LA MICROFINANCE AU SENEGAL, VECTEUR OU … · 2016-10-25 · Pour m’avoir permis d’effectuer...
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Maëlle BOUVIER
Courriel :[email protected]
MEMOIRE DE RECHERCHE
MASTER professionnel « Développement économique et coopération internationale »
Sous la direction de Catherine Baron,
Année universitaire 2009-2010
LA MICROFINANCE AU SENEGAL,
VECTEUR OU ALTERNATIVE A LA
MONDIALISATION ?
Remerciements
Pour ses conseils et sa disponibilité, je remercie Mme Catherine Baron.
Je remercie M. Julien Sciau (Fondation Grameen-Crédit Agricole) et à M. Alexandre Coster
(Microcred S.A.) pour leur participation.
Pour m’avoir permis d’effectuer un stage au Sénégal, je remercie l’équipe de la Mission
Economique de Dakar, et plus particulièrement M. François-Xavier Flamand.
Pour m’avoir permis d’effectuer mon premier stage au sein d’une Institution de Microfinance,
je remercie l’équipe de Microcred Madagascar, et plus particulièrement M. François-Xavier
Poste.
Enfin, je remercie M. Eloi Pomé pour ses précieux conseils et corrections.
Avertissement : L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans
les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur
auteur.
Table des sigles
ACDI : Agence Canadienne pour le Développement International ACEP : Alliance de Crédit et d’Epargne pour la Production ADEPME : Agence de développement et d’encadrement des PME (Sénégal) AFD : Agence Française pour le Développement BCEAO : Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest BEI : Banque Européenne d’Investissement BIMAO : Banque des Institutions Mutualistes d’Afrique de l’Ouest (Sénégal) BM : Banque Mondiale BRS : Banque Régionale de Solidarité (Sénégal) CICM : Centre International du Crédit Mutuel CMS : Crédit Mutuel du Sénégal DID : Développement International Desjardins DSRP : Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté FCFA : Franc CFA (monnaie de la BCEAO) FENU : Fonds d'Équipements des Nations-Unis FMI : Fonds Monétaire International FNPEF : Fonds National de Promotion de l'Entrepreneuriat Féminin (Sénégal) GEC : Groupement d’épargne et de crédit IMF : Institution de Micro Finance. KFW : KfW Bankengruppe (équivalent allemand de l’AFD) MEC : Mutuelle d’Epargne et de Crédit MEF : ministère de l’économie et des finances (Sénégal) MFR : Projet Microfinance en Milieu Rural MPE : Micro et Petite Entreprise NPI : Nouvelles Politiques Industrielles OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Economique OMD : Objectifs du Millénaire pour le Développement ONG : Organisation Non Gouvernementale PARMEC : Projet d’Appui à la Réglementation des Mutuelles d’Épargne et de Crédit PED : Pays en Développement PDEM : Pays Développés à Economie de Marché PME : Petite et Moyenne Entreprise PNUD : Programme des Nations-Unis pour le Développement SA : Société Anonyme SARL : Société Anonyme à Responsabilité Limitée SFD : Système de financement (ou système financier) décentralisé SNMF : Stratégie Nationale de Micro Finance (Sénégal) UEMOA : Union Economique et Monétaire Ouest Africaine
0
Sommaire
Introduction générale .......................................................................................................................................... 1
I. La microfinance au Sénégal : émanation de la mon dialisation juxtaposée au pré-existant financier ......................................... .................................................................................................................... 8
A. Offre et demande de produits financiers au Sénégal avant les années 1990 ............................................. 10
1.La structuration d'un secteur bancaire classique au Sénégal ............................................................. 10
2.La demande de services financiers : vulnérabilité et non-dualité ....................................................... 13
3.Les pratiques informelles de financement........................................................................................... 18
4.Pratiques informelles, reflets de solidarités traditionnelles ................................................................. 22
B.L'impact du paradigme de la mondialisation sur l’essor de la microfinance au Sénégal .............................. 26
1.Le paradigme de la mondialisation et du développement................................................................... 26
2.La microfinance : outil du paradigme économique mondial au Sénégal ............................................ 37
C.Juxtaposition de la microfinance au préexistant financier ............................................................................ 42
1.La dynamique actuelle de la finance informelle et des banques classiques ...................................... 42
2.L'essor de la microfinance dans la continuité du préexistant financier ............................................... 48
II. La microfinance au Sénégal pilotée par l’intern ational : vers l’uniformisation de l’offre ? ..... ... 55
