La musique au cinéma

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SOMMAIRE INTRODUCTION ....................... 7 I – LE FONCTIONNEMENT SÉMANTIQUE DE LA MUSIQUE 1. Existe-t-il une sémantique musicale ? ............ 15 2. Vers une théorie du fonctionnement sémantique du langage musical ............................. 22 2.1. Le concept de symbole .................. 33 3. Les structures discursives : la modalité symbolique dans les processus de signification en musique ............. 36 3.1. Symbolisme et caractéristiques des phénomènes perceptifs. 42 3.2. Les figures discursives : symbolisme synesthésique .... 44 3.2.1. La synesthésie : un nœud pluridisciplinaire entre régions limitrophes ................. 45 3.2.2. Synesthésies et perceptions amodales ........ 49 3.2.3. Les synesthésies visuelles .............. 57 3.2.4. Les synesthésies tactiles ............... 61 3.2.5. Les synesthésies thermiques ............. 64 3.2.6. Les synesthésies tactilo-cénesthésiques ....... 65 3.2.7. Les synesthésies olfactives et gustatives ....... 68 3.2.8. Les synesthésies spatiales .............. 68 3.2.9. Conclusions ..................... 75 3.3. Les figures discursives : symbolisme spatio-temporel ... 76 3.3.1. Les qualités spatio-temporelles et cinétiques ..... 82 3.3.2. Les transferts de signifié du domaine rhétorique au domaine psychologique ............. 87 3.3.3. Les transferts de signifié du domaine syntaxique au domaine psychologique ............... 88 3.4. Le symbolisme physiognomique .............. 92 3.4.1. Les formes du mouvement et les affects vitaux.... 93 3.4.2. Les émotions .................... 95 3.4.3. Aspects mentaux, comportementaux et physiologiques de l’émotion ............. 103 3.4.3.1. Les expressions vocales non verbales .... 106 3.4.4. Les processus de transposition symptomatique .... 117 3.4.4.1. Les modalités émotionnelles fondamentales . 118 3.4.5. Les processus de transposition métaphorique .... 142 5

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Si la musique occupe une place aussi importante dans le cinéma, c’est qu’en vertu de son pouvoir de transformation, elle accroît la capacité des images à susciter l’émotion chez le spectateur. Du reste, elle acquiert une dimension iconique dans son rapport à l’image, dont elle est...

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SOMMAIRE

INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

I – LE FONCTIONNEMENT SÉMANTIQUE DE LA MUSIQUE

1. Existe-t-il une sémantique musicale ? . . . . . . . . . . . . 15

2. Vers une théorie du fonctionnement sémantique du langagemusical . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222.1. Le concept de symbole . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33

3. Les structures discursives : la modalité symbolique dans lesprocessus de signification en musique . . . . . . . . . . . . . 363.1. Symbolisme et caractéristiques des phénomènes perceptifs. 423.2. Les figures discursives : symbolisme synesthésique . . . . 44

3.2.1. La synesthésie : un nœud pluridisciplinaire entrerégions limitrophes . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

3.2.2. Synesthésies et perceptions amodales . . . . . . . . 493.2.3. Les synesthésies visuelles . . . . . . . . . . . . . . 573.2.4. Les synesthésies tactiles . . . . . . . . . . . . . . . 613.2.5. Les synesthésies thermiques . . . . . . . . . . . . . 643.2.6. Les synesthésies tactilo-cénesthésiques . . . . . . . 653.2.7. Les synesthésies olfactives et gustatives . . . . . . . 683.2.8. Les synesthésies spatiales . . . . . . . . . . . . . . 683.2.9. Conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75

3.3. Les figures discursives : symbolisme spatio-temporel . . . 763.3.1. Les qualités spatio-temporelles et cinétiques . . . . . 823.3.2. Les transferts de signifié du domaine rhétorique

au domaine psychologique . . . . . . . . . . . . . 873.3.3. Les transferts de signifié du domaine syntaxique au

domaine psychologique . . . . . . . . . . . . . . . 883.4. Le symbolisme physiognomique. . . . . . . . . . . . . . 92

3.4.1. Les formes du mouvement et les affects vitaux. . . . 933.4.2. Les émotions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 953.4.3. Aspects mentaux, comportementaux et

physiologiques de l’émotion. . . . . . . . . . . . . 1033.4.3.1. Les expressions vocales non verbales . . . . 106

3.4.4. Les processus de transposition symptomatique. . . . 1173.4.4.1. Les modalités émotionnelles fondamentales . 118

3.4.5. Les processus de transposition métaphorique . . . . 142

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4. Les connotations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143

5. Le fonctionnement sémantique de la musique au cinéma . . 144

II – LE FONCTIONNEMENT PRAGMATIQUE DE LAMUSIQUE

1. Contexte et fonctions pragmatiques . . . . . . . . . . . . . 1521.1. Les fonctions et les origines du comportement musical. . . 154

2. Vers un modèle fonctionnel. . . . . . . . . . . . . . . . . . 161

3. La macro-fonction motrice-affective . . . . . . . . . . . . . 1653.1. La fonction d’induction sensorimotrice . . . . . . . . . . 167

3.1.1. Les sous-fonctions . . . . . . . . . . . . . . . . . 1753.2. La fonction génératrice d’émotions . . . . . . . . . . . . 177

3.2.1. L’expérience acoustique et l’inconscient . . . . . . . 1793.2.2. Les dimensions du langage musical : le rythme,

la mélodie, la mère et l’inconscient . . . . . . . . . 1853.2.2.1. L’organisation, la maîtrise du tempo et

l’inconscient collectif . . . . . . . . . . . . 1883.2.2.2. La musique comme symbole de l’ordre

numérique. . . . . . . . . . . . . . . . . . 1973.2.3. Le fonctionnement pragmatique, la fonction d’induction

sensorimotrice, le corps et l’inconscient personnel . . . 1993.2.4. Le fonctionnement sémantique, la fonction émotive,

la mélodie, les affects et l’inconscient . . . . . . . . 2013.2.5. La sous-fonction mnésique . . . . . . . . . . . . . 203

3.3. La macro-fonction motrice et affective au cinéma . . . . . 204

4. La macro-fonction de socialisation . . . . . . . . . . . . . . 2064.1. La macro-fonction de socialisation au cinéma . . . . . . . 207

5. La macro-fonction communicative . . . . . . . . . . . . . . 208

III – LA MUSIQUE DANS LE CINÉMA DEWOODYALLEN

1. L’usage de musique préexistantes . . . . . . . . . . . . . . 2181.1. Fonctions et effets de sens . . . . . . . . . . . . . . . . . 220

IV – FANTASIA DEWALT DISNEY

1. L’union des arts, synesthésies et cinéma d’animation . . . . 233

2. Fantasia : un exemple de transposition intersémiotique . . . 2382.1. Effets d’adéquation synesthétique . . . . . . . . . . . . . 2402.2. Effets d’adéquation expressive. . . . . . . . . . . . . . . 243

BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247

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Sommaire

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I. LE FONCTIONNEMENTSÉMANTIQUE DE LA MUSIQUE

« L’usage correct du langage représente à mesyeux ce qui permet de s’approcher des choses(présentes ou absentes) avec discrétion, attention,et prudence, dans le respect de ce que les choses(présentes ou absentes) communiquent sansparoles. »Italo Calvino, Leçons américaines

1. EXISTE-T-IL UNE SÉMANTIQUE MUSICALE ?

On ne peut envisager une analyse approfondie du contenu audiovisuelau cinéma sans recourir à la première théorie de référence, celle du fonc-tionnement sémantique de la musique.Ce sujet implique d’abord une option fondamentale parmi les nom-

breuses et complexes références théoriques, puisque la sémiotique musi-cale est subdivisée en plusieurs orientations, tendances et sous-orienta-tions, mais il requiert aussi une option prioritaire, par rapport au fait quel’on puisse parler de fonctionnement sémantique. Cette option apparaîtdans le modèle de fonctionnement que nous avons mis au point(cf. II, 1.), dans la conviction fondamentale selon laquelle tout type deformalisme brise les liens existants entre langue et vie : notre paradigmeétablit en effet une macro fonction, dite communicative, dans laquellel’événement musical tend pour sa plus grande part à communiquerquelque chose aux autres. Une fois admise cette fonction communicative,on sous-entend que la musique est un langage, doté comme tel d’unecapacité expressive et significative.La réflexion sur les processus de signification du langage musical est

l’objet spécifique d’études d’une discipline spécifique, la sémiotiquemusicale, née en 1971, sous le nom de sémiologie – discipline en cours

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de formation et au statut scientifique encore indéfini – et qui surtout s’estfragmentée en plusieurs tendances, en ce qui concerne la sémantique.D’après la répartition célèbre de Charles Morris, qui divise la sémiotiqueen trois domaines – syntactique, sémantique et pragmatique – (cf. II, 1.),c’est précisément le domaine considéré comme « sémantique », relatif àl’étude des signifiés qui pose le plus de problèmes. Il entend apporter denouvelles réponses à de vieilles questions, manifestant ainsi un regaind’intérêt envers une conception ontologique de la musique, perçuecomme système significatif, capable de renvoyer au monde extérieur. Lasémantique musicale doit en effet rendre compte, non sans risques, desprocessus de signification en musique et construire un métalangagesémiotique pour parler de musique, en tentant de conceptualiser quelquechose qui n’a rien de conceptuel. Parler de sémantique équivaut à parlerde signification, et la question est alors de savoir ce que l’on entend parsignification musicale. Dans la richesse polysémique de ce terme, Nattiezdistingue lui aussi un sens circonscrit : une œuvre musicale prend un senslorsque son interprète la met en relation avec son horizon culturel ou sonvécu, ou avec l’ensemble des autres objets, concepts ou événements quifont partie de son expérience personnelle.L’expression devient donc la donnée inhérente à la structure et dès

lors, les éléments structuraux du langage musical – les qualités acous-tiques du son (hauteur, intensité, timbre), ses qualités articulatoires(rythme, mélodie, dynamique) et, dans une moindre mesure, les gestesproductifs nécessaires à l’émission du son – sont des pré-conditions dusignifiant. Quant à la signification, elle est à son tour une élaboration dela donnée inhérente à la structure et tend à la réduire à un concept, à larationaliser, à l’expliquer.Le signifié ne réside donc ni dans les formes ni dans leurs relations,

ni dans les définitions métalinguistiques et classifications grammaticales,ni dans les émotions « originelles » de l’auteur ou dans celles qui sontsuscitées chez l’auditeur. Tout d’abord, une expression a un senslorsqu’elle dit quelque chose à l’égard d’un objet qui n’appartient pas àl’expression même ni à ses relations fonctionnelles avec d’autres formesou éléments signiques ; en second lieu, ce qui est dit et ce dont on parledoivent être traduisibles, au moins de façon approximative, en expres-sions du langage verbal ou de langages différents de celui qui est utilisédans l’expression. La signification est donc l’ensemble des faits séman-tiques associés à un objet et elle possède un vécu.La problématique et les difficultés du rôle de la sémantique dépendent

