son colistier Jack Kemp est alleacute encore plus loin en affirmantque cette politique ferait doubler le taux de croissance Doubler Lrsquoamener agrave 5 Deacutecideacutement nous avons vraiment lagrave un fan de Shoeless Joe Jackson

Les eacuteconomistes traditionnels prennent ces deux arguments pour des balivernes etjrsquoexplique pourquoi dans cet article Mais auparavant je souhaite affirmer sans eacutequivo-que que personne nrsquoaimerait plus que moi que ces arguments soient vrais Je souhaiteeacutegalement que les Dodgers retournent agrave Brooklyn et qursquoil nrsquoy ait plus de misegravere dans lemonde Malheureusement aucune de ces perspectives fabuleuses nrsquoest imminente

Plus vite agrave court terme

Tout drsquoabord voyons lrsquoargument reacutecurrent des taux drsquointeacuterecirct plus bas pourraientfaire grimper la croissance pendant quelque temps sans augmenter lrsquoinflation LaReacuteserve Feacutedeacuterale devrait donc assouplir sa position et donner agrave lrsquoeacuteconomie plus deliberteacute Est-ce veacuterifiable Examinons quelques faits pertinents

Le taux de chocircmage ne repreacutesente en aucun cas un indicateur parfait de la pressionglobale sur la capaciteacute de production mais crsquoest un concept qui a en tout cas le meacuteritedrsquoexister on pourrait drsquoailleurs dire la mecircme chose de lrsquoindice de capaciteacute de produc-tion de la Reacuteserve Feacutedeacuterale Donc le taux de chocircmage a chuteacute de 77 en juin 1992agrave 58 en septembre 1994 ensuite il a connu de faibles variations entre 58 et 54 jusqursquoen juin 1996 peacuteriode agrave laquelle il a encore baisseacute drsquoun cran Il srsquoest eacutetabli enmoyenne agrave 53 entre juin 1996 et mars 1997 Les chiffres correspondant agrave avril et

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mai 1997 sont descendus en dessous des 5 crsquoeacutetait les plus bas niveaux que lrsquoon aitconnus depuis 1973

Observons maintenant comment srsquoest comporteacutee lrsquoinflation pendant chacun de cestrois eacutepisodes De juin 1992 agrave aoucirct 1994 le taux de chocircmage a eacuteteacute continuellementsupeacuterieur agrave 6 puisqursquoil srsquoeacutetablissait en moyenne agrave 68 et lrsquoinflation a baisseacuteEnsuite de lrsquoeacuteteacute 1994 agrave lrsquoeacuteteacute 1996 le chocircmage a atteint la moyenne de 56 et lrsquoinfla-tion est resteacutee remarquablement stable De cette expeacuterience on a conclu que ces 56 constituaient une excellente estimation de ce que lrsquoon appelle le NAIRU (horrible acro-nyme pour laquo Non Accelerating Inflation Rate of Unemployment raquo autrement dit leniveau de chocircmage auquel lrsquoinflation nrsquoaugmente ni ne descend)

Les taux drsquoinflation et de chocircmage sur les 10 derniegraveres anneacutees

Source Bureau of Labor Statistics

Eacutetant donneacute que lrsquoinflation a baisseacute quand le chocircmage a atteint en moyenne 68 et srsquoest stabiliseacutee quand le taux de chocircmage a atteint en moyenne 56 il est tout agravefait logique de penser qursquoun chocircmage nettement infeacuterieur agrave 56 devrait faire aug-menter lrsquoinflation La derniegravere fois que nous avons connu un taux de chocircmage aussibas sur une peacuteriode prolongeacutee on eacutetait entre 1988 et 1990 Ce taux a drsquoabord plongeacuteau-dessous de 6 agrave la fin de 1987 et a continueacute agrave deacutecroicirctre jusqursquoagrave 5 enmars 1989 pour ne pas remonter agrave 6 avant novembre 1990 Pendant cette

88 93 94 95 96 9790 91 9289

2

3

4

5

6

7

8

Inflation(change in core CPIfrom one year earlier

Unemployment

Ind

ex 1

992

=100

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peacuteriode lrsquoinflation structurelle est passeacutee de 4 agrave environ 55 Il semble donc quela theacuteorie se justifie

Lrsquoexpeacuterience tregraves reacutecente a cependant eacuteteacute plus favorable que le passeacute le laissait enten-dre et nombreux sont ceux qui lrsquoont fait remarquer Notamment lrsquoinflation a baisseacutealors que le taux de chocircmage eacutetait descendu agrave moins de 54 Mais cette peacuteriode a dureacutemoins drsquoun an ce qui est bien trop court pour tirer des conclusions eacutetant donneacute le tempsde reacuteponse (long) de lrsquoinflation en regard de marcheacutes tendus Par exemple on peut esti-mer grossiegraverement que si le NAIRU est de 56 une anneacutee agrave 52 de chocircmage devraitfaire augmenter le taux drsquoinflation de 02 Une telle augmentation est bien tropminuscule pour ecirctre deacutetecteacutee dans les donneacutees Surtout lorsqursquoexactement au mecircmemoment des ameacuteliorations dans lrsquoindice des prix agrave la consommation reacuteduisent lrsquoinfla-tion mesureacutee Certes lrsquoexpeacuterience reacutecente offre reacuteellement quelque espoir que le NAIRU

soit agrave 55 Mais il serait preacutematureacute de tirer une conclusion agrave ce stade

Pour finir demandons-nous ce que faisait la parcimonieuse Reacuteserve Feacutedeacuterale pendantce tempshellip Au cours drsquoune peacuteriode de pregraves de 2 ans ougrave le chocircmage eacutetait agrave 56 (chiffreque la plupart des observateurs en 1994 pensaient infeacuterieur agrave celui du NAIRU) la ReacuteserveFeacutedeacuterale a drsquoabord du jour au lendemain releveacute son taux drsquointeacuterecirct de 125 (ennovembre 1994 et en feacutevrier 1995) pour ralentir lrsquoeacuteconomie ensuite elle lrsquoa rabaisseacutede 075 (en juillet 1995 deacutecembre 1995 et janvier 1996) pour donner un petit coup defouet agrave lrsquoeacuteconomie Apregraves cela jusqursquoen mars 1997 elle nrsquoest pas intervenue alors que letaux de chocircmage non seulement restait bas mais de surcroicirct deacuterivait agrave la baisse Selon moiune telle attitude nrsquoest pas digne drsquoun Harpagon la Reacuteserve Feacutedeacuterale devait plutocirct cher-cher agrave deacutecouvrir avec prudence (peut-ecirctre par hasard) agrave quel niveau pouvait ecirctre le NAIRU

La Reacuteserve Feacutedeacuterale maintenait-elle vraiment la croissance en dessous de son potentiel Rappelons-nous que la croissance tendancielle se deacutefinit comme le taux de croissance quisuffit agrave absorber lrsquoaugmentation annuelle de la main-drsquoœuvre et qui ne fait ni monter ni des-cendre le taux de chocircmage Observons maintenant les chiffres Entre le 1er trimestre 1994et le 1er trimestre 1997 le taux annuel de croissance du PNB a atteint en moyenne 26 Pendant ces deux ans et demi le taux de chocircmage a chuteacute drsquoenviron 07 ce qui signifieque les 26 de croissance sont leacutegegraverement au-dessus de la tendance

Affirmer que nous aurions pu progresser plus vite sans une inflation plus forterevient agrave dire que le chocircmage aurait pu chuter beaucoup plus qursquoil ne lrsquoa fait sans pourautant entraicircner une augmentation de lrsquoinflation Regardons agrave nouveau les chiffres Sila croissance avait atteint en moyenne les 35 au lieu des 26 le taux de chocircmageserait maintenant infeacuterieur agrave 4 niveau que lrsquoon a connu pour la derniegravere fois lors dela guerre du Vietnam Aucun observateur seacuterieux du marcheacute du travail ameacutericain necroit que nous avons ce niveau de main-drsquoœuvre inutiliseacutee En fait les teacutemoignages dupays entier abondent qui confirment lrsquoopinion geacuteneacuteralement admise que le marcheacutedu travail est maintenant tregraves tendu

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Le taux de chocircmage reacuteel

Extrait de Lester Thurow The Crusade Thats Killing ProsperityThe American Prospect ndeg25 March-April 1996

httpwwwprospectorgarchives2525thurhtml

Agrave lrsquoautomne 1995 le taux officiel de chocircmage aux Eacutetats-Unis stagnait aux environsde 57 Mais de la mecircme faccedilon que crsquoest la partie immergeacutee de lrsquoiceberg qui est laplus importante ces statistiques ne repreacutesentaient en fait qursquoun faible pourcentage dunombre de travailleurs cherchant davantage de travail

Agrave cette eacutepoque entre 75 et 8 millions drsquoAmeacutericains eacutetaient officiellement recenseacutescomme chocircmeurs Si on y ajoute drsquoune part les 5 agrave 6 millions de personnes qui ne tra-vaillent pas mais qui ne reacutepondent agrave aucun des tests pour ecirctre compteacutees parmi les actifssans emploi et ne sont donc pas consideacutereacutees comme chocircmeurs et drsquoautres part les45 millions de travailleurs agrave temps partiel qui souhaiteraient un emploi agrave plein tempson arrive agrave un total de 17 agrave 185 millions de personnes qui cherchent agrave travaillerdavantage Tout ceci porte le taux de chocircmage reacuteel agrave pregraves de 14

La faiblesse de la croissance a eacutegalement geacuteneacutereacute un eacutenorme contingent de main-drsquoœuvre sous-employeacutee On compte aux Eacutetats-Unis 81 millions de travailleurs tem-poraires 2 millions de personnes qui travaillent laquo sur demande raquo et 83 millions detravailleurs indeacutependants (dont un grand nombre de licencieacutes eacuteconomiques qui onttregraves peu de clients mais srsquointitulent eux-mecircmes consultants parce qursquoils sont trop fierspour admettre qursquoils sont au chocircmage) En additionnant les effectifs de ces trois popu-lations on aboutit agrave un total de plus de 18 millions de personnes la majoriteacute drsquoentreelles souhaitent elles aussi plus de travail et de meilleurs emplois Tous ces travailleurscontingents repreacutesentent eux aussi 14 de la population active Selon les termes dumagazine Fortune laquo La pression agrave la hausse sur les salaires est nulle car un tregraves grandnombre des personnes employeacutees font partie de ces travailleurs laquo contingents raquo quine disposent pas de pouvoir de neacutegociation face agrave un employeur et les employeacutes sala-rieacutes reacutealisent qursquoils doivent nager dans le mecircme oceacutean darwinien raquoTout comme leschocircmeurs ces travailleurs contingents exercent des pressions agrave la baisse sur les salaires

En outre il manque 58 millions drsquohommes ayant entre 25 et 60 ans soit 4 autres pour-cent de la population active qui figurent dans les recensements mais non dans les sta-tistiques du travail Ils ne beacuteneacuteficient pas de moyens de subsistance repeacuterables ce sontdes personnes qui sont en acircge de travailler ont eu un emploi autrefois ne sont pas enformation et sont encore trop jeunes pour ecirctre retraiteacutes On ne les voit ni dans les statis-tiques de lrsquoemploi ni dans celles du chocircmage Il srsquoagit drsquohommes qui volontairement ouagrave leur corps deacutefendant ont deacutecrocheacute du circuit normal certains sont devenus sansdomicile fixe les autres ont disparu dans lrsquoilleacutegaliteacute de lrsquoeacuteconomie souterraine

Si lrsquoon additionne ces trois groupes on arrive agrave la conclusion qursquoun Ameacutericain sur troisen acircge drsquoecirctre actif est potentiellement en train de rechercher du travail Ajoutez-y les11 millions drsquoimmigrants (leacutegaux ou illeacutegaux) qui sont entreacutes aux Eacutetats-Unis

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entre 1980 et 1993 et qui souhaitent travailler davantage et mieux gagner leur vie on arrive agrave un oceacutean de personnes qui sont soit au chocircmage soit sous-employeacutees soitnouvellement arriveacutees sur le territoire et agrave la recherche de travail

Ces millions de personnes agrave la recherche drsquoun emploi conduisent agrave mieux replacer agravelrsquoeacutechelle humaine la reacutesultante que chacun comprend aiseacutement agrave 5 heures du soir uneentreprise de taille moyenne speacutecialiseacutee dans la pacircte de verre annonce 10 postes agrave pour-voir sur son tableau drsquoaffichage le lendemain matin agrave 5 heures 2 000 postulantsforment deacutejagrave une file drsquoattente pour ces 10 postes

En somme il est fort peu probable que notre eacuteconomie ait beaucoup de champ avantdrsquoatteindre sa capaciteacute de plein emploi Il est plus probable en fait que nous avons deacutejagraveatteint ce point Les eacuteconomistes en sont-ils certains agrave 100 Bien sucircr que non il nesrsquoagit pas de physique ou drsquoune autre science exacte Mais si vous avez lrsquointention deparier le contraire vous risquez gros

La perspective agrave long terme

Venons-en maintenant au problegraveme le plus important les estimations sur la ten-dance de croissance de lrsquoeacuteconomie agrave long terme Pour commencer avec une estimationlaquo du haut vers le bas raquo rappelons que le chocircmage a chuteacute alors que la croissance du PNBatteignait environ 26 Cela signifie que la tendance doit ecirctre infeacuterieure agrave 26 paran Et de combien La faccedilon la plus simple drsquoestimer la tendance est de calculer la crois-sance reacuteelle du PNB agrave un intervalle de 2 ans avec un taux de chocircmage constant onpourrait drsquoailleurs tout aussi bien utiliser des trimestres mais le recours agrave des anneacuteesplutocirct qursquoagrave des trimestres permet de lisser les anomalies au niveau des donneacuteesLrsquoexemple le plus reacutecent drsquoun tel contexte est la peacuteriode de 1990 agrave 1995 Pendant ces5 anneacutees la croissance reacuteelle a atteint une moyenne de 19 par an

Un calcul inverse (laquo du bas vers le haut raquo) donne une estimation similaire Selon leslois de lrsquoarithmeacutetique le taux de croissance tendancielle de la production srsquoobtient enadditionnant le taux de croissance de la main-drsquoœuvre et celui de la productiviteacute de lamain-drsquoœuvre crsquoest-agrave-dire la production par heure travailleacutee Les estimations habi-tuelles situent chacun de ces chiffres autour de 11 par an Donc la croissance ten-dancielle est estimeacutee agrave 22 agrave 1 ou 2 dixiegravemes pregraves

Ougrave donc est lrsquoerreur Il ne peut guegravere y avoir matiegravere agrave discussion sur le taux de crois-sance tendancielle de la main-drsquoœuvre puisqursquoil est connu avec une tregraves faible margedrsquoerreur Notons au passage que la main-drsquoœuvre a augmenteacute drsquoenviron 17 lrsquoan

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dans les anneacutees 1980 et de 27 dans les anneacutees 1970 crsquoest lrsquoune des raisons pour les-quelles nous ne pouvons plus progresser aussi rapidement que nous le faisions alors etpar exemple des pheacutenomegravenes comme lrsquoeacutenorme augmentation de la main-drsquoœuvrefeacuteminine ne peuvent se reproduire

Le litige entre 22 et 35 de croissance potentielle ne provient donc pas de lamain-drsquoœuvre Son origine doit donc neacutecessairement se situer au niveau de lrsquoaugmenta-tion de la productiviteacute et crsquoest le cas La preuve de cette opinion geacuteneacuterale est soigneuse-ment reacutesumeacutee dans le graphique ci-dessous qui est adapteacute du Rapport eacuteconomique duPreacutesident de 1997 Il y est deacutemontreacute que la production horaire dans le secteur industrielameacutericain a progresseacute beaucoup plus lentement apregraves 1973 qursquoavant seulement 11 par an pendant 23 ans Un preacutevisionniste prudent aurait extrapoleacute cette tendance etnrsquoaurait pas supposeacute qursquoune brusque recrudescence de la productiviteacute eacutetait imminente

Le ralentissement de lrsquoaugmentation de productiviteacute

La production par heure travailleacutee dans le secteur industriel ameacutericain

1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995

40

60

80

120

100

Actual

Trend

Trend = 11 (annual rate)

Trend = 29 (annual rate)

Per

cen

t

January 1998 - April 1997 (Monthly) Source Department of Labour

Output per hour

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Lagrave les optimistes de la croissance se legravevent pour protester laquo Dites attendez uneminute avec tous les miracles technologiques dans lrsquoinformatique et les teacuteleacutecommu-nications et avec toute la restructuration industrielle comment pouvez-vous espeacuterernous faire admettre que la croissance de la productiviteacute aux Eacutetats-Unis est seulementde 11 par an Les chiffres doivent ecirctre faux raquo Jrsquoaimerais reacutepondre agrave cette objectionagrave 2 niveaux car drsquoune certaine faccedilon je suis agrave certains eacutegards en accord avec elle et endeacutesaccord agrave certains autres eacutegards

Le deacutesaccord lrsquoemporte quand mecircme Supposons que notre taux de croissance de la pro-ductiviteacute en cours de mesure officielle soit reacuteellement beaucoup plus eacuteleveacute que 11 Pourecirctre concrets utilisons par exemple lrsquoestimation Dole-Kemp de 24 Dans ce cas la crois-sance du PNB de 19 par an entre 1990 et 1995 aurait ducirc ecirctre obtenue avec moins de tra-vail puisque la production agrave lrsquoheure a augmenteacute plus rapidement En fait le nombredrsquoemplois salarieacutes a augmenteacute de presque 8 millions Crsquoest donc eacutevidemment faux Onpeut arriver agrave cette mecircme conclusion drsquoune autre faccedilon si la croissance reacuteelle de ces5 anneacutees se trouvait amputeacutee de 16 de croissance par an (19 au lieu de 35 ) le taux dechocircmage aurait ducirc croicirctre drsquoenviron 4 points sur cette peacuteriode En fait il est resteacute inchangeacute

Mais il y a une raison pour laquelle les optimistes de la croissance peuvent avoirraison il se peut que les donneacutees officielles sous-estiment la croissance de la produc-tiviteacute Les statistiques gouvernementales veulent nous faire croire que ce que les eacuteco-nomistes appellent laquo la productiviteacute totale des facteurs raquo (la variation positive de laproduction deacutecoulant de lrsquoefficaciteacute du travail des technologies et de lrsquoorganisationsans qursquoil soit besoin de facteurs de production additionnels) nrsquoa absolument pas aug-menteacute depuis 1977 Or cette proposition est absolument impensable

Les lecteurs de The American Prospect ont connaissance du reacutecent deacutebat sur la preacuteten-due distorsion de lrsquoindice des prix agrave la consommation Les arguments selon lesquels cetindice sur-eacutevalue lrsquoinflation sont irreacutefutables mecircme si lrsquoampleur de la distorsion estfortement contesteacutee En revanche moins nombreux sont ceux qui semblent avoirremarqueacute que nrsquoimporte quelle distorsion agrave la hausse dans la mesure de lrsquoinflationimplique une distorsion correspondante dans la mesure de la croissance reacuteelle Eteacutetant donneacute que la contribution de la main-drsquoœuvre est quantifieacutee assez preacuteciseacutementlrsquoerreur drsquoeacutevaluation porte au niveau de la productiviteacute Par exemple si lrsquoinflation estsurestimeacutee de 1 par an la croissance reacuteelle peut en fait ecirctre de 1 au-dessus des sta-tistiques officielles crsquoest-agrave-dire 3 au lieu de 2

Dans ce cas cependant ils ont encore tort ces optimistes de la croissance qui srsquoinsur-gent contre la Reacuteserve Feacutedeacuterale agrave qui ils reprochent drsquoavoir freineacute lrsquoeacuteconomie Les cri-tiques se trompent sur 2 points

Premiegraverement les erreurs drsquoeacutevaluation de la productiviteacute affectent les donneacutees duPNB au niveau reacuteel aussi bien que potentiel Donc elles nrsquoimpliquent en aucun cas que

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lrsquoeacuteconomie a plus de capaciteacute de reacuteserve que nous le pensons Le problegraveme nrsquoest pasque nous devrions croicirctre plus vite que nous ne le faisons mais crsquoest plutocirct que nouscroissons plus rapidement que ne le montrent les donneacutees

Eacutevidemment ceux qui preacutetendent que lrsquoeacuteconomie ameacutericaine a reacutecemment connuune pousseacutee de croissance de la productiviteacute doivent expliquer pourquoi lrsquoerreur demesure srsquoest aggraveacutee durant les deux derniegraveres anneacutees car les statistiques officiellesnrsquoindiquent pas une telle pousseacutee Personne nrsquoa encore proposeacute une explication agrave cela

Pourquoi existe-t-il un deacutesaccord

Les preuves que je viens de preacutesenter nrsquoont rien de secret elles sont agrave la dispositionde quiconque srsquoy inteacuteresse Pourquoi alors des gens intelligents raisonnent-ils autre-ment de Bob Dole et Jack Kemp agrave droite et agrave Lester Thurow et Feacutelix Rohatyn agrave gaucheen passant par Jerry Jasinowski au centre Jrsquoai trouveacute 6 raisons dont 3 sont lieacutees agrave desproblegravemes drsquoeacutevaluation

Tout drsquoabord comme nous venons de le noter la surestimation potentielle de lrsquoinfla-tion signifie que la croissance reacuteelle a probablement eacuteteacute sous-estimeacutee notre croissanceaurait peut-ecirctre bien eacuteteacute de 3 pendant les anneacutees 1990

Deuxiegravemement le gouvernement a modifieacute son systegraveme drsquoeacutevaluation au deacutebut de 1996en adoptant ce que les Verts appellent le PNB laquo chaicircneacute raquo Jusqursquoagrave la fin 1995 le gouverne-ment calculait le PNB reacuteel en valorisant tous les biens et services agrave des prix de 1987 ce quia fortement sureacutevalueacute certains eacuteleacutements les ordinateurs par exemple Le PNB laquo chaicircneacute raquoutilise des prix de marcheacute plus reacutecents et donc le poids des ordinateurs y est moins impor-tant Ceci produit naturellement une croissance mesureacutee moins rapide mecircme srsquoil nrsquoy apas de changement dans lrsquoeacuteconomie reacuteelle Le nouveau systegraveme drsquoeacutevaluation a probable-ment reacuteduit le taux de croissance de 1996 drsquoenviron trois quarts de point

Troisiegravemement notre systegraveme archaiumlque de statistiques accorde beaucoup tropdrsquoimportance aux industries de transformation alors que ce secteur ne repreacutesenteque 20 du PNB La performance en productiviteacute dans le domaine de la production indus-trielle a certes eacuteteacute excellente ces derniegraveres anneacutees et il nrsquoy a rien agrave redire lagrave Le problegraveme sesitue au niveau des 80 restants de lrsquoeacuteconomie qui occupent la plupart drsquoentre nous

Quatriegravemement la tendance agrave tout rendre public megravene droit agrave ce que jrsquoappelle laquo latyrannie de lrsquoanecdote seacutelective raquo La presse eacuteconomique comme les entreprises elles-mecircmes ont tendance agrave claironner les succegraves et passer sous silence les eacutechecs Quand desresponsables drsquoentreprises particuliegraverement florissantes me disent qursquoils ont obtenu desbeacuteneacutefices fabuleux je les crois Mais lrsquoeacuteconomie ameacutericaine reacuteelle ne fait en aucun cas laUne de Business Week Certaines entreprises reacuteduisent les effectifs et font faillitedrsquoautres srsquoautomatisent et obtiennent des reacutesultats catastrophiques Crsquoest la raison pourlaquelle nous avons besoin drsquoinformations agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoeacuteconomie dans son ensemble

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Cinquiegravemement on a tendance agrave oublier les problegravemes de reconversion qui vont depair avec des reacuteductions drsquoeffectifs Quand une grande entreprise se restructure pourproduire le mecircme reacutesultat avec beaucoup moins de main-drsquoœuvre sa productiviteacute aug-mente consideacuterablement Mais les employeacutes remplaceacutes doivent chercher du travailailleurs srsquoils trouvent un emploi dans une entreprise dont la valeur ajouteacutee paremployeacute est infeacuterieure la productiviteacute agrave lrsquoeacutechelle globale peut tregraves bien ne pas augmen-ter beaucoup en deacutepit des preacutetendus miracles qui lui sont attribueacutes

Pour terminer jrsquoen viens agrave ce qui est sans doute le plus mysteacuterieux et qui peut-ecirctreexplique la reacuteaction laquo Say it ainrsquot so Joe raquo les progregraves en informatique et dans les tech-niques de lrsquoinformation en geacuteneacuteral Comme lrsquoa eacutenonceacute Robert Solow laquo Lrsquoegravere de lrsquoinfor-matique se constate partout sauf dans les statistiques de productiviteacute raquo Pourquoi

Le rythme auquel lrsquoeacutelectronique a avanceacute est tout agrave fait eacutepoustouflant et les entre-prises communiquent maintenant agrave la vitesse de lrsquoeacuteclair Certaines servent leurs clientsau moyen de systegravemes automatiseacutes les distributeurs automatiques de billets le cour-rier vocal ou les ventes par Internet en constituent des exemples courants substituantles machines agrave lrsquohomme

Lrsquoinformatisation a eacutegalement reacutevolutionneacute certaines usines ainsi que la gestion destocks de nombreuses entreprises et ainsi de suite Tout cela est absolument incontestable

Mais ce nouveau monde informatiseacute est-il beaucoup plus laquo productif raquo dans le sensrestreint de la laquo production drsquoun PNB plus important par heure de travail raquo Les statis-tiques officielles disent que non En fait le moment de ralentissement dont on parle(graphique 2) correspond approximativement agrave lrsquoinvention de lrsquoordinateur person-nel De plus quand on examine les donneacutees secteur par secteur certaines des pires per-formances en productiviteacute se situent lagrave ougrave on aurait pu srsquoattendre agrave ce que lesinnovations dans les technologies de lrsquoinformation produisent les meilleurs dividen-des Que se passe-t-il donc

Personne nrsquoa de certitude mais mon approche est la suivante il ne faut pas se laisserprendre par le battage meacutediatique Bien sucircr que je peux maintenant surfer sur le Netenvoyer un e-mail en quelques secondes et avoir plus de puissance informatique surmon bureau que jamais auparavant Mais est-ce que cela mrsquoa fait produire plus de PNBpar heure de travail Nrsquooublions pas qursquoun changement perpeacutetuel de mateacuteriel et delogiciel nous maintient dans un processus drsquoapprentissage constant que les gens pas-sent des heures innombrables a explorer stupidement Internet et agrave jouer sur leur ordi-nateur et que la plupart drsquoentre nous souffrent drsquoun excegraves drsquoinformations plutocirct quedrsquoune peacutenurie Et puis aussi et crsquoest le plus important on peut se demander si le cer-veau humain nrsquoa pas avanceacute agrave un rythme diffeacuterent de celui du microprocesseur

Peut-ecirctre une productiviteacute miracle baseacutee sur lrsquoordinateur nous guette-t-elle au coinde la rue Peut-ecirctre mais si crsquoest le cas il srsquoagit de la rue drsquoagrave cocircteacute pas de celle-ci

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Ce que peut faire une politique intelligente

Une derniegravere remarque Jrsquoai eacutecrit cet article dans lrsquointention drsquoexaminer la reacutealiteacutenon de susciter le deacutesespoir Qursquoelle soit de 21 de 23 ou de 25 notre tendance decroissance eacuteconomique agrave long terme nrsquoest pas de nature constante La croissance peutse deacutevelopper gracircce agrave une politique eacuteconomique intelligente aussi bien que subir lesdommages occasionneacutes par une politique imbeacutecile

Ainsi par exemple la reacuteduction du deacuteficit budgeacutetaire gouvernemental devrait avoirpour moteur non un hommage agrave nos ancecirctres puritains mais la stimulation de la forma-tion du capital et ainsi lrsquoacceacuteleacuteration de la croissance eacuteconomique De la mecircme faccediloncela fait longtemps que je reacuteclame des investissements plus importants dans les domainesde lrsquoeacuteducation et de la formation car ils favorisent la croissance Et lrsquoargument le plus eacuteleacute-mentaire en faveur du deacuteveloppement et de la recherche subventionneacutes par le gouverne-ment crsquoest que la R amp D est le maillon essentiel de la croissance de la productiviteacute totaledes facteurs Mecircme des impocircts bien conccedilus ou des politiques commerciale ou de reacutegula-tion ne peuvent apporter qursquoune contribution modeste et passagegravere agrave la croissance

Nombreuses sont ces politiques qui meacuteriteraient drsquoecirctre meneacutees Une combinaisonbien choisie pourrait ajouter un quart ou mecircme une moitieacute de point au taux de crois-sance eacuteconomique pour un temps ce qui serait certainement une superbe prouesseMais il y va de la croissance eacuteconomique comme de tout autre domaine on doit semeacutefier des moulins agrave paroles qui promettent des remegravedes miracles Rien je le reacutepegravete rienque les eacuteconomistes ne connaissent sur la croissance ne donnera la recette du point depourcentage suppleacutementaire au taux de croissance national sur une base durable Mecircmesi nous voulions qursquoil en soit autrement il faut bien dire laquo qursquocrsquoest pas vrai raquo

Le NAIRU en Europe et en France

Extrait de laquo Croissance inflation et emploi dans la zone euro Reacuteflexions sur le sentier de croissance europeacuteenne agrave moyen terme raquo

par Ch de Boissieu et MC Marchesi Centre dObservation Economique(COE de la Chambre de Commerce et dIndustrie de Paris)

Contribution au XIVe colloque de reacuteflexion eacuteconomique du Seacutenatlaquo Quelles perspectives de croissance dans la zone euro raquo le 16 juin 1999

httpwwwsenatfrrapr98-466r98-4665html

Notre hypothegravese le reacutegime de basse inflation va se prolonger

Linflation nest pas uniforme dans la zone euro et les situations asymeacutetriques du cocircteacutede la croissance et de linflation ne vont pas disparaicirctre du jour au lendemain Agrave sen

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tenir aux pays du noyau dur le taux dinflation devrait agrave lhorizon des trois-quatreprochaines anneacutees demeurer modique (en rythme annuel compris entre 0 et 2 plus probablement entre 0 et 15 ) Cette hypothegravese ne tient pas compte du deacutebatpar ailleurs justifieacute sur la bonne mesure de linflation mais les premiers travaux effec-tueacutes par lINSEE sur ce sujet suggegraverent quen France la correction agrave apporter serait delordre de 03-04 en rythme annuel (en moins) contre 1 agrave 2 aux Eacutetats-UnisNotre vue prospective reacutesulte elle-mecircme de la conjugaison de plusieurs eacuteleacutements

a) La remonteacutee reacutecente des prix du peacutetrole et de quelques autres matiegraveres premiegraveresne peut ecirctre extrapoleacutee Fondamentalement et malgreacute une deacutemonstration inverse detemps agrave autre lOPEP est et va rester un cartel faible traverseacute par des dissensions sansoublier le poids des producteurs agrave lexteacuterieur du cartel Par delagrave dineacutevitables fluctua-tions agrave court terme les prix du peacutetrole et des grandes matiegraveres premiegraveres vont ecirctre plusinfluenceacutes par le sentier deacutevolution de la demande donc par la croissance agrave moyenterme de leacuteconomie mondiale que par lincertaine organisation de loffre

b) Le chocircmage va rester eacuteleveacute dans la zone euro speacutecialement dans certains pays dunoyau dur (France Allemagne) Raisonnons pour la France avec un NAIRU de8 agrave 9 (donc proche de sa valeur actuelle une estimation leacutegegraverement infeacuterieure agravecelle habituellement retenue par exemple celle du FMI comprise entre 9 et 10 ) Enpartant dun taux de chocircmage effectif de 11 (pour simplifier) il faudrait avec unecroissance annuelle de 3 de cinq agrave huit anneacutees pour retomber au NAIRU Et le tauxde chocircmage naturel lui-mecircme devrait progressivement sabaisser en Europe commeil la fait aux Eacutetats-Unis sous leffet de la croissance des nouvelles technologies delessor des services etc Conclusion il existe encore en Europe continentale unemarge significative avant que la courbe de Phillips joue agrave plein et que la reacuteduction duchocircmage ne provoque des tensions sur les coucircts salariaux unitaires et sur les prix

c) Mecircme si la nouvelle eacuteconomie ameacutericaine comporte des speacutecificiteacutes eacutevidentescertaines de ses composantes vont concerner lEurope pour les dix prochaines anneacuteesOn pense bien sucircr aux effets deacutejagrave preacutesents de la concurrence et de la globalisation surla formation des prix (ougrave sont aujourdhui en France les secteurs abriteacutes de la concur-rence internationale et speacutecialement de la concurrence europeacuteenne Mecircme si les ser-vices publics les plus traditionnels sont deacutesormais exposeacutes) mais aussi aux nouvellestechnologies aux gains de productiviteacute agrave en attendre et donc au sentier deacutevolutiondes coucircts salariaux unitaires Pour les nouvelles technologies le pheacutenomegravene de rat-trapage devrait jouer agrave tous les niveaux la France va combler une partie de son retardvis-agrave-vis des Eacutetats-Unis et lAllemagne va elle-mecircme dans les anneacutees qui viennent rat-traper la France se creacuteant ainsi de nouvelles marges de croissance et de productiviteacuteAvec des taux de chocircmage qui mecircme en baisse vont rester agrave lhorizon des cinq pro-chaines anneacutees au dessus du NAIRU et des reacuteserves de nouvelles technologies quiengendrent des reacuteserves de gains de productiviteacute on voit mal dougrave pourrait venir agravelhorizon de lanalyse linflation salariale

Chapitre 4

Le paradoxe boursier

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Ougrave se fondent les anticipations

Extrait de Alan Greenspan laquoThe American economy in a world contextraquoThe Federal Reserve Board Remarks by Chairman Alan Greenspan

At the 35th Annual Conference on Bank Structure and Competition of theFederal Reserve Bank of Chicago Chicago Illinois May 6 1999

httpwwwbogfrbfedusboarddocsspeeches199919990506htm

Agrave partir de 1993 lrsquoinvestissement en capital et tout particuliegraverement en haute tech-nologie a augmenteacute tregraves nettement au-dessus de ce que lrsquoon connaissait dans le con-texte habituel des cycles eacuteconomiques sans doute ce pheacutenomegravene a-t-il traduitcomme toujours une anticipation de rendements accrus Si ces espoirs de profit nesrsquoeacutetaient pas mateacuterialiseacutes on aurait ducirc assister agrave une chute des deacutepenses or lrsquoaugmen-tation de leur rythme srsquoest maintenue pendant toute la deacutecennie

On trouve dans les donneacutees des entreprises une preuve plus directe et de plus en pluseacutevidente de cette profitabiliteacute sous-jacente Il semble vraisemblable que les synergiesentre elles des avanceacutees technologiques dans les domaines du laser des fibres opti-ques des satellites et de lrsquoinformatique mais aussi les synergies de ces technologiesavec drsquoautres plus anciennes aient eacutelargi le champ des opportuniteacutes et deacuteboucheacute surun taux de rendement supeacuterieur au coucirct du capital La pousseacutee dans lrsquoexploitation deces taux de rendement potentiels laquo excessifs raquo srsquoest trouveacutee stimuleacutee par lrsquoacceacuteleacuterationde la baisse des prix des eacutequipements de haute technologie amorceacutee en 1995 Lrsquoallo-cation de capaciteacute de production investie dans des domaines restreints de la techno-logie a entraicircneacute une importante baisse suppleacutementaire des prix Le rythme soutenudes innovations a encourageacute un raccourcissement du cycle de vie des produits et con-tribueacute aussi agrave entraicircner vers le bas le prix des eacutequipements de haute technologie

Rares sont ceux qui dans les affaires font eacutetat drsquoune diminution significative du poten-tiel de ces synergies qui sont encore agrave la fois profitables et inexploiteacutees Au cours de cesderniegraveres anneacutees le monde des affaires srsquoest souvent deacuteclareacute capable drsquoexploiter cepotentiel pour financer des investissements substitutifs des coucircts de main-drsquoœuvre silrsquoaugmentation de ceux-ci agrave court terme devait devenir trop sensible

Ce point de vue est partageacute par des analystes boursiers dont on peut supposer qursquoilsconnaissent bien les entreprises qursquoils suivent Cette veacuteritable armeacutee de techniciensprojette des croissances de gains agrave cinq ans qui sont de plus en plus eacuteleveacutes enmoyenne et ce agrave en croire IBES socieacuteteacute drsquoeacutetude de Wall Street qui consolide ces esti-mations pour le S amp P 500 depuis le deacutebut de lrsquoanneacutee 1995 En janvier 1995 les ana-lystes projetaient que les gains sur cinq ans augmenteraient en moyenne de 11 paran Apregraves plusieurs reacutevisions agrave la hausse ils ont estimeacute en mars 1999 lrsquoaugmentationagrave 135 par an (en profit pondeacutereacute) ce qui repreacutesente un veacuteritable apogeacutee pour cette

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phase drsquoexpansion Mecircme srsquoil existe un certain nombre de donneacutees permettant deconclure que ces estimations sont biaiseacutees agrave la hausse on ne dispose pas de preuvessuffisantes pour contredire la tendance

On a peu matiegravere agrave douter que les constantes reacutevisions agrave la hausse des analystes reflegrave-tent ce que leur transmettent les entreprises pour ce qui est de lrsquoameacutelioration du con-trocircle de leurs coucircts qui consideacutereacutes sur la base consolideacutee de lrsquoeacuteconomie du paysajoute agrave lrsquoacceacuteleacuteration de la productiviteacute du travail Les autres explications mdash une crois-sance plus rapide des gains sur les opeacuterations agrave lrsquoeacutetranger lrsquoacceacuteleacuteration du taux drsquoaug-mentation des valeurs ajouteacutees pour les prix consentis ou encore lrsquoargument plusmacroeacuteconomique drsquoune augmentation toujours plus forte de la main-drsquoœuvre dis-ponible mdash ne sont pas creacutedibles Apparemment donc les entreprises signalent auxanalystes que agrave ce jour elle nrsquoanticipent pas de diminution quant agrave lrsquoacceacuteleacuteration dela productiviteacute Cela ne veut pas dire pour autant que les analystes ont raison ou queles entreprises ne se trompent pas cela signifie simplement que ce que les entreprisesdisent agrave lrsquoeacutevidence aux analystes quant agrave leur productiviteacute et agrave leurs profits se reflegravetesans doute aucun dans les projections de profits agrave long terme En tout eacutetat de causeles donneacutees macro-eacuteconomiques disponibles aujourdrsquohui ne montrent pas de preuvesdrsquoun ralentissement de la croissance de la productiviteacute

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Est-ce une bulle

Edward YARDENI1

Feacutevrier 2000

Valeurs de lrsquoancienne ou de la Nouvelle eacuteconomie Le marcheacute boursier connaicirct-ilactuellement une bulle speacuteculative Les tenants optimistes de la Nouvelle eacuteconomie(les laquo bulls raquo) reacutepondent agrave cette question par un laquo non raquo cateacutegorique Les partisans desmeacutethodes traditionnelles de valorisation (les laquo bears raquo) font entendre un grand laquo oui raquotout aussi cateacutegorique Pour lrsquoinstant ce sont les premiers qui ont raison Les gagnantsde la Nouvelle eacuteconomie sont les entreprises des secteurs de la technologie des teacuteleacute-communications des meacutedias et des loisirs Ensemble ces diffeacuterents secteurs repreacutesen-tent maintenant 43 mdash niveau stupeacutefiant mdash de la capitalisation boursiegravere duSampP 500 soit le double de la faible capitalisation de 21 atteinte en 1997(Graphique 1 )

Prenons lrsquohypothegravese la plus extrecircme et supposons que les investisseurs (et mecircmeoui les speacuteculateurs) forts de leur sagesse commune eacutevaluent correctement les titresde la Nouvelle eacuteconomie Il est toujours hasardeux de deacuteclarer que laquo cette fois-ci crsquoestdiffeacuterent raquo Lrsquohistoire a tendance agrave se reacutepeacuteter mais avec cependant toujours de leacutegegraveresvariations La nature humaine nrsquoa guegravere ou pas du tout changeacute depuis Adam et Egraveve Etpourtant peut-ecirctre la bulle qui semble caracteacuteriser les actions de la Nouvelle eacuteconomieest-elle diffeacuterente des bulles preacuteceacutedentes

Tulipes ou laquo com raquo Par le passeacute la plupart des bulles speacuteculatives sont apparueslorsque de nombreux acheteurs disposant drsquoargent agrave bon marcheacute se preacutecipitaient surce qui semblait ecirctre une offre restreinte de marchandises tulipes or ou peacutetrole brutLa speacuteculation nrsquoavait alors pour seul effet que de faire augmenter les prix ce qui sti-mulait en retour la production et entraicircnait finalement une baisse des prix de la mar-chandise rechercheacutee perccedilant ainsi la bulle Aux Eacutetats-Unis la speacuteculation sur lesobligations des chemins de fer a malgreacute tout permis de financer la grande reacutevolution

1EDWARD YARDENI est Chief Economist responsable de la strateacutegie mondiale drsquoinvestissement et direc-teur de Deutsche Bank Securities Il est lrsquoauteur de nombreux articles publieacutes entre autres dans le WallStreet Journal le New York Times et la revue Barronrsquos Ce texte en franccedilais reproduit avec lrsquoaimable auto-risation de lrsquoauteur a eacuteteacute publieacute sur le site Dr Ed Yardenirsquos Economics Network httpwwwyar-denicomfrenchaa000214Frepdf Copyright copy 2000 Deutsche Bank Securities and Alex Brown Inc

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qursquoont connue les transports au deacutebut du vingtiegraveme siegravecle Mais des capitaux excessifsentraicircnegraverent des capaciteacutes excessives qui firent eacuteclater la bulle

Lrsquoun des plus grands strategraveges de Wall Street a dit que les actions ne sont finalementque de simples feuilles de papier correspondant chacune agrave une histoire preacutecise Lors-que tout le monde srsquoenthousiasme au mecircme moment pour des titres racontant lamecircme histoire lrsquoaction correspondante et ses nouveaux concurrents attirent des som-mes drsquoargent trop importantes jusqursquoagrave ce que les reacutesultats financiers deacutecevants ramegrave-nent tout le monde agrave la reacutealiteacute Bien sucircr les marcheacutes boursiers ont deacutejagrave connu des bullesspeacuteculatives particuliegraverement en 1929 (Eacutetats-Unis) et en 1989 (Japon) Historique-ment ces bulles se sont en geacuteneacuteral mal termineacutees leur eacuteclatement a souvent eu de gra-ves conseacutequences eacuteconomiques

Agrave lrsquoheure actuelle la valorisation des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes technologiques donnele vertige Le tableau 1 preacutesente les coefficients de capitalisation des reacutesultats (PER)des 100 socieacuteteacutes agrave plus forte capitalisation coteacutees sur le NASDAQ Sur la base des beacuteneacute-fices preacutevisionnels du consensus drsquoanalystes pour lrsquoanneacutee le PER moyen atteint lavaleur astronomique de 100 qui reste malgreacute tout infeacuterieure au PER de 237 obtenuagrave partir des beacuteneacutefices de 1999 En comparaison lrsquoindice boursier SampP 500 qui com-prend 69 valeurs technologiques affiche un PER de 24 (Graphique 2) Une bulle agravenrsquoen pas douter clament les partisans de la valorisation Jrsquoai tendance agrave ecirctre du mecircmeavis mais qursquoest-ce que ccedila change Certaines des entreprises sureacutevalueacutees du NASDAQpeut-ecirctre mecircme un grand nombre drsquoentre elles ne connaicirctront pas la croissancerapide des beacuteneacutefices que preacutevoient les investisseurs Mais les beacuteneacutefices drsquoun certainnombre de ces entreprises ont deacutepasseacute les preacutevisions et pourraient continuer sur leurlanceacutee

Les laquo histoires raquo des titres de la Nouvelle eacuteconomie diffegraverent des tulipes qui ont parle passeacute susciteacute lrsquoengouement des speacuteculateurs Pour commencer les speacuteculateurs nemisent pas sur une seule histoire Les technologies les teacuteleacutecommunications les meacutediaset les loisirs englobent un grand nombre drsquoactiviteacutes varieacutees srsquoadressant aux entrepriseset aux consommateurs Les marcheacutes de ces produits et de ces services sont veacuteritable-ment mondiaux et affichent de superbes perspectives de croissance La Nouvelle eacuteco-nomie est extrecircmement concurrentielle Pour srsquoimposer les entreprises doiventsatisfaire aux quatre conditions suivantes

1) Elles doivent reacuteduire leurs coucircts en permanence

2) Elles doivent ameacuteliorer leur productiviteacute en permanence

3) Elles doivent constamment innover crsquoest-agrave-dire commercialiser de nouveauxproduits et services

4) Elles doivent avoir des capaciteacutes de distribution mondiales

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a plupart des entreprises satisfont aux deux premiegraveres conditions Mais combiensatisfont eacutegalement aux deux derniegraveres Elles ne sont pas nombreuses agrave entrer danscette cateacutegorie et il srsquoagit pour la plupart drsquoentreprises des secteurs de la technologiedes teacuteleacutecommunications des meacutedias et des loisirs Peut-ecirctre meacuteritent-elles alors leurscoefficients de capitalisation tregraves eacuteleveacutes

Par le passeacute les bulles speacuteculatives attiraient des centaines de speacuteculateurs qui agrave partdes prix plus eacuteleveacutes ne produisaient pas grand chose Agrave lrsquoheure actuelle la Nouvelleeacuteconomie attire les eacuteleacutements les plus brillants de lrsquoancienne eacuteconomie Leurs talentscreacuteatifs seront semble-t-il mieux exploiteacutes agrave leurs nouveaux postes Bon nombre de cesmaicirctres de lrsquounivers srsquoattendent agrave faire fortune Mais ce ne sera le cas que si le cours deleurs actions grimpe en flegraveche une fois que les investisseurs et les speacuteculateurs aurontestimeacute que leur entreprise a de bonnes chances de reacuteussir dans la Nouvelle eacuteconomie

Argent agrave bon marcheacute ou capitaux agrave bon marcheacute Par le passeacute les bulles speacutecula-tives attiraient trop de capitaux qui entraicircnaient des exceacutedents de production et decapaciteacutes Agrave lrsquoheure actuelle la Nouvelle eacuteconomie beacuteneacuteficie de capitaux qui coulent

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agrave flot Agrave nrsquoen pas douter certains de ces investissements nrsquoauront aucune valeur Maisun certain nombre drsquoentre eux produiront probablement de nouveaux produits et ser-vices destineacutes agrave des marcheacutes de plus en plus mondiaux

Nikkei ou NASDAQ Au cours de nombreuses conversations avec de nombreux ges-tionnaires de portefeuilles lrsquoan dernier nous avons reconnu agrave lrsquounanimiteacute que le mar-cheacute boursier connaissait actuellement une bulle speacuteculative classique Toutes cesconversations se sont conclues par le mecircme refrain laquo ccedila va mal se terminer raquo Bien sucircrnous savions que la plupart des titres nrsquoeacutetaient pas sureacutevalueacutes par la bulle Le problegravemese limitait avant tout aux valeurs boursiegraveres de la technologie et de la communicationet concernait avant tout lrsquoindice NASDAQ agrave preacutepondeacuterance technologique Il eacutetait par-ticuliegraverement inquieacutetant de constater la hausse impressionnante du cours des valeursdes socieacuteteacutes laquo com raquo introduites en bourse dont la plupart nrsquoavaient aucune chancedrsquoafficher des beacuteneacutefices dans un avenir proche

Pour lrsquoinstant cette anneacutee la bulle du NASDAQ nrsquoa cesseacute de gonfler en grande partiesous lrsquoeffet des valeurs technologiques Pendant ce temps lrsquoadjectif laquo meacutediocre raquo restele qualificatif qui deacutecrit le mieux les performances du reste du marcheacute boursier Lrsquoandernier jrsquoai fait remarquer que lrsquoeacutetroit marcheacute haussier des valeurs technologiquesmasquait un large marcheacute baissier ougrave deacuteclinait le reste des valeurs En effet pregravesde 70 des titres coteacutes agrave la bourse de New York ont enregistreacute une baisse en 1999 Pourlrsquoinstant cette anneacutee ce pourcentage est de 68 (Graphique 3) Au lieu de srsquoeacutelargir lemarcheacute haussier semble continuer agrave se reacutetreacutecir la plupart des valeurs se laissant entraicirc-ner par la tendance agrave la baisse Parmi mes collegravegues agrave la strateacutegie pro-achat beaucoupreconnaissent que tout cela se terminera mal mais ils continuent quand mecircme agrave deacutete-nir la plupart des titres qui sont le plus sureacutevalueacutes laquo Nous nrsquoavons pas le choix nousdevons nous inteacuteresser agrave ces titres speacuteculatifs expliquent-ils Beaucoup trop de ges-tionnaires de portefeuilles laquo valeur raquo risquent de perdre leur emploi raquo

Agrave la fin de lrsquoan dernier le parallegravele frappant qui existait entre le NASDAQ de lapeacuteriode 1998-fin 1999 et le Nikkei de la peacuteriode 1988-fin 1989 a intrigueacute bon nombredrsquoentre nous (Graphique 4) La bulle du Nikkei a eacuteclateacute en 1990 Il existe une correacutela-tion du mecircme ordre entre le NASDAQ de 1998 jusqursquoagrave maintenant et le prix de lrsquoorentre 1978 et 1980 (Graphique 5) Ces correacutelations semblent indiquer que la bulle duNASDAQ pourrait bien connaicirctre le mecircme sort en 2000 Pour lrsquoinstant rien de tel nesrsquoest produit Au contraire lrsquoindice NASDAQ a augmenteacute de 9 cette anneacutee apregraves deshausses spectaculaires de 41 en 1998 et de 84 en 1999 (Graphiques 6 et 7)

Seul lrsquoavenir dira si la hausse du NASDAQ nrsquoest qursquoune bulle parmi drsquoautres ou au con-traire une valorisation leacutegitime de la Nouvelle eacuteconomie Les beacuteneacutefices impression-nants reacutealiseacutes au quatriegraveme trimestre de lrsquoan dernier semblent faire pencher la balanceen faveur de cette deuxiegraveme hypothegravese les beacuteneacutefices drsquoexploitation du SampP 500 ontprogresseacute de plus de 20 par rapport agrave la mecircme eacutepoque lrsquoanneacutee preacuteceacutedente Le pour-

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centage de reacutesultats neacutegatifs impreacutevus est descendu au niveau le plus bas enregistreacutedepuis plusieurs anneacutees (Graphiques 8 et 9) ce qui a eacutegalement de quoi impression-ner

Pirates eacutelectroniques ou FBI La semaine derniegravere des pirates informatiques ontlanceacute quelques attaques reacuteussies contre plusieurs sites Web qui figurent parmi les plusimportants drsquoInternet et dont les services sont alors devenus inaccessibles Ils sont par-venus agrave les paralyser pendant quelques heures en les bombardant de fausses deman-des

Le FBI srsquoefforce de localiser les auteurs de ces attaques Mais il est peu probable qursquoily arrive Il existe certes des contre-mesures qui obligeront tous les serveurs relieacutes agraveInternet agrave adopter des mesures de seacutecuriteacute beaucoup plus strictes Drsquoun cocircteacute on peut sereacutejouir que les pirates nrsquoaient pas endommageacute les fichiers des sites Web attaqueacutes Drsquounautre cocircteacute si le FBI nrsquoarrive pas agrave mettre un terme agrave ces attaques le trafic et la fiabiliteacutedrsquoInternet pourraient en pacirctir Agrave court terme cela pourrait percer la bulle du secteurInternet sur les marcheacutes financiers et refroidir lrsquoenthousiasme des investisseurs quiachegravetent ce type drsquoactions et financent ce genre de projets Agrave long terme de meilleuresmeacutethodes de seacutecuriteacute seront ineacutevitablement adopteacutees

Note Retrouvez lrsquoensemble des graphiques illustrant cet article agrave lrsquoadressesuivante

httpwwwyardenicomfrenchaa000214Frepdf

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Une succession de corrections

Edward YARDENI1

Avril 2000

Ceux qui oublient le passeacute sont condamneacutes agrave le revivre On ne peut pas vrai-ment prouver qursquoune bulle est une bulle jusqursquoagrave ce qursquoelle eacuteclate Ainsi que lrsquoa fortjustement expliqueacute le preacutesident de la Fed M Alan Greenspan le 17 juin 1999 aucours de sa deacuteposition devant le Congregraves laquo Mais la plupart du temps on ne se rendcompte que lrsquoon a eu affaire agrave une bulle qursquoapregraves coup Parler de bulle avant tout lemonde suppose que lrsquoon a deacutetermineacute que des centaines de milliers drsquoinvestisseurs setrompent complegravetement Or il est geacuteneacuteralement risqueacute de parier agrave contre-courantdu marcheacute raquo

Je suis drsquoavis que le marcheacute haussier des actions nrsquoest pas la bulle classique deacutecritepar M Greenspan cette anneacutee Il me semble en fait plus exact de dire que depuislrsquoeacuteteacute 1998 le tregraves eacutetroit marcheacute haussier de la laquo nouvelle eacuteconomie raquo dissimule le tregraveslarge marcheacute de laquo lrsquoancienne eacuteconomie raquo Il ne srsquoagit pas drsquoune seule bulle au sein dumarcheacute de la nouvelle eacuteconomie mais de plusieurs bulles qui sont en train drsquoeacuteclaterou tout au moins de commencer agrave se deacutegonfler

Je crois que cette eacutetape aura un effet salubre en insufflant un peu drsquooxygegravene auxactions sous-eacutevalueacutees de lrsquoancienne eacuteconomie tout particuliegraverement dans les sec-teurs de lrsquoeacutenergie de la distribution et de la finance Je preacutevois mecircme un regain defaveur pour quelques-uns des plus grands noms mondiaux des produits de grandeconsommation ou pharmaceutiques en raison de leur aptitude agrave geacuteneacuterer des reacutesul-tats plus modestes mais plus preacutevisibles Lrsquoeacuteconomie a connu une laquo succession dereacutecessions raquo durant les anneacutees 80 et a afficheacute une croissance plus stable et plus eacutegaledepuis le deacutebut de la derniegravere deacutecennie Agrave lrsquoheure actuelle la bourse subit unelaquo succession de corrections raquo et il devient difficile de qualifier le marcheacute de haussierou de baissier

1 EDWARD YARDENI est Chief Economist responsable de la strateacutegie mondiale drsquoinvestissement et direc-teur de Deutsche Bank Securities Il est lrsquoauteur de nombreux articles publieacutes entre autres dans le WallStreet Journal le New York Times et la revue Barronrsquos Ce texte en franccedilais reproduit avec lrsquoaimable auto-risation de lrsquoauteur a eacuteteacute publieacute sur le site Dr Ed Yardenirsquos Economics Network httpwwwyar-denicomfrenchaa000403Frepdf Copyright copy 2000 Deutsche Bank Securities and Alex Brown Inc

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Un grand nombre drsquoinvestisseurs chevronneacutes ont deacuteceleacute dans la bourse ameacutericaineles symptocircmes drsquoune bulle degraves octobre 19981 Lrsquoassouplissement de la politique de laFed lors de la crise de la Reacutepublique populaire de Greenwich (autrement dit lrsquoeffondre-ment du fonds drsquoinvestissement speacuteculatif mdash hedge fund mdash Long-Term Capital Mana-gement baseacute dans lrsquoEacutetat du Connecticut) a provoqueacute un rebond eacutetonnant des cours dela bourse les indices boursiers Dow Jones SampP 500 et NASDAQ ont enregistreacute des haus-ses respectives de 42 55 et 214 depuis cette date Une analyse un peu plusdeacutetailleacutee reacutevegravele que la bulle concerne visiblement lrsquoindice NASDAQ avant tout La plusforte avanceacutee de la courbe des progressionsreculs de la Bourse de New York remonteen fait agrave avril 1998 Depuis cette date 79 des titres coteacutes agrave la bourse de New York ontaccuseacute une baisse de leur cours2 La bourse est un marcheacute drsquoactions et la plupart drsquoentreelles subissent les effets drsquoun marcheacute baissier depuis deux ans Le marcheacute haussier esten fait tregraves limiteacute et ressemble agrave certains eacutegards agrave une bulle

Depuis un an on a pu en fait observer plusieurs bulles particuliegraverement dans lessecteurs du commerce eacutelectronique et de la biotechnologie Pas de catastrophe pour lesbeacuteneacutefices des socieacuteteacutes technologiques La chute rapide observeacutee reacutecemment pour cesdeux secteurs a certainement permis de deacutegonfler un tant soit peu la bulle du NASDAQLa liquidation atteint maintenant les actions cyber-technologiques

1 Jrsquoappelle laquo investisseur chevronneacute raquo tout investisseur qui sait que les initiales laquo VC raquo nrsquoont pas tou-jours signifieacute laquo venture capitalist raquo (investisseur en capital risque) Il fut un temps ougrave laquo VC raquo signifiaitViet Cong2 On trouvera un graphique de cette seacuterie reacuteguliegraverement mis agrave jour agrave lrsquoadresse suivante wwwyar-

denicomstocklabasp

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

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Les investisseurs des secteurs technologiques redoutent la catastrophe Lrsquoeacuteclatementde la bulle du secteur Internet provoquerait un recul des deacutepenses effectueacutees par lessocieacuteteacutes laquo pointcom raquo nouvelles et existantes en eacutequipement informatique ordina-teurs personnels serveurs logiciels routeurs et mateacuteriel de teacuteleacutecommunications

Pour un grand nombre de laquo pointscom raquo extrecircmement deacutepensiegraveres lrsquoimpossibiliteacutede faire appel agrave des financements suppleacutementaires entraicircnerait pratiquement certai-nement la faillite Si les gloutons du secteur technologique meurent de faim les speacute-culateurs en seront pour leurs frais

Mes preacutevisions au sujet des deacutepenses et des revenus du secteur technologique sontplus optimistes En fait je pense que nous sommes au seuil de la Phase II de la reacutevolu-tion du laquo high-tech raquo Au cours de la Phase I tout au long de la derniegravere deacutecennielrsquoordinateur personnel eacutetait litteacuteralement en train de prendre son eacutelan Ce nrsquoest quevers la fin des anneacutees 90 que lrsquoordinateur personnel et Internet ont donneacute naissance agraveune technologie tregraves utile permettant aux socieacuteteacutes de reacuteduire leurs coucircts de fonction-nement et drsquoaccroicirctre la productiviteacute Je preacutevois qursquoau cours de la prochaine deacutecennielrsquoassociation de lrsquoordinateur personnel drsquoInternet de lrsquoaccegraves agrave large bande de la tech-nologie sans fil et des eacutequipements lieacutes agrave Internet auront pour effet drsquoacceacuteleacuterer lrsquoeacutemer-gence de la Net-eacuteconomie crsquoest-agrave-dire de la nouvelle eacuteconomie

Les deacutepenses en eacutequipement technique vont fortement beacuteneacuteficier de la prolifeacuteration desNet-eacutechanges crsquoest-agrave-dire des marcheacutes et chaicircnes drsquoapprovisionnement eacutelectroniques

Les deacutepenses de consommation en eacutequipements lieacutes agrave Internet (notamment les teacuteleacute-phones portables boicirctiers deacutecodeurs eacutequipement photographique numeacuterique etappareils meacutenagers) seront eacutegalement agrave lrsquoorigine drsquoune demande importante dans lesecteur de la technologie

En fin de compte la technologie nrsquoest plus une activiteacute cyclique La croissance ten-dancielle de lrsquoindustrie est si forte qursquoelle annihile toutes les pressions de nature cycli-que1

Creacutedit sur marge Il ne fait aucun doute que lrsquoabondance du creacutedit sur marge acontribueacute agrave lrsquoinflation de quelques-unes des bulles de la bourse Nous sommes nom-breux agrave avoir demandeacute agrave la Fed de renforcer les exigences de couverture de creacutedit surmarge au lieu de relever les taux drsquointeacuterecirct de faccedilon agrave deacutegonfler un peu les bulles Lemois dernier la reacuteponse eacutecrite du preacutesident de la Fed aux questions poseacutees par lesparlementaires (au cours de sa deacuteposition semi-annuelle devant le congregraves ameacuteri-cain selon les termes de la loi Humphrey-Hawkins) contenait les observationssuivantes

1 Jrsquoanalyse cette situation dans laquo High-Tech Trends raquo (les tendances du high-tech) mis agrave jour reacuteguliegrave-rement agravelrsquoadresse suivante httpwwwyardenicomcyberasp

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En ce qui concerne les exigences de couverture des analyses effectueacuteespar le passeacute suggegraverent que les modifications de ces conditions nrsquoont paseu drsquoimpact appreacuteciable et preacutevisible sur les cours des actions Ce quinrsquoempecircche pas la Federal Reserve [Bank] drsquoadmettre que lrsquoutilisation decreacutedit sur marge pour les achats de titres de participation est assortie drsquounrisque consideacuterable tout particuliegraverement au sein de marcheacutes volatils[La Banque] estime de mecircme que les precircteurs aussi bien que les emprun-teurs devraient eacutevaluer soigneusement les risques preacutesenteacutes par leursopeacuterations sur marge

Bien que certaines firmes de courtage aient effectivement renforceacute leurs exigencesde couverture il nrsquoen reste pas moins que ce type drsquoopeacuterations a connu une croissanceexplosive de 83 milliards de dollars au cours des quatre derniers mois preacuteceacutedant feacutevrier(Tableau 1) Je ne comprends pas tregraves bien comment une analyse peut conclure que lesconditions de couverture nrsquoont pas drsquoimpact sur les cours de la bourse dans la mesureougrave ces exigences nrsquoont pas connu de modifications depuis 1974 date agrave laquelle la cou-verture minimale a eacuteteacute rameneacutee agrave 50

Table 1 Equity Mutual Funds vs Margin Credit Flows (billions of dollars)

Net inflows including reinvested dividends

Source Investment Company Institute and Federal Reserve Board

Equity Mutual Funds

Margin Credit Total

1999

Oct 224 30 254

Nov 217 240 457

Dec 450 223 673

2000

Jan 413 150 563

Feb 548 217 765

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

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Le vaisseau spatial de la net-eacuteconomie passe agrave la vitesse Warp II

On annonce lrsquoacte suivant Comme je lrsquoai mentionneacute preacuteceacutedemment je crois quenous sommes au seuil de la Phase II de la reacutevolution laquo high-tech raquo On aura affaire agrave ungrand nombre de laquo Toutes nouvelles choses raquo au sein de la nouvelle eacuteconomie Les eacuteco-nomistes qui persistent agrave se servir de paradigmes de lrsquoancienne eacuteconomie notammentles cycles conjoncturels et le taux de chocircmage naturel nrsquoont pas fini de srsquoeacutetonner de lacoexistence drsquoune forte croissance eacuteconomique et drsquoun faible taux drsquoinflation Ils conti-nueront agrave sous-estimer la productiviteacute Srsquoil leur eacutetait demandeacute de remplacer le capitaineKirk aux commandes dans Star Trek ils pourraient piloter le vaisseau spatial Enterpriseagrave la vitesse Warp I mais se retrouveraient complegravetement perdus agrave la vitesse Warp II

Le juste-agrave-temps deuxiegraveme eacutepoque Au cours des anneacutees 90 le vaisseau spatial ameacute-ricain de la Net-eacuteconomie a commenceacute son acceacuteleacuteration de Warp I agrave Warp II On peut leconstater notamment en examinant le ratio comparant les stocks des entreprises agrave leurchiffre drsquoaffaires (StocksVentes) qui en deacutepit drsquoune certaine volatiliteacute oscillait autourde 15 durant les anneacutees 80 mais eacutetait tombeacute agrave 13 vers la fin des anneacutees 90 (Graphique 1)On peut attribuer cette eacutevolution agrave la mise en place de technologies permettant la gestionde stocks agrave flux tendus (laquo juste-agrave-temps raquo) au cours de la derniegravere deacutecennie

Les technologies de gestion de stock juste-agrave-temps ont permis une importantereacuteduction des coucircts lieacutes aux stocks En fait si le ratio eacutetait encore agrave lrsquoheure actuellede 15 les stocks de fabrication et de distribution deacutepasseraient 1 300 milliards de dol-lars au lieu des 1 150 milliards actuels (Graphique 2) Le secteur de la fabrication etsurtout de la fabrication de biens durables a beacuteneacuteficieacute de la quasi-totaliteacute des gains dusaux technologies du juste-agrave-temps Au niveau de la distribution et de la vente en grosles ratios stocksventes nrsquoont guegravere eacutevolueacute entre le milieu des anneacutees 80 et 1999(Graphiques 3 4 5 6 et 7)

Je preacutevois encore des progregraves pheacutenomeacutenaux agrave mesure que les fabricants aussi bienque les distributeurs utilisent le Net-eacutechange crsquoest-agrave-dire les marcheacutes drsquoeacutechanges et leschaicircnes drsquoapprovisionnement drsquoInternet de faccedilon agrave reacuteduire leurs coucircts et agrave augmenterencore plus rapidement leur productiviteacute Il est probable que la reacutevolution du juste-agrave-temps passera elle aussi de la Phase I agrave la Phase II durant les dix prochaines anneacutees

Titres de participation analyse des mouvements de fonds

Une peacutenurie drsquoactions En deacutepit de la faiblesse agrave court terme afficheacutee reacutecemmentpar les cours des actions les donneacutees relatives aux mouvements de fonds continuentagrave deacutepeindre un avenir agrave long terme tout agrave fait favorable Ces chiffres suggegraverent mecircme

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une peacutenurie drsquoactions Le tableau ndeg2 indique que les titres de participation de socieacuteteacutesdes secteurs non financiers aussi bien que financiers ont reculeacute de 1624 milliards dedollars en 1999 une eacutevolution compenseacutee en partie par les 945 milliards de dollars deplacements effectueacutes par les investisseurs ameacutericains sur les places financiegraveres eacutetrangegrave-res Par conseacutequent le chiffre net des eacutemissions a chuteacute de 678 milliards de dollars lrsquoandernier apregraves un deacuteclin de plusieurs anneacutees (Graphique 8) Cette eacutevolution srsquoexpliquepar les programmes de rachat drsquoactions et les fusions et acquisitions qui risquent dedonner un solde net neacutegatif pour lrsquoensemble des eacutemissions de titres de participation

Acheteurs et vendeurs Selon les comptes de mouvements de fonds de la Fed cesont les particuliers qui ont vendu le plus grand nombre drsquoactions ces derniegraveres anneacutees(Graphique 9) Quoique surprenant agrave premiegravere vue ce reacutesultat est logique mdash car ilsrsquoagit drsquoun secteur reacutesiduel dans les comptes mdash et reflegravete la reacuteduction de la quantiteacutedrsquoactions deacutetenues par ce secteur du fait des fusions et des acquisitions reacutealiseacutees Unautre secteur tregraves vendeur est celui des fonds de caisses de retraite priveacutees(Graphique 10) La prolongation du marcheacute haussier des actions a provoqueacute une sur-capitalisation drsquoun grand nombre drsquoentre elles qui procegravedent donc agrave des ventes detitres pour reacuteeacutequilibrer la reacutepartition de leurs placements obligations et actions Lrsquoandernier quatre groupes drsquoinvestisseurs principaux (les fonds communs de placementsles caisses de retraite publiques les assurances-vie et les investisseurs eacutetrangers) ontchacun fait lrsquoacquisition drsquoenviron 100 milliards de dollars en titres de participationameacutericains (Tableau 2 et Graphique 11)

Lrsquoheure est aux fonds communs de placement Pour le moment cette anneacutee lesinvestisseurs en fonds communs de placement semblent plus inteacuteresseacutes que jamais parles actions Les fonds de placement en titres de participation ont attireacute un flux net de548 milliards de dollars en feacutevrier inclusion faite du reacuteinvestissement des dividendes(Tableau 1 et Graphique 12)

Note Retrouvez lrsquoensemble des graphiques illustrant cet article agrave lrsquoadressesuivante

httpwwwyardenicomfrenchaa000403Frepdf

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Revers de Fortune

xtrait de Dr Edward Yardeni Revers de FortuneStrateacutegie mondiale de portefeuille ndeg13 Deutsche Bank Securities Inc

and DB Alex Brown LLC 17 avril 2000

httpwwwyardenicomfrenchaa0004Frepdf

Insenseacute Jeremy Irons remporta un Oscar pour avoir interpreacuteteacute le personnage de Clausvon Bulow dans un film de 1990 qui srsquointitulait en version originale Reversal of Fortune(revers de fortune devenu en franccedilais Le Mystegravere von Bulow) Ce film relatait un eacutepisodede la vie de Claus von Bulow innocenteacute gracircce agrave ses avocats apregraves avoir eacuteteacute accuseacutedrsquoavoir tenteacute drsquoassassiner sa femme extrecircmement riche Crsquoest maintenant au tour desinvestisseurs de valeurs technologiques de subir un revers de fortune agrave lrsquoheure ougrave leNasdaq tombe en chute libre Ils reconnaissent que lrsquoenvoleacutee de certains titres avaitatteint des niveaux insenseacutes mais certains me disent maintenant que la liquidationmassive est tout aussi insenseacutee

Je comprends leur douleur Mon portefeuille personnel a eacutegalement subi les effets drsquounmini-krach technologique Comme Tony Soprano lrsquoaimable parrain du feuilleton teacuteleacute-viseacute ameacutericain The Sopranos le confiait reacutecemment agrave son psy laquo Ouiinnn pauvre demoi raquo En effet mecircme si jrsquoestime depuis lrsquoan dernier qursquoune bulle speacuteculative srsquoeacutetait for-meacutee sur le Nasdaq jrsquoai dans mon portefeuille certaines valeurs technologiques Mais ilmrsquoa toujours sembleacute qursquoil existait de grandes diffeacuterences entre cette bulle et les preacuteceacute-dentes Sur le plan des donneacutees fondamentales les perspectives de lrsquoindustrie technolo-gique restent en effet tregraves positives

()

La valorisation compte-t-elle encore Drsquoapregraves la version la plus simple du modegravelede valorisation boursiegravere de la Fed qui calcule la juste valeur du cours des actions endivisant les beacuteneacutefices preacutevisionnels drsquoun consensus drsquoanalystes par le rendement desobligations du Treacutesor le SampP 500 eacutetait sureacutevalueacute de 68 mdash proportion stupeacutefiantemdash pendant la semaine du 21 janvier A cette date le SampP aurait ducirc en effet ecirctre de 861alors qursquoil avait en reacutealiteacute deacutejagrave atteint 1449 points Drsquoapregraves les derniers calculs obtenusagrave lrsquoaide de ce modegravele la sureacutevaluation nrsquoeacutetait plus que de 32 dans la semaine du14 avril ()

Selon le modegravele de valorisation boursiegravere de la Fed le coefficient de capitalisation desreacutesultats (PE) correspondant agrave la juste valeur est tout simplement lrsquoinverse du rende-ment des bons du Treacutesor agrave 10 ans Pendant la semaine du 14 avril ce coefficient eacutetaitde 170 Le PE reacuteel eacutetait de 225 () La sureacutevaluation du SampP 500 est imputable entotaliteacute au secteur de la technologie qui affichait en mars un PE de 47 apregraves unehausse spectaculaire ces cinq derniegraveres anneacutees (le PE de 1995 eacutetait drsquoenviron 15)Une fois exclu le secteur technologique le PE nrsquoeacutetait que de 179 en mars ce qui cor-respond presque au PE de la juste valeur ()

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Le modegravele de valorisation boursiegravere de la Fed est tregraves simple Il ne tient compte que desbeacuteneacutefices preacutevisionnels des 12 mois agrave venir et du rendement des bons du Treacutesor agrave10 ans Selon leur approche ascendante les analystes financiers de Wall Street preacutevoientpour le SampP 500 des beacuteneacutefices par action de 6023 $ dans les 12 prochains mois Il srsquoagitlagrave drsquoun niveau record () Mais pour que le marcheacute soit agrave sa juste valeur il faudrait quele rendement obligataire baisse jusqursquoagrave 4 Ce modegravele simple nrsquoinclut aucune variablecorrespondant au risque ou agrave la croissance agrave long terme des beacuteneacutefices Les investisseursestiment peut-ecirctre que dans notre nouvelle eacuteconomie le risque de reacutecession est moin-dre et les perspectives de croissance des beacuteneacutefices plus prometteuses

Dans la nouvelle version ameacutelioreacutee du modegravele la juste valeur est eacutegale aux beacuteneacuteficespreacutevisionnels diviseacutes par la diffeacuterence entre le rendement composite des obligationsde socieacuteteacute classeacutees A par Moodyrsquos et une fraction de la croissance preacutevisionnelle surcinq ans des beacuteneacutefices pour le SampP 500 Par le passeacute la valeur reacuteelle du SampP 500 eacutetaiteacutegale agrave sa juste valeur lorsque la fraction du taux de croissance eacutetait de 10 Enmars 2000 les beacuteneacutefices preacutevisionnels de Wall Street sur cinq ans ont atteint un niveaurecord de 161 Mecircme avec ce chiffre stupeacutefiant il aurait fallu pour que le niveaudu SampP 500 soit eacutegal agrave sa juste valeur que les investisseurs multiplient presque par troisla pondeacuteration qursquoils accordent agrave la croissance agrave long terme des beacuteneacutefices Si nous don-nions agrave la croissance agrave long terme des beacuteneacutefices la pondeacuteration moyenne obtenue parle passeacute la juste valeur du SampP 500 serait drsquoenviron 900

La derniegravere fois que jrsquoai abordeacute la question de la valorisation dans lrsquoAnalyse eacuteconomi-que mondiale du 10 janvier 2000 je suis arriveacute agrave la conclusion suivante

Je crois que les preacutevisions de croissance du marcheacute et le poids attribueacute agrave cette derniegraverefont preuve drsquoun trop grand optimisme En revanche nous avons maintenant affaireagrave la Nouvelle eacuteconomie mondiale concurrentielle productive de haute technolo-gie animeacutee par M Greenspan et tutti quanti Il faudrait donc peut-ecirctre accorder plusde poids agrave la croissance agrave long terme des revenus Conclusion les cours ne sont pasbon marcheacute mais la version simple du modegravele de valorisation des titres de la FederalReserve Bank exagegravere visiblement la sureacutevaluation du marcheacute

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Naissance drsquoune nouvelle eacuteconomie Sept thegraveses sur lrsquoeacuteconomie de marcheacute

agrave lrsquoacircge du commerce eacutelectronique

Philippe LEMOINE1

Le 28 avril 1998

Aux Eacutetats-Unis le thegraveme de la nouvelle eacuteconomie est deacutebattu dans plusieurs cercles le cercle du lobby de la high tech le cercle des boursiers optimistes le cercle des politi-ques modernistes Lrsquoideacutee geacuteneacuterale est que lrsquoeacuteconomie nrsquoobeacuteirait plus aux mecircmes loisdepuis que les technologies drsquoinformation sont devenues les principaux leviers decroissance et drsquoinvestissement Il srsquoen deacuteduit qursquoil nrsquoy a pas de raisons de srsquoattendre agraveune fin rapide du cycle long de deacuteveloppement sans inflation ougrave sont les Eacutetats-Unisdepuis plus de 7 ans Loin de baisser les voiles ou de reacuteduire la toile il faudrait aller plusloin dans la lutte contre toutes les entraves de la nouvelle eacuteconomie Lrsquoarmeacutee et les ser-vices secrets ne devraient plus srsquoopposer agrave une large utilisation de la cryptologie par lesentreprises Les Eacutetats de lrsquoUnion ne devraient plus chercher agrave proteacuteger leurs taxes loca-les car le commerce eacutelectronique doit devenir sur tout le territoire des Eacutetats-Unis etmecircme dans son extension au reste du monde une vaste zone de libre-eacutechange unespace de circulation sans obstacle et mecircme sans coutures juridiques fiscales ou doua-niegraveres Un laquo capitalisme sans frottement raquo comme le dit Bill Gates

Que faut-il penser de ce thegraveme Agrave vrai dire en France on nrsquoen pense rien On deacutecou-vre deacutejagrave le laquo New Labour raquo anglais alors srsquoinitier en mecircme temps au thegraveme de la laquo NewEconomy raquo ameacutericaine Quelques milieux restreints ont une opinion et elle est geacuteneacute-ralement neacutegative Les intellectuels flairent sans mal lrsquoodeur de lrsquoideacuteologie et il fautbien avouer qursquoil y en a des traces tenaces Les responsables pensants et les penseursresponsables ne sont pas precircts agrave miser un cent sur un discours qui ne reacutesistera pas agravelrsquoineacutevitable et prochaine correction boursiegravere Comment eacuteviter le ridicule ce terriblemal franccedilais si lrsquoon a parleacute de laquo nouvelle eacuteconomie raquo quelques semaines avant unkrach Mieux vaut srsquoabstenir

Et pourtant cette question de la nouvelle eacuteconomie ne doit pas ecirctre traiteacutee agrave laleacutegegravere Drsquoabord parce que mecircme si le diagnostic ne peut pas ecirctre accepteacute globalementet sans reacuteserve il a le meacuterite drsquoinsister sur lrsquoampleur des changements en cours et de

1PHILIPPE LEMOINE est preacutesident de LASER Ce texte a eacuteteacute preacutesenteacute en mai 1998 au premier symposiumLes Pionniers Enjeux Il a eacuteteacute publieacute dans la Revue drsquoEacuteconomie financiegravere (ndeg53 3e numeacutero de lrsquoanneacutee 1999)

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montrer que cette fois-ci la classe dirigeante eacuteconomique et politique ne va plus pou-voir regarder de loin les questions de technologie et que celles-ci sont deacutesormais aucentre du paysage Ensuite dans le cas de la France un deacutebat sur ces thegravemes aurait lemeacuterite drsquoeacuteclairer autrement notre cheminement collectif depuis 20 ans de mieuxcomprendre lagrave ougrave nous avons progresseacute et lagrave ougrave nous nous sommes collectivementtrompeacutes Enfin en faisant lrsquoeffort de penser cette question de la nouvelle eacuteconomie ilpeut se dessiner une nouvelle approche des prioriteacutes politiques

Agrave titre personnel il srsquoagit de questions sur lesquelles je travaille depuis longtempsDans mon travail comme dirigeant du groupe Galeries Lafayette en charge de LaSernotre branche laquo services et technologie raquo je suis confronteacute agrave la progression du com-merce eacutelectronique Jrsquoai œuvreacute degraves la fin de 1996 pour lancer un deacutebat sur la maniegraverede poser aujourdrsquohui les liens entre technologie emploi services et commerce

Drsquoautres travaux se sont inscrits dans ce filon et on commence agrave entrevoir une faccedilonpositive de penser lrsquoemploi en liaison avec la reacute-organisation des entreprises autourdrsquoune logique clients Mais il mrsquoa sembleacute qursquoil fallait aller plus loin et je vous proposeaujourdrsquohui 7 thegraveses sur lrsquoeacuteconomie de marcheacute mdash car crsquoest bien drsquoelle qursquoil srsquoagit mdash agravelrsquoacircge du commerce eacutelectronique

Thegravese 1 Apregraves avoir transformeacute les usines apregraves avoir peacuteneacutetreacute les bureaux les tech-nologies drsquoinformation bouleversent aujourdrsquohui lrsquounivers de lrsquoeacutechange

Thegravese 2 Lrsquoeacuteconomie sort du laquo Solow Paradox raquo et du pieacutetinement de la productiviteacute degraveslors que les entreprises constatent lrsquoouverture des marcheacutes et lrsquoeacutelargissement des deacuteboucheacutes

Thegravese 3 Le paradoxe et les blocages resurgissent agrave un autre niveau si les institutionsfinanciegraveres et moneacutetaires voient la technologie comme un moyen de controcircle surlrsquoeacuteconomie reacuteelle

Thegravese 4 La persistance drsquoun niveau eacuteleveacute des stocks montre que lrsquoacceacuteleacuteration de larotation des actifs bute sur le ralentissement de la vitesse de circulation de la monnaie

Thegravese 5 La valorisation de lrsquoimmateacuteriel ne peut pas ecirctre une reacuteponse agrave la circulationtrop lente du capital dans un contexte ougrave la technologie fait baisser non seulement leprix des biens mais aussi celui des services

Thegravese 6 Le plein emploi est un objectif atteignable dans le cadre de strateacutegies foca-liseacutees sur le service et sur le client agrave lrsquoappui drsquoun accroissement de la productiviteacute ducapital circulant

Thegravese 7 LrsquoEurope doit tourner la page de la laquo socieacuteteacute drsquoinformation raquo au profit drsquounevision plus eacuteconomique tout en concentrant son message moral sur lrsquoenjeu de laliberteacute des personnes

Je vous propose de reprendre rapidement ces 7 points Il ne srsquoagit pas de les deacutevelop-per car nous en aurions pour plusieurs heures mais drsquoeacuteclairer lrsquoarchitecture du raison-

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nement qui est derriegravere chacune de ces thegraveses et qui sous-tend une approche desenjeux actuels qursquoil faut rendre coheacuterente et globale

Premiegravere thegravese les technologies drsquoinformation transforment lrsquounivers de lrsquoeacutechange

Cela crsquoest un constat Tout le monde le sait Internet symbolise une nouvelle eacutetapede lrsquoinformatisation La baisse du prix des composants diffuse lrsquoinformatique dans legrand public et pregraves drsquoun foyer sur deux dispose drsquoun micro-ordinateur aux Eacutetats-UnisLa numeacuterisation assure la convergence entre informatique teacuteleacutecommunications etaudiovisuel Les reacuteseaux se connectent les uns aux autres agrave lrsquoeacutechelle du globe

La conseacutequence crsquoest que le centre de graviteacute de la tornade des technologies drsquoinfor-mation se deacuteplace Il nrsquoest plus dans les usines et les ateliers Il nrsquoest plus seulementdans les bureaux Il est dans lrsquounivers de lrsquoeacutechange au sens le plus large du terme Oninsiste parfois sur les enjeux de la communication qursquoil srsquoagisse de la communicationavec les meacutedias ou de la communication entre les personnes Mais tout montre quelrsquoenjeu va bien au-delagrave du relationnel et que lrsquoimpact sera encore plus fort sur le tran-sactionnel et les rapports marchands

Derriegravere lrsquolaquo electronic commerce raquo lrsquoe-business les entreprises inventent drsquoautresmaniegraveres de commercer entre elles ou de vendre aux particuliers

Deuxiegraveme thegravese lrsquoeacuteconomie sort du laquo Solow Paradox raquo

Je vous rappelle de quoi il srsquoagit Dans les anneacutees 70 au moment ougrave nous avions enFrance le rapport Nora-Minc sur lrsquoinformatisation de la socieacuteteacute les premiegraveres inquieacutetu-des apparaissaient aux Eacutetats-Unis sur lrsquoimpact de la technologie sur lrsquoemploi et le chocirc-mage Une commission avait eacuteteacute mise en place par le gouvernement ameacutericain poureacuteclairer cette question Preacutesideacutee par Robert Solow professeur au MIT et prix Nobel drsquoeacuteco-nomie cette commission eacutetait parvenue au constat suivant oui lrsquoeacuteconomie utilise deplus en plus lrsquoinformatique oui les ordinateurs vont vite mais on ne constate aucuneacceacuteleacuteration des gains de productiviteacute Crsquoest ce que lrsquoon appelle le laquo Solow Paradox raquo

Au-delagrave du constat le paradoxe soulignait lrsquoexistence de nombreux obstacles agravelrsquoexteacuteriorisation des gains de productiviteacute dans lrsquoeacuteconomie ameacutericaine Au niveau des

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marcheacutes au niveau des professions au niveau des entreprises tout un ensemble deregravegles et de rapports sociaux servaient de contrepoids agrave lrsquoimpact de lrsquoinformatisationJe me souviens agrave cette eacutepoque drsquoune eacutetude meneacutee en France sur les grandes entrepriseset qui montrait que plus une entreprise investissait pour informatiser sa comptabiliteacuteplus elle avait de comptables

Sociologiquement ce corps professionnel avait le pouvoir de transformer la perfor-mance des ordinateurs en une occasion drsquoaccroicirctre le nombre et la sophistication deseacutetats comptables et de soutenir ainsi son propre emploi

Le paysage a complegravetement changeacute depuis lors Si lrsquoon compare la reacutevolution encours agrave la reacutevolution industrielle la meacutetaphore de la technologie ce nrsquoest plus seule-ment la machine agrave vapeur lrsquooutil de production avec toutes les craintes et les blocagesqui ont trait agrave lrsquoavenir de lrsquoemploi Il faut comparer la technologie aux chemins de feraux autoroutes (les fameuses autoroutes de lrsquoinformation) aux peacuteneacutetrantes qui contri-buent agrave deacutecloisonner les marcheacutes et agrave eacutelargir les deacuteboucheacutes

Tout change degraves lors que lrsquoon ne raisonne plus autour du seul modegravele drsquoune substi-tution du capital au travail Le formidable dynamisme dont fait preuve lrsquoeacuteconomieameacutericaine traduit le fait qursquoelle est sortie du laquo Solow Paradox raquo Elle exteacuteriorise sanscomplexes les gains de productiviteacute car les deacuteboucheacutes srsquoaccroissent tandis que lesregravegles de la compeacutetition sur les marcheacutes se deacuteplacent favorisant des notions de reacuteacti-viteacute de juste-agrave-temps et drsquoinnovation-service qui supposent que la technologiedevienne un instrument agrave lrsquoappui des strateacutegies commerciales

La maniegravere dont les entreprises ameacutericaines se sont empareacutees du commerce eacutelectro-nique est impressionnante Les premiegraveres expeacuteriences significatives de vente sur Inter-net datent de 1995 Aujourdrsquohui on compte plusieurs entreprises qui font deacutejagrave plusdrsquo1 milliard de dollars de CA par Internet On ne bricole plus Je ne parle pas seulementdrsquoentreprises comme General Electric Intel ou Cisco qui font du commerce eacutelectroni-que B-to-B Business-to-Business avec leurs entreprises clientes ou leurs fournisseursJe pense agrave des entreprises comme Charles Schwab qui a inventeacute le laquo discountbrokerage raquo en donnant aux particuliers la possibiliteacute drsquoacqueacuterir des actions avec desprix drsquointermeacutediation tregraves bas Comme Dell qui vend pour plus de 5 millions de dollarspar jour sur Internet avec un modegravele sans stock ougrave le client conccediloit lui-mecircme sonmicro-ordinateur personnaliseacute avant qursquoil soit mis en fabrication et livreacute en moins de8 jours Comme Comp-U-Card qui a inventeacute le marcheacute du laquo membership raquo en ayantdeacutesormais dans le monde 67 millions de clients abonneacutes agrave ses services drsquoinformationet de shopping Comme Auto-By-Tel qui fait moins un meacutetier de commerccedilant que decourtier en permettant agrave des particuliers de lancer des appels drsquooffre personnaliseacutes surle Net lorsqursquoils veulent changer de voiture Auto-By-Tel ne se reacutemunegravere pas par descommissions sur les ventes mais par un abonnement souscrit par les garagistes qui veu-lent recevoir des appels drsquooffre Jrsquoajoute qursquoavec ce systegraveme Auto-By-Tel suscite

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40000 ventes de voiture par mois Si la voiture ameacutericaine moyenne vaut 20000 $cela repreacutesente 800 millions de dollars de chiffre drsquoaffaires par mois pour cette seuleentreprise

Troisiegraveme thegravese la tentation du controcircle

Dans ce contexte de bouleversement de lrsquounivers de lrsquoeacutechange un enjeu majeur estcelui de la monnaie et des systegravemes de paiement En disant cela je nrsquoentends pas par-tager lrsquoideacutee selon laquelle le commerce eacutelectronique serait menaceacute par des risquesmonumentaux de fraude Les risques existent de mecircme qursquoexiste le risque drsquoune utili-sation drsquoInternet pour le recyclage de lrsquoargent sale Mais ces risques sont drsquoampleurlimiteacutee probablement comparables agrave ce qui existe dans le commerce traditionnel Silrsquoon parle tellement des moyens de paiement crsquoest qursquoon assiste au choc des meacutetiersqui gegraverent les flux drsquoinformation et des meacutetiers qui gegraverent la circulation des signesmoneacutetaires Crsquoest lagrave qursquoest le veacuteritable enjeu Il ne srsquoagit pas seulement drsquoune situationde rivaliteacute entre deux professions mais compte tenu de la nature particuliegravere de ceteacutequivalent geacuteneacuteral qursquoest la monnaie de compeacutetition entre strateacutegies qui peuventavoir une incidence importante sur lrsquoorganisation des marcheacutes et le dynamismedrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie

Il y a 3 ans les banques ameacutericaines avaient eacuteteacute traumatiseacutees de se faire traiter dedinosaures Elles ont fait capoter la tentative meneacutee par Microsoft pour srsquoinstaller aucœur des systegravemes de paiement en rachetant Quicken le produit leader utiliseacute par lesameacutericains pour geacuterer leur treacutesorerie domestique Depuis elles ont repris lrsquooffensive eneacutecartant tout scheacutema de geacuteneacuteralisation drsquoune monnaie eacutelectronique crsquoest-agrave-dire drsquouninstrument moneacutetaire anonyme qui circulerait librement sur les reacuteseaux entre les par-ticuliers et les commerccedilants puis entre ceux-ci et les autres acteurs eacuteconomiques

Au nom de la preacutevention des risques de fraude les banques favorisent des scheacutemasagrave boucle beaucoup plus eacutetroite ougrave lrsquoensemble des transactions de paiement seraienttraccedilables et controcirclables par leur profession Dans des scheacutemas triangulaires de ce typeles commerccedilants sont garantis des paiements qursquoils encaissent mais agrave la condition queles particuliers se soient connecteacutes agrave leur banque pour chaque paiement Des standardset des techniques ont eacuteteacute deacutefinis pour jouer de maniegravere fluide ces rocircles de laquo tiers deconfiance raquo et de laquo certificateurs raquo Les beacuteneacutefices directs et indirects que les banquespeuvent en tirer sont consideacuterables tant en termes de commissions perccedilues que drsquoenri-chissement des bases de donneacutees marketing Ni les banques centrales ni le fisc nevoient drsquoobstacles bien au contraire agrave de tels scheacutemas

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Cette tentation de controcircle un peu corporatiste risque pourtant de peser sur le dyna-misme eacuteconomique car elle vient parachever lrsquoeacutevolution systeacutematique des 2 deacutecenniesutilisant la technologie pour limiter la circulation de la monnaie Je ne pense pas seule-ment agrave la baisse de la part relative des billets et espegraveces qui sont pourtant la forme demonnaie ayant la rotation la plus forte Je pense agrave toutes les eacutevolutions qui ont limiteacute lapossibiliteacute drsquoendosser les chegraveques ou qui ont substitueacute des effets de commerce valablesune fois comme les LCR aux traites qui pouvaient circuler et ecirctre reacute-escompteacutees

Sur un plan theacuteorique ces eacutevolutions se sont accompagneacutees de la disparition detoute reacutefeacuterence agrave un concept pourtant essentiel celui de vitesse de circulation de lamonnaie Les autoriteacutes moneacutetaires ne connaissent plus que diffeacuterentes strates de massemoneacutetaire et en matiegravere de vitesse ne suivent que le rythme du gonflement ou dudeacutegonflement de ces masses ce qui est tout agrave fait diffeacuterent drsquoune notion de vitesse derotation drsquoun encours donneacute

On peut faire lrsquohypothegravese que la deacuteceacuteleacuteration de lrsquoinflation dans lrsquoensemble dumonde deacuteveloppeacute srsquoest accompagneacutee drsquoun fort ralentissement mdash malgreacutelrsquoeacutelectronique malgreacute les reacuteseaux mdash de la vitesse de circulation de la monnaie Il estsucircr en tout cas que dans la fameuse eacutequation selon laquelle le niveau geacuteneacuteral des prixest fonction du produit de la masse de monnaie par sa vitesse de circulation ce dernierparamegravetre est tombeacute dans un trou noir theacuteorique et statistique

Quatriegraveme thegravese La faible rotation des actifs

Le ralentissement de la circulation de la monnaie a eu comme contrepartie danslrsquoeacuteconomie reacuteelle un ralentissement de la rotation des actifs Cela peut sembler para-doxal de dire cela alors que les manuels drsquoeacuteconomie et de management ne parlent quede reacuteactiviteacute de juste-agrave-temps et de flux tendus mais crsquoest ainsi

En 1992 jrsquoavais fait reacutealiser un travail sur les stocks par Rexecode agrave lrsquooccasion drsquounlivre que jrsquoavais eacutecrit Le commerce dans la socieacuteteacute informatiseacutee (Economica 1993)Alors qursquoil nrsquoexiste pas un outil statistique de qualiteacute sur le niveau des stocks en valeurabsolue lrsquoideacutee eacutetait de voir comment le poids des stocks dans lrsquoeacuteconomie avait eacutevolueacutesur longue peacuteriode et comment cela srsquoeacutetait passeacute dans les principaux pays deacuteveloppeacutesRexecode vient de reacuteactualiser ce travail

Je passe sur les consideacuterations de meacutethode pour commenter les reacutesultats Ce graphi-que fait lrsquohypothegravese que les stocks repreacutesentaient 25 du PIB au lendemain de laguerre qursquoils tournaient 4 fois dans lrsquoanneacutee On voit apparaicirctre 3 groupes de pays

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mdash le Japon et le Canada qui sont agrave 14-16 apregraves avoir miseacute sur les reacuteseaux et le juste-agrave-temps

mdash la France dont on reparlera qui est dans une situation hors norme agrave 27 environaujourdrsquohui

mdash le groupe central (Eacutetats-Unis Grande-Bretagne Allemagne) qui est agrave 18-22

Agrave ce stade jrsquoinsiste sur la contre-performance de ces 18-22 Apregraves une vague de deacutesin-flation faire 18-22 au lieu de 25 drsquoun PIB qui a profondeacutement changeacute dans sa com-position avec une part bien plus importante des productions de biens immateacuteriels et deservices sans stocks crsquoest tout agrave fait insuffisant Cela reflegravete en fait avant le deacuteveloppe-ment du commerce eacutelectronique une situation de ralentissement marqueacute de la rotationdes actifs avec des paliers de stagnation venant contrecarrer le mouvement de baisse

Cinquiegraveme thegravese Lrsquoimpasse de lrsquoeacuteconomie de lrsquoimmateacuteriel

Au XVIIIe siegravecle agrave lrsquoaube de la reacutevolution industrielle un deacutebat a agiteacute le monde deseacuteconomistes mercantilistes laquo Faut-il vendre cher pour ecirctre riche Peut-on ecirctre riche

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et bon marcheacute raquo Ce deacutebat srsquoest retrouveacute ces derniegraveres anneacutees dans une interrogationsur lrsquoeacuteconomie de lrsquoimmateacuteriel Drsquoun seul coup tout le monde voulait valoriserlrsquoimmateacuteriel Les comptables voulaient inscrire des actifs immateacuteriels importants dansles bilans Les financiers voulaient valoriser les goodwills Les commerciaux voulaientvendre chers les services tandis que les strategraveges ne juraient que par la valeur ajouteacutee

Cet orgueil de lrsquoimmateacuteriel est agrave mettre en relation directe avec le ralentissement dela rotation des actifs et de la circulation de la monnaie le cas de la France illustre biencela Agrave la fin des anneacutees 80 nous nous sommes en effet orienteacutes vers une politique dedeacutesinflation compeacutetitive qui se voulait lrsquoeacutequivalent agrave lrsquoeacutechelle drsquoune nation de ceqursquoest le discount agrave lrsquoeacutechelle drsquoun commerce On ne deacutevalue pas la monnaie mais onbaisse les prix par rapport agrave ce que pratique la concurrence Agrave gains de productiviteacuteidentiques cela signifie que lrsquoon ristourne plus de marge agrave nos clients exteacuterieurs quelrsquoon en garde moins pour lrsquoeacuteconomie nationale

Sur le long terme une telle politique nrsquoest viable que si elle srsquoaccompagne drsquoune rota-tion des actifs plus rapide que celle des concurrents Malgreacute lrsquoaccroissement du volumedes exportations on a vu que tel nrsquoavait pas eacuteteacute le cas globalement Aussi la questionse pose-t-elle de savoir comment le PIB franccedilais a continueacute de croicirctre en exportant agraveprix discount et sans compensation par des effets volume La reacuteponse est agrave rechercherme semble-t-il dans le partage laquo prixvolume raquo de ce qui srsquoexportait moins avec larecherche systeacutematique drsquoune valorisation excessive de lrsquoimmateacuteriel et des servicesTout srsquoest passeacute comme pour un commerccedilant qui aurait agrave la fois des prix drsquoappel et desrayons mieux margeacutes

Une bulle srsquoest formeacutee reposant sur une sur-valorisation du temps social En Franceagrave la fin des anneacutees 80 les services aux particuliers se sont mis agrave fonctionner agrave 2 F laminute Le modegravele se retrouve par exemple dans la restauration Dans un fast-food onreste 15 minutes et cela coucircte 30 F Une brasserie ougrave lrsquoon reste 1 heure coucircte 120 F Unrepas dans un restaurant plus chic ougrave lrsquoon reste deux heures 240 F Il y a bien sucircr desexceptions mais la plupart des points srsquoajustent selon une droite ougrave le talent du cuisi-nier ne se reacutemunegravere qursquoen fonction de lrsquoincitation qursquoil procure agrave consommer plus detemps

Le risque en facturant ainsi chegraverement le temps est celui drsquoune contagion de lrsquoeacuteco-nomie de la lenteur La monnaie est lente les stocks stagnent les services sont chersLa norme eacutetait installeacutee en France au deacutebut des anneacutees 1990 le minitel eacutetait agrave 2 F laminute les taxis agrave 2 F la minute le teacuteleacutephone inter-urbain agrave 2 F la minute Le GSM aeacuteteacute introduit agrave 2 F la minute Tout agrave 2 F la minute Le virage que symbolise Internetcrsquoest celui de lrsquoabandon de ces facturations agrave la dureacutee de la chute reacuteelle du coucirct descommunications de la reacuteconciliation des deacutemarches laquo prix raquo et des deacutemarcheslaquo services raquo

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Sixiegraveme thegravese le plein emploi gracircce aux deacutemarches clients

La France est une eacuteconomie agrave fort niveau de stock et agrave faible niveau drsquoemploi Lrsquounest la contrepartie de lrsquoautre dans un contexte drsquoopposition deacutepasseacutee entre le prix et leservice Nous pouvons inverser le processus et viser le plein emploi Encore faut-il ecirctrepreacutecis sur le diagnostic et sur lrsquoaction agrave mener

Les travaux que jrsquoai eu agrave piloter sur le commerce du deacutetail font apparaicirctre qursquoagrave luiseul ce secteur pourrait creacuteer 1 million et demi drsquoemplois Pour reacutepondre aux besoinsde 100 habitants la France compte en effet 3 actifs contre 55 aux Eacuteats-Unis (cf cahierLaSer ndeg1 laquo Self-service mondial ou nouvelle eacuteconomie de services raquo avec des con-tributions de Rexecode et de J Kaspar) La question que creuse cette eacutetude crsquoest desavoir pourquoi Drsquoougrave vient cette diffeacuterence et que faut-il faire pour la combler

On met geacuteneacuteralement en avant le coucirct du travail et il est exact que le prix de revienttoutes charges comprises drsquoune heure de travail aux Eacutetats-Unis est sensiblement plusfaible qursquoen France Mais on doit agrave nouveau se poser la question du pourquoi Le pro-blegraveme nrsquoest pas en effet celui drsquoune diffeacuterence portant sur le seul marcheacute du travailCrsquoest celui drsquoune diffeacuterence qui porte sur la dynamique geacuteneacuterale des marcheacutes sur lesregravegles actuelles de la compeacutetition Aux Eacutetats-Unis la cleacute de la compeacutetition crsquoestaujourdrsquohui le service Partant de lagrave il srsquoen deacuteduit des laquo business models raquo diffeacuterentsun recours plus important au temps partiel un recrutement de salarieacutes qui ressemblentaux clients donc une pyramide des acircges plus eacutequilibreacutee qursquoen France donc des jeuneset des personnes assez acircgeacutees nrsquoayant pas besoin de couverture sociale suppleacutementairespeacutecifique donc in fine un coucirct du travail plus bas

Lrsquoexemple de Wal-Mart le leader ameacutericain (et mondial) du commerce illustre cettethegravese Depuis des anneacutees cette entreprise utilise en effet la technologie au service drsquounestrateacutegie drsquoentreprise preacutecise optimiser ses stocks et son capital circulant pour creacuteer unavantage compeacutetitif reacuteinvestir les gains de productiviteacute obtenus sur lrsquoamont dans le ser-vice laquo aval raquo afin de mieux fideacuteliser les clients Les moyens mis en œuvre sontimpressionnants saisie unitaire systeacutematique des ventes centralisation de lrsquoinformationgracircce agrave un reacuteseau priveacute de satellites V-SAT accegraves des fournisseurs agrave une base permettant deconnaicirctre chaque jour les ventes de chaque reacutefeacuterence dans chacun des 2500 magasinseacutechange drsquoinformations partage de responsabiliteacutes datamining intranet web mondialetc Lrsquoimpact de tout ceci on le voit bien dans un graphique comparant un hypermarcheacutefranccedilais moyen et un supercenter Wal-Mart moyen crsquoest-agrave-dire une formule de Wal-Martcommercialisant des produits alimentaires et non-alimentaires comme un hypermarcheacute

Le hasard fait qursquoavec un dollar agrave 6 F un Wal-Mart de 1996 faisait exactement lemecircme chiffre drsquoaffaires qursquoun hyper franccedilais 420 MF Mais on voit qursquoaucun paramegrave-

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tre nrsquoest comparable Lrsquohypermarcheacute nrsquooptimise pas le flux de marchandises et trouveun eacutequilibre eacuteconomique par une forte rentabiliteacute du capital investi (CAmsup2) et par uneforte productiviteacute du personnel Lrsquoaxe de rationalisation de Wal-Mart est au contrairela rotation du capital circulant les stocks tournent 25 fois dans lrsquoanneacutee contre 10 enFrance Et il y a 2 fois plus de personnel pour faire le mecircme chiffre drsquoaffaires

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Septiegraveme thegravese LrsquoEurope doit tourner la page de la laquo socieacuteteacute drsquoinformation raquo

Le commerce eacutelectronique et lrsquoinformatisation des eacutechanges sont une eacutetape essen-tielle pour lrsquoEurope Lrsquoenjeu est drsquoacceacuteleacuterer la rotation des stocks drsquoacceacuteleacuterer la circula-tion de la monnaie drsquoacceacuteleacuterer la circulation du capital Une dynamique forte tendantau plein-emploi est agrave attendre de cette politique

Lrsquoessentiel est une affaire de comportement drsquoentreprises mais les pouvoirs publicsont un rocircle important agrave jouer Au niveau de lrsquoEurope deux prioriteacutes nous semblentsrsquoimposer La premiegravere est de tourner la page du thegraveme que lrsquoon appelle agrave Bruxelleslaquo socieacuteteacute drsquoinformation raquo et qui ordonne les moyens importants que lrsquoEurope consacreaujourdrsquohui agrave ces sujets Ce thegraveme a 3 inconveacutenients Il suggegravere qursquoil faudrait anticiperun futur alors que personne nrsquoest leacutegitime pour faire lrsquoingeacutenierie drsquoune socieacuteteacute nou-velle et qursquoil srsquoagit plus modestement drsquoaccompagner un preacutesent Il deacutebouche commele font souvent les anticipations technocratiques sur une focalisation des eacutenergies versdes enjeux non-marchands eacuteducation santeacute environnement transports urbainsCes sujets sont fondamentaux mais il ne faut pas vouloir les faire progresser indeacutepen-damment de la dynamique qui se met en place dans les entreprises pour faire face auxnouveaux rapports marchands Le thegraveme laquo socieacuteteacute de lrsquoinformation raquo a enfin lrsquoincon-veacutenient drsquoecirctre imbriqueacute dans toute une approche orgueilleuse de lrsquoimmateacuteriel dont ilest vital aujourdrsquohui de percer la baudruche Crsquoest un risque pour lrsquoeacuteconomie de sesatisfaire de la valorisation de lrsquoimmateacuteriel et du cycle lent des actifs Crsquoest un risquepour lrsquoemploi de confondre lrsquoavenir avec le seul tertiaire supeacuterieur de la connaissancedu savoir et de la communication en neacutegligeant le potentiel des meacutetiers du commerceet de lrsquoeacutechange ou en ne le traitant que dans le cadre de reacuteflexions sur les basses quali-fications

Mieux vaudrait aujourdrsquohui parler drsquoeacuteconomie que de socieacuteteacute de lrsquoinformation Celaveut-il dire que lrsquoEurope doit laisser de cocircteacute un message moral et solidariste qursquoelle sentde sa mission de tenir face agrave ce qui se passe aux Eacutetats-Unis Nullement Mais la prioriteacuteici serait drsquoidentifier intelligemment les sujets sur lesquels nous pouvons reacuteellementaffirmer notre conception du monde Mecircme en eacutetant favorables agrave lrsquoeacuteconomie de mar-cheacute il nrsquoest ainsi pas eacutevident de laisser les Eacutetats en dehors drsquoun grand deacutebat sur les frau-des et sur la seacutecuriteacute des paiements Le deacutebat ne serait-il pas assaini si les pouvoirspublics passaient agrave la vitesse supeacuterieure en matiegravere de lutte contre la mafia et lrsquoargentsale

Mais crsquoest sur le terrain des liberteacutes priveacutees et publiques que lrsquoEurope peut le mieuxsrsquoaffirmer Nombre de pays drsquoEurope ont une leacutegislation laquo informatique et liberteacutes raquo etlrsquoUnion europeacuteenne a adopteacute une directive en ce sens Ce nrsquoest pas le cas des Eacutetats-UnisPourtant les sondages montrent que la crainte drsquoune traccedilabiliteacute trop grande est deve-

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nue lrsquoobstacle numeacutero 1 agrave une extension du commerce eacutelectronique et qursquoune majo-riteacute des internautes ameacutericains est deacutesormais favorable agrave une loi comparable agrave ce quiexiste en Europe Sur le fond lrsquoexistence de telles leacutegislations nrsquoest pas contradictoiremdash bien au contraire mdash avec les tendances les plus innovantes du marketing personna-liseacute et laquo one-to-one raquo que permet la technologie Au-delagrave de la consommation demasse la question est en effet de savoir si nous allons vers lrsquoindividualisation (crsquoest agravedire le ciblage des comportements par des technologies centrales) ou vers la personna-lisation (crsquoest-agrave-dire la liberteacute de choix de simulation et de reconfiguration des offrespar une technologie aux mains des personnes)

Les lois laquo Informatique et Liberteacutes raquo favorisent la seconde tendance au deacutetriment dela premiegravere Mais crsquoest la voie la plus novatrice dans les eacutevolutions en cours et lrsquoEuropea la possibiliteacute sur ce sujet drsquoaffirmer sa vision et de la placer au centre de lrsquoeacutevolutiondes marcheacutes et de lrsquoeacuteconomie

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YARDENI Ed Dr Ed Yardenis Economics Network httpwwwyardenicom

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Note de lrsquoeacutediteur

La recherche entreprise pour ce Cahier LASER consacreacute agrave la nouvelle eacuteconomie a eacuteteacutemeneacutee par le GIE RECHERCHE HAUSSMANN cellule de recherche et drsquoinnovation techno-logique de LASER Conduite pour lrsquoessentiel sur lrsquoInternet source ineacutepuisable drsquoinfor-mations elle srsquoest accompagneacutee drsquoun suivi de la presse et des publications sur lanouvelle eacuteconomie et les thegravemes associeacutes Elle srsquoest par ailleurs appuyeacutee sur laquo les Jour-neacutees drsquoeacutetudes drsquohistoire eacuteconomiques organiseacutee par le laboratoire Isys-Matisse (Uniteacutede recherche CNRS de lrsquoUniversiteacute Paris 1 Pantheacuteon Sorbonne) sous le titrelaquo Transformations de la division du travail et nouvelles reacutegulations raquo

Tous les textes qui sont ici traduits et reproduits proviennent du World Wide Web desites acadeacutemiques ou de sites des eacutediteurs qui doublent leurs publications commercia-les par une eacutedition en ligne librement accessible

Le foisonnement des sources lrsquoabondance des ramifications et lrsquohistoire se faisantdans le mecircme temps que lrsquoinvestigation toute intention drsquoexhaustiviteacute si lrsquoon y avaitsongeacute eacutetait exclue Pour tous les textes qui nrsquoeacutetaient pas libres de droit lrsquoautorisationdes auteurs a eacuteteacute systeacutematiquement recueillie Nous tenons agrave les remercier

Au bout du compte crsquoest parmi plusieurs dizaines drsquoarticles de grand inteacuterecirct qursquoil afallu trouver un chemin avec deux principes directeurs pour la seacutelection finale de cestextes qursquoils contribuent agrave se former une ideacutee aussi claire que possible des theacutemati-ques de fond de la nouvelle eacuteconomie que leur arrangement permette de rendrecompte drsquoune geacuteneacutealogie en mecircme temps que drsquoun mouvement drsquoideacutees et reflegraveteautant que possible les arriegravere-plans du deacutebat ameacutericain

Dans le cadre que nous nous eacutetions fixeacute nous avons ducirc renoncer agrave de nombreuses con-tributions Il nous a ainsi fallu deacutelaisser agrave regret certains textes au caractegravere fondateurcomme laquo The New Wave Manifesto raquo de Edward Yardeni qui propheacutetisa en octobre1988 le renouveau du deacuteveloppement eacuteconomique des Eacutetats-Unis ou encore laquo TheLong Boom A History of the Future 1980-2020 raquo de Peter Schwartz et Peter Leydenqui paru dans Wired en juillet 1997 joua le rocircle drsquoun deacutetonateur de lrsquoespoir dans le cielameacutericain De mecircme il nous a fallu renoncer agrave des articles qui srsquoefforcent drsquoouvrir lesperspectives sur un apregraves de la nouvelle eacuteconomie tels Building Wealth de Lester Thu-row et Beyond the Information Revolution de Peter Drucker (parus dans The AtlanticMonthly respectivement en juin et en octobre 1999) On trouvera les reacutefeacuterences et lesliens pour tous ces articles dans la bibliographie

Les traductions ont eacuteteacute assureacutees par Olivier Le Goff

Eric BARCHECHATH

GIE RECHERCHE HAUSSMANN LASER

Cet ouvrage peut ecirctre obtenu aupregraves de LASER dans sa version papier ou teacuteleacutechargeacute depuis le site des Eacuteditions 00h00com dans sa version numeacuterique

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  • Cahiers LaSer ndeg3
    • Sommaire
    • Quest-ce que la nouvelle eacuteconomie Philippe Lemoine
      • Un deacutebat important
      • Trois paradoxes
      • Un cadre danalyse
        • Chapitre I La nouvelle eacuteconomie des lois aux paradoxes
          • De nouvelles regravegles pour la nouvelle eacuteconomie douze principes fiables pour prospeacuterer dans un monde turbulent Kevin Kelly
            • 1 La Loi de la Connexion
            • 2 La Loi de lAbondance
            • 3 La Loi de la Valeur Exponentielle
            • 4 La Loi des Points de Basculement
            • 5 La Loi des Rendements Croissants
            • 6 La Loi des Prix Inverseacutes
            • 7 La Loi de la Geacuteneacuterositeacute
            • 8 La Loi de lAlleacutegeance
            • 9 La Loi de la Reacutegression
            • 10 La Loi de la Substitution
            • 11 La Loi du Brassage
            • 12 La Loi de lInefficaciteacute
              • Y-a-t-il une nouvelle eacuteconomie Alan Greenspan
                • Chapitre II Le paradoxe de Solow
                  • Le paradoxe de Solow sur la productiviteacute en qui les ordinateurs contribuent-ils agrave la productiviteacute Jack E Triplett
                    • Contexte
                      • 1 On ne voit pas des ordinateurs laquo partout raquo au sens eacuteconomique et fort du terme
                      • 2 On a limpression et seulement limpression que les ordinateurs sont partout
                      • 3 On ne voit pas des ordinateurs partout mais leur contribution est peu mesureacutee dans certains secteurs eacuteconomiques qui sont
                      • 4 Que lon voie ou non des ordinateurs partout une partie du travail reacutealiseacute par ceux-ci nest pas comptabiliteacutee dans les s
                      • 5 On ne voit pas encore les ordinateurs dans les statistiques de productiviteacute mais il suffit dattendre un peu
                      • 6 On voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productiviteacute parce que les ordinateurs ne sont pas aussi pro
                      • 7 Il ny a pas de paradoxe certains eacuteconomistes eacutevaluent les innovations et les nouveaux produits sur une eacutechelle arithmeacutet
                        • Chapitre III Le paradoxe du Nairu
                          • La capitulation de la politique eacuteconomique James K Galbraith
                            • Le consensus de la droite sur lemploi et linflation
                            • Ougrave se trouve le taux naturel de chocircmage
                            • Nairu avec un N comme Nomade
                            • Les libeacuteraux ont perdu sur le front de loffre
                            • La macroeacuteconomie dans un monde structuraliste
                              • Agrave quelle vitesse leacuteconomie ameacutericaine peut-elle croicirctre Paul Krugman
                                • Pourquoi leacuteconomie a-t-elle une laquo limite de vitesse raquo
                                • Les paradoxes de la productiviteacute
                                • Mondialisation et inflation
                                • Le succegraves dun paradigme
                                  • Vitesse-limite Reacutealiteacutes et fictions dans le deacutebat sur la croissance Alan S Blinder
                                    • Plus vite agrave court terme
                                    • La perspective agrave long terme
                                    • Le ralentissement de laugmentation de productiviteacute
                                    • Ce que peut faire une politique intelligente
                                        • Chapitre IV Le paradoxe boursier
                                          • Est-ce une bulle Edward Yardeni
                                          • Une succession de corrections Edward Yardeni
                                            • Le vaisseau spatial de la net-eacuteconomie passe agrave la vitesse Warp II
                                            • Naissance dune nouvelle eacuteconomie Sept thegraveses sur leacuteconomie de marcheacute agrave lacircge du commerce eacutelectronique Philippe Lemoine
                                            • Titres de participation analyse des mouvements de fonds
                                              • Naissance dune nouvelle eacuteconomie Sept thegraveses sur leacuteconomie de marcheacute agrave lacircge du commerce eacutelectronique Philippe Lemoine
                                                • Bibliographie
                                                • Note de leacutediteur
                                                  • Petit guide pdf
Page 3: La nouvelle Economie et ses Paradoxes

Cahier LASER ndeg3

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

LASER66 rue des Archives

75 003 Paris

copy LASER 2000

Cet ouvrage a eacuteteacute reacutealiseacute par les Eacuteditions 00h00compour le compte de LASER 66 rue des Archives 75 003 Paris

ISBN 2-7454-0369-9

5

Sommaire

Qursquoest-ce que la nouvelle eacuteconomie

PHILIPPE LEMOINE 7

Chapitre 1 La nouvelle eacuteconomie des lois aux paradoxes

De nouvelles regravegles pour la nouvelle eacuteconomie

KEVIN KELLY29

Question Y-a-t-il une nouvelle eacuteconomie

ALAN GREENSPAN 55

Chapitre 2 Le paradoxe de Solow

Le paradoxe de Solow sur la productiviteacute en quoi les ordinateurs contribuent-ils agrave la productiviteacute

JACK E TRIPLETT 71

Chapitre 3 Le paradoxe du NAIRU

La capitulation de la politique eacuteconomique

JAMES K GALBRAITH 113

Agrave quelle vitesse lrsquoeacuteconomie ameacutericaine peut-elle croicirctre

PAUL KRUGMAN 125

Vitesse-limite reacutealiteacutes et fictions dans le deacutebat sur la croissance

ALAN S BLINDER 137

Chapitre 4 Le paradoxe boursier

Est-ce une bulle

EDWARD YARDENI 149

Cahiers LASER ndeg3

6

Une succession de corrections

EDWARD YARDENI 159

Naissance drsquoune nouvelle eacuteconomie sept thegraveses sur lrsquoeacuteconomie de marcheacute agravelrsquoacircge du commerce eacutelectronique

PHILIPPE LEMOINE 167

Bibliographie 179

Note de lrsquoeacutediteur 183

7

Qursquoest-ce que la nouvelle eacuteconomie

Philippe LEMOINE1

Dans les milieux financiers qui srsquointeacuteressent agrave Internet il existe une notion agrave laquelleon se reacutefegravere pour appreacutecier la valeur drsquoune entreprise le laquo cash burning raquo crsquoest-agrave-direla vitesse avec laquelle une entreprise a brucircleacute le cash les liquiditeacutes qursquoelle a leveacutees Lefait mecircme que lrsquoon puisse utiliser sans distance une telle notion teacutemoigne drsquoun senti-ment drsquoacceacuteleacuteration de rapiditeacute drsquoinsignifiance Une anneacutee Internet durerait un tri-mestre trois mois du temps classique

Tout deacutefile agrave un tel rythme que lrsquoon peut se demander srsquoil nrsquoy a pas eacutegalement unlaquo concept burning raquo une vitesse avec laquelle la socieacuteteacute brucircle les concepts qursquoelle a misen avant Lrsquoexpression de laquo nouvelle eacuteconomie raquo est menaceacutee par ces flammes Elle estaujourdrsquohui sous les feux de lrsquoactualiteacute Mais tout se consume agrave grande vitesse Un jourla nouvelle eacuteconomie va bien Le lendemain la nouvelle eacuteconomie descend aux enfersVa-t-elle srsquoaffirmer ou va-t-elle disparaicirctre

Pour reacutepondre agrave cette question il faudrait savoir ce qursquoest la nouvelle eacuteconomie Est-ce seulement une expression gadget qui scintille pour quelques mois dans les meacutedias Mais dans ce cas on srsquoeacutetonne que la notion ait pris forme dans des deacutebats mobilisantde tregraves grands eacuteconomistes ameacutericains Est-ce alors un concept scientifique deacutesignantclairement un nouvel horizon du monde Un manque certain de rigueur dans les ter-mes le choix de tailler large suggegraverent plutocirct qursquoil srsquoagit drsquoune notion en devenirQursquoest-ce donc que la nouvelle eacuteconomie

Un deacutebat important

Une question theacuteorique sous-jacente agrave ces interrogations sur la nouvelle eacuteconomiecrsquoest la question des relations entre la technologie drsquoune part lrsquoeacuteconomie et la socieacuteteacutedrsquoautre part Depuis plus de deux siegravecles il srsquoagit drsquoun point sensible difficile agrave analyseret sur lequel srsquoaccrochent des controverses fondamentales sur le deacuteterminisme sur lerocircle des hommes sur la conception de lrsquoHistoire Malgreacute de nombreux travaux philoso-

1 Philippe LEMOINE est Preacutesident de LASER

Cahiers LASER ndeg3

8

phiques socio-eacuteconomiques eacutepisteacutemologiques la question nrsquoa fait que se complexifierDeux eacutevolutions contemporaines viennent en effet intensifier la difficulteacute de lrsquoanalyseLrsquoeacutevolution drsquoabord de la nature mecircme de la technologie Les technologies drsquoinforma-tion nrsquoont pas le mecircme mode de relation avec leur environnement que les technologiesmeacutecaniques drsquohier Elles traitent des informations elles sont programmables elles favo-risent lrsquointeractiviteacute il est clair que tout ceci soulegraveve de nouveaux enjeux et suppose descadres drsquoanalyse bien diffeacuterents des scheacutemas fondeacutes sur la causaliteacute meacutecanique simple

Lrsquoautre eacutevolution concerne les domaines de la vie eacuteconomique et sociale sur lesquelssrsquoapplique la progression des technologies drsquoinformation Depuis lrsquoinvention de lrsquoordi-nateur il y a plus de 50 ans les technologies drsquoinformation se sont en effet organiseacuteessur le modegravele de la tornade Un mouvement de spirale inteacutegrateur de plus en plusrapide assure la convergence de diffeacuterentes technologies autour drsquoun mecircme standardnumeacuterique informatique teacuteleacutecommunication audio-visuel robotique bureauti-que etchellip En mecircme temps la tornade progresse et son centre de graviteacute se deacuteplaceAvant-hier le centre de graviteacute crsquoeacutetait lrsquousine et lrsquounivers de la production Hier crsquoeacutetaitle bureau et le processus de gestion des entreprises Aujourdrsquohui le centre de graviteacute dela tornade agrave lrsquoegravere drsquoInternet crsquoest lrsquounivers de lrsquoeacutechange dans ses diffeacuterentes dimen-sions marchandes et non-marchandes

Agrave chaque eacutetape lrsquoanalyse devient de plus en plus compliqueacutee Mecircme srsquoil srsquoagissait detechnologies nouvelles on avait le sentiment de savoir raisonner tant que lrsquoon eacutetaitdans lrsquounivers de la production et de lrsquousine lieu de croissance de lrsquoeacuteconomie moderneet lieu de reacutefeacuterence de tant de travaux sociologiques Avec les bureaux et la gestion celadevenait plus compliqueacute Avec lrsquounivers de lrsquoeacutechange on entre dans des terres beau-coup moins connues ougrave il existe de grandes zones impenseacutees des gouffres et desdeacuteserts ougrave lrsquoon approche des meacutecanismes de la deacutepense et de ce que Bataille appelaitla laquo part maudite raquo de lrsquoeacuteconomie politique1

Le premier inteacuterecirct de cette notion de laquo nouvelle eacuteconomie raquo est preacuteciseacutement lagrave Mal-greacute lrsquoimpreacutecision du terme il srsquoagit drsquoun projet ambitieux penser lrsquoincidence des tech-nologies drsquoinformation sur lrsquoeacuteconomie au moment mecircme ougrave leur impact se centre surlrsquounivers de lrsquoeacutechange Certes la lecture quotidienne des journaux nous habitue agrave uneconception bien plus banale de ce qursquoest la nouvelle eacuteconomie Ce serait un secteurune autre faccedilon de parler de la high tech avec juste une heacutesitation de boursier faut-ilmettre dans le mecircme sac ou dans le mecircme indice toutes les valeurs TMT (TechnologiesMeacutedias Teacuteleacutecommunications) ou faut-il faire un sort particulier aux laquo pure players raquodu monde Internet Nous reviendrons sur ces questions mais affirmons-le drsquoentreacuteede jeu le deacutebat sur la nouvelle eacuteconomie ce nrsquoest pas cela cela nrsquoa jamais eacuteteacute cela Agravelrsquoopposeacute drsquoune vision laquo sectorielle raquo opposant les secteurs de la nouvelle et de

1 Georges Bataille La Part maudite Eacuteditions de Minuit 1967

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

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lrsquoancienne eacuteconomie il srsquoagit drsquoune interrogation sur les transformations en profon-deur qui affectent de maniegravere transversale toute la structure eacuteconomique

Il peut drsquoailleurs paraicirctre eacutetrange que la grille de lecture soit agrave ce point eacuteconomiqueIl y a 20 ans alors que les technologies transformaient un univers drsquoentreprise et deproduction beaucoup drsquointerrogations gravitaient autour de lrsquoexpression laquo socieacuteteacutedrsquoinformation raquo Aujourdrsquohui alors que ce qui est en cause crsquoest lrsquoeacutechange avec toutesses dimensions sociales culturelles politiques on veut srsquoen tenir agrave la laquo nouvelleeacuteconomie raquo Pourquoi Nrsquoy a-t-il pas lagrave un certain reacuteductionnisme

De fait une reacutegion du monde comme la Silicon Valley fait apparaicirctre des reacutealiteacutessociologiques de plus en plus contrasteacutees et il serait hors de question de les laisser horschamp Lrsquoacceacuteleacuteration des ineacutegaliteacutes fait partie de ces reacutealiteacutes Les riches sont de plus enplus riches dans la Silicon Valley et lrsquoon y deacutenombre des dizaines de milliers de million-naires en dollars Drsquoun autre cocircteacute ce nrsquoest pas exactement que les pauvres soient deplus en plus pauvres (ce deuxiegraveme mouvement semble dailleurs stabiliseacute sur lrsquoensem-ble des Eacutetats-Unis depuis environ 5 ans) Le pheacutenomegravene crsquoest plutocirct que les salarieacutesclassiques et notamment les salarieacutes des institutions publiques (professeurs drsquouniver-siteacutes instituteurs pompiers policiers) ont de plus en plus de mal agrave vivre dans cetendroit Souvent ils nrsquoarrivent mecircme plus agrave se loger tant les prix de lrsquoimmobilier ontflambeacute avec lrsquoenvoleacutee du pouvoir drsquoachat des riches Tout ceci creacutee des situationsdeacutecousues tendues preacuteoccupantes

Pour autant il ne semble pas qursquoil soit aujourdrsquohui possible de globaliser et de privileacute-gier agrave grande eacutechelle des cleacutes de lecture sociologiques Les travaux prospectifs de DanielBell1 ou drsquoAlain Touraine2 sur la laquo socieacuteteacute post-industrielle raquo sont des phares qui ont puis-samment eacuteclaireacute lrsquoavenir et qui se reacutevegravelent tregraves justes reacutetrospectivement Il faut cepen-dant se meacutefier de vouloir faire dire trop tocirct agrave la socieacuteteacute ce qursquoelle ne peut pas encoreincarner On a ainsi longuement gloseacute sur la laquo socieacuteteacute drsquoinformation raquo Mais qui la con-naicirct qui lrsquoa vue et qui parle pour elle Il y a des dangers de deacuterive et de manipulation agravece genre drsquoexpression et la formule laquo socieacuteteacute drsquoinformation raquo en a favoriseacute au moins trois

Il y a eu la deacuterive technocratique agrave la fin des anneacutees 70 avec le plan industriel que leJapon avait mis en œuvre sous le nom de laquo plan for information society raquo Il srsquoagissaitdrsquoanticiper la progression des technologies drsquoinformation et de mettre en œuvre desplans drsquoeacutequipement dans des secteurs socieacutetaux non-marchands (eacuteducation santeacutetransport environnement) afin de financer agrave lrsquoabri de la compeacutetition le deacuteveloppementdrsquoune industrie informatique nationale En France cette vision de la laquo socieacuteteacutedrsquoinformation raquo ne fut pas sans eacutecho et tout lrsquoenjeu du rapport Nora-Minc3 consista agrave

1 Daniel Bell Vers la socieacuteteacute post-industrielle Robert Laffont 19762 Alain Touraine La Socieacuteteacute post-industrielle Denoeumll 19693 Simon Nora Alain Minc LrsquoInformatisation de la socieacuteteacute La Documentation franccedilaise 1978

Cahiers LASER ndeg3

10

maintenir la probleacutematique objective drsquoune laquo informatisation de la socieacuteteacute raquo plutocirct quedrsquoaccepter au nom drsquoune socieacuteteacute imaginaire en devenir de mettre en œuvre des grandsplans dirigistes avec des risques consideacuterables sur les eacutequilibres de la socieacuteteacute reacuteelle

Agrave la fin des anneacutees 80 il y a eu la deacuterive europeacuteenne avec la maniegravere dont la Com-mission srsquoest empareacutee de la socieacuteteacute drsquoinformation comme drsquoun drapeau Agrave lrsquoorigine ily avait drsquoailleurs quelque chose de sympathique dans cette deacutemarche Dans la peacuteriodeReagan les Eacutetats-Unis se concentraient sur une vision militaire de la technologie ettoute la recherche gravitait autour du programme laquo guerre des eacutetoiles raquo Il eacutetait con-forme au message de paix qui anime lrsquoEurope de promouvoir une conception civile duprogregraves technologique mais en mecircme temps lrsquoexpression laquo socieacuteteacute drsquoinformation raquojouait avec une certaine tradition laquo sociale raquo de lrsquoEurope et pouvait faire naicirctre des illu-sions quant au rocircle de la concertation entre forces sociales organiseacutees et quant agrave la maicirc-trise macroscopique des transformations technologiques en cours1

Assez curieusement on assiste aujourdrsquohui agrave une troisiegraveme deacuterive dont lrsquooriginereacuteside dans le lobby des stock-options Lrsquoopinion publique et les gouvernements reacuteagis-sent en effet assez neacutegativement dans plusieurs pays europeacuteens aux meacutecanismesdrsquoenrichissement rapide de la nouvelle eacuteconomie Drsquoougrave la construction dans nos paysde toute une rheacutetorique qui remet agrave la mode les expressions de laquo socieacuteteacutedrsquoinformation raquo de laquo socieacuteteacute du savoir raquo drsquo laquo eacuteconomie de la connaissance raquo Il srsquoagiten quelque sorte de leacutegitimer la richesse en se reacutefeacuterant aux mots et aux valeurs de lasocieacuteteacute mandarinale Il nrsquoest pourtant pas certain du tout que lrsquoinformatisation de lacommunication et que le commerce eacutelectronique se traduisent par un rocircle tellementplus eacuteminent de la connaissance et du savoir dans le fonctionnement de la socieacuteteacute

Drsquoune certaine maniegravere lrsquoexpression ameacutericaine de laquo nouvelle eacuteconomie raquo paraicirctplus approprieacutee et sans doute plus saine On peut comprendre qursquoelle eacutenerve les cher-cheurs et les intellectuels franccedilais par son cocircteacute trop facile Elle est de surcroicirct agrave mani-puler avec preacutecaution car nombre drsquointeacuterecircts industriels ou financiers en ont fait lapromotion pour des raisons diverses De mecircme le pouvoir politique ameacutericain a peut-ecirctre participeacute drsquoun certain cynisme en reacutecupeacuterant une expression porteuse

Mais ce qui importe ce nrsquoest pas cela Ce qui compte crsquoest qursquoaux Eacutetats-Unis denombreux esprits srsquoattachent agrave comprendre quelque chose de reacuteel et qui nrsquoest pas facileagrave penser Apregraves pregraves de 10 ans de croissance et de prospeacuteriteacute ininterrompues les eacuteco-nomistes srsquointerrogent Drsquoougrave vient cette croissance et nrsquoy a-t-il pas un lien avec le fortdeacuteveloppement des technologies Pourquoi dure-t-elle assiste-t-on agrave lrsquoallongementdes cycles eacuteconomiques voire agrave leur disparition La structure eacuteconomique nrsquoest-ellepas en train de changer de logique comme cela a eacuteteacute le cas lors de la bascule qursquoa eacuteteacute lareacutevolution industrielle

1Dominique Wolton Internet et apregraves Une theacuteorie critique des nouveaux meacutedias Paris Flammarion 1999

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Autour de tout cela il nrsquoy a pas de certitudes Il y a du travail il y a des questions ily a des oppositions Crsquoest pourquoi il paraissait important de consacrer un laquo cahierLaSer raquo agrave faire connaicirctre certains textes qui ont jalonneacute et structureacute ce deacutebat sur la nou-velle eacuteconomie Notre ambition est chaque anneacutee de contribuer agrave faire progresser lesinterrogations et les deacutebats sur lrsquoeacutetape actuelle de la mutation technologique Le cahierLaSer ndeg1 srsquointitulait laquo Self-service mondial ou nouvelle eacuteconomie de services raquo Lecahier LaSer ndeg2 portait sur laquo Commerce eacutelectronique marketing et liberteacutes raquo Le preacute-sent cahier porte sur laquo La nouvelle eacuteconomie et ses paradoxes raquo En livrant des textesque leurs auteurs nous ont aimablement autoriseacutes agrave traduire il srsquoagit de contribuer agraveasseoir un champ de reacuteflexion et drsquoinciter agrave aller plus loin

Trois paradoxes

Un signe du doute qui habite les diffeacuterentes parties prenantes du deacutebat sur la nouvelleeacuteconomie crsquoest qursquoils travaillent sur des contradictions ou sur des paradoxes Appli-quant une vision drsquoingeacutenieur agrave la compreacutehension de lrsquoeacuteconomie les commentateurs dela laquo reacutevolution de lrsquoinformation raquo srsquoen eacutetaient longtemps tenus agrave se reacutefeacuterer agrave des loisChacun cherchait agrave formuler une loi qui aurait borneacute un angle du nouveau paysage

Toute une litteacuterature sur les technologies drsquoinformation srsquoen tient ainsi agrave deux gran-des lois qui structureraient le nouveau paysage eacuteconomique La premiegravere la loi deMoore deacutecrit la progression exponentielle de la puissance des composantseacutelectroniques tous les 18 mois eacutenonce cette loi on assiste agrave un doublement du rap-port performanceprix des composants Formuleacutee degraves les anneacutees 60 cette loi srsquoest reacuteveacute-leacutee vraie et il srsquoen deacuteduit bien eacutevidemment tout un ensemble de conseacutequences sur larapiditeacute des progregraves de la technologie sur lrsquoaccessibiliteacute croissante de leur appropria-tion sur la sophistication sans limite des logiciels et des systegravemes de grande diffusion

Lrsquoautre loi qui balise nombre de reacuteflexions prospectives est la loi de Metcalfe Cetteloi exprime le fait que lrsquoactiviteacute drsquoun reacuteseau mailleacute progresse comme le carreacute du nombrede personnes qui y sont relieacutees De fait un reacuteseau de communication qui a un seul uti-lisateur nrsquoa aucun trafic Lrsquoactiviteacute ne commence qursquoavec deux personnes mais avec unmillion drsquointervenants lrsquoactiviteacute nrsquoest pas seulement multiplieacutee par 500 000 mais parconsideacuterablement plus car chaque utilisateur peut correspondre deux agrave deux La loi deMoore et la loi de Metcalfe sont au cœur de lrsquoexpansion rapide de lrsquoeacuteconomie Internet

Avec cette faccedilon de raisonner on est neacuteanmoins dans une sorte de preacutehistoire dudeacutebat eacuteconomique sur les technologies drsquoinformation Il srsquoagit de points de vuedrsquoacteurs de la technologie qui reacutefleacutechissent sur leur meacutetier Gordon Moore eacutetait un

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des fondateurs drsquoIntel Robert Metcalfe eacutetait un fondateur de 3Com Ceci nrsquoenlegraveverien agrave leur meacuterite bien au contraire ni agrave lrsquointeacuterecirct de leurs propositions Mais on nrsquoentredans un veacuteritable deacutebat eacuteconomique qursquoavec des eacuteconomistes qui appreacutehendent Inter-net et les technologies drsquoinformation agrave partir de concepts et de probleacutematiques issuesde lrsquoeacuteconomie politique elle-mecircme

Crsquoest ce changement qui a lieu avec lrsquointerrogation sur la nouvelle eacuteconomie Ce sontdes eacuteconomistes qui srsquoexpriment qursquoils soient universitaires eacuteditorialistes eacuteconomistesen chef dans des institutions financiegraveres responsables de banques centrales Les perspec-tives theacuteoriques srsquoeacutetoffent Les raisonnements font lrsquoaller-retour entre des faits et des con-naissances Signe manifeste de ce changement on ne srsquoexprime plus sous forme delaquo lois raquo mais sous forme de laquo paradoxes raquo Prenant enfin la technologie comme objet cen-tral de leurs travaux les eacuteconomistes traduisent le fait qursquoils en sont encore au stade desinterrogations et de la construction des objets theacuteoriques Ne mentionnant pas moins de12 laquo lois raquo le texte de Kevin Kelly paru dans Wired illustre lrsquoancien versant de cette appro-che de la nouvelle eacuteconomie avec des formulations drsquoailleurs tregraves stimulantes Le textedrsquoAlan Greenspan Preacutesident de la Fed est une bonne expression du nouveau versant ougravelrsquoon ne srsquoattarde pas sur les causes technologiques mais ougrave lrsquoon veut eacuteclairer les contrain-tes entre lesquelles se joue lrsquoavenir Plus caricatural il aurait eacuteteacute possible de citer StephenShepard reacutedacteur en chef de Business Week agrave la fois lyrique et concis sur le thegraveme favoride son magazine laquo La limite de la croissance passe de 2-25 agrave 3-35 un point de plus decroissance crsquoest ce que veut dire la nouvelle eacuteconomie Rien de plus rien de moins raquo1

Dans le cadre du preacutesent Cahier nous avons rassembleacute les textes que nous avions seacutelec-tionneacutes autour de trois grands paradoxes le paradoxe de Solow le paradoxe du NAIRU le paradoxe boursier Ce sont les deacutebats autour de ces trois grands paradoxes qui structu-rent en effet le contenu intellectuel de cette interrogation sur la nouvelle eacuteconomie

Le premier paradoxe le paradoxe de Solow joue un rocircle central

Il est contenu dans le constat que Robert Solow Prix Nobel drsquoeacuteconomie avait faiten 1987 laquo Des ordinateurs on en voit partout sauf dans les statistiques de producti-viteacute de la comptabiliteacute nationale raquo Travaillant sur un rapport relatif agrave lrsquoincidence de latechnologie sur la productiviteacute et lrsquoemploi Solow notait le fort deacutecalage entre les per-formances techniques toujours croissantes drsquoordinateurs toujours plus nombreux etune progression annuelle de la productiviteacute ameacutericaine qui avait fortement chuteacute (de26 en moyenne de 1950 agrave 1972 agrave 11 en moyenne de 1972 agrave 1995) De nom-breux blocages expliquaient ce pheacutenomegravene freins sociologiques (craintes pourlrsquoemploi) contraintes reacuteglementaires (monopoles publics et priveacutes) comportementsprofessionnels (corporatismes divers) Une eacutetude meneacutee en France agrave la fin desanneacutees 70 illustre excellemment le paradoxe de Solow Conduite par Claude Salzman

1 Stephen B Shepard The New economy what it really means Business Week novembre 1997

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pour la CEGOS1 cette eacutetude portait sur lrsquoinformatisation des fonctions comptables dansles grandes entreprises et faisait apparaicirctre que plus une entreprise informatisait sacomptabiliteacute plus elle employait de comptables Le groupe professionnel des compta-bles occupait en effet une position sociologique telle qursquoil pouvait obtenir que les gainsde performances reacutesultant de la technologie soient consacreacutes non agrave des suppressionsdrsquoemplois mais agrave des sophistications drsquoeacutetats comptables geacuteneacuterant agrave leur tour des creacutea-tions drsquoemplois pour les manipuler et les interpreacuteter

Crsquoest de cette situation que lrsquoeacuteconomie ameacutericaine semble ecirctre sortie avec des crois-sances fortes de la productiviteacute horaire du travail depuis 1996 de lrsquoordre de 25 agrave 3 par an Il srsquoagit lagrave drsquoun point cleacute pour lrsquoappreacuteciation drsquoune nouvelle eacuteconomie mais cenrsquoest pas un point certain Robert Solow lui-mecircme exprime ses doutes laquo Il est naturelde suspecter que cette acceacuteleacuteration de la croissance de la productiviteacute soit la conseacute-quence tant espeacutereacutee et attendue des technologies drsquoinformation en geacuteneacuteral ordina-teurs Internet etc Je pense que crsquoest probablement exact Il est tout agrave fait possible quece soit la fin du ldquo paradoxe des ordinateurs rdquo Mais je nrsquoen suis pas sucircr raquo2

Les chiffres sont frappants et lrsquoexplication theacuteorique paraicirct claire Degraves lors que latechnologie nrsquoest pas seulement une machine agrave productiviteacute mais qursquoelle peacutenegravetrelrsquoeacutechange et qursquoelle contribue agrave ouvrir de nouveaux deacuteboucheacutes beaucoup de blocagesdisparaissent qui empecircchaient lrsquoexteacuteriorisation des gains de productiviteacute Il srsquoagiraitdrsquoun pheacutenomegravene comparable agrave ce qursquoa connu la reacutevolution industrielle avec tous lesblocages qui ont entraveacute les machines agrave vapeur et les meacutetiers agrave tisser avant que lesmecircmes principes technologiques ne donnent naissance au chemin de fer et au deacutecloi-sonnement des marcheacutes avec de nouvelles voies de communication

Pourquoi ce doute alors sur les gains de productiviteacute Il y a agrave cela deux grandes rai-sons Drsquoabord les gains de productiviteacute semblent avant tout tireacutes par le secteur des tech-nologies drsquoinformation lui-mecircme plutocirct que par les autres secteurs de lrsquoeacuteconomieDans un article reacutecent de REXECODE3 Michel Didier le souligne en citant des travauxdrsquoailleurs partiellement contradictoires les travaux de Robert Gordon tout drsquoabordqui font apparaicirctre des gains de productiviteacute de 417 par an de 1995 agrave 1999 dans lesecteur mecircme des mateacuteriels informatiques contre 22 dans lrsquoensemble de lrsquoeacutecono-mie et seulement 15 dans les services les travaux de Kevin Stiroh par ailleurs quiadmet un accroissement de la productiviteacute du travail dans ces secteurs utilisateursmais avec un freinage de la productiviteacute globale des facteurs car ces secteurs utilisenttoujours plus de capital et de technologies drsquoinformation pour accroicirctre la productiviteacuteapparente du travail

1Claude Salzman Tant qursquoil y aura des comptables Eacutetudes drsquoimpact de lrsquoinformatique sur lrsquoemploi comp-table- CEGOS 19782Interview par Annie Kahn Le Monde 18 avril 20003REXECODE Nouvelle eacuteconomie et nouvelles technologies Revue REXECODE ndeg66 1er trimestre 2000

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Lrsquoautre facteur de doute crsquoest le fait que tous ces travaux sur la productiviteacute sont fon-deacutes sur un appareillage statistique qui paraicirct de moins en moins adapteacute agrave la mesuredrsquoune eacuteconomie ougrave lrsquoon produit de moins en moins de biens mateacuteriels Crsquoest drsquoailleursla reacutevision de lrsquooutil de comptabiliteacute nationale ameacutericain qui est largement agrave lrsquooriginede ce que lrsquoon mesure lorsque lrsquoon parle drsquoune acceacuteleacuteration de la croissance aux Eacutetats-Unis Mais drsquoougrave cela vient-il Uniquement du fait que lrsquoon a appris agrave mieux distinguerlrsquoeffet prix et lrsquoeffet volume dans les statistiques relatives au secteur des technologiesdrsquoinformation Cette seule correction a apporteacute plus drsquoun point agrave la croissance du PIBameacutericain La correction eacutetait-elle surestimeacutee Dans ce cas il nrsquoy a plus de base au dis-cours sur la nouvelle eacuteconomie La correction eacutetait-elle insuffisante et nrsquoaurait-il pasfallu moderniser drsquoautres mesures dans drsquoautres secteurs de lrsquoeacuteconomie Dans ce casles distorsions sectorielles ne seraient plus perccedilues de la mecircme maniegravere et le deacutebat surla nouvelle eacuteconomie aurait au contraire encore plus de vigueur