A.La microfinance au Sénégal: un secteur dynamique intégré dans la sous-région ....................................... 57
1.Les indicateurs de la microfinance au Sénégal .................................................................................. 57
2.Des opportunités de financement pour les partenaires extérieurs .................................................... 62
B.Le rôle évolutif de la coopération internationale ........................................................................................... 66
1.Les principaux bailleurs, sources de la politique microfinancière sénégalaise ................................... 66
2.L’ambiguité de la vision commerciale de la microfinance ................................................................... 70
3.La réorientation des aides pour une offre microfinancière durable et attractive ................................. 73
C.La microfinance sénégalaise intégrée dans les flux financiers privés internationaux .................................. 78
1. Argumentaire pour un accès aux marchés financiers ....................................................................... 78
2.Les voies d’accès aux marchés financiers .......................................................................................... 80
3.Une condition préalable : se rapprocher des normes et standards internationaux ............................ 84
D.Vers l’uniformisation d’un modèle au Sénégal?............................................................................................ 89
1. L'émergence de modèles de référence .............................................................................................. 89
2. La permanence de la diversité ........................................................................................................... 93
Conclusion ...................................................................................................................................................... 101
Bibliographie ................................................................................................................................................... 101
Liste des tables ............................................................................................................................................... 108
Annexes .......................................................................................................................................................... 109
1
Introduction
"Nous nous sentons capables d'un autre idéal
et nous voulons imaginer un monde où
chacun retrouve la liberté de conduire son destin
et participe à l'économie de son environnement.
Certains vivent déjà cette utopie, qui devient ainsi réalité."
(Charte de l'Aldéa, 1981, p 1).
En 1997, l'Organisation Non Gouvernementale (ONG) Results organisait à Washington le
premier sommet du microcrédit, lançant ainsi une campagne de neuf ans dite «Campagne des
sommets du microcrédit». Cet évènement a rassemblé 2 900 participants en provenance de
137 pays. Ce fut un véritable succès médiatique, qui a propulsé le sujet de la microfinance
dans les mass média. La success story de la Grameen-Bank, créée en 1983 par Mohammed
Yunus au Bangladesh, a également contribué à nourrir un débat mondial autour de la
microfinance, dans lequel les média ont joué un rôle important. Le prix Nobel de la paix
attribué à M. Yunus en 2006 peut être considéré comme la consécration de la reconnaissance
mondiale de la microfinance. Nous chercherons indirectement dans ce travail de recherche à
analyser la nature de cette reconnaissance.
Qu'est ce que la microfinance? Elle se définit aujourd'hui comme l’offre de services financiers
(épargne, prêt, assurance) aux exclus du système bancaire classique1. Le « microcrédit » est
une composante de la microfinance, mais ne la recouvre pas entièrement. C’est un crédit de
faible montant proposé aux exclus des systèmes bancaires classiques. Les services financiers
englobés dans la définition de la microfinance concernent les microcrédits, mais aussi la
microassurance, l’épargne, etc. Ces services sont délivrés par des Institutions de Microfinance
(IMF), qui peuvent relever de statuts institutionnels très variés (société anonyme, mutuelle,
1 On entendra ici tout institution qui reçoit des capitaux, échange de la monnaie, accorde des prêts à des taux d’intérêt variables, exécute pour le compte de tiers toutes opérations de ce genre et se charge de tous services financiers. Ces institutions bancaires dites classique proposent leurs services à des particuliers et à des ENTREPRISES FORMELLES, c'est-à-dire inscrites aux registres du commerce et soumises aux règles officielles comme la déclaration des revenus et le paiement des impôts.
2
coopérative, etc.). C’est la microfinance sous ses différentes composantes et formes qui sera
étudiée dans ce travail, sous l’angle de l’économie solidaire.