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principalement du fait que le langage musical est totalement dépourvud’une sémantique définie selon des fonctions établies et systématisées ;en d’autres termes, il ne dispose pas d’un ensemble d’éléments précis, quipermette de relever un signifiant et un signifié dans toutes les unités iden-tifiées. On ne peut effectivement pas définir une série d’agrégats de sonscomparables aux signes de la langue – les mots – ni les classer, commetels, dans un dictionnaire.Certains auteurs, dont Nattiez, ne cachent pas leur scepticisme à

l’égard de la sémantique, car celle-ci s’occupe des significations concep-tuelles liées à la musique. Bien qu’elle soit reconnue comme étant unedes grandes orientations générales de la sémiologie musicale, elle s’endistingue nettement, et le concept même de sémantique, associé dans sonacception à des formes de pensée logique, fait l’objet de discussions. Etceci pour deux raisons : tout d’abord, si la sémantique est cette partie dela sémiotique musicale qui, parmi les différents types d’interprétants seréférant à une musique donnée, privilégie ceux qui se prêtent le plus aurattachement à une signification conceptualisée et verbalisée ; Nattiezsignale toutefois que ces interprétants ne forment qu’une partie de ceuxqui se réfèrent à une œuvre musicale. En effet, la signification d’unemusique donnée ne parvient pas nécessairement à la conscience du sujetsous forme verbalisée, mais parfois sous forme d’impressions et de sen-sations vagues à un niveau préréflexif. Quant à Francès, il pense aussi que« le jugement sémantique appliqué à la musique n’est que le dernier élé-ment d’un processus qui, bien que sans effet verbal pour certains, n’en estpas moins réel et efficace à un niveau préréflexif ».Par ailleurs, la verbalisation de la musique semble être une préroga-

tive de la culture et de la recherche musicologique occidentale et consti-tue un modèle et une typologie de pensée et d’analyse étrangers àd’autres cultures en dehors de l’Occident. Tillman Seebas (1999, p. 230)affirme à ce sujet dans un article que, si pour un musicologue occidental« verbaliser la musique veut dire passer d’une forme de communicationartistique et intuitive à une forme de communication analytique et des-criptive », les procédés analytiques d’Extrême-Orient et du Sud-Est asia-tique inclinent plutôt à une description poétique des objets non verbaux,en recourant parfois même aux mythes. « À première vue, l’idée selonlaquelle on peut faire appel à la poésie pour énoncer des vérités scienti-fiques nous apparaît comme un anathème, un peu comme si nous rappe-lions à la vie le subjectivisme tant redouté, et que l’on croyait mort.Actuellement, il n’y a presque pas de recherche musicologique des

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auteurs indigènes sur leur musique. Nous ne savons donc pas commentils conçoivent leur “histoire de la musique”. Ils parlent de la musique desautres à la manière des ethnomusicologues occidentaux, mais ils ne ver-balisent rien de la leur, car ils refusent l’idée de se rapprocher dialecti-quement de ce qu’ils ressentent comme leur propriété ». En conclusion,Seebas n’exclut pas le fait que des méthodes d’analyse autochtones puis-sent apparaître dans le futur.En second lieu, ce qui rend la sémantique musicale un sujet d’études

particulièrement ardu, est, selon Nattiez, le fait que l’apparition d’unesérie donnée d’interprétants, qui associent un signe précis à un objet plu-tôt qu’à un autre, soit en partie déterminée par des situations (psycholo-giques, sociales, historiques etc.), continuellement fluctuantes et qu’ellesoit liée aux idiosyncrasies et aux expériences individuelles propres àchaque sujet. Pour ces deux raisons, toujours d’après Nattiez, la séman-tique musicale doit se focaliser sur l’analyse de ce que l’on appelle le« niveau neutre » de la structure musicale et expliquer les relations entrele texte musical et les sens qui y sont liés, en faisant appel aux apportsdisciplinaires sociologique, anthropologique et psychanalytique musical.Ces interrogations de Nattiez sont parfaitement compréhensibles, et

ne doivent pas être sous-évaluées : d’un côté, il y a en effet l’existenceréelle des choses, autrement il n’y aurait pas matière à traduire et à inter-préter ; et d’un autre côté, notre vision de la réalité plonge toujours sesracines dans notre monde intérieur et provient toujours de notre subjecti-vité (l’homme est aussi un « être psychologique »). C’est précisément enfonction de ces questionnements que nous avons mis au point, dans lecadre de l’étude sur la pragmatique de la communication musicale, la dis-tinction entre fonction émotionnelle et fonction stimulatrice d’émotions(cf. II, 3.2.). Cette réflexion a aussi éveillé nos doutes à l’égard desrecherches de sémantique musicale expérimentale, d’autant plus que levocabulaire sensoriel, spatial, temporel et émotionnel, dans lequel il fautpuiser pour obtenir des réponses verbales, est très riche, mais complète-ment vide du point de vue lexical (cf. p. 38). Cela veut dire que, si nouscherchons dans un dictionnaire les mots « tristesse » ou « montée », noustrouverons des définitions synonymiques ou incomplètes. Voyons parexemple les définitions de certains termes appartenant au langage del’expérience sensorielle et émotionnelle, trouvées dans le dictionnaire :

Chute : le fait de ne pas rester droit, de s’écrouler.

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Descente : déplacement de haut en bas.

Tristesse : envahissement de la conscience par une douleur, une insa-tisfaction ou un malaise dont on ne démêle pas la cause, et qui empêchede se réjouir du reste.

Les deux premières définitions sont incomplètes, comme nousl’expliquerons dans l’analyse componentielle (cf. I, 3.3. ; 3.4.2) ; la troi-sième définition est tautologique, c’est-à-dire illusoire, parce qu’elle pro-pose à nouveau, en termes synonymiques appartenant au même champsémantique, l’énoncé de ce qui devrait être objet d’explication.Par conséquent, si la recherche d’une définition de sens est ardue,

également là où les mots peuvent fournir leur extraordinaire contributionde précision, donner un sens à la musique est encore plus difficile et invitele dictionnaire à aller plus loin. Si la musique est un langage, c’est parcequ’elle parle de quelque chose qui n’est pas la musique : mais ce dontparle la musique semble appartenir à l’expérience sensorielle, spatio-tem-porelle et affective, qui se traduit mal en mots et pour laquelle les diction-naires n’offrent aucune aide. Construire un métalangage sémiotique, pourparler de musique, qui tienne également compte de sa nature cinétique,dynamique, inscrite dans le temps, est doublement difficile, bien que lesétudes de sémantique lexicale sur les émotions, réalisées en sémiotiquegénérale, puissent considérablement y aider.Les mêmes raisons qui conduisent à ne pas minimiser les interroga-

tions de Nattiez, induisent à considérer comme fondamentales les indica-tions de l’auteur relatives au fait que chaque herméneutique musicale doitassocier le texte à sa trame linguistique. La raison en est principalementque la compréhension de la musique est un processus complexe danslequel entre en jeu une série de conditions, d’opérations mentales et deconnaissances, au point que cette perception n’est pas évidente. En effet,les deux processus fondamentaux qui composent le vrai processus récep-tif – perception et interprétation – sont précédés d’une série de conditionset d’états entremêlés : d’une part, les pré-conditions réceptives del’auditeur, qui comprennent à la fois des facteurs psychologiques et affec-tifs, et des facteurs culturels et cognitifs – c’est-à-dire la compétencemusicale de l’auditeur – et d’autre part, l’évaluation, réaction pré-inter-prétative, à considérer comme réponse immédiate, mais pas nécessaire-ment cognitive. Avant toute autre élaboration intellectuelle, cette réponseévalue les stimuli en termes d’acceptation/refus, beaux/laids, agréa-

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bles/désagréables. Ce comportement immédiat et en grande partieinconscient, se situe au début de la séquence temporelle des comporte-ments réceptifs (ou des opérations de perception) et semble en grandepartie responsable de l’accès de l’auditeur à ce que nous pouvons définircomme état d’intérêt, cette modalité particulière de disposition psycho-physiologique, à laquelle on attribue plusieurs acceptions (arousal, inté-rêt, excitation, curiosité). Cette phase est cruciale et même décisive dansle travail réceptif du spectateur.Le résultat de cet état d’intérêt est l’état d’attention, réel moteur du

début du processus réceptif, que l’on peut définir comme une dispositionmotivée envers une vision sélective et organisée, opposée à une écoutedistraite.Enfin, le processus réceptif lui-même est formé de deux processus

fondamentaux – perception et interprétation – qui éveillent à leur tour desréactions émotives et affectives : la perception est la phase de focalisationsélective et d’analyse perceptive, au cours de laquelle l’auditeur tâched’analyser, de reconnaître et d’identifier des éléments expressifs de lamusique ; l’interprétation est la phase de reconstitution ou de découvertedu sens, dans laquelle on attribue une signification aux éléments expres-sifs : on parle d’interprétation lorsqu’un signifiant peut être traduit, c’est-à-dire lorsque la musique est traduite dans une autre langue, ou end’autres termes, décrite à travers un autre langage. L’interprétationconcerne non seulement les éléments microstructuraux, mais aussi leséléments macrostructuraux : l’auditeur donne alors une représentationsémantique précise aux unités textuelles découpées au fur et à mesuredans le continuum musical, et en relevant les opérateurs de cohésion dansle texte, il la met au point et lui donne un sens global. Chaque interpréta-tion, y compris celle du musicien, devrait être à la fois redécouverte etrestitution d’un sens, car tout acte interprétatif suppose en effet une trahi-son possible du texte, y compris dans le cas de textes musicaux écrits, àcause des limites inhérentes à la notation même.En substance, la musique présente des difficultés et des limites intrin-

sèques que sa traductibilité ne peut éliminer qu’en partie, et tout acteinterprétatif qui utilise le langage verbal ne peut traduire complètement lamusique ; cependant, non seulement la musique ne peut se définir commeétant un langage asémantique, mais il n’est possible de définir le contenud’une musique qu’à travers les mots du langage.En conclusion, la seule position acceptable est la position intermé-

diaire, comme le soutient Tarasti : on peut dire des vérités sur la musique,

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la traduire en partie, mais pas complètement. Ce serait en effet trop réduc-teur d’y renoncer tout à fait, en considérant que la traduction de lamusique et son interprétation dans un autre langage sont tout à fait inu-tiles.Cette option connaît du reste de nombreuses légitimations : il faut

considérer que la tradition musicale se transmet précisément à l’aide deces traductions et qu’aucun système de signes ne fonctionne isolémentdans la culture, coupé d’autres systèmes (la sémiosphère, pour Lotman,est l’espace dans lequel les langues/langages réalisent, par leurs énoncésconcrets, leur propre échange avec la vie). On ne peut pas oublier nonplus que, pour le moins en ce qui concerne le patrimoine musical écrit, lecompositeur procède à une première traduction quand il transforme sonidée musicale en notation, c’est-à-dire quand il crée sa partition. La nota-tion traditionnelle est un métalangage, dans le sens de procédure de trans-codification qui suit des règles, sur le plan du signifiant : en convertissantles sons en images, celle-ci opère en fait un déplacement d’une matièrevers une autre. Les « programmes verbaux » (et souvent poétiques, àl’époque romantique), qui accompagnent parfois les compositions musi-cales, sont eux aussi des traductions métalinguistiques. L’interprète doitprocéder à son tour à une traduction de la notation musicale en langagetactile et en technique corporelle, et enfin, l’auditeur traduit les phéno-mènes sonores dans le langage de son expérience intérieure. Parmi celles-ci, la traduction la plus radicale est celle qui essaie de verbaliser lamusique dans la tentative de traduire en mots une des phases décrites ci-dessus : dans ce dernier cas seulement, on se situe en dehors du langagemusical, dans un métalangage qui l’observe, et se situe extérieurement auprocessus musical.La traduction de la musique en d’autres langages se justifie ultérieu-

rement et est légitimée par le fait que, dans le processus réceptif, la mu-sique touche à la fois l’ouïe et deux autres systèmes sensoriels (cf. II, 3.),tandis que dans le processus de production et d’exécution du son, la note,bien que dotée d’un élément spécifique (la matière acoustique), se pré-sente de fait comme une expérience complexe. On peut en effet distin-guer, dans le même concept de son, à côté des modalités d’existence sousforme de notation, acoustique et perceptive, une modalité d’existence tac-tile, qui correspond au mouvement lors de l’exécution, quand l’interprètele transforme en langage gestuel. Tarasti définit ce mode d’existence tac-tile comme note g (note geste), et la considère comme unité de base ins-trumentale et motrice. Une telle classification, proposée par Ingmar

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Bengtsson, révèle que, sous de nombreux aspects, la musique est trèsproche d’autres systèmes de communication dits non verbaux.