Quoi qursquoil en soit ces questions drsquoarbitrage entre prix et volume sont essentielles etelles renvoient agrave une interrogation geacuteneacuterale sur ce qursquoest un systegraveme de valeurs et surce qursquoest un systegraveme de prix dans une eacuteconomie de plus en plus immateacuterielle Crsquoest ceqursquoexprime le deacutebat autour du second paradoxe de la nouvelle eacuteconomie le para-doxe du NAIRU du laquo non-accelerating inflation rate of unemployement raquo Litteacuteralementle taux du chocircmage qui nrsquoacceacutelegravere pas lrsquoinflation

Le paradoxe crsquoest que le chocircmage ameacutericain ait pu passer de 85 de la populationactive agrave 41 aujourdrsquohui sans que lrsquoon observe jusqursquoici de relance de lrsquoinflation Leseacuteconomistes disposent drsquoun instrument les courbes de Phillips qui eacutetablissent pour-tant une correacutelation eacutetroite entre chocircmage et inflation Lorsque lrsquoemploi progresse ilapparaicirct un point au-delagrave duquel des tensions apparaissent sur le marcheacute du travail etougrave lrsquoon assiste agrave une remonteacutee des revendications salariales voire tout simplement agraveune surenchegravere entre entreprises pour attirer les salarieacutes Il en reacutesulte une pousseacutee pro-gressive de lrsquoinflation

Aux frontiegraveres entre lrsquoeacuteconomie reacuteelle et lrsquoeacuteconomie financiegravere et moneacutetaire lescourbes de Phillips constituent un outil central pour les eacuteconomistes classiques Cesont ces courbes qui expliquent que tant de conjoncturistes attendent chaque mois leschiffres du chocircmage et en tirent ces conclusions qui choquent le sens commun Untrop bon chiffre de lrsquoemploi une trop forte baisse de chocircmage va apparaicirctre commeun signal alarmant Il peut se traduire par un tour de vis des autoriteacutes moneacutetaires et dela Fed qui vont monter les taux drsquointeacuterecirct et reacuteduire la liquiditeacute de lrsquoeacuteconomie Drsquounemaniegravere ou drsquoune autre ceci se traduira alors par une limitation des capitaux precircts agravesrsquoinvestir sur les marcheacutes financiers et donc par un recul de la Bourse

Le deacutebat sur le NAIRU est illustreacute par des textes de James Galbraith de Paul Krugmanet drsquoAlan Blinder Ils analysent le paradoxe du NAIRU agrave la lumiegravere constante du para-doxe de Solow Si lrsquoeacuteconomie est en effet entreacutee dans une phase drsquoacceacuteleacuteration conti-

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nue des gains de productiviteacute alors un haut niveau drsquoemploi ne deacutebouchera pasmeacutecaniquement sur des tensions inflationnistes La productiviteacute croissante des fac-teurs de production engendrera de la valeur ajouteacutee et non une deacuterive des prix Crsquoesten cela que lrsquointerrogation sur la nouvelle eacuteconomie est au cœur des interrogations surlrsquoabaissement du NAIRU Certes chacun sait que des facteurs exogegravenes ont joueacute un rocircledans la stabiliteacute des prix aux Eacutetats-Unis Depuis plusieurs anneacutees lrsquoeacuteconomie ameacuteri-caine fonctionne en effet avec une forte deacutesinflation importeacutee lieacutee pendant tout untemps agrave la baisse des matiegraveres premiegraveres puis au processus drsquoencheacuterissement du dollarLe prix relatif des produits importeacutes ne cesse de baisser contribuant significativementagrave la non-relance de lrsquoinflation

Alan Greenspan a su neacuteanmoins jouer habilement avec le paradoxe du NAIRU enmaintenant une interrogation positive sur le passage agrave une nouvelle eacuteconomie quirepousserait la laquo speed limit raquo la limite de vitesse ougrave lrsquoeacuteconomie est menaceacutee par lasurchauffe Cette eacutevocation en demi-teinte sur des changements structurels eacutetaitsans doute une excellente approche pour deacutevelopper la confiance en profondeur desacteurs eacuteconomiques On est neacuteanmoins surpris par la superficialiteacute des analyses etdes arguments eacutevoqueacutes autour de cet enjeu du NAIRU Les textes se reacutefegraverent agrave lrsquohypo-thegravese de la nouvelle eacuteconomie mais ils nrsquoanalysent pas les meacutecanismes intrinsegravequesde cette nouvelle croissance non-inflationniste En particulier on reste sur sa faimquant agrave lrsquoabsence de toute reacuteflexion sur la productiviteacute du capital Les travaux de Sti-roh citeacutes plus haut montrent pourtant que lrsquoon ne peut analyser aujourdrsquohui lrsquoeacutevo-lution de la productiviteacute du travail sans srsquointerroger sur la productiviteacute globale desfacteurs

Nous reviendrons sur les hypothegraveses plus personnelles que lrsquoon peut preacutesenter dansce deacutebat sur le NAIRU Il convient cependant deacutejagrave de souligner qursquoune interrogation surlrsquoinflation ayant pour incidence la monnaie et la Bourse ne devrait pas se passer drsquountravail sur la productiviteacute du capital et sur la rotation du capital circulant Le troisiegravemeparadoxe eacutetudieacute le paradoxe boursier supposerait en effet pour ecirctre correctementappreacutehendeacute de disposer de donneacutees robustes sur la rentabiliteacute du capital Les textespreacutesenteacutes ici sont drsquoEdward Yardeni eacuteconomiste en chef de la Deutsche Bank Ils per-mettent drsquoappreacutecier avant et apregraves le laquo e-krach raquo drsquoavril 2000 comment la bourse dis-tingue les modes de valorisation des entreprises appartenant agrave lrsquoancienne ou agrave lanouvelle eacuteconomie Aveuglement bulle speacuteculative ou calcul rationnel

Pendant pregraves de 40 ans nous nrsquoavions pas veacutecu de paradoxe boursier Du deacutebut desanneacutees 60 au deacutebut des anneacutees 80 les indices boursiers (deacuteflateacutes des prix agrave la con-sommation) avaient baisseacute drsquoun facteur 3 tandis que les taux drsquointeacuterecirct agrave long termetriplaient La baisse boursiegravere eacutetait agrave peu pregraves inverse de la hausse des taux drsquointeacuterecirctDans les 20 anneacutees suivantes on assiste en France et jusqursquoen 1998 au mouvementstrictement symeacutetrique REXECODE note que les taux agrave 10 ans passent de 16 agrave 5 et

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que lrsquoindice SBF 250 est multiplieacute par un peu plus de 3 (lettre du 15 avril 2000) LaBourse rejoint son niveau laquo normal raquo de valorisation celui drsquoil y a 40 ans apregraves unevaste fluctuation dont lrsquoanalyse correspond rigoureusement au mode drsquoanalyse clas-sique

Le paradoxe boursier nrsquoapparaicirct reacuteellement que durant lrsquoanneacutee 1999 avec une valori-sation hors normes accordeacutee agrave toutes les entreprises high tech et plus particuliegraverement agravecelles de la galaxie Internet Comme le note REXECODE laquo de 1995 agrave 1998 lrsquoindice Nasdaqcomposite eacutevoluait agrave peine plus rapidement que lrsquoindice Standard and Poorrsquos 500 De finoctobre 1999 au 14 avril 2000 le SP 500 augmente de 10 alors que le Nasdaq compo-site progresse drsquoenviron 40 et lrsquoindice Computer de 50 Sur la mecircme peacuteriodelrsquoEurostoxx augmente de 30 lrsquoEurostoxx Technologie de 80 Agrave Paris le SBF 250 aug-mente de pregraves de 30 le nouvel indice technologique ITCAC de 125 raquo

Cette distorsion dans les critegraveres drsquoappreacuteciation boursiegravere choque les points de vueles plus traditionnels qui srsquoidentifient plus aiseacutement agrave lrsquoancienne eacuteconomie qursquoagrave lanouvelle Dans Forbes David Dreman illustre ce genre de reacuteticences laquo Agrave la finde 1999 400 grandes entreprises Internet avaient une capitalisation boursiegravere de1000 milliards de dollars (27 de la valeur du Dow Jones) Ce groupe reacutealisait un chif-fre drsquoaffaires global de 29 milliards de dollars soit seulement 2 du chiffre drsquoaffairesdu Dow Jones Plus significatif ces valeurs Internet vont perdre collectivement9 milliards de dollars cette anneacutee alors que les valeurs du Dow vont probablementgagner pregraves de 150 milliards de dollars raquo (Forbes 17 avril 2000) Lrsquoimpression est qursquoily a vraiment deux poids deux mesures et que la valorisation des activiteacutes laquo nouvelleeacuteconomie raquo serait purement speacuteculative

Est-ce bien seulement cela pourtant Nous laisserons de cocircteacute les arguments empi-riques tendant agrave fournir des instruments de valorisation des activiteacutes Internet tout enjustifiant leur niveau eacuteleveacute Diffeacuterents points de vue se sont exprimeacutes sur des critegraverespertinents multiples du chiffre drsquoaffaires vitesse du laquo cash burning raquo theacuteorie desoptions valeur des portefeuilles-clients Il faut cependant noter que certains de ces cri-tegraveres ont un effet pernicieux car pour ecirctre mieux valoriseacutees les entreprises srsquoy confor-ment mecircme si crsquoest au prix drsquoune voie de deacuteveloppement biaiseacutee Tel est le cas de cetoutil agrave manier avec une grande preacutecaution qursquoest la notion de valeur du client acquisAu nom de cet outil des entreprises immobilisent ce qursquoelles appellent un capitalimmateacuteriel mais dont il srsquoavegravere souvent qursquoil est tregraves volatile Pour conforter cet actifet pour mieux le valoriser sur les marcheacutes financiers les entreprises sont de surcroicirctinciteacutees agrave stocker et agrave traiter de grandes quantiteacutes drsquoinformations sur les personnesbien souvent beaucoup plus qursquoelles ne savent en utiliser sur un plan opeacuterationnelsoulevant par contre des problegravemes bien reacuteels drsquoinformatique et de liberteacutes1

1 Commerce eacutelectronique marketing et liberteacutes Cahier LaSer ndeg2 Eacuteditions 00h00 1999

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On peut consideacuterer les choses autrement Reacutepondant par avance aux arguments deForbes Masayoshi Son le patron de Softbank le principal acteur asiatique dans ledomaine Internet srsquointerrogeait ainsi au deacutebut de lrsquoanneacutee laquo Qursquoest-ce qui estirrationnel Est-ce vraiment que les valeurs Internet soient capitaliseacutees 1000 milliardsde dollars Ou est-ce que ce nrsquoest pas que les valeurs de lrsquoinformatique traditionnellecontinuent drsquoecirctre valoriseacutees 6000 milliards de dollars raquo Autrement dit est-ce queles marcheacutes font trop monter les valeurs Internet Ou bien est-ce que le vase commu-niquant ne fonctionne pas suffisamment et qursquoil devrait plus fortement sanctionnerles entreprises mal preacutepareacutees agrave cette reacutevolution technologique Par nature les raison-nements boursiers sont plus porteacutes agrave lrsquoanalyse sectorielle et on trouve lagrave les germes dela distinction commune entre nouvelle et ancienne eacuteconomie Les travaux sur le para-doxe de Solow et sur le NAIRU srsquoinscrivent dans une hypothegravese de changement trans-versal impliquant lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie Le deacutebat boursier est diffeacuterent encoreqursquoil nrsquoest pas contradictoire La Bourse nrsquoeacutemet en effet aucun jugement sur lrsquoavenirdrsquoun secteur eacuteconomique Elle se contente drsquoappreacutecier la capaciteacute agrave srsquoadapter des entre-prises qui appartiennent agrave un indice sectoriel

Fondamentalement le paradoxe boursier est un deacutebat sur la diversification desmodes de valorisation des entreprises selon le pronostic que lrsquoon porte sur leur deve-nir en peacuteriode de forte mutation Un aspect essentiel de ce deacutebat crsquoest la maniegravere donton appreacutecie les chances de lrsquoemporter qursquoont les puissances installeacutees (leslaquo empereurs raquo) face aux nouveaux entrants (les raquo barbares raquo) Il srsquoagit drsquoune questionparticuliegraverement priseacutee des cabinets de consultants Nombre de rapports de grandequaliteacute ont eacuteteacute eacutecrits par les cabinets de consulting strateacutegique et bien que chacun aitpris soin de se diffeacuterencier la trame en est souvent la mecircme Srsquoadressant agrave une clientegravelede grandes entreprises ces rapports disaient en substance laquo Internet est une reacutevolu-tion consideacuterable Crsquoest une menace mortelle pour votre entreprise avec des hordes denouveaux concurrents Mais gracircce agrave son organisation agrave sa notorieacuteteacute et agrave sa marquevotre entreprise saura triompher agrave la seule condition qursquoelle sache mettre en œuvreune strateacutegie ambitieuse soutenue de surcroicirct par de bons consultants raquo

Le problegraveme crsquoest que les marcheacutes financiers disent le contraire Ce qursquoils disent crsquoestque dans la confrontation entre une entreprise Internet et une entreprise classique crsquoestla nouvelle qui gagne Apregraves le e-krach et les premiegraveres faillites drsquoentreprises de commerceeacutelectronique on peut se demander si crsquoest si vrai que cela De fait il faudrait exclure delrsquoanalyse les secteurs ougrave la reacutevolution Internet est agrave peine entameacutee et ougrave les marcheacutes sontencore tout petits Dans de tels cas il nrsquoest pas vraiment eacutetonnant que les nouveauxentrants qui se lancent fort et vite se trouvent fragiliseacutes par lrsquoeacutetroitesse du marcheacute tandisque les entreprises en place ne sont guegravere eacutebranleacutees par le fait de supporter un compleacute-ment Internet agrave leurs activiteacutes traditionnelles Il en va tout agrave fait diffeacuteremment dans lessecteurs ougrave Internet repreacutesente deacutejagrave des parts de marcheacute importantes

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Dans la commercialisation des ordinateurs et des logiciels dans le laquo brokerage raquo desactions dans la distribution automobile dans le commerce des loisirs et des titres detransport le commerce eacutelectronique repreacutesente deacutejagrave 15 20 ou 30 des marcheacutesDans tous ces secteurs les gagnants sont des entreprises qui ont adopteacute des strateacutegiesnovatrices de creacuteation de valeur tandis que les anciens leaders se sont fait distancerDans le match entre le challenger Dell et le leader Compaq crsquoest Dell qui a su srsquoimposersur le marcheacute de la micro-informatique Dans le courtage des actions Charles Schwaba connu un succegraves fulgurant que tente vainement de suivre le puissant Merrill LynchDans le domaine automobile les moyens colossaux investis par les grands construc-teurs (Ford GM etchellip) ne sont pas parvenus jusqursquoici agrave enrayer la progression drsquounnouvel entrant comme Autobytel Crsquoest cela qursquoont releveacute les marcheacutes financiers etcrsquoest cela qursquoils ont traduit dans lrsquohiver 1999-2000 en creusant lrsquoeacutecart entre la valori-sation des entreprises de la nouvelle et de lrsquoancienne eacuteconomie

Un exemple frappant est celui de la fusion entre AOL et Time Warner Il ne srsquoagit paslagrave drsquoune opposition facile entre laquo vieux raquo et laquo nouveaux raquo secteurs puisque les deuxentreprises eacutetaient TMT (Technologie Meacutedia Teacuteleacutecommunication) Lrsquoune AOL avaitdes savoir-faire simples (lrsquoaccegraves agrave Internet) et un fonds de commerce somme toutelimiteacute (21 millions drsquoabonneacutes) Lrsquoautre Time Warner avait des compeacutetences riches etdiversifieacutees des clientegraveles multiples des activiteacutes dans le cacircble dans la teacuteleacutevision dansles magazines et la presse Et pourtant les marcheacutes financiers ont donneacute les moyens agraveAOL de racheter Time Warner Tout srsquoest passeacute comme si prenant acte de lrsquoavis geacuteneacuteralselon lequel Internet et les activiteacutes traditionnelles de laquo contenu raquo eacutetaient destineacutees agraveconverger les marcheacutes financiers srsquoeacutetaient poseacute la question de savoir qui eacutetait le mieuxplaceacute pour piloter cette rencontre Eacutetait-ce lrsquoentreprise la plus puissante et aux savoir-faire les plus varieacutes Ou lrsquoentreprise la plus apte agrave tout repenser dans une optiqueInternet La Bourse a trancheacute pour la seconde solution Et lorsque lrsquoon prend encompte la liste des deacuteboires que Time Warner avait connus pour maicirctriser la technolo-gie et lrsquointeractiviteacute on peut se demander si les marcheacutes financiers ont eacuteteacute aussilaquo irrationnels raquo qursquoon le dit

Un cadre drsquoanalyse

Les textes que nous preacutesentons ici incitent agrave penser sur les trois paradoxes imbriqueacutesde la nouvelle eacuteconomie Solow NAIRU Bourse Ils nrsquooffrent pas pour autant unereacuteflexion aboutie sur ce qursquoest la nouvelle eacuteconomie sur ses ressorts et sur son devenirCrsquoest la raison pour laquelle nous nous sommes permis de placer en conclusion un

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texte que nous avions eacutecrit en avril 1998 laquo Naissance drsquoune nouvelle eacuteconomie Septthegraveses sur lrsquoeacuteconomie de marcheacute agrave lrsquoacircge du commerce eacutelectronique raquo

Agrave lrsquoeacutepoque lrsquoexpression laquo nouvelle eacuteconomie raquo nrsquoeacutetait pas usuelle en France et ilnrsquoeacutetait pas aiseacute drsquointroduire un deacutebat sur cette question Aussi nrsquoeacutetions-nous pas alleacutesjusqursquoau bout drsquoune proposition qui est preacutesente entre les lignes Crsquoest que mecircme silrsquoon ne sait pas encore bien ce qursquoest la nouvelle eacuteconomie on commence agrave mieux pou-voir caracteacuteriser ce qursquoest lrsquoancienne eacuteconomie

Lrsquoancienne eacuteconomie ce nrsquoest pas en effet lrsquoeacuteconomie de lrsquoagriculture ou desgrands secteurs heacuteriteacutes de la reacutevolution industrielle du XIXe siegravecle Ce nrsquoest pas nonplus lrsquoeacuteconomie de service traditionnelle des vastes secteurs tertiaires organiseacutes (ban-que assurance distribution) Tous ces secteurs ont vocation agrave entrer dans la nouvelleeacuteconomie Pour autant le passage de lrsquoancienne agrave la nouvelle eacuteconomie nrsquoest pas seu-lement le pheacutenomegravene de la diffusion transversale des technologies drsquoinformationLrsquoancienne eacuteconomie ce nrsquoest pas lrsquoeacuteconomie preacute-informatiseacutee devenant nouvelle parle seul effet de lrsquoinformatisation

La frontiegravere est beaucoup plus preacutecise Elle correspond agrave la phase ougrave nous sommesdans le processus de deacuteplacement du centre de la mutation technologique la nouvelleeacuteconomie crsquoest lrsquoinformatisation de lrsquoeacutechange par opposition agrave une ancienne eacutecono-mie ougrave domine encore le modegravele strateacutegique impliqueacute par lrsquoinformatisation de la pro-duction et de la gestion Dans cette laquo ancienne raquo eacuteconomie (celle des 20 agrave 30 derniegraveresanneacutees) des lois srsquoeacutetaient imposeacutees avec des critegraveres de gestion normatifs Immergeacutesdans cette eacuteconomie-lagrave nous ne savions plus la voir Nous nrsquoeacutetions plus conscients delrsquoeacutepuisement de ce modegravele Ce qursquoInternet nous oblige agrave voir crsquoest qursquoil y avait de latechnologie mais que ce nrsquoeacutetait pas la bonne qursquoil y avait des nouveauteacutes mais quelrsquoinnovation srsquoeacutetiolait qursquoil y avait du tourbillon mais qursquoil nrsquoy avait pas de vitesseque lrsquoeacuteconomie mdash dans ses diffeacuterentes composantes mdash ralentissait

Le modegravele qui a domineacute pendant des anneacutees crsquoeacutetait le modegravele de lrsquoindustrie informa-tique elle-mecircme La technologie y geacuteneacuterait des gains de productiviteacute consideacuterables La loide Moore entraicircnait en effet la division par deux tous les 18 mois du coucirct des produitsFace agrave cela le modegravele strateacutegique dominant eacutetait caracteacuteriseacute par lrsquoaffirmation suivante laquo si notre vente moyenne est drsquoun dollar elle sera toujours drsquoun dollar agrave lrsquoavenir au lieude baisser les prix nous allons sophistiquer les produits et vendre plus de fonctionnaliteacutesagrave lrsquoutilisateur pour un dollar raquo IBM avait contribueacute agrave forger cette doctrine anti-deacuteflation-niste et tous les acteurs de lrsquoinformatique srsquoy eacutetaient reconnus La productiviteacute ne devaitpas servir agrave faire baisser les prix Elle devait venir financer la recherche et lrsquoinnovation-produit drsquoune part la publiciteacute et les actions commerciales drsquoautre part

Ce modegravele srsquoeacutetait reacutepandu dans de nombreux autres secteurs agrave la recherche eux aussidrsquoune strateacutegie de protection de la valeur Lrsquoindustrie automobile multipliait les acces-

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soires les combinatoires et les options mais ne baissait pas les prix Les teacuteleacutecommuni-cations deacuteveloppaient le trafic de la voix et des donneacutees mais en privileacutegiant dessolutions comme la commutation de circuits (permettant de vendre plus de ressour-ces) sur la commutation de paquets (visant agrave optimiser les ressources comme le fait leprotocole IP crsquoest-agrave-dire Internet) Moyennant quoi on innovait en France il y a20 ans en vendant du Minitel agrave 2 F la minute alors que la deacuteflagration actuelle drsquoInter-net permet de vendre la minute de communication Paris mdash New York agrave moinsdrsquo1 centime la minute

Autour de tout cela il y avait beaucoup de technologies beaucoup de fragilisationdes chaicircnes de valeurs donc beaucoup drsquoinvestissement dans les marques Plusqursquoaujourdrsquohui drsquoune certaine maniegravere cet acircge de lrsquoinformatisation eacutetait un acircge delrsquoimmateacuteriel La productiviteacute reacuteduisait chaque anneacutee la composante du traitementindustriel dans le prix final drsquoun produit Dans un produit de consommation couranteil ne repreacutesente souvent plus que de 15 agrave 30 de la valeur finale tout le reste eacutetant descoucircts de recherche-deacuteveloppement de packaging de logistique de distribution depubliciteacute Lrsquoinvestissement dans la marque eacutetait alors devenu un des moyens de proteacute-ger la coheacutesion drsquoun ensemble heacuteteacuteroclite drsquoeacuteleacutements de valeur Par lagrave-mecircme ce mou-vement favorisait le financement et le deacuteveloppement des meacutedias de communication

Lrsquoancienne eacuteconomie prenait ainsi des allures laquo drsquoeacuteconomie-baudruche raquo Commenous le deacutecrivions dans les laquo sept thegraveses raquo tout gonflait Avec un flux excessif drsquoinno-vation-marketing les stocks pesaient de plus en plus lourd dans lrsquoeacuteconomie (30 duPIB dans la France tertiariseacutee de 1995 contre 25 dans la France industrielle de 1950)Avec une absence de baisse des prix (malgreacute la deacutesinflation) et avec une conception eacuteli-tiste des services la valeur du temps social ne cessait de srsquoeacutelever (2 F la minute ) Lesactifs tournaient de moins en moins vite et lrsquoon oubliait mecircme dans les theacuteories moneacute-taires le concept de vitesse de circulation de la monnaie (au profit de la notion toutautre de vitesse de gonflement de la masse moneacutetaire) Contemplant leur culture etleur identiteacute de marque lrsquoorgueil des entreprises se dilatait

Lrsquoacte fondateur de la nouvelle eacuteconomie crsquoest le deacutegonflement de cette bau-druche On comprend qursquoil puisse en reacutesulter une bulle speacuteculative Degraves lors que latechnologie transforme lrsquoeacutechange et que son emploi est aux mains des personnes il enreacutesulte un renversement complet des chaicircnes de valeur Tant que la capaciteacute drsquoinno-vation eacutetait situeacutee en amont il pouvait ecirctre leacutegitime de ne pas restituer les gains de pro-ductiviteacute aux consommateurs Les grandes entreprises pouvaient faire valoir qursquoellesagissaient dans le sens de lrsquolaquo inteacuterecirct geacuteneacuteral raquo en captant ces ressources pour financerla recherche et lrsquoinnovation

La bascule apparaicirct avec la conjonction de deux pheacutenomegravenes Drsquoune part la capa-citeacute imaginative de lrsquoamont technique srsquoeacutepuise et dans les strateacutegies de lrsquoancienne eacuteco-nomie les gains de productiviteacute financent de moins en moins souvent le progregraves et de

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plus en plus souvent la preacuteservation des parts du marcheacute (cf gonflement des budgetscommerciaux des deacutepenses consacreacutees agrave la laquo coopeacuteration commerciale raquo aux ristour-nes et rabais en tous genres) Drsquoautre part la technologie aux mains des personnesreacutevegravele un immense besoin drsquoinnovation dans lrsquoadaptation des produits et des servicesagrave la diversiteacute des modes de vie Coinceacutes par des emplois du temps casse-tecircte il y a uneforte demande de services gain-de-temps et de juste-agrave-temps au niveau des personnesLes femmes qui travaillent et qui font carriegravere sont parmi les moteurs de cettedemande Crsquoest en srsquoappuyant sur elles qursquoune firme comme Autobytel a bouleverseacute lemode de commercialisation des voitures en inventant les appels drsquooffre personnaliseacutessur Internet et en asseyant son succegraves sur le slogan laquo Autobytel ou le moyen de luttercontre la souffrance drsquoacheter une automobile raquo

Toutes les grandes reacuteussites du commerce eacutelectronique sont le fruit drsquoune grandeaudace marketing Les nouveaux intermeacutediaires inventent une valeur ajouteacutee par uneproximiteacute eacutetroite avec le client final Ils construisent un business model et un principede rentabiliteacute fondeacute sur de veacuteritables avantages compeacutetitifs et sur le laquo siphonage raquo despoches de reacutetention de la productiviteacute En inventant la commercialisation drsquoordina-teurs personnaliseacutes produits agrave la commande et livreacutes en 8 jours Dell a inventeacute unmodegravele de distribution agrave tregraves forte rotation des stocks Agrave son bilan Dell nrsquoa que 5 joursde stock contre 10 fois plus pour ses concurrents Crsquoest la base de la performance de sonmodegravele drsquoattaque de marcheacute

Lrsquoacceacuteleacuteration de la rotation des actifs conjugueacutee agrave cette innovation-marketing lieacuteeagrave la proximiteacute-client sont agrave la base de la nouvelle eacuteconomie Degraves lors que la compeacuteti-tion se reacute-organise selon ces principes sur tous les marcheacutes il nrsquoest guegravere eacutetonnant quelrsquoon sorte du paradoxe de Solow on exteacuteriorise drsquoun seul coup les gains de productiviteacuteque lrsquoon avait pris pour regravegle de laquo stocker raquo pendant plusieurs deacutecennies Ceci expliqueeacutegalement que lrsquoon assiste au paradoxe du NAIRU Degraves lors qursquoapparaicirct une forte renta-biliteacute du capital circulant drsquoautres modegraveles peuvent en effet srsquoimposer dans lrsquouniversde lrsquoeacutechange que ceux fondeacutes sur une forte productiviteacute du travail

Dans le Cahier LaSer ndeg11 nous analysions par exemple le modegravele des superstores Wal-Mart En ayant fortement investi dans les technologies drsquoinformation Wal-Mart ainventeacute un modegravele innovateur le modegravele laquo every day low prices raquo (des prix bas tous lesjours) qui lrsquoa ameneacute agrave la premiegravere place des commerccedilants mondiaux Le modegravele consisteagrave limiter les agrave-coups promotionnels agrave utiliser la technologie pour acceacuteleacuterer la rotationdes stocks et la productiviteacute du capital circulant puis agrave investir ces gains laquo amont raquo dansdu service laquo aval raquo afin de mieux servir la clientegravele de mieux la comprendre et de la fideacute-liser Reacutesultat un superstore Wal-Mart moyen emploie 450 personnes pour faire un chif-

1 Self-service mondial ou nouvelle eacuteconomie de service - Technologie emploi commerce Premiegraveres conclu-sions Cahier LaSer ndeg1 1998

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fre drsquoaffaires de 420 MF contre 280 personnes pour le mecircme chiffre drsquoaffaires dans unhypermarcheacute franccedilais Mais alors que les stocks tournent 105 fois dans lrsquoanneacutee dans unhypermarcheacute franccedilais ils tournent 25 fois dans un surperstore Wal-Mart

En termes micro-eacuteconomiques le cas Wal-Mart est lrsquoillustration exacte du pheacuteno-megravene que constitue lrsquoabaissement du NAIRU Wal-Mart deacutemontre en effet que lrsquoon peutpratiquer des prix bas tout en creacuteant des emplois en jouant sur cette variable qursquoestlrsquoacceacuteleacuteration de la rotation du capital circulant Moins drsquoun an apregraves son arriveacutee enAngleterre Wal-Mart a provoqueacute un traumatisme en annonccedilant simultaneacutement unebaisse de 15 des prix et la creacuteation de 25 000 emplois avec lrsquoeacuteleacutevation du niveau deservices La proposition est tellement stupeacutefiante par rapport aux normes drsquouneancienne eacuteconomie ougrave lrsquoon opposait sans cesse prix et service que tous les concurrentssont obligeacutes peu ou prou de suivre En avril Tesco mdash le leader actuel du marcheacutebritannique mdash a annonceacute agrave son tour une baisse forte des prix la creacuteation drsquoune filialeInternet et 20 000 creacuteations drsquoemplois Nul doute qursquoen Grande-Bretagne on assiste agraveun affaissement du NAIRU du taux de chocircmage qui nrsquoacceacutelegravere pas lrsquoinflation

Si lrsquoon prolonge ces transformations on conccediloit que la nouvelle eacuteconomie est encoreloin drsquoavoir donneacute sa pleine mesure De nombreux secteurs du commerce traditionnelcontinuent de fonctionner avec 2 agrave 3 rotations de stocks par an Dans la comparaisondrsquoun hypermarcheacute franccedilais agrave un superstore Wal-Mart on a vu que lrsquoinformatisation drsquounmagasin peut faire monter la rotation de 10 agrave 25 fois par an Dans le cas de Dell et ducommerce eacutelectronique on a citeacute un modegravele avec moins de 7 jours de stocks plus de50 rotations par an Agrave la cleacute les avantages compeacutetitifs deacutegageacutes sont consideacuterables avecla possibiliteacute drsquoune forte diffeacuterenciation par le service et par la creacuteation drsquoemplois1

Dans la commercialisation de services ou de biens immateacuteriels la rotation peutatteindre lrsquoinfini Le cas drsquoun produit informationnel (logiciel air de musique etc) asouvent eacuteteacute commenteacute par les eacuteconomistes Il correspond agrave un modegravele ougrave la tradition-nelle courbe de baisse progressive des prix en fonction des volumes de production dis-paraicirct au profit drsquoun graphique plus brutal en forme drsquoeacutequerre Le coucirct du premierexemplaire du prototype est tregraves eacuteleveacute Le coucirct des exemplaires suivants est quasi-nulpuisqursquoil nrsquoy a plus de coucirct de production de transport et de distribution Il y a seule-ment des coucircts de reproduction et des coucircts drsquoaccegraves par le reacuteseau Eacutetant lui-mecircme unbien informationnel celui-ci est un bien dont lrsquousage est quasi-gratuit mecircme si sa miseen place est un investissement tregraves lourd

Consideacutereacutes hier comme des cas singuliers et paradoxaux ces exemples deviennentle cœur mecircme de lrsquoeacuteconomie de la nouvelle eacuteconomie Il en reacutesulte de nouvelles ten-sions et de nouveaux principes de creacuteation de valeur Dans lrsquoeacuteconomie de demain des

1 Philippe Lemoine in Les 35 heures une approche critique ouvrage collectif sous la direction de PaulFabra Eacuteditions Economica 1999

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tensions tregraves fortes sont agrave preacutevoir entre la logique des infrastructures et des investisse-ments en capital fixe et la logique de lrsquointermeacutediation et de lrsquoaccegraves au client Plus quejamais les inteacuterecircts sont antagoniques et lrsquoon nrsquoest pas pregraves de voir se reacuteconcilier lrsquooffreet la demande Mais crsquoest preacuteciseacutement parce que les logiques seront eacuteloigneacutees et que lestensions seront fortes que les acteurs eacuteconomiques rechercheront des positionne-ments ambigus inclassables agrave cheval entre la technologie le service et la proximiteacute-clients

Une meilleure productiviteacute du capital circulant sera de plus en plus le moyen de geacutererces tensions et de fonder de nouvelles approches de la creacuteation de valeur Et crsquoest lagravepeut-ecirctre que le changement est drsquoores et deacutejagrave le plus spectaculaire Avec lrsquoancienneeacuteconomie la Bourse srsquoeacutetait habitueacutee agrave un discours sur la creacuteation de valeur pourlrsquoactionnaire (laquo shareholder value raquo) dont le fondement eacutetait in fine la producti-viteacute du seul facteur travail le re-engineering les licenciements et le chocircmage Lesmarcheacutes financiers avaient bien noteacute dans les anneacutees 80 que lrsquoeacuteconomie nrsquoexteacuteriori-sait pas pleinement ses gains de productiviteacute Agrave partir de 1999 on srsquointeacuteresse aux res-tructurations et au laquo business process re-engineering raquo (BPR) tandis que des chercheursnotent la proximiteacute entre les dates des plans de licenciements et des assembleacutees geacuteneacute-rales avec lrsquoobjectif visible de doper le cours de bourse des grands groupes1 Danslaquo LrsquoHorreur eacuteconomique raquo Viviane Forrester reprendra et systeacutematisera ces ideacutees en sou-lignant la forte correacutelation entre creacuteation de valeur et plans sociaux2

Le veacuteritable paradoxe boursier crsquoest que ceci ne fonctionne plus Agrave lrsquoheuredrsquoInternet et de la nouvelle eacuteconomie drsquoautres principes de creacuteation de valeur sontreconnus par les marcheacutes Et ce qui a eacuteteacute frappant depuis un an environ crsquoest le deacutesarroide certains grands groupes multinationaux complegravetement pris agrave revers par ce brusquechangement des regravegles du jeu Constatant la mauvaise tenue de leurs cours et des mul-tiples boursiers tregraves peacutenalisants ils enragent de voir le marcheacute les valoriser agrave 20 15 oumecircme 10 fois leurs reacutesultats alors que les indices moyens des valeurs technologiquessont de lrsquoordre de 50

Plusieurs drsquoentre eux ont alors annonceacute de nouveaux plans de compression drsquoeffec-tifs Pour ne citer que quelques cas de lrsquoanneacutee 2000 et en se limitant agrave des stars de cequi est deacutejagrave lrsquoancienne eacuteconomie Coca-Cola Unilever Procter and Gamble BritishAirways De maniegravere spectaculaire deux grandes banques allemandes (Deutsche Banket Dresner) ont annonceacute en mecircme temps leur fusion et 16 000 suppressions drsquoemploisDans ce dernier cas le projet a eacuteteacute abandonneacute mais dans tous ces exemples ce fut descoups drsquoeacutepeacutee dans lrsquoeau

1 Ph Chevalier D Dure Pourquoi licencie-t-on in Geacuterer et Comprendre Annales des Mines septem-bre 19942 Viviane Forrester LrsquoHorreur eacuteconomique Fayard 1996

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Aucune de ces annonces ne srsquoest traduite par un veacuteritable effet laquo booster raquo sur le coursde bourse Drsquoougrave parfois un certain deacutesarroi Comment se fait-il Nous faisons toutbien Nous sommes dans la logique de la globalisation et du marcheacute mondial Nousnous concertons et nous fusionnons Nous sommes laquo obseacutedeacutes raquo par la creacuteation devaleur pour lrsquoactionnaire Nous comprimons et nous rationalisons Et notre cours nebouge pas Que faudrait-il donc faire Lrsquoenjeu est drsquoimportance car agrave lrsquoheure desfusions payeacutees en papier et en titres un multiple haut signifie que lrsquoon peut avoir lrsquoini-tiative des rapprochements tandis qursquoun multiple bas veut dire que lrsquoon termineraracheteacute par un autre Rage suprecircme des entreprises jeunes innovantes ne faisant pasde beacuteneacutefices et deacutegageant un chiffre drsquoaffaires balbutiant sont dans le mecircme temps por-teacutees au sommet

Comme souvent les marcheacutes financiers eacutetaient passeacutes drsquoun extrecircme agrave un autre Ilsnrsquoavaient jureacute hier que par une rentabiliteacute eacutegale agrave 15 des capitaux propres et drsquounseul coup identifiaient creacuteation de valeur et imagination Le fait de deacutegager des reacutesul-tats beacuteneacuteficiaires serait-il agrave jamais devenu deacutemodeacute Lrsquoengouement eacutetait tel qursquoil ne selimitait pas agrave ces entreprises de la nouvelle eacuteconomie disposant de business models soli-des fondeacutes sur la compeacutetitiviteacute propre drsquoInternet sur la proximiteacute client et sur la capa-citeacute agrave deacutestabiliser les anciens leaders Certes les Cisco les MCI-Worldcom les Dell lesSchwab etc repreacutesentent lrsquoessentiel de lrsquoargent investi en valeurs Internet Mais nom-bre de start-up fondeacutees sur une ideacutee plus ou moins aboutie ont profiteacute de la manne Etla bulle a gonfleacute de projets Internet promus par les entreprises traditionnelles precirctes agraveinvestir avec la foi du neacuteophyte pour se voir enfin reconnues par les marcheacutes La cor-rection eacutetait ineacutevitable Neacutecessairement les marcheacutes sont tels qursquoil y en aura drsquoautres

Malgreacute tout quelque chose de neuf est en train drsquoapparaicirctre La nouvelle eacuteconomie nrsquoestpas neacutee de la Bourse et son destin deacutepasse les courbes du Nasdaq Il faut espeacuterer qursquounegeacuteneacuteration de jeunes entrepreneurs ne sortira pas trop meurtrie de ces brusques traverseacuteesde montagnes russes Ce qui compte crsquoest que les eacuteconomies occidentales deacutegagent agrave nou-veau des capaciteacutes de croissance Les strateacutegies drsquoentreprises se donnent drsquoautres projetsqursquoune conception eacutetroite de la rationalisation Les marcheacutes valorisent enfin autre choseque la productiviteacute-spectacle Lrsquoheure est agrave la creacuteativiteacute et agrave la recherche de nouvelles sour-ces de richesse dans les processus de communication de services et drsquoeacutechanges

Lrsquoimportant est de se garder de toute caricature et de toute ideacuteologie Dans sa dimen-sion empirique et volontairement impreacutecise lrsquoexpression laquo nouvelle eacuteconomie raquo estfinalement bien adapteacutee agrave lrsquoeacutetat encore incertain de nos connaissances Il faut lire lestextes qui ont jusqursquoici jalonneacute le deacutebat et apprendre agrave aller plus loin dans la compreacute-hension des diffeacuterents paradoxes Il faut enrichir les questions souleveacutees par les eacutecono-mistes ameacutericains par des exemples concrets et par des analyses fines tireacutees drsquoune

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compreacutehension speacutecifique des technologies actuelles ainsi que drsquoune observationattentive de leur deacuteplacement et de la transformation progressive des marcheacutes qui enreacutesulte Nrsquoest-il pas temps en France et en Europe de faire progresser lrsquointerrogationsur la maniegravere de reconnaicirctre de deacutecrire et de conforter le deacuteploiement de cette nou-velle eacuteconomie encore pleine de mystegraveres et de promesses

Chapitre 1

La nouvelle eacuteconomie des lois aux paradoxes

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De nouvelles regravegles pour la nouvelle eacuteconomie douze principes fiables pour prospeacuterer

dans un monde turbulent

Kevin KELLY1

Septembre 1997

La reacutevolution digitale fait actuellement la Une de tous les journaux et magazinesPourtant il existe une reacutevolution bien plus profonde qui eacutevolue lentement sous cetteturbulence qui progresse si vite une reacutevolution qui entraicircne les tourbillons des techno-gadgets brancheacutes et des musts crsquoest celle de lrsquoeacuteconomie des reacuteseaux

Cette nouvelle eacuteconomie eacutemergente repreacutesente un veacuteritable bouleversement tecto-nique dans notre communauteacute une eacutevolution sociale qui reacuteordonne nos existencesplus encore que le hardware et le software ne pourraient le faire Elle preacutesente ses propresopportuniteacutes et possegravede ses regravegles speacutecifiques qui sont tout agrave fait nouvelles Ceux quiles observent prospeacutereront agrave la diffeacuterence de ceux qui ne les respecteront pas

Crsquoest degraves 1969 que lrsquoavegravenement de cette nouvelle eacuteconomie a eacuteteacute noteacute par PeterDrucker qui avait perccedilu lrsquoarriveacutee des travailleurs du savoir On deacutesigne drsquoailleurs sou-vent la nouvelle eacuteconomie sous lrsquoexpression drsquolaquo eacuteconomie de lrsquoinformation raquo en rai-son du rocircle eacuteminent joueacute dans la creacuteation de richesses par lrsquoinformation et non par lesressources mateacuterielles ou le capital

Je preacutefegravere quant agrave moi lrsquoexpression drsquolaquo eacuteconomie des reacuteseaux raquo car lrsquoinformation nesuffit pas agrave expliquer les discontinuiteacutes que lrsquoon y observe Pendant les cent ans quiviennent de srsquoeacutecouler nous avons eacuteteacute litteacuteralement inondeacutes par une mareacutee drsquoinforma-tions dont le niveau augmentait constamment De nombreuses entreprises se sontconstruites sur le capital repreacutesenteacute par lrsquoinformation mais crsquoest tregraves reacutecemmentqursquoune reconfiguration totale affectant lrsquoinformation elle-mecircme a provoqueacute une eacutevo-lution de lrsquoeacuteconomie tout entiegravere

1 KEVIN KELLY est co-fondateur et reacutedacteur en chef de la revue Wired le magazine de reacutefeacuterence de lareacutevolution numeacuterique Son livre New Rules for the New Economy (Penguin Putman Inc 1998) a eacuteteacute tra-duit en 11 langues sauf en franccedilais Cet article a eacuteteacute publieacute initialement en anglais dans Wired Septem-bre 1997 sous le titre laquoNew Rules for the New Economyraquo (httpwiredcomwired509newrules_prhtml) Traduit et reproduit avec lrsquoaimable autorisation de lrsquoauteur

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La grande ironie de notre eacutepoque crsquoest que lrsquoegravere des ordinateurs est reacutevolue Toutesles conseacutequences majeures des ordinateurs autonomes se sont deacutejagrave produites et enfait ces machines ont juste un peu acceacuteleacutereacute notre rythme de vie voilagrave tout

Agrave lrsquoinverse toutes les technologies les plus prometteuses qui eacutemergent aujourdrsquohuisont ducirces principalement agrave la communication entre ordinateurs autrement dit auxconnexions plutocirct qursquoaux calculs Et comme la communication est la base de la cul-ture bricoler agrave ce niveau est vraiment grave

Et en effet nous bricolons La technologie qui a eacuteteacute inventeacutee pour traiter des calculs enmasse a eacuteteacute deacutetourneacutee pour connecter des laquo isoleacutes raquo Ce qui caracteacuterise essentiellement lareacuteorganisation de lrsquoinformation crsquoest la geacuteneacuteralisation drsquoune deacutemarche inexorable pourconnecter tout agrave tout Nous sommes deacutesormais engageacutes dans un processus drsquoensemble des-tineacute agrave augmenter amplifier et eacutetendre les relations et les communications entre chaque ecirctrehumain et chaque chose Crsquoest pourquoi lrsquoeacuteconomie des reacuteseaux est une grande affaire

Les nouvelles regravegles qui gouvernent cette restructuration globale tournent autour deplusieurs axes Premiegraverement la richesse dans ce nouveau contexte deacutecoule directe-ment de lrsquoinnovation et non de lrsquooptimisation en drsquoautres termes elle ne vient pasdrsquoun perfectionnement du deacutejagrave su mais drsquoune emprise sur lrsquoinconnu mecircme de faccedilonimparfaite Deuxiegravemement pour cultiver lrsquoinconnu lrsquoenvironnement ideacuteal estdrsquoentretenir lrsquoagiliteacute suprecircme des reacuteseaux Troisiegravemement la domestication delrsquoinconnu signifie ineacutevitablement de brucircler ce qursquoon avait adoreacute de deacutefaire ce qui eacutetaitparfait Enfin dans la toile de lrsquoeacuteconomie des reacuteseaux qui se densifie le cycle trouver-faire croicirctre-deacutetruire se produit plus rapidement et plus intenseacutement que jamais

LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux ne constitue pas la fin de lrsquohistoire Eacutetant donneacute son rythmedrsquoeacutevolution une telle organisation peut ne pas durer plus que le temps correspondantagrave une ou deux geacuteneacuterations Une fois que les reacuteseaux auront satureacute le moindre espaceun nouvel ensemble de regravegles preacutedominera Celui que je vais deacutevelopper maintenantest donc temporaire

1 La Loi de la Connexion

Optez pour la puissance stupide

LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux se nourrit de la forte reacutesonance de deux bangs stellaires lemicrocosme des puces qui srsquoeffondre et le laquo teacuteleacutecosme raquo des connexions qui exploseCes eacutevolutions soudaines mettent en piegraveces les anciennes lois de la richesse et preacutepa-rent le terrain pour lrsquoeacuteconomie eacutemergente

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La taille des puces en silicone se reacutetreacutecit jusqursquoagrave devenir microscopique et leur prix sereacuteduit lui aussi dans les mecircmes proportions Ce sont des eacuteleacutements qui deviennent tregravesbon marcheacute et sont suffisamment minuscules pour ecirctre glisseacutes dans chaque objetproduit et dans cette derniegravere phrase crsquoest le mot laquo chaque raquo qui est essentiel Il y a 10ans on aurait trouveacute grotesque lrsquoideacutee de mettre une puce dans chaque portedrsquoimmeuble aujourdrsquohui on aurait bien du mal agrave trouver une porte drsquohocirctel ne preacutesen-tant pas une puce qui clignote ou qui eacutemet un signal Bientocirct pour peu que NationalSemiconductor soit en mesure de le reacutealiser et de le faire adopter on apposera sur chaquecolis expeacutedieacute par Federal Express un petit eacuteclat jetable de silicone qui en suivra le con-tenu Et si un colis est digne drsquoune puce alors qursquoil est extrecircmement eacutepheacutemegravere les objetsvous appartenant peuvent en incorporer eacutegalement une chaise un livre un nouveauvecirctement un ballon de basket De minces tranches de plastique comportent une pucesuffisamment intelligente pour jouer le rocircle de votre banquier Dans peu de temps tousles objets seront ainsi eacutequipeacutes drsquoune minuscule tranche drsquoesprit des chaussures de ten-nis aux marteaux en passant par les abat-jour et les soupes en boicircte Et pourquoi pas

La Terre est peupleacutee de 200 millions drsquoordinateurs Andy Grove de chez Intel estimeqursquoils seront 500 millions en 2002 Et pourtant le nombre de puces non destineacutees agravelrsquoinformatique et qui palpitent aujourdrsquohui dans le monde est de 6 milliards Elles sontdeacutejagrave incorporeacutees aux voitures aux eacutequipements hi-fi aux appareils de cuisson du rizComme elles peuvent ecirctre inteacutegreacutees rapidement et agrave faible coucirct comme des boules degomme on les appelle des laquo jelly beans raquo1 dans les secteurs industriels Or nous sommesagrave lrsquoaube drsquoune explosion de ces confiseries il y aura en 2005 10 milliards de grains desilicone en service et encore un milliard de plus peu de temps apregraves Un jour viendra ougraveces grains auront lrsquointelligence de fourmis qui seront enfouies dans nos habitations

En mecircme temps que nous implantons 1 milliard de grains dans tout ce qui se fabri-que nous les connectons Les objets fixes sont connecteacutes entre eux par des fils Ceuxqui ne sont pas fixes autrement dit la plupart des objets manufactureacutes sont relieacutes parradio et infrarouges creacuteant une toile bien plus grande que la premiegravere Pour autant ilnrsquoest pas neacutecessaire que chaque objet ainsi connecteacute transmette un grand nombredrsquoinformations Une minuscule puce installeacutee agrave lrsquointeacuterieur drsquoun reacuteservoir drsquoeau dansun ranch drsquoAustralie indique seulement laquo plein raquo ou laquo pas plein raquo une puce fixeacutee surune corne drsquoun bouvillon renseigne uniquement sur la localisation drsquoune tecircte debeacutetail tandis qursquoune puce incorporeacutee agrave un portail fournira une information sur le jourougrave celui-ci srsquoest ouvert pour la derniegravere fois laquo mardi raquo par exemple

Ce qui est extraordinaire chez ces petites miettes interconnecteacutees crsquoest qursquoelles nrsquoontpas besoin drsquoavoir une intelligence artificielle elles fonctionnent selon la puissance stu-

1 Les Jelly-beans sont des confiseries relativement molles que lrsquoon trouve en 96 couleurs diffeacuterenteschacune correspondant agrave un parfum speacutecifique NdT

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pide de quelques bits relieacutes entre eux La laquo puissance stupide raquo crsquoest ce que lrsquoon obtientquand on implante en reacuteseau des nœuds stupides dans un reacuteseau intelligent Crsquoest ce quele cerveau fait avec les neurones et qursquoInternet a fait avec les ordinateurs personnels UnPC correspond au niveau de son concept agrave un seul neurone logeacute dans un careacutenage enplastique Une fois qursquoils ont eacuteteacute relieacutes par le teacuteleacutecosme au sein drsquoun reacuteseau de neuronesces nœuds ont creacuteeacute cette fabuleuse intelligence que repreacutesente le World Wide Web autre-ment dit la Toile mondiale Cela marche dans drsquoautres domaines des eacuteleacutements stupidescorrectement interconnecteacutes donnent des reacutesultats intelligents

Le hardware ce sont un milliard de puces stupides interconnecteacutees dans une rucheintelligente Le software qui y passe crsquoest lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux Une planegravete entiegraverede puces hyper-relieacutees entre elles eacutemet un flux incessant de petits messages formantune cascade drsquoondes vives porteuses de sens Du moindre capteur drsquohumiditeacute dans uneferme jaillissent des donneacutees de chaque satellite meacuteteacuteo rayonnent des images digita-liseacutees de chaque caisse enregistreuse sont expulseacutes des torrents de bits de chaquemoniteur drsquohocircpital coulent en goutte agrave goutte des nombres chaque site Web enregis-tre les comportements chaque veacutehicule transmet sa localisation agrave tout moment Tou-tes ces informations repreacutesentent une veacuteritable mareacutee de signaux qui constitue la Toile

Celle-ci nrsquoest pas composeacutee uniquement drsquoecirctres humains communiquant entre eux parlrsquointermeacutediaire drsquoAOL mecircme si cette activiteacute en repreacutesente elle aussi un volet quidrsquoailleurs durera tant que lrsquoon aura envie de seacuteduire un(e) romantique ou de faire srsquoenflam-mer un(e) idiot(e) La Toile est bien plutocirct lrsquointeraction collective creacuteeacutee par un milliarddrsquoobjets et drsquoecirctres vivants dont le lien qui les connecte traverse lrsquoair aussi bien que le verre

Crsquoest ce reacuteseau qui engendre lrsquoeacuteconomie du mecircme nom Selon MCI le volume totalde trafic vocal sur lrsquoensemble des systegravemes teacuteleacutephoniques sera supplanteacute dans 3 ans parle volume eacutechangeacute de donneacutees intelligentes Nous nous dirigeons deacutejagrave vers une eacutecono-mie eacutelargie qui sera remplie de nouveaux participants agents objets machines ainsique quelques milliards drsquohommes de plus qursquoaujourdrsquohui Nrsquoattendons pas lrsquointelli-gence artificielle pour faire des systegravemes intelligents faisons-les avec la puissance stu-pide drsquoune informatique omnipreacutesente et des connexions envahissantes

Tout ce tremblement nrsquoest pas pour demain mais en tout cas la trajectoire est claire nous sommes en train de connecter tout agrave tout Chaque pas reacutealiseacute qui compte sur uneconnexion peu oneacutereuse endeacutemique et universelle va dans la bonne direction Parailleurs le plus sucircr moyen de favoriser ce laquo connexionnisme raquo massif consiste agrave exploiterles forces deacutecentraliseacutees crsquoest-agrave-dire agrave relier la base Vous voulez construire un superpont Faites parlez les piliers au tablier Vous voulez ameacuteliorer la culture des laitues Lais-sez le sol parler aux tracteurs Vous voulez qursquoun avion soit vraiment sucircr Arrangez-vouspour que les avions communiquent entre eux et recueillent leurs plans de vol respectifs

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux optez pour la puissance stupide

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2 La Loi de lrsquoAbondance

Plus donne plus

Il se passe des choses bien curieuses quand on connecte tout agrave tout Les matheacutemati-ciens ont deacutemontreacute que la somme drsquoun reacuteseau croicirct proportionnellement au carreacute dunombre de ses membres Autrement dit quand le nombre de nœuds augmente dansun reacuteseau selon une progression arithmeacutetique la valeur de ce reacuteseau augmente expo-nentiellement Il suffit donc drsquoajouter un petit nombre de membres pour augmenterconsideacuterablement la valeur dont profitent tous les membres

Prenons lrsquoexemple du premier teacuteleacutecopieur qui sortit de fabrication vers 1965 il avaitcoucircteacute des millions de dollars en recherche et deacuteveloppement mais sa valeur eacutetait eacutegaleagrave zeacutero nulle Le deuxiegraveme fax a degraves sa sortie donneacute une certaine valeur au premierpuisqursquoil y avait quelqursquoun agrave qui envoyer une teacuteleacutecopie Dans la mesure ougrave tous les teacuteleacute-copieurs se trouvent relieacutes dans un reacuteseau chaque nouvelle machine venant rejoindrela cascade augmente la valeur de tous les autres fax qui existaient preacuteceacutedemment

La valeur de ce reacuteseau est si grande que toute personne srsquoeacutequipant drsquoun teacuteleacutecopieurse transforme en proseacutelyte laquo Avez-vous un fax Non Vous devriez raquo Pourquoi agit-elle ainsi Parce que si vous en achetiez un vous augmenteriez la valeur de son eacutequi-pement Et une fois que vous en avez acheteacute un agrave votre tour vous vous mettez vousaussi agrave demander laquo Avez-vous un fax raquo (Le pheacutenomegravene srsquoobserve eacutegalement pourles e-mails ou tel ou tel type de logiciel) Chaque personne que vous arrivez agrave convain-cre drsquoentrer dans un reacuteseau augmente la valeur de votre eacutequipement

Donc quand vous achetez un teacuteleacutecopieur vous nrsquoachetez pas uniquement unecaisse qui coucircte $ 200 mais aussi et surtout la totaliteacute du reacuteseau des autres fax et lesconnexions existant entre eux autrement dit vous achetez une valeur plus grandeque la somme de tous les prix des teacuteleacutecopieurs en service

Cet exemple illustre bien le fait que le nombre ajoute de la valeur Mais cette notioncontredit deux des principaux axiomes que nous attribuons agrave lrsquoegravere industrielle

Premier veacuteneacuterable axiome la valeur naicirct de la rareteacute comme le prouvent les dia-mants lrsquoor le peacutetrole ou les diplocircmes universitaires

Second veacuteneacuterable axiome quand les choses sont produites en abondance elle sedeacutevalorisent degraves lors que les tapis sont tisseacutes par milliers par des machines ils ne con-tribuent plus agrave notre statut social

La logique du reacuteseau inverse les leccedilons de lrsquoindustrie Dans lrsquoeacuteconomie des reacuteseauxla valeur vient de lrsquoabondance de la mecircme faccedilon la valeur des teacuteleacutecopieurs srsquoaccroicirct deleur ubiquiteacute Que prolifegraverent les copies mecircme les copies physiques puisqursquoelles sontpeu chegraveres

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Ce qui a de la valeur dans ce contexte ce sont ces relations eacuteparpilleacutees qui en raison detoutes ces copies viennent senchevecirctrer dans le reacuteseau Et ces relations ont une valeur quimonte en flegraveche agrave mesure que le nombre de composantes saccroicirct fut-ce leacutegegraverementWindows NT les teacuteleacutecopieurs TCPIP les images GIF Real-Audio tous neacutes au cœur delEacuteconomie des Reacuteseaux obeacuteissent agrave cette logique Mais il en va de mecircme pour les clefs deserrage les piles normaliseacutees ou les autres biens beacuteneacuteficiant dune standardisation agraveleacutechelle mondiale plus ces articles sont reacutepandus plus on a inteacuterecirct agrave adheacuterer au standard

Agrave lavenir les chemises de coton les flacons de vitamines les tronccedilonneuses et tous lesobjets fabriqueacutes de par le monde obeacuteiront aussi agrave cette loi de lAbondance agrave mesure que lecoucirct de production dun exemplaire suppleacutementaire tombera en flegraveche tandis que dansle mecircme temps augmentera la valeur du reacuteseau qui les conccediloit les produit et les distribue

Dans lEacuteconomie des Reacuteseaux la rareteacute est submergeacutee par les coucircts marginaux quireacutetreacutecissent Et partout ougrave le coucirct de production dun exemplaire suppleacutementairedevient neacutegligeable ce qui ne se veacuterifie pas uniquement pour le software on constateun veacuteritable boom de la valeur des normes et des reacuteseaux

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux plus donne plus

3 La Loi de la Valeur Exponentielle

La reacuteussite est non lineacuteaire

La corne drsquoabondance que repreacutesentent les profits de Microsoft est tregraves reacuteveacutelatrice quandelle est expliciteacutee sous forme de graphique car elle reflegravete plusieurs autres courbes caracteacute-risant certaines eacutetoiles montantes de lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux Pendant ses 10 premiegraveresanneacutees les profits de Microsoft eacutetaient neacutegligeables et ils nrsquoont commenceacute agrave eacutemergerqursquoaux environs de 1985 Mais degraves qursquoils ont commenceacute agrave grimper ils ont exploseacute

Federal Express a connu une trajectoire similaire des anneacutees drsquoaugmentations infi-mes de profits ont ameneacute lrsquoentreprise agrave un seuil invisible puis une vertigineuse ascen-sion srsquoest produite au deacutebut des anneacutees 1980

De la mecircme faccedilon la peacuteneacutetration des teacuteleacutecopieurs se traduit par un succegraves ininter-rompu depuis 20 ans qui faisait suite agrave 20 autres anneacutees drsquoune reacuteussite tregraves marginale Etpuis au milieu des anneacutees 1980 le nombre de machines composant le parc a tranquille-ment passeacute le point de non-retour et le fax est aujourdrsquohui partout de faccedilon irreacuteversible

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux lrsquoarcheacutetype de la reacuteussite est repreacutesenteacute par InternetComme tout pionnier se fera un plaisir de vous lrsquoapprendre Internet a eacuteteacute pendant

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2 deacutecennies un deacutesert mais un deacutesert ocirc combien exaltant avant de rencontrer le radardes meacutedias Quand on regarde un graphique du nombre drsquohocirctes drsquoInternet agrave partir desanneacutees 1960 on constate que la courbe a drsquoabord bien du mal agrave deacutecoller de lrsquoaxe desabscisses Et puis vers 1991 on assiste agrave une prolifeacuteration des hocirctes qui donne agrave lacourbe une allure exponentielle dans le monde entier

Chacune de ces courbes (et je remercie John Hagel auteur de Netgain de mrsquoavoirfourni ces 4 exemples) repreacutesente le scheacutema classique drsquoune courbe exponentielleCelui-ci est bien connu des biologistes car il correspond pratiquement agrave la deacutefinitiondrsquoun systegraveme biologique Crsquoest la raison pour laquelle on utilise des termes de biologiepour deacutecrire de faccedilon plus preacutecise lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux En fait si la Toile donnelrsquoimpression drsquoune frontiegravere crsquoest parce que pour la premiegravere fois dans lrsquohistoire noussommes les teacutemoins drsquoune croissance drsquoordre biologique affectant des systegravemes tech-nologiques

En mecircme temps chacun des exemples citeacutes ci-dessus constitue un modegravele classiquede lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux Les reacuteussites de Microsoft de FedEx des teacuteleacutecopieurs etdrsquoInternet srsquoarticulent toujours sur une loi fondamentale des reacuteseaux la valeur con-naicirct une explosion exponentielle avec la multiplication des participants ce qui va enalimenter de plus en plus le nombre Et ce cercle vertueux grossit jusqursquoagrave ce que tousles membres potentiels aient rejoint le groupe

Il convient toutefois de noter un point important dans les 4 cas citeacutes lrsquoexplosionnrsquointervient guegravere que dans le milieu ou la fin des anneacutees 1980 et au cours de cettepeacuteriode il srsquoest passeacute quelque chose les 2 big bangs repreacutesenteacutes par les laquo jelly beans raquoet lrsquoeffondrement du prix des teacuteleacutecommunications qui ont rendu possiblelrsquoeacutechange de donneacutees pratiquement en tout lieu agrave tout moment et ce pour un coucircttregraves faible La Toile la formidable Toile a alors commenceacute agrave nucleacuteer et la puissancedu reacuteseau a suivi

Maintenant que nous sommes entreacutes dans le royaume ougrave les cercles vertueux peu-vent ouvrir des succegraves immeacutediats sur un mode biologique voici un conte moral Il yavait un jour sur une plage de minuscules algues rouges qui prospeacuteraient dans unegrande mareacutee rouge Et puis quelques semaines plus tard ce tapis srsquoeacutevanouit juste aumoment ougrave il semblait ecirctre indeacuteleacutebile Les lemmings eux aussi prolifegraverent puis dispa-raissent Les forces biologiques qui provoquent une augmentation des populationssont celles-lagrave mecircme qui peuvent la tempeacuterer De la mecircme faccedilon les forces qui srsquoalimen-tent mutuellement pour amplifier les eacuteleacutements drsquoun reacuteseau jusqursquoagrave les transformer enstandards tregraves puissants dans un deacutelai record peuvent eacutegalement opeacuterer en sensinverse et les reacuteduire en un rien de temps Les deacutebuts modestes peuvent mener agrave degrands reacutesultats alors que les fortes perturbations nrsquoont que des effets limiteacutes

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux la reacuteussite est non lineacuteaire

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4 La Loi des Points de Basculement

Ce sera signifiant avant que de se deacuteployer

Il existe une autre leccedilon agrave tirer de ces succegraves primitifs de lrsquoEacuteconomie des Reacuteseauxpour laquelle il faut aussi faire reacutefeacuterence agrave la biologie On voit sur les courbes que agrave uncertain point lrsquoacceacuteleacuteration est telle que le succegraves devient eacuteclatant et vient tout sub-merger Pour ainsi dire il est devenu contagieux et si envahissant qursquoil devient difficileaux sujets non atteints de ne pas succomber entre nous combien de temps pouvez-vous tenir sans teacuteleacutephone

En eacutepideacutemiologie le point correspondant agrave une infection drsquohocirctes si nombreux quelrsquoinfection nrsquoest plus une maladie locale mais devient une eacutepideacutemie peut ecirctre vu commeun point de basculement la contagion a pris une telle puissance que crsquoest comme siapregraves avoir gravi une colline elle roulait sur lrsquoautre versant En biologie le point de bas-culement des maladies mortelles est assez eacuteleveacute mais en matiegravere de technologie il sedeacuteclenche agrave des pourcentages nettement plus bas de victimes ou de personnes toucheacutees

Dans chaque entreprise qursquoelle opegravere dans lrsquoindustrie ou en reacuteseau on constate tou-jours un point de basculement au-delagrave duquel la reacuteussite srsquoalimente drsquoelle-mecircme Tou-tefois en raison des coucircts fixes peu eacuteleveacutes des coucircts marginaux insignifiants et de ladistribution rapide dont beacuteneacuteficie lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux le basculement srsquoeacutetablitplus bas que dans lrsquoindustrie traditionnelle et donc plus vite crsquoest comme si les nou-veaux virus eacutetaient plus contagieux plus puissants aussi Les petits ruisseaux peuventformer des riviegraveres deacutebordantes

Le point de basculement eacutetant plus bas le seuil ougrave lrsquoactiviteacute devient significatif seralui aussi consideacuterablement moins eacuteleveacute que pendant lrsquoegravere industrielle Ce seuil se situeagrave la peacuteriode preacuteceacutedant le point de basculement au cours de laquelle il faut prendre auseacuterieux un mouvement une croissance ou une innovation Il est absolument essentielde deacutetecter ces eacuteveacutenements tant qursquoils restent en-deccedila de ce seuil

Ainsi par exemple les grands commerccedilants ameacutericains ont neacutegligeacute de srsquointeacuteresser auteacuteleacute-achat pendant les anneacutees 1980 parce qursquoagrave lrsquoorigine le nombre de teacuteleacutespectateursqui passaient commande eacutetait si faible et si marginal qursquoil nrsquoatteignait pas un seuilsignificatif pour le commerce de deacutetail Au lieu de porter leur attention sur ce nouveauet imperceptible seuil de lrsquoeacuteconomie des reacuteseaux les commerccedilants ont attendu quesonne le signal du basculement moyennant quoi par deacutefinition il eacutetait trop tardpour qursquoils en tirent des revenus

Autrefois crsquoeacutetait la puissance drsquoune innovation qui confeacuterait agrave celle-ci toute sasignification dans lrsquoenvironnement du reacuteseau crsquoest lrsquoinverse qui se produit crsquoestsignificatif avant drsquoecirctre puissant

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Les biologistes eacutevoquent souvent lrsquoexemple de la feuille de neacutenuphar qui double detaille en 24 heures La veille du jour ougrave la mare a eacuteteacute complegravetement recouverte onvoyait encore la moitieacute de la surface de lrsquoeau et la veille encore les 3 quarts et la veilleencore il nrsquoy avait qursquoun miseacuterable huitiegraveme de mare qui eacutetait recouvert Ce neacutenupharpousse imperceptiblement pendant tout lrsquoeacuteteacute et crsquoest seulement pendant la derniegraveresemaine du cycle que la plupart des passants remarquent qursquoil est apparulaquo soudainement raquo mais la plante a alors deacutejagrave deacutepasseacute le stade du basculement

LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux preacutesente des analogies avec ce neacutenuphar Ainsi par exem-ple la Toile est une feuille qui double de taille tous les 6 mois Il existe drsquoautres feuillesdans la mare du reacuteseau MUD1 et MOO2 teacuteleacutephones Teledesic ports de donneacutees sansfil agents collaboratifs capteurs agrave distance Pour lrsquoinstant ce ne sont que de minuscu-les cellules de neacutenuphar infestant gaiement la mare en ce deacutebut de lrsquoeacuteteacute torride desreacuteseaux

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux ce sera signifiant avant que de se deacuteployer

5 La Loi des Rendements Croissants

Faites des cercles vertueux

Crsquoest la loi essentielle en matiegravere de reacuteseau La valeur explosant avec lrsquoaugmentationdu nombre de membres elle aspire de nouveaux membres ce qui gonfle encore lereacutesultat Un vieux dicton lrsquoexprime ainsi laquo ceux qui en ont en auront davantage raquo

On voit les effets de cette loi dans le mode de croissance de certaines zones la SiliconValley par exemple chaque nouvelle start-up qui reacuteussit en attire une nouvelle qui agraveson tour attire plus de capital et de compeacutetences et donc plus de start-up Drsquoailleurscette reacutegion ainsi que drsquoautres zones tregraves marqueacutees par le high-tech repreacutesentent elles-mecircmes des reacuteseaux intimement imbriqueacutes de talents de ressources et drsquoopportuniteacutes

La loi des Rendements Croissants va nettement au-delagrave de la notion drsquoeacuteconomiedrsquoeacutechelle Agrave lrsquoeacutepoque des regravegles anciennes la reacuteussite drsquoHenry Ford srsquoeacutetait effectueacutee pareffet de levier le produit de la vente de voitures permettant de mettre au point desmeacutethodes de fabrication plus efficaces Cette approche a permis agrave Ford de vendre sesvoitures moins cher ce qui a augmenteacute le volume des ventes augmentation qui agrave sontour a alimenteacute lrsquoinnovation et des meacutethodes de production plus performantes

1 Multi-User Durgeons (Donjons et dragons)2 MUDs Orienteacutes-Objet

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encore au total lrsquoentreprise srsquoest hisseacutee jusqursquoau sommet Alors que la loi des rende-ments croissants et les eacuteconomies drsquoeacutechelle reposent toutes deux sur des boucles defeedback positifs drsquoinformations la premiegravere est propulseacutee par lrsquoeacutetonnante force de lapuissance du reacuteseau alors que ce nrsquoest pas le cas des eacuteconomies drsquoeacutechelle Tout drsquoabordcelles-ci varient de faccedilon lineacuteaire alors que dans la loi des rendements croissants lavaleur augmente de faccedilon exponentielle la diffeacuterence est agrave peu pregraves analogue agrave celleexistant entre une tirelire et un inteacuterecirct composeacutehellip

Ensuite et crsquoest plus important encore les eacuteconomies drsquoeacutechelle industrielles proviennentdrsquoefforts herculeacuteens dispenseacutes par une seule organisation pour distancer ses concurrents encreacuteant plus de valeur pour un coucirct moindre En lrsquooccurrence lrsquoexpertise et lrsquoavantage deacuteve-loppeacutes par lrsquoentreprise leader appartiennent agrave celle-ci et uniquement agrave elle Au contraire lesrendements croissants en reacuteseau sont creacuteeacutes et partageacutes par le reacuteseau tout entier et crsquoest laparticipation de nombreux agents utilisateurs et concurrents qui creacutee la valeur du reacuteseauMecircme si les gains des rendements croissants peuvent ecirctre ineacutegalement reacutecolteacutes par les dif-feacuterentes organisations la valeur de ces gains reacuteside dans la toile eacutelargie des relations

Des sommes consideacuterables peuvent affluer vers des entreprises qui ont reacuteussi dans lereacuteseau comme Cisco Oracle ou Microsoft mais mecircme si les firmes citeacutees venaient agravedisparaicirctre on assisterait agrave la poursuite de lrsquoexpansion de la matrice hyper-satureacutee derendements croissants qui srsquoest tisseacutee agrave travers elles

De la mecircme faccedilon les rendements croissants que lrsquoon constate dans la Silicon Valleyne deacutependent pas de la reacuteussite drsquoune entreprise en particulier AnnaLee Saxenianauteur de Regional Advantage note que cette zone est effectivement devenue unegrande entreprise reacutepartie laquo Lagrave-bas on raconte qursquoon peut changer de job sans chan-ger de covoiturage raquo ajoute-t-elle lors drsquoune interview donneacutee agrave Elizabeth Corcorandu Washington Post laquo Certaines personnes disent qursquoelles se reacuteveillent le matin enpensant qursquoelles travaillent pour la Silicon Valley elles sont plus loyales envers lesavanceacutees technologiques et la reacutegion qursquoenvers une entreprise en particulier raquo

Suivons cette ideacutee nous allons vers une egravere dans laquelle ceux qui travaillent et ceuxqui consomment se montreront plus fidegraveles agrave un reacuteseau qursquoagrave une entreprise La grandeinnovation de la Silicon Valley crsquoest qursquoelle a inventeacute non pas le hardware et le softwaremais lrsquoorganisation sociale des firmes qui y sont installeacutees et ce qui est plus importantencore la structure reacuteticuleacutee de la reacutegion elle-mecircme un reacuteseau extrecircmement com-plexe drsquoanciens drsquoune mecircme entreprise de collegravegues devenus intimes de fuitesdrsquoinformations drsquoune entiteacute agrave lrsquoautre de cycles de vie rapides et de culture e-mail Cetissu social baignant dans le hardware tiegravede des puces agrave bas prix et des neurones de cui-vre crsquoest lui qui creacutee une veacuteritable Eacuteconomie des Reacuteseaux

Par sa nature la loi des rendements croissants favorise les premiers arriveacutes les para-megravetres de deacutepart et les conventions passeacutees agrave lrsquoorigine qui confegraverent agrave un reacuteseau son

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pouvoir mecircme se figent rapidement pour devenir des normes inalteacuterables Une tellesolidification constitue agrave la fois un bienfait et un fleacuteau pour un reacuteseau bienfait parceque crsquoest de lrsquoaccord collectif de facto que deacutecoule la puissance deacutebrideacutee des rendementscroissants fleacuteau parce que ceux qui possegravedent ou controcirclent la norme en tirent desbeacuteneacutefices disproportionneacutes

Seulement lrsquoun ne va pas sans lrsquoautre dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux Si lrsquoon tolegravere lesmilliards de Microsoft crsquoest que bien drsquoautres entreprises de cette Eacuteconomie ont col-lectivement gagneacute des milliards gracircce aux standards de Microsoft en matiegravere de rende-ments croissants

Dans une Eacuteconomie des Reacuteseaux la vie est difficile pour les consommateurs qui doi-vent srsquoengager sur un protocole de deacutepart il est douloureux de se retirer plus tard drsquounreacuteseau de relations qui nrsquoeacutetait pas le bon mais ce nrsquoest pas aussi dramatique que pour desentreprises qui parient leurs vies sur le mauvais standard Ceci poseacute il vaut encore mieuxse tromper que passer totalement agrave cocircteacute drsquoune dynamique car il nrsquoy a pas drsquoavenir danslrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux pour les systegravemes hermeacutetiquement clos Plus il y a de dimen-sions accessibles agrave la contribution et agrave la creacuteativiteacute des membres plus les rendementscroissants pourront animer le reacuteseau et plus le systegraveme prospeacuterera en srsquoauto-alimentantAgrave lrsquoinverse moins il permettra ce deacuteveloppement moins il attirera de membres

LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux reacutecompense la creacuteation deacutecentraliseacutee et punit les systegravemesqui ne la permettent pas Pendant lrsquoegravere industrielle un constructeur automobile srsquoatta-chait agrave garder le controcircle de tous les aspects de la fabrication du veacutehicule et de ses piegrave-ces Agrave lrsquoegravere des reacuteseaux il va tisser une toile de normes et de fournisseurs exteacuterieurs etencourager cette toile agrave inventer une voiture il va ensemencer de connaissances le sys-tegraveme et reacuteunir le plus grand nombre possible de participants afin de creacuteer une bouclevertueuse dans laquelle le succegraves de chacun est partageacute par tous et influe sur tous

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux faites des cercles vertueux

6 La Loi des Prix Inverseacutes

Pariez sur le bas prix

LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux preacutesente une curieuse caracteacuteristique qui eacutetonnerait beau-coup un citoyen qui aurait veacutecu en 1897 il y a donc un siegravecle crsquoest que le meilleurdevient moins cher drsquoune anneacutee sur lrsquoautre Il srsquoagit lagrave drsquoun principe de base qui est siancreacute dans le style de vie contemporain que lrsquoon nrsquoa pas tendance agrave srsquoen eacutemerveiller or on le devrait car ce paradoxe est un moteur essentiel dans la nouvelle eacuteconomie

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Pendant la plus grande partie de lrsquoegravere industrielle la qualiteacute srsquoameacuteliorait leacutegegraverementmoyennant une faible augmentation du prix Mais lrsquoarriveacutee des microprocesseurs abalayeacute cette eacutequation agrave lrsquoegravere de lrsquoinformation les consommateurs en sont rapidementvenus agrave escompter une qualiteacute radicalement supeacuterieure pour un prix devant progres-sivement diminuer Les courbes de prix et de qualiteacute divergent si consideacuterablementqursquoil peut parfois sembler que meilleur est un produit moins il coucircte cher

Ce sont les puces qui ont inaugureacute cette inversion comme le note justement Ted Lewisauteur de The Friction Free Economy Les ingeacutenieurs informatiques ont exploiteacute les vertuscapitales des ordinateurs pour creacuteer de faccedilon directe et indirecte la geacuteneacuteration suivanteplus performante En recombinant de la mecircme faccedilon notre expeacuterience on obtient plusavec moins de matiegravere Les puces ont un tel pouvoir de recombinaison que tout ce qursquoellestouchent tombe sous leur charme voitures vecirctements alimentshellip Lrsquoexpeacuterience cumu-leacutee acquise dans la miniaturisation des puces a permis la production en flux tendus et unesous-traitance de la fabrication high tech aupregraves drsquoune main-drsquoœuvre bon marcheacute ce quia encore contribueacute agrave lrsquoabaissement du prix des marchandises

Aujourdrsquohui la reacuteduction des puces se conjugue agrave un reacuteseau qui explose De la mecircmefaccedilon que nous avons une deacutemultiplication de lrsquoexpeacuterience acquise avec la creacuteation dumicroprocesseur nous sommes actuellement en train drsquoexercer les mecircmes effets delevier et de deacutemultiplication avec la toile des communications globales nous utilisonsles vertus capitales des communications en reacuteseau pour creacuteer directement ou non demeilleures versions de communications en reacuteseau

Les microprocesseurs ont connu ce pheacutenomegravene pratiquement degraves leur apparitionen 1971 crsquoest-agrave-dire une reacuteduction par deux du prix ou un doublement de capaciteacutetous les 18 mois Aujourdrsquohui les teacuteleacutecommunications srsquoapprecirctent agrave connaicirctre lamecircme eacutevolution mais agrave une eacutechelle encore plus impressionnante Lrsquoeacutevolution de cerapport coucirctcapaciteacute est connu sous le nom de la loi de Moore Le mecircme rapport appli-queacute au Net est connu sous le nom de Loi de Gilder Georges Gilder un technotheacuteori-cien radical promet pour les 25 prochaines anneacutees un triplement de la bande passante(la capaciteacute du flux de communication) tous les 12 mois

Le pouvoir de communication qui augmente consideacuterablement et les puces qui seminiaturisent et coucirctent toujours moins cher conduisent Gilder agrave parler drsquoune bandepassante qui devient gratuite

Il veut dire par lagrave que le prix par bit transmis baisse en suivant une asymptote quitend vers zeacutero Lrsquoasymptote preacutesente une analogie avec le paradoxe de Zeacutenon drsquoEacuteleacutee agrave chaque pas la tortue srsquoapproche de la limite mais en fait nrsquoy parvient jamais De lamecircme faccedilon une courbe de prix asymptotique approche de la gratuiteacute sans jamaislrsquoatteindre mais ce qui est important crsquoest que sa trajectoire soit parallegravele agrave la gratuiteacutetout en eacutetant voisine de celle-ci

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Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux il nrsquoy a pas que la largeur de bande qui a pris cettedirection Plongent ainsi vers la gratuiteacute les calculs en MIPS1 par dollar les coucircts detransaction de lrsquoinformation tels les gros titres de lrsquoactualiteacute et les cours de la bourseEn fait tous les biens pouvant ecirctre reproduits qursquoils soient mateacuteriels ou immateacuterielsobeacuteissent agrave la loi des prix inverseacutes et deviennent moins chers agrave mesure qursquoils srsquoameacutelio-rent Certes les voitures ne seront jamais gratuites mais le prix au kilomegravetre va chuterpour se rapprocher de la gratuiteacute crsquoest la fonction par dollar qui continuera agrave baisser

Pour les consommateurs crsquoest le paradis en revanche crsquoest un monde cruel pour ceuxqui espeacuteraient une rente de situation Les prix vont finir par srsquoeacutetablir agrave proximiteacute de la gra-tuiteacute mais il nrsquoy aura pas de limite supeacuterieure agrave la qualiteacute Ainsi par exemple il y aura bienun jour ougrave les services teacuteleacutephoniques seront agrave volonteacute et pratiquement gratuits mais leurqualiteacute ne pourra que continuer agrave srsquoameacuteliorer simplement pour rester compeacutetitive

Mais comment donc les teacuteleacutecommunications et bien drsquoautres activiteacutes vont-ellesavoir des revenus suffisants pour financer la maintenance ainsi que la recherche et ledeacuteveloppement tout en deacutegageant des profits Tout simplement en eacutelargissant lanotion de teacuteleacutephone Le temps aidant tout produit inventeacute repreacutesente un aller simplepour franchir la falaise des prix inverseacutes et descendre vers la gratuiteacute Dans la mesure ougravelrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux se communique agrave tous les articles manufactureacutes ceux-ci vonttregraves rapidement se retrouver sur ce toboggan Notre tacircche consiste donc agrave creacuteer de nou-velles choses agrave envoyer sur le toboggan en bref agrave ce que le rythme drsquoinvention soit plusrapide que la vitesse agrave laquelle les objets deviennent des marchandises

Crsquoest plus facile agrave faire dans une eacuteconomie baseacutee sur les reacuteseaux car dans ce contextelrsquoentrecroisement des ideacutees lrsquoagiliteacute confeacutereacutee aux alliances et la rapiditeacute de creacuteation denœuds viennent soutenir la mise au point constante de nouveaux biens et services lagraveougrave auparavant il nrsquoexistait rien

Et du coup lrsquoappeacutetit devient insatiable toute nouvelle invention introduite dansle circuit eacuteconomique creacutee lrsquoopportuniteacute et le deacutesir drsquoen posseacuteder deux autres Alors quele service teacuteleacutephonique de base tend vers la gratuiteacute jrsquoai maintenant trois lignes qui neservent qursquoagrave mes machines peut-ecirctre aurai-je un jour une laquo ligne raquo de donneacutees pourtous les objets se trouvant chez moi Mais il y a plus important encore la gestion deces lignes les donneacutees qursquoelles transmettent les messages qui me sont adresseacutes et leurarchivage le besoin de mobiliteacute tous ces eacuteleacutements eacutelargissent la notion que jrsquoavais duteacuteleacutephone et du prix fort que je suis disposeacute agrave payer

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux on peut compter sur le meilleur agrave prix toujours plusbas ce qui ouvre un espace pour quelque chose de nouveau qui est cher Pariez sur lebas prix

1 MIPS millions drsquoinstructions par seconde

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7 La Loi de la Geacuteneacuterositeacute

Pratiquez la gratuiteacute

Si drsquoune part les services prennent de la valeur agrave mesure qursquoils sont plus abondants (loindeg2) et si drsquoautre part moins ils coucirctent meilleurs ils sont et plus ils sont valoriseacutes (loindeg6) alors on peut dire en poussant le raisonnement que les choses qui ont le plus devaleur sont celles qui sont donneacutees

Microsoft donne son browser Internet Explorer Qualcomm qui produit le pro-gramme standard de courrier eacutelectronique Eudora le donne dans la perspective drsquoenvendre des versions ameacutelioreacutees On distribue gratuitement un million drsquoexemplairespar mois du logiciel anti-virus de McAfee Et bien sucircr Sun a distribueacute gratuitementJava faisant monter le cours de son action et donnant naissance agrave une mini-industriede deacuteveloppeurs drsquoapplications en langage Java

Pourrait-on imaginer un jeune cadre qui dans les anneacutees 1940 aurait dit agrave sa direc-tion qursquoil venait drsquoavoir lrsquoideacutee de distribuer gratuitement les 40 premiers millionsdrsquoexemplaires de son unique produit Il aurait eacuteteacute immeacutediatement remercieacute pour-tant crsquoest bien ce qursquoa fait Netscape 50 ans plus tard

Aujourdrsquohui cette pratique constitue une strateacutegie parfaitement reacutefleacutechie et applau-die qui mise sur les nouvelles regravegles du reacuteseau Dans la mesure ougrave la deacutemultiplicationdu savoir du reacuteseau inverse les prix le coucirct marginal drsquoun exemplaire suppleacutementaireest voisin de zeacutero (le terme drsquoexemplaire srsquoapplique ici agrave un bien mateacuteriel ou immateacute-riel) La valorisation srsquoappreacuteciant en proportion de lrsquoabondance un deacuteluge drsquoexem-plaires augmente la valeur de chacun drsquoentre eux Cette valorisation accrue rend lebien de plus en plus deacutesirable et la diffusion du produit srsquoaccomplit drsquoelle-mecircme Unefois bien eacutetablis la valeur du produit et son caractegravere indispensable lrsquoentreprise peutvendre des services annexes ou des versions ameacutelioreacutees ce qui lui permet de continueragrave ecirctre geacuteneacutereuse et agrave maintenir ce cercle merveilleux

On pourrait objecter que cette terrifiante dynamique ne marche qursquoavec le logiciel puis-que le coucirct marginal drsquoun exemplaire suppleacutementaire est deacutejagrave voisin de zeacutero ce seraitmeacuteconnaicirctre lrsquouniversaliteacute de la loi des prix inverseacutes Celle-ci reacutegit eacutegalement tout produitmateacuteriel constitueacute drsquoatomes degraves lors qursquoil est en reacuteseau on donne des teacuteleacutephones cellu-laires afin de vendre des services et on peut srsquoattendre agrave ce que pour les mecircmes raisons ondistribue des antennes paraboliques ou tout autre produit pour lequel les avantages de lamise en reacuteseau excegravedent le coucirct de reproduction de lrsquoobjet et le prix diminue

Dans ces conditions il est tout agrave fait naturel de se demander comment les entreprisespeuvent survivre dans un monde aussi geacuteneacutereux Trois points peuvent aider agrave le com-prendre

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Premiegraverement il faut penser la gratuiteacute comme un objectif dans la maniegravere dont onconccediloit le prix Il existe un mouvement vers la gratuiteacute la gratuiteacute asymptotique quimecircme si elle nrsquoest pas atteinte fait que le systegraveme se comporte comme si elle lrsquoeacutetait un prix tregraves bas en ordonneacutee et tregraves plat produit les mecircmes effets que la gratuiteacute

Deuxiegravemement quand un produit est gratuit il valorise les autres services Crsquoest laraison pour laquelle Sun distribue Java gratuitement pour favoriser la vente de ses ser-veurs et Netscape donne des browsers pour vendre des serveurs Netscape

Troisiegravemement et crsquoest le point le plus important le fait de pratiquer la gratuiteacuteconstitue une sorte de reacutepeacutetition geacuteneacuterale agrave la chute ineacutevitable du prix On structureson activiteacute comme si le produit creacuteeacute eacutetait gratuit pour anticiper son prix futur Lesconsoles de jeu Sega ne sont pas gratuites mais elles sont vendues agrave perte pour acceacuteleacutererleur destin drsquoobjet qui sera donneacute gratuitement dans une Eacuteconomie des Reacuteseaux

On peut aussi envisager cet effet en terme drsquoattention Le seul facteur qui se rareacutefiedans un monde drsquoabondance crsquoest lrsquoattention dont on dispose Chaque ecirctre humainse heurte agrave une limite absolue il nrsquoa que 24 heures par jour pour precircter attention auxmillions drsquoinnovations et drsquoopportuniteacutes que produit lrsquoeacuteconomie agrave jet continu Or lefait de donner attire lrsquoattention et cette laquo part drsquoattention raquo va mener agrave la part demarcheacute

La pratique de la gratuiteacute marche eacutegalement en sens inverse si lrsquoun des moyensdrsquoaugmenter la valeur drsquoun produit consiste agrave le distribuer gratuitement nombreusessont les choses qui ne coucirctent rien aujourdrsquohui mais qui dissimulent une tregraves grandevaleur Il est donc possible drsquoanticiper la richesse en utilisant la gratuiteacute

Dans la premiegravere peacuteriode drsquoexistence de la Toile les premiers index de ce terri-toire inexploreacute eacutetaient consigneacutes par des eacutetudiants et offerts Ces index permet-taient aux gens de focaliser leur attention sur quelques sites parmi les milliersexistants de sorte que les webmasters facilitaient le travail des eacutetudiants Eacutetant gra-tuits ces index sont devenus omnipreacutesents ce qui a rapidement entraicircneacute uneexplosion des valeurs boursiegraveres de ceux qui rendaient ce service et permis agravedrsquoautres sites Web de prospeacuterer

Qursquoest-ce qui est gratuit aujourdrsquohui et qui pourrait ulteacuterieurement beacuteneacuteficier drsquouneextrecircme valorisation Ougrave de nos jours la geacuteneacuterositeacute preacutecegravede-t-elle la richesse Uneseacutelection de candidats en ligne nous donne les reacutedacteurs de laquo digests raquo les guides leseacutediteurs de catalogues les FAQs1 les web-cams2 les sites promotionnels et de nom-breux agents intelligents Gratuits aujourdrsquohui ces produits permettront un jour ougravelrsquoautre lrsquoeacutedification autour drsquoeux drsquoentreprises florissantes Ces fonctions actuellement

1 FAQs Frequently Asked Questions2 Cameacutera videacuteo sur Internet en temps reacuteel

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marginales ne sont pas neacutegligeables rappelons-nous par exemple que agrave lrsquoegravere indus-trielle le Readerrsquos Digest eacutetait le magazine le plus lu au monde que TV Guide est encoreplus profitable que les 3 grands reacuteseaux dans lesquels il guide les teacuteleacutespectateurs et quelrsquoEncyclopœdia Britannica a deacutebuteacute comme une petite encyclopeacutedie dont les entreacuteeseacutetaient reacutedigeacutees par des amateurs ce qui nrsquoest pas si diffeacuterent des FAQs

Mais il nrsquoest pas possible de preacutecipiter le passage de lrsquoutilisation adapteacutee agrave la com-mercialisation Lrsquoun des corollaires de la loi de la geacuteneacuterositeacute est que dans lrsquoEacutecono-mie des Reacuteseaux la valeur exige une eacutetape preacute-commerciale Ici encore la richesseprocure lrsquoomnipreacutesence et lrsquoomnipreacutesence appelle un certain niveau de partage Agraveleurs deacutebuts lrsquoInternet et la Toile ont permis le deacuteveloppement drsquoune eacuteconomie dudon eacutetonnamment robuste les biens et services srsquoeacutechangeaient se partageaientgeacuteneacutereusement ou se donnaient carreacutement en fait crsquoeacutetait le seul mode drsquoeacutechangesur Internet Aussi ideacutealiste que puisse ecirctre une telle attitude crsquoeacutetait la seule solu-tion saine pour lancer une eacuteconomie marchande dans cet espace eacutemergeantWilliam Gibson as de la science-fiction avait trouveacute une faille dans la Toile sacapaciteacute agrave gaspiller un temps absolument consideacuterable En reacutealiteacute comme le noteraplus tard Gibson cette faille se reacutevegravelera en fait ecirctre son salut Dans une Eacuteconomiedes Reacuteseaux les innovations doivent drsquoabord srsquoensemencer dans lrsquoinefficaciteacute delrsquoeacuteconomie du don avant de germer plus tard dans lrsquoefficaciteacute des eacuteconomies mar-chandes

Aujourdrsquohui rare et bien sot serait lrsquoeacutediteur de logiciel qui ne ferait pas ses premierspas dans lrsquoeacuteconomie du don avec une version beta Il y a 50 ans on aurait consideacutereacutecomme lacircche meacutediocre ou totalement stupide le fait de lancer un produit non encorefini en comptant sur le public pour aider agrave le terminer Mais dans le nouveau reacutegime ougravenous sommes cette eacutetape de preacute-commercialisation srsquoanalyse comme une deacutemarche agravela fois courageuse prudente et vitale

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux pratiquez la gratuiteacute

8 La Loi de lrsquoAlleacutegeance

Commencez par nourrir la toile

Ce qui caracteacuterise les reacuteseaux crsquoest qursquoils ne comportent ni centre ni peacuteripheacuterie quisoient nettement discernables Dans une Eacuteconomie des Reacuteseaux la distinction essen-tielle entre le soi (nous) et le non-soi (eux) devient moins significative alors que danslrsquoegravere industrielle elle srsquoillustrait par lrsquoalleacutegeance de lrsquohomme envers lrsquoorganisation Le

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seul point de repegravere aujourdrsquohui crsquoest laquo ecirctes-vous ou non sur le reacuteseau raquo Lrsquoalleacutegeanceindividuelle se deacuteplace vers les reacuteseaux et les plates-formes (laquo Ecirctes-vous Windows ouMac raquo)

On constate donc un farouche enthousiasme des consommateurs envers lesarchitectures ouvertes Les utilisateurs votent en faveur de la maximisation de lavaleur du reacuteseau lui-mecircme et les entreprises doivent elles aussi suivre le mouve-ment Comme lrsquoaffirme le consultant John Hagel lrsquoobjectif essentiel drsquoune organi-sation dans un monde en reacuteseau ne consiste pas agrave maximiser la valorisation delrsquoentreprise en question mais agrave maximiser la valeur de lrsquoinfrastructure tout entiegravereAinsi par exemple les entreprises de jeux consacrent autant drsquoeacutenergie agrave promou-voir la plate-forme (lrsquoenchevecirctrement des utilisateurs les deacuteveloppeurs les fabri-cants de hardware etc hellip) que le produit lui-mecircme Si leur reacuteseau ne se deacuteveloppepas elles meurent

Le reacuteseau est une usine du possible qui produit en seacuterie de nouvelles opportuni-teacutes Mais agrave moins que cette explosion ne soit exploiteacutee elle va noyer ceux qui nesont pas preacutepareacutes Ce que lrsquoindustrie informatique appelle laquo standards raquo repreacutesenteune tentative drsquoapprivoiser la fragilisante abondance drsquoalternatives en concur-rence potentielle Les standards renforcent un reacuteseau et les contraintes qursquoilsimposent viennent stabiliser la voie ce qui permet une acceacuteleacuteration du rythme desinnovations et des eacutevolutions Ce besoin de les reacuteduire est si vital que les organisa-tions doivent faire drsquoun standard commun leur toute premiegravere alleacutegeance Cellesqui se positionnent agrave lrsquoentreacutee drsquoun standard sont celles qui recueilleront les plusgros beacuteneacutefices Mais quand une entreprise prospegravere la prospeacuteriteacute touche aussi ceuxqui se trouvent dans son reacuteseauhellip

Un reacuteseau preacutesente une analogie avec un pays dans les deux cas le moyen le plussucircr pour augmenter sa propre prospeacuteriteacute consiste agrave augmenter celle de lrsquoensemble Lrsquoegravereindustrielle nous a drsquoailleurs bien montreacute une chose crsquoest que la prospeacuteriteacute agrave laquelleparviennent les individus est plus eacutetroitement lieacutee agrave la prospeacuteriteacute de la nation qursquoagrave leurspropres efforts

Mais si le reacuteseau srsquoapparente agrave un pays il srsquoen distingue par trois diffeacuterencesimportantes

1- Il nrsquoy existe aucune frontiegravere drsquoordre spatial ou temporel les liaisons srsquoeacutetablissant24 heures sur 24 7 jours sur 7 et 365 jours par an

2- Les relations y sont plus eacutetroitement coupleacutees plus intenses plus continues etpar bien des aspects plus intimes que celles qui se deacuteveloppent dans un pays

3- Il existe de multiples recouvrements des reacuteseaux et de multiples recouvrementsdrsquoalleacutegeances

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Mais en tout eacutetat de cause quel que soit le reacuteseau la regravegle est la mecircme pour connaicirc-tre une prospeacuteriteacute maximale commencez par nourrir la toile

9 La Loi de la Reacutegression

Lacircchez prise au sommet

Les caracteacuteristiques drsquointerconnexion de toute eacuteconomie lrsquoamegravenent agrave se comporterde faccedilon eacutecologique et crsquoest tout particuliegraverement le cas de lrsquoEacuteconomie des Reacuteseauxqui est ultra-connecteacutee Le sort drsquoune organisation ne deacutepend pas entiegraverement de sespropres meacuterites il est eacutegalement lieacute au destin de son voisinage de ses allieacutes de ses con-currents et bien sucircr de son environnement immeacutediat

Dans la nature il existe certains biotopes qui nrsquooffrent que peu drsquoopportuniteacutes au deacuteve-loppement de la vie Dans lrsquoArctique il nrsquoy a que quelques modes de vie et une espegravece adonc inteacuterecirct agrave adopter lrsquoun drsquoentre eux Drsquoautres biotopes foisonnent au contrairedrsquoopportuniteacutes en perpeacutetuel renouvellement qui apparaissent et disparaissent dans letemps biologique au greacute des luttes des espegraveces pour leur adaptation agrave leur environnement

De par sa forme luxuriante interactive et extrecircmement plastique lrsquoEacuteconomie desReacuteseaux ressemble agrave un biotope en effervescence De nouvelles niches se manifestentconstamment et srsquoeacutevanouissent aussi vite qursquoelles sont apparues les concurrentsbourgeonnent sous vos pieds et vous avalent tout net vous ecirctes un jour le roi drsquounemontagne qui le lendemain nrsquoexistera mecircme plus

Les biologistes verraient dans cette lutte meneacutee par un organisme pour srsquoadapter agraveson biotope comme la longue ascension drsquoune montagne une altitude plus eacuteleveacutee cor-respondant agrave une meilleure adaptation Crsquoest donc quand il se trouve au sommet quelrsquoorganisme en question atteint une adaptation plus grande Il est facile drsquoimaginer lasituation si au lieu drsquoun organisme on a affaire agrave une entreprise celle-ci deacuteploie tousses efforts pour gravir la montagne crsquoest-agrave-dire pour faire eacutevoluer son produit de faccedilonqursquoil parvienne au sommet autrement dit qursquoil soit le plus adapteacute possible agrave lrsquoenviron-nement des consommateurs

Qursquoelles aient ou non un but lucratif les organisations se trouvent toutes confron-teacutees agrave deux problegravemes quand elles cherchent agrave atteindre leur forme optimale Ces deuxproblegravemes sont amplifieacutes par lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux dans laquelle la turbulenceconstitue la norme

Premiegraverement agrave la diffeacuterence de lrsquoenvironnement relativement simple de lrsquoegravereindustrielle ougrave lrsquoon avait une vision assez claire de ce agrave quoi pouvait ressembler un pro-duit optimal et de lrsquoendroit ougrave une entreprise devait se positionner sur un horizon eacutevo-

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luant lentement il est de plus en plus difficile dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux dediscerner quelles sont les collines les plus hautes et quels sont les sommets factices

Grande ou petite une entreprise peut se trouver confronteacutee agrave ce problegraveme Il nrsquoestpas eacutevident de savoir si lrsquoon doit tout mettre en œuvre pour devenir le meilleur fabri-cant mondial de disques durs alors que la montagne soutenant le sommet viseacute risquede ne plus exister quelques anneacutees plus tard Une organisation peut donc tregraves biendeacuteployer des efforts insenseacutes pour devenir lrsquoexpert de reacutefeacuterence drsquoune technologie quisrsquoavegraverera ulteacuterieurement ecirctre une impasse pour deacutecrire pareille situation les biologis-tes eacutevoqueraient lrsquoorganisme coinceacute sur un sommet tregraves localiseacute

Ce qui est cruel dans la nouvelle eacuteconomie crsquoest qursquoon est certain drsquoecirctre coinceacute agrave lamaniegravere de cet organisme Tocirct ou tard et plutocirct tocirct que tard un produit se trouve for-ceacutement eacuteclipseacute alors qursquoil se trouve agrave lrsquoapogeacutee car tandis qursquoil est au sommet un autreproduit va deacuteplacer la montagne en changeant les regravegles

Pour eacutechapper agrave cette situation lrsquoorganisme ne dispose que drsquoune seule solution reacutegres-ser Autrement dit srsquoil veut passer drsquoun sommet drsquoaltitude agrave un autre il lui faut drsquoabord des-cendre traverser une valleacutee puis entreprendre lrsquoascension drsquoune autre montagne il fautdonc qursquoil devienne moins adapteacute moins en forme bref moins optimal

Cela nous amegravene agrave lrsquoautre problegraveme Tout comme les ecirctres humains les organisationssont cacircbleacutees pour optimiser ce qursquoelles savent faire et non pour gaspiller leur succegraves Etdonc les entreprises considegraverent que le fait de reacutegresser est primo impensable secundoimpossible Il nrsquoy a tout bonnement dans lrsquoentreprise pas de place pour le concept delaquo lacirccher prise raquo et agrave plus forte raison pour avoir la compeacutetence pour lacirccher prise sur quel-que chose qui marche Crsquoest donc en traicircnant les pieds qursquoelles descendent vers le chaos

Et effectivement crsquoest chaotique et dangereux agrave plus faible altitude car quand on estmoins adaptable on est plus proche de lrsquoextinction Dans ces conditions la deacutecouvertedu sommet suivant devient tout agrave coup une question de vie ou de mort Mais que lrsquoonsache il nrsquoexiste pas drsquoautre solution que de laisser derriegravere soi des produits parfaitsune technologie dont la mise au point a repreacutesenteacute des coucircts importants et des mar-ques magnifiques pour descendre vers les problegravemes afin de remonter ailleurs Il srsquoagitlagrave drsquoune marche forceacutee qui agrave lrsquoavenir deviendra une routine

Du fait de la nature biologique de cette egravere nouvelle la soudaine deacutesinteacutegration dedomaines bien eacutetablis est aussi certaine que la survenue soudaine de nouveauteacute Il nepeut donc y avoir expertise dans lrsquoinnovation srsquoil nrsquoy a aussi expertise dans la deacutemoli-tion de ce qui est installeacute

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux une qualiteacute sera inestimable la capaciteacute agrave abandon-ner un produit une profession ou un domaine drsquoactiviteacute alors qursquoils sont agrave leur apogeacuteeLacircchez prise au sommet

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10 La Loi de la Substitution

Crsquoest le reacuteseau qui est gagnant

Nombreux sont les observateurs qui ont noteacute que dans notre eacuteconomie les mateacute-riaux eacutetaient progressivement supplanteacutes par lrsquoinformation Ainsi par exemple lepoids des voitures est nettement plus faible qursquoautrefois alors que les performances sesont ameacutelioreacutees Les veacutehicules ne comportent plus un certain nombre de mateacuteriauxqui ont eacuteteacute remplaceacutes par un savoir-faire technologique dont le poids est voisin de zeacuterosous forme de plastiques et de fibres composites Ce remplacement drsquoune masse par desbits va se poursuivre dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux

Alors que dans le passeacute la dynamique exceptionnelle de lrsquoindustrie du software et delrsquoordinateur (rendements croissants pratique de la gratuiteacute etc) eacutetait consideacutereacuteecomme un cas agrave part dans lrsquoeacuteconomie plus eacutetendue et plus laquo reacuteelle raquo de lrsquoacier dupeacutetrole de lrsquoautomobile ou de lrsquoagriculture la dynamique des reacuteseaux continuera agraveremplacer lrsquoancienne dynamique jusqursquoagrave ce que le comportement en reacuteseau soit celuide lrsquoeacuteconomie tout entiegravere

Prenons par exemple la nouvelle logique automobile telle qursquoelle a eacuteteacute souligneacutee parun visionnaire Amory Lovins La voiture est veacuteritablement lrsquoarcheacutetype du produit delrsquoegravere industrielle et pourtant cette derniegravere peut ecirctre supplanteacutee par les puces et lesreacuteseaux mecircme dans le secteur automobile La plus grande partie de lrsquoeacutenergie consom-meacutee lors drsquoun voyage est utiliseacutee pour deacuteplacer non le passager mais le veacutehicule Doncsi lrsquoon parvient agrave diminuer la taille du moteur et de la carrosserie une voiture aurabesoin drsquoune puissance moindre autrement dit on pourra faire des moteurs encoreplus petits et donc un modegravele encore plus petit lui aussi et ainsi de suite selon lamecircme courbe descendante de valeur composeacutee qursquoont suivie les microprocesseursDans ce processus le rocircle de lrsquoacier se trouve reacuteduit par des mateacuteriaux intelligents dontlrsquoinvention et la production exigent des compeacutetences de plus en plus grandes

Agrave Detroit et au Japon on a construit des concept cars en fibres composites ultra-leacutegegraveres ces voitures pegravesent environ 450 kg et sont eacutequipeacutees drsquoun moteur hybride carburant pluseacutelectriciteacute Les puces en reacuteseau y ont remplaceacute les masses du radiateur de lrsquoessieu et delrsquoarbre de transmission De la mecircme faccedilon que le freinage est rendu plus sucircr par lrsquoincor-poration de puces lrsquoautomobiliste dispose drsquoune plus grande seacutecuriteacute gracircce agrave lrsquointelli-gence en reacuteseau connecteacutee par fils un choc accroicirct lrsquointelligence de multiples airbagsun peu analogues agrave un emballage pelliculeacute dont les bulles seraient intelligentes

Lrsquoeffet cumuleacute de ce remplacement de mateacuteriaux par du savoir se traduit dans unelaquo hyper-voiture raquo qui sera nettement plus sucircre qursquoun veacutehicule actuel et pourra de sur-croicirct traverser les Eacutetats-Unis drsquoun oceacutean agrave lrsquoautre avec un seul plein de carburant

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Aujourdrsquohui deacutejagrave une voiture lambda dispose drsquoune puissance informatique supeacute-rieure agrave celle drsquoun PC basique de bureau Mais indique Lovins ce que promet lrsquolaquo hyper-voiture raquo ce nrsquoest pas des roues comportant de nombreuses puces crsquoest au contraire unepuce avec des roues Une voiture peut se consideacuterer comme destineacutee agrave devenir unmodule eacutelectronique se conduisant sur un systegraveme routier qui repreacutesentera de plus enplus un reacuteseau eacutelectronique deacutecentraliseacute obeacuteissant aux lois de lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux

Une fois que lrsquoon considegravere lrsquoautomobile comme des puces monteacutees sur roues il estnettement plus facile drsquoimaginer que les avions sont des puces pourvues drsquoailes lesexploitations agricoles des puces entoureacutees de terre les habitations des puces environ-neacutees drsquooccupants Certes ces diffeacuterents objets repreacutesenteront encore une masse maiscelle-ci sera soumise agrave la domination du savoir et des informations qui y passeront enabondance en termes eacuteconomiques ils se comporteront comme si leur masse eacutetaitreacuteduite agrave zeacutero et donc ils migreront vers lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux

Nicholas Negroponte surnommeacute laquo Atoms-to-Bits raquo estime que cette eacuteconomieatteindra un billion de dollars en lrsquoan 2000 Ce que cette eacutevaluation ne prend pas encompte crsquoest lrsquoeacutechelle du monde eacuteconomique qui eacutevolue vers Internet ce formidablereacuteseau drsquoobjets interconnecteacutes dans la mesure ougrave lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux infiltre lesautomobiles aussi bien que leur circulation lrsquoacier aussi bien que le bleacute Mecircme si toutesles voitures ne se vendent pas on-line pour lrsquoinstant la faccedilon dont les veacutehicules sontconccedilus produits et utiliseacutes deacutependra de la logique du reacuteseau et du pouvoir des puces

Quelle sera lrsquoampleur du commerce on-line Cette question sera de moins en moinspertinente au fil du temps dans la mesure ougrave quelle que soit sa nature le commerceest en train de srsquoengouffrer dans lrsquoInternet Les distinctions entre lrsquoEacuteconomie desReacuteseaux et lrsquoeacuteconomie industrielle vont srsquoestomper pour aller vers la diffeacuterence exis-tant entre lrsquoanimeacute et lrsquoinerte Si lrsquoargent et lrsquoinformation circulent agrave travers quelquechose ce quelque chose fait partie de lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux crsquoest le reacuteseau qui est gagnant Toutes les transactionset tous les objets tendent agrave obeacuteir agrave sa logique

11 La Loi du Brassage

Recherchez le deacuteseacutequilibre permanent

Dans la logique industrielle lrsquoeacuteconomie eacutetait une machine qui devait ecirctre gonfleacuteepour donner une efficaciteacute optimale et qui une fois preacuteciseacutement reacutegleacutee srsquoentretenaitdans une harmonie productive Il srsquoagissait donc de proteacuteger et chouchouter les entre-

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prises et industries particuliegraverement geacuteneacuteratrices de travail ou de marchandisescomme srsquoil srsquoagissait de montres de prix dans une vitrine

Les reacuteseaux ayant infiltreacute notre monde lrsquoeacuteconomie en est venue agrave ressembler agrave un eacuteco-systegraveme drsquoorganismes interconnecteacutes et eacutevoluant conjointement en perpeacutetuel change-ment profondeacutement enchevecirctreacutes et en continuelle expansion De reacutecentes eacutetudes nousont appris que lrsquoeacutequilibre nrsquoexiste pas dans la nature au fur et agrave mesure des progregraves delrsquoeacutevolution il se produit de perpeacutetuelles ruptures agrave mesure que de nouvelles espegraveces enremplacent drsquoautres plus anciennes que des biotopes modifient leur organisation queles organismes et environnements se transforment Il en va de mecircme pour le reacuteseau lesentreprises naissent et meurent rapidement les meacutetiers sont des patchworks de voca-tions les industries sont des groupements indeacutefinis drsquoentreprises fluctuantes

Le changement nrsquoest pas eacutetranger agrave lrsquoeacuteconomie industrielle ou agrave lrsquoeacuteconomieembryonnaire de lrsquoinformation En 1970 Alvin Toffler parlait de laquo choc du futur raquopour deacutesigner la mecircme reacuteaction de lrsquohomme agrave des changements allant srsquoacceacuteleacuterantMais lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux est passeacutee du changement au brassage

Mecircme sous sa forme toxique le changement se deacutefinit par une diffeacuterence rapide Lebrassage quant agrave lui srsquoapparente plus agrave la diviniteacute hindoue Ccediliva force agrave la fois de des-truction et de creacuteation En effet il renverse ceux qui sont en place et creacutee une plate-forme ideacuteale pour favoriser lrsquoinnovation et la naissance crsquoest une laquo renaissancedeacutemultiplieacutee raquo Et cette genegravese plane sur le bord du chaos

Donald Hicks de lrsquoUniversiteacute du Texas a eacutetudieacute la demi-vie des entreprises de cetEacutetat pendant ces 22 derniegraveres anneacutees Il a constateacute que la longeacuteviteacute de ces organisationsa baisseacute de moitieacute depuis 1970 ccedila crsquoest du changement Mais en mecircme temps Austinla ville du Texas ougrave lrsquoespeacuterance de vie des nouvelles entreprises est la plus faible estaussi celle ougrave la croissance du nombre des emplois est la plus forte et ougrave les salaires sontles plus eacuteleveacutes ccedila crsquoest du brassage

laquo La tregraves grande majoriteacute des entreprises et des emplois qui donneront du travailaux Texans en 2026 ou mecircme en 2006 nrsquoexiste pas encore raquo a indiqueacute Hicks agrave sessponsors texans Pour produire 3 millions drsquoemplois agrave lrsquohorizon 2020 il faut en creacuteer15 millions du fait du brassage Sous la plume de Jerry Useem un magazine destineacuteaux petites entreprises Inc a preacutesenteacute les reacutesultats de ces travaux On y lit notam-ment la recommandation suivante de Donald Hicks laquo Au lieu de consideacutererlrsquoemploi comme une somme fixe qursquoil faut proteacuteger et augmenter lrsquoEacutetat ferait mieuxdrsquoencourager le brassage afin drsquoaboutir agrave une re-creacuteation perpeacutetuelle de lrsquoeacuteconomiedu Texas raquo Autrement dit la stabiliteacute agrave long terme ne peut naicirctre que du brassage quelle ironie

Cette notion drsquoeacutevolution continue est familiegravere aux eacutecologistes et aux personnes quigegraverent des reacuteseaux de grande ampleur Un reacuteseau complexe ne peut conserver sa vita-

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liteacute qursquoen provoquant son propre deacuteseacutequilibre si le systegraveme srsquoinstalle dans lrsquoeacutequilibreet lrsquoharmonie il va finir par stagner puis mourir

Lrsquoinnovation srsquoanalyse comme une rupture et lrsquoinnovation constante est une rup-ture constante Le maintien drsquoun perpeacutetuel deacuteseacutequilibre semble effectivement ecirctrelrsquoobjectif des reacuteseaux bien constitueacutes LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux commence agrave fairelrsquoobjet drsquoeacutetudes de la part drsquoun certain nombre drsquoeacuteconomistes parmi lesquels PaulRomer et Brian Arthur ils constatent par ailleurs que cette eacuteconomie fonctionne en setenant en bordure drsquoun chaos incessant Et crsquoest dans ce brassage chaotique que se trou-vent les forces de vie le renouveau et la croissance

La diffeacuterence entre le chaos et la bordure du chaos est extrecircmement subtile Enrecherchant une situation de deacuteseacutequilibre persistant tout en restant innovant AppleComputer peut srsquoecirctre un peu trop pencheacute du cocircteacute du deacuteseacutequilibre et srsquoeacuteteindre Ou sila chance est avec lui apregraves une laquo near-death experience raquo couronnant la reacutegression ilpeut se remettre en route pour une nouvelle montagne agrave escalader

Le cocircteacute obscur du brassage crsquoest que la nouvelle eacuteconomie repose sur la disparitionconstante drsquoentreprises individuelles qui sont deacutepasseacutees ou meacutetamorphoseacutees en entre-prises toujours nouvelles dans de nouveaux domaines drsquoactiviteacute Les industries etlrsquoemploi sont eux aussi sujets agrave ce brassage on va vers une succession rapide de chan-gements de postes lrsquoemploi agrave vie nrsquoexistant plus a fortiori Les carriegraveres si lrsquoon peutencore utiliser le terme en lrsquooccurrence vont ressembler de plus en plus agrave des reacuteseauxdrsquoengagements multiples et simultaneacutes avec une rotation continue de nouvelles com-peacutetences et de rocircles deacutepasseacutes

La turbulence et lrsquoincertitude sont des caracteacuteristiques des reacuteseaux La perspectivedrsquoune deacutemolition constante de ce qui marchait bien fait que le choc du futur va sem-bler bien plat Certes nous accepterons le deacutefi de deacutefaire ce qui repreacutesentait des reacuteussi-tes bien eacutetablies mais en mecircme temps nous trouvons eacutepuisant cette productionpermanente de choses nouvelles LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux est si precircte agrave geacuteneacuterer de lanouveauteacute spontaneacutee que cette mareacutee naissante peut srsquoanalyser comme un certaintype de violence

Neacuteanmoins dans cette peacuteriode de brassage agrave venir on va assister agrave la chute des titansde lrsquoegravere industrielle LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux a en effet pour tacircche premiegravere la destruc-tion au sens poeacutetique du terme de cette eacuteconomie industrielle entreprise par entre-prise et secteur par secteur Et en deacutefaisant ainsi une industrie agrave son apogeacutee elle tisseune toile plus grande de nouvelles organisations plus agiles et plus eacutetroitement lieacutees

Ce sera tout un art de parvenir agrave un brassage efficace En tout eacutetat de cause les ten-tatives visant agrave favoriser la stabiliteacute agrave deacutefendre la productiviteacute et agrave proteacuteger la reacuteussitesrsquoapparentent agrave de lrsquoacharnement theacuterapeutique Dans le doute il vaut mieux opterpour le brassage Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux recherchez le deacuteseacutequilibre permanent

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12 La loi de lrsquoInefficaciteacute

Ne reacutesolvez pas les problegravemes

En deacutefinitive que nous apporte lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux

Les eacuteconomistes ont penseacute pendant un certain temps que lrsquoegravere qui srsquoannonccedilaitapporterait une productiviteacute extrecircme Mais paradoxalement le poids de plus en plusfort de la technologie ne srsquoest pas traduit par des augmentations quantifiables de la pro-ductiviteacute

Parce que la productiviteacute crsquoest preacuteciseacutement le sujet dont il ne faut pas se soucier Ilnrsquoy a que les robots qui devraient se preacuteoccuper de productiviteacute Et en fait les seulsdomaines dans lesquels on a effectivement constateacute une augmentation de la produc-tiviteacute ont eacuteteacute les industries de transformation ameacutericaines et japonaises qui ont enre-gistreacute une croissance annuelle drsquoenviron 3 agrave 5 pendant toutes les anneacutees 1980 etjusqursquoau deacutebut des anneacutees 1990 Il srsquoagit preacuteciseacutement des secteurs dans lesquels il estsouhaitable drsquoobserver une croissance de la productiviteacute En revanche on ne constatepas de gains de productiviteacute dans le secteur tertiaire expression regroupant des activi-teacutes tregraves diverses Mais pourquoi donc les services devraient-ils se montrer productifs Lrsquoentreprise cineacutematographique drsquoHollywood qui produit des films plus longs par dol-lar investi est-elle plus productive que celle dont les films sont plus courts

Le problegraveme de la productiviteacute crsquoest que quand on essaie de la quantifier on nemesure que la faccedilon dont des personnes compeacutetentes peuvent srsquoacquitter de tacircchesinapproprieacutees En fait on devrait sans doute eacuteliminer tous les postes susceptibles drsquoecirctreainsi mesureacutes

Peter Drucker a noteacute que dans lrsquoegravere industrielle la tacircche de chacun consistait agrave trou-ver comment il pouvait mieux faire son travail et ccedila crsquoest de la productiviteacute Maisdans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux ougrave ce sont des machines qui font la plus grosse partie dutravail inhumain de fabrication les choses sont diffeacuterentes la question agrave se poser nrsquoestpas laquo Comment faire ce travail correctement raquo mais laquo Quel est le travail le plusapproprieacute que je pourrais faire raquo Dans lrsquoegravere qui se profile le fait de faire la chose exac-tement approprieacutee sera nettement plus laquo productif raquo que lrsquoeffort de mieux faire lamecircme chose que preacuteceacutedemment Mais comment quantifier facilement cet eacutelan vitalvers lrsquoexploration et la deacutecouverte que les repegraveres de productiviteacute ne perccediloivent pas

Crsquoest en perdant du temps et en eacutetant incompeacutetent que lrsquoon arrive agrave deacutecouvrir deschoses Si la Toile est exploiteacutee par de jeunes gens de 20 ans crsquoest parce qursquoils peuventse permettre de gaspiller les 50 heures neacutecessaires pour acqueacuterir des compeacutetences dansson exploration Les quadrageacutenaires nrsquoarrivent pas agrave partir en vacances sans se deman-der comment ils vont justifier que leur voyage a eacuteteacute productif drsquoune maniegravere ou drsquoune

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autre mais les jeunes eux peuvent suivre leurs intuitions et creacuteer des nouveauteacutesapparemment stupides sur la Toile sans se preacuteoccuper de ce qursquoils font en termes drsquoeffi-caciteacute ou drsquoinefficaciteacute Et crsquoest par ces bidouillages que passe lrsquoavenir

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux ce nrsquoest pas la productiviteacute qui repreacutesente le gouletdrsquoeacutetranglement notre capaciteacute agrave reacutesoudre les problegravemes eacuteconomiques et sociaux seratoujours limiteacutee par notre manque drsquoimagination qui nous conduit agrave systeacutematique-ment tenter drsquooptimiser les solutions alors qursquoil faut saisir les opportuniteacutes laquo Ne reacutesol-vez pas les problegravemes cherchez des opportuniteacutes raquo disait Peter Drucker dans unephrase reacutecemment reprise par George Gilder Quand on reacutesoud des problegravemes oninvestit dans ses propres faiblesses quand on recherche des opportuniteacutes on comptesur le reacuteseau Et ce qui est formidable avec lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux crsquoest qursquoelle solliciteles points forts de lrsquohomme La reacutepeacutetition les suites les copies et lrsquoautomation tendenttoutes vers la gratuiteacute alors que lrsquoinnovateur lrsquooriginal et lrsquoimaginatif augmententconsideacuterablement la valeur

Au deacutebut nos esprits seront ligoteacutes par les anciennes regravegles de la croissance eacutecono-mique et de la productiviteacute lrsquoeacutecoute du reacuteseau peut deacutefaire ces liens Dans lrsquoEacuteconomiedes Reacuteseaux ne reacutesolvez pas les problegravemes cherchez les opportuniteacutes

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Y-a-t-il une nouvelle eacuteconomie

Alan GREENSPAN1

4 septembre 1998

Question y a-t-il une nouvelle eacuteconomie

La question qui mrsquoest poseacutee pour cette confeacuterence de savoir srsquoil y a une nouvelle eacuteco-nomie va au-delagrave de cette reacuteponse drsquoeacutevidence bien eacutevidemment notre eacuteconomiechange jour apregraves jour et en ce sens elle est toujours laquo nouvelle raquo Mais la questionsous-jacente consiste agrave se demander sil y a une modification profonde et fondamen-tale dans le fonctionnement de leacuteconomie qui creacutee une rupture par rapport au passeacuteet promette une trajectoire plus eacuteleveacutee pour la croissance que celle que nous avons con-nue pendant les deacutecennies preacuteceacutedentes

La question a eacuteteacute souleveacutee agrave la suite des performances eacuteconomiques des Eacutetats-Unisau cours de ces 5 derniegraveres anneacutees qui agrave certains eacutegards nont pas connu de preacuteceacutedentIl est pour le moins inhabituel que linflation connaisse pareille chute dans une peacuteriodedexpansion ce qui va agrave lencontre des theacuteories traditionnelles fondeacutees sur des modegraveleshistoriques

Bien des deacuteseacutequilibres qui ont eacuteteacute observeacutes dans le passeacute sur les rares peacuteriodes quiont connu une expansion eacuteconomique de plus de sept anneacutees sont largement absentsaujourdrsquohui Crsquoest sucircr le marcheacute du travail est inhabituellement tendu et nous devonsrester vigilants par rapport aux pressions qui srsquoexercent sur ce marcheacute et risquent dedeacuteborder sur les coucircts et les prix Mais jusqursquoagrave maintenant il nrsquoen a rien eacuteteacute

En outre il est tout agrave fait vain dimaginer que les Eacutetats-Unis puissent rester une oasisde prospeacuteriteacute qui ne serait pas affecteacutee par un monde qui subit un stress de plus en plusaccentueacute Les deacuteveloppements agrave leacutetranger ont contribueacute agrave maintenir les prix et lademande globale aux Eacutetats-Unis agrave un bas niveau face agrave une forte deacutepense inteacuterieureLes bouleversements exteacuterieurs sintensifiant et se reacutepercutant sur nos marcheacutes finan-ciers la contrainte est susceptible decirctre plus vive Au printemps et au deacutebut de leacuteteacute le

1ALAN GREENSPAN est le preacutesident du Board of Governors de la Reacuteserve Feacutedeacuterale des Eacutetats-Unis Cetarticle est la traduction du texte de la confeacuterence donneacutee par ALAN GREENSPAN le 4 septembre 1998 agravelrsquooccasion du Haas Business Faculty Research Dialogue agrave lrsquoUniversiteacute de Californie agrave Berkeley Le texteoriginal sous le titre laquoQuestion Is There a New Economyraquo est publieacute sur le site de la Reacuteserve Feacutedeacuteraleameacutericaine (httpbogfrbfedusboarddocsspeeches199819980904htm)

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Federal Open Market Committee sest inquieacuteteacute de ce que la principale menace risquantdaffecter lexpansion continue de leacuteconomie eacutetait une hausse de linflation Lors de lareacuteunion du mois daoucirct les risques seacutetaient eacutequilibreacutes le Comiteacute devra donc en exa-miner soigneusement les ramifications potentielles sur une plus longue dureacutee

Certains de ceux qui procircnent une laquo nouvelle eacuteconomie raquo attribuent geacuteneacuteralementcelle-ci aux innovations technologiques et aux avanceacutees radicales de la mondialisationqui accroissent la productiviteacute et geacutenegraverent une nouvelle capaciteacute de la demande et quien conseacutequence et sur une base plus durable ont retireacute aux producteurs mondiaux lepouvoir de faire les prix

Il est clair quil y a une part de veacuteriteacute dans cette proposition Ainsi par exemple auxEacutetats-Unis on constate manifestement du fait des eacutevolutions technologiques unebaisse dans les deacutelais drsquoapprovisionnement moyens pour lachat de nouveaux biensdrsquoeacutequipement qui a permis de maintenir agrave des niveaux modeacutereacutes la capaciteacute de produc-tion et a pratiquement eacutelimineacute la plupart des ruptures de stocks et goulets deacutetrangle-ment qui preacutevalaient dans les peacuteriodes de croissance eacuteconomique soutenue

Il y a eu sans aucun doute de profonds changements dans la maniegravere dont nous orga-nisons nos eacutequipements initions une politique de flux tendus et dont nous maillonsagrave ce processus notre systegraveme financier dune sophistication reacutecente et qui est sensibleau risque Toutefois il existe une importante objection agrave cette ideacutee que nous vivonsdans une nouvelle eacuteconomie elle concerne la psychologie humaine

Lenthousiasme et les craintes qui eacutetreignaient nos ancecirctres on les retrouve chez lesgeacuteneacuterations qui participent activement agrave leacuteconomie ameacutericaine aujourdhui Lesactions humaines senracinent toujours dans la preacutevision des conseacutequences de cesactions Quand le futur devient neacutebuleux les gens eacutevitent dagir et se deacutemettent de leursengagements anteacuterieurs Certes le degreacute daversion face au risque varie dune personneagrave lautre mais on ne trouve pas de diffeacuterences significatives dans le comportement desprix sur les marcheacutes actuels par rapport agrave ce qui se passait il y a un siegravecle ou plus La faccedilondont on eacutevalue les actifs dont les changements de ces valeurs affectent notre eacuteconomiene procegravede pas de regravegles diffeacuterentes de celles qui animaient nos ancecirctres

Donc lanccedilons une premiegravere pierre dans le jardin agrave la question laquo y a-t-il une nou-velle eacuteconomie raquo la reacuteponse dans un sens plus profond est non Aussi perfectionneacuteesoit-elle notre eacuteconomie est essentiellement mue comme par le passeacute par la faccedilondont la psychologie faccedilonne le systegraveme de valeurs qui est le moteur dune eacuteconomie demarcheacute compeacutetitive Or ce processus est inextricablement lieacute agrave la nature humaine quieacutetant par essence immuable ancre lavenir au passeacute

Ceci poseacute dimportants changements technologiques ont vu le jour ces derniegraveresanneacutees la faccedilon dont nous organisons la production commerccedilons entre pays et assu-rons de la valeur aux consommateurs sen trouve consideacuterablement modifieacutee

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Pour examiner la signification de ces changements et leur inteacuterecirct dans une eacuteven-tuelle laquo nouvelle eacuteconomie raquo il nous faut en premier lieu deacutetailler certaines caracteacuteris-tiques clefs de notre systegraveme

Comme toutes celles des pays capitalistes deacuteveloppeacutes leacuteconomie ameacutericaine setrouve dans un processus continuel de laquo destruction creacuteatrice raquo pour reprendre uneexpression quutilisa Joseph Schumpeter il y a un certain nombre de deacutecennies Lesbiens deacutequipement les proceacutedeacutes de fabrication les infrastructures des marcheacutes finan-ciers et du travail et toute la panoplie des eacutetablissements priveacutes qui constituent uneeacuteconomie de marcheacute sont en permanence dans un eacutetat de mutation qui dans prati-quement tous les cas eacutevolue vers une meilleure efficaciteacute

Avec juste un peu drsquoexageacuteration on peut voir les actifs mdash cest-agrave-dire les usines et leseacutequipements qui permettent la production des marchandises et des services mdash commecontinuellement deacutemolis et reconstruits

Nos actifs et le niveau de compeacutetence de notre main-drsquoœuvre sont effectivementremis agrave niveau agrave mesure que la concurrence presse les dirigeants dentreprise de trouverdes moyens toujours plus innovants et efficaces pour reacutepondre aux attentes toujoursplus fortes des consommateurs en termes de quantiteacute de qualiteacute et de varieacuteteacute Au fildes geacuteneacuterations loffre et la demande se sont trouveacutees interagir dans un environne-ment concurrentiel pour porter toujours plus haut le niveau de vie En fait cest cemecircme processus qui eacutevoluant par agrave-coups caracteacuterise depuis le deacutebut de la reacutevolutionindustrielle notre eacuteconomie de marcheacute et celle dautres pays mais autrefois les con-ditions de vie changeaient extrecircmement peu dune geacuteneacuteration agrave lautre

Cette eacuteconomie de marcheacute qui sefforce daugmenter le niveau de vie est donclaquo nouvelle raquo mais il sagit lagrave dune tautologie

Au deacutebut du XIXe siegravecle les Eacutetats-Unis eacutetant une nation en cours de deacuteveloppementnotre pays a emprunteacute en abondance technologies et fonds pour pouvoir mettre lepied agrave lrsquoeacutetrier de la croissance Mais au cours des cent ans qui viennent de seacutecoulerlAmeacuterique sest hisseacutee agrave lavant-garde de la technologie

Il ne fait pas de doute que les eacuteveacutenements modifient en permanence le profil et lanature de nos processus eacuteconomiques les progregraves technologiques jouent un tregravesgrand rocircle en loccurrence et peut-ecirctre mecircme tout reacutecemment ont-ils acceacuteleacutereacute lerythme de conceptualisation de notre PIB Ainsi par exemple nous avons consideacutera-blement reacuteduit la taille de nos appareils de radio en substituant des transistors auxtubes agrave vide de mecircme les cacircbles de fibres optiques qui sont minces ont remplaceacute destonnages consideacuterables de fil de cuivre Les nouvelles technologies en matiegravere darchi-tecture dingeacutenierie et de mateacuteriaux ont permis la construction dimmeubles qui parrapport agrave ceux qui seacutedifiaient il y a 50 ou 100 ans et agrave espace comparable se reacutealisentavec nettement moins de matiegravere De mecircme tregraves reacutecemment la taille des teacuteleacutephones

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mobiles a eacuteteacute notablement reacuteduite Ces eacutevolutions ont pour conseacutequence que le poidsphysique de notre PIB naugmente que tregraves lentement Lexploitation des nouveauxconcepts explique pratiquement toute la croissance de la production corrigeacutee delinflation

On ne peut faire que des conjectures sur la cause de cette spectaculaire eacutevolution versune reacuteduction de taille Peut-ecirctre les limitations spatiales agrave laccumulation de biens etagrave leur deacuteplacement dans un environnement geacuteographique de plus en plus encombreacutese sont-elles traduites par des pressions sur les coucircts destineacutees agrave obtenir une taille et unencombrement moindres Peut-ecirctre aussi la perspective de coucircts accrus de traitementde quantiteacutes toujours plus grandes de ressources physiques a-t-elle ameneacute les produc-teurs agrave sorienter vers des produits plus petits Rappelons-nous que il y a moins de30 ans le Club de Rome publiait une mise en garde tregraves pessimiste sur le risque darriveragrave un eacutepuisement des ressources physiques que lon preacutetendait neacutecessaires au maintiende notre niveau de vie Finalement comme on a repousseacute les frontiegraveres technologiqueset fait pression pour obtenir une acceacuteleacuteration du traitement de linformation on a eucomme reacutesultat des puces de plus en plus compactes par exemple

Mais il y a une chose qui a toujours eacuteteacute vraie dans le passeacute et qui le restera agrave lavenircest que la production dune eacuteconomie de marcheacute et la notion de creacuteation de richessesreflegravetent les systegravemes de valeur des hommes Le concept mecircme de richesse na pasdautre signification Le bleacute ou une machine ou encore un logiciel nont pas de valeurintrinsegraveque si ces produits sont valoriseacutes cest tout simplement parce quils satisfontactuellement les besoins de lhomme ou que lon considegravere quils seront capables de lefaire agrave lavenir Et ce sont ces preacutefeacuterences de valeur qui en sexprimant dans les signauxclefs du marcheacute que sont les prix des produits et des actifs informent les producteurssur ce qui a de la valeur et qui pourrait ecirctre profitable compte tenu de la technologieexistante

Pour en revenir aux bases la valeur dun eacutequipement de production quelqursquoil soitdeacutepend de la valeur perccedilue des biens et services que cet eacutequipement est destineacute agrave pro-duire On peut de faccedilon plus formelle consideacuterer que sa valeur actuelle est la sommede la valeur escompteacutee de toutes les productions agrave venir nette des coucircts

Agrave capaciteacute de production identique des eacutequipements peuvent avoir diffeacuterentesvaleurs de marcheacute en fonction de la confiance accordeacutee par les investisseurs agrave la capa-citeacute de lentreprise agrave percevoir et reacuteagir agrave son environnement futur de production Pre-nons lexemple dune acieacuterie ayant la capaciteacute immuable de produire de lacier entocircles sa valeur peut varier selon une tregraves large amplitude en fonction du niveau destaux dinteacuterecirct du taux global dinflation et dun certain nombre dautres facteursnayant aucun rapport avec les aspects techniques de la production dacier Ce quiimporte en loccurrence cest la faccedilon dont les investisseurs perccediloivent les marcheacutes surlesquels les tocircles sortant de cette usine doivent ecirctre eacutecouleacutees sur un certain nombre

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danneacutees Si le degreacute de confiance en lavenir est eacuteleveacute les valeurs escompteacutees serontelles aussi eacuteleveacutees de mecircme que les prix des titres qui bien entendu sont les creacuteancessur les actifs productifs

Les forces qui faccedilonnent ce degreacute de confiance sont dans une large mesure endogegrave-nes au processus eacuteconomique qui en geacuteneacuteral sautoreacutegule dans la mesure ougrave les con-sommateurs et les investisseurs interagissent avec un marcheacute en perpeacutetuelchangement

Je ne preacutetends pas ici que le comportement dun marcheacute constitue systeacutematique-ment une reacuteponse rationnelle agrave des changements dans le monde reacuteel mais cest biensouvent le cas Car sil en eacutetait autrement on ne constaterait pas cet environnementeacuteconomique relativement stable qui sest manifesteacute pendant des geacuteneacuterations dans lesplus grands pays industrialiseacutes

Il est certain que le degreacute de confiance que lrsquoon peut avoir dans les reacutesultats futursdeacutepend dans une large mesure de la stabiliteacute politique sous-jacente agrave tout pays ayantune eacuteconomie de marcheacute Si les acteurs de ce marcheacute ne sont pas assureacutes que leurs enga-gements et contrats futurs sont proteacutegeacutes par des regravegles de droit il ny aura pasdengagements les efforts de production se focaliseront seulement sur les impeacuteratifsde survie immeacutediate agrave court terme ce qui empecircchera tout effort de construction duneinfrastructure permettant de preacutevoir les besoins futurs

Une socieacuteteacute qui protegravege les aspirations agrave des actifs productifs agrave grande longeacuteviteacuteencourage donc agrave coup sucircr leur deacuteveloppement elle pousse les niveaux de productionagrave aller au-delagrave des besoins du moment correspondant agrave une consommation immeacute-diate car on sinteacuteressera beaucoup plus agrave la valorisation de la production future quesi on se trouve dans un contexte dinstabiliteacute politique et par exemple un environne-ment de faible reacuteglementation des contrats Quand on est arriveacute agrave ce niveau de seacutecuriteacutetous les eacuteleacutements permettant de bacirctir une eacuteconomie sophistiqueacutee fondeacutee sur des enga-gements agrave long terme sont en place ce sera une eacuteconomie qui eacutepargne et investitautrement dit confiante en lavenir et qui donc va croicirctre

Mais mecircme si le droit est extrecircmement vigilant quant au respect des contrats uneeacuteconomie de marcheacute compeacutetitive se trouve systeacutematiquement dans une situation dechangement continuel en conseacutequence la perception que lon a de sa productiviteacuteest toujours sujette agrave une incertitude plus ou moins grande qui est ineacutevitablement asso-cieacutee aux tentatives destineacutees agrave anticiper les reacutesultats futurs

Leacutetat geacuteneacuteral de confiance et la disposition des consommateurs et des investisseursagrave investir agrave long terme sont donc eacutetayeacutes par la perception de la stabiliteacute de la socieacuteteacute etde leacuteconomie mais lhistoire deacutemontre que ce degreacute de confiance est sujet agrave damplesvariations qui reacutesultent de la tregraves grande difficulteacute agrave former un jugement et donc agrave con-clure des engagements concernant lavenir Il arrive que ce soit preacuteciseacutement cette dif-

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ficulteacute qui megravene agrave des eacutevaluations moins meacutethodiques favorisant la volatiliteacute des prix elles encouragent aussi dans certains cas les bulles financiegraveres crsquoest-agrave-dire le gonfle-ment de la valeur des actifs qui repose davantage sur lespeacuterance que les autres paierontplus que sur un jugement bien informeacute sur leur valeur reacuteelle

Le comportement des eacuteconomies de marcheacute dans le monde entier ces derniegraveresanneacutees et tout particuliegraverement en Asie et aux Eacutetats-Unis a mis en eacutevidence combiences anticipations peuvent jouer un grand rocircle dans le deacuteveloppement reacuteel de leacutecono-mie Les eacuteconomistes parlent de coucirct dopportuniteacute pour deacutesigner le choix que les indi-vidus sont disposeacutes agrave faire en excluant la notion de risque entre la consommationactuelle et la consommation future Certains facteurs mesurables corrigent ensuite cetaux pour tenir compte des incertitudes qui assombrissent ineacutevitablement lavenir

Les bouleversements observeacutes soulignent agrave quel point lrsquoeacutevaluation humaine quandelle interagit avec les changements reacuteels de la production peut profondeacutement affecterlrsquoeacuteconomie comme les expeacuteriences en Asie lrsquoont amplement deacutemontreacute lrsquoanneacutee der-niegravere

Des cycles vicieux sont survenus en Asie du Sud-Est sans preacuteavis On a eu un tempslimpression que leacuteconomie se deacutebattait mais guegravere plus quauparavant et justeapregraves on a assisteacute agrave la chute libre des prix de marcheacute et de leacuteconomie

Lexpeacuterience que nous avons de ces cycles vicieux en Asie met en lumiegravere le rocircle clefque joue dans une eacuteconomie de marcheacute un attribut humain essentiel la confiancedans le fonctionnement du systegraveme Si nous nous engageons implicitement dans unedivision du travail cest parce que nous pensons que les autres produiront et serontprecircts agrave vendre les biens et services que nous ne produisons pas nous-mecircmes

Nous consideacuterons comme allant de soi que les contrats seront honoreacutes dans les affai-res parce que nous faisons confiance au droit et tout particuliegraverement au droit con-tractuel Mais si cette confiance seacutevaporait et que chaque contrat devait ecirctre porteacute enjustice le systegraveme de division du travail seacutecroulerait Et le point clef du cycle vicieuxqui en est peut-ecirctre la cause essentielle cest preacuteciseacutement le manque de confiance

Nous ne nous attendions pas agrave pareil effondrement en Asie et quant agrave moi jauraistendance agrave penser quil eacutetait pratiquement impossible de le preacutevoir en raison de lanature mecircme du processus Ce qui sest passeacute preacutesente une analogie avec de leau quiferait pression sur un barrage tout se preacutesente normalement jusquagrave ce quune fissureprovoque un deacuteluge

Cet effondrement sest bien sucircr reacutepercuteacute en premier lieu sur les engagements futursqui ont eacuteteacute boudeacutes Sans doute a-t-il eacuteteacute provoqueacute par le fait que les precircteurs interna-tionaux seacutetaient mis agrave douter de plus en plus quune croissance aussi spectaculairepuisse continuer agrave ecirctre entretenue chez les laquo tigres raquo asiatiques le cours des eacuteveacutene-

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ments a peut-ecirctre eacuteteacute preacutecipiteacute par leacutemergence au plan mondial dun excegraves de capaciteacutedes semi-conducteurs qui repreacutesentaient pour ces tigres de preacutecieux revenus En touteacutetat de cause la naissance et la monteacutee dincertitudes ont provoqueacute une forte augmen-tation de la deacutevalorisation des revenus futurs et en conseacutequence la chute des prix delimmobilier et de la Bourse Ce processus sest ensuite alimenteacute de lui-mecircme lesdeacutesengagements ont aggraveacute les perturbations et les incertitudes ce qui a augmenteacuteles primes de risque et les facteurs de deacutecote et provoqueacute une chute brutale de la pro-duction

Le pheacutenomegravene inverse autrement dit le cycle vertueux nrsquoest pas tout agrave fait symeacutetri-que En fait lexpansion eacuteconomique ameacutericaine actuelle se comprend tregraves bien dansun contexte drsquoanticipations favorables qui interagissent avec la production et lafinance pour entraicircner lexpansion de leacuteconomie et non son implosion

La stabiliteacute de leacuteconomie ameacutericaine au cours de ces 5 derniegraveres anneacutees a favoriseacuteune confiance accrue en lavenir ce qui a eu pour conseacutequence une actualisation de lavalorisation boursiegravere de linfrastructure productive de notre eacuteconomie qui a ajouteacutequelques trillions de dollars agrave la richesse nette des meacutenages entre le deacutebut de 1995 etle deuxiegraveme trimestre de cette anneacutee

Alors que la plus grande partie de ces gains augmentait les programmes de retraite etautres programmes deacutepargne une part non neacutegligeable a eacuteteacute consacreacutee agrave la consom-mation ce qui a abaisseacute de faccedilon significative la proportion des revenus que les meacutena-ges pensaient neacutecessaire deacutepargner et tout particuliegraverement ceux qui se situent dansles tranches les plus eacuteleveacutees

De surcroicirct plus eacutetait maintenu haut le niveau de valeur des actions plus il eacutetait vrai-semblable que les consommateurs considegraverent leurs gains en capital comme des increacute-ments permanents agrave leur valeur nette donc pouvant ecirctre deacutepenseacutes Cette reacutecentemanne a financeacute non seulement des deacutepenses de consommation personnelles pluseacuteleveacutees mais eacutegalement les achats immobiliers Il est difficile dexpliquer le niveaurecord que lon a constateacute sur les ventes de maisons sans faire reacutefeacuterence aux gains enBourse qui avaient eacuteteacute engrangeacutes preacuteceacutedemment