Le choix de cet angle peut paraître curieux car la finance solidaire et la microfinance sont
souvent considérées comme deux activités à part entière. La finance solidaire se distinguerait
de la microfinance en ayant comme objectif premier l'accroissement du capital social, tandis
que la microfinance est parfois utilisée comme simple instrument individuel palliatif à
l'exclusion d'une population pauvre ou sans garantie du système bancaire. Nous choisirons ici
de parler de la « pauvreté » selon une approche relative : le seuil de pauvreté est fixé par
rapport à la distribution des niveaux de vie de l'ensemble de la population, avec comme
référence le revenu médian. A travers ce prisme, la pauvreté pose aussi un problème
d'exclusion ; l'homme ne se réalise qu'au sein de rapports sociaux et les inégalités de richesse
sont des sources de discrimination ; la pauvreté le rend donc « vulnérable » sur plusieurs
plans, ce que nous développerons dans la première partie de ce mémoire. La microfinance, en
permettant d’investir dans des activités génératrices de revenus grâce à l’accès aux produits
microfinanciers, contribue à réduire cette vulnérabilité, et donc indirectement à réduire la
pauvreté dans le sens large du terme. Ainsi, grâce à l’augmentation de ses revenus issue de
son investissement, le micro-entrepreneur est capable d’investir dans l’hygiène, l’éducation, la
culture, etc. Nous partons donc du postulat que la microfinance peut avoir un effet positif sur
le capital social de ses bénéficiaires. En cela, elle peut être classée dans le courant de
l’économie solidaire.
Une fois ce point clarifié, il faut préciser que la microfinance est souvent étudiée dans sa
dimension locale. Elle occupe à ce titre une position particulière dans l’économie solidaire. En
effet, à l’instar de l’ensemble des initiatives de ce champ d’analyse économique, la légitimité
et l’efficacité de la microfinance suppose un ancrage territorial fort, une relation de proximité
pour mobiliser l’épargne et octroyer des crédits, et donc un « encastrement » des activités
dans la société d’où l’importance de la contextualisation. Selon J.M Servet, la microfinance
est ainsi caractérisée par « le faible montant des opérations, la proximité non seulement
spatiale, mais aussi mentale et sociale entre l’organisation et sa population cible, et la
pauvreté supposée des clients ou l’exclusion qu’ils subissent » (J.M.Servet, 2006). L’auteur
insiste dans cette définition sur la proximité géographique et culturelle, ce qui nous amène à
parler d’une dimension locale prépondérante de la microfinance.
3
Cette dernière n’aurait alors a priori pas de liens avec le concept de mondialisation, qui
désigne l'expansion et l'harmonisation des liens d'interdépendance entre les nations, les
activités humaines et les systèmes politiques à l'échelle du monde. De la sorte, selon certains
auteurs, « la mondialisation est un phénomène international par nature, puisqu’elle concerne
des relations entre les États ou plutôt entre des agents appartenant à des États différents,
alors que la microfinance est un phénomène local qui s’épanouit dans un espace beaucoup
plus limité et dont les acteurs sont des personnes qui le plus souvent se connaissent » (Lelart,
2008). Une autre différence peut être soulignée : la mondialisation est par nature globale, et
« réunit» en cela l’ensemble de l’économie, mais aussi la culture, tandis que la microfinance
concernerait prioritairement les activités de finance. Enfin, Lelart (2008) distingue les deux
concepts sur les plans géographique et temporel : « la mondialisation et la microfinance
concernent chacune tous les pays, mais la première est plutôt l’affaire des pays du Nord, la
seconde concerne davantage les pays du Sud ».
Néanmoins, la volonté de diffuser une modèle microfinancier à l’échelle mondiale dés le
début des années 2000, basé sur l’expérience de la Grameen Bank, et relayé par les média
nous amène à repenser les rapports entre la mondialisation et la microfinance. L'engouement
que la microfinance a suscité, l’inspiration née de l'expérience de la Grameen Bank,
démontrent la naissance d'un consensus autour de ce phénomène, au niveau mondial. Les
organisations financières internationales, tel que le FMI2, sont aujourd’hui les premières à
reconnaître les performances de la microfinance dans les pays du Sud, comme outil de lutte
contre la pauvreté, et à la promouvoir. Cette approbation laisserait supposer que la
microfinance « n’est pas contraire » aux politiques de développement actuelles. Cela étant, on
peut donc supposer que la microfinance ne serait a priori pas inadaptée au paradigme
économique dominant dans le processus de la mondialisation, à savoir le néo-libéralisme.
Subséquemment, la microfinance est avant tout un outil financier. Il est donc légitime de se
demander si elle ne permettrait pas la légitimation du référentiel économique néolibéral au
cœur de la mondialisation. Cette légitimation s’effectuerait par un outil « au service des
2 Fond Monétaire International
4
pauvres », ce qui conforterait l'idée que le néo-libéralisme, grâce à l'outil du marché,
contribue à l'amélioration du bien-être de tous comme l’ont théorisé les penseurs libéraux et
néolibéraux.