2. VERS UNE THÉORIE DU FONCTIONNEMENTSÉMANTIQUE DU LANGAGE MUSICAL

La sémantique musicale donne donc lieu à un contexte d’études extrê-mement hétérogènes, dont le manque d’unité s’explique tant par lemanque d’unité de la sémiotique générale – et par conséquent parl’absence d’une théorie de référence unique –, que par la divergence deperspectives sur la façon de considérer le signe en musique et de queltype est la signification syntaxique, sémantique, pragmatique.Il est certain que ces trente dernières années, la sémiotique s’est pen-

chée sur la nature de la communication musicale – et sur l’extrêmevariété et les nombreuses appellations de ses tendances – et a ouvert lavoie à une conception linguistique de la musique et contribué au dépas-sement de la conception formaliste qui considérait la musique comme ungéométrisme abstrait et sonore. Mais, bien que les avis actuels convergentà ce sujet, il reste de profonds désaccords sur la nature du sémantisme ausein de la sémiotique musicale même. Si bon nombre de chercheursacceptent actuellement de ne pas limiter son sens exclusivement à ses élé-ments structuraux (théorie formaliste), ils ne sont pas tous d’accord sur lanature du renvoi du signe musical, ce qui explique les différentes ten-dances en sémiotique musicale. Plusieurs méthodes d’approche de lasignification musicale coexistent en effet à l’intérieur de l’orientationsémantique, qui privilégient tour à tour les aspects productifs et lesaspects réceptifs.Les aspects sémantiques de la musique peuvent être caractérisés du

point de vue de la production musicale (poïétique) et de sa réception(esthésique). La reconstitution musicologique (Chailley) consiste essen-tiellement en une sémantique poïétique, à partir du moment où elle ometde considérer la façon dont les œuvres étaient perçues. L’herméneutiquemusicale se concentre en revanche sur l’interprétation des significationsnées de l’écoute, en mêlant la dimension poïétique à la dimension esthé-sique. L’étude sur le terrain en ethnomusicologie (Boilès, McLeod) et lapsychologie expérimentale (Francès, Imberty) se situent indubitablementdu côté de la dimension esthésique. À l’aide de tests et de calculs, la psy-

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chologie expérimentale rassemble et vérifie les associations verbaliséesqui se sont produites lors de stimuli sonores ou de musique, utilisant à ceteffet des méthodes différentes (libre, guidée, semi-guidée).Ces trente dernières années, les recherches principales se sont concen-

trées moins sur l’analyse des éléments communs que sur la définition etla vérification d’une série d’analogies et de divergences fonctionnelles etstructurales entre langage verbal et musical. En dehors des éléments com-muns que sont le rythme, la hauteur des sons et la mélodie, il existe desanalogies fonctionnelles et des ressemblances structurales : toutes deuxdistinguent la langue (le système sonore abstrait de référence) des mots(expression musicale concrète) ; toutes deux présentent une syntaxe,c’est-à-dire un enchaînement des unités sonores selon des normes recon-naissables, bien que le code musical, beaucoup moins prescriptif que lecode verbal, ne présente pas de système syntaxique strict (comme entémoigne la flexibilité des règles harmoniques). Dans leurs études, leschercheurs ont fait appel à la linguistique, pour retrouver les aspectsessentiels qui définissent un langage et donner un contenu exact et desbases à l’expression « langage musical », afin de démontrer que le fonc-tionnement et l’organisation de la musique et du langage ne diffèrent pasdans leurs principes généraux. Il a fallu vérifier l’aptitude du système decommunication musicale à être linguistique, en le comparant au code desmots, qui reste le système sémiotique le plus fort, le plus organisé et leplus étudié.D’après Piana, « l’application du mot “langage” à la musique, et du

reste, aux autres arts en général, doit être entendue comme une extensionmétaphorique, à partir d’une acception propre qui se réfère au langagecomposé de mots, au langage verbal ». En partant d’une telle affirmation,on peut soutenir qu’il n’y a aucune nécessité intrinsèque qui induise àsoutenir le caractère « linguistique » de la musique. L’utilité d’une telleassertion consiste seulement à montrer que la musique peut être considé-rée à partir d’un des nombreux points de vue compris dans la notion delangage. Il faut dès lors disposer d’une notion primaire de langage, dontfont partie de nombreux caractères. Le langage permet aux hommes decommuniquer, permet d’exprimer des sentiments et des émotions, permetde formuler des ordres et des désirs, et de décrire fidèlement une réalitéou une situation précise ; le langage est aussi fait de mots, qui sont à leurtour des émissions phoniques particulières, dont l’enchaînement créel’unité des phrases. Piana suggère que l’idée de la musique-langage pour-rait être riche d’implications, et avoir une portée réelle, uniquement si

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l’on y met en question le concept même de langage, en supposant « uneunité conceptuelle équivalant à un genre par rapport aux sous-espèces ».Dans cette optique, les langages sont des systèmes de signes et le langageverbal, bien qu’important dans la vie des hommes, doit être considérécomme un langage parmi d’autres. La dénomination de « langage ver-bal », avec la référence au « verbal » que cela implique, devra être lacaractéristique qui le différencie spécifiquement des autres langages.On peut donc envisager la musique sous les nombreuses facettes de

l’analogie suggérée par l’expression musique-langage. En effet, elledevient lumineuse si, à travers le point de vue qu’elle institue, elle permetde comprendre des aspects qui auparavant étaient cachés ou mis audeuxième plan. Mais elle peut être trompeuse si elle mène à des raison-nements forcés ou crée des équivoques, des confusions. C’est ce qui s’estproduit ces trente dernières années, lorsque la comparaison avec la signi-fication linguistique semble avoir généré des obstacles intrinsèques auxprogrès de la recherche. Si elle s’enracinait à une codification verbaliste,la musique deviendrait même un langage asémantique parcequ’habituellement dépourvue des connotations habituelles et d’unesémantique établie, c’est-à-dire d’éléments fixes et organisés.Comme le suggère Piana, il vaut mieux se référer implicitement à une

notion primaire de langage et à un modèle de communication musicalebasé sur une large définition de communication qui donne le même poidsaux modes de communication verbale et non verbale. Si le langage musi-cal et le langage verbal se ressemblent, ils sont aussi profondément diffé-rents. Tout d’abord, on ne peut trouver en musique l’équivalent du rap-port dénotatif et conventionnel qui existe, dans le langage verbal, entre lesmots et ce qu’ils désignent. Une autre différence fondamentale est égale-ment évidente : elle concerne la syntagmatique (relative aux combinai-sons successives) qui dans le langage musical (à la différence du langageverbal) est parfois horizontale, parfois verticale (contemporanéité dessons, accordale et polyphonique).S’il est vrai, comme l’observe Nattiez, que la sémiotique n’a jamais

été une discipline unitaire, et que ce manquement a généré l’absence d’uncaractère unitaire de la sémiotique musicale, il est tout aussi évidentqu’au fil de son histoire, la sémiotique a conféré de sensibles métamor-phoses à son sujet d’étude. Ces changements radicaux peuvent aider àcomprendre certaines questions non résolues jusqu’ici et à dépasser cette« séparation » des terrains de recherche.Il semble déterminant de suivre les indications provenant de

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l’ajustement progressif du domaine de l’étude : de l’étude des signes(Peirce) à l’étude de la langue comme système de signes (Saussure), et àl’étude des langages (Hjelmslev) et enfin à l’analyse des textes (Greimaset Courtès à la fin des années soixante). Si la sémiologie était, aux yeuxde Saussure, une science générale des signes ou des systèmes de signes,les chercheurs se montrent aujourd’hui très prudents à l’égard de cettedéfinition, qu’ils vont même jusqu’à critiquer implicitement. Ce n’estd’ailleurs pas un hasard si le terme de sémiotique a remplacé le termesaussurien de sémiologie.La sémiotique d’école française s’est focalisée sur la construction

globale de la narration et des configurations discursives qui l’expriment,conciliant ainsi l’analyse du discours et les théories narratologiques, desorte qu’à la fin des années soixante, la sémiotique évoluait davantagevers l’analyse des textes. L’école greimassienne, quant à elle, fonde sathéorie sur la base des typologies sémiotiques énoncées par Hjelmslev,pour lequel le niveau du signe n’est pas pertinent pour l’analyse, qui doitau contraire s’effectuer isolément, sur le plan du contenu et del’expression. Pour Hjelmslev (1968, p. 51), les langues « ne peuvent pasêtre décrites comme de purs systèmes de signes ; selon le but qu’on leurattribue généralement, celles-ci sont d’abord et avant tout des systèmes designes, mais selon leur structure interne, elles sont d’abord et avant tout,autre chose, à savoir des systèmes de figures que l’on peut utiliser pourconstruire des signes ». La sémiotique structurale greimassienne aban-donne par conséquent l’étude des sémiotiques interprétatives : Greimas etCourtès opposent en effet à l’évidence du signe une organisation selon lesniveaux de profondeur, dans laquelle chaque niveau inférieur est régi parle niveau supérieur ; au plan de la circulation des signes ou de la commu-nication, le plan de la signification ; au signe isolé, les systèmes sémio-tiques, et surtout les systèmes sous-jacents de relation qui permettent auxsignes de signifier.Si donc, à la suite de Hjelmslev, les sémioticiens n’ont pas accordé à

la musique le statut de sémiotique proprement dite, mais bien celui desystème monoplanaire, parce que la forme de l’expression n’est pas iso-morphe au plan du contenu (certains rapports sont identiques même si jetranspose une séquence dans une autre tonalité), de telles métamorphosesdu domaine de l’étude ont implicitement révélé qu’il n’était pas possiblede bâtir une théorie cohérente en se limitant à une analyse sémique. Ladélimitation des plus petites unités de sens (les sèmes) ne suffisait effec-tivement pas à expliquer la spécificité de la musique, car ce sont en

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revanche les relations et les forces qui existent entre ces unités en en fai-sant un tout, qui peuvent en expliquer la nature profonde – cinétique,énergétique, et qui se développe dans le temps.Le modèle de parcours génératif mis au point par A. J. Greimas

concerne aussi bien l’aspect syntaxique de la production de sens que lasémantique, parce qu’il rend compte de la formation des significations aumoment où l’on procède à partir du niveau profond vers la « superficie »du texte, c’est-à-dire ce que l’on appelle les « structures discursives ».On peut définir aussi la théorie de Greimas comme une théorie de la

génération du sens, dans la mesure où les composantes qui interviennentdans ce processus s’articulent les unes par rapport aux autres, selon unrapport qui va du plus simple/abstrait au plus complexe/concret. Leniveau le plus profond est formé d’instances logico-sémantiques qui seconvertissent petit à petit en plans sémantico-syntaxiques plus superfi-ciels, pour parvenir, à travers l’énoncé, aux structures discursives. Leniveau sémio-narratif le plus profond s’articule à partir du « carré sémio-tique », qui forme, avec ses interrelations logiques, la structure élémen-taire de la signification, la condition différentielle minimale qui permetde saisir le sens. Le parcours génératif de Greimas est basé sur cette struc-ture oppositive, qui se manifeste précisément comme une expansion gra-duelle d’une telle structure achronique fondamentale. Avec ses protago-nistes, ses actions, ses drames et ses dénouements, l’appareil narratif, entant que tel, serait effectivement généré à partir et en fonction de cesoppositions sous-jacentes.Le niveau superficiel des structures sémio-narratives est celui d’une

narrativité anthropomorphisée : c’est là en effet que les relations logico-syntaxiques de contradiction et de contrariété et les opérations tout aussiabstraites d’affirmation – négation des termes du carré sémiotique – setraduisent en actions et volitions de sujets. Les valeurs virtuelles inscritesdans le carré, deviennent ici des valeurs pour un sujet qui les transformeen objets de valeur, avec lesquels il se trouve en conjonction ou en dis-jonction. Dans ce cas, les sujets et les objets n’ont pas une nature empi-rique, mais sont des actants qui existent seulement en fonction l’un del’autre, dans un rapport d’interdéfinition syntaxique étroit : c’est-à-direque les sujets existent en tant que tels, seulement par rapport à leur opé-ration de valorisation, et les objets seulement dans la mesure où ils sontvalorisés par les sujets.Le niveau sémio-narratif de surface, ou grammaire narrative, est cer-