Laugmentation de la valeur boursiegravere sest par ailleurs traduite par une chute ducoucirct du capital qui a sans aucun doute acceacuteleacutereacute le rythme des nouveaux investisse-ments Les investissements en eacutequipements avaient deacutejagrave eacuteteacute fortement stimuleacutes parlacceacuteleacuteration quavaient connue les deacuteveloppements technologiques ce qui a bieneacutevidemment augmenteacute le potentiel de profits au cours de ces derniegraveres anneacutees La fortepousseacutee des deacutepenses en capital au cours de ces 5 derniegraveres anneacutees a apparemmentrefleacuteteacute lexistence de taux plus eacuteleveacutes de rendement sur un large spectre dinvestisse-ments et ce gracircce agrave une acceacuteleacuteration des avanceacutees technologiques notamment dansles domaines de linformatique et des teacuteleacutecommunications

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Il sagit lagrave de lorigine apparente de laugmentation du rythme de productiviteacute donton a reacutecemment eu la preuve Outre que les reacutecents progregraves technologiques ont mani-festement apporteacute une flexibiliteacute nouvelle et de plus en plus marqueacutee la capaciteacute deces technologies agrave ameacuteliorer les processus de production (sujet que je deacutevelopperaiprochainement) a reacuteduit de faccedilon significative les besoins en travail par uniteacute produiteIl sagit lagrave sans aucun doute dun facteur qui a contribueacute agrave une augmentation spectacu-laire des reacuteductions deffectifs au deacutebut des anneacutees 1990 Le taux de chocircmage a ensuitecommenceacute agrave baisser quand le rythme des embauches destineacutees agrave exploiter des nou-veaux eacutequipements a exceacutedeacute celui des licenciements de personnes occupeacutees dans deseacutequipements anciens

Soit dit en passant ces bouleversements dans la structure de la main-drsquoœuvre aucours des anneacutees 1990 ont et cest bien normal augmenteacute limpression dobsolescencedes compeacutetences chez un nombre significatif de personnes tout particuliegraverementparmi ceux qui sont le plus intimement lieacutes aux technologies anciennes Ces pressionsse reflegravetent dans la sensible augmentation des formations en entreprises et dans laspectaculaire expansion des inscriptions dans les faculteacutes tout particuliegraverement dansle premier cycle De ce fait lacircge moyen des eacutetudiants ne poursuivant pas en mecircmetemps une activiteacute reacutemuneacutereacutee a tregraves fortement augmenteacute au cours de ces derniegraveresanneacutees puisquun grand nombre de personnes ayant une expeacuterience professionnelleretournaient faire des eacutetudes Mais la notion dune obsolescence acceacuteleacutereacutee des compeacute-tences a eacutegalement conduit agrave une apparente bonne volonteacute des employeacutes agrave renonceragrave une hausse de leurs revenus et avantages au profit de la seacutecuriteacute de lemploi Et doncmalgreacute lincroyable eacutetroitesse du marcheacute du travail les augmentations de salairehoraire continuent agrave ecirctre relativement modestes

Coupleacutee avec la croissance acceacuteleacutereacutee de la productiviteacute la modeacuteration des salaires etdes avantages a permis de contenir laugmentation du coucirct du travail ce qui a freineacutelinflation et permis aux marges beacuteneacuteficiaires datteindre de hauts niveaux

Cest ce qui agrave son tour a apparemment constitueacute la force motrice qui au deacutebut delanneacutee 1995 a ameneacute les analystes boursiers agrave effectuer une reacutevision agrave la hausse deleurs projections de gains agrave long terme entreprise par entreprise Ces reacutevisions et labaisse des taux dinteacuterecirct constituent deux forces clefs sous-jacentes qui ont pousseacute lesinvestisseurs agrave deacuteclencher lun des marcheacutes haussiers les plus notables de lhistoire

Mais il ne sagit pas des seules forces existantes La seacutequence constitueacutee par un inves-tissement plus eacuteleveacute en capital une augmentation de la productiviteacute et une chute delinflation a elle aussi entretenu et fortifieacute lideacutee dune croissance stable agrave long termeLes gens avaient plus confiance en lavenir ce qui a eu pour conseacutequence une contrac-tion spectaculaire du coucirct du risque au cours de ces deux derniegraveres anneacutees jusquagrave unbas niveau pratiquement historique cet eacuteteacute tout reacutecemment Le coucirct du risque cest lecoucirct correspondant aux risques suppleacutementaires que les marcheacutes exigent de voir

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reacutemuneacuterer pour deacutetenir des actions plutocirct que des titres de creacuteance offrant une tran-quilliteacute absolue Quand les risques perccedilus pour lavenir sont bas les primes de risquesont basses elles aussi et les cours boursiers sont encore plus eacuteleveacutes que dans le con-texte dune espeacuterance de gains agrave long terme plus importants et de taux dinteacuterecirct plusbas et sans risque

Et donc la reacuteponse agrave lexistence dune nouvelle eacuteconomie amegravene agrave se poser une ques-tion essentielle les preacutevisions actuelles dune stabiliteacute future qui sont nettement plusoptimistes quil y a une dizaine danneacutees sont-elles justifieacutees par les changementsaffectant leacuteconomie Car si les preacutevisions dune stabiliteacute plus grande se confirmentles primes de risque resteront peu eacuteleveacutees Dans ce cas le coucirct du capital restera lui aussiagrave bas niveau ce qui entraicircnera une augmentation des investissements et du rythme dela croissance au moins pendant un certain temps

Deux consideacuterations sont donc essentielles dans laugmentation des valeurs dactifet de la croissance eacuteconomique la premiegravere consiste agrave se demander si le glissementvers le haut de lavance technologique va se prolonger la seconde a trait agrave lampleur dela confiance dans la stabiliteacute de lavenir que les consommateurs et les investisseursseront capables de soutenir

Concernant le premier point agrave quel rythme peut avancer la technologie qui aug-mente le nombre dopportuniteacutes dinvestissement agrave haut rendement ce qui engen-dre dautres espeacuterances de gains plus forts Les progregraves technologiques sont fortdifficiles agrave deacuteceler longtemps agrave lavance comme le prouvent de nombreux exemplesqui nous sont fournis par lhistoire Or les synergies particuliegraveres entre nouvelles etanciennes technologies sont en geacuteneacuteral trop complexes pour quune anticipationsoit possible

On ne peut prendre pleinement conscience du potentiel dune innovation quauterme dameacuteliorations de grande envergure ou dinnovations dans dautres domainesCharles Townes laureacuteat du prix Nobel pour ses travaux sur le laser rapporte que agrave lafin des anneacutees 1960 les avocats de Bells Labs avaient refuseacute de faire breveter le laser carils pensaient que celui-ci ne permettait aucune application dans le domaine des teacuteleacute-communications Cest seulement dans les anneacutees 1980 apregraves des ameacuteliorations con-sideacuterables dans la technologie des fibres optiques que lon a pris conscience delimportance du laser dans le secteur des teacuteleacutecommunications

Lavenir des avanceacutees technologiques peut ecirctre difficile agrave preacutevoir mais il est possibleque des technologies ayant deacutejagrave prouveacute leur utiliteacute naient pas encore eacuteteacute exploiteacuteestotalement Un certain nombre dentreprises indiquent que quand elles se trouventconfronteacutees dans un environnement concurrentiel agrave une hausse des coucircts ne pou-vant ecirctre reacutepercuteacutee elles sont capables de compenser cette hausse agrave volonteacute semble-t-il en adoptant des technologies plus nouvelles

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De telles situations semblent tregraves eacutetranges sil eacutetait possible de reacuteduire les coucircts agravevolonteacute pourquoi les investissements nont-ils pas eacuteteacute effectueacutes plus tocirct Ceci impli-que un comportement sous-optimal tout agrave fait contraire agrave ce qui senseigne dans lesuniversiteacutes Mais dans le monde reacuteel il est rare que les entreprises maximisent pleine-ment leurs profits elles se focalisent sur les seuls segments de leur activiteacute qui appa-raissent offrir les meilleures reacutecompenses et sont en geacuteneacuteral incapables dopeacuterersimultaneacutement sur tous les fronts en y deacuteployant une efficaciteacute maximale Cest donclors daugmentations de coucircts que les dirigeants dune entreprise concentrent leurattention sur les investissements afin den limiter les effets

Mais si cette baisse des coucircts agrave la demande est un pheacutenomegravene courant elle supposeune accumulation de projets inexploiteacutes au cours des derniegraveres anneacutees dans le cas ougraveelle serait reacuteelle cela impliquerait que le potentiel de gains continus de productiviteacute soitproche des taux eacuteleveacutes de ces deux derniegraveres anneacutees Mecircme si cest effectivement le casalors que seules des anecdotes le soutiennent il est peu vraisemblable que lon assiste surles 3 ou 5 prochaines anneacutees agrave une croissance de 13 par an du revenu par actioncomme lont reacutecemment suggeacutereacute les analystes en Bourse Cela supposerait une part deprofit toujours plus grande dans le revenu national agrave partir dun niveau qui est deacutejagrave eacuteleveacutesi on se reacutefegravere au passeacute Lhistoire nous montre que de telles conditions ont conduit agrave despressions sur le marcheacute du travail qui ont contrarieacute laugmentation ulteacuterieure des profits

La seconde consideacuteration sur le niveau daugmentation des valeurs dactifs est lasuivante jusquougrave peuvent chuter les primes de risque Le recul de linflation agrave desniveaux extrecircmement bas constitue en loccurrence un eacuteleacutement clef Le niveau croissantde confiance dans les reacutesultats futurs que lon a observeacute ces derniegraveres anneacutees est sansaucun doute lieacute agrave la baisse de linflation qui bien sucircr a repreacutesenteacute un facteur essentieldans la chute des taux dinteacuterecirct mais aussi et cest tregraves important dans celle des primesde risque Il est probable quune deacuteflation si elle devait se deacuteclarer augmenterait lincer-titude et entraicircnerait une reacuteeacutemergence dinquieacutetudes similaires agrave celles que lon constateen peacuteriode dinflation Agrave quasi stabiliteacute des prix le risque perccedilu du deacuteveloppement desaffaires serait donc agrave son niveau le plus bas et lon doit supposer que ce serait eacutegalementle cas pour les primes de risque En tout eacutetat de cause il existe une limitation dans letemps en-deccedilagrave de laquelle les investisseurs peuvent rationnellement escompter laveniravec un eacutetat desprit favorable et donc abaisser le niveau des primes de risque Actuelle-ment cette projection est possible sur les 20 ou 30 ans agrave venir mais au-delagrave

Des valeurs boursiegraveres eacuteleveacutees par rapport aux revenus et agrave la production repreacutesen-tent un risque dinstabiliteacute accru Comme je lai eacutevoqueacute preacuteceacutedemment une partie desgains en capital augmente la consommation et les revenus Dans la mesure ougrave lesvaleurs des actions sont manifestement plus variables que les revenus quand la partdes valeurs boursiegraveres augmente par rapport aux revenus et au PIB on peut sattendreagrave ce que leurs fluctuations affectent le PIB plus que quand ces valeurs sont basses

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Il est clair que dans le contexte actuel on est inciteacute agrave la prudence par lhistoire de cesgrands mouvements de balancier qui ont pour des raisons rationnelles ou non affecteacutela confiance des investisseurs et le niveau des primes de risque Nous avons reacuteappris aucours de ces derniegraveres semaines que de la mecircme faccedilon quun marcheacute boursier se sentindeacutefiniment en seacutecuriteacute tant quil est agrave la hausse et que prospegravere leacuteconomie il ne par-vient pas en peacuteriode de contraction agrave concevoir quune reprise soit possible Bien sucircrces impressions opposeacutees sont toutes deux erroneacutees mais du fait de la difficulteacute agrave ima-giner un revirement quand on est assailli par de telles eacutemotions les peacuteriodes deupho-rie ou de deacutesarroi ont tendance agrave sauto-alimenter En fait si tel neacutetait pas le cas il estvraisemblable que nexisteraient pas dans lactiviteacute eacuteconomique ces mouvements deflux et de reflux dorigine psychologique

Peut-ecirctre comme lavancent certains lrsquohistoire jouera-t-elle moins son rocircle de guideque par le passeacute Il y a toujours une part du futur qui ne se rattache agrave rien de ce qui apreacuteceacutedeacute Et il y a toujours de nouveaux records Ceci poseacute mon expeacuterience dobserva-teur au jour le jour de leacuteconomie ameacutericaine sur une dureacutee deacutepassant un demi-siegravecleme donne agrave penser que lon peut sattendre agrave ce que lavenir repose sur un continuumheacuteriteacute du passeacute pour une part importante et peut-ecirctre mecircme tregraves substantielleComme je lai deacutejagrave souligneacute la nature humaine est immuable dune geacuteneacuteration agravelautre et donc relie lavenir au passeacute de maniegravere inextricable

Neacuteanmoins jai indiqueacute et je reacutepegravete ici que je ne nie pas que au cours de ces derniegraveresanneacutees il y a eu une indeacuteniable ameacutelioration sous-jacente dans le fonctionnement desmarcheacutes ameacutericains et dans le rythme de deacuteveloppement des technologies de pointequi a deacutepasseacute toutes les preacutevisions

Dans les anneacutees 1990 on a assisteacute agrave une tregraves impressionnante augmentation deffi-caciteacute de nos actifs crsquoest-agrave-dire de notre capaciteacute de production thegraveme que jeacutevoquaispreacuteceacutedemment Alors que linvestissement brut a atteint un montant eacuteleveacute il eacutetaitcomposeacute ces derniegraveres anneacutees et dans une proportion significative dactifs de courtedureacutee se deacutepreacuteciant rapidement Malgreacute son acceacuteleacuteration reacutecente le taux de croissancedes actifs nets reste nettement au-dessous des taux les plus eacuteleveacutes afficheacutes pendant les50 ans qui viennent de seacutecouler

Malgreacute leacutelargissement des mouvements internationaux de capitaux au cours de cesderniegraveres deacutecennies une analyse empirique suggegravere que linvestissement inteacuterieurdeacutepend encore dans une large mesure de leacutepargne inteacuterieure et ce tout particuliegravere-ment agrave la marge Nombreux sont ceux qui ont deacutefendu de faccedilon convaincante et jesuis de ceux-lagrave la thegravese selon laquelle nous eacutepargnons trop peu Cette propension denos compatriotes a entraicircneacute une prime sur lutilisation effective dun capital rare et surla reacuteduction des opportuniteacutes dinvestissement offrant potentiellement une moindreproductiviteacute donc les moins profitables

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Cest lune des raisons pour lesquelles notre systegraveme financier qui a pour rocircle dassu-rer lutilisation productive du capital physique a eu une telle importance dans notreeacuteconomie notamment au cours de ces 20 derniegraveres anneacutees Dans les deacutecennies quiviennent de srsquoeacutecouler ce sont les signaux refleacuteteacutes dans les prix des actifs financiers lestaux drsquointeacuterecirct et la reacutepartition des risques qui mateacuterialisent la modification de la struc-ture de notre production et lrsquoeacutevolution de ce que les consommateurs valorisent Cecia confeacutereacute une valeur deacuteriveacutee significative agrave un systegraveme financier qui en est effective-ment capable et malgreacute de reacutecentes restrictions agrave une valorisation boursiegravere des ins-titutions qui forment ce systegraveme

Manifestement le niveau eacuteleveacute des retours sur investissements constitue lun desindices que notre capital physique est affecteacute agrave la production de biens et de servicesparticuliegraverement valoriseacutes par les consommateurs Un eacutequipement qui fabriqueraitun produit infeacuterieur ne trouverait pas gracircce parmi le public non plus quune route agravepeacuteage qui ne megravenerait nulle part ces offres engendreraient des profits neacutegatifs ouau-dessous de la normale et dans la plupart des cas il serait impossible de reacutecupeacuterersur la dureacutee de vie de lactif le montant de linvestissement augmenteacute du coucirct en capi-tal investi

Linvestissement en capital et laugmentation de la productiviteacute et du niveau de viepassent donc par une eacutepargne inteacuterieure adapteacutee mais si cette condition est neacuteces-saire elle nest pas suffisante

Prenons le cas de lancienne Union sovieacutetique les investissements y eacutetaient exces-sifs et la discipline que font reacutegner les prix de marcheacute nexistant pas ils ont fait lobjetdaffectations plus que malheureuses Les planificateurs avaient des preacutefeacuterences quideacutebouchaient sur un gaspillage de ressources importantes car ils autorisaient cesinvestissements dans des secteurs de leacuteconomie ougrave la production ne correspondait pasaux souhaits des consommateurs ceacutetait particuliegraverement le cas dans lrsquoindustrielourde Il nest donc pas surprenant que dans ce pays les ratios capitalproductionaient eacuteteacute plus eacuteleveacutes que dans les eacuteconomies occidentales de leacutepoque

Ce pheacutenomegravene de surinvestissement sobserve mecircme dans les eacuteconomies de marcheacutesophistiqueacutees Au Japon le taux deacutepargne et linvestissement brut ont eacuteteacute nettementplus eacuteleveacutes quaux USA mais le potentiel de croissance par habitant y est infeacuterieur aunocirctre On peut penser que les entraves qui affectent le systegraveme financier de ce pays con-tribuent au moins en partie agrave ce manque de performances eacuteconomiques

Pour autant il convient de srsquoabstenir de toute complaisance Crsquoest vrai la forte aug-mentation du marcheacute des valeurs a fortement stimuleacute la valeur nette deacutetenue par lesmeacutenages Mais alors que les gains en capital augmentent la valeur des actifs existantsils ne creacuteent pas directement les ressources neacutecessaires agrave linvestissement dans de nou-velles installations physiques Et cela seule leacutepargne tireacutee du revenu peut le faire

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En reacutesumeacute sur les 5 agrave 7 derniegraveres anneacutees ce qui a sans conteste repreacutesenteacute lune desmeilleures performances eacuteconomiques de notre histoire est soit annonciateur dunenouvelle eacuteconomie soit juste une version laquo cosmeacutetiseacutee raquo de lancienne le temps quipasse inexorablement nous le dira et jaurais tendance agrave penser que nos petits-enfantspuis leurs propres petits-enfants deacutebattront peacuteriodiquement du point de savoir silsvivent dans une nouvelle eacuteconomie

Pour qui ce boom

Extrait de Stephen S Roach laquo The Boom for Whom Revisiting AmericarsquosTechnology ParadoxJanuary 9 1998 Morgan Stanley Dean Witter

httpwwwmsdwcomGEFdatadigestssr19980112pdf

Jamais lrsquohistoire drsquoamour qursquoentretient lrsquoAmeacuterique avec les nouvelles technologies delrsquoEgravere de lrsquoInformation nrsquoa eacuteteacute aussi intense les sommes consacreacutees au hardware parles entreprises excegravedent maintenant 220 millions de $ par an ce qui repreacutesente et deloin le premier poste dans les budgets de deacutepenses drsquoinvestissement Pourtant il srsquoagitlagrave bien sucircr de la partie visible de lrsquoiceberg dans le coucirct drsquoune fonction technologiquequi compte eacutegalement le logiciel les exigences continuelles drsquoun cycle de remplace-ment de produits toujours plus court et des leacutegions de personnes qui travaillent agrave lagestion des systegravemes drsquoinformation Mais nombreux sont ceux qui croient qursquoil existedes signes indiquant aujourdrsquohui lrsquoimminence du remboursement du capital de cettefreacuteneacutesie technologique attendu depuis si longtemps Point nrsquoest besoin de remonterau-delagrave du laquo miracle raquo macro-eacuteconomique de 1997 anneacutee de croissance en flegravechenon accompagneacutee drsquoinflation Comment lrsquoeacuteconomie ameacutericaine aurait-elle pu entrerdans le pays leacutegendaire du nouveau paradigme autrement que pour une renaissancede productiviteacute conduite par la technologie

Les miracles de 1997 vont bien au-delagrave de lrsquoapparente disparition de lrsquoinflationLrsquoexplosion de lrsquoInternet la naissance du commerce eacutelectronique qui lui est correacuteleacuteeet lrsquoavegravenement de la plate-forme eacuteconomique mondiale entiegraverement en reacuteseau sontlargement consideacutereacutes comme de simples indicateurs de la puissance agrave lrsquoeacutetat brut dureacutetablissement de lrsquoAmeacuterique tireacute par les technologies eacutemergentes On doit agrave PeterSchwartz et Peter Leyden dans un reacutecent article publieacute dans Wired et devenu leacutegen-daire la plus acheveacutee des expressions de cette conviction Ils eacutecrivent que laquo nous som-mes sur la crecircte des premiegraveres vagues drsquoune eacuteconomie agrave forte expansion qui va durer25 ans raquo Crsquoest un conte qui promet quelque chose agrave chacun dont la fin de la pauvreteacuteet des tensions geacuteopolitiques et se termine par les miracles drsquoune reacutesurgence de lacroissance drsquoune productiviteacute dont le moteur est la technologie Cette saga futuristesrsquoest reacutepandue au point de devenir le manifeste de lrsquoegravere digitale

Preacutesenteacute sur cette toile de fond le preacutetendu paradoxe mdash longtemps fondeacute sur la convic-tion que les possibiliteacutes de rentabilisation macroeacuteconomique des nouvelles technologiesde lrsquoinformation est largement compromis mdash semble deacutesespeacutereacutement deacutepasseacute ou tout

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bonnement erroneacute Et malgreacute cela les deacutefis de base agrave lrsquoattrait et au battage meacutediatiquede lrsquoEgravere de lrsquoInformation ne trouvent pas de reacutepondant Finalement le deacutebat se reacutesumeagrave la productiviteacute repegravere de toute capaciteacute drsquoune eacuteconomie agrave creacuteer de la richesse agrave sou-tenir une concurrence et agrave geacuteneacuterer un niveau de vie eacuteleveacute Les nouvelles technologies etles perceacutees des applications qui leur sont associeacutees ont-elles maintenant atteint la massecritique qui peut veacuteritablement deacuteclencher lrsquoavegravenement drsquoune nouvelle egravere de crois-sance soutenue de productiviteacute susceptible de profiter agrave la nation tout entiegravere Ou leboom des anneacutees 1990 a-t-il plutocirct agrave voir avec une autre force totalement diffeacuterente agravesavoir la strateacutegie obstineacutee de reacuteduction des coucircts dans les entreprises qui a beacuteneacuteficieacute agraveun nombre eacutetonnamment restreint drsquoacteurs de lrsquoeacuteconomie ameacutericaine

Chapitre 2

Le paradoxe de Solow

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Le paradoxe de Solow sur la productiviteacute En quoi les ordinateurs contribuent-ils agrave la productiviteacute

Jack E TRIPLETT1

20 mai 1998

laquo Lrsquoegravere de lrsquoinformatique se constate partoutsauf dans les statistiques de productiviteacute raquo

Robert SOLOW 1987

On eacutevoque souvent lrsquoaphorisme de Solow eacutenonceacute voici maintenant plus de dix ansMais existe-t-il un paradoxe et si oui que peut-on en dire Dans cet article je me pro-pose de passer en revue et de commenter les laquo explications raquo qui ont eacuteteacute le plus cou-ramment apporteacutees agrave ce paradoxe Ces explications sont exposeacutees en preacuteambule etfont ulteacuterieurement lrsquoobjet drsquoun deacuteveloppement

On ne voit pas des ordinateurs laquo partout raquo au sens eacuteconomique et fort du terme les ordi-nateurs et mateacuteriels de traitement de lrsquoinformation repreacutesentent une proportion rela-tivement faible du PIB et du capital social

On a lrsquoimpression et seulement lrsquoimpression que les ordinateurs sont partoutLrsquoindice de prix heacutedonique des ordinateurs qursquoutilise le gouvernement chute laquo troprapidement raquo et donc lrsquoaugmentation reacuteelle de la production telle qursquoelle est mesureacuteeest elle aussi laquo trop rapide raquo

On ne voit pas des ordinateurs partout mais la production est peu mesureacute dans certains sec-teurs eacuteconomiques qui sont pourtant ceux ougrave on en voit le plus Ainsi par exemple la banqueet lrsquoassurance utilisent massivement les technologies de lrsquoinformation alors pourtantque le concept drsquooutput y est peu preacutecis

Que lrsquoon voie ou non des ordinateurs partout une partie du travail reacutealiseacute par ceux-ci nrsquoestpas comptabiliseacutee dans les statistiques Mentionnons agrave titre drsquoexemple la faciliteacute de tra-vail la commoditeacute drsquoutilisation lrsquoameacutelioration de lrsquointerface etc

1 JACK E TRIPLETT ancien Chief Economist du Bureau of Economic Analysis des Eacutetats-Unis est profes-seur deacuteconomie agrave la Brookings Institution agrave Washington (DC) Cet article a eacuteteacute publieacute initialement enanglais sous le titre laquoThe Solow Productivity Paradox What Do Computers Do to Productivityraquo Broo-kings Institution May 20 1998 (httpwwwcslscanewrevpaperhtml ou httpbrookingsorgesresearchproductivityrevpaperpdf) Traduit et reproduit avec lrsquoaimable autorisation de lrsquoauteur

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On ne voit pas encore les ordinateurs dans les statistiques de productiviteacute mais il suffitdrsquoattendre un peu On retrouve lagrave ce qui srsquoest passeacute en son temps pour lrsquoeacutelectriciteacute lrsquoimpact drsquoune nouvelle technologie sur la productiviteacute ne se constate qursquoau termedrsquoun long deacutecalage dans le temps

On voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productiviteacute parce que les ordi-nateurs ne sont pas aussi productifs qursquoon le croit

Il nrsquoy a pas de paradoxe certains eacuteconomistes eacutevaluent les innovations et les nouveaux pro-duits sur une eacutechelle arithmeacutetique alors qursquoelle devrait ecirctre logarithmique

Le paradoxe de Solow

Extrait de Erik Brynjolfsson (MIT Sloan School of Management amp Stanford BusinessSchool)) and Lorin Hitt (The Wharton School Univ of Pennsylvania) Beyond the Produc-

tivity Paradox Computers are the Catalyst for Bigger Changes June 1998

httpccsmiteduerikbpppdf

Linteacuterecirct pour le laquo paradoxe de la productiviteacute raquo a eacuteteacute deacuteclencheacute par une eacutetude simplemais provocante laquo Americas Technology Dilemma A Profile of the InformationEconomy raquo publieacutee en date du 22 avril 1987 dans la lettre eacuteconomique de MorganStanley et reacutealiseacutee par le responsable de son service eacuteconomique Steven Roach Celui-ci sattachait agrave expliquer pourquoi le taux de croissance de la productiviteacute constateacutedans leacuteconomie ameacutericaine avait nettement ralenti depuis 1973

Roach notait que la puissance informatique par col blanc avait augmenteacute consideacutera-blement au cours des deacutecennies 1970 et 1980 alors que dans le mecircme temps lacourbe de productiviteacute eacutetait plate Il en concluait que la formidable augmentation duparc informatique avait eu des reacutepercussions tregraves faibles sur les performances de leacuteco-nomie notamment dans les secteurs occupant un grand nombre de laquo travailleurs delinformation raquo

Dautres eacutetudes elles aussi aboutissaient agrave des conclusions similaires sur labsencedune correacutelation entre les investissements informatiques et la productiviteacute dans lesindustries manufacturiegraveres ou dans un eacutechantillon de divisions de grandes entreprisesDans un nombre limiteacute deacutetudes il eacutetait fait mention deffets positifs sur des eacuteleacutementsintermeacutediaires tels que la rentabiliteacute ou la part de marcheacute sans que lon puisse veacuterita-blement eacutetablir un lien avec le reacutesultat financier Par ailleurs malgreacute la consideacuterableaugmentation de puissance des ordinateurs les statistiques densemble indiquaientque la productiviteacute avait augmenteacute plus lentement depuis 1973 quentre 1950et 1973 Agrave la fin des anneacutees 80 on admettait communeacutement que lordinateur ne con-tribuait pas de faccedilon significative agrave la productiviteacute laquo Legravere de lordinateur se constatepartout sauf dans les statistiques de productiviteacute raquo reacutesumait Robert Solow dans laNew York Times Book Review (12 juillet 1987)

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Contexte

Agrave premiegravere vue le paradoxe de la productiviteacute se rattache agrave la question suivante pourquoi la production ameacutericaine nrsquoaugmente-t-elle pas plus vite alors que nousinvestissons toujours plus dans lrsquoinformatique Mais en fait lrsquoaphorisme de Solow tiretoute sa reacutesonance drsquoune question diffeacuterente encore que connexe lrsquoaugmentationdes investissements informatiques et les technologies de lrsquoinformation va-t-elle com-penser le ralentissement de la productiviteacute constateacute agrave partir de 1973 De 1948 agrave 1973la productiviteacute multi-facteurs a augmenteacute aux Eacutetats-Unis de 19 et la croissance dela productiviteacute du travail a crucirc selon un taux de 29 Apregraves 1973 ces taux ont chuteacuteagrave respectivement 02 et 11 1 On a constateacute des baisses similaires dans la plupart deseacuteconomies industrialiseacutees de lrsquoOCDE

Le contexte tient eacutegalement au meacutecanisme de diffusion des changements techni-ques dans lrsquoeacuteconomie Nombreux sont les eacuteconomistes qui considegraverent que lrsquoaugmen-tation de la productiviteacute se gagne gracircce aux investissements en nouvelles machinesEn adoptant ce point de vue quel que soit le changement technique que nous connais-sons aujourdrsquohui il doit ecirctre compteacute dans lrsquoinvestissement au titre des technologies delrsquoinformation puisque crsquoest le type drsquoinvestissement qui augmente en 1997 lesinvestissements en mateacuteriels de traitement de lrsquoinformation ont repreacutesenteacute 34 desinvestissements durables des producteurs ce qui est nettement plus que la part repreacute-senteacutee par les investissement en machines de production qui est de 22 2

Ces laquo nouvelles machines raquo alimentent un large deacutebat Il va de soi que agrave un certainniveau une nouvelle technologie se traduit par de nouvelles machines toutefois ilnrsquoest pas eacutevident que celles-ci soient le seul moteur des gains de productiviteacute En faitsi lrsquoon prend correctement en compte lrsquoaugmentation de productiviteacute imputable auxnouvelles machines autrement dit si lrsquoon effectue une correction qualitative sur lesdonneacutees concernant les inputs en capital on constate que les machines plus perfor-mantes ne vont pas participer aux gains de productiviteacute multi-facteurs mais qursquoellesvont geacuteneacuterer une augmentation de productiviteacute du travail habituelle

Le paradoxe de la productiviteacute des ordinateurs trouve aussi sa reacutesonance dans lefait que nous sommes devenus une eacuteconomie de lrsquoinformation comme on lrsquoentend

1 Source US Department of Labour (1998a 1998b)2 En 1977 ces parts eacutetaient de 22 pour le mateacuteriel de traitement de lrsquoinformation 26 pour les

eacutequipements industriels Dans les chiffres du Bureau of Economic Analysis la rubrique laquo Traitementde lrsquoinformation et mateacuteriels connexes raquo regroupe les cateacutegories Machines de bureau drsquoinformatiqueet de calcul (ce qui inclut les ordinateurs et leurs peacuteripheacuteriques) Eacutequipement de communication Ins-truments et Photocopie et mateacuteriels connexes En 1997 les ordinateurs et leurs peacuteripheacuteriques repreacute-sentaient environ 40 du poste Eacutequipement de traitement de lrsquoinformation et environ 14 du posteInvestissements en biens drsquoeacutequipement durables par les producteurs

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freacutequemment avancer sans pour autant que cette affirmation soit quantifieacutee Ondit souvent que les changements qualitatifs repreacutesentent aujourdrsquohui une partbeaucoup plus importante du rendement final que dans le passeacute ces changementsqualitatifs lrsquoapparition de produits plus personnaliseacutes et lrsquoaugmentation des ser-vices (dans la consommation des entreprises comme eacuteleacutements de la demande desconsommateurs comme contributeurs aux exportations ameacutericaines) exprimenttous une veacuteriteacute commune lrsquoinformation contribue nettement plus que par le passeacuteau processus de production Srsquoil est exact que lrsquoon assiste agrave lrsquoutilisation croissantede lrsquoinformation en tant qursquoinput productif ou srsquoil est vrai que lrsquoinformation estdevenue un input plus productif que par le passeacute ce rocircle renforceacute accentue enmecircme temps lrsquoimportance que revecirctent les technologies de lrsquoinformation dans uneeacuteconomie moderne

Ainsi donc lrsquointeacuterecirct du paradoxe de Solow tourne autour drsquoun certain nombre dequestions et problegravemes drsquoordre eacuteconomique qui ne sont pas reacutesolus il y a ce ralen-tissement de productiviteacute observeacute apregraves 1973 qui pour lrsquoinstant a reacutesisteacute agrave toutesles tentatives drsquoexplication Il y a ce glissement que lrsquoon a tendance agrave consideacuterercomme reacutecent drsquoune eacuteconomie de marchandises agrave une eacuteconomie de services enfait cette eacutevolution nrsquoest pas aussi reacutecente qursquoon veut bien le dire puisque en 1940plus de la moitieacute des salarieacutes ne travaillaient pas dans les secteurs traditionnels dela production de biens1 Il y a aussi cette eacutevolution vers une laquo eacuteconomie delrsquoinformation raquo ce qui caracteacuterisait lrsquoeacuteconomie auparavant ce nrsquoeacutetait certaine-ment pas une absence drsquoinformation mais sans doute une moindre abondance delrsquoinformation en raison de son prix plus eacuteleveacute Aucune de ces eacutevolutions eacuteconomi-ques nrsquoest veacuteritablement bien comprise or la compreacutehension de ces tendances aune grande importance dans le cadre des questions extrecircmement varieacutees de politi-que eacuteconomique le rocircle de lrsquoeacuteducation et de la formation dans lrsquoeacuteconomie le rocircledes investissements - donc celui des mesures drsquoencouragement et la fiscaliteacute desinvestissements - les facteurs deacuteterminants de la croissance la preacutevision des ten-dances dans la reacutepartition des revenus et bien drsquoautres sujets Sur chacune de cesquestions on considegravere que lrsquoinformatique et la contribution des technologies delrsquoinformation jouent un rocircle clef Ainsi par exemple Kreuger (1993) a deacutecouvertque les salarieacutes qui utilisaient des ordinateurs eacutetaient mieux reacutemuneacutereacutes que ceuxqui ne recouraient pas agrave lrsquoinformatique et en a conclu que les eacutevolutions deacutefavora-bles constateacutees ces derniegraveres anneacutees aux Eacutetats-Unis en matiegravere de montant et dereacutepartition de revenus avaient un lien avec lrsquoinformatisation Cette thegravese susciteun deacutebat elle aussi dans certains cas lrsquoordinateur remplace lrsquohomme comme il le

1 Les secteurs traditionnels de production de biens lrsquoAgriculture la sylviculture et la pecircche lesMines les Industries de transformation et le BTP occupaient 49 des salarieacutes et 49 de la laquo main-drsquoœuvre expeacuterimenteacutee raquo dans le recensement de 1940 (Statistical Abstract of the United States 1944)

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fait pour drsquoautres inputs et cette substitution reacuteduit la demande pour certains pos-tes celui de guichetier de banque par exemple

Il convient ici de mentionner des points de vue tregraves discordants se manifestant parun refus drsquoassocier le paradoxe de Solow agrave certaines questions Ainsi par exemple Gri-liches (1997) eacutenonccedilait ceci

laquo Mais nous voici toujours bloqueacutes par cette question du ralentissement des gains deproductiviteacute ce paradoxe qui repreacutesente un problegraveme mais pas un problegraveme informa-tique Le ralentissement est-il ou non reacuteel Ou est-ce simplement une question demesure Ou encore et crsquoest bien plus important est-il chronique ou transitoire Leparadoxe ne se pose pas tant en termes drsquoinformatique que dans la faccedilon dont sontaffecteacutes la science la creacuteativiteacute et bien drsquoautres activiteacutes raquo

Voici successivement preacutesenteacutees en sept rubriques les laquo explications raquo proposeacutees agrave ceparadoxe

1 On ne voit pas des ordinateurs laquo partout raquo au sens eacuteconomique et fort du terme

Ce qui compte en lrsquooccurrence crsquoest la quote-part des ordinateurs dans les actifs etdans les moyens de production mis en œuvre Or ces proportions sont faibles et unmoyen de production repreacutesentant une tregraves faible part ne peut pas apporter une grandecontribution agrave la croissance eacuteconomique il est donc vain drsquoespeacuterer des investisse-ments en ordinateurs un impact fort sur la croissance (dans cet article je parle drsquoordi-nateurs et eacutegalement drsquoeacutequipement informatique pour deacutesigner indiffeacuteremment lesordinateurs et leurs peacuteripheacuteriques llsquoexpression laquo eacutequipement de traitement delrsquoinformation raquo sera utiliseacutee pour deacutesigner une plus large cateacutegorie dont lrsquoordinateur etses peacuteripheacuteriques sont des composants)

Les eacutetudes les plus pousseacutees ont eacuteteacute reacutealiseacutees par Oliner et Sichel (1994) drsquoune partet par Jorgenson et Stiroh (1995) drsquoautre part Dans les deux cas les auteurs calculentlrsquoeacutequation de la croissance comptable

(1) dt Y = scdtKc + scdtKnc + sLdtL + dtπ

dans laquelle dtY = d Ydt repreacutesente le taux de croissance de la production dtKcdtKnc et dtL repreacutesentent les taux de croissance des facteurs de production Kc est lecapital employeacute en ordinateur Knc est le capital non employeacute en ordinateur et L est letravail

si = est la part de lrsquoinput i dtπ est la croissance de la productiviteacute multi-facteurs

Lrsquoeacutequation indique que le taux de croissance de la production (dtY) est eacutegal agrave la crois-sance pondeacutereacutee des moyens de production (par exemple scdtKc est le taux de crois-

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sance des investissements en ordinateurs pondeacutereacute par la part des investissements enordinateurs rapporteacutee aux investissements totaux) augmenteacute du taux de croissance dela productiviteacute multi-facteurs

Jorgenson et Stiroh (1995) estiment la part de capital employeacutee en ordinateur parlrsquoinvestissement en eacutequipement informatique en utilisant la structure comptableutiliseacutee par Jorgenson (1980 1989) Oliner et Sichel (1994) utilisent la part de reve-nus imputable aux ordinateurs et agrave leurs peacuteripheacuteriques Comme le montre letableau 1 p 106 les reacutesultats de ces deux eacutetudes sont compatibles Les ordinateurset leurs peacuteripheacuteriques ont apporteacute une contribution relativement faible agrave la crois-sance eacuteconomique mecircme pendant les anneacutees 1980 ougrave lrsquoinformatique srsquoest tregraves lar-gement diffuseacutee dans toute lrsquoeacuteconomie Dans lrsquoeacutequation comptable dereacutefeacuterence (1) quand un eacutequipement repreacutesente une part modeste sa contributionagrave la croissance est relativement faible mecircme dans le cas drsquoun taux de croissancerapide de lrsquoinput ce qui a effectivement eacuteteacute le cas des ordinateurs et de leurs peacuteri-pheacuteriques Comme on le voit dans le tableau 2 ceux-ci ne repreacutesententqursquoenviron 2 et peut-ecirctre mecircme moins

Oliner et Sichel eacutelargissent la deacutefinition des ordinateurs en englobant tous les mateacute-riels de traitement de lrsquoinformation (voir leur tableau 10 page 305) ainsi que le logicielet les personnes utilisant lrsquoordinateur (voir leur tableau 9 page 303) le reacutesultat srsquoentrouve inchangeacute Quelle que soit la deacutefinition retenue mdash mateacuteriel informatique mateacute-riel de traitement de lrsquoinformation ou combinaison entre le mateacuteriel le logiciel et letravail mdash les parts restent limiteacutees (voir le tableau 2 ci-apregraves) de mecircme que la contri-bution agrave la croissance des technologies de lrsquoinformation

Pour veacuterifier le bien-fondeacute de leurs conclusions Oliner et Sichel (1994) effectuentune simulation en partant du principe que les ordinateurs rapportent des reacutesultats au-dessus de la normale (lrsquoeacutequation (1) implique que les ordinateurs fournissent le mecircmetaux de retour que les autres investissements) Romer (1986) Brynjolfsson et Hitt(1996) ainsi que Lichtenberg (1993) ont tous soutenu ou laisseacute entendre que les ordi-nateurs donnaient de meilleurs retours que les autres investissements Leurs simula-tions amegravenent une augmentation de la contribution de lrsquoeacutequipement informatique agravela croissance (de 02 dans le tableau 1 agrave 03 ou 04) mais elles se heurtent toutes aumecircme problegraveme la part de lrsquoeacutequipement informatique est trop faible pour qursquounretour raisonnable sur investissement en ordinateurs se traduise par une importantecontribution agrave la croissance eacuteconomique

Les exercices comptables de la croissance mesurent la contribution des ordinateursagrave la croissance et non sa contribution agrave la productiviteacute multi-facteurs La comptabiliteacutede la croissance apporte une reacuteponse agrave la question laquo Pourquoi la productiviteacute nrsquoest-elle pas plus eacuteleveacutee raquo Comme le montre lrsquoeacutequation (1) la contribution agrave la croissanceeacuteconomique de la productiviteacute multi-facteurs est distincte de la contribution drsquoun

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input quel qursquoil soit mecircme celui des ordinateurs Si lrsquoon considegravere que le paradoxe dela productiviteacute srsquoapplique agrave la productiviteacute multi-facteurs les exercices comptables dela croissance nrsquoeacuteclairent pas beaucoup cela1

Changement de mesures

Extrait de Brent R Moulton GDP and the Digital Economy Keeping upwith the Changes BEA US Department of Commerce

Washington (DC) May 1999 httpmitpressmiteduUDEdemoultnpdf

Avant 1996 les Comptes de la Nation mesuraient les variations de la productionlaquo reacuteelle raquo crsquoest-agrave-dire corrigeacutee de lrsquoinflation en mesurant les changements de volumede la production sur la base des prix drsquoune anneacutee de reacutefeacuterence On savait que cettemeacutethode entraicircnait un biais car les prix srsquoeacutecartaient des niveaux de lrsquoanneacutee de reacutefeacute-rence mais on supposait que le changement des prix relatifs eacutetait suffisammentmodeste pour que la distorsion puisse ecirctre neacutegligeacutee Toutefois lorsque lrsquoon a introduitun meilleur indice des prix pour les ordinateurs il devint manifeste que la tendance agravela baisse de cet indice agrave la fois extrecircme et prolongeacutee deacutegradait gravement les mesuresagrave prix constant du PIB reacuteel la substitution du nouvel indice entraicircnait une sureacutevalua-tion dans les estimations de croissance du PIB de lrsquoordre de 1 Par ailleurs commele biais nrsquoeacutetait pas constant dans le temps on arrivait agrave des distorsions significativesdans la mesure des tendances de la croissance agrave long terme

Le Bureau of Economic Analysis entreprit alors un programme de recherche qui abou-tit agrave lrsquoadoption en janvier 1996 drsquoindices de prix et de quantiteacutes chaicircneacutes crsquoest-agrave-diredes indices pour lesquels les pondeacuterations eacutetaient mises agrave jour en permanence au lieudrsquoecirctre fixes En drsquoautres termes les prix utiliseacutes pour mesurer les eacutevolutions quantitati-ves drsquoune anneacutee sur lrsquoautre sont aujourdrsquohui ceux qui se pratiquent pendant les deuxanneacutees conseacutecutives faisant lrsquoobjet drsquoune comparaison Ces nouveaux indices corri-gent une distorsion haussiegravere dans la croissance du PIB la modification a donc desconseacutequences allant dans le sens inverse agrave celles qui avaient eacuteteacute entraicircneacutees par lrsquoincor-poration des nouveaux indices de prix des ordinateurs Les utilisateurs des donneacuteesfournies par les comptes de la Nation ont ducirc se familiariser avec ces mesures car eacutetantchaicircneacutees elles ne sont pas additives et elles requiegraverent certains changements dans lesmeacutethodes drsquoanalyse Ces transformations meacuteritaient toutefois drsquoecirctre opeacutereacutes car ellesont permis lrsquoeacutelimination drsquoune source majeure et significative de distorsion et drsquoutiliserles meilleures meacutethodes statistiques disponibles

1 Si on pense que le paradoxe de Solow se reacutefeacuterait agrave la productiviteacute du travail lrsquoaugmentation delrsquoinput en ordinateur affecterait la productiviteacute du travail mecircme si elle nrsquoaffecte pas la productiviteacutemulti-facteurs Il semble agrave moi comme agrave drsquoautres (par exemple David 1990) que Solow ait voulu parlerde productiviteacute multi-facteurs et non de productiviteacute du travail En tout eacutetat de cause la productiviteacutedu travail a elle aussi baisseacute apregraves 1973

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Dans les comptes de la croissance la croissance des ordinateurs est seulement la reacuteponsede la demande en moyens de production agrave la grande chute des prix des ordinateurs En faitJorgenson agrave lrsquooccasion de plusieurs preacutesentations de mecircme que Stiroh ont souligneacute cepoint Conformeacutement au cadre standard de lrsquoanalyse de la production lrsquoeacutenorme chute desprix de la puissance informatique a conduit agrave substituer les ordinateurs agrave tous les autresmoyens de production y compris les autres types drsquoinvestissements De ce point de vuelrsquoimpact eacuteconomique des ordinateurs nrsquoest pas du tout une affaire de productiviteacute

Cette substitution de moyen de production appelle une premiegravere reacuteserve car la pro-duction des ordinateurs (et donc lrsquoinvestissement en ordinateurs) est estimeacute par ajus-tement en dollars constants par recours aux indices de prix heacutedoniques desordinateurs Le prix et la quantiteacute ne sont pas estimeacutes seacutepareacutement Certains ont avanceacutele fait que la baisse de prix des ordinateurs est surestimeacutee dans les statistiques gouver-nementales (voir la section suivante) et si la diminution de prix est surestimeacutee lrsquoaug-mentation de lrsquoinput des ordinateurs lrsquoest eacutegalement et il existe donc une moindresubstitution que ce que laissent entendre les donneacutees

Une deuxiegraveme reacuteserve tient au fait que de nombreux eacuteconomistes semblent penserque la somme drsquoinnovations constateacutees dans lrsquoeacuteconomie autrement dit le nombre etlrsquoaspect persuasif des nouveaux produits y compris les nouvelles meacutethodes de produc-tion et les nouvelles prouesses technologiques repreacutesente plus que ce que lrsquoon auraitpu raisonnablement attendre drsquoune substitution de bien de production De ce point devue il doit eacutegalement y avoir un problegraveme de mesures erroneacutees indeacutependant de la vali-diteacute du problegraveme de la substitution Cette approche sera eacutevoqueacutee dans la section VII

Une troisiegraveme reacuteserve tient au fait que la productiviteacute globale du travail est basse eacutega-lement et que ce nrsquoest pas seulement la productiviteacute multi-facteurs qui est basse Si lesordinateurs se substituaient simplement agrave drsquoautres inputs on aboutirait agrave une aug-mentation de la productiviteacute du travail en raison de lrsquoaugmentation du capital par tecirctemecircme en lrsquoabsence de croissance de productiviteacute multi-facteurs Crsquoest preacuteciseacutement ceque deacutemontre Stiroh (1998) agrave lrsquoeacutechelle industrielle une utilisation plus intensive delrsquoordinateur augmente la productiviteacute du travail par substitution drsquoinput mais nrsquoaug-mente pas la productiviteacute multi-facteurs du secteur Au niveau global la part des ordi-nateurs est trop faible pour avoir une influence forte soit sur la croissance de laproduction soit sur la productiviteacute du travail

Bien que ne lrsquoayant pas fait de faccedilon implicite Flamm (1997) a reacuteinterpreacuteteacute le paradoxede productiviteacute de Solow en lrsquoappliquant aux semi-conducteurs laquo Lrsquoegravere des semi-conducteursse constate partout et pas seulement dans lrsquoindustrie informatique raquo Les indices de prix deces mateacuteriels ont chuteacute encore plus rapidement que le prix des ordinateurs (voir commen-taires dans la section II) et les semi-conducteurs se retrouvent aussi dans drsquoautres types demachines (systegravemes anti-blocage de freins ou systegravemes de suspension laquo intelligents raquo danslrsquoautomobile par exemple) Flamm calcule que pour le consommateur le surplus ducirc agrave la

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baisse des prix des semi-conducteurs est drsquoenviron 8 de la croissance annuelle du PIBce qui donne un total gigantesque pour toute lrsquohistoire des semi-conducteurs vieille de cin-quante ans Au niveau de lrsquoanalyse du paradoxe de la productiviteacute les reacutesultats de Flammne permettent pas de distinguer entre drsquoun cocircteacute la part de la demande en semi-conducteursimputable agrave la substitution drsquoinput (substitution drsquoordinateurs et autres mateacuteriels incorpo-rant des semi-conducteurs au deacutetriment des inputs nrsquoutilisant pas de semi-conducteurs) etde lrsquoautre cocircteacute la part de la demande en semi-conducteurs imputable agrave lrsquoameacutelioration deproductiviteacute des industries utilisatrices (si effectivement ils affectent la productiviteacute) Tou-tefois Flamm estime lrsquoeacutelasticiteacute de la croissance de la production par rapport agrave la demandeen semi-conducteurs agrave agrave peu pregraves huit fois lrsquoeacutelasticiteacute de leur prix par rapport agrave la demandePar ailleurs il estime agrave environ 02 pour ces derniegraveres anneacutees la contribution des semi-conducteurs au PIB ce chiffre est peut-ecirctre fortuitement similaire agrave celui calculeacute dans lescomptes de la croissance pour les ordinateurs

Pour reacutesumer les ordinateurs apportent une faible contribution agrave la croissance carils ne repreacutesentent qursquoune petite part de lrsquoinvestissement en capital Cette part reacuteduitesuggeacutererait-elle qursquoils ne peuvent pas non plus avoir une incidence sur laproductiviteacute Peut-ecirctre Il nrsquoen reste pas moins que le paradoxe conserve la faveurdont il jouit pour drsquoautres raisons qui sont exposeacutees dans les sections ci-dessous

2 On a lrsquoimpression et seulement lrsquoimpression que les ordinateurs sont partout

Lrsquoassertion selon laquelle lrsquoindice des prix des ordinateurs chute trop vite et doncque lrsquooutput des ordinateurs en dollars constants croicirct trop rapidement obeacuteit agrave plu-sieurs logiques qui ne sont pas particuliegraverement relieacutees

Denison (1989) a souleveacute deux arguments diffeacuterents contre les indices de prix heacutedoni-ques des ordinateurs que calcule la BEA1 Drsquoabord il a soutenu que la baisse des indices deprix de lrsquoinformatique nrsquoayant pas connu de preacuteceacutedent elle eacutetait suspecte Aujourdrsquohuion peut mettre cette objection de cocircteacute ce qui srsquoest passeacute aux Eacutetats-Unis srsquoest reproduit dansdrsquoautres pays ougrave lrsquoon a constateacute des chutes tout aussi rapides (pour la France voir Moreau1996) Les indices de prix heacutedoniques chutent encore plus rapidement pour les semi-con-ducteurs que pour les ordinateurs2 Trajtenberg (1996) a montreacute que les indices de prix

1 BEA Bureau of Economic Analysis2 Les travaux empiriques les plus importants sur lrsquoindice de prix des semi-conducteurs sont ceux de

Flamm (1993 1997) de Dulberger (1993) et de Grimm (1998) Triplett (1996) compare les indices deprix des ordinateurs des semi-conducteurs et des eacutequipements des industries de transformation incor-porant des semi-conducteurs

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heacutedoniques des scanners utiliseacutes en scannographie subissaient des baisses similaires agrave cel-les des ordinateurs Raff et Trajtenberg ont mis en eacutevidence des chutes importantes desindices de prix heacutedoniques dans lrsquoautomobile au deacutebut du XXe siegravecle Dans la plupart descas ces baisses nrsquoont pas eacuteteacute prises en compte par les statistiques conventionnelles ainsipar exemple lrsquoautomobile ne figure qursquoagrave partir des anneacutees 1930 ou 1940 dans les statisti-ques gouvernementales et celles-ci ne permettent mecircme pas aujourdrsquohui de deacuteterminerquel est le montant drsquoinvestissements en scannographie reacutealiseacutes par les hocircpitaux Si Deni-son ne voyait pas de preacuteceacutedent agrave cette baisse des prix de lrsquoinformatique crsquoest tout simple-ment qursquoaucune publication anteacuterieure nrsquoen mentionnait

Le second argument de Denison qursquoil opposait agrave tous les indices citeacutes ci-dessus con-sistait agrave dire que les indices de prix heacutedoniques eacutetaient de par leur concept mecircme ina-dapteacutes aux Comptes de la nation Il pensait qursquoils ne mesuraient que la disposition agravepayer pour des ameacuteliorations qualitatives (le cocircteacute demande du marcheacute) et non pour lecoucirct de production de cette augmentation de qualiteacute (le cocircteacute offre) Toutefois jrsquoaideacutemontreacute (1983 1989) qursquoil srsquoagit drsquoune proposition incorrecte mecircme si elle estpertinente en effet on peut interpreacuteter les mesures heacutedoniques aussi bien du cocircteacute delrsquooffre que de celui de la demande Denison avanccedilait par ailleurs que les mesures cocircteacutedemande et cocircteacute offre divergeaient dans le cas des ordinateurs or il nrsquoexiste pas de preu-ves suffisantes drsquoune telle divergence (voir Triplett 1993) Pour autant que je sache laposition de Denison sur lrsquoinadaptation conceptuelle des indices de prix ne trouve aucunsoutien actuellement il nrsquoest donc pas neacutecessaire de srsquoeacutetendre plus ici sur ce point

Concernant les indices de prix heacutedoniques il existe un autre raisonnement impor-tant mettant lrsquoaccent sur lrsquoutilisation de ces ordinateurs personnels qui se trouvent surde tregraves nombreux bureaux Leurs utilisateurs font souvent ce type de commentaire laquo Jeme servais peut-ecirctre du quart de la capaciteacute de mon ancien ordinateur maintenantjrsquoen ai un nouveau dont jrsquoutilise le dixiegraveme de la capaciteacute Ougrave est le progregraves raquo McCar-thy (1997 paragraphes 4 et 15) exprime un point de vue similaire

laquo Il est peu vraisemblable que lrsquoaugmentation theacuteorique du potentiel productif (desordinateurs) telle qursquoelle a eacuteteacute mesureacutee par les augmentations de leurs caracteacuteristiquesait jamais eacuteteacute reacutealiseacutee dans la pratique (hellip) Par ailleurs la taille et la complexiteacute crois-santes des systegravemes drsquoexploitation et du logiciel vont probablement entraicircner une aug-mentation de lrsquoinefficaciteacute relative entre mateacuteriel et logiciel (hellip) Et si la complexiteacute estplus grande il y a forceacutement une partie de la vitesse de lrsquoordinateur qui est deacutetourneacuteedu traitement pour geacuterer la complexiteacute accrue du logiciel raquo

En drsquoautres termes les ordinateurs personnels sont de plus en plus rapides et puis-sants leur meacutemoire est de plus en plus grande mais ils finissent par ecirctre utiliseacutes pourtaper du courrier alors que la vitesse de dactylographie nrsquoa pas fondamentalement eacutevo-lueacute Nrsquoest-ce pas la preuve que les indices de prix des ordinateurs chutent trop vite

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Personnellement je ne le pense pas Le fait de taper une lettre sollicite le hardwareet le software ainsi que la contribution de la personne qui dactylographie et qui est demoins en moins souvent une secreacutetaire Dans ce processus le goulet drsquoeacutetranglementtechnique se situe souvent au niveau de lrsquoutilisateur mais cela ne justifie pas que lrsquoonreacutevise agrave la hausse lrsquoindice des prix de lrsquoordinateur celui-ci a eacuteteacute acheteacute on a deacutejagrave payeacutesa capaciteacute et lrsquoaffirmation selon laquelle lrsquoacheteur aurait pu faire aussi bien avec unmateacuteriel drsquoune geacuteneacuteration preacuteceacutedente nrsquoest pas pertinente si tant est qursquoelle soit prou-veacutee Et drsquoailleurs effectivement ce nrsquoest pas prouveacute lrsquoaugmentation de capaciteacute desordinateurs a eacuteteacute reacutealiseacutee pour rendre lrsquoordinateur plus convivial et efficace et pas sim-plement pour qursquoil soit plus rapide (mais voir les sections IV et VI)

Un troisiegraveme eacuteleacutement srsquoest fait jour dans les travaux de McCarthy (1997) il srsquoagit drsquounarticle qui a susciteacute de nombreux commentaires dans les autres pays de lrsquoOCDE qui envi-sagent de suivre lrsquoinitiative ameacutericaine concernant les indices heacutedoniques de prix pour lesordinateurs McCarthy observe que les indices de prix sont typiquement inexistants pourle logiciel et se demande si les prix du logiciel ne baissent pas moins rapidement que ceuxdes ordinateurs Or on a fait une estimation des indices de prix pour les logiciels de traite-ment de texte les tableurs et les gestionnaires de base de donneacutees (Gandal 1994 Oliner etSichel 1994 Harhoff et Moch 1997) il se trouve que ces recherches corroborent lrsquohypo-thegravese de McCarthy et que effectivement les prix du logiciel ont connu une baisse reacutegu-liegravere mais selon un taux nrsquoayant rien de comparable avec ceux des ordinateurs

McCarthy soutient ensuite que le logiciel eacutetant souvent vendu en laquo bundle raquo aveclrsquoordinateur la baisse plus lente du prix du logiciel entraicircne une distorsion dans lesindices de prix des ordinateurs laquo La qualiteacute globale drsquoune offre informatique (ordina-teurs et logiciels associeacutes) nrsquoa pas augmenteacute aussi rapidement que celle des caracteacuteris-tiques fonctionnelles du mateacuteriel sur lesquelles se fondent les estimations heacutedoniquesdrsquoameacutelioration de la qualiteacute De ce fait on arrive agrave une surestimation des ajustementsqualitatifs utiliseacutes dans lrsquoestimation des deacuteflateurs de prix des investissements eninformatique et donc les baisses des investissements sont elles aussi sureacutevalueacutees(McCarthy 1997 alineacutea 8)

Cette thegravese peut ecirctre preacutesenteacutee de maniegravere plus convaincante si lrsquoon reformule ainsi ladeacuteclaration de McCarthy Un indice de prix drsquoordinateur peut ecirctre consideacutereacute comme unindice de prix correspondant agrave des caracteacuteristiques de la machine Supposons pour la commoditeacutede la deacutemonstration que les fonctions heacutedoniques sont lineacuteaires et que lrsquoindice de prix estlui aussi lineacuteaire (index Laspeyres)1 Dans ce cas srsquoil y a trois caracteacuteristiques vendues en pac-kage dans un ordinateur personnel vitesse (s) meacutemoire (m) et software (z) on a

1 Si lrsquoon ne procegravede pas agrave ces deux hypothegraveses simplificatrices lrsquoindice de prix devient une construc-tion extrecircmement complexe comme je lrsquoai indiqueacute dans Triplett (1989) ce qui complique inutilementla deacutemonstration Toutefois au niveau empirique la mesure est sensible aux deux hypothegraveses

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(2) Ic = aIs + bIm + cIz

Dans laquelle a b et c sont des pondeacuterations Lrsquoindice global de prix des ordinateurs (Ic)tel qursquoil devrait ecirctre calculeacute constitue le reacutesultat pondeacutereacute des trois caracteacuteristiques lieacutees agrave lamachine Toutefois dans lrsquoindice de prix retenu on neacuteglige lrsquoincidence du logiciel alors quecet eacuteleacutement est vendu avec lrsquoordinateur sans suppleacutement de prix Or lrsquoindice correspondantau logiciel baissant moins que les deux autres caracteacuteristiques (IzgtIs Ic) lrsquoindice de prix desordinateurs va chuter trop rapidement puisqursquoil est assis sur les deux autres caracteacuteristiquesLe mecircme argument peut srsquoappliquer sous une forme modifieacutee si on utilise dans les comp-tes nationaux un indice de prix pour le mateacuteriel dans lrsquoobjectif de corriger la valeur agrave la foisdu mateacuteriel et du logiciel peut-ecirctre parce qursquoil nrsquoexiste pas drsquoindice speacutecifique au logiciel

Si les indices de prix heacutedoniques eacutetaient effectivement constitueacutes en fonction de lameacutethode de laquo lrsquoindice de prix baseacute sur les diffeacuterentes caracteacuteristiques raquo (2) ci-dessus jerejoindrais McCarthy sur le fait qursquoils subissent effectivement une distorsion agrave la baisseLa distorsion serait la mecircme si on consideacuterait que la croissance veacuteritable de lrsquoinvestisse-ment en ordinateurs correspondait aux taux de croissance pondeacutereacutes des caracteacuteristiquesdu mateacuteriel (ce qui correspond agrave la forme sous laquelle McCarthy a fait sa deacutemonstration)

Quand on regarde les calculs effectueacutes on constate que le fait de neacutegliger le logicielentraicircne une distorsion agrave la hausse de lrsquoindice de prix des ordinateurs ce qui est con-traire agrave ce qursquoavance McCarthy Lrsquoindice est en fait calculeacute en ajustant qualitativementles prix constateacutes en fonction de la valeur attacheacutee aux modifications des caracteacuteristi-ques du mateacuteriel Supposons que nous observions les prix de deux ordinateurs diffeacute-rents et appelons respectivement ces prix Pc1 et Pc2 chacun de ces ordinateursconsiste en un package de vitesse de meacutemoire et de software Les coefficients heacutedoni-ques de reacutegression sur le hardware (vitesse et meacutemoire) servent agrave ajuster la diffeacuterencede prix entre les deux ordinateurs si on en change les caracteacuteristiques de vitesse et demeacutemoire On a donc lrsquoeacutequation suivante

(3) (Pc1) = Pc1 (hs [s2s1] + hm [m2m1

dans laquelle la partie gauche de lrsquoeacutegaliteacute repreacutesente le prix ajusteacute de lrsquoordinateur 1en fonction de sa qualiteacute agrave droite hi est le prix laquo heacutedonique raquo de la caracteacuteristique iet s et m repreacutesentent respectivement la vitesse et la meacutemoire Lrsquoindice des prix utilisede la faccedilon suivante le prix ajusteacute pour tenir compte de la qualiteacute

(4) Ic = Pc2(Pc1)

Lrsquoeacutequation (4) nrsquoincorpore aucun ajustement pour la quantiteacute de logiciel composantune partie du prix de lrsquoordinateur (par exemple hz [z2z1]) Si lrsquooffre inclut plus de logi-ciel ou un logiciel ameacutelioreacute lrsquoajustement qualitatif de lrsquoeacutequation 3 mdash (hs [s2s1] + hm[m2m1]) mdash est trop faible et non lrsquoinverse car lrsquoameacutelioration du logiciel ne fait lrsquoobjetdrsquoaucun ajustement Le prix ajusteacute (Pc1) est trop bas et non lrsquoinverse Autrement dit

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lrsquoindice de prix des ordinateurs chute trop lentement la distorsion est agrave la hausse etnon agrave la baisse ce qui est contraire agrave ce que preacutetend McCarthy1

De toute faccedilon la question nrsquoest pas que le prix du logiciel baisse plus rapidementque celui du mateacuteriel ou que la quantiteacute de logiciel vendue avec le mateacuteriel augmentemoins vite que le taux drsquoameacutelioration des caracteacuteristiques du mateacuteriel comme lavitesse ou la meacutemoire Lrsquoindice de prix pour lrsquooffre jointe ordinateurlogiciel ne baissepas suffisamment vite parce qursquoaucune correction nrsquoa eacuteteacute effectueacutee pour tenir comptede la valeur de lrsquoaugmentation de quantiteacute de logiciel implicitement cette quantiteacuteest consideacutereacutee comme ayant une valeur eacutegale agrave zeacutero

En conclusion aucune preuve ni aucun raisonnement nrsquoindiquent une forte distor-sion agrave la baisse de lrsquoindice de prix des ordinateurs Personnellement je suis en phaseavec Griliches (1994 page 6) quand il eacutecrit au sujet des indices de prix des ordinateurseacutelaboreacutes par le BEA

laquo Il nrsquoy avait pas de problegraveme au niveau de lrsquoindice lui-mecircme En fait cela a repreacute-senteacute une avanceacutee capitale (hellip) mais (hellip) il srsquoagissait drsquoun ajustement exceptionnel aucun autre produit de haute technologie nrsquoavait reccedilu pareil traitement (hellip) raquo2

3 On ne voit pas des ordinateurs partout mais leur contribution est peu mesureacutee danscertains secteurs eacuteconomiques qui sont pourtant ceux ougrave on en voit le plus

Griliches (1994) a noteacute que plus de 70 des investissements ameacutericains en ordina-teurs dans le secteur priveacute eacutetaient concentreacutes dans le commerce de gros ou de deacutetail la

1 En supposant que lrsquoexclusion du logiciel de la reacutegression heacutedonique nrsquoentraicircne pas de distorsiondes coefficients des variables incluses La distorsion de lrsquoindice de prix des variables exclues peut se faireagrave la hausse ou agrave la baisse en fonction de la correacutelation qui nrsquoest pas connue entre variables incluses etexclues et aussi des mouvements non observeacutes de la variable exclue2 Apregraves lrsquointroduction par le BEA des indices de prix heacutedoniques pour les eacutequipements informatiques

en 1985 de tels indices nrsquoont pas eacuteteacute eacutetendus agrave drsquoautres biens en raison de la combinaison de deuxfacteurs (a) un manque de ressources au sein du BEA Mecircme srsquoil existe une part de vrai agrave ce sujetlrsquolaquo Initiative Boskin raquo visant agrave lrsquoameacutelioration des statistiques eacuteconomiques est intervenue relativementpeu de temps apregraves (1989) et il nrsquoexistait pas drsquoapproche heacutedonique dans lrsquoInitiative Boskin parailleurs les ressources agrave allouer aux ameacuteliorations des indices de prix eacutetaient extrecircmement limiteacutees (USDepartment of Commerce 1990) (b) peut-ecirctre une mauvaise appreacuteciation par les deacutecideurs de lrsquoimpor-tance du travail effectueacute et une reacuteaction deacutemesureacutee dans ses proportions agrave une critique somme toutedouce de lrsquoexteacuterieur et agrave une autre critique plus appuyeacutee encore qursquoindirecte eacutemanant de lrsquointeacuterieurdu systegraveme de statistiques ameacutericains Mecircme srsquoil eacutetait aviseacute de laisser les choses se tasser un peu apregraveslrsquointroduction des indices de prix des ordinateurs il nrsquoen reste pas moins qursquoil srsquoest agi incontestable-ment de lrsquoinnovation qui a eu au plan international la plus grande porteacutee au plan des comptes natio-naux pendant toute la deacutecennie 1980 (sur certains aspects internationaux voir Wyckoff 1995)

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finance lrsquoassurance lrsquoimmobilier et les services (divisions F G H et I du Standard Indus-trial Classification System de 1987)1 Or il srsquoagit preacuteciseacutement des secteurs eacuteconomiquesougrave le rendement est le moins bien mesureacute et ougrave dans certains cas la notion mecircme de ren-dement est mal deacutefinie (lrsquoassurance la finance le conseil sont des exemples classiques)

Pourquoi ceci cet investissement en ordinateur ne srsquoest-il pas traduit par des gains visi-bles de productiviteacute Le principal eacuteleacutement de reacuteponse est simple lrsquoinvestissement est alleacutedans nos laquo secteurs non mesurables raquo et donc son influence sur la productiviteacute ne sereflegravete pas dans les statistiques mecircme si elle est tout agrave fait reacuteelle (Griliches 1994 page 11)

Qursquoil existe de seacuterieux problegravemes de mesure dans tous ces domaines est un fait bieneacutetabli Lrsquoouvrage de Griliches (1992) constitue un exemple relativement reacutecent de lalongue histoire des tentatives destineacutees agrave affiner les meacutethodes et les concepts appliqueacutesaux services Triplett (1992) preacutesente un autre rapport sur les problegravemes conceptuelsde quantification du rendement bancaire et Sherwood (publication attendue) traitele problegraveme de cette mesure dans le secteur de lrsquoassurance

Les services participent pour une large part agrave la production Ceux qui ont uneinfluence directe sur le PIB sont constitueacutes par les deacutepenses de consommation desmeacutenages et les exportations nettes et bien sucircr il est par ailleurs notoire que le rende-ment de toute lrsquoactiviteacute gouvernementale est tregraves mal mesureacute2 La consommation desservices nrsquoayant pas trait au logement repreacutesente environ 43 des deacutepenses person-nelles de consommation soit 29 du PIB et les exportations nettes de services pegravesentpour environ 13 dans le PIB

Les chiffres de productiviteacute ne sont pas calculeacutes pour le PIB total Il existe un mode BLS3

de calcul tregraves largement utiliseacute ayant pour reacutefeacuterence lrsquoeacuteconomie priveacutee Il est difficiledrsquoisoler de faccedilon explicite la composante Services dans cet agreacutegat Toutefois en sontmanifestement exclus les traitements des fonctionnaires verseacutees par le gouvernementla consommation en capital et les logements occupeacutes par leur proprieacutetaire et lrsquoon peutenlever ces composants du PIB pour obtenir une estimation grossiegravere de lrsquoeacuteconomie pri-veacutee (agricole et non agricole) (voir tableau 3) Les services ayant trait aux deacutepenses deconsommation non lieacutees au logement plus les exportations nettes de services repreacutesen-tent environ 43 de la demande finale du secteur priveacute hors immobilier

Les services repreacutesentent donc une grande part du ratio de la productiviteacute drsquoensemblemais ne sont pas correctement mesureacutes Il est bien eacutevident que le terme englobe un certain

1 Dans les donneacutees reacuteviseacutees des actifs du BEA ces secteurs repreacutesentent 723 des actifs en ordina-teurs pour lrsquoanneacutee de reacutefeacuterence 19922 La plupart des services regroupeacutes dans la division I du Standard Industrial Classification System

repreacutesentent des produits intermeacutediaires (services de consultants en eacuteconomie par exemple) ne ren-trant pas dans le PIB final3 Bureau of Labor Statistics

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nombre de services agrave la personne comme par exemple les transports urbains les salonsde coiffure ou drsquoestheacutetique etc qui nrsquoont sans doute pas profiteacute de faccedilon substantielle delrsquoameacutelioration de productiviteacute et donc de rendement apporteacutee par les ordinateursCependant dans certaines cateacutegories plus importantes de services une faible erreur demesure se reacutepercuterait fortement sur les statistiques de productiviteacute Si le signe (+ ou -) delrsquoerreur de mesure allait dans le bon sens les services faisant lrsquoobjet drsquoune quantificationerroneacutee pourraient nettement contribuer agrave reacutesoudre le paradoxe de la productiviteacute

Quel est le signe de lrsquoerreur de mesure dans le rendement des services Mecircme si unsecteur est mal quantifieacute on ne peut pas savoir de faccedilon certaine quel est le signe delrsquoerreur crsquoest-agrave-dire si elle intervient en plus ou en moins Une mauvaise mesure ne setraduit pas toujours par une distorsion haussiegravere de lrsquoindice des prix et une distorsionbaissiegravere dans le rendement et la productiviteacute

Ainsi par exemple la banque est un secteur dont la quantification nrsquoest pas satisfai-sante alors que son rendement pegravese lourd dans les Comptes de la nation La mesure durendement bancaire a fait lrsquoobjet de recherches consideacuterables dans diffeacuterentes voies jrsquoenai eacutevoqueacute de nombreuses dans Triplett 1992 mais il existe des eacutetudes plus reacutecentes Ber-ger et Merger (1997) et Fixler et Zieschang (1997) Ces autres mesures du rendement ban-caire sont pour moi bien plus justifieacutees que celles utiliseacutees pour les statistiquesgouvernementales1 Mais il ne semble pas qursquoelles indiquent un taux de croissance pluseacuteleveacute du rendement et de la productiviteacute du secteur Ainsi par exemple Berger et Mester(1997) soulignent que la productiviteacute multi-facteurs dans la banque a chuteacute agrave une peacuteriodeagrave laquelle augmentait fortement la mesure BLS de productiviteacute du travail dans la banque

Les autres mesures concernant la banque comme par exemple celles utiliseacutees par legouvernement precirctent le flanc agrave la critique car elles ne prennent pas en compte un cer-tain nombre drsquoeacuteleacutements par exemple le confort drsquoutilisation apporteacute agrave la clientegravele parles distributeurs automatiques de billets (DAB) Pour cette raison et pour bien drsquoautresBresnahan (1986) montre que lrsquoinfluence en aval des technologies de lrsquoinformation estsubstantielle Lors de discussions priveacutees il a par ailleurs mis lrsquoaccent sur le fait quelrsquoinnovation qui rendait inteacuteressante lrsquoutilisation du DAB eacutetait destineacutee agrave reacuteduire lafraude Mais Berger et Humphrey (1996) montrent que les DAB ont eu sur les coucircts ban-caires des effets pervers un retrait par distributeur coucircte agrave peu pregraves 50 de moinsqursquoagrave un guichet mais en revanche les transactions par DAB sont drsquoun montant moinsimportant et agrave volume total eacutegal de transactions sont deux fois plus nombreuses Sile distributeur a eu un faible impact sur les coucircts bancaires toutes les ameacuteliorationsapporteacutees par les DAB sur la productiviteacute des banques proviennent de lrsquoopinion duconsommateur qui y trouve plus de confort et nrsquoa plus peur de la fraude Mais dans la

1 La mesure de la production effectueacutee par le BLS utiliseacutee pour quantifier la productiviteacute du secteurbancaire repreacutesente une deacutefinition notablement diffeacuterente de la mesure utiliseacutee par le BEA pour calcu-ler les composants du PIB voir Triplett (1992)

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mesure ougrave un retrait par distributeur ne donne pas lieu agrave paiement de frais il faut esti-mer le beacuteneacutefice consommateur et lrsquoinclure dans la mesure de la production bancaire silrsquoon veut obtenir une estimation de la contribution de la technologie au rendement etagrave la productiviteacute du secteur bancaire

Le fait de tenir compte de ce plus produirait-il un fort ajustement agrave la hausse Frei et Har-ker (1997) ont rapporteacute qursquoune grande banque a tregraves rapidement perdu une partie impor-tante de sa clientegravele apregraves avoir chercheacute de faccedilon agressive agrave reacuteduire lrsquoaccegraves aux guichetsclassiques dans lrsquoespoir de reacuteduire ses coucircts Les clients veulent aussi avoir affaire agrave des gui-chetiers Mecircme si les DAB constituent incontestablement un avantage pour eux au-delagravedrsquoun certain seuil drsquoutilisation leur inteacuterecirct devient moindre que celle drsquoun guichetier

Ajouter une valorisation des DAB augmenterait probablement le taux mesureacute decroissance de la production des banques et donc leur productiviteacute Une ameacuteliorationde la mesure du rendement au niveau bancaire et financier contribuerait donc agrave reacutesou-dre le paradoxe Mais comme le suggegravere lrsquoeacutetude preacuteciteacutee une telle estimation est com-pliqueacutee et il est certain que les ordres de grandeur ne sont pas clairs

Certains eacuteconomistes ont abordeacute ce problegraveme de mesure dans les services en examinantpour ainsi dire les preuves drsquoun comportement anormal des statistiques dans certains desdomaines ougrave les mesures sont mauvaises Ainsi Stiroh (1998) utilise en lrsquoeacutelargissant lameacutethodologie de Jorgenson et Stiroh (1995) pour analyser la contribution des ordinateursagrave la croissance au niveau sectoriel Il identifie parmi 35 secteurs industriels ceux qui sont leplus utilisateur drsquoordinateurs Ces secteurs de services correspondent agrave ceux que Grilichesavait signaleacutes comme eacutetant mal mesureacutes commerces de gros et de deacutetail finance assu-rance immobilier services (division 1 du Standard Identification Classification System)

Stiroh constate que la croissance de la production non lieacutee aux ordinateurs a dimi-nueacute agrave mesure que la contribution des ordinateurs augmentait de faccedilon intensive dansles secteurs informatiseacutes Des ordinateurs moins chers se sont substitueacutes agrave drsquoautres fac-teurs de production y compris le travail Mais en mecircme temps les taux de croissancede la production mesureacutes augmentaient moins rapidement laquo Pour tous les secteursutilisant lrsquoordinateur (hellip) le taux moyen de croissance de la productiviteacute multi-fac-teurs a chuteacute alors que le capital (ordinateur) augmentait raquo (Stiroh 1998) Effective-ment il semble anormal drsquoavoir une correacutelation inverse entre lrsquoinvestissement enordinateurs et la croissance de la productiviteacute multi-facteurs voir aussi Morrison etBerndt (1991) qui parviennent agrave un reacutesultat similaire Soit les ordinateurs ne sont pasproductifs soit lrsquoaugmentation du rendement est sous-estimeacutee Cette anomalie estcoheacuterente avec lrsquohypothegravese drsquoune laquo mauvaise mesure des services raquo Toutefois elle seconstate eacutegalement dans les reacutesultats des travaux de Stiroh sur les industries de trans-formation utilisant lrsquoordinateur de faccedilon intensive par exemple celle des carriegraveres delrsquoargile ou du verre ougrave les problegravemes de mesure de la production sont sinon inexis-tants en tout cas peu connus

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Prescott (1997) note que les prix des services agrave la consommation qursquoil considegraverecomme laquo mal deacutefinis raquo (affaires domestiques parmi lesquels la finance et lrsquoassurancefigurant dans la liste de Griliches plus le logement occupeacute par son proprieacutetaire lessoins meacutedicaux et lrsquoenseignement) ont gonfleacute de 64 entre 1985 et 1995 tandis queles autres services ceux qui sont laquo raisonnablement bien deacutefinis raquo ont augmenteacute seu-lement de 40 Prescott y voit une erreur de mesure au niveau des anciens prix1 Lapreuve de la divergence de prix nrsquoest pas en elle-mecircme fascinante aucun principe eacuteco-nomique ne preacutetend que les prix devraient toujours eacutevoluer conjointement et il estcourant de constater dans la theacuteorie des indices de prix une divergence des prix relatifsMais si les indices de prix sont sur-estimeacutes alors la croissance de la production deacuteflateacuteeet la hausse de la productiviteacute multi-facteurs sont toutes deux sous-eacutevalueacutees

La Commission Boskin a estimeacute que lrsquoindice des prix agrave la consommation qui fournitdes deacuteflateurs agrave de nombreux composants des deacutepenses de consommation des meacutenages(PCE2) eacutetait au cours de ces derniegraveres anneacutees sur-eacutevalueacutes de 11 dont 04 corres-pondant agrave une mesure incorrecte des prix des services aux consommateurs Cela se tra-duirait dans une large mesure par une erreur dans lrsquoeacutevaluation de la production deacuteflateacuteedes services au sein des mesures de productiviteacute3 Pour que cette erreur de mesure expli-que le ralentissement de la croissance eacuteconomique de la productiviteacute ou de la consom-mation reacuteelle il faudrait qursquoelle ait augmenteacute depuis 1973 ce dont on nrsquoa pas de preuvessuffisantes ou que la part des secteurs mal mesureacutes ait augmenteacute or si les services onteffectivement augmenteacute leur part nrsquoa pas augmenteacute autant que la productiviteacute a baisseacuteEn outre lrsquoaugmentation de lrsquoerreur de mesure si elle srsquoest effectivement aggraveacutee au fildu temps a ducirc ecirctre progressive alors que la chute de la productiviteacute eacutetait brutale

1 Prescott (1997) inclut dans la cateacutegorie laquo mal deacutefinis raquo les services correspondant aux logementsoccupeacutes par leurs proprieacutetaires il srsquoappuie pour cela sur le fait qursquoune mesure de coucirct pour lrsquoutilisateurde services au logement est theacuteoriquement preacutefeacuterable agrave un loyer eacutequivalent au logement en questionparamegravetre qui est actuellement utiliseacute dans les comptes nationaux et dans lrsquoindice des prix agrave la con-sommation Dans la mesure ougrave le coucirct drsquoutilisation du capital a une valeur de location repreacutesenteacutee parla partie gauche de lrsquoeacutequation standard de Jorgenson (1989) le point de vue de Prescott ne peut pas ecirctretheacuteorique puisque les mesures du loyer et de lrsquooccupation par un proprieacutetaire devraient en theacuteorie ecirctreles mecircmes Je pense plutocirct qursquoil affirme implicitement que les estimations du coucirct drsquoutilisation fonc-tionnent mieux empiriquement dans le cas drsquoun logement occupeacute par son proprieacutetaire que dans celuidrsquoun logement loueacute Cette question de lrsquoempirisme a eacuteteacute tregraves abondamment exploreacutee dans la litteacuteratureeacuteconomique et lrsquoeacutevidence va contre lrsquoaffirmation de Prescott Voir Gillingham (1983) pour le cas drsquounlogement occupeacute par son proprieacutetaire et Harper Berndt et Wood (1989) pour lrsquoanalyse de problegravemescomparables dans lrsquoestimation du coucirct drsquoutilisation pour drsquoautres biens drsquoeacutequipement Je ne veux pasdire par lagrave qursquoil nrsquoexiste pas de problegraveme agrave mesurer le coucirct drsquoun logement occupeacute par son proprieacutetairejrsquoindique simplement que le raisonnement de Prescott ne semble pas coheacuterent avec les travaux empi-riques meneacutes sur le mecircme sujet2Personal Consumption Expenditures3 Jrsquoai commenteacute les estimations de distorsion reacutealiseacutees par la Commission Boskin et leurs implica-

tions au niveau de la mesure des deacutepenses de consommation des meacutenages (PCE reacuteel) et donc de la pro-ductiviteacute dans Triplett (1997)

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Je doute quant agrave moi que lrsquoaccentuation drsquoune mauvaise quantification de la consom-mation de services puisse expliquer le ralentissement apregraves 1973 de la consommationreacuteelle par habitant et donc de la productiviteacute Toutefois ces mesures erroneacutees pourraientexpliquer la perte drsquoune partie de la contribution des ordinateurs agrave la croissance sur unepeacuteriode couvrant agrave peu pregraves les vingt derniegraveres anneacutees qui viennent de srsquoeacutecouler

Au total la mauvaise mesure des services est sans doute affecteacutee du signe approprieacutepour reacutesoudre le paradoxe mais lrsquohypothegravese drsquoune mesure erroneacutee a-t-elle suffisam-ment de force pour le reacutesoudre en totaliteacute Je ne le pense pas

4 Que lrsquoon voie ou non des ordinateurs partout une partie du travail reacutealiseacute par ceux-ci nrsquoest pas comptabiliseacutee dans les statistiques

On trouve dans laquo Windows pour les Nuls raquo page 12 la phrase suivante laquo Windowsremplit lrsquoeacutecran avec plein de petites boicirctes et images rigolotes DOS crsquoest pour les gensqui ne mettent jamais drsquoautocollants sur leurs pare-chocs raquo

Plus loin ce manuel souligne agrave juste titre le fait que les images demandent une puis-sance nettement plus grande de lrsquoordinateur et que donc le fait drsquoutiliser Windows 95exige de disposer drsquoun ordinateur relativement puissant Un nombre consideacuterabledrsquoordinateurs et de logiciels reacutecemment lanceacutes sur le marcheacute a eacuteteacute conccedilu dans lrsquooptiquedrsquoune plus grande faciliteacute drsquoemploi

Mais ougrave donc dans les statistiques eacuteconomiques trouve-t-on comptabiliseacutee la valo-risation drsquoune meilleure commoditeacute et drsquoun meilleur interface Si ces eacuteleacutements sontproductifs autrement dit si par exemple les images et icocircnes permettent de faire plusde travail lrsquoameacutelioration en question va se retrouver dans les statistiques de producti-viteacute ou agrave tout le moins dans les donneacutees concernant la productiviteacute du travail

Drsquoun autre cocircteacute si les images sont juste destineacutees agrave apporter un cocircteacute laquo fun raquo jrsquoimagineqursquoun nouveau logiciel incorporant des graphiques agrave lrsquoeacutecran des controcircles laquo pointez-cliquez raquo et autres commoditeacutes entraicircne une consommation plus importante qursquoun logi-ciel plus ancien or cette consommation de travail ne figure nulle part dans les statisti-ques Si un logiciel contribue en partie agrave la production et en partie agrave rendre lrsquoutilisateurplus content de travailler une partie de ces gains est perdue au niveau des statistiques

Mecircme si je conviens qursquoun peu de laquo fun raquo ne nuit pas je soupccedilonne les technologuesdrsquoavoir exageacutereacute les meacuterites de ces raquo petites boicirctes et images rigolotes raquo On nrsquoa pas encorereacutesolu la question de savoir si les tout reacutecents deacuteveloppements concernant les ordina-teurs et les logiciels ont effectivement apporteacute de la convivialiteacute on nrsquoa drsquoailleurs pasnon plus trancheacute sur la justification du surcoucirct par rapport aux beacuteneacutefices apporteacutes

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Mais si les concepteurs de logiciels ont atteint leurs buts si les ordinateurs et logicielssont aujourdrsquohui plus souples et plus conviviaux et si la puissance de la machine quiest sur votre bureau est destineacutee agrave cet objectif les statistiques eacuteconomiques ne saisis-sent pas grand-chose de lrsquoameacutelioration de lrsquointerface

Lrsquoordinateur facilite par ailleurs la reacuteorganisation de lrsquoactiviteacute or les gains engen-dreacutes par cette reacuteorganisation peuvent eacutegalement ne pas figurer dans les statistiquesVoici un exemple que lrsquoon doit agrave Steiner (1995) lrsquoanalyse ne lui en revenant pas

Prenons un cas qui nrsquoest pas si hypotheacutetique celui drsquoune entreprise ameacutericaine speacute-cialiseacutee dans le jouet Gracircce agrave lrsquoinformatique et agrave des communications plus rapides etmoins chegraveres par lrsquoInternet cette socieacuteteacute a pu deacutevelopper son activiteacute jusqursquoagrave inteacutegrationglobale Aujourdrsquohui la direction baseacutee aux Eacutetats-Unis deacutetermine quels sont les pro-duits qursquoelle est susceptible de vendre aux USA conccediloit les jouets eacutelabore sa campagnemarketing et planifie la distribution Mais elle contracte avec tous les fabricants drsquoAsiequi ne sont pas forceacutement affilieacutes agrave lrsquoentreprise par le biais drsquoune participation Une foisles jouets fabriqueacutes ils sont expeacutedieacutes directement par bateau agrave des grossistes importantsinstalleacutes aux Eacutetats-Unis lrsquoentreprise ameacutericaine de jouets nrsquoa donc pas drsquoantenne com-merciale lui permettant de vendre au deacutetail des quantiteacutes importantes La facturation etles flux financiers sont assureacutees par une entiteacute eacutetrangegravere situeacutee disons aux BahamasDans cet exemple lrsquoordinateur et les technologies avanceacutees de lrsquoinformation ont permisagrave lrsquoentreprise ameacutericaine de jouets de reacutepartir les activiteacutes de fabrication de distributionet de suivi financier dans diffeacuterentes reacutegions du monde ougrave les coucircts sont les moins eacuteleveacutes

Du point de vue des actionnaires et des dirigeants lrsquoordinateur a apporteacute une forteaugmentation de la profitabiliteacute de lrsquoentreprise ceci poseacute ougrave ces gains se retrouvent-ils dans les statistiques ameacutericaines de productiviteacute

Les ressorts de lrsquoefficience

Extrait de Alan Greenspan laquo Information productivity and capital investment raquoThe Federal Reserve Board Remarks by Chairman Alan Greenspan

Before The Business Council Boca Raton Florida October 28 1999

httpwwwbogfrbfedusboarddocsspeeches1999199910282htm

La veacuteritable avalanche de donneacutees en temps reacuteel a favoriseacute une reacuteduction prononceacuteedes heures de travail neacutecessaires par uniteacute produite et une large expansion de nou-veaux produits dont la production a absorbeacute la force de travail qui nrsquoeacutetait plus indis-pensable pour soutenir le niveau et la composition anteacuterieurs de la production Cecontexte sur les cinq derniegraveres anneacutees srsquoest mateacuterialiseacute par une acceacuteleacuteration extrecircme-ment forte de la productiviteacute et en conseacutequence par une nette augmentation duniveau de vie du meacutenage Ameacutericain moyen

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Avant cette reacutevolution technologique la plupart des deacutecideurs dans les entreprises duXXe siegravecle eacutetaient handicapeacutes par une information moins abondante Nombre drsquoentrevous se rappellent qursquohier le bon fonctionnement des entreprises exigeait de preacutevoirdes redondances substantielles en raison du manque drsquoinformation sur les besoins desclients sur la localisation des stocks et sur les flux de matiegraveres drsquoœuvre au sein des com-plexes systegravemes de production

Ce doublonnage tant sur les mateacuteriaux que sur les employeacutes eacutetait indispensable pourcompenser en temps reacuteel les erreurs ineacutevitables drsquoappreacuteciation sur laquo lrsquoeacutetat raquo de lrsquoentre-prise Les deacutecisions se prenaient en fonction drsquoinformations vieilles de plusieurs heuresplusieurs jours voire mecircme plusieurs semaines De ce fait la planification de la produc-tion demandait des stocks de seacutecuriteacute extrecircmement coucircteux et des eacutequipes plus nom-breuses pour pouvoir reacuteagir agrave des situations impreacutevues ou mal eacutevalueacutees

Il reste bien sucircr de larges pans drsquoinformation qui restent inconnus et les preacutevisions deseacuteveacutenements dont deacutependent en dernier ressort les deacutecisions des entreprises demeurentdans un eacutetat drsquoincertitude ineacutevitable Pour autant au cours de ces derniegraveres anneacutees leremarquable essor observeacute dans la disponibiliteacute en temps utile des informations oppor-tunes a permis aux dirigeants de se passer largement du matelas de seacutecuriteacute repreacutesenteacutepar des stocks trop importants et certains salarieacutes qui faisaient double emploi

Le monde des entreprises est donc non seulement capable de reacuteagir avec unemeilleure preacutecision aux eacutevolutions de la demande mais en plus il offre des reacuteponsesplus rapides et plus efficaces Lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation en temps reacuteel qui deacutecoule parexemple de proceacutedeacutes tels lrsquoeacutechange de donneacutees informatiseacutees ou la localisation parsatellite des camions de livraison a favoriseacute la reacuteduction marqueacutee des deacutelais de livrai-son et des heures de travail neacutecessaires pour produire des biens de toute nature deslivres jusqursquoaux biens drsquoeacutequipement Cette situation a agrave son tour diminueacute la taille rela-tive des investissements neacutecessaires agrave la production des biens et services

Les proceacutedeacutes intermeacutediaire de production et de distribution qui eacutetaient absolumentessentiels agrave une peacuteriode ougrave la quantiteacute drsquoinformations et le controcircle qualiteacute laissaient agravedeacutesirer font actuellement lrsquoobjet drsquoune reacuteduction drsquoeacutechelle et parfois mecircme drsquoune eacuteli-mination Les sites Internet qui se font omnipreacutesents promettent une modification signi-ficative dans la faccedilon dont des pans entiers de nos systegravemes de distribution sont geacutereacutes

Dans lrsquoexemple que nous avons choisi lrsquoordinateur a augmenteacute la productiviteacute desfabricants asiatiques des armateurs libeacuteriens des eacutetablissements financiers des Caraiuml-bes en leur donnant un meilleur accegraves aux marcheacutes et agrave la distribution ameacutericains Laseule activiteacute restant agrave lrsquoentreprise ameacutericaine de jouets se reacuteduit agrave son eacutequipedirigeante ougrave est la mesure de lrsquooutput drsquoun eacutetat-major

Si lrsquoimpact de lrsquoordinateur sur la profitabiliteacute de cette entreprise participe effective-ment agrave la productiviteacute ameacutericaine le calcul de cette contribution exige que lrsquoon trouvedes meacutethodes permettant de tenir compte du design du marketing de la distribution

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et des activiteacutes de coordination reacutealiseacutes par lrsquoeacutequipe de direction or il srsquoagit lagrave drsquoactiviteacutesde services pour lesquels les outputs sont actuellement mesureacutes de faccedilon imparfaite1

5 On ne voit pas encore les ordinateurs dans les statistiques de productiviteacute mais ilsuffit drsquoattendre un peu

David (1990) a eacutetabli une analogie entre la diffusion de lrsquoeacutelectriciteacute et celle de lrsquoordi-nateur La connexion entre ces innovations tient selon lui au fait que toutes deuxlaquo forment les eacuteleacutements nodaux raquo des reacuteseaux et laquo occupent des positions clefs dans unetoile de relations techniques fortement compleacutementaires raquo Le paralleacutelisme desreacuteseaux amegravene David agrave preacutevoir que la diffusion des ordinateurs et les effets de ceux-cisur la productiviteacute suivront la mecircme eacutevolution sur une dureacutee prolongeacutee que lrsquoon aobserveacutee pour lrsquoeacutelectriciteacute

laquo Ce nrsquoest pas avant le deacutebut des anneacutees 1920 que lrsquoeacutelectrification des usines (hellip) aeu un impact sur lrsquoaugmentation de productiviteacute dans les secteurs industriels Agrave cetteeacutepoque agrave peine plus du quart de lrsquoeacutenergie meacutecanique eacutetait eacutelectrifieacute dans les uniteacutes deproduction (hellip) Or on eacutetait quatre deacutecennies apregraves lrsquoouverture de la premiegravere centraleeacutelectrique destineacutee aux entreprises raquo (David 1990 page 357)

Cette theacuteorie a fait lrsquoobjet drsquoune tregraves large diffusion dans la presse populaire

Que lrsquoordinateur ait ou non deacutejagrave atteint son potentiel maximal (voir la section VI)je doute que lrsquoanalogie avec lrsquoeacutelectriciteacute soit eacutedifiante Mokyr (1997) adresse drsquoailleursune mise en garde laquo Les analogies historiques sont tout aussi instructives qursquoelles peu-vent ecirctre trompeuses et elles deviennent plus dangereuses que partout ailleurs quandil srsquoagit de progregraves technologiques ougrave les changements sont impreacutevisibles cumulatifset irreacuteversibles raquo Les reacuteseaux respectifs des ordinateurs et de lrsquoeacutelectriciteacute peuvent ounon preacutesenter une analogie mais lrsquoordinateur diffegravere fondamentalement de lrsquoeacutelectri-citeacute par son comportement en termes de prix et donc par son scheacutema de diffusion

Plus de quarante ans ont passeacute depuis le lancement du premier ordinateur commer-cial Le coucirct de la puissance repreacutesente aujourdrsquohui moins de 00005 de ce qursquoil eacutetaitau moment de la preacutesentation du premier ordinateur (voir le tableau 4) Le prix de lapuissance a eacuteteacute diviseacute par plus de 2 000 en pregraves de 45 ans

On ne retrouve pas agrave la naissance de lrsquoeacutelectriciteacute une chute de prix drsquoune ampleurressemblant agrave celle-ci de pregraves ou de loin David note que les prix de lrsquoeacutelectriciteacute nrsquoontcommenceacute agrave baisser que dans la quatriegraveme deacutecennie suivant son introduction Nord-

1 Et en tout eacutetat de cause il nrsquoexiste pas actuellement de convention permettant de les imputer auxeacutetats-majors

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haus (1997) estime certes que le prix de lrsquoeacuteclairage par lumen a diminueacute de 85 entre 1883 et 1920 mais les deux tiers de cette baisse sont imputables agrave lrsquoaugmenta-tion drsquoefficaciteacute des ampoules et non agrave la production drsquoeacutelectriciteacute Sichel (1997) quantagrave lui arrive agrave une estimation diffeacuterente Gordon (1990) a reacutealiseacute des indices de prix desappareils geacuteneacuterateurs drsquoeacutelectriciteacute qui ne vont que jusqursquoagrave 1947 mais on voit maldans cet historique ce qui pourrait suggeacuterer une baisse des prix drsquoun niveau compara-ble mecircme de loin agrave celle qursquoont connue les ordinateurs

Dans la mesure ougrave lrsquoeacutevolution des prix est extrecircmement diffeacuterente drsquoun produit agrave lrsquoautreles modegraveles de diffusion de lrsquoeacutenergie eacutelectrique et de la puissance informatique sont eux aussifondamentalement dissemblables Dans la diffusion drsquoune innovation quelle qursquoelle soiton distingue deux sources de demande soit cette innovation supplante une ancienne tech-nologie pour effectuer les mecircmes choses soit elle facilite la reacutealisation de choses nouvelles

Au deacutepart lrsquoeacutelectriciteacute nrsquoa pas affecteacute les activiteacutes qui faisaient autrefois appel agravelrsquoeacutenergie hydraulique ou agrave la vapeur La manufacture qui eacutetait situeacutee pregraves drsquoun coursdrsquoeau dont elle obtenait son eacutenergie meacutecanique ne srsquoest pas convertie agrave lrsquoeacutelectriciteacute etsi elle ne lrsquoa pas fait crsquoest que lrsquoeacutenergie fournie par lrsquoeau restait moins chegravere pour elle en effet lrsquoeacutelectriciteacute aurait neacutecessiteacute une double transformation celle de lrsquoeacutenergiehydraulique en eacutenergie eacutelectrique puis en eacutenergie meacutecanique1 En revanche lrsquoeacutelectri-citeacute a permis lrsquoimplantation drsquousines agrave distance des cours drsquoeau et donc sa diffusionsrsquoest accompagneacutee agrave lrsquoorigine de nouvelles faccedilons de faire Crsquoest seulement agrave lrsquoissuedrsquoune longue peacuteriode que sa production a affecteacute ce qui se faisait auparavant en recou-rant agrave lrsquoeacutenergie hydraulique ou agrave la vapeur

Pour ce qui concerne le processus de diffusion de lrsquoordinateur les premiegraveres applica-tions ont supplanteacute des technologies anciennes de calcul2 Lrsquoeacutenergie hydraulique ou lavapeur ont surveacutecu longtemps agrave lrsquoapparition de lrsquoeacutelectriciteacute mais les machines de cal-

1 David (1990 page 357) note la ldquonon-profitabiliteacute du remplacement de sites de transformationencore exploitables et preacutesentant des technologies de production recourant agrave lrsquoeacutenergie meacutecanique pro-venant de lrsquoeau et de la vapeurrdquo Il fait remarquer que ldquoles applications de lrsquoeacutenergie eacutelectrique ontattendu que se deacutepreacutecient ulteacuterieurement les structures industrielles agrave longue dureacutee de vierdquo Le fait queles industriels aient attendu que leurs eacutequipements fonctionnant agrave lrsquoeacutenergie hydraulique ne soient plusutilisables avant de les remplacer par des eacutequipements eacutelectriques vient confirmer de faccedilon eacuteloquentela puissance de lrsquoimpact prix et lrsquoobsolescence affectant les ordinateurs lrsquoeacutevidence suggegravere que les ordi-nateurs ne se deacuteteacuteriorent pas de faccedilon substantielle agrave lrsquousage (Oliner 1993) mais pour autant combienreste-t-il en service de machines datant de la premiegravere ou de la deuxiegraveme deacutecennie de lrsquoegravere delrsquoinformatique Lrsquoordinateur et lrsquoeacutelectriciteacute ont des histoires diffeacuterentes et non pas similaires2 Pour illustrer ce point mentionnons Longley (1967) qui a montreacute que les algorithmes drsquoinversion

de matrice dans les premiers programmes de reacutegression des ordinateurs eacutetaient deacutetermineacutes drsquoapregraves desmeacutethodes simplifieacutees utiliseacutees pour les calculatrices meacutecaniques et contenaient donc des erreurs quiaffectaient les coefficients de reacutegression au premier ou deuxiegraveme chiffres significatifs A lrsquoorigine lesconcepteurs de ces meacutethodes plus rapides et moins oneacutereuses nrsquoont pas tireacute parti de la vitesse des ordi-nateurs pour ameacuteliorer la preacutecision des calculs simplement ils ont ldquoinformatiseacuterdquo ce qui se pratiquaitauparavant

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cul existant avant lrsquoordinateur ont disparu depuis fort longtemps deacutejagrave Nos assistantsde recherche utilisent-ils encore des calculatrices Marchant si tant est qursquoils sachentde quoi il srsquoagit La baisse forte et continue du prix des ordinateurs contribue depuisbien des anneacutees agrave peser dans la deacutecision de remplacer les calculatrices cartes perforeacuteeset autres outils de mecircme nature par des machines modernes de la mecircme faccedilon que enson temps le moulin a ceacutedeacute la place agrave lrsquoeacutenergie hydraulique

Dans lrsquohistoire de lrsquoeacutelectriciteacute lrsquoextension agrave de nouvelles applications a preacuteceacutedeacute leremplacement des meacutethodes anciennes parce que le prix de lrsquoeacutelectriciteacute ne rendait pascelles-ci immeacutediatement obsolegravetes Dans le cas de lrsquoordinateur la disparition desanciennes meacutethodes a deacutebuteacute immeacutediatement lrsquoobsolescence eacutetant acceacuteleacutereacutee par larapide chute des prix de lrsquoinformatique

Mecircme si certaines applications nouvelles de la puissance de lrsquoordinateur consti-tuent de prodigieuses ameacuteliorations en termes de possibiliteacutes lrsquoeffet prix reste extrecirc-mement important lui aussi Quand on passe agrave lrsquoinformatisation ce sont lesmeacutethodes les plus valoriseacutees qui sont implanteacutees en premier lieu Agrave mesure que lapuissance informatique devient moins chegravere les nouvelles installations ont unevaleur moindre et sont marginales Ce principe est suggeacutereacute par les taux drsquoutilisation ainsi par exemple quand jrsquoeacutetais en troisiegraveme cycle jrsquoemportais mes cartes perforeacuteesau centre informatique et lagrave jrsquoattendais un ordinateur qui eacutetait cher alors que jrsquoavaispeu de moyens Aujourdrsquohui crsquoest lrsquoordinateur que jrsquoai sur mon bureau quimrsquoattend et ce nrsquoest pas tant que je pegravese beaucoup plus financiegraverement crsquoest plutocirctqursquoil est devenu si bon marcheacute qursquoon peut lrsquoutiliser pour des activiteacutes qui ne sont pasen elles-mecircmes particuliegraverement valoriseacutees

Quand on compare les quarante premiegraveres anneacutees de lrsquoeacutenergie eacutelectrique et de lapuissance informatique on constate que mille choses au moins seacuteparent ces deuxinnovations Et ce que lrsquoon sait sur leurs processus respectifs de diffusion concorde avectoutes ces diffeacuterences En fait il est inconcevable qursquoil en soit autrement et donc je necrois pas que lrsquohistoire de la diffusion de lrsquoeacutenergie eacutelectrique telle que lrsquoa deacutecrite Davidait quoi que ce soit agrave voir avec lrsquohistoire et les perspectives de lrsquoinformatique

6 On voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productiviteacute parce queles ordinateurs ne sont pas aussi productifs qursquoon le croit

Dans un dessin humoristique de Dilbert dateacute du 5 mai 1997 on lit que laquo la totaliteacutedu temps passeacute par les hommes agrave attendre le chargement des pages de Web (hellip) annuletous les gains de productiviteacute de lrsquoegravere de lrsquoinformation raquo Dilbert nrsquoest certainement pas

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le seul racircleur agrave srsquoecirctre demandeacute si lrsquoexpansion des technologies de lrsquoinformation srsquoeacutetaittraduite par des beacuteneacutefices correspondant soit agrave lrsquoinvestissement soit agrave la forte aug-mentation de la vitesse des ordinateurs

Crsquoest un lieu commun de dire que lrsquohistoire de lrsquoordinateur se reacutesume au remplace-ment constant drsquoune technologie par une autre Mais ces progregraves technologiques tregravesrapides ont pour contrepartie un taux drsquoobsolescence absolument vertigineux quimegravene au rebut des pans entiers drsquoinvestissements alors que les machines sont encoreen eacutetat de fonctionnement Si celles-ci avaient eacuteteacute conserveacutees le flux de services seraitplus grand aujourdrsquohui mais guegravere de beaucoup En effet un ordinateur personneleacutequipeacute drsquoune puce 8086 atteignait 033 MIPS (une mesure de vitesse) en 1978 unordinateur baseacute sur Pentium offrait 150 MIPS en 1994 et leur vitesse est de plus de 200actuellement Donc si elles avaient eacuteteacute gardeacutees toutes les machines 8086 qui ont eacuteteacuteconstruites ne contribueraient que tregraves marginalement au stock total actuel de MIPSinstalleacutes

Ceci poseacute mecircme si elles ne valent plus grand-chose aujourdrsquohui ces machines 8086 ontapporteacute de reacuteelles ressources agrave la production entre 1978 et 1982 peacuteriode agrave laquelle ellesconstituaient des mateacuteriels de pointe Or il nrsquoexiste pas actuellement de retour pour les res-sources substantielles qui ont eacuteteacute investies dans les ordinateurs dans un passeacute reacutecent

Il ne srsquoagit pas uniquement du mateacuteriel on entend parler de nombreux projets delaquo refonte des systegravemes informatiques raquo agrave un coucirct prohibitif Il sont traiteacutes de faccedilonanecdotique dans la presse quand il srsquoagit de projets tregraves coucircteux ou encore quand lrsquoundrsquoentre eux a connu la honte de lrsquoeacutechec apregraves avoir englouti une masse drsquoinvestisse-ments Les exemples abondent en la matiegravere comme lrsquoeacutechec qui a coucircteacute il y a plusieursanneacutees plus de 3 milliards de dollars agrave lrsquoInternal Revenue Service1 ou plus reacutecemmentle projet Medicare qui a eacuteteacute tregraves critiqueacute Dans un certain nombre drsquoorganisationslrsquoeacutetude drsquoun projet de refonte du systegraveme informatique fait presque toujours preacutetendreque lrsquoancien systegraveme est deacutepasseacute et doit ecirctre remplaceacute par un nouveau Agrave la une de soneacutedition du 30 avril 1998 le Wall Street Journal indique que laquo 42 des projets drsquoentre-prise concernant les nouvelles technologies sont abandonneacutes avant achegravevement raquo etque laquo 50 des projets ne reacutepondent pas aux attentes des dirigeants raquo Le bug delrsquoan 2000 pourrait venir compleacuteter le tableau encore qursquoil srsquoagisse plus drsquoun problegravemede management ou drsquoun logiciel qui aurait eacuteteacute utiliseacute plus longtemps que ne le preacute-voyaient ses concepteurs plutocirct que drsquoune question inheacuterente agrave la relation ordina-teurprogramme

Pour ce qui concerne les ordinateurs personnels on assiste agrave des lancements en per-manence de nouveaux systegravemes drsquoexploitation traitements de texte etc Mecircme si tou-tes les nouvelles versions repreacutesentaient une ameacutelioration substantielle pour les

1 Lrsquoeacutequivalent drsquoune Direction des Impocircts (NdT)

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utilisateurs il faudrait se poser la question de leur coucirct de remplacement Nombreuxsont ceux qui dans lrsquoindustrie informatique ou dans drsquoautres secteurs se demandentsi ces coucircts de conversion ont eacuteteacute correctement pris en compte dans le cycle de renou-vellement La plupart des utilisateurs ont-ils vraiment besoin drsquoun logiciel dernier cri En attendant les mises agrave jour se succegravedent

Raff et Trajtenberg (1997) montrent que la baisse des prix des voitures coupleacutee avecune ameacutelioration de la qualiteacute qui a marqueacute les deacutebuts de lrsquohistoire de lrsquoautomobileest comparable agrave celle des ordinateurs Il existe toutefois une notable diffeacuterence crsquoestque pour un grand nombre drsquoacheteurs de voitures la Ford T eacutetait largement suffi-sante Ses conducteurs nrsquoavaient pas besoin drsquoecirctre agrave la pointe de la technologie mecircmesi certains voulaient absolument ce qui se faisait de mieux Le fait que lrsquoindustrie infor-matique nrsquoait pas reacuteussi agrave produire lrsquoeacutequivalent drsquoun modegravele T constitue peut-ecirctre lamanifestation drsquoun manque de discipline des ingeacutenieurs mais peut-ecirctre aussi lapreuve de diffeacuterences fondamentales entre les marcheacutes informatique et automobileQuand on achetait une Ford T drsquooccasion on pouvait la conduire sur les mecircmes routesque si on srsquoeacutetait eacutequipeacute drsquoun modegravele neuf agrave lrsquoinverse il nrsquoest plus possible de se servirdrsquoun vieil ordinateur sur les nouvelles autoroutes de lrsquoinformation De surcroicirct ontrouvait toujours quelqursquoun pour reacuteparer un modegravele ancien de voiture alors que lemarcheacute de lrsquoapregraves-vente drsquoordinateurs est loin drsquoavoir connu la mecircme croissance quecelui des ordinateurs neufs

Toutes ces nouvelles versions se traduisent-elles par une augmentation de producti-viteacute ou sont-elles inutiles Les opinions divergent sur ce sujet On peut faire les mecircmestacircches en traitement de texte avec une technologie nouvelle qursquoavec une ancienneQuelle est la valeur des ameacuteliorations marginales en termes de confort ou de vitessepar exemple Peut-ecirctre nrsquoest-elle pas si forte comme lrsquoaffirment certains utilisateursmais en tout eacutetat de cause elle repreacutesente un faible coucirct dans la toute nouvelle techno-logie Ainsi les graphiques et les icocircnes occupent une part non neacutegligeable de la capa-citeacute mais dans la mesure ougrave cette capaciteacute est peu oneacutereuse dans les deacuteveloppementstechnologiques les plus reacutecents le coucirct diffeacuterentiel venant en contrepartie de lrsquooffre degraphiques et icocircnes est faible et ces eacuteleacutements sont donc incorporeacutes dans les logicielssortis derniegraverement Les techniciens considegraverent que srsquoil est possible de fournir agrave faiblecoucirct aux utilisateurs une petite icocircne animeacutee qui indique qursquoune page est en coursdrsquoimpression il nrsquoy a pas de raison de srsquoen priver De la mecircme faccedilon si on peut offrirpour un coucirct modique un choix extraordinaire de menus pourquoi ne pas le faire

Les esprits chagrins feront remarquer que le fait drsquoajouter toutes ces caracteacuteristiquesdonne au bout du compte un ordinateur de plus en plus puissant offrant une capaciteacutede meacutemoire de plus en plus grande mais qui effectue la plupart des tacircches plus lente-ment qursquoun modegravele drsquoordinateur plus ancien et moins puissant Un 386 avec un sys-tegraveme drsquoexploitation et un traitement de texte des premiegraveres geacuteneacuterations est peut-ecirctre

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plus rapide pour certaines opeacuterations qursquoun Pentium offrant les technologies les plusreacutecentes en la matiegravere Pour beacuteneacuteficier des avantages de la derniegravere mise agrave jour drsquountraitement de texte il faut parfois engager des sommes importantes de mise agrave jour delrsquoordinateur et du systegraveme drsquoexploitation et il arrive mecircme que lrsquoon soit contraint derenoncer agrave un certain nombre de possibiliteacutes offertes par lrsquoancien systegraveme mais nondisponibles sur le nouveau On serait donc bien loin du point de vue purement tech-nologique exprimeacute par les programmeurs

Le choix des menus se traduit lui aussi par un coucirct Ainsi par exemple ma derniegraveremessagerie eacutelectronique offre un choix beaucoup plus vaste que la preacuteceacutedente maispour effectuer certaines tacircches il faut maintenant que je frappe plus de touches parailleurs le systegraveme est plus lent que lrsquoancien agrave exeacutecuter certains ordres Il srsquoagit en faitlagrave de lrsquoapplication agrave lrsquoinformatique drsquoun principe eacuteconomique geacuteneacuteral qui veut quealors qursquoil existe un deacutesir de disposer drsquoopportuniteacutes de choix de plus en plus nombreu-ses le fait drsquoopeacuterer des choix est une deacutemarche coucircteuse et donc je refuse drsquoecirctre forceacutede choisir dans un menu qui est de plus en plus fourni

Certains professionnels de lrsquoinformatique srsquoeacutetonnent par ailleurs des orientationsprises reacutecemment par les creacuteateurs de logiciels Ainsi par exemple on trouve agrave la pre-miegravere page du New York Times du 24 juin 1997 en section C cette opinion deMichael Dertouzos laquo Qualifier un ordinateur de convivial simplement parce qursquoiloffre un choix infini de polices de caractegraveres et de fonds drsquoeacutecran cela revient agrave vouloirfaire croire qursquoun chimpanzeacute est chirurgien parce qursquoon lui a passeacute une blousedrsquohocircpital raquo

Par ailleurs lrsquoutilisateur est conscient mecircme si le programmeur ne lrsquoest pas que lechangement lui-mecircme est coucircteux Il ne srsquoagit pas uniquement du coucirct drsquoacquisitiondrsquoune nouvelle version de logiciel ou du coucirct drsquoinstallation et de parameacutetrage le faitdrsquoapprendre les nouvelles commandes et de deacutesapprendre les anciennes se traduit luiaussi en termes financiers et de faccedilon substantielle1 Le coucirct du temps des utilisateursrepreacutesente sans aucun doute la composante la plus importante quand on veut chif-frer les conseacutequences drsquoun changement il est nettement plus eacuteleveacute que les coucirctsdirects Or traditionnellement seuls ceux-ci sont pris en compte dans la comptabi-liteacute des entreprises alors que les laquo temps morts raquo constituent un poids qui obegravere laproductiviteacute Blinder et Quandt (1997) insistent eacutegalement sur les coucircts drsquoapprentis-sage et drsquoobsolescence qui sont des freins au potentiel de gains de productiviteacute desordinateurs

1 Il serait bien difficile de ne pas se demander si on nrsquoaurait pas pu eacuteviter une bonne partie de ce coucirctdans lrsquohypothegravese ougrave lrsquoon aurait conserveacute les anciens symboles et icocircnes dans les nouvelles versionsLrsquoanalogie avec le clavier QWERTY de la machine agrave eacutecrire qui a eacuteteacute conserveacute sur les ordinateurs est toutagrave fait pertinente pourquoi ne constate-t-on pas une inertie similaire dans le software au niveau descommandes et des icocircnes

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Les porte-parole de lrsquoindustrie informatique se plaisent agrave eacutevoquer lrsquoanalogie entre lesgains technologiques de leur secteur drsquoactiviteacute et la mise agrave disposition des consomma-teurs drsquoune Rolls-Royce qui irait agrave 300 kmh ne consommerait que 4 litres aux 100 etne coucircterait que 100 dollars Quand on lui parle de progregraves en informatique le rabat-joie entend plutocirct la version suivante laquo On vous fournit un logiciel eacutequivalent agrave unenouvelle route agrave peacuteage mais pour pouvoir emprunter celle-ci il faut drsquoabord acheterun nouvel ordinateur eacutequivalent agrave une Rolls-Royce en plus vous ne pourrez plus con-duire sur lrsquoancienne route qui avait eacuteteacute inteacutegralement payeacutee parce qursquoon ne va pluslrsquoentretenir raquo

Pour autant en regravegle geacuteneacuterale et de faccedilon tregraves nette les gens ne laissent pas passerles derniegraveres ameacuteliorations pour garder lrsquoancienne technologie ou en tout cas il nele font pas tregraves longtemps Il est troublant de recourir pour en donner une explica-tion agrave une certaine forme drsquoeacutechec du marcheacute allant agrave lrsquoopposeacute du cas si deacutecrieacute deMicrosoft et de sa situation de monopole Srsquoil existe une explication au paradoxeinformatique relative agrave un gacircchis il faut plutocirct chercher du cocircteacute drsquoun eacutechec mana-geacuterial ou drsquoun manque de prise de deacutecision de la part des utilisateurs drsquoordinateurs etde logiciels

Si les deacutecisions prises dans le passeacute concernant les ordinateurs srsquoavegraverent inefficacesque dire de lrsquoavenir Une faccedilon drsquoenvisager les choses consiste agrave dire que quand onaura appris agrave utiliser les ordinateurs le futur promet de satisfaire les espoirs si souventdeacuteccedilus du passeacute Les ordinateurs sont productifs ce sont les hommes qui ne les ont pasutiliseacutes de maniegravere productive Et ces machines ameacutelioreront la productiviteacute agrave lrsquoavenirmecircme si elles ne lrsquoont pas fait dans le passeacute Autrement dit le rendement veacuteritable desordinateurs est plus important dans lrsquoavenir que ce qui a eacuteteacute mesureacute jusqursquoagrave preacutesent Etsi lrsquoapport veacuteritable ou potentiel est nettement plus important il faut que lrsquoeacuteconomieinvestisse dans les ordinateurs plus encore qursquoelle ne lrsquoa fait jusqursquoagrave preacutesent

Mais si les deacutecisions prises dans le passeacute ont eacuteteacute mauvaises ou inapproprieacutees celapeut vouloir dire aussi que lrsquoon a deacutejagrave trop investi dans les ordinateurs qui srsquoavegraverentmoins productifs qursquoon lrsquoavait penseacute au moment ougrave ont eacuteteacute prises les deacutecisions drsquoinfor-matisation Un tel cas de figure augure moins bien de lrsquoavenir comme crsquoest en geacuteneacuteralle cas en lrsquooccurrence ce que nous ont apporteacute pour lrsquoinstant les recherches sur ce pointne va pas au-delagrave du regard poseacute par Dilbert sur le sujet

Pour terminer eacutevoquons un dernier point Lrsquoordinateur a peut-ecirctre entre autrestalents celui de reacuteduire les coucircts de certains comportements la recherche drsquoune loca-tion par exemple ou encore de favoriser les situations drsquoeacutemulation en oligopole lesstrateacutegies de partage de marcheacutes etc Il a permis par exemple drsquoexeacutecuter un plus grandnombre drsquoopeacuterations de bourse en simultaneacute Bresnahan Milgrom et Paul (1992) onteacutetudieacute la valeur drsquoune richesse plus importante en informations sur le marcheacute boursierIls en ont conclu que ce surcroicirct drsquoinformations ne contribuait pas agrave la productiviteacute

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parce que ces informations ne concernaient que les personnes recevant des gains ellesnrsquoaugmentaient donc pas le gain social de lrsquoactiviteacute boursiegravere tout entiegravere Ceci vientmettre lrsquoaccent sur le fait qursquoil ne faut pas confondre lrsquoimpact de lrsquoordinateur sur lespersonnes ou les entreprises et ses effets sur lrsquoeacuteconomie nationale Dans certains cason ne constate pas drsquoeffet net agrave lrsquoeacutechelle eacuteconomique les gains se faisant au deacutetrimentdrsquoautres personnes ou entreprises

7 Il nrsquoy a pas de paradoxe certains eacuteconomistes eacutevaluent les innovations et les nou-veaux produits sur une eacutechelle arithmeacutetique alors qursquoelle devrait ecirctre logarithmique

Pour de nombreux eacuteconomistes et notamment les eacuteconomistes drsquoentreprises ledeacutebat preacuteceacutedent nrsquoest pas satisfaisant Ils voient plus drsquoeacutevolutions techniques plus denouveaux produits plus de changements dans le service aux consommateurs dans lesmeacutethodes de livraison et dans drsquoautres secteurs innovants que ne le laissent entendreles statistiques gouvernementales en termes de productiviteacute et cette incoheacuterence estselon eux constitutive du paradoxe Nous sommes agrave cet eacutegard dans une laquo nouvelleeacuteconomie raquo inondeacutes drsquoun flot drsquoinnovations et de nouveaux produits qui nrsquoa pas depreacuteceacutedent et rien de ce flot nrsquoest pris en compte dans les chiffres concernant la produc-tiviteacute

Cette position est reprise par les journaux les magazines eacuteconomiques et aussi lesbulletins de la Reacuteserve feacutedeacuterale et srsquoentend eacutegalement lors de confeacuterences Il est vraiqursquoautrefois tous les produits eacutetaient standardiseacutes et faciles agrave mesurer dit-on aujourdrsquohui en revanche on nous indique un flot de nouveaux produits drsquoameacuteliora-tions qualitatives et de produits sur mesure correspondant agrave des niches les cycles desproduits se raccourcissent et de nouveaux services dans des secteurs tels que la banqueou la finance sont mis en place avec une rapiditeacute ineacutedite Crsquoest agrave un point tel que lepreacutesident de la Reacuteserve feacutedeacuterale a indiqueacute que le niveau actuel drsquoinnovations techno-logiques constituait un pheacutenomegravene se produisant une fois par siegravecle qui entraicircneraitune augmentation spectaculaire de la productiviteacute

Du point de vue de la nouvelle eacuteconomie le paradoxe de la productiviteacute nrsquoest pasveacuteritablement un paradoxe lieacute agrave lrsquoordinateur les gens ont tendance agrave engranger desanecdotes sur le sujet qui peuvent eacutemaner de leur propre entreprise ou provenir de lalecture de journaux ou encore avoir eacuteteacute raconteacutees par des tiers Lrsquoaccumulation de tou-tes ces histoires ne semble pas coheacuterente avec lrsquoaugmentation modeste des chiffressur la productiviteacute De ce point de vue on nrsquoest pas tant dans la conviction que lrsquoordi-nateur a augmenteacute la productiviteacute que dans la conviction que la productiviteacute a aug-

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menteacute mais sur la base drsquoautres preuves En effet la phrase de Solow (1987) preacuteceacutedantimmeacutediatement son ceacutelegravebre aphorisme soulegraveve le mecircme point laquo [Les auteurs] sontsouvent gecircneacutes par le fait que ce que chacun pense avoir repreacutesenteacute une reacutevolution techno-logique un changement radical dans nos vies productives srsquoaccompagne partout (hellip)drsquoun ralentissement de lrsquoaugmentation de productiviteacute et non par une acceacuteleacuteration raquo

Par conseacutequent lrsquoordinateur a constitueacute un signal ou peut-ecirctre un symbole de toutecette productiviteacute par lrsquoinnovation et les nouveaux produits que lrsquoon imaginait Il afourni une logique permettant drsquoexpliquer pourquoi eacutetait exacte la perception que lerythme de lrsquoeacutevolution technique srsquoacceacuteleacuterait et pourquoi eacutetaient fausses les statisti-ques sur la productiviteacute Crsquoest pour cette raison que les eacuteconomistes ont pris le para-doxe au seacuterieux Ce nrsquoest pas tant que lrsquoon pouvait ou non voir des ordinateurs partoutou qursquoils eacutetaient productifs ou encore que certaines de leurs utilisations srsquoanalysaienten gaspillage ou encore les sections 1 agrave 6 du preacutesent article Crsquoest plutocirct que lrsquoordina-teur donnait une creacutedibiliteacute agrave toutes les choses nouvelles que les eacuteconomistes pen-saient voir de faccedilon anecdotique mais qui nrsquoapparaissaient pas dans les chiffresglobaux de productiviteacute

Ces anecdotes sur les nouveaux produits les nouveaux services les nouvellesmeacutethodes de distribution et les nouvelles technologies constituent sans aucun doutedes observations valables Bien que personne ne sache comment faire le compte de cesnouveauteacutes il nrsquoy a pas agrave discuter sur le fait qursquoelles sont plus nombreuses que jamaisde nos jours Ceci poseacute ces anecdotes manquent totalement drsquoune perspective histo-rique et en ce sens sont trompeuses quand on les considegravere comme des preuves deproductiviteacute

Pour qursquoexiste un impact sur la productiviteacute il faut que le taux de creacuteation de nou-veaux produits et drsquoapparition de nouvelles technologies soit plus grand que dans lepasseacute comme le montre un simple exemple chiffreacute Supposons que toutes les ameacutelio-rations de productiviteacute proviennent du deacuteveloppement de nouveaux produits Suppo-sons par ailleurs que agrave lrsquoanneacutee A0 il existe 100 produits et que dix pour cent soientnouveaux Pour que le taux de productiviteacute soit en augmentation constante il faudraque soient creacuteeacutes 11 nouveaux produits lrsquoanneacutee suivante et 12 nouveaux produitslrsquoanneacutee A2 Si lrsquoon maintient constant ce taux de productiviteacute il faudra creacuteer26 nouveaux produits au bout de 10 ans 62 produits au bout de 20 ans et ainsi desuite en suivant une progression arithmeacutetique Au fil de la croissance de lrsquoeacuteconomie ilfaut donc un nombre toujours plus important de nouveaux produits pour garder untaux constant de croissance de productiviteacute

La plupart des anecdotes consideacutereacutees comme constituant la preuve drsquoune laquo nouvelleeacuteconomie raquo amegravenent agrave penser que effectivement il y a bien un nombre plus grand denouveauteacutes mais cela ne veut pas neacutecessairement dire que le taux de nouveauteacutes soitplus grand Ainsi par exemple de nombreux eacuteconomistes considegraverent que le nombre

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accru de reacutefeacuterences dans un supermarcheacute constitue la preuve drsquoun choix plus vasteoffert au consommateur drsquoinnovations marketing etc1 Diewert et Fox (1997tableau 5) rapportent que en 1994 il y a deux fois plus de produits dans un supermar-cheacute moyen qursquoen 1972 respectivement 19 000 et 9 000 Mais le taux de croissancepour la peacuteriode 1948-1972 (2 200 produits en 1948 et 9 000 en 1972) eacutetait plus de qua-tre fois supeacuterieur agrave celui de la peacuteriode 1972-1994 on notera par ailleurs que ces deuxpeacuteriodes sont de longueur agrave peu pregraves eacutegale Par conseacutequent il est vrai que lrsquoon trouveplus de produits dans les supermarcheacutes en 1994 que vingt ans auparavant pourtantle taux de croissance a chuteacute

Il existe drsquoautres illustrations de cette mecircme deacutemonstration Ainsi par exemple laCommission Boskin preacutesente comme un gain en bien-ecirctre le fait de disposer de vinsfins importeacutes La baisse des coucircts de transport permet de trouver aux Eacutetats-Unis desvins australiens agrave bas prix et presque au mecircme prix qursquoen Australie Il y a donc bienune augmentation du nombre de produits disponibles et en ce sens on peut parlerdrsquoun progregraves Pour autant peut-on dire que cette augmentation entraicircne un accroisse-ment proportionnel plus important en termes drsquoopportuniteacutes de choix et de consom-mation que les augmentations survenues dans le passeacute

Diewert (1993) donne en exemple deacutejagrave releveacute par Alfred Marshall le cas drsquoun nou-veau produit au XIXe siegravecle La baisse des coucircts de transport rendue possible notam-ment gracircce au chemin de fer a permis drsquoacheminer du poisson frais depuis les cocirctesvers lrsquointeacuterieur du pays et ce pour la premiegravere fois en Angleterre au milieu du XIXe

siegravecle Mokyr (1997) observe que laquo lrsquoaugmentation importante de la qualiteacute et de lavarieacuteteacute des biens de consommation est une caracteacuteristique indeacuteniable de la reacutevolu-tion industrielle en Angleterre Cependant la classe ouvriegravere consacre toujourslrsquoessentiel de son revenu agrave se nourrir et agrave se loger raquo Si lrsquoon considegravere le tregraves petit nom-bre de biens de consommation accessibles agrave lrsquoouvrier moyen et mecircme en tenantcompte du fait que le poisson frais eacutetait agrave lrsquoorigine consommeacute principalement par lesclasses moyennes peut-on dire que lrsquointroduction du poisson frais repreacutesente uneaugmentation du nombre de nouveaux produits moindre que la disponibiliteacute envins drsquoAustralie et autres produits similaires au siegravecle suivant Jrsquoaurais tendance agravepenser que la meilleure reacuteponse consiste agrave dire que nous nrsquoen savons rien Mais nousavons aussi examineacute la deacutecennie 1990 selon une perspective historique beaucouptrop courte

Sur un point voisin Mokyr (1997) eacutevoque laquo les ameacuteliorations consideacuterables dans lescommunications au cours du XIXe siegravecle que lrsquoon doit au teacuteleacutegraphe et qui pour la pre-miegravere fois ont permis agrave lrsquoinformation de circuler plus vite que lrsquohomme (hellip) Lrsquoinven-

1 Il convient drsquoexprimer des reacuteserves sur cette interpreacutetation concernant le nombre de produits quelrsquoon trouve dans les supermarcheacutes

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tion du timbre-poste agrave un penny dans les anneacutees 1840 a fait beaucoup plus pour lescommunications que tout ce qui se pratiquait auparavant Sa contribution marginalene fut sans aucun doute pas infeacuterieure agrave celle de Netscape agrave une eacutepoque reacutecente raquo

On pourrait continuer ainsi Lrsquoexemple chiffreacute eacutevoqueacute ci-dessus impliquait que cha-que produit ait une valeur identique au produit preacuteceacutedent En fait les nouveaux pro-duits des anneacutees 1990 doivent avoir la mecircme valeur que lrsquoautomobile ou les appareilsdes deacutecennies 1920 et 1930 (ainsi par exemple lrsquoair conditionneacute est apparu au deacutebutdes anneacutees 1930) ou encore que la teacuteleacutevision ou autres innovations en matiegravere decommunication des anneacutees 1940 et 1950 (les premiers teacuteleacutephones portables remon-tent aux anneacutees 1940) Si la valeur moyenne des nouveaux produits de ladeacutecennie 1990 est infeacuterieure agrave celle des nouveaux produits apparus preacuteceacutedemment ilfaut alors que le nombre de ceux-ci soit plus important pour justifier la conception duparadoxe du point de vue de la nouvelle eacuteconomie

Le mecircme raisonnement srsquoapplique agrave la qualiteacute Il est surprenant de voir dans la presseles ameacuteliorations qualitatives des voitures dans les anneacutees 1990 aussi importantessoient-elles consideacutereacutees comme un exemple du processus de la nouvelle eacuteconomie par comparaison avec les progregraves contenus dans une tonne drsquoacier Une telle compa-raison est erroneacutee dans la mesure ougrave en fait et preacuteciseacutement le changement qualitatifdans une tonne drsquoacier a eacuteteacute extraordinaire Par ailleurs lrsquoameacutelioration de la qualiteacute desvoitures est un sujet tregraves ancien dans les statistiques eacuteconomiques mais crsquoest seule-ment dans les anneacutees 1990 qursquoelle est apparue en tant que caracteacuteristique de la nou-velle eacuteconomie La meacutethodologie des indices de prix heacutedoniques a preacuteciseacutement eacuteteacutemise au point dans les anneacutees 1930 pour reacutepondre agrave ces modifications qualitativesdans lrsquoautomobile (Court 1939) Lrsquoeacutetude de Raff et Trajtenberg (1997) indique que letaux drsquoameacutelioration de la qualiteacute des voitures eacutetait plus important dans la premiegraveredeacutecennie du XXe siegravecle que dans la derniegravere Encore une fois lrsquoessentiel de ce qui a eacuteteacutedit sur la nouvelle eacuteconomie est vrai ce qui a manqueacute et manque encore crsquoest unereacuteelle appreacuteciation historique de lrsquoamplitude et de la signification des nouveaux pro-duits et des ameacuteliorations qualitatives intervenus dans le passeacute

Je pense que le nombre de nouveaux produits ou de laquo choses nouvelles raquo est plusgrand aujourdrsquohui qursquoil ne lrsquoeacutetait preacuteceacutedemment Mais lagrave nrsquoest pas le problegraveme car lavraie question est la suivante le taux drsquoameacutelioration et le taux drsquointroduction de nou-veaux produits ont-ils connu un preacuteceacutedent dans lrsquohistoire Je ne crois pas que nousconnaissions la reacuteponse agrave cette question Si le nombre de laquo choses nouvelles raquo repreacute-sente une mesure de lrsquoameacutelioration de la productiviteacute il faut qursquoil y ait aussi une aug-mentation du taux drsquointroduction de laquo choses nouvelles raquo et pas seulement uneaugmentation de leur nombre La plupart des anecdotes mentionneacutees dans le cadre dela laquo nouvelle eacuteconomie raquo montrent que les eacuteconomistes se sont trompeacutes de problegravemeen prenant en compte le nombre de choses nouvelles plutocirct que la variation du taux

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Par conseacutequent si le paradoxe a gagneacute en acceptabiliteacute crsquoest en partie parce que certainseacuteconomistes ont par erreur fait un compte des nouvelles innovations sur une eacutechellearithmeacutetique ils ont penseacute deacutetenir la preuve du paradoxe en deacutecomptant des innovationsde plus en plus nombreuses En reacutealiteacute ils auraient ducirc utiliser une eacutechelle logarithmiquepour tenir compte du fait qursquoil faut un nombre toujours plus grand de laquo choses nouvelles raquopour maintenir le taux de laquo choses nouvelles raquo au mecircme niveau qursquoautrefois

Quand on regarde les nouveaux produits et les nouvelles technologies de la fin duXXe siegravecle on est tout agrave fait impressionneacute et agrave juste titre Il est clair que ces nouveauxproduits ameacuteliorent le bien-ecirctre et que les innovations technologiques contribuent agraveleur production Mais augmentent-ils agrave un taux croissant le nombre de nouveaux pro-duits augmente-t-il plus rapidement sur une eacutechelle logarithmique Ce nrsquoest pasprouveacute car pour que les laquo choses nouvelles raquo ameacuteliorent la productiviteacute il fautqursquoelles augmentent agrave un rythme croissant Selon moi il reste agrave accomplir un travailempirique sur lrsquohistoire eacuteconomique pour confirmer cette hypothegravese drsquoun taux allanten augmentation

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Tableau 1 Contribution des ordinateurs des eacutequipements informatiques et des logiciels agrave la croissance eacuteconomique

Notes a) Oliner et Sichel (1994) Table 3 page 285 sauf indication contraireb) Oliner et Sichel (1994) Table 10 page 305c) Oliner et Sichel (1994) Table 9 page 303 Agrave noter la peacuteriode de reacutefeacuterence diffegravere de celle des autres lignes de la colonned) Jorgenson et Stiroh (1994) Valeurs mises agrave jour fournies par les auteurs

Tableau 2 Parts des ordinateurs eacutequipements informatiques et logiciels (Donneacutees de 1993)

Notes a) Oliner et Sichel (1994) Table 2 page 279 part des actifs totauxb) Oliner et Sichel (1994) Table 10 page 305c) Oliner et Sichel (1994) Table 10 page 305d) Oliner et Sichel (1994) page 297e) Tableaux mis agrave jour fournis par les auteurs part des actifs productifs y compris la terre et les biens durables

Oliner et Sichel (1994)a Jorgenson et Stiroh (1994)d

1970-79 1980-92 1979-85 1985-90 1990-96

Taux de croissance de la production

Taux annuel moyen

342 227 235 309 236

Contribution de lrsquoeacutequipement en mateacuteriel informatique

009 021 015 014 012

Eacutequipement informatique 025b 035b na na na

Mateacuteriels logiciels et travail associeacutes (1987-93)

na 040c na na na

Oliner et Sichel (1994) Jorgenson et Stiroh (1994)

Part des actifs Part du Revenu Part des actifs Part des emplois en capital

Eacutequipement en mateacuteriel informatique

20a 09b 05e 18e

Eacutequipements informatiques

117a 35c na na

Mateacuteriels logiciels et travail associeacutes

na 27d na na

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

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Tableau 3 Demande finale de services comme proportion des deacutepenses priveacutees hors logement (1996 en milliards)

Source Survey of Current Business december 1997 NIPA Tables 11 and 22

Tableau 4 Indices des prix des eacutequipements en mateacuteriel

1 Produit inteacuterieur brut (hors administrations et loge-ment)

54421 1000

2 Consommation finale de services (hors logement) 22512 414

3 Exportation nette de services 966 18

4 Demande finale de services (ligne 3 plus ligne 4) 23478 431

Mainframes PCs Eacutequipement informatique

1958 1427736

1972 37504

1982 825 5785 4049

1987 1449 2176 1704

1992 1000 1000 1000

1996 491 379 455

1997 421 252 346

Chapitre 3

Le paradoxe du NAIRU

111

La theacuteorie du NAIRU

Extrait de Robert Eisner Our NAIRU Limit The Governing Myth of Economic PolicyThe American Prospect Ndeg 21 Spring 1995

httpwwwprospectorgarchives2121eisnhtml

Le concept du NAIRU qui constitue un prolongement de la notion de laquo taux naturelde chocircmage raquo deacuteveloppeacutee par Milton Friedman rejette les relations de substitutionsupposeacutee entre le chocircmage et lrsquoinflation deacutecrites par la courbe de Phillips ainsi appeleacuteedu nom drsquoun eacuteconomiste Neacuteo-zeacutelandais original AW Phillips Cette courbe suggegravereque le maintien drsquoun taux de chocircmage peu eacuteleveacute provoque une augmentation delrsquoinflation mais qursquoagrave un taux de chocircmage donneacute lrsquoinflation est constante Du point devue du NAIRU la courbe de Phillips constitue seulement une relation agrave court terme Lestentatives de reacuteduire le nombre de chocircmeurs en augmentant les deacutepenses ou lademande globale peuvent srsquoaveacuterer efficaces pendant un temps mais une inflation plusforte annule les effets de ce stimulus Une augmentation de lrsquoinflation augmentera lesanticipations drsquoune inflation future seul le surplus drsquoinflation ce qui est encore au-dessus de ce qursquoattendent les travailleurs les employeurs les emprunteurs et les precirc-teurs stimulera lrsquoeacuteconomie Agrave chaque manche il faudra des deacutepenses plus importan-tes et une inflation plus forte pour maintenir la reacuteduction initiale du chocircmage

Selon la theacuteorie du NAIRU les politiques fiscales ou moneacutetaires destineacutees agrave reacuteduire le chocirc-mage auraient tout du chien qui court apregraves sa queue Si ces politiques avaient pourobjectif le maintien des deacutepenses globales agrave un niveau suffisamment haut pour mainte-nir le chocircmage au-dessous de son laquo taux naturel raquo lrsquoinflation augmenterait agrave un rythmede plus en plus rapide Et pour finir les deacutecideurs seraient obligeacutes de renoncer en raisonde prix qui augmenteraient agrave un rythme galopant Le chocircmage reviendrait alors agrave sonniveau naturel et lrsquoinflation cesserait son acceacuteleacuteration mais en restant agrave un niveau pluseacuteleveacute jusqursquoagrave ce que le chocircmage deacutepasse son taux naturel et que le processus srsquoinversece qui srsquoaccompagnerait drsquoun certain nombre de conseacutequences douloureuses

Dans cette logique le seul moyen de reacuteduire le chocircmage sauf peut-ecirctre agrave court termeconsiste agrave modifier les conditions affectant lrsquooffre de main-drsquoœuvre par exemple enbaissant le salaire minimum en reacuteduisant ou en eacuteliminant totalement les avantages lieacutesau chocircmage ou encore en ameacuteliorant les compeacutetences de la main-drsquoœuvre Si lrsquoonprend au seacuterieux la theacuteorie du NAIRU des mesures concernant lrsquooffre sont le seulmoyen de reacuteduire le chocircmage et de maintenir celui-ci agrave un niveau peu eacuteleveacute Et si letaux de chocircmage se situe au niveau du NAIRU ou en est proche les autoriteacutes moneacutetai-res doivent prendre sans tarder des mesures anti-inflationnistes pour eacuteviter une sur-chauffe de lrsquoeacuteconomie A deacutefaut non seulement lrsquoinflation sera plus forte mais desurcroicirct sera lanceacutee sur une acceacuteleacuteration dont on ne pourra la deacutetourner que par unseul remegravede celui drsquoun chocircmage excessif autrement dit un taux srsquoeacutetablissant au-des-sus de celui du NAIRU

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Tel est le point de vue qui sous-tend neacutecessairement la politique du Federal ReserveBoard inexplicable autrement La plupart de nos banquiers centraux croient que nousnous situons au niveau du taux naturel de chocircmage ou au-dessous de celui-ci et quenous devons parvenir agrave un chocircmage plus important avant qursquoil ne soit trop tard Laprincipale diffeacuterence observeacutee parmi les eacuteconomistes tient au fait que les conserva-teurs ont tendance agrave placer plus haut le NAIRU aux environs de 6 agrave 7 pour cent alorsque les libeacuteraux le placent agrave 6 ou mecircme autour de 5 et quelques fraction de pour centQuelques acircmes courageuses suggegraverent que les estimations du NAIRU manquant depreacutecision on devrait essayer de faire baisser le taux de chocircmage avec une tregraves grandeprudence jusqursquoagrave ce que lrsquoon note des signes drsquoinflation drsquoautres considegraverent qursquoilserait alors deacutejagrave trop tard

Les eacuteconomistes qui ont contesteacute le concept de base du NAIRU sont peu nombreux Ily a soixante ans Keynes observait que les eacuteconomistes pouvaient srsquoaccrocher avecentecirctement agrave leurs ideacutees mecircme quand la reacutealiteacute les deacutementait totalement crsquoest ainsipar exemple que au plus fort de la Grande Deacutepression certains eacuteconomistes soute-naient qursquoil ne pouvait pas y avoir de chocircmage involontaire Il est fort possible que lrsquoonassiste agrave des manifestations drsquoun aveuglement similaire Les grands patrons font eacutetatdrsquoun point qui est confirmeacute par les statistiques nationales malgreacute la baisse du taux dechocircmage au-dessous du NAIRU traditionnel on ne voit aucun signe drsquoacceacuteleacuteration delrsquoinflation pourtant nombreux sont les eacuteconomistes que lrsquoeacutevidence laisse froids

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La capitulation de la politique eacuteconomique

James K GALBRAITH1

Mars-Avril 1996

Il existe en matiegravere de politique eacuteconomique un point de vue commun qui recouvreagrave quelques diffeacuterences drsquointensiteacute pregraves un large eacuteventail allant de la droite radicale agraveBill Clinton Sur le fond tous srsquoaccordent agrave dire que lrsquoessentiel du travail du gouverne-ment consiste agrave contribuer au bon fonctionnement des marcheacutes En ce qui concernelrsquooffre le gouvernement peut aider jusqursquoagrave un certain point en prenant en chargelrsquoenseignement la formation lrsquoinfrastructure et la recherche scientifique autrementdit tous les biens de nature publique sous-valoriseacutes par les marcheacutes Mais quand il srsquoagitde politique macroeacuteconomique le gouvernement devrait srsquoabstenir drsquointervenir saufpour rechercher lrsquoeacutequilibre budgeacutetaire et laisser agir la Reacuteserve Feacutedeacuterale