Les défenseurs d'une vision avant tout sociale de la microfinance soulèvent eux-mêmes
l’ambiguïté de la microfinance. « [Son] objectif est alors de lutter contre la pauvreté et la
précarité sociale par l’inclusion financière. En permettant aux plus démunis de créer ou de
pérenniser leur activité, les défenseurs de la microfinance militent pour l’existence d’un
cercle vertueux entre le microcrédit, l’activité professionnelle et l’autonomie » (Jégourel,
2008). Dans cette citation, l'inclusion financière, autrement dit l'intégration de personnes
pauvres dans le système financier néolibéral, permettrait de lutter contre la précarité sociale.
La microfinance a donc un objectif social, en étant premièrement un outil économique et
financier. Cette synthèse vient de fait elle aussi légitimer l'aspect social et vertueux du néo-
libéralisme, qui régule les inégalités grâce au marché (ici, microfinancier).Un questionnement
demeure donc, qui se doit d'être éclairci à travers une étude plus approfondie du lien (ou des
liens) entre la microfinance et la mondialisation emmenée aujourd'hui par le néolibéralisme.
Ainsi, le travail de recherche développé ci-après tâchera de démonter que la microfinance, si
elle n'est pas qu'un outil de légitimation de la mondialisation, en est au moins une émanation,
c'est à dire un résultat de sa dynamique.
Dans la mesure où nous posons comme hypothèse l’encastrement de la microfinance dans un
contexte économique, social et politique, une étude de cas spécifique à un pays s’avérait
indispensable. Si le secteur de la microfinance est le plus développé en Asie en termes de
volume des bénéficiaires3, sa croissance actuelle en Afrique est révélatrice d’une nouvelle
dynamique. De plus, l'Afrique est le premier continent récipiendaire de l'Aide Publique au
Développement4, ce qui implique fortement les institutions financières internationales sur ce
territoire. Or, cette introduction fait le postulat que les politiques de ces dernières ne sont pas
étrangères à l'explosion de la microfinance.
3 Selon l’enquête de MicroBanking Bulletin, 70% des clients sont en Asie et 20% en Amérique latine (2008). 4 En 2007, l’APD nette à l’Afrique s’est chiffrée à 38.7 milliards USD, soit 37 pour cent de l’aide totale de l’OCDE (organisation réunissant 31 pays en vue de promouvoir la démocratie et l’économie de marché).
5
L’Afrique de l'Ouest, plus précisément l'Union Economique et Monétaire Ouest Africaine
(UEMOA)5, est la principale zone d'intervention des bailleurs et investisseurs français, ce qui
en facilite l'étude. Pour plus de précisions, il convient de centrer l’analyse sur un seul pays, en
étudiant donc un contexte particulièrement précis. Cela implique que cette recherche n’a pas
vocation à la généralisation des hypothèses qu’elle défend. L'économie sénégalaise est l'une
des plus dynamiques de la zone en termes de croissance du PIB et d’investissements
étrangers6, de même que son secteur microfinancier. Le potentiel de croissance de ce dernier
est conséquent puisque le taux de pauvreté au Sénégal atteint 54%7 et que la part du secteur
informel dans l’économie reste encore conséquente, en générant la grande majorité de la
création d’emplois8. La demande potentielle sénégalaise en produits microfinanciers reste par
conséquent importante.
Il paraît donc pertinent d’étudier dans quelles mesures la microfinance s’intègre-t-elle dans le
processus de la mondialisation, à travers l'exemple du Sénégal.
Pour cela, il faut comprendre dans quelles conditions la microfinance a émergé au sein de la
société sénégalaise (en précisant les spécificités de cette émergence dans les zones rurales et
urbaines), sur quel terreau. En effet, le préexistant financier à la microfinance est riche et dual
(prêts informels vs secteur bancaire classique). La « rencontre des deux » a encouragé la
naissance de la microfinance, comme nous l’argumenterons par la suite. Néanmoins, les
politiques de développement, inspirées par le néolibéralisme, ont également construit la
microfinance sénégalaise telle qu’elle se développe aujourd’hui. Il conviendra donc d’étudier
la nature de l’influence de chacun de ces facteurs dans le cas du Sénégal. Cette étude ne sera
possible qu’avec le prise en compte de l’évolution de la microfinance sénégalaise depuis les
années 1990, vers plus d'acteurs, plus de bénéficiaires, plus de financements, plus de crédits
distribués, plus d'encadrement, etc.