tainement la partie la plus articulée et la plus solide de toute la théorie : à

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la base de la narrativité, il n’y a pas seulement une opposition de valeursmais aussi une structure polémique, qui oppose des sujets à des sujets, enlice pour un même objet de valeur.En dehors de son parcours génératif, Greimas propose un deuxième

concept important : il pense que la signification naît de la création et dela reconnaissance des différences (carré sémiotique), qui adoptent auniveau superficiel le statut de la comparaison – comparaison interactan-tielle – ; en d’autres termes, le sens ne peut être saisi qu’à travers son apti-tude à devenir narration. Si l’on veut comprendre l’organisation généraled’un texte, quel que soit le type de texte, on devra toujours partir deshypothèses concernant le niveau sémio-narratif sous-jacent, c’est-à-diredes valeurs en jeu, des objets intéressés, des modalisations des sujets.Ces dernières sont une traduction sémiotique du problème de

l’intentionnalité et s’articulent en modalités du faire (vouloir, devoir,savoir, pouvoir) et en modalités de l’être (états passionnels du sujet).Le niveau discursif du parcours génératif est moins abstrait, car le

passage au discours transforme les structures sémio-narratives en struc-tures narratives, avec une augmentation des articulations significatives.Pour Greimas, le discours est simplement ce qui est énoncé et l’énoncé-discours doit être analysé dans son fonctionnement global parce qu’ilforme un tout, dont la cohérence est garantie par un réseau d’isotopies.L’isotopie provient à son tour de la récurrence ou redondance, tout le longdu texte, de catégories sémiques abstraites ou figuratives, qui évoluentparallèlement, ou se croisent, ou entretiennent entre elles des rapportshiérarchiques. Bien entendu, le texte peut renfermer plusieurs isotopiesqui évoluent parallèlement ou se croisent, ou entretiennent entre elles desrapports hiérarchiques.Au sein du parcours génératif, le discours correspond à ce niveau où

le sujet de l’énoncé, à travers le mécanisme du débrayage, projette horsdu « je-ici-maintenant » des acteurs, des espaces, des temps différents dusoi et des coordonnées spatio-temporelles de l’énoncé. Par une deuxièmeopération, liée à la première, il procède à une couverture sémantique spé-cifique et concrète des figures sous-jacentes : les transformations narra-tives deviennent ainsi des processus temporalisés, les actants deviennentdes acteurs et les histoires racontées se déroulent dans des espaces précis.Il existe donc trois procédures de discursivisation : spatialisation,

temporalisation, actorialisation. Par les deux premiers, on détermine unelocalisation spatio-temporelle, à savoir une organisation de temps et delieux. Le dispositif d’actorialisation, détermine le fait que ceux qui, au

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niveau sémio-narratif étaient des actants et avaient des rôles actantiels,c’est-à-dire modaux, deviennent des acteurs au niveau discursif, pourainsi dire des individus ayant une identité spécifique et constante quijouent à la fois les rôles actantiels de la grammaire sémio-narrative et lesrôles thématiques du niveau discursif. En d’autres termes, puisqu’il veut,doit et peut, l’acteur entreprend des programmes narratifs, accueille desstructures narratives, mais se charge aussi de stéréotypes spécifiques, oude thèmes, dont chaque culture revêt les structures narratives. Dans lesdiscours plus concrets, s’ajoutent les couvertures figuratives, à savoir laprésence de figures comprises, non pas dans un sens rhétorique, maisdans le sens presque gestaltique de formes concrètes de notre expérienceperceptive. Le revêtement figuratif du discours, en créant un simulacre del’expérience concrète du monde, est l’un des facteurs qui déterminentl’illusion de référence ou effet de réalité.Si l’on suit les niveaux du parcours génératif vers la surface, on se

rapproche de plus en plus de la phénoménologie de l’expérience et de ceque nous trouvons dans la surface manifestée des textes : personnages,aventures plus ou moins entremêlées, contextes plus ou moins définis ou« vraisemblables ».Si les applications du modèle de Greimas aux autres formes d’art sont

nombreuses, les tentatives de son application à la musique sont enrevanche très pauvres ; parmi ces rares tentatives, celle de Eero Tarasti estcertainement la plus complète.La théorie de Greimas, avec le glissement qu’elle comporte vers

l’analyse des textes, semble avoir un rôle décisif par rapport à la sémio-tique de la musique, dans la mesure où elle indique une fois encore à larecherche de ne pas s’enliser dans l’étude des unités signiques. En dépitdes tendances répandues dans ce domaine, surtout en Italie, où l’attentions’est focalisée sur l’étude d’unités minimes, comme les intervalles, ilsemble bien plus utile à la recherche de compter le langage musical aunombre des langages qui, selon la définition de Marsciani et Zinna(1991), « ne sont pas nécessairement décomposables en unitéssigniques » et « ne sont pas pourvus d’un ensemble d’éléments délimita-bles, tels que, pour chaque unité inventoriée, l’on puisse trouver un signi-fiant et un signifié ». Pour les progrès de la science, il semble de la mêmefaçon plus profitable d’envisager le langage musical comme un systèmecapable de transmettre un sens, mais doté de propriétés processuellescontextuellement changeantes et qui, en tant que telles, ne peuvent êtreinventoriées dans un dictionnaire. En effet, si dans le système de commu-

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nication musicale, on peut isoler une série d’unités – les notes de lagamme – qui sont récurrentes dans plusieurs contextes, comme cela seproduit aussi pour les phonèmes de la langue, le jeu de leurs fonctions esttoutefois changeant et définissable, uniquement au fur et à mesure, sui-vant le contexte. Par conséquent, on ne peut pas construire de systèmecomplet et exhaustif équivalent au système phonologique, dans la mesureoù on ne peut pas définir une série d’agrégats de sons comparables auxsens de la langue (à savoir les mots) et intégrables en tant que tels dansun dictionnaire.D’après M. Della Casa, le sens musical présente deux éléments spé-

cifiques : il est d’une part discontinu, car il ne se manifeste que parmoments et l’on ne peut donner un sens à tous les moments de laséquence. D’autre part, il est a-réel – Eco (1975) a parlé à cet égard de« nébuleuse » –, dans la mesure où il accumule des passages plus oumoins étendus du discours et où il est très difficile, sinon impossible, d’ensegmenter les éléments minimes ou même plus consistants.On peut donc supposer qu’au plan du discours de surface, les struc-

tures de la signification en musique soient des passages plus ou moinsétendus du discours, identifiables également en raison d’une couverturesémantique concrète.Dans les processus de couverture sémantique des structures discur-

sives en musique, la modalité signique de signification et la fonctiondénotative (fondamentale, en revanche, dans le langage verbal) man-quent, à moins que cette dernière n’apparaisse a posteriori, quand unmorceau de musique est utilisé et répété longtemps (comme par exempleles signaux militaires), ou bien de façon limitée aux usages pratiques dessons, lorsqu’ils jouent un rôle pragmatique informatif ou identificatif (cf.II, 5). L’usage répété de nombreux indicatifs de la télévision a par exem-ple habitué le public à les associer à un programme précis, même si lerapport de connexion entre ce programme et l’indicatif est tout à fait arbi-traire.D’autre part, dans les processus de couverture sémantique des struc-

tures de la signification en musique, la modalité iconique de significationapparaît limitée et marginale, mais non dépourvue pour autant d’intérêthistorique. Cette modalité comporte l’illusion référentielle et est caracté-risée par un rapport de ressemblance perceptive, liée à l’imitation. Tousles processus musicaux descriptifs et imitatifs appartiennent à cette caté-gorie. On parle de cas d’icône sonore, lorsque certaines propriétésacoustico-articulatoires d’une structure musicale précise reproduisent

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clairement des traits de la sonorité ou de la séquence de sons que produitl’objet, l’événement naturel auquel on veut faire référence. Dans ces cas-là, on peut sélectionner à partir d’un même événement perceptif, desindices perceptifs différents, qui donnent lieu à des imitations différentes,mais le plan du signifiant et le plan du signifié restent liés par une ressem-blance phonique. Par conséquent, signifiant et signifié sont homoschéma-tiques dans la mesure où ils reproduisent le même schéma et homomaté-riques, puisqu’il y a ressemblance phonique entre les qualités sonoresacoustico-articulatoires et le modèle perceptif et sémantique de naturesonore.Il serait toutefois plus correct et pertinent de qualifier l’icône sonore

de symbolisme onomatopéique (ou échoïque) parce que, dans les casd’homomatéricité et d’homoschématisme, les structures de la significa-tion restent indéterminées, surtout là où la musique ne s’intègre pas à unautre langage qui oriente l’interprétation. Par exemple, les sonorités iné-dites que Prokofiev invente pour les images de la glace qui se brise dansla scène de la « bataille sur la glace » d’Alexandre Nevski d’Eisenstein,deviennent une icône sonore, parce que l’image leur fait perdre leurambiguïté (cf. II, 5). Ou encore, chez Beethoven, la brève séquence des-criptive à la fin du deuxième mouvement de la Symphonie Pastorale estinterprétée de façon univoque comme « chant du loriot ou de la fauvette »uniquement sur la base des notes que Beethoven a laissées dans sesCahiers de conversation (cf. IV, 2).On peut donc supposer que dans les processus de couverture séman-

tique des structures du discours musical, la modalité symbolique constituela modalité primaire de signification. Par conséquent, sans l’illusion réfé-rentielle liée à la capacité dénotative et à la représentation iconique, lesstructures de la signification en musique restent abstraites, indéterminées etpolysémiques. Dans les processus de couverture sémantique, ces structuresdeviennent des « figures » discursives, dans le sens greimassien de formesconcrètes de notre expérience perceptive, mais leur lien avec la réalité esttrès ténu, par rapport à celui que d’autres langages peuvent établir.Les caractères de discontinuité et d’aréalité qui caractérisent la signi-

fication musicale nous conduisent à envisager une notion ultérieure,l’isotopie, qui joue un rôle fondamental dans la sémantique du discourschez Greimas. L’isotopie permet en effet d’évaluer l’intelligibilité inter-prétative de ces effets de « tout organique » qui contribuent à la définitionmême d’un texte. Le postulat général de Greimas, relatif aux phénomènesd’interprétation, suppose qu’« au moment de la lecture, l’interprète tend

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à accorder au texte auquel il est confronté le moins d’ambiguïté et le plusd’homogénéité possibles et que le texte, de son côté, doit être traitécomme un tout de signification » (Marsciani, Zinna, 1991, p. 44).L’isotopie permet donc de se débarrasser de l’ambiguïté d’un énoncé etparcourt tout le texte, bien qu’il existe des textes pluri-isotopiques etqu’une seule isotopie rende rarement compte de la signification globaledu discours énoncé.En transposant donc la notion greimassienne d’isotopie à la musique,

l’on peut affirmer, à l’instar de Tarasti, que celle-ci constitue la conditionindispensable pour analyser le discours musical, dans la mesure où elleest le facteur qui répond de sa cohérence. La dimension de la significa-tion fait toujours partie de la formation de l’isotopie : d’après Tarasti, laseule analyse du signifiant ne peut certainement pas expliquer les facteursliés à la cohérence de la forme musicale. Que la musique soit fragmentée,ou que de longues pauses séparent certains passages du texte musical,ceux-ci sont toutefois perçus comme cohérents, dans leur appartenance àun tout. Selon Tarasti, quand on applique le concept d’isotopie enmusique, il faut tenir compte du fait que celle-ci puisse être considéréecomme une espèce de niveau de sens, une unité en mouvement, non sta-tique, qui s’étend, se contracte, se tend, et à travers laquelle on peutdécrire les tensions intérieures d’une composition, leur développement etleur résolution.Mais Tarasti ne voit pas dans l’isotopie une notion univoque, et pense

qu’elle peut avoir au moins cinq significations :

1. L’isotopie peut être une structure profonde, plus ou moins achro-nique et abstraite, que Greimas appelle le « carré sémiotique », et queH. Schenker définit comme l’accord de tonique, à savoir une structurespatiale. Elle peut toutefois être tout autre schéma logique qui rendecompte de la cohérence de la musique. L’analyse isotopique, liée autemps, présente trois phases principales : inchoative, durative, termina-tive. Le parcours musical génératif ne situe pas ces trois catégories fon-damentales isotopiques uniquement au dernier niveau de la surface : lastructure achronique de la musique se situe tout d’abord au niveau spa-tial profond (au moins deux hauteurs de tons opposés) ; au niveau sui-vant, quand la musique commence à devenir narrative, cette relationhiérarchique est temporalisée et enfin, au niveau figuratif de surface, onpeut introduire la catégorie actorielle, quand se forment des ensemblesde thèmes ou de thèmes-actants pour ainsi dire identifiables. Il s’agirait

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dès lors de savoir dans quel ordre les termes du carré sémiotique deGreimas apparaissent au cours de l’œuvre, c’est-à-dire la manifestationde ce schéma dans le temps : quand nous ramenons la musique à ceschéma, nous sentons qu’elle est sensée, qu’elle produit un sens. l’exi-stence de deux isotopies spatiales tonales, tonique et dominante, neforme pas encore en soi une structure narrative, mais quand la disso-nance spatiale incluse est temporalisée (la relation paradigmatiquedevient syntagmatique), c’est véritablement une structure narrative dela musique qui apparaît alors (cf. I, 3.3.1. ; I, 3.3.3.).