Accepter lrsquoeacutequilibre budgeacutetaire et le jugement moneacutetaire incontesteacute de la ReacuteserveFeacutedeacuterale signifie par deacutefinition eacutevincer la macroeacuteconomie de la sphegravere politique Ainsiles diffeacuterences qui subsistent entre Clinton et le Congregraves portent sur des deacutetails doit-onviser lrsquoeacutequilibre budgeacutetaire en sept huit ou dix ans Faut-il supprimer (ou imposer) telleou telle mesure de protection de lrsquoenvironnement Les subventions pour le Head Startles Americorps et la technologie sont-elles justifieacutees hellip et ainsi de suite en une longuelitanie de questions dont personne ne pense qursquoelles transformeront la vie des Ameacuteri-cains Mecircme si des gains importants eacutetaient possibles par des investissements publics auniveau de lrsquooffre le consensus fiscal conservateur les exclurait en refusant les ressources

Deux preacutesidents deacutemocrates Carter et Clinton ont eacuteteacute seacutevegraverement attaqueacutes du faitqursquoils ne contestaient pas cette orthodoxie au bon moment Ils nrsquoont par conseacutequentpu controcircler les leviers de la politique macro Crsquoest la macroeacuteconomie et non la micro-eacuteconomie qui repreacutesente le centre actif du pouvoir Les conservateurs laquo pratiques raquolrsquoont bien compris Ce nrsquoest pas un hasard srsquoils cherchent toujours agrave occuper le terrainde la politique des taux drsquointeacuterecirct et du deacuteficit Et personne nrsquoest surpris non plus qursquoenfaisant cette concession les libeacuteraux se mettent eux-mecircmes drsquoentreacutee hors-jeu

1 JAMES K GALBRAITH est professeur deacuteconomie agrave la Lyndon B Johnson School of Public Affairs et auDepartment of Government de lUniversiteacute du Texas agrave Austin Cet article a eacuteteacute publieacute initialement enanglais dans The American Prospect Issue 25 March-April 1996 sous le titre laquoThe Surrender of EconomicPolicyraquo (httpwwwprospectorgarchives2525galbhtml) Traduit et reproduit avec lrsquoaimable autori-sation de lrsquoauteur Reprinted with permission from The American Prospect 25 March April 1996 Copyright1996 The American Prospect PO Box 772 Boston MA 02102-0772 All rights reserved

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Cependant lrsquoeacuteconomie qui srsquoabrite derriegravere ce consensus est agrave la fois reacuteactionnaireet profondeacutement invraisemblable Elle prend corps aux fins fonds drsquoune theacuteorie abs-traite concocteacutee pendant vingt-cinq ans par les disciples de Milton Friedman et diffu-seacutee par eux agrave toute la profession Les libeacuteraux et toute personne concerneacutee par laprospeacuteriteacute eacuteconomique devraient rejeter cette faccedilon de consideacuterer le monde

Le consensus de la droite sur lrsquoemploi et lrsquoinflation

Le dogme macroeacuteconomique conservateur repose sur trois eacuteleacutements essentiels Il ya tout drsquoabord le moneacutetarisme par sa politique moneacutetaire la Reacuteserve Feacutedeacuterale con-trocircle lrsquoinflation mais elle a peu drsquoinfluence sur la production et le marcheacute de lrsquoemploisauf peut-ecirctre agrave tregraves court terme Le deuxiegraveme fondement concerne les attentesrationnelles les agents eacuteconomiques individuels sont si habiles si bien informeacutes et sibien eacuteduqueacutes dans le domaine eacuteconomique qursquoils ne commettent aucune erreur systeacute-matique en matiegravere de deacutecisions eacuteconomiques notamment au niveau des choix essen-tiels de lrsquooffre de travail Crsquoest pour ce concept que Robert Lucas vient de recevoir lePrix Nobel Le troisiegraveme principe est celui de la compensation des marcheacutes toutes lestransactions y compris lrsquoembauche et le licenciement des salarieacutes se font agrave des prixauxquels srsquoeacutegalisent les forces eacuteleacutementaires de lrsquooffre et de la demande

Consideacutereacutees conjointement ces hypothegraveses font apparaicirctre un marcheacute du travailperformant qui conduit agrave des niveaux drsquoemplois et de salaires approprieacutes Le niveaudrsquoemploi geacuteneacutereacute par cette abstraction est le cœur du concept mecircme de la politiquemacroeacuteconomique courante connu comme laquo le taux naturel de chocircmage raquo Si le tauxde chocircmage est supeacuterieur au taux naturel la theacuteorie implique que les prix et les salairesvont chuter srsquoil est infeacuterieur agrave ce taux lrsquoinflation va augmenter Une croissance viablenon inflationniste se produit seulement au taux naturel1

Controverse

Extrait de Robert Eisner Our NAIRU Limit The Governing Myth of Economic PolicyThe American Prospect Ndeg 21 Spring 1995

httpwwwprospectorgarchives2121eisnhtml

Mieux vaut ne pas trop nous reacutejouir Trop de croissance trop peu de chocircmage toutcela nrsquoest pas bon De telles ideacutees nrsquoexpriment pas les penseacutees futiles des angoisseacutes delrsquoeacuteconomie non ce sont celles qui conduisent la politique eacuteconomique des Eacutetats-

1 Robert Eisner Our NAIRU Limit The Governing Myth of Economic Policy The American ProspectPrintemps 1995

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

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Unis Apregraves que la croissance reacuteelle du PIB a atteint 45 au dernier trimestre de 1994et que le taux de chocircmage a chuteacute agrave 54 en deacutecembre de la mecircme anneacutee le FederalReserve Board est intervenu le 1er feacutevrier 1995 en augmentant les taux drsquointeacuterecirct pourla septiegraveme fois en moins drsquoun an Pourquoi Pour ralentir notre taux de croissancetrop rapide et enrayer la baisse du taux de chocircmage ou en inverser la tendance Etpourquoi Pour lutter contre lrsquoinflation

Une telle mesure doit sans doute laisser perplexe le commun des mortels Lrsquoinflationglobale telle que lrsquoavait mesureacutee le deacuteflateur de prix implicite du PIB eacutetait descendueagrave un taux de 21 le plus bas que lrsquoon ait observeacute sur une peacuteriode de trente ansLrsquoindice des prix agrave la consommation nrsquoa augmenteacute que de 27 en 1994 et un certainnombre drsquoanalystes compeacutetents parmi lesquels Alan Greenspan preacutesident du FederalReserve Board reconnaissent que cette mesure exagegravere lrsquoaugmentation des prix agrave laconsommation drsquoun diffeacuterentiel repreacutesentant jusqursquoagrave deux points

Les analystes eacuteconomiques et les grands patrons qui ne font pas de sentiment seposent eux aussi des questions Ils mettent en avant les avanceacutees technologiques et lesreacuteductions drsquoeffectifs dans lrsquoindustrie ameacutericaine et considegraverent que la productiviteacute etle potentiel de production pourraient bien croicirctre agrave un rythme plus soutenu queles 25 de taux de croissance agrave long terme consideacutereacutes par Greenspan et drsquoautrescomme marquant la limite extrecircme de ce que lrsquoeacuteconomie peut supporter De pluscomme les gens perdent des postes agrave fort revenus dans des entreprises ougrave ils avaientune forte ancienneteacute pour rechercher deacutesespeacutereacutement un autre emploi fucirct-il moinsbien payeacute il y a du jeu dans la main-drsquoœuvre Par ailleurs et crsquoest peut-ecirctre plus impor-tant encore le renforcement de la mondialisation et de la concurrence entre payslimite la capaciteacute des entreprises ameacutericaines agrave augmenter leurs prix et celle des tra-vailleurs agrave faire pression pour obtenir de meilleurs salaires

Pour lrsquoinstant ces prises de position heacutereacutetiques nrsquoont pas entameacute le dogme dominantqui hante la politique eacuteconomique Le fondement de ce dogme est un concept fami-liegraverement connu parmi les eacuteconomistes sous le nom de NAIRU (Non-Accelerating Infla-tion Rate of Unemployment) le taux de chocircmage qui nrsquoacceacutelegravere pas lrsquoinflation Bienqursquoinconnu du grand public ce concept est devenu lrsquoun des concepts les plus influentde la politique eacuteconomique de ce siegravecle Toutefois mes reacutecents travaux montrent quemecircme sur la base drsquoun modegravele conventionnel utiliseacute pour estimer le NAIRU il nrsquoexistepas de fondement permettant de conclure qursquoun taux de chocircmage peu eacuteleveacute consti-tue une menace permanente drsquoacceacuteleacuteration de lrsquoinflation Et selon un autre modegraveleplus en accord avec les donneacutees lrsquoinflation pourrait ecirctre plus basse avec un taux dechocircmage plus bas que celui que nous connaissons aujourdrsquohui

De faccedilon eacutetonnante pour la plupart des eacuteconomistes ces ideacutees ne font pas lrsquoobjet decontroverse Le seul litige existant entre eux concerne un petit point de politiqueeacuteconomique y a-t-il une quelconque valeur agrave chercher agrave tirer lrsquoeacuteconomie vers le tauxnaturel srsquoil advient que le taux pendant une dureacutee limiteacutee passe au-dessus ou en-dessous Pour les deacutefenseurs des taux naturels ne rien faire est toujours et partout la

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bonne solution parce que lrsquoeacuteconomie reviendra automatiquement agrave son taux naturelLa politique ne peut ecirctre drsquoaucune aide et les instruments speacutecifiques de la politiquemacroeacuteconomique devront ecirctre abandonneacutes

Une espegravece que lrsquoon a pu observer dans lrsquoadministration Clinton des laquo neacuteo-keyneacutesiens raquo autoproclameacutes pense qursquoun rocircle reacutesiduel peut ecirctre preacuteserveacute pour la politi-que macroeacuteconomique Le chocircmage peut persister au-delagrave du taux naturel parce que lessalaires mettent plus de temps que les autres prix agrave srsquoajuster aux fluctuations de lrsquooffre etde la demande ce qui induit lrsquoincapaciteacute du marcheacute du travail agrave srsquoautoreacuteguler Cela eacutetantil nrsquoy a pas ou peu de mal agrave intervenir par des mesures politiques (une petite incitationde temps agrave autre quand il y a une seacutevegravere reacutecession) pour acceacuteleacuterer le retour au taux natu-rel pour autant qursquoun laquo atterrissage en douceur raquo ait eacuteteacute soigneusement preacutepareacute

Heacutelas dans la reacutealiteacute le taux naturel de chocircmage nrsquoest pas perceptible Pire ce sataneacutemachin eacutevolue sans cesse non seulement il est invisible mais en plus il se deacuteplace Cela nrsquoest pas un problegraveme pour les partisans du laisser-faire En revanche cela creacutee dedouloureuses difficulteacutes pour les preacutetendus interventionnistes ces quelques voix danslrsquoadministration qui reacuteclament de temps en temps des emplois drsquoeacuteteacute une politiquedes grands travaux et des taux drsquointeacuterecirct plus bas Comment peut-on justifier que lrsquoonse rue sur un but quand on ignore ougrave il se trouve Les neacuteo-keyneacutesiens estiment et reacutees-timent la position du taux naturel dans le but de guider leurs choix de politique Mal-heureusement ils nrsquoont jamais pu le localiser cela pourrait peut-ecirctre expliquer qursquoilnrsquoy ait jamais eu laquo drsquoatterrissage en douceur raquo reacuteussi

Ougrave se trouve le taux naturel de chocircmage

Dans la mesure (tout agrave fait contestable) ougrave la Reacuteserve Feacutedeacuterale a une theacuteorie macroeacuteco-nomique coheacuterente elle a tendance agrave ecirctre implicitement keyneacutesienne sur ce problegravemeEn fait le Comiteacute des Gouverneurs de la Reacuteserve Feacutedeacuterale est un interventionniste inveacute-teacutereacute qui relegraveve les taux drsquointeacuterecirct quand le chocircmage est trop bas et les baisse agrave contrecœurpour eacuteviter les peacuteriodes de reacutecessions etou parfois y mettre fin Et donc la Reacuteserve Feacutedeacute-rale passe aussi beaucoup de temps et deacuteploie beaucoup drsquoefforts agrave essayer de deacutefinir preacute-ciseacutement ce fantomatique et insaisissable taux naturel de chocircmage

En 1994 avec un taux naturel de chocircmage estimeacute agrave environ 6 par de nombreuxastrologues les artisans de la politique moneacutetaire se sont trouveacutes face agrave un problegravemeinteacuteressant Le chocircmage effectif agrave 58 eacutetait tombeacute agrave un niveau infeacuterieur agrave lrsquoestima-tion du taux naturel de chocircmage Comment doit-on alors interpreacuteter le reste des don-neacutees qui contrairement agrave la theacuteorie nrsquoont aucunement mis en eacutevidence uneacceacuteleacuteration de lrsquoinflation Le manque apparent drsquoacceacuteleacuteration inflationniste signifie-

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

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t-il que le taux naturel de chocircmage avait eacuteventuellement chuteacute et si oui de quellevaleur Ou bien le seuil avait-t-il eacuteteacute franchi et selon les propos de Robert Solowlrsquoacceacuteleacuteration de lrsquoinflation eacutetait-elle ineacuteluctable comme il le suggeacuterait en eacutecrivantqursquoelle eacutetait laquo juste au coin de la rue raquo Ou encore toute la theacuteorie eacutetait-elle complegrave-tement vaseuse et bonne agrave jeter agrave la poubelle

La Reacuteserve Feacutedeacuterale a deacutemontreacute son hostiliteacute agrave modifier ses estimations du taux natu-rel de chocircmage Ainsi elle a renforceacute sa politique moneacutetaire de feacutevrier 1994 jusqursquoaudeacutebut de feacutevrier 1995 alors que lrsquoeacuteconomie atteignait la limite des 6 de chocircmageMais ensuite elle a modifieacute ses directives et commenceacute agrave baisser les taux drsquointeacuterecirct enjuillet 1995 mecircme si le chocircmage restait en deccedilagrave de 6 Pourquoi Il sera inteacuteressantde savoir quand on en connaicirctra tous les deacutetails si la Reacuteserve Feacutedeacuterale a officiellementchangeacute son estimation du taux naturel de chocircmage pour juillet 1995 et dans lrsquoaffir-mative selon quels critegraveres et pour quelle valeur Nous pourrions peut-ecirctre aussiapprendre que la Reacuteserve Feacutedeacuterale nrsquoa plus reacuteellement de theacuteorie sur le taux naturel dechocircmage mais se raccroche simplement agrave la rheacutetorique de ces ideacutees dans lrsquoattentedrsquoune quelconque alternative qui soit acceptable par les ideacuteologues conservateurs

Les composantes du faible taux drsquoinflation actuel ne sont absolument pas coheacuteren-tes avec la theacuteorie du taux naturel de chocircmage La pression inflationniste actuelle ouplus exactement ce qursquoil en reste nrsquoa aucun rapport avec les salaires la masse salarialequi repreacutesente les 23 des coucircts est constante Lrsquoinflation actuelle modeacutereacutee tient agrave lamonteacutee en flegraveche des profits et des retours sur investissement ainsi qursquoaux effets decette envoleacutee sur les prix des matiegraveres premiegraveres et autres composantes secondaires duprocessus inflationniste La hausse des taux drsquointeacuterecirct imposeacutee par la politique de laReacuteserve Feacutedeacuterale elle-mecircme depuis feacutevrier 1994 y a eacutegalement contribueacute

Le rapport traditionnel entre lrsquoinflation et le coucirct du travail a eacuteteacute briseacute depuis queReagan a licencieacute les controcircleurs du trafic aeacuterien et que Volcker et lui ont sureacutevalueacute ledollar En deacutepit drsquoune augmentation annuelle des prix de 27 les salaires bougent agravepeine Agrave vrai dire on voit que toutes les peacuteriodes drsquoacceacuteleacuteration de lrsquoinflationapregraves 1960 ont eacuteteacute causeacutees par les prix et non par les salaires agrave la seule exception decelle qui a fait suite agrave la campagne pour lrsquoeacutelection de Nixon en 1972 pendant laquellele controcircle des prix eacutetait tregraves important

NAIRU avec un N comme Nomade

Comment doit-on reacuteconcilier tout cela avec la theacuteorie de lrsquoacceacuteleacuteration de lrsquoinflationfondeacutee uniquement sur le taux naturel de chocircmage dans le marcheacute global du travail Ce nrsquoest pas possible Sil y a une demande trop importante en main-drsquoœuvre il est cer-

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tain qursquoun bon eacuteconomiste classique (un nouvel eacuteconomiste classique) insistera sur lefait que les salaires reacuteels augmentent Or ce nrsquoest pas le cas et cela ne lrsquoa pas eacuteteacute en20 ans Quelque chose est probablement erroneacute dans la modeacutelisation du taux naturelde chocircmage les bons eacuteconomistes de la Reacuteserve Feacutedeacuterale le savent et cela les perturbecomme il se doit En fait il y a quelque chose qui est plus que faux dans ce modegravele quinrsquoest qursquoagrave mettre au rancart on aurait ducirc le savoir depuis bien longtemps

Quand on considegravere lrsquoeacutevolution du taux de chocircmage sur les quarante derniegraveresanneacutees on constate qursquoil eacutetait bas dans les anneacutees 1950 assez eacuteleveacute dans lesanneacutees 1970 Les donneacutees reacutecentes sont comparables agrave celles des anneacutees 50 ce quiindiquerait une baisse possible du chocircmage sans pour autant que lrsquoinflation dispa-raisse En fonction de la faccedilon dont on integravegre le taux drsquoinflation eacuteleveacute desanneacutees 1970 une estimation honnecircte du taux naturel de chocircmage mecircme si on croitagrave cette notion ne serait que de 6 voire nettement moins

On peut montrer combien est vaine la recherche du taux naturel de chocircmage Enutilisant les moyennes mobiles des donneacutees mensuelles de lrsquoinflation et du chocircmagecentreacutees sur 12 mois on peut voir que la croissance de lrsquoinflation est par essenceimpreacutevisible les chocs qui la provoquent se produisent tantocirct quand le chocircmage estimportant tantocirct pas avant qursquoil ne soit tregraves bas Dans les donneacutees reacutecentes il nrsquoexisteaucun signe que lrsquoinflation augmente agrave mesure que le chocircmage diminue

En fait le modegravele des spirales en expansion srsquoest inverseacute apregraves la grande reacutecessionde 1982 Durant le reste des anneacutees 1980 le chocircmage a baisseacute sans qursquoil y ait de retom-beacutees sur les salaires et sans augmentation importante de lrsquoinflation La reacutecessionde 1989 srsquoest produite alors que lrsquoinflation eacutetait basse par rapport aux critegraveres histori-ques Et pendant ces quatre derniegraveres anneacutees de 1992 agrave 1995 il y a eu une chute duchocircmage accompagneacutee drsquoune diminution des coucircts et ceci sans la moindre augmen-tation de lrsquoinflation Aujourdrsquohui nous ne savons pas ougrave se trouve ce taux de chocircmagenomade qui acceacutelegravere lrsquoinflation parce que nous ne savons pas quand aura lieu le pro-chain choc Alors pourquoi ne pas chercher le plein emploi

Les libeacuteraux ont perdu sur le front de lrsquooffre

Agrave tout le moins lrsquoacceptation neacuteo-keyneacutesienne de la structure theacuteorique neacuteoclassi-que reacuteduit la politique macroeacuteconomique agrave un rocircle marginal celui drsquointervenant agravegrande eacutechelle seulement pendant les peacuteriodes de reacutecessions longues et profondesDans toutes les autres circonstances les maicirctres en macroeacuteconomie sont deacutesavoueacutestout comme lrsquoa eacuteteacute Clinton lui-mecircme pendant sa courte peacuteriode keyneacutesienne audeacutebut de 1993

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Que peuvent donc faire les libeacuteraux Lrsquoapproche actuelle de lrsquoadministration Clin-ton le deacutemontre ils peuvent favoriser lrsquoeacuteducation la formation et lrsquoaide agrave lrsquoadapta-tion ainsi que drsquoautres programmes de remise agrave niveau permettant de passer drsquounemploi agrave un autre Ils peuvent soutenir les investissements publics en infrastructuressous reacuteserve que ces derniegraveres viennent renforcer la compeacutetitiviteacute internationale delrsquoeacuteconomie Ils peuvent soutenir un systegraveme drsquoaide agrave la recherche et au deacuteveloppementdes entreprises des secteurs de pointe tout en travaillant agrave ouvrir les marcheacutes eacutetrangersaux produits ameacutericains ce qui aiderait les entreprises ameacutericaines agrave consolider leurspositions dans le monde Srsquoils se sentent courageux ils peuvent aussi encourager agravelrsquoaugmentation des salaires minimums

Toutes ces mesures obeacuteissent agrave la theacuteorie de lrsquooffre excepteacutee la derniegravere qui est uneintervention directe sur le marcheacute du travail Elles ont pour objectif drsquoameacuteliorer sur lelong terme la compeacutetitiviteacute de lrsquoeacuteconomie ameacutericaine en se basant sur lrsquoideacutee qursquouneeacuteconomie plus productive geacuteneacuterera une progression du niveau de vie Lrsquoideacutee plus pous-seacutee selon laquelle ces moyens plus importants auront des retombeacutees vers les salairesles plus bas est laisseacutee de cocircteacute on se contente de le supposer

Nous pouvons tous ecirctre drsquoaccord sur les bienfaits qursquoapportent les deacutepenses dans ledomaine de lrsquoeacuteducation de la formation de la recherche et du deacuteveloppement et delrsquoinfrastructure Mais un engagement macroeacuteconomique en faveur du plein emploi estdeacuteterminant pour transformer ces investissements en croissance et en ameacutelioration duniveau de vie

Eacuteducation et Formation Comme lrsquoont deacutemontreacute les travaux de Richard Rothsteindans cette revue1 et ailleurs le systegraveme drsquoeacuteducation publique ameacutericain est bienmeilleur que les critiques le preacutetendent Certes il y a des Ameacutericains qui ne peuventpreacutetendre agrave des salaires eacuteleveacutes en raison drsquoune instruction insuffisante Cependantcomme lrsquoont montreacute Katherine Newman et Chauncy Lennon2 il y a dans le centre deHarlem beaucoup plus de candidats qualifieacutes que drsquoemplois reacutemuneacutereacutes au salaire mini-mum Dans ce climat macroeacuteconomique baseacute sur la theacuteorie erroneacutee du NAIRU lrsquoeacuteleacuteva-tion des standards drsquoeacuteducation ne geacuteneacuterera pas de meilleurs emplois Ceci demeure unproblegraveme de la theacuteorie de la demande Pour autant il ne srsquoagit pas drsquoabandonner lrsquoameacute-lioration de lrsquoenseignement en ville Cela signifie seulement qursquoagrave moins que nousnrsquoeacutelevions en mecircme temps le taux de croissance mecircme si on donnait agrave tout le mondedes doctorats tant que la Reacuteserve Feacutedeacuterale maintient son taux de croissance agrave 25 cela ne changera pas la courbe actuelle du niveau de vie Comme mrsquoa dit un de meseacutetudiants de Buenos-Aires si lrsquoeacuteducation elle-mecircme eacutetait si puissante lrsquoArgentineserait bien plus riche qursquoelle ne lrsquoest

1 The American Prospect2 Katherine Newman et Chauncy Lennon The Job Ghetto The American Prospect Eacuteteacute 1995

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Recherche et Deacuteveloppement On peut faire plus de cas de lrsquoideacutee que les programmesgouvernementaux de recherche et deacuteveloppement aident les entreprises ameacutericainesagrave devenir techniquement plus avanceacutees et plus compeacutetitives sur les marcheacutes globauxPendant quatre deacutecennies notre politique interventionniste dans la haute technolo-gie eacutetait un sous-produit de la guerre froide Maintenant une politique technologiquecivile plus explicite est neacutecessaire pour compenser la RampD du Pentagone qui a eacuteteacutereacuteduite La politique technologique et scientifique a certainement un rocircle geacuteneacuteral agravejouer car au bout du compte les technologies ameacuteliorent les conditions de vie Maiselles nrsquoapportent pas et ne peuvent pas apporter le plein emploi pas plus qursquoellesnrsquoapportent un ordre social plus juste et plus eacutequitable Faire de la politique scientifi-que et technologique la piegravece maicirctresse drsquoun programme progressif tout en abandon-nant la macroeacuteconomie est absurde

Infrastructure Les deacutepenses en matiegravere de travaux publics sont la pierre angulairehistorique de lrsquointerventionnisme libeacuteral Les travaux publics sont le moyen le plusrapide le plus direct de remettre les chocircmeurs au travail Ils ont des effets directs etmultiplicateurs sur lrsquoemploi en geacuteneacuteral Ils preacutesentent lrsquoavantage suppleacutementaire defaire reacutealiser des travaux qui restent eux-mecircmes utiles pendant plusieurs deacutecenniesapregraves leur achegravevement Ils repreacutesentent eacutegalement dans la meacutemoire politique le triom-phe du libeacuteralisme durant le premier New Deal

Mais les libeacuteraux partisans de lrsquooffre revendiquent quelque chose de complegravetement dif-feacuterent en matiegravere de deacutepenses de travaux publics Ils les rebaptisent laquo infrastructures raquocomme je lrsquoai moi-mecircme fait maintes fois et avancent que les deacutepenses drsquoinfrastructurescontribuent de faccedilon notable agrave la productiviteacute du secteur priveacute Les emplois creacuteeacutes directe-ment pour la reacutealisation des travaux sont sans importance dans ce deacutebat Ce qui importecrsquoest dans quelle mesure le travail une fois acheveacute contribue indirectement agrave la reacuteductiondes coucircts et agrave une augmentation de la production dans le secteur priveacute

La preuve que de tels effets existent est heacutelas fort simple La quasi-totaliteacute srsquoappuiesur des rapports statistiques agreacutegeacutes et essentiellement sur le simple fait que la crois-sance de la productiviteacute moyenne a deacuteclineacute pendant les anneacutees qui ont vu la diminu-tion des investissements publics Pratiquement rien ne repose sur lrsquoanalyse deacutetailleacutee dela contribution de projets particuliers agrave lrsquoefficaciteacute des entreprises

Et ceci nrsquoest pas surprenant Alors que lrsquoAmeacuterique pourrait beacuteneacuteficier de nettementplus drsquoinvestissements publics en matiegravere drsquoeacutequipements collectifs lrsquoentreprise indus-trielle ameacutericaine tourneacutee vers lrsquoexport nrsquoest absolument pas paralyseacutee par les problegravemesdrsquoinfrastructures Les routes chemins de fer eacutelectriciteacute et voies fluviales conviennent agraveleurs besoins Boeing ne manque pas de pistes pour faire partir ses avions et la Silicon Val-ley ne souffre pas de pannes drsquoeacutelectriciteacute partielles Les teacuteleacutephones marchent parfaite-ment dans ce pays et on a mecircme lrsquoInternet Quant aux coucircts de la pollution ils neretombent pas sur les producteurs de nuisances eux-mecircmes mais sur leurs voisins

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Les deacutepenses en matiegravere drsquoinfrastructures et drsquoenvironnement sont indubitable-ment neacutecessaires et coucircteuses Mais pour qui Pour le citoyen Ameacutericain car ellesconstituent des eacuteleacutements de son niveau de vie Les routes lrsquoeau les eacutegouts lrsquoeacutelectriciteacuteet les systegravemes de communication sont tous des biens de consommation publique Cesont les consommateurs et les travailleurs et non les principaux affreacuteteurs profession-nels qui heurtent les nids-de-poule sur la route Ce sont les gens qui respirent lrsquoair boi-vent lrsquoeau et font du bateau sur les riviegraveres et les lacs Tout cela a tregraves peu de rapport avecla compeacutetitiviteacute internationale crsquoest peut-ecirctre triste mais crsquoest vrai Ceci expliquepourquoi les inteacuterecircts commerciaux ne neacutecessitent pas de deacutepenses en infrastructuresplus importantes et pourquoi eacutegalement ces questions ont eacuteteacute les premiegraveres agrave eacutechouerface agrave lrsquoopposition reacutepublicaine du Congregraves

Nous voilagrave donc devant la conclusion deacuteplaisante que le courant libeacuteral est tombeacutedans le piegravege de se leurrer lui-mecircme La droite a pris le commandement de la politiquefiscale et moneacutetaire laissant aux libeacuteraux des montants symboliques agrave deacutepenser dansdes interventions en faveur de lrsquooffre Lrsquoeacuteducation la formation et les infrastructuressont tregraves importantes mais pas pour les raisons habituellement invoqueacutees Le mondedes affaires ne souffrira pas de les financer aux niveaux souhaiteacutes par les libeacuteraux etcrsquoest se faire des illusions que de penser qursquoil le devrait Nous devons trouver plutocirctun langage pour deacutefendre ces deacutepenses au nom des gens eux-mecircmes et faire en sorteque lrsquoon se feacutedegravere autour drsquoeux en raison des beacuteneacutefices qursquoils apportent (comme parexemple les mouvements de deacutefense de lrsquoenvironnement de protection du consom-mateur de la santeacute ou de la seacutecuriteacute le font traditionnellement) Autrement ils conti-nueront agrave perdre les batailles budgeacutetaires

Et si nous voulons le plein emploi nous avons besoin de quelque chose drsquoautre unepolitique macroeacuteconomique visant au plein emploi

La macroeacuteconomie dans un monde structuraliste

Les conservateurs recourent au mythe du marcheacute pour opposer les solutions politi-ques aux problegravemes de la redistribution Mais laisser les choses au marcheacute nrsquoest pasmoins un choix politique qursquoun autre

Supposons que le concept drsquoun marcheacute global du travail et la meacutetaphore associeacuteedrsquoun taux naturel de chocircmage puissent ecirctre eacutelimineacutes drsquoun seul coup de la consciencedes professionnels (ce qui au demeurant serait meacuteriteacute) La notion politique selonlaquelle le controcircle de la reacuteduction du chocircmage est la principale faccedilon de combattrelrsquoinflation perdrait son pouvoir Il deviendrait alors intellectuellement possible de

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raviver lrsquoideacutee de donner un emploi agrave quiconque le souhaiterait Le problegraveme nrsquoest pluslaquo Combien drsquoemplois raquo mais laquo Qui employer et selon quelles conditions raquo

Investissement et consommation Creacuteer des emplois crsquoest trouver des choses agrave faire faireaux gens Des investissements de toute espegravece creacuteent des emplois et la stabilisation de lademande drsquoinvestissement priveacute est le problegraveme macroeacuteconomique traditionnel Destaux drsquointeacuterecirct faibles et stables sont ici essentiels jrsquoy reviendrai Lrsquoinvestissement publicpeut aller lagrave ougrave lrsquoinvestissement priveacute ne peut le faire et devrait ecirctre conccedilu et poursuivipour ses beacuteneacutefices directs et non pour ses beacuteneacutefices imaginaires et indirects Mais la con-sommation est aussi un important objectif politique souvent deacutecrieacute Les meacutenagesdevraient avoir les revenus dont ils ont besoin pour ecirctre bien nourris logeacutes et vecirctus et aussipour jouir de la vie Les services publics peuvent apporter leur aide les garderies lrsquoeacuteduca-tion la santeacute publique la culture et lrsquoart neacutecessitent tous davantage de soutien financier

Technologie Le renouveau technologique devrait ecirctre compris comme faisant partiedrsquoune strateacutegie de maintien de la demande drsquoinvestissement Il devient progressive-ment senseacute drsquoen finir avec la preacutepondeacuterance accordeacutee au marcheacute boursier pour des rai-sons de deacutefense de lrsquoenvironnement de seacutecuriteacute drsquoefficaciteacute et de compeacutetitiviteacute Unereacuteglementation correctement conccedilue peut aider et cela ouvrira sur des opportuniteacutesdrsquoinvestissement pour de nouvelles technologies En mecircme temps une structure plusuniforme des salaires et un laquo filet de seacutecuriteacute raquo plus conseacutequent incluant la formationcontinue mais aussi des retraites anticipeacutees plus geacuteneacutereuses pour les travailleurs tropacircgeacutes pour ecirctre requalifieacutes reacuteduirait le coucirct des pertes drsquoemploi et la reacutesistance des tra-vailleurs concerneacutes par les changements Encore une fois il srsquoagit drsquoun compleacutement agraveune politique macroeacuteconomique de croissance eacuteleveacutee non drsquoun substitut

Inflation Lrsquoinflation ne serait pas eacutelimineacutee Mais la poursuite drsquoune relative stabiliteacuteplutocirct que drsquoecirctre le reacutesultat drsquoune croissance lente et sans beaucoup drsquoargent pourraitsrsquoattacher agrave la gestion drsquoeacuteleacutements particuliers de coucirct agrave mesure que lrsquoeacuteconomie se rap-procherait du plein emploi Ceci a inclu des pressions sur les salaires mais aussi sur lesprix des mateacuteriaux des loyers et sur les inteacuterecircts Lrsquoorganisation de la demande globale- qui repreacutesente une force indeacuteniable sur les prix non salariaux pourrait fonctionnergracircce agrave des moyens ayant moins drsquoeffets sur lrsquoemploi une taxe variable sur les beacuteneacutefi-ces suppleacutementaires par exemple Eacutetant donneacute que les salaires sont un eacuteleacutement majeurdes coucircts la politique de lutte contre lrsquoinflation serait concerneacutee par les meacutecanismesinstitutionnels de neacutegociation des salaires

Redistribution Cet exercice nous ramegravene agrave des questions bien reacuteelles ineacutevitablementpolitiques obscurcies par le laquo charabia raquo technique sur le taux naturel du chocircmage notrestructure geacuteneacuterale de revenus et drsquoavantages Comment devraient ecirctre reacutepartis les revenus Dans quelle fourchette entre le haut et le bas Entre le capital et le travail Entre les quali-fieacutes et les non qualifieacutes Et selon moi la tendance actuelle agrave une ineacutegaliteacute croissante doitecirctre inverseacutee et les libeacuteraux devraient franchement soutenir les mesures politiques neacuteces-

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saires agrave cet objectif Les syndicats devraient ecirctre renforceacutes et les nouvelles campagnes agres-sives de lrsquoAFL-CIO soutenues sans reacuteserve Les salaires minimums devraient ecirctre releveacutes Etles libeacuteraux devraient deacutefendre eacutenergiquement lrsquoimpocirct progressif et apporter leur soutien agraveun impocirct sur la richesse comme lrsquoa proposeacute Edward Wolf dans cette revue1

Crsquoest seulement quand la reacutepartition eacuteleacutementaire des revenus aura eacuteteacute correctementreacutealiseacutee que des gains suppleacutementaires sur les salaires reacuteels pourront se produire enmoyenne au taux de croissance de la productiviteacute Mais pour empecirccher la redistribu-tion drsquoempirer agrave nouveau ces gains devraient ecirctre distribueacutes de faccedilon substantielledans le domaine social et seulement leacutegegraverement dans le domaine industriel ou indivi-duel En drsquoautres termes il nous faut revenir au principe de la solidariteacute il faut quetoute la socieacuteteacute avance en mecircme temps

Des salaires minimums plus eacuteleveacutes sont particuliegraverement importants pour atteindrecet objectif Dans leur dernier ouvrage Myth and Measurement David Card et AlanKrueger avancent que lrsquoaugmentation du salaire minimum dans une mesure raison-nable ne condamnerait pas drsquoemplois En fait des salaires minimums plus eacuteleveacutes peu-vent augmenter lemploi en reacuteduisant le taux de rotation des emplois Crsquoest un travaildoublement important drsquoabord pour sa pertinence en matiegravere de politique directeensuite parce que cela contredit cateacutegoriquement et affaiblit consideacuterablement lesmodegraveles standards du marcheacute global du travail

Taux drsquointeacuterecirct En la matiegravere deux maicirctres mots bas et stable Les taux drsquointeacuterecirctdevraient perdre leur fonction macroeacuteconomique qui a eacuteteacute de garantir la stagnationIls devraient plutocirct servir agrave arbitrer la redistribution du revenu entre deacutebiteurs et creacute-diteurs capital financier et initiative En premiegravere approximation les taux reacuteels de ren-dement de lrsquoargent agrave court terme devraient ecirctre de 0 Et il nrsquoy a pas de raison que lestaux drsquointeacuterecirct agrave long terme excegravedent le taux de croissance reacuteel agrave long terme de lrsquoeacutecono-mie Ils devraient en effet se situer au-dessous de cette valeur et agir dans le sens drsquouneredistribution progressive de la richesse des creacutediteurs vers les deacutebiteurs et drsquoune sta-bilisation agrave long terme des bilans des meacutenages et des entreprises La speacuteculation sur lesmarcheacutes financiers devrait ecirctre lourdement taxeacutee

Deacuteficits Lrsquoironie veut que le deacuteficit du budget apparaisse agrave peine dans cette discus-sion Pendant lrsquoessor spectaculaire de lrsquoapregraves-guerre nous avions une socieacuteteacute agrave fort tauxdrsquoemploi agrave taux drsquoinflation et drsquointeacuterecirct bas avec une fiscaliteacute progressive Ce type desocieacuteteacute nrsquoa pas de problegravemes de deacuteficit structurel Un budget militaire de temps de paixaiderait eacutegalement beaucoup En tout eacutetat de cause lrsquoobsession preacutesente visant agrave eacutequi-librer le budget est une heacutereacutesie comme devraient le deacutenoncer agrave haute voix tous les eacuteco-nomistes seacuterieux

1 Edward Wolf How the Pie Is Sliced Americarsquos Growing Concentration of Wealth The American Pros-pect Eacuteteacute 1995

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Ce qui vient drsquoecirctre exposeacute pris dans son ensemble serait une politique macroeacuteco-nomique qui vaut qursquoon se batte pour elle Les libeacuteraux partisans de lrsquooffre en microeacute-conomie peuvent faire des choses utiles mdash du moins le pensent-ils mdash en attribuantquelques subventions agrave lrsquoeacuteducation agrave la formation et aux infrastructures Mais il srsquoagitdrsquoaugmenter le niveau de vie drsquoaccroicirctre la seacutecuriteacute les loisirs et de pourvoir desemplois qui en vaillent la peine Cela neacutecessite de notre part la reacutehabilitation de lamacroeacuteconomie en tant qursquooutil essentiel de politique

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Agrave quelle vitesse lrsquoeacuteconomie ameacutericaine peut-elle croicirctre

Paul KRUGMAN1

Juillet-Aoucirct 1997

La plupart des eacuteconomistes croient que lrsquoeacuteconomie des Eacutetats-Unis est aujourdrsquohuitregraves proche voire mecircme au-dessus du niveau maximum toleacuterable drsquoemploi et drsquoutili-sation de la capaciteacute de production Srsquoils ont raison la croissance agrave venir proviendrasoit drsquoune augmentation de la productiviteacute (crsquoest-agrave-dire du volume de la productionpar travailleur) soit drsquoune augmentation de la quantiteacute de la main-drsquoœuvre poten-tielle Les statistiques officielles montrent que la productiviteacute et la capaciteacute de travailprogressent mollement donc selon lrsquoanalyse eacuteconomique classique nous ne devonspas nous attendre agrave une progression de plus de 2 dans les prochaines anneacutees Et sinous ou plus preacuteciseacutement la Reacuteserve Feacutedeacuterale essayions drsquoacceacuteleacuterer cette croissance enmaintenant bas les taux drsquointeacuterecirct le reacutesultat le plus important serait purement et sim-plement un retour aux mauvais jours de sinistre meacutemoire drsquoune forte inflation

Neacuteanmoins de nombreuses personnes drsquoinfluence mdash des hommes drsquoaffaires desjournalistes et mecircme quelques eacuteconomistes reacuteputeacutes mdash nrsquoacceptent pas une perspectiveaussi terne Ils croient que les anciennes limitations agrave la croissance sont abrogeacutees voireque lrsquoideacutee mecircme de limitation est devenue obsolegravete La base conceptuelle de leur opti-misme se rattache parfois agrave la perspective drsquoune laquo nouvelle eacuteconomie raquo pompeuse-ment appeleacutee aussi laquo nouveau paradigme raquo Quelle que soit son appellation cettenouvelle vision de lrsquoeacuteconomie srsquoest reacutepandue avec une veacutelociteacute rare dans les annales dela penseacutee eacuteconomique Il nous faut revenir agrave la monteacutee de la theacuteorie de lrsquooffre desanneacutees 1970 pour trouver un cas de theacuteorie tregraves novatrice en matiegravere drsquoeacuteconomie quiait eacuteteacute si rapidement admise par un nombre important de leaders drsquoopinion

La base fondamentale de ce nouveau paradigme est que les changements que tout lemonde peut voir dans notre eacuteconomie (lrsquoessor de la technologie numeacuterique le volumecroissant des investissements et du commerce international) ont qualitativementalteacutereacute les regravegles du jeu Lrsquoeacuteconomie peut croicirctre plus rapidement que par le passeacute en rai-son de lrsquoeacutevolution rapide des technologies ce qui constitue le fondement du nouveauparadigme du fait de la concurrence mondiale nous ne devons plus avoir peur qursquoune

1PAUL KRUGMAN est professeur drsquoeacuteconomie au Massachussets Institute of Technology Cet article a eacuteteacutepublieacute initialement en anglais dans Harvard Business Review JulyAugust 1997 sous le titre laquoHow Fastcan the US Economy Growraquo (httpwebmitedukrugmanwwwhowfasthtml) Copyright copy 1997by the President and Fellows of Harvard College all rights reserved Pour cette traduction Copyrightcopy 2000 by the President and Fellows of Harvard College

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eacuteconomie en surchauffe ne geacutenegravere lrsquoinflation Crsquoest sucircrement une vision attractivepour ceux qui souhaiteraient une croissance plus rapide que les quelques 2 deacutece-vants proposeacutes par les eacuteconomistes conventionnels crsquoest aussi une vision qui corres-pond agrave ce que constatent les hommes drsquoaffaires dans leurs propres secteurs Nous nedevons donc pas nous eacutetonner du succegraves de cette vision dans les milieux drsquoaffaires

Il nrsquoy a qursquoun problegraveme crsquoest que si on analyse attentivement le nouveau para-digme on se rend compte qursquoil nrsquoa pas de sens Il comporte drsquoeacutenormes lacunes concep-tuelles et empiriques qui paraissent eacutevidentes agrave de nombreux eacuteconomistes mais quipour une raison ou pour une autre nrsquoont pas eacuteteacute efficacement porteacutees agrave la connais-sance du grand public En fait ce problegraveme nrsquoest pas reacuteellement difficile ni mecircmetechnique la simple logique conjugueacutee agrave lrsquoanalyse de quelques expeacuteriences reacutevegravele leproblegraveme du nouveau paradigme

Pourquoi lrsquoeacuteconomie a-t-elle une laquo limite de vitesse raquo

Avec lrsquoeacuteclatement de la famille traditionnelle ougrave lrsquoon pouvait compter sur lrsquoentou-rage pour prendre soin des enfants de nombreux parents ameacutericains ont chercheacutedrsquoautres solutions La plus freacutequente est la coopeacuterative de baby-sitting dans laquelle uncertain nombre de parents prennent lrsquoengagement de srsquoentraider sur des bases de reacuteci-prociteacute chacun pouvant ecirctre laquo baby-sitter raquo ou laquo baby-sitteacute raquo Ce genre de coopeacuterativeneacutecessite des regravegles permettant drsquoassurer aux membres un partage eacutequitable Unereacuteponse naturelle agrave cette exigence drsquoeacutegaliteacute au moins pour les gens familiariseacutes aveclrsquoeacuteconomie de marcheacute consiste agrave adopter une sorte de systegraveme de laquo jetons raquo ou delaquo points raquo les parents laquo gagnent raquo des laquo jetons raquo en assurant un baby-sitting ils endeacutepensent lorsque leurs propres enfants sont gardeacutes par drsquoautres parents Par exempleune toute reacutecente coopeacuterative dans lrsquoouest du Massachusetts utilise des bacirctonnets deglace agrave lrsquoeau chacun repreacutesentant une heure de baby-sitting Lorsqursquoun parent integravegrela coopeacuterative il reccediloit une premiegravere attribution de dix bacirctonnets

Ce systegraveme se reacutegule de lui-mecircme en ce sens que sur une dureacutee de temps prolongeacuteeune famille donnera agrave peu pregraves le mecircme temps de garde qursquoelle beacuteneacuteficiera drsquoheures debaby-sitting Neacuteanmoins il srsquoavegravere que ce systegraveme de jetons ne suffit pas agrave lui seul pourqursquoune coopeacuterative fonctionne correctement il est eacutegalement neacutecessaire que lesjetons soient relativement bien reacutepartis entre les membres Supposons par exempleqursquoil y ait tregraves peu de jetons en circulation Certains parents peuvent vouloir avoir unereacuteserve de jetons assez pour pouvoir sortir un certain nombre de fois avant de devoirfaire du baby-sitting et donc drsquoen gagner Chaque parent peut aussi bien sucircr accumu-

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ler encore plus de jetons en assurant plus de baby-sitting et en sortant moins Mais quese passe-t-il si presque tout le monde essaie drsquoaccumuler des jetons ce qui est le casquand il y en a peu en circulation La deacutecision drsquoun parent de sortir constitue lrsquooppor-tuniteacute pour un autre de faire du baby-sitting Donc si tous les membres de la coopeacutera-tive essaient drsquoadditionner des jetons pour augmenter leur reacuteserve il y aura tregraves peudrsquoopportuniteacutes de garder des enfants Ceci aboutit agrave ce que les gens heacutesitent agrave sortirafin de ne pas gaspiller leurs eacuteconomies de jetons et donc le niveau drsquoactiviteacute de lacoopeacuterative peut baisser jusqursquoagrave un niveau extrecircmement deacutecevant

La solution agrave ce problegraveme consiste bien sucircr agrave mettre en circulation plus de bacirctonnetsMais pas trop car lrsquoexcegraves de bacirctonnets peut eacutegalement provoquer un problegraveme graveSupposons que dans la coopeacuterative presque tous les membres possegravedent un nombrede bacirctonnets exceacutedant leurs besoins ils auront tous envie de sortir et rechigneront agravegarder des enfants Il sera alors tregraves difficile de trouver des baby-sitters et tant que lesopportuniteacutes drsquoutiliser les bacirctonnets seront rares les membres seront encore moinsdeacutesireux de perdre du temps et de faire des efforts pour gagner des jetons Donc onobservera des effets destructeurs en situation drsquoexceacutedent de jetons en circulation aussibien que de peacutenurie

Mais qursquoest-ce que cela a agrave voir avec le nouveau paradigme Et bien une coopeacuterativede baby-sitting est une sorte de macroeacuteconomie en miniature un systegraveme dans lequelles deacutecisions individuelles de deacutepenser et drsquoeacutepargner sont tregraves deacutependantes les deacutepen-ses de lrsquoun constituant les revenus de lrsquoautre et vice et versa Lrsquoeacutetat de crise drsquoune coo-peacuterative de baby-sitting ducirc agrave une circulation insuffisante de jetons est par essence lemecircme que celui de lrsquoeacuteconomie ameacutericaine dans son ensemble quand elle sombre dansla reacutecession Et les capaciteacutes drsquoun Paul Volcker ou drsquoun Alan Greenspan agrave provoquer unredressement reacutesident dans le controcircle qursquoils ont sur lrsquooffre de monnaie autrement ditsur le nombre de bacirctonnets

Entre lrsquoeacuteconomie grandeur nature et la coopeacuterative de baby-sitting comprenant toutau plus quelques douzaines de membres il y a eacutevidemment drsquoimportantes diffeacuterencesLrsquoune drsquoentre elles reacuteside dans le fait que lrsquoeacuteconomie possegravede un marcheacute de capitaux les individus qui manquent drsquoargent peuvent en emprunter agrave drsquoautres qui sont richesen capitaux de faccedilon agrave ce que les effets drsquoune peacutenurie geacuteneacuterale ou drsquoune profusiondrsquoargent srsquoarbitrent par le niveau des taux drsquointeacuterecirct Une diffeacuterence plus grande encoretient aux prix ceux-ci sont fixes dans une coopeacuterative de baby-sitting type un bacircton-net permettant drsquoacheter une heure de baby-sitting un point crsquoest tout Dans lrsquoeacutecono-mie proprement dite les entreprises sont libres de changer leurs prix de les casser sielles ont des problegravemes pour vendre leur produits de les augmenter si elles jugentqursquoune hausse ne stoppera pas les ventes Les entreprises ont une forte tendance agrave refu-ser de casser les prix tout comme les ouvriers sont reacutecalcitrants agrave accepter une baisse desalaire si des reacutecessions prolongeacutees megravenent parfois agrave la baisse des prix cela se fait pro-

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gressivement et avec difficulteacute Lrsquohistoire montre toutefois que les entreprises sontmoins reacuteticentes agrave augmenter leurs prix dans des conditions de forte croissance Crsquoestpour cette raison que lrsquoespegravece de situation de peacutenurie subie par la coopeacuterative quand ily a trop de jetons en circulation est rarement grave dans les eacuteconomies de marcheacute alorsqursquoune eacutemission excessive de monnaie elle se dissipe plutocirct en inflation

Pourtant lrsquoeacuteconomie du bacirctonnet peut nous aider agrave dissiper quelques malentendustregraves reacutepandus sur les raisons amenant les eacuteconomistes agrave penser qursquoil existe des limitesagrave la rapiditeacute de la croissance Premiegraverement personne ne preacutetend que lrsquoeacuteconomie selimite agrave une vitesse de croissance de 2 et quelques en toutes circonstances Quandune coopeacuterative de baby-sitting est en eacutetat de deacutepression agrave cause drsquoune offre insuffi-sante de bacirctonnets son PBB (Produit Baby-sitting Brut) peut srsquoeacutelever rapidement degravesque lrsquooffre progresse Jusqursquoici rien drsquoinexplicable dans la capaciteacute qursquoa eue lrsquoeacuteconomieameacutericaine drsquoatteindre un taux de croissance de plus de 3 de 1982 agrave 1989 agrave partirdrsquoune reacutecession qui avait fait grimper le chocircmage agrave un taux de 107 et maintenu pro-bablement la production agrave 10 au-dessous de sa capaciteacute la politique drsquoexpansionmoneacutetaire a permis agrave lrsquoeacuteconomie de rebondir La laquo limite de vitesse raquo ne srsquoapplique quelorsque lrsquoeacuteconomie srsquoest deacuteveloppeacutee autant qursquoelle le pouvait en utilisant toute sa capa-citeacute et en employant les ressources inexploiteacutees

Deuxiegravemement la logique de lrsquoargument eacuteconomique standard contre les objectifsde croissance trop ambitieux alors que lrsquoeacuteconomie est proche du plein emploi est aussilargement mal comprise De nombreux critiques de cette argumentation sinon la plu-part fondent leur opposition sur une caricature trompeuse de ce que disent les eacutecono-mistes Bien trop souvent des avocats drsquoune croissance plus rapide affirment que pourleurs adversaires laquo la croissance creacutee lrsquoinflation raquo cette supposeacutee maniegravere de voir estensuite tourneacutee en ridicule Apregraves tout lrsquoinflation nrsquoest-elle pas une inadeacutequationentre un excegraves drsquoargent et une peacutenurie de biens Et si crsquoest le cas comment la crois-sance peut-elle ecirctre la cause de lrsquoinflation alors qursquoelle se traduit par une plus grandeabondance de biens Mais ce nrsquoest pas ce que disent les eacuteconomistes qui pensent qursquounobjectif de croissance trop ambitieux serait inflationniste Personne ne preacutetend que lacoopeacuterative de baby-sitting souffrirait de peacutenurie si elle se deacuteveloppait en accueillantde nouveaux adheacuterents ou en ameacuteliorant lrsquoefficaciteacute des familles pour la garde desenfants de telle sorte qursquoelle puisse assurer davantage de baby-sitting Les limites mdash etdonc le risque drsquoinflation mdash ne srsquoappliquent qursquoagrave une croissance reacutesultant drsquounedemande accrue autrement dit en augmentant le nombre de bacirctonnets

Agrave partir de quand est-ce trop Revenons agrave nouveau agrave notre eacuteconomie du baby-sittingComment pourrait-on savoir qursquoil y a trop de bacirctonnets en circulation Un indicateurinteacuteressant pour cela serait la freacutequence avec laquelle les parents recherchent et ne trou-vent pas lrsquooccasion de faire du baby-sittingce qui correspondrait fondamentalement autaux de chocircmage de la coopeacuterative Un autre indicateur serait la freacutequence agrave laquelle les

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parents cherchent et ne trouvent pas de baby-sitter ce qui pourrait correspondre plus oumoins au laquo taux drsquoemplois non satisfaits raquo dans lrsquoeacuteconomie ameacutericaine Un chocircmagetregraves bas et un taux eacuteleveacute drsquoemplois non satisfaits indiquent qursquoil existe un exceacutedent dedemande au sein de la coopeacuterative Dans lrsquoeacuteconomie agrave grande eacutechelle il srsquoavegravere que letaux de chocircmage et celui des emplois non satisfaits sont eacutetroitement correacuteleacutes mais inver-sement Mais les donneacutees collecteacutees les plus reacuteguliegraverement et les plus systeacutematiquementeacutetant celles du chocircmage nous pouvons utiliser ce taux de chocircmage tregraves facilement dis-ponible comme un assez bon indicateur de lrsquoeacutetroitesse du marcheacute du travail

Que veut dire trop bas pour un taux de chocircmage Pour ecirctre honnecircte les incertitudessur cette question sont nombreuses Lrsquoeacutevidence des anneacutees drsquoavant 1990 suggeacuteraitalors agrave la plupart des eacuteconomistes que lrsquoinflation commencerait agrave srsquoacceacuteleacuterer quand letaux de chocircmage tomberait en dessous de 6 or on fut surpris de constater que avecun taux de chocircmage agrave peine au-dessus de 5 lrsquoaugmentation des prix se discernait agravepeine Neacuteanmoins la progression des salaires a commenceacute agrave srsquoacceacuteleacuterer et les anecdotessur la peacutenurie de main-drsquoœuvre plutocirct rares dans lrsquoeacuteconomie ameacutericaine sont deve-nues monnaie courante dans les 6 derniers mois de 1996 ce genre drsquoanecdotes srsquoestdeacuteveloppeacute trois fois plus que lrsquoanneacutee preacuteceacutedente Il semble donc qursquoil y ait peu de chan-ces de reacuteduire le taux de chocircmage simplement par une augmentation de la demande(Il srsquoagit lagrave de couper court aux arguments selon lesquels il serait possible de stopper lechocircmage gracircce agrave la formation professionnelle ou agrave toute autre intervention Qursquoilsfonctionnent ou non de tels scheacutemas nrsquoont rien agrave voir avec les tenants du nouveauparadigme qui preacutetendent que la Reacuteserve Feacutedeacuterale peut continuer agrave augmenter sesobjectifs de croissance mecircme en lrsquoabsence de programmes destineacutes agrave augmenter lenombre de travailleurs employables)

Ce que nous connaissons assez bien crsquoest le taux de croissance qui est compatibleavec le maintien du taux de chocircmage agrave son niveau agrave peu pregraves courant Il existe une rela-tion frappante entre le taux de la croissance eacuteconomique et celui de la variation du tauxde chocircmage relation qui fait partie bien sucircr des quelques constatations que les eacuteco-nomistes veulent eacuteriger en laquo loi raquo (loi de Okun) avec le plus grand des seacuterieux Les don-neacutees entre 1980 et 1995 indiquent qursquoau cours de cette peacuteriode le taux de chocircmageprogresse si le taux de croissance tombe en dessous de 24 et diminue si ce dernierest supeacuterieur (il srsquoavegravere que chaque point de progression de la croissance reacuteduit le chocirc-mage drsquoun demi-point) On constate que le taux de croissance en rapport avec le main-tien du taux de chocircmage plus ou moins au niveau ougrave il en est aujourdrsquohui a eacuteteacute dansun passeacute reacutecent drsquoenviron 2

Il nrsquoest en revanche pas eacutevident que le taux de croissance compatible avec un tauxde chocircmage constant mdash le taux de croissance maximum susceptible drsquoecirctre soutenulorsque lrsquoeacuteconomie tourne agrave pleine capaciteacute mdash ait progresseacute ces quelques derniegraveresanneacutees Le taux moyen de chocircmage de 1995 voisin de 56 est agrave peu pregraves le mecircme

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qursquoen 1990 Or la croissance moyenne sur les 5 derniegraveres anneacutees a eacuteteacute de 19 crsquoest-agrave-dire en dessous de la croissance extrapoleacutee sur la courbe

Pourquoi le taux de croissance qursquoil est possible de soutenir semble-t-il si lent Il ya deux raisons principales Premiegraverement la force de travail ameacutericaine ne progresseplus aussi vite que dans les anneacutees ougrave les enfants du baby-boom eacutetaient devenus adul-tes et ougrave les femmes inteacutegraient le marcheacute du travail entre le deacutebut des anneacutees 1990et aujourdrsquohui le nombre de personnes travaillant ou recherchant un emploi nrsquoa pro-gresseacute qursquoau taux annuel drsquoenviron 1 Deuxiegravemement selon les chiffres officiels laproductiviteacute (production par travailleur) nrsquoa elle-mecircme progresseacute que drsquoun tout petitpour-cent La somme de ces deux chiffres donne 2 ce qui correspond au potentielde croissance de la productiviteacute eacuteconomique

Tout ceci semble assez bien eacutetabli Alors comment les tenants du nouveau para-digme peuvent-ils encore preacutetendre que lrsquoeacuteconomie est en fait capable drsquoune crois-sance plus rapide Leur reacuteponse reacuteside en partie dans le fait que tout simplement ilsne croient pas les chiffres officiels ils pensent que les statistiques sont deacutepasseacutees etsous-estiment grandement la croissance de la productiviteacute Mais cela est-il vrai Et sur-tout est-ce un problegraveme

Les paradoxes de la productiviteacute

Crsquoest un truisme drsquoaffirmer que lrsquoaugmentation de la productiviteacute autrement dit duPNB par travailleur repreacutesente la clef drsquoune croissance eacuteconomique durable Il fautpeut-ecirctre srsquoinquieacuteter du lent cheminement que montrent les chiffres officiels de la pro-ductiviteacute ameacutericaine et qui dure depuis le deacutebut des anneacutees 1970 la progressionannuelle de la production horaire du travail reste environ agrave 1 par an bien en dessousdu taux annuel de presque 3 des anneacutees 1950 et 1960

Par conseacutequent nombreux sont les grands patrons qui ont bien du mal agrave croire cesstatistiques officielles Pour une part ils pensent improbable que la reacutevolution numeacute-rique qui a eu tant drsquoimpact sur la conduite des affaires nrsquoait pu montrer davantagede retour sur investissement De plus les dirigeants de nombreuses entreprises pensentque lrsquointensiteacute de la concurrence les a forceacutes agrave engager des mesures radicales pour aug-menter la productiviteacute et ils ne peuvent croire qursquoil y ait aussi peu de retombeacutees surlrsquoeacuteconomie dans son ensemble

Pour ceux qui croient que les si monotones statistiques officielles sur la productiviteacutesont fausses il apparaicirct eacutevident que les monotones visions conventionnelles sur leslimites de la croissance sont eacutegalement fausses Apregraves tout supposons que nous

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croyions que la croissance reacuteelle de la productiviteacute dans les anneacutees 1990 a eacuteteacute deux foisplus importante que cette mesure de 1 disons qursquoelle a eacuteteacute de 25 par exempleNous devons alors croire eacutegalement que la croissance du potentiel eacuteconomiquesomme de ces taux de 1 pour la croissance de la productiviteacute et pour la force de tra-vail est reacuteellement de 35 et non de 2 Alors la Fed ne pourrait-elle pas laisser lrsquoeacuteco-nomie srsquoeacutechapper

Prenons le problegraveme par eacutetape Il faut drsquoabord admettre que les critiques des statisti-ques officielles de productiviteacute sont fondeacutees bien qursquoil y existe des contre-argumentsDes techno-sceptiques aiment agrave souligner que mecircme si la technologie numeacuterique estclinquante et laquo glamour raquo on constate qursquoelle fait moins pour la production reacuteelle destravailleurs que ne lrsquoont fait dans le passeacute bien des innovations moinslaquo photogeacuteniques raquo pour donner un exemple drsquoune technologie qui sans avoir quoi quece soit de laquo glamour raquo a eu un effet profond sur lrsquoeacuteconomie jrsquoeacutevoque souvent la conte-neurisation du fret qui a litteacuteralement eacutelimineacute le besoin en centaines de milliers de doc-kers et autres manutentionnaires Lrsquoenthousiasme initial passeacute les affaires ont deacutemontreacuteque certaines nouvelles technologies parmi lesquelles les ordinateurs de bureau com-portaient des coucircts cacheacutes importants On a par ailleurs fait remarquer que de nombreu-ses entreprises en se restructurant nrsquoeacuteliminent pas tant les postes de travail qursquoelles neles externalisent ces postes glissant depuis de grandes firmes ougrave les reacutemuneacuterations sonteacuteleveacutees agrave de petits fournisseurs qui ont eux des eacutechelles de salaires plus basses Du pointde vue de la socieacuteteacute restructureacutee il peut sembler que le mecircme travail est reacutealiseacute par unnombre de personnes nettement moindre de celui de lrsquoeacuteconomie dans son ensemblela production par travailleur peut ne pas avoir beaucoup grimpeacute voire pas du tout Cequi est bien pire crsquoest que des eacuteconomistes tentent drsquoeacutevaluer la croissance de la produc-tiviteacute et restent parfaitement indeacutecis quant aux reacutesultats la productiviteacute a eacuteteacute grande-ment sous-eacutevalueacutee pour un petit nombre drsquoentre eux elle lrsquoaurait eacuteteacute de moitieacute maisun nombre conseacutequent drsquoeacuteconomistes pensent aussi que les chiffres officiels sont plusou moins vrais

Neacuteanmoins cette discussion est vraiment drsquoun inteacuterecirct mineur pour le problegraveme enquestion car si nous nous demandons quel est lrsquoobjectif de croissance approprieacute ilnrsquoest pas important que les chiffres officiels soient justes Il est essentiel de se rappelerque la productiviteacute par deacutefinition se deacutefinit comme la production par travailleurQuand on parle de productiviteacute dans lrsquoeacuteconomie globale ameacutericaine on parle du PNBreacuteel par travailleur employeacute aux Eacutetats-Unis ni plus ni moins (en anticipant sur la pro-chaine partie peut-ecirctre ne faut-il pas oublier que ni la production geacuteneacutereacutee ni les tra-vailleurs employeacutes par des compagnies ameacutericaines en dehors des Eacutetats-Unis ne jouentun rocircle dans le calcul du PNB ou de la productiviteacute) Supposons agrave preacutesent qursquoil soit vraique la productiviteacute (PNB reacuteel par travailleur) a reacuteellement grimpeacute agrave 25 depuis 1990 cela veut-il dire pour autant que la Fed aurait ducirc preacutevoir un objectif de croissance

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de 35 pour cette peacuteriode et qursquoen autorisant le PNB agrave monter agrave 2 seulement lepotentiel eacuteconomique srsquoest trouveacute bloqueacute Pas du tout Apregraves tout si la productiviteacuteest par deacutefinition eacutegale au PNB reacuteel par travailleur et si personne ne soutient que leschiffres sur lrsquoemploi sont faux preacutetendre que la vraie croissance de la productiviteacute estreacuteellement de 15 supeacuterieure aux statistiques crsquoest eacutegalement preacutetendre que le vraiPNB est supeacuterieur drsquoautant Nous pouvons alors non pas accuser la Fed de ne pas avoirinsuffleacute agrave lrsquoeacuteconomie les 35 qursquoelle meacuteritait mais la feacuteliciter drsquoavoir donneacute un tauxde croissance absolument exact

Voyons les choses un peu diffeacuteremment si la Fed avait tenteacute de parvenir agrave un tauxmesureacute mais non reacuteel de 35 cela aurait correspondu en fait agrave ambitionner un tauxreacuteel de croissance de 5 autrement dit bien au-dessus du potentiel eacuteconomique Etune tentative analogue sur la peacuteriode 1990-1996 aurait provoqueacute une baisse brutale dutaux de chocircmage agrave 2 bien en dessous des niveaux actuels Ce taux ne paraicirct reacutealisa-ble qursquoagrave un nombre limiteacute de personnes La question de savoir si les statistiques denotre eacuteconomie sous-estiment la croissance de la productiviteacute est tregraves importante dansde nombreux cas toutefois elle nrsquoapporte rien quand on se demande si le taux decroissance consideacutereacute comme objectif agrave atteindre serait plus haut si on utilisait cesmecircmes statistiques

Mondialisation et inflation

Lrsquoaffirmation selon laquelle lrsquoeacuteconomie ameacutericaine en deacutepit de statistiques moro-ses est actuellement en train de connaicirctre un taux eacuteleveacute de croissance de productiviteacuteest lrsquoun des deux jetons importants du nouveau paradigme Le second consiste agrave preacute-tendre que gracircce agrave la nouvelle ampleur de la concurrence mondiale le fait drsquoaugmen-ter la demande ne megravenera pas agrave lrsquoinflation mecircme avec des taux de chocircmage tregraves basLrsquohistoire continue diffeacuterente du passeacute Les entreprises ameacutericaines ont aujourdrsquohui agraveaffronter la compeacutetition reacuteelle ou potentielle drsquoadversaires europeacuteens et asiatiques mecircme en cas de forte demande elles nrsquooseront donc pas monter les prix de peur queses adversaires ne srsquoemparent du marcheacute

Comme dans le cas de la sous-estimation de la croissance de la productiviteacute il estpossible de veacuterifier cette affirmation sur des faits Il est indeacuteniable que de nombreusesfirmes ameacutericaines affrontent la concurrence internationale jusqursquoagrave un degreacute sans preacute-ceacutedent Neacuteanmoins cette compeacutetition mondiale a lieu essentiellement dans ledomaine de la production de biens car tregraves peu de services sont commercialiseacutes sur lemarcheacute international Et mecircme dans lrsquoindustrie bon nombre drsquoentreprises restent

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totalement agrave lrsquoeacutecart de la concurrence eacutetrangegravere avez-vous vu reacutecemment des reacutefrigeacute-rateurs chinois Comme nous avons essentiellement une eacuteconomie de service pasplus de 25 et probablement moins de 15 des emplois et de la valeur ajouteacutee sontreacuteellement soumis agrave cette sorte de discipline du marcheacute mondial procircneacutee par le nou-veau paradigme

Mais discuter sur lrsquoextension exacte de la mondialisation comme discuter sur le justetaux de la croissance de la productiviteacute est hors sujet Mecircme si la concurrence mondialejouait un rocircle plus important dans lrsquoeacuteconomie ameacutericaine qursquoelle ne le fait reacuteellementune telle compeacutetition nrsquoaugmenterait pas la vitesse limite de lrsquoeacuteconomie En effet peuimporte la taille de lrsquoeacuteconomie mondiale car mecircme si tous les rattrapages eacuteconomiquesont eacuteteacute faits le taux maximum de croissance dans nrsquoimporte quel domaine de cetteeacuteconomie est eacutegal agrave la somme de la croissance de la productiviteacute et de la force de travailde ce domaine

Ce point semble particuliegraverement difficile agrave saisir probablement parce que de nom-breuses personnes supposent faussement que lrsquoeacuteconomie mondiale est drsquoune faccedilon oudrsquoune autre plus importante que la somme des eacuteconomies nationales qursquoelle contientPour corriger cette impression erroneacutee souvenons-nous de la parabole preacutesenteacutee parPaul Samuelson du MIT il y a plus de 30 ans jrsquoai coutume de me reacutefeacuterer agrave cette para-bole comme lrsquohistoire de lrsquoange de Samuelson

En gros lrsquoideacutee de Samuelson eacutetait drsquoimaginer le cours de lrsquohistoire agrave lrsquoenvers Nouspensons normalement que lrsquoeacuteconomie mondiale reacutesulte drsquoune plus grande unificationeacuteconomique et crsquoest la voie que nous avons suivie pour arriver ougrave nous sommes MaisSamuelson suggeacuterait en alternative drsquoimaginer ce qursquoil se passerait si partant drsquouneeacuteconomie unifieacutee nous lrsquoeacuteclations Il proposait preacuteciseacutement la parabole suivante imaginons que agrave lrsquoorigine toutes les ressources mondiales travaillaient librementensemble sans problegraveme de distance ni de frontiegravere Mais soudain un ange descenditdu ciel et dispersa les ressources dans de nombreux pays par la suite les nationsauraient ainsi pu commercer entres elles mais neacuteanmoins des ressources telles que letravail se figegraverent (cette parabole est clairement inspireacutee de Genegravese 11 passage eacutevo-quant lrsquohistoire de la tour de Babel probablement les facteurs de production ont oseacutelancer un deacutefi au ciel) Le point important de cette parabole est que lrsquoeacuteconomie globalereacutesultant de la mise en piegravece drsquoune eacuteconomie qui nrsquoa pas de commerce internationalpuisque pas de partenaire pour commercer serait indiffeacuterentiable drsquoune eacuteconomie glo-bale produite en reacuteunissant partiellement des eacuteconomies nationales seacutepareacutees au preacutea-lable ce qui se passe en fait

Or il est facile de se leurrer en pensant que le rassemblement des eacuteconomies changeles regravegles drsquoune faccedilon ou drsquoune autre et supprime les vieilles contraintes de la politiqueeacuteconomique On pourrait agrave peine srsquoattendre agrave obtenir une nouvelle liberteacute en matiegraverede politique eacuteconomique en eacuteclatant une eacuteconomie unifieacutee Et pourtant lrsquoeacuteconomie

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mondiale reacuteelle imparfaitement unifieacutee peut ecirctre vue sous lrsquoun ou lrsquoautre angle ce quiindique qursquoil y a quelque chose de faux agrave preacutetendre que les vieilles contraintes nrsquoexis-tent plus

Les tenants du nouveau paradigme affirment une fois encore que lrsquoexpansion peutagrave preacutesent se poursuivre sans risque drsquoinflation gracircce agrave la mondialisation moneacutetaireCela peut-il ecirctre vrai Essayons de le deacutecouvrir avec lrsquoaide de lrsquoange

Drsquoabord imaginons un monde preacute-angeacutelique dans lequel toutes les ressources peu-vent travailler ensemble sans obstacle ougrave il y a un langage commun et une monnaieunique disons une monnaie constitueacutee de billets de banque rouges Cette eacuteconomiemondiale nrsquoest qursquoune grande coopeacuterative de baby-sitting si bien que lrsquoinjection deplus drsquoargent peut accroicirctre la production jusqursquoagrave un point au-delagrave duquel elle irait agravelrsquoencontre de la productiviteacute et serait naturellement dissipeacutee en inflation (Il est vraique lrsquoeacuteconomie mondiale est incroyablement immense le produit mondial brut estprobablement de lrsquoordre de 25 trillions de dollars Mais lrsquoeacuteconomie ameacutericaine agrave elleseule avec ses 7 trillions de dollars de PNB est eacutegalement incroyablement immenseOn peut utilement neacuteanmoins lrsquoimaginer comme une coopeacuterative de baby-sitting le fait de monter drsquoun cran sur lrsquoeacutechelle ne provoque pas une diffeacuterence qualitative)Supposons agrave preacutesent que lrsquoange descende et divise le monde en deux nations cha-cune posseacutedant ses propres ressources et devises un pays utilise maintenant des billetsbleus et lrsquoautre des billets verts Comment cette situation modifie-t-elle le contexte

Et bien supposons que le monde dans son ensemble soit proche du plein emploi etque les deux pays accroissent simultaneacutement leur offre de monnaie disons que chacunedrsquoelle double le nombre de billets en circulation Eacutevidemment il nrsquoy aura pas de diffeacute-rence par rapport agrave ce qui se serait passeacute si la production drsquoargent avait augmenteacute dansles mecircmes proportions dans lrsquoeacuteconomie preacute-angeacutelique Une fois que les secteurs affaiblisde lrsquoeacuteconomie mondiale auront eacuteteacute relanceacutes plus drsquoexpansion megravenera agrave lrsquoinflation

Le problegraveme aurait eacuteteacute quelque peu diffeacuterent si un seul pays avait essayeacute drsquoaccroicirctreson offre de monnaie disons que seul le pays des billets verts lrsquoait fait et pas celui desbillets bleus Il pourrait sembler que dans ce cas la compeacutetition venant du pays infla-tionniste limiterait la monteacutee des prix dans lrsquoeacuteconomie en expansion Peut-ecirctre lemonde dans son ensemble nrsquoest-il pas exempt de limitations de vitesse mais au moinsles conseacutequences inflationnistes drsquoune expansion unilateacuterale sont atteacutenueacutees Mais il y aaussi un problegraveme avec cet argument Qursquoest-il censeacute arriver au taux de change Dansle cas drsquoun taux de change flottant un accroissement du nombre de billets verts megraveneraagrave une deacutevaluation des devises vertes par rapport aux bleues Cela enclenchera directe-ment la monteacutee des prix des marchandises que le pays en expansion importe (quand onle mesure en monnaie verte) Les prix des produits en devises bleues qui sont en compeacute-tition avec les marchandises laquo vertes raquo grimperaient eacutegalement probablement en don-nant lrsquoopportuniteacute agrave ces entreprises drsquoaugmenter leurs prix En fait jusqursquoagrave la monteacutee du

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nouveau paradigme lrsquoopinion geacuteneacuterale eacutetait que lrsquoexpansion moneacutetaire megravene agrave lrsquoinfla-tion ou du moins lrsquointroduit plus rapidement si elle est supporteacutee unilateacuteralement parun seul pays plutocirct que si elle srsquoinstalle simultaneacutement dans de nombreuses nations EtlrsquoAmeacuterique a un taux de change flottant le dollar monte et descend assez rapidementsuivant que la Fed risque de relacirccher ou de renforcer sa politique

Tout ceci nrsquoest qursquoargumentaire conceptuel Mieux vaut se souvenir que si un com-merce international agrave grande eacutechelle peut encore paraicirctre nouveau en Ameacuterique laplupart des autres pays sont depuis longtemps eacutetroitement deacutependants du commerceexteacuterieur mecircme aujourdrsquohui la part des exportations et des importations dans le PNBameacutericain reste tregraves au-dessous des niveaux qui sont devenus ordinaires ailleurs etdepuis de nombreuses deacutecennies Lagrave encore lrsquoeacutevidence internationale deacutemontre aiseacute-ment que lrsquoexcegraves drsquoexpansion moneacutetaire megravene agrave lrsquoinflation aussi sucircrement dans leseacuteconomies largement ouvertes que chez celles qui font peu de commerce

Tout ceci nrsquoa pas pour but de minimiser lrsquoimportance de la mondialisation pourbeaucoup de problegravemes eacuteconomiques Par exemple il est eacutevident que la croissance ducommerce mondial a eacuteteacute un facteur important dans le deacuteveloppement eacuteconomique denombreux pays pauvres en revanche le rocircle qursquoil a joueacute dans lrsquoineacutegaliteacute croissante desrevenus dans les pays deacuteveloppeacutes fut moins heureux Quoi qursquoil en soit la mondialisa-tion nrsquoa sucircrement pas changeacute de faccedilon importante les regravegles reacutegissant lrsquoallure de crois-sance de lrsquoeacuteconomie ameacutericaine Mondialisation ou pas si la Fed tente une expansioneacuteconomique plus rapide que la somme de la croissance de la force de travail et de laproductiviteacute il en reacutesultera lrsquoinflation

Le succegraves drsquoun paradigme

Il y a quelque chose drsquoincroyable dans la faveur dont jouit le paradigme Celui-cirepose sur deux arguments cleacutes une croissance eacuteleveacutee de la productiviteacute justifie desobjectifs de croissance plus eacuteleveacutes et la compeacutetition mondiale preacuteserve de lrsquoinflationQuoi qursquoil en soit et comme nous lrsquoavons vu preacuteceacutedemment ces deux arguments netiennent pas et mecircme paraissent assez sots quand on fait une analyse critique simpleet superficielle En outre les critiques eacutevoqueacutees dans cet article ne vont pas tregraves loin etrestent banales ma propre expeacuterience me montre que quand on essaye drsquoexpliquerle nouveau paradigme agrave un macro-eacuteconomiste classique qui ignore la doctrine delrsquoinfluence de la croissance il formule essentiellement la mecircme critique que celle quevous venez de lire et il lui paraicirct impossible que quiconque puisse consideacuterer cette doc-trine seacuterieusement

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Neacuteanmoins et tout particuliegraverement dans le monde des affaires de nombreuses per-sonnes prennent cette doctrine tregraves au seacuterieux Pourquoi Tout drsquoabord les critiquesdeacutecrites ici ne viennent pas spontaneacutement chez un homme drsquoaffaires Les affaires setraitent essentiellement dans un milieu microeacuteconomique cela implique de com-prendre ce qui se passe au niveau drsquoun seul marcheacute mais non la faccedilon dont les marcheacutesinteragissent Un chef drsquoentreprise nrsquoa en geacuteneacuteral pas besoin de comprendre les pro-blegravemes de la macroeacuteconomie qui a pour essence lrsquointeraction des marcheacutes Pourquoiun directeur geacuteneacuteral devrait-il savoir ou srsquoinquieacuteter de lrsquoinfluence de lrsquoaccroissementde lrsquooffre moneacutetaire sur le PNB ou la faccedilon dont ces effets varient suivant que le tauxde change est flottant ou fixe Le succegraves du nouveau paradigme tient agrave une seconderaison crsquoest qursquoil dit bien sucircr ce que les hommes drsquoaffaires ont envie drsquoentendre Quine serait pas attireacute par une doctrine promettant que lrsquoeacuteconomie peut srsquoeacutetendre sanslimites et pour un temps infini

Toutefois il existe un motif suppleacutementaire agrave cet attrait particulier du nouveauparadigme il est extrecircmement flatteur pour son public constitueacute drsquohommes drsquoaffai-res Imaginons un avocat du nouveau paradigme srsquoadressant agrave un groupe disons deplusieurs centaines de dirigeants Ils srsquoentendront dire que leur nouveau style de mana-gement efficace et leur option pour la technologie de pointe ont provoqueacute une reacutevo-lution dans la productiviteacute alors qursquoils savent tous qursquoils ne peuvent augmenter lesprix car ils doivent faire face agrave une intense concurrence mondiale Sucircrement dans cegroupe quelques directeurs reacuteagiront honnecirctement laquo Et bien il est possible que cesoit comme cela dans drsquoautres branches Neacuteanmoins dans mon usine le fait est que laproductiviteacute nrsquoa pas beaucoup progresseacute reacutecemment Mais cela nrsquoa pas vraimentaffecteacute notre beacuteneacutefice en fait nos produits nrsquoentrent pas trop dans la compeacutetitionmondiale et nous avons un accord tacite avec nos concurrents nationaux afin de nepas provoquer une guerre des prix ce qui est de notre inteacuterecirct agrave tous raquo Soyons reacutealistesquelle est la probabiliteacute pour que quelqursquoun se legraveve et le dise

Peut-ecirctre ne devons-nous pas alors nous eacutetonner de la progression rapide de ce nou-veau paradigme qui met agrave lrsquoaise les hommes drsquoaffaires quant agrave leurs perspectives eacuteco-nomiques et aussi avec eux-mecircmes

Mais il est temps de redevenir seacuterieux aussi attrayante soit-elle une doctrine eacuteco-nomique qui ne supporte pas une critique fondeacutee doit ecirctre rejeteacutee Nous aimerionscroire qursquoil suffit que la Fed laisse faire pour que la croissance ameacutericaine soit beaucoupplus rapide mais toutes les eacutevidences suggegraverent que ce nrsquoest pas le cas

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Vitesse-limite Reacutealiteacutes et fictions dans le deacutebat sur la croissance

Alan S BLINDER1

laquo Say it ainrsquot so Joe raquo (Dis-moi qursquocrsquoest pas vrai Joe)

Crsquoest ce qursquoaurait dit en 1919 un jeune garccedilon srsquoadressant agrave Shoeless Joe Jackson starternie de lrsquoinfacircme laquo Black Sox raquo de Chicago On a entendu le mecircme cri en feacutevrier 1997quand le Council of Economic Advisers2 alors dirigeacutee par Joseph Stiglitz a bloqueacute letaux de croissance agrave long terme agrave seulement 23 par an laquo Say it ainrsquot so Joe raquo

Tel ce jeune fan de base-ball les optimistes de la croissance qursquoils soient de gauchecomme de droite ne veulent pas qursquoune dure reacutealiteacute investisse et ruine leurs recircves MaisJoe Jackson ne pouvait pas dire que ce nrsquoeacutetait pas vrai parce que ccedila lrsquoeacutetait bel et bien et Joe Stiglitz ne pouvait pas le dire non plus

En se basant sur des regravegles arithmeacutetiques simples que je vais exposer briegravevement leseacuteconomistes conventionnels sont pour une fois tous drsquoaccord sur le fait que le taux decroissance tendanciel du PNB aux Eacutetats-Unis celui gracircce auquel le taux de chocircmagereste stable se situe entre 2 et 25 En fait le point central de la preacutetenduelaquo controverse raquo opposant lrsquoadministration Clinton au Congressional Budget Office(CBO) sur le choix des hypothegraveses eacuteconomiques porte sur la question de savoir si letaux de croissance tendanciel agrave retenir pour les preacutevisions du budget est de 23 oude 21 Le CBO preacuteconise le dernier chiffre voilagrave ougrave se situe la controverse

Neacuteanmoins nombre de politiciens de premier plan de dirigeants influents etdrsquoauteurs connus du grand public refusent drsquoaccepter cette conclusion laquo pessimiste raquoIls preacutetendent que lrsquoon pourrait progresser plus rapidement si le gouvernement menaitune politique favorisant davantage la croissance Agrave vrai dire cet argument comportedeux variantes distinctes que lrsquoon confond souvent mais qui doivent plutocirct ecirctre con-sideacutereacutees seacutepareacutement

1 ALAN S BLINDER est professeur deacuteconomie agrave lUniversiteacute de Princeton et directeur du PrincetonsCenter for Economic Policy Studies Cet article a eacuteteacute publieacute initialement en anglais dans The AmericanProspect Issue 34 September-October 1997 sous le titre laquoThe Speed Limit Fact and Fancy in theGrowth Debateraquo (httpwwwprospectorgarchives3434blinfshtml) Traduit et reproduit aveclrsquoaimable autorisation de lrsquoauteur Reprinted with permission from The American Prospect 34 Septem-ber-October 1997 Copyright 1997 The American Prospect PO Box 772 Boston MA 02102-0772 Allrights reserved2 LrsquoAssembleacutee des conseillers eacuteconomiques de la Maison Blanche (NdT)

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Dans la premiegravere variante il existe un point de vue reacutecurrent les politiques moneacute-taires trop rigoureuses brident lrsquoeacuteconomie Selon les critiques de droite comme de gau-che lrsquoavarice de la Reacuteserve Feacutedeacuterale prive lrsquoeacuteconomie ameacutericaine de son potentielquand sont actionneacutes preacutematureacutement les freins moneacutetaires sous preacutetexte que cetteinstitution voit des fantocircmes inflationnistes Cela provoque une stagnation consideacute-rable du systegraveme et nous pourrions prospeacuterer beaucoup plus vite pendant quelquetemps en engageant dans la production des ressources inutiliseacutees

La seconde variante au contraire met en eacutevidence un problegraveme sur la croissance agravelong terme la tendance de croissance est ou pourrait ecirctre plus rapide que lrsquoestimationconventionnelle de 2 agrave 25 Nous pourrions deacutepasser deacutefinitivement cette fausselaquo limite de vitesse raquo en adoptant une politique de reacuteglementation et de taxation ducapital plus douce Cette critique eacutemane geacuteneacuteralement de la droite ainsi par exemplependant la campagne preacutesidentielle de 1996 Bob Dole a affirmeacute que son projet eacutecono-mique qui preacutevoyait une importante baisse de lrsquoimpocirct sur le revenu ferait grimper lacroissance agrave 35 lrsquoan Son colistier Jack Kemp est alleacute encore plus loin en affirmantque cette politique ferait doubler le taux de croissance Doubler Lrsquoamener agrave 5 Deacutecideacutement nous avons vraiment lagrave un fan de Shoeless Joe Jackson

Les eacuteconomistes traditionnels prennent ces deux arguments pour des balivernes etjrsquoexplique pourquoi dans cet article Mais auparavant je souhaite affirmer sans eacutequivo-que que personne nrsquoaimerait plus que moi que ces arguments soient vrais Je souhaiteeacutegalement que les Dodgers retournent agrave Brooklyn et qursquoil nrsquoy ait plus de misegravere dans lemonde Malheureusement aucune de ces perspectives fabuleuses nrsquoest imminente

Plus vite agrave court terme

Tout drsquoabord voyons lrsquoargument reacutecurrent des taux drsquointeacuterecirct plus bas pourraientfaire grimper la croissance pendant quelque temps sans augmenter lrsquoinflation LaReacuteserve Feacutedeacuterale devrait donc assouplir sa position et donner agrave lrsquoeacuteconomie plus deliberteacute Est-ce veacuterifiable Examinons quelques faits pertinents

Le taux de chocircmage ne repreacutesente en aucun cas un indicateur parfait de la pressionglobale sur la capaciteacute de production mais crsquoest un concept qui a en tout cas le meacuteritedrsquoexister on pourrait drsquoailleurs dire la mecircme chose de lrsquoindice de capaciteacute de produc-tion de la Reacuteserve Feacutedeacuterale Donc le taux de chocircmage a chuteacute de 77 en juin 1992agrave 58 en septembre 1994 ensuite il a connu de faibles variations entre 58 et 54 jusqursquoen juin 1996 peacuteriode agrave laquelle il a encore baisseacute drsquoun cran Il srsquoest eacutetabli enmoyenne agrave 53 entre juin 1996 et mars 1997 Les chiffres correspondant agrave avril et

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mai 1997 sont descendus en dessous des 5 crsquoeacutetait les plus bas niveaux que lrsquoon aitconnus depuis 1973

Observons maintenant comment srsquoest comporteacutee lrsquoinflation pendant chacun de cestrois eacutepisodes De juin 1992 agrave aoucirct 1994 le taux de chocircmage a eacuteteacute continuellementsupeacuterieur agrave 6 puisqursquoil srsquoeacutetablissait en moyenne agrave 68 et lrsquoinflation a baisseacuteEnsuite de lrsquoeacuteteacute 1994 agrave lrsquoeacuteteacute 1996 le chocircmage a atteint la moyenne de 56 et lrsquoinfla-tion est resteacutee remarquablement stable De cette expeacuterience on a conclu que ces 56 constituaient une excellente estimation de ce que lrsquoon appelle le NAIRU (horrible acro-nyme pour laquo Non Accelerating Inflation Rate of Unemployment raquo autrement dit leniveau de chocircmage auquel lrsquoinflation nrsquoaugmente ni ne descend)

Les taux drsquoinflation et de chocircmage sur les 10 derniegraveres anneacutees

Source Bureau of Labor Statistics

Eacutetant donneacute que lrsquoinflation a baisseacute quand le chocircmage a atteint en moyenne 68 et srsquoest stabiliseacutee quand le taux de chocircmage a atteint en moyenne 56 il est tout agravefait logique de penser qursquoun chocircmage nettement infeacuterieur agrave 56 devrait faire aug-menter lrsquoinflation La derniegravere fois que nous avons connu un taux de chocircmage aussibas sur une peacuteriode prolongeacutee on eacutetait entre 1988 et 1990 Ce taux a drsquoabord plongeacuteau-dessous de 6 agrave la fin de 1987 et a continueacute agrave deacutecroicirctre jusqursquoagrave 5 enmars 1989 pour ne pas remonter agrave 6 avant novembre 1990 Pendant cette

88 93 94 95 96 9790 91 9289

2

3

4

5

6

7

8

Inflation(change in core CPIfrom one year earlier

Unemployment

Ind

ex 1

992

=100

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peacuteriode lrsquoinflation structurelle est passeacutee de 4 agrave environ 55 Il semble donc quela theacuteorie se justifie

Lrsquoexpeacuterience tregraves reacutecente a cependant eacuteteacute plus favorable que le passeacute le laissait enten-dre et nombreux sont ceux qui lrsquoont fait remarquer Notamment lrsquoinflation a baisseacutealors que le taux de chocircmage eacutetait descendu agrave moins de 54 Mais cette peacuteriode a dureacutemoins drsquoun an ce qui est bien trop court pour tirer des conclusions eacutetant donneacute le tempsde reacuteponse (long) de lrsquoinflation en regard de marcheacutes tendus Par exemple on peut esti-mer grossiegraverement que si le NAIRU est de 56 une anneacutee agrave 52 de chocircmage devraitfaire augmenter le taux drsquoinflation de 02 Une telle augmentation est bien tropminuscule pour ecirctre deacutetecteacutee dans les donneacutees Surtout lorsqursquoexactement au mecircmemoment des ameacuteliorations dans lrsquoindice des prix agrave la consommation reacuteduisent lrsquoinfla-tion mesureacutee Certes lrsquoexpeacuterience reacutecente offre reacuteellement quelque espoir que le NAIRU

soit agrave 55 Mais il serait preacutematureacute de tirer une conclusion agrave ce stade

Pour finir demandons-nous ce que faisait la parcimonieuse Reacuteserve Feacutedeacuterale pendantce tempshellip Au cours drsquoune peacuteriode de pregraves de 2 ans ougrave le chocircmage eacutetait agrave 56 (chiffreque la plupart des observateurs en 1994 pensaient infeacuterieur agrave celui du NAIRU) la ReacuteserveFeacutedeacuterale a drsquoabord du jour au lendemain releveacute son taux drsquointeacuterecirct de 125 (ennovembre 1994 et en feacutevrier 1995) pour ralentir lrsquoeacuteconomie ensuite elle lrsquoa rabaisseacutede 075 (en juillet 1995 deacutecembre 1995 et janvier 1996) pour donner un petit coup defouet agrave lrsquoeacuteconomie Apregraves cela jusqursquoen mars 1997 elle nrsquoest pas intervenue alors que letaux de chocircmage non seulement restait bas mais de surcroicirct deacuterivait agrave la baisse Selon moiune telle attitude nrsquoest pas digne drsquoun Harpagon la Reacuteserve Feacutedeacuterale devait plutocirct cher-cher agrave deacutecouvrir avec prudence (peut-ecirctre par hasard) agrave quel niveau pouvait ecirctre le NAIRU

La Reacuteserve Feacutedeacuterale maintenait-elle vraiment la croissance en dessous de son potentiel Rappelons-nous que la croissance tendancielle se deacutefinit comme le taux de croissance quisuffit agrave absorber lrsquoaugmentation annuelle de la main-drsquoœuvre et qui ne fait ni monter ni des-cendre le taux de chocircmage Observons maintenant les chiffres Entre le 1er trimestre 1994et le 1er trimestre 1997 le taux annuel de croissance du PNB a atteint en moyenne 26 Pendant ces deux ans et demi le taux de chocircmage a chuteacute drsquoenviron 07 ce qui signifieque les 26 de croissance sont leacutegegraverement au-dessus de la tendance

Affirmer que nous aurions pu progresser plus vite sans une inflation plus forterevient agrave dire que le chocircmage aurait pu chuter beaucoup plus qursquoil ne lrsquoa fait sans pourautant entraicircner une augmentation de lrsquoinflation Regardons agrave nouveau les chiffres Sila croissance avait atteint en moyenne les 35 au lieu des 26 le taux de chocircmageserait maintenant infeacuterieur agrave 4 niveau que lrsquoon a connu pour la derniegravere fois lors dela guerre du Vietnam Aucun observateur seacuterieux du marcheacute du travail ameacutericain necroit que nous avons ce niveau de main-drsquoœuvre inutiliseacutee En fait les teacutemoignages dupays entier abondent qui confirment lrsquoopinion geacuteneacuteralement admise que le marcheacutedu travail est maintenant tregraves tendu

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Le taux de chocircmage reacuteel

Extrait de Lester Thurow The Crusade Thats Killing ProsperityThe American Prospect ndeg25 March-April 1996

httpwwwprospectorgarchives2525thurhtml

Agrave lrsquoautomne 1995 le taux officiel de chocircmage aux Eacutetats-Unis stagnait aux environsde 57 Mais de la mecircme faccedilon que crsquoest la partie immergeacutee de lrsquoiceberg qui est laplus importante ces statistiques ne repreacutesentaient en fait qursquoun faible pourcentage dunombre de travailleurs cherchant davantage de travail

Agrave cette eacutepoque entre 75 et 8 millions drsquoAmeacutericains eacutetaient officiellement recenseacutescomme chocircmeurs Si on y ajoute drsquoune part les 5 agrave 6 millions de personnes qui ne tra-vaillent pas mais qui ne reacutepondent agrave aucun des tests pour ecirctre compteacutees parmi les actifssans emploi et ne sont donc pas consideacutereacutees comme chocircmeurs et drsquoautres part les45 millions de travailleurs agrave temps partiel qui souhaiteraient un emploi agrave plein tempson arrive agrave un total de 17 agrave 185 millions de personnes qui cherchent agrave travaillerdavantage Tout ceci porte le taux de chocircmage reacuteel agrave pregraves de 14

La faiblesse de la croissance a eacutegalement geacuteneacutereacute un eacutenorme contingent de main-drsquoœuvre sous-employeacutee On compte aux Eacutetats-Unis 81 millions de travailleurs tem-poraires 2 millions de personnes qui travaillent laquo sur demande raquo et 83 millions detravailleurs indeacutependants (dont un grand nombre de licencieacutes eacuteconomiques qui onttregraves peu de clients mais srsquointitulent eux-mecircmes consultants parce qursquoils sont trop fierspour admettre qursquoils sont au chocircmage) En additionnant les effectifs de ces trois popu-lations on aboutit agrave un total de plus de 18 millions de personnes la majoriteacute drsquoentreelles souhaitent elles aussi plus de travail et de meilleurs emplois Tous ces travailleurscontingents repreacutesentent eux aussi 14 de la population active Selon les termes dumagazine Fortune laquo La pression agrave la hausse sur les salaires est nulle car un tregraves grandnombre des personnes employeacutees font partie de ces travailleurs laquo contingents raquo quine disposent pas de pouvoir de neacutegociation face agrave un employeur et les employeacutes sala-rieacutes reacutealisent qursquoils doivent nager dans le mecircme oceacutean darwinien raquoTout comme leschocircmeurs ces travailleurs contingents exercent des pressions agrave la baisse sur les salaires

En outre il manque 58 millions drsquohommes ayant entre 25 et 60 ans soit 4 autres pour-cent de la population active qui figurent dans les recensements mais non dans les sta-tistiques du travail Ils ne beacuteneacuteficient pas de moyens de subsistance repeacuterables ce sontdes personnes qui sont en acircge de travailler ont eu un emploi autrefois ne sont pas enformation et sont encore trop jeunes pour ecirctre retraiteacutes On ne les voit ni dans les statis-tiques de lrsquoemploi ni dans celles du chocircmage Il srsquoagit drsquohommes qui volontairement ouagrave leur corps deacutefendant ont deacutecrocheacute du circuit normal certains sont devenus sansdomicile fixe les autres ont disparu dans lrsquoilleacutegaliteacute de lrsquoeacuteconomie souterraine

Si lrsquoon additionne ces trois groupes on arrive agrave la conclusion qursquoun Ameacutericain sur troisen acircge drsquoecirctre actif est potentiellement en train de rechercher du travail Ajoutez-y les11 millions drsquoimmigrants (leacutegaux ou illeacutegaux) qui sont entreacutes aux Eacutetats-Unis

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entre 1980 et 1993 et qui souhaitent travailler davantage et mieux gagner leur vie on arrive agrave un oceacutean de personnes qui sont soit au chocircmage soit sous-employeacutees soitnouvellement arriveacutees sur le territoire et agrave la recherche de travail

Ces millions de personnes agrave la recherche drsquoun emploi conduisent agrave mieux replacer agravelrsquoeacutechelle humaine la reacutesultante que chacun comprend aiseacutement agrave 5 heures du soir uneentreprise de taille moyenne speacutecialiseacutee dans la pacircte de verre annonce 10 postes agrave pour-voir sur son tableau drsquoaffichage le lendemain matin agrave 5 heures 2 000 postulantsforment deacutejagrave une file drsquoattente pour ces 10 postes

En somme il est fort peu probable que notre eacuteconomie ait beaucoup de champ avantdrsquoatteindre sa capaciteacute de plein emploi Il est plus probable en fait que nous avons deacutejagraveatteint ce point Les eacuteconomistes en sont-ils certains agrave 100 Bien sucircr que non il nesrsquoagit pas de physique ou drsquoune autre science exacte Mais si vous avez lrsquointention deparier le contraire vous risquez gros

La perspective agrave long terme

Venons-en maintenant au problegraveme le plus important les estimations sur la ten-dance de croissance de lrsquoeacuteconomie agrave long terme Pour commencer avec une estimationlaquo du haut vers le bas raquo rappelons que le chocircmage a chuteacute alors que la croissance du PNBatteignait environ 26 Cela signifie que la tendance doit ecirctre infeacuterieure agrave 26 paran Et de combien La faccedilon la plus simple drsquoestimer la tendance est de calculer la crois-sance reacuteelle du PNB agrave un intervalle de 2 ans avec un taux de chocircmage constant onpourrait drsquoailleurs tout aussi bien utiliser des trimestres mais le recours agrave des anneacuteesplutocirct qursquoagrave des trimestres permet de lisser les anomalies au niveau des donneacuteesLrsquoexemple le plus reacutecent drsquoun tel contexte est la peacuteriode de 1990 agrave 1995 Pendant ces5 anneacutees la croissance reacuteelle a atteint une moyenne de 19 par an

Un calcul inverse (laquo du bas vers le haut raquo) donne une estimation similaire Selon leslois de lrsquoarithmeacutetique le taux de croissance tendancielle de la production srsquoobtient enadditionnant le taux de croissance de la main-drsquoœuvre et celui de la productiviteacute de lamain-drsquoœuvre crsquoest-agrave-dire la production par heure travailleacutee Les estimations habi-tuelles situent chacun de ces chiffres autour de 11 par an Donc la croissance ten-dancielle est estimeacutee agrave 22 agrave 1 ou 2 dixiegravemes pregraves

Ougrave donc est lrsquoerreur Il ne peut guegravere y avoir matiegravere agrave discussion sur le taux de crois-sance tendancielle de la main-drsquoœuvre puisqursquoil est connu avec une tregraves faible margedrsquoerreur Notons au passage que la main-drsquoœuvre a augmenteacute drsquoenviron 17 lrsquoan

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dans les anneacutees 1980 et de 27 dans les anneacutees 1970 crsquoest lrsquoune des raisons pour les-quelles nous ne pouvons plus progresser aussi rapidement que nous le faisions alors etpar exemple des pheacutenomegravenes comme lrsquoeacutenorme augmentation de la main-drsquoœuvrefeacuteminine ne peuvent se reproduire

Le litige entre 22 et 35 de croissance potentielle ne provient donc pas de lamain-drsquoœuvre Son origine doit donc neacutecessairement se situer au niveau de lrsquoaugmenta-tion de la productiviteacute et crsquoest le cas La preuve de cette opinion geacuteneacuterale est soigneuse-ment reacutesumeacutee dans le graphique ci-dessous qui est adapteacute du Rapport eacuteconomique duPreacutesident de 1997 Il y est deacutemontreacute que la production horaire dans le secteur industrielameacutericain a progresseacute beaucoup plus lentement apregraves 1973 qursquoavant seulement 11 par an pendant 23 ans Un preacutevisionniste prudent aurait extrapoleacute cette tendance etnrsquoaurait pas supposeacute qursquoune brusque recrudescence de la productiviteacute eacutetait imminente

Le ralentissement de lrsquoaugmentation de productiviteacute

La production par heure travailleacutee dans le secteur industriel ameacutericain

1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995

40

60

80

120

100

Actual

Trend

Trend = 11 (annual rate)

Trend = 29 (annual rate)

Per

cen

t

January 1998 - April 1997 (Monthly) Source Department of Labour

Output per hour

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Lagrave les optimistes de la croissance se legravevent pour protester laquo Dites attendez uneminute avec tous les miracles technologiques dans lrsquoinformatique et les teacuteleacutecommu-nications et avec toute la restructuration industrielle comment pouvez-vous espeacuterernous faire admettre que la croissance de la productiviteacute aux Eacutetats-Unis est seulementde 11 par an Les chiffres doivent ecirctre faux raquo Jrsquoaimerais reacutepondre agrave cette objectionagrave 2 niveaux car drsquoune certaine faccedilon je suis agrave certains eacutegards en accord avec elle et endeacutesaccord agrave certains autres eacutegards

Le deacutesaccord lrsquoemporte quand mecircme Supposons que notre taux de croissance de la pro-ductiviteacute en cours de mesure officielle soit reacuteellement beaucoup plus eacuteleveacute que 11 Pourecirctre concrets utilisons par exemple lrsquoestimation Dole-Kemp de 24 Dans ce cas la crois-sance du PNB de 19 par an entre 1990 et 1995 aurait ducirc ecirctre obtenue avec moins de tra-vail puisque la production agrave lrsquoheure a augmenteacute plus rapidement En fait le nombredrsquoemplois salarieacutes a augmenteacute de presque 8 millions Crsquoest donc eacutevidemment faux Onpeut arriver agrave cette mecircme conclusion drsquoune autre faccedilon si la croissance reacuteelle de ces5 anneacutees se trouvait amputeacutee de 16 de croissance par an (19 au lieu de 35 ) le taux dechocircmage aurait ducirc croicirctre drsquoenviron 4 points sur cette peacuteriode En fait il est resteacute inchangeacute

Mais il y a une raison pour laquelle les optimistes de la croissance peuvent avoirraison il se peut que les donneacutees officielles sous-estiment la croissance de la produc-tiviteacute Les statistiques gouvernementales veulent nous faire croire que ce que les eacuteco-nomistes appellent laquo la productiviteacute totale des facteurs raquo (la variation positive de laproduction deacutecoulant de lrsquoefficaciteacute du travail des technologies et de lrsquoorganisationsans qursquoil soit besoin de facteurs de production additionnels) nrsquoa absolument pas aug-menteacute depuis 1977 Or cette proposition est absolument impensable

Les lecteurs de The American Prospect ont connaissance du reacutecent deacutebat sur la preacuteten-due distorsion de lrsquoindice des prix agrave la consommation Les arguments selon lesquels cetindice sur-eacutevalue lrsquoinflation sont irreacutefutables mecircme si lrsquoampleur de la distorsion estfortement contesteacutee En revanche moins nombreux sont ceux qui semblent avoirremarqueacute que nrsquoimporte quelle distorsion agrave la hausse dans la mesure de lrsquoinflationimplique une distorsion correspondante dans la mesure de la croissance reacuteelle Eteacutetant donneacute que la contribution de la main-drsquoœuvre est quantifieacutee assez preacuteciseacutementlrsquoerreur drsquoeacutevaluation porte au niveau de la productiviteacute Par exemple si lrsquoinflation estsurestimeacutee de 1 par an la croissance reacuteelle peut en fait ecirctre de 1 au-dessus des sta-tistiques officielles crsquoest-agrave-dire 3 au lieu de 2

Dans ce cas cependant ils ont encore tort ces optimistes de la croissance qui srsquoinsur-gent contre la Reacuteserve Feacutedeacuterale agrave qui ils reprochent drsquoavoir freineacute lrsquoeacuteconomie Les cri-tiques se trompent sur 2 points

Premiegraverement les erreurs drsquoeacutevaluation de la productiviteacute affectent les donneacutees duPNB au niveau reacuteel aussi bien que potentiel Donc elles nrsquoimpliquent en aucun cas que

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lrsquoeacuteconomie a plus de capaciteacute de reacuteserve que nous le pensons Le problegraveme nrsquoest pasque nous devrions croicirctre plus vite que nous ne le faisons mais crsquoest plutocirct que nouscroissons plus rapidement que ne le montrent les donneacutees

Eacutevidemment ceux qui preacutetendent que lrsquoeacuteconomie ameacutericaine a reacutecemment connuune pousseacutee de croissance de la productiviteacute doivent expliquer pourquoi lrsquoerreur demesure srsquoest aggraveacutee durant les deux derniegraveres anneacutees car les statistiques officiellesnrsquoindiquent pas une telle pousseacutee Personne nrsquoa encore proposeacute une explication agrave cela

Pourquoi existe-t-il un deacutesaccord

Les preuves que je viens de preacutesenter nrsquoont rien de secret elles sont agrave la dispositionde quiconque srsquoy inteacuteresse Pourquoi alors des gens intelligents raisonnent-ils autre-ment de Bob Dole et Jack Kemp agrave droite et agrave Lester Thurow et Feacutelix Rohatyn agrave gaucheen passant par Jerry Jasinowski au centre Jrsquoai trouveacute 6 raisons dont 3 sont lieacutees agrave desproblegravemes drsquoeacutevaluation

Tout drsquoabord comme nous venons de le noter la surestimation potentielle de lrsquoinfla-tion signifie que la croissance reacuteelle a probablement eacuteteacute sous-estimeacutee notre croissanceaurait peut-ecirctre bien eacuteteacute de 3 pendant les anneacutees 1990

Deuxiegravemement le gouvernement a modifieacute son systegraveme drsquoeacutevaluation au deacutebut de 1996en adoptant ce que les Verts appellent le PNB laquo chaicircneacute raquo Jusqursquoagrave la fin 1995 le gouverne-ment calculait le PNB reacuteel en valorisant tous les biens et services agrave des prix de 1987 ce quia fortement sureacutevalueacute certains eacuteleacutements les ordinateurs par exemple Le PNB laquo chaicircneacute raquoutilise des prix de marcheacute plus reacutecents et donc le poids des ordinateurs y est moins impor-tant Ceci produit naturellement une croissance mesureacutee moins rapide mecircme srsquoil nrsquoy apas de changement dans lrsquoeacuteconomie reacuteelle Le nouveau systegraveme drsquoeacutevaluation a probable-ment reacuteduit le taux de croissance de 1996 drsquoenviron trois quarts de point

Troisiegravemement notre systegraveme archaiumlque de statistiques accorde beaucoup tropdrsquoimportance aux industries de transformation alors que ce secteur ne repreacutesenteque 20 du PNB La performance en productiviteacute dans le domaine de la production indus-trielle a certes eacuteteacute excellente ces derniegraveres anneacutees et il nrsquoy a rien agrave redire lagrave Le problegraveme sesitue au niveau des 80 restants de lrsquoeacuteconomie qui occupent la plupart drsquoentre nous

Quatriegravemement la tendance agrave tout rendre public megravene droit agrave ce que jrsquoappelle laquo latyrannie de lrsquoanecdote seacutelective raquo La presse eacuteconomique comme les entreprises elles-mecircmes ont tendance agrave claironner les succegraves et passer sous silence les eacutechecs Quand desresponsables drsquoentreprises particuliegraverement florissantes me disent qursquoils ont obtenu desbeacuteneacutefices fabuleux je les crois Mais lrsquoeacuteconomie ameacutericaine reacuteelle ne fait en aucun cas laUne de Business Week Certaines entreprises reacuteduisent les effectifs et font faillitedrsquoautres srsquoautomatisent et obtiennent des reacutesultats catastrophiques Crsquoest la raison pourlaquelle nous avons besoin drsquoinformations agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoeacuteconomie dans son ensemble

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Cinquiegravemement on a tendance agrave oublier les problegravemes de reconversion qui vont depair avec des reacuteductions drsquoeffectifs Quand une grande entreprise se restructure pourproduire le mecircme reacutesultat avec beaucoup moins de main-drsquoœuvre sa productiviteacute aug-mente consideacuterablement Mais les employeacutes remplaceacutes doivent chercher du travailailleurs srsquoils trouvent un emploi dans une entreprise dont la valeur ajouteacutee paremployeacute est infeacuterieure la productiviteacute agrave lrsquoeacutechelle globale peut tregraves bien ne pas augmen-ter beaucoup en deacutepit des preacutetendus miracles qui lui sont attribueacutes

Pour terminer jrsquoen viens agrave ce qui est sans doute le plus mysteacuterieux et qui peut-ecirctreexplique la reacuteaction laquo Say it ainrsquot so Joe raquo les progregraves en informatique et dans les tech-niques de lrsquoinformation en geacuteneacuteral Comme lrsquoa eacutenonceacute Robert Solow laquo Lrsquoegravere de lrsquoinfor-matique se constate partout sauf dans les statistiques de productiviteacute raquo Pourquoi

Le rythme auquel lrsquoeacutelectronique a avanceacute est tout agrave fait eacutepoustouflant et les entre-prises communiquent maintenant agrave la vitesse de lrsquoeacuteclair Certaines servent leurs clientsau moyen de systegravemes automatiseacutes les distributeurs automatiques de billets le cour-rier vocal ou les ventes par Internet en constituent des exemples courants substituantles machines agrave lrsquohomme

Lrsquoinformatisation a eacutegalement reacutevolutionneacute certaines usines ainsi que la gestion destocks de nombreuses entreprises et ainsi de suite Tout cela est absolument incontestable

Mais ce nouveau monde informatiseacute est-il beaucoup plus laquo productif raquo dans le sensrestreint de la laquo production drsquoun PNB plus important par heure de travail raquo Les statis-tiques officielles disent que non En fait le moment de ralentissement dont on parle(graphique 2) correspond approximativement agrave lrsquoinvention de lrsquoordinateur person-nel De plus quand on examine les donneacutees secteur par secteur certaines des pires per-formances en productiviteacute se situent lagrave ougrave on aurait pu srsquoattendre agrave ce que lesinnovations dans les technologies de lrsquoinformation produisent les meilleurs dividen-des Que se passe-t-il donc

Personne nrsquoa de certitude mais mon approche est la suivante il ne faut pas se laisserprendre par le battage meacutediatique Bien sucircr que je peux maintenant surfer sur le Netenvoyer un e-mail en quelques secondes et avoir plus de puissance informatique surmon bureau que jamais auparavant Mais est-ce que cela mrsquoa fait produire plus de PNBpar heure de travail Nrsquooublions pas qursquoun changement perpeacutetuel de mateacuteriel et delogiciel nous maintient dans un processus drsquoapprentissage constant que les gens pas-sent des heures innombrables a explorer stupidement Internet et agrave jouer sur leur ordi-nateur et que la plupart drsquoentre nous souffrent drsquoun excegraves drsquoinformations plutocirct quedrsquoune peacutenurie Et puis aussi et crsquoest le plus important on peut se demander si le cer-veau humain nrsquoa pas avanceacute agrave un rythme diffeacuterent de celui du microprocesseur

Peut-ecirctre une productiviteacute miracle baseacutee sur lrsquoordinateur nous guette-t-elle au coinde la rue Peut-ecirctre mais si crsquoest le cas il srsquoagit de la rue drsquoagrave cocircteacute pas de celle-ci

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

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Ce que peut faire une politique intelligente

Une derniegravere remarque Jrsquoai eacutecrit cet article dans lrsquointention drsquoexaminer la reacutealiteacutenon de susciter le deacutesespoir Qursquoelle soit de 21 de 23 ou de 25 notre tendance decroissance eacuteconomique agrave long terme nrsquoest pas de nature constante La croissance peutse deacutevelopper gracircce agrave une politique eacuteconomique intelligente aussi bien que subir lesdommages occasionneacutes par une politique imbeacutecile

Ainsi par exemple la reacuteduction du deacuteficit budgeacutetaire gouvernemental devrait avoirpour moteur non un hommage agrave nos ancecirctres puritains mais la stimulation de la forma-tion du capital et ainsi lrsquoacceacuteleacuteration de la croissance eacuteconomique De la mecircme faccediloncela fait longtemps que je reacuteclame des investissements plus importants dans les domainesde lrsquoeacuteducation et de la formation car ils favorisent la croissance Et lrsquoargument le plus eacuteleacute-mentaire en faveur du deacuteveloppement et de la recherche subventionneacutes par le gouverne-ment crsquoest que la R amp D est le maillon essentiel de la croissance de la productiviteacute totaledes facteurs Mecircme des impocircts bien conccedilus ou des politiques commerciale ou de reacutegula-tion ne peuvent apporter qursquoune contribution modeste et passagegravere agrave la croissance

Nombreuses sont ces politiques qui meacuteriteraient drsquoecirctre meneacutees Une combinaisonbien choisie pourrait ajouter un quart ou mecircme une moitieacute de point au taux de crois-sance eacuteconomique pour un temps ce qui serait certainement une superbe prouesseMais il y va de la croissance eacuteconomique comme de tout autre domaine on doit semeacutefier des moulins agrave paroles qui promettent des remegravedes miracles Rien je le reacutepegravete rienque les eacuteconomistes ne connaissent sur la croissance ne donnera la recette du point depourcentage suppleacutementaire au taux de croissance national sur une base durable Mecircmesi nous voulions qursquoil en soit autrement il faut bien dire laquo qursquocrsquoest pas vrai raquo

Le NAIRU en Europe et en France

Extrait de laquo Croissance inflation et emploi dans la zone euro Reacuteflexions sur le sentier de croissance europeacuteenne agrave moyen terme raquo

par Ch de Boissieu et MC Marchesi Centre dObservation Economique(COE de la Chambre de Commerce et dIndustrie de Paris)

Contribution au XIVe colloque de reacuteflexion eacuteconomique du Seacutenatlaquo Quelles perspectives de croissance dans la zone euro raquo le 16 juin 1999

httpwwwsenatfrrapr98-466r98-4665html

Notre hypothegravese le reacutegime de basse inflation va se prolonger

Linflation nest pas uniforme dans la zone euro et les situations asymeacutetriques du cocircteacutede la croissance et de linflation ne vont pas disparaicirctre du jour au lendemain Agrave sen

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tenir aux pays du noyau dur le taux dinflation devrait agrave lhorizon des trois-quatreprochaines anneacutees demeurer modique (en rythme annuel compris entre 0 et 2 plus probablement entre 0 et 15 ) Cette hypothegravese ne tient pas compte du deacutebatpar ailleurs justifieacute sur la bonne mesure de linflation mais les premiers travaux effec-tueacutes par lINSEE sur ce sujet suggegraverent quen France la correction agrave apporter serait delordre de 03-04 en rythme annuel (en moins) contre 1 agrave 2 aux Eacutetats-UnisNotre vue prospective reacutesulte elle-mecircme de la conjugaison de plusieurs eacuteleacutements

a) La remonteacutee reacutecente des prix du peacutetrole et de quelques autres matiegraveres premiegraveresne peut ecirctre extrapoleacutee Fondamentalement et malgreacute une deacutemonstration inverse detemps agrave autre lOPEP est et va rester un cartel faible traverseacute par des dissensions sansoublier le poids des producteurs agrave lexteacuterieur du cartel Par delagrave dineacutevitables fluctua-tions agrave court terme les prix du peacutetrole et des grandes matiegraveres premiegraveres vont ecirctre plusinfluenceacutes par le sentier deacutevolution de la demande donc par la croissance agrave moyenterme de leacuteconomie mondiale que par lincertaine organisation de loffre

b) Le chocircmage va rester eacuteleveacute dans la zone euro speacutecialement dans certains pays dunoyau dur (France Allemagne) Raisonnons pour la France avec un NAIRU de8 agrave 9 (donc proche de sa valeur actuelle une estimation leacutegegraverement infeacuterieure agravecelle habituellement retenue par exemple celle du FMI comprise entre 9 et 10 ) Enpartant dun taux de chocircmage effectif de 11 (pour simplifier) il faudrait avec unecroissance annuelle de 3 de cinq agrave huit anneacutees pour retomber au NAIRU Et le tauxde chocircmage naturel lui-mecircme devrait progressivement sabaisser en Europe commeil la fait aux Eacutetats-Unis sous leffet de la croissance des nouvelles technologies delessor des services etc Conclusion il existe encore en Europe continentale unemarge significative avant que la courbe de Phillips joue agrave plein et que la reacuteduction duchocircmage ne provoque des tensions sur les coucircts salariaux unitaires et sur les prix

c) Mecircme si la nouvelle eacuteconomie ameacutericaine comporte des speacutecificiteacutes eacutevidentescertaines de ses composantes vont concerner lEurope pour les dix prochaines anneacuteesOn pense bien sucircr aux effets deacutejagrave preacutesents de la concurrence et de la globalisation surla formation des prix (ougrave sont aujourdhui en France les secteurs abriteacutes de la concur-rence internationale et speacutecialement de la concurrence europeacuteenne Mecircme si les ser-vices publics les plus traditionnels sont deacutesormais exposeacutes) mais aussi aux nouvellestechnologies aux gains de productiviteacute agrave en attendre et donc au sentier deacutevolutiondes coucircts salariaux unitaires Pour les nouvelles technologies le pheacutenomegravene de rat-trapage devrait jouer agrave tous les niveaux la France va combler une partie de son retardvis-agrave-vis des Eacutetats-Unis et lAllemagne va elle-mecircme dans les anneacutees qui viennent rat-traper la France se creacuteant ainsi de nouvelles marges de croissance et de productiviteacuteAvec des taux de chocircmage qui mecircme en baisse vont rester agrave lhorizon des cinq pro-chaines anneacutees au dessus du NAIRU et des reacuteserves de nouvelles technologies quiengendrent des reacuteserves de gains de productiviteacute on voit mal dougrave pourrait venir agravelhorizon de lanalyse linflation salariale

Chapitre 4

Le paradoxe boursier

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Ougrave se fondent les anticipations

Extrait de Alan Greenspan laquoThe American economy in a world contextraquoThe Federal Reserve Board Remarks by Chairman Alan Greenspan

At the 35th Annual Conference on Bank Structure and Competition of theFederal Reserve Bank of Chicago Chicago Illinois May 6 1999

httpwwwbogfrbfedusboarddocsspeeches199919990506htm

Agrave partir de 1993 lrsquoinvestissement en capital et tout particuliegraverement en haute tech-nologie a augmenteacute tregraves nettement au-dessus de ce que lrsquoon connaissait dans le con-texte habituel des cycles eacuteconomiques sans doute ce pheacutenomegravene a-t-il traduitcomme toujours une anticipation de rendements accrus Si ces espoirs de profit nesrsquoeacutetaient pas mateacuterialiseacutes on aurait ducirc assister agrave une chute des deacutepenses or lrsquoaugmen-tation de leur rythme srsquoest maintenue pendant toute la deacutecennie

On trouve dans les donneacutees des entreprises une preuve plus directe et de plus en pluseacutevidente de cette profitabiliteacute sous-jacente Il semble vraisemblable que les synergiesentre elles des avanceacutees technologiques dans les domaines du laser des fibres opti-ques des satellites et de lrsquoinformatique mais aussi les synergies de ces technologiesavec drsquoautres plus anciennes aient eacutelargi le champ des opportuniteacutes et deacuteboucheacute surun taux de rendement supeacuterieur au coucirct du capital La pousseacutee dans lrsquoexploitation deces taux de rendement potentiels laquo excessifs raquo srsquoest trouveacutee stimuleacutee par lrsquoacceacuteleacuterationde la baisse des prix des eacutequipements de haute technologie amorceacutee en 1995 Lrsquoallo-cation de capaciteacute de production investie dans des domaines restreints de la techno-logie a entraicircneacute une importante baisse suppleacutementaire des prix Le rythme soutenudes innovations a encourageacute un raccourcissement du cycle de vie des produits et con-tribueacute aussi agrave entraicircner vers le bas le prix des eacutequipements de haute technologie

Rares sont ceux qui dans les affaires font eacutetat drsquoune diminution significative du poten-tiel de ces synergies qui sont encore agrave la fois profitables et inexploiteacutees Au cours de cesderniegraveres anneacutees le monde des affaires srsquoest souvent deacuteclareacute capable drsquoexploiter cepotentiel pour financer des investissements substitutifs des coucircts de main-drsquoœuvre silrsquoaugmentation de ceux-ci agrave court terme devait devenir trop sensible

Ce point de vue est partageacute par des analystes boursiers dont on peut supposer qursquoilsconnaissent bien les entreprises qursquoils suivent Cette veacuteritable armeacutee de techniciensprojette des croissances de gains agrave cinq ans qui sont de plus en plus eacuteleveacutes enmoyenne et ce agrave en croire IBES socieacuteteacute drsquoeacutetude de Wall Street qui consolide ces esti-mations pour le S amp P 500 depuis le deacutebut de lrsquoanneacutee 1995 En janvier 1995 les ana-lystes projetaient que les gains sur cinq ans augmenteraient en moyenne de 11 paran Apregraves plusieurs reacutevisions agrave la hausse ils ont estimeacute en mars 1999 lrsquoaugmentationagrave 135 par an (en profit pondeacutereacute) ce qui repreacutesente un veacuteritable apogeacutee pour cette

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phase drsquoexpansion Mecircme srsquoil existe un certain nombre de donneacutees permettant deconclure que ces estimations sont biaiseacutees agrave la hausse on ne dispose pas de preuvessuffisantes pour contredire la tendance

On a peu matiegravere agrave douter que les constantes reacutevisions agrave la hausse des analystes reflegrave-tent ce que leur transmettent les entreprises pour ce qui est de lrsquoameacutelioration du con-trocircle de leurs coucircts qui consideacutereacutes sur la base consolideacutee de lrsquoeacuteconomie du paysajoute agrave lrsquoacceacuteleacuteration de la productiviteacute du travail Les autres explications mdash une crois-sance plus rapide des gains sur les opeacuterations agrave lrsquoeacutetranger lrsquoacceacuteleacuteration du taux drsquoaug-mentation des valeurs ajouteacutees pour les prix consentis ou encore lrsquoargument plusmacroeacuteconomique drsquoune augmentation toujours plus forte de la main-drsquoœuvre dis-ponible mdash ne sont pas creacutedibles Apparemment donc les entreprises signalent auxanalystes que agrave ce jour elle nrsquoanticipent pas de diminution quant agrave lrsquoacceacuteleacuteration dela productiviteacute Cela ne veut pas dire pour autant que les analystes ont raison ou queles entreprises ne se trompent pas cela signifie simplement que ce que les entreprisesdisent agrave lrsquoeacutevidence aux analystes quant agrave leur productiviteacute et agrave leurs profits se reflegravetesans doute aucun dans les projections de profits agrave long terme En tout eacutetat de causeles donneacutees macro-eacuteconomiques disponibles aujourdrsquohui ne montrent pas de preuvesdrsquoun ralentissement de la croissance de la productiviteacute

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Est-ce une bulle

Edward YARDENI1

Feacutevrier 2000

Valeurs de lrsquoancienne ou de la Nouvelle eacuteconomie Le marcheacute boursier connaicirct-ilactuellement une bulle speacuteculative Les tenants optimistes de la Nouvelle eacuteconomie(les laquo bulls raquo) reacutepondent agrave cette question par un laquo non raquo cateacutegorique Les partisans desmeacutethodes traditionnelles de valorisation (les laquo bears raquo) font entendre un grand laquo oui raquotout aussi cateacutegorique Pour lrsquoinstant ce sont les premiers qui ont raison Les gagnantsde la Nouvelle eacuteconomie sont les entreprises des secteurs de la technologie des teacuteleacute-communications des meacutedias et des loisirs Ensemble ces diffeacuterents secteurs repreacutesen-tent maintenant 43 mdash niveau stupeacutefiant mdash de la capitalisation boursiegravere duSampP 500 soit le double de la faible capitalisation de 21 atteinte en 1997(Graphique 1 )

Prenons lrsquohypothegravese la plus extrecircme et supposons que les investisseurs (et mecircmeoui les speacuteculateurs) forts de leur sagesse commune eacutevaluent correctement les titresde la Nouvelle eacuteconomie Il est toujours hasardeux de deacuteclarer que laquo cette fois-ci crsquoestdiffeacuterent raquo Lrsquohistoire a tendance agrave se reacutepeacuteter mais avec cependant toujours de leacutegegraveresvariations La nature humaine nrsquoa guegravere ou pas du tout changeacute depuis Adam et Egraveve Etpourtant peut-ecirctre la bulle qui semble caracteacuteriser les actions de la Nouvelle eacuteconomieest-elle diffeacuterente des bulles preacuteceacutedentes

Tulipes ou laquo com raquo Par le passeacute la plupart des bulles speacuteculatives sont apparueslorsque de nombreux acheteurs disposant drsquoargent agrave bon marcheacute se preacutecipitaient surce qui semblait ecirctre une offre restreinte de marchandises tulipes or ou peacutetrole brutLa speacuteculation nrsquoavait alors pour seul effet que de faire augmenter les prix ce qui sti-mulait en retour la production et entraicircnait finalement une baisse des prix de la mar-chandise rechercheacutee perccedilant ainsi la bulle Aux Eacutetats-Unis la speacuteculation sur lesobligations des chemins de fer a malgreacute tout permis de financer la grande reacutevolution

1EDWARD YARDENI est Chief Economist responsable de la strateacutegie mondiale drsquoinvestissement et direc-teur de Deutsche Bank Securities Il est lrsquoauteur de nombreux articles publieacutes entre autres dans le WallStreet Journal le New York Times et la revue Barronrsquos Ce texte en franccedilais reproduit avec lrsquoaimable auto-risation de lrsquoauteur a eacuteteacute publieacute sur le site Dr Ed Yardenirsquos Economics Network httpwwwyar-denicomfrenchaa000214Frepdf Copyright copy 2000 Deutsche Bank Securities and Alex Brown Inc

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qursquoont connue les transports au deacutebut du vingtiegraveme siegravecle Mais des capitaux excessifsentraicircnegraverent des capaciteacutes excessives qui firent eacuteclater la bulle

Lrsquoun des plus grands strategraveges de Wall Street a dit que les actions ne sont finalementque de simples feuilles de papier correspondant chacune agrave une histoire preacutecise Lors-que tout le monde srsquoenthousiasme au mecircme moment pour des titres racontant lamecircme histoire lrsquoaction correspondante et ses nouveaux concurrents attirent des som-mes drsquoargent trop importantes jusqursquoagrave ce que les reacutesultats financiers deacutecevants ramegrave-nent tout le monde agrave la reacutealiteacute Bien sucircr les marcheacutes boursiers ont deacutejagrave connu des bullesspeacuteculatives particuliegraverement en 1929 (Eacutetats-Unis) et en 1989 (Japon) Historique-ment ces bulles se sont en geacuteneacuteral mal termineacutees leur eacuteclatement a souvent eu de gra-ves conseacutequences eacuteconomiques

Agrave lrsquoheure actuelle la valorisation des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes technologiques donnele vertige Le tableau 1 preacutesente les coefficients de capitalisation des reacutesultats (PER)des 100 socieacuteteacutes agrave plus forte capitalisation coteacutees sur le NASDAQ Sur la base des beacuteneacute-fices preacutevisionnels du consensus drsquoanalystes pour lrsquoanneacutee le PER moyen atteint lavaleur astronomique de 100 qui reste malgreacute tout infeacuterieure au PER de 237 obtenuagrave partir des beacuteneacutefices de 1999 En comparaison lrsquoindice boursier SampP 500 qui com-prend 69 valeurs technologiques affiche un PER de 24 (Graphique 2) Une bulle agravenrsquoen pas douter clament les partisans de la valorisation Jrsquoai tendance agrave ecirctre du mecircmeavis mais qursquoest-ce que ccedila change Certaines des entreprises sureacutevalueacutees du NASDAQpeut-ecirctre mecircme un grand nombre drsquoentre elles ne connaicirctront pas la croissancerapide des beacuteneacutefices que preacutevoient les investisseurs Mais les beacuteneacutefices drsquoun certainnombre de ces entreprises ont deacutepasseacute les preacutevisions et pourraient continuer sur leurlanceacutee

Les laquo histoires raquo des titres de la Nouvelle eacuteconomie diffegraverent des tulipes qui ont parle passeacute susciteacute lrsquoengouement des speacuteculateurs Pour commencer les speacuteculateurs nemisent pas sur une seule histoire Les technologies les teacuteleacutecommunications les meacutediaset les loisirs englobent un grand nombre drsquoactiviteacutes varieacutees srsquoadressant aux entrepriseset aux consommateurs Les marcheacutes de ces produits et de ces services sont veacuteritable-ment mondiaux et affichent de superbes perspectives de croissance La Nouvelle eacuteco-nomie est extrecircmement concurrentielle Pour srsquoimposer les entreprises doiventsatisfaire aux quatre conditions suivantes

1) Elles doivent reacuteduire leurs coucircts en permanence

2) Elles doivent ameacuteliorer leur productiviteacute en permanence

3) Elles doivent constamment innover crsquoest-agrave-dire commercialiser de nouveauxproduits et services

4) Elles doivent avoir des capaciteacutes de distribution mondiales

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a plupart des entreprises satisfont aux deux premiegraveres conditions Mais combiensatisfont eacutegalement aux deux derniegraveres Elles ne sont pas nombreuses agrave entrer danscette cateacutegorie et il srsquoagit pour la plupart drsquoentreprises des secteurs de la technologiedes teacuteleacutecommunications des meacutedias et des loisirs Peut-ecirctre meacuteritent-elles alors leurscoefficients de capitalisation tregraves eacuteleveacutes

Par le passeacute les bulles speacuteculatives attiraient des centaines de speacuteculateurs qui agrave partdes prix plus eacuteleveacutes ne produisaient pas grand chose Agrave lrsquoheure actuelle la Nouvelleeacuteconomie attire les eacuteleacutements les plus brillants de lrsquoancienne eacuteconomie Leurs talentscreacuteatifs seront semble-t-il mieux exploiteacutes agrave leurs nouveaux postes Bon nombre de cesmaicirctres de lrsquounivers srsquoattendent agrave faire fortune Mais ce ne sera le cas que si le cours deleurs actions grimpe en flegraveche une fois que les investisseurs et les speacuteculateurs aurontestimeacute que leur entreprise a de bonnes chances de reacuteussir dans la Nouvelle eacuteconomie

Argent agrave bon marcheacute ou capitaux agrave bon marcheacute Par le passeacute les bulles speacutecula-tives attiraient trop de capitaux qui entraicircnaient des exceacutedents de production et decapaciteacutes Agrave lrsquoheure actuelle la Nouvelle eacuteconomie beacuteneacuteficie de capitaux qui coulent

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agrave flot Agrave nrsquoen pas douter certains de ces investissements nrsquoauront aucune valeur Maisun certain nombre drsquoentre eux produiront probablement de nouveaux produits et ser-vices destineacutes agrave des marcheacutes de plus en plus mondiaux

Nikkei ou NASDAQ Au cours de nombreuses conversations avec de nombreux ges-tionnaires de portefeuilles lrsquoan dernier nous avons reconnu agrave lrsquounanimiteacute que le mar-cheacute boursier connaissait actuellement une bulle speacuteculative classique Toutes cesconversations se sont conclues par le mecircme refrain laquo ccedila va mal se terminer raquo Bien sucircrnous savions que la plupart des titres nrsquoeacutetaient pas sureacutevalueacutes par la bulle Le problegravemese limitait avant tout aux valeurs boursiegraveres de la technologie et de la communicationet concernait avant tout lrsquoindice NASDAQ agrave preacutepondeacuterance technologique Il eacutetait par-ticuliegraverement inquieacutetant de constater la hausse impressionnante du cours des valeursdes socieacuteteacutes laquo com raquo introduites en bourse dont la plupart nrsquoavaient aucune chancedrsquoafficher des beacuteneacutefices dans un avenir proche

Pour lrsquoinstant cette anneacutee la bulle du NASDAQ nrsquoa cesseacute de gonfler en grande partiesous lrsquoeffet des valeurs technologiques Pendant ce temps lrsquoadjectif laquo meacutediocre raquo restele qualificatif qui deacutecrit le mieux les performances du reste du marcheacute boursier Lrsquoandernier jrsquoai fait remarquer que lrsquoeacutetroit marcheacute haussier des valeurs technologiquesmasquait un large marcheacute baissier ougrave deacuteclinait le reste des valeurs En effet pregravesde 70 des titres coteacutes agrave la bourse de New York ont enregistreacute une baisse en 1999 Pourlrsquoinstant cette anneacutee ce pourcentage est de 68 (Graphique 3) Au lieu de srsquoeacutelargir lemarcheacute haussier semble continuer agrave se reacutetreacutecir la plupart des valeurs se laissant entraicirc-ner par la tendance agrave la baisse Parmi mes collegravegues agrave la strateacutegie pro-achat beaucoupreconnaissent que tout cela se terminera mal mais ils continuent quand mecircme agrave deacutete-nir la plupart des titres qui sont le plus sureacutevalueacutes laquo Nous nrsquoavons pas le choix nousdevons nous inteacuteresser agrave ces titres speacuteculatifs expliquent-ils Beaucoup trop de ges-tionnaires de portefeuilles laquo valeur raquo risquent de perdre leur emploi raquo

Agrave la fin de lrsquoan dernier le parallegravele frappant qui existait entre le NASDAQ de lapeacuteriode 1998-fin 1999 et le Nikkei de la peacuteriode 1988-fin 1989 a intrigueacute bon nombredrsquoentre nous (Graphique 4) La bulle du Nikkei a eacuteclateacute en 1990 Il existe une correacutela-tion du mecircme ordre entre le NASDAQ de 1998 jusqursquoagrave maintenant et le prix de lrsquoorentre 1978 et 1980 (Graphique 5) Ces correacutelations semblent indiquer que la bulle duNASDAQ pourrait bien connaicirctre le mecircme sort en 2000 Pour lrsquoinstant rien de tel nesrsquoest produit Au contraire lrsquoindice NASDAQ a augmenteacute de 9 cette anneacutee apregraves deshausses spectaculaires de 41 en 1998 et de 84 en 1999 (Graphiques 6 et 7)

Seul lrsquoavenir dira si la hausse du NASDAQ nrsquoest qursquoune bulle parmi drsquoautres ou au con-traire une valorisation leacutegitime de la Nouvelle eacuteconomie Les beacuteneacutefices impression-nants reacutealiseacutes au quatriegraveme trimestre de lrsquoan dernier semblent faire pencher la balanceen faveur de cette deuxiegraveme hypothegravese les beacuteneacutefices drsquoexploitation du SampP 500 ontprogresseacute de plus de 20 par rapport agrave la mecircme eacutepoque lrsquoanneacutee preacuteceacutedente Le pour-

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centage de reacutesultats neacutegatifs impreacutevus est descendu au niveau le plus bas enregistreacutedepuis plusieurs anneacutees (Graphiques 8 et 9) ce qui a eacutegalement de quoi impression-ner

Pirates eacutelectroniques ou FBI La semaine derniegravere des pirates informatiques ontlanceacute quelques attaques reacuteussies contre plusieurs sites Web qui figurent parmi les plusimportants drsquoInternet et dont les services sont alors devenus inaccessibles Ils sont par-venus agrave les paralyser pendant quelques heures en les bombardant de fausses deman-des

Le FBI srsquoefforce de localiser les auteurs de ces attaques Mais il est peu probable qursquoily arrive Il existe certes des contre-mesures qui obligeront tous les serveurs relieacutes agraveInternet agrave adopter des mesures de seacutecuriteacute beaucoup plus strictes Drsquoun cocircteacute on peut sereacutejouir que les pirates nrsquoaient pas endommageacute les fichiers des sites Web attaqueacutes Drsquounautre cocircteacute si le FBI nrsquoarrive pas agrave mettre un terme agrave ces attaques le trafic et la fiabiliteacutedrsquoInternet pourraient en pacirctir Agrave court terme cela pourrait percer la bulle du secteurInternet sur les marcheacutes financiers et refroidir lrsquoenthousiasme des investisseurs quiachegravetent ce type drsquoactions et financent ce genre de projets Agrave long terme de meilleuresmeacutethodes de seacutecuriteacute seront ineacutevitablement adopteacutees

Note Retrouvez lrsquoensemble des graphiques illustrant cet article agrave lrsquoadressesuivante

httpwwwyardenicomfrenchaa000214Frepdf

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Une succession de corrections

Edward YARDENI1

Avril 2000

Ceux qui oublient le passeacute sont condamneacutes agrave le revivre On ne peut pas vrai-ment prouver qursquoune bulle est une bulle jusqursquoagrave ce qursquoelle eacuteclate Ainsi que lrsquoa fortjustement expliqueacute le preacutesident de la Fed M Alan Greenspan le 17 juin 1999 aucours de sa deacuteposition devant le Congregraves laquo Mais la plupart du temps on ne se rendcompte que lrsquoon a eu affaire agrave une bulle qursquoapregraves coup Parler de bulle avant tout lemonde suppose que lrsquoon a deacutetermineacute que des centaines de milliers drsquoinvestisseurs setrompent complegravetement Or il est geacuteneacuteralement risqueacute de parier agrave contre-courantdu marcheacute raquo

Je suis drsquoavis que le marcheacute haussier des actions nrsquoest pas la bulle classique deacutecritepar M Greenspan cette anneacutee Il me semble en fait plus exact de dire que depuislrsquoeacuteteacute 1998 le tregraves eacutetroit marcheacute haussier de la laquo nouvelle eacuteconomie raquo dissimule le tregraveslarge marcheacute de laquo lrsquoancienne eacuteconomie raquo Il ne srsquoagit pas drsquoune seule bulle au sein dumarcheacute de la nouvelle eacuteconomie mais de plusieurs bulles qui sont en train drsquoeacuteclaterou tout au moins de commencer agrave se deacutegonfler

Je crois que cette eacutetape aura un effet salubre en insufflant un peu drsquooxygegravene auxactions sous-eacutevalueacutees de lrsquoancienne eacuteconomie tout particuliegraverement dans les sec-teurs de lrsquoeacutenergie de la distribution et de la finance Je preacutevois mecircme un regain defaveur pour quelques-uns des plus grands noms mondiaux des produits de grandeconsommation ou pharmaceutiques en raison de leur aptitude agrave geacuteneacuterer des reacutesul-tats plus modestes mais plus preacutevisibles Lrsquoeacuteconomie a connu une laquo succession dereacutecessions raquo durant les anneacutees 80 et a afficheacute une croissance plus stable et plus eacutegaledepuis le deacutebut de la derniegravere deacutecennie Agrave lrsquoheure actuelle la bourse subit unelaquo succession de corrections raquo et il devient difficile de qualifier le marcheacute de haussierou de baissier

1 EDWARD YARDENI est Chief Economist responsable de la strateacutegie mondiale drsquoinvestissement et direc-teur de Deutsche Bank Securities Il est lrsquoauteur de nombreux articles publieacutes entre autres dans le WallStreet Journal le New York Times et la revue Barronrsquos Ce texte en franccedilais reproduit avec lrsquoaimable auto-risation de lrsquoauteur a eacuteteacute publieacute sur le site Dr Ed Yardenirsquos Economics Network httpwwwyar-denicomfrenchaa000403Frepdf Copyright copy 2000 Deutsche Bank Securities and Alex Brown Inc

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Un grand nombre drsquoinvestisseurs chevronneacutes ont deacuteceleacute dans la bourse ameacutericaineles symptocircmes drsquoune bulle degraves octobre 19981 Lrsquoassouplissement de la politique de laFed lors de la crise de la Reacutepublique populaire de Greenwich (autrement dit lrsquoeffondre-ment du fonds drsquoinvestissement speacuteculatif mdash hedge fund mdash Long-Term Capital Mana-gement baseacute dans lrsquoEacutetat du Connecticut) a provoqueacute un rebond eacutetonnant des cours dela bourse les indices boursiers Dow Jones SampP 500 et NASDAQ ont enregistreacute des haus-ses respectives de 42 55 et 214 depuis cette date Une analyse un peu plusdeacutetailleacutee reacutevegravele que la bulle concerne visiblement lrsquoindice NASDAQ avant tout La plusforte avanceacutee de la courbe des progressionsreculs de la Bourse de New York remonteen fait agrave avril 1998 Depuis cette date 79 des titres coteacutes agrave la bourse de New York ontaccuseacute une baisse de leur cours2 La bourse est un marcheacute drsquoactions et la plupart drsquoentreelles subissent les effets drsquoun marcheacute baissier depuis deux ans Le marcheacute haussier esten fait tregraves limiteacute et ressemble agrave certains eacutegards agrave une bulle

Depuis un an on a pu en fait observer plusieurs bulles particuliegraverement dans lessecteurs du commerce eacutelectronique et de la biotechnologie Pas de catastrophe pour lesbeacuteneacutefices des socieacuteteacutes technologiques La chute rapide observeacutee reacutecemment pour cesdeux secteurs a certainement permis de deacutegonfler un tant soit peu la bulle du NASDAQLa liquidation atteint maintenant les actions cyber-technologiques

1 Jrsquoappelle laquo investisseur chevronneacute raquo tout investisseur qui sait que les initiales laquo VC raquo nrsquoont pas tou-jours signifieacute laquo venture capitalist raquo (investisseur en capital risque) Il fut un temps ougrave laquo VC raquo signifiaitViet Cong2 On trouvera un graphique de cette seacuterie reacuteguliegraverement mis agrave jour agrave lrsquoadresse suivante wwwyar-

denicomstocklabasp

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Les investisseurs des secteurs technologiques redoutent la catastrophe Lrsquoeacuteclatementde la bulle du secteur Internet provoquerait un recul des deacutepenses effectueacutees par lessocieacuteteacutes laquo pointcom raquo nouvelles et existantes en eacutequipement informatique ordina-teurs personnels serveurs logiciels routeurs et mateacuteriel de teacuteleacutecommunications

Pour un grand nombre de laquo pointscom raquo extrecircmement deacutepensiegraveres lrsquoimpossibiliteacutede faire appel agrave des financements suppleacutementaires entraicircnerait pratiquement certai-nement la faillite Si les gloutons du secteur technologique meurent de faim les speacute-culateurs en seront pour leurs frais

Mes preacutevisions au sujet des deacutepenses et des revenus du secteur technologique sontplus optimistes En fait je pense que nous sommes au seuil de la Phase II de la reacutevolu-tion du laquo high-tech raquo Au cours de la Phase I tout au long de la derniegravere deacutecennielrsquoordinateur personnel eacutetait litteacuteralement en train de prendre son eacutelan Ce nrsquoest quevers la fin des anneacutees 90 que lrsquoordinateur personnel et Internet ont donneacute naissance agraveune technologie tregraves utile permettant aux socieacuteteacutes de reacuteduire leurs coucircts de fonction-nement et drsquoaccroicirctre la productiviteacute Je preacutevois qursquoau cours de la prochaine deacutecennielrsquoassociation de lrsquoordinateur personnel drsquoInternet de lrsquoaccegraves agrave large bande de la tech-nologie sans fil et des eacutequipements lieacutes agrave Internet auront pour effet drsquoacceacuteleacuterer lrsquoeacutemer-gence de la Net-eacuteconomie crsquoest-agrave-dire de la nouvelle eacuteconomie