Pour ce faire, la méthodologie utilisée s’appuie sur plusieurs sources. Une documentation
dense permet d’apporter des éléments de réponse théorique à la problématique, en réunissant
5 L’UEMOA a été créée par le Traité signé à Dakar le 10 janvier 1994, et comprend actuellement 8 pays. Objectifs : convergence, harmonisation des politiques économiques et monétaires, compétitivité de la zone. 6 Du moins, avant la crise économique mondiale, Cf. Annexes 1 et 2 7 Cf. Annexe 2 ; le taux de pauvreté = seuil de 2 dollars par jour. 8 Cf. « Rapport sur l’emploi au Sénégal : Le secteur informel génère 97% des créations », Le Soleil, 14 octobre 2007
6
des travaux universitaires dans les domaines de l’économie du développement, de l’économie
solidaire mais également de la sociologie et de l’anthropologie. Les travaux choisis ont pour
objet la microfinance en général, ou s’appuient sur un terrain précis qui n’est pas forcément le
Sénégal (Inde, Bénin, etc.). Une recherche parallèle basée sur l’actualité du Sénégal, les
données économiques et financières des IMF implantées dans ce pays et de l’UEMOA,
permettront d’illustrer concrètement les arguments avancés pour les appliquer à la
problématique posée dans le cadre du Sénégal. Des entretiens réalisés avec des acteurs
français investissant dans la microfinance au Sénégal permettront à leur tour de répondre à
certaines questions posées par ce travail de recherche. Enfin, notre étude se concentrera avant
tout sur les grandes structures microfinancières au Sénégal, qui sont installées dans les zones
urbaines, car elles représentent la quasi-totalité du marché au Sénégal en termes de volume
des crédits distribués et de clients. De plus, peu de données existent sur la microfinance rurale
dans ce pays. Le ministère sénégalais en charge de la microfinance précise seulement que :
« En dépit des efforts conjoints du Gouvernement et des bailleurs de fonds pour un maillage
du territoire national, la finance rurale continue d’occuper une place négligeable dans le
secteur de la microfinance »9.
On observe toutefois des zones de forte concentration (Dakar et Thiès : 40% des IMF) et des
zones rurales peu touchées (Diourbel, Fatick, Kolda, Matam et Tambacounda)10.
Néanmoins, le cas des IMF modestes, notamment en zones rurales sera aussi évoqué,
ponctuellement, et surtout en fin de ce document.
Sur cette base, nous essayerons d'étudier dans quelles conditions ont eu lieu la naissance et
l’évolution de la microfinance au Sénégal, et surtout quel y est le rôle des acteurs
internationaux. Il sera opportun de percevoir les liens qui se créent entre le local et le global, à
travers l’exemple de la microfinance et de la mondialisation. Cela afin de démontrer que
l’évolution de la microfinance au Sénégal est intimement liée à la dynamique de la
mondialisation.
9 Extrait de la « Lettre de politique sectorielle en Microfinance, plan d’action 2005-2010 », page 21 10 Source : http://senegal.planetfinancegroup.org/FR/microfinance.php
7
Ainsi, le postulat selon lequel la microfinance est une émanation, de la mondialisation soulève
de nombreuses questions auxquelles il conviendra de trouver, pour le moins, des débuts de
réponses. Quelle forme prend cette émanation ? Peut-on considérer la microfinance comme un
outil ou une alternative à la mondialisation ? Dans quelles mesures la mondialisation a-t-elle
impacté le système financier au Sénégal ? Quelles est la nature des cet impact et de
l’implication des bailleurs de fonds et des investisseurs privés ? Peut-on parler d'une
microfinance pilotée par l'international, c'est-à-dire influencée? Enfin, l'impact de la
mondialisation entraîne-t-elle l'uniformisation d'un modèle d'IMF? Ces questions s'organisent
autour d'une problématique générale : Dans quelles mesures la mondialisation a inspiré et
inspire encore la construction du secteur microfinancier au Sénégal?
Pour répondre à ces interrogations, il conviendra d'étudier dans un premier temps les
conditions de la naissance de la microfinance au Sénégal. Cette étude tentera de démontrer
qu’aussi bien le préexistant financier que les politiques internationales de développement ont
permis l’émergence de la microfinance au Sénégal. Une fois ces points clarifiés, l’hypothèse
que la sphère internationale influence le secteur de la microfinance au Sénégal sera défendue
plus précisément dans une deuxième partie. On y démontrera également les conséquences de
cette influence, notamment en termes d’uniformisation des modèles. En effet, les acteurs
internationaux publics et privés tendent à imposer un modèle microfinancier de référence.