2. L’isotopie peut coïncider avec ce que R. Reti appelle « niveau ouprocessus thématique », en tant que facteur qui répond de la cohérence dela forme musicale. Tarasti cite par exemple la sonate en mimajeur op. 109de Beethoven, dont les trois mouvements posent des problèmesd’interprétation, et dont l’unité provient précisément du Lied du troisièmemouvement, sur lequel est construite aussi la structure musicale des deuxpremiers mouvements. Toutefois, un actant musical, un thème, est unenotion qui ne coïncide pas nécessairement avec celle de l’isotopie. Dans lamusique raffinée occidentale, on suppose habituellement qu’un actant thé-matique doit exister dans l’isotopie ou dans le contexte qui lui est propre.Autrement dit, la création d’un thème requiert un accompagnement ou unfond harmonique, rythmique, ainsi qu’un timbre caractéristique (cf. 4.).

3. L’isotopie peut aussi correspondre à la caractéristique d’un genre :un genre musical ou une forme-type (sonate, polonaise, fugue, etc.) suf-fit à établir une sorte de cadre de référence qui filtre la sensation musicalela plus immédiate sous une certaine forme, offrant ainsi une isotopiemanifeste aux événements sonores. La musique contemporaine oud’autres musiques que la nôtre ne permettent pas de situer la musiquedans une isotopie correspondant à des genres reconnus et enregistrés dansnotre mémoire.

4. Le type de tessiture musicale peut aussi jouer le rôle d’isotopie : ils’agit dans ce cas d’une des manifestations isotopiques les plus simples.En général, la présence d’une telle isotopie n’est perçue que quand ellechange ; l’isotopie apparaît souvent dans la musique, comme une sorte decontexte, un paysage où le thème-actant se déplace et se développe (cf. 2).

5. Enfin, la stratégie textuelle peut aussi être qualifiée d’isotopie. En

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musique, le même thème ou la même idée thématique peuvent être pré-sentés sous plusieurs angles. Tarasti cite par exemple, dans la balade ensol mineur de Chopin, le développement du thème principal de la valselente dans une section tendue et durative, qui la première fois, conduit àune modulation en mi majeur – à savoir à une catégorie timique del’euphorie –, mais à la fin du morceau, mène à son contraire dysphoriqueen sol mineur, renforçant ainsi la fin tragique et élégiaque de l’œuvre.

2.1. LE CONCEPT DE SYMBOLE

Si la modalité symbolique est fondamentale, bien que non exhaustive,dans les processus de signification du langage musical, il est nécessaire,pour la comprendre et en définir le cadre et les limites, de clarifier aupréalable le concept même de symbole, qui, à cause de sa polysémie,souffre à la fois de multiples confusions avec des termes qui lui sontapparentés d’une façon ou d’une autre, et d’ambiguïtés importantes.Plusieurs disciplines donnent en effet à ce terme des contenus séman-tiques différents, tout en maintenant un substrat significatif permanent :« symbole » indique quelque chose – réalité, événement, phénomène,objet, personne – qui renvoie à quelque chose de plus riche, et en mêmetemps de voilé, et donc de moins aisé à percevoir.Ces disciplines appuient leurs variantes et nuances sur ce substrat

significatif.En linguistique, l’usage de ce terme n’est pas univoque : des auteurs

comme Peirce, par exemple, en arrivent à renverser le sens le plus cou-rant du terme symbole et à le rapprocher du terme « signe », où le lienavec la dénotation est établi, selon une règle arbitraire.Bien que les auteurs divergent à ce sujet, les études de linguistique ont

vu s’affirmer l’acception qui constitue le symbole comme modèle analo-gique, mimétique et non descriptif de certaines propriétés inhérentes auxobjets, aux expériences, aux vécus, pour exprimer ce qui ne pourrait passe faire autrement, par exemple en termes conceptuels. En effet, le sym-bole donne lieu à une signification ouverte et polyvalente, il entretientune relation motivée avec le signifiant, de sorte que ce dernier, dans saforme et sa physicité, est une condition sine qua non du signifié et que lesignifié n’est pas produit selon une correspondance de code pré-établi.Par conséquent, les expressions « symbolisme phonétique » et « phono-symbolisme » sont utilisées pour indiquer les phénomènes phonétiques et

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linguistiques qui se caractérisent par une forme d’analogie et de mimé-tisme, entre son et sens. Selon cette acception, le symbole possède nonseulement une fonction indicative, mais aussi représentative : comme lesigne, le symbole renvoie de lui-même à autre chose, mais il renvoie« dans la mesure où il retient », car il ne disparaît pas en jouant son rôlede renvoi, puisqu’il y participe.Les études sur la pragmatique de la communication humaine – en par-

ticulier l’École de Palo Alto – ont utilisé la notion de symbole dans lacatégorie de « communication analogique », qui inclut toute communica-tion humaine non verbale : non seulement la communication kinésiquerelative aux mouvements du corps, mais aussi « les positions du corps, lesgestes, l’expression du visage, les inflexions de la voix, la séquence, lerythme et la cadence des mots, et toute expression non verbale dontl’organisme est capable, de même que les signes de communication iné-vitablement présents dans tout contexte où se produit une interaction »(Watzlawick, Beavin, Jackson 1971, p. 55). Selon les chercheurs de PaloAlto, le « non verbal » est ambigu et possède une fonction communica-tive dans le sens pragmatique, c’est-à-dire capable d’influencer le com-portement humain et le langage verbal.Les études de pragmatique de la communication humaine donnent

donc au terme symbole une acception semblable à celle qui est la plusrépandue en linguistique. De plus, elles révèlent, entre autres, la fonctioncommunicative de cet ensemble d’éléments que la linguistique appelleprosodiques ou suprasegmentaux et qui forme une aire de contact trèsétendue entre langage verbal et langage musical : il s’agit des inflexionsde la voix, des profils intonatifs, de la séquence, du rythme, de la cadencedes mots, des pauses, du registre de la voix, des accents, de l’intensité, dela rapidité d’attaque, etc. Ces éléments prosodiques sont donc symbo-liques, c’est-à-dire capables d’établir un rapport analogique entre son etsens : ce rapport est dit isomorphique quand il y a ressemblance dansl’organisation structurale, ou isoschématique quand structure sonore etqualité sémantique sont attribuables à un même « schème » mental qui,selon Piaget, représente la trame qui oriente la perception, l’intelligenceet l’émotivité du sujet selon une double action, l’assimilation etl’accommodation.D’après l’école psychanalytique de Freud, le symbole naît d’une

fonction psychique fondamentale successive à la représentation d’objet etmarquée par quatre attributs fondamentaux : la représentation de matérielinconscient, la constance du signifié, la relation avec les étapes évolu-

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tives, le lien perceptif et linguistique entre symbole et idée symbolisée, desorte que sa formation se base sur des ressemblances et des métaphores.Selon Freud, à l’origine, les symboles doivent être rapprochés des partiesdu corps empreintes de libido : leur représentation directe susciterait tropd’angoisse. Le Moi doit alors réfréner l’affect et trouve comme solutionla création du symbole, éloigné de l’objet dont il conserve toutefois cer-tains traits. Par conséquent, le symbole est toute réalité – objet, personne,etc. – qui en remplace une autre, censurée par le sujet et donc repousséedans l’inconscient. Précisément parce qu’il remplace l’objet, le désir etc.,censurés par le sujet, le symbole permet d’exprimer ce que le sujetréprime inconsciemment. Selon Freud, la symbolisation est un processusinconscient, dans lequel les valeurs affectives sont déplacées d’un objet àun autre, pour que les désirs enfouis puissent être satisfaits en partie sousun autre aspect (comme c’est le cas dans les états de fatigue, de sommeil,de psychose).La psychologie de l’âge évolutif attribue un rôle important à la pen-

sée symbolique, parce que sa motivation a été identifiée par Piaget, dansla fonction de compensation émotive, qui permet d’assimiler le réel auxdésirs et aux intérêts du Moi, comme une revanche sur les problèmesd’adaptation au réel. Dans la pensée et le jeu symboliques, se dessinel’identité de deux objets, qui devraient logiquement être distincts, maisqui, en revanche, font partie d’un unique « schéma affectif », c’est-à-direun mode de perception qui les rend subjectivement analogues et équiva-lents sur le plan du Moi. Il s’agit dès lors d’une forme de pensée danslaquelle les schémas d’organisation du réel ne sont pas encore pleinementformés, selon les règles du contexte culturel. Typique de l’attitude égo-centrique, la pensée symbolique n’apparaît pas seulement chez les petitsenfants (jusqu’à sept ans environ), encore dépourvus de schémas men-taux formés et stables, mais aussi chez les adultes quand leur besoin des’accommoder au réel et de se contrôler disparaît, comme dans les situa-tions de rêve et de névrose, ou lors d’activités conscientes et socialisées,comme les activités esthétiques ou les expériences religieuses.L’auteur partage donc implicitement tant l’acception d’origine lin-

guistique qui distingue le signe arbitraire du signe motivé, – car il consi-dère que le symbolisme offre à l’enfant « le langage personnel, vivant etdynamique indispensable pour exprimer sa subjectivité intraduisible parle seul langage collectif » (1972, p. 244) – que l’acception d’origine psy-chologique. En effet, dans le jeu symbolique, l’enfant s’identifie à l’objetqu’il imite, révélant par là aussi des besoins profonds inexprimés.

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Enfin, l’anthropologie religieuse, semblablement à l’école Jungienne,donne au terme de « symbole » une acception relative aux images élé-mentaires – que Jung appelle « archétypales » – qui sont le produit de larencontre de l’homme, dans la profondeur de son être, avec la vie. Cesimages symboliques – l’eau, la lumière, l’arbre, etc. – appartiendraient àl’inconscient collectif, c’est-à-dire à un patrimoine biopsychologiqueinconscient et universel. Par leur symbolisme, ces images supposentquelque chose qui se trouve au-delà de leur signifié évident et immédiat.Parmi les nombreuses acceptions du terme « symbole », que l’on

trouve dans plusieurs domaines de la connaissance, celle qui nous inté-resse directement pour une clarification symbolique dans les processus designification du langage musical, est avant tout celle qui dérive de la lin-guistique, et à laquelle il est utile de rapprocher celle empruntée à l’écolepsychanalytique freudienne. (cf. II, 3.2.2.).