Les deacutepenses en eacutequipement technique vont fortement beacuteneacuteficier de la prolifeacuteration desNet-eacutechanges crsquoest-agrave-dire des marcheacutes et chaicircnes drsquoapprovisionnement eacutelectroniques

Les deacutepenses de consommation en eacutequipements lieacutes agrave Internet (notamment les teacuteleacute-phones portables boicirctiers deacutecodeurs eacutequipement photographique numeacuterique etappareils meacutenagers) seront eacutegalement agrave lrsquoorigine drsquoune demande importante dans lesecteur de la technologie

En fin de compte la technologie nrsquoest plus une activiteacute cyclique La croissance ten-dancielle de lrsquoindustrie est si forte qursquoelle annihile toutes les pressions de nature cycli-que1

Creacutedit sur marge Il ne fait aucun doute que lrsquoabondance du creacutedit sur marge acontribueacute agrave lrsquoinflation de quelques-unes des bulles de la bourse Nous sommes nom-breux agrave avoir demandeacute agrave la Fed de renforcer les exigences de couverture de creacutedit surmarge au lieu de relever les taux drsquointeacuterecirct de faccedilon agrave deacutegonfler un peu les bulles Lemois dernier la reacuteponse eacutecrite du preacutesident de la Fed aux questions poseacutees par lesparlementaires (au cours de sa deacuteposition semi-annuelle devant le congregraves ameacuteri-cain selon les termes de la loi Humphrey-Hawkins) contenait les observationssuivantes

1 Jrsquoanalyse cette situation dans laquo High-Tech Trends raquo (les tendances du high-tech) mis agrave jour reacuteguliegrave-rement agravelrsquoadresse suivante httpwwwyardenicomcyberasp

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En ce qui concerne les exigences de couverture des analyses effectueacuteespar le passeacute suggegraverent que les modifications de ces conditions nrsquoont paseu drsquoimpact appreacuteciable et preacutevisible sur les cours des actions Ce quinrsquoempecircche pas la Federal Reserve [Bank] drsquoadmettre que lrsquoutilisation decreacutedit sur marge pour les achats de titres de participation est assortie drsquounrisque consideacuterable tout particuliegraverement au sein de marcheacutes volatils[La Banque] estime de mecircme que les precircteurs aussi bien que les emprun-teurs devraient eacutevaluer soigneusement les risques preacutesenteacutes par leursopeacuterations sur marge

Bien que certaines firmes de courtage aient effectivement renforceacute leurs exigencesde couverture il nrsquoen reste pas moins que ce type drsquoopeacuterations a connu une croissanceexplosive de 83 milliards de dollars au cours des quatre derniers mois preacuteceacutedant feacutevrier(Tableau 1) Je ne comprends pas tregraves bien comment une analyse peut conclure que lesconditions de couverture nrsquoont pas drsquoimpact sur les cours de la bourse dans la mesureougrave ces exigences nrsquoont pas connu de modifications depuis 1974 date agrave laquelle la cou-verture minimale a eacuteteacute rameneacutee agrave 50

Table 1 Equity Mutual Funds vs Margin Credit Flows (billions of dollars)

Net inflows including reinvested dividends

Source Investment Company Institute and Federal Reserve Board

Equity Mutual Funds

Margin Credit Total

1999

Oct 224 30 254

Nov 217 240 457

Dec 450 223 673

2000

Jan 413 150 563

Feb 548 217 765

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

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Le vaisseau spatial de la net-eacuteconomie passe agrave la vitesse Warp II

On annonce lrsquoacte suivant Comme je lrsquoai mentionneacute preacuteceacutedemment je crois quenous sommes au seuil de la Phase II de la reacutevolution laquo high-tech raquo On aura affaire agrave ungrand nombre de laquo Toutes nouvelles choses raquo au sein de la nouvelle eacuteconomie Les eacuteco-nomistes qui persistent agrave se servir de paradigmes de lrsquoancienne eacuteconomie notammentles cycles conjoncturels et le taux de chocircmage naturel nrsquoont pas fini de srsquoeacutetonner de lacoexistence drsquoune forte croissance eacuteconomique et drsquoun faible taux drsquoinflation Ils conti-nueront agrave sous-estimer la productiviteacute Srsquoil leur eacutetait demandeacute de remplacer le capitaineKirk aux commandes dans Star Trek ils pourraient piloter le vaisseau spatial Enterpriseagrave la vitesse Warp I mais se retrouveraient complegravetement perdus agrave la vitesse Warp II

Le juste-agrave-temps deuxiegraveme eacutepoque Au cours des anneacutees 90 le vaisseau spatial ameacute-ricain de la Net-eacuteconomie a commenceacute son acceacuteleacuteration de Warp I agrave Warp II On peut leconstater notamment en examinant le ratio comparant les stocks des entreprises agrave leurchiffre drsquoaffaires (StocksVentes) qui en deacutepit drsquoune certaine volatiliteacute oscillait autourde 15 durant les anneacutees 80 mais eacutetait tombeacute agrave 13 vers la fin des anneacutees 90 (Graphique 1)On peut attribuer cette eacutevolution agrave la mise en place de technologies permettant la gestionde stocks agrave flux tendus (laquo juste-agrave-temps raquo) au cours de la derniegravere deacutecennie

Les technologies de gestion de stock juste-agrave-temps ont permis une importantereacuteduction des coucircts lieacutes aux stocks En fait si le ratio eacutetait encore agrave lrsquoheure actuellede 15 les stocks de fabrication et de distribution deacutepasseraient 1 300 milliards de dol-lars au lieu des 1 150 milliards actuels (Graphique 2) Le secteur de la fabrication etsurtout de la fabrication de biens durables a beacuteneacuteficieacute de la quasi-totaliteacute des gains dusaux technologies du juste-agrave-temps Au niveau de la distribution et de la vente en grosles ratios stocksventes nrsquoont guegravere eacutevolueacute entre le milieu des anneacutees 80 et 1999(Graphiques 3 4 5 6 et 7)

Je preacutevois encore des progregraves pheacutenomeacutenaux agrave mesure que les fabricants aussi bienque les distributeurs utilisent le Net-eacutechange crsquoest-agrave-dire les marcheacutes drsquoeacutechanges et leschaicircnes drsquoapprovisionnement drsquoInternet de faccedilon agrave reacuteduire leurs coucircts et agrave augmenterencore plus rapidement leur productiviteacute Il est probable que la reacutevolution du juste-agrave-temps passera elle aussi de la Phase I agrave la Phase II durant les dix prochaines anneacutees

Titres de participation analyse des mouvements de fonds

Une peacutenurie drsquoactions En deacutepit de la faiblesse agrave court terme afficheacutee reacutecemmentpar les cours des actions les donneacutees relatives aux mouvements de fonds continuentagrave deacutepeindre un avenir agrave long terme tout agrave fait favorable Ces chiffres suggegraverent mecircme

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une peacutenurie drsquoactions Le tableau ndeg2 indique que les titres de participation de socieacuteteacutesdes secteurs non financiers aussi bien que financiers ont reculeacute de 1624 milliards dedollars en 1999 une eacutevolution compenseacutee en partie par les 945 milliards de dollars deplacements effectueacutes par les investisseurs ameacutericains sur les places financiegraveres eacutetrangegrave-res Par conseacutequent le chiffre net des eacutemissions a chuteacute de 678 milliards de dollars lrsquoandernier apregraves un deacuteclin de plusieurs anneacutees (Graphique 8) Cette eacutevolution srsquoexpliquepar les programmes de rachat drsquoactions et les fusions et acquisitions qui risquent dedonner un solde net neacutegatif pour lrsquoensemble des eacutemissions de titres de participation

Acheteurs et vendeurs Selon les comptes de mouvements de fonds de la Fed cesont les particuliers qui ont vendu le plus grand nombre drsquoactions ces derniegraveres anneacutees(Graphique 9) Quoique surprenant agrave premiegravere vue ce reacutesultat est logique mdash car ilsrsquoagit drsquoun secteur reacutesiduel dans les comptes mdash et reflegravete la reacuteduction de la quantiteacutedrsquoactions deacutetenues par ce secteur du fait des fusions et des acquisitions reacutealiseacutees Unautre secteur tregraves vendeur est celui des fonds de caisses de retraite priveacutees(Graphique 10) La prolongation du marcheacute haussier des actions a provoqueacute une sur-capitalisation drsquoun grand nombre drsquoentre elles qui procegravedent donc agrave des ventes detitres pour reacuteeacutequilibrer la reacutepartition de leurs placements obligations et actions Lrsquoandernier quatre groupes drsquoinvestisseurs principaux (les fonds communs de placementsles caisses de retraite publiques les assurances-vie et les investisseurs eacutetrangers) ontchacun fait lrsquoacquisition drsquoenviron 100 milliards de dollars en titres de participationameacutericains (Tableau 2 et Graphique 11)

Lrsquoheure est aux fonds communs de placement Pour le moment cette anneacutee lesinvestisseurs en fonds communs de placement semblent plus inteacuteresseacutes que jamais parles actions Les fonds de placement en titres de participation ont attireacute un flux net de548 milliards de dollars en feacutevrier inclusion faite du reacuteinvestissement des dividendes(Tableau 1 et Graphique 12)

Note Retrouvez lrsquoensemble des graphiques illustrant cet article agrave lrsquoadressesuivante

httpwwwyardenicomfrenchaa000403Frepdf

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Revers de Fortune

xtrait de Dr Edward Yardeni Revers de FortuneStrateacutegie mondiale de portefeuille ndeg13 Deutsche Bank Securities Inc

and DB Alex Brown LLC 17 avril 2000

httpwwwyardenicomfrenchaa0004Frepdf

Insenseacute Jeremy Irons remporta un Oscar pour avoir interpreacuteteacute le personnage de Clausvon Bulow dans un film de 1990 qui srsquointitulait en version originale Reversal of Fortune(revers de fortune devenu en franccedilais Le Mystegravere von Bulow) Ce film relatait un eacutepisodede la vie de Claus von Bulow innocenteacute gracircce agrave ses avocats apregraves avoir eacuteteacute accuseacutedrsquoavoir tenteacute drsquoassassiner sa femme extrecircmement riche Crsquoest maintenant au tour desinvestisseurs de valeurs technologiques de subir un revers de fortune agrave lrsquoheure ougrave leNasdaq tombe en chute libre Ils reconnaissent que lrsquoenvoleacutee de certains titres avaitatteint des niveaux insenseacutes mais certains me disent maintenant que la liquidationmassive est tout aussi insenseacutee

Je comprends leur douleur Mon portefeuille personnel a eacutegalement subi les effets drsquounmini-krach technologique Comme Tony Soprano lrsquoaimable parrain du feuilleton teacuteleacute-viseacute ameacutericain The Sopranos le confiait reacutecemment agrave son psy laquo Ouiinnn pauvre demoi raquo En effet mecircme si jrsquoestime depuis lrsquoan dernier qursquoune bulle speacuteculative srsquoeacutetait for-meacutee sur le Nasdaq jrsquoai dans mon portefeuille certaines valeurs technologiques Mais ilmrsquoa toujours sembleacute qursquoil existait de grandes diffeacuterences entre cette bulle et les preacuteceacute-dentes Sur le plan des donneacutees fondamentales les perspectives de lrsquoindustrie technolo-gique restent en effet tregraves positives

()

La valorisation compte-t-elle encore Drsquoapregraves la version la plus simple du modegravelede valorisation boursiegravere de la Fed qui calcule la juste valeur du cours des actions endivisant les beacuteneacutefices preacutevisionnels drsquoun consensus drsquoanalystes par le rendement desobligations du Treacutesor le SampP 500 eacutetait sureacutevalueacute de 68 mdash proportion stupeacutefiantemdash pendant la semaine du 21 janvier A cette date le SampP aurait ducirc en effet ecirctre de 861alors qursquoil avait en reacutealiteacute deacutejagrave atteint 1449 points Drsquoapregraves les derniers calculs obtenusagrave lrsquoaide de ce modegravele la sureacutevaluation nrsquoeacutetait plus que de 32 dans la semaine du14 avril ()

Selon le modegravele de valorisation boursiegravere de la Fed le coefficient de capitalisation desreacutesultats (PE) correspondant agrave la juste valeur est tout simplement lrsquoinverse du rende-ment des bons du Treacutesor agrave 10 ans Pendant la semaine du 14 avril ce coefficient eacutetaitde 170 Le PE reacuteel eacutetait de 225 () La sureacutevaluation du SampP 500 est imputable entotaliteacute au secteur de la technologie qui affichait en mars un PE de 47 apregraves unehausse spectaculaire ces cinq derniegraveres anneacutees (le PE de 1995 eacutetait drsquoenviron 15)Une fois exclu le secteur technologique le PE nrsquoeacutetait que de 179 en mars ce qui cor-respond presque au PE de la juste valeur ()

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Le modegravele de valorisation boursiegravere de la Fed est tregraves simple Il ne tient compte que desbeacuteneacutefices preacutevisionnels des 12 mois agrave venir et du rendement des bons du Treacutesor agrave10 ans Selon leur approche ascendante les analystes financiers de Wall Street preacutevoientpour le SampP 500 des beacuteneacutefices par action de 6023 $ dans les 12 prochains mois Il srsquoagitlagrave drsquoun niveau record () Mais pour que le marcheacute soit agrave sa juste valeur il faudrait quele rendement obligataire baisse jusqursquoagrave 4 Ce modegravele simple nrsquoinclut aucune variablecorrespondant au risque ou agrave la croissance agrave long terme des beacuteneacutefices Les investisseursestiment peut-ecirctre que dans notre nouvelle eacuteconomie le risque de reacutecession est moin-dre et les perspectives de croissance des beacuteneacutefices plus prometteuses

Dans la nouvelle version ameacutelioreacutee du modegravele la juste valeur est eacutegale aux beacuteneacuteficespreacutevisionnels diviseacutes par la diffeacuterence entre le rendement composite des obligationsde socieacuteteacute classeacutees A par Moodyrsquos et une fraction de la croissance preacutevisionnelle surcinq ans des beacuteneacutefices pour le SampP 500 Par le passeacute la valeur reacuteelle du SampP 500 eacutetaiteacutegale agrave sa juste valeur lorsque la fraction du taux de croissance eacutetait de 10 Enmars 2000 les beacuteneacutefices preacutevisionnels de Wall Street sur cinq ans ont atteint un niveaurecord de 161 Mecircme avec ce chiffre stupeacutefiant il aurait fallu pour que le niveaudu SampP 500 soit eacutegal agrave sa juste valeur que les investisseurs multiplient presque par troisla pondeacuteration qursquoils accordent agrave la croissance agrave long terme des beacuteneacutefices Si nous don-nions agrave la croissance agrave long terme des beacuteneacutefices la pondeacuteration moyenne obtenue parle passeacute la juste valeur du SampP 500 serait drsquoenviron 900

La derniegravere fois que jrsquoai abordeacute la question de la valorisation dans lrsquoAnalyse eacuteconomi-que mondiale du 10 janvier 2000 je suis arriveacute agrave la conclusion suivante

Je crois que les preacutevisions de croissance du marcheacute et le poids attribueacute agrave cette derniegraverefont preuve drsquoun trop grand optimisme En revanche nous avons maintenant affaireagrave la Nouvelle eacuteconomie mondiale concurrentielle productive de haute technolo-gie animeacutee par M Greenspan et tutti quanti Il faudrait donc peut-ecirctre accorder plusde poids agrave la croissance agrave long terme des revenus Conclusion les cours ne sont pasbon marcheacute mais la version simple du modegravele de valorisation des titres de la FederalReserve Bank exagegravere visiblement la sureacutevaluation du marcheacute

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Naissance drsquoune nouvelle eacuteconomie Sept thegraveses sur lrsquoeacuteconomie de marcheacute

agrave lrsquoacircge du commerce eacutelectronique

Philippe LEMOINE1

Le 28 avril 1998

Aux Eacutetats-Unis le thegraveme de la nouvelle eacuteconomie est deacutebattu dans plusieurs cercles le cercle du lobby de la high tech le cercle des boursiers optimistes le cercle des politi-ques modernistes Lrsquoideacutee geacuteneacuterale est que lrsquoeacuteconomie nrsquoobeacuteirait plus aux mecircmes loisdepuis que les technologies drsquoinformation sont devenues les principaux leviers decroissance et drsquoinvestissement Il srsquoen deacuteduit qursquoil nrsquoy a pas de raisons de srsquoattendre agraveune fin rapide du cycle long de deacuteveloppement sans inflation ougrave sont les Eacutetats-Unisdepuis plus de 7 ans Loin de baisser les voiles ou de reacuteduire la toile il faudrait aller plusloin dans la lutte contre toutes les entraves de la nouvelle eacuteconomie Lrsquoarmeacutee et les ser-vices secrets ne devraient plus srsquoopposer agrave une large utilisation de la cryptologie par lesentreprises Les Eacutetats de lrsquoUnion ne devraient plus chercher agrave proteacuteger leurs taxes loca-les car le commerce eacutelectronique doit devenir sur tout le territoire des Eacutetats-Unis etmecircme dans son extension au reste du monde une vaste zone de libre-eacutechange unespace de circulation sans obstacle et mecircme sans coutures juridiques fiscales ou doua-niegraveres Un laquo capitalisme sans frottement raquo comme le dit Bill Gates

Que faut-il penser de ce thegraveme Agrave vrai dire en France on nrsquoen pense rien On deacutecou-vre deacutejagrave le laquo New Labour raquo anglais alors srsquoinitier en mecircme temps au thegraveme de la laquo NewEconomy raquo ameacutericaine Quelques milieux restreints ont une opinion et elle est geacuteneacute-ralement neacutegative Les intellectuels flairent sans mal lrsquoodeur de lrsquoideacuteologie et il fautbien avouer qursquoil y en a des traces tenaces Les responsables pensants et les penseursresponsables ne sont pas precircts agrave miser un cent sur un discours qui ne reacutesistera pas agravelrsquoineacutevitable et prochaine correction boursiegravere Comment eacuteviter le ridicule ce terriblemal franccedilais si lrsquoon a parleacute de laquo nouvelle eacuteconomie raquo quelques semaines avant unkrach Mieux vaut srsquoabstenir

Et pourtant cette question de la nouvelle eacuteconomie ne doit pas ecirctre traiteacutee agrave laleacutegegravere Drsquoabord parce que mecircme si le diagnostic ne peut pas ecirctre accepteacute globalementet sans reacuteserve il a le meacuterite drsquoinsister sur lrsquoampleur des changements en cours et de

1PHILIPPE LEMOINE est preacutesident de LASER Ce texte a eacuteteacute preacutesenteacute en mai 1998 au premier symposiumLes Pionniers Enjeux Il a eacuteteacute publieacute dans la Revue drsquoEacuteconomie financiegravere (ndeg53 3e numeacutero de lrsquoanneacutee 1999)

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montrer que cette fois-ci la classe dirigeante eacuteconomique et politique ne va plus pou-voir regarder de loin les questions de technologie et que celles-ci sont deacutesormais aucentre du paysage Ensuite dans le cas de la France un deacutebat sur ces thegravemes aurait lemeacuterite drsquoeacuteclairer autrement notre cheminement collectif depuis 20 ans de mieuxcomprendre lagrave ougrave nous avons progresseacute et lagrave ougrave nous nous sommes collectivementtrompeacutes Enfin en faisant lrsquoeffort de penser cette question de la nouvelle eacuteconomie ilpeut se dessiner une nouvelle approche des prioriteacutes politiques

Agrave titre personnel il srsquoagit de questions sur lesquelles je travaille depuis longtempsDans mon travail comme dirigeant du groupe Galeries Lafayette en charge de LaSernotre branche laquo services et technologie raquo je suis confronteacute agrave la progression du com-merce eacutelectronique Jrsquoai œuvreacute degraves la fin de 1996 pour lancer un deacutebat sur la maniegraverede poser aujourdrsquohui les liens entre technologie emploi services et commerce

Drsquoautres travaux se sont inscrits dans ce filon et on commence agrave entrevoir une faccedilonpositive de penser lrsquoemploi en liaison avec la reacute-organisation des entreprises autourdrsquoune logique clients Mais il mrsquoa sembleacute qursquoil fallait aller plus loin et je vous proposeaujourdrsquohui 7 thegraveses sur lrsquoeacuteconomie de marcheacute mdash car crsquoest bien drsquoelle qursquoil srsquoagit mdash agravelrsquoacircge du commerce eacutelectronique

Thegravese 1 Apregraves avoir transformeacute les usines apregraves avoir peacuteneacutetreacute les bureaux les tech-nologies drsquoinformation bouleversent aujourdrsquohui lrsquounivers de lrsquoeacutechange

Thegravese 2 Lrsquoeacuteconomie sort du laquo Solow Paradox raquo et du pieacutetinement de la productiviteacute degraveslors que les entreprises constatent lrsquoouverture des marcheacutes et lrsquoeacutelargissement des deacuteboucheacutes

Thegravese 3 Le paradoxe et les blocages resurgissent agrave un autre niveau si les institutionsfinanciegraveres et moneacutetaires voient la technologie comme un moyen de controcircle surlrsquoeacuteconomie reacuteelle

Thegravese 4 La persistance drsquoun niveau eacuteleveacute des stocks montre que lrsquoacceacuteleacuteration de larotation des actifs bute sur le ralentissement de la vitesse de circulation de la monnaie

Thegravese 5 La valorisation de lrsquoimmateacuteriel ne peut pas ecirctre une reacuteponse agrave la circulationtrop lente du capital dans un contexte ougrave la technologie fait baisser non seulement leprix des biens mais aussi celui des services

Thegravese 6 Le plein emploi est un objectif atteignable dans le cadre de strateacutegies foca-liseacutees sur le service et sur le client agrave lrsquoappui drsquoun accroissement de la productiviteacute ducapital circulant

Thegravese 7 LrsquoEurope doit tourner la page de la laquo socieacuteteacute drsquoinformation raquo au profit drsquounevision plus eacuteconomique tout en concentrant son message moral sur lrsquoenjeu de laliberteacute des personnes

Je vous propose de reprendre rapidement ces 7 points Il ne srsquoagit pas de les deacutevelop-per car nous en aurions pour plusieurs heures mais drsquoeacuteclairer lrsquoarchitecture du raison-

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nement qui est derriegravere chacune de ces thegraveses et qui sous-tend une approche desenjeux actuels qursquoil faut rendre coheacuterente et globale

Premiegravere thegravese les technologies drsquoinformation transforment lrsquounivers de lrsquoeacutechange

Cela crsquoest un constat Tout le monde le sait Internet symbolise une nouvelle eacutetapede lrsquoinformatisation La baisse du prix des composants diffuse lrsquoinformatique dans legrand public et pregraves drsquoun foyer sur deux dispose drsquoun micro-ordinateur aux Eacutetats-UnisLa numeacuterisation assure la convergence entre informatique teacuteleacutecommunications etaudiovisuel Les reacuteseaux se connectent les uns aux autres agrave lrsquoeacutechelle du globe

La conseacutequence crsquoest que le centre de graviteacute de la tornade des technologies drsquoinfor-mation se deacuteplace Il nrsquoest plus dans les usines et les ateliers Il nrsquoest plus seulementdans les bureaux Il est dans lrsquounivers de lrsquoeacutechange au sens le plus large du terme Oninsiste parfois sur les enjeux de la communication qursquoil srsquoagisse de la communicationavec les meacutedias ou de la communication entre les personnes Mais tout montre quelrsquoenjeu va bien au-delagrave du relationnel et que lrsquoimpact sera encore plus fort sur le tran-sactionnel et les rapports marchands

Derriegravere lrsquolaquo electronic commerce raquo lrsquoe-business les entreprises inventent drsquoautresmaniegraveres de commercer entre elles ou de vendre aux particuliers

Deuxiegraveme thegravese lrsquoeacuteconomie sort du laquo Solow Paradox raquo

Je vous rappelle de quoi il srsquoagit Dans les anneacutees 70 au moment ougrave nous avions enFrance le rapport Nora-Minc sur lrsquoinformatisation de la socieacuteteacute les premiegraveres inquieacutetu-des apparaissaient aux Eacutetats-Unis sur lrsquoimpact de la technologie sur lrsquoemploi et le chocirc-mage Une commission avait eacuteteacute mise en place par le gouvernement ameacutericain poureacuteclairer cette question Preacutesideacutee par Robert Solow professeur au MIT et prix Nobel drsquoeacuteco-nomie cette commission eacutetait parvenue au constat suivant oui lrsquoeacuteconomie utilise deplus en plus lrsquoinformatique oui les ordinateurs vont vite mais on ne constate aucuneacceacuteleacuteration des gains de productiviteacute Crsquoest ce que lrsquoon appelle le laquo Solow Paradox raquo

Au-delagrave du constat le paradoxe soulignait lrsquoexistence de nombreux obstacles agravelrsquoexteacuteriorisation des gains de productiviteacute dans lrsquoeacuteconomie ameacutericaine Au niveau des

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marcheacutes au niveau des professions au niveau des entreprises tout un ensemble deregravegles et de rapports sociaux servaient de contrepoids agrave lrsquoimpact de lrsquoinformatisationJe me souviens agrave cette eacutepoque drsquoune eacutetude meneacutee en France sur les grandes entrepriseset qui montrait que plus une entreprise investissait pour informatiser sa comptabiliteacuteplus elle avait de comptables

Sociologiquement ce corps professionnel avait le pouvoir de transformer la perfor-mance des ordinateurs en une occasion drsquoaccroicirctre le nombre et la sophistication deseacutetats comptables et de soutenir ainsi son propre emploi

Le paysage a complegravetement changeacute depuis lors Si lrsquoon compare la reacutevolution encours agrave la reacutevolution industrielle la meacutetaphore de la technologie ce nrsquoest plus seule-ment la machine agrave vapeur lrsquooutil de production avec toutes les craintes et les blocagesqui ont trait agrave lrsquoavenir de lrsquoemploi Il faut comparer la technologie aux chemins de feraux autoroutes (les fameuses autoroutes de lrsquoinformation) aux peacuteneacutetrantes qui contri-buent agrave deacutecloisonner les marcheacutes et agrave eacutelargir les deacuteboucheacutes

Tout change degraves lors que lrsquoon ne raisonne plus autour du seul modegravele drsquoune substi-tution du capital au travail Le formidable dynamisme dont fait preuve lrsquoeacuteconomieameacutericaine traduit le fait qursquoelle est sortie du laquo Solow Paradox raquo Elle exteacuteriorise sanscomplexes les gains de productiviteacute car les deacuteboucheacutes srsquoaccroissent tandis que lesregravegles de la compeacutetition sur les marcheacutes se deacuteplacent favorisant des notions de reacuteacti-viteacute de juste-agrave-temps et drsquoinnovation-service qui supposent que la technologiedevienne un instrument agrave lrsquoappui des strateacutegies commerciales

La maniegravere dont les entreprises ameacutericaines se sont empareacutees du commerce eacutelectro-nique est impressionnante Les premiegraveres expeacuteriences significatives de vente sur Inter-net datent de 1995 Aujourdrsquohui on compte plusieurs entreprises qui font deacutejagrave plusdrsquo1 milliard de dollars de CA par Internet On ne bricole plus Je ne parle pas seulementdrsquoentreprises comme General Electric Intel ou Cisco qui font du commerce eacutelectroni-que B-to-B Business-to-Business avec leurs entreprises clientes ou leurs fournisseursJe pense agrave des entreprises comme Charles Schwab qui a inventeacute le laquo discountbrokerage raquo en donnant aux particuliers la possibiliteacute drsquoacqueacuterir des actions avec desprix drsquointermeacutediation tregraves bas Comme Dell qui vend pour plus de 5 millions de dollarspar jour sur Internet avec un modegravele sans stock ougrave le client conccediloit lui-mecircme sonmicro-ordinateur personnaliseacute avant qursquoil soit mis en fabrication et livreacute en moins de8 jours Comme Comp-U-Card qui a inventeacute le marcheacute du laquo membership raquo en ayantdeacutesormais dans le monde 67 millions de clients abonneacutes agrave ses services drsquoinformationet de shopping Comme Auto-By-Tel qui fait moins un meacutetier de commerccedilant que decourtier en permettant agrave des particuliers de lancer des appels drsquooffre personnaliseacutes surle Net lorsqursquoils veulent changer de voiture Auto-By-Tel ne se reacutemunegravere pas par descommissions sur les ventes mais par un abonnement souscrit par les garagistes qui veu-lent recevoir des appels drsquooffre Jrsquoajoute qursquoavec ce systegraveme Auto-By-Tel suscite

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40000 ventes de voiture par mois Si la voiture ameacutericaine moyenne vaut 20000 $cela repreacutesente 800 millions de dollars de chiffre drsquoaffaires par mois pour cette seuleentreprise

Troisiegraveme thegravese la tentation du controcircle

Dans ce contexte de bouleversement de lrsquounivers de lrsquoeacutechange un enjeu majeur estcelui de la monnaie et des systegravemes de paiement En disant cela je nrsquoentends pas par-tager lrsquoideacutee selon laquelle le commerce eacutelectronique serait menaceacute par des risquesmonumentaux de fraude Les risques existent de mecircme qursquoexiste le risque drsquoune utili-sation drsquoInternet pour le recyclage de lrsquoargent sale Mais ces risques sont drsquoampleurlimiteacutee probablement comparables agrave ce qui existe dans le commerce traditionnel Silrsquoon parle tellement des moyens de paiement crsquoest qursquoon assiste au choc des meacutetiersqui gegraverent les flux drsquoinformation et des meacutetiers qui gegraverent la circulation des signesmoneacutetaires Crsquoest lagrave qursquoest le veacuteritable enjeu Il ne srsquoagit pas seulement drsquoune situationde rivaliteacute entre deux professions mais compte tenu de la nature particuliegravere de ceteacutequivalent geacuteneacuteral qursquoest la monnaie de compeacutetition entre strateacutegies qui peuventavoir une incidence importante sur lrsquoorganisation des marcheacutes et le dynamismedrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie

Il y a 3 ans les banques ameacutericaines avaient eacuteteacute traumatiseacutees de se faire traiter dedinosaures Elles ont fait capoter la tentative meneacutee par Microsoft pour srsquoinstaller aucœur des systegravemes de paiement en rachetant Quicken le produit leader utiliseacute par lesameacutericains pour geacuterer leur treacutesorerie domestique Depuis elles ont repris lrsquooffensive eneacutecartant tout scheacutema de geacuteneacuteralisation drsquoune monnaie eacutelectronique crsquoest-agrave-dire drsquouninstrument moneacutetaire anonyme qui circulerait librement sur les reacuteseaux entre les par-ticuliers et les commerccedilants puis entre ceux-ci et les autres acteurs eacuteconomiques

Au nom de la preacutevention des risques de fraude les banques favorisent des scheacutemasagrave boucle beaucoup plus eacutetroite ougrave lrsquoensemble des transactions de paiement seraienttraccedilables et controcirclables par leur profession Dans des scheacutemas triangulaires de ce typeles commerccedilants sont garantis des paiements qursquoils encaissent mais agrave la condition queles particuliers se soient connecteacutes agrave leur banque pour chaque paiement Des standardset des techniques ont eacuteteacute deacutefinis pour jouer de maniegravere fluide ces rocircles de laquo tiers deconfiance raquo et de laquo certificateurs raquo Les beacuteneacutefices directs et indirects que les banquespeuvent en tirer sont consideacuterables tant en termes de commissions perccedilues que drsquoenri-chissement des bases de donneacutees marketing Ni les banques centrales ni le fisc nevoient drsquoobstacles bien au contraire agrave de tels scheacutemas

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Cette tentation de controcircle un peu corporatiste risque pourtant de peser sur le dyna-misme eacuteconomique car elle vient parachever lrsquoeacutevolution systeacutematique des 2 deacutecenniesutilisant la technologie pour limiter la circulation de la monnaie Je ne pense pas seule-ment agrave la baisse de la part relative des billets et espegraveces qui sont pourtant la forme demonnaie ayant la rotation la plus forte Je pense agrave toutes les eacutevolutions qui ont limiteacute lapossibiliteacute drsquoendosser les chegraveques ou qui ont substitueacute des effets de commerce valablesune fois comme les LCR aux traites qui pouvaient circuler et ecirctre reacute-escompteacutees

Sur un plan theacuteorique ces eacutevolutions se sont accompagneacutees de la disparition detoute reacutefeacuterence agrave un concept pourtant essentiel celui de vitesse de circulation de lamonnaie Les autoriteacutes moneacutetaires ne connaissent plus que diffeacuterentes strates de massemoneacutetaire et en matiegravere de vitesse ne suivent que le rythme du gonflement ou dudeacutegonflement de ces masses ce qui est tout agrave fait diffeacuterent drsquoune notion de vitesse derotation drsquoun encours donneacute

On peut faire lrsquohypothegravese que la deacuteceacuteleacuteration de lrsquoinflation dans lrsquoensemble dumonde deacuteveloppeacute srsquoest accompagneacutee drsquoun fort ralentissement mdash malgreacutelrsquoeacutelectronique malgreacute les reacuteseaux mdash de la vitesse de circulation de la monnaie Il estsucircr en tout cas que dans la fameuse eacutequation selon laquelle le niveau geacuteneacuteral des prixest fonction du produit de la masse de monnaie par sa vitesse de circulation ce dernierparamegravetre est tombeacute dans un trou noir theacuteorique et statistique

Quatriegraveme thegravese La faible rotation des actifs

Le ralentissement de la circulation de la monnaie a eu comme contrepartie danslrsquoeacuteconomie reacuteelle un ralentissement de la rotation des actifs Cela peut sembler para-doxal de dire cela alors que les manuels drsquoeacuteconomie et de management ne parlent quede reacuteactiviteacute de juste-agrave-temps et de flux tendus mais crsquoest ainsi

En 1992 jrsquoavais fait reacutealiser un travail sur les stocks par Rexecode agrave lrsquooccasion drsquounlivre que jrsquoavais eacutecrit Le commerce dans la socieacuteteacute informatiseacutee (Economica 1993)Alors qursquoil nrsquoexiste pas un outil statistique de qualiteacute sur le niveau des stocks en valeurabsolue lrsquoideacutee eacutetait de voir comment le poids des stocks dans lrsquoeacuteconomie avait eacutevolueacutesur longue peacuteriode et comment cela srsquoeacutetait passeacute dans les principaux pays deacuteveloppeacutesRexecode vient de reacuteactualiser ce travail

Je passe sur les consideacuterations de meacutethode pour commenter les reacutesultats Ce graphi-que fait lrsquohypothegravese que les stocks repreacutesentaient 25 du PIB au lendemain de laguerre qursquoils tournaient 4 fois dans lrsquoanneacutee On voit apparaicirctre 3 groupes de pays

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mdash le Japon et le Canada qui sont agrave 14-16 apregraves avoir miseacute sur les reacuteseaux et le juste-agrave-temps

mdash la France dont on reparlera qui est dans une situation hors norme agrave 27 environaujourdrsquohui

mdash le groupe central (Eacutetats-Unis Grande-Bretagne Allemagne) qui est agrave 18-22

Agrave ce stade jrsquoinsiste sur la contre-performance de ces 18-22 Apregraves une vague de deacutesin-flation faire 18-22 au lieu de 25 drsquoun PIB qui a profondeacutement changeacute dans sa com-position avec une part bien plus importante des productions de biens immateacuteriels et deservices sans stocks crsquoest tout agrave fait insuffisant Cela reflegravete en fait avant le deacuteveloppe-ment du commerce eacutelectronique une situation de ralentissement marqueacute de la rotationdes actifs avec des paliers de stagnation venant contrecarrer le mouvement de baisse

Cinquiegraveme thegravese Lrsquoimpasse de lrsquoeacuteconomie de lrsquoimmateacuteriel

Au XVIIIe siegravecle agrave lrsquoaube de la reacutevolution industrielle un deacutebat a agiteacute le monde deseacuteconomistes mercantilistes laquo Faut-il vendre cher pour ecirctre riche Peut-on ecirctre riche

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et bon marcheacute raquo Ce deacutebat srsquoest retrouveacute ces derniegraveres anneacutees dans une interrogationsur lrsquoeacuteconomie de lrsquoimmateacuteriel Drsquoun seul coup tout le monde voulait valoriserlrsquoimmateacuteriel Les comptables voulaient inscrire des actifs immateacuteriels importants dansles bilans Les financiers voulaient valoriser les goodwills Les commerciaux voulaientvendre chers les services tandis que les strategraveges ne juraient que par la valeur ajouteacutee

Cet orgueil de lrsquoimmateacuteriel est agrave mettre en relation directe avec le ralentissement dela rotation des actifs et de la circulation de la monnaie le cas de la France illustre biencela Agrave la fin des anneacutees 80 nous nous sommes en effet orienteacutes vers une politique dedeacutesinflation compeacutetitive qui se voulait lrsquoeacutequivalent agrave lrsquoeacutechelle drsquoune nation de ceqursquoest le discount agrave lrsquoeacutechelle drsquoun commerce On ne deacutevalue pas la monnaie mais onbaisse les prix par rapport agrave ce que pratique la concurrence Agrave gains de productiviteacuteidentiques cela signifie que lrsquoon ristourne plus de marge agrave nos clients exteacuterieurs quelrsquoon en garde moins pour lrsquoeacuteconomie nationale

Sur le long terme une telle politique nrsquoest viable que si elle srsquoaccompagne drsquoune rota-tion des actifs plus rapide que celle des concurrents Malgreacute lrsquoaccroissement du volumedes exportations on a vu que tel nrsquoavait pas eacuteteacute le cas globalement Aussi la questionse pose-t-elle de savoir comment le PIB franccedilais a continueacute de croicirctre en exportant agraveprix discount et sans compensation par des effets volume La reacuteponse est agrave rechercherme semble-t-il dans le partage laquo prixvolume raquo de ce qui srsquoexportait moins avec larecherche systeacutematique drsquoune valorisation excessive de lrsquoimmateacuteriel et des servicesTout srsquoest passeacute comme pour un commerccedilant qui aurait agrave la fois des prix drsquoappel et desrayons mieux margeacutes

Une bulle srsquoest formeacutee reposant sur une sur-valorisation du temps social En Franceagrave la fin des anneacutees 80 les services aux particuliers se sont mis agrave fonctionner agrave 2 F laminute Le modegravele se retrouve par exemple dans la restauration Dans un fast-food onreste 15 minutes et cela coucircte 30 F Une brasserie ougrave lrsquoon reste 1 heure coucircte 120 F Unrepas dans un restaurant plus chic ougrave lrsquoon reste deux heures 240 F Il y a bien sucircr desexceptions mais la plupart des points srsquoajustent selon une droite ougrave le talent du cuisi-nier ne se reacutemunegravere qursquoen fonction de lrsquoincitation qursquoil procure agrave consommer plus detemps

Le risque en facturant ainsi chegraverement le temps est celui drsquoune contagion de lrsquoeacuteco-nomie de la lenteur La monnaie est lente les stocks stagnent les services sont chersLa norme eacutetait installeacutee en France au deacutebut des anneacutees 1990 le minitel eacutetait agrave 2 F laminute les taxis agrave 2 F la minute le teacuteleacutephone inter-urbain agrave 2 F la minute Le GSM aeacuteteacute introduit agrave 2 F la minute Tout agrave 2 F la minute Le virage que symbolise Internetcrsquoest celui de lrsquoabandon de ces facturations agrave la dureacutee de la chute reacuteelle du coucirct descommunications de la reacuteconciliation des deacutemarches laquo prix raquo et des deacutemarcheslaquo services raquo

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Sixiegraveme thegravese le plein emploi gracircce aux deacutemarches clients

La France est une eacuteconomie agrave fort niveau de stock et agrave faible niveau drsquoemploi Lrsquounest la contrepartie de lrsquoautre dans un contexte drsquoopposition deacutepasseacutee entre le prix et leservice Nous pouvons inverser le processus et viser le plein emploi Encore faut-il ecirctrepreacutecis sur le diagnostic et sur lrsquoaction agrave mener

Les travaux que jrsquoai eu agrave piloter sur le commerce du deacutetail font apparaicirctre qursquoagrave luiseul ce secteur pourrait creacuteer 1 million et demi drsquoemplois Pour reacutepondre aux besoinsde 100 habitants la France compte en effet 3 actifs contre 55 aux Eacuteats-Unis (cf cahierLaSer ndeg1 laquo Self-service mondial ou nouvelle eacuteconomie de services raquo avec des con-tributions de Rexecode et de J Kaspar) La question que creuse cette eacutetude crsquoest desavoir pourquoi Drsquoougrave vient cette diffeacuterence et que faut-il faire pour la combler

On met geacuteneacuteralement en avant le coucirct du travail et il est exact que le prix de revienttoutes charges comprises drsquoune heure de travail aux Eacutetats-Unis est sensiblement plusfaible qursquoen France Mais on doit agrave nouveau se poser la question du pourquoi Le pro-blegraveme nrsquoest pas en effet celui drsquoune diffeacuterence portant sur le seul marcheacute du travailCrsquoest celui drsquoune diffeacuterence qui porte sur la dynamique geacuteneacuterale des marcheacutes sur lesregravegles actuelles de la compeacutetition Aux Eacutetats-Unis la cleacute de la compeacutetition crsquoestaujourdrsquohui le service Partant de lagrave il srsquoen deacuteduit des laquo business models raquo diffeacuterentsun recours plus important au temps partiel un recrutement de salarieacutes qui ressemblentaux clients donc une pyramide des acircges plus eacutequilibreacutee qursquoen France donc des jeuneset des personnes assez acircgeacutees nrsquoayant pas besoin de couverture sociale suppleacutementairespeacutecifique donc in fine un coucirct du travail plus bas

Lrsquoexemple de Wal-Mart le leader ameacutericain (et mondial) du commerce illustre cettethegravese Depuis des anneacutees cette entreprise utilise en effet la technologie au service drsquounestrateacutegie drsquoentreprise preacutecise optimiser ses stocks et son capital circulant pour creacuteer unavantage compeacutetitif reacuteinvestir les gains de productiviteacute obtenus sur lrsquoamont dans le ser-vice laquo aval raquo afin de mieux fideacuteliser les clients Les moyens mis en œuvre sontimpressionnants saisie unitaire systeacutematique des ventes centralisation de lrsquoinformationgracircce agrave un reacuteseau priveacute de satellites V-SAT accegraves des fournisseurs agrave une base permettant deconnaicirctre chaque jour les ventes de chaque reacutefeacuterence dans chacun des 2500 magasinseacutechange drsquoinformations partage de responsabiliteacutes datamining intranet web mondialetc Lrsquoimpact de tout ceci on le voit bien dans un graphique comparant un hypermarcheacutefranccedilais moyen et un supercenter Wal-Mart moyen crsquoest-agrave-dire une formule de Wal-Martcommercialisant des produits alimentaires et non-alimentaires comme un hypermarcheacute

Le hasard fait qursquoavec un dollar agrave 6 F un Wal-Mart de 1996 faisait exactement lemecircme chiffre drsquoaffaires qursquoun hyper franccedilais 420 MF Mais on voit qursquoaucun paramegrave-

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tre nrsquoest comparable Lrsquohypermarcheacute nrsquooptimise pas le flux de marchandises et trouveun eacutequilibre eacuteconomique par une forte rentabiliteacute du capital investi (CAmsup2) et par uneforte productiviteacute du personnel Lrsquoaxe de rationalisation de Wal-Mart est au contrairela rotation du capital circulant les stocks tournent 25 fois dans lrsquoanneacutee contre 10 enFrance Et il y a 2 fois plus de personnel pour faire le mecircme chiffre drsquoaffaires

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Septiegraveme thegravese LrsquoEurope doit tourner la page de la laquo socieacuteteacute drsquoinformation raquo

Le commerce eacutelectronique et lrsquoinformatisation des eacutechanges sont une eacutetape essen-tielle pour lrsquoEurope Lrsquoenjeu est drsquoacceacuteleacuterer la rotation des stocks drsquoacceacuteleacuterer la circula-tion de la monnaie drsquoacceacuteleacuterer la circulation du capital Une dynamique forte tendantau plein-emploi est agrave attendre de cette politique

Lrsquoessentiel est une affaire de comportement drsquoentreprises mais les pouvoirs publicsont un rocircle important agrave jouer Au niveau de lrsquoEurope deux prioriteacutes nous semblentsrsquoimposer La premiegravere est de tourner la page du thegraveme que lrsquoon appelle agrave Bruxelleslaquo socieacuteteacute drsquoinformation raquo et qui ordonne les moyens importants que lrsquoEurope consacreaujourdrsquohui agrave ces sujets Ce thegraveme a 3 inconveacutenients Il suggegravere qursquoil faudrait anticiperun futur alors que personne nrsquoest leacutegitime pour faire lrsquoingeacutenierie drsquoune socieacuteteacute nou-velle et qursquoil srsquoagit plus modestement drsquoaccompagner un preacutesent Il deacutebouche commele font souvent les anticipations technocratiques sur une focalisation des eacutenergies versdes enjeux non-marchands eacuteducation santeacute environnement transports urbainsCes sujets sont fondamentaux mais il ne faut pas vouloir les faire progresser indeacutepen-damment de la dynamique qui se met en place dans les entreprises pour faire face auxnouveaux rapports marchands Le thegraveme laquo socieacuteteacute de lrsquoinformation raquo a enfin lrsquoincon-veacutenient drsquoecirctre imbriqueacute dans toute une approche orgueilleuse de lrsquoimmateacuteriel dont ilest vital aujourdrsquohui de percer la baudruche Crsquoest un risque pour lrsquoeacuteconomie de sesatisfaire de la valorisation de lrsquoimmateacuteriel et du cycle lent des actifs Crsquoest un risquepour lrsquoemploi de confondre lrsquoavenir avec le seul tertiaire supeacuterieur de la connaissancedu savoir et de la communication en neacutegligeant le potentiel des meacutetiers du commerceet de lrsquoeacutechange ou en ne le traitant que dans le cadre de reacuteflexions sur les basses quali-fications

Mieux vaudrait aujourdrsquohui parler drsquoeacuteconomie que de socieacuteteacute de lrsquoinformation Celaveut-il dire que lrsquoEurope doit laisser de cocircteacute un message moral et solidariste qursquoelle sentde sa mission de tenir face agrave ce qui se passe aux Eacutetats-Unis Nullement Mais la prioriteacuteici serait drsquoidentifier intelligemment les sujets sur lesquels nous pouvons reacuteellementaffirmer notre conception du monde Mecircme en eacutetant favorables agrave lrsquoeacuteconomie de mar-cheacute il nrsquoest ainsi pas eacutevident de laisser les Eacutetats en dehors drsquoun grand deacutebat sur les frau-des et sur la seacutecuriteacute des paiements Le deacutebat ne serait-il pas assaini si les pouvoirspublics passaient agrave la vitesse supeacuterieure en matiegravere de lutte contre la mafia et lrsquoargentsale

Mais crsquoest sur le terrain des liberteacutes priveacutees et publiques que lrsquoEurope peut le mieuxsrsquoaffirmer Nombre de pays drsquoEurope ont une leacutegislation laquo informatique et liberteacutes raquo etlrsquoUnion europeacuteenne a adopteacute une directive en ce sens Ce nrsquoest pas le cas des Eacutetats-UnisPourtant les sondages montrent que la crainte drsquoune traccedilabiliteacute trop grande est deve-

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nue lrsquoobstacle numeacutero 1 agrave une extension du commerce eacutelectronique et qursquoune majo-riteacute des internautes ameacutericains est deacutesormais favorable agrave une loi comparable agrave ce quiexiste en Europe Sur le fond lrsquoexistence de telles leacutegislations nrsquoest pas contradictoiremdash bien au contraire mdash avec les tendances les plus innovantes du marketing personna-liseacute et laquo one-to-one raquo que permet la technologie Au-delagrave de la consommation demasse la question est en effet de savoir si nous allons vers lrsquoindividualisation (crsquoest agravedire le ciblage des comportements par des technologies centrales) ou vers la personna-lisation (crsquoest-agrave-dire la liberteacute de choix de simulation et de reconfiguration des offrespar une technologie aux mains des personnes)

Les lois laquo Informatique et Liberteacutes raquo favorisent la seconde tendance au deacutetriment dela premiegravere Mais crsquoest la voie la plus novatrice dans les eacutevolutions en cours et lrsquoEuropea la possibiliteacute sur ce sujet drsquoaffirmer sa vision et de la placer au centre de lrsquoeacutevolutiondes marcheacutes et de lrsquoeacuteconomie

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Note de lrsquoeacutediteur

La recherche entreprise pour ce Cahier LASER consacreacute agrave la nouvelle eacuteconomie a eacuteteacutemeneacutee par le GIE RECHERCHE HAUSSMANN cellule de recherche et drsquoinnovation techno-logique de LASER Conduite pour lrsquoessentiel sur lrsquoInternet source ineacutepuisable drsquoinfor-mations elle srsquoest accompagneacutee drsquoun suivi de la presse et des publications sur lanouvelle eacuteconomie et les thegravemes associeacutes Elle srsquoest par ailleurs appuyeacutee sur laquo les Jour-neacutees drsquoeacutetudes drsquohistoire eacuteconomiques organiseacutee par le laboratoire Isys-Matisse (Uniteacutede recherche CNRS de lrsquoUniversiteacute Paris 1 Pantheacuteon Sorbonne) sous le titrelaquo Transformations de la division du travail et nouvelles reacutegulations raquo

Tous les textes qui sont ici traduits et reproduits proviennent du World Wide Web desites acadeacutemiques ou de sites des eacutediteurs qui doublent leurs publications commercia-les par une eacutedition en ligne librement accessible

Le foisonnement des sources lrsquoabondance des ramifications et lrsquohistoire se faisantdans le mecircme temps que lrsquoinvestigation toute intention drsquoexhaustiviteacute si lrsquoon y avaitsongeacute eacutetait exclue Pour tous les textes qui nrsquoeacutetaient pas libres de droit lrsquoautorisationdes auteurs a eacuteteacute systeacutematiquement recueillie Nous tenons agrave les remercier

Au bout du compte crsquoest parmi plusieurs dizaines drsquoarticles de grand inteacuterecirct qursquoil afallu trouver un chemin avec deux principes directeurs pour la seacutelection finale de cestextes qursquoils contribuent agrave se former une ideacutee aussi claire que possible des theacutemati-ques de fond de la nouvelle eacuteconomie que leur arrangement permette de rendrecompte drsquoune geacuteneacutealogie en mecircme temps que drsquoun mouvement drsquoideacutees et reflegraveteautant que possible les arriegravere-plans du deacutebat ameacutericain

Dans le cadre que nous nous eacutetions fixeacute nous avons ducirc renoncer agrave de nombreuses con-tributions Il nous a ainsi fallu deacutelaisser agrave regret certains textes au caractegravere fondateurcomme laquo The New Wave Manifesto raquo de Edward Yardeni qui propheacutetisa en octobre1988 le renouveau du deacuteveloppement eacuteconomique des Eacutetats-Unis ou encore laquo TheLong Boom A History of the Future 1980-2020 raquo de Peter Schwartz et Peter Leydenqui paru dans Wired en juillet 1997 joua le rocircle drsquoun deacutetonateur de lrsquoespoir dans le cielameacutericain De mecircme il nous a fallu renoncer agrave des articles qui srsquoefforcent drsquoouvrir lesperspectives sur un apregraves de la nouvelle eacuteconomie tels Building Wealth de Lester Thu-row et Beyond the Information Revolution de Peter Drucker (parus dans The AtlanticMonthly respectivement en juin et en octobre 1999) On trouvera les reacutefeacuterences et lesliens pour tous ces articles dans la bibliographie

Les traductions ont eacuteteacute assureacutees par Olivier Le Goff

Eric BARCHECHATH

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  • Cahiers LaSer ndeg3
    • Sommaire
    • Quest-ce que la nouvelle eacuteconomie Philippe Lemoine
      • Un deacutebat important
      • Trois paradoxes
      • Un cadre danalyse
        • Chapitre I La nouvelle eacuteconomie des lois aux paradoxes
          • De nouvelles regravegles pour la nouvelle eacuteconomie douze principes fiables pour prospeacuterer dans un monde turbulent Kevin Kelly
            • 1 La Loi de la Connexion
            • 2 La Loi de lAbondance
            • 3 La Loi de la Valeur Exponentielle
            • 4 La Loi des Points de Basculement
            • 5 La Loi des Rendements Croissants
            • 6 La Loi des Prix Inverseacutes
            • 7 La Loi de la Geacuteneacuterositeacute
            • 8 La Loi de lAlleacutegeance
            • 9 La Loi de la Reacutegression
            • 10 La Loi de la Substitution
            • 11 La Loi du Brassage
            • 12 La Loi de lInefficaciteacute
              • Y-a-t-il une nouvelle eacuteconomie Alan Greenspan
                • Chapitre II Le paradoxe de Solow
                  • Le paradoxe de Solow sur la productiviteacute en qui les ordinateurs contribuent-ils agrave la productiviteacute Jack E Triplett
                    • Contexte
                      • 1 On ne voit pas des ordinateurs laquo partout raquo au sens eacuteconomique et fort du terme
                      • 2 On a limpression et seulement limpression que les ordinateurs sont partout
                      • 3 On ne voit pas des ordinateurs partout mais leur contribution est peu mesureacutee dans certains secteurs eacuteconomiques qui sont
                      • 4 Que lon voie ou non des ordinateurs partout une partie du travail reacutealiseacute par ceux-ci nest pas comptabiliteacutee dans les s
                      • 5 On ne voit pas encore les ordinateurs dans les statistiques de productiviteacute mais il suffit dattendre un peu
                      • 6 On voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productiviteacute parce que les ordinateurs ne sont pas aussi pro
                      • 7 Il ny a pas de paradoxe certains eacuteconomistes eacutevaluent les innovations et les nouveaux produits sur une eacutechelle arithmeacutet
                        • Chapitre III Le paradoxe du Nairu
                          • La capitulation de la politique eacuteconomique James K Galbraith
                            • Le consensus de la droite sur lemploi et linflation
                            • Ougrave se trouve le taux naturel de chocircmage
                            • Nairu avec un N comme Nomade
                            • Les libeacuteraux ont perdu sur le front de loffre
                            • La macroeacuteconomie dans un monde structuraliste
                              • Agrave quelle vitesse leacuteconomie ameacutericaine peut-elle croicirctre Paul Krugman
                                • Pourquoi leacuteconomie a-t-elle une laquo limite de vitesse raquo
                                • Les paradoxes de la productiviteacute
                                • Mondialisation et inflation
                                • Le succegraves dun paradigme
                                  • Vitesse-limite Reacutealiteacutes et fictions dans le deacutebat sur la croissance Alan S Blinder
                                    • Plus vite agrave court terme
                                    • La perspective agrave long terme
                                    • Le ralentissement de laugmentation de productiviteacute
                                    • Ce que peut faire une politique intelligente
                                        • Chapitre IV Le paradoxe boursier
                                          • Est-ce une bulle Edward Yardeni
                                          • Une succession de corrections Edward Yardeni
                                            • Le vaisseau spatial de la net-eacuteconomie passe agrave la vitesse Warp II
                                            • Naissance dune nouvelle eacuteconomie Sept thegraveses sur leacuteconomie de marcheacute agrave lacircge du commerce eacutelectronique Philippe Lemoine
                                            • Titres de participation analyse des mouvements de fonds
                                              • Naissance dune nouvelle eacuteconomie Sept thegraveses sur leacuteconomie de marcheacute agrave lacircge du commerce eacutelectronique Philippe Lemoine
                                                • Bibliographie
                                                • Note de leacutediteur
                                                  • Petit guide pdf
Page 4: La nouvelle Economie et ses Paradoxes

copy LASER 2000

Cet ouvrage a eacuteteacute reacutealiseacute par les Eacuteditions 00h00compour le compte de LASER 66 rue des Archives 75 003 Paris

ISBN 2-7454-0369-9

5

Sommaire

Qursquoest-ce que la nouvelle eacuteconomie

PHILIPPE LEMOINE 7

Chapitre 1 La nouvelle eacuteconomie des lois aux paradoxes

De nouvelles regravegles pour la nouvelle eacuteconomie

KEVIN KELLY29

Question Y-a-t-il une nouvelle eacuteconomie

ALAN GREENSPAN 55

Chapitre 2 Le paradoxe de Solow

Le paradoxe de Solow sur la productiviteacute en quoi les ordinateurs contribuent-ils agrave la productiviteacute

JACK E TRIPLETT 71

Chapitre 3 Le paradoxe du NAIRU

La capitulation de la politique eacuteconomique

JAMES K GALBRAITH 113

Agrave quelle vitesse lrsquoeacuteconomie ameacutericaine peut-elle croicirctre

PAUL KRUGMAN 125

Vitesse-limite reacutealiteacutes et fictions dans le deacutebat sur la croissance

ALAN S BLINDER 137

Chapitre 4 Le paradoxe boursier

Est-ce une bulle

EDWARD YARDENI 149

Cahiers LASER ndeg3

6

Une succession de corrections

EDWARD YARDENI 159

Naissance drsquoune nouvelle eacuteconomie sept thegraveses sur lrsquoeacuteconomie de marcheacute agravelrsquoacircge du commerce eacutelectronique

PHILIPPE LEMOINE 167

Bibliographie 179

Note de lrsquoeacutediteur 183

7

Qursquoest-ce que la nouvelle eacuteconomie

Philippe LEMOINE1

Dans les milieux financiers qui srsquointeacuteressent agrave Internet il existe une notion agrave laquelleon se reacutefegravere pour appreacutecier la valeur drsquoune entreprise le laquo cash burning raquo crsquoest-agrave-direla vitesse avec laquelle une entreprise a brucircleacute le cash les liquiditeacutes qursquoelle a leveacutees Lefait mecircme que lrsquoon puisse utiliser sans distance une telle notion teacutemoigne drsquoun senti-ment drsquoacceacuteleacuteration de rapiditeacute drsquoinsignifiance Une anneacutee Internet durerait un tri-mestre trois mois du temps classique

Tout deacutefile agrave un tel rythme que lrsquoon peut se demander srsquoil nrsquoy a pas eacutegalement unlaquo concept burning raquo une vitesse avec laquelle la socieacuteteacute brucircle les concepts qursquoelle a misen avant Lrsquoexpression de laquo nouvelle eacuteconomie raquo est menaceacutee par ces flammes Elle estaujourdrsquohui sous les feux de lrsquoactualiteacute Mais tout se consume agrave grande vitesse Un jourla nouvelle eacuteconomie va bien Le lendemain la nouvelle eacuteconomie descend aux enfersVa-t-elle srsquoaffirmer ou va-t-elle disparaicirctre

Pour reacutepondre agrave cette question il faudrait savoir ce qursquoest la nouvelle eacuteconomie Est-ce seulement une expression gadget qui scintille pour quelques mois dans les meacutedias Mais dans ce cas on srsquoeacutetonne que la notion ait pris forme dans des deacutebats mobilisantde tregraves grands eacuteconomistes ameacutericains Est-ce alors un concept scientifique deacutesignantclairement un nouvel horizon du monde Un manque certain de rigueur dans les ter-mes le choix de tailler large suggegraverent plutocirct qursquoil srsquoagit drsquoune notion en devenirQursquoest-ce donc que la nouvelle eacuteconomie

Un deacutebat important

Une question theacuteorique sous-jacente agrave ces interrogations sur la nouvelle eacuteconomiecrsquoest la question des relations entre la technologie drsquoune part lrsquoeacuteconomie et la socieacuteteacutedrsquoautre part Depuis plus de deux siegravecles il srsquoagit drsquoun point sensible difficile agrave analyseret sur lequel srsquoaccrochent des controverses fondamentales sur le deacuteterminisme sur lerocircle des hommes sur la conception de lrsquoHistoire Malgreacute de nombreux travaux philoso-

1 Philippe LEMOINE est Preacutesident de LASER

Cahiers LASER ndeg3

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phiques socio-eacuteconomiques eacutepisteacutemologiques la question nrsquoa fait que se complexifierDeux eacutevolutions contemporaines viennent en effet intensifier la difficulteacute de lrsquoanalyseLrsquoeacutevolution drsquoabord de la nature mecircme de la technologie Les technologies drsquoinforma-tion nrsquoont pas le mecircme mode de relation avec leur environnement que les technologiesmeacutecaniques drsquohier Elles traitent des informations elles sont programmables elles favo-risent lrsquointeractiviteacute il est clair que tout ceci soulegraveve de nouveaux enjeux et suppose descadres drsquoanalyse bien diffeacuterents des scheacutemas fondeacutes sur la causaliteacute meacutecanique simple

Lrsquoautre eacutevolution concerne les domaines de la vie eacuteconomique et sociale sur lesquelssrsquoapplique la progression des technologies drsquoinformation Depuis lrsquoinvention de lrsquoordi-nateur il y a plus de 50 ans les technologies drsquoinformation se sont en effet organiseacuteessur le modegravele de la tornade Un mouvement de spirale inteacutegrateur de plus en plusrapide assure la convergence de diffeacuterentes technologies autour drsquoun mecircme standardnumeacuterique informatique teacuteleacutecommunication audio-visuel robotique bureauti-que etchellip En mecircme temps la tornade progresse et son centre de graviteacute se deacuteplaceAvant-hier le centre de graviteacute crsquoeacutetait lrsquousine et lrsquounivers de la production Hier crsquoeacutetaitle bureau et le processus de gestion des entreprises Aujourdrsquohui le centre de graviteacute dela tornade agrave lrsquoegravere drsquoInternet crsquoest lrsquounivers de lrsquoeacutechange dans ses diffeacuterentes dimen-sions marchandes et non-marchandes

Agrave chaque eacutetape lrsquoanalyse devient de plus en plus compliqueacutee Mecircme srsquoil srsquoagissait detechnologies nouvelles on avait le sentiment de savoir raisonner tant que lrsquoon eacutetaitdans lrsquounivers de la production et de lrsquousine lieu de croissance de lrsquoeacuteconomie moderneet lieu de reacutefeacuterence de tant de travaux sociologiques Avec les bureaux et la gestion celadevenait plus compliqueacute Avec lrsquounivers de lrsquoeacutechange on entre dans des terres beau-coup moins connues ougrave il existe de grandes zones impenseacutees des gouffres et desdeacuteserts ougrave lrsquoon approche des meacutecanismes de la deacutepense et de ce que Bataille appelaitla laquo part maudite raquo de lrsquoeacuteconomie politique1

Le premier inteacuterecirct de cette notion de laquo nouvelle eacuteconomie raquo est preacuteciseacutement lagrave Mal-greacute lrsquoimpreacutecision du terme il srsquoagit drsquoun projet ambitieux penser lrsquoincidence des tech-nologies drsquoinformation sur lrsquoeacuteconomie au moment mecircme ougrave leur impact se centre surlrsquounivers de lrsquoeacutechange Certes la lecture quotidienne des journaux nous habitue agrave uneconception bien plus banale de ce qursquoest la nouvelle eacuteconomie Ce serait un secteurune autre faccedilon de parler de la high tech avec juste une heacutesitation de boursier faut-ilmettre dans le mecircme sac ou dans le mecircme indice toutes les valeurs TMT (TechnologiesMeacutedias Teacuteleacutecommunications) ou faut-il faire un sort particulier aux laquo pure players raquodu monde Internet Nous reviendrons sur ces questions mais affirmons-le drsquoentreacuteede jeu le deacutebat sur la nouvelle eacuteconomie ce nrsquoest pas cela cela nrsquoa jamais eacuteteacute cela Agravelrsquoopposeacute drsquoune vision laquo sectorielle raquo opposant les secteurs de la nouvelle et de

1 Georges Bataille La Part maudite Eacuteditions de Minuit 1967

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

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lrsquoancienne eacuteconomie il srsquoagit drsquoune interrogation sur les transformations en profon-deur qui affectent de maniegravere transversale toute la structure eacuteconomique

Il peut drsquoailleurs paraicirctre eacutetrange que la grille de lecture soit agrave ce point eacuteconomiqueIl y a 20 ans alors que les technologies transformaient un univers drsquoentreprise et deproduction beaucoup drsquointerrogations gravitaient autour de lrsquoexpression laquo socieacuteteacutedrsquoinformation raquo Aujourdrsquohui alors que ce qui est en cause crsquoest lrsquoeacutechange avec toutesses dimensions sociales culturelles politiques on veut srsquoen tenir agrave la laquo nouvelleeacuteconomie raquo Pourquoi Nrsquoy a-t-il pas lagrave un certain reacuteductionnisme

De fait une reacutegion du monde comme la Silicon Valley fait apparaicirctre des reacutealiteacutessociologiques de plus en plus contrasteacutees et il serait hors de question de les laisser horschamp Lrsquoacceacuteleacuteration des ineacutegaliteacutes fait partie de ces reacutealiteacutes Les riches sont de plus enplus riches dans la Silicon Valley et lrsquoon y deacutenombre des dizaines de milliers de million-naires en dollars Drsquoun autre cocircteacute ce nrsquoest pas exactement que les pauvres soient deplus en plus pauvres (ce deuxiegraveme mouvement semble dailleurs stabiliseacute sur lrsquoensem-ble des Eacutetats-Unis depuis environ 5 ans) Le pheacutenomegravene crsquoest plutocirct que les salarieacutesclassiques et notamment les salarieacutes des institutions publiques (professeurs drsquouniver-siteacutes instituteurs pompiers policiers) ont de plus en plus de mal agrave vivre dans cetendroit Souvent ils nrsquoarrivent mecircme plus agrave se loger tant les prix de lrsquoimmobilier ontflambeacute avec lrsquoenvoleacutee du pouvoir drsquoachat des riches Tout ceci creacutee des situationsdeacutecousues tendues preacuteoccupantes

Pour autant il ne semble pas qursquoil soit aujourdrsquohui possible de globaliser et de privileacute-gier agrave grande eacutechelle des cleacutes de lecture sociologiques Les travaux prospectifs de DanielBell1 ou drsquoAlain Touraine2 sur la laquo socieacuteteacute post-industrielle raquo sont des phares qui ont puis-samment eacuteclaireacute lrsquoavenir et qui se reacutevegravelent tregraves justes reacutetrospectivement Il faut cepen-dant se meacutefier de vouloir faire dire trop tocirct agrave la socieacuteteacute ce qursquoelle ne peut pas encoreincarner On a ainsi longuement gloseacute sur la laquo socieacuteteacute drsquoinformation raquo Mais qui la con-naicirct qui lrsquoa vue et qui parle pour elle Il y a des dangers de deacuterive et de manipulation agravece genre drsquoexpression et la formule laquo socieacuteteacute drsquoinformation raquo en a favoriseacute au moins trois

Il y a eu la deacuterive technocratique agrave la fin des anneacutees 70 avec le plan industriel que leJapon avait mis en œuvre sous le nom de laquo plan for information society raquo Il srsquoagissaitdrsquoanticiper la progression des technologies drsquoinformation et de mettre en œuvre desplans drsquoeacutequipement dans des secteurs socieacutetaux non-marchands (eacuteducation santeacutetransport environnement) afin de financer agrave lrsquoabri de la compeacutetition le deacuteveloppementdrsquoune industrie informatique nationale En France cette vision de la laquo socieacuteteacutedrsquoinformation raquo ne fut pas sans eacutecho et tout lrsquoenjeu du rapport Nora-Minc3 consista agrave

1 Daniel Bell Vers la socieacuteteacute post-industrielle Robert Laffont 19762 Alain Touraine La Socieacuteteacute post-industrielle Denoeumll 19693 Simon Nora Alain Minc LrsquoInformatisation de la socieacuteteacute La Documentation franccedilaise 1978

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maintenir la probleacutematique objective drsquoune laquo informatisation de la socieacuteteacute raquo plutocirct quedrsquoaccepter au nom drsquoune socieacuteteacute imaginaire en devenir de mettre en œuvre des grandsplans dirigistes avec des risques consideacuterables sur les eacutequilibres de la socieacuteteacute reacuteelle

Agrave la fin des anneacutees 80 il y a eu la deacuterive europeacuteenne avec la maniegravere dont la Com-mission srsquoest empareacutee de la socieacuteteacute drsquoinformation comme drsquoun drapeau Agrave lrsquoorigine ily avait drsquoailleurs quelque chose de sympathique dans cette deacutemarche Dans la peacuteriodeReagan les Eacutetats-Unis se concentraient sur une vision militaire de la technologie ettoute la recherche gravitait autour du programme laquo guerre des eacutetoiles raquo Il eacutetait con-forme au message de paix qui anime lrsquoEurope de promouvoir une conception civile duprogregraves technologique mais en mecircme temps lrsquoexpression laquo socieacuteteacute drsquoinformation raquojouait avec une certaine tradition laquo sociale raquo de lrsquoEurope et pouvait faire naicirctre des illu-sions quant au rocircle de la concertation entre forces sociales organiseacutees et quant agrave la maicirc-trise macroscopique des transformations technologiques en cours1

Assez curieusement on assiste aujourdrsquohui agrave une troisiegraveme deacuterive dont lrsquooriginereacuteside dans le lobby des stock-options Lrsquoopinion publique et les gouvernements reacuteagis-sent en effet assez neacutegativement dans plusieurs pays europeacuteens aux meacutecanismesdrsquoenrichissement rapide de la nouvelle eacuteconomie Drsquoougrave la construction dans nos paysde toute une rheacutetorique qui remet agrave la mode les expressions de laquo socieacuteteacutedrsquoinformation raquo de laquo socieacuteteacute du savoir raquo drsquo laquo eacuteconomie de la connaissance raquo Il srsquoagiten quelque sorte de leacutegitimer la richesse en se reacutefeacuterant aux mots et aux valeurs de lasocieacuteteacute mandarinale Il nrsquoest pourtant pas certain du tout que lrsquoinformatisation de lacommunication et que le commerce eacutelectronique se traduisent par un rocircle tellementplus eacuteminent de la connaissance et du savoir dans le fonctionnement de la socieacuteteacute

Drsquoune certaine maniegravere lrsquoexpression ameacutericaine de laquo nouvelle eacuteconomie raquo paraicirctplus approprieacutee et sans doute plus saine On peut comprendre qursquoelle eacutenerve les cher-cheurs et les intellectuels franccedilais par son cocircteacute trop facile Elle est de surcroicirct agrave mani-puler avec preacutecaution car nombre drsquointeacuterecircts industriels ou financiers en ont fait lapromotion pour des raisons diverses De mecircme le pouvoir politique ameacutericain a peut-ecirctre participeacute drsquoun certain cynisme en reacutecupeacuterant une expression porteuse

Mais ce qui importe ce nrsquoest pas cela Ce qui compte crsquoest qursquoaux Eacutetats-Unis denombreux esprits srsquoattachent agrave comprendre quelque chose de reacuteel et qui nrsquoest pas facileagrave penser Apregraves pregraves de 10 ans de croissance et de prospeacuteriteacute ininterrompues les eacuteco-nomistes srsquointerrogent Drsquoougrave vient cette croissance et nrsquoy a-t-il pas un lien avec le fortdeacuteveloppement des technologies Pourquoi dure-t-elle assiste-t-on agrave lrsquoallongementdes cycles eacuteconomiques voire agrave leur disparition La structure eacuteconomique nrsquoest-ellepas en train de changer de logique comme cela a eacuteteacute le cas lors de la bascule qursquoa eacuteteacute lareacutevolution industrielle

1Dominique Wolton Internet et apregraves Une theacuteorie critique des nouveaux meacutedias Paris Flammarion 1999

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

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Autour de tout cela il nrsquoy a pas de certitudes Il y a du travail il y a des questions ily a des oppositions Crsquoest pourquoi il paraissait important de consacrer un laquo cahierLaSer raquo agrave faire connaicirctre certains textes qui ont jalonneacute et structureacute ce deacutebat sur la nou-velle eacuteconomie Notre ambition est chaque anneacutee de contribuer agrave faire progresser lesinterrogations et les deacutebats sur lrsquoeacutetape actuelle de la mutation technologique Le cahierLaSer ndeg1 srsquointitulait laquo Self-service mondial ou nouvelle eacuteconomie de services raquo Lecahier LaSer ndeg2 portait sur laquo Commerce eacutelectronique marketing et liberteacutes raquo Le preacute-sent cahier porte sur laquo La nouvelle eacuteconomie et ses paradoxes raquo En livrant des textesque leurs auteurs nous ont aimablement autoriseacutes agrave traduire il srsquoagit de contribuer agraveasseoir un champ de reacuteflexion et drsquoinciter agrave aller plus loin

Trois paradoxes

Un signe du doute qui habite les diffeacuterentes parties prenantes du deacutebat sur la nouvelleeacuteconomie crsquoest qursquoils travaillent sur des contradictions ou sur des paradoxes Appli-quant une vision drsquoingeacutenieur agrave la compreacutehension de lrsquoeacuteconomie les commentateurs dela laquo reacutevolution de lrsquoinformation raquo srsquoen eacutetaient longtemps tenus agrave se reacutefeacuterer agrave des loisChacun cherchait agrave formuler une loi qui aurait borneacute un angle du nouveau paysage

Toute une litteacuterature sur les technologies drsquoinformation srsquoen tient ainsi agrave deux gran-des lois qui structureraient le nouveau paysage eacuteconomique La premiegravere la loi deMoore deacutecrit la progression exponentielle de la puissance des composantseacutelectroniques tous les 18 mois eacutenonce cette loi on assiste agrave un doublement du rap-port performanceprix des composants Formuleacutee degraves les anneacutees 60 cette loi srsquoest reacuteveacute-leacutee vraie et il srsquoen deacuteduit bien eacutevidemment tout un ensemble de conseacutequences sur larapiditeacute des progregraves de la technologie sur lrsquoaccessibiliteacute croissante de leur appropria-tion sur la sophistication sans limite des logiciels et des systegravemes de grande diffusion

Lrsquoautre loi qui balise nombre de reacuteflexions prospectives est la loi de Metcalfe Cetteloi exprime le fait que lrsquoactiviteacute drsquoun reacuteseau mailleacute progresse comme le carreacute du nombrede personnes qui y sont relieacutees De fait un reacuteseau de communication qui a un seul uti-lisateur nrsquoa aucun trafic Lrsquoactiviteacute ne commence qursquoavec deux personnes mais avec unmillion drsquointervenants lrsquoactiviteacute nrsquoest pas seulement multiplieacutee par 500 000 mais parconsideacuterablement plus car chaque utilisateur peut correspondre deux agrave deux La loi deMoore et la loi de Metcalfe sont au cœur de lrsquoexpansion rapide de lrsquoeacuteconomie Internet

Avec cette faccedilon de raisonner on est neacuteanmoins dans une sorte de preacutehistoire dudeacutebat eacuteconomique sur les technologies drsquoinformation Il srsquoagit de points de vuedrsquoacteurs de la technologie qui reacutefleacutechissent sur leur meacutetier Gordon Moore eacutetait un

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des fondateurs drsquoIntel Robert Metcalfe eacutetait un fondateur de 3Com Ceci nrsquoenlegraveverien agrave leur meacuterite bien au contraire ni agrave lrsquointeacuterecirct de leurs propositions Mais on nrsquoentredans un veacuteritable deacutebat eacuteconomique qursquoavec des eacuteconomistes qui appreacutehendent Inter-net et les technologies drsquoinformation agrave partir de concepts et de probleacutematiques issuesde lrsquoeacuteconomie politique elle-mecircme

Crsquoest ce changement qui a lieu avec lrsquointerrogation sur la nouvelle eacuteconomie Ce sontdes eacuteconomistes qui srsquoexpriment qursquoils soient universitaires eacuteditorialistes eacuteconomistesen chef dans des institutions financiegraveres responsables de banques centrales Les perspec-tives theacuteoriques srsquoeacutetoffent Les raisonnements font lrsquoaller-retour entre des faits et des con-naissances Signe manifeste de ce changement on ne srsquoexprime plus sous forme delaquo lois raquo mais sous forme de laquo paradoxes raquo Prenant enfin la technologie comme objet cen-tral de leurs travaux les eacuteconomistes traduisent le fait qursquoils en sont encore au stade desinterrogations et de la construction des objets theacuteoriques Ne mentionnant pas moins de12 laquo lois raquo le texte de Kevin Kelly paru dans Wired illustre lrsquoancien versant de cette appro-che de la nouvelle eacuteconomie avec des formulations drsquoailleurs tregraves stimulantes Le textedrsquoAlan Greenspan Preacutesident de la Fed est une bonne expression du nouveau versant ougravelrsquoon ne srsquoattarde pas sur les causes technologiques mais ougrave lrsquoon veut eacuteclairer les contrain-tes entre lesquelles se joue lrsquoavenir Plus caricatural il aurait eacuteteacute possible de citer StephenShepard reacutedacteur en chef de Business Week agrave la fois lyrique et concis sur le thegraveme favoride son magazine laquo La limite de la croissance passe de 2-25 agrave 3-35 un point de plus decroissance crsquoest ce que veut dire la nouvelle eacuteconomie Rien de plus rien de moins raquo1

Dans le cadre du preacutesent Cahier nous avons rassembleacute les textes que nous avions seacutelec-tionneacutes autour de trois grands paradoxes le paradoxe de Solow le paradoxe du NAIRU le paradoxe boursier Ce sont les deacutebats autour de ces trois grands paradoxes qui structu-rent en effet le contenu intellectuel de cette interrogation sur la nouvelle eacuteconomie

Le premier paradoxe le paradoxe de Solow joue un rocircle central

Il est contenu dans le constat que Robert Solow Prix Nobel drsquoeacuteconomie avait faiten 1987 laquo Des ordinateurs on en voit partout sauf dans les statistiques de producti-viteacute de la comptabiliteacute nationale raquo Travaillant sur un rapport relatif agrave lrsquoincidence de latechnologie sur la productiviteacute et lrsquoemploi Solow notait le fort deacutecalage entre les per-formances techniques toujours croissantes drsquoordinateurs toujours plus nombreux etune progression annuelle de la productiviteacute ameacutericaine qui avait fortement chuteacute (de26 en moyenne de 1950 agrave 1972 agrave 11 en moyenne de 1972 agrave 1995) De nom-breux blocages expliquaient ce pheacutenomegravene freins sociologiques (craintes pourlrsquoemploi) contraintes reacuteglementaires (monopoles publics et priveacutes) comportementsprofessionnels (corporatismes divers) Une eacutetude meneacutee en France agrave la fin desanneacutees 70 illustre excellemment le paradoxe de Solow Conduite par Claude Salzman

1 Stephen B Shepard The New economy what it really means Business Week novembre 1997

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pour la CEGOS1 cette eacutetude portait sur lrsquoinformatisation des fonctions comptables dansles grandes entreprises et faisait apparaicirctre que plus une entreprise informatisait sacomptabiliteacute plus elle employait de comptables Le groupe professionnel des compta-bles occupait en effet une position sociologique telle qursquoil pouvait obtenir que les gainsde performances reacutesultant de la technologie soient consacreacutes non agrave des suppressionsdrsquoemplois mais agrave des sophistications drsquoeacutetats comptables geacuteneacuterant agrave leur tour des creacutea-tions drsquoemplois pour les manipuler et les interpreacuteter

Crsquoest de cette situation que lrsquoeacuteconomie ameacutericaine semble ecirctre sortie avec des crois-sances fortes de la productiviteacute horaire du travail depuis 1996 de lrsquoordre de 25 agrave 3 par an Il srsquoagit lagrave drsquoun point cleacute pour lrsquoappreacuteciation drsquoune nouvelle eacuteconomie mais cenrsquoest pas un point certain Robert Solow lui-mecircme exprime ses doutes laquo Il est naturelde suspecter que cette acceacuteleacuteration de la croissance de la productiviteacute soit la conseacute-quence tant espeacutereacutee et attendue des technologies drsquoinformation en geacuteneacuteral ordina-teurs Internet etc Je pense que crsquoest probablement exact Il est tout agrave fait possible quece soit la fin du ldquo paradoxe des ordinateurs rdquo Mais je nrsquoen suis pas sucircr raquo2

Les chiffres sont frappants et lrsquoexplication theacuteorique paraicirct claire Degraves lors que latechnologie nrsquoest pas seulement une machine agrave productiviteacute mais qursquoelle peacutenegravetrelrsquoeacutechange et qursquoelle contribue agrave ouvrir de nouveaux deacuteboucheacutes beaucoup de blocagesdisparaissent qui empecircchaient lrsquoexteacuteriorisation des gains de productiviteacute Il srsquoagiraitdrsquoun pheacutenomegravene comparable agrave ce qursquoa connu la reacutevolution industrielle avec tous lesblocages qui ont entraveacute les machines agrave vapeur et les meacutetiers agrave tisser avant que lesmecircmes principes technologiques ne donnent naissance au chemin de fer et au deacutecloi-sonnement des marcheacutes avec de nouvelles voies de communication

Pourquoi ce doute alors sur les gains de productiviteacute Il y a agrave cela deux grandes rai-sons Drsquoabord les gains de productiviteacute semblent avant tout tireacutes par le secteur des tech-nologies drsquoinformation lui-mecircme plutocirct que par les autres secteurs de lrsquoeacuteconomieDans un article reacutecent de REXECODE3 Michel Didier le souligne en citant des travauxdrsquoailleurs partiellement contradictoires les travaux de Robert Gordon tout drsquoabordqui font apparaicirctre des gains de productiviteacute de 417 par an de 1995 agrave 1999 dans lesecteur mecircme des mateacuteriels informatiques contre 22 dans lrsquoensemble de lrsquoeacutecono-mie et seulement 15 dans les services les travaux de Kevin Stiroh par ailleurs quiadmet un accroissement de la productiviteacute du travail dans ces secteurs utilisateursmais avec un freinage de la productiviteacute globale des facteurs car ces secteurs utilisenttoujours plus de capital et de technologies drsquoinformation pour accroicirctre la productiviteacuteapparente du travail

1Claude Salzman Tant qursquoil y aura des comptables Eacutetudes drsquoimpact de lrsquoinformatique sur lrsquoemploi comp-table- CEGOS 19782Interview par Annie Kahn Le Monde 18 avril 20003REXECODE Nouvelle eacuteconomie et nouvelles technologies Revue REXECODE ndeg66 1er trimestre 2000

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Lrsquoautre facteur de doute crsquoest le fait que tous ces travaux sur la productiviteacute sont fon-deacutes sur un appareillage statistique qui paraicirct de moins en moins adapteacute agrave la mesuredrsquoune eacuteconomie ougrave lrsquoon produit de moins en moins de biens mateacuteriels Crsquoest drsquoailleursla reacutevision de lrsquooutil de comptabiliteacute nationale ameacutericain qui est largement agrave lrsquooriginede ce que lrsquoon mesure lorsque lrsquoon parle drsquoune acceacuteleacuteration de la croissance aux Eacutetats-Unis Mais drsquoougrave cela vient-il Uniquement du fait que lrsquoon a appris agrave mieux distinguerlrsquoeffet prix et lrsquoeffet volume dans les statistiques relatives au secteur des technologiesdrsquoinformation Cette seule correction a apporteacute plus drsquoun point agrave la croissance du PIBameacutericain La correction eacutetait-elle surestimeacutee Dans ce cas il nrsquoy a plus de base au dis-cours sur la nouvelle eacuteconomie La correction eacutetait-elle insuffisante et nrsquoaurait-il pasfallu moderniser drsquoautres mesures dans drsquoautres secteurs de lrsquoeacuteconomie Dans ce casles distorsions sectorielles ne seraient plus perccedilues de la mecircme maniegravere et le deacutebat surla nouvelle eacuteconomie aurait au contraire encore plus de vigueur

Quoi qursquoil en soit ces questions drsquoarbitrage entre prix et volume sont essentielles etelles renvoient agrave une interrogation geacuteneacuterale sur ce qursquoest un systegraveme de valeurs et surce qursquoest un systegraveme de prix dans une eacuteconomie de plus en plus immateacuterielle Crsquoest ceqursquoexprime le deacutebat autour du second paradoxe de la nouvelle eacuteconomie le para-doxe du NAIRU du laquo non-accelerating inflation rate of unemployement raquo Litteacuteralementle taux du chocircmage qui nrsquoacceacutelegravere pas lrsquoinflation

Le paradoxe crsquoest que le chocircmage ameacutericain ait pu passer de 85 de la populationactive agrave 41 aujourdrsquohui sans que lrsquoon observe jusqursquoici de relance de lrsquoinflation Leseacuteconomistes disposent drsquoun instrument les courbes de Phillips qui eacutetablissent pour-tant une correacutelation eacutetroite entre chocircmage et inflation Lorsque lrsquoemploi progresse ilapparaicirct un point au-delagrave duquel des tensions apparaissent sur le marcheacute du travail etougrave lrsquoon assiste agrave une remonteacutee des revendications salariales voire tout simplement agraveune surenchegravere entre entreprises pour attirer les salarieacutes Il en reacutesulte une pousseacutee pro-gressive de lrsquoinflation

Aux frontiegraveres entre lrsquoeacuteconomie reacuteelle et lrsquoeacuteconomie financiegravere et moneacutetaire lescourbes de Phillips constituent un outil central pour les eacuteconomistes classiques Cesont ces courbes qui expliquent que tant de conjoncturistes attendent chaque mois leschiffres du chocircmage et en tirent ces conclusions qui choquent le sens commun Untrop bon chiffre de lrsquoemploi une trop forte baisse de chocircmage va apparaicirctre commeun signal alarmant Il peut se traduire par un tour de vis des autoriteacutes moneacutetaires et dela Fed qui vont monter les taux drsquointeacuterecirct et reacuteduire la liquiditeacute de lrsquoeacuteconomie Drsquounemaniegravere ou drsquoune autre ceci se traduira alors par une limitation des capitaux precircts agravesrsquoinvestir sur les marcheacutes financiers et donc par un recul de la Bourse

Le deacutebat sur le NAIRU est illustreacute par des textes de James Galbraith de Paul Krugmanet drsquoAlan Blinder Ils analysent le paradoxe du NAIRU agrave la lumiegravere constante du para-doxe de Solow Si lrsquoeacuteconomie est en effet entreacutee dans une phase drsquoacceacuteleacuteration conti-

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nue des gains de productiviteacute alors un haut niveau drsquoemploi ne deacutebouchera pasmeacutecaniquement sur des tensions inflationnistes La productiviteacute croissante des fac-teurs de production engendrera de la valeur ajouteacutee et non une deacuterive des prix Crsquoesten cela que lrsquointerrogation sur la nouvelle eacuteconomie est au cœur des interrogations surlrsquoabaissement du NAIRU Certes chacun sait que des facteurs exogegravenes ont joueacute un rocircledans la stabiliteacute des prix aux Eacutetats-Unis Depuis plusieurs anneacutees lrsquoeacuteconomie ameacuteri-caine fonctionne en effet avec une forte deacutesinflation importeacutee lieacutee pendant tout untemps agrave la baisse des matiegraveres premiegraveres puis au processus drsquoencheacuterissement du dollarLe prix relatif des produits importeacutes ne cesse de baisser contribuant significativementagrave la non-relance de lrsquoinflation

Alan Greenspan a su neacuteanmoins jouer habilement avec le paradoxe du NAIRU enmaintenant une interrogation positive sur le passage agrave une nouvelle eacuteconomie quirepousserait la laquo speed limit raquo la limite de vitesse ougrave lrsquoeacuteconomie est menaceacutee par lasurchauffe Cette eacutevocation en demi-teinte sur des changements structurels eacutetaitsans doute une excellente approche pour deacutevelopper la confiance en profondeur desacteurs eacuteconomiques On est neacuteanmoins surpris par la superficialiteacute des analyses etdes arguments eacutevoqueacutes autour de cet enjeu du NAIRU Les textes se reacutefegraverent agrave lrsquohypo-thegravese de la nouvelle eacuteconomie mais ils nrsquoanalysent pas les meacutecanismes intrinsegravequesde cette nouvelle croissance non-inflationniste En particulier on reste sur sa faimquant agrave lrsquoabsence de toute reacuteflexion sur la productiviteacute du capital Les travaux de Sti-roh citeacutes plus haut montrent pourtant que lrsquoon ne peut analyser aujourdrsquohui lrsquoeacutevo-lution de la productiviteacute du travail sans srsquointerroger sur la productiviteacute globale desfacteurs

Nous reviendrons sur les hypothegraveses plus personnelles que lrsquoon peut preacutesenter dansce deacutebat sur le NAIRU Il convient cependant deacutejagrave de souligner qursquoune interrogation surlrsquoinflation ayant pour incidence la monnaie et la Bourse ne devrait pas se passer drsquountravail sur la productiviteacute du capital et sur la rotation du capital circulant Le troisiegravemeparadoxe eacutetudieacute le paradoxe boursier supposerait en effet pour ecirctre correctementappreacutehendeacute de disposer de donneacutees robustes sur la rentabiliteacute du capital Les textespreacutesenteacutes ici sont drsquoEdward Yardeni eacuteconomiste en chef de la Deutsche Bank Ils per-mettent drsquoappreacutecier avant et apregraves le laquo e-krach raquo drsquoavril 2000 comment la bourse dis-tingue les modes de valorisation des entreprises appartenant agrave lrsquoancienne ou agrave lanouvelle eacuteconomie Aveuglement bulle speacuteculative ou calcul rationnel

Pendant pregraves de 40 ans nous nrsquoavions pas veacutecu de paradoxe boursier Du deacutebut desanneacutees 60 au deacutebut des anneacutees 80 les indices boursiers (deacuteflateacutes des prix agrave la con-sommation) avaient baisseacute drsquoun facteur 3 tandis que les taux drsquointeacuterecirct agrave long termetriplaient La baisse boursiegravere eacutetait agrave peu pregraves inverse de la hausse des taux drsquointeacuterecirctDans les 20 anneacutees suivantes on assiste en France et jusqursquoen 1998 au mouvementstrictement symeacutetrique REXECODE note que les taux agrave 10 ans passent de 16 agrave 5 et

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que lrsquoindice SBF 250 est multiplieacute par un peu plus de 3 (lettre du 15 avril 2000) LaBourse rejoint son niveau laquo normal raquo de valorisation celui drsquoil y a 40 ans apregraves unevaste fluctuation dont lrsquoanalyse correspond rigoureusement au mode drsquoanalyse clas-sique

Le paradoxe boursier nrsquoapparaicirct reacuteellement que durant lrsquoanneacutee 1999 avec une valori-sation hors normes accordeacutee agrave toutes les entreprises high tech et plus particuliegraverement agravecelles de la galaxie Internet Comme le note REXECODE laquo de 1995 agrave 1998 lrsquoindice Nasdaqcomposite eacutevoluait agrave peine plus rapidement que lrsquoindice Standard and Poorrsquos 500 De finoctobre 1999 au 14 avril 2000 le SP 500 augmente de 10 alors que le Nasdaq compo-site progresse drsquoenviron 40 et lrsquoindice Computer de 50 Sur la mecircme peacuteriodelrsquoEurostoxx augmente de 30 lrsquoEurostoxx Technologie de 80 Agrave Paris le SBF 250 aug-mente de pregraves de 30 le nouvel indice technologique ITCAC de 125 raquo

Cette distorsion dans les critegraveres drsquoappreacuteciation boursiegravere choque les points de vueles plus traditionnels qui srsquoidentifient plus aiseacutement agrave lrsquoancienne eacuteconomie qursquoagrave lanouvelle Dans Forbes David Dreman illustre ce genre de reacuteticences laquo Agrave la finde 1999 400 grandes entreprises Internet avaient une capitalisation boursiegravere de1000 milliards de dollars (27 de la valeur du Dow Jones) Ce groupe reacutealisait un chif-fre drsquoaffaires global de 29 milliards de dollars soit seulement 2 du chiffre drsquoaffairesdu Dow Jones Plus significatif ces valeurs Internet vont perdre collectivement9 milliards de dollars cette anneacutee alors que les valeurs du Dow vont probablementgagner pregraves de 150 milliards de dollars raquo (Forbes 17 avril 2000) Lrsquoimpression est qursquoily a vraiment deux poids deux mesures et que la valorisation des activiteacutes laquo nouvelleeacuteconomie raquo serait purement speacuteculative

Est-ce bien seulement cela pourtant Nous laisserons de cocircteacute les arguments empi-riques tendant agrave fournir des instruments de valorisation des activiteacutes Internet tout enjustifiant leur niveau eacuteleveacute Diffeacuterents points de vue se sont exprimeacutes sur des critegraverespertinents multiples du chiffre drsquoaffaires vitesse du laquo cash burning raquo theacuteorie desoptions valeur des portefeuilles-clients Il faut cependant noter que certains de ces cri-tegraveres ont un effet pernicieux car pour ecirctre mieux valoriseacutees les entreprises srsquoy confor-ment mecircme si crsquoest au prix drsquoune voie de deacuteveloppement biaiseacutee Tel est le cas de cetoutil agrave manier avec une grande preacutecaution qursquoest la notion de valeur du client acquisAu nom de cet outil des entreprises immobilisent ce qursquoelles appellent un capitalimmateacuteriel mais dont il srsquoavegravere souvent qursquoil est tregraves volatile Pour conforter cet actifet pour mieux le valoriser sur les marcheacutes financiers les entreprises sont de surcroicirctinciteacutees agrave stocker et agrave traiter de grandes quantiteacutes drsquoinformations sur les personnesbien souvent beaucoup plus qursquoelles ne savent en utiliser sur un plan opeacuterationnelsoulevant par contre des problegravemes bien reacuteels drsquoinformatique et de liberteacutes1

1 Commerce eacutelectronique marketing et liberteacutes Cahier LaSer ndeg2 Eacuteditions 00h00 1999

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On peut consideacuterer les choses autrement Reacutepondant par avance aux arguments deForbes Masayoshi Son le patron de Softbank le principal acteur asiatique dans ledomaine Internet srsquointerrogeait ainsi au deacutebut de lrsquoanneacutee laquo Qursquoest-ce qui estirrationnel Est-ce vraiment que les valeurs Internet soient capitaliseacutees 1000 milliardsde dollars Ou est-ce que ce nrsquoest pas que les valeurs de lrsquoinformatique traditionnellecontinuent drsquoecirctre valoriseacutees 6000 milliards de dollars raquo Autrement dit est-ce queles marcheacutes font trop monter les valeurs Internet Ou bien est-ce que le vase commu-niquant ne fonctionne pas suffisamment et qursquoil devrait plus fortement sanctionnerles entreprises mal preacutepareacutees agrave cette reacutevolution technologique Par nature les raison-nements boursiers sont plus porteacutes agrave lrsquoanalyse sectorielle et on trouve lagrave les germes dela distinction commune entre nouvelle et ancienne eacuteconomie Les travaux sur le para-doxe de Solow et sur le NAIRU srsquoinscrivent dans une hypothegravese de changement trans-versal impliquant lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie Le deacutebat boursier est diffeacuterent encoreqursquoil nrsquoest pas contradictoire La Bourse nrsquoeacutemet en effet aucun jugement sur lrsquoavenirdrsquoun secteur eacuteconomique Elle se contente drsquoappreacutecier la capaciteacute agrave srsquoadapter des entre-prises qui appartiennent agrave un indice sectoriel

Fondamentalement le paradoxe boursier est un deacutebat sur la diversification desmodes de valorisation des entreprises selon le pronostic que lrsquoon porte sur leur deve-nir en peacuteriode de forte mutation Un aspect essentiel de ce deacutebat crsquoest la maniegravere donton appreacutecie les chances de lrsquoemporter qursquoont les puissances installeacutees (leslaquo empereurs raquo) face aux nouveaux entrants (les raquo barbares raquo) Il srsquoagit drsquoune questionparticuliegraverement priseacutee des cabinets de consultants Nombre de rapports de grandequaliteacute ont eacuteteacute eacutecrits par les cabinets de consulting strateacutegique et bien que chacun aitpris soin de se diffeacuterencier la trame en est souvent la mecircme Srsquoadressant agrave une clientegravelede grandes entreprises ces rapports disaient en substance laquo Internet est une reacutevolu-tion consideacuterable Crsquoest une menace mortelle pour votre entreprise avec des hordes denouveaux concurrents Mais gracircce agrave son organisation agrave sa notorieacuteteacute et agrave sa marquevotre entreprise saura triompher agrave la seule condition qursquoelle sache mettre en œuvreune strateacutegie ambitieuse soutenue de surcroicirct par de bons consultants raquo

Le problegraveme crsquoest que les marcheacutes financiers disent le contraire Ce qursquoils disent crsquoestque dans la confrontation entre une entreprise Internet et une entreprise classique crsquoestla nouvelle qui gagne Apregraves le e-krach et les premiegraveres faillites drsquoentreprises de commerceeacutelectronique on peut se demander si crsquoest si vrai que cela De fait il faudrait exclure delrsquoanalyse les secteurs ougrave la reacutevolution Internet est agrave peine entameacutee et ougrave les marcheacutes sontencore tout petits Dans de tels cas il nrsquoest pas vraiment eacutetonnant que les nouveauxentrants qui se lancent fort et vite se trouvent fragiliseacutes par lrsquoeacutetroitesse du marcheacute tandisque les entreprises en place ne sont guegravere eacutebranleacutees par le fait de supporter un compleacute-ment Internet agrave leurs activiteacutes traditionnelles Il en va tout agrave fait diffeacuteremment dans lessecteurs ougrave Internet repreacutesente deacutejagrave des parts de marcheacute importantes

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Dans la commercialisation des ordinateurs et des logiciels dans le laquo brokerage raquo desactions dans la distribution automobile dans le commerce des loisirs et des titres detransport le commerce eacutelectronique repreacutesente deacutejagrave 15 20 ou 30 des marcheacutesDans tous ces secteurs les gagnants sont des entreprises qui ont adopteacute des strateacutegiesnovatrices de creacuteation de valeur tandis que les anciens leaders se sont fait distancerDans le match entre le challenger Dell et le leader Compaq crsquoest Dell qui a su srsquoimposersur le marcheacute de la micro-informatique Dans le courtage des actions Charles Schwaba connu un succegraves fulgurant que tente vainement de suivre le puissant Merrill LynchDans le domaine automobile les moyens colossaux investis par les grands construc-teurs (Ford GM etchellip) ne sont pas parvenus jusqursquoici agrave enrayer la progression drsquounnouvel entrant comme Autobytel Crsquoest cela qursquoont releveacute les marcheacutes financiers etcrsquoest cela qursquoils ont traduit dans lrsquohiver 1999-2000 en creusant lrsquoeacutecart entre la valori-sation des entreprises de la nouvelle et de lrsquoancienne eacuteconomie

Un exemple frappant est celui de la fusion entre AOL et Time Warner Il ne srsquoagit paslagrave drsquoune opposition facile entre laquo vieux raquo et laquo nouveaux raquo secteurs puisque les deuxentreprises eacutetaient TMT (Technologie Meacutedia Teacuteleacutecommunication) Lrsquoune AOL avaitdes savoir-faire simples (lrsquoaccegraves agrave Internet) et un fonds de commerce somme toutelimiteacute (21 millions drsquoabonneacutes) Lrsquoautre Time Warner avait des compeacutetences riches etdiversifieacutees des clientegraveles multiples des activiteacutes dans le cacircble dans la teacuteleacutevision dansles magazines et la presse Et pourtant les marcheacutes financiers ont donneacute les moyens agraveAOL de racheter Time Warner Tout srsquoest passeacute comme si prenant acte de lrsquoavis geacuteneacuteralselon lequel Internet et les activiteacutes traditionnelles de laquo contenu raquo eacutetaient destineacutees agraveconverger les marcheacutes financiers srsquoeacutetaient poseacute la question de savoir qui eacutetait le mieuxplaceacute pour piloter cette rencontre Eacutetait-ce lrsquoentreprise la plus puissante et aux savoir-faire les plus varieacutes Ou lrsquoentreprise la plus apte agrave tout repenser dans une optiqueInternet La Bourse a trancheacute pour la seconde solution Et lorsque lrsquoon prend encompte la liste des deacuteboires que Time Warner avait connus pour maicirctriser la technolo-gie et lrsquointeractiviteacute on peut se demander si les marcheacutes financiers ont eacuteteacute aussilaquo irrationnels raquo qursquoon le dit

Un cadre drsquoanalyse

Les textes que nous preacutesentons ici incitent agrave penser sur les trois paradoxes imbriqueacutesde la nouvelle eacuteconomie Solow NAIRU Bourse Ils nrsquooffrent pas pour autant unereacuteflexion aboutie sur ce qursquoest la nouvelle eacuteconomie sur ses ressorts et sur son devenirCrsquoest la raison pour laquelle nous nous sommes permis de placer en conclusion un

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texte que nous avions eacutecrit en avril 1998 laquo Naissance drsquoune nouvelle eacuteconomie Septthegraveses sur lrsquoeacuteconomie de marcheacute agrave lrsquoacircge du commerce eacutelectronique raquo

Agrave lrsquoeacutepoque lrsquoexpression laquo nouvelle eacuteconomie raquo nrsquoeacutetait pas usuelle en France et ilnrsquoeacutetait pas aiseacute drsquointroduire un deacutebat sur cette question Aussi nrsquoeacutetions-nous pas alleacutesjusqursquoau bout drsquoune proposition qui est preacutesente entre les lignes Crsquoest que mecircme silrsquoon ne sait pas encore bien ce qursquoest la nouvelle eacuteconomie on commence agrave mieux pou-voir caracteacuteriser ce qursquoest lrsquoancienne eacuteconomie

Lrsquoancienne eacuteconomie ce nrsquoest pas en effet lrsquoeacuteconomie de lrsquoagriculture ou desgrands secteurs heacuteriteacutes de la reacutevolution industrielle du XIXe siegravecle Ce nrsquoest pas nonplus lrsquoeacuteconomie de service traditionnelle des vastes secteurs tertiaires organiseacutes (ban-que assurance distribution) Tous ces secteurs ont vocation agrave entrer dans la nouvelleeacuteconomie Pour autant le passage de lrsquoancienne agrave la nouvelle eacuteconomie nrsquoest pas seu-lement le pheacutenomegravene de la diffusion transversale des technologies drsquoinformationLrsquoancienne eacuteconomie ce nrsquoest pas lrsquoeacuteconomie preacute-informatiseacutee devenant nouvelle parle seul effet de lrsquoinformatisation

La frontiegravere est beaucoup plus preacutecise Elle correspond agrave la phase ougrave nous sommesdans le processus de deacuteplacement du centre de la mutation technologique la nouvelleeacuteconomie crsquoest lrsquoinformatisation de lrsquoeacutechange par opposition agrave une ancienne eacutecono-mie ougrave domine encore le modegravele strateacutegique impliqueacute par lrsquoinformatisation de la pro-duction et de la gestion Dans cette laquo ancienne raquo eacuteconomie (celle des 20 agrave 30 derniegraveresanneacutees) des lois srsquoeacutetaient imposeacutees avec des critegraveres de gestion normatifs Immergeacutesdans cette eacuteconomie-lagrave nous ne savions plus la voir Nous nrsquoeacutetions plus conscients delrsquoeacutepuisement de ce modegravele Ce qursquoInternet nous oblige agrave voir crsquoest qursquoil y avait de latechnologie mais que ce nrsquoeacutetait pas la bonne qursquoil y avait des nouveauteacutes mais quelrsquoinnovation srsquoeacutetiolait qursquoil y avait du tourbillon mais qursquoil nrsquoy avait pas de vitesseque lrsquoeacuteconomie mdash dans ses diffeacuterentes composantes mdash ralentissait

Le modegravele qui a domineacute pendant des anneacutees crsquoeacutetait le modegravele de lrsquoindustrie informa-tique elle-mecircme La technologie y geacuteneacuterait des gains de productiviteacute consideacuterables La loide Moore entraicircnait en effet la division par deux tous les 18 mois du coucirct des produitsFace agrave cela le modegravele strateacutegique dominant eacutetait caracteacuteriseacute par lrsquoaffirmation suivante laquo si notre vente moyenne est drsquoun dollar elle sera toujours drsquoun dollar agrave lrsquoavenir au lieude baisser les prix nous allons sophistiquer les produits et vendre plus de fonctionnaliteacutesagrave lrsquoutilisateur pour un dollar raquo IBM avait contribueacute agrave forger cette doctrine anti-deacuteflation-niste et tous les acteurs de lrsquoinformatique srsquoy eacutetaient reconnus La productiviteacute ne devaitpas servir agrave faire baisser les prix Elle devait venir financer la recherche et lrsquoinnovation-produit drsquoune part la publiciteacute et les actions commerciales drsquoautre part

Ce modegravele srsquoeacutetait reacutepandu dans de nombreux autres secteurs agrave la recherche eux aussidrsquoune strateacutegie de protection de la valeur Lrsquoindustrie automobile multipliait les acces-

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soires les combinatoires et les options mais ne baissait pas les prix Les teacuteleacutecommuni-cations deacuteveloppaient le trafic de la voix et des donneacutees mais en privileacutegiant dessolutions comme la commutation de circuits (permettant de vendre plus de ressour-ces) sur la commutation de paquets (visant agrave optimiser les ressources comme le fait leprotocole IP crsquoest-agrave-dire Internet) Moyennant quoi on innovait en France il y a20 ans en vendant du Minitel agrave 2 F la minute alors que la deacuteflagration actuelle drsquoInter-net permet de vendre la minute de communication Paris mdash New York agrave moinsdrsquo1 centime la minute

Autour de tout cela il y avait beaucoup de technologies beaucoup de fragilisationdes chaicircnes de valeurs donc beaucoup drsquoinvestissement dans les marques Plusqursquoaujourdrsquohui drsquoune certaine maniegravere cet acircge de lrsquoinformatisation eacutetait un acircge delrsquoimmateacuteriel La productiviteacute reacuteduisait chaque anneacutee la composante du traitementindustriel dans le prix final drsquoun produit Dans un produit de consommation couranteil ne repreacutesente souvent plus que de 15 agrave 30 de la valeur finale tout le reste eacutetant descoucircts de recherche-deacuteveloppement de packaging de logistique de distribution depubliciteacute Lrsquoinvestissement dans la marque eacutetait alors devenu un des moyens de proteacute-ger la coheacutesion drsquoun ensemble heacuteteacuteroclite drsquoeacuteleacutements de valeur Par lagrave-mecircme ce mou-vement favorisait le financement et le deacuteveloppement des meacutedias de communication

Lrsquoancienne eacuteconomie prenait ainsi des allures laquo drsquoeacuteconomie-baudruche raquo Commenous le deacutecrivions dans les laquo sept thegraveses raquo tout gonflait Avec un flux excessif drsquoinno-vation-marketing les stocks pesaient de plus en plus lourd dans lrsquoeacuteconomie (30 duPIB dans la France tertiariseacutee de 1995 contre 25 dans la France industrielle de 1950)Avec une absence de baisse des prix (malgreacute la deacutesinflation) et avec une conception eacuteli-tiste des services la valeur du temps social ne cessait de srsquoeacutelever (2 F la minute ) Lesactifs tournaient de moins en moins vite et lrsquoon oubliait mecircme dans les theacuteories moneacute-taires le concept de vitesse de circulation de la monnaie (au profit de la notion toutautre de vitesse de gonflement de la masse moneacutetaire) Contemplant leur culture etleur identiteacute de marque lrsquoorgueil des entreprises se dilatait

Lrsquoacte fondateur de la nouvelle eacuteconomie crsquoest le deacutegonflement de cette bau-druche On comprend qursquoil puisse en reacutesulter une bulle speacuteculative Degraves lors que latechnologie transforme lrsquoeacutechange et que son emploi est aux mains des personnes il enreacutesulte un renversement complet des chaicircnes de valeur Tant que la capaciteacute drsquoinno-vation eacutetait situeacutee en amont il pouvait ecirctre leacutegitime de ne pas restituer les gains de pro-ductiviteacute aux consommateurs Les grandes entreprises pouvaient faire valoir qursquoellesagissaient dans le sens de lrsquolaquo inteacuterecirct geacuteneacuteral raquo en captant ces ressources pour financerla recherche et lrsquoinnovation

La bascule apparaicirct avec la conjonction de deux pheacutenomegravenes Drsquoune part la capa-citeacute imaginative de lrsquoamont technique srsquoeacutepuise et dans les strateacutegies de lrsquoancienne eacuteco-nomie les gains de productiviteacute financent de moins en moins souvent le progregraves et de

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plus en plus souvent la preacuteservation des parts du marcheacute (cf gonflement des budgetscommerciaux des deacutepenses consacreacutees agrave la laquo coopeacuteration commerciale raquo aux ristour-nes et rabais en tous genres) Drsquoautre part la technologie aux mains des personnesreacutevegravele un immense besoin drsquoinnovation dans lrsquoadaptation des produits et des servicesagrave la diversiteacute des modes de vie Coinceacutes par des emplois du temps casse-tecircte il y a uneforte demande de services gain-de-temps et de juste-agrave-temps au niveau des personnesLes femmes qui travaillent et qui font carriegravere sont parmi les moteurs de cettedemande Crsquoest en srsquoappuyant sur elles qursquoune firme comme Autobytel a bouleverseacute lemode de commercialisation des voitures en inventant les appels drsquooffre personnaliseacutessur Internet et en asseyant son succegraves sur le slogan laquo Autobytel ou le moyen de luttercontre la souffrance drsquoacheter une automobile raquo

Toutes les grandes reacuteussites du commerce eacutelectronique sont le fruit drsquoune grandeaudace marketing Les nouveaux intermeacutediaires inventent une valeur ajouteacutee par uneproximiteacute eacutetroite avec le client final Ils construisent un business model et un principede rentabiliteacute fondeacute sur de veacuteritables avantages compeacutetitifs et sur le laquo siphonage raquo despoches de reacutetention de la productiviteacute En inventant la commercialisation drsquoordina-teurs personnaliseacutes produits agrave la commande et livreacutes en 8 jours Dell a inventeacute unmodegravele de distribution agrave tregraves forte rotation des stocks Agrave son bilan Dell nrsquoa que 5 joursde stock contre 10 fois plus pour ses concurrents Crsquoest la base de la performance de sonmodegravele drsquoattaque de marcheacute

Lrsquoacceacuteleacuteration de la rotation des actifs conjugueacutee agrave cette innovation-marketing lieacuteeagrave la proximiteacute-client sont agrave la base de la nouvelle eacuteconomie Degraves lors que la compeacuteti-tion se reacute-organise selon ces principes sur tous les marcheacutes il nrsquoest guegravere eacutetonnant quelrsquoon sorte du paradoxe de Solow on exteacuteriorise drsquoun seul coup les gains de productiviteacuteque lrsquoon avait pris pour regravegle de laquo stocker raquo pendant plusieurs deacutecennies Ceci expliqueeacutegalement que lrsquoon assiste au paradoxe du NAIRU Degraves lors qursquoapparaicirct une forte renta-biliteacute du capital circulant drsquoautres modegraveles peuvent en effet srsquoimposer dans lrsquouniversde lrsquoeacutechange que ceux fondeacutes sur une forte productiviteacute du travail

Dans le Cahier LaSer ndeg11 nous analysions par exemple le modegravele des superstores Wal-Mart En ayant fortement investi dans les technologies drsquoinformation Wal-Mart ainventeacute un modegravele innovateur le modegravele laquo every day low prices raquo (des prix bas tous lesjours) qui lrsquoa ameneacute agrave la premiegravere place des commerccedilants mondiaux Le modegravele consisteagrave limiter les agrave-coups promotionnels agrave utiliser la technologie pour acceacuteleacuterer la rotationdes stocks et la productiviteacute du capital circulant puis agrave investir ces gains laquo amont raquo dansdu service laquo aval raquo afin de mieux servir la clientegravele de mieux la comprendre et de la fideacute-liser Reacutesultat un superstore Wal-Mart moyen emploie 450 personnes pour faire un chif-

1 Self-service mondial ou nouvelle eacuteconomie de service - Technologie emploi commerce Premiegraveres conclu-sions Cahier LaSer ndeg1 1998

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fre drsquoaffaires de 420 MF contre 280 personnes pour le mecircme chiffre drsquoaffaires dans unhypermarcheacute franccedilais Mais alors que les stocks tournent 105 fois dans lrsquoanneacutee dans unhypermarcheacute franccedilais ils tournent 25 fois dans un surperstore Wal-Mart

En termes micro-eacuteconomiques le cas Wal-Mart est lrsquoillustration exacte du pheacuteno-megravene que constitue lrsquoabaissement du NAIRU Wal-Mart deacutemontre en effet que lrsquoon peutpratiquer des prix bas tout en creacuteant des emplois en jouant sur cette variable qursquoestlrsquoacceacuteleacuteration de la rotation du capital circulant Moins drsquoun an apregraves son arriveacutee enAngleterre Wal-Mart a provoqueacute un traumatisme en annonccedilant simultaneacutement unebaisse de 15 des prix et la creacuteation de 25 000 emplois avec lrsquoeacuteleacutevation du niveau deservices La proposition est tellement stupeacutefiante par rapport aux normes drsquouneancienne eacuteconomie ougrave lrsquoon opposait sans cesse prix et service que tous les concurrentssont obligeacutes peu ou prou de suivre En avril Tesco mdash le leader actuel du marcheacutebritannique mdash a annonceacute agrave son tour une baisse forte des prix la creacuteation drsquoune filialeInternet et 20 000 creacuteations drsquoemplois Nul doute qursquoen Grande-Bretagne on assiste agraveun affaissement du NAIRU du taux de chocircmage qui nrsquoacceacutelegravere pas lrsquoinflation

Si lrsquoon prolonge ces transformations on conccediloit que la nouvelle eacuteconomie est encoreloin drsquoavoir donneacute sa pleine mesure De nombreux secteurs du commerce traditionnelcontinuent de fonctionner avec 2 agrave 3 rotations de stocks par an Dans la comparaisondrsquoun hypermarcheacute franccedilais agrave un superstore Wal-Mart on a vu que lrsquoinformatisation drsquounmagasin peut faire monter la rotation de 10 agrave 25 fois par an Dans le cas de Dell et ducommerce eacutelectronique on a citeacute un modegravele avec moins de 7 jours de stocks plus de50 rotations par an Agrave la cleacute les avantages compeacutetitifs deacutegageacutes sont consideacuterables avecla possibiliteacute drsquoune forte diffeacuterenciation par le service et par la creacuteation drsquoemplois1

Dans la commercialisation de services ou de biens immateacuteriels la rotation peutatteindre lrsquoinfini Le cas drsquoun produit informationnel (logiciel air de musique etc) asouvent eacuteteacute commenteacute par les eacuteconomistes Il correspond agrave un modegravele ougrave la tradition-nelle courbe de baisse progressive des prix en fonction des volumes de production dis-paraicirct au profit drsquoun graphique plus brutal en forme drsquoeacutequerre Le coucirct du premierexemplaire du prototype est tregraves eacuteleveacute Le coucirct des exemplaires suivants est quasi-nulpuisqursquoil nrsquoy a plus de coucirct de production de transport et de distribution Il y a seule-ment des coucircts de reproduction et des coucircts drsquoaccegraves par le reacuteseau Eacutetant lui-mecircme unbien informationnel celui-ci est un bien dont lrsquousage est quasi-gratuit mecircme si sa miseen place est un investissement tregraves lourd

Consideacutereacutes hier comme des cas singuliers et paradoxaux ces exemples deviennentle cœur mecircme de lrsquoeacuteconomie de la nouvelle eacuteconomie Il en reacutesulte de nouvelles ten-sions et de nouveaux principes de creacuteation de valeur Dans lrsquoeacuteconomie de demain des

1 Philippe Lemoine in Les 35 heures une approche critique ouvrage collectif sous la direction de PaulFabra Eacuteditions Economica 1999

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tensions tregraves fortes sont agrave preacutevoir entre la logique des infrastructures et des investisse-ments en capital fixe et la logique de lrsquointermeacutediation et de lrsquoaccegraves au client Plus quejamais les inteacuterecircts sont antagoniques et lrsquoon nrsquoest pas pregraves de voir se reacuteconcilier lrsquooffreet la demande Mais crsquoest preacuteciseacutement parce que les logiques seront eacuteloigneacutees et que lestensions seront fortes que les acteurs eacuteconomiques rechercheront des positionne-ments ambigus inclassables agrave cheval entre la technologie le service et la proximiteacute-clients

Une meilleure productiviteacute du capital circulant sera de plus en plus le moyen de geacutererces tensions et de fonder de nouvelles approches de la creacuteation de valeur Et crsquoest lagravepeut-ecirctre que le changement est drsquoores et deacutejagrave le plus spectaculaire Avec lrsquoancienneeacuteconomie la Bourse srsquoeacutetait habitueacutee agrave un discours sur la creacuteation de valeur pourlrsquoactionnaire (laquo shareholder value raquo) dont le fondement eacutetait in fine la producti-viteacute du seul facteur travail le re-engineering les licenciements et le chocircmage Lesmarcheacutes financiers avaient bien noteacute dans les anneacutees 80 que lrsquoeacuteconomie nrsquoexteacuteriori-sait pas pleinement ses gains de productiviteacute Agrave partir de 1999 on srsquointeacuteresse aux res-tructurations et au laquo business process re-engineering raquo (BPR) tandis que des chercheursnotent la proximiteacute entre les dates des plans de licenciements et des assembleacutees geacuteneacute-rales avec lrsquoobjectif visible de doper le cours de bourse des grands groupes1 Danslaquo LrsquoHorreur eacuteconomique raquo Viviane Forrester reprendra et systeacutematisera ces ideacutees en sou-lignant la forte correacutelation entre creacuteation de valeur et plans sociaux2

Le veacuteritable paradoxe boursier crsquoest que ceci ne fonctionne plus Agrave lrsquoheuredrsquoInternet et de la nouvelle eacuteconomie drsquoautres principes de creacuteation de valeur sontreconnus par les marcheacutes Et ce qui a eacuteteacute frappant depuis un an environ crsquoest le deacutesarroide certains grands groupes multinationaux complegravetement pris agrave revers par ce brusquechangement des regravegles du jeu Constatant la mauvaise tenue de leurs cours et des mul-tiples boursiers tregraves peacutenalisants ils enragent de voir le marcheacute les valoriser agrave 20 15 oumecircme 10 fois leurs reacutesultats alors que les indices moyens des valeurs technologiquessont de lrsquoordre de 50

Plusieurs drsquoentre eux ont alors annonceacute de nouveaux plans de compression drsquoeffec-tifs Pour ne citer que quelques cas de lrsquoanneacutee 2000 et en se limitant agrave des stars de cequi est deacutejagrave lrsquoancienne eacuteconomie Coca-Cola Unilever Procter and Gamble BritishAirways De maniegravere spectaculaire deux grandes banques allemandes (Deutsche Banket Dresner) ont annonceacute en mecircme temps leur fusion et 16 000 suppressions drsquoemploisDans ce dernier cas le projet a eacuteteacute abandonneacute mais dans tous ces exemples ce fut descoups drsquoeacutepeacutee dans lrsquoeau

1 Ph Chevalier D Dure Pourquoi licencie-t-on in Geacuterer et Comprendre Annales des Mines septem-bre 19942 Viviane Forrester LrsquoHorreur eacuteconomique Fayard 1996

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Aucune de ces annonces ne srsquoest traduite par un veacuteritable effet laquo booster raquo sur le coursde bourse Drsquoougrave parfois un certain deacutesarroi Comment se fait-il Nous faisons toutbien Nous sommes dans la logique de la globalisation et du marcheacute mondial Nousnous concertons et nous fusionnons Nous sommes laquo obseacutedeacutes raquo par la creacuteation devaleur pour lrsquoactionnaire Nous comprimons et nous rationalisons Et notre cours nebouge pas Que faudrait-il donc faire Lrsquoenjeu est drsquoimportance car agrave lrsquoheure desfusions payeacutees en papier et en titres un multiple haut signifie que lrsquoon peut avoir lrsquoini-tiative des rapprochements tandis qursquoun multiple bas veut dire que lrsquoon termineraracheteacute par un autre Rage suprecircme des entreprises jeunes innovantes ne faisant pasde beacuteneacutefices et deacutegageant un chiffre drsquoaffaires balbutiant sont dans le mecircme temps por-teacutees au sommet

Comme souvent les marcheacutes financiers eacutetaient passeacutes drsquoun extrecircme agrave un autre Ilsnrsquoavaient jureacute hier que par une rentabiliteacute eacutegale agrave 15 des capitaux propres et drsquounseul coup identifiaient creacuteation de valeur et imagination Le fait de deacutegager des reacutesul-tats beacuteneacuteficiaires serait-il agrave jamais devenu deacutemodeacute Lrsquoengouement eacutetait tel qursquoil ne selimitait pas agrave ces entreprises de la nouvelle eacuteconomie disposant de business models soli-des fondeacutes sur la compeacutetitiviteacute propre drsquoInternet sur la proximiteacute client et sur la capa-citeacute agrave deacutestabiliser les anciens leaders Certes les Cisco les MCI-Worldcom les Dell lesSchwab etc repreacutesentent lrsquoessentiel de lrsquoargent investi en valeurs Internet Mais nom-bre de start-up fondeacutees sur une ideacutee plus ou moins aboutie ont profiteacute de la manne Etla bulle a gonfleacute de projets Internet promus par les entreprises traditionnelles precirctes agraveinvestir avec la foi du neacuteophyte pour se voir enfin reconnues par les marcheacutes La cor-rection eacutetait ineacutevitable Neacutecessairement les marcheacutes sont tels qursquoil y en aura drsquoautres

Malgreacute tout quelque chose de neuf est en train drsquoapparaicirctre La nouvelle eacuteconomie nrsquoestpas neacutee de la Bourse et son destin deacutepasse les courbes du Nasdaq Il faut espeacuterer qursquounegeacuteneacuteration de jeunes entrepreneurs ne sortira pas trop meurtrie de ces brusques traverseacuteesde montagnes russes Ce qui compte crsquoest que les eacuteconomies occidentales deacutegagent agrave nou-veau des capaciteacutes de croissance Les strateacutegies drsquoentreprises se donnent drsquoautres projetsqursquoune conception eacutetroite de la rationalisation Les marcheacutes valorisent enfin autre choseque la productiviteacute-spectacle Lrsquoheure est agrave la creacuteativiteacute et agrave la recherche de nouvelles sour-ces de richesse dans les processus de communication de services et drsquoeacutechanges

Lrsquoimportant est de se garder de toute caricature et de toute ideacuteologie Dans sa dimen-sion empirique et volontairement impreacutecise lrsquoexpression laquo nouvelle eacuteconomie raquo estfinalement bien adapteacutee agrave lrsquoeacutetat encore incertain de nos connaissances Il faut lire lestextes qui ont jusqursquoici jalonneacute le deacutebat et apprendre agrave aller plus loin dans la compreacute-hension des diffeacuterents paradoxes Il faut enrichir les questions souleveacutees par les eacutecono-mistes ameacutericains par des exemples concrets et par des analyses fines tireacutees drsquoune

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compreacutehension speacutecifique des technologies actuelles ainsi que drsquoune observationattentive de leur deacuteplacement et de la transformation progressive des marcheacutes qui enreacutesulte Nrsquoest-il pas temps en France et en Europe de faire progresser lrsquointerrogationsur la maniegravere de reconnaicirctre de deacutecrire et de conforter le deacuteploiement de cette nou-velle eacuteconomie encore pleine de mystegraveres et de promesses

Chapitre 1

La nouvelle eacuteconomie des lois aux paradoxes

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De nouvelles regravegles pour la nouvelle eacuteconomie douze principes fiables pour prospeacuterer

dans un monde turbulent

Kevin KELLY1

Septembre 1997

La reacutevolution digitale fait actuellement la Une de tous les journaux et magazinesPourtant il existe une reacutevolution bien plus profonde qui eacutevolue lentement sous cetteturbulence qui progresse si vite une reacutevolution qui entraicircne les tourbillons des techno-gadgets brancheacutes et des musts crsquoest celle de lrsquoeacuteconomie des reacuteseaux

Cette nouvelle eacuteconomie eacutemergente repreacutesente un veacuteritable bouleversement tecto-nique dans notre communauteacute une eacutevolution sociale qui reacuteordonne nos existencesplus encore que le hardware et le software ne pourraient le faire Elle preacutesente ses propresopportuniteacutes et possegravede ses regravegles speacutecifiques qui sont tout agrave fait nouvelles Ceux quiles observent prospeacutereront agrave la diffeacuterence de ceux qui ne les respecteront pas

Crsquoest degraves 1969 que lrsquoavegravenement de cette nouvelle eacuteconomie a eacuteteacute noteacute par PeterDrucker qui avait perccedilu lrsquoarriveacutee des travailleurs du savoir On deacutesigne drsquoailleurs sou-vent la nouvelle eacuteconomie sous lrsquoexpression drsquolaquo eacuteconomie de lrsquoinformation raquo en rai-son du rocircle eacuteminent joueacute dans la creacuteation de richesses par lrsquoinformation et non par lesressources mateacuterielles ou le capital

Je preacutefegravere quant agrave moi lrsquoexpression drsquolaquo eacuteconomie des reacuteseaux raquo car lrsquoinformation nesuffit pas agrave expliquer les discontinuiteacutes que lrsquoon y observe Pendant les cent ans quiviennent de srsquoeacutecouler nous avons eacuteteacute litteacuteralement inondeacutes par une mareacutee drsquoinforma-tions dont le niveau augmentait constamment De nombreuses entreprises se sontconstruites sur le capital repreacutesenteacute par lrsquoinformation mais crsquoest tregraves reacutecemmentqursquoune reconfiguration totale affectant lrsquoinformation elle-mecircme a provoqueacute une eacutevo-lution de lrsquoeacuteconomie tout entiegravere

1 KEVIN KELLY est co-fondateur et reacutedacteur en chef de la revue Wired le magazine de reacutefeacuterence de lareacutevolution numeacuterique Son livre New Rules for the New Economy (Penguin Putman Inc 1998) a eacuteteacute tra-duit en 11 langues sauf en franccedilais Cet article a eacuteteacute publieacute initialement en anglais dans Wired Septem-bre 1997 sous le titre laquoNew Rules for the New Economyraquo (httpwiredcomwired509newrules_prhtml) Traduit et reproduit avec lrsquoaimable autorisation de lrsquoauteur

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La grande ironie de notre eacutepoque crsquoest que lrsquoegravere des ordinateurs est reacutevolue Toutesles conseacutequences majeures des ordinateurs autonomes se sont deacutejagrave produites et enfait ces machines ont juste un peu acceacuteleacutereacute notre rythme de vie voilagrave tout

Agrave lrsquoinverse toutes les technologies les plus prometteuses qui eacutemergent aujourdrsquohuisont ducirces principalement agrave la communication entre ordinateurs autrement dit auxconnexions plutocirct qursquoaux calculs Et comme la communication est la base de la cul-ture bricoler agrave ce niveau est vraiment grave

Et en effet nous bricolons La technologie qui a eacuteteacute inventeacutee pour traiter des calculs enmasse a eacuteteacute deacutetourneacutee pour connecter des laquo isoleacutes raquo Ce qui caracteacuterise essentiellement lareacuteorganisation de lrsquoinformation crsquoest la geacuteneacuteralisation drsquoune deacutemarche inexorable pourconnecter tout agrave tout Nous sommes deacutesormais engageacutes dans un processus drsquoensemble des-tineacute agrave augmenter amplifier et eacutetendre les relations et les communications entre chaque ecirctrehumain et chaque chose Crsquoest pourquoi lrsquoeacuteconomie des reacuteseaux est une grande affaire

Les nouvelles regravegles qui gouvernent cette restructuration globale tournent autour deplusieurs axes Premiegraverement la richesse dans ce nouveau contexte deacutecoule directe-ment de lrsquoinnovation et non de lrsquooptimisation en drsquoautres termes elle ne vient pasdrsquoun perfectionnement du deacutejagrave su mais drsquoune emprise sur lrsquoinconnu mecircme de faccedilonimparfaite Deuxiegravemement pour cultiver lrsquoinconnu lrsquoenvironnement ideacuteal estdrsquoentretenir lrsquoagiliteacute suprecircme des reacuteseaux Troisiegravemement la domestication delrsquoinconnu signifie ineacutevitablement de brucircler ce qursquoon avait adoreacute de deacutefaire ce qui eacutetaitparfait Enfin dans la toile de lrsquoeacuteconomie des reacuteseaux qui se densifie le cycle trouver-faire croicirctre-deacutetruire se produit plus rapidement et plus intenseacutement que jamais

LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux ne constitue pas la fin de lrsquohistoire Eacutetant donneacute son rythmedrsquoeacutevolution une telle organisation peut ne pas durer plus que le temps correspondantagrave une ou deux geacuteneacuterations Une fois que les reacuteseaux auront satureacute le moindre espaceun nouvel ensemble de regravegles preacutedominera Celui que je vais deacutevelopper maintenantest donc temporaire

1 La Loi de la Connexion

Optez pour la puissance stupide

LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux se nourrit de la forte reacutesonance de deux bangs stellaires lemicrocosme des puces qui srsquoeffondre et le laquo teacuteleacutecosme raquo des connexions qui exploseCes eacutevolutions soudaines mettent en piegraveces les anciennes lois de la richesse et preacutepa-rent le terrain pour lrsquoeacuteconomie eacutemergente

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La taille des puces en silicone se reacutetreacutecit jusqursquoagrave devenir microscopique et leur prix sereacuteduit lui aussi dans les mecircmes proportions Ce sont des eacuteleacutements qui deviennent tregravesbon marcheacute et sont suffisamment minuscules pour ecirctre glisseacutes dans chaque objetproduit et dans cette derniegravere phrase crsquoest le mot laquo chaque raquo qui est essentiel Il y a 10ans on aurait trouveacute grotesque lrsquoideacutee de mettre une puce dans chaque portedrsquoimmeuble aujourdrsquohui on aurait bien du mal agrave trouver une porte drsquohocirctel ne preacutesen-tant pas une puce qui clignote ou qui eacutemet un signal Bientocirct pour peu que NationalSemiconductor soit en mesure de le reacutealiser et de le faire adopter on apposera sur chaquecolis expeacutedieacute par Federal Express un petit eacuteclat jetable de silicone qui en suivra le con-tenu Et si un colis est digne drsquoune puce alors qursquoil est extrecircmement eacutepheacutemegravere les objetsvous appartenant peuvent en incorporer eacutegalement une chaise un livre un nouveauvecirctement un ballon de basket De minces tranches de plastique comportent une pucesuffisamment intelligente pour jouer le rocircle de votre banquier Dans peu de temps tousles objets seront ainsi eacutequipeacutes drsquoune minuscule tranche drsquoesprit des chaussures de ten-nis aux marteaux en passant par les abat-jour et les soupes en boicircte Et pourquoi pas

La Terre est peupleacutee de 200 millions drsquoordinateurs Andy Grove de chez Intel estimeqursquoils seront 500 millions en 2002 Et pourtant le nombre de puces non destineacutees agravelrsquoinformatique et qui palpitent aujourdrsquohui dans le monde est de 6 milliards Elles sontdeacutejagrave incorporeacutees aux voitures aux eacutequipements hi-fi aux appareils de cuisson du rizComme elles peuvent ecirctre inteacutegreacutees rapidement et agrave faible coucirct comme des boules degomme on les appelle des laquo jelly beans raquo1 dans les secteurs industriels Or nous sommesagrave lrsquoaube drsquoune explosion de ces confiseries il y aura en 2005 10 milliards de grains desilicone en service et encore un milliard de plus peu de temps apregraves Un jour viendra ougraveces grains auront lrsquointelligence de fourmis qui seront enfouies dans nos habitations

En mecircme temps que nous implantons 1 milliard de grains dans tout ce qui se fabri-que nous les connectons Les objets fixes sont connecteacutes entre eux par des fils Ceuxqui ne sont pas fixes autrement dit la plupart des objets manufactureacutes sont relieacutes parradio et infrarouges creacuteant une toile bien plus grande que la premiegravere Pour autant ilnrsquoest pas neacutecessaire que chaque objet ainsi connecteacute transmette un grand nombredrsquoinformations Une minuscule puce installeacutee agrave lrsquointeacuterieur drsquoun reacuteservoir drsquoeau dansun ranch drsquoAustralie indique seulement laquo plein raquo ou laquo pas plein raquo une puce fixeacutee surune corne drsquoun bouvillon renseigne uniquement sur la localisation drsquoune tecircte debeacutetail tandis qursquoune puce incorporeacutee agrave un portail fournira une information sur le jourougrave celui-ci srsquoest ouvert pour la derniegravere fois laquo mardi raquo par exemple

Ce qui est extraordinaire chez ces petites miettes interconnecteacutees crsquoest qursquoelles nrsquoontpas besoin drsquoavoir une intelligence artificielle elles fonctionnent selon la puissance stu-

1 Les Jelly-beans sont des confiseries relativement molles que lrsquoon trouve en 96 couleurs diffeacuterenteschacune correspondant agrave un parfum speacutecifique NdT

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pide de quelques bits relieacutes entre eux La laquo puissance stupide raquo crsquoest ce que lrsquoon obtientquand on implante en reacuteseau des nœuds stupides dans un reacuteseau intelligent Crsquoest ce quele cerveau fait avec les neurones et qursquoInternet a fait avec les ordinateurs personnels UnPC correspond au niveau de son concept agrave un seul neurone logeacute dans un careacutenage enplastique Une fois qursquoils ont eacuteteacute relieacutes par le teacuteleacutecosme au sein drsquoun reacuteseau de neuronesces nœuds ont creacuteeacute cette fabuleuse intelligence que repreacutesente le World Wide Web autre-ment dit la Toile mondiale Cela marche dans drsquoautres domaines des eacuteleacutements stupidescorrectement interconnecteacutes donnent des reacutesultats intelligents

Le hardware ce sont un milliard de puces stupides interconnecteacutees dans une rucheintelligente Le software qui y passe crsquoest lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux Une planegravete entiegraverede puces hyper-relieacutees entre elles eacutemet un flux incessant de petits messages formantune cascade drsquoondes vives porteuses de sens Du moindre capteur drsquohumiditeacute dans uneferme jaillissent des donneacutees de chaque satellite meacuteteacuteo rayonnent des images digita-liseacutees de chaque caisse enregistreuse sont expulseacutes des torrents de bits de chaquemoniteur drsquohocircpital coulent en goutte agrave goutte des nombres chaque site Web enregis-tre les comportements chaque veacutehicule transmet sa localisation agrave tout moment Tou-tes ces informations repreacutesentent une veacuteritable mareacutee de signaux qui constitue la Toile

Celle-ci nrsquoest pas composeacutee uniquement drsquoecirctres humains communiquant entre eux parlrsquointermeacutediaire drsquoAOL mecircme si cette activiteacute en repreacutesente elle aussi un volet quidrsquoailleurs durera tant que lrsquoon aura envie de seacuteduire un(e) romantique ou de faire srsquoenflam-mer un(e) idiot(e) La Toile est bien plutocirct lrsquointeraction collective creacuteeacutee par un milliarddrsquoobjets et drsquoecirctres vivants dont le lien qui les connecte traverse lrsquoair aussi bien que le verre

Crsquoest ce reacuteseau qui engendre lrsquoeacuteconomie du mecircme nom Selon MCI le volume totalde trafic vocal sur lrsquoensemble des systegravemes teacuteleacutephoniques sera supplanteacute dans 3 ans parle volume eacutechangeacute de donneacutees intelligentes Nous nous dirigeons deacutejagrave vers une eacutecono-mie eacutelargie qui sera remplie de nouveaux participants agents objets machines ainsique quelques milliards drsquohommes de plus qursquoaujourdrsquohui Nrsquoattendons pas lrsquointelli-gence artificielle pour faire des systegravemes intelligents faisons-les avec la puissance stu-pide drsquoune informatique omnipreacutesente et des connexions envahissantes

Tout ce tremblement nrsquoest pas pour demain mais en tout cas la trajectoire est claire nous sommes en train de connecter tout agrave tout Chaque pas reacutealiseacute qui compte sur uneconnexion peu oneacutereuse endeacutemique et universelle va dans la bonne direction Parailleurs le plus sucircr moyen de favoriser ce laquo connexionnisme raquo massif consiste agrave exploiterles forces deacutecentraliseacutees crsquoest-agrave-dire agrave relier la base Vous voulez construire un superpont Faites parlez les piliers au tablier Vous voulez ameacuteliorer la culture des laitues Lais-sez le sol parler aux tracteurs Vous voulez qursquoun avion soit vraiment sucircr Arrangez-vouspour que les avions communiquent entre eux et recueillent leurs plans de vol respectifs

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux optez pour la puissance stupide

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2 La Loi de lrsquoAbondance

Plus donne plus

Il se passe des choses bien curieuses quand on connecte tout agrave tout Les matheacutemati-ciens ont deacutemontreacute que la somme drsquoun reacuteseau croicirct proportionnellement au carreacute dunombre de ses membres Autrement dit quand le nombre de nœuds augmente dansun reacuteseau selon une progression arithmeacutetique la valeur de ce reacuteseau augmente expo-nentiellement Il suffit donc drsquoajouter un petit nombre de membres pour augmenterconsideacuterablement la valeur dont profitent tous les membres

Prenons lrsquoexemple du premier teacuteleacutecopieur qui sortit de fabrication vers 1965 il avaitcoucircteacute des millions de dollars en recherche et deacuteveloppement mais sa valeur eacutetait eacutegaleagrave zeacutero nulle Le deuxiegraveme fax a degraves sa sortie donneacute une certaine valeur au premierpuisqursquoil y avait quelqursquoun agrave qui envoyer une teacuteleacutecopie Dans la mesure ougrave tous les teacuteleacute-copieurs se trouvent relieacutes dans un reacuteseau chaque nouvelle machine venant rejoindrela cascade augmente la valeur de tous les autres fax qui existaient preacuteceacutedemment

La valeur de ce reacuteseau est si grande que toute personne srsquoeacutequipant drsquoun teacuteleacutecopieurse transforme en proseacutelyte laquo Avez-vous un fax Non Vous devriez raquo Pourquoi agit-elle ainsi Parce que si vous en achetiez un vous augmenteriez la valeur de son eacutequi-pement Et une fois que vous en avez acheteacute un agrave votre tour vous vous mettez vousaussi agrave demander laquo Avez-vous un fax raquo (Le pheacutenomegravene srsquoobserve eacutegalement pourles e-mails ou tel ou tel type de logiciel) Chaque personne que vous arrivez agrave convain-cre drsquoentrer dans un reacuteseau augmente la valeur de votre eacutequipement

Donc quand vous achetez un teacuteleacutecopieur vous nrsquoachetez pas uniquement unecaisse qui coucircte $ 200 mais aussi et surtout la totaliteacute du reacuteseau des autres fax et lesconnexions existant entre eux autrement dit vous achetez une valeur plus grandeque la somme de tous les prix des teacuteleacutecopieurs en service

Cet exemple illustre bien le fait que le nombre ajoute de la valeur Mais cette notioncontredit deux des principaux axiomes que nous attribuons agrave lrsquoegravere industrielle

Premier veacuteneacuterable axiome la valeur naicirct de la rareteacute comme le prouvent les dia-mants lrsquoor le peacutetrole ou les diplocircmes universitaires

Second veacuteneacuterable axiome quand les choses sont produites en abondance elle sedeacutevalorisent degraves lors que les tapis sont tisseacutes par milliers par des machines ils ne con-tribuent plus agrave notre statut social

La logique du reacuteseau inverse les leccedilons de lrsquoindustrie Dans lrsquoeacuteconomie des reacuteseauxla valeur vient de lrsquoabondance de la mecircme faccedilon la valeur des teacuteleacutecopieurs srsquoaccroicirct deleur ubiquiteacute Que prolifegraverent les copies mecircme les copies physiques puisqursquoelles sontpeu chegraveres

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Ce qui a de la valeur dans ce contexte ce sont ces relations eacuteparpilleacutees qui en raison detoutes ces copies viennent senchevecirctrer dans le reacuteseau Et ces relations ont une valeur quimonte en flegraveche agrave mesure que le nombre de composantes saccroicirct fut-ce leacutegegraverementWindows NT les teacuteleacutecopieurs TCPIP les images GIF Real-Audio tous neacutes au cœur delEacuteconomie des Reacuteseaux obeacuteissent agrave cette logique Mais il en va de mecircme pour les clefs deserrage les piles normaliseacutees ou les autres biens beacuteneacuteficiant dune standardisation agraveleacutechelle mondiale plus ces articles sont reacutepandus plus on a inteacuterecirct agrave adheacuterer au standard

Agrave lavenir les chemises de coton les flacons de vitamines les tronccedilonneuses et tous lesobjets fabriqueacutes de par le monde obeacuteiront aussi agrave cette loi de lAbondance agrave mesure que lecoucirct de production dun exemplaire suppleacutementaire tombera en flegraveche tandis que dansle mecircme temps augmentera la valeur du reacuteseau qui les conccediloit les produit et les distribue

Dans lEacuteconomie des Reacuteseaux la rareteacute est submergeacutee par les coucircts marginaux quireacutetreacutecissent Et partout ougrave le coucirct de production dun exemplaire suppleacutementairedevient neacutegligeable ce qui ne se veacuterifie pas uniquement pour le software on constateun veacuteritable boom de la valeur des normes et des reacuteseaux

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux plus donne plus

3 La Loi de la Valeur Exponentielle

La reacuteussite est non lineacuteaire

La corne drsquoabondance que repreacutesentent les profits de Microsoft est tregraves reacuteveacutelatrice quandelle est expliciteacutee sous forme de graphique car elle reflegravete plusieurs autres courbes caracteacute-risant certaines eacutetoiles montantes de lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux Pendant ses 10 premiegraveresanneacutees les profits de Microsoft eacutetaient neacutegligeables et ils nrsquoont commenceacute agrave eacutemergerqursquoaux environs de 1985 Mais degraves qursquoils ont commenceacute agrave grimper ils ont exploseacute