Néanmoins, nous verrons que cette tendance n’empêche pas la permanence de la diversité de
l’offre microfinancière, riche au Sénégal, notamment grâce à la force de ses institutions de
microfinance intermédiaires.
8
I. LA MICROFINANCE AU SENEGAL : EMANATION DE
LA MONDIALISATION JUXTAPOSEE AU PRE-
EXISTANT FINANCIER
Dale W. Adam et Delbert A. Fitchett (1994) font l’hypothèse que les systèmes de financement
dans les pays en développement forment « un continuum composé des transactions
financières allant du simple prêt consenti à des parents ou amis, jusqu'aux banques
strictement réglementées par une banque centrale ».
Ce continuum recense les systèmes de financement selon leur degré de formalisation, de la
finance informelle à la finance telle qu'on la pratique dans les PDEM11. Comme le précisent
les deux auteurs, dans de nombreux pays en développement, le centre de ce continuum est une
zone plus ou moins floue qui ne se prête pas à une catégorisation dichotomique.
Pourrait-on appliquer cette théorie à notre objet d’étude, à savoir, les pratiques financières,
dont la microfinance au Sénégal ? On peut remettre en cause l’emploi du terme
« continuum », qui suppose l’acceptation déterministe d’un début et d’une fin, d’une
formalisation évidente des pratiques financières dans les pays industrialisés. Or, ce n’est pas
forcément le cas. Nous pouvons cependant conserver l’idée d’une zone centrale des pratiques
financières plus ou moins floues développée par Dale W. Adam et D.A. Fitchett. L’idée de
centre est en effet judicieuse si on l’admet comme la convergence de plusieurs pratiques
financières vers une nouvelle, émergeant de ces pratiques. De cette hypothèse, nous partons
du postulat qu'au Sénégal tout du moins, le centre de ce « continuum » pourrait être la
microfinance, née de la convergence des pratiques financières préexistantes. Cette proposition
s’inspire de la nature même de la microfinance, qui se présente comme un mode de
financement alternatif entre les pratiques informelles et le système bancaire classique.
La microfinance est en effet née de la volonté politique internationale d'une plus grande
formalisation du financement dans les Pays en Développement (PED). Ce principe est avancé
11 Pays Développés à Économie de Marché
9
par les grands bailleurs de fonds dés la fin des années 1980 en s'appuyant sur un nouveau
postulat de l'économie du développement. Le développement a désormais pour objectif
l'intégrité humaine et la réduction de la pauvreté. Dans ce contexte, la microfinance apparaît
comme un moyen de formaliser les pratiques financières, tout en réduisant la pauvreté en
permettant aux plus défavorisés d’accéder à des prêts.
Par ailleurs, si on étudie plus en avant les caractéristiques de la microfinance, elle peut être
comprise comme permettant le passage de relais entre un prêt informel et un prêt formel.
Néanmoins, définir la microfinance comme le centre d’un « continuum » financier au Sénégal
n'en supprime pas pour autant son flou. En effet, la microfinance sénégalaise regroupe
différentes réalités, en fonction de la nature de l’institution proposant des services
microfinanciers (groupement, coopérative, mutuelle) et du contexte local dans lequel
l’institution œuvre (zone urbaine, périurbaine, rurale, prêt individuel ou collectif, préexistant
financier).
Si cette partie insistera sur les pratiques de la microfinance urbaine, l’ensemble des réalités de
la microfinance sénégalaise devra être pris en compte, sous le prisme de l’histoire des
pratiques financières au Sénégal. Leur analyse permettra de déterminer les conditions
d’émergence de la microfinance. Même si certains auteurs parlent de l’explosion du secteur
de la microfinance dans les années 1990 (Lelart, 2008), nous préférerons défendre le postulat
que la microfinance s'est construite de manière évolutive au Sénégal.
Ainsi, aussi bien le préexistant financier que les politiques de développement ont eu une
influence sur l’essor du secteur au Sénégal. Cette dynamique a créé une imbrication de
systèmes, offrant une alternative de financement pour les exclus du système bancaire
classique, mais sans créer pour autant de rupture.