3. LES STRUCTURES DISCURSIVES : LAMODALITÉ SYMBOLIQUE DANS LES PROCESSUSDE SIGNIFICATION EN MUSIQUE

Dans le fonctionnement sémantique du langage musical, la modalitésymbolique représente celle que nous définissons comme modalité pri-maire de signification : à l’intérieur de celle-ci, il est possible de distin-guer trois domaines expressifs différenciés, mais interconnectés : symbo-lismes synesthésique, spatio-temporel et physiognomique.Dans le parcours génératif de Greimas, si le discours est ce niveau

auquel le sujet de l’énoncé procède à une couverture sémantique plusconcrète des figures sous-jacentes, ces domaines concernent, sur le plandiscursif de surface, les couvertures sémantiques concrètes avec les-quelles le discours musical est recouvert de « figures », ce qu’il fautentendre à la manière de Greimas, dans le sens gestaltique de formesconcrètes de notre expérience perceptive. Dans le cadre du symbolismesynesthésique, les structures discursives prennent les formes les plusconcrètes de l’expérience sensorielle ; dans le cadre du symbolisme spa-tio-temporel et physiognomique, elles prennent les formes del’expérience spatio-temporelle, cinétique, et en même temps affective etémotionnelle.Précisément parce que les processus de couverture sémantique des

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structures discursives en musique utilisent une modalité symbolique designification, les « figures » discursives en musique créent un simulacrede la réalité qui reste très abstrait. Il s’agit de qualités sensorielles indéfi-nies, comme la « luminosité », ou bien d’abstractions perceptivo-phéno-méniques, comme un mouvement d’« ascension » dans l’espace et letemps, et enfin, d’abstractions émotionnelles.Si l’on considère à nouveau l’a-réalité et la discontinuité, comme

caractères spécifiant la signification en musique (cf. I, 2), on peut penserque ces « figures » émergent par séquences et touchent des blocs plus oumoins importants du discours musical. De plus, on peut penser que cescouvertures sémantiques plus concrètes, précisément parce que a-réelleset discontinues, sont fondamentales pour construire ces effets de « toutorganique » et de cohérence que Tarasti, à la suite de Greimas, appelledes isotopies (cf. I, 2). Ces « figures », qui en musique, sont des formesabstraites de notre expérience perceptive, peuvent déterminer le type detessiture musicale, laquelle peut fonctionner en tant qu’isotopie (cf. p. 29),c’est-à-dire être perçue comme une sorte de contexte, une sorte de pay-sage dans lequel l’actant-thème se déplace et se développe. Pensons parexemple aux dix-neuf premières mesures de l’Ouverture de Lohengrin deRichard Wagner dans laquelle, parallèlement à l’isotopie temporelleinchoative, on trouve l’isotopie sémantique « clarté » et « illumination ».Cette isotopie détermine une sorte de paysage empreint de « luminosité »progressive, dans lequel l’actant-thème peut commencer à agir, de sorteque l’isotopie sémantique s’intègre à l’isotopie actorielle (cf. I, 2). Lasynesthésie visuelle de la clarté (produite par le timbre des violons utili-sés dans l’extension aiguë, jusqu’à la note mi suraiguë du premier vio-lon), se développe dans le processus d’illumination, c’est-à-dire dans unmouvement abstrait au cours des dix-neuf premières mesures. Pensonsaussi à l’isomorphisme qui associe le lumineux, le haut, le léger et ledivin (cf. I, 3.2.3. ; 3.2.6. ; 3.2.8.), cette isotopie sémantique correspond àl’indication programmatique de Wagner, selon laquelle le début du pré-lude correspond à l’atmosphère raréfiée des sphères célestes, où se maté-rialise peu à peu « une rangée d’anges au milieu desquels se trouve lesaint Graal ».En second lieu, toujours en raison de l’a-réalité et de la discontinuité

de leur signification en musique, ces « figures » peuvent participer à laconstruction de la stratégie textuelle, qui peut fonctionner aussi commeisotopie (cf. p. 29). Ce type d’isotopie nous permet, dès lors, de segmen-ter le flux syntagmatique du discours musical, directement à partir des

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effets de sens. Des effets de sens synesthétiques, spatio-temporels et émo-tionnels peuvent donc constituer des isotopies, dont les disjonctions intro-duisent des discontinuités dans le flux syntagmatique du discours musi-cal. Ceci confirme l’hypothèse de Castellana (1983), selon laquelle lasegmentation de la forme de l’expression doit être faite a posteriori,d’après la définition des isotopies de la forme du contenu.En outre, selon notre hypothèse théorique, dans les processus de cou-

verture sémantique des structures discursives en musique, la significationn’est pas seulement le fruit d’habitudes culturelles et ne dépend pasexclusivement de la connaissance de codes pré-établis (conventions arbi-traires et culturellement déterminées), touchant inéluctablement la com-pétence de l’auditeur. L’on retient, au contraire, que dans la modalitésymbolique, le signifié est motivé, et présente une consistance et unehomogénéité interculturelles, en se basant alors sur des facteurs « natu-rels ». En tant que tel, il peut être reconstitué par l’auditeur, parce que sonsens même est inscrit dans les structures sonores. Dans ce cas, les struc-tures discursives en musique fonctionnent en tant que signes motivés ousymboles, à savoir des signes dans lesquels le lien entre signifiant etsignifié (à la différence du signe proprement dit, où il est arbitraire), estmotivé et non arbitraire, c’est-à-dire réglé aussi par le principe de lamimesis et de la motivation, en d’autres termes basé sur une associationpar ressemblance, que l’on appelle techniquement isomorphisme et iso-schématisme. Ceci présente donc une cohérence avec l’orientation la plusrépandue actuellement qui caractérise les recherches contemporaines desémantique générale, lesquelles – en relation avec la psychologie cogni-tive – considèrent le signifié comme l’aboutissement d’opérations dyna-miques et cognitives, plutôt que résultant de la reconnaissance d’une cor-respondance entre signifiant et signifié, selon des codes pré-établis. Danscette optique, l’interprétation ne consiste donc pas en une attributionmécanique de sens prévus par des codes statiques, mais le signifié estconstruit au contraire, à travers un processus de type formatif et une éla-boration cognitive complexe. On le constate tant en observant les actionscognitives et les opérations que l’interprète met à exécution pourl’élaborer, qu’en étudiant de façon spéculaire – comme nous nous propo-sons de le faire –, les processus à travers lesquels le signifié est transposédans les structures musicales, par une recherche au niveau de l’énoncémusical, c’est-à-dire en se référant exclusivement au niveau neutre de lastructure musicale, pour reprendre les termes de Nattiez et Molino.Quant aux mystères de la constance relative des associations du signi-

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fié, au sein d’une culture, par rapport aux caractéristiques du signifiant,la question que se posait Saussure au sujet de l’arbitraire ou de la moti-vation du signe est encore actuelle. S’il est vrai, comme l’a souvent rap-pelé Nattiez, qu’il ne faut pas confondre naturel/conventionnel avecmotivé/arbitraire, la modalité symbolique de signification en musiquesemble toutefois donner raison au binôme naturalité/motivation.En ce qui concerne le symbolisme synesthésique (cf. I, 3.2.), les asso-

ciations synesthésiques semblent déterminées en grande partie par destransferts isomorphiques qui, d’après Plöger, forment des « analogiesendogènes ». Les métaphores du langage ont pour simple but de transfor-mer les observations synesthésiques en automatismes profonds et dura-bles. Par exemple, avant que les sons ne soient appelés « aigus » et« graves », il existait un vide verbal dans l’appareil conceptuel, et ce videa été comblé par un transfert isomorphique, en prenant deux mots duvocabulaire primaire disponible. Dans l’exemple en question, le vide aété comblé par deux termes qui désignaient la qualité tactile de l’aigu(pointé) et la qualité tactilo-cénesthésique du grave (lourd).En ce qui concerne les associations synesthétiques de tension/détente

et le domaine du symbolisme spatio-temporel (cf. I, 3.3.), les schèmescinétiques se basent aussi bien sur les cinétiques de production du sonque sur les cinétiques de réception, grâce à la coparticipation simultanéedu système moteur et somato-sensitif (proprioceptif et cénesthésique)dans les processus réceptifs (cf. II, 3.1.). Dans la phylogenèse, Plögerrapproche l’isomorphisme entre phénomènes auditifs et spatiaux de lacinétique de production du son, quand audition et facultés motrices for-maient un ensemble unique (cf. I, 3.3.). De la même façon, dansl’ontogenèse, l’enfant établit des analogies entre les mouvements ducorps et les perceptions auditives, et trouve plus tard dans le langage ver-bal les traces de ces transferts isomorphiques. Fonagy (1991, p. 117) spé-cifie que la vibration des cordes vocales est le premier mouvement rigou-reusement périodique, provoqué par une activité musculaire : ce mouve-ment vibratoire est perçu comme une sensation à la fois musculaire etauditive. Le jeu vocal s’accompagne du jeu des lèvres et du jeu de lalangue : très probablement, comme il le suggère (p. 149), le tout petitenfant établit un lien entre les sensations motrices de la glotte et les sen-sations auditives simultanées et semblables.Enfin, en ce qui concerne le domaine du symbolisme physiognomique

(cf. I, 3.4.), l’expression émotive « doit être considérée comme un pro-cessus de communication au sens strict du terme, c’est-à-dire comme un

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comportement adopté intentionnellement pour communiquer quelquechose à quelqu’un, et non pas simplement comme un comportementinformatif de l’état émotionnel du sujet » (Anolli et Ciceri, 1992, p. 385).En effet, les émotions ne peuvent être considérées comme des « réponsesautomatiques et incontrôlables, mais bien plutôt comme des processus,qui dans une large mesure, sont régulés volontairement » (p. 385). Lamanifestation des émotions en configurations motrices expressives pré-cises (dont les configurations paralinguistiques), accompagnées d’uneactivation fonctionnelle du système nerveux central et végétatif, ne cor-respond pas à la communication de l’émotion, puisque celle-ci peut êtreréglée par l’individu qui l’expérimente, de façon atténuée ou accentuée,et aussi en fonction du réseau relationnel et social dans lequel l’individuest inséré, ainsi que de son contexte communicatif global. Dès lors, « lamanifestation des émotions n’acquiert pas seulement un sens perceptif,qui lui est attribué par le receveur, mais aussi un sens sémiotique réel,donné par l’intention communicative du sujet émetteur » (p. 385).L’étude empirique conduite par Anolli et Ciceri (1992), en accord

avec la littérature expérimentale précédente, indique que l’on peut com-muniquer efficacement et correctement des contenus émotionnels spéci-fiques grâce au seul usage d’indicateurs paralinguistiques, indépendam-ment du code verbal (p. 387). Par conséquent, en ce qui concerne en par-ticulier l’expression vocale des émotions, « les éléments signifiants ducode paralinguistique se présentent comme des vecteurs symboliquesgraduels. En outre, par rapport au code linguistique, certains traits para-linguistiques fondamentaux deviennent universels et motivés, c’est-à-direétroitement liés à la base biologique particulière des émotions qu’ilsreprésentent » (p. 390) : c’est le cas des traits paralinguistiques – et leschercheurs s’accordent sur ce point – qui reproduisent et reflètent ladimension, basse ou élevée, de l’activation psychophysiologique del’émotion.Avant d’approfondir la modalité symbolique dans les processus de

couverture sémantique des structures discursives en musique, observonsle schéma de tout le champ sémantique, organisé selon trois modalités desens :

1. SIGNIQUE2. ICONIQUE 1. Symbolisme onomatopéique

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3. SYMBOLIQUE 1. Symbolisme synesthésique2. Symbolisme spatio-temporel3.Symbolisme physiognomique