Federal Express a connu une trajectoire similaire des anneacutees drsquoaugmentations infi-mes de profits ont ameneacute lrsquoentreprise agrave un seuil invisible puis une vertigineuse ascen-sion srsquoest produite au deacutebut des anneacutees 1980

De la mecircme faccedilon la peacuteneacutetration des teacuteleacutecopieurs se traduit par un succegraves ininter-rompu depuis 20 ans qui faisait suite agrave 20 autres anneacutees drsquoune reacuteussite tregraves marginale Etpuis au milieu des anneacutees 1980 le nombre de machines composant le parc a tranquille-ment passeacute le point de non-retour et le fax est aujourdrsquohui partout de faccedilon irreacuteversible

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux lrsquoarcheacutetype de la reacuteussite est repreacutesenteacute par InternetComme tout pionnier se fera un plaisir de vous lrsquoapprendre Internet a eacuteteacute pendant

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2 deacutecennies un deacutesert mais un deacutesert ocirc combien exaltant avant de rencontrer le radardes meacutedias Quand on regarde un graphique du nombre drsquohocirctes drsquoInternet agrave partir desanneacutees 1960 on constate que la courbe a drsquoabord bien du mal agrave deacutecoller de lrsquoaxe desabscisses Et puis vers 1991 on assiste agrave une prolifeacuteration des hocirctes qui donne agrave lacourbe une allure exponentielle dans le monde entier

Chacune de ces courbes (et je remercie John Hagel auteur de Netgain de mrsquoavoirfourni ces 4 exemples) repreacutesente le scheacutema classique drsquoune courbe exponentielleCelui-ci est bien connu des biologistes car il correspond pratiquement agrave la deacutefinitiondrsquoun systegraveme biologique Crsquoest la raison pour laquelle on utilise des termes de biologiepour deacutecrire de faccedilon plus preacutecise lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux En fait si la Toile donnelrsquoimpression drsquoune frontiegravere crsquoest parce que pour la premiegravere fois dans lrsquohistoire noussommes les teacutemoins drsquoune croissance drsquoordre biologique affectant des systegravemes tech-nologiques

En mecircme temps chacun des exemples citeacutes ci-dessus constitue un modegravele classiquede lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux Les reacuteussites de Microsoft de FedEx des teacuteleacutecopieurs etdrsquoInternet srsquoarticulent toujours sur une loi fondamentale des reacuteseaux la valeur con-naicirct une explosion exponentielle avec la multiplication des participants ce qui va enalimenter de plus en plus le nombre Et ce cercle vertueux grossit jusqursquoagrave ce que tousles membres potentiels aient rejoint le groupe

Il convient toutefois de noter un point important dans les 4 cas citeacutes lrsquoexplosionnrsquointervient guegravere que dans le milieu ou la fin des anneacutees 1980 et au cours de cettepeacuteriode il srsquoest passeacute quelque chose les 2 big bangs repreacutesenteacutes par les laquo jelly beans raquoet lrsquoeffondrement du prix des teacuteleacutecommunications qui ont rendu possiblelrsquoeacutechange de donneacutees pratiquement en tout lieu agrave tout moment et ce pour un coucircttregraves faible La Toile la formidable Toile a alors commenceacute agrave nucleacuteer et la puissancedu reacuteseau a suivi

Maintenant que nous sommes entreacutes dans le royaume ougrave les cercles vertueux peu-vent ouvrir des succegraves immeacutediats sur un mode biologique voici un conte moral Il yavait un jour sur une plage de minuscules algues rouges qui prospeacuteraient dans unegrande mareacutee rouge Et puis quelques semaines plus tard ce tapis srsquoeacutevanouit juste aumoment ougrave il semblait ecirctre indeacuteleacutebile Les lemmings eux aussi prolifegraverent puis dispa-raissent Les forces biologiques qui provoquent une augmentation des populationssont celles-lagrave mecircme qui peuvent la tempeacuterer De la mecircme faccedilon les forces qui srsquoalimen-tent mutuellement pour amplifier les eacuteleacutements drsquoun reacuteseau jusqursquoagrave les transformer enstandards tregraves puissants dans un deacutelai record peuvent eacutegalement opeacuterer en sensinverse et les reacuteduire en un rien de temps Les deacutebuts modestes peuvent mener agrave degrands reacutesultats alors que les fortes perturbations nrsquoont que des effets limiteacutes

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux la reacuteussite est non lineacuteaire

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4 La Loi des Points de Basculement

Ce sera signifiant avant que de se deacuteployer

Il existe une autre leccedilon agrave tirer de ces succegraves primitifs de lrsquoEacuteconomie des Reacuteseauxpour laquelle il faut aussi faire reacutefeacuterence agrave la biologie On voit sur les courbes que agrave uncertain point lrsquoacceacuteleacuteration est telle que le succegraves devient eacuteclatant et vient tout sub-merger Pour ainsi dire il est devenu contagieux et si envahissant qursquoil devient difficileaux sujets non atteints de ne pas succomber entre nous combien de temps pouvez-vous tenir sans teacuteleacutephone

En eacutepideacutemiologie le point correspondant agrave une infection drsquohocirctes si nombreux quelrsquoinfection nrsquoest plus une maladie locale mais devient une eacutepideacutemie peut ecirctre vu commeun point de basculement la contagion a pris une telle puissance que crsquoest comme siapregraves avoir gravi une colline elle roulait sur lrsquoautre versant En biologie le point de bas-culement des maladies mortelles est assez eacuteleveacute mais en matiegravere de technologie il sedeacuteclenche agrave des pourcentages nettement plus bas de victimes ou de personnes toucheacutees

Dans chaque entreprise qursquoelle opegravere dans lrsquoindustrie ou en reacuteseau on constate tou-jours un point de basculement au-delagrave duquel la reacuteussite srsquoalimente drsquoelle-mecircme Tou-tefois en raison des coucircts fixes peu eacuteleveacutes des coucircts marginaux insignifiants et de ladistribution rapide dont beacuteneacuteficie lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux le basculement srsquoeacutetablitplus bas que dans lrsquoindustrie traditionnelle et donc plus vite crsquoest comme si les nou-veaux virus eacutetaient plus contagieux plus puissants aussi Les petits ruisseaux peuventformer des riviegraveres deacutebordantes

Le point de basculement eacutetant plus bas le seuil ougrave lrsquoactiviteacute devient significatif seralui aussi consideacuterablement moins eacuteleveacute que pendant lrsquoegravere industrielle Ce seuil se situeagrave la peacuteriode preacuteceacutedant le point de basculement au cours de laquelle il faut prendre auseacuterieux un mouvement une croissance ou une innovation Il est absolument essentielde deacutetecter ces eacuteveacutenements tant qursquoils restent en-deccedila de ce seuil

Ainsi par exemple les grands commerccedilants ameacutericains ont neacutegligeacute de srsquointeacuteresser auteacuteleacute-achat pendant les anneacutees 1980 parce qursquoagrave lrsquoorigine le nombre de teacuteleacutespectateursqui passaient commande eacutetait si faible et si marginal qursquoil nrsquoatteignait pas un seuilsignificatif pour le commerce de deacutetail Au lieu de porter leur attention sur ce nouveauet imperceptible seuil de lrsquoeacuteconomie des reacuteseaux les commerccedilants ont attendu quesonne le signal du basculement moyennant quoi par deacutefinition il eacutetait trop tardpour qursquoils en tirent des revenus

Autrefois crsquoeacutetait la puissance drsquoune innovation qui confeacuterait agrave celle-ci toute sasignification dans lrsquoenvironnement du reacuteseau crsquoest lrsquoinverse qui se produit crsquoestsignificatif avant drsquoecirctre puissant

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Les biologistes eacutevoquent souvent lrsquoexemple de la feuille de neacutenuphar qui double detaille en 24 heures La veille du jour ougrave la mare a eacuteteacute complegravetement recouverte onvoyait encore la moitieacute de la surface de lrsquoeau et la veille encore les 3 quarts et la veilleencore il nrsquoy avait qursquoun miseacuterable huitiegraveme de mare qui eacutetait recouvert Ce neacutenupharpousse imperceptiblement pendant tout lrsquoeacuteteacute et crsquoest seulement pendant la derniegraveresemaine du cycle que la plupart des passants remarquent qursquoil est apparulaquo soudainement raquo mais la plante a alors deacutejagrave deacutepasseacute le stade du basculement

LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux preacutesente des analogies avec ce neacutenuphar Ainsi par exem-ple la Toile est une feuille qui double de taille tous les 6 mois Il existe drsquoautres feuillesdans la mare du reacuteseau MUD1 et MOO2 teacuteleacutephones Teledesic ports de donneacutees sansfil agents collaboratifs capteurs agrave distance Pour lrsquoinstant ce ne sont que de minuscu-les cellules de neacutenuphar infestant gaiement la mare en ce deacutebut de lrsquoeacuteteacute torride desreacuteseaux

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux ce sera signifiant avant que de se deacuteployer

5 La Loi des Rendements Croissants

Faites des cercles vertueux

Crsquoest la loi essentielle en matiegravere de reacuteseau La valeur explosant avec lrsquoaugmentationdu nombre de membres elle aspire de nouveaux membres ce qui gonfle encore lereacutesultat Un vieux dicton lrsquoexprime ainsi laquo ceux qui en ont en auront davantage raquo

On voit les effets de cette loi dans le mode de croissance de certaines zones la SiliconValley par exemple chaque nouvelle start-up qui reacuteussit en attire une nouvelle qui agraveson tour attire plus de capital et de compeacutetences et donc plus de start-up Drsquoailleurscette reacutegion ainsi que drsquoautres zones tregraves marqueacutees par le high-tech repreacutesentent elles-mecircmes des reacuteseaux intimement imbriqueacutes de talents de ressources et drsquoopportuniteacutes

La loi des Rendements Croissants va nettement au-delagrave de la notion drsquoeacuteconomiedrsquoeacutechelle Agrave lrsquoeacutepoque des regravegles anciennes la reacuteussite drsquoHenry Ford srsquoeacutetait effectueacutee pareffet de levier le produit de la vente de voitures permettant de mettre au point desmeacutethodes de fabrication plus efficaces Cette approche a permis agrave Ford de vendre sesvoitures moins cher ce qui a augmenteacute le volume des ventes augmentation qui agrave sontour a alimenteacute lrsquoinnovation et des meacutethodes de production plus performantes

1 Multi-User Durgeons (Donjons et dragons)2 MUDs Orienteacutes-Objet

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encore au total lrsquoentreprise srsquoest hisseacutee jusqursquoau sommet Alors que la loi des rende-ments croissants et les eacuteconomies drsquoeacutechelle reposent toutes deux sur des boucles defeedback positifs drsquoinformations la premiegravere est propulseacutee par lrsquoeacutetonnante force de lapuissance du reacuteseau alors que ce nrsquoest pas le cas des eacuteconomies drsquoeacutechelle Tout drsquoabordcelles-ci varient de faccedilon lineacuteaire alors que dans la loi des rendements croissants lavaleur augmente de faccedilon exponentielle la diffeacuterence est agrave peu pregraves analogue agrave celleexistant entre une tirelire et un inteacuterecirct composeacutehellip

Ensuite et crsquoest plus important encore les eacuteconomies drsquoeacutechelle industrielles proviennentdrsquoefforts herculeacuteens dispenseacutes par une seule organisation pour distancer ses concurrents encreacuteant plus de valeur pour un coucirct moindre En lrsquooccurrence lrsquoexpertise et lrsquoavantage deacuteve-loppeacutes par lrsquoentreprise leader appartiennent agrave celle-ci et uniquement agrave elle Au contraire lesrendements croissants en reacuteseau sont creacuteeacutes et partageacutes par le reacuteseau tout entier et crsquoest laparticipation de nombreux agents utilisateurs et concurrents qui creacutee la valeur du reacuteseauMecircme si les gains des rendements croissants peuvent ecirctre ineacutegalement reacutecolteacutes par les dif-feacuterentes organisations la valeur de ces gains reacuteside dans la toile eacutelargie des relations

Des sommes consideacuterables peuvent affluer vers des entreprises qui ont reacuteussi dans lereacuteseau comme Cisco Oracle ou Microsoft mais mecircme si les firmes citeacutees venaient agravedisparaicirctre on assisterait agrave la poursuite de lrsquoexpansion de la matrice hyper-satureacutee derendements croissants qui srsquoest tisseacutee agrave travers elles

De la mecircme faccedilon les rendements croissants que lrsquoon constate dans la Silicon Valleyne deacutependent pas de la reacuteussite drsquoune entreprise en particulier AnnaLee Saxenianauteur de Regional Advantage note que cette zone est effectivement devenue unegrande entreprise reacutepartie laquo Lagrave-bas on raconte qursquoon peut changer de job sans chan-ger de covoiturage raquo ajoute-t-elle lors drsquoune interview donneacutee agrave Elizabeth Corcorandu Washington Post laquo Certaines personnes disent qursquoelles se reacuteveillent le matin enpensant qursquoelles travaillent pour la Silicon Valley elles sont plus loyales envers lesavanceacutees technologiques et la reacutegion qursquoenvers une entreprise en particulier raquo

Suivons cette ideacutee nous allons vers une egravere dans laquelle ceux qui travaillent et ceuxqui consomment se montreront plus fidegraveles agrave un reacuteseau qursquoagrave une entreprise La grandeinnovation de la Silicon Valley crsquoest qursquoelle a inventeacute non pas le hardware et le softwaremais lrsquoorganisation sociale des firmes qui y sont installeacutees et ce qui est plus importantencore la structure reacuteticuleacutee de la reacutegion elle-mecircme un reacuteseau extrecircmement com-plexe drsquoanciens drsquoune mecircme entreprise de collegravegues devenus intimes de fuitesdrsquoinformations drsquoune entiteacute agrave lrsquoautre de cycles de vie rapides et de culture e-mail Cetissu social baignant dans le hardware tiegravede des puces agrave bas prix et des neurones de cui-vre crsquoest lui qui creacutee une veacuteritable Eacuteconomie des Reacuteseaux

Par sa nature la loi des rendements croissants favorise les premiers arriveacutes les para-megravetres de deacutepart et les conventions passeacutees agrave lrsquoorigine qui confegraverent agrave un reacuteseau son

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pouvoir mecircme se figent rapidement pour devenir des normes inalteacuterables Une tellesolidification constitue agrave la fois un bienfait et un fleacuteau pour un reacuteseau bienfait parceque crsquoest de lrsquoaccord collectif de facto que deacutecoule la puissance deacutebrideacutee des rendementscroissants fleacuteau parce que ceux qui possegravedent ou controcirclent la norme en tirent desbeacuteneacutefices disproportionneacutes

Seulement lrsquoun ne va pas sans lrsquoautre dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux Si lrsquoon tolegravere lesmilliards de Microsoft crsquoest que bien drsquoautres entreprises de cette Eacuteconomie ont col-lectivement gagneacute des milliards gracircce aux standards de Microsoft en matiegravere de rende-ments croissants

Dans une Eacuteconomie des Reacuteseaux la vie est difficile pour les consommateurs qui doi-vent srsquoengager sur un protocole de deacutepart il est douloureux de se retirer plus tard drsquounreacuteseau de relations qui nrsquoeacutetait pas le bon mais ce nrsquoest pas aussi dramatique que pour desentreprises qui parient leurs vies sur le mauvais standard Ceci poseacute il vaut encore mieuxse tromper que passer totalement agrave cocircteacute drsquoune dynamique car il nrsquoy a pas drsquoavenir danslrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux pour les systegravemes hermeacutetiquement clos Plus il y a de dimen-sions accessibles agrave la contribution et agrave la creacuteativiteacute des membres plus les rendementscroissants pourront animer le reacuteseau et plus le systegraveme prospeacuterera en srsquoauto-alimentantAgrave lrsquoinverse moins il permettra ce deacuteveloppement moins il attirera de membres

LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux reacutecompense la creacuteation deacutecentraliseacutee et punit les systegravemesqui ne la permettent pas Pendant lrsquoegravere industrielle un constructeur automobile srsquoatta-chait agrave garder le controcircle de tous les aspects de la fabrication du veacutehicule et de ses piegrave-ces Agrave lrsquoegravere des reacuteseaux il va tisser une toile de normes et de fournisseurs exteacuterieurs etencourager cette toile agrave inventer une voiture il va ensemencer de connaissances le sys-tegraveme et reacuteunir le plus grand nombre possible de participants afin de creacuteer une bouclevertueuse dans laquelle le succegraves de chacun est partageacute par tous et influe sur tous

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux faites des cercles vertueux

6 La Loi des Prix Inverseacutes

Pariez sur le bas prix

LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux preacutesente une curieuse caracteacuteristique qui eacutetonnerait beau-coup un citoyen qui aurait veacutecu en 1897 il y a donc un siegravecle crsquoest que le meilleurdevient moins cher drsquoune anneacutee sur lrsquoautre Il srsquoagit lagrave drsquoun principe de base qui est siancreacute dans le style de vie contemporain que lrsquoon nrsquoa pas tendance agrave srsquoen eacutemerveiller or on le devrait car ce paradoxe est un moteur essentiel dans la nouvelle eacuteconomie

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Pendant la plus grande partie de lrsquoegravere industrielle la qualiteacute srsquoameacuteliorait leacutegegraverementmoyennant une faible augmentation du prix Mais lrsquoarriveacutee des microprocesseurs abalayeacute cette eacutequation agrave lrsquoegravere de lrsquoinformation les consommateurs en sont rapidementvenus agrave escompter une qualiteacute radicalement supeacuterieure pour un prix devant progres-sivement diminuer Les courbes de prix et de qualiteacute divergent si consideacuterablementqursquoil peut parfois sembler que meilleur est un produit moins il coucircte cher

Ce sont les puces qui ont inaugureacute cette inversion comme le note justement Ted Lewisauteur de The Friction Free Economy Les ingeacutenieurs informatiques ont exploiteacute les vertuscapitales des ordinateurs pour creacuteer de faccedilon directe et indirecte la geacuteneacuteration suivanteplus performante En recombinant de la mecircme faccedilon notre expeacuterience on obtient plusavec moins de matiegravere Les puces ont un tel pouvoir de recombinaison que tout ce qursquoellestouchent tombe sous leur charme voitures vecirctements alimentshellip Lrsquoexpeacuterience cumu-leacutee acquise dans la miniaturisation des puces a permis la production en flux tendus et unesous-traitance de la fabrication high tech aupregraves drsquoune main-drsquoœuvre bon marcheacute ce quia encore contribueacute agrave lrsquoabaissement du prix des marchandises

Aujourdrsquohui la reacuteduction des puces se conjugue agrave un reacuteseau qui explose De la mecircmefaccedilon que nous avons une deacutemultiplication de lrsquoexpeacuterience acquise avec la creacuteation dumicroprocesseur nous sommes actuellement en train drsquoexercer les mecircmes effets delevier et de deacutemultiplication avec la toile des communications globales nous utilisonsles vertus capitales des communications en reacuteseau pour creacuteer directement ou non demeilleures versions de communications en reacuteseau

Les microprocesseurs ont connu ce pheacutenomegravene pratiquement degraves leur apparitionen 1971 crsquoest-agrave-dire une reacuteduction par deux du prix ou un doublement de capaciteacutetous les 18 mois Aujourdrsquohui les teacuteleacutecommunications srsquoapprecirctent agrave connaicirctre lamecircme eacutevolution mais agrave une eacutechelle encore plus impressionnante Lrsquoeacutevolution de cerapport coucirctcapaciteacute est connu sous le nom de la loi de Moore Le mecircme rapport appli-queacute au Net est connu sous le nom de Loi de Gilder Georges Gilder un technotheacuteori-cien radical promet pour les 25 prochaines anneacutees un triplement de la bande passante(la capaciteacute du flux de communication) tous les 12 mois

Le pouvoir de communication qui augmente consideacuterablement et les puces qui seminiaturisent et coucirctent toujours moins cher conduisent Gilder agrave parler drsquoune bandepassante qui devient gratuite

Il veut dire par lagrave que le prix par bit transmis baisse en suivant une asymptote quitend vers zeacutero Lrsquoasymptote preacutesente une analogie avec le paradoxe de Zeacutenon drsquoEacuteleacutee agrave chaque pas la tortue srsquoapproche de la limite mais en fait nrsquoy parvient jamais De lamecircme faccedilon une courbe de prix asymptotique approche de la gratuiteacute sans jamaislrsquoatteindre mais ce qui est important crsquoest que sa trajectoire soit parallegravele agrave la gratuiteacutetout en eacutetant voisine de celle-ci

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Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux il nrsquoy a pas que la largeur de bande qui a pris cettedirection Plongent ainsi vers la gratuiteacute les calculs en MIPS1 par dollar les coucircts detransaction de lrsquoinformation tels les gros titres de lrsquoactualiteacute et les cours de la bourseEn fait tous les biens pouvant ecirctre reproduits qursquoils soient mateacuteriels ou immateacuterielsobeacuteissent agrave la loi des prix inverseacutes et deviennent moins chers agrave mesure qursquoils srsquoameacutelio-rent Certes les voitures ne seront jamais gratuites mais le prix au kilomegravetre va chuterpour se rapprocher de la gratuiteacute crsquoest la fonction par dollar qui continuera agrave baisser

Pour les consommateurs crsquoest le paradis en revanche crsquoest un monde cruel pour ceuxqui espeacuteraient une rente de situation Les prix vont finir par srsquoeacutetablir agrave proximiteacute de la gra-tuiteacute mais il nrsquoy aura pas de limite supeacuterieure agrave la qualiteacute Ainsi par exemple il y aura bienun jour ougrave les services teacuteleacutephoniques seront agrave volonteacute et pratiquement gratuits mais leurqualiteacute ne pourra que continuer agrave srsquoameacuteliorer simplement pour rester compeacutetitive

Mais comment donc les teacuteleacutecommunications et bien drsquoautres activiteacutes vont-ellesavoir des revenus suffisants pour financer la maintenance ainsi que la recherche et ledeacuteveloppement tout en deacutegageant des profits Tout simplement en eacutelargissant lanotion de teacuteleacutephone Le temps aidant tout produit inventeacute repreacutesente un aller simplepour franchir la falaise des prix inverseacutes et descendre vers la gratuiteacute Dans la mesure ougravelrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux se communique agrave tous les articles manufactureacutes ceux-ci vonttregraves rapidement se retrouver sur ce toboggan Notre tacircche consiste donc agrave creacuteer de nou-velles choses agrave envoyer sur le toboggan en bref agrave ce que le rythme drsquoinvention soit plusrapide que la vitesse agrave laquelle les objets deviennent des marchandises

Crsquoest plus facile agrave faire dans une eacuteconomie baseacutee sur les reacuteseaux car dans ce contextelrsquoentrecroisement des ideacutees lrsquoagiliteacute confeacutereacutee aux alliances et la rapiditeacute de creacuteation denœuds viennent soutenir la mise au point constante de nouveaux biens et services lagraveougrave auparavant il nrsquoexistait rien

Et du coup lrsquoappeacutetit devient insatiable toute nouvelle invention introduite dansle circuit eacuteconomique creacutee lrsquoopportuniteacute et le deacutesir drsquoen posseacuteder deux autres Alors quele service teacuteleacutephonique de base tend vers la gratuiteacute jrsquoai maintenant trois lignes qui neservent qursquoagrave mes machines peut-ecirctre aurai-je un jour une laquo ligne raquo de donneacutees pourtous les objets se trouvant chez moi Mais il y a plus important encore la gestion deces lignes les donneacutees qursquoelles transmettent les messages qui me sont adresseacutes et leurarchivage le besoin de mobiliteacute tous ces eacuteleacutements eacutelargissent la notion que jrsquoavais duteacuteleacutephone et du prix fort que je suis disposeacute agrave payer

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux on peut compter sur le meilleur agrave prix toujours plusbas ce qui ouvre un espace pour quelque chose de nouveau qui est cher Pariez sur lebas prix

1 MIPS millions drsquoinstructions par seconde

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7 La Loi de la Geacuteneacuterositeacute

Pratiquez la gratuiteacute

Si drsquoune part les services prennent de la valeur agrave mesure qursquoils sont plus abondants (loindeg2) et si drsquoautre part moins ils coucirctent meilleurs ils sont et plus ils sont valoriseacutes (loindeg6) alors on peut dire en poussant le raisonnement que les choses qui ont le plus devaleur sont celles qui sont donneacutees

Microsoft donne son browser Internet Explorer Qualcomm qui produit le pro-gramme standard de courrier eacutelectronique Eudora le donne dans la perspective drsquoenvendre des versions ameacutelioreacutees On distribue gratuitement un million drsquoexemplairespar mois du logiciel anti-virus de McAfee Et bien sucircr Sun a distribueacute gratuitementJava faisant monter le cours de son action et donnant naissance agrave une mini-industriede deacuteveloppeurs drsquoapplications en langage Java

Pourrait-on imaginer un jeune cadre qui dans les anneacutees 1940 aurait dit agrave sa direc-tion qursquoil venait drsquoavoir lrsquoideacutee de distribuer gratuitement les 40 premiers millionsdrsquoexemplaires de son unique produit Il aurait eacuteteacute immeacutediatement remercieacute pour-tant crsquoest bien ce qursquoa fait Netscape 50 ans plus tard

Aujourdrsquohui cette pratique constitue une strateacutegie parfaitement reacutefleacutechie et applau-die qui mise sur les nouvelles regravegles du reacuteseau Dans la mesure ougrave la deacutemultiplicationdu savoir du reacuteseau inverse les prix le coucirct marginal drsquoun exemplaire suppleacutementaireest voisin de zeacutero (le terme drsquoexemplaire srsquoapplique ici agrave un bien mateacuteriel ou immateacute-riel) La valorisation srsquoappreacuteciant en proportion de lrsquoabondance un deacuteluge drsquoexem-plaires augmente la valeur de chacun drsquoentre eux Cette valorisation accrue rend lebien de plus en plus deacutesirable et la diffusion du produit srsquoaccomplit drsquoelle-mecircme Unefois bien eacutetablis la valeur du produit et son caractegravere indispensable lrsquoentreprise peutvendre des services annexes ou des versions ameacutelioreacutees ce qui lui permet de continueragrave ecirctre geacuteneacutereuse et agrave maintenir ce cercle merveilleux

On pourrait objecter que cette terrifiante dynamique ne marche qursquoavec le logiciel puis-que le coucirct marginal drsquoun exemplaire suppleacutementaire est deacutejagrave voisin de zeacutero ce seraitmeacuteconnaicirctre lrsquouniversaliteacute de la loi des prix inverseacutes Celle-ci reacutegit eacutegalement tout produitmateacuteriel constitueacute drsquoatomes degraves lors qursquoil est en reacuteseau on donne des teacuteleacutephones cellu-laires afin de vendre des services et on peut srsquoattendre agrave ce que pour les mecircmes raisons ondistribue des antennes paraboliques ou tout autre produit pour lequel les avantages de lamise en reacuteseau excegravedent le coucirct de reproduction de lrsquoobjet et le prix diminue

Dans ces conditions il est tout agrave fait naturel de se demander comment les entreprisespeuvent survivre dans un monde aussi geacuteneacutereux Trois points peuvent aider agrave le com-prendre

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Premiegraverement il faut penser la gratuiteacute comme un objectif dans la maniegravere dont onconccediloit le prix Il existe un mouvement vers la gratuiteacute la gratuiteacute asymptotique quimecircme si elle nrsquoest pas atteinte fait que le systegraveme se comporte comme si elle lrsquoeacutetait un prix tregraves bas en ordonneacutee et tregraves plat produit les mecircmes effets que la gratuiteacute

Deuxiegravemement quand un produit est gratuit il valorise les autres services Crsquoest laraison pour laquelle Sun distribue Java gratuitement pour favoriser la vente de ses ser-veurs et Netscape donne des browsers pour vendre des serveurs Netscape

Troisiegravemement et crsquoest le point le plus important le fait de pratiquer la gratuiteacuteconstitue une sorte de reacutepeacutetition geacuteneacuterale agrave la chute ineacutevitable du prix On structureson activiteacute comme si le produit creacuteeacute eacutetait gratuit pour anticiper son prix futur Lesconsoles de jeu Sega ne sont pas gratuites mais elles sont vendues agrave perte pour acceacuteleacutererleur destin drsquoobjet qui sera donneacute gratuitement dans une Eacuteconomie des Reacuteseaux

On peut aussi envisager cet effet en terme drsquoattention Le seul facteur qui se rareacutefiedans un monde drsquoabondance crsquoest lrsquoattention dont on dispose Chaque ecirctre humainse heurte agrave une limite absolue il nrsquoa que 24 heures par jour pour precircter attention auxmillions drsquoinnovations et drsquoopportuniteacutes que produit lrsquoeacuteconomie agrave jet continu Or lefait de donner attire lrsquoattention et cette laquo part drsquoattention raquo va mener agrave la part demarcheacute

La pratique de la gratuiteacute marche eacutegalement en sens inverse si lrsquoun des moyensdrsquoaugmenter la valeur drsquoun produit consiste agrave le distribuer gratuitement nombreusessont les choses qui ne coucirctent rien aujourdrsquohui mais qui dissimulent une tregraves grandevaleur Il est donc possible drsquoanticiper la richesse en utilisant la gratuiteacute

Dans la premiegravere peacuteriode drsquoexistence de la Toile les premiers index de ce terri-toire inexploreacute eacutetaient consigneacutes par des eacutetudiants et offerts Ces index permet-taient aux gens de focaliser leur attention sur quelques sites parmi les milliersexistants de sorte que les webmasters facilitaient le travail des eacutetudiants Eacutetant gra-tuits ces index sont devenus omnipreacutesents ce qui a rapidement entraicircneacute uneexplosion des valeurs boursiegraveres de ceux qui rendaient ce service et permis agravedrsquoautres sites Web de prospeacuterer

Qursquoest-ce qui est gratuit aujourdrsquohui et qui pourrait ulteacuterieurement beacuteneacuteficier drsquouneextrecircme valorisation Ougrave de nos jours la geacuteneacuterositeacute preacutecegravede-t-elle la richesse Uneseacutelection de candidats en ligne nous donne les reacutedacteurs de laquo digests raquo les guides leseacutediteurs de catalogues les FAQs1 les web-cams2 les sites promotionnels et de nom-breux agents intelligents Gratuits aujourdrsquohui ces produits permettront un jour ougravelrsquoautre lrsquoeacutedification autour drsquoeux drsquoentreprises florissantes Ces fonctions actuellement

1 FAQs Frequently Asked Questions2 Cameacutera videacuteo sur Internet en temps reacuteel

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marginales ne sont pas neacutegligeables rappelons-nous par exemple que agrave lrsquoegravere indus-trielle le Readerrsquos Digest eacutetait le magazine le plus lu au monde que TV Guide est encoreplus profitable que les 3 grands reacuteseaux dans lesquels il guide les teacuteleacutespectateurs et quelrsquoEncyclopœdia Britannica a deacutebuteacute comme une petite encyclopeacutedie dont les entreacuteeseacutetaient reacutedigeacutees par des amateurs ce qui nrsquoest pas si diffeacuterent des FAQs

Mais il nrsquoest pas possible de preacutecipiter le passage de lrsquoutilisation adapteacutee agrave la com-mercialisation Lrsquoun des corollaires de la loi de la geacuteneacuterositeacute est que dans lrsquoEacutecono-mie des Reacuteseaux la valeur exige une eacutetape preacute-commerciale Ici encore la richesseprocure lrsquoomnipreacutesence et lrsquoomnipreacutesence appelle un certain niveau de partage Agraveleurs deacutebuts lrsquoInternet et la Toile ont permis le deacuteveloppement drsquoune eacuteconomie dudon eacutetonnamment robuste les biens et services srsquoeacutechangeaient se partageaientgeacuteneacutereusement ou se donnaient carreacutement en fait crsquoeacutetait le seul mode drsquoeacutechangesur Internet Aussi ideacutealiste que puisse ecirctre une telle attitude crsquoeacutetait la seule solu-tion saine pour lancer une eacuteconomie marchande dans cet espace eacutemergeantWilliam Gibson as de la science-fiction avait trouveacute une faille dans la Toile sacapaciteacute agrave gaspiller un temps absolument consideacuterable En reacutealiteacute comme le noteraplus tard Gibson cette faille se reacutevegravelera en fait ecirctre son salut Dans une Eacuteconomiedes Reacuteseaux les innovations doivent drsquoabord srsquoensemencer dans lrsquoinefficaciteacute delrsquoeacuteconomie du don avant de germer plus tard dans lrsquoefficaciteacute des eacuteconomies mar-chandes

Aujourdrsquohui rare et bien sot serait lrsquoeacutediteur de logiciel qui ne ferait pas ses premierspas dans lrsquoeacuteconomie du don avec une version beta Il y a 50 ans on aurait consideacutereacutecomme lacircche meacutediocre ou totalement stupide le fait de lancer un produit non encorefini en comptant sur le public pour aider agrave le terminer Mais dans le nouveau reacutegime ougravenous sommes cette eacutetape de preacute-commercialisation srsquoanalyse comme une deacutemarche agravela fois courageuse prudente et vitale

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux pratiquez la gratuiteacute

8 La Loi de lrsquoAlleacutegeance

Commencez par nourrir la toile

Ce qui caracteacuterise les reacuteseaux crsquoest qursquoils ne comportent ni centre ni peacuteripheacuterie quisoient nettement discernables Dans une Eacuteconomie des Reacuteseaux la distinction essen-tielle entre le soi (nous) et le non-soi (eux) devient moins significative alors que danslrsquoegravere industrielle elle srsquoillustrait par lrsquoalleacutegeance de lrsquohomme envers lrsquoorganisation Le

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seul point de repegravere aujourdrsquohui crsquoest laquo ecirctes-vous ou non sur le reacuteseau raquo Lrsquoalleacutegeanceindividuelle se deacuteplace vers les reacuteseaux et les plates-formes (laquo Ecirctes-vous Windows ouMac raquo)

On constate donc un farouche enthousiasme des consommateurs envers lesarchitectures ouvertes Les utilisateurs votent en faveur de la maximisation de lavaleur du reacuteseau lui-mecircme et les entreprises doivent elles aussi suivre le mouve-ment Comme lrsquoaffirme le consultant John Hagel lrsquoobjectif essentiel drsquoune organi-sation dans un monde en reacuteseau ne consiste pas agrave maximiser la valorisation delrsquoentreprise en question mais agrave maximiser la valeur de lrsquoinfrastructure tout entiegravereAinsi par exemple les entreprises de jeux consacrent autant drsquoeacutenergie agrave promou-voir la plate-forme (lrsquoenchevecirctrement des utilisateurs les deacuteveloppeurs les fabri-cants de hardware etc hellip) que le produit lui-mecircme Si leur reacuteseau ne se deacuteveloppepas elles meurent

Le reacuteseau est une usine du possible qui produit en seacuterie de nouvelles opportuni-teacutes Mais agrave moins que cette explosion ne soit exploiteacutee elle va noyer ceux qui nesont pas preacutepareacutes Ce que lrsquoindustrie informatique appelle laquo standards raquo repreacutesenteune tentative drsquoapprivoiser la fragilisante abondance drsquoalternatives en concur-rence potentielle Les standards renforcent un reacuteseau et les contraintes qursquoilsimposent viennent stabiliser la voie ce qui permet une acceacuteleacuteration du rythme desinnovations et des eacutevolutions Ce besoin de les reacuteduire est si vital que les organisa-tions doivent faire drsquoun standard commun leur toute premiegravere alleacutegeance Cellesqui se positionnent agrave lrsquoentreacutee drsquoun standard sont celles qui recueilleront les plusgros beacuteneacutefices Mais quand une entreprise prospegravere la prospeacuteriteacute touche aussi ceuxqui se trouvent dans son reacuteseauhellip

Un reacuteseau preacutesente une analogie avec un pays dans les deux cas le moyen le plussucircr pour augmenter sa propre prospeacuteriteacute consiste agrave augmenter celle de lrsquoensemble Lrsquoegravereindustrielle nous a drsquoailleurs bien montreacute une chose crsquoest que la prospeacuteriteacute agrave laquelleparviennent les individus est plus eacutetroitement lieacutee agrave la prospeacuteriteacute de la nation qursquoagrave leurspropres efforts

Mais si le reacuteseau srsquoapparente agrave un pays il srsquoen distingue par trois diffeacuterencesimportantes

1- Il nrsquoy existe aucune frontiegravere drsquoordre spatial ou temporel les liaisons srsquoeacutetablissant24 heures sur 24 7 jours sur 7 et 365 jours par an

2- Les relations y sont plus eacutetroitement coupleacutees plus intenses plus continues etpar bien des aspects plus intimes que celles qui se deacuteveloppent dans un pays

3- Il existe de multiples recouvrements des reacuteseaux et de multiples recouvrementsdrsquoalleacutegeances

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Mais en tout eacutetat de cause quel que soit le reacuteseau la regravegle est la mecircme pour connaicirc-tre une prospeacuteriteacute maximale commencez par nourrir la toile

9 La Loi de la Reacutegression

Lacircchez prise au sommet

Les caracteacuteristiques drsquointerconnexion de toute eacuteconomie lrsquoamegravenent agrave se comporterde faccedilon eacutecologique et crsquoest tout particuliegraverement le cas de lrsquoEacuteconomie des Reacuteseauxqui est ultra-connecteacutee Le sort drsquoune organisation ne deacutepend pas entiegraverement de sespropres meacuterites il est eacutegalement lieacute au destin de son voisinage de ses allieacutes de ses con-currents et bien sucircr de son environnement immeacutediat

Dans la nature il existe certains biotopes qui nrsquooffrent que peu drsquoopportuniteacutes au deacuteve-loppement de la vie Dans lrsquoArctique il nrsquoy a que quelques modes de vie et une espegravece adonc inteacuterecirct agrave adopter lrsquoun drsquoentre eux Drsquoautres biotopes foisonnent au contrairedrsquoopportuniteacutes en perpeacutetuel renouvellement qui apparaissent et disparaissent dans letemps biologique au greacute des luttes des espegraveces pour leur adaptation agrave leur environnement

De par sa forme luxuriante interactive et extrecircmement plastique lrsquoEacuteconomie desReacuteseaux ressemble agrave un biotope en effervescence De nouvelles niches se manifestentconstamment et srsquoeacutevanouissent aussi vite qursquoelles sont apparues les concurrentsbourgeonnent sous vos pieds et vous avalent tout net vous ecirctes un jour le roi drsquounemontagne qui le lendemain nrsquoexistera mecircme plus

Les biologistes verraient dans cette lutte meneacutee par un organisme pour srsquoadapter agraveson biotope comme la longue ascension drsquoune montagne une altitude plus eacuteleveacutee cor-respondant agrave une meilleure adaptation Crsquoest donc quand il se trouve au sommet quelrsquoorganisme en question atteint une adaptation plus grande Il est facile drsquoimaginer lasituation si au lieu drsquoun organisme on a affaire agrave une entreprise celle-ci deacuteploie tousses efforts pour gravir la montagne crsquoest-agrave-dire pour faire eacutevoluer son produit de faccedilonqursquoil parvienne au sommet autrement dit qursquoil soit le plus adapteacute possible agrave lrsquoenviron-nement des consommateurs

Qursquoelles aient ou non un but lucratif les organisations se trouvent toutes confron-teacutees agrave deux problegravemes quand elles cherchent agrave atteindre leur forme optimale Ces deuxproblegravemes sont amplifieacutes par lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux dans laquelle la turbulenceconstitue la norme

Premiegraverement agrave la diffeacuterence de lrsquoenvironnement relativement simple de lrsquoegravereindustrielle ougrave lrsquoon avait une vision assez claire de ce agrave quoi pouvait ressembler un pro-duit optimal et de lrsquoendroit ougrave une entreprise devait se positionner sur un horizon eacutevo-

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luant lentement il est de plus en plus difficile dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux dediscerner quelles sont les collines les plus hautes et quels sont les sommets factices

Grande ou petite une entreprise peut se trouver confronteacutee agrave ce problegraveme Il nrsquoestpas eacutevident de savoir si lrsquoon doit tout mettre en œuvre pour devenir le meilleur fabri-cant mondial de disques durs alors que la montagne soutenant le sommet viseacute risquede ne plus exister quelques anneacutees plus tard Une organisation peut donc tregraves biendeacuteployer des efforts insenseacutes pour devenir lrsquoexpert de reacutefeacuterence drsquoune technologie quisrsquoavegraverera ulteacuterieurement ecirctre une impasse pour deacutecrire pareille situation les biologis-tes eacutevoqueraient lrsquoorganisme coinceacute sur un sommet tregraves localiseacute

Ce qui est cruel dans la nouvelle eacuteconomie crsquoest qursquoon est certain drsquoecirctre coinceacute agrave lamaniegravere de cet organisme Tocirct ou tard et plutocirct tocirct que tard un produit se trouve for-ceacutement eacuteclipseacute alors qursquoil se trouve agrave lrsquoapogeacutee car tandis qursquoil est au sommet un autreproduit va deacuteplacer la montagne en changeant les regravegles

Pour eacutechapper agrave cette situation lrsquoorganisme ne dispose que drsquoune seule solution reacutegres-ser Autrement dit srsquoil veut passer drsquoun sommet drsquoaltitude agrave un autre il lui faut drsquoabord des-cendre traverser une valleacutee puis entreprendre lrsquoascension drsquoune autre montagne il fautdonc qursquoil devienne moins adapteacute moins en forme bref moins optimal

Cela nous amegravene agrave lrsquoautre problegraveme Tout comme les ecirctres humains les organisationssont cacircbleacutees pour optimiser ce qursquoelles savent faire et non pour gaspiller leur succegraves Etdonc les entreprises considegraverent que le fait de reacutegresser est primo impensable secundoimpossible Il nrsquoy a tout bonnement dans lrsquoentreprise pas de place pour le concept delaquo lacirccher prise raquo et agrave plus forte raison pour avoir la compeacutetence pour lacirccher prise sur quel-que chose qui marche Crsquoest donc en traicircnant les pieds qursquoelles descendent vers le chaos

Et effectivement crsquoest chaotique et dangereux agrave plus faible altitude car quand on estmoins adaptable on est plus proche de lrsquoextinction Dans ces conditions la deacutecouvertedu sommet suivant devient tout agrave coup une question de vie ou de mort Mais que lrsquoonsache il nrsquoexiste pas drsquoautre solution que de laisser derriegravere soi des produits parfaitsune technologie dont la mise au point a repreacutesenteacute des coucircts importants et des mar-ques magnifiques pour descendre vers les problegravemes afin de remonter ailleurs Il srsquoagitlagrave drsquoune marche forceacutee qui agrave lrsquoavenir deviendra une routine

Du fait de la nature biologique de cette egravere nouvelle la soudaine deacutesinteacutegration dedomaines bien eacutetablis est aussi certaine que la survenue soudaine de nouveauteacute Il nepeut donc y avoir expertise dans lrsquoinnovation srsquoil nrsquoy a aussi expertise dans la deacutemoli-tion de ce qui est installeacute

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux une qualiteacute sera inestimable la capaciteacute agrave abandon-ner un produit une profession ou un domaine drsquoactiviteacute alors qursquoils sont agrave leur apogeacuteeLacircchez prise au sommet

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10 La Loi de la Substitution

Crsquoest le reacuteseau qui est gagnant

Nombreux sont les observateurs qui ont noteacute que dans notre eacuteconomie les mateacute-riaux eacutetaient progressivement supplanteacutes par lrsquoinformation Ainsi par exemple lepoids des voitures est nettement plus faible qursquoautrefois alors que les performances sesont ameacutelioreacutees Les veacutehicules ne comportent plus un certain nombre de mateacuteriauxqui ont eacuteteacute remplaceacutes par un savoir-faire technologique dont le poids est voisin de zeacuterosous forme de plastiques et de fibres composites Ce remplacement drsquoune masse par desbits va se poursuivre dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux

Alors que dans le passeacute la dynamique exceptionnelle de lrsquoindustrie du software et delrsquoordinateur (rendements croissants pratique de la gratuiteacute etc) eacutetait consideacutereacuteecomme un cas agrave part dans lrsquoeacuteconomie plus eacutetendue et plus laquo reacuteelle raquo de lrsquoacier dupeacutetrole de lrsquoautomobile ou de lrsquoagriculture la dynamique des reacuteseaux continuera agraveremplacer lrsquoancienne dynamique jusqursquoagrave ce que le comportement en reacuteseau soit celuide lrsquoeacuteconomie tout entiegravere

Prenons par exemple la nouvelle logique automobile telle qursquoelle a eacuteteacute souligneacutee parun visionnaire Amory Lovins La voiture est veacuteritablement lrsquoarcheacutetype du produit delrsquoegravere industrielle et pourtant cette derniegravere peut ecirctre supplanteacutee par les puces et lesreacuteseaux mecircme dans le secteur automobile La plus grande partie de lrsquoeacutenergie consom-meacutee lors drsquoun voyage est utiliseacutee pour deacuteplacer non le passager mais le veacutehicule Doncsi lrsquoon parvient agrave diminuer la taille du moteur et de la carrosserie une voiture aurabesoin drsquoune puissance moindre autrement dit on pourra faire des moteurs encoreplus petits et donc un modegravele encore plus petit lui aussi et ainsi de suite selon lamecircme courbe descendante de valeur composeacutee qursquoont suivie les microprocesseursDans ce processus le rocircle de lrsquoacier se trouve reacuteduit par des mateacuteriaux intelligents dontlrsquoinvention et la production exigent des compeacutetences de plus en plus grandes

Agrave Detroit et au Japon on a construit des concept cars en fibres composites ultra-leacutegegraveres ces voitures pegravesent environ 450 kg et sont eacutequipeacutees drsquoun moteur hybride carburant pluseacutelectriciteacute Les puces en reacuteseau y ont remplaceacute les masses du radiateur de lrsquoessieu et delrsquoarbre de transmission De la mecircme faccedilon que le freinage est rendu plus sucircr par lrsquoincor-poration de puces lrsquoautomobiliste dispose drsquoune plus grande seacutecuriteacute gracircce agrave lrsquointelli-gence en reacuteseau connecteacutee par fils un choc accroicirct lrsquointelligence de multiples airbagsun peu analogues agrave un emballage pelliculeacute dont les bulles seraient intelligentes

Lrsquoeffet cumuleacute de ce remplacement de mateacuteriaux par du savoir se traduit dans unelaquo hyper-voiture raquo qui sera nettement plus sucircre qursquoun veacutehicule actuel et pourra de sur-croicirct traverser les Eacutetats-Unis drsquoun oceacutean agrave lrsquoautre avec un seul plein de carburant

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Aujourdrsquohui deacutejagrave une voiture lambda dispose drsquoune puissance informatique supeacute-rieure agrave celle drsquoun PC basique de bureau Mais indique Lovins ce que promet lrsquolaquo hyper-voiture raquo ce nrsquoest pas des roues comportant de nombreuses puces crsquoest au contraire unepuce avec des roues Une voiture peut se consideacuterer comme destineacutee agrave devenir unmodule eacutelectronique se conduisant sur un systegraveme routier qui repreacutesentera de plus enplus un reacuteseau eacutelectronique deacutecentraliseacute obeacuteissant aux lois de lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux

Une fois que lrsquoon considegravere lrsquoautomobile comme des puces monteacutees sur roues il estnettement plus facile drsquoimaginer que les avions sont des puces pourvues drsquoailes lesexploitations agricoles des puces entoureacutees de terre les habitations des puces environ-neacutees drsquooccupants Certes ces diffeacuterents objets repreacutesenteront encore une masse maiscelle-ci sera soumise agrave la domination du savoir et des informations qui y passeront enabondance en termes eacuteconomiques ils se comporteront comme si leur masse eacutetaitreacuteduite agrave zeacutero et donc ils migreront vers lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux

Nicholas Negroponte surnommeacute laquo Atoms-to-Bits raquo estime que cette eacuteconomieatteindra un billion de dollars en lrsquoan 2000 Ce que cette eacutevaluation ne prend pas encompte crsquoest lrsquoeacutechelle du monde eacuteconomique qui eacutevolue vers Internet ce formidablereacuteseau drsquoobjets interconnecteacutes dans la mesure ougrave lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux infiltre lesautomobiles aussi bien que leur circulation lrsquoacier aussi bien que le bleacute Mecircme si toutesles voitures ne se vendent pas on-line pour lrsquoinstant la faccedilon dont les veacutehicules sontconccedilus produits et utiliseacutes deacutependra de la logique du reacuteseau et du pouvoir des puces

Quelle sera lrsquoampleur du commerce on-line Cette question sera de moins en moinspertinente au fil du temps dans la mesure ougrave quelle que soit sa nature le commerceest en train de srsquoengouffrer dans lrsquoInternet Les distinctions entre lrsquoEacuteconomie desReacuteseaux et lrsquoeacuteconomie industrielle vont srsquoestomper pour aller vers la diffeacuterence exis-tant entre lrsquoanimeacute et lrsquoinerte Si lrsquoargent et lrsquoinformation circulent agrave travers quelquechose ce quelque chose fait partie de lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux crsquoest le reacuteseau qui est gagnant Toutes les transactionset tous les objets tendent agrave obeacuteir agrave sa logique

11 La Loi du Brassage

Recherchez le deacuteseacutequilibre permanent

Dans la logique industrielle lrsquoeacuteconomie eacutetait une machine qui devait ecirctre gonfleacuteepour donner une efficaciteacute optimale et qui une fois preacuteciseacutement reacutegleacutee srsquoentretenaitdans une harmonie productive Il srsquoagissait donc de proteacuteger et chouchouter les entre-

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prises et industries particuliegraverement geacuteneacuteratrices de travail ou de marchandisescomme srsquoil srsquoagissait de montres de prix dans une vitrine

Les reacuteseaux ayant infiltreacute notre monde lrsquoeacuteconomie en est venue agrave ressembler agrave un eacuteco-systegraveme drsquoorganismes interconnecteacutes et eacutevoluant conjointement en perpeacutetuel change-ment profondeacutement enchevecirctreacutes et en continuelle expansion De reacutecentes eacutetudes nousont appris que lrsquoeacutequilibre nrsquoexiste pas dans la nature au fur et agrave mesure des progregraves delrsquoeacutevolution il se produit de perpeacutetuelles ruptures agrave mesure que de nouvelles espegraveces enremplacent drsquoautres plus anciennes que des biotopes modifient leur organisation queles organismes et environnements se transforment Il en va de mecircme pour le reacuteseau lesentreprises naissent et meurent rapidement les meacutetiers sont des patchworks de voca-tions les industries sont des groupements indeacutefinis drsquoentreprises fluctuantes

Le changement nrsquoest pas eacutetranger agrave lrsquoeacuteconomie industrielle ou agrave lrsquoeacuteconomieembryonnaire de lrsquoinformation En 1970 Alvin Toffler parlait de laquo choc du futur raquopour deacutesigner la mecircme reacuteaction de lrsquohomme agrave des changements allant srsquoacceacuteleacuterantMais lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux est passeacutee du changement au brassage

Mecircme sous sa forme toxique le changement se deacutefinit par une diffeacuterence rapide Lebrassage quant agrave lui srsquoapparente plus agrave la diviniteacute hindoue Ccediliva force agrave la fois de des-truction et de creacuteation En effet il renverse ceux qui sont en place et creacutee une plate-forme ideacuteale pour favoriser lrsquoinnovation et la naissance crsquoest une laquo renaissancedeacutemultiplieacutee raquo Et cette genegravese plane sur le bord du chaos

Donald Hicks de lrsquoUniversiteacute du Texas a eacutetudieacute la demi-vie des entreprises de cetEacutetat pendant ces 22 derniegraveres anneacutees Il a constateacute que la longeacuteviteacute de ces organisationsa baisseacute de moitieacute depuis 1970 ccedila crsquoest du changement Mais en mecircme temps Austinla ville du Texas ougrave lrsquoespeacuterance de vie des nouvelles entreprises est la plus faible estaussi celle ougrave la croissance du nombre des emplois est la plus forte et ougrave les salaires sontles plus eacuteleveacutes ccedila crsquoest du brassage

laquo La tregraves grande majoriteacute des entreprises et des emplois qui donneront du travailaux Texans en 2026 ou mecircme en 2006 nrsquoexiste pas encore raquo a indiqueacute Hicks agrave sessponsors texans Pour produire 3 millions drsquoemplois agrave lrsquohorizon 2020 il faut en creacuteer15 millions du fait du brassage Sous la plume de Jerry Useem un magazine destineacuteaux petites entreprises Inc a preacutesenteacute les reacutesultats de ces travaux On y lit notam-ment la recommandation suivante de Donald Hicks laquo Au lieu de consideacutererlrsquoemploi comme une somme fixe qursquoil faut proteacuteger et augmenter lrsquoEacutetat ferait mieuxdrsquoencourager le brassage afin drsquoaboutir agrave une re-creacuteation perpeacutetuelle de lrsquoeacuteconomiedu Texas raquo Autrement dit la stabiliteacute agrave long terme ne peut naicirctre que du brassage quelle ironie

Cette notion drsquoeacutevolution continue est familiegravere aux eacutecologistes et aux personnes quigegraverent des reacuteseaux de grande ampleur Un reacuteseau complexe ne peut conserver sa vita-

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liteacute qursquoen provoquant son propre deacuteseacutequilibre si le systegraveme srsquoinstalle dans lrsquoeacutequilibreet lrsquoharmonie il va finir par stagner puis mourir

Lrsquoinnovation srsquoanalyse comme une rupture et lrsquoinnovation constante est une rup-ture constante Le maintien drsquoun perpeacutetuel deacuteseacutequilibre semble effectivement ecirctrelrsquoobjectif des reacuteseaux bien constitueacutes LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux commence agrave fairelrsquoobjet drsquoeacutetudes de la part drsquoun certain nombre drsquoeacuteconomistes parmi lesquels PaulRomer et Brian Arthur ils constatent par ailleurs que cette eacuteconomie fonctionne en setenant en bordure drsquoun chaos incessant Et crsquoest dans ce brassage chaotique que se trou-vent les forces de vie le renouveau et la croissance

La diffeacuterence entre le chaos et la bordure du chaos est extrecircmement subtile Enrecherchant une situation de deacuteseacutequilibre persistant tout en restant innovant AppleComputer peut srsquoecirctre un peu trop pencheacute du cocircteacute du deacuteseacutequilibre et srsquoeacuteteindre Ou sila chance est avec lui apregraves une laquo near-death experience raquo couronnant la reacutegression ilpeut se remettre en route pour une nouvelle montagne agrave escalader

Le cocircteacute obscur du brassage crsquoest que la nouvelle eacuteconomie repose sur la disparitionconstante drsquoentreprises individuelles qui sont deacutepasseacutees ou meacutetamorphoseacutees en entre-prises toujours nouvelles dans de nouveaux domaines drsquoactiviteacute Les industries etlrsquoemploi sont eux aussi sujets agrave ce brassage on va vers une succession rapide de chan-gements de postes lrsquoemploi agrave vie nrsquoexistant plus a fortiori Les carriegraveres si lrsquoon peutencore utiliser le terme en lrsquooccurrence vont ressembler de plus en plus agrave des reacuteseauxdrsquoengagements multiples et simultaneacutes avec une rotation continue de nouvelles com-peacutetences et de rocircles deacutepasseacutes

La turbulence et lrsquoincertitude sont des caracteacuteristiques des reacuteseaux La perspectivedrsquoune deacutemolition constante de ce qui marchait bien fait que le choc du futur va sem-bler bien plat Certes nous accepterons le deacutefi de deacutefaire ce qui repreacutesentait des reacuteussi-tes bien eacutetablies mais en mecircme temps nous trouvons eacutepuisant cette productionpermanente de choses nouvelles LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux est si precircte agrave geacuteneacuterer de lanouveauteacute spontaneacutee que cette mareacutee naissante peut srsquoanalyser comme un certaintype de violence

Neacuteanmoins dans cette peacuteriode de brassage agrave venir on va assister agrave la chute des titansde lrsquoegravere industrielle LrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux a en effet pour tacircche premiegravere la destruc-tion au sens poeacutetique du terme de cette eacuteconomie industrielle entreprise par entre-prise et secteur par secteur Et en deacutefaisant ainsi une industrie agrave son apogeacutee elle tisseune toile plus grande de nouvelles organisations plus agiles et plus eacutetroitement lieacutees

Ce sera tout un art de parvenir agrave un brassage efficace En tout eacutetat de cause les ten-tatives visant agrave favoriser la stabiliteacute agrave deacutefendre la productiviteacute et agrave proteacuteger la reacuteussitesrsquoapparentent agrave de lrsquoacharnement theacuterapeutique Dans le doute il vaut mieux opterpour le brassage Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux recherchez le deacuteseacutequilibre permanent

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12 La loi de lrsquoInefficaciteacute

Ne reacutesolvez pas les problegravemes

En deacutefinitive que nous apporte lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux

Les eacuteconomistes ont penseacute pendant un certain temps que lrsquoegravere qui srsquoannonccedilaitapporterait une productiviteacute extrecircme Mais paradoxalement le poids de plus en plusfort de la technologie ne srsquoest pas traduit par des augmentations quantifiables de la pro-ductiviteacute

Parce que la productiviteacute crsquoest preacuteciseacutement le sujet dont il ne faut pas se soucier Ilnrsquoy a que les robots qui devraient se preacuteoccuper de productiviteacute Et en fait les seulsdomaines dans lesquels on a effectivement constateacute une augmentation de la produc-tiviteacute ont eacuteteacute les industries de transformation ameacutericaines et japonaises qui ont enre-gistreacute une croissance annuelle drsquoenviron 3 agrave 5 pendant toutes les anneacutees 1980 etjusqursquoau deacutebut des anneacutees 1990 Il srsquoagit preacuteciseacutement des secteurs dans lesquels il estsouhaitable drsquoobserver une croissance de la productiviteacute En revanche on ne constatepas de gains de productiviteacute dans le secteur tertiaire expression regroupant des activi-teacutes tregraves diverses Mais pourquoi donc les services devraient-ils se montrer productifs Lrsquoentreprise cineacutematographique drsquoHollywood qui produit des films plus longs par dol-lar investi est-elle plus productive que celle dont les films sont plus courts

Le problegraveme de la productiviteacute crsquoest que quand on essaie de la quantifier on nemesure que la faccedilon dont des personnes compeacutetentes peuvent srsquoacquitter de tacircchesinapproprieacutees En fait on devrait sans doute eacuteliminer tous les postes susceptibles drsquoecirctreainsi mesureacutes

Peter Drucker a noteacute que dans lrsquoegravere industrielle la tacircche de chacun consistait agrave trou-ver comment il pouvait mieux faire son travail et ccedila crsquoest de la productiviteacute Maisdans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux ougrave ce sont des machines qui font la plus grosse partie dutravail inhumain de fabrication les choses sont diffeacuterentes la question agrave se poser nrsquoestpas laquo Comment faire ce travail correctement raquo mais laquo Quel est le travail le plusapproprieacute que je pourrais faire raquo Dans lrsquoegravere qui se profile le fait de faire la chose exac-tement approprieacutee sera nettement plus laquo productif raquo que lrsquoeffort de mieux faire lamecircme chose que preacuteceacutedemment Mais comment quantifier facilement cet eacutelan vitalvers lrsquoexploration et la deacutecouverte que les repegraveres de productiviteacute ne perccediloivent pas

Crsquoest en perdant du temps et en eacutetant incompeacutetent que lrsquoon arrive agrave deacutecouvrir deschoses Si la Toile est exploiteacutee par de jeunes gens de 20 ans crsquoest parce qursquoils peuventse permettre de gaspiller les 50 heures neacutecessaires pour acqueacuterir des compeacutetences dansson exploration Les quadrageacutenaires nrsquoarrivent pas agrave partir en vacances sans se deman-der comment ils vont justifier que leur voyage a eacuteteacute productif drsquoune maniegravere ou drsquoune

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autre mais les jeunes eux peuvent suivre leurs intuitions et creacuteer des nouveauteacutesapparemment stupides sur la Toile sans se preacuteoccuper de ce qursquoils font en termes drsquoeffi-caciteacute ou drsquoinefficaciteacute Et crsquoest par ces bidouillages que passe lrsquoavenir

Dans lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux ce nrsquoest pas la productiviteacute qui repreacutesente le gouletdrsquoeacutetranglement notre capaciteacute agrave reacutesoudre les problegravemes eacuteconomiques et sociaux seratoujours limiteacutee par notre manque drsquoimagination qui nous conduit agrave systeacutematique-ment tenter drsquooptimiser les solutions alors qursquoil faut saisir les opportuniteacutes laquo Ne reacutesol-vez pas les problegravemes cherchez des opportuniteacutes raquo disait Peter Drucker dans unephrase reacutecemment reprise par George Gilder Quand on reacutesoud des problegravemes oninvestit dans ses propres faiblesses quand on recherche des opportuniteacutes on comptesur le reacuteseau Et ce qui est formidable avec lrsquoEacuteconomie des Reacuteseaux crsquoest qursquoelle solliciteles points forts de lrsquohomme La reacutepeacutetition les suites les copies et lrsquoautomation tendenttoutes vers la gratuiteacute alors que lrsquoinnovateur lrsquooriginal et lrsquoimaginatif augmententconsideacuterablement la valeur

Au deacutebut nos esprits seront ligoteacutes par les anciennes regravegles de la croissance eacutecono-mique et de la productiviteacute lrsquoeacutecoute du reacuteseau peut deacutefaire ces liens Dans lrsquoEacuteconomiedes Reacuteseaux ne reacutesolvez pas les problegravemes cherchez les opportuniteacutes

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Y-a-t-il une nouvelle eacuteconomie

Alan GREENSPAN1

4 septembre 1998

Question y a-t-il une nouvelle eacuteconomie

La question qui mrsquoest poseacutee pour cette confeacuterence de savoir srsquoil y a une nouvelle eacuteco-nomie va au-delagrave de cette reacuteponse drsquoeacutevidence bien eacutevidemment notre eacuteconomiechange jour apregraves jour et en ce sens elle est toujours laquo nouvelle raquo Mais la questionsous-jacente consiste agrave se demander sil y a une modification profonde et fondamen-tale dans le fonctionnement de leacuteconomie qui creacutee une rupture par rapport au passeacuteet promette une trajectoire plus eacuteleveacutee pour la croissance que celle que nous avons con-nue pendant les deacutecennies preacuteceacutedentes

La question a eacuteteacute souleveacutee agrave la suite des performances eacuteconomiques des Eacutetats-Unisau cours de ces 5 derniegraveres anneacutees qui agrave certains eacutegards nont pas connu de preacuteceacutedentIl est pour le moins inhabituel que linflation connaisse pareille chute dans une peacuteriodedexpansion ce qui va agrave lencontre des theacuteories traditionnelles fondeacutees sur des modegraveleshistoriques

Bien des deacuteseacutequilibres qui ont eacuteteacute observeacutes dans le passeacute sur les rares peacuteriodes quiont connu une expansion eacuteconomique de plus de sept anneacutees sont largement absentsaujourdrsquohui Crsquoest sucircr le marcheacute du travail est inhabituellement tendu et nous devonsrester vigilants par rapport aux pressions qui srsquoexercent sur ce marcheacute et risquent dedeacuteborder sur les coucircts et les prix Mais jusqursquoagrave maintenant il nrsquoen a rien eacuteteacute

En outre il est tout agrave fait vain dimaginer que les Eacutetats-Unis puissent rester une oasisde prospeacuteriteacute qui ne serait pas affecteacutee par un monde qui subit un stress de plus en plusaccentueacute Les deacuteveloppements agrave leacutetranger ont contribueacute agrave maintenir les prix et lademande globale aux Eacutetats-Unis agrave un bas niveau face agrave une forte deacutepense inteacuterieureLes bouleversements exteacuterieurs sintensifiant et se reacutepercutant sur nos marcheacutes finan-ciers la contrainte est susceptible decirctre plus vive Au printemps et au deacutebut de leacuteteacute le

1ALAN GREENSPAN est le preacutesident du Board of Governors de la Reacuteserve Feacutedeacuterale des Eacutetats-Unis Cetarticle est la traduction du texte de la confeacuterence donneacutee par ALAN GREENSPAN le 4 septembre 1998 agravelrsquooccasion du Haas Business Faculty Research Dialogue agrave lrsquoUniversiteacute de Californie agrave Berkeley Le texteoriginal sous le titre laquoQuestion Is There a New Economyraquo est publieacute sur le site de la Reacuteserve Feacutedeacuteraleameacutericaine (httpbogfrbfedusboarddocsspeeches199819980904htm)

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Federal Open Market Committee sest inquieacuteteacute de ce que la principale menace risquantdaffecter lexpansion continue de leacuteconomie eacutetait une hausse de linflation Lors de lareacuteunion du mois daoucirct les risques seacutetaient eacutequilibreacutes le Comiteacute devra donc en exa-miner soigneusement les ramifications potentielles sur une plus longue dureacutee

Certains de ceux qui procircnent une laquo nouvelle eacuteconomie raquo attribuent geacuteneacuteralementcelle-ci aux innovations technologiques et aux avanceacutees radicales de la mondialisationqui accroissent la productiviteacute et geacutenegraverent une nouvelle capaciteacute de la demande et quien conseacutequence et sur une base plus durable ont retireacute aux producteurs mondiaux lepouvoir de faire les prix

Il est clair quil y a une part de veacuteriteacute dans cette proposition Ainsi par exemple auxEacutetats-Unis on constate manifestement du fait des eacutevolutions technologiques unebaisse dans les deacutelais drsquoapprovisionnement moyens pour lachat de nouveaux biensdrsquoeacutequipement qui a permis de maintenir agrave des niveaux modeacutereacutes la capaciteacute de produc-tion et a pratiquement eacutelimineacute la plupart des ruptures de stocks et goulets deacutetrangle-ment qui preacutevalaient dans les peacuteriodes de croissance eacuteconomique soutenue

Il y a eu sans aucun doute de profonds changements dans la maniegravere dont nous orga-nisons nos eacutequipements initions une politique de flux tendus et dont nous maillonsagrave ce processus notre systegraveme financier dune sophistication reacutecente et qui est sensibleau risque Toutefois il existe une importante objection agrave cette ideacutee que nous vivonsdans une nouvelle eacuteconomie elle concerne la psychologie humaine

Lenthousiasme et les craintes qui eacutetreignaient nos ancecirctres on les retrouve chez lesgeacuteneacuterations qui participent activement agrave leacuteconomie ameacutericaine aujourdhui Lesactions humaines senracinent toujours dans la preacutevision des conseacutequences de cesactions Quand le futur devient neacutebuleux les gens eacutevitent dagir et se deacutemettent de leursengagements anteacuterieurs Certes le degreacute daversion face au risque varie dune personneagrave lautre mais on ne trouve pas de diffeacuterences significatives dans le comportement desprix sur les marcheacutes actuels par rapport agrave ce qui se passait il y a un siegravecle ou plus La faccedilondont on eacutevalue les actifs dont les changements de ces valeurs affectent notre eacuteconomiene procegravede pas de regravegles diffeacuterentes de celles qui animaient nos ancecirctres

Donc lanccedilons une premiegravere pierre dans le jardin agrave la question laquo y a-t-il une nou-velle eacuteconomie raquo la reacuteponse dans un sens plus profond est non Aussi perfectionneacuteesoit-elle notre eacuteconomie est essentiellement mue comme par le passeacute par la faccedilondont la psychologie faccedilonne le systegraveme de valeurs qui est le moteur dune eacuteconomie demarcheacute compeacutetitive Or ce processus est inextricablement lieacute agrave la nature humaine quieacutetant par essence immuable ancre lavenir au passeacute

Ceci poseacute dimportants changements technologiques ont vu le jour ces derniegraveresanneacutees la faccedilon dont nous organisons la production commerccedilons entre pays et assu-rons de la valeur aux consommateurs sen trouve consideacuterablement modifieacutee

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Pour examiner la signification de ces changements et leur inteacuterecirct dans une eacuteven-tuelle laquo nouvelle eacuteconomie raquo il nous faut en premier lieu deacutetailler certaines caracteacuteris-tiques clefs de notre systegraveme

Comme toutes celles des pays capitalistes deacuteveloppeacutes leacuteconomie ameacutericaine setrouve dans un processus continuel de laquo destruction creacuteatrice raquo pour reprendre uneexpression quutilisa Joseph Schumpeter il y a un certain nombre de deacutecennies Lesbiens deacutequipement les proceacutedeacutes de fabrication les infrastructures des marcheacutes finan-ciers et du travail et toute la panoplie des eacutetablissements priveacutes qui constituent uneeacuteconomie de marcheacute sont en permanence dans un eacutetat de mutation qui dans prati-quement tous les cas eacutevolue vers une meilleure efficaciteacute

Avec juste un peu drsquoexageacuteration on peut voir les actifs mdash cest-agrave-dire les usines et leseacutequipements qui permettent la production des marchandises et des services mdash commecontinuellement deacutemolis et reconstruits

Nos actifs et le niveau de compeacutetence de notre main-drsquoœuvre sont effectivementremis agrave niveau agrave mesure que la concurrence presse les dirigeants dentreprise de trouverdes moyens toujours plus innovants et efficaces pour reacutepondre aux attentes toujoursplus fortes des consommateurs en termes de quantiteacute de qualiteacute et de varieacuteteacute Au fildes geacuteneacuterations loffre et la demande se sont trouveacutees interagir dans un environne-ment concurrentiel pour porter toujours plus haut le niveau de vie En fait cest cemecircme processus qui eacutevoluant par agrave-coups caracteacuterise depuis le deacutebut de la reacutevolutionindustrielle notre eacuteconomie de marcheacute et celle dautres pays mais autrefois les con-ditions de vie changeaient extrecircmement peu dune geacuteneacuteration agrave lautre

Cette eacuteconomie de marcheacute qui sefforce daugmenter le niveau de vie est donclaquo nouvelle raquo mais il sagit lagrave dune tautologie

Au deacutebut du XIXe siegravecle les Eacutetats-Unis eacutetant une nation en cours de deacuteveloppementnotre pays a emprunteacute en abondance technologies et fonds pour pouvoir mettre lepied agrave lrsquoeacutetrier de la croissance Mais au cours des cent ans qui viennent de seacutecoulerlAmeacuterique sest hisseacutee agrave lavant-garde de la technologie

Il ne fait pas de doute que les eacuteveacutenements modifient en permanence le profil et lanature de nos processus eacuteconomiques les progregraves technologiques jouent un tregravesgrand rocircle en loccurrence et peut-ecirctre mecircme tout reacutecemment ont-ils acceacuteleacutereacute lerythme de conceptualisation de notre PIB Ainsi par exemple nous avons consideacutera-blement reacuteduit la taille de nos appareils de radio en substituant des transistors auxtubes agrave vide de mecircme les cacircbles de fibres optiques qui sont minces ont remplaceacute destonnages consideacuterables de fil de cuivre Les nouvelles technologies en matiegravere darchi-tecture dingeacutenierie et de mateacuteriaux ont permis la construction dimmeubles qui parrapport agrave ceux qui seacutedifiaient il y a 50 ou 100 ans et agrave espace comparable se reacutealisentavec nettement moins de matiegravere De mecircme tregraves reacutecemment la taille des teacuteleacutephones

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mobiles a eacuteteacute notablement reacuteduite Ces eacutevolutions ont pour conseacutequence que le poidsphysique de notre PIB naugmente que tregraves lentement Lexploitation des nouveauxconcepts explique pratiquement toute la croissance de la production corrigeacutee delinflation

On ne peut faire que des conjectures sur la cause de cette spectaculaire eacutevolution versune reacuteduction de taille Peut-ecirctre les limitations spatiales agrave laccumulation de biens etagrave leur deacuteplacement dans un environnement geacuteographique de plus en plus encombreacutese sont-elles traduites par des pressions sur les coucircts destineacutees agrave obtenir une taille et unencombrement moindres Peut-ecirctre aussi la perspective de coucircts accrus de traitementde quantiteacutes toujours plus grandes de ressources physiques a-t-elle ameneacute les produc-teurs agrave sorienter vers des produits plus petits Rappelons-nous que il y a moins de30 ans le Club de Rome publiait une mise en garde tregraves pessimiste sur le risque darriveragrave un eacutepuisement des ressources physiques que lon preacutetendait neacutecessaires au maintiende notre niveau de vie Finalement comme on a repousseacute les frontiegraveres technologiqueset fait pression pour obtenir une acceacuteleacuteration du traitement de linformation on a eucomme reacutesultat des puces de plus en plus compactes par exemple

Mais il y a une chose qui a toujours eacuteteacute vraie dans le passeacute et qui le restera agrave lavenircest que la production dune eacuteconomie de marcheacute et la notion de creacuteation de richessesreflegravetent les systegravemes de valeur des hommes Le concept mecircme de richesse na pasdautre signification Le bleacute ou une machine ou encore un logiciel nont pas de valeurintrinsegraveque si ces produits sont valoriseacutes cest tout simplement parce quils satisfontactuellement les besoins de lhomme ou que lon considegravere quils seront capables de lefaire agrave lavenir Et ce sont ces preacutefeacuterences de valeur qui en sexprimant dans les signauxclefs du marcheacute que sont les prix des produits et des actifs informent les producteurssur ce qui a de la valeur et qui pourrait ecirctre profitable compte tenu de la technologieexistante

Pour en revenir aux bases la valeur dun eacutequipement de production quelqursquoil soitdeacutepend de la valeur perccedilue des biens et services que cet eacutequipement est destineacute agrave pro-duire On peut de faccedilon plus formelle consideacuterer que sa valeur actuelle est la sommede la valeur escompteacutee de toutes les productions agrave venir nette des coucircts

Agrave capaciteacute de production identique des eacutequipements peuvent avoir diffeacuterentesvaleurs de marcheacute en fonction de la confiance accordeacutee par les investisseurs agrave la capa-citeacute de lentreprise agrave percevoir et reacuteagir agrave son environnement futur de production Pre-nons lexemple dune acieacuterie ayant la capaciteacute immuable de produire de lacier entocircles sa valeur peut varier selon une tregraves large amplitude en fonction du niveau destaux dinteacuterecirct du taux global dinflation et dun certain nombre dautres facteursnayant aucun rapport avec les aspects techniques de la production dacier Ce quiimporte en loccurrence cest la faccedilon dont les investisseurs perccediloivent les marcheacutes surlesquels les tocircles sortant de cette usine doivent ecirctre eacutecouleacutees sur un certain nombre

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danneacutees Si le degreacute de confiance en lavenir est eacuteleveacute les valeurs escompteacutees serontelles aussi eacuteleveacutees de mecircme que les prix des titres qui bien entendu sont les creacuteancessur les actifs productifs

Les forces qui faccedilonnent ce degreacute de confiance sont dans une large mesure endogegrave-nes au processus eacuteconomique qui en geacuteneacuteral sautoreacutegule dans la mesure ougrave les con-sommateurs et les investisseurs interagissent avec un marcheacute en perpeacutetuelchangement

Je ne preacutetends pas ici que le comportement dun marcheacute constitue systeacutematique-ment une reacuteponse rationnelle agrave des changements dans le monde reacuteel mais cest biensouvent le cas Car sil en eacutetait autrement on ne constaterait pas cet environnementeacuteconomique relativement stable qui sest manifesteacute pendant des geacuteneacuterations dans lesplus grands pays industrialiseacutes

Il est certain que le degreacute de confiance que lrsquoon peut avoir dans les reacutesultats futursdeacutepend dans une large mesure de la stabiliteacute politique sous-jacente agrave tout pays ayantune eacuteconomie de marcheacute Si les acteurs de ce marcheacute ne sont pas assureacutes que leurs enga-gements et contrats futurs sont proteacutegeacutes par des regravegles de droit il ny aura pasdengagements les efforts de production se focaliseront seulement sur les impeacuteratifsde survie immeacutediate agrave court terme ce qui empecircchera tout effort de construction duneinfrastructure permettant de preacutevoir les besoins futurs

Une socieacuteteacute qui protegravege les aspirations agrave des actifs productifs agrave grande longeacuteviteacuteencourage donc agrave coup sucircr leur deacuteveloppement elle pousse les niveaux de productionagrave aller au-delagrave des besoins du moment correspondant agrave une consommation immeacute-diate car on sinteacuteressera beaucoup plus agrave la valorisation de la production future quesi on se trouve dans un contexte dinstabiliteacute politique et par exemple un environne-ment de faible reacuteglementation des contrats Quand on est arriveacute agrave ce niveau de seacutecuriteacutetous les eacuteleacutements permettant de bacirctir une eacuteconomie sophistiqueacutee fondeacutee sur des enga-gements agrave long terme sont en place ce sera une eacuteconomie qui eacutepargne et investitautrement dit confiante en lavenir et qui donc va croicirctre

Mais mecircme si le droit est extrecircmement vigilant quant au respect des contrats uneeacuteconomie de marcheacute compeacutetitive se trouve systeacutematiquement dans une situation dechangement continuel en conseacutequence la perception que lon a de sa productiviteacuteest toujours sujette agrave une incertitude plus ou moins grande qui est ineacutevitablement asso-cieacutee aux tentatives destineacutees agrave anticiper les reacutesultats futurs

Leacutetat geacuteneacuteral de confiance et la disposition des consommateurs et des investisseursagrave investir agrave long terme sont donc eacutetayeacutes par la perception de la stabiliteacute de la socieacuteteacute etde leacuteconomie mais lhistoire deacutemontre que ce degreacute de confiance est sujet agrave damplesvariations qui reacutesultent de la tregraves grande difficulteacute agrave former un jugement et donc agrave con-clure des engagements concernant lavenir Il arrive que ce soit preacuteciseacutement cette dif-

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ficulteacute qui megravene agrave des eacutevaluations moins meacutethodiques favorisant la volatiliteacute des prix elles encouragent aussi dans certains cas les bulles financiegraveres crsquoest-agrave-dire le gonfle-ment de la valeur des actifs qui repose davantage sur lespeacuterance que les autres paierontplus que sur un jugement bien informeacute sur leur valeur reacuteelle

Le comportement des eacuteconomies de marcheacute dans le monde entier ces derniegraveresanneacutees et tout particuliegraverement en Asie et aux Eacutetats-Unis a mis en eacutevidence combiences anticipations peuvent jouer un grand rocircle dans le deacuteveloppement reacuteel de leacutecono-mie Les eacuteconomistes parlent de coucirct dopportuniteacute pour deacutesigner le choix que les indi-vidus sont disposeacutes agrave faire en excluant la notion de risque entre la consommationactuelle et la consommation future Certains facteurs mesurables corrigent ensuite cetaux pour tenir compte des incertitudes qui assombrissent ineacutevitablement lavenir

Les bouleversements observeacutes soulignent agrave quel point lrsquoeacutevaluation humaine quandelle interagit avec les changements reacuteels de la production peut profondeacutement affecterlrsquoeacuteconomie comme les expeacuteriences en Asie lrsquoont amplement deacutemontreacute lrsquoanneacutee der-niegravere

Des cycles vicieux sont survenus en Asie du Sud-Est sans preacuteavis On a eu un tempslimpression que leacuteconomie se deacutebattait mais guegravere plus quauparavant et justeapregraves on a assisteacute agrave la chute libre des prix de marcheacute et de leacuteconomie

Lexpeacuterience que nous avons de ces cycles vicieux en Asie met en lumiegravere le rocircle clefque joue dans une eacuteconomie de marcheacute un attribut humain essentiel la confiancedans le fonctionnement du systegraveme Si nous nous engageons implicitement dans unedivision du travail cest parce que nous pensons que les autres produiront et serontprecircts agrave vendre les biens et services que nous ne produisons pas nous-mecircmes

Nous consideacuterons comme allant de soi que les contrats seront honoreacutes dans les affai-res parce que nous faisons confiance au droit et tout particuliegraverement au droit con-tractuel Mais si cette confiance seacutevaporait et que chaque contrat devait ecirctre porteacute enjustice le systegraveme de division du travail seacutecroulerait Et le point clef du cycle vicieuxqui en est peut-ecirctre la cause essentielle cest preacuteciseacutement le manque de confiance

Nous ne nous attendions pas agrave pareil effondrement en Asie et quant agrave moi jauraistendance agrave penser quil eacutetait pratiquement impossible de le preacutevoir en raison de lanature mecircme du processus Ce qui sest passeacute preacutesente une analogie avec de leau quiferait pression sur un barrage tout se preacutesente normalement jusquagrave ce quune fissureprovoque un deacuteluge

Cet effondrement sest bien sucircr reacutepercuteacute en premier lieu sur les engagements futursqui ont eacuteteacute boudeacutes Sans doute a-t-il eacuteteacute provoqueacute par le fait que les precircteurs interna-tionaux seacutetaient mis agrave douter de plus en plus quune croissance aussi spectaculairepuisse continuer agrave ecirctre entretenue chez les laquo tigres raquo asiatiques le cours des eacuteveacutene-

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ments a peut-ecirctre eacuteteacute preacutecipiteacute par leacutemergence au plan mondial dun excegraves de capaciteacutedes semi-conducteurs qui repreacutesentaient pour ces tigres de preacutecieux revenus En touteacutetat de cause la naissance et la monteacutee dincertitudes ont provoqueacute une forte augmen-tation de la deacutevalorisation des revenus futurs et en conseacutequence la chute des prix delimmobilier et de la Bourse Ce processus sest ensuite alimenteacute de lui-mecircme lesdeacutesengagements ont aggraveacute les perturbations et les incertitudes ce qui a augmenteacuteles primes de risque et les facteurs de deacutecote et provoqueacute une chute brutale de la pro-duction

Le pheacutenomegravene inverse autrement dit le cycle vertueux nrsquoest pas tout agrave fait symeacutetri-que En fait lexpansion eacuteconomique ameacutericaine actuelle se comprend tregraves bien dansun contexte drsquoanticipations favorables qui interagissent avec la production et lafinance pour entraicircner lexpansion de leacuteconomie et non son implosion

La stabiliteacute de leacuteconomie ameacutericaine au cours de ces 5 derniegraveres anneacutees a favoriseacuteune confiance accrue en lavenir ce qui a eu pour conseacutequence une actualisation de lavalorisation boursiegravere de linfrastructure productive de notre eacuteconomie qui a ajouteacutequelques trillions de dollars agrave la richesse nette des meacutenages entre le deacutebut de 1995 etle deuxiegraveme trimestre de cette anneacutee

Alors que la plus grande partie de ces gains augmentait les programmes de retraite etautres programmes deacutepargne une part non neacutegligeable a eacuteteacute consacreacutee agrave la consom-mation ce qui a abaisseacute de faccedilon significative la proportion des revenus que les meacutena-ges pensaient neacutecessaire deacutepargner et tout particuliegraverement ceux qui se situent dansles tranches les plus eacuteleveacutees

De surcroicirct plus eacutetait maintenu haut le niveau de valeur des actions plus il eacutetait vrai-semblable que les consommateurs considegraverent leurs gains en capital comme des increacute-ments permanents agrave leur valeur nette donc pouvant ecirctre deacutepenseacutes Cette reacutecentemanne a financeacute non seulement des deacutepenses de consommation personnelles pluseacuteleveacutees mais eacutegalement les achats immobiliers Il est difficile dexpliquer le niveaurecord que lon a constateacute sur les ventes de maisons sans faire reacutefeacuterence aux gains enBourse qui avaient eacuteteacute engrangeacutes preacuteceacutedemment

Laugmentation de la valeur boursiegravere sest par ailleurs traduite par une chute ducoucirct du capital qui a sans aucun doute acceacuteleacutereacute le rythme des nouveaux investisse-ments Les investissements en eacutequipements avaient deacutejagrave eacuteteacute fortement stimuleacutes parlacceacuteleacuteration quavaient connue les deacuteveloppements technologiques ce qui a bieneacutevidemment augmenteacute le potentiel de profits au cours de ces derniegraveres anneacutees La fortepousseacutee des deacutepenses en capital au cours de ces 5 derniegraveres anneacutees a apparemmentrefleacuteteacute lexistence de taux plus eacuteleveacutes de rendement sur un large spectre dinvestisse-ments et ce gracircce agrave une acceacuteleacuteration des avanceacutees technologiques notamment dansles domaines de linformatique et des teacuteleacutecommunications

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Il sagit lagrave de lorigine apparente de laugmentation du rythme de productiviteacute donton a reacutecemment eu la preuve Outre que les reacutecents progregraves technologiques ont mani-festement apporteacute une flexibiliteacute nouvelle et de plus en plus marqueacutee la capaciteacute deces technologies agrave ameacuteliorer les processus de production (sujet que je deacutevelopperaiprochainement) a reacuteduit de faccedilon significative les besoins en travail par uniteacute produiteIl sagit lagrave sans aucun doute dun facteur qui a contribueacute agrave une augmentation spectacu-laire des reacuteductions deffectifs au deacutebut des anneacutees 1990 Le taux de chocircmage a ensuitecommenceacute agrave baisser quand le rythme des embauches destineacutees agrave exploiter des nou-veaux eacutequipements a exceacutedeacute celui des licenciements de personnes occupeacutees dans deseacutequipements anciens

Soit dit en passant ces bouleversements dans la structure de la main-drsquoœuvre aucours des anneacutees 1990 ont et cest bien normal augmenteacute limpression dobsolescencedes compeacutetences chez un nombre significatif de personnes tout particuliegraverementparmi ceux qui sont le plus intimement lieacutes aux technologies anciennes Ces pressionsse reflegravetent dans la sensible augmentation des formations en entreprises et dans laspectaculaire expansion des inscriptions dans les faculteacutes tout particuliegraverement dansle premier cycle De ce fait lacircge moyen des eacutetudiants ne poursuivant pas en mecircmetemps une activiteacute reacutemuneacutereacutee a tregraves fortement augmenteacute au cours de ces derniegraveresanneacutees puisquun grand nombre de personnes ayant une expeacuterience professionnelleretournaient faire des eacutetudes Mais la notion dune obsolescence acceacuteleacutereacutee des compeacute-tences a eacutegalement conduit agrave une apparente bonne volonteacute des employeacutes agrave renonceragrave une hausse de leurs revenus et avantages au profit de la seacutecuriteacute de lemploi Et doncmalgreacute lincroyable eacutetroitesse du marcheacute du travail les augmentations de salairehoraire continuent agrave ecirctre relativement modestes

Coupleacutee avec la croissance acceacuteleacutereacutee de la productiviteacute la modeacuteration des salaires etdes avantages a permis de contenir laugmentation du coucirct du travail ce qui a freineacutelinflation et permis aux marges beacuteneacuteficiaires datteindre de hauts niveaux

Cest ce qui agrave son tour a apparemment constitueacute la force motrice qui au deacutebut delanneacutee 1995 a ameneacute les analystes boursiers agrave effectuer une reacutevision agrave la hausse deleurs projections de gains agrave long terme entreprise par entreprise Ces reacutevisions et labaisse des taux dinteacuterecirct constituent deux forces clefs sous-jacentes qui ont pousseacute lesinvestisseurs agrave deacuteclencher lun des marcheacutes haussiers les plus notables de lhistoire

Mais il ne sagit pas des seules forces existantes La seacutequence constitueacutee par un inves-tissement plus eacuteleveacute en capital une augmentation de la productiviteacute et une chute delinflation a elle aussi entretenu et fortifieacute lideacutee dune croissance stable agrave long termeLes gens avaient plus confiance en lavenir ce qui a eu pour conseacutequence une contrac-tion spectaculaire du coucirct du risque au cours de ces deux derniegraveres anneacutees jusquagrave unbas niveau pratiquement historique cet eacuteteacute tout reacutecemment Le coucirct du risque cest lecoucirct correspondant aux risques suppleacutementaires que les marcheacutes exigent de voir

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reacutemuneacuterer pour deacutetenir des actions plutocirct que des titres de creacuteance offrant une tran-quilliteacute absolue Quand les risques perccedilus pour lavenir sont bas les primes de risquesont basses elles aussi et les cours boursiers sont encore plus eacuteleveacutes que dans le con-texte dune espeacuterance de gains agrave long terme plus importants et de taux dinteacuterecirct plusbas et sans risque

Et donc la reacuteponse agrave lexistence dune nouvelle eacuteconomie amegravene agrave se poser une ques-tion essentielle les preacutevisions actuelles dune stabiliteacute future qui sont nettement plusoptimistes quil y a une dizaine danneacutees sont-elles justifieacutees par les changementsaffectant leacuteconomie Car si les preacutevisions dune stabiliteacute plus grande se confirmentles primes de risque resteront peu eacuteleveacutees Dans ce cas le coucirct du capital restera lui aussiagrave bas niveau ce qui entraicircnera une augmentation des investissements et du rythme dela croissance au moins pendant un certain temps

Deux consideacuterations sont donc essentielles dans laugmentation des valeurs dactifet de la croissance eacuteconomique la premiegravere consiste agrave se demander si le glissementvers le haut de lavance technologique va se prolonger la seconde a trait agrave lampleur dela confiance dans la stabiliteacute de lavenir que les consommateurs et les investisseursseront capables de soutenir

Concernant le premier point agrave quel rythme peut avancer la technologie qui aug-mente le nombre dopportuniteacutes dinvestissement agrave haut rendement ce qui engen-dre dautres espeacuterances de gains plus forts Les progregraves technologiques sont fortdifficiles agrave deacuteceler longtemps agrave lavance comme le prouvent de nombreux exemplesqui nous sont fournis par lhistoire Or les synergies particuliegraveres entre nouvelles etanciennes technologies sont en geacuteneacuteral trop complexes pour quune anticipationsoit possible

On ne peut prendre pleinement conscience du potentiel dune innovation quauterme dameacuteliorations de grande envergure ou dinnovations dans dautres domainesCharles Townes laureacuteat du prix Nobel pour ses travaux sur le laser rapporte que agrave lafin des anneacutees 1960 les avocats de Bells Labs avaient refuseacute de faire breveter le laser carils pensaient que celui-ci ne permettait aucune application dans le domaine des teacuteleacute-communications Cest seulement dans les anneacutees 1980 apregraves des ameacuteliorations con-sideacuterables dans la technologie des fibres optiques que lon a pris conscience delimportance du laser dans le secteur des teacuteleacutecommunications

Lavenir des avanceacutees technologiques peut ecirctre difficile agrave preacutevoir mais il est possibleque des technologies ayant deacutejagrave prouveacute leur utiliteacute naient pas encore eacuteteacute exploiteacuteestotalement Un certain nombre dentreprises indiquent que quand elles se trouventconfronteacutees dans un environnement concurrentiel agrave une hausse des coucircts ne pou-vant ecirctre reacutepercuteacutee elles sont capables de compenser cette hausse agrave volonteacute semble-t-il en adoptant des technologies plus nouvelles

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De telles situations semblent tregraves eacutetranges sil eacutetait possible de reacuteduire les coucircts agravevolonteacute pourquoi les investissements nont-ils pas eacuteteacute effectueacutes plus tocirct Ceci impli-que un comportement sous-optimal tout agrave fait contraire agrave ce qui senseigne dans lesuniversiteacutes Mais dans le monde reacuteel il est rare que les entreprises maximisent pleine-ment leurs profits elles se focalisent sur les seuls segments de leur activiteacute qui appa-raissent offrir les meilleures reacutecompenses et sont en geacuteneacuteral incapables dopeacuterersimultaneacutement sur tous les fronts en y deacuteployant une efficaciteacute maximale Cest donclors daugmentations de coucircts que les dirigeants dune entreprise concentrent leurattention sur les investissements afin den limiter les effets

Mais si cette baisse des coucircts agrave la demande est un pheacutenomegravene courant elle supposeune accumulation de projets inexploiteacutes au cours des derniegraveres anneacutees dans le cas ougraveelle serait reacuteelle cela impliquerait que le potentiel de gains continus de productiviteacute soitproche des taux eacuteleveacutes de ces deux derniegraveres anneacutees Mecircme si cest effectivement le casalors que seules des anecdotes le soutiennent il est peu vraisemblable que lon assiste surles 3 ou 5 prochaines anneacutees agrave une croissance de 13 par an du revenu par actioncomme lont reacutecemment suggeacutereacute les analystes en Bourse Cela supposerait une part deprofit toujours plus grande dans le revenu national agrave partir dun niveau qui est deacutejagrave eacuteleveacutesi on se reacutefegravere au passeacute Lhistoire nous montre que de telles conditions ont conduit agrave despressions sur le marcheacute du travail qui ont contrarieacute laugmentation ulteacuterieure des profits

La seconde consideacuteration sur le niveau daugmentation des valeurs dactifs est lasuivante jusquougrave peuvent chuter les primes de risque Le recul de linflation agrave desniveaux extrecircmement bas constitue en loccurrence un eacuteleacutement clef Le niveau croissantde confiance dans les reacutesultats futurs que lon a observeacute ces derniegraveres anneacutees est sansaucun doute lieacute agrave la baisse de linflation qui bien sucircr a repreacutesenteacute un facteur essentieldans la chute des taux dinteacuterecirct mais aussi et cest tregraves important dans celle des primesde risque Il est probable quune deacuteflation si elle devait se deacuteclarer augmenterait lincer-titude et entraicircnerait une reacuteeacutemergence dinquieacutetudes similaires agrave celles que lon constateen peacuteriode dinflation Agrave quasi stabiliteacute des prix le risque perccedilu du deacuteveloppement desaffaires serait donc agrave son niveau le plus bas et lon doit supposer que ce serait eacutegalementle cas pour les primes de risque En tout eacutetat de cause il existe une limitation dans letemps en-deccedilagrave de laquelle les investisseurs peuvent rationnellement escompter laveniravec un eacutetat desprit favorable et donc abaisser le niveau des primes de risque Actuelle-ment cette projection est possible sur les 20 ou 30 ans agrave venir mais au-delagrave

Des valeurs boursiegraveres eacuteleveacutees par rapport aux revenus et agrave la production repreacutesen-tent un risque dinstabiliteacute accru Comme je lai eacutevoqueacute preacuteceacutedemment une partie desgains en capital augmente la consommation et les revenus Dans la mesure ougrave lesvaleurs des actions sont manifestement plus variables que les revenus quand la partdes valeurs boursiegraveres augmente par rapport aux revenus et au PIB on peut sattendreagrave ce que leurs fluctuations affectent le PIB plus que quand ces valeurs sont basses

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Il est clair que dans le contexte actuel on est inciteacute agrave la prudence par lhistoire de cesgrands mouvements de balancier qui ont pour des raisons rationnelles ou non affecteacutela confiance des investisseurs et le niveau des primes de risque Nous avons reacuteappris aucours de ces derniegraveres semaines que de la mecircme faccedilon quun marcheacute boursier se sentindeacutefiniment en seacutecuriteacute tant quil est agrave la hausse et que prospegravere leacuteconomie il ne par-vient pas en peacuteriode de contraction agrave concevoir quune reprise soit possible Bien sucircrces impressions opposeacutees sont toutes deux erroneacutees mais du fait de la difficulteacute agrave ima-giner un revirement quand on est assailli par de telles eacutemotions les peacuteriodes deupho-rie ou de deacutesarroi ont tendance agrave sauto-alimenter En fait si tel neacutetait pas le cas il estvraisemblable que nexisteraient pas dans lactiviteacute eacuteconomique ces mouvements deflux et de reflux dorigine psychologique

Peut-ecirctre comme lavancent certains lrsquohistoire jouera-t-elle moins son rocircle de guideque par le passeacute Il y a toujours une part du futur qui ne se rattache agrave rien de ce qui apreacuteceacutedeacute Et il y a toujours de nouveaux records Ceci poseacute mon expeacuterience dobserva-teur au jour le jour de leacuteconomie ameacutericaine sur une dureacutee deacutepassant un demi-siegravecleme donne agrave penser que lon peut sattendre agrave ce que lavenir repose sur un continuumheacuteriteacute du passeacute pour une part importante et peut-ecirctre mecircme tregraves substantielleComme je lai deacutejagrave souligneacute la nature humaine est immuable dune geacuteneacuteration agravelautre et donc relie lavenir au passeacute de maniegravere inextricable

Neacuteanmoins jai indiqueacute et je reacutepegravete ici que je ne nie pas que au cours de ces derniegraveresanneacutees il y a eu une indeacuteniable ameacutelioration sous-jacente dans le fonctionnement desmarcheacutes ameacutericains et dans le rythme de deacuteveloppement des technologies de pointequi a deacutepasseacute toutes les preacutevisions

Dans les anneacutees 1990 on a assisteacute agrave une tregraves impressionnante augmentation deffi-caciteacute de nos actifs crsquoest-agrave-dire de notre capaciteacute de production thegraveme que jeacutevoquaispreacuteceacutedemment Alors que linvestissement brut a atteint un montant eacuteleveacute il eacutetaitcomposeacute ces derniegraveres anneacutees et dans une proportion significative dactifs de courtedureacutee se deacutepreacuteciant rapidement Malgreacute son acceacuteleacuteration reacutecente le taux de croissancedes actifs nets reste nettement au-dessous des taux les plus eacuteleveacutes afficheacutes pendant les50 ans qui viennent de seacutecouler

Malgreacute leacutelargissement des mouvements internationaux de capitaux au cours de cesderniegraveres deacutecennies une analyse empirique suggegravere que linvestissement inteacuterieurdeacutepend encore dans une large mesure de leacutepargne inteacuterieure et ce tout particuliegravere-ment agrave la marge Nombreux sont ceux qui ont deacutefendu de faccedilon convaincante et jesuis de ceux-lagrave la thegravese selon laquelle nous eacutepargnons trop peu Cette propension denos compatriotes a entraicircneacute une prime sur lutilisation effective dun capital rare et surla reacuteduction des opportuniteacutes dinvestissement offrant potentiellement une moindreproductiviteacute donc les moins profitables

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Cest lune des raisons pour lesquelles notre systegraveme financier qui a pour rocircle dassu-rer lutilisation productive du capital physique a eu une telle importance dans notreeacuteconomie notamment au cours de ces 20 derniegraveres anneacutees Dans les deacutecennies quiviennent de srsquoeacutecouler ce sont les signaux refleacuteteacutes dans les prix des actifs financiers lestaux drsquointeacuterecirct et la reacutepartition des risques qui mateacuterialisent la modification de la struc-ture de notre production et lrsquoeacutevolution de ce que les consommateurs valorisent Cecia confeacutereacute une valeur deacuteriveacutee significative agrave un systegraveme financier qui en est effective-ment capable et malgreacute de reacutecentes restrictions agrave une valorisation boursiegravere des ins-titutions qui forment ce systegraveme

Manifestement le niveau eacuteleveacute des retours sur investissements constitue lun desindices que notre capital physique est affecteacute agrave la production de biens et de servicesparticuliegraverement valoriseacutes par les consommateurs Un eacutequipement qui fabriqueraitun produit infeacuterieur ne trouverait pas gracircce parmi le public non plus quune route agravepeacuteage qui ne megravenerait nulle part ces offres engendreraient des profits neacutegatifs ouau-dessous de la normale et dans la plupart des cas il serait impossible de reacutecupeacuterersur la dureacutee de vie de lactif le montant de linvestissement augmenteacute du coucirct en capi-tal investi

Linvestissement en capital et laugmentation de la productiviteacute et du niveau de viepassent donc par une eacutepargne inteacuterieure adapteacutee mais si cette condition est neacuteces-saire elle nest pas suffisante

Prenons le cas de lancienne Union sovieacutetique les investissements y eacutetaient exces-sifs et la discipline que font reacutegner les prix de marcheacute nexistant pas ils ont fait lobjetdaffectations plus que malheureuses Les planificateurs avaient des preacutefeacuterences quideacutebouchaient sur un gaspillage de ressources importantes car ils autorisaient cesinvestissements dans des secteurs de leacuteconomie ougrave la production ne correspondait pasaux souhaits des consommateurs ceacutetait particuliegraverement le cas dans lrsquoindustrielourde Il nest donc pas surprenant que dans ce pays les ratios capitalproductionaient eacuteteacute plus eacuteleveacutes que dans les eacuteconomies occidentales de leacutepoque

Ce pheacutenomegravene de surinvestissement sobserve mecircme dans les eacuteconomies de marcheacutesophistiqueacutees Au Japon le taux deacutepargne et linvestissement brut ont eacuteteacute nettementplus eacuteleveacutes quaux USA mais le potentiel de croissance par habitant y est infeacuterieur aunocirctre On peut penser que les entraves qui affectent le systegraveme financier de ce pays con-tribuent au moins en partie agrave ce manque de performances eacuteconomiques

Pour autant il convient de srsquoabstenir de toute complaisance Crsquoest vrai la forte aug-mentation du marcheacute des valeurs a fortement stimuleacute la valeur nette deacutetenue par lesmeacutenages Mais alors que les gains en capital augmentent la valeur des actifs existantsils ne creacuteent pas directement les ressources neacutecessaires agrave linvestissement dans de nou-velles installations physiques Et cela seule leacutepargne tireacutee du revenu peut le faire

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En reacutesumeacute sur les 5 agrave 7 derniegraveres anneacutees ce qui a sans conteste repreacutesenteacute lune desmeilleures performances eacuteconomiques de notre histoire est soit annonciateur dunenouvelle eacuteconomie soit juste une version laquo cosmeacutetiseacutee raquo de lancienne le temps quipasse inexorablement nous le dira et jaurais tendance agrave penser que nos petits-enfantspuis leurs propres petits-enfants deacutebattront peacuteriodiquement du point de savoir silsvivent dans une nouvelle eacuteconomie

Pour qui ce boom

Extrait de Stephen S Roach laquo The Boom for Whom Revisiting AmericarsquosTechnology ParadoxJanuary 9 1998 Morgan Stanley Dean Witter

httpwwwmsdwcomGEFdatadigestssr19980112pdf

Jamais lrsquohistoire drsquoamour qursquoentretient lrsquoAmeacuterique avec les nouvelles technologies delrsquoEgravere de lrsquoInformation nrsquoa eacuteteacute aussi intense les sommes consacreacutees au hardware parles entreprises excegravedent maintenant 220 millions de $ par an ce qui repreacutesente et deloin le premier poste dans les budgets de deacutepenses drsquoinvestissement Pourtant il srsquoagitlagrave bien sucircr de la partie visible de lrsquoiceberg dans le coucirct drsquoune fonction technologiquequi compte eacutegalement le logiciel les exigences continuelles drsquoun cycle de remplace-ment de produits toujours plus court et des leacutegions de personnes qui travaillent agrave lagestion des systegravemes drsquoinformation Mais nombreux sont ceux qui croient qursquoil existedes signes indiquant aujourdrsquohui lrsquoimminence du remboursement du capital de cettefreacuteneacutesie technologique attendu depuis si longtemps Point nrsquoest besoin de remonterau-delagrave du laquo miracle raquo macro-eacuteconomique de 1997 anneacutee de croissance en flegravechenon accompagneacutee drsquoinflation Comment lrsquoeacuteconomie ameacutericaine aurait-elle pu entrerdans le pays leacutegendaire du nouveau paradigme autrement que pour une renaissancede productiviteacute conduite par la technologie

Les miracles de 1997 vont bien au-delagrave de lrsquoapparente disparition de lrsquoinflationLrsquoexplosion de lrsquoInternet la naissance du commerce eacutelectronique qui lui est correacuteleacuteeet lrsquoavegravenement de la plate-forme eacuteconomique mondiale entiegraverement en reacuteseau sontlargement consideacutereacutes comme de simples indicateurs de la puissance agrave lrsquoeacutetat brut dureacutetablissement de lrsquoAmeacuterique tireacute par les technologies eacutemergentes On doit agrave PeterSchwartz et Peter Leyden dans un reacutecent article publieacute dans Wired et devenu leacutegen-daire la plus acheveacutee des expressions de cette conviction Ils eacutecrivent que laquo nous som-mes sur la crecircte des premiegraveres vagues drsquoune eacuteconomie agrave forte expansion qui va durer25 ans raquo Crsquoest un conte qui promet quelque chose agrave chacun dont la fin de la pauvreteacuteet des tensions geacuteopolitiques et se termine par les miracles drsquoune reacutesurgence de lacroissance drsquoune productiviteacute dont le moteur est la technologie Cette saga futuristesrsquoest reacutepandue au point de devenir le manifeste de lrsquoegravere digitale

Preacutesenteacute sur cette toile de fond le preacutetendu paradoxe mdash longtemps fondeacute sur la convic-tion que les possibiliteacutes de rentabilisation macroeacuteconomique des nouvelles technologiesde lrsquoinformation est largement compromis mdash semble deacutesespeacutereacutement deacutepasseacute ou tout

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bonnement erroneacute Et malgreacute cela les deacutefis de base agrave lrsquoattrait et au battage meacutediatiquede lrsquoEgravere de lrsquoInformation ne trouvent pas de reacutepondant Finalement le deacutebat se reacutesumeagrave la productiviteacute repegravere de toute capaciteacute drsquoune eacuteconomie agrave creacuteer de la richesse agrave sou-tenir une concurrence et agrave geacuteneacuterer un niveau de vie eacuteleveacute Les nouvelles technologies etles perceacutees des applications qui leur sont associeacutees ont-elles maintenant atteint la massecritique qui peut veacuteritablement deacuteclencher lrsquoavegravenement drsquoune nouvelle egravere de crois-sance soutenue de productiviteacute susceptible de profiter agrave la nation tout entiegravere Ou leboom des anneacutees 1990 a-t-il plutocirct agrave voir avec une autre force totalement diffeacuterente agravesavoir la strateacutegie obstineacutee de reacuteduction des coucircts dans les entreprises qui a beacuteneacuteficieacute agraveun nombre eacutetonnamment restreint drsquoacteurs de lrsquoeacuteconomie ameacutericaine

Chapitre 2

Le paradoxe de Solow

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Le paradoxe de Solow sur la productiviteacute En quoi les ordinateurs contribuent-ils agrave la productiviteacute

Jack E TRIPLETT1

20 mai 1998

laquo Lrsquoegravere de lrsquoinformatique se constate partoutsauf dans les statistiques de productiviteacute raquo

Robert SOLOW 1987

On eacutevoque souvent lrsquoaphorisme de Solow eacutenonceacute voici maintenant plus de dix ansMais existe-t-il un paradoxe et si oui que peut-on en dire Dans cet article je me pro-pose de passer en revue et de commenter les laquo explications raquo qui ont eacuteteacute le plus cou-ramment apporteacutees agrave ce paradoxe Ces explications sont exposeacutees en preacuteambule etfont ulteacuterieurement lrsquoobjet drsquoun deacuteveloppement

On ne voit pas des ordinateurs laquo partout raquo au sens eacuteconomique et fort du terme les ordi-nateurs et mateacuteriels de traitement de lrsquoinformation repreacutesentent une proportion rela-tivement faible du PIB et du capital social

On a lrsquoimpression et seulement lrsquoimpression que les ordinateurs sont partoutLrsquoindice de prix heacutedonique des ordinateurs qursquoutilise le gouvernement chute laquo troprapidement raquo et donc lrsquoaugmentation reacuteelle de la production telle qursquoelle est mesureacuteeest elle aussi laquo trop rapide raquo

On ne voit pas des ordinateurs partout mais la production est peu mesureacute dans certains sec-teurs eacuteconomiques qui sont pourtant ceux ougrave on en voit le plus Ainsi par exemple la banqueet lrsquoassurance utilisent massivement les technologies de lrsquoinformation alors pourtantque le concept drsquooutput y est peu preacutecis

Que lrsquoon voie ou non des ordinateurs partout une partie du travail reacutealiseacute par ceux-ci nrsquoestpas comptabiliseacutee dans les statistiques Mentionnons agrave titre drsquoexemple la faciliteacute de tra-vail la commoditeacute drsquoutilisation lrsquoameacutelioration de lrsquointerface etc

1 JACK E TRIPLETT ancien Chief Economist du Bureau of Economic Analysis des Eacutetats-Unis est profes-seur deacuteconomie agrave la Brookings Institution agrave Washington (DC) Cet article a eacuteteacute publieacute initialement enanglais sous le titre laquoThe Solow Productivity Paradox What Do Computers Do to Productivityraquo Broo-kings Institution May 20 1998 (httpwwwcslscanewrevpaperhtml ou httpbrookingsorgesresearchproductivityrevpaperpdf) Traduit et reproduit avec lrsquoaimable autorisation de lrsquoauteur

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On ne voit pas encore les ordinateurs dans les statistiques de productiviteacute mais il suffitdrsquoattendre un peu On retrouve lagrave ce qui srsquoest passeacute en son temps pour lrsquoeacutelectriciteacute lrsquoimpact drsquoune nouvelle technologie sur la productiviteacute ne se constate qursquoau termedrsquoun long deacutecalage dans le temps

On voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productiviteacute parce que les ordi-nateurs ne sont pas aussi productifs qursquoon le croit

Il nrsquoy a pas de paradoxe certains eacuteconomistes eacutevaluent les innovations et les nouveaux pro-duits sur une eacutechelle arithmeacutetique alors qursquoelle devrait ecirctre logarithmique

Le paradoxe de Solow

Extrait de Erik Brynjolfsson (MIT Sloan School of Management amp Stanford BusinessSchool)) and Lorin Hitt (The Wharton School Univ of Pennsylvania) Beyond the Produc-

tivity Paradox Computers are the Catalyst for Bigger Changes June 1998

httpccsmiteduerikbpppdf

Linteacuterecirct pour le laquo paradoxe de la productiviteacute raquo a eacuteteacute deacuteclencheacute par une eacutetude simplemais provocante laquo Americas Technology Dilemma A Profile of the InformationEconomy raquo publieacutee en date du 22 avril 1987 dans la lettre eacuteconomique de MorganStanley et reacutealiseacutee par le responsable de son service eacuteconomique Steven Roach Celui-ci sattachait agrave expliquer pourquoi le taux de croissance de la productiviteacute constateacutedans leacuteconomie ameacutericaine avait nettement ralenti depuis 1973

Roach notait que la puissance informatique par col blanc avait augmenteacute consideacutera-blement au cours des deacutecennies 1970 et 1980 alors que dans le mecircme temps lacourbe de productiviteacute eacutetait plate Il en concluait que la formidable augmentation duparc informatique avait eu des reacutepercussions tregraves faibles sur les performances de leacuteco-nomie notamment dans les secteurs occupant un grand nombre de laquo travailleurs delinformation raquo

Dautres eacutetudes elles aussi aboutissaient agrave des conclusions similaires sur labsencedune correacutelation entre les investissements informatiques et la productiviteacute dans lesindustries manufacturiegraveres ou dans un eacutechantillon de divisions de grandes entreprisesDans un nombre limiteacute deacutetudes il eacutetait fait mention deffets positifs sur des eacuteleacutementsintermeacutediaires tels que la rentabiliteacute ou la part de marcheacute sans que lon puisse veacuterita-blement eacutetablir un lien avec le reacutesultat financier Par ailleurs malgreacute la consideacuterableaugmentation de puissance des ordinateurs les statistiques densemble indiquaientque la productiviteacute avait augmenteacute plus lentement depuis 1973 quentre 1950et 1973 Agrave la fin des anneacutees 80 on admettait communeacutement que lordinateur ne con-tribuait pas de faccedilon significative agrave la productiviteacute laquo Legravere de lordinateur se constatepartout sauf dans les statistiques de productiviteacute raquo reacutesumait Robert Solow dans laNew York Times Book Review (12 juillet 1987)

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Contexte

Agrave premiegravere vue le paradoxe de la productiviteacute se rattache agrave la question suivante pourquoi la production ameacutericaine nrsquoaugmente-t-elle pas plus vite alors que nousinvestissons toujours plus dans lrsquoinformatique Mais en fait lrsquoaphorisme de Solow tiretoute sa reacutesonance drsquoune question diffeacuterente encore que connexe lrsquoaugmentationdes investissements informatiques et les technologies de lrsquoinformation va-t-elle com-penser le ralentissement de la productiviteacute constateacute agrave partir de 1973 De 1948 agrave 1973la productiviteacute multi-facteurs a augmenteacute aux Eacutetats-Unis de 19 et la croissance dela productiviteacute du travail a crucirc selon un taux de 29 Apregraves 1973 ces taux ont chuteacuteagrave respectivement 02 et 11 1 On a constateacute des baisses similaires dans la plupart deseacuteconomies industrialiseacutees de lrsquoOCDE

Le contexte tient eacutegalement au meacutecanisme de diffusion des changements techni-ques dans lrsquoeacuteconomie Nombreux sont les eacuteconomistes qui considegraverent que lrsquoaugmen-tation de la productiviteacute se gagne gracircce aux investissements en nouvelles machinesEn adoptant ce point de vue quel que soit le changement technique que nous connais-sons aujourdrsquohui il doit ecirctre compteacute dans lrsquoinvestissement au titre des technologies delrsquoinformation puisque crsquoest le type drsquoinvestissement qui augmente en 1997 lesinvestissements en mateacuteriels de traitement de lrsquoinformation ont repreacutesenteacute 34 desinvestissements durables des producteurs ce qui est nettement plus que la part repreacute-senteacutee par les investissement en machines de production qui est de 22 2

Ces laquo nouvelles machines raquo alimentent un large deacutebat Il va de soi que agrave un certainniveau une nouvelle technologie se traduit par de nouvelles machines toutefois ilnrsquoest pas eacutevident que celles-ci soient le seul moteur des gains de productiviteacute En faitsi lrsquoon prend correctement en compte lrsquoaugmentation de productiviteacute imputable auxnouvelles machines autrement dit si lrsquoon effectue une correction qualitative sur lesdonneacutees concernant les inputs en capital on constate que les machines plus perfor-mantes ne vont pas participer aux gains de productiviteacute multi-facteurs mais qursquoellesvont geacuteneacuterer une augmentation de productiviteacute du travail habituelle

Le paradoxe de la productiviteacute des ordinateurs trouve aussi sa reacutesonance dans lefait que nous sommes devenus une eacuteconomie de lrsquoinformation comme on lrsquoentend

1 Source US Department of Labour (1998a 1998b)2 En 1977 ces parts eacutetaient de 22 pour le mateacuteriel de traitement de lrsquoinformation 26 pour les

eacutequipements industriels Dans les chiffres du Bureau of Economic Analysis la rubrique laquo Traitementde lrsquoinformation et mateacuteriels connexes raquo regroupe les cateacutegories Machines de bureau drsquoinformatiqueet de calcul (ce qui inclut les ordinateurs et leurs peacuteripheacuteriques) Eacutequipement de communication Ins-truments et Photocopie et mateacuteriels connexes En 1997 les ordinateurs et leurs peacuteripheacuteriques repreacute-sentaient environ 40 du poste Eacutequipement de traitement de lrsquoinformation et environ 14 du posteInvestissements en biens drsquoeacutequipement durables par les producteurs

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freacutequemment avancer sans pour autant que cette affirmation soit quantifieacutee Ondit souvent que les changements qualitatifs repreacutesentent aujourdrsquohui une partbeaucoup plus importante du rendement final que dans le passeacute ces changementsqualitatifs lrsquoapparition de produits plus personnaliseacutes et lrsquoaugmentation des ser-vices (dans la consommation des entreprises comme eacuteleacutements de la demande desconsommateurs comme contributeurs aux exportations ameacutericaines) exprimenttous une veacuteriteacute commune lrsquoinformation contribue nettement plus que par le passeacuteau processus de production Srsquoil est exact que lrsquoon assiste agrave lrsquoutilisation croissantede lrsquoinformation en tant qursquoinput productif ou srsquoil est vrai que lrsquoinformation estdevenue un input plus productif que par le passeacute ce rocircle renforceacute accentue enmecircme temps lrsquoimportance que revecirctent les technologies de lrsquoinformation dans uneeacuteconomie moderne

Ainsi donc lrsquointeacuterecirct du paradoxe de Solow tourne autour drsquoun certain nombre dequestions et problegravemes drsquoordre eacuteconomique qui ne sont pas reacutesolus il y a ce ralen-tissement de productiviteacute observeacute apregraves 1973 qui pour lrsquoinstant a reacutesisteacute agrave toutesles tentatives drsquoexplication Il y a ce glissement que lrsquoon a tendance agrave consideacuterercomme reacutecent drsquoune eacuteconomie de marchandises agrave une eacuteconomie de services enfait cette eacutevolution nrsquoest pas aussi reacutecente qursquoon veut bien le dire puisque en 1940plus de la moitieacute des salarieacutes ne travaillaient pas dans les secteurs traditionnels dela production de biens1 Il y a aussi cette eacutevolution vers une laquo eacuteconomie delrsquoinformation raquo ce qui caracteacuterisait lrsquoeacuteconomie auparavant ce nrsquoeacutetait certaine-ment pas une absence drsquoinformation mais sans doute une moindre abondance delrsquoinformation en raison de son prix plus eacuteleveacute Aucune de ces eacutevolutions eacuteconomi-ques nrsquoest veacuteritablement bien comprise or la compreacutehension de ces tendances aune grande importance dans le cadre des questions extrecircmement varieacutees de politi-que eacuteconomique le rocircle de lrsquoeacuteducation et de la formation dans lrsquoeacuteconomie le rocircledes investissements - donc celui des mesures drsquoencouragement et la fiscaliteacute desinvestissements - les facteurs deacuteterminants de la croissance la preacutevision des ten-dances dans la reacutepartition des revenus et bien drsquoautres sujets Sur chacune de cesquestions on considegravere que lrsquoinformatique et la contribution des technologies delrsquoinformation jouent un rocircle clef Ainsi par exemple Kreuger (1993) a deacutecouvertque les salarieacutes qui utilisaient des ordinateurs eacutetaient mieux reacutemuneacutereacutes que ceuxqui ne recouraient pas agrave lrsquoinformatique et en a conclu que les eacutevolutions deacutefavora-bles constateacutees ces derniegraveres anneacutees aux Eacutetats-Unis en matiegravere de montant et dereacutepartition de revenus avaient un lien avec lrsquoinformatisation Cette thegravese susciteun deacutebat elle aussi dans certains cas lrsquoordinateur remplace lrsquohomme comme il le

1 Les secteurs traditionnels de production de biens lrsquoAgriculture la sylviculture et la pecircche lesMines les Industries de transformation et le BTP occupaient 49 des salarieacutes et 49 de la laquo main-drsquoœuvre expeacuterimenteacutee raquo dans le recensement de 1940 (Statistical Abstract of the United States 1944)

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fait pour drsquoautres inputs et cette substitution reacuteduit la demande pour certains pos-tes celui de guichetier de banque par exemple

Il convient ici de mentionner des points de vue tregraves discordants se manifestant parun refus drsquoassocier le paradoxe de Solow agrave certaines questions Ainsi par exemple Gri-liches (1997) eacutenonccedilait ceci

laquo Mais nous voici toujours bloqueacutes par cette question du ralentissement des gains deproductiviteacute ce paradoxe qui repreacutesente un problegraveme mais pas un problegraveme informa-tique Le ralentissement est-il ou non reacuteel Ou est-ce simplement une question demesure Ou encore et crsquoest bien plus important est-il chronique ou transitoire Leparadoxe ne se pose pas tant en termes drsquoinformatique que dans la faccedilon dont sontaffecteacutes la science la creacuteativiteacute et bien drsquoautres activiteacutes raquo

Voici successivement preacutesenteacutees en sept rubriques les laquo explications raquo proposeacutees agrave ceparadoxe

1 On ne voit pas des ordinateurs laquo partout raquo au sens eacuteconomique et fort du terme

Ce qui compte en lrsquooccurrence crsquoest la quote-part des ordinateurs dans les actifs etdans les moyens de production mis en œuvre Or ces proportions sont faibles et unmoyen de production repreacutesentant une tregraves faible part ne peut pas apporter une grandecontribution agrave la croissance eacuteconomique il est donc vain drsquoespeacuterer des investisse-ments en ordinateurs un impact fort sur la croissance (dans cet article je parle drsquoordi-nateurs et eacutegalement drsquoeacutequipement informatique pour deacutesigner indiffeacuteremment lesordinateurs et leurs peacuteripheacuteriques llsquoexpression laquo eacutequipement de traitement delrsquoinformation raquo sera utiliseacutee pour deacutesigner une plus large cateacutegorie dont lrsquoordinateur etses peacuteripheacuteriques sont des composants)

Les eacutetudes les plus pousseacutees ont eacuteteacute reacutealiseacutees par Oliner et Sichel (1994) drsquoune partet par Jorgenson et Stiroh (1995) drsquoautre part Dans les deux cas les auteurs calculentlrsquoeacutequation de la croissance comptable

(1) dt Y = scdtKc + scdtKnc + sLdtL + dtπ

dans laquelle dtY = d Ydt repreacutesente le taux de croissance de la production dtKcdtKnc et dtL repreacutesentent les taux de croissance des facteurs de production Kc est lecapital employeacute en ordinateur Knc est le capital non employeacute en ordinateur et L est letravail

si = est la part de lrsquoinput i dtπ est la croissance de la productiviteacute multi-facteurs

Lrsquoeacutequation indique que le taux de croissance de la production (dtY) est eacutegal agrave la crois-sance pondeacutereacutee des moyens de production (par exemple scdtKc est le taux de crois-

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sance des investissements en ordinateurs pondeacutereacute par la part des investissements enordinateurs rapporteacutee aux investissements totaux) augmenteacute du taux de croissance dela productiviteacute multi-facteurs

Jorgenson et Stiroh (1995) estiment la part de capital employeacutee en ordinateur parlrsquoinvestissement en eacutequipement informatique en utilisant la structure comptableutiliseacutee par Jorgenson (1980 1989) Oliner et Sichel (1994) utilisent la part de reve-nus imputable aux ordinateurs et agrave leurs peacuteripheacuteriques Comme le montre letableau 1 p 106 les reacutesultats de ces deux eacutetudes sont compatibles Les ordinateurset leurs peacuteripheacuteriques ont apporteacute une contribution relativement faible agrave la crois-sance eacuteconomique mecircme pendant les anneacutees 1980 ougrave lrsquoinformatique srsquoest tregraves lar-gement diffuseacutee dans toute lrsquoeacuteconomie Dans lrsquoeacutequation comptable dereacutefeacuterence (1) quand un eacutequipement repreacutesente une part modeste sa contributionagrave la croissance est relativement faible mecircme dans le cas drsquoun taux de croissancerapide de lrsquoinput ce qui a effectivement eacuteteacute le cas des ordinateurs et de leurs peacuteri-pheacuteriques Comme on le voit dans le tableau 2 ceux-ci ne repreacutesententqursquoenviron 2 et peut-ecirctre mecircme moins

Oliner et Sichel eacutelargissent la deacutefinition des ordinateurs en englobant tous les mateacute-riels de traitement de lrsquoinformation (voir leur tableau 10 page 305) ainsi que le logicielet les personnes utilisant lrsquoordinateur (voir leur tableau 9 page 303) le reacutesultat srsquoentrouve inchangeacute Quelle que soit la deacutefinition retenue mdash mateacuteriel informatique mateacute-riel de traitement de lrsquoinformation ou combinaison entre le mateacuteriel le logiciel et letravail mdash les parts restent limiteacutees (voir le tableau 2 ci-apregraves) de mecircme que la contri-bution agrave la croissance des technologies de lrsquoinformation

Pour veacuterifier le bien-fondeacute de leurs conclusions Oliner et Sichel (1994) effectuentune simulation en partant du principe que les ordinateurs rapportent des reacutesultats au-dessus de la normale (lrsquoeacutequation (1) implique que les ordinateurs fournissent le mecircmetaux de retour que les autres investissements) Romer (1986) Brynjolfsson et Hitt(1996) ainsi que Lichtenberg (1993) ont tous soutenu ou laisseacute entendre que les ordi-nateurs donnaient de meilleurs retours que les autres investissements Leurs simula-tions amegravenent une augmentation de la contribution de lrsquoeacutequipement informatique agravela croissance (de 02 dans le tableau 1 agrave 03 ou 04) mais elles se heurtent toutes aumecircme problegraveme la part de lrsquoeacutequipement informatique est trop faible pour qursquounretour raisonnable sur investissement en ordinateurs se traduise par une importantecontribution agrave la croissance eacuteconomique

Les exercices comptables de la croissance mesurent la contribution des ordinateursagrave la croissance et non sa contribution agrave la productiviteacute multi-facteurs La comptabiliteacutede la croissance apporte une reacuteponse agrave la question laquo Pourquoi la productiviteacute nrsquoest-elle pas plus eacuteleveacutee raquo Comme le montre lrsquoeacutequation (1) la contribution agrave la croissanceeacuteconomique de la productiviteacute multi-facteurs est distincte de la contribution drsquoun

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input quel qursquoil soit mecircme celui des ordinateurs Si lrsquoon considegravere que le paradoxe dela productiviteacute srsquoapplique agrave la productiviteacute multi-facteurs les exercices comptables dela croissance nrsquoeacuteclairent pas beaucoup cela1

Changement de mesures

Extrait de Brent R Moulton GDP and the Digital Economy Keeping upwith the Changes BEA US Department of Commerce

Washington (DC) May 1999 httpmitpressmiteduUDEdemoultnpdf

Avant 1996 les Comptes de la Nation mesuraient les variations de la productionlaquo reacuteelle raquo crsquoest-agrave-dire corrigeacutee de lrsquoinflation en mesurant les changements de volumede la production sur la base des prix drsquoune anneacutee de reacutefeacuterence On savait que cettemeacutethode entraicircnait un biais car les prix srsquoeacutecartaient des niveaux de lrsquoanneacutee de reacutefeacute-rence mais on supposait que le changement des prix relatifs eacutetait suffisammentmodeste pour que la distorsion puisse ecirctre neacutegligeacutee Toutefois lorsque lrsquoon a introduitun meilleur indice des prix pour les ordinateurs il devint manifeste que la tendance agravela baisse de cet indice agrave la fois extrecircme et prolongeacutee deacutegradait gravement les mesuresagrave prix constant du PIB reacuteel la substitution du nouvel indice entraicircnait une sureacutevalua-tion dans les estimations de croissance du PIB de lrsquoordre de 1 Par ailleurs commele biais nrsquoeacutetait pas constant dans le temps on arrivait agrave des distorsions significativesdans la mesure des tendances de la croissance agrave long terme

Le Bureau of Economic Analysis entreprit alors un programme de recherche qui abou-tit agrave lrsquoadoption en janvier 1996 drsquoindices de prix et de quantiteacutes chaicircneacutes crsquoest-agrave-diredes indices pour lesquels les pondeacuterations eacutetaient mises agrave jour en permanence au lieudrsquoecirctre fixes En drsquoautres termes les prix utiliseacutes pour mesurer les eacutevolutions quantitati-ves drsquoune anneacutee sur lrsquoautre sont aujourdrsquohui ceux qui se pratiquent pendant les deuxanneacutees conseacutecutives faisant lrsquoobjet drsquoune comparaison Ces nouveaux indices corri-gent une distorsion haussiegravere dans la croissance du PIB la modification a donc desconseacutequences allant dans le sens inverse agrave celles qui avaient eacuteteacute entraicircneacutees par lrsquoincor-poration des nouveaux indices de prix des ordinateurs Les utilisateurs des donneacuteesfournies par les comptes de la Nation ont ducirc se familiariser avec ces mesures car eacutetantchaicircneacutees elles ne sont pas additives et elles requiegraverent certains changements dans lesmeacutethodes drsquoanalyse Ces transformations meacuteritaient toutefois drsquoecirctre opeacutereacutes car ellesont permis lrsquoeacutelimination drsquoune source majeure et significative de distorsion et drsquoutiliserles meilleures meacutethodes statistiques disponibles

1 Si on pense que le paradoxe de Solow se reacutefeacuterait agrave la productiviteacute du travail lrsquoaugmentation delrsquoinput en ordinateur affecterait la productiviteacute du travail mecircme si elle nrsquoaffecte pas la productiviteacutemulti-facteurs Il semble agrave moi comme agrave drsquoautres (par exemple David 1990) que Solow ait voulu parlerde productiviteacute multi-facteurs et non de productiviteacute du travail En tout eacutetat de cause la productiviteacutedu travail a elle aussi baisseacute apregraves 1973

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Dans les comptes de la croissance la croissance des ordinateurs est seulement la reacuteponsede la demande en moyens de production agrave la grande chute des prix des ordinateurs En faitJorgenson agrave lrsquooccasion de plusieurs preacutesentations de mecircme que Stiroh ont souligneacute cepoint Conformeacutement au cadre standard de lrsquoanalyse de la production lrsquoeacutenorme chute desprix de la puissance informatique a conduit agrave substituer les ordinateurs agrave tous les autresmoyens de production y compris les autres types drsquoinvestissements De ce point de vuelrsquoimpact eacuteconomique des ordinateurs nrsquoest pas du tout une affaire de productiviteacute

Cette substitution de moyen de production appelle une premiegravere reacuteserve car la pro-duction des ordinateurs (et donc lrsquoinvestissement en ordinateurs) est estimeacute par ajus-tement en dollars constants par recours aux indices de prix heacutedoniques desordinateurs Le prix et la quantiteacute ne sont pas estimeacutes seacutepareacutement Certains ont avanceacutele fait que la baisse de prix des ordinateurs est surestimeacutee dans les statistiques gouver-nementales (voir la section suivante) et si la diminution de prix est surestimeacutee lrsquoaug-mentation de lrsquoinput des ordinateurs lrsquoest eacutegalement et il existe donc une moindresubstitution que ce que laissent entendre les donneacutees

Une deuxiegraveme reacuteserve tient au fait que de nombreux eacuteconomistes semblent penserque la somme drsquoinnovations constateacutees dans lrsquoeacuteconomie autrement dit le nombre etlrsquoaspect persuasif des nouveaux produits y compris les nouvelles meacutethodes de produc-tion et les nouvelles prouesses technologiques repreacutesente plus que ce que lrsquoon auraitpu raisonnablement attendre drsquoune substitution de bien de production De ce point devue il doit eacutegalement y avoir un problegraveme de mesures erroneacutees indeacutependant de la vali-diteacute du problegraveme de la substitution Cette approche sera eacutevoqueacutee dans la section VII

Une troisiegraveme reacuteserve tient au fait que la productiviteacute globale du travail est basse eacutega-lement et que ce nrsquoest pas seulement la productiviteacute multi-facteurs qui est basse Si lesordinateurs se substituaient simplement agrave drsquoautres inputs on aboutirait agrave une aug-mentation de la productiviteacute du travail en raison de lrsquoaugmentation du capital par tecirctemecircme en lrsquoabsence de croissance de productiviteacute multi-facteurs Crsquoest preacuteciseacutement ceque deacutemontre Stiroh (1998) agrave lrsquoeacutechelle industrielle une utilisation plus intensive delrsquoordinateur augmente la productiviteacute du travail par substitution drsquoinput mais nrsquoaug-mente pas la productiviteacute multi-facteurs du secteur Au niveau global la part des ordi-nateurs est trop faible pour avoir une influence forte soit sur la croissance de laproduction soit sur la productiviteacute du travail

Bien que ne lrsquoayant pas fait de faccedilon implicite Flamm (1997) a reacuteinterpreacuteteacute le paradoxede productiviteacute de Solow en lrsquoappliquant aux semi-conducteurs laquo Lrsquoegravere des semi-conducteursse constate partout et pas seulement dans lrsquoindustrie informatique raquo Les indices de prix deces mateacuteriels ont chuteacute encore plus rapidement que le prix des ordinateurs (voir commen-taires dans la section II) et les semi-conducteurs se retrouvent aussi dans drsquoautres types demachines (systegravemes anti-blocage de freins ou systegravemes de suspension laquo intelligents raquo danslrsquoautomobile par exemple) Flamm calcule que pour le consommateur le surplus ducirc agrave la

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baisse des prix des semi-conducteurs est drsquoenviron 8 de la croissance annuelle du PIBce qui donne un total gigantesque pour toute lrsquohistoire des semi-conducteurs vieille de cin-quante ans Au niveau de lrsquoanalyse du paradoxe de la productiviteacute les reacutesultats de Flammne permettent pas de distinguer entre drsquoun cocircteacute la part de la demande en semi-conducteursimputable agrave la substitution drsquoinput (substitution drsquoordinateurs et autres mateacuteriels incorpo-rant des semi-conducteurs au deacutetriment des inputs nrsquoutilisant pas de semi-conducteurs) etde lrsquoautre cocircteacute la part de la demande en semi-conducteurs imputable agrave lrsquoameacutelioration deproductiviteacute des industries utilisatrices (si effectivement ils affectent la productiviteacute) Tou-tefois Flamm estime lrsquoeacutelasticiteacute de la croissance de la production par rapport agrave la demandeen semi-conducteurs agrave agrave peu pregraves huit fois lrsquoeacutelasticiteacute de leur prix par rapport agrave la demandePar ailleurs il estime agrave environ 02 pour ces derniegraveres anneacutees la contribution des semi-conducteurs au PIB ce chiffre est peut-ecirctre fortuitement similaire agrave celui calculeacute dans lescomptes de la croissance pour les ordinateurs

Pour reacutesumer les ordinateurs apportent une faible contribution agrave la croissance carils ne repreacutesentent qursquoune petite part de lrsquoinvestissement en capital Cette part reacuteduitesuggeacutererait-elle qursquoils ne peuvent pas non plus avoir une incidence sur laproductiviteacute Peut-ecirctre Il nrsquoen reste pas moins que le paradoxe conserve la faveurdont il jouit pour drsquoautres raisons qui sont exposeacutees dans les sections ci-dessous

2 On a lrsquoimpression et seulement lrsquoimpression que les ordinateurs sont partout

Lrsquoassertion selon laquelle lrsquoindice des prix des ordinateurs chute trop vite et doncque lrsquooutput des ordinateurs en dollars constants croicirct trop rapidement obeacuteit agrave plu-sieurs logiques qui ne sont pas particuliegraverement relieacutees

Denison (1989) a souleveacute deux arguments diffeacuterents contre les indices de prix heacutedoni-ques des ordinateurs que calcule la BEA1 Drsquoabord il a soutenu que la baisse des indices deprix de lrsquoinformatique nrsquoayant pas connu de preacuteceacutedent elle eacutetait suspecte Aujourdrsquohuion peut mettre cette objection de cocircteacute ce qui srsquoest passeacute aux Eacutetats-Unis srsquoest reproduit dansdrsquoautres pays ougrave lrsquoon a constateacute des chutes tout aussi rapides (pour la France voir Moreau1996) Les indices de prix heacutedoniques chutent encore plus rapidement pour les semi-con-ducteurs que pour les ordinateurs2 Trajtenberg (1996) a montreacute que les indices de prix

1 BEA Bureau of Economic Analysis2 Les travaux empiriques les plus importants sur lrsquoindice de prix des semi-conducteurs sont ceux de

Flamm (1993 1997) de Dulberger (1993) et de Grimm (1998) Triplett (1996) compare les indices deprix des ordinateurs des semi-conducteurs et des eacutequipements des industries de transformation incor-porant des semi-conducteurs

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heacutedoniques des scanners utiliseacutes en scannographie subissaient des baisses similaires agrave cel-les des ordinateurs Raff et Trajtenberg ont mis en eacutevidence des chutes importantes desindices de prix heacutedoniques dans lrsquoautomobile au deacutebut du XXe siegravecle Dans la plupart descas ces baisses nrsquoont pas eacuteteacute prises en compte par les statistiques conventionnelles ainsipar exemple lrsquoautomobile ne figure qursquoagrave partir des anneacutees 1930 ou 1940 dans les statisti-ques gouvernementales et celles-ci ne permettent mecircme pas aujourdrsquohui de deacuteterminerquel est le montant drsquoinvestissements en scannographie reacutealiseacutes par les hocircpitaux Si Deni-son ne voyait pas de preacuteceacutedent agrave cette baisse des prix de lrsquoinformatique crsquoest tout simple-ment qursquoaucune publication anteacuterieure nrsquoen mentionnait

Le second argument de Denison qursquoil opposait agrave tous les indices citeacutes ci-dessus con-sistait agrave dire que les indices de prix heacutedoniques eacutetaient de par leur concept mecircme ina-dapteacutes aux Comptes de la nation Il pensait qursquoils ne mesuraient que la disposition agravepayer pour des ameacuteliorations qualitatives (le cocircteacute demande du marcheacute) et non pour lecoucirct de production de cette augmentation de qualiteacute (le cocircteacute offre) Toutefois jrsquoaideacutemontreacute (1983 1989) qursquoil srsquoagit drsquoune proposition incorrecte mecircme si elle estpertinente en effet on peut interpreacuteter les mesures heacutedoniques aussi bien du cocircteacute delrsquooffre que de celui de la demande Denison avanccedilait par ailleurs que les mesures cocircteacutedemande et cocircteacute offre divergeaient dans le cas des ordinateurs or il nrsquoexiste pas de preu-ves suffisantes drsquoune telle divergence (voir Triplett 1993) Pour autant que je sache laposition de Denison sur lrsquoinadaptation conceptuelle des indices de prix ne trouve aucunsoutien actuellement il nrsquoest donc pas neacutecessaire de srsquoeacutetendre plus ici sur ce point

Concernant les indices de prix heacutedoniques il existe un autre raisonnement impor-tant mettant lrsquoaccent sur lrsquoutilisation de ces ordinateurs personnels qui se trouvent surde tregraves nombreux bureaux Leurs utilisateurs font souvent ce type de commentaire laquo Jeme servais peut-ecirctre du quart de la capaciteacute de mon ancien ordinateur maintenantjrsquoen ai un nouveau dont jrsquoutilise le dixiegraveme de la capaciteacute Ougrave est le progregraves raquo McCar-thy (1997 paragraphes 4 et 15) exprime un point de vue similaire

laquo Il est peu vraisemblable que lrsquoaugmentation theacuteorique du potentiel productif (desordinateurs) telle qursquoelle a eacuteteacute mesureacutee par les augmentations de leurs caracteacuteristiquesait jamais eacuteteacute reacutealiseacutee dans la pratique (hellip) Par ailleurs la taille et la complexiteacute crois-santes des systegravemes drsquoexploitation et du logiciel vont probablement entraicircner une aug-mentation de lrsquoinefficaciteacute relative entre mateacuteriel et logiciel (hellip) Et si la complexiteacute estplus grande il y a forceacutement une partie de la vitesse de lrsquoordinateur qui est deacutetourneacuteedu traitement pour geacuterer la complexiteacute accrue du logiciel raquo

En drsquoautres termes les ordinateurs personnels sont de plus en plus rapides et puis-sants leur meacutemoire est de plus en plus grande mais ils finissent par ecirctre utiliseacutes pourtaper du courrier alors que la vitesse de dactylographie nrsquoa pas fondamentalement eacutevo-lueacute Nrsquoest-ce pas la preuve que les indices de prix des ordinateurs chutent trop vite

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Personnellement je ne le pense pas Le fait de taper une lettre sollicite le hardwareet le software ainsi que la contribution de la personne qui dactylographie et qui est demoins en moins souvent une secreacutetaire Dans ce processus le goulet drsquoeacutetranglementtechnique se situe souvent au niveau de lrsquoutilisateur mais cela ne justifie pas que lrsquoonreacutevise agrave la hausse lrsquoindice des prix de lrsquoordinateur celui-ci a eacuteteacute acheteacute on a deacutejagrave payeacutesa capaciteacute et lrsquoaffirmation selon laquelle lrsquoacheteur aurait pu faire aussi bien avec unmateacuteriel drsquoune geacuteneacuteration preacuteceacutedente nrsquoest pas pertinente si tant est qursquoelle soit prou-veacutee Et drsquoailleurs effectivement ce nrsquoest pas prouveacute lrsquoaugmentation de capaciteacute desordinateurs a eacuteteacute reacutealiseacutee pour rendre lrsquoordinateur plus convivial et efficace et pas sim-plement pour qursquoil soit plus rapide (mais voir les sections IV et VI)

Un troisiegraveme eacuteleacutement srsquoest fait jour dans les travaux de McCarthy (1997) il srsquoagit drsquounarticle qui a susciteacute de nombreux commentaires dans les autres pays de lrsquoOCDE qui envi-sagent de suivre lrsquoinitiative ameacutericaine concernant les indices heacutedoniques de prix pour lesordinateurs McCarthy observe que les indices de prix sont typiquement inexistants pourle logiciel et se demande si les prix du logiciel ne baissent pas moins rapidement que ceuxdes ordinateurs Or on a fait une estimation des indices de prix pour les logiciels de traite-ment de texte les tableurs et les gestionnaires de base de donneacutees (Gandal 1994 Oliner etSichel 1994 Harhoff et Moch 1997) il se trouve que ces recherches corroborent lrsquohypo-thegravese de McCarthy et que effectivement les prix du logiciel ont connu une baisse reacutegu-liegravere mais selon un taux nrsquoayant rien de comparable avec ceux des ordinateurs

McCarthy soutient ensuite que le logiciel eacutetant souvent vendu en laquo bundle raquo aveclrsquoordinateur la baisse plus lente du prix du logiciel entraicircne une distorsion dans lesindices de prix des ordinateurs laquo La qualiteacute globale drsquoune offre informatique (ordina-teurs et logiciels associeacutes) nrsquoa pas augmenteacute aussi rapidement que celle des caracteacuteris-tiques fonctionnelles du mateacuteriel sur lesquelles se fondent les estimations heacutedoniquesdrsquoameacutelioration de la qualiteacute De ce fait on arrive agrave une surestimation des ajustementsqualitatifs utiliseacutes dans lrsquoestimation des deacuteflateurs de prix des investissements eninformatique et donc les baisses des investissements sont elles aussi sureacutevalueacutees(McCarthy 1997 alineacutea 8)

Cette thegravese peut ecirctre preacutesenteacutee de maniegravere plus convaincante si lrsquoon reformule ainsi ladeacuteclaration de McCarthy Un indice de prix drsquoordinateur peut ecirctre consideacutereacute comme unindice de prix correspondant agrave des caracteacuteristiques de la machine Supposons pour la commoditeacutede la deacutemonstration que les fonctions heacutedoniques sont lineacuteaires et que lrsquoindice de prix estlui aussi lineacuteaire (index Laspeyres)1 Dans ce cas srsquoil y a trois caracteacuteristiques vendues en pac-kage dans un ordinateur personnel vitesse (s) meacutemoire (m) et software (z) on a

1 Si lrsquoon ne procegravede pas agrave ces deux hypothegraveses simplificatrices lrsquoindice de prix devient une construc-tion extrecircmement complexe comme je lrsquoai indiqueacute dans Triplett (1989) ce qui complique inutilementla deacutemonstration Toutefois au niveau empirique la mesure est sensible aux deux hypothegraveses