10
A. Offre et demande de produits financiers au Sénég al avant
les années 1990
La période de décolonisation n'a pas entraîné de restructuration du secteur financier, imposant
le secteur bancaire classique12 comme modèle de financement dans les PED. Les individus ou
groupes sociaux peuvent être acteurs de cette financiarisation croissante dans les pays du Sud,
ou la subir. Cette deuxième option concerne en fait les trois quarts de la population du Sud, et
conduit à un phénomène de marginalisation (JM Servet, 2004). Cela créé une segmentation de
la population entre une minorité offrant les garanties pour accéder aux services financiers
formels (30 % seulement des entreprises sénégalaises ont une patente) et une majorité n'y
ayant pas accès, et subissant les contraintes du secteur financier informel.
1. La structuration d'un secteur bancaire classique au Sénégal
Au moment des Indépendances, un secteur bancaire s'est structuré dans les anciens pays
colonisés, composés de banques commerciales et de banques de développement. Au Sénégal,
l'Indépendance vis à vis de la France a été obtenue le 18 juin 1960. Les banques
commerciales en provenance de l'ancien pays colonisateur ont été les premières à s'implanter
(BNP et Société Générale en 196213). Ces dernières fonctionnaient comme leurs homologues
en Europe, selon le même système de garantie et de recherche de la rentabilité. Les ménages
les plus modestes sont alors exclus de leur logique. Quant aux banques de développement
leur but était de soutenir l'économie nationale avant tout, en finançant de grands projets,
comme la construction d'infrastructures, la croissance industrielle, ou le secteur agricole.
La reforme bancaire de 1975 introduite par la BCEAO a supprimé la distinction faite entre
banques commerciales et banques de développement. Sur le plan réglementaire, des normes
12 Défini en introduction 13 Le Crédit Agricole s'implantera au Sénégal en 1984.
11
prudentielles plus strictes ont été imposées aux banques suivant la nature des activités qu'elles
finançaient. Dans ces conditions, les banques ont favorisé les financements d'activités jugées
rentables, négligeant de plus en plus les petites et moyennes entreprises sénégalaises14.
Cette politique s’est creusée dans les années 1980, lorsque les deux systèmes de financements
officiels ont connu une crise importante, que ce soit en Afrique Subsaharienne, en Asie ou en
Amérique Latine. Cette crise s'est manifestée par la faillite de nombreuses anciennes banques
de développement. Sur les sept banques présentes à l'époque en Afrique de l'Ouest (zone
franc), quatre ont fait faillite, au Togo, au Niger, au Bénin et en Côte d'Ivoire. La Banque de
développement au Sénégal connaissait pour sa part de grandes difficultés, et a organisé son
repli vers une clientèle très spécifique : sociétés d'État, import-export, zones et cultures
d'exportation, aménagements hydro-agricoles (Doligez, Gentil, 1996). Le financement des
ménages ou des petites entreprises sénégalaises ne faisait pas partie des priorités des
politiques de développement, l'amélioration des grands équilibres (équilibre monétaire, dette
extérieure, chômage et inflation) restant la préoccupation principale.
Quant aux banques commerciales, elles ont été soumises à une importante réforme suite à
cette crise financière mondiale. La nouvelle structuration du système bancaire s'est en
particulier traduite par la liquidation de huit banques dont cinq du secteur public et trois du
secteur privé. Elle a été accompagnée d'une libéralisation partielle des taux d'intérêt, de
l'allocation du crédit et de la création d'un marché monétaire ayant pour objectif d'encourager
le développement d'un système financier moins administré, plus flexible et plus concurrentiel.
La restructuration de 1989 a été un succès en ce que le système bancaire a été assaini.
Néanmoins, l'essentiel de la clientèle des banques était toujours composé de grandes
entreprises, et aucune démarche spécifique n'était prévue pour le financement des PME
(Petites et Moyennes Entreprises) sénégalaises, de plus en plus délaissées (Harouna Djibo,
2005). Dés lors l’accès au crédit, notamment le crédit rural qualifié de « crédit risqué par
nature » était devenu de plus en plus difficile, particulièrement pour les petits producteurs à la
14 Cf. Annexe 3
12
base. En effet, les banques assujetties à des contraintes prudentielles plus fortes, ont réduit
leurs engagements, au détriment des activités agricoles et rurales15.