Nous définissons comme primaires les domaines du symbolisme ono-matopéique, synesthésique, spatio-temporel et physiognomique, parceque c’est dans ces domaines que s’applique la modalité symbolique designification, primaire dans les procédures de couverture sémantique desstructures discursives en musique.Les sons sont des données perceptives, définies généralement par les

sujets parlants d’une même communauté linguistique tant en se référantà des polarités comme clair/obscur, lumineux/pâle, haut/bas, qu’en recou-rant à des connotations propres au monde émotionnel et psychologique.On affirme souvent que la musique est mouvement, ou que les sons sontaigus (on utilise dans ce cas une synesthésie tactile), ou hauts, ou bas, etbeaucoup de ces identités analogiques entre catégories de phénomènesdifférents ont une portée universelle ou presque.Notre mécanisme de perception compare donc constamment les phé-

nomènes musicaux aux phénomènes sensoriels, spatio-temporels, et auxvécus émotionnels, de sorte qu’une permutabilité indubitable persisteentre le monde conceptuel musical et les mondes sensoriel, spatio-tempo-rel et affectif.Ces données sont toutefois problématiques et soulèvent de nom-

breuses questions : s’agit-il de mécanismes perceptifs universels ? Lavision synesthétique résulte-t-elle d’une loi naturelle ? Comments’explique la permutabilité entre le monde conceptuel musical et lemonde conceptuel spatial ? Ou avec celui des objets, ou même avec celuides émotions ? Quel est le rapport de cause à effet entre ces catégories dephénomènes ?La réponse à ces questions n’est guère aisée et semble pouvoir prove-

nir seulement de la synthèse d’un éventail de perspectives, de sondages etd’approfondissements proposés par des contributions appartenant à desdomaines d’études divers, que la sémiotique musicale devrait intégrer –psycholinguistique, ethnolinguistique, psychologie de la perception, eth-nomusicologie, physique, anthropologie, psychologie des émotions, etc.La réponse donnée par un seul de ces domaines semble en effet insuffi-sante. Comme apparaît par exemple insuffisante la réponse donnée par lesrecherches en sémantique musicale expérimentale – menées entre autrespar Michel Imberty – dans lesquelles subsistent au moins deux

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embûches. En effet, dans la démarche qui consiste à établir des théories àpartir d’analyses systématiques, basées sur des réponses verbales à desstimuli musicaux, la première embûche consiste à faire coexister dessignifiés, sans distinguer les degrés de pertinence et les significationsémotionnelles attribuables aux structures de la signification, de ceux quisont identifiables aux émotions actives de l’auditeur ; la secondeembûche réside dans l’absence d’une vérification préliminaire de la com-pétence lexicale des sujets soumis à l’expérience, opération indispensa-ble, si l’on considère le peu de connaissance et le vide lexical qui subsistepar rapport au vocabulaire sensoriel et affectif utilisé dans les réponsesverbales (cf. p. 17). Ce piège est d’autant plus notoire que l’on considèreaujourd’hui que la langue est considérablement affaiblie dans son rôled’acquis de connaissances et de base de la fonction cognitive. Il seraitdonc erroné, sur le plan méthodologique, de faire de notre vocabulairemétaphorique, relatif aux perceptions synesthétiques, la base et le pointde départ d’une théorie empirique, sans tenir compte du point de vue psy-chologique, car c’est précisément le psychisme qui est le transformateurà travers lequel doit se faire toute transformation d’une manifestation àune autre, et où se trouve la base des facultés musicales et linguistiques.Si notre usage de la langue révèle indéniablement la nature des processusperceptifs, il n’en résulte pas moins aujourd’hui que l’influence de lalangue conditionne l’objectivité scientifique. Celle-ci devrait plutôt êtreenvisagée, selon Plöger (1987), comme une « intersubjectivité », inhé-rente à la communauté linguistique ou culturelle. La formation demodèles et les contenus de nos observations sont donc conditionnés dupoint de vue linguistique, de sorte qu’il faut dépasser le seuil de la sim-ple perception, description ou paraphrase des phénomènes – encore sansintérêt scientifique – pour arriver au niveau des explications.

3.1. SYMBOLISME ET CARACTÉRISTIQUES DESPHÉNOMÈNES PERCEPTIFS

La question fondamentale qui se pose au sujet du symbolisme musi-cal – de façon tout à fait analogue à celle du phonosymbolisme linguis-tique –, concerne le passage des dimensions acoustiques du stimulus àdes dimensions pertinentes, à d’autres modalités sensorielles(clair/obscur) ou à des modalités plus complexes de l’expérience émotiveet cognitive (heureux/triste). Dans cette perspective, nous déduisons le

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fait que le symbolisme peut dès lors être étudié à la fois en sémiotiquemusicale et en psychologie de la perception, en remarquant qu’il est utiled’en résumer d’abord les réponses fournies par les études de psychologieperceptive, aux phénomènes perceptifs en général.Chaque événement perceptif peut être qualifié non seulement en

termes de qualités, comme la forme, la grandeur, le poids – inhérents àl’objet même et indépendants de la subjectivité du percevant ou desorganes sensoriels (odeur, saveur) – mais aussi de qualités plus com-plexes, relatives au vécu que l’objet évoque en celui qui le perçoit, à sesréactions émotives, à ses attitudes positives ou négatives, à son évaluationesthétique. Dans le domaine des études sur la psychologie de la percep-tion, il y a trois théories importantes, susceptibles de répondre à ces phé-nomènes.Selon la théorie de l’origine associative et arbitraire, les qualités

synesthésiques et physiognomiques sont une élaboration purement sub-jective et culturelle, dépourvue de tout fondement empirique dans lematériel du stimulus, et ajouté à celui-ci par un processus d’associationarbitraire. Abondamment critiquée à cause du rôle excessif donné àl’apprentissage, et parce qu’elle ignore de vastes pans d’homogénéitéinterculturelle dans les faits expressifs, cette théorie correspond à celledes défenseurs du signe linguistique arbitraire, selon lequel le caractèreexpressif est un produit de la culture, sans bases naturelles. Cette concep-tion indique en outre le subjectivisme extrême et le relativisme culturelde l’expressivité.En revanche, d’après la théorie de la généralisation médiate indirecte,

l’association qui s’établit entre plusieurs disciplines naît d’une co-nécéssitésystématique des phénomènes (qui se présentent toujours dans un contexted’interrelations plus ou moins régulières) qui détermine la quasi-naturalitéde ces associations. En linguistique, cette théorie donne surtout raison auphonosymbolisme synesthésique.Enfin, la théorie de la Gestalt répond à la question fondamentale du

passage des dimensions acoustiques du stimulus à des dimensions perti-nentes, à d’autres modalités sensorielles (clair/obscur) ou à d’autresmodalités plus complexes de l’expérience émotionnelle et cognitive (heu-reux/triste), en affirmant un isomorphisme structurel entre les caractéris-tiques du signifiant et celles du signifié. Grâce à l’isomorphisme, chaquestimulus peut se répandre de son aire de perception à d’autres champsperceptifs, facilitant ainsi ces connexions. Les caractéristiques expres-sives seraient présentes dès l’origine dans les configurations perceptives,

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et cet isomorphisme serait perçu sous une forme immédiate, universelleet non apprise. En linguistique, cette théorie donne surtout raison au pho-nosymbolisme physiognomique.N’ayant rien d’exclusif, ces deux dernières théories peuvent s’intégrer

entre elles, puisqu’elles soutiennent toutes deux une base naturelle dusymbolisme, contrairement à la théorie de l’origine arbitraire des qualitésexpressives. En linguistique, les évidences expérimentales n’apparaissentd’ailleurs pas décisives en faveur de la théorie de la généralisationmédiate ou théorie gestaltique, bien que la théorie de la généralisationmédiate explique certaines synesthésies tactiles.

3.2. LES FIGURES DISCURSIVES : SYMBOLISMESYNESTHÉSIQUE

« Par le moyen du son, nous devenons directementsensibles à ces réalités, qui autrement ne sontappréciables à notre esprit que par rapport aumonde de la dimension : la vitesse, la distance, lehaut, le bas, le continu, l’interrompu le direct, lelatéral, le lourd, le léger, le simple, le composé,etc. Nous traduisons, nous créons de l’espace avecde la durée et du physique avec de l’immatériel. »Paul Claudel, Sur la musique

Dans le symbolisme synesthétique, le discours musical est revêtu de« figures » (dans le sens greimassien du terme), c’est-à-dire de formes denotre expérience perceptive sensorielle. Dans ce cadre – que nous avonsqualifié de primaire dans les processus de signification en musique –, lescapacités expressives des sons concernent des événements relatifs àd’autres modalités sensorielles. Le mot synesthésie – dont l’acceptionhabituelle remonte à la deuxième moitié du XIXe siècle – indique précisé-ment le phénomène par lequel deux sens distincts – et rarement plus dedeux sens – sont activés par une stimulation qui touche seulement l’und’eux ; en d’autres termes, la synesthésie est l’association de deux sensa-tions distinctes, dont une seulement est objective. D’après Tornitore, lasynesthésie au sens strict du terme, est un échange d’appareils sensoriels,d’entités physiologiques, et non pas un échange de données perceptives,c’est-à-dire d’entités physiques.

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Mais les sons, au moment de leur réception, sont souvent définis etinterprétés empiriquement par les sujets parlants d’une même commu-nauté linguistique, non seulement selon les caractéristiques physiques dehauteur et d’intensité, mais aussi selon des modalités sensorielles, avecdes références à des polarités telles que clair/obscur, petit/grand, etc.,lumineux/opaque/pâle, léger/lourd, dur/mou, etc. Par conséquent, dansces cas-là, signifiant et signifié ne sont pas homomatériques.Ces données empiriques sont toutefois problématiques, car elles sou-

lèvent dès lors une série de questions relatives à l’unité des sens. Il fautd’abord savoir si les perceptions synesthétiques se basent réellement surla perception d’isomorphismes et d’isoschématismes, entre structurespertinentes à des modalités sensorielles différentes : audio-visuelles,chromatiques, tactiles, thermiques, cénesthésiques. Si les perceptions denos sens sont donc synesthétiques, c’est-à-dire à deux voies, il faut ana-lyser les rapports de cause à effet entre les phénomènes et les concepts,pour ne pas commettre d’erreur méthodologique. S’agit-il d’un méca-nisme perceptif universel ? Si la vision synesthétique provient d’une loinaturelle, quel rapport de cause à effet y a-t-il entre ces catégories de phé-nomènes et comment peut-on expliquer la permutabilité entre le mondeconceptuel musical et le monde conceptuel visuel, tactile ? Ou encore, laspatialité musicale peut-elle s’expliquer comme dérivant du passage ausystème graphique ?Répondre à ces questions n’est guère aisé et la réponse semblerait

devoir provenir uniquement de la synthèse d’un éventail de perspectiveset d’approfondissements théoriques, constituée de contributions prove-nant de domaines d’étude divers.