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(2) Ic = aIs + bIm + cIz

Dans laquelle a b et c sont des pondeacuterations Lrsquoindice global de prix des ordinateurs (Ic)tel qursquoil devrait ecirctre calculeacute constitue le reacutesultat pondeacutereacute des trois caracteacuteristiques lieacutees agrave lamachine Toutefois dans lrsquoindice de prix retenu on neacuteglige lrsquoincidence du logiciel alors quecet eacuteleacutement est vendu avec lrsquoordinateur sans suppleacutement de prix Or lrsquoindice correspondantau logiciel baissant moins que les deux autres caracteacuteristiques (IzgtIs Ic) lrsquoindice de prix desordinateurs va chuter trop rapidement puisqursquoil est assis sur les deux autres caracteacuteristiquesLe mecircme argument peut srsquoappliquer sous une forme modifieacutee si on utilise dans les comp-tes nationaux un indice de prix pour le mateacuteriel dans lrsquoobjectif de corriger la valeur agrave la foisdu mateacuteriel et du logiciel peut-ecirctre parce qursquoil nrsquoexiste pas drsquoindice speacutecifique au logiciel

Si les indices de prix heacutedoniques eacutetaient effectivement constitueacutes en fonction de lameacutethode de laquo lrsquoindice de prix baseacute sur les diffeacuterentes caracteacuteristiques raquo (2) ci-dessus jerejoindrais McCarthy sur le fait qursquoils subissent effectivement une distorsion agrave la baisseLa distorsion serait la mecircme si on consideacuterait que la croissance veacuteritable de lrsquoinvestisse-ment en ordinateurs correspondait aux taux de croissance pondeacutereacutes des caracteacuteristiquesdu mateacuteriel (ce qui correspond agrave la forme sous laquelle McCarthy a fait sa deacutemonstration)

Quand on regarde les calculs effectueacutes on constate que le fait de neacutegliger le logicielentraicircne une distorsion agrave la hausse de lrsquoindice de prix des ordinateurs ce qui est con-traire agrave ce qursquoavance McCarthy Lrsquoindice est en fait calculeacute en ajustant qualitativementles prix constateacutes en fonction de la valeur attacheacutee aux modifications des caracteacuteristi-ques du mateacuteriel Supposons que nous observions les prix de deux ordinateurs diffeacute-rents et appelons respectivement ces prix Pc1 et Pc2 chacun de ces ordinateursconsiste en un package de vitesse de meacutemoire et de software Les coefficients heacutedoni-ques de reacutegression sur le hardware (vitesse et meacutemoire) servent agrave ajuster la diffeacuterencede prix entre les deux ordinateurs si on en change les caracteacuteristiques de vitesse et demeacutemoire On a donc lrsquoeacutequation suivante

(3) (Pc1) = Pc1 (hs [s2s1] + hm [m2m1

dans laquelle la partie gauche de lrsquoeacutegaliteacute repreacutesente le prix ajusteacute de lrsquoordinateur 1en fonction de sa qualiteacute agrave droite hi est le prix laquo heacutedonique raquo de la caracteacuteristique iet s et m repreacutesentent respectivement la vitesse et la meacutemoire Lrsquoindice des prix utilisede la faccedilon suivante le prix ajusteacute pour tenir compte de la qualiteacute

(4) Ic = Pc2(Pc1)

Lrsquoeacutequation (4) nrsquoincorpore aucun ajustement pour la quantiteacute de logiciel composantune partie du prix de lrsquoordinateur (par exemple hz [z2z1]) Si lrsquooffre inclut plus de logi-ciel ou un logiciel ameacutelioreacute lrsquoajustement qualitatif de lrsquoeacutequation 3 mdash (hs [s2s1] + hm[m2m1]) mdash est trop faible et non lrsquoinverse car lrsquoameacutelioration du logiciel ne fait lrsquoobjetdrsquoaucun ajustement Le prix ajusteacute (Pc1) est trop bas et non lrsquoinverse Autrement dit

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lrsquoindice de prix des ordinateurs chute trop lentement la distorsion est agrave la hausse etnon agrave la baisse ce qui est contraire agrave ce que preacutetend McCarthy1

De toute faccedilon la question nrsquoest pas que le prix du logiciel baisse plus rapidementque celui du mateacuteriel ou que la quantiteacute de logiciel vendue avec le mateacuteriel augmentemoins vite que le taux drsquoameacutelioration des caracteacuteristiques du mateacuteriel comme lavitesse ou la meacutemoire Lrsquoindice de prix pour lrsquooffre jointe ordinateurlogiciel ne baissepas suffisamment vite parce qursquoaucune correction nrsquoa eacuteteacute effectueacutee pour tenir comptede la valeur de lrsquoaugmentation de quantiteacute de logiciel implicitement cette quantiteacuteest consideacutereacutee comme ayant une valeur eacutegale agrave zeacutero

En conclusion aucune preuve ni aucun raisonnement nrsquoindiquent une forte distor-sion agrave la baisse de lrsquoindice de prix des ordinateurs Personnellement je suis en phaseavec Griliches (1994 page 6) quand il eacutecrit au sujet des indices de prix des ordinateurseacutelaboreacutes par le BEA

laquo Il nrsquoy avait pas de problegraveme au niveau de lrsquoindice lui-mecircme En fait cela a repreacute-senteacute une avanceacutee capitale (hellip) mais (hellip) il srsquoagissait drsquoun ajustement exceptionnel aucun autre produit de haute technologie nrsquoavait reccedilu pareil traitement (hellip) raquo2

3 On ne voit pas des ordinateurs partout mais leur contribution est peu mesureacutee danscertains secteurs eacuteconomiques qui sont pourtant ceux ougrave on en voit le plus

Griliches (1994) a noteacute que plus de 70 des investissements ameacutericains en ordina-teurs dans le secteur priveacute eacutetaient concentreacutes dans le commerce de gros ou de deacutetail la

1 En supposant que lrsquoexclusion du logiciel de la reacutegression heacutedonique nrsquoentraicircne pas de distorsiondes coefficients des variables incluses La distorsion de lrsquoindice de prix des variables exclues peut se faireagrave la hausse ou agrave la baisse en fonction de la correacutelation qui nrsquoest pas connue entre variables incluses etexclues et aussi des mouvements non observeacutes de la variable exclue2 Apregraves lrsquointroduction par le BEA des indices de prix heacutedoniques pour les eacutequipements informatiques

en 1985 de tels indices nrsquoont pas eacuteteacute eacutetendus agrave drsquoautres biens en raison de la combinaison de deuxfacteurs (a) un manque de ressources au sein du BEA Mecircme srsquoil existe une part de vrai agrave ce sujetlrsquolaquo Initiative Boskin raquo visant agrave lrsquoameacutelioration des statistiques eacuteconomiques est intervenue relativementpeu de temps apregraves (1989) et il nrsquoexistait pas drsquoapproche heacutedonique dans lrsquoInitiative Boskin parailleurs les ressources agrave allouer aux ameacuteliorations des indices de prix eacutetaient extrecircmement limiteacutees (USDepartment of Commerce 1990) (b) peut-ecirctre une mauvaise appreacuteciation par les deacutecideurs de lrsquoimpor-tance du travail effectueacute et une reacuteaction deacutemesureacutee dans ses proportions agrave une critique somme toutedouce de lrsquoexteacuterieur et agrave une autre critique plus appuyeacutee encore qursquoindirecte eacutemanant de lrsquointeacuterieurdu systegraveme de statistiques ameacutericains Mecircme srsquoil eacutetait aviseacute de laisser les choses se tasser un peu apregraveslrsquointroduction des indices de prix des ordinateurs il nrsquoen reste pas moins qursquoil srsquoest agi incontestable-ment de lrsquoinnovation qui a eu au plan international la plus grande porteacutee au plan des comptes natio-naux pendant toute la deacutecennie 1980 (sur certains aspects internationaux voir Wyckoff 1995)

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finance lrsquoassurance lrsquoimmobilier et les services (divisions F G H et I du Standard Indus-trial Classification System de 1987)1 Or il srsquoagit preacuteciseacutement des secteurs eacuteconomiquesougrave le rendement est le moins bien mesureacute et ougrave dans certains cas la notion mecircme de ren-dement est mal deacutefinie (lrsquoassurance la finance le conseil sont des exemples classiques)

Pourquoi ceci cet investissement en ordinateur ne srsquoest-il pas traduit par des gains visi-bles de productiviteacute Le principal eacuteleacutement de reacuteponse est simple lrsquoinvestissement est alleacutedans nos laquo secteurs non mesurables raquo et donc son influence sur la productiviteacute ne sereflegravete pas dans les statistiques mecircme si elle est tout agrave fait reacuteelle (Griliches 1994 page 11)

Qursquoil existe de seacuterieux problegravemes de mesure dans tous ces domaines est un fait bieneacutetabli Lrsquoouvrage de Griliches (1992) constitue un exemple relativement reacutecent de lalongue histoire des tentatives destineacutees agrave affiner les meacutethodes et les concepts appliqueacutesaux services Triplett (1992) preacutesente un autre rapport sur les problegravemes conceptuelsde quantification du rendement bancaire et Sherwood (publication attendue) traitele problegraveme de cette mesure dans le secteur de lrsquoassurance

Les services participent pour une large part agrave la production Ceux qui ont uneinfluence directe sur le PIB sont constitueacutes par les deacutepenses de consommation desmeacutenages et les exportations nettes et bien sucircr il est par ailleurs notoire que le rende-ment de toute lrsquoactiviteacute gouvernementale est tregraves mal mesureacute2 La consommation desservices nrsquoayant pas trait au logement repreacutesente environ 43 des deacutepenses person-nelles de consommation soit 29 du PIB et les exportations nettes de services pegravesentpour environ 13 dans le PIB

Les chiffres de productiviteacute ne sont pas calculeacutes pour le PIB total Il existe un mode BLS3

de calcul tregraves largement utiliseacute ayant pour reacutefeacuterence lrsquoeacuteconomie priveacutee Il est difficiledrsquoisoler de faccedilon explicite la composante Services dans cet agreacutegat Toutefois en sontmanifestement exclus les traitements des fonctionnaires verseacutees par le gouvernementla consommation en capital et les logements occupeacutes par leur proprieacutetaire et lrsquoon peutenlever ces composants du PIB pour obtenir une estimation grossiegravere de lrsquoeacuteconomie pri-veacutee (agricole et non agricole) (voir tableau 3) Les services ayant trait aux deacutepenses deconsommation non lieacutees au logement plus les exportations nettes de services repreacutesen-tent environ 43 de la demande finale du secteur priveacute hors immobilier

Les services repreacutesentent donc une grande part du ratio de la productiviteacute drsquoensemblemais ne sont pas correctement mesureacutes Il est bien eacutevident que le terme englobe un certain

1 Dans les donneacutees reacuteviseacutees des actifs du BEA ces secteurs repreacutesentent 723 des actifs en ordina-teurs pour lrsquoanneacutee de reacutefeacuterence 19922 La plupart des services regroupeacutes dans la division I du Standard Industrial Classification System

repreacutesentent des produits intermeacutediaires (services de consultants en eacuteconomie par exemple) ne ren-trant pas dans le PIB final3 Bureau of Labor Statistics

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nombre de services agrave la personne comme par exemple les transports urbains les salonsde coiffure ou drsquoestheacutetique etc qui nrsquoont sans doute pas profiteacute de faccedilon substantielle delrsquoameacutelioration de productiviteacute et donc de rendement apporteacutee par les ordinateursCependant dans certaines cateacutegories plus importantes de services une faible erreur demesure se reacutepercuterait fortement sur les statistiques de productiviteacute Si le signe (+ ou -) delrsquoerreur de mesure allait dans le bon sens les services faisant lrsquoobjet drsquoune quantificationerroneacutee pourraient nettement contribuer agrave reacutesoudre le paradoxe de la productiviteacute

Quel est le signe de lrsquoerreur de mesure dans le rendement des services Mecircme si unsecteur est mal quantifieacute on ne peut pas savoir de faccedilon certaine quel est le signe delrsquoerreur crsquoest-agrave-dire si elle intervient en plus ou en moins Une mauvaise mesure ne setraduit pas toujours par une distorsion haussiegravere de lrsquoindice des prix et une distorsionbaissiegravere dans le rendement et la productiviteacute

Ainsi par exemple la banque est un secteur dont la quantification nrsquoest pas satisfai-sante alors que son rendement pegravese lourd dans les Comptes de la nation La mesure durendement bancaire a fait lrsquoobjet de recherches consideacuterables dans diffeacuterentes voies jrsquoenai eacutevoqueacute de nombreuses dans Triplett 1992 mais il existe des eacutetudes plus reacutecentes Ber-ger et Merger (1997) et Fixler et Zieschang (1997) Ces autres mesures du rendement ban-caire sont pour moi bien plus justifieacutees que celles utiliseacutees pour les statistiquesgouvernementales1 Mais il ne semble pas qursquoelles indiquent un taux de croissance pluseacuteleveacute du rendement et de la productiviteacute du secteur Ainsi par exemple Berger et Mester(1997) soulignent que la productiviteacute multi-facteurs dans la banque a chuteacute agrave une peacuteriodeagrave laquelle augmentait fortement la mesure BLS de productiviteacute du travail dans la banque

Les autres mesures concernant la banque comme par exemple celles utiliseacutees par legouvernement precirctent le flanc agrave la critique car elles ne prennent pas en compte un cer-tain nombre drsquoeacuteleacutements par exemple le confort drsquoutilisation apporteacute agrave la clientegravele parles distributeurs automatiques de billets (DAB) Pour cette raison et pour bien drsquoautresBresnahan (1986) montre que lrsquoinfluence en aval des technologies de lrsquoinformation estsubstantielle Lors de discussions priveacutees il a par ailleurs mis lrsquoaccent sur le fait quelrsquoinnovation qui rendait inteacuteressante lrsquoutilisation du DAB eacutetait destineacutee agrave reacuteduire lafraude Mais Berger et Humphrey (1996) montrent que les DAB ont eu sur les coucircts ban-caires des effets pervers un retrait par distributeur coucircte agrave peu pregraves 50 de moinsqursquoagrave un guichet mais en revanche les transactions par DAB sont drsquoun montant moinsimportant et agrave volume total eacutegal de transactions sont deux fois plus nombreuses Sile distributeur a eu un faible impact sur les coucircts bancaires toutes les ameacuteliorationsapporteacutees par les DAB sur la productiviteacute des banques proviennent de lrsquoopinion duconsommateur qui y trouve plus de confort et nrsquoa plus peur de la fraude Mais dans la

1 La mesure de la production effectueacutee par le BLS utiliseacutee pour quantifier la productiviteacute du secteurbancaire repreacutesente une deacutefinition notablement diffeacuterente de la mesure utiliseacutee par le BEA pour calcu-ler les composants du PIB voir Triplett (1992)

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mesure ougrave un retrait par distributeur ne donne pas lieu agrave paiement de frais il faut esti-mer le beacuteneacutefice consommateur et lrsquoinclure dans la mesure de la production bancaire silrsquoon veut obtenir une estimation de la contribution de la technologie au rendement etagrave la productiviteacute du secteur bancaire

Le fait de tenir compte de ce plus produirait-il un fort ajustement agrave la hausse Frei et Har-ker (1997) ont rapporteacute qursquoune grande banque a tregraves rapidement perdu une partie impor-tante de sa clientegravele apregraves avoir chercheacute de faccedilon agressive agrave reacuteduire lrsquoaccegraves aux guichetsclassiques dans lrsquoespoir de reacuteduire ses coucircts Les clients veulent aussi avoir affaire agrave des gui-chetiers Mecircme si les DAB constituent incontestablement un avantage pour eux au-delagravedrsquoun certain seuil drsquoutilisation leur inteacuterecirct devient moindre que celle drsquoun guichetier

Ajouter une valorisation des DAB augmenterait probablement le taux mesureacute decroissance de la production des banques et donc leur productiviteacute Une ameacuteliorationde la mesure du rendement au niveau bancaire et financier contribuerait donc agrave reacutesou-dre le paradoxe Mais comme le suggegravere lrsquoeacutetude preacuteciteacutee une telle estimation est com-pliqueacutee et il est certain que les ordres de grandeur ne sont pas clairs

Certains eacuteconomistes ont abordeacute ce problegraveme de mesure dans les services en examinantpour ainsi dire les preuves drsquoun comportement anormal des statistiques dans certains desdomaines ougrave les mesures sont mauvaises Ainsi Stiroh (1998) utilise en lrsquoeacutelargissant lameacutethodologie de Jorgenson et Stiroh (1995) pour analyser la contribution des ordinateursagrave la croissance au niveau sectoriel Il identifie parmi 35 secteurs industriels ceux qui sont leplus utilisateur drsquoordinateurs Ces secteurs de services correspondent agrave ceux que Grilichesavait signaleacutes comme eacutetant mal mesureacutes commerces de gros et de deacutetail finance assu-rance immobilier services (division 1 du Standard Identification Classification System)

Stiroh constate que la croissance de la production non lieacutee aux ordinateurs a dimi-nueacute agrave mesure que la contribution des ordinateurs augmentait de faccedilon intensive dansles secteurs informatiseacutes Des ordinateurs moins chers se sont substitueacutes agrave drsquoautres fac-teurs de production y compris le travail Mais en mecircme temps les taux de croissancede la production mesureacutes augmentaient moins rapidement laquo Pour tous les secteursutilisant lrsquoordinateur (hellip) le taux moyen de croissance de la productiviteacute multi-fac-teurs a chuteacute alors que le capital (ordinateur) augmentait raquo (Stiroh 1998) Effective-ment il semble anormal drsquoavoir une correacutelation inverse entre lrsquoinvestissement enordinateurs et la croissance de la productiviteacute multi-facteurs voir aussi Morrison etBerndt (1991) qui parviennent agrave un reacutesultat similaire Soit les ordinateurs ne sont pasproductifs soit lrsquoaugmentation du rendement est sous-estimeacutee Cette anomalie estcoheacuterente avec lrsquohypothegravese drsquoune laquo mauvaise mesure des services raquo Toutefois elle seconstate eacutegalement dans les reacutesultats des travaux de Stiroh sur les industries de trans-formation utilisant lrsquoordinateur de faccedilon intensive par exemple celle des carriegraveres delrsquoargile ou du verre ougrave les problegravemes de mesure de la production sont sinon inexis-tants en tout cas peu connus

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Prescott (1997) note que les prix des services agrave la consommation qursquoil considegraverecomme laquo mal deacutefinis raquo (affaires domestiques parmi lesquels la finance et lrsquoassurancefigurant dans la liste de Griliches plus le logement occupeacute par son proprieacutetaire lessoins meacutedicaux et lrsquoenseignement) ont gonfleacute de 64 entre 1985 et 1995 tandis queles autres services ceux qui sont laquo raisonnablement bien deacutefinis raquo ont augmenteacute seu-lement de 40 Prescott y voit une erreur de mesure au niveau des anciens prix1 Lapreuve de la divergence de prix nrsquoest pas en elle-mecircme fascinante aucun principe eacuteco-nomique ne preacutetend que les prix devraient toujours eacutevoluer conjointement et il estcourant de constater dans la theacuteorie des indices de prix une divergence des prix relatifsMais si les indices de prix sont sur-estimeacutes alors la croissance de la production deacuteflateacuteeet la hausse de la productiviteacute multi-facteurs sont toutes deux sous-eacutevalueacutees

La Commission Boskin a estimeacute que lrsquoindice des prix agrave la consommation qui fournitdes deacuteflateurs agrave de nombreux composants des deacutepenses de consommation des meacutenages(PCE2) eacutetait au cours de ces derniegraveres anneacutees sur-eacutevalueacutes de 11 dont 04 corres-pondant agrave une mesure incorrecte des prix des services aux consommateurs Cela se tra-duirait dans une large mesure par une erreur dans lrsquoeacutevaluation de la production deacuteflateacuteedes services au sein des mesures de productiviteacute3 Pour que cette erreur de mesure expli-que le ralentissement de la croissance eacuteconomique de la productiviteacute ou de la consom-mation reacuteelle il faudrait qursquoelle ait augmenteacute depuis 1973 ce dont on nrsquoa pas de preuvessuffisantes ou que la part des secteurs mal mesureacutes ait augmenteacute or si les services onteffectivement augmenteacute leur part nrsquoa pas augmenteacute autant que la productiviteacute a baisseacuteEn outre lrsquoaugmentation de lrsquoerreur de mesure si elle srsquoest effectivement aggraveacutee au fildu temps a ducirc ecirctre progressive alors que la chute de la productiviteacute eacutetait brutale

1 Prescott (1997) inclut dans la cateacutegorie laquo mal deacutefinis raquo les services correspondant aux logementsoccupeacutes par leurs proprieacutetaires il srsquoappuie pour cela sur le fait qursquoune mesure de coucirct pour lrsquoutilisateurde services au logement est theacuteoriquement preacutefeacuterable agrave un loyer eacutequivalent au logement en questionparamegravetre qui est actuellement utiliseacute dans les comptes nationaux et dans lrsquoindice des prix agrave la con-sommation Dans la mesure ougrave le coucirct drsquoutilisation du capital a une valeur de location repreacutesenteacutee parla partie gauche de lrsquoeacutequation standard de Jorgenson (1989) le point de vue de Prescott ne peut pas ecirctretheacuteorique puisque les mesures du loyer et de lrsquooccupation par un proprieacutetaire devraient en theacuteorie ecirctreles mecircmes Je pense plutocirct qursquoil affirme implicitement que les estimations du coucirct drsquoutilisation fonc-tionnent mieux empiriquement dans le cas drsquoun logement occupeacute par son proprieacutetaire que dans celuidrsquoun logement loueacute Cette question de lrsquoempirisme a eacuteteacute tregraves abondamment exploreacutee dans la litteacuteratureeacuteconomique et lrsquoeacutevidence va contre lrsquoaffirmation de Prescott Voir Gillingham (1983) pour le cas drsquounlogement occupeacute par son proprieacutetaire et Harper Berndt et Wood (1989) pour lrsquoanalyse de problegravemescomparables dans lrsquoestimation du coucirct drsquoutilisation pour drsquoautres biens drsquoeacutequipement Je ne veux pasdire par lagrave qursquoil nrsquoexiste pas de problegraveme agrave mesurer le coucirct drsquoun logement occupeacute par son proprieacutetairejrsquoindique simplement que le raisonnement de Prescott ne semble pas coheacuterent avec les travaux empi-riques meneacutes sur le mecircme sujet2Personal Consumption Expenditures3 Jrsquoai commenteacute les estimations de distorsion reacutealiseacutees par la Commission Boskin et leurs implica-

tions au niveau de la mesure des deacutepenses de consommation des meacutenages (PCE reacuteel) et donc de la pro-ductiviteacute dans Triplett (1997)

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Je doute quant agrave moi que lrsquoaccentuation drsquoune mauvaise quantification de la consom-mation de services puisse expliquer le ralentissement apregraves 1973 de la consommationreacuteelle par habitant et donc de la productiviteacute Toutefois ces mesures erroneacutees pourraientexpliquer la perte drsquoune partie de la contribution des ordinateurs agrave la croissance sur unepeacuteriode couvrant agrave peu pregraves les vingt derniegraveres anneacutees qui viennent de srsquoeacutecouler

Au total la mauvaise mesure des services est sans doute affecteacutee du signe approprieacutepour reacutesoudre le paradoxe mais lrsquohypothegravese drsquoune mesure erroneacutee a-t-elle suffisam-ment de force pour le reacutesoudre en totaliteacute Je ne le pense pas

4 Que lrsquoon voie ou non des ordinateurs partout une partie du travail reacutealiseacute par ceux-ci nrsquoest pas comptabiliseacutee dans les statistiques

On trouve dans laquo Windows pour les Nuls raquo page 12 la phrase suivante laquo Windowsremplit lrsquoeacutecran avec plein de petites boicirctes et images rigolotes DOS crsquoest pour les gensqui ne mettent jamais drsquoautocollants sur leurs pare-chocs raquo

Plus loin ce manuel souligne agrave juste titre le fait que les images demandent une puis-sance nettement plus grande de lrsquoordinateur et que donc le fait drsquoutiliser Windows 95exige de disposer drsquoun ordinateur relativement puissant Un nombre consideacuterabledrsquoordinateurs et de logiciels reacutecemment lanceacutes sur le marcheacute a eacuteteacute conccedilu dans lrsquooptiquedrsquoune plus grande faciliteacute drsquoemploi

Mais ougrave donc dans les statistiques eacuteconomiques trouve-t-on comptabiliseacutee la valo-risation drsquoune meilleure commoditeacute et drsquoun meilleur interface Si ces eacuteleacutements sontproductifs autrement dit si par exemple les images et icocircnes permettent de faire plusde travail lrsquoameacutelioration en question va se retrouver dans les statistiques de producti-viteacute ou agrave tout le moins dans les donneacutees concernant la productiviteacute du travail

Drsquoun autre cocircteacute si les images sont juste destineacutees agrave apporter un cocircteacute laquo fun raquo jrsquoimagineqursquoun nouveau logiciel incorporant des graphiques agrave lrsquoeacutecran des controcircles laquo pointez-cliquez raquo et autres commoditeacutes entraicircne une consommation plus importante qursquoun logi-ciel plus ancien or cette consommation de travail ne figure nulle part dans les statisti-ques Si un logiciel contribue en partie agrave la production et en partie agrave rendre lrsquoutilisateurplus content de travailler une partie de ces gains est perdue au niveau des statistiques

Mecircme si je conviens qursquoun peu de laquo fun raquo ne nuit pas je soupccedilonne les technologuesdrsquoavoir exageacutereacute les meacuterites de ces raquo petites boicirctes et images rigolotes raquo On nrsquoa pas encorereacutesolu la question de savoir si les tout reacutecents deacuteveloppements concernant les ordina-teurs et les logiciels ont effectivement apporteacute de la convivialiteacute on nrsquoa drsquoailleurs pasnon plus trancheacute sur la justification du surcoucirct par rapport aux beacuteneacutefices apporteacutes

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Mais si les concepteurs de logiciels ont atteint leurs buts si les ordinateurs et logicielssont aujourdrsquohui plus souples et plus conviviaux et si la puissance de la machine quiest sur votre bureau est destineacutee agrave cet objectif les statistiques eacuteconomiques ne saisis-sent pas grand-chose de lrsquoameacutelioration de lrsquointerface

Lrsquoordinateur facilite par ailleurs la reacuteorganisation de lrsquoactiviteacute or les gains engen-dreacutes par cette reacuteorganisation peuvent eacutegalement ne pas figurer dans les statistiquesVoici un exemple que lrsquoon doit agrave Steiner (1995) lrsquoanalyse ne lui en revenant pas

Prenons un cas qui nrsquoest pas si hypotheacutetique celui drsquoune entreprise ameacutericaine speacute-cialiseacutee dans le jouet Gracircce agrave lrsquoinformatique et agrave des communications plus rapides etmoins chegraveres par lrsquoInternet cette socieacuteteacute a pu deacutevelopper son activiteacute jusqursquoagrave inteacutegrationglobale Aujourdrsquohui la direction baseacutee aux Eacutetats-Unis deacutetermine quels sont les pro-duits qursquoelle est susceptible de vendre aux USA conccediloit les jouets eacutelabore sa campagnemarketing et planifie la distribution Mais elle contracte avec tous les fabricants drsquoAsiequi ne sont pas forceacutement affilieacutes agrave lrsquoentreprise par le biais drsquoune participation Une foisles jouets fabriqueacutes ils sont expeacutedieacutes directement par bateau agrave des grossistes importantsinstalleacutes aux Eacutetats-Unis lrsquoentreprise ameacutericaine de jouets nrsquoa donc pas drsquoantenne com-merciale lui permettant de vendre au deacutetail des quantiteacutes importantes La facturation etles flux financiers sont assureacutees par une entiteacute eacutetrangegravere situeacutee disons aux BahamasDans cet exemple lrsquoordinateur et les technologies avanceacutees de lrsquoinformation ont permisagrave lrsquoentreprise ameacutericaine de jouets de reacutepartir les activiteacutes de fabrication de distributionet de suivi financier dans diffeacuterentes reacutegions du monde ougrave les coucircts sont les moins eacuteleveacutes

Du point de vue des actionnaires et des dirigeants lrsquoordinateur a apporteacute une forteaugmentation de la profitabiliteacute de lrsquoentreprise ceci poseacute ougrave ces gains se retrouvent-ils dans les statistiques ameacutericaines de productiviteacute

Les ressorts de lrsquoefficience

Extrait de Alan Greenspan laquo Information productivity and capital investment raquoThe Federal Reserve Board Remarks by Chairman Alan Greenspan

Before The Business Council Boca Raton Florida October 28 1999

httpwwwbogfrbfedusboarddocsspeeches1999199910282htm

La veacuteritable avalanche de donneacutees en temps reacuteel a favoriseacute une reacuteduction prononceacuteedes heures de travail neacutecessaires par uniteacute produite et une large expansion de nou-veaux produits dont la production a absorbeacute la force de travail qui nrsquoeacutetait plus indis-pensable pour soutenir le niveau et la composition anteacuterieurs de la production Cecontexte sur les cinq derniegraveres anneacutees srsquoest mateacuterialiseacute par une acceacuteleacuteration extrecircme-ment forte de la productiviteacute et en conseacutequence par une nette augmentation duniveau de vie du meacutenage Ameacutericain moyen

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Avant cette reacutevolution technologique la plupart des deacutecideurs dans les entreprises duXXe siegravecle eacutetaient handicapeacutes par une information moins abondante Nombre drsquoentrevous se rappellent qursquohier le bon fonctionnement des entreprises exigeait de preacutevoirdes redondances substantielles en raison du manque drsquoinformation sur les besoins desclients sur la localisation des stocks et sur les flux de matiegraveres drsquoœuvre au sein des com-plexes systegravemes de production

Ce doublonnage tant sur les mateacuteriaux que sur les employeacutes eacutetait indispensable pourcompenser en temps reacuteel les erreurs ineacutevitables drsquoappreacuteciation sur laquo lrsquoeacutetat raquo de lrsquoentre-prise Les deacutecisions se prenaient en fonction drsquoinformations vieilles de plusieurs heuresplusieurs jours voire mecircme plusieurs semaines De ce fait la planification de la produc-tion demandait des stocks de seacutecuriteacute extrecircmement coucircteux et des eacutequipes plus nom-breuses pour pouvoir reacuteagir agrave des situations impreacutevues ou mal eacutevalueacutees

Il reste bien sucircr de larges pans drsquoinformation qui restent inconnus et les preacutevisions deseacuteveacutenements dont deacutependent en dernier ressort les deacutecisions des entreprises demeurentdans un eacutetat drsquoincertitude ineacutevitable Pour autant au cours de ces derniegraveres anneacutees leremarquable essor observeacute dans la disponibiliteacute en temps utile des informations oppor-tunes a permis aux dirigeants de se passer largement du matelas de seacutecuriteacute repreacutesenteacutepar des stocks trop importants et certains salarieacutes qui faisaient double emploi

Le monde des entreprises est donc non seulement capable de reacuteagir avec unemeilleure preacutecision aux eacutevolutions de la demande mais en plus il offre des reacuteponsesplus rapides et plus efficaces Lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation en temps reacuteel qui deacutecoule parexemple de proceacutedeacutes tels lrsquoeacutechange de donneacutees informatiseacutees ou la localisation parsatellite des camions de livraison a favoriseacute la reacuteduction marqueacutee des deacutelais de livrai-son et des heures de travail neacutecessaires pour produire des biens de toute nature deslivres jusqursquoaux biens drsquoeacutequipement Cette situation a agrave son tour diminueacute la taille rela-tive des investissements neacutecessaires agrave la production des biens et services

Les proceacutedeacutes intermeacutediaire de production et de distribution qui eacutetaient absolumentessentiels agrave une peacuteriode ougrave la quantiteacute drsquoinformations et le controcircle qualiteacute laissaient agravedeacutesirer font actuellement lrsquoobjet drsquoune reacuteduction drsquoeacutechelle et parfois mecircme drsquoune eacuteli-mination Les sites Internet qui se font omnipreacutesents promettent une modification signi-ficative dans la faccedilon dont des pans entiers de nos systegravemes de distribution sont geacutereacutes

Dans lrsquoexemple que nous avons choisi lrsquoordinateur a augmenteacute la productiviteacute desfabricants asiatiques des armateurs libeacuteriens des eacutetablissements financiers des Caraiuml-bes en leur donnant un meilleur accegraves aux marcheacutes et agrave la distribution ameacutericains Laseule activiteacute restant agrave lrsquoentreprise ameacutericaine de jouets se reacuteduit agrave son eacutequipedirigeante ougrave est la mesure de lrsquooutput drsquoun eacutetat-major

Si lrsquoimpact de lrsquoordinateur sur la profitabiliteacute de cette entreprise participe effective-ment agrave la productiviteacute ameacutericaine le calcul de cette contribution exige que lrsquoon trouvedes meacutethodes permettant de tenir compte du design du marketing de la distribution

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et des activiteacutes de coordination reacutealiseacutes par lrsquoeacutequipe de direction or il srsquoagit lagrave drsquoactiviteacutesde services pour lesquels les outputs sont actuellement mesureacutes de faccedilon imparfaite1

5 On ne voit pas encore les ordinateurs dans les statistiques de productiviteacute mais ilsuffit drsquoattendre un peu

David (1990) a eacutetabli une analogie entre la diffusion de lrsquoeacutelectriciteacute et celle de lrsquoordi-nateur La connexion entre ces innovations tient selon lui au fait que toutes deuxlaquo forment les eacuteleacutements nodaux raquo des reacuteseaux et laquo occupent des positions clefs dans unetoile de relations techniques fortement compleacutementaires raquo Le paralleacutelisme desreacuteseaux amegravene David agrave preacutevoir que la diffusion des ordinateurs et les effets de ceux-cisur la productiviteacute suivront la mecircme eacutevolution sur une dureacutee prolongeacutee que lrsquoon aobserveacutee pour lrsquoeacutelectriciteacute

laquo Ce nrsquoest pas avant le deacutebut des anneacutees 1920 que lrsquoeacutelectrification des usines (hellip) aeu un impact sur lrsquoaugmentation de productiviteacute dans les secteurs industriels Agrave cetteeacutepoque agrave peine plus du quart de lrsquoeacutenergie meacutecanique eacutetait eacutelectrifieacute dans les uniteacutes deproduction (hellip) Or on eacutetait quatre deacutecennies apregraves lrsquoouverture de la premiegravere centraleeacutelectrique destineacutee aux entreprises raquo (David 1990 page 357)

Cette theacuteorie a fait lrsquoobjet drsquoune tregraves large diffusion dans la presse populaire

Que lrsquoordinateur ait ou non deacutejagrave atteint son potentiel maximal (voir la section VI)je doute que lrsquoanalogie avec lrsquoeacutelectriciteacute soit eacutedifiante Mokyr (1997) adresse drsquoailleursune mise en garde laquo Les analogies historiques sont tout aussi instructives qursquoelles peu-vent ecirctre trompeuses et elles deviennent plus dangereuses que partout ailleurs quandil srsquoagit de progregraves technologiques ougrave les changements sont impreacutevisibles cumulatifset irreacuteversibles raquo Les reacuteseaux respectifs des ordinateurs et de lrsquoeacutelectriciteacute peuvent ounon preacutesenter une analogie mais lrsquoordinateur diffegravere fondamentalement de lrsquoeacutelectri-citeacute par son comportement en termes de prix et donc par son scheacutema de diffusion

Plus de quarante ans ont passeacute depuis le lancement du premier ordinateur commer-cial Le coucirct de la puissance repreacutesente aujourdrsquohui moins de 00005 de ce qursquoil eacutetaitau moment de la preacutesentation du premier ordinateur (voir le tableau 4) Le prix de lapuissance a eacuteteacute diviseacute par plus de 2 000 en pregraves de 45 ans

On ne retrouve pas agrave la naissance de lrsquoeacutelectriciteacute une chute de prix drsquoune ampleurressemblant agrave celle-ci de pregraves ou de loin David note que les prix de lrsquoeacutelectriciteacute nrsquoontcommenceacute agrave baisser que dans la quatriegraveme deacutecennie suivant son introduction Nord-

1 Et en tout eacutetat de cause il nrsquoexiste pas actuellement de convention permettant de les imputer auxeacutetats-majors

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haus (1997) estime certes que le prix de lrsquoeacuteclairage par lumen a diminueacute de 85 entre 1883 et 1920 mais les deux tiers de cette baisse sont imputables agrave lrsquoaugmenta-tion drsquoefficaciteacute des ampoules et non agrave la production drsquoeacutelectriciteacute Sichel (1997) quantagrave lui arrive agrave une estimation diffeacuterente Gordon (1990) a reacutealiseacute des indices de prix desappareils geacuteneacuterateurs drsquoeacutelectriciteacute qui ne vont que jusqursquoagrave 1947 mais on voit maldans cet historique ce qui pourrait suggeacuterer une baisse des prix drsquoun niveau compara-ble mecircme de loin agrave celle qursquoont connue les ordinateurs

Dans la mesure ougrave lrsquoeacutevolution des prix est extrecircmement diffeacuterente drsquoun produit agrave lrsquoautreles modegraveles de diffusion de lrsquoeacutenergie eacutelectrique et de la puissance informatique sont eux aussifondamentalement dissemblables Dans la diffusion drsquoune innovation quelle qursquoelle soiton distingue deux sources de demande soit cette innovation supplante une ancienne tech-nologie pour effectuer les mecircmes choses soit elle facilite la reacutealisation de choses nouvelles

Au deacutepart lrsquoeacutelectriciteacute nrsquoa pas affecteacute les activiteacutes qui faisaient autrefois appel agravelrsquoeacutenergie hydraulique ou agrave la vapeur La manufacture qui eacutetait situeacutee pregraves drsquoun coursdrsquoeau dont elle obtenait son eacutenergie meacutecanique ne srsquoest pas convertie agrave lrsquoeacutelectriciteacute etsi elle ne lrsquoa pas fait crsquoest que lrsquoeacutenergie fournie par lrsquoeau restait moins chegravere pour elle en effet lrsquoeacutelectriciteacute aurait neacutecessiteacute une double transformation celle de lrsquoeacutenergiehydraulique en eacutenergie eacutelectrique puis en eacutenergie meacutecanique1 En revanche lrsquoeacutelectri-citeacute a permis lrsquoimplantation drsquousines agrave distance des cours drsquoeau et donc sa diffusionsrsquoest accompagneacutee agrave lrsquoorigine de nouvelles faccedilons de faire Crsquoest seulement agrave lrsquoissuedrsquoune longue peacuteriode que sa production a affecteacute ce qui se faisait auparavant en recou-rant agrave lrsquoeacutenergie hydraulique ou agrave la vapeur

Pour ce qui concerne le processus de diffusion de lrsquoordinateur les premiegraveres applica-tions ont supplanteacute des technologies anciennes de calcul2 Lrsquoeacutenergie hydraulique ou lavapeur ont surveacutecu longtemps agrave lrsquoapparition de lrsquoeacutelectriciteacute mais les machines de cal-

1 David (1990 page 357) note la ldquonon-profitabiliteacute du remplacement de sites de transformationencore exploitables et preacutesentant des technologies de production recourant agrave lrsquoeacutenergie meacutecanique pro-venant de lrsquoeau et de la vapeurrdquo Il fait remarquer que ldquoles applications de lrsquoeacutenergie eacutelectrique ontattendu que se deacutepreacutecient ulteacuterieurement les structures industrielles agrave longue dureacutee de vierdquo Le fait queles industriels aient attendu que leurs eacutequipements fonctionnant agrave lrsquoeacutenergie hydraulique ne soient plusutilisables avant de les remplacer par des eacutequipements eacutelectriques vient confirmer de faccedilon eacuteloquentela puissance de lrsquoimpact prix et lrsquoobsolescence affectant les ordinateurs lrsquoeacutevidence suggegravere que les ordi-nateurs ne se deacuteteacuteriorent pas de faccedilon substantielle agrave lrsquousage (Oliner 1993) mais pour autant combienreste-t-il en service de machines datant de la premiegravere ou de la deuxiegraveme deacutecennie de lrsquoegravere delrsquoinformatique Lrsquoordinateur et lrsquoeacutelectriciteacute ont des histoires diffeacuterentes et non pas similaires2 Pour illustrer ce point mentionnons Longley (1967) qui a montreacute que les algorithmes drsquoinversion

de matrice dans les premiers programmes de reacutegression des ordinateurs eacutetaient deacutetermineacutes drsquoapregraves desmeacutethodes simplifieacutees utiliseacutees pour les calculatrices meacutecaniques et contenaient donc des erreurs quiaffectaient les coefficients de reacutegression au premier ou deuxiegraveme chiffres significatifs A lrsquoorigine lesconcepteurs de ces meacutethodes plus rapides et moins oneacutereuses nrsquoont pas tireacute parti de la vitesse des ordi-nateurs pour ameacuteliorer la preacutecision des calculs simplement ils ont ldquoinformatiseacuterdquo ce qui se pratiquaitauparavant

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cul existant avant lrsquoordinateur ont disparu depuis fort longtemps deacutejagrave Nos assistantsde recherche utilisent-ils encore des calculatrices Marchant si tant est qursquoils sachentde quoi il srsquoagit La baisse forte et continue du prix des ordinateurs contribue depuisbien des anneacutees agrave peser dans la deacutecision de remplacer les calculatrices cartes perforeacuteeset autres outils de mecircme nature par des machines modernes de la mecircme faccedilon que enson temps le moulin a ceacutedeacute la place agrave lrsquoeacutenergie hydraulique

Dans lrsquohistoire de lrsquoeacutelectriciteacute lrsquoextension agrave de nouvelles applications a preacuteceacutedeacute leremplacement des meacutethodes anciennes parce que le prix de lrsquoeacutelectriciteacute ne rendait pascelles-ci immeacutediatement obsolegravetes Dans le cas de lrsquoordinateur la disparition desanciennes meacutethodes a deacutebuteacute immeacutediatement lrsquoobsolescence eacutetant acceacuteleacutereacutee par larapide chute des prix de lrsquoinformatique

Mecircme si certaines applications nouvelles de la puissance de lrsquoordinateur consti-tuent de prodigieuses ameacuteliorations en termes de possibiliteacutes lrsquoeffet prix reste extrecirc-mement important lui aussi Quand on passe agrave lrsquoinformatisation ce sont lesmeacutethodes les plus valoriseacutees qui sont implanteacutees en premier lieu Agrave mesure que lapuissance informatique devient moins chegravere les nouvelles installations ont unevaleur moindre et sont marginales Ce principe est suggeacutereacute par les taux drsquoutilisation ainsi par exemple quand jrsquoeacutetais en troisiegraveme cycle jrsquoemportais mes cartes perforeacuteesau centre informatique et lagrave jrsquoattendais un ordinateur qui eacutetait cher alors que jrsquoavaispeu de moyens Aujourdrsquohui crsquoest lrsquoordinateur que jrsquoai sur mon bureau quimrsquoattend et ce nrsquoest pas tant que je pegravese beaucoup plus financiegraverement crsquoest plutocirctqursquoil est devenu si bon marcheacute qursquoon peut lrsquoutiliser pour des activiteacutes qui ne sont pasen elles-mecircmes particuliegraverement valoriseacutees

Quand on compare les quarante premiegraveres anneacutees de lrsquoeacutenergie eacutelectrique et de lapuissance informatique on constate que mille choses au moins seacuteparent ces deuxinnovations Et ce que lrsquoon sait sur leurs processus respectifs de diffusion concorde avectoutes ces diffeacuterences En fait il est inconcevable qursquoil en soit autrement et donc je necrois pas que lrsquohistoire de la diffusion de lrsquoeacutenergie eacutelectrique telle que lrsquoa deacutecrite Davidait quoi que ce soit agrave voir avec lrsquohistoire et les perspectives de lrsquoinformatique

6 On voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productiviteacute parce queles ordinateurs ne sont pas aussi productifs qursquoon le croit

Dans un dessin humoristique de Dilbert dateacute du 5 mai 1997 on lit que laquo la totaliteacutedu temps passeacute par les hommes agrave attendre le chargement des pages de Web (hellip) annuletous les gains de productiviteacute de lrsquoegravere de lrsquoinformation raquo Dilbert nrsquoest certainement pas

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le seul racircleur agrave srsquoecirctre demandeacute si lrsquoexpansion des technologies de lrsquoinformation srsquoeacutetaittraduite par des beacuteneacutefices correspondant soit agrave lrsquoinvestissement soit agrave la forte aug-mentation de la vitesse des ordinateurs

Crsquoest un lieu commun de dire que lrsquohistoire de lrsquoordinateur se reacutesume au remplace-ment constant drsquoune technologie par une autre Mais ces progregraves technologiques tregravesrapides ont pour contrepartie un taux drsquoobsolescence absolument vertigineux quimegravene au rebut des pans entiers drsquoinvestissements alors que les machines sont encoreen eacutetat de fonctionnement Si celles-ci avaient eacuteteacute conserveacutees le flux de services seraitplus grand aujourdrsquohui mais guegravere de beaucoup En effet un ordinateur personneleacutequipeacute drsquoune puce 8086 atteignait 033 MIPS (une mesure de vitesse) en 1978 unordinateur baseacute sur Pentium offrait 150 MIPS en 1994 et leur vitesse est de plus de 200actuellement Donc si elles avaient eacuteteacute gardeacutees toutes les machines 8086 qui ont eacuteteacuteconstruites ne contribueraient que tregraves marginalement au stock total actuel de MIPSinstalleacutes

Ceci poseacute mecircme si elles ne valent plus grand-chose aujourdrsquohui ces machines 8086 ontapporteacute de reacuteelles ressources agrave la production entre 1978 et 1982 peacuteriode agrave laquelle ellesconstituaient des mateacuteriels de pointe Or il nrsquoexiste pas actuellement de retour pour les res-sources substantielles qui ont eacuteteacute investies dans les ordinateurs dans un passeacute reacutecent

Il ne srsquoagit pas uniquement du mateacuteriel on entend parler de nombreux projets delaquo refonte des systegravemes informatiques raquo agrave un coucirct prohibitif Il sont traiteacutes de faccedilonanecdotique dans la presse quand il srsquoagit de projets tregraves coucircteux ou encore quand lrsquoundrsquoentre eux a connu la honte de lrsquoeacutechec apregraves avoir englouti une masse drsquoinvestisse-ments Les exemples abondent en la matiegravere comme lrsquoeacutechec qui a coucircteacute il y a plusieursanneacutees plus de 3 milliards de dollars agrave lrsquoInternal Revenue Service1 ou plus reacutecemmentle projet Medicare qui a eacuteteacute tregraves critiqueacute Dans un certain nombre drsquoorganisationslrsquoeacutetude drsquoun projet de refonte du systegraveme informatique fait presque toujours preacutetendreque lrsquoancien systegraveme est deacutepasseacute et doit ecirctre remplaceacute par un nouveau Agrave la une de soneacutedition du 30 avril 1998 le Wall Street Journal indique que laquo 42 des projets drsquoentre-prise concernant les nouvelles technologies sont abandonneacutes avant achegravevement raquo etque laquo 50 des projets ne reacutepondent pas aux attentes des dirigeants raquo Le bug delrsquoan 2000 pourrait venir compleacuteter le tableau encore qursquoil srsquoagisse plus drsquoun problegravemede management ou drsquoun logiciel qui aurait eacuteteacute utiliseacute plus longtemps que ne le preacute-voyaient ses concepteurs plutocirct que drsquoune question inheacuterente agrave la relation ordina-teurprogramme

Pour ce qui concerne les ordinateurs personnels on assiste agrave des lancements en per-manence de nouveaux systegravemes drsquoexploitation traitements de texte etc Mecircme si tou-tes les nouvelles versions repreacutesentaient une ameacutelioration substantielle pour les

1 Lrsquoeacutequivalent drsquoune Direction des Impocircts (NdT)

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utilisateurs il faudrait se poser la question de leur coucirct de remplacement Nombreuxsont ceux qui dans lrsquoindustrie informatique ou dans drsquoautres secteurs se demandentsi ces coucircts de conversion ont eacuteteacute correctement pris en compte dans le cycle de renou-vellement La plupart des utilisateurs ont-ils vraiment besoin drsquoun logiciel dernier cri En attendant les mises agrave jour se succegravedent

Raff et Trajtenberg (1997) montrent que la baisse des prix des voitures coupleacutee avecune ameacutelioration de la qualiteacute qui a marqueacute les deacutebuts de lrsquohistoire de lrsquoautomobileest comparable agrave celle des ordinateurs Il existe toutefois une notable diffeacuterence crsquoestque pour un grand nombre drsquoacheteurs de voitures la Ford T eacutetait largement suffi-sante Ses conducteurs nrsquoavaient pas besoin drsquoecirctre agrave la pointe de la technologie mecircmesi certains voulaient absolument ce qui se faisait de mieux Le fait que lrsquoindustrie infor-matique nrsquoait pas reacuteussi agrave produire lrsquoeacutequivalent drsquoun modegravele T constitue peut-ecirctre lamanifestation drsquoun manque de discipline des ingeacutenieurs mais peut-ecirctre aussi lapreuve de diffeacuterences fondamentales entre les marcheacutes informatique et automobileQuand on achetait une Ford T drsquooccasion on pouvait la conduire sur les mecircmes routesque si on srsquoeacutetait eacutequipeacute drsquoun modegravele neuf agrave lrsquoinverse il nrsquoest plus possible de se servirdrsquoun vieil ordinateur sur les nouvelles autoroutes de lrsquoinformation De surcroicirct ontrouvait toujours quelqursquoun pour reacuteparer un modegravele ancien de voiture alors que lemarcheacute de lrsquoapregraves-vente drsquoordinateurs est loin drsquoavoir connu la mecircme croissance quecelui des ordinateurs neufs

Toutes ces nouvelles versions se traduisent-elles par une augmentation de producti-viteacute ou sont-elles inutiles Les opinions divergent sur ce sujet On peut faire les mecircmestacircches en traitement de texte avec une technologie nouvelle qursquoavec une ancienneQuelle est la valeur des ameacuteliorations marginales en termes de confort ou de vitessepar exemple Peut-ecirctre nrsquoest-elle pas si forte comme lrsquoaffirment certains utilisateursmais en tout eacutetat de cause elle repreacutesente un faible coucirct dans la toute nouvelle techno-logie Ainsi les graphiques et les icocircnes occupent une part non neacutegligeable de la capa-citeacute mais dans la mesure ougrave cette capaciteacute est peu oneacutereuse dans les deacuteveloppementstechnologiques les plus reacutecents le coucirct diffeacuterentiel venant en contrepartie de lrsquooffre degraphiques et icocircnes est faible et ces eacuteleacutements sont donc incorporeacutes dans les logicielssortis derniegraverement Les techniciens considegraverent que srsquoil est possible de fournir agrave faiblecoucirct aux utilisateurs une petite icocircne animeacutee qui indique qursquoune page est en coursdrsquoimpression il nrsquoy a pas de raison de srsquoen priver De la mecircme faccedilon si on peut offrirpour un coucirct modique un choix extraordinaire de menus pourquoi ne pas le faire

Les esprits chagrins feront remarquer que le fait drsquoajouter toutes ces caracteacuteristiquesdonne au bout du compte un ordinateur de plus en plus puissant offrant une capaciteacutede meacutemoire de plus en plus grande mais qui effectue la plupart des tacircches plus lente-ment qursquoun modegravele drsquoordinateur plus ancien et moins puissant Un 386 avec un sys-tegraveme drsquoexploitation et un traitement de texte des premiegraveres geacuteneacuterations est peut-ecirctre

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plus rapide pour certaines opeacuterations qursquoun Pentium offrant les technologies les plusreacutecentes en la matiegravere Pour beacuteneacuteficier des avantages de la derniegravere mise agrave jour drsquountraitement de texte il faut parfois engager des sommes importantes de mise agrave jour delrsquoordinateur et du systegraveme drsquoexploitation et il arrive mecircme que lrsquoon soit contraint derenoncer agrave un certain nombre de possibiliteacutes offertes par lrsquoancien systegraveme mais nondisponibles sur le nouveau On serait donc bien loin du point de vue purement tech-nologique exprimeacute par les programmeurs

Le choix des menus se traduit lui aussi par un coucirct Ainsi par exemple ma derniegraveremessagerie eacutelectronique offre un choix beaucoup plus vaste que la preacuteceacutedente maispour effectuer certaines tacircches il faut maintenant que je frappe plus de touches parailleurs le systegraveme est plus lent que lrsquoancien agrave exeacutecuter certains ordres Il srsquoagit en faitlagrave de lrsquoapplication agrave lrsquoinformatique drsquoun principe eacuteconomique geacuteneacuteral qui veut quealors qursquoil existe un deacutesir de disposer drsquoopportuniteacutes de choix de plus en plus nombreu-ses le fait drsquoopeacuterer des choix est une deacutemarche coucircteuse et donc je refuse drsquoecirctre forceacutede choisir dans un menu qui est de plus en plus fourni

Certains professionnels de lrsquoinformatique srsquoeacutetonnent par ailleurs des orientationsprises reacutecemment par les creacuteateurs de logiciels Ainsi par exemple on trouve agrave la pre-miegravere page du New York Times du 24 juin 1997 en section C cette opinion deMichael Dertouzos laquo Qualifier un ordinateur de convivial simplement parce qursquoiloffre un choix infini de polices de caractegraveres et de fonds drsquoeacutecran cela revient agrave vouloirfaire croire qursquoun chimpanzeacute est chirurgien parce qursquoon lui a passeacute une blousedrsquohocircpital raquo

Par ailleurs lrsquoutilisateur est conscient mecircme si le programmeur ne lrsquoest pas que lechangement lui-mecircme est coucircteux Il ne srsquoagit pas uniquement du coucirct drsquoacquisitiondrsquoune nouvelle version de logiciel ou du coucirct drsquoinstallation et de parameacutetrage le faitdrsquoapprendre les nouvelles commandes et de deacutesapprendre les anciennes se traduit luiaussi en termes financiers et de faccedilon substantielle1 Le coucirct du temps des utilisateursrepreacutesente sans aucun doute la composante la plus importante quand on veut chif-frer les conseacutequences drsquoun changement il est nettement plus eacuteleveacute que les coucirctsdirects Or traditionnellement seuls ceux-ci sont pris en compte dans la comptabi-liteacute des entreprises alors que les laquo temps morts raquo constituent un poids qui obegravere laproductiviteacute Blinder et Quandt (1997) insistent eacutegalement sur les coucircts drsquoapprentis-sage et drsquoobsolescence qui sont des freins au potentiel de gains de productiviteacute desordinateurs

1 Il serait bien difficile de ne pas se demander si on nrsquoaurait pas pu eacuteviter une bonne partie de ce coucirctdans lrsquohypothegravese ougrave lrsquoon aurait conserveacute les anciens symboles et icocircnes dans les nouvelles versionsLrsquoanalogie avec le clavier QWERTY de la machine agrave eacutecrire qui a eacuteteacute conserveacute sur les ordinateurs est toutagrave fait pertinente pourquoi ne constate-t-on pas une inertie similaire dans le software au niveau descommandes et des icocircnes

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Les porte-parole de lrsquoindustrie informatique se plaisent agrave eacutevoquer lrsquoanalogie entre lesgains technologiques de leur secteur drsquoactiviteacute et la mise agrave disposition des consomma-teurs drsquoune Rolls-Royce qui irait agrave 300 kmh ne consommerait que 4 litres aux 100 etne coucircterait que 100 dollars Quand on lui parle de progregraves en informatique le rabat-joie entend plutocirct la version suivante laquo On vous fournit un logiciel eacutequivalent agrave unenouvelle route agrave peacuteage mais pour pouvoir emprunter celle-ci il faut drsquoabord acheterun nouvel ordinateur eacutequivalent agrave une Rolls-Royce en plus vous ne pourrez plus con-duire sur lrsquoancienne route qui avait eacuteteacute inteacutegralement payeacutee parce qursquoon ne va pluslrsquoentretenir raquo

Pour autant en regravegle geacuteneacuterale et de faccedilon tregraves nette les gens ne laissent pas passerles derniegraveres ameacuteliorations pour garder lrsquoancienne technologie ou en tout cas il nele font pas tregraves longtemps Il est troublant de recourir pour en donner une explica-tion agrave une certaine forme drsquoeacutechec du marcheacute allant agrave lrsquoopposeacute du cas si deacutecrieacute deMicrosoft et de sa situation de monopole Srsquoil existe une explication au paradoxeinformatique relative agrave un gacircchis il faut plutocirct chercher du cocircteacute drsquoun eacutechec mana-geacuterial ou drsquoun manque de prise de deacutecision de la part des utilisateurs drsquoordinateurs etde logiciels

Si les deacutecisions prises dans le passeacute concernant les ordinateurs srsquoavegraverent inefficacesque dire de lrsquoavenir Une faccedilon drsquoenvisager les choses consiste agrave dire que quand onaura appris agrave utiliser les ordinateurs le futur promet de satisfaire les espoirs si souventdeacuteccedilus du passeacute Les ordinateurs sont productifs ce sont les hommes qui ne les ont pasutiliseacutes de maniegravere productive Et ces machines ameacutelioreront la productiviteacute agrave lrsquoavenirmecircme si elles ne lrsquoont pas fait dans le passeacute Autrement dit le rendement veacuteritable desordinateurs est plus important dans lrsquoavenir que ce qui a eacuteteacute mesureacute jusqursquoagrave preacutesent Etsi lrsquoapport veacuteritable ou potentiel est nettement plus important il faut que lrsquoeacuteconomieinvestisse dans les ordinateurs plus encore qursquoelle ne lrsquoa fait jusqursquoagrave preacutesent

Mais si les deacutecisions prises dans le passeacute ont eacuteteacute mauvaises ou inapproprieacutees celapeut vouloir dire aussi que lrsquoon a deacutejagrave trop investi dans les ordinateurs qui srsquoavegraverentmoins productifs qursquoon lrsquoavait penseacute au moment ougrave ont eacuteteacute prises les deacutecisions drsquoinfor-matisation Un tel cas de figure augure moins bien de lrsquoavenir comme crsquoest en geacuteneacuteralle cas en lrsquooccurrence ce que nous ont apporteacute pour lrsquoinstant les recherches sur ce pointne va pas au-delagrave du regard poseacute par Dilbert sur le sujet

Pour terminer eacutevoquons un dernier point Lrsquoordinateur a peut-ecirctre entre autrestalents celui de reacuteduire les coucircts de certains comportements la recherche drsquoune loca-tion par exemple ou encore de favoriser les situations drsquoeacutemulation en oligopole lesstrateacutegies de partage de marcheacutes etc Il a permis par exemple drsquoexeacutecuter un plus grandnombre drsquoopeacuterations de bourse en simultaneacute Bresnahan Milgrom et Paul (1992) onteacutetudieacute la valeur drsquoune richesse plus importante en informations sur le marcheacute boursierIls en ont conclu que ce surcroicirct drsquoinformations ne contribuait pas agrave la productiviteacute

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parce que ces informations ne concernaient que les personnes recevant des gains ellesnrsquoaugmentaient donc pas le gain social de lrsquoactiviteacute boursiegravere tout entiegravere Ceci vientmettre lrsquoaccent sur le fait qursquoil ne faut pas confondre lrsquoimpact de lrsquoordinateur sur lespersonnes ou les entreprises et ses effets sur lrsquoeacuteconomie nationale Dans certains cason ne constate pas drsquoeffet net agrave lrsquoeacutechelle eacuteconomique les gains se faisant au deacutetrimentdrsquoautres personnes ou entreprises

7 Il nrsquoy a pas de paradoxe certains eacuteconomistes eacutevaluent les innovations et les nou-veaux produits sur une eacutechelle arithmeacutetique alors qursquoelle devrait ecirctre logarithmique

Pour de nombreux eacuteconomistes et notamment les eacuteconomistes drsquoentreprises ledeacutebat preacuteceacutedent nrsquoest pas satisfaisant Ils voient plus drsquoeacutevolutions techniques plus denouveaux produits plus de changements dans le service aux consommateurs dans lesmeacutethodes de livraison et dans drsquoautres secteurs innovants que ne le laissent entendreles statistiques gouvernementales en termes de productiviteacute et cette incoheacuterence estselon eux constitutive du paradoxe Nous sommes agrave cet eacutegard dans une laquo nouvelleeacuteconomie raquo inondeacutes drsquoun flot drsquoinnovations et de nouveaux produits qui nrsquoa pas depreacuteceacutedent et rien de ce flot nrsquoest pris en compte dans les chiffres concernant la produc-tiviteacute

Cette position est reprise par les journaux les magazines eacuteconomiques et aussi lesbulletins de la Reacuteserve feacutedeacuterale et srsquoentend eacutegalement lors de confeacuterences Il est vraiqursquoautrefois tous les produits eacutetaient standardiseacutes et faciles agrave mesurer dit-on aujourdrsquohui en revanche on nous indique un flot de nouveaux produits drsquoameacuteliora-tions qualitatives et de produits sur mesure correspondant agrave des niches les cycles desproduits se raccourcissent et de nouveaux services dans des secteurs tels que la banqueou la finance sont mis en place avec une rapiditeacute ineacutedite Crsquoest agrave un point tel que lepreacutesident de la Reacuteserve feacutedeacuterale a indiqueacute que le niveau actuel drsquoinnovations techno-logiques constituait un pheacutenomegravene se produisant une fois par siegravecle qui entraicircneraitune augmentation spectaculaire de la productiviteacute

Du point de vue de la nouvelle eacuteconomie le paradoxe de la productiviteacute nrsquoest pasveacuteritablement un paradoxe lieacute agrave lrsquoordinateur les gens ont tendance agrave engranger desanecdotes sur le sujet qui peuvent eacutemaner de leur propre entreprise ou provenir de lalecture de journaux ou encore avoir eacuteteacute raconteacutees par des tiers Lrsquoaccumulation de tou-tes ces histoires ne semble pas coheacuterente avec lrsquoaugmentation modeste des chiffressur la productiviteacute De ce point de vue on nrsquoest pas tant dans la conviction que lrsquoordi-nateur a augmenteacute la productiviteacute que dans la conviction que la productiviteacute a aug-

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menteacute mais sur la base drsquoautres preuves En effet la phrase de Solow (1987) preacuteceacutedantimmeacutediatement son ceacutelegravebre aphorisme soulegraveve le mecircme point laquo [Les auteurs] sontsouvent gecircneacutes par le fait que ce que chacun pense avoir repreacutesenteacute une reacutevolution techno-logique un changement radical dans nos vies productives srsquoaccompagne partout (hellip)drsquoun ralentissement de lrsquoaugmentation de productiviteacute et non par une acceacuteleacuteration raquo

Par conseacutequent lrsquoordinateur a constitueacute un signal ou peut-ecirctre un symbole de toutecette productiviteacute par lrsquoinnovation et les nouveaux produits que lrsquoon imaginait Il afourni une logique permettant drsquoexpliquer pourquoi eacutetait exacte la perception que lerythme de lrsquoeacutevolution technique srsquoacceacuteleacuterait et pourquoi eacutetaient fausses les statisti-ques sur la productiviteacute Crsquoest pour cette raison que les eacuteconomistes ont pris le para-doxe au seacuterieux Ce nrsquoest pas tant que lrsquoon pouvait ou non voir des ordinateurs partoutou qursquoils eacutetaient productifs ou encore que certaines de leurs utilisations srsquoanalysaienten gaspillage ou encore les sections 1 agrave 6 du preacutesent article Crsquoest plutocirct que lrsquoordina-teur donnait une creacutedibiliteacute agrave toutes les choses nouvelles que les eacuteconomistes pen-saient voir de faccedilon anecdotique mais qui nrsquoapparaissaient pas dans les chiffresglobaux de productiviteacute

Ces anecdotes sur les nouveaux produits les nouveaux services les nouvellesmeacutethodes de distribution et les nouvelles technologies constituent sans aucun doutedes observations valables Bien que personne ne sache comment faire le compte de cesnouveauteacutes il nrsquoy a pas agrave discuter sur le fait qursquoelles sont plus nombreuses que jamaisde nos jours Ceci poseacute ces anecdotes manquent totalement drsquoune perspective histo-rique et en ce sens sont trompeuses quand on les considegravere comme des preuves deproductiviteacute

Pour qursquoexiste un impact sur la productiviteacute il faut que le taux de creacuteation de nou-veaux produits et drsquoapparition de nouvelles technologies soit plus grand que dans lepasseacute comme le montre un simple exemple chiffreacute Supposons que toutes les ameacutelio-rations de productiviteacute proviennent du deacuteveloppement de nouveaux produits Suppo-sons par ailleurs que agrave lrsquoanneacutee A0 il existe 100 produits et que dix pour cent soientnouveaux Pour que le taux de productiviteacute soit en augmentation constante il faudraque soient creacuteeacutes 11 nouveaux produits lrsquoanneacutee suivante et 12 nouveaux produitslrsquoanneacutee A2 Si lrsquoon maintient constant ce taux de productiviteacute il faudra creacuteer26 nouveaux produits au bout de 10 ans 62 produits au bout de 20 ans et ainsi desuite en suivant une progression arithmeacutetique Au fil de la croissance de lrsquoeacuteconomie ilfaut donc un nombre toujours plus important de nouveaux produits pour garder untaux constant de croissance de productiviteacute

La plupart des anecdotes consideacutereacutees comme constituant la preuve drsquoune laquo nouvelleeacuteconomie raquo amegravenent agrave penser que effectivement il y a bien un nombre plus grand denouveauteacutes mais cela ne veut pas neacutecessairement dire que le taux de nouveauteacutes soitplus grand Ainsi par exemple de nombreux eacuteconomistes considegraverent que le nombre

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accru de reacutefeacuterences dans un supermarcheacute constitue la preuve drsquoun choix plus vasteoffert au consommateur drsquoinnovations marketing etc1 Diewert et Fox (1997tableau 5) rapportent que en 1994 il y a deux fois plus de produits dans un supermar-cheacute moyen qursquoen 1972 respectivement 19 000 et 9 000 Mais le taux de croissancepour la peacuteriode 1948-1972 (2 200 produits en 1948 et 9 000 en 1972) eacutetait plus de qua-tre fois supeacuterieur agrave celui de la peacuteriode 1972-1994 on notera par ailleurs que ces deuxpeacuteriodes sont de longueur agrave peu pregraves eacutegale Par conseacutequent il est vrai que lrsquoon trouveplus de produits dans les supermarcheacutes en 1994 que vingt ans auparavant pourtantle taux de croissance a chuteacute

Il existe drsquoautres illustrations de cette mecircme deacutemonstration Ainsi par exemple laCommission Boskin preacutesente comme un gain en bien-ecirctre le fait de disposer de vinsfins importeacutes La baisse des coucircts de transport permet de trouver aux Eacutetats-Unis desvins australiens agrave bas prix et presque au mecircme prix qursquoen Australie Il y a donc bienune augmentation du nombre de produits disponibles et en ce sens on peut parlerdrsquoun progregraves Pour autant peut-on dire que cette augmentation entraicircne un accroisse-ment proportionnel plus important en termes drsquoopportuniteacutes de choix et de consom-mation que les augmentations survenues dans le passeacute

Diewert (1993) donne en exemple deacutejagrave releveacute par Alfred Marshall le cas drsquoun nou-veau produit au XIXe siegravecle La baisse des coucircts de transport rendue possible notam-ment gracircce au chemin de fer a permis drsquoacheminer du poisson frais depuis les cocirctesvers lrsquointeacuterieur du pays et ce pour la premiegravere fois en Angleterre au milieu du XIXe

siegravecle Mokyr (1997) observe que laquo lrsquoaugmentation importante de la qualiteacute et de lavarieacuteteacute des biens de consommation est une caracteacuteristique indeacuteniable de la reacutevolu-tion industrielle en Angleterre Cependant la classe ouvriegravere consacre toujourslrsquoessentiel de son revenu agrave se nourrir et agrave se loger raquo Si lrsquoon considegravere le tregraves petit nom-bre de biens de consommation accessibles agrave lrsquoouvrier moyen et mecircme en tenantcompte du fait que le poisson frais eacutetait agrave lrsquoorigine consommeacute principalement par lesclasses moyennes peut-on dire que lrsquointroduction du poisson frais repreacutesente uneaugmentation du nombre de nouveaux produits moindre que la disponibiliteacute envins drsquoAustralie et autres produits similaires au siegravecle suivant Jrsquoaurais tendance agravepenser que la meilleure reacuteponse consiste agrave dire que nous nrsquoen savons rien Mais nousavons aussi examineacute la deacutecennie 1990 selon une perspective historique beaucouptrop courte

Sur un point voisin Mokyr (1997) eacutevoque laquo les ameacuteliorations consideacuterables dans lescommunications au cours du XIXe siegravecle que lrsquoon doit au teacuteleacutegraphe et qui pour la pre-miegravere fois ont permis agrave lrsquoinformation de circuler plus vite que lrsquohomme (hellip) Lrsquoinven-

1 Il convient drsquoexprimer des reacuteserves sur cette interpreacutetation concernant le nombre de produits quelrsquoon trouve dans les supermarcheacutes

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tion du timbre-poste agrave un penny dans les anneacutees 1840 a fait beaucoup plus pour lescommunications que tout ce qui se pratiquait auparavant Sa contribution marginalene fut sans aucun doute pas infeacuterieure agrave celle de Netscape agrave une eacutepoque reacutecente raquo

On pourrait continuer ainsi Lrsquoexemple chiffreacute eacutevoqueacute ci-dessus impliquait que cha-que produit ait une valeur identique au produit preacuteceacutedent En fait les nouveaux pro-duits des anneacutees 1990 doivent avoir la mecircme valeur que lrsquoautomobile ou les appareilsdes deacutecennies 1920 et 1930 (ainsi par exemple lrsquoair conditionneacute est apparu au deacutebutdes anneacutees 1930) ou encore que la teacuteleacutevision ou autres innovations en matiegravere decommunication des anneacutees 1940 et 1950 (les premiers teacuteleacutephones portables remon-tent aux anneacutees 1940) Si la valeur moyenne des nouveaux produits de ladeacutecennie 1990 est infeacuterieure agrave celle des nouveaux produits apparus preacuteceacutedemment ilfaut alors que le nombre de ceux-ci soit plus important pour justifier la conception duparadoxe du point de vue de la nouvelle eacuteconomie

Le mecircme raisonnement srsquoapplique agrave la qualiteacute Il est surprenant de voir dans la presseles ameacuteliorations qualitatives des voitures dans les anneacutees 1990 aussi importantessoient-elles consideacutereacutees comme un exemple du processus de la nouvelle eacuteconomie par comparaison avec les progregraves contenus dans une tonne drsquoacier Une telle compa-raison est erroneacutee dans la mesure ougrave en fait et preacuteciseacutement le changement qualitatifdans une tonne drsquoacier a eacuteteacute extraordinaire Par ailleurs lrsquoameacutelioration de la qualiteacute desvoitures est un sujet tregraves ancien dans les statistiques eacuteconomiques mais crsquoest seule-ment dans les anneacutees 1990 qursquoelle est apparue en tant que caracteacuteristique de la nou-velle eacuteconomie La meacutethodologie des indices de prix heacutedoniques a preacuteciseacutement eacuteteacutemise au point dans les anneacutees 1930 pour reacutepondre agrave ces modifications qualitativesdans lrsquoautomobile (Court 1939) Lrsquoeacutetude de Raff et Trajtenberg (1997) indique que letaux drsquoameacutelioration de la qualiteacute des voitures eacutetait plus important dans la premiegraveredeacutecennie du XXe siegravecle que dans la derniegravere Encore une fois lrsquoessentiel de ce qui a eacuteteacutedit sur la nouvelle eacuteconomie est vrai ce qui a manqueacute et manque encore crsquoest unereacuteelle appreacuteciation historique de lrsquoamplitude et de la signification des nouveaux pro-duits et des ameacuteliorations qualitatives intervenus dans le passeacute

Je pense que le nombre de nouveaux produits ou de laquo choses nouvelles raquo est plusgrand aujourdrsquohui qursquoil ne lrsquoeacutetait preacuteceacutedemment Mais lagrave nrsquoest pas le problegraveme car lavraie question est la suivante le taux drsquoameacutelioration et le taux drsquointroduction de nou-veaux produits ont-ils connu un preacuteceacutedent dans lrsquohistoire Je ne crois pas que nousconnaissions la reacuteponse agrave cette question Si le nombre de laquo choses nouvelles raquo repreacute-sente une mesure de lrsquoameacutelioration de la productiviteacute il faut qursquoil y ait aussi une aug-mentation du taux drsquointroduction de laquo choses nouvelles raquo et pas seulement uneaugmentation de leur nombre La plupart des anecdotes mentionneacutees dans le cadre dela laquo nouvelle eacuteconomie raquo montrent que les eacuteconomistes se sont trompeacutes de problegravemeen prenant en compte le nombre de choses nouvelles plutocirct que la variation du taux

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Par conseacutequent si le paradoxe a gagneacute en acceptabiliteacute crsquoest en partie parce que certainseacuteconomistes ont par erreur fait un compte des nouvelles innovations sur une eacutechellearithmeacutetique ils ont penseacute deacutetenir la preuve du paradoxe en deacutecomptant des innovationsde plus en plus nombreuses En reacutealiteacute ils auraient ducirc utiliser une eacutechelle logarithmiquepour tenir compte du fait qursquoil faut un nombre toujours plus grand de laquo choses nouvelles raquopour maintenir le taux de laquo choses nouvelles raquo au mecircme niveau qursquoautrefois

Quand on regarde les nouveaux produits et les nouvelles technologies de la fin duXXe siegravecle on est tout agrave fait impressionneacute et agrave juste titre Il est clair que ces nouveauxproduits ameacuteliorent le bien-ecirctre et que les innovations technologiques contribuent agraveleur production Mais augmentent-ils agrave un taux croissant le nombre de nouveaux pro-duits augmente-t-il plus rapidement sur une eacutechelle logarithmique Ce nrsquoest pasprouveacute car pour que les laquo choses nouvelles raquo ameacuteliorent la productiviteacute il fautqursquoelles augmentent agrave un rythme croissant Selon moi il reste agrave accomplir un travailempirique sur lrsquohistoire eacuteconomique pour confirmer cette hypothegravese drsquoun taux allanten augmentation

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Cahiers LASER ndeg3

106

Tableau 1 Contribution des ordinateurs des eacutequipements informatiques et des logiciels agrave la croissance eacuteconomique

Notes a) Oliner et Sichel (1994) Table 3 page 285 sauf indication contraireb) Oliner et Sichel (1994) Table 10 page 305c) Oliner et Sichel (1994) Table 9 page 303 Agrave noter la peacuteriode de reacutefeacuterence diffegravere de celle des autres lignes de la colonned) Jorgenson et Stiroh (1994) Valeurs mises agrave jour fournies par les auteurs

Tableau 2 Parts des ordinateurs eacutequipements informatiques et logiciels (Donneacutees de 1993)

Notes a) Oliner et Sichel (1994) Table 2 page 279 part des actifs totauxb) Oliner et Sichel (1994) Table 10 page 305c) Oliner et Sichel (1994) Table 10 page 305d) Oliner et Sichel (1994) page 297e) Tableaux mis agrave jour fournis par les auteurs part des actifs productifs y compris la terre et les biens durables

Oliner et Sichel (1994)a Jorgenson et Stiroh (1994)d

1970-79 1980-92 1979-85 1985-90 1990-96

Taux de croissance de la production

Taux annuel moyen

342 227 235 309 236

Contribution de lrsquoeacutequipement en mateacuteriel informatique

009 021 015 014 012

Eacutequipement informatique 025b 035b na na na

Mateacuteriels logiciels et travail associeacutes (1987-93)

na 040c na na na

Oliner et Sichel (1994) Jorgenson et Stiroh (1994)

Part des actifs Part du Revenu Part des actifs Part des emplois en capital

Eacutequipement en mateacuteriel informatique

20a 09b 05e 18e

Eacutequipements informatiques

117a 35c na na

Mateacuteriels logiciels et travail associeacutes

na 27d na na

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

107

Tableau 3 Demande finale de services comme proportion des deacutepenses priveacutees hors logement (1996 en milliards)

Source Survey of Current Business december 1997 NIPA Tables 11 and 22

Tableau 4 Indices des prix des eacutequipements en mateacuteriel

1 Produit inteacuterieur brut (hors administrations et loge-ment)

54421 1000

2 Consommation finale de services (hors logement) 22512 414

3 Exportation nette de services 966 18

4 Demande finale de services (ligne 3 plus ligne 4) 23478 431

Mainframes PCs Eacutequipement informatique

1958 1427736

1972 37504

1982 825 5785 4049

1987 1449 2176 1704

1992 1000 1000 1000

1996 491 379 455

1997 421 252 346

Chapitre 3

Le paradoxe du NAIRU

111

La theacuteorie du NAIRU

Extrait de Robert Eisner Our NAIRU Limit The Governing Myth of Economic PolicyThe American Prospect Ndeg 21 Spring 1995

httpwwwprospectorgarchives2121eisnhtml

Le concept du NAIRU qui constitue un prolongement de la notion de laquo taux naturelde chocircmage raquo deacuteveloppeacutee par Milton Friedman rejette les relations de substitutionsupposeacutee entre le chocircmage et lrsquoinflation deacutecrites par la courbe de Phillips ainsi appeleacuteedu nom drsquoun eacuteconomiste Neacuteo-zeacutelandais original AW Phillips Cette courbe suggegravereque le maintien drsquoun taux de chocircmage peu eacuteleveacute provoque une augmentation delrsquoinflation mais qursquoagrave un taux de chocircmage donneacute lrsquoinflation est constante Du point devue du NAIRU la courbe de Phillips constitue seulement une relation agrave court terme Lestentatives de reacuteduire le nombre de chocircmeurs en augmentant les deacutepenses ou lademande globale peuvent srsquoaveacuterer efficaces pendant un temps mais une inflation plusforte annule les effets de ce stimulus Une augmentation de lrsquoinflation augmentera lesanticipations drsquoune inflation future seul le surplus drsquoinflation ce qui est encore au-dessus de ce qursquoattendent les travailleurs les employeurs les emprunteurs et les precirc-teurs stimulera lrsquoeacuteconomie Agrave chaque manche il faudra des deacutepenses plus importan-tes et une inflation plus forte pour maintenir la reacuteduction initiale du chocircmage

Selon la theacuteorie du NAIRU les politiques fiscales ou moneacutetaires destineacutees agrave reacuteduire le chocirc-mage auraient tout du chien qui court apregraves sa queue Si ces politiques avaient pourobjectif le maintien des deacutepenses globales agrave un niveau suffisamment haut pour mainte-nir le chocircmage au-dessous de son laquo taux naturel raquo lrsquoinflation augmenterait agrave un rythmede plus en plus rapide Et pour finir les deacutecideurs seraient obligeacutes de renoncer en raisonde prix qui augmenteraient agrave un rythme galopant Le chocircmage reviendrait alors agrave sonniveau naturel et lrsquoinflation cesserait son acceacuteleacuteration mais en restant agrave un niveau pluseacuteleveacute jusqursquoagrave ce que le chocircmage deacutepasse son taux naturel et que le processus srsquoinversece qui srsquoaccompagnerait drsquoun certain nombre de conseacutequences douloureuses

Dans cette logique le seul moyen de reacuteduire le chocircmage sauf peut-ecirctre agrave court termeconsiste agrave modifier les conditions affectant lrsquooffre de main-drsquoœuvre par exemple enbaissant le salaire minimum en reacuteduisant ou en eacuteliminant totalement les avantages lieacutesau chocircmage ou encore en ameacuteliorant les compeacutetences de la main-drsquoœuvre Si lrsquoonprend au seacuterieux la theacuteorie du NAIRU des mesures concernant lrsquooffre sont le seulmoyen de reacuteduire le chocircmage et de maintenir celui-ci agrave un niveau peu eacuteleveacute Et si letaux de chocircmage se situe au niveau du NAIRU ou en est proche les autoriteacutes moneacutetai-res doivent prendre sans tarder des mesures anti-inflationnistes pour eacuteviter une sur-chauffe de lrsquoeacuteconomie A deacutefaut non seulement lrsquoinflation sera plus forte mais desurcroicirct sera lanceacutee sur une acceacuteleacuteration dont on ne pourra la deacutetourner que par unseul remegravede celui drsquoun chocircmage excessif autrement dit un taux srsquoeacutetablissant au-des-sus de celui du NAIRU

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Tel est le point de vue qui sous-tend neacutecessairement la politique du Federal ReserveBoard inexplicable autrement La plupart de nos banquiers centraux croient que nousnous situons au niveau du taux naturel de chocircmage ou au-dessous de celui-ci et quenous devons parvenir agrave un chocircmage plus important avant qursquoil ne soit trop tard Laprincipale diffeacuterence observeacutee parmi les eacuteconomistes tient au fait que les conserva-teurs ont tendance agrave placer plus haut le NAIRU aux environs de 6 agrave 7 pour cent alorsque les libeacuteraux le placent agrave 6 ou mecircme autour de 5 et quelques fraction de pour centQuelques acircmes courageuses suggegraverent que les estimations du NAIRU manquant depreacutecision on devrait essayer de faire baisser le taux de chocircmage avec une tregraves grandeprudence jusqursquoagrave ce que lrsquoon note des signes drsquoinflation drsquoautres considegraverent qursquoilserait alors deacutejagrave trop tard

Les eacuteconomistes qui ont contesteacute le concept de base du NAIRU sont peu nombreux Ily a soixante ans Keynes observait que les eacuteconomistes pouvaient srsquoaccrocher avecentecirctement agrave leurs ideacutees mecircme quand la reacutealiteacute les deacutementait totalement crsquoest ainsipar exemple que au plus fort de la Grande Deacutepression certains eacuteconomistes soute-naient qursquoil ne pouvait pas y avoir de chocircmage involontaire Il est fort possible que lrsquoonassiste agrave des manifestations drsquoun aveuglement similaire Les grands patrons font eacutetatdrsquoun point qui est confirmeacute par les statistiques nationales malgreacute la baisse du taux dechocircmage au-dessous du NAIRU traditionnel on ne voit aucun signe drsquoacceacuteleacuteration delrsquoinflation pourtant nombreux sont les eacuteconomistes que lrsquoeacutevidence laisse froids

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La capitulation de la politique eacuteconomique

James K GALBRAITH1

Mars-Avril 1996

Il existe en matiegravere de politique eacuteconomique un point de vue commun qui recouvreagrave quelques diffeacuterences drsquointensiteacute pregraves un large eacuteventail allant de la droite radicale agraveBill Clinton Sur le fond tous srsquoaccordent agrave dire que lrsquoessentiel du travail du gouverne-ment consiste agrave contribuer au bon fonctionnement des marcheacutes En ce qui concernelrsquooffre le gouvernement peut aider jusqursquoagrave un certain point en prenant en chargelrsquoenseignement la formation lrsquoinfrastructure et la recherche scientifique autrementdit tous les biens de nature publique sous-valoriseacutes par les marcheacutes Mais quand il srsquoagitde politique macroeacuteconomique le gouvernement devrait srsquoabstenir drsquointervenir saufpour rechercher lrsquoeacutequilibre budgeacutetaire et laisser agir la Reacuteserve Feacutedeacuterale

Accepter lrsquoeacutequilibre budgeacutetaire et le jugement moneacutetaire incontesteacute de la ReacuteserveFeacutedeacuterale signifie par deacutefinition eacutevincer la macroeacuteconomie de la sphegravere politique Ainsiles diffeacuterences qui subsistent entre Clinton et le Congregraves portent sur des deacutetails doit-onviser lrsquoeacutequilibre budgeacutetaire en sept huit ou dix ans Faut-il supprimer (ou imposer) telleou telle mesure de protection de lrsquoenvironnement Les subventions pour le Head Startles Americorps et la technologie sont-elles justifieacutees hellip et ainsi de suite en une longuelitanie de questions dont personne ne pense qursquoelles transformeront la vie des Ameacuteri-cains Mecircme si des gains importants eacutetaient possibles par des investissements publics auniveau de lrsquooffre le consensus fiscal conservateur les exclurait en refusant les ressources

Deux preacutesidents deacutemocrates Carter et Clinton ont eacuteteacute seacutevegraverement attaqueacutes du faitqursquoils ne contestaient pas cette orthodoxie au bon moment Ils nrsquoont par conseacutequentpu controcircler les leviers de la politique macro Crsquoest la macroeacuteconomie et non la micro-eacuteconomie qui repreacutesente le centre actif du pouvoir Les conservateurs laquo pratiques raquolrsquoont bien compris Ce nrsquoest pas un hasard srsquoils cherchent toujours agrave occuper le terrainde la politique des taux drsquointeacuterecirct et du deacuteficit Et personne nrsquoest surpris non plus qursquoenfaisant cette concession les libeacuteraux se mettent eux-mecircmes drsquoentreacutee hors-jeu

1 JAMES K GALBRAITH est professeur deacuteconomie agrave la Lyndon B Johnson School of Public Affairs et auDepartment of Government de lUniversiteacute du Texas agrave Austin Cet article a eacuteteacute publieacute initialement enanglais dans The American Prospect Issue 25 March-April 1996 sous le titre laquoThe Surrender of EconomicPolicyraquo (httpwwwprospectorgarchives2525galbhtml) Traduit et reproduit avec lrsquoaimable autori-sation de lrsquoauteur Reprinted with permission from The American Prospect 25 March April 1996 Copyright1996 The American Prospect PO Box 772 Boston MA 02102-0772 All rights reserved

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Cependant lrsquoeacuteconomie qui srsquoabrite derriegravere ce consensus est agrave la fois reacuteactionnaireet profondeacutement invraisemblable Elle prend corps aux fins fonds drsquoune theacuteorie abs-traite concocteacutee pendant vingt-cinq ans par les disciples de Milton Friedman et diffu-seacutee par eux agrave toute la profession Les libeacuteraux et toute personne concerneacutee par laprospeacuteriteacute eacuteconomique devraient rejeter cette faccedilon de consideacuterer le monde

Le consensus de la droite sur lrsquoemploi et lrsquoinflation

Le dogme macroeacuteconomique conservateur repose sur trois eacuteleacutements essentiels Il ya tout drsquoabord le moneacutetarisme par sa politique moneacutetaire la Reacuteserve Feacutedeacuterale con-trocircle lrsquoinflation mais elle a peu drsquoinfluence sur la production et le marcheacute de lrsquoemploisauf peut-ecirctre agrave tregraves court terme Le deuxiegraveme fondement concerne les attentesrationnelles les agents eacuteconomiques individuels sont si habiles si bien informeacutes et sibien eacuteduqueacutes dans le domaine eacuteconomique qursquoils ne commettent aucune erreur systeacute-matique en matiegravere de deacutecisions eacuteconomiques notamment au niveau des choix essen-tiels de lrsquooffre de travail Crsquoest pour ce concept que Robert Lucas vient de recevoir lePrix Nobel Le troisiegraveme principe est celui de la compensation des marcheacutes toutes lestransactions y compris lrsquoembauche et le licenciement des salarieacutes se font agrave des prixauxquels srsquoeacutegalisent les forces eacuteleacutementaires de lrsquooffre et de la demande

Consideacutereacutees conjointement ces hypothegraveses font apparaicirctre un marcheacute du travailperformant qui conduit agrave des niveaux drsquoemplois et de salaires approprieacutes Le niveaudrsquoemploi geacuteneacutereacute par cette abstraction est le cœur du concept mecircme de la politiquemacroeacuteconomique courante connu comme laquo le taux naturel de chocircmage raquo Si le tauxde chocircmage est supeacuterieur au taux naturel la theacuteorie implique que les prix et les salairesvont chuter srsquoil est infeacuterieur agrave ce taux lrsquoinflation va augmenter Une croissance viablenon inflationniste se produit seulement au taux naturel1

Controverse

Extrait de Robert Eisner Our NAIRU Limit The Governing Myth of Economic PolicyThe American Prospect Ndeg 21 Spring 1995

httpwwwprospectorgarchives2121eisnhtml

Mieux vaut ne pas trop nous reacutejouir Trop de croissance trop peu de chocircmage toutcela nrsquoest pas bon De telles ideacutees nrsquoexpriment pas les penseacutees futiles des angoisseacutes delrsquoeacuteconomie non ce sont celles qui conduisent la politique eacuteconomique des Eacutetats-

1 Robert Eisner Our NAIRU Limit The Governing Myth of Economic Policy The American ProspectPrintemps 1995

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

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Unis Apregraves que la croissance reacuteelle du PIB a atteint 45 au dernier trimestre de 1994et que le taux de chocircmage a chuteacute agrave 54 en deacutecembre de la mecircme anneacutee le FederalReserve Board est intervenu le 1er feacutevrier 1995 en augmentant les taux drsquointeacuterecirct pourla septiegraveme fois en moins drsquoun an Pourquoi Pour ralentir notre taux de croissancetrop rapide et enrayer la baisse du taux de chocircmage ou en inverser la tendance Etpourquoi Pour lutter contre lrsquoinflation

Une telle mesure doit sans doute laisser perplexe le commun des mortels Lrsquoinflationglobale telle que lrsquoavait mesureacutee le deacuteflateur de prix implicite du PIB eacutetait descendueagrave un taux de 21 le plus bas que lrsquoon ait observeacute sur une peacuteriode de trente ansLrsquoindice des prix agrave la consommation nrsquoa augmenteacute que de 27 en 1994 et un certainnombre drsquoanalystes compeacutetents parmi lesquels Alan Greenspan preacutesident du FederalReserve Board reconnaissent que cette mesure exagegravere lrsquoaugmentation des prix agrave laconsommation drsquoun diffeacuterentiel repreacutesentant jusqursquoagrave deux points

Les analystes eacuteconomiques et les grands patrons qui ne font pas de sentiment seposent eux aussi des questions Ils mettent en avant les avanceacutees technologiques et lesreacuteductions drsquoeffectifs dans lrsquoindustrie ameacutericaine et considegraverent que la productiviteacute etle potentiel de production pourraient bien croicirctre agrave un rythme plus soutenu queles 25 de taux de croissance agrave long terme consideacutereacutes par Greenspan et drsquoautrescomme marquant la limite extrecircme de ce que lrsquoeacuteconomie peut supporter De pluscomme les gens perdent des postes agrave fort revenus dans des entreprises ougrave ils avaientune forte ancienneteacute pour rechercher deacutesespeacutereacutement un autre emploi fucirct-il moinsbien payeacute il y a du jeu dans la main-drsquoœuvre Par ailleurs et crsquoest peut-ecirctre plus impor-tant encore le renforcement de la mondialisation et de la concurrence entre payslimite la capaciteacute des entreprises ameacutericaines agrave augmenter leurs prix et celle des tra-vailleurs agrave faire pression pour obtenir de meilleurs salaires

Pour lrsquoinstant ces prises de position heacutereacutetiques nrsquoont pas entameacute le dogme dominantqui hante la politique eacuteconomique Le fondement de ce dogme est un concept fami-liegraverement connu parmi les eacuteconomistes sous le nom de NAIRU (Non-Accelerating Infla-tion Rate of Unemployment) le taux de chocircmage qui nrsquoacceacutelegravere pas lrsquoinflation Bienqursquoinconnu du grand public ce concept est devenu lrsquoun des concepts les plus influentde la politique eacuteconomique de ce siegravecle Toutefois mes reacutecents travaux montrent quemecircme sur la base drsquoun modegravele conventionnel utiliseacute pour estimer le NAIRU il nrsquoexistepas de fondement permettant de conclure qursquoun taux de chocircmage peu eacuteleveacute consti-tue une menace permanente drsquoacceacuteleacuteration de lrsquoinflation Et selon un autre modegraveleplus en accord avec les donneacutees lrsquoinflation pourrait ecirctre plus basse avec un taux dechocircmage plus bas que celui que nous connaissons aujourdrsquohui

De faccedilon eacutetonnante pour la plupart des eacuteconomistes ces ideacutees ne font pas lrsquoobjet decontroverse Le seul litige existant entre eux concerne un petit point de politiqueeacuteconomique y a-t-il une quelconque valeur agrave chercher agrave tirer lrsquoeacuteconomie vers le tauxnaturel srsquoil advient que le taux pendant une dureacutee limiteacutee passe au-dessus ou en-dessous Pour les deacutefenseurs des taux naturels ne rien faire est toujours et partout la

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bonne solution parce que lrsquoeacuteconomie reviendra automatiquement agrave son taux naturelLa politique ne peut ecirctre drsquoaucune aide et les instruments speacutecifiques de la politiquemacroeacuteconomique devront ecirctre abandonneacutes

Une espegravece que lrsquoon a pu observer dans lrsquoadministration Clinton des laquo neacuteo-keyneacutesiens raquo autoproclameacutes pense qursquoun rocircle reacutesiduel peut ecirctre preacuteserveacute pour la politi-que macroeacuteconomique Le chocircmage peut persister au-delagrave du taux naturel parce que lessalaires mettent plus de temps que les autres prix agrave srsquoajuster aux fluctuations de lrsquooffre etde la demande ce qui induit lrsquoincapaciteacute du marcheacute du travail agrave srsquoautoreacuteguler Cela eacutetantil nrsquoy a pas ou peu de mal agrave intervenir par des mesures politiques (une petite incitationde temps agrave autre quand il y a une seacutevegravere reacutecession) pour acceacuteleacuterer le retour au taux natu-rel pour autant qursquoun laquo atterrissage en douceur raquo ait eacuteteacute soigneusement preacutepareacute

Heacutelas dans la reacutealiteacute le taux naturel de chocircmage nrsquoest pas perceptible Pire ce sataneacutemachin eacutevolue sans cesse non seulement il est invisible mais en plus il se deacuteplace Cela nrsquoest pas un problegraveme pour les partisans du laisser-faire En revanche cela creacutee dedouloureuses difficulteacutes pour les preacutetendus interventionnistes ces quelques voix danslrsquoadministration qui reacuteclament de temps en temps des emplois drsquoeacuteteacute une politiquedes grands travaux et des taux drsquointeacuterecirct plus bas Comment peut-on justifier que lrsquoonse rue sur un but quand on ignore ougrave il se trouve Les neacuteo-keyneacutesiens estiment et reacutees-timent la position du taux naturel dans le but de guider leurs choix de politique Mal-heureusement ils nrsquoont jamais pu le localiser cela pourrait peut-ecirctre expliquer qursquoilnrsquoy ait jamais eu laquo drsquoatterrissage en douceur raquo reacuteussi

Ougrave se trouve le taux naturel de chocircmage

Dans la mesure (tout agrave fait contestable) ougrave la Reacuteserve Feacutedeacuterale a une theacuteorie macroeacuteco-nomique coheacuterente elle a tendance agrave ecirctre implicitement keyneacutesienne sur ce problegravemeEn fait le Comiteacute des Gouverneurs de la Reacuteserve Feacutedeacuterale est un interventionniste inveacute-teacutereacute qui relegraveve les taux drsquointeacuterecirct quand le chocircmage est trop bas et les baisse agrave contrecœurpour eacuteviter les peacuteriodes de reacutecessions etou parfois y mettre fin Et donc la Reacuteserve Feacutedeacute-rale passe aussi beaucoup de temps et deacuteploie beaucoup drsquoefforts agrave essayer de deacutefinir preacute-ciseacutement ce fantomatique et insaisissable taux naturel de chocircmage

En 1994 avec un taux naturel de chocircmage estimeacute agrave environ 6 par de nombreuxastrologues les artisans de la politique moneacutetaire se sont trouveacutes face agrave un problegravemeinteacuteressant Le chocircmage effectif agrave 58 eacutetait tombeacute agrave un niveau infeacuterieur agrave lrsquoestima-tion du taux naturel de chocircmage Comment doit-on alors interpreacuteter le reste des don-neacutees qui contrairement agrave la theacuteorie nrsquoont aucunement mis en eacutevidence uneacceacuteleacuteration de lrsquoinflation Le manque apparent drsquoacceacuteleacuteration inflationniste signifie-

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

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t-il que le taux naturel de chocircmage avait eacuteventuellement chuteacute et si oui de quellevaleur Ou bien le seuil avait-t-il eacuteteacute franchi et selon les propos de Robert Solowlrsquoacceacuteleacuteration de lrsquoinflation eacutetait-elle ineacuteluctable comme il le suggeacuterait en eacutecrivantqursquoelle eacutetait laquo juste au coin de la rue raquo Ou encore toute la theacuteorie eacutetait-elle complegrave-tement vaseuse et bonne agrave jeter agrave la poubelle

La Reacuteserve Feacutedeacuterale a deacutemontreacute son hostiliteacute agrave modifier ses estimations du taux natu-rel de chocircmage Ainsi elle a renforceacute sa politique moneacutetaire de feacutevrier 1994 jusqursquoaudeacutebut de feacutevrier 1995 alors que lrsquoeacuteconomie atteignait la limite des 6 de chocircmageMais ensuite elle a modifieacute ses directives et commenceacute agrave baisser les taux drsquointeacuterecirct enjuillet 1995 mecircme si le chocircmage restait en deccedilagrave de 6 Pourquoi Il sera inteacuteressantde savoir quand on en connaicirctra tous les deacutetails si la Reacuteserve Feacutedeacuterale a officiellementchangeacute son estimation du taux naturel de chocircmage pour juillet 1995 et dans lrsquoaffir-mative selon quels critegraveres et pour quelle valeur Nous pourrions peut-ecirctre aussiapprendre que la Reacuteserve Feacutedeacuterale nrsquoa plus reacuteellement de theacuteorie sur le taux naturel dechocircmage mais se raccroche simplement agrave la rheacutetorique de ces ideacutees dans lrsquoattentedrsquoune quelconque alternative qui soit acceptable par les ideacuteologues conservateurs

Les composantes du faible taux drsquoinflation actuel ne sont absolument pas coheacuteren-tes avec la theacuteorie du taux naturel de chocircmage La pression inflationniste actuelle ouplus exactement ce qursquoil en reste nrsquoa aucun rapport avec les salaires la masse salarialequi repreacutesente les 23 des coucircts est constante Lrsquoinflation actuelle modeacutereacutee tient agrave lamonteacutee en flegraveche des profits et des retours sur investissement ainsi qursquoaux effets decette envoleacutee sur les prix des matiegraveres premiegraveres et autres composantes secondaires duprocessus inflationniste La hausse des taux drsquointeacuterecirct imposeacutee par la politique de laReacuteserve Feacutedeacuterale elle-mecircme depuis feacutevrier 1994 y a eacutegalement contribueacute

Le rapport traditionnel entre lrsquoinflation et le coucirct du travail a eacuteteacute briseacute depuis queReagan a licencieacute les controcircleurs du trafic aeacuterien et que Volcker et lui ont sureacutevalueacute ledollar En deacutepit drsquoune augmentation annuelle des prix de 27 les salaires bougent agravepeine Agrave vrai dire on voit que toutes les peacuteriodes drsquoacceacuteleacuteration de lrsquoinflationapregraves 1960 ont eacuteteacute causeacutees par les prix et non par les salaires agrave la seule exception decelle qui a fait suite agrave la campagne pour lrsquoeacutelection de Nixon en 1972 pendant laquellele controcircle des prix eacutetait tregraves important

NAIRU avec un N comme Nomade

Comment doit-on reacuteconcilier tout cela avec la theacuteorie de lrsquoacceacuteleacuteration de lrsquoinflationfondeacutee uniquement sur le taux naturel de chocircmage dans le marcheacute global du travail Ce nrsquoest pas possible Sil y a une demande trop importante en main-drsquoœuvre il est cer-

Cahiers LASER ndeg3

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tain qursquoun bon eacuteconomiste classique (un nouvel eacuteconomiste classique) insistera sur lefait que les salaires reacuteels augmentent Or ce nrsquoest pas le cas et cela ne lrsquoa pas eacuteteacute en20 ans Quelque chose est probablement erroneacute dans la modeacutelisation du taux naturelde chocircmage les bons eacuteconomistes de la Reacuteserve Feacutedeacuterale le savent et cela les perturbecomme il se doit En fait il y a quelque chose qui est plus que faux dans ce modegravele quinrsquoest qursquoagrave mettre au rancart on aurait ducirc le savoir depuis bien longtemps

Quand on considegravere lrsquoeacutevolution du taux de chocircmage sur les quarante derniegraveresanneacutees on constate qursquoil eacutetait bas dans les anneacutees 1950 assez eacuteleveacute dans lesanneacutees 1970 Les donneacutees reacutecentes sont comparables agrave celles des anneacutees 50 ce quiindiquerait une baisse possible du chocircmage sans pour autant que lrsquoinflation dispa-raisse En fonction de la faccedilon dont on integravegre le taux drsquoinflation eacuteleveacute desanneacutees 1970 une estimation honnecircte du taux naturel de chocircmage mecircme si on croitagrave cette notion ne serait que de 6 voire nettement moins

On peut montrer combien est vaine la recherche du taux naturel de chocircmage Enutilisant les moyennes mobiles des donneacutees mensuelles de lrsquoinflation et du chocircmagecentreacutees sur 12 mois on peut voir que la croissance de lrsquoinflation est par essenceimpreacutevisible les chocs qui la provoquent se produisent tantocirct quand le chocircmage estimportant tantocirct pas avant qursquoil ne soit tregraves bas Dans les donneacutees reacutecentes il nrsquoexisteaucun signe que lrsquoinflation augmente agrave mesure que le chocircmage diminue

En fait le modegravele des spirales en expansion srsquoest inverseacute apregraves la grande reacutecessionde 1982 Durant le reste des anneacutees 1980 le chocircmage a baisseacute sans qursquoil y ait de retom-beacutees sur les salaires et sans augmentation importante de lrsquoinflation La reacutecessionde 1989 srsquoest produite alors que lrsquoinflation eacutetait basse par rapport aux critegraveres histori-ques Et pendant ces quatre derniegraveres anneacutees de 1992 agrave 1995 il y a eu une chute duchocircmage accompagneacutee drsquoune diminution des coucircts et ceci sans la moindre augmen-tation de lrsquoinflation Aujourdrsquohui nous ne savons pas ougrave se trouve ce taux de chocircmagenomade qui acceacutelegravere lrsquoinflation parce que nous ne savons pas quand aura lieu le pro-chain choc Alors pourquoi ne pas chercher le plein emploi

Les libeacuteraux ont perdu sur le front de lrsquooffre

Agrave tout le moins lrsquoacceptation neacuteo-keyneacutesienne de la structure theacuteorique neacuteoclassi-que reacuteduit la politique macroeacuteconomique agrave un rocircle marginal celui drsquointervenant agravegrande eacutechelle seulement pendant les peacuteriodes de reacutecessions longues et profondesDans toutes les autres circonstances les maicirctres en macroeacuteconomie sont deacutesavoueacutestout comme lrsquoa eacuteteacute Clinton lui-mecircme pendant sa courte peacuteriode keyneacutesienne audeacutebut de 1993

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Que peuvent donc faire les libeacuteraux Lrsquoapproche actuelle de lrsquoadministration Clin-ton le deacutemontre ils peuvent favoriser lrsquoeacuteducation la formation et lrsquoaide agrave lrsquoadapta-tion ainsi que drsquoautres programmes de remise agrave niveau permettant de passer drsquounemploi agrave un autre Ils peuvent soutenir les investissements publics en infrastructuressous reacuteserve que ces derniegraveres viennent renforcer la compeacutetitiviteacute internationale delrsquoeacuteconomie Ils peuvent soutenir un systegraveme drsquoaide agrave la recherche et au deacuteveloppementdes entreprises des secteurs de pointe tout en travaillant agrave ouvrir les marcheacutes eacutetrangersaux produits ameacutericains ce qui aiderait les entreprises ameacutericaines agrave consolider leurspositions dans le monde Srsquoils se sentent courageux ils peuvent aussi encourager agravelrsquoaugmentation des salaires minimums

Toutes ces mesures obeacuteissent agrave la theacuteorie de lrsquooffre excepteacutee la derniegravere qui est uneintervention directe sur le marcheacute du travail Elles ont pour objectif drsquoameacuteliorer sur lelong terme la compeacutetitiviteacute de lrsquoeacuteconomie ameacutericaine en se basant sur lrsquoideacutee qursquouneeacuteconomie plus productive geacuteneacuterera une progression du niveau de vie Lrsquoideacutee plus pous-seacutee selon laquelle ces moyens plus importants auront des retombeacutees vers les salairesles plus bas est laisseacutee de cocircteacute on se contente de le supposer

Nous pouvons tous ecirctre drsquoaccord sur les bienfaits qursquoapportent les deacutepenses dans ledomaine de lrsquoeacuteducation de la formation de la recherche et du deacuteveloppement et delrsquoinfrastructure Mais un engagement macroeacuteconomique en faveur du plein emploi estdeacuteterminant pour transformer ces investissements en croissance et en ameacutelioration duniveau de vie

Eacuteducation et Formation Comme lrsquoont deacutemontreacute les travaux de Richard Rothsteindans cette revue1 et ailleurs le systegraveme drsquoeacuteducation publique ameacutericain est bienmeilleur que les critiques le preacutetendent Certes il y a des Ameacutericains qui ne peuventpreacutetendre agrave des salaires eacuteleveacutes en raison drsquoune instruction insuffisante Cependantcomme lrsquoont montreacute Katherine Newman et Chauncy Lennon2 il y a dans le centre deHarlem beaucoup plus de candidats qualifieacutes que drsquoemplois reacutemuneacutereacutes au salaire mini-mum Dans ce climat macroeacuteconomique baseacute sur la theacuteorie erroneacutee du NAIRU lrsquoeacuteleacuteva-tion des standards drsquoeacuteducation ne geacuteneacuterera pas de meilleurs emplois Ceci demeure unproblegraveme de la theacuteorie de la demande Pour autant il ne srsquoagit pas drsquoabandonner lrsquoameacute-lioration de lrsquoenseignement en ville Cela signifie seulement qursquoagrave moins que nousnrsquoeacutelevions en mecircme temps le taux de croissance mecircme si on donnait agrave tout le mondedes doctorats tant que la Reacuteserve Feacutedeacuterale maintient son taux de croissance agrave 25 cela ne changera pas la courbe actuelle du niveau de vie Comme mrsquoa dit un de meseacutetudiants de Buenos-Aires si lrsquoeacuteducation elle-mecircme eacutetait si puissante lrsquoArgentineserait bien plus riche qursquoelle ne lrsquoest

1 The American Prospect2 Katherine Newman et Chauncy Lennon The Job Ghetto The American Prospect Eacuteteacute 1995

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Recherche et Deacuteveloppement On peut faire plus de cas de lrsquoideacutee que les programmesgouvernementaux de recherche et deacuteveloppement aident les entreprises ameacutericainesagrave devenir techniquement plus avanceacutees et plus compeacutetitives sur les marcheacutes globauxPendant quatre deacutecennies notre politique interventionniste dans la haute technolo-gie eacutetait un sous-produit de la guerre froide Maintenant une politique technologiquecivile plus explicite est neacutecessaire pour compenser la RampD du Pentagone qui a eacuteteacutereacuteduite La politique technologique et scientifique a certainement un rocircle geacuteneacuteral agravejouer car au bout du compte les technologies ameacuteliorent les conditions de vie Maiselles nrsquoapportent pas et ne peuvent pas apporter le plein emploi pas plus qursquoellesnrsquoapportent un ordre social plus juste et plus eacutequitable Faire de la politique scientifi-que et technologique la piegravece maicirctresse drsquoun programme progressif tout en abandon-nant la macroeacuteconomie est absurde

Infrastructure Les deacutepenses en matiegravere de travaux publics sont la pierre angulairehistorique de lrsquointerventionnisme libeacuteral Les travaux publics sont le moyen le plusrapide le plus direct de remettre les chocircmeurs au travail Ils ont des effets directs etmultiplicateurs sur lrsquoemploi en geacuteneacuteral Ils preacutesentent lrsquoavantage suppleacutementaire defaire reacutealiser des travaux qui restent eux-mecircmes utiles pendant plusieurs deacutecenniesapregraves leur achegravevement Ils repreacutesentent eacutegalement dans la meacutemoire politique le triom-phe du libeacuteralisme durant le premier New Deal

Mais les libeacuteraux partisans de lrsquooffre revendiquent quelque chose de complegravetement dif-feacuterent en matiegravere de deacutepenses de travaux publics Ils les rebaptisent laquo infrastructures raquocomme je lrsquoai moi-mecircme fait maintes fois et avancent que les deacutepenses drsquoinfrastructurescontribuent de faccedilon notable agrave la productiviteacute du secteur priveacute Les emplois creacuteeacutes directe-ment pour la reacutealisation des travaux sont sans importance dans ce deacutebat Ce qui importecrsquoest dans quelle mesure le travail une fois acheveacute contribue indirectement agrave la reacuteductiondes coucircts et agrave une augmentation de la production dans le secteur priveacute

La preuve que de tels effets existent est heacutelas fort simple La quasi-totaliteacute srsquoappuiesur des rapports statistiques agreacutegeacutes et essentiellement sur le simple fait que la crois-sance de la productiviteacute moyenne a deacuteclineacute pendant les anneacutees qui ont vu la diminu-tion des investissements publics Pratiquement rien ne repose sur lrsquoanalyse deacutetailleacutee dela contribution de projets particuliers agrave lrsquoefficaciteacute des entreprises

Et ceci nrsquoest pas surprenant Alors que lrsquoAmeacuterique pourrait beacuteneacuteficier de nettementplus drsquoinvestissements publics en matiegravere drsquoeacutequipements collectifs lrsquoentreprise indus-trielle ameacutericaine tourneacutee vers lrsquoexport nrsquoest absolument pas paralyseacutee par les problegravemesdrsquoinfrastructures Les routes chemins de fer eacutelectriciteacute et voies fluviales conviennent agraveleurs besoins Boeing ne manque pas de pistes pour faire partir ses avions et la Silicon Val-ley ne souffre pas de pannes drsquoeacutelectriciteacute partielles Les teacuteleacutephones marchent parfaite-ment dans ce pays et on a mecircme lrsquoInternet Quant aux coucircts de la pollution ils neretombent pas sur les producteurs de nuisances eux-mecircmes mais sur leurs voisins

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Les deacutepenses en matiegravere drsquoinfrastructures et drsquoenvironnement sont indubitable-ment neacutecessaires et coucircteuses Mais pour qui Pour le citoyen Ameacutericain car ellesconstituent des eacuteleacutements de son niveau de vie Les routes lrsquoeau les eacutegouts lrsquoeacutelectriciteacuteet les systegravemes de communication sont tous des biens de consommation publique Cesont les consommateurs et les travailleurs et non les principaux affreacuteteurs profession-nels qui heurtent les nids-de-poule sur la route Ce sont les gens qui respirent lrsquoair boi-vent lrsquoeau et font du bateau sur les riviegraveres et les lacs Tout cela a tregraves peu de rapport avecla compeacutetitiviteacute internationale crsquoest peut-ecirctre triste mais crsquoest vrai Ceci expliquepourquoi les inteacuterecircts commerciaux ne neacutecessitent pas de deacutepenses en infrastructuresplus importantes et pourquoi eacutegalement ces questions ont eacuteteacute les premiegraveres agrave eacutechouerface agrave lrsquoopposition reacutepublicaine du Congregraves

Nous voilagrave donc devant la conclusion deacuteplaisante que le courant libeacuteral est tombeacutedans le piegravege de se leurrer lui-mecircme La droite a pris le commandement de la politiquefiscale et moneacutetaire laissant aux libeacuteraux des montants symboliques agrave deacutepenser dansdes interventions en faveur de lrsquooffre Lrsquoeacuteducation la formation et les infrastructuressont tregraves importantes mais pas pour les raisons habituellement invoqueacutees Le mondedes affaires ne souffrira pas de les financer aux niveaux souhaiteacutes par les libeacuteraux etcrsquoest se faire des illusions que de penser qursquoil le devrait Nous devons trouver plutocirctun langage pour deacutefendre ces deacutepenses au nom des gens eux-mecircmes et faire en sorteque lrsquoon se feacutedegravere autour drsquoeux en raison des beacuteneacutefices qursquoils apportent (comme parexemple les mouvements de deacutefense de lrsquoenvironnement de protection du consom-mateur de la santeacute ou de la seacutecuriteacute le font traditionnellement) Autrement ils conti-nueront agrave perdre les batailles budgeacutetaires

Et si nous voulons le plein emploi nous avons besoin de quelque chose drsquoautre unepolitique macroeacuteconomique visant au plein emploi

La macroeacuteconomie dans un monde structuraliste

Les conservateurs recourent au mythe du marcheacute pour opposer les solutions politi-ques aux problegravemes de la redistribution Mais laisser les choses au marcheacute nrsquoest pasmoins un choix politique qursquoun autre

Supposons que le concept drsquoun marcheacute global du travail et la meacutetaphore associeacuteedrsquoun taux naturel de chocircmage puissent ecirctre eacutelimineacutes drsquoun seul coup de la consciencedes professionnels (ce qui au demeurant serait meacuteriteacute) La notion politique selonlaquelle le controcircle de la reacuteduction du chocircmage est la principale faccedilon de combattrelrsquoinflation perdrait son pouvoir Il deviendrait alors intellectuellement possible de

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raviver lrsquoideacutee de donner un emploi agrave quiconque le souhaiterait Le problegraveme nrsquoest pluslaquo Combien drsquoemplois raquo mais laquo Qui employer et selon quelles conditions raquo

Investissement et consommation Creacuteer des emplois crsquoest trouver des choses agrave faire faireaux gens Des investissements de toute espegravece creacuteent des emplois et la stabilisation de lademande drsquoinvestissement priveacute est le problegraveme macroeacuteconomique traditionnel Destaux drsquointeacuterecirct faibles et stables sont ici essentiels jrsquoy reviendrai Lrsquoinvestissement publicpeut aller lagrave ougrave lrsquoinvestissement priveacute ne peut le faire et devrait ecirctre conccedilu et poursuivipour ses beacuteneacutefices directs et non pour ses beacuteneacutefices imaginaires et indirects Mais la con-sommation est aussi un important objectif politique souvent deacutecrieacute Les meacutenagesdevraient avoir les revenus dont ils ont besoin pour ecirctre bien nourris logeacutes et vecirctus et aussipour jouir de la vie Les services publics peuvent apporter leur aide les garderies lrsquoeacuteduca-tion la santeacute publique la culture et lrsquoart neacutecessitent tous davantage de soutien financier

Technologie Le renouveau technologique devrait ecirctre compris comme faisant partiedrsquoune strateacutegie de maintien de la demande drsquoinvestissement Il devient progressive-ment senseacute drsquoen finir avec la preacutepondeacuterance accordeacutee au marcheacute boursier pour des rai-sons de deacutefense de lrsquoenvironnement de seacutecuriteacute drsquoefficaciteacute et de compeacutetitiviteacute Unereacuteglementation correctement conccedilue peut aider et cela ouvrira sur des opportuniteacutesdrsquoinvestissement pour de nouvelles technologies En mecircme temps une structure plusuniforme des salaires et un laquo filet de seacutecuriteacute raquo plus conseacutequent incluant la formationcontinue mais aussi des retraites anticipeacutees plus geacuteneacutereuses pour les travailleurs tropacircgeacutes pour ecirctre requalifieacutes reacuteduirait le coucirct des pertes drsquoemploi et la reacutesistance des tra-vailleurs concerneacutes par les changements Encore une fois il srsquoagit drsquoun compleacutement agraveune politique macroeacuteconomique de croissance eacuteleveacutee non drsquoun substitut

Inflation Lrsquoinflation ne serait pas eacutelimineacutee Mais la poursuite drsquoune relative stabiliteacuteplutocirct que drsquoecirctre le reacutesultat drsquoune croissance lente et sans beaucoup drsquoargent pourraitsrsquoattacher agrave la gestion drsquoeacuteleacutements particuliers de coucirct agrave mesure que lrsquoeacuteconomie se rap-procherait du plein emploi Ceci a inclu des pressions sur les salaires mais aussi sur lesprix des mateacuteriaux des loyers et sur les inteacuterecircts Lrsquoorganisation de la demande globale- qui repreacutesente une force indeacuteniable sur les prix non salariaux pourrait fonctionnergracircce agrave des moyens ayant moins drsquoeffets sur lrsquoemploi une taxe variable sur les beacuteneacutefi-ces suppleacutementaires par exemple Eacutetant donneacute que les salaires sont un eacuteleacutement majeurdes coucircts la politique de lutte contre lrsquoinflation serait concerneacutee par les meacutecanismesinstitutionnels de neacutegociation des salaires

Redistribution Cet exercice nous ramegravene agrave des questions bien reacuteelles ineacutevitablementpolitiques obscurcies par le laquo charabia raquo technique sur le taux naturel du chocircmage notrestructure geacuteneacuterale de revenus et drsquoavantages Comment devraient ecirctre reacutepartis les revenus Dans quelle fourchette entre le haut et le bas Entre le capital et le travail Entre les quali-fieacutes et les non qualifieacutes Et selon moi la tendance actuelle agrave une ineacutegaliteacute croissante doitecirctre inverseacutee et les libeacuteraux devraient franchement soutenir les mesures politiques neacuteces-

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saires agrave cet objectif Les syndicats devraient ecirctre renforceacutes et les nouvelles campagnes agres-sives de lrsquoAFL-CIO soutenues sans reacuteserve Les salaires minimums devraient ecirctre releveacutes Etles libeacuteraux devraient deacutefendre eacutenergiquement lrsquoimpocirct progressif et apporter leur soutien agraveun impocirct sur la richesse comme lrsquoa proposeacute Edward Wolf dans cette revue1

Crsquoest seulement quand la reacutepartition eacuteleacutementaire des revenus aura eacuteteacute correctementreacutealiseacutee que des gains suppleacutementaires sur les salaires reacuteels pourront se produire enmoyenne au taux de croissance de la productiviteacute Mais pour empecirccher la redistribu-tion drsquoempirer agrave nouveau ces gains devraient ecirctre distribueacutes de faccedilon substantielledans le domaine social et seulement leacutegegraverement dans le domaine industriel ou indivi-duel En drsquoautres termes il nous faut revenir au principe de la solidariteacute il faut quetoute la socieacuteteacute avance en mecircme temps

Des salaires minimums plus eacuteleveacutes sont particuliegraverement importants pour atteindrecet objectif Dans leur dernier ouvrage Myth and Measurement David Card et AlanKrueger avancent que lrsquoaugmentation du salaire minimum dans une mesure raison-nable ne condamnerait pas drsquoemplois En fait des salaires minimums plus eacuteleveacutes peu-vent augmenter lemploi en reacuteduisant le taux de rotation des emplois Crsquoest un travaildoublement important drsquoabord pour sa pertinence en matiegravere de politique directeensuite parce que cela contredit cateacutegoriquement et affaiblit consideacuterablement lesmodegraveles standards du marcheacute global du travail

Taux drsquointeacuterecirct En la matiegravere deux maicirctres mots bas et stable Les taux drsquointeacuterecirctdevraient perdre leur fonction macroeacuteconomique qui a eacuteteacute de garantir la stagnationIls devraient plutocirct servir agrave arbitrer la redistribution du revenu entre deacutebiteurs et creacute-diteurs capital financier et initiative En premiegravere approximation les taux reacuteels de ren-dement de lrsquoargent agrave court terme devraient ecirctre de 0 Et il nrsquoy a pas de raison que lestaux drsquointeacuterecirct agrave long terme excegravedent le taux de croissance reacuteel agrave long terme de lrsquoeacutecono-mie Ils devraient en effet se situer au-dessous de cette valeur et agir dans le sens drsquouneredistribution progressive de la richesse des creacutediteurs vers les deacutebiteurs et drsquoune sta-bilisation agrave long terme des bilans des meacutenages et des entreprises La speacuteculation sur lesmarcheacutes financiers devrait ecirctre lourdement taxeacutee

Deacuteficits Lrsquoironie veut que le deacuteficit du budget apparaisse agrave peine dans cette discus-sion Pendant lrsquoessor spectaculaire de lrsquoapregraves-guerre nous avions une socieacuteteacute agrave fort tauxdrsquoemploi agrave taux drsquoinflation et drsquointeacuterecirct bas avec une fiscaliteacute progressive Ce type desocieacuteteacute nrsquoa pas de problegravemes de deacuteficit structurel Un budget militaire de temps de paixaiderait eacutegalement beaucoup En tout eacutetat de cause lrsquoobsession preacutesente visant agrave eacutequi-librer le budget est une heacutereacutesie comme devraient le deacutenoncer agrave haute voix tous les eacuteco-nomistes seacuterieux

1 Edward Wolf How the Pie Is Sliced Americarsquos Growing Concentration of Wealth The American Pros-pect Eacuteteacute 1995

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Ce qui vient drsquoecirctre exposeacute pris dans son ensemble serait une politique macroeacuteco-nomique qui vaut qursquoon se batte pour elle Les libeacuteraux partisans de lrsquooffre en microeacute-conomie peuvent faire des choses utiles mdash du moins le pensent-ils mdash en attribuantquelques subventions agrave lrsquoeacuteducation agrave la formation et aux infrastructures Mais il srsquoagitdrsquoaugmenter le niveau de vie drsquoaccroicirctre la seacutecuriteacute les loisirs et de pourvoir desemplois qui en vaillent la peine Cela neacutecessite de notre part la reacutehabilitation de lamacroeacuteconomie en tant qursquooutil essentiel de politique

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Agrave quelle vitesse lrsquoeacuteconomie ameacutericaine peut-elle croicirctre

Paul KRUGMAN1

Juillet-Aoucirct 1997

La plupart des eacuteconomistes croient que lrsquoeacuteconomie des Eacutetats-Unis est aujourdrsquohuitregraves proche voire mecircme au-dessus du niveau maximum toleacuterable drsquoemploi et drsquoutili-sation de la capaciteacute de production Srsquoils ont raison la croissance agrave venir proviendrasoit drsquoune augmentation de la productiviteacute (crsquoest-agrave-dire du volume de la productionpar travailleur) soit drsquoune augmentation de la quantiteacute de la main-drsquoœuvre poten-tielle Les statistiques officielles montrent que la productiviteacute et la capaciteacute de travailprogressent mollement donc selon lrsquoanalyse eacuteconomique classique nous ne devonspas nous attendre agrave une progression de plus de 2 dans les prochaines anneacutees Et sinous ou plus preacuteciseacutement la Reacuteserve Feacutedeacuterale essayions drsquoacceacuteleacuterer cette croissance enmaintenant bas les taux drsquointeacuterecirct le reacutesultat le plus important serait purement et sim-plement un retour aux mauvais jours de sinistre meacutemoire drsquoune forte inflation

Neacuteanmoins de nombreuses personnes drsquoinfluence mdash des hommes drsquoaffaires desjournalistes et mecircme quelques eacuteconomistes reacuteputeacutes mdash nrsquoacceptent pas une perspectiveaussi terne Ils croient que les anciennes limitations agrave la croissance sont abrogeacutees voireque lrsquoideacutee mecircme de limitation est devenue obsolegravete La base conceptuelle de leur opti-misme se rattache parfois agrave la perspective drsquoune laquo nouvelle eacuteconomie raquo pompeuse-ment appeleacutee aussi laquo nouveau paradigme raquo Quelle que soit son appellation cettenouvelle vision de lrsquoeacuteconomie srsquoest reacutepandue avec une veacutelociteacute rare dans les annales dela penseacutee eacuteconomique Il nous faut revenir agrave la monteacutee de la theacuteorie de lrsquooffre desanneacutees 1970 pour trouver un cas de theacuteorie tregraves novatrice en matiegravere drsquoeacuteconomie quiait eacuteteacute si rapidement admise par un nombre important de leaders drsquoopinion

La base fondamentale de ce nouveau paradigme est que les changements que tout lemonde peut voir dans notre eacuteconomie (lrsquoessor de la technologie numeacuterique le volumecroissant des investissements et du commerce international) ont qualitativementalteacutereacute les regravegles du jeu Lrsquoeacuteconomie peut croicirctre plus rapidement que par le passeacute en rai-son de lrsquoeacutevolution rapide des technologies ce qui constitue le fondement du nouveauparadigme du fait de la concurrence mondiale nous ne devons plus avoir peur qursquoune

1PAUL KRUGMAN est professeur drsquoeacuteconomie au Massachussets Institute of Technology Cet article a eacuteteacutepublieacute initialement en anglais dans Harvard Business Review JulyAugust 1997 sous le titre laquoHow Fastcan the US Economy Growraquo (httpwebmitedukrugmanwwwhowfasthtml) Copyright copy 1997by the President and Fellows of Harvard College all rights reserved Pour cette traduction Copyrightcopy 2000 by the President and Fellows of Harvard College

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eacuteconomie en surchauffe ne geacutenegravere lrsquoinflation Crsquoest sucircrement une vision attractivepour ceux qui souhaiteraient une croissance plus rapide que les quelques 2 deacutece-vants proposeacutes par les eacuteconomistes conventionnels crsquoest aussi une vision qui corres-pond agrave ce que constatent les hommes drsquoaffaires dans leurs propres secteurs Nous nedevons donc pas nous eacutetonner du succegraves de cette vision dans les milieux drsquoaffaires

Il nrsquoy a qursquoun problegraveme crsquoest que si on analyse attentivement le nouveau para-digme on se rend compte qursquoil nrsquoa pas de sens Il comporte drsquoeacutenormes lacunes concep-tuelles et empiriques qui paraissent eacutevidentes agrave de nombreux eacuteconomistes mais quipour une raison ou pour une autre nrsquoont pas eacuteteacute efficacement porteacutees agrave la connais-sance du grand public En fait ce problegraveme nrsquoest pas reacuteellement difficile ni mecircmetechnique la simple logique conjugueacutee agrave lrsquoanalyse de quelques expeacuteriences reacutevegravele leproblegraveme du nouveau paradigme

Pourquoi lrsquoeacuteconomie a-t-elle une laquo limite de vitesse raquo

Avec lrsquoeacuteclatement de la famille traditionnelle ougrave lrsquoon pouvait compter sur lrsquoentou-rage pour prendre soin des enfants de nombreux parents ameacutericains ont chercheacutedrsquoautres solutions La plus freacutequente est la coopeacuterative de baby-sitting dans laquelle uncertain nombre de parents prennent lrsquoengagement de srsquoentraider sur des bases de reacuteci-prociteacute chacun pouvant ecirctre laquo baby-sitter raquo ou laquo baby-sitteacute raquo Ce genre de coopeacuterativeneacutecessite des regravegles permettant drsquoassurer aux membres un partage eacutequitable Unereacuteponse naturelle agrave cette exigence drsquoeacutegaliteacute au moins pour les gens familiariseacutes aveclrsquoeacuteconomie de marcheacute consiste agrave adopter une sorte de systegraveme de laquo jetons raquo ou delaquo points raquo les parents laquo gagnent raquo des laquo jetons raquo en assurant un baby-sitting ils endeacutepensent lorsque leurs propres enfants sont gardeacutes par drsquoautres parents Par exempleune toute reacutecente coopeacuterative dans lrsquoouest du Massachusetts utilise des bacirctonnets deglace agrave lrsquoeau chacun repreacutesentant une heure de baby-sitting Lorsqursquoun parent integravegrela coopeacuterative il reccediloit une premiegravere attribution de dix bacirctonnets

Ce systegraveme se reacutegule de lui-mecircme en ce sens que sur une dureacutee de temps prolongeacuteeune famille donnera agrave peu pregraves le mecircme temps de garde qursquoelle beacuteneacuteficiera drsquoheures debaby-sitting Neacuteanmoins il srsquoavegravere que ce systegraveme de jetons ne suffit pas agrave lui seul pourqursquoune coopeacuterative fonctionne correctement il est eacutegalement neacutecessaire que lesjetons soient relativement bien reacutepartis entre les membres Supposons par exempleqursquoil y ait tregraves peu de jetons en circulation Certains parents peuvent vouloir avoir unereacuteserve de jetons assez pour pouvoir sortir un certain nombre de fois avant de devoirfaire du baby-sitting et donc drsquoen gagner Chaque parent peut aussi bien sucircr accumu-

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ler encore plus de jetons en assurant plus de baby-sitting et en sortant moins Mais quese passe-t-il si presque tout le monde essaie drsquoaccumuler des jetons ce qui est le casquand il y en a peu en circulation La deacutecision drsquoun parent de sortir constitue lrsquooppor-tuniteacute pour un autre de faire du baby-sitting Donc si tous les membres de la coopeacutera-tive essaient drsquoadditionner des jetons pour augmenter leur reacuteserve il y aura tregraves peudrsquoopportuniteacutes de garder des enfants Ceci aboutit agrave ce que les gens heacutesitent agrave sortirafin de ne pas gaspiller leurs eacuteconomies de jetons et donc le niveau drsquoactiviteacute de lacoopeacuterative peut baisser jusqursquoagrave un niveau extrecircmement deacutecevant

La solution agrave ce problegraveme consiste bien sucircr agrave mettre en circulation plus de bacirctonnetsMais pas trop car lrsquoexcegraves de bacirctonnets peut eacutegalement provoquer un problegraveme graveSupposons que dans la coopeacuterative presque tous les membres possegravedent un nombrede bacirctonnets exceacutedant leurs besoins ils auront tous envie de sortir et rechigneront agravegarder des enfants Il sera alors tregraves difficile de trouver des baby-sitters et tant que lesopportuniteacutes drsquoutiliser les bacirctonnets seront rares les membres seront encore moinsdeacutesireux de perdre du temps et de faire des efforts pour gagner des jetons Donc onobservera des effets destructeurs en situation drsquoexceacutedent de jetons en circulation aussibien que de peacutenurie

Mais qursquoest-ce que cela a agrave voir avec le nouveau paradigme Et bien une coopeacuterativede baby-sitting est une sorte de macroeacuteconomie en miniature un systegraveme dans lequelles deacutecisions individuelles de deacutepenser et drsquoeacutepargner sont tregraves deacutependantes les deacutepen-ses de lrsquoun constituant les revenus de lrsquoautre et vice et versa Lrsquoeacutetat de crise drsquoune coo-peacuterative de baby-sitting ducirc agrave une circulation insuffisante de jetons est par essence lemecircme que celui de lrsquoeacuteconomie ameacutericaine dans son ensemble quand elle sombre dansla reacutecession Et les capaciteacutes drsquoun Paul Volcker ou drsquoun Alan Greenspan agrave provoquer unredressement reacutesident dans le controcircle qursquoils ont sur lrsquooffre de monnaie autrement ditsur le nombre de bacirctonnets

Entre lrsquoeacuteconomie grandeur nature et la coopeacuterative de baby-sitting comprenant toutau plus quelques douzaines de membres il y a eacutevidemment drsquoimportantes diffeacuterencesLrsquoune drsquoentre elles reacuteside dans le fait que lrsquoeacuteconomie possegravede un marcheacute de capitaux les individus qui manquent drsquoargent peuvent en emprunter agrave drsquoautres qui sont richesen capitaux de faccedilon agrave ce que les effets drsquoune peacutenurie geacuteneacuterale ou drsquoune profusiondrsquoargent srsquoarbitrent par le niveau des taux drsquointeacuterecirct Une diffeacuterence plus grande encoretient aux prix ceux-ci sont fixes dans une coopeacuterative de baby-sitting type un bacircton-net permettant drsquoacheter une heure de baby-sitting un point crsquoest tout Dans lrsquoeacutecono-mie proprement dite les entreprises sont libres de changer leurs prix de les casser sielles ont des problegravemes pour vendre leur produits de les augmenter si elles jugentqursquoune hausse ne stoppera pas les ventes Les entreprises ont une forte tendance agrave refu-ser de casser les prix tout comme les ouvriers sont reacutecalcitrants agrave accepter une baisse desalaire si des reacutecessions prolongeacutees megravenent parfois agrave la baisse des prix cela se fait pro-

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gressivement et avec difficulteacute Lrsquohistoire montre toutefois que les entreprises sontmoins reacuteticentes agrave augmenter leurs prix dans des conditions de forte croissance Crsquoestpour cette raison que lrsquoespegravece de situation de peacutenurie subie par la coopeacuterative quand ily a trop de jetons en circulation est rarement grave dans les eacuteconomies de marcheacute alorsqursquoune eacutemission excessive de monnaie elle se dissipe plutocirct en inflation

Pourtant lrsquoeacuteconomie du bacirctonnet peut nous aider agrave dissiper quelques malentendustregraves reacutepandus sur les raisons amenant les eacuteconomistes agrave penser qursquoil existe des limitesagrave la rapiditeacute de la croissance Premiegraverement personne ne preacutetend que lrsquoeacuteconomie selimite agrave une vitesse de croissance de 2 et quelques en toutes circonstances Quandune coopeacuterative de baby-sitting est en eacutetat de deacutepression agrave cause drsquoune offre insuffi-sante de bacirctonnets son PBB (Produit Baby-sitting Brut) peut srsquoeacutelever rapidement degravesque lrsquooffre progresse Jusqursquoici rien drsquoinexplicable dans la capaciteacute qursquoa eue lrsquoeacuteconomieameacutericaine drsquoatteindre un taux de croissance de plus de 3 de 1982 agrave 1989 agrave partirdrsquoune reacutecession qui avait fait grimper le chocircmage agrave un taux de 107 et maintenu pro-bablement la production agrave 10 au-dessous de sa capaciteacute la politique drsquoexpansionmoneacutetaire a permis agrave lrsquoeacuteconomie de rebondir La laquo limite de vitesse raquo ne srsquoapplique quelorsque lrsquoeacuteconomie srsquoest deacuteveloppeacutee autant qursquoelle le pouvait en utilisant toute sa capa-citeacute et en employant les ressources inexploiteacutees

Deuxiegravemement la logique de lrsquoargument eacuteconomique standard contre les objectifsde croissance trop ambitieux alors que lrsquoeacuteconomie est proche du plein emploi est aussilargement mal comprise De nombreux critiques de cette argumentation sinon la plu-part fondent leur opposition sur une caricature trompeuse de ce que disent les eacutecono-mistes Bien trop souvent des avocats drsquoune croissance plus rapide affirment que pourleurs adversaires laquo la croissance creacutee lrsquoinflation raquo cette supposeacutee maniegravere de voir estensuite tourneacutee en ridicule Apregraves tout lrsquoinflation nrsquoest-elle pas une inadeacutequationentre un excegraves drsquoargent et une peacutenurie de biens Et si crsquoest le cas comment la crois-sance peut-elle ecirctre la cause de lrsquoinflation alors qursquoelle se traduit par une plus grandeabondance de biens Mais ce nrsquoest pas ce que disent les eacuteconomistes qui pensent qursquounobjectif de croissance trop ambitieux serait inflationniste Personne ne preacutetend que lacoopeacuterative de baby-sitting souffrirait de peacutenurie si elle se deacuteveloppait en accueillantde nouveaux adheacuterents ou en ameacuteliorant lrsquoefficaciteacute des familles pour la garde desenfants de telle sorte qursquoelle puisse assurer davantage de baby-sitting Les limites mdash etdonc le risque drsquoinflation mdash ne srsquoappliquent qursquoagrave une croissance reacutesultant drsquounedemande accrue autrement dit en augmentant le nombre de bacirctonnets

Agrave partir de quand est-ce trop Revenons agrave nouveau agrave notre eacuteconomie du baby-sittingComment pourrait-on savoir qursquoil y a trop de bacirctonnets en circulation Un indicateurinteacuteressant pour cela serait la freacutequence avec laquelle les parents recherchent et ne trou-vent pas lrsquooccasion de faire du baby-sittingce qui correspondrait fondamentalement autaux de chocircmage de la coopeacuterative Un autre indicateur serait la freacutequence agrave laquelle les

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parents cherchent et ne trouvent pas de baby-sitter ce qui pourrait correspondre plus oumoins au laquo taux drsquoemplois non satisfaits raquo dans lrsquoeacuteconomie ameacutericaine Un chocircmagetregraves bas et un taux eacuteleveacute drsquoemplois non satisfaits indiquent qursquoil existe un exceacutedent dedemande au sein de la coopeacuterative Dans lrsquoeacuteconomie agrave grande eacutechelle il srsquoavegravere que letaux de chocircmage et celui des emplois non satisfaits sont eacutetroitement correacuteleacutes mais inver-sement Mais les donneacutees collecteacutees les plus reacuteguliegraverement et les plus systeacutematiquementeacutetant celles du chocircmage nous pouvons utiliser ce taux de chocircmage tregraves facilement dis-ponible comme un assez bon indicateur de lrsquoeacutetroitesse du marcheacute du travail

Que veut dire trop bas pour un taux de chocircmage Pour ecirctre honnecircte les incertitudessur cette question sont nombreuses Lrsquoeacutevidence des anneacutees drsquoavant 1990 suggeacuteraitalors agrave la plupart des eacuteconomistes que lrsquoinflation commencerait agrave srsquoacceacuteleacuterer quand letaux de chocircmage tomberait en dessous de 6 or on fut surpris de constater que avecun taux de chocircmage agrave peine au-dessus de 5 lrsquoaugmentation des prix se discernait agravepeine Neacuteanmoins la progression des salaires a commenceacute agrave srsquoacceacuteleacuterer et les anecdotessur la peacutenurie de main-drsquoœuvre plutocirct rares dans lrsquoeacuteconomie ameacutericaine sont deve-nues monnaie courante dans les 6 derniers mois de 1996 ce genre drsquoanecdotes srsquoestdeacuteveloppeacute trois fois plus que lrsquoanneacutee preacuteceacutedente Il semble donc qursquoil y ait peu de chan-ces de reacuteduire le taux de chocircmage simplement par une augmentation de la demande(Il srsquoagit lagrave de couper court aux arguments selon lesquels il serait possible de stopper lechocircmage gracircce agrave la formation professionnelle ou agrave toute autre intervention Qursquoilsfonctionnent ou non de tels scheacutemas nrsquoont rien agrave voir avec les tenants du nouveauparadigme qui preacutetendent que la Reacuteserve Feacutedeacuterale peut continuer agrave augmenter sesobjectifs de croissance mecircme en lrsquoabsence de programmes destineacutes agrave augmenter lenombre de travailleurs employables)

Ce que nous connaissons assez bien crsquoest le taux de croissance qui est compatibleavec le maintien du taux de chocircmage agrave son niveau agrave peu pregraves courant Il existe une rela-tion frappante entre le taux de la croissance eacuteconomique et celui de la variation du tauxde chocircmage relation qui fait partie bien sucircr des quelques constatations que les eacuteco-nomistes veulent eacuteriger en laquo loi raquo (loi de Okun) avec le plus grand des seacuterieux Les don-neacutees entre 1980 et 1995 indiquent qursquoau cours de cette peacuteriode le taux de chocircmageprogresse si le taux de croissance tombe en dessous de 24 et diminue si ce dernierest supeacuterieur (il srsquoavegravere que chaque point de progression de la croissance reacuteduit le chocirc-mage drsquoun demi-point) On constate que le taux de croissance en rapport avec le main-tien du taux de chocircmage plus ou moins au niveau ougrave il en est aujourdrsquohui a eacuteteacute dansun passeacute reacutecent drsquoenviron 2

Il nrsquoest en revanche pas eacutevident que le taux de croissance compatible avec un tauxde chocircmage constant mdash le taux de croissance maximum susceptible drsquoecirctre soutenulorsque lrsquoeacuteconomie tourne agrave pleine capaciteacute mdash ait progresseacute ces quelques derniegraveresanneacutees Le taux moyen de chocircmage de 1995 voisin de 56 est agrave peu pregraves le mecircme

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qursquoen 1990 Or la croissance moyenne sur les 5 derniegraveres anneacutees a eacuteteacute de 19 crsquoest-agrave-dire en dessous de la croissance extrapoleacutee sur la courbe

Pourquoi le taux de croissance qursquoil est possible de soutenir semble-t-il si lent Il ya deux raisons principales Premiegraverement la force de travail ameacutericaine ne progresseplus aussi vite que dans les anneacutees ougrave les enfants du baby-boom eacutetaient devenus adul-tes et ougrave les femmes inteacutegraient le marcheacute du travail entre le deacutebut des anneacutees 1990et aujourdrsquohui le nombre de personnes travaillant ou recherchant un emploi nrsquoa pro-gresseacute qursquoau taux annuel drsquoenviron 1 Deuxiegravemement selon les chiffres officiels laproductiviteacute (production par travailleur) nrsquoa elle-mecircme progresseacute que drsquoun tout petitpour-cent La somme de ces deux chiffres donne 2 ce qui correspond au potentielde croissance de la productiviteacute eacuteconomique

Tout ceci semble assez bien eacutetabli Alors comment les tenants du nouveau para-digme peuvent-ils encore preacutetendre que lrsquoeacuteconomie est en fait capable drsquoune crois-sance plus rapide Leur reacuteponse reacuteside en partie dans le fait que tout simplement ilsne croient pas les chiffres officiels ils pensent que les statistiques sont deacutepasseacutees etsous-estiment grandement la croissance de la productiviteacute Mais cela est-il vrai Et sur-tout est-ce un problegraveme

Les paradoxes de la productiviteacute

Crsquoest un truisme drsquoaffirmer que lrsquoaugmentation de la productiviteacute autrement dit duPNB par travailleur repreacutesente la clef drsquoune croissance eacuteconomique durable Il fautpeut-ecirctre srsquoinquieacuteter du lent cheminement que montrent les chiffres officiels de la pro-ductiviteacute ameacutericaine et qui dure depuis le deacutebut des anneacutees 1970 la progressionannuelle de la production horaire du travail reste environ agrave 1 par an bien en dessousdu taux annuel de presque 3 des anneacutees 1950 et 1960

Par conseacutequent nombreux sont les grands patrons qui ont bien du mal agrave croire cesstatistiques officielles Pour une part ils pensent improbable que la reacutevolution numeacute-rique qui a eu tant drsquoimpact sur la conduite des affaires nrsquoait pu montrer davantagede retour sur investissement De plus les dirigeants de nombreuses entreprises pensentque lrsquointensiteacute de la concurrence les a forceacutes agrave engager des mesures radicales pour aug-menter la productiviteacute et ils ne peuvent croire qursquoil y ait aussi peu de retombeacutees surlrsquoeacuteconomie dans son ensemble