Parallèlement à l’assainissement des secteurs bancaires classiques, la décennie 80 a vu
évoluer les politiques de crédit dans les pays du Sud, du fait du tarissement des sources de
financement extérieures (en raison de la crise monétaire mondiale). Dans le cadre des
Programmes d'Ajustement Structurel, la priorité est la résorption des grands équilibres
financiers, entraînant le retrait des États des systèmes de crédit, considérés trop coûteux. Une
politique de hausse des taux d'intérêt est appliquée, pour contribuer à l’augmentation de la
part de l'épargne nationale dans le financement des investissements.
Du fait d'une politique des grands équilibres, et de la recherche de rentabilité par les banques
commerciales, la plupart des acteurs économiques sénégalais sont exclus du système bancaire
classique.
15 Source : le Ministère Des Petites et Moyennes Entreprises, de l’Entrepreneuriat Féminin et de la Microfinance au Sénégal. Etude n°3 du Diagnostic approfondi du secteur de la microfinance et analyse des opportunités d’investissement.
13
2. La demande de services financiers : vulnérabilit é et non-dualité
Une majorité de la population sénégalaise est exclue des circuits de financement formel en
raison de la faiblesse et de l'inconstance de ses revenus.
a. Incapacité, vulnérabilité et répression financiè re
J.M. Servet (2004, page 61) parle d'incapacité financière pour expliciter ce fait, intimement
lié à un phénomène d'exclusion bancaire. Une exclusion bancaire se produit quand les
personnes ne peuvent plus vivre normalement dans leur société en raison d'un handicap dans
l'accès à l'usage de certains moyens de paiement et de financement, selon M. Servet. Or, la
structuration du secteur bancaire sénégalais telle qu'elle est décrite succinctement dans la
partie précédente a fortement exclu une grande partie de la population sénégalaise, trop peu
« bankable » et n'offrant pas assez de garanties. En fait, la majorité des ménages sénégalais n'a
pas accès aux services de prêts bancaires classiques en raison de sa vulnérabilité.
Le terme de vulnérabilité est défini par E. Baumann (2003). Elle est corrélée, selon l’auteure,
aux aléas de la vie humaine, aux problèmes liés à l'environnement économique et politique et
aux sinistres naturels de toutes sortes. E. Baumann précise que la vulnérabilité varie fortement
en fonction du milieu d'appartenance, des aires culturelles et du niveau de vie. Elle est
d'autant plus forte que le ménage est pauvre, et a peu ou pas d'épargne pour faire face aux
évènements imprévisibles. Sur le plan financier, la vulnérabilité a pour conséquence des
dépenses imprévisibles. Concernant les dépenses prévisibles, on peut citer celles réalisées
annuellement pas les ménages sénégalais, étroitement liées aux prescriptions de la vie sociale
et de la religion musulmane. Ces dépenses sont difficilement compressibles mais sont prévues
et donc intégrées dans la gestion financière des foyers. Par exemple, chaque famille
sénégalaise considère comme une obligation le fait de tuer un mouton pour la fête de l'Aïd-el-
Kebir. Ainsi, chacune le prévoit dans ses dépenses et fait en sorte d'épargner ou d'emprunter
14
en conséquence durant toute l'année16. La rentrée scolaire engendre également des dépenses
prévisibles, une fois l'an. Par contre, pour les évènements tels que les catastrophes naturelles,
les décès ou les maladies, l'anticipation des dépenses est très difficile, voire impossible.
C'est pourquoi, pour faire face aux dépenses imprévisibles, les ménages sénégalais les plus
pauvres, exclus du système bancaire formel, ont recours au financement informel.
Dans ce genre de contexte, la théorie de la répression financière est souvent avancée. En règle
générale, la répression financière se réfère aux effets d’exclusion dus à la réglementation
étroite du système financier classique.
Selon J.M Servet (2004, page 165), elle se définit plus précisément par la réunion de trois
conditions :
• Une forte étanchéité entre les organisations informelles et formelles.
• Le taux de participation de la population aux pratiques informelles est inversement proportionnel à leur capacité d'accès aux institutions formelles.
• Les pays dont le système formel est fortement réglementé connaissent un degré de développement des pratiques financières informelles plus élevé que les pays aux institutions moins réglementées.
Au Sénégal, ces conditions ne sont pas remplies, notamment la première, comme nous le
verrons par la suite.
Pourtant, l'inexistence de la répression financière n'empêche pas pour autant l'existence d'un
système financier dual. Qu'en est-il au Sénégal?
b. La non-dualité des pratiques financières
Un système financier dual se caractérise par l’existence de deux grandes familles de pratiques
financières (au Sénégal avant les années 1990, le secteur bancaire