3.2.1. La synesthésie : un nœud pluridisciplinaire entre régions limi-trophesLa synesthésie est un phénomène pluridisciplinaire, ce qui complique

l’approfondissement de sa théorie. Entre rhétorique et neurosciences,s’étend en effet une gamme riche et savante de disciplines qui se sontpenchées et se penchent encore aujourd’hui sur ce phénomène et sur leproblème de l’unité des sens, auquel il est lié.Les tentatives les plus anciennes de donner une explication des synes-

thésies, font partie de la réflexion sur l’origine du langage, qui voulaitcomprendre pourquoi dans l’élaboration de celui-ci, l’homme avait trans-formé en son ce qui n’était pas son. Sujet d’étude surtout chez les philo-sophes dans le monde antique, ce sont les médecins et les psychologues

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qui envahissent la linguistique historique au XIXe siècle, pour expliquer lecroisement des sensations. À l’époque contemporaine, ce sont les lin-guistes qui se réapproprient la tâche d’expliquer le croisement des sensa-tions.En fait, deux hypothèses théoriques se relaient au cours des siècles :

la première soutient une sorte de centre inné du langage, qui correspondà la faculté synesthétique ou à une espèce de senseur commun. Selon laphysiologie et la psychologie moderne, la capacité perceptive de l’êtrehumain n’est pas une somme de données visuelles, tactiles, auditives,mais une perception indivisée qui touche la totalité de l’être. L’aporie éta-blie par le fait que dans le langage, les données perceptives sont interpré-tées selon une modalité sensorielle très différente de celle qui leur est per-tinente, a commencé à disparaître précisément grâce à l’élaboration desconcepts de senseur commun ou d’unité originaire des sens introduits parla psychologie moderne de la perception. Jakobson affirme explicitementque « la structure des systèmes du son et de la couleur présente des coïn-cidences frappantes » (1971, p. 86) et affirme qu’il existe des connexionsétroites entre le développement du système chromatique et celui du lan-gage chez l’enfant.La deuxième hypothèse théorique soutient en revanche que l’audition

colorée est le signe de la persistance d’un trait archaïque et primitif, inter-prété par les auteurs selon une connotation dégénérative, ou bien aucontraire comme signe in nuce d’une intelligence supérieure.Les synesthésies dites subjectives furent étudiées d’abord par les

médecins, comme Sachs, Lussana, Berti, Pedrono, qui intitula d’ailleursun de ses articles parus en 1882, « Colour Hearing ».En 1871, dans le domaine médical, Lussana exclut l’hypothèse expli-

cative du senseur commun et opta pour l’existence d’un substrat neurolo-gique, à savoir d’un rapprochement des centres de la couleur et du lan-gage qui le conduisit à penser que la proportion physique sons/couleurs –c’est-à-dire les rapports mathématiques entre les vibrations sonores etcelles des couleurs déjà affirmés par Newton – a un équivalent physiolo-gique précisément dans la contiguïté entre les centres cérébraux de la vueet de l’ouïe.Parmi les médecins et les physiologues du XIXe siècle, certains étaient

enclins à suivre l’hypothèse physiologique soutenant l’existence d’un lienphysiologique entre la vue et l’ouïe –, et les autres, l’hypothèse psycho-logique, basée sur une forte impression infantile ou une chaîned’associations. Ils considéraient, par ailleurs, la synesthésie comme une

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anomalie et une exception ; certains la trouvaient bénigne, d’autresmaligne.La linguistique contemporaine dispose d’au moins deux domaines de

réflexion qui touchent inévitablement les synesthésies : celui de l’originedu langage et ce que l’on appelle les mimologies.Ce deuxième domaine de réflexion (dont les lointaines et importantes

racines remontent au Cratyle de Platon, qui s’interroge justement surl’origine naturelle ou conventionnelle du langage), qui s’est développé enlinguistique et peut donner lieu à des réflexions synesthétiques, concernece que l’on appelle le phonosymbolisme linguistique et phonétique.Parmi les phénomènes phonosymboliques, ceux que l’on peut intégrerdans la catégorie du « phonosymbolisme synesthésique » – dans lesquelsle son évoque les caractéristiques des désignés pertinents à d’autresmodalités sensorielles, comme dans le cas de métaphores du son dur,mou, lumineux, obscur etc. –, occupent en effet une place de choix. Endehors de la théorie de Saussure, qui affirme l’arbitraire radical du signelinguistique, il existe une deuxième thèse selon laquelle le langage peutêtre réglé non seulement par le principe de l’arbitraire, mais aussi par lamimesis et la motivation, là où le lien entre les deux éléments du signe –signifiant et signifié – est soutenu et renforcé par une forme d’imitationet de mimétisme du son par rapport au sens. Par conséquent, tout élémentarbitraire du langage est interprété comme l’effet d’une dégénérescenceprogressive du langage originel complètement iconique, dans lequel leson était l’écho « chosal » de l’objet et le nom, le geste caractéristique dunommé.La thèse naturaliste, en faveur du symbolisme des sons, a suscité un

intérêt nouveau ces derniers temps, quand, à partir des années vingt ettrente, le dogme Saussurien a été ramené à de justes proportions, et queles études de sémiotique et de psycholinguistique ont ouvert des perspec-tives qui peuvent faire supposer qu’il existe un rapport d’adéquation et deconditionnement réciproque entre les deux éléments du signe linguis-tique. De nombreux linguistes contemporains célèbres comme Jakobson,Todorov et Genette défendent cette thèse.En dehors de ces deux disciplines qui puisent leurs racines profondes

dans le passé, il existe dans le domaine des études linguistiques, et en par-ticulier dans les études rhétoriques, un domaine de réflexion beaucoupplus récent, qui s’est développé dans les années quarante, grâce auxétudes sémantiques de Ullmann. Cette matière concerne directementl’étude des synesthésies poétiques et littéraires, ainsi que la définition

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préalable de ce qu’est véritablement la synesthésie linguistique, définis-sable comme figure rhétorique consistante, dans l’association de deuxmots relatifs à des sphères sensorielles différentes. Tornitore définit lessynesthésies comme un sous-ensemble particulier des métaphores, danslesquelles les deux univers qui s’échangent sont deux registres sensorielshétérogènes. La vraie particularité de la figure synesthétique, réside dansle fait qu’elle croise les registres sensoriels ; il doit s’agir de sphères sen-sorielles au sens strict du terme, et non pas génériquement physiques :une « personne rude » n’est pas une figure synesthésique parce qu’en tantque corps, la personne est sujette aussi au toucher. Comme le souligneTornitore (1990, p. 136), « si l’on veut être puristes, les attributs spatiauxne sont pas non plus synesthétiques, comme par exemple le “silence pro-fond”, parce qu’un aveugle ne percevra jamais la lumière, mais il bouge,et apprécie donc les dimensions spatiales du point de vue tactile ».Au XXe siècle, à partir des années trente, les phénomènes synesthé-

tiques ont été étudiés, y compris en psychologie expérimentale. Notre butn’est pas d’entrer ici dans l’explication de ces phénomènes, qui se limi-tent tout au plus à la description, à l’exception d’études plus récentes.Toutefois, cet objectif est évoqué à plusieurs reprises, et à cet égard, deshypothèses explicatives alternent, qui penchent pour la relativité cultu-relle des équivalences transmodales, ou bien au contraire qui les considè-rent comme absolues, car liées à un code neurophysiologique commun.En général, les théories qui mettent le conditionnement culturel à la

base des associations synesthétiques, invoquent l’état d’âme (mood)comme variable intermédiaire, ce qui apparaît dans l’étude de Masson(1930) et dans celle de Omwake (1940), lequel considère que puisque lesstimuli visuels et auditifs permettent d’évoquer des sentiments, les sys-tèmes sensoriels correspondants peuvent être mis en relation à travers uneémotion commune (par exemple, une marche funèbre peut évoquer lacouleur noire).Les recherches en psychologie expérimentale et en sémantique musi-

cale expérimentale, qui se sont développées à partir des années trente, ontrelevé quelques données empiriques :

1. Ces associations synesthésiques, à l’écoute de matériel acoustiqueou musical, sont constantes et ont une portée interculturelle.

2. Il existe des transferts sensoriels rarissimes, alors que d’autres sonttrès fréquents : la permutabilité entre le monde conceptuel musical et

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celui de la vue et du toucher font partie des trajets préférés dans leséchanges intersensoriels. En effet, le mécanisme de perception tend tou-jours à comparer les phénomènes sonores aux phénomènes visuels, tac-tiles et tactilo-kinesthésiques, et à assimiler entre elles ces modalités deperception, de sorte que l’interprétation et l’imagination de la musiquesous forme visuelle, tactile et spatiale soient universellement acceptées.

3. La musique semble avoir une priorité, par rapport à l’image, dansles échanges intersensoriels, parce que les trajets intersensoriels sont sou-vent unidirectionnels et favorisent certainement les directions qui vont duson à la vue et du son au toucher, mais non le contraire.

Si donc, d’après les recherches en psychologie expérimentale et ensémantique musicale expérimentale, ces associations synesthésiques àl’écoute de matériel acoustique ou musical sont constantes, et même deportée interculturelle, la limite principale de ces recherches se situe tou-tefois dans le fait que, hormis une des expériences les plus récentes deMarks, la compétence lexicale des sujets soumis aux expériences n’estpas vérifiée au préalable. Ainsi, lors de nombreuses expérimentations,l’on utilise souvent le terme de brightness (clarté), en y incluant indistinc-tement aussi le terme lightness (luminosité). Or, la luminosité indique ledegré élevé d’intensité de la lumière, tandis que les termes de clarté etd’obscurité indiquent la couleur de la lumière, car la perception d’unchangement de luminosité provient d’un changement d’intensité, tandisqu’un changement de couleur dépend avant tout d’un changement de lon-gueur d’onde de la lumière, et moins de son intensité.

3.2.2. Synesthésies et perceptions amodalesSi les recherches en psychologie expérimentale ne résolvent pas tous

les problèmes, d’autres expériences conduites sur des nouveaux-nés,donc sur des sujets en condition pré-linguistique, montrent que le pro-blème des échanges intersensoriels ne s’explique pas simplement par lathéorie de la convention linguistique. Ces expériences se sont dévelop-pées vers la fin des années soixante-dix, au moment où les résultats denombreuses expérimentations firent surgir des doutes sur la façond’apprendre des enfants, c’est-à-dire sur la façon d’associer les expé-riences et le problème des équivalences ou correspondances intermodales(déjà étudié par les chercheurs de la perception), s’est posé aussi aux psy-chologues du développement.

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Ils ont également eu recours à l’analyse du transfert intermodal, c’est-à-dire du passage d’une information d’un registre sensoriel à un autrechez l’enfant, grâce à une procédure qui proposait simultanément deuxtypes d’information, comme par exemple, un ton musical ascendant etl’observation sur un écran d’une flèche pointée vers le haut et d’une autrevers le bas. En mesurant en secondes et en fractions de secondes le tempsd’observation que le nouveau-né consacre aux deux pattern visuels, onconstate que celui-ci observe plus longtemps et préfère le pattern carac-térisé par des stimuli adéquats. Déjà très débattu en philosophie et en psy-chologie, le problème concernait l’unité de la perception : comment pou-vons-nous savoir qu’un élément précis que nous voyons, touchons etentendons est le même ? Comment coordonne-t-on l’information prove-nant de modalités perceptives différentes, mais d’une seule source ?On considère en général que le laps de temps, entre la naissance et les

deux premiers mois de vie, est marqué par une certaine forme de vie pré-sociale, pré-cognitive et pré-organisée.Dans le domaine de la psychologie du développement, selon Daniel

Stern, l’enfant, au cours de ses premières semaines, établit déjà des liensentre des zones de perception, par exemple, l’odorat, le toucher, le goût,l’ouïe : l’idée de base étant qu’il possèderait, dès la naissance, une formeglobale de perception ou une capacité immédiate d’associer des stimulisensoriels différents (cf. II, 3.2.1.). D’après Stern, entre sa naissance etl’âge de deux mois, l’enfant s’applique exclusivement à se forger un sensdu soi émergent, car c’est au cours de cette phase qu’il voit apparaîtrel’organisation, au moment où il commence à associer, à assimiler ou entout cas à lier ses différentes expériences. Parmi les processus impliquésqui contribuent à la formation d’un sens émergent du soi et de l’autre,dont le petit enfant dispose pour créer une organisation relationnelle,Stern place la perception amodale, autrement dit, une forme primitived’expérience, basée sur la capacité innée d’intégrer des stimuli sensorielsdifférents. Stern pense que « les enfants possèdent une capacité généraleinnée, que nous pouvons appeler perception amodale, de recevoirl’information selon une modalité sensorielle et de la traduire, en quelquesorte, en une autre modalité sensorielle » (p. 66-67).Bien que l’on ne sache pas encore comment se produit ce phénomène,

ces faits permettent en tout cas de supposer que l’information n’est pasperçue selon une modalité sensorielle particulière, mais qu’elle la trans-cende et se présente plutôt sous une forme supramodale inconnue. Lesperceptions amodales et le processus d’intégration contribuent à

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