Pour ceux qui croient que les si monotones statistiques officielles sur la productiviteacutesont fausses il apparaicirct eacutevident que les monotones visions conventionnelles sur leslimites de la croissance sont eacutegalement fausses Apregraves tout supposons que nous

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croyions que la croissance reacuteelle de la productiviteacute dans les anneacutees 1990 a eacuteteacute deux foisplus importante que cette mesure de 1 disons qursquoelle a eacuteteacute de 25 par exempleNous devons alors croire eacutegalement que la croissance du potentiel eacuteconomiquesomme de ces taux de 1 pour la croissance de la productiviteacute et pour la force de tra-vail est reacuteellement de 35 et non de 2 Alors la Fed ne pourrait-elle pas laisser lrsquoeacuteco-nomie srsquoeacutechapper

Prenons le problegraveme par eacutetape Il faut drsquoabord admettre que les critiques des statisti-ques officielles de productiviteacute sont fondeacutees bien qursquoil y existe des contre-argumentsDes techno-sceptiques aiment agrave souligner que mecircme si la technologie numeacuterique estclinquante et laquo glamour raquo on constate qursquoelle fait moins pour la production reacuteelle destravailleurs que ne lrsquoont fait dans le passeacute bien des innovations moinslaquo photogeacuteniques raquo pour donner un exemple drsquoune technologie qui sans avoir quoi quece soit de laquo glamour raquo a eu un effet profond sur lrsquoeacuteconomie jrsquoeacutevoque souvent la conte-neurisation du fret qui a litteacuteralement eacutelimineacute le besoin en centaines de milliers de doc-kers et autres manutentionnaires Lrsquoenthousiasme initial passeacute les affaires ont deacutemontreacuteque certaines nouvelles technologies parmi lesquelles les ordinateurs de bureau com-portaient des coucircts cacheacutes importants On a par ailleurs fait remarquer que de nombreu-ses entreprises en se restructurant nrsquoeacuteliminent pas tant les postes de travail qursquoelles neles externalisent ces postes glissant depuis de grandes firmes ougrave les reacutemuneacuterations sonteacuteleveacutees agrave de petits fournisseurs qui ont eux des eacutechelles de salaires plus basses Du pointde vue de la socieacuteteacute restructureacutee il peut sembler que le mecircme travail est reacutealiseacute par unnombre de personnes nettement moindre de celui de lrsquoeacuteconomie dans son ensemblela production par travailleur peut ne pas avoir beaucoup grimpeacute voire pas du tout Cequi est bien pire crsquoest que des eacuteconomistes tentent drsquoeacutevaluer la croissance de la produc-tiviteacute et restent parfaitement indeacutecis quant aux reacutesultats la productiviteacute a eacuteteacute grande-ment sous-eacutevalueacutee pour un petit nombre drsquoentre eux elle lrsquoaurait eacuteteacute de moitieacute maisun nombre conseacutequent drsquoeacuteconomistes pensent aussi que les chiffres officiels sont plusou moins vrais

Neacuteanmoins cette discussion est vraiment drsquoun inteacuterecirct mineur pour le problegraveme enquestion car si nous nous demandons quel est lrsquoobjectif de croissance approprieacute ilnrsquoest pas important que les chiffres officiels soient justes Il est essentiel de se rappelerque la productiviteacute par deacutefinition se deacutefinit comme la production par travailleurQuand on parle de productiviteacute dans lrsquoeacuteconomie globale ameacutericaine on parle du PNBreacuteel par travailleur employeacute aux Eacutetats-Unis ni plus ni moins (en anticipant sur la pro-chaine partie peut-ecirctre ne faut-il pas oublier que ni la production geacuteneacutereacutee ni les tra-vailleurs employeacutes par des compagnies ameacutericaines en dehors des Eacutetats-Unis ne jouentun rocircle dans le calcul du PNB ou de la productiviteacute) Supposons agrave preacutesent qursquoil soit vraique la productiviteacute (PNB reacuteel par travailleur) a reacuteellement grimpeacute agrave 25 depuis 1990 cela veut-il dire pour autant que la Fed aurait ducirc preacutevoir un objectif de croissance

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de 35 pour cette peacuteriode et qursquoen autorisant le PNB agrave monter agrave 2 seulement lepotentiel eacuteconomique srsquoest trouveacute bloqueacute Pas du tout Apregraves tout si la productiviteacuteest par deacutefinition eacutegale au PNB reacuteel par travailleur et si personne ne soutient que leschiffres sur lrsquoemploi sont faux preacutetendre que la vraie croissance de la productiviteacute estreacuteellement de 15 supeacuterieure aux statistiques crsquoest eacutegalement preacutetendre que le vraiPNB est supeacuterieur drsquoautant Nous pouvons alors non pas accuser la Fed de ne pas avoirinsuffleacute agrave lrsquoeacuteconomie les 35 qursquoelle meacuteritait mais la feacuteliciter drsquoavoir donneacute un tauxde croissance absolument exact

Voyons les choses un peu diffeacuteremment si la Fed avait tenteacute de parvenir agrave un tauxmesureacute mais non reacuteel de 35 cela aurait correspondu en fait agrave ambitionner un tauxreacuteel de croissance de 5 autrement dit bien au-dessus du potentiel eacuteconomique Etune tentative analogue sur la peacuteriode 1990-1996 aurait provoqueacute une baisse brutale dutaux de chocircmage agrave 2 bien en dessous des niveaux actuels Ce taux ne paraicirct reacutealisa-ble qursquoagrave un nombre limiteacute de personnes La question de savoir si les statistiques denotre eacuteconomie sous-estiment la croissance de la productiviteacute est tregraves importante dansde nombreux cas toutefois elle nrsquoapporte rien quand on se demande si le taux decroissance consideacutereacute comme objectif agrave atteindre serait plus haut si on utilisait cesmecircmes statistiques

Mondialisation et inflation

Lrsquoaffirmation selon laquelle lrsquoeacuteconomie ameacutericaine en deacutepit de statistiques moro-ses est actuellement en train de connaicirctre un taux eacuteleveacute de croissance de productiviteacuteest lrsquoun des deux jetons importants du nouveau paradigme Le second consiste agrave preacute-tendre que gracircce agrave la nouvelle ampleur de la concurrence mondiale le fait drsquoaugmen-ter la demande ne megravenera pas agrave lrsquoinflation mecircme avec des taux de chocircmage tregraves basLrsquohistoire continue diffeacuterente du passeacute Les entreprises ameacutericaines ont aujourdrsquohui agraveaffronter la compeacutetition reacuteelle ou potentielle drsquoadversaires europeacuteens et asiatiques mecircme en cas de forte demande elles nrsquooseront donc pas monter les prix de peur queses adversaires ne srsquoemparent du marcheacute

Comme dans le cas de la sous-estimation de la croissance de la productiviteacute il estpossible de veacuterifier cette affirmation sur des faits Il est indeacuteniable que de nombreusesfirmes ameacutericaines affrontent la concurrence internationale jusqursquoagrave un degreacute sans preacute-ceacutedent Neacuteanmoins cette compeacutetition mondiale a lieu essentiellement dans ledomaine de la production de biens car tregraves peu de services sont commercialiseacutes sur lemarcheacute international Et mecircme dans lrsquoindustrie bon nombre drsquoentreprises restent

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totalement agrave lrsquoeacutecart de la concurrence eacutetrangegravere avez-vous vu reacutecemment des reacutefrigeacute-rateurs chinois Comme nous avons essentiellement une eacuteconomie de service pasplus de 25 et probablement moins de 15 des emplois et de la valeur ajouteacutee sontreacuteellement soumis agrave cette sorte de discipline du marcheacute mondial procircneacutee par le nou-veau paradigme

Mais discuter sur lrsquoextension exacte de la mondialisation comme discuter sur le justetaux de la croissance de la productiviteacute est hors sujet Mecircme si la concurrence mondialejouait un rocircle plus important dans lrsquoeacuteconomie ameacutericaine qursquoelle ne le fait reacuteellementune telle compeacutetition nrsquoaugmenterait pas la vitesse limite de lrsquoeacuteconomie En effet peuimporte la taille de lrsquoeacuteconomie mondiale car mecircme si tous les rattrapages eacuteconomiquesont eacuteteacute faits le taux maximum de croissance dans nrsquoimporte quel domaine de cetteeacuteconomie est eacutegal agrave la somme de la croissance de la productiviteacute et de la force de travailde ce domaine

Ce point semble particuliegraverement difficile agrave saisir probablement parce que de nom-breuses personnes supposent faussement que lrsquoeacuteconomie mondiale est drsquoune faccedilon oudrsquoune autre plus importante que la somme des eacuteconomies nationales qursquoelle contientPour corriger cette impression erroneacutee souvenons-nous de la parabole preacutesenteacutee parPaul Samuelson du MIT il y a plus de 30 ans jrsquoai coutume de me reacutefeacuterer agrave cette para-bole comme lrsquohistoire de lrsquoange de Samuelson

En gros lrsquoideacutee de Samuelson eacutetait drsquoimaginer le cours de lrsquohistoire agrave lrsquoenvers Nouspensons normalement que lrsquoeacuteconomie mondiale reacutesulte drsquoune plus grande unificationeacuteconomique et crsquoest la voie que nous avons suivie pour arriver ougrave nous sommes MaisSamuelson suggeacuterait en alternative drsquoimaginer ce qursquoil se passerait si partant drsquouneeacuteconomie unifieacutee nous lrsquoeacuteclations Il proposait preacuteciseacutement la parabole suivante imaginons que agrave lrsquoorigine toutes les ressources mondiales travaillaient librementensemble sans problegraveme de distance ni de frontiegravere Mais soudain un ange descenditdu ciel et dispersa les ressources dans de nombreux pays par la suite les nationsauraient ainsi pu commercer entres elles mais neacuteanmoins des ressources telles que letravail se figegraverent (cette parabole est clairement inspireacutee de Genegravese 11 passage eacutevo-quant lrsquohistoire de la tour de Babel probablement les facteurs de production ont oseacutelancer un deacutefi au ciel) Le point important de cette parabole est que lrsquoeacuteconomie globalereacutesultant de la mise en piegravece drsquoune eacuteconomie qui nrsquoa pas de commerce internationalpuisque pas de partenaire pour commercer serait indiffeacuterentiable drsquoune eacuteconomie glo-bale produite en reacuteunissant partiellement des eacuteconomies nationales seacutepareacutees au preacutea-lable ce qui se passe en fait

Or il est facile de se leurrer en pensant que le rassemblement des eacuteconomies changeles regravegles drsquoune faccedilon ou drsquoune autre et supprime les vieilles contraintes de la politiqueeacuteconomique On pourrait agrave peine srsquoattendre agrave obtenir une nouvelle liberteacute en matiegraverede politique eacuteconomique en eacuteclatant une eacuteconomie unifieacutee Et pourtant lrsquoeacuteconomie

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mondiale reacuteelle imparfaitement unifieacutee peut ecirctre vue sous lrsquoun ou lrsquoautre angle ce quiindique qursquoil y a quelque chose de faux agrave preacutetendre que les vieilles contraintes nrsquoexis-tent plus

Les tenants du nouveau paradigme affirment une fois encore que lrsquoexpansion peutagrave preacutesent se poursuivre sans risque drsquoinflation gracircce agrave la mondialisation moneacutetaireCela peut-il ecirctre vrai Essayons de le deacutecouvrir avec lrsquoaide de lrsquoange

Drsquoabord imaginons un monde preacute-angeacutelique dans lequel toutes les ressources peu-vent travailler ensemble sans obstacle ougrave il y a un langage commun et une monnaieunique disons une monnaie constitueacutee de billets de banque rouges Cette eacuteconomiemondiale nrsquoest qursquoune grande coopeacuterative de baby-sitting si bien que lrsquoinjection deplus drsquoargent peut accroicirctre la production jusqursquoagrave un point au-delagrave duquel elle irait agravelrsquoencontre de la productiviteacute et serait naturellement dissipeacutee en inflation (Il est vraique lrsquoeacuteconomie mondiale est incroyablement immense le produit mondial brut estprobablement de lrsquoordre de 25 trillions de dollars Mais lrsquoeacuteconomie ameacutericaine agrave elleseule avec ses 7 trillions de dollars de PNB est eacutegalement incroyablement immenseOn peut utilement neacuteanmoins lrsquoimaginer comme une coopeacuterative de baby-sitting le fait de monter drsquoun cran sur lrsquoeacutechelle ne provoque pas une diffeacuterence qualitative)Supposons agrave preacutesent que lrsquoange descende et divise le monde en deux nations cha-cune posseacutedant ses propres ressources et devises un pays utilise maintenant des billetsbleus et lrsquoautre des billets verts Comment cette situation modifie-t-elle le contexte

Et bien supposons que le monde dans son ensemble soit proche du plein emploi etque les deux pays accroissent simultaneacutement leur offre de monnaie disons que chacunedrsquoelle double le nombre de billets en circulation Eacutevidemment il nrsquoy aura pas de diffeacute-rence par rapport agrave ce qui se serait passeacute si la production drsquoargent avait augmenteacute dansles mecircmes proportions dans lrsquoeacuteconomie preacute-angeacutelique Une fois que les secteurs affaiblisde lrsquoeacuteconomie mondiale auront eacuteteacute relanceacutes plus drsquoexpansion megravenera agrave lrsquoinflation

Le problegraveme aurait eacuteteacute quelque peu diffeacuterent si un seul pays avait essayeacute drsquoaccroicirctreson offre de monnaie disons que seul le pays des billets verts lrsquoait fait et pas celui desbillets bleus Il pourrait sembler que dans ce cas la compeacutetition venant du pays infla-tionniste limiterait la monteacutee des prix dans lrsquoeacuteconomie en expansion Peut-ecirctre lemonde dans son ensemble nrsquoest-il pas exempt de limitations de vitesse mais au moinsles conseacutequences inflationnistes drsquoune expansion unilateacuterale sont atteacutenueacutees Mais il y aaussi un problegraveme avec cet argument Qursquoest-il censeacute arriver au taux de change Dansle cas drsquoun taux de change flottant un accroissement du nombre de billets verts megraveneraagrave une deacutevaluation des devises vertes par rapport aux bleues Cela enclenchera directe-ment la monteacutee des prix des marchandises que le pays en expansion importe (quand onle mesure en monnaie verte) Les prix des produits en devises bleues qui sont en compeacute-tition avec les marchandises laquo vertes raquo grimperaient eacutegalement probablement en don-nant lrsquoopportuniteacute agrave ces entreprises drsquoaugmenter leurs prix En fait jusqursquoagrave la monteacutee du

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nouveau paradigme lrsquoopinion geacuteneacuterale eacutetait que lrsquoexpansion moneacutetaire megravene agrave lrsquoinfla-tion ou du moins lrsquointroduit plus rapidement si elle est supporteacutee unilateacuteralement parun seul pays plutocirct que si elle srsquoinstalle simultaneacutement dans de nombreuses nations EtlrsquoAmeacuterique a un taux de change flottant le dollar monte et descend assez rapidementsuivant que la Fed risque de relacirccher ou de renforcer sa politique

Tout ceci nrsquoest qursquoargumentaire conceptuel Mieux vaut se souvenir que si un com-merce international agrave grande eacutechelle peut encore paraicirctre nouveau en Ameacuterique laplupart des autres pays sont depuis longtemps eacutetroitement deacutependants du commerceexteacuterieur mecircme aujourdrsquohui la part des exportations et des importations dans le PNBameacutericain reste tregraves au-dessous des niveaux qui sont devenus ordinaires ailleurs etdepuis de nombreuses deacutecennies Lagrave encore lrsquoeacutevidence internationale deacutemontre aiseacute-ment que lrsquoexcegraves drsquoexpansion moneacutetaire megravene agrave lrsquoinflation aussi sucircrement dans leseacuteconomies largement ouvertes que chez celles qui font peu de commerce

Tout ceci nrsquoa pas pour but de minimiser lrsquoimportance de la mondialisation pourbeaucoup de problegravemes eacuteconomiques Par exemple il est eacutevident que la croissance ducommerce mondial a eacuteteacute un facteur important dans le deacuteveloppement eacuteconomique denombreux pays pauvres en revanche le rocircle qursquoil a joueacute dans lrsquoineacutegaliteacute croissante desrevenus dans les pays deacuteveloppeacutes fut moins heureux Quoi qursquoil en soit la mondialisa-tion nrsquoa sucircrement pas changeacute de faccedilon importante les regravegles reacutegissant lrsquoallure de crois-sance de lrsquoeacuteconomie ameacutericaine Mondialisation ou pas si la Fed tente une expansioneacuteconomique plus rapide que la somme de la croissance de la force de travail et de laproductiviteacute il en reacutesultera lrsquoinflation

Le succegraves drsquoun paradigme

Il y a quelque chose drsquoincroyable dans la faveur dont jouit le paradigme Celui-cirepose sur deux arguments cleacutes une croissance eacuteleveacutee de la productiviteacute justifie desobjectifs de croissance plus eacuteleveacutes et la compeacutetition mondiale preacuteserve de lrsquoinflationQuoi qursquoil en soit et comme nous lrsquoavons vu preacuteceacutedemment ces deux arguments netiennent pas et mecircme paraissent assez sots quand on fait une analyse critique simpleet superficielle En outre les critiques eacutevoqueacutees dans cet article ne vont pas tregraves loin etrestent banales ma propre expeacuterience me montre que quand on essaye drsquoexpliquerle nouveau paradigme agrave un macro-eacuteconomiste classique qui ignore la doctrine delrsquoinfluence de la croissance il formule essentiellement la mecircme critique que celle quevous venez de lire et il lui paraicirct impossible que quiconque puisse consideacuterer cette doc-trine seacuterieusement

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Neacuteanmoins et tout particuliegraverement dans le monde des affaires de nombreuses per-sonnes prennent cette doctrine tregraves au seacuterieux Pourquoi Tout drsquoabord les critiquesdeacutecrites ici ne viennent pas spontaneacutement chez un homme drsquoaffaires Les affaires setraitent essentiellement dans un milieu microeacuteconomique cela implique de com-prendre ce qui se passe au niveau drsquoun seul marcheacute mais non la faccedilon dont les marcheacutesinteragissent Un chef drsquoentreprise nrsquoa en geacuteneacuteral pas besoin de comprendre les pro-blegravemes de la macroeacuteconomie qui a pour essence lrsquointeraction des marcheacutes Pourquoiun directeur geacuteneacuteral devrait-il savoir ou srsquoinquieacuteter de lrsquoinfluence de lrsquoaccroissementde lrsquooffre moneacutetaire sur le PNB ou la faccedilon dont ces effets varient suivant que le tauxde change est flottant ou fixe Le succegraves du nouveau paradigme tient agrave une seconderaison crsquoest qursquoil dit bien sucircr ce que les hommes drsquoaffaires ont envie drsquoentendre Quine serait pas attireacute par une doctrine promettant que lrsquoeacuteconomie peut srsquoeacutetendre sanslimites et pour un temps infini

Toutefois il existe un motif suppleacutementaire agrave cet attrait particulier du nouveauparadigme il est extrecircmement flatteur pour son public constitueacute drsquohommes drsquoaffai-res Imaginons un avocat du nouveau paradigme srsquoadressant agrave un groupe disons deplusieurs centaines de dirigeants Ils srsquoentendront dire que leur nouveau style de mana-gement efficace et leur option pour la technologie de pointe ont provoqueacute une reacutevo-lution dans la productiviteacute alors qursquoils savent tous qursquoils ne peuvent augmenter lesprix car ils doivent faire face agrave une intense concurrence mondiale Sucircrement dans cegroupe quelques directeurs reacuteagiront honnecirctement laquo Et bien il est possible que cesoit comme cela dans drsquoautres branches Neacuteanmoins dans mon usine le fait est que laproductiviteacute nrsquoa pas beaucoup progresseacute reacutecemment Mais cela nrsquoa pas vraimentaffecteacute notre beacuteneacutefice en fait nos produits nrsquoentrent pas trop dans la compeacutetitionmondiale et nous avons un accord tacite avec nos concurrents nationaux afin de nepas provoquer une guerre des prix ce qui est de notre inteacuterecirct agrave tous raquo Soyons reacutealistesquelle est la probabiliteacute pour que quelqursquoun se legraveve et le dise

Peut-ecirctre ne devons-nous pas alors nous eacutetonner de la progression rapide de ce nou-veau paradigme qui met agrave lrsquoaise les hommes drsquoaffaires quant agrave leurs perspectives eacuteco-nomiques et aussi avec eux-mecircmes

Mais il est temps de redevenir seacuterieux aussi attrayante soit-elle une doctrine eacuteco-nomique qui ne supporte pas une critique fondeacutee doit ecirctre rejeteacutee Nous aimerionscroire qursquoil suffit que la Fed laisse faire pour que la croissance ameacutericaine soit beaucoupplus rapide mais toutes les eacutevidences suggegraverent que ce nrsquoest pas le cas

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Vitesse-limite Reacutealiteacutes et fictions dans le deacutebat sur la croissance

Alan S BLINDER1

laquo Say it ainrsquot so Joe raquo (Dis-moi qursquocrsquoest pas vrai Joe)

Crsquoest ce qursquoaurait dit en 1919 un jeune garccedilon srsquoadressant agrave Shoeless Joe Jackson starternie de lrsquoinfacircme laquo Black Sox raquo de Chicago On a entendu le mecircme cri en feacutevrier 1997quand le Council of Economic Advisers2 alors dirigeacutee par Joseph Stiglitz a bloqueacute letaux de croissance agrave long terme agrave seulement 23 par an laquo Say it ainrsquot so Joe raquo

Tel ce jeune fan de base-ball les optimistes de la croissance qursquoils soient de gauchecomme de droite ne veulent pas qursquoune dure reacutealiteacute investisse et ruine leurs recircves MaisJoe Jackson ne pouvait pas dire que ce nrsquoeacutetait pas vrai parce que ccedila lrsquoeacutetait bel et bien et Joe Stiglitz ne pouvait pas le dire non plus

En se basant sur des regravegles arithmeacutetiques simples que je vais exposer briegravevement leseacuteconomistes conventionnels sont pour une fois tous drsquoaccord sur le fait que le taux decroissance tendanciel du PNB aux Eacutetats-Unis celui gracircce auquel le taux de chocircmagereste stable se situe entre 2 et 25 En fait le point central de la preacutetenduelaquo controverse raquo opposant lrsquoadministration Clinton au Congressional Budget Office(CBO) sur le choix des hypothegraveses eacuteconomiques porte sur la question de savoir si letaux de croissance tendanciel agrave retenir pour les preacutevisions du budget est de 23 oude 21 Le CBO preacuteconise le dernier chiffre voilagrave ougrave se situe la controverse

Neacuteanmoins nombre de politiciens de premier plan de dirigeants influents etdrsquoauteurs connus du grand public refusent drsquoaccepter cette conclusion laquo pessimiste raquoIls preacutetendent que lrsquoon pourrait progresser plus rapidement si le gouvernement menaitune politique favorisant davantage la croissance Agrave vrai dire cet argument comportedeux variantes distinctes que lrsquoon confond souvent mais qui doivent plutocirct ecirctre con-sideacutereacutees seacutepareacutement

1 ALAN S BLINDER est professeur deacuteconomie agrave lUniversiteacute de Princeton et directeur du PrincetonsCenter for Economic Policy Studies Cet article a eacuteteacute publieacute initialement en anglais dans The AmericanProspect Issue 34 September-October 1997 sous le titre laquoThe Speed Limit Fact and Fancy in theGrowth Debateraquo (httpwwwprospectorgarchives3434blinfshtml) Traduit et reproduit aveclrsquoaimable autorisation de lrsquoauteur Reprinted with permission from The American Prospect 34 Septem-ber-October 1997 Copyright 1997 The American Prospect PO Box 772 Boston MA 02102-0772 Allrights reserved2 LrsquoAssembleacutee des conseillers eacuteconomiques de la Maison Blanche (NdT)

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Dans la premiegravere variante il existe un point de vue reacutecurrent les politiques moneacute-taires trop rigoureuses brident lrsquoeacuteconomie Selon les critiques de droite comme de gau-che lrsquoavarice de la Reacuteserve Feacutedeacuterale prive lrsquoeacuteconomie ameacutericaine de son potentielquand sont actionneacutes preacutematureacutement les freins moneacutetaires sous preacutetexte que cetteinstitution voit des fantocircmes inflationnistes Cela provoque une stagnation consideacute-rable du systegraveme et nous pourrions prospeacuterer beaucoup plus vite pendant quelquetemps en engageant dans la production des ressources inutiliseacutees

La seconde variante au contraire met en eacutevidence un problegraveme sur la croissance agravelong terme la tendance de croissance est ou pourrait ecirctre plus rapide que lrsquoestimationconventionnelle de 2 agrave 25 Nous pourrions deacutepasser deacutefinitivement cette fausselaquo limite de vitesse raquo en adoptant une politique de reacuteglementation et de taxation ducapital plus douce Cette critique eacutemane geacuteneacuteralement de la droite ainsi par exemplependant la campagne preacutesidentielle de 1996 Bob Dole a affirmeacute que son projet eacutecono-mique qui preacutevoyait une importante baisse de lrsquoimpocirct sur le revenu ferait grimper lacroissance agrave 35 lrsquoan Son colistier Jack Kemp est alleacute encore plus loin en affirmantque cette politique ferait doubler le taux de croissance Doubler Lrsquoamener agrave 5 Deacutecideacutement nous avons vraiment lagrave un fan de Shoeless Joe Jackson

Les eacuteconomistes traditionnels prennent ces deux arguments pour des balivernes etjrsquoexplique pourquoi dans cet article Mais auparavant je souhaite affirmer sans eacutequivo-que que personne nrsquoaimerait plus que moi que ces arguments soient vrais Je souhaiteeacutegalement que les Dodgers retournent agrave Brooklyn et qursquoil nrsquoy ait plus de misegravere dans lemonde Malheureusement aucune de ces perspectives fabuleuses nrsquoest imminente

Plus vite agrave court terme

Tout drsquoabord voyons lrsquoargument reacutecurrent des taux drsquointeacuterecirct plus bas pourraientfaire grimper la croissance pendant quelque temps sans augmenter lrsquoinflation LaReacuteserve Feacutedeacuterale devrait donc assouplir sa position et donner agrave lrsquoeacuteconomie plus deliberteacute Est-ce veacuterifiable Examinons quelques faits pertinents

Le taux de chocircmage ne repreacutesente en aucun cas un indicateur parfait de la pressionglobale sur la capaciteacute de production mais crsquoest un concept qui a en tout cas le meacuteritedrsquoexister on pourrait drsquoailleurs dire la mecircme chose de lrsquoindice de capaciteacute de produc-tion de la Reacuteserve Feacutedeacuterale Donc le taux de chocircmage a chuteacute de 77 en juin 1992agrave 58 en septembre 1994 ensuite il a connu de faibles variations entre 58 et 54 jusqursquoen juin 1996 peacuteriode agrave laquelle il a encore baisseacute drsquoun cran Il srsquoest eacutetabli enmoyenne agrave 53 entre juin 1996 et mars 1997 Les chiffres correspondant agrave avril et

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mai 1997 sont descendus en dessous des 5 crsquoeacutetait les plus bas niveaux que lrsquoon aitconnus depuis 1973

Observons maintenant comment srsquoest comporteacutee lrsquoinflation pendant chacun de cestrois eacutepisodes De juin 1992 agrave aoucirct 1994 le taux de chocircmage a eacuteteacute continuellementsupeacuterieur agrave 6 puisqursquoil srsquoeacutetablissait en moyenne agrave 68 et lrsquoinflation a baisseacuteEnsuite de lrsquoeacuteteacute 1994 agrave lrsquoeacuteteacute 1996 le chocircmage a atteint la moyenne de 56 et lrsquoinfla-tion est resteacutee remarquablement stable De cette expeacuterience on a conclu que ces 56 constituaient une excellente estimation de ce que lrsquoon appelle le NAIRU (horrible acro-nyme pour laquo Non Accelerating Inflation Rate of Unemployment raquo autrement dit leniveau de chocircmage auquel lrsquoinflation nrsquoaugmente ni ne descend)

Les taux drsquoinflation et de chocircmage sur les 10 derniegraveres anneacutees

Source Bureau of Labor Statistics

Eacutetant donneacute que lrsquoinflation a baisseacute quand le chocircmage a atteint en moyenne 68 et srsquoest stabiliseacutee quand le taux de chocircmage a atteint en moyenne 56 il est tout agravefait logique de penser qursquoun chocircmage nettement infeacuterieur agrave 56 devrait faire aug-menter lrsquoinflation La derniegravere fois que nous avons connu un taux de chocircmage aussibas sur une peacuteriode prolongeacutee on eacutetait entre 1988 et 1990 Ce taux a drsquoabord plongeacuteau-dessous de 6 agrave la fin de 1987 et a continueacute agrave deacutecroicirctre jusqursquoagrave 5 enmars 1989 pour ne pas remonter agrave 6 avant novembre 1990 Pendant cette

88 93 94 95 96 9790 91 9289

2

3

4

5

6

7

8

Inflation(change in core CPIfrom one year earlier

Unemployment

Ind

ex 1

992

=100

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peacuteriode lrsquoinflation structurelle est passeacutee de 4 agrave environ 55 Il semble donc quela theacuteorie se justifie

Lrsquoexpeacuterience tregraves reacutecente a cependant eacuteteacute plus favorable que le passeacute le laissait enten-dre et nombreux sont ceux qui lrsquoont fait remarquer Notamment lrsquoinflation a baisseacutealors que le taux de chocircmage eacutetait descendu agrave moins de 54 Mais cette peacuteriode a dureacutemoins drsquoun an ce qui est bien trop court pour tirer des conclusions eacutetant donneacute le tempsde reacuteponse (long) de lrsquoinflation en regard de marcheacutes tendus Par exemple on peut esti-mer grossiegraverement que si le NAIRU est de 56 une anneacutee agrave 52 de chocircmage devraitfaire augmenter le taux drsquoinflation de 02 Une telle augmentation est bien tropminuscule pour ecirctre deacutetecteacutee dans les donneacutees Surtout lorsqursquoexactement au mecircmemoment des ameacuteliorations dans lrsquoindice des prix agrave la consommation reacuteduisent lrsquoinfla-tion mesureacutee Certes lrsquoexpeacuterience reacutecente offre reacuteellement quelque espoir que le NAIRU

soit agrave 55 Mais il serait preacutematureacute de tirer une conclusion agrave ce stade

Pour finir demandons-nous ce que faisait la parcimonieuse Reacuteserve Feacutedeacuterale pendantce tempshellip Au cours drsquoune peacuteriode de pregraves de 2 ans ougrave le chocircmage eacutetait agrave 56 (chiffreque la plupart des observateurs en 1994 pensaient infeacuterieur agrave celui du NAIRU) la ReacuteserveFeacutedeacuterale a drsquoabord du jour au lendemain releveacute son taux drsquointeacuterecirct de 125 (ennovembre 1994 et en feacutevrier 1995) pour ralentir lrsquoeacuteconomie ensuite elle lrsquoa rabaisseacutede 075 (en juillet 1995 deacutecembre 1995 et janvier 1996) pour donner un petit coup defouet agrave lrsquoeacuteconomie Apregraves cela jusqursquoen mars 1997 elle nrsquoest pas intervenue alors que letaux de chocircmage non seulement restait bas mais de surcroicirct deacuterivait agrave la baisse Selon moiune telle attitude nrsquoest pas digne drsquoun Harpagon la Reacuteserve Feacutedeacuterale devait plutocirct cher-cher agrave deacutecouvrir avec prudence (peut-ecirctre par hasard) agrave quel niveau pouvait ecirctre le NAIRU

La Reacuteserve Feacutedeacuterale maintenait-elle vraiment la croissance en dessous de son potentiel Rappelons-nous que la croissance tendancielle se deacutefinit comme le taux de croissance quisuffit agrave absorber lrsquoaugmentation annuelle de la main-drsquoœuvre et qui ne fait ni monter ni des-cendre le taux de chocircmage Observons maintenant les chiffres Entre le 1er trimestre 1994et le 1er trimestre 1997 le taux annuel de croissance du PNB a atteint en moyenne 26 Pendant ces deux ans et demi le taux de chocircmage a chuteacute drsquoenviron 07 ce qui signifieque les 26 de croissance sont leacutegegraverement au-dessus de la tendance

Affirmer que nous aurions pu progresser plus vite sans une inflation plus forterevient agrave dire que le chocircmage aurait pu chuter beaucoup plus qursquoil ne lrsquoa fait sans pourautant entraicircner une augmentation de lrsquoinflation Regardons agrave nouveau les chiffres Sila croissance avait atteint en moyenne les 35 au lieu des 26 le taux de chocircmageserait maintenant infeacuterieur agrave 4 niveau que lrsquoon a connu pour la derniegravere fois lors dela guerre du Vietnam Aucun observateur seacuterieux du marcheacute du travail ameacutericain necroit que nous avons ce niveau de main-drsquoœuvre inutiliseacutee En fait les teacutemoignages dupays entier abondent qui confirment lrsquoopinion geacuteneacuteralement admise que le marcheacutedu travail est maintenant tregraves tendu

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Le taux de chocircmage reacuteel

Extrait de Lester Thurow The Crusade Thats Killing ProsperityThe American Prospect ndeg25 March-April 1996

httpwwwprospectorgarchives2525thurhtml

Agrave lrsquoautomne 1995 le taux officiel de chocircmage aux Eacutetats-Unis stagnait aux environsde 57 Mais de la mecircme faccedilon que crsquoest la partie immergeacutee de lrsquoiceberg qui est laplus importante ces statistiques ne repreacutesentaient en fait qursquoun faible pourcentage dunombre de travailleurs cherchant davantage de travail

Agrave cette eacutepoque entre 75 et 8 millions drsquoAmeacutericains eacutetaient officiellement recenseacutescomme chocircmeurs Si on y ajoute drsquoune part les 5 agrave 6 millions de personnes qui ne tra-vaillent pas mais qui ne reacutepondent agrave aucun des tests pour ecirctre compteacutees parmi les actifssans emploi et ne sont donc pas consideacutereacutees comme chocircmeurs et drsquoautres part les45 millions de travailleurs agrave temps partiel qui souhaiteraient un emploi agrave plein tempson arrive agrave un total de 17 agrave 185 millions de personnes qui cherchent agrave travaillerdavantage Tout ceci porte le taux de chocircmage reacuteel agrave pregraves de 14

La faiblesse de la croissance a eacutegalement geacuteneacutereacute un eacutenorme contingent de main-drsquoœuvre sous-employeacutee On compte aux Eacutetats-Unis 81 millions de travailleurs tem-poraires 2 millions de personnes qui travaillent laquo sur demande raquo et 83 millions detravailleurs indeacutependants (dont un grand nombre de licencieacutes eacuteconomiques qui onttregraves peu de clients mais srsquointitulent eux-mecircmes consultants parce qursquoils sont trop fierspour admettre qursquoils sont au chocircmage) En additionnant les effectifs de ces trois popu-lations on aboutit agrave un total de plus de 18 millions de personnes la majoriteacute drsquoentreelles souhaitent elles aussi plus de travail et de meilleurs emplois Tous ces travailleurscontingents repreacutesentent eux aussi 14 de la population active Selon les termes dumagazine Fortune laquo La pression agrave la hausse sur les salaires est nulle car un tregraves grandnombre des personnes employeacutees font partie de ces travailleurs laquo contingents raquo quine disposent pas de pouvoir de neacutegociation face agrave un employeur et les employeacutes sala-rieacutes reacutealisent qursquoils doivent nager dans le mecircme oceacutean darwinien raquoTout comme leschocircmeurs ces travailleurs contingents exercent des pressions agrave la baisse sur les salaires

En outre il manque 58 millions drsquohommes ayant entre 25 et 60 ans soit 4 autres pour-cent de la population active qui figurent dans les recensements mais non dans les sta-tistiques du travail Ils ne beacuteneacuteficient pas de moyens de subsistance repeacuterables ce sontdes personnes qui sont en acircge de travailler ont eu un emploi autrefois ne sont pas enformation et sont encore trop jeunes pour ecirctre retraiteacutes On ne les voit ni dans les statis-tiques de lrsquoemploi ni dans celles du chocircmage Il srsquoagit drsquohommes qui volontairement ouagrave leur corps deacutefendant ont deacutecrocheacute du circuit normal certains sont devenus sansdomicile fixe les autres ont disparu dans lrsquoilleacutegaliteacute de lrsquoeacuteconomie souterraine

Si lrsquoon additionne ces trois groupes on arrive agrave la conclusion qursquoun Ameacutericain sur troisen acircge drsquoecirctre actif est potentiellement en train de rechercher du travail Ajoutez-y les11 millions drsquoimmigrants (leacutegaux ou illeacutegaux) qui sont entreacutes aux Eacutetats-Unis

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entre 1980 et 1993 et qui souhaitent travailler davantage et mieux gagner leur vie on arrive agrave un oceacutean de personnes qui sont soit au chocircmage soit sous-employeacutees soitnouvellement arriveacutees sur le territoire et agrave la recherche de travail

Ces millions de personnes agrave la recherche drsquoun emploi conduisent agrave mieux replacer agravelrsquoeacutechelle humaine la reacutesultante que chacun comprend aiseacutement agrave 5 heures du soir uneentreprise de taille moyenne speacutecialiseacutee dans la pacircte de verre annonce 10 postes agrave pour-voir sur son tableau drsquoaffichage le lendemain matin agrave 5 heures 2 000 postulantsforment deacutejagrave une file drsquoattente pour ces 10 postes

En somme il est fort peu probable que notre eacuteconomie ait beaucoup de champ avantdrsquoatteindre sa capaciteacute de plein emploi Il est plus probable en fait que nous avons deacutejagraveatteint ce point Les eacuteconomistes en sont-ils certains agrave 100 Bien sucircr que non il nesrsquoagit pas de physique ou drsquoune autre science exacte Mais si vous avez lrsquointention deparier le contraire vous risquez gros

La perspective agrave long terme

Venons-en maintenant au problegraveme le plus important les estimations sur la ten-dance de croissance de lrsquoeacuteconomie agrave long terme Pour commencer avec une estimationlaquo du haut vers le bas raquo rappelons que le chocircmage a chuteacute alors que la croissance du PNBatteignait environ 26 Cela signifie que la tendance doit ecirctre infeacuterieure agrave 26 paran Et de combien La faccedilon la plus simple drsquoestimer la tendance est de calculer la crois-sance reacuteelle du PNB agrave un intervalle de 2 ans avec un taux de chocircmage constant onpourrait drsquoailleurs tout aussi bien utiliser des trimestres mais le recours agrave des anneacuteesplutocirct qursquoagrave des trimestres permet de lisser les anomalies au niveau des donneacuteesLrsquoexemple le plus reacutecent drsquoun tel contexte est la peacuteriode de 1990 agrave 1995 Pendant ces5 anneacutees la croissance reacuteelle a atteint une moyenne de 19 par an

Un calcul inverse (laquo du bas vers le haut raquo) donne une estimation similaire Selon leslois de lrsquoarithmeacutetique le taux de croissance tendancielle de la production srsquoobtient enadditionnant le taux de croissance de la main-drsquoœuvre et celui de la productiviteacute de lamain-drsquoœuvre crsquoest-agrave-dire la production par heure travailleacutee Les estimations habi-tuelles situent chacun de ces chiffres autour de 11 par an Donc la croissance ten-dancielle est estimeacutee agrave 22 agrave 1 ou 2 dixiegravemes pregraves

Ougrave donc est lrsquoerreur Il ne peut guegravere y avoir matiegravere agrave discussion sur le taux de crois-sance tendancielle de la main-drsquoœuvre puisqursquoil est connu avec une tregraves faible margedrsquoerreur Notons au passage que la main-drsquoœuvre a augmenteacute drsquoenviron 17 lrsquoan

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dans les anneacutees 1980 et de 27 dans les anneacutees 1970 crsquoest lrsquoune des raisons pour les-quelles nous ne pouvons plus progresser aussi rapidement que nous le faisions alors etpar exemple des pheacutenomegravenes comme lrsquoeacutenorme augmentation de la main-drsquoœuvrefeacuteminine ne peuvent se reproduire

Le litige entre 22 et 35 de croissance potentielle ne provient donc pas de lamain-drsquoœuvre Son origine doit donc neacutecessairement se situer au niveau de lrsquoaugmenta-tion de la productiviteacute et crsquoest le cas La preuve de cette opinion geacuteneacuterale est soigneuse-ment reacutesumeacutee dans le graphique ci-dessous qui est adapteacute du Rapport eacuteconomique duPreacutesident de 1997 Il y est deacutemontreacute que la production horaire dans le secteur industrielameacutericain a progresseacute beaucoup plus lentement apregraves 1973 qursquoavant seulement 11 par an pendant 23 ans Un preacutevisionniste prudent aurait extrapoleacute cette tendance etnrsquoaurait pas supposeacute qursquoune brusque recrudescence de la productiviteacute eacutetait imminente

Le ralentissement de lrsquoaugmentation de productiviteacute

La production par heure travailleacutee dans le secteur industriel ameacutericain

1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995

40

60

80

120

100

Actual

Trend

Trend = 11 (annual rate)

Trend = 29 (annual rate)

Per

cen

t

January 1998 - April 1997 (Monthly) Source Department of Labour

Output per hour

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Lagrave les optimistes de la croissance se legravevent pour protester laquo Dites attendez uneminute avec tous les miracles technologiques dans lrsquoinformatique et les teacuteleacutecommu-nications et avec toute la restructuration industrielle comment pouvez-vous espeacuterernous faire admettre que la croissance de la productiviteacute aux Eacutetats-Unis est seulementde 11 par an Les chiffres doivent ecirctre faux raquo Jrsquoaimerais reacutepondre agrave cette objectionagrave 2 niveaux car drsquoune certaine faccedilon je suis agrave certains eacutegards en accord avec elle et endeacutesaccord agrave certains autres eacutegards

Le deacutesaccord lrsquoemporte quand mecircme Supposons que notre taux de croissance de la pro-ductiviteacute en cours de mesure officielle soit reacuteellement beaucoup plus eacuteleveacute que 11 Pourecirctre concrets utilisons par exemple lrsquoestimation Dole-Kemp de 24 Dans ce cas la crois-sance du PNB de 19 par an entre 1990 et 1995 aurait ducirc ecirctre obtenue avec moins de tra-vail puisque la production agrave lrsquoheure a augmenteacute plus rapidement En fait le nombredrsquoemplois salarieacutes a augmenteacute de presque 8 millions Crsquoest donc eacutevidemment faux Onpeut arriver agrave cette mecircme conclusion drsquoune autre faccedilon si la croissance reacuteelle de ces5 anneacutees se trouvait amputeacutee de 16 de croissance par an (19 au lieu de 35 ) le taux dechocircmage aurait ducirc croicirctre drsquoenviron 4 points sur cette peacuteriode En fait il est resteacute inchangeacute

Mais il y a une raison pour laquelle les optimistes de la croissance peuvent avoirraison il se peut que les donneacutees officielles sous-estiment la croissance de la produc-tiviteacute Les statistiques gouvernementales veulent nous faire croire que ce que les eacuteco-nomistes appellent laquo la productiviteacute totale des facteurs raquo (la variation positive de laproduction deacutecoulant de lrsquoefficaciteacute du travail des technologies et de lrsquoorganisationsans qursquoil soit besoin de facteurs de production additionnels) nrsquoa absolument pas aug-menteacute depuis 1977 Or cette proposition est absolument impensable

Les lecteurs de The American Prospect ont connaissance du reacutecent deacutebat sur la preacuteten-due distorsion de lrsquoindice des prix agrave la consommation Les arguments selon lesquels cetindice sur-eacutevalue lrsquoinflation sont irreacutefutables mecircme si lrsquoampleur de la distorsion estfortement contesteacutee En revanche moins nombreux sont ceux qui semblent avoirremarqueacute que nrsquoimporte quelle distorsion agrave la hausse dans la mesure de lrsquoinflationimplique une distorsion correspondante dans la mesure de la croissance reacuteelle Eteacutetant donneacute que la contribution de la main-drsquoœuvre est quantifieacutee assez preacuteciseacutementlrsquoerreur drsquoeacutevaluation porte au niveau de la productiviteacute Par exemple si lrsquoinflation estsurestimeacutee de 1 par an la croissance reacuteelle peut en fait ecirctre de 1 au-dessus des sta-tistiques officielles crsquoest-agrave-dire 3 au lieu de 2

Dans ce cas cependant ils ont encore tort ces optimistes de la croissance qui srsquoinsur-gent contre la Reacuteserve Feacutedeacuterale agrave qui ils reprochent drsquoavoir freineacute lrsquoeacuteconomie Les cri-tiques se trompent sur 2 points

Premiegraverement les erreurs drsquoeacutevaluation de la productiviteacute affectent les donneacutees duPNB au niveau reacuteel aussi bien que potentiel Donc elles nrsquoimpliquent en aucun cas que

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lrsquoeacuteconomie a plus de capaciteacute de reacuteserve que nous le pensons Le problegraveme nrsquoest pasque nous devrions croicirctre plus vite que nous ne le faisons mais crsquoest plutocirct que nouscroissons plus rapidement que ne le montrent les donneacutees

Eacutevidemment ceux qui preacutetendent que lrsquoeacuteconomie ameacutericaine a reacutecemment connuune pousseacutee de croissance de la productiviteacute doivent expliquer pourquoi lrsquoerreur demesure srsquoest aggraveacutee durant les deux derniegraveres anneacutees car les statistiques officiellesnrsquoindiquent pas une telle pousseacutee Personne nrsquoa encore proposeacute une explication agrave cela

Pourquoi existe-t-il un deacutesaccord

Les preuves que je viens de preacutesenter nrsquoont rien de secret elles sont agrave la dispositionde quiconque srsquoy inteacuteresse Pourquoi alors des gens intelligents raisonnent-ils autre-ment de Bob Dole et Jack Kemp agrave droite et agrave Lester Thurow et Feacutelix Rohatyn agrave gaucheen passant par Jerry Jasinowski au centre Jrsquoai trouveacute 6 raisons dont 3 sont lieacutees agrave desproblegravemes drsquoeacutevaluation

Tout drsquoabord comme nous venons de le noter la surestimation potentielle de lrsquoinfla-tion signifie que la croissance reacuteelle a probablement eacuteteacute sous-estimeacutee notre croissanceaurait peut-ecirctre bien eacuteteacute de 3 pendant les anneacutees 1990

Deuxiegravemement le gouvernement a modifieacute son systegraveme drsquoeacutevaluation au deacutebut de 1996en adoptant ce que les Verts appellent le PNB laquo chaicircneacute raquo Jusqursquoagrave la fin 1995 le gouverne-ment calculait le PNB reacuteel en valorisant tous les biens et services agrave des prix de 1987 ce quia fortement sureacutevalueacute certains eacuteleacutements les ordinateurs par exemple Le PNB laquo chaicircneacute raquoutilise des prix de marcheacute plus reacutecents et donc le poids des ordinateurs y est moins impor-tant Ceci produit naturellement une croissance mesureacutee moins rapide mecircme srsquoil nrsquoy apas de changement dans lrsquoeacuteconomie reacuteelle Le nouveau systegraveme drsquoeacutevaluation a probable-ment reacuteduit le taux de croissance de 1996 drsquoenviron trois quarts de point

Troisiegravemement notre systegraveme archaiumlque de statistiques accorde beaucoup tropdrsquoimportance aux industries de transformation alors que ce secteur ne repreacutesenteque 20 du PNB La performance en productiviteacute dans le domaine de la production indus-trielle a certes eacuteteacute excellente ces derniegraveres anneacutees et il nrsquoy a rien agrave redire lagrave Le problegraveme sesitue au niveau des 80 restants de lrsquoeacuteconomie qui occupent la plupart drsquoentre nous

Quatriegravemement la tendance agrave tout rendre public megravene droit agrave ce que jrsquoappelle laquo latyrannie de lrsquoanecdote seacutelective raquo La presse eacuteconomique comme les entreprises elles-mecircmes ont tendance agrave claironner les succegraves et passer sous silence les eacutechecs Quand desresponsables drsquoentreprises particuliegraverement florissantes me disent qursquoils ont obtenu desbeacuteneacutefices fabuleux je les crois Mais lrsquoeacuteconomie ameacutericaine reacuteelle ne fait en aucun cas laUne de Business Week Certaines entreprises reacuteduisent les effectifs et font faillitedrsquoautres srsquoautomatisent et obtiennent des reacutesultats catastrophiques Crsquoest la raison pourlaquelle nous avons besoin drsquoinformations agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoeacuteconomie dans son ensemble

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Cinquiegravemement on a tendance agrave oublier les problegravemes de reconversion qui vont depair avec des reacuteductions drsquoeffectifs Quand une grande entreprise se restructure pourproduire le mecircme reacutesultat avec beaucoup moins de main-drsquoœuvre sa productiviteacute aug-mente consideacuterablement Mais les employeacutes remplaceacutes doivent chercher du travailailleurs srsquoils trouvent un emploi dans une entreprise dont la valeur ajouteacutee paremployeacute est infeacuterieure la productiviteacute agrave lrsquoeacutechelle globale peut tregraves bien ne pas augmen-ter beaucoup en deacutepit des preacutetendus miracles qui lui sont attribueacutes

Pour terminer jrsquoen viens agrave ce qui est sans doute le plus mysteacuterieux et qui peut-ecirctreexplique la reacuteaction laquo Say it ainrsquot so Joe raquo les progregraves en informatique et dans les tech-niques de lrsquoinformation en geacuteneacuteral Comme lrsquoa eacutenonceacute Robert Solow laquo Lrsquoegravere de lrsquoinfor-matique se constate partout sauf dans les statistiques de productiviteacute raquo Pourquoi

Le rythme auquel lrsquoeacutelectronique a avanceacute est tout agrave fait eacutepoustouflant et les entre-prises communiquent maintenant agrave la vitesse de lrsquoeacuteclair Certaines servent leurs clientsau moyen de systegravemes automatiseacutes les distributeurs automatiques de billets le cour-rier vocal ou les ventes par Internet en constituent des exemples courants substituantles machines agrave lrsquohomme

Lrsquoinformatisation a eacutegalement reacutevolutionneacute certaines usines ainsi que la gestion destocks de nombreuses entreprises et ainsi de suite Tout cela est absolument incontestable

Mais ce nouveau monde informatiseacute est-il beaucoup plus laquo productif raquo dans le sensrestreint de la laquo production drsquoun PNB plus important par heure de travail raquo Les statis-tiques officielles disent que non En fait le moment de ralentissement dont on parle(graphique 2) correspond approximativement agrave lrsquoinvention de lrsquoordinateur person-nel De plus quand on examine les donneacutees secteur par secteur certaines des pires per-formances en productiviteacute se situent lagrave ougrave on aurait pu srsquoattendre agrave ce que lesinnovations dans les technologies de lrsquoinformation produisent les meilleurs dividen-des Que se passe-t-il donc

Personne nrsquoa de certitude mais mon approche est la suivante il ne faut pas se laisserprendre par le battage meacutediatique Bien sucircr que je peux maintenant surfer sur le Netenvoyer un e-mail en quelques secondes et avoir plus de puissance informatique surmon bureau que jamais auparavant Mais est-ce que cela mrsquoa fait produire plus de PNBpar heure de travail Nrsquooublions pas qursquoun changement perpeacutetuel de mateacuteriel et delogiciel nous maintient dans un processus drsquoapprentissage constant que les gens pas-sent des heures innombrables a explorer stupidement Internet et agrave jouer sur leur ordi-nateur et que la plupart drsquoentre nous souffrent drsquoun excegraves drsquoinformations plutocirct quedrsquoune peacutenurie Et puis aussi et crsquoest le plus important on peut se demander si le cer-veau humain nrsquoa pas avanceacute agrave un rythme diffeacuterent de celui du microprocesseur

Peut-ecirctre une productiviteacute miracle baseacutee sur lrsquoordinateur nous guette-t-elle au coinde la rue Peut-ecirctre mais si crsquoest le cas il srsquoagit de la rue drsquoagrave cocircteacute pas de celle-ci

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Ce que peut faire une politique intelligente

Une derniegravere remarque Jrsquoai eacutecrit cet article dans lrsquointention drsquoexaminer la reacutealiteacutenon de susciter le deacutesespoir Qursquoelle soit de 21 de 23 ou de 25 notre tendance decroissance eacuteconomique agrave long terme nrsquoest pas de nature constante La croissance peutse deacutevelopper gracircce agrave une politique eacuteconomique intelligente aussi bien que subir lesdommages occasionneacutes par une politique imbeacutecile

Ainsi par exemple la reacuteduction du deacuteficit budgeacutetaire gouvernemental devrait avoirpour moteur non un hommage agrave nos ancecirctres puritains mais la stimulation de la forma-tion du capital et ainsi lrsquoacceacuteleacuteration de la croissance eacuteconomique De la mecircme faccediloncela fait longtemps que je reacuteclame des investissements plus importants dans les domainesde lrsquoeacuteducation et de la formation car ils favorisent la croissance Et lrsquoargument le plus eacuteleacute-mentaire en faveur du deacuteveloppement et de la recherche subventionneacutes par le gouverne-ment crsquoest que la R amp D est le maillon essentiel de la croissance de la productiviteacute totaledes facteurs Mecircme des impocircts bien conccedilus ou des politiques commerciale ou de reacutegula-tion ne peuvent apporter qursquoune contribution modeste et passagegravere agrave la croissance

Nombreuses sont ces politiques qui meacuteriteraient drsquoecirctre meneacutees Une combinaisonbien choisie pourrait ajouter un quart ou mecircme une moitieacute de point au taux de crois-sance eacuteconomique pour un temps ce qui serait certainement une superbe prouesseMais il y va de la croissance eacuteconomique comme de tout autre domaine on doit semeacutefier des moulins agrave paroles qui promettent des remegravedes miracles Rien je le reacutepegravete rienque les eacuteconomistes ne connaissent sur la croissance ne donnera la recette du point depourcentage suppleacutementaire au taux de croissance national sur une base durable Mecircmesi nous voulions qursquoil en soit autrement il faut bien dire laquo qursquocrsquoest pas vrai raquo

Le NAIRU en Europe et en France

Extrait de laquo Croissance inflation et emploi dans la zone euro Reacuteflexions sur le sentier de croissance europeacuteenne agrave moyen terme raquo

par Ch de Boissieu et MC Marchesi Centre dObservation Economique(COE de la Chambre de Commerce et dIndustrie de Paris)

Contribution au XIVe colloque de reacuteflexion eacuteconomique du Seacutenatlaquo Quelles perspectives de croissance dans la zone euro raquo le 16 juin 1999

httpwwwsenatfrrapr98-466r98-4665html

Notre hypothegravese le reacutegime de basse inflation va se prolonger

Linflation nest pas uniforme dans la zone euro et les situations asymeacutetriques du cocircteacutede la croissance et de linflation ne vont pas disparaicirctre du jour au lendemain Agrave sen

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tenir aux pays du noyau dur le taux dinflation devrait agrave lhorizon des trois-quatreprochaines anneacutees demeurer modique (en rythme annuel compris entre 0 et 2 plus probablement entre 0 et 15 ) Cette hypothegravese ne tient pas compte du deacutebatpar ailleurs justifieacute sur la bonne mesure de linflation mais les premiers travaux effec-tueacutes par lINSEE sur ce sujet suggegraverent quen France la correction agrave apporter serait delordre de 03-04 en rythme annuel (en moins) contre 1 agrave 2 aux Eacutetats-UnisNotre vue prospective reacutesulte elle-mecircme de la conjugaison de plusieurs eacuteleacutements

a) La remonteacutee reacutecente des prix du peacutetrole et de quelques autres matiegraveres premiegraveresne peut ecirctre extrapoleacutee Fondamentalement et malgreacute une deacutemonstration inverse detemps agrave autre lOPEP est et va rester un cartel faible traverseacute par des dissensions sansoublier le poids des producteurs agrave lexteacuterieur du cartel Par delagrave dineacutevitables fluctua-tions agrave court terme les prix du peacutetrole et des grandes matiegraveres premiegraveres vont ecirctre plusinfluenceacutes par le sentier deacutevolution de la demande donc par la croissance agrave moyenterme de leacuteconomie mondiale que par lincertaine organisation de loffre

b) Le chocircmage va rester eacuteleveacute dans la zone euro speacutecialement dans certains pays dunoyau dur (France Allemagne) Raisonnons pour la France avec un NAIRU de8 agrave 9 (donc proche de sa valeur actuelle une estimation leacutegegraverement infeacuterieure agravecelle habituellement retenue par exemple celle du FMI comprise entre 9 et 10 ) Enpartant dun taux de chocircmage effectif de 11 (pour simplifier) il faudrait avec unecroissance annuelle de 3 de cinq agrave huit anneacutees pour retomber au NAIRU Et le tauxde chocircmage naturel lui-mecircme devrait progressivement sabaisser en Europe commeil la fait aux Eacutetats-Unis sous leffet de la croissance des nouvelles technologies delessor des services etc Conclusion il existe encore en Europe continentale unemarge significative avant que la courbe de Phillips joue agrave plein et que la reacuteduction duchocircmage ne provoque des tensions sur les coucircts salariaux unitaires et sur les prix

c) Mecircme si la nouvelle eacuteconomie ameacutericaine comporte des speacutecificiteacutes eacutevidentescertaines de ses composantes vont concerner lEurope pour les dix prochaines anneacuteesOn pense bien sucircr aux effets deacutejagrave preacutesents de la concurrence et de la globalisation surla formation des prix (ougrave sont aujourdhui en France les secteurs abriteacutes de la concur-rence internationale et speacutecialement de la concurrence europeacuteenne Mecircme si les ser-vices publics les plus traditionnels sont deacutesormais exposeacutes) mais aussi aux nouvellestechnologies aux gains de productiviteacute agrave en attendre et donc au sentier deacutevolutiondes coucircts salariaux unitaires Pour les nouvelles technologies le pheacutenomegravene de rat-trapage devrait jouer agrave tous les niveaux la France va combler une partie de son retardvis-agrave-vis des Eacutetats-Unis et lAllemagne va elle-mecircme dans les anneacutees qui viennent rat-traper la France se creacuteant ainsi de nouvelles marges de croissance et de productiviteacuteAvec des taux de chocircmage qui mecircme en baisse vont rester agrave lhorizon des cinq pro-chaines anneacutees au dessus du NAIRU et des reacuteserves de nouvelles technologies quiengendrent des reacuteserves de gains de productiviteacute on voit mal dougrave pourrait venir agravelhorizon de lanalyse linflation salariale

Chapitre 4

Le paradoxe boursier

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Ougrave se fondent les anticipations

Extrait de Alan Greenspan laquoThe American economy in a world contextraquoThe Federal Reserve Board Remarks by Chairman Alan Greenspan

At the 35th Annual Conference on Bank Structure and Competition of theFederal Reserve Bank of Chicago Chicago Illinois May 6 1999

httpwwwbogfrbfedusboarddocsspeeches199919990506htm

Agrave partir de 1993 lrsquoinvestissement en capital et tout particuliegraverement en haute tech-nologie a augmenteacute tregraves nettement au-dessus de ce que lrsquoon connaissait dans le con-texte habituel des cycles eacuteconomiques sans doute ce pheacutenomegravene a-t-il traduitcomme toujours une anticipation de rendements accrus Si ces espoirs de profit nesrsquoeacutetaient pas mateacuterialiseacutes on aurait ducirc assister agrave une chute des deacutepenses or lrsquoaugmen-tation de leur rythme srsquoest maintenue pendant toute la deacutecennie

On trouve dans les donneacutees des entreprises une preuve plus directe et de plus en pluseacutevidente de cette profitabiliteacute sous-jacente Il semble vraisemblable que les synergiesentre elles des avanceacutees technologiques dans les domaines du laser des fibres opti-ques des satellites et de lrsquoinformatique mais aussi les synergies de ces technologiesavec drsquoautres plus anciennes aient eacutelargi le champ des opportuniteacutes et deacuteboucheacute surun taux de rendement supeacuterieur au coucirct du capital La pousseacutee dans lrsquoexploitation deces taux de rendement potentiels laquo excessifs raquo srsquoest trouveacutee stimuleacutee par lrsquoacceacuteleacuterationde la baisse des prix des eacutequipements de haute technologie amorceacutee en 1995 Lrsquoallo-cation de capaciteacute de production investie dans des domaines restreints de la techno-logie a entraicircneacute une importante baisse suppleacutementaire des prix Le rythme soutenudes innovations a encourageacute un raccourcissement du cycle de vie des produits et con-tribueacute aussi agrave entraicircner vers le bas le prix des eacutequipements de haute technologie

Rares sont ceux qui dans les affaires font eacutetat drsquoune diminution significative du poten-tiel de ces synergies qui sont encore agrave la fois profitables et inexploiteacutees Au cours de cesderniegraveres anneacutees le monde des affaires srsquoest souvent deacuteclareacute capable drsquoexploiter cepotentiel pour financer des investissements substitutifs des coucircts de main-drsquoœuvre silrsquoaugmentation de ceux-ci agrave court terme devait devenir trop sensible

Ce point de vue est partageacute par des analystes boursiers dont on peut supposer qursquoilsconnaissent bien les entreprises qursquoils suivent Cette veacuteritable armeacutee de techniciensprojette des croissances de gains agrave cinq ans qui sont de plus en plus eacuteleveacutes enmoyenne et ce agrave en croire IBES socieacuteteacute drsquoeacutetude de Wall Street qui consolide ces esti-mations pour le S amp P 500 depuis le deacutebut de lrsquoanneacutee 1995 En janvier 1995 les ana-lystes projetaient que les gains sur cinq ans augmenteraient en moyenne de 11 paran Apregraves plusieurs reacutevisions agrave la hausse ils ont estimeacute en mars 1999 lrsquoaugmentationagrave 135 par an (en profit pondeacutereacute) ce qui repreacutesente un veacuteritable apogeacutee pour cette

Cahiers LASER ndeg3

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phase drsquoexpansion Mecircme srsquoil existe un certain nombre de donneacutees permettant deconclure que ces estimations sont biaiseacutees agrave la hausse on ne dispose pas de preuvessuffisantes pour contredire la tendance

On a peu matiegravere agrave douter que les constantes reacutevisions agrave la hausse des analystes reflegrave-tent ce que leur transmettent les entreprises pour ce qui est de lrsquoameacutelioration du con-trocircle de leurs coucircts qui consideacutereacutes sur la base consolideacutee de lrsquoeacuteconomie du paysajoute agrave lrsquoacceacuteleacuteration de la productiviteacute du travail Les autres explications mdash une crois-sance plus rapide des gains sur les opeacuterations agrave lrsquoeacutetranger lrsquoacceacuteleacuteration du taux drsquoaug-mentation des valeurs ajouteacutees pour les prix consentis ou encore lrsquoargument plusmacroeacuteconomique drsquoune augmentation toujours plus forte de la main-drsquoœuvre dis-ponible mdash ne sont pas creacutedibles Apparemment donc les entreprises signalent auxanalystes que agrave ce jour elle nrsquoanticipent pas de diminution quant agrave lrsquoacceacuteleacuteration dela productiviteacute Cela ne veut pas dire pour autant que les analystes ont raison ou queles entreprises ne se trompent pas cela signifie simplement que ce que les entreprisesdisent agrave lrsquoeacutevidence aux analystes quant agrave leur productiviteacute et agrave leurs profits se reflegravetesans doute aucun dans les projections de profits agrave long terme En tout eacutetat de causeles donneacutees macro-eacuteconomiques disponibles aujourdrsquohui ne montrent pas de preuvesdrsquoun ralentissement de la croissance de la productiviteacute

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Est-ce une bulle

Edward YARDENI1

Feacutevrier 2000

Valeurs de lrsquoancienne ou de la Nouvelle eacuteconomie Le marcheacute boursier connaicirct-ilactuellement une bulle speacuteculative Les tenants optimistes de la Nouvelle eacuteconomie(les laquo bulls raquo) reacutepondent agrave cette question par un laquo non raquo cateacutegorique Les partisans desmeacutethodes traditionnelles de valorisation (les laquo bears raquo) font entendre un grand laquo oui raquotout aussi cateacutegorique Pour lrsquoinstant ce sont les premiers qui ont raison Les gagnantsde la Nouvelle eacuteconomie sont les entreprises des secteurs de la technologie des teacuteleacute-communications des meacutedias et des loisirs Ensemble ces diffeacuterents secteurs repreacutesen-tent maintenant 43 mdash niveau stupeacutefiant mdash de la capitalisation boursiegravere duSampP 500 soit le double de la faible capitalisation de 21 atteinte en 1997(Graphique 1 )

Prenons lrsquohypothegravese la plus extrecircme et supposons que les investisseurs (et mecircmeoui les speacuteculateurs) forts de leur sagesse commune eacutevaluent correctement les titresde la Nouvelle eacuteconomie Il est toujours hasardeux de deacuteclarer que laquo cette fois-ci crsquoestdiffeacuterent raquo Lrsquohistoire a tendance agrave se reacutepeacuteter mais avec cependant toujours de leacutegegraveresvariations La nature humaine nrsquoa guegravere ou pas du tout changeacute depuis Adam et Egraveve Etpourtant peut-ecirctre la bulle qui semble caracteacuteriser les actions de la Nouvelle eacuteconomieest-elle diffeacuterente des bulles preacuteceacutedentes

Tulipes ou laquo com raquo Par le passeacute la plupart des bulles speacuteculatives sont apparueslorsque de nombreux acheteurs disposant drsquoargent agrave bon marcheacute se preacutecipitaient surce qui semblait ecirctre une offre restreinte de marchandises tulipes or ou peacutetrole brutLa speacuteculation nrsquoavait alors pour seul effet que de faire augmenter les prix ce qui sti-mulait en retour la production et entraicircnait finalement une baisse des prix de la mar-chandise rechercheacutee perccedilant ainsi la bulle Aux Eacutetats-Unis la speacuteculation sur lesobligations des chemins de fer a malgreacute tout permis de financer la grande reacutevolution

1EDWARD YARDENI est Chief Economist responsable de la strateacutegie mondiale drsquoinvestissement et direc-teur de Deutsche Bank Securities Il est lrsquoauteur de nombreux articles publieacutes entre autres dans le WallStreet Journal le New York Times et la revue Barronrsquos Ce texte en franccedilais reproduit avec lrsquoaimable auto-risation de lrsquoauteur a eacuteteacute publieacute sur le site Dr Ed Yardenirsquos Economics Network httpwwwyar-denicomfrenchaa000214Frepdf Copyright copy 2000 Deutsche Bank Securities and Alex Brown Inc

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qursquoont connue les transports au deacutebut du vingtiegraveme siegravecle Mais des capitaux excessifsentraicircnegraverent des capaciteacutes excessives qui firent eacuteclater la bulle

Lrsquoun des plus grands strategraveges de Wall Street a dit que les actions ne sont finalementque de simples feuilles de papier correspondant chacune agrave une histoire preacutecise Lors-que tout le monde srsquoenthousiasme au mecircme moment pour des titres racontant lamecircme histoire lrsquoaction correspondante et ses nouveaux concurrents attirent des som-mes drsquoargent trop importantes jusqursquoagrave ce que les reacutesultats financiers deacutecevants ramegrave-nent tout le monde agrave la reacutealiteacute Bien sucircr les marcheacutes boursiers ont deacutejagrave connu des bullesspeacuteculatives particuliegraverement en 1929 (Eacutetats-Unis) et en 1989 (Japon) Historique-ment ces bulles se sont en geacuteneacuteral mal termineacutees leur eacuteclatement a souvent eu de gra-ves conseacutequences eacuteconomiques

Agrave lrsquoheure actuelle la valorisation des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes technologiques donnele vertige Le tableau 1 preacutesente les coefficients de capitalisation des reacutesultats (PER)des 100 socieacuteteacutes agrave plus forte capitalisation coteacutees sur le NASDAQ Sur la base des beacuteneacute-fices preacutevisionnels du consensus drsquoanalystes pour lrsquoanneacutee le PER moyen atteint lavaleur astronomique de 100 qui reste malgreacute tout infeacuterieure au PER de 237 obtenuagrave partir des beacuteneacutefices de 1999 En comparaison lrsquoindice boursier SampP 500 qui com-prend 69 valeurs technologiques affiche un PER de 24 (Graphique 2) Une bulle agravenrsquoen pas douter clament les partisans de la valorisation Jrsquoai tendance agrave ecirctre du mecircmeavis mais qursquoest-ce que ccedila change Certaines des entreprises sureacutevalueacutees du NASDAQpeut-ecirctre mecircme un grand nombre drsquoentre elles ne connaicirctront pas la croissancerapide des beacuteneacutefices que preacutevoient les investisseurs Mais les beacuteneacutefices drsquoun certainnombre de ces entreprises ont deacutepasseacute les preacutevisions et pourraient continuer sur leurlanceacutee

Les laquo histoires raquo des titres de la Nouvelle eacuteconomie diffegraverent des tulipes qui ont parle passeacute susciteacute lrsquoengouement des speacuteculateurs Pour commencer les speacuteculateurs nemisent pas sur une seule histoire Les technologies les teacuteleacutecommunications les meacutediaset les loisirs englobent un grand nombre drsquoactiviteacutes varieacutees srsquoadressant aux entrepriseset aux consommateurs Les marcheacutes de ces produits et de ces services sont veacuteritable-ment mondiaux et affichent de superbes perspectives de croissance La Nouvelle eacuteco-nomie est extrecircmement concurrentielle Pour srsquoimposer les entreprises doiventsatisfaire aux quatre conditions suivantes

1) Elles doivent reacuteduire leurs coucircts en permanence

2) Elles doivent ameacuteliorer leur productiviteacute en permanence

3) Elles doivent constamment innover crsquoest-agrave-dire commercialiser de nouveauxproduits et services

4) Elles doivent avoir des capaciteacutes de distribution mondiales

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

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a plupart des entreprises satisfont aux deux premiegraveres conditions Mais combiensatisfont eacutegalement aux deux derniegraveres Elles ne sont pas nombreuses agrave entrer danscette cateacutegorie et il srsquoagit pour la plupart drsquoentreprises des secteurs de la technologiedes teacuteleacutecommunications des meacutedias et des loisirs Peut-ecirctre meacuteritent-elles alors leurscoefficients de capitalisation tregraves eacuteleveacutes

Par le passeacute les bulles speacuteculatives attiraient des centaines de speacuteculateurs qui agrave partdes prix plus eacuteleveacutes ne produisaient pas grand chose Agrave lrsquoheure actuelle la Nouvelleeacuteconomie attire les eacuteleacutements les plus brillants de lrsquoancienne eacuteconomie Leurs talentscreacuteatifs seront semble-t-il mieux exploiteacutes agrave leurs nouveaux postes Bon nombre de cesmaicirctres de lrsquounivers srsquoattendent agrave faire fortune Mais ce ne sera le cas que si le cours deleurs actions grimpe en flegraveche une fois que les investisseurs et les speacuteculateurs aurontestimeacute que leur entreprise a de bonnes chances de reacuteussir dans la Nouvelle eacuteconomie

Argent agrave bon marcheacute ou capitaux agrave bon marcheacute Par le passeacute les bulles speacutecula-tives attiraient trop de capitaux qui entraicircnaient des exceacutedents de production et decapaciteacutes Agrave lrsquoheure actuelle la Nouvelle eacuteconomie beacuteneacuteficie de capitaux qui coulent

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agrave flot Agrave nrsquoen pas douter certains de ces investissements nrsquoauront aucune valeur Maisun certain nombre drsquoentre eux produiront probablement de nouveaux produits et ser-vices destineacutes agrave des marcheacutes de plus en plus mondiaux

Nikkei ou NASDAQ Au cours de nombreuses conversations avec de nombreux ges-tionnaires de portefeuilles lrsquoan dernier nous avons reconnu agrave lrsquounanimiteacute que le mar-cheacute boursier connaissait actuellement une bulle speacuteculative classique Toutes cesconversations se sont conclues par le mecircme refrain laquo ccedila va mal se terminer raquo Bien sucircrnous savions que la plupart des titres nrsquoeacutetaient pas sureacutevalueacutes par la bulle Le problegravemese limitait avant tout aux valeurs boursiegraveres de la technologie et de la communicationet concernait avant tout lrsquoindice NASDAQ agrave preacutepondeacuterance technologique Il eacutetait par-ticuliegraverement inquieacutetant de constater la hausse impressionnante du cours des valeursdes socieacuteteacutes laquo com raquo introduites en bourse dont la plupart nrsquoavaient aucune chancedrsquoafficher des beacuteneacutefices dans un avenir proche

Pour lrsquoinstant cette anneacutee la bulle du NASDAQ nrsquoa cesseacute de gonfler en grande partiesous lrsquoeffet des valeurs technologiques Pendant ce temps lrsquoadjectif laquo meacutediocre raquo restele qualificatif qui deacutecrit le mieux les performances du reste du marcheacute boursier Lrsquoandernier jrsquoai fait remarquer que lrsquoeacutetroit marcheacute haussier des valeurs technologiquesmasquait un large marcheacute baissier ougrave deacuteclinait le reste des valeurs En effet pregravesde 70 des titres coteacutes agrave la bourse de New York ont enregistreacute une baisse en 1999 Pourlrsquoinstant cette anneacutee ce pourcentage est de 68 (Graphique 3) Au lieu de srsquoeacutelargir lemarcheacute haussier semble continuer agrave se reacutetreacutecir la plupart des valeurs se laissant entraicirc-ner par la tendance agrave la baisse Parmi mes collegravegues agrave la strateacutegie pro-achat beaucoupreconnaissent que tout cela se terminera mal mais ils continuent quand mecircme agrave deacutete-nir la plupart des titres qui sont le plus sureacutevalueacutes laquo Nous nrsquoavons pas le choix nousdevons nous inteacuteresser agrave ces titres speacuteculatifs expliquent-ils Beaucoup trop de ges-tionnaires de portefeuilles laquo valeur raquo risquent de perdre leur emploi raquo

Agrave la fin de lrsquoan dernier le parallegravele frappant qui existait entre le NASDAQ de lapeacuteriode 1998-fin 1999 et le Nikkei de la peacuteriode 1988-fin 1989 a intrigueacute bon nombredrsquoentre nous (Graphique 4) La bulle du Nikkei a eacuteclateacute en 1990 Il existe une correacutela-tion du mecircme ordre entre le NASDAQ de 1998 jusqursquoagrave maintenant et le prix de lrsquoorentre 1978 et 1980 (Graphique 5) Ces correacutelations semblent indiquer que la bulle duNASDAQ pourrait bien connaicirctre le mecircme sort en 2000 Pour lrsquoinstant rien de tel nesrsquoest produit Au contraire lrsquoindice NASDAQ a augmenteacute de 9 cette anneacutee apregraves deshausses spectaculaires de 41 en 1998 et de 84 en 1999 (Graphiques 6 et 7)

Seul lrsquoavenir dira si la hausse du NASDAQ nrsquoest qursquoune bulle parmi drsquoautres ou au con-traire une valorisation leacutegitime de la Nouvelle eacuteconomie Les beacuteneacutefices impression-nants reacutealiseacutes au quatriegraveme trimestre de lrsquoan dernier semblent faire pencher la balanceen faveur de cette deuxiegraveme hypothegravese les beacuteneacutefices drsquoexploitation du SampP 500 ontprogresseacute de plus de 20 par rapport agrave la mecircme eacutepoque lrsquoanneacutee preacuteceacutedente Le pour-

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

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centage de reacutesultats neacutegatifs impreacutevus est descendu au niveau le plus bas enregistreacutedepuis plusieurs anneacutees (Graphiques 8 et 9) ce qui a eacutegalement de quoi impression-ner

Pirates eacutelectroniques ou FBI La semaine derniegravere des pirates informatiques ontlanceacute quelques attaques reacuteussies contre plusieurs sites Web qui figurent parmi les plusimportants drsquoInternet et dont les services sont alors devenus inaccessibles Ils sont par-venus agrave les paralyser pendant quelques heures en les bombardant de fausses deman-des

Le FBI srsquoefforce de localiser les auteurs de ces attaques Mais il est peu probable qursquoily arrive Il existe certes des contre-mesures qui obligeront tous les serveurs relieacutes agraveInternet agrave adopter des mesures de seacutecuriteacute beaucoup plus strictes Drsquoun cocircteacute on peut sereacutejouir que les pirates nrsquoaient pas endommageacute les fichiers des sites Web attaqueacutes Drsquounautre cocircteacute si le FBI nrsquoarrive pas agrave mettre un terme agrave ces attaques le trafic et la fiabiliteacutedrsquoInternet pourraient en pacirctir Agrave court terme cela pourrait percer la bulle du secteurInternet sur les marcheacutes financiers et refroidir lrsquoenthousiasme des investisseurs quiachegravetent ce type drsquoactions et financent ce genre de projets Agrave long terme de meilleuresmeacutethodes de seacutecuriteacute seront ineacutevitablement adopteacutees

Note Retrouvez lrsquoensemble des graphiques illustrant cet article agrave lrsquoadressesuivante

httpwwwyardenicomfrenchaa000214Frepdf

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Une succession de corrections

Edward YARDENI1

Avril 2000

Ceux qui oublient le passeacute sont condamneacutes agrave le revivre On ne peut pas vrai-ment prouver qursquoune bulle est une bulle jusqursquoagrave ce qursquoelle eacuteclate Ainsi que lrsquoa fortjustement expliqueacute le preacutesident de la Fed M Alan Greenspan le 17 juin 1999 aucours de sa deacuteposition devant le Congregraves laquo Mais la plupart du temps on ne se rendcompte que lrsquoon a eu affaire agrave une bulle qursquoapregraves coup Parler de bulle avant tout lemonde suppose que lrsquoon a deacutetermineacute que des centaines de milliers drsquoinvestisseurs setrompent complegravetement Or il est geacuteneacuteralement risqueacute de parier agrave contre-courantdu marcheacute raquo

Je suis drsquoavis que le marcheacute haussier des actions nrsquoest pas la bulle classique deacutecritepar M Greenspan cette anneacutee Il me semble en fait plus exact de dire que depuislrsquoeacuteteacute 1998 le tregraves eacutetroit marcheacute haussier de la laquo nouvelle eacuteconomie raquo dissimule le tregraveslarge marcheacute de laquo lrsquoancienne eacuteconomie raquo Il ne srsquoagit pas drsquoune seule bulle au sein dumarcheacute de la nouvelle eacuteconomie mais de plusieurs bulles qui sont en train drsquoeacuteclaterou tout au moins de commencer agrave se deacutegonfler

Je crois que cette eacutetape aura un effet salubre en insufflant un peu drsquooxygegravene auxactions sous-eacutevalueacutees de lrsquoancienne eacuteconomie tout particuliegraverement dans les sec-teurs de lrsquoeacutenergie de la distribution et de la finance Je preacutevois mecircme un regain defaveur pour quelques-uns des plus grands noms mondiaux des produits de grandeconsommation ou pharmaceutiques en raison de leur aptitude agrave geacuteneacuterer des reacutesul-tats plus modestes mais plus preacutevisibles Lrsquoeacuteconomie a connu une laquo succession dereacutecessions raquo durant les anneacutees 80 et a afficheacute une croissance plus stable et plus eacutegaledepuis le deacutebut de la derniegravere deacutecennie Agrave lrsquoheure actuelle la bourse subit unelaquo succession de corrections raquo et il devient difficile de qualifier le marcheacute de haussierou de baissier

1 EDWARD YARDENI est Chief Economist responsable de la strateacutegie mondiale drsquoinvestissement et direc-teur de Deutsche Bank Securities Il est lrsquoauteur de nombreux articles publieacutes entre autres dans le WallStreet Journal le New York Times et la revue Barronrsquos Ce texte en franccedilais reproduit avec lrsquoaimable auto-risation de lrsquoauteur a eacuteteacute publieacute sur le site Dr Ed Yardenirsquos Economics Network httpwwwyar-denicomfrenchaa000403Frepdf Copyright copy 2000 Deutsche Bank Securities and Alex Brown Inc

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Un grand nombre drsquoinvestisseurs chevronneacutes ont deacuteceleacute dans la bourse ameacutericaineles symptocircmes drsquoune bulle degraves octobre 19981 Lrsquoassouplissement de la politique de laFed lors de la crise de la Reacutepublique populaire de Greenwich (autrement dit lrsquoeffondre-ment du fonds drsquoinvestissement speacuteculatif mdash hedge fund mdash Long-Term Capital Mana-gement baseacute dans lrsquoEacutetat du Connecticut) a provoqueacute un rebond eacutetonnant des cours dela bourse les indices boursiers Dow Jones SampP 500 et NASDAQ ont enregistreacute des haus-ses respectives de 42 55 et 214 depuis cette date Une analyse un peu plusdeacutetailleacutee reacutevegravele que la bulle concerne visiblement lrsquoindice NASDAQ avant tout La plusforte avanceacutee de la courbe des progressionsreculs de la Bourse de New York remonteen fait agrave avril 1998 Depuis cette date 79 des titres coteacutes agrave la bourse de New York ontaccuseacute une baisse de leur cours2 La bourse est un marcheacute drsquoactions et la plupart drsquoentreelles subissent les effets drsquoun marcheacute baissier depuis deux ans Le marcheacute haussier esten fait tregraves limiteacute et ressemble agrave certains eacutegards agrave une bulle

Depuis un an on a pu en fait observer plusieurs bulles particuliegraverement dans lessecteurs du commerce eacutelectronique et de la biotechnologie Pas de catastrophe pour lesbeacuteneacutefices des socieacuteteacutes technologiques La chute rapide observeacutee reacutecemment pour cesdeux secteurs a certainement permis de deacutegonfler un tant soit peu la bulle du NASDAQLa liquidation atteint maintenant les actions cyber-technologiques

1 Jrsquoappelle laquo investisseur chevronneacute raquo tout investisseur qui sait que les initiales laquo VC raquo nrsquoont pas tou-jours signifieacute laquo venture capitalist raquo (investisseur en capital risque) Il fut un temps ougrave laquo VC raquo signifiaitViet Cong2 On trouvera un graphique de cette seacuterie reacuteguliegraverement mis agrave jour agrave lrsquoadresse suivante wwwyar-

denicomstocklabasp

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

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Les investisseurs des secteurs technologiques redoutent la catastrophe Lrsquoeacuteclatementde la bulle du secteur Internet provoquerait un recul des deacutepenses effectueacutees par lessocieacuteteacutes laquo pointcom raquo nouvelles et existantes en eacutequipement informatique ordina-teurs personnels serveurs logiciels routeurs et mateacuteriel de teacuteleacutecommunications

Pour un grand nombre de laquo pointscom raquo extrecircmement deacutepensiegraveres lrsquoimpossibiliteacutede faire appel agrave des financements suppleacutementaires entraicircnerait pratiquement certai-nement la faillite Si les gloutons du secteur technologique meurent de faim les speacute-culateurs en seront pour leurs frais

Mes preacutevisions au sujet des deacutepenses et des revenus du secteur technologique sontplus optimistes En fait je pense que nous sommes au seuil de la Phase II de la reacutevolu-tion du laquo high-tech raquo Au cours de la Phase I tout au long de la derniegravere deacutecennielrsquoordinateur personnel eacutetait litteacuteralement en train de prendre son eacutelan Ce nrsquoest quevers la fin des anneacutees 90 que lrsquoordinateur personnel et Internet ont donneacute naissance agraveune technologie tregraves utile permettant aux socieacuteteacutes de reacuteduire leurs coucircts de fonction-nement et drsquoaccroicirctre la productiviteacute Je preacutevois qursquoau cours de la prochaine deacutecennielrsquoassociation de lrsquoordinateur personnel drsquoInternet de lrsquoaccegraves agrave large bande de la tech-nologie sans fil et des eacutequipements lieacutes agrave Internet auront pour effet drsquoacceacuteleacuterer lrsquoeacutemer-gence de la Net-eacuteconomie crsquoest-agrave-dire de la nouvelle eacuteconomie

Les deacutepenses en eacutequipement technique vont fortement beacuteneacuteficier de la prolifeacuteration desNet-eacutechanges crsquoest-agrave-dire des marcheacutes et chaicircnes drsquoapprovisionnement eacutelectroniques

Les deacutepenses de consommation en eacutequipements lieacutes agrave Internet (notamment les teacuteleacute-phones portables boicirctiers deacutecodeurs eacutequipement photographique numeacuterique etappareils meacutenagers) seront eacutegalement agrave lrsquoorigine drsquoune demande importante dans lesecteur de la technologie

En fin de compte la technologie nrsquoest plus une activiteacute cyclique La croissance ten-dancielle de lrsquoindustrie est si forte qursquoelle annihile toutes les pressions de nature cycli-que1

Creacutedit sur marge Il ne fait aucun doute que lrsquoabondance du creacutedit sur marge acontribueacute agrave lrsquoinflation de quelques-unes des bulles de la bourse Nous sommes nom-breux agrave avoir demandeacute agrave la Fed de renforcer les exigences de couverture de creacutedit surmarge au lieu de relever les taux drsquointeacuterecirct de faccedilon agrave deacutegonfler un peu les bulles Lemois dernier la reacuteponse eacutecrite du preacutesident de la Fed aux questions poseacutees par lesparlementaires (au cours de sa deacuteposition semi-annuelle devant le congregraves ameacuteri-cain selon les termes de la loi Humphrey-Hawkins) contenait les observationssuivantes

1 Jrsquoanalyse cette situation dans laquo High-Tech Trends raquo (les tendances du high-tech) mis agrave jour reacuteguliegrave-rement agravelrsquoadresse suivante httpwwwyardenicomcyberasp

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En ce qui concerne les exigences de couverture des analyses effectueacuteespar le passeacute suggegraverent que les modifications de ces conditions nrsquoont paseu drsquoimpact appreacuteciable et preacutevisible sur les cours des actions Ce quinrsquoempecircche pas la Federal Reserve [Bank] drsquoadmettre que lrsquoutilisation decreacutedit sur marge pour les achats de titres de participation est assortie drsquounrisque consideacuterable tout particuliegraverement au sein de marcheacutes volatils[La Banque] estime de mecircme que les precircteurs aussi bien que les emprun-teurs devraient eacutevaluer soigneusement les risques preacutesenteacutes par leursopeacuterations sur marge

Bien que certaines firmes de courtage aient effectivement renforceacute leurs exigencesde couverture il nrsquoen reste pas moins que ce type drsquoopeacuterations a connu une croissanceexplosive de 83 milliards de dollars au cours des quatre derniers mois preacuteceacutedant feacutevrier(Tableau 1) Je ne comprends pas tregraves bien comment une analyse peut conclure que lesconditions de couverture nrsquoont pas drsquoimpact sur les cours de la bourse dans la mesureougrave ces exigences nrsquoont pas connu de modifications depuis 1974 date agrave laquelle la cou-verture minimale a eacuteteacute rameneacutee agrave 50

Table 1 Equity Mutual Funds vs Margin Credit Flows (billions of dollars)

Net inflows including reinvested dividends

Source Investment Company Institute and Federal Reserve Board

Equity Mutual Funds

Margin Credit Total

1999

Oct 224 30 254

Nov 217 240 457

Dec 450 223 673

2000

Jan 413 150 563

Feb 548 217 765

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

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Le vaisseau spatial de la net-eacuteconomie passe agrave la vitesse Warp II

On annonce lrsquoacte suivant Comme je lrsquoai mentionneacute preacuteceacutedemment je crois quenous sommes au seuil de la Phase II de la reacutevolution laquo high-tech raquo On aura affaire agrave ungrand nombre de laquo Toutes nouvelles choses raquo au sein de la nouvelle eacuteconomie Les eacuteco-nomistes qui persistent agrave se servir de paradigmes de lrsquoancienne eacuteconomie notammentles cycles conjoncturels et le taux de chocircmage naturel nrsquoont pas fini de srsquoeacutetonner de lacoexistence drsquoune forte croissance eacuteconomique et drsquoun faible taux drsquoinflation Ils conti-nueront agrave sous-estimer la productiviteacute Srsquoil leur eacutetait demandeacute de remplacer le capitaineKirk aux commandes dans Star Trek ils pourraient piloter le vaisseau spatial Enterpriseagrave la vitesse Warp I mais se retrouveraient complegravetement perdus agrave la vitesse Warp II

Le juste-agrave-temps deuxiegraveme eacutepoque Au cours des anneacutees 90 le vaisseau spatial ameacute-ricain de la Net-eacuteconomie a commenceacute son acceacuteleacuteration de Warp I agrave Warp II On peut leconstater notamment en examinant le ratio comparant les stocks des entreprises agrave leurchiffre drsquoaffaires (StocksVentes) qui en deacutepit drsquoune certaine volatiliteacute oscillait autourde 15 durant les anneacutees 80 mais eacutetait tombeacute agrave 13 vers la fin des anneacutees 90 (Graphique 1)On peut attribuer cette eacutevolution agrave la mise en place de technologies permettant la gestionde stocks agrave flux tendus (laquo juste-agrave-temps raquo) au cours de la derniegravere deacutecennie

Les technologies de gestion de stock juste-agrave-temps ont permis une importantereacuteduction des coucircts lieacutes aux stocks En fait si le ratio eacutetait encore agrave lrsquoheure actuellede 15 les stocks de fabrication et de distribution deacutepasseraient 1 300 milliards de dol-lars au lieu des 1 150 milliards actuels (Graphique 2) Le secteur de la fabrication etsurtout de la fabrication de biens durables a beacuteneacuteficieacute de la quasi-totaliteacute des gains dusaux technologies du juste-agrave-temps Au niveau de la distribution et de la vente en grosles ratios stocksventes nrsquoont guegravere eacutevolueacute entre le milieu des anneacutees 80 et 1999(Graphiques 3 4 5 6 et 7)

Je preacutevois encore des progregraves pheacutenomeacutenaux agrave mesure que les fabricants aussi bienque les distributeurs utilisent le Net-eacutechange crsquoest-agrave-dire les marcheacutes drsquoeacutechanges et leschaicircnes drsquoapprovisionnement drsquoInternet de faccedilon agrave reacuteduire leurs coucircts et agrave augmenterencore plus rapidement leur productiviteacute Il est probable que la reacutevolution du juste-agrave-temps passera elle aussi de la Phase I agrave la Phase II durant les dix prochaines anneacutees

Titres de participation analyse des mouvements de fonds

Une peacutenurie drsquoactions En deacutepit de la faiblesse agrave court terme afficheacutee reacutecemmentpar les cours des actions les donneacutees relatives aux mouvements de fonds continuentagrave deacutepeindre un avenir agrave long terme tout agrave fait favorable Ces chiffres suggegraverent mecircme

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une peacutenurie drsquoactions Le tableau ndeg2 indique que les titres de participation de socieacuteteacutesdes secteurs non financiers aussi bien que financiers ont reculeacute de 1624 milliards dedollars en 1999 une eacutevolution compenseacutee en partie par les 945 milliards de dollars deplacements effectueacutes par les investisseurs ameacutericains sur les places financiegraveres eacutetrangegrave-res Par conseacutequent le chiffre net des eacutemissions a chuteacute de 678 milliards de dollars lrsquoandernier apregraves un deacuteclin de plusieurs anneacutees (Graphique 8) Cette eacutevolution srsquoexpliquepar les programmes de rachat drsquoactions et les fusions et acquisitions qui risquent dedonner un solde net neacutegatif pour lrsquoensemble des eacutemissions de titres de participation

Acheteurs et vendeurs Selon les comptes de mouvements de fonds de la Fed cesont les particuliers qui ont vendu le plus grand nombre drsquoactions ces derniegraveres anneacutees(Graphique 9) Quoique surprenant agrave premiegravere vue ce reacutesultat est logique mdash car ilsrsquoagit drsquoun secteur reacutesiduel dans les comptes mdash et reflegravete la reacuteduction de la quantiteacutedrsquoactions deacutetenues par ce secteur du fait des fusions et des acquisitions reacutealiseacutees Unautre secteur tregraves vendeur est celui des fonds de caisses de retraite priveacutees(Graphique 10) La prolongation du marcheacute haussier des actions a provoqueacute une sur-capitalisation drsquoun grand nombre drsquoentre elles qui procegravedent donc agrave des ventes detitres pour reacuteeacutequilibrer la reacutepartition de leurs placements obligations et actions Lrsquoandernier quatre groupes drsquoinvestisseurs principaux (les fonds communs de placementsles caisses de retraite publiques les assurances-vie et les investisseurs eacutetrangers) ontchacun fait lrsquoacquisition drsquoenviron 100 milliards de dollars en titres de participationameacutericains (Tableau 2 et Graphique 11)

Lrsquoheure est aux fonds communs de placement Pour le moment cette anneacutee lesinvestisseurs en fonds communs de placement semblent plus inteacuteresseacutes que jamais parles actions Les fonds de placement en titres de participation ont attireacute un flux net de548 milliards de dollars en feacutevrier inclusion faite du reacuteinvestissement des dividendes(Tableau 1 et Graphique 12)

Note Retrouvez lrsquoensemble des graphiques illustrant cet article agrave lrsquoadressesuivante

httpwwwyardenicomfrenchaa000403Frepdf

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Revers de Fortune

xtrait de Dr Edward Yardeni Revers de FortuneStrateacutegie mondiale de portefeuille ndeg13 Deutsche Bank Securities Inc

and DB Alex Brown LLC 17 avril 2000

httpwwwyardenicomfrenchaa0004Frepdf

Insenseacute Jeremy Irons remporta un Oscar pour avoir interpreacuteteacute le personnage de Clausvon Bulow dans un film de 1990 qui srsquointitulait en version originale Reversal of Fortune(revers de fortune devenu en franccedilais Le Mystegravere von Bulow) Ce film relatait un eacutepisodede la vie de Claus von Bulow innocenteacute gracircce agrave ses avocats apregraves avoir eacuteteacute accuseacutedrsquoavoir tenteacute drsquoassassiner sa femme extrecircmement riche Crsquoest maintenant au tour desinvestisseurs de valeurs technologiques de subir un revers de fortune agrave lrsquoheure ougrave leNasdaq tombe en chute libre Ils reconnaissent que lrsquoenvoleacutee de certains titres avaitatteint des niveaux insenseacutes mais certains me disent maintenant que la liquidationmassive est tout aussi insenseacutee

Je comprends leur douleur Mon portefeuille personnel a eacutegalement subi les effets drsquounmini-krach technologique Comme Tony Soprano lrsquoaimable parrain du feuilleton teacuteleacute-viseacute ameacutericain The Sopranos le confiait reacutecemment agrave son psy laquo Ouiinnn pauvre demoi raquo En effet mecircme si jrsquoestime depuis lrsquoan dernier qursquoune bulle speacuteculative srsquoeacutetait for-meacutee sur le Nasdaq jrsquoai dans mon portefeuille certaines valeurs technologiques Mais ilmrsquoa toujours sembleacute qursquoil existait de grandes diffeacuterences entre cette bulle et les preacuteceacute-dentes Sur le plan des donneacutees fondamentales les perspectives de lrsquoindustrie technolo-gique restent en effet tregraves positives

()

La valorisation compte-t-elle encore Drsquoapregraves la version la plus simple du modegravelede valorisation boursiegravere de la Fed qui calcule la juste valeur du cours des actions endivisant les beacuteneacutefices preacutevisionnels drsquoun consensus drsquoanalystes par le rendement desobligations du Treacutesor le SampP 500 eacutetait sureacutevalueacute de 68 mdash proportion stupeacutefiantemdash pendant la semaine du 21 janvier A cette date le SampP aurait ducirc en effet ecirctre de 861alors qursquoil avait en reacutealiteacute deacutejagrave atteint 1449 points Drsquoapregraves les derniers calculs obtenusagrave lrsquoaide de ce modegravele la sureacutevaluation nrsquoeacutetait plus que de 32 dans la semaine du14 avril ()

Selon le modegravele de valorisation boursiegravere de la Fed le coefficient de capitalisation desreacutesultats (PE) correspondant agrave la juste valeur est tout simplement lrsquoinverse du rende-ment des bons du Treacutesor agrave 10 ans Pendant la semaine du 14 avril ce coefficient eacutetaitde 170 Le PE reacuteel eacutetait de 225 () La sureacutevaluation du SampP 500 est imputable entotaliteacute au secteur de la technologie qui affichait en mars un PE de 47 apregraves unehausse spectaculaire ces cinq derniegraveres anneacutees (le PE de 1995 eacutetait drsquoenviron 15)Une fois exclu le secteur technologique le PE nrsquoeacutetait que de 179 en mars ce qui cor-respond presque au PE de la juste valeur ()

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Le modegravele de valorisation boursiegravere de la Fed est tregraves simple Il ne tient compte que desbeacuteneacutefices preacutevisionnels des 12 mois agrave venir et du rendement des bons du Treacutesor agrave10 ans Selon leur approche ascendante les analystes financiers de Wall Street preacutevoientpour le SampP 500 des beacuteneacutefices par action de 6023 $ dans les 12 prochains mois Il srsquoagitlagrave drsquoun niveau record () Mais pour que le marcheacute soit agrave sa juste valeur il faudrait quele rendement obligataire baisse jusqursquoagrave 4 Ce modegravele simple nrsquoinclut aucune variablecorrespondant au risque ou agrave la croissance agrave long terme des beacuteneacutefices Les investisseursestiment peut-ecirctre que dans notre nouvelle eacuteconomie le risque de reacutecession est moin-dre et les perspectives de croissance des beacuteneacutefices plus prometteuses

Dans la nouvelle version ameacutelioreacutee du modegravele la juste valeur est eacutegale aux beacuteneacuteficespreacutevisionnels diviseacutes par la diffeacuterence entre le rendement composite des obligationsde socieacuteteacute classeacutees A par Moodyrsquos et une fraction de la croissance preacutevisionnelle surcinq ans des beacuteneacutefices pour le SampP 500 Par le passeacute la valeur reacuteelle du SampP 500 eacutetaiteacutegale agrave sa juste valeur lorsque la fraction du taux de croissance eacutetait de 10 Enmars 2000 les beacuteneacutefices preacutevisionnels de Wall Street sur cinq ans ont atteint un niveaurecord de 161 Mecircme avec ce chiffre stupeacutefiant il aurait fallu pour que le niveaudu SampP 500 soit eacutegal agrave sa juste valeur que les investisseurs multiplient presque par troisla pondeacuteration qursquoils accordent agrave la croissance agrave long terme des beacuteneacutefices Si nous don-nions agrave la croissance agrave long terme des beacuteneacutefices la pondeacuteration moyenne obtenue parle passeacute la juste valeur du SampP 500 serait drsquoenviron 900

La derniegravere fois que jrsquoai abordeacute la question de la valorisation dans lrsquoAnalyse eacuteconomi-que mondiale du 10 janvier 2000 je suis arriveacute agrave la conclusion suivante

Je crois que les preacutevisions de croissance du marcheacute et le poids attribueacute agrave cette derniegraverefont preuve drsquoun trop grand optimisme En revanche nous avons maintenant affaireagrave la Nouvelle eacuteconomie mondiale concurrentielle productive de haute technolo-gie animeacutee par M Greenspan et tutti quanti Il faudrait donc peut-ecirctre accorder plusde poids agrave la croissance agrave long terme des revenus Conclusion les cours ne sont pasbon marcheacute mais la version simple du modegravele de valorisation des titres de la FederalReserve Bank exagegravere visiblement la sureacutevaluation du marcheacute

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Naissance drsquoune nouvelle eacuteconomie Sept thegraveses sur lrsquoeacuteconomie de marcheacute

agrave lrsquoacircge du commerce eacutelectronique

Philippe LEMOINE1

Le 28 avril 1998

Aux Eacutetats-Unis le thegraveme de la nouvelle eacuteconomie est deacutebattu dans plusieurs cercles le cercle du lobby de la high tech le cercle des boursiers optimistes le cercle des politi-ques modernistes Lrsquoideacutee geacuteneacuterale est que lrsquoeacuteconomie nrsquoobeacuteirait plus aux mecircmes loisdepuis que les technologies drsquoinformation sont devenues les principaux leviers decroissance et drsquoinvestissement Il srsquoen deacuteduit qursquoil nrsquoy a pas de raisons de srsquoattendre agraveune fin rapide du cycle long de deacuteveloppement sans inflation ougrave sont les Eacutetats-Unisdepuis plus de 7 ans Loin de baisser les voiles ou de reacuteduire la toile il faudrait aller plusloin dans la lutte contre toutes les entraves de la nouvelle eacuteconomie Lrsquoarmeacutee et les ser-vices secrets ne devraient plus srsquoopposer agrave une large utilisation de la cryptologie par lesentreprises Les Eacutetats de lrsquoUnion ne devraient plus chercher agrave proteacuteger leurs taxes loca-les car le commerce eacutelectronique doit devenir sur tout le territoire des Eacutetats-Unis etmecircme dans son extension au reste du monde une vaste zone de libre-eacutechange unespace de circulation sans obstacle et mecircme sans coutures juridiques fiscales ou doua-niegraveres Un laquo capitalisme sans frottement raquo comme le dit Bill Gates

Que faut-il penser de ce thegraveme Agrave vrai dire en France on nrsquoen pense rien On deacutecou-vre deacutejagrave le laquo New Labour raquo anglais alors srsquoinitier en mecircme temps au thegraveme de la laquo NewEconomy raquo ameacutericaine Quelques milieux restreints ont une opinion et elle est geacuteneacute-ralement neacutegative Les intellectuels flairent sans mal lrsquoodeur de lrsquoideacuteologie et il fautbien avouer qursquoil y en a des traces tenaces Les responsables pensants et les penseursresponsables ne sont pas precircts agrave miser un cent sur un discours qui ne reacutesistera pas agravelrsquoineacutevitable et prochaine correction boursiegravere Comment eacuteviter le ridicule ce terriblemal franccedilais si lrsquoon a parleacute de laquo nouvelle eacuteconomie raquo quelques semaines avant unkrach Mieux vaut srsquoabstenir

Et pourtant cette question de la nouvelle eacuteconomie ne doit pas ecirctre traiteacutee agrave laleacutegegravere Drsquoabord parce que mecircme si le diagnostic ne peut pas ecirctre accepteacute globalementet sans reacuteserve il a le meacuterite drsquoinsister sur lrsquoampleur des changements en cours et de

1PHILIPPE LEMOINE est preacutesident de LASER Ce texte a eacuteteacute preacutesenteacute en mai 1998 au premier symposiumLes Pionniers Enjeux Il a eacuteteacute publieacute dans la Revue drsquoEacuteconomie financiegravere (ndeg53 3e numeacutero de lrsquoanneacutee 1999)

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montrer que cette fois-ci la classe dirigeante eacuteconomique et politique ne va plus pou-voir regarder de loin les questions de technologie et que celles-ci sont deacutesormais aucentre du paysage Ensuite dans le cas de la France un deacutebat sur ces thegravemes aurait lemeacuterite drsquoeacuteclairer autrement notre cheminement collectif depuis 20 ans de mieuxcomprendre lagrave ougrave nous avons progresseacute et lagrave ougrave nous nous sommes collectivementtrompeacutes Enfin en faisant lrsquoeffort de penser cette question de la nouvelle eacuteconomie ilpeut se dessiner une nouvelle approche des prioriteacutes politiques

Agrave titre personnel il srsquoagit de questions sur lesquelles je travaille depuis longtempsDans mon travail comme dirigeant du groupe Galeries Lafayette en charge de LaSernotre branche laquo services et technologie raquo je suis confronteacute agrave la progression du com-merce eacutelectronique Jrsquoai œuvreacute degraves la fin de 1996 pour lancer un deacutebat sur la maniegraverede poser aujourdrsquohui les liens entre technologie emploi services et commerce

Drsquoautres travaux se sont inscrits dans ce filon et on commence agrave entrevoir une faccedilonpositive de penser lrsquoemploi en liaison avec la reacute-organisation des entreprises autourdrsquoune logique clients Mais il mrsquoa sembleacute qursquoil fallait aller plus loin et je vous proposeaujourdrsquohui 7 thegraveses sur lrsquoeacuteconomie de marcheacute mdash car crsquoest bien drsquoelle qursquoil srsquoagit mdash agravelrsquoacircge du commerce eacutelectronique

Thegravese 1 Apregraves avoir transformeacute les usines apregraves avoir peacuteneacutetreacute les bureaux les tech-nologies drsquoinformation bouleversent aujourdrsquohui lrsquounivers de lrsquoeacutechange

Thegravese 2 Lrsquoeacuteconomie sort du laquo Solow Paradox raquo et du pieacutetinement de la productiviteacute degraveslors que les entreprises constatent lrsquoouverture des marcheacutes et lrsquoeacutelargissement des deacuteboucheacutes

Thegravese 3 Le paradoxe et les blocages resurgissent agrave un autre niveau si les institutionsfinanciegraveres et moneacutetaires voient la technologie comme un moyen de controcircle surlrsquoeacuteconomie reacuteelle

Thegravese 4 La persistance drsquoun niveau eacuteleveacute des stocks montre que lrsquoacceacuteleacuteration de larotation des actifs bute sur le ralentissement de la vitesse de circulation de la monnaie

Thegravese 5 La valorisation de lrsquoimmateacuteriel ne peut pas ecirctre une reacuteponse agrave la circulationtrop lente du capital dans un contexte ougrave la technologie fait baisser non seulement leprix des biens mais aussi celui des services

Thegravese 6 Le plein emploi est un objectif atteignable dans le cadre de strateacutegies foca-liseacutees sur le service et sur le client agrave lrsquoappui drsquoun accroissement de la productiviteacute ducapital circulant

Thegravese 7 LrsquoEurope doit tourner la page de la laquo socieacuteteacute drsquoinformation raquo au profit drsquounevision plus eacuteconomique tout en concentrant son message moral sur lrsquoenjeu de laliberteacute des personnes

Je vous propose de reprendre rapidement ces 7 points Il ne srsquoagit pas de les deacutevelop-per car nous en aurions pour plusieurs heures mais drsquoeacuteclairer lrsquoarchitecture du raison-

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nement qui est derriegravere chacune de ces thegraveses et qui sous-tend une approche desenjeux actuels qursquoil faut rendre coheacuterente et globale

Premiegravere thegravese les technologies drsquoinformation transforment lrsquounivers de lrsquoeacutechange

Cela crsquoest un constat Tout le monde le sait Internet symbolise une nouvelle eacutetapede lrsquoinformatisation La baisse du prix des composants diffuse lrsquoinformatique dans legrand public et pregraves drsquoun foyer sur deux dispose drsquoun micro-ordinateur aux Eacutetats-UnisLa numeacuterisation assure la convergence entre informatique teacuteleacutecommunications etaudiovisuel Les reacuteseaux se connectent les uns aux autres agrave lrsquoeacutechelle du globe

La conseacutequence crsquoest que le centre de graviteacute de la tornade des technologies drsquoinfor-mation se deacuteplace Il nrsquoest plus dans les usines et les ateliers Il nrsquoest plus seulementdans les bureaux Il est dans lrsquounivers de lrsquoeacutechange au sens le plus large du terme Oninsiste parfois sur les enjeux de la communication qursquoil srsquoagisse de la communicationavec les meacutedias ou de la communication entre les personnes Mais tout montre quelrsquoenjeu va bien au-delagrave du relationnel et que lrsquoimpact sera encore plus fort sur le tran-sactionnel et les rapports marchands

Derriegravere lrsquolaquo electronic commerce raquo lrsquoe-business les entreprises inventent drsquoautresmaniegraveres de commercer entre elles ou de vendre aux particuliers

Deuxiegraveme thegravese lrsquoeacuteconomie sort du laquo Solow Paradox raquo

Je vous rappelle de quoi il srsquoagit Dans les anneacutees 70 au moment ougrave nous avions enFrance le rapport Nora-Minc sur lrsquoinformatisation de la socieacuteteacute les premiegraveres inquieacutetu-des apparaissaient aux Eacutetats-Unis sur lrsquoimpact de la technologie sur lrsquoemploi et le chocirc-mage Une commission avait eacuteteacute mise en place par le gouvernement ameacutericain poureacuteclairer cette question Preacutesideacutee par Robert Solow professeur au MIT et prix Nobel drsquoeacuteco-nomie cette commission eacutetait parvenue au constat suivant oui lrsquoeacuteconomie utilise deplus en plus lrsquoinformatique oui les ordinateurs vont vite mais on ne constate aucuneacceacuteleacuteration des gains de productiviteacute Crsquoest ce que lrsquoon appelle le laquo Solow Paradox raquo

Au-delagrave du constat le paradoxe soulignait lrsquoexistence de nombreux obstacles agravelrsquoexteacuteriorisation des gains de productiviteacute dans lrsquoeacuteconomie ameacutericaine Au niveau des

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marcheacutes au niveau des professions au niveau des entreprises tout un ensemble deregravegles et de rapports sociaux servaient de contrepoids agrave lrsquoimpact de lrsquoinformatisationJe me souviens agrave cette eacutepoque drsquoune eacutetude meneacutee en France sur les grandes entrepriseset qui montrait que plus une entreprise investissait pour informatiser sa comptabiliteacuteplus elle avait de comptables

Sociologiquement ce corps professionnel avait le pouvoir de transformer la perfor-mance des ordinateurs en une occasion drsquoaccroicirctre le nombre et la sophistication deseacutetats comptables et de soutenir ainsi son propre emploi

Le paysage a complegravetement changeacute depuis lors Si lrsquoon compare la reacutevolution encours agrave la reacutevolution industrielle la meacutetaphore de la technologie ce nrsquoest plus seule-ment la machine agrave vapeur lrsquooutil de production avec toutes les craintes et les blocagesqui ont trait agrave lrsquoavenir de lrsquoemploi Il faut comparer la technologie aux chemins de feraux autoroutes (les fameuses autoroutes de lrsquoinformation) aux peacuteneacutetrantes qui contri-buent agrave deacutecloisonner les marcheacutes et agrave eacutelargir les deacuteboucheacutes

Tout change degraves lors que lrsquoon ne raisonne plus autour du seul modegravele drsquoune substi-tution du capital au travail Le formidable dynamisme dont fait preuve lrsquoeacuteconomieameacutericaine traduit le fait qursquoelle est sortie du laquo Solow Paradox raquo Elle exteacuteriorise sanscomplexes les gains de productiviteacute car les deacuteboucheacutes srsquoaccroissent tandis que lesregravegles de la compeacutetition sur les marcheacutes se deacuteplacent favorisant des notions de reacuteacti-viteacute de juste-agrave-temps et drsquoinnovation-service qui supposent que la technologiedevienne un instrument agrave lrsquoappui des strateacutegies commerciales

La maniegravere dont les entreprises ameacutericaines se sont empareacutees du commerce eacutelectro-nique est impressionnante Les premiegraveres expeacuteriences significatives de vente sur Inter-net datent de 1995 Aujourdrsquohui on compte plusieurs entreprises qui font deacutejagrave plusdrsquo1 milliard de dollars de CA par Internet On ne bricole plus Je ne parle pas seulementdrsquoentreprises comme General Electric Intel ou Cisco qui font du commerce eacutelectroni-que B-to-B Business-to-Business avec leurs entreprises clientes ou leurs fournisseursJe pense agrave des entreprises comme Charles Schwab qui a inventeacute le laquo discountbrokerage raquo en donnant aux particuliers la possibiliteacute drsquoacqueacuterir des actions avec desprix drsquointermeacutediation tregraves bas Comme Dell qui vend pour plus de 5 millions de dollarspar jour sur Internet avec un modegravele sans stock ougrave le client conccediloit lui-mecircme sonmicro-ordinateur personnaliseacute avant qursquoil soit mis en fabrication et livreacute en moins de8 jours Comme Comp-U-Card qui a inventeacute le marcheacute du laquo membership raquo en ayantdeacutesormais dans le monde 67 millions de clients abonneacutes agrave ses services drsquoinformationet de shopping Comme Auto-By-Tel qui fait moins un meacutetier de commerccedilant que decourtier en permettant agrave des particuliers de lancer des appels drsquooffre personnaliseacutes surle Net lorsqursquoils veulent changer de voiture Auto-By-Tel ne se reacutemunegravere pas par descommissions sur les ventes mais par un abonnement souscrit par les garagistes qui veu-lent recevoir des appels drsquooffre Jrsquoajoute qursquoavec ce systegraveme Auto-By-Tel suscite

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40000 ventes de voiture par mois Si la voiture ameacutericaine moyenne vaut 20000 $cela repreacutesente 800 millions de dollars de chiffre drsquoaffaires par mois pour cette seuleentreprise

Troisiegraveme thegravese la tentation du controcircle

Dans ce contexte de bouleversement de lrsquounivers de lrsquoeacutechange un enjeu majeur estcelui de la monnaie et des systegravemes de paiement En disant cela je nrsquoentends pas par-tager lrsquoideacutee selon laquelle le commerce eacutelectronique serait menaceacute par des risquesmonumentaux de fraude Les risques existent de mecircme qursquoexiste le risque drsquoune utili-sation drsquoInternet pour le recyclage de lrsquoargent sale Mais ces risques sont drsquoampleurlimiteacutee probablement comparables agrave ce qui existe dans le commerce traditionnel Silrsquoon parle tellement des moyens de paiement crsquoest qursquoon assiste au choc des meacutetiersqui gegraverent les flux drsquoinformation et des meacutetiers qui gegraverent la circulation des signesmoneacutetaires Crsquoest lagrave qursquoest le veacuteritable enjeu Il ne srsquoagit pas seulement drsquoune situationde rivaliteacute entre deux professions mais compte tenu de la nature particuliegravere de ceteacutequivalent geacuteneacuteral qursquoest la monnaie de compeacutetition entre strateacutegies qui peuventavoir une incidence importante sur lrsquoorganisation des marcheacutes et le dynamismedrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie

Il y a 3 ans les banques ameacutericaines avaient eacuteteacute traumatiseacutees de se faire traiter dedinosaures Elles ont fait capoter la tentative meneacutee par Microsoft pour srsquoinstaller aucœur des systegravemes de paiement en rachetant Quicken le produit leader utiliseacute par lesameacutericains pour geacuterer leur treacutesorerie domestique Depuis elles ont repris lrsquooffensive eneacutecartant tout scheacutema de geacuteneacuteralisation drsquoune monnaie eacutelectronique crsquoest-agrave-dire drsquouninstrument moneacutetaire anonyme qui circulerait librement sur les reacuteseaux entre les par-ticuliers et les commerccedilants puis entre ceux-ci et les autres acteurs eacuteconomiques

Au nom de la preacutevention des risques de fraude les banques favorisent des scheacutemasagrave boucle beaucoup plus eacutetroite ougrave lrsquoensemble des transactions de paiement seraienttraccedilables et controcirclables par leur profession Dans des scheacutemas triangulaires de ce typeles commerccedilants sont garantis des paiements qursquoils encaissent mais agrave la condition queles particuliers se soient connecteacutes agrave leur banque pour chaque paiement Des standardset des techniques ont eacuteteacute deacutefinis pour jouer de maniegravere fluide ces rocircles de laquo tiers deconfiance raquo et de laquo certificateurs raquo Les beacuteneacutefices directs et indirects que les banquespeuvent en tirer sont consideacuterables tant en termes de commissions perccedilues que drsquoenri-chissement des bases de donneacutees marketing Ni les banques centrales ni le fisc nevoient drsquoobstacles bien au contraire agrave de tels scheacutemas

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Cette tentation de controcircle un peu corporatiste risque pourtant de peser sur le dyna-misme eacuteconomique car elle vient parachever lrsquoeacutevolution systeacutematique des 2 deacutecenniesutilisant la technologie pour limiter la circulation de la monnaie Je ne pense pas seule-ment agrave la baisse de la part relative des billets et espegraveces qui sont pourtant la forme demonnaie ayant la rotation la plus forte Je pense agrave toutes les eacutevolutions qui ont limiteacute lapossibiliteacute drsquoendosser les chegraveques ou qui ont substitueacute des effets de commerce valablesune fois comme les LCR aux traites qui pouvaient circuler et ecirctre reacute-escompteacutees

Sur un plan theacuteorique ces eacutevolutions se sont accompagneacutees de la disparition detoute reacutefeacuterence agrave un concept pourtant essentiel celui de vitesse de circulation de lamonnaie Les autoriteacutes moneacutetaires ne connaissent plus que diffeacuterentes strates de massemoneacutetaire et en matiegravere de vitesse ne suivent que le rythme du gonflement ou dudeacutegonflement de ces masses ce qui est tout agrave fait diffeacuterent drsquoune notion de vitesse derotation drsquoun encours donneacute

On peut faire lrsquohypothegravese que la deacuteceacuteleacuteration de lrsquoinflation dans lrsquoensemble dumonde deacuteveloppeacute srsquoest accompagneacutee drsquoun fort ralentissement mdash malgreacutelrsquoeacutelectronique malgreacute les reacuteseaux mdash de la vitesse de circulation de la monnaie Il estsucircr en tout cas que dans la fameuse eacutequation selon laquelle le niveau geacuteneacuteral des prixest fonction du produit de la masse de monnaie par sa vitesse de circulation ce dernierparamegravetre est tombeacute dans un trou noir theacuteorique et statistique

Quatriegraveme thegravese La faible rotation des actifs

Le ralentissement de la circulation de la monnaie a eu comme contrepartie danslrsquoeacuteconomie reacuteelle un ralentissement de la rotation des actifs Cela peut sembler para-doxal de dire cela alors que les manuels drsquoeacuteconomie et de management ne parlent quede reacuteactiviteacute de juste-agrave-temps et de flux tendus mais crsquoest ainsi

En 1992 jrsquoavais fait reacutealiser un travail sur les stocks par Rexecode agrave lrsquooccasion drsquounlivre que jrsquoavais eacutecrit Le commerce dans la socieacuteteacute informatiseacutee (Economica 1993)Alors qursquoil nrsquoexiste pas un outil statistique de qualiteacute sur le niveau des stocks en valeurabsolue lrsquoideacutee eacutetait de voir comment le poids des stocks dans lrsquoeacuteconomie avait eacutevolueacutesur longue peacuteriode et comment cela srsquoeacutetait passeacute dans les principaux pays deacuteveloppeacutesRexecode vient de reacuteactualiser ce travail

Je passe sur les consideacuterations de meacutethode pour commenter les reacutesultats Ce graphi-que fait lrsquohypothegravese que les stocks repreacutesentaient 25 du PIB au lendemain de laguerre qursquoils tournaient 4 fois dans lrsquoanneacutee On voit apparaicirctre 3 groupes de pays

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mdash le Japon et le Canada qui sont agrave 14-16 apregraves avoir miseacute sur les reacuteseaux et le juste-agrave-temps

mdash la France dont on reparlera qui est dans une situation hors norme agrave 27 environaujourdrsquohui

mdash le groupe central (Eacutetats-Unis Grande-Bretagne Allemagne) qui est agrave 18-22

Agrave ce stade jrsquoinsiste sur la contre-performance de ces 18-22 Apregraves une vague de deacutesin-flation faire 18-22 au lieu de 25 drsquoun PIB qui a profondeacutement changeacute dans sa com-position avec une part bien plus importante des productions de biens immateacuteriels et deservices sans stocks crsquoest tout agrave fait insuffisant Cela reflegravete en fait avant le deacuteveloppe-ment du commerce eacutelectronique une situation de ralentissement marqueacute de la rotationdes actifs avec des paliers de stagnation venant contrecarrer le mouvement de baisse

Cinquiegraveme thegravese Lrsquoimpasse de lrsquoeacuteconomie de lrsquoimmateacuteriel

Au XVIIIe siegravecle agrave lrsquoaube de la reacutevolution industrielle un deacutebat a agiteacute le monde deseacuteconomistes mercantilistes laquo Faut-il vendre cher pour ecirctre riche Peut-on ecirctre riche

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et bon marcheacute raquo Ce deacutebat srsquoest retrouveacute ces derniegraveres anneacutees dans une interrogationsur lrsquoeacuteconomie de lrsquoimmateacuteriel Drsquoun seul coup tout le monde voulait valoriserlrsquoimmateacuteriel Les comptables voulaient inscrire des actifs immateacuteriels importants dansles bilans Les financiers voulaient valoriser les goodwills Les commerciaux voulaientvendre chers les services tandis que les strategraveges ne juraient que par la valeur ajouteacutee

Cet orgueil de lrsquoimmateacuteriel est agrave mettre en relation directe avec le ralentissement dela rotation des actifs et de la circulation de la monnaie le cas de la France illustre biencela Agrave la fin des anneacutees 80 nous nous sommes en effet orienteacutes vers une politique dedeacutesinflation compeacutetitive qui se voulait lrsquoeacutequivalent agrave lrsquoeacutechelle drsquoune nation de ceqursquoest le discount agrave lrsquoeacutechelle drsquoun commerce On ne deacutevalue pas la monnaie mais onbaisse les prix par rapport agrave ce que pratique la concurrence Agrave gains de productiviteacuteidentiques cela signifie que lrsquoon ristourne plus de marge agrave nos clients exteacuterieurs quelrsquoon en garde moins pour lrsquoeacuteconomie nationale

Sur le long terme une telle politique nrsquoest viable que si elle srsquoaccompagne drsquoune rota-tion des actifs plus rapide que celle des concurrents Malgreacute lrsquoaccroissement du volumedes exportations on a vu que tel nrsquoavait pas eacuteteacute le cas globalement Aussi la questionse pose-t-elle de savoir comment le PIB franccedilais a continueacute de croicirctre en exportant agraveprix discount et sans compensation par des effets volume La reacuteponse est agrave rechercherme semble-t-il dans le partage laquo prixvolume raquo de ce qui srsquoexportait moins avec larecherche systeacutematique drsquoune valorisation excessive de lrsquoimmateacuteriel et des servicesTout srsquoest passeacute comme pour un commerccedilant qui aurait agrave la fois des prix drsquoappel et desrayons mieux margeacutes

Une bulle srsquoest formeacutee reposant sur une sur-valorisation du temps social En Franceagrave la fin des anneacutees 80 les services aux particuliers se sont mis agrave fonctionner agrave 2 F laminute Le modegravele se retrouve par exemple dans la restauration Dans un fast-food onreste 15 minutes et cela coucircte 30 F Une brasserie ougrave lrsquoon reste 1 heure coucircte 120 F Unrepas dans un restaurant plus chic ougrave lrsquoon reste deux heures 240 F Il y a bien sucircr desexceptions mais la plupart des points srsquoajustent selon une droite ougrave le talent du cuisi-nier ne se reacutemunegravere qursquoen fonction de lrsquoincitation qursquoil procure agrave consommer plus detemps

Le risque en facturant ainsi chegraverement le temps est celui drsquoune contagion de lrsquoeacuteco-nomie de la lenteur La monnaie est lente les stocks stagnent les services sont chersLa norme eacutetait installeacutee en France au deacutebut des anneacutees 1990 le minitel eacutetait agrave 2 F laminute les taxis agrave 2 F la minute le teacuteleacutephone inter-urbain agrave 2 F la minute Le GSM aeacuteteacute introduit agrave 2 F la minute Tout agrave 2 F la minute Le virage que symbolise Internetcrsquoest celui de lrsquoabandon de ces facturations agrave la dureacutee de la chute reacuteelle du coucirct descommunications de la reacuteconciliation des deacutemarches laquo prix raquo et des deacutemarcheslaquo services raquo

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

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Sixiegraveme thegravese le plein emploi gracircce aux deacutemarches clients

La France est une eacuteconomie agrave fort niveau de stock et agrave faible niveau drsquoemploi Lrsquounest la contrepartie de lrsquoautre dans un contexte drsquoopposition deacutepasseacutee entre le prix et leservice Nous pouvons inverser le processus et viser le plein emploi Encore faut-il ecirctrepreacutecis sur le diagnostic et sur lrsquoaction agrave mener

Les travaux que jrsquoai eu agrave piloter sur le commerce du deacutetail font apparaicirctre qursquoagrave luiseul ce secteur pourrait creacuteer 1 million et demi drsquoemplois Pour reacutepondre aux besoinsde 100 habitants la France compte en effet 3 actifs contre 55 aux Eacuteats-Unis (cf cahierLaSer ndeg1 laquo Self-service mondial ou nouvelle eacuteconomie de services raquo avec des con-tributions de Rexecode et de J Kaspar) La question que creuse cette eacutetude crsquoest desavoir pourquoi Drsquoougrave vient cette diffeacuterence et que faut-il faire pour la combler

On met geacuteneacuteralement en avant le coucirct du travail et il est exact que le prix de revienttoutes charges comprises drsquoune heure de travail aux Eacutetats-Unis est sensiblement plusfaible qursquoen France Mais on doit agrave nouveau se poser la question du pourquoi Le pro-blegraveme nrsquoest pas en effet celui drsquoune diffeacuterence portant sur le seul marcheacute du travailCrsquoest celui drsquoune diffeacuterence qui porte sur la dynamique geacuteneacuterale des marcheacutes sur lesregravegles actuelles de la compeacutetition Aux Eacutetats-Unis la cleacute de la compeacutetition crsquoestaujourdrsquohui le service Partant de lagrave il srsquoen deacuteduit des laquo business models raquo diffeacuterentsun recours plus important au temps partiel un recrutement de salarieacutes qui ressemblentaux clients donc une pyramide des acircges plus eacutequilibreacutee qursquoen France donc des jeuneset des personnes assez acircgeacutees nrsquoayant pas besoin de couverture sociale suppleacutementairespeacutecifique donc in fine un coucirct du travail plus bas

Lrsquoexemple de Wal-Mart le leader ameacutericain (et mondial) du commerce illustre cettethegravese Depuis des anneacutees cette entreprise utilise en effet la technologie au service drsquounestrateacutegie drsquoentreprise preacutecise optimiser ses stocks et son capital circulant pour creacuteer unavantage compeacutetitif reacuteinvestir les gains de productiviteacute obtenus sur lrsquoamont dans le ser-vice laquo aval raquo afin de mieux fideacuteliser les clients Les moyens mis en œuvre sontimpressionnants saisie unitaire systeacutematique des ventes centralisation de lrsquoinformationgracircce agrave un reacuteseau priveacute de satellites V-SAT accegraves des fournisseurs agrave une base permettant deconnaicirctre chaque jour les ventes de chaque reacutefeacuterence dans chacun des 2500 magasinseacutechange drsquoinformations partage de responsabiliteacutes datamining intranet web mondialetc Lrsquoimpact de tout ceci on le voit bien dans un graphique comparant un hypermarcheacutefranccedilais moyen et un supercenter Wal-Mart moyen crsquoest-agrave-dire une formule de Wal-Martcommercialisant des produits alimentaires et non-alimentaires comme un hypermarcheacute

Le hasard fait qursquoavec un dollar agrave 6 F un Wal-Mart de 1996 faisait exactement lemecircme chiffre drsquoaffaires qursquoun hyper franccedilais 420 MF Mais on voit qursquoaucun paramegrave-

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tre nrsquoest comparable Lrsquohypermarcheacute nrsquooptimise pas le flux de marchandises et trouveun eacutequilibre eacuteconomique par une forte rentabiliteacute du capital investi (CAmsup2) et par uneforte productiviteacute du personnel Lrsquoaxe de rationalisation de Wal-Mart est au contrairela rotation du capital circulant les stocks tournent 25 fois dans lrsquoanneacutee contre 10 enFrance Et il y a 2 fois plus de personnel pour faire le mecircme chiffre drsquoaffaires

La Nouvelle Eacuteconomie et ses Paradoxes

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Septiegraveme thegravese LrsquoEurope doit tourner la page de la laquo socieacuteteacute drsquoinformation raquo

Le commerce eacutelectronique et lrsquoinformatisation des eacutechanges sont une eacutetape essen-tielle pour lrsquoEurope Lrsquoenjeu est drsquoacceacuteleacuterer la rotation des stocks drsquoacceacuteleacuterer la circula-tion de la monnaie drsquoacceacuteleacuterer la circulation du capital Une dynamique forte tendantau plein-emploi est agrave attendre de cette politique

Lrsquoessentiel est une affaire de comportement drsquoentreprises mais les pouvoirs publicsont un rocircle important agrave jouer Au niveau de lrsquoEurope deux prioriteacutes nous semblentsrsquoimposer La premiegravere est de tourner la page du thegraveme que lrsquoon appelle agrave Bruxelleslaquo socieacuteteacute drsquoinformation raquo et qui ordonne les moyens importants que lrsquoEurope consacreaujourdrsquohui agrave ces sujets Ce thegraveme a 3 inconveacutenients Il suggegravere qursquoil faudrait anticiperun futur alors que personne nrsquoest leacutegitime pour faire lrsquoingeacutenierie drsquoune socieacuteteacute nou-velle et qursquoil srsquoagit plus modestement drsquoaccompagner un preacutesent Il deacutebouche commele font souvent les anticipations technocratiques sur une focalisation des eacutenergies versdes enjeux non-marchands eacuteducation santeacute environnement transports urbainsCes sujets sont fondamentaux mais il ne faut pas vouloir les faire progresser indeacutepen-damment de la dynamique qui se met en place dans les entreprises pour faire face auxnouveaux rapports marchands Le thegraveme laquo socieacuteteacute de lrsquoinformation raquo a enfin lrsquoincon-veacutenient drsquoecirctre imbriqueacute dans toute une approche orgueilleuse de lrsquoimmateacuteriel dont ilest vital aujourdrsquohui de percer la baudruche Crsquoest un risque pour lrsquoeacuteconomie de sesatisfaire de la valorisation de lrsquoimmateacuteriel et du cycle lent des actifs Crsquoest un risquepour lrsquoemploi de confondre lrsquoavenir avec le seul tertiaire supeacuterieur de la connaissancedu savoir et de la communication en neacutegligeant le potentiel des meacutetiers du commerceet de lrsquoeacutechange ou en ne le traitant que dans le cadre de reacuteflexions sur les basses quali-fications

Mieux vaudrait aujourdrsquohui parler drsquoeacuteconomie que de socieacuteteacute de lrsquoinformation Celaveut-il dire que lrsquoEurope doit laisser de cocircteacute un message moral et solidariste qursquoelle sentde sa mission de tenir face agrave ce qui se passe aux Eacutetats-Unis Nullement Mais la prioriteacuteici serait drsquoidentifier intelligemment les sujets sur lesquels nous pouvons reacuteellementaffirmer notre conception du monde Mecircme en eacutetant favorables agrave lrsquoeacuteconomie de mar-cheacute il nrsquoest ainsi pas eacutevident de laisser les Eacutetats en dehors drsquoun grand deacutebat sur les frau-des et sur la seacutecuriteacute des paiements Le deacutebat ne serait-il pas assaini si les pouvoirspublics passaient agrave la vitesse supeacuterieure en matiegravere de lutte contre la mafia et lrsquoargentsale

Mais crsquoest sur le terrain des liberteacutes priveacutees et publiques que lrsquoEurope peut le mieuxsrsquoaffirmer Nombre de pays drsquoEurope ont une leacutegislation laquo informatique et liberteacutes raquo etlrsquoUnion europeacuteenne a adopteacute une directive en ce sens Ce nrsquoest pas le cas des Eacutetats-UnisPourtant les sondages montrent que la crainte drsquoune traccedilabiliteacute trop grande est deve-

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nue lrsquoobstacle numeacutero 1 agrave une extension du commerce eacutelectronique et qursquoune majo-riteacute des internautes ameacutericains est deacutesormais favorable agrave une loi comparable agrave ce quiexiste en Europe Sur le fond lrsquoexistence de telles leacutegislations nrsquoest pas contradictoiremdash bien au contraire mdash avec les tendances les plus innovantes du marketing personna-liseacute et laquo one-to-one raquo que permet la technologie Au-delagrave de la consommation demasse la question est en effet de savoir si nous allons vers lrsquoindividualisation (crsquoest agravedire le ciblage des comportements par des technologies centrales) ou vers la personna-lisation (crsquoest-agrave-dire la liberteacute de choix de simulation et de reconfiguration des offrespar une technologie aux mains des personnes)

Les lois laquo Informatique et Liberteacutes raquo favorisent la seconde tendance au deacutetriment dela premiegravere Mais crsquoest la voie la plus novatrice dans les eacutevolutions en cours et lrsquoEuropea la possibiliteacute sur ce sujet drsquoaffirmer sa vision et de la placer au centre de lrsquoeacutevolutiondes marcheacutes et de lrsquoeacuteconomie

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Les Echos du 06121999 au 11121999 Enquecircte ldquoLa nouvelle eacuteconomierdquo (1) Lentreacutee dans lacircge delimmateacuteriel (2) Lalchimie de la croissance ameacutericaine (3) E-commerce la reacutevolution en marche (4) Le clientau cœur de lentreprise (5) Les deacutefis sociaux de legravere Internet

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Note de lrsquoeacutediteur

La recherche entreprise pour ce Cahier LASER consacreacute agrave la nouvelle eacuteconomie a eacuteteacutemeneacutee par le GIE RECHERCHE HAUSSMANN cellule de recherche et drsquoinnovation techno-logique de LASER Conduite pour lrsquoessentiel sur lrsquoInternet source ineacutepuisable drsquoinfor-mations elle srsquoest accompagneacutee drsquoun suivi de la presse et des publications sur lanouvelle eacuteconomie et les thegravemes associeacutes Elle srsquoest par ailleurs appuyeacutee sur laquo les Jour-neacutees drsquoeacutetudes drsquohistoire eacuteconomiques organiseacutee par le laboratoire Isys-Matisse (Uniteacutede recherche CNRS de lrsquoUniversiteacute Paris 1 Pantheacuteon Sorbonne) sous le titrelaquo Transformations de la division du travail et nouvelles reacutegulations raquo

Tous les textes qui sont ici traduits et reproduits proviennent du World Wide Web desites acadeacutemiques ou de sites des eacutediteurs qui doublent leurs publications commercia-les par une eacutedition en ligne librement accessible

Le foisonnement des sources lrsquoabondance des ramifications et lrsquohistoire se faisantdans le mecircme temps que lrsquoinvestigation toute intention drsquoexhaustiviteacute si lrsquoon y avaitsongeacute eacutetait exclue Pour tous les textes qui nrsquoeacutetaient pas libres de droit lrsquoautorisationdes auteurs a eacuteteacute systeacutematiquement recueillie Nous tenons agrave les remercier

Au bout du compte crsquoest parmi plusieurs dizaines drsquoarticles de grand inteacuterecirct qursquoil afallu trouver un chemin avec deux principes directeurs pour la seacutelection finale de cestextes qursquoils contribuent agrave se former une ideacutee aussi claire que possible des theacutemati-ques de fond de la nouvelle eacuteconomie que leur arrangement permette de rendrecompte drsquoune geacuteneacutealogie en mecircme temps que drsquoun mouvement drsquoideacutees et reflegraveteautant que possible les arriegravere-plans du deacutebat ameacutericain

Dans le cadre que nous nous eacutetions fixeacute nous avons ducirc renoncer agrave de nombreuses con-tributions Il nous a ainsi fallu deacutelaisser agrave regret certains textes au caractegravere fondateurcomme laquo The New Wave Manifesto raquo de Edward Yardeni qui propheacutetisa en octobre1988 le renouveau du deacuteveloppement eacuteconomique des Eacutetats-Unis ou encore laquo TheLong Boom A History of the Future 1980-2020 raquo de Peter Schwartz et Peter Leydenqui paru dans Wired en juillet 1997 joua le rocircle drsquoun deacutetonateur de lrsquoespoir dans le cielameacutericain De mecircme il nous a fallu renoncer agrave des articles qui srsquoefforcent drsquoouvrir lesperspectives sur un apregraves de la nouvelle eacuteconomie tels Building Wealth de Lester Thu-row et Beyond the Information Revolution de Peter Drucker (parus dans The AtlanticMonthly respectivement en juin et en octobre 1999) On trouvera les reacutefeacuterences et lesliens pour tous ces articles dans la bibliographie

Les traductions ont eacuteteacute assureacutees par Olivier Le Goff

Eric BARCHECHATH

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Cet ouvrage peut ecirctre obtenu aupregraves de LASER dans sa version papier ou teacuteleacutechargeacute depuis le site des Eacuteditions 00h00com dans sa version numeacuterique

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[1]

Lrsquoexemplaire numeacuterique est livreacute dans un format nommeacute PDF (PortableDocument Format) deacuteveloppeacute par la socieacuteteacute Adobereg qui permetdrsquoavoir une vraie mise en page agrave lrsquoeacutecran et offre certaines fonctionnali-teacutes tregraves utiles qui sont deacutetailleacutees ci-apregraves

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Eacutequivalent du laquo forward raquo retour agrave lrsquoeacutecran suivant

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Comment sauvegarder un PDF reccedilu par e-mail [4]bull Sur PC et pour la plupart des programmes de mails qursquoils soientinteacutegreacutes au navigateur ou non lorsque vous cliquez sur lrsquoicocircne dufichier attacheacute dans lrsquoe-mail celui-ci va srsquoouvrir gracircce au pro-gramme Acrobat Reader que vous aurez preacutealablement teacuteleacutechargeacuteet installeacute Une fois ouvert dans Acrobat Reader dans le menulaquo Fichier raquo cliquez sur laquo Enregistrer sous raquo et speacutecifiez lrsquoendroitougrave vous deacutesirez enregistrer votre PDF Vous pouvez eacutegalement sau-vegarder tregraves rapidement votre PDF en maintenant la touchelaquo Shift raquo (Majuscules) appuyeacutee tout en cliquant sur lrsquoicocircne dufichier attacheacute dans votre e-mail une fenecirctre de dialogue srsquoou-vrira alors et vous demandera ougrave vous deacutesirez enregistrer votrePDF

bull Sur Macintosh vous pouvez effectuer les mecircmes opeacuterationsque celles deacutecrites ci-dessus mais vous pouvez eacutegalement seacutelec-tionner lrsquoicocircne mateacuterialisant le fichier attacheacute dans votre e-mailet la faire laquo glisser raquo sur le bureau ou dans le reacutepertoire que vousdeacutesirez Par la suite un simple double-clic sur le fichier deacuteclen-chera son ouverture dans Acrobat Reader

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Remarque concernant les notes en fin drsquoouvrage Dans certains textes les notes sont en fin drsquoouvrage et un hyper-lien permet drsquoy acceacuteder (il suffit de cliquer sur lrsquoappel de notepour acceacuteder agrave la page des notes) Pour revenir au texte source cli-quez sur la note

  • Cahiers LaSer ndeg3
    • Sommaire
    • Quest-ce que la nouvelle eacuteconomie Philippe Lemoine
      • Un deacutebat important
      • Trois paradoxes
      • Un cadre danalyse
        • Chapitre I La nouvelle eacuteconomie des lois aux paradoxes
          • De nouvelles regravegles pour la nouvelle eacuteconomie douze principes fiables pour prospeacuterer dans un monde turbulent Kevin Kelly
            • 1 La Loi de la Connexion
            • 2 La Loi de lAbondance
            • 3 La Loi de la Valeur Exponentielle
            • 4 La Loi des Points de Basculement
            • 5 La Loi des Rendements Croissants
            • 6 La Loi des Prix Inverseacutes
            • 7 La Loi de la Geacuteneacuterositeacute
            • 8 La Loi de lAlleacutegeance
            • 9 La Loi de la Reacutegression
            • 10 La Loi de la Substitution
            • 11 La Loi du Brassage
            • 12 La Loi de lInefficaciteacute
              • Y-a-t-il une nouvelle eacuteconomie Alan Greenspan
                • Chapitre II Le paradoxe de Solow
                  • Le paradoxe de Solow sur la productiviteacute en qui les ordinateurs contribuent-ils agrave la productiviteacute Jack E Triplett
                    • Contexte
                      • 1 On ne voit pas des ordinateurs laquo partout raquo au sens eacuteconomique et fort du terme
                      • 2 On a limpression et seulement limpression que les ordinateurs sont partout
                      • 3 On ne voit pas des ordinateurs partout mais leur contribution est peu mesureacutee dans certains secteurs eacuteconomiques qui sont
                      • 4 Que lon voie ou non des ordinateurs partout une partie du travail reacutealiseacute par ceux-ci nest pas comptabiliteacutee dans les s
                      • 5 On ne voit pas encore les ordinateurs dans les statistiques de productiviteacute mais il suffit dattendre un peu
                      • 6 On voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productiviteacute parce que les ordinateurs ne sont pas aussi pro
                      • 7 Il ny a pas de paradoxe certains eacuteconomistes eacutevaluent les innovations et les nouveaux produits sur une eacutechelle arithmeacutet
                        • Chapitre III Le paradoxe du Nairu
                          • La capitulation de la politique eacuteconomique James K Galbraith
                            • Le consensus de la droite sur lemploi et linflation
                            • Ougrave se trouve le taux naturel de chocircmage
                            • Nairu avec un N comme Nomade
                            • Les libeacuteraux ont perdu sur le front de loffre
                            • La macroeacuteconomie dans un monde structuraliste
                              • Agrave quelle vitesse leacuteconomie ameacutericaine peut-elle croicirctre Paul Krugman
                                • Pourquoi leacuteconomie a-t-elle une laquo limite de vitesse raquo
                                • Les paradoxes de la productiviteacute
                                • Mondialisation et inflation
                                • Le succegraves dun paradigme
                                  • Vitesse-limite Reacutealiteacutes et fictions dans le deacutebat sur la croissance Alan S Blinder
                                    • Plus vite agrave court terme
                                    • La perspective agrave long terme
                                    • Le ralentissement de laugmentation de productiviteacute
                                    • Ce que peut faire une politique intelligente
                                        • Chapitre IV Le paradoxe boursier
                                          • Est-ce une bulle Edward Yardeni
                                          • Une succession de corrections Edward Yardeni
                                            • Le vaisseau spatial de la net-eacuteconomie passe agrave la vitesse Warp II
                                            • Naissance dune nouvelle eacuteconomie Sept thegraveses sur leacuteconomie de marcheacute agrave lacircge du commerce eacutelectronique Philippe Lemoine
                                            • Titres de participation analyse des mouvements de fonds
                                              • Naissance dune nouvelle eacuteconomie Sept thegraveses sur leacuteconomie de marcheacute agrave lacircge du commerce eacutelectronique Philippe Lemoine
                                                • Bibliographie
                                                • Note de leacutediteur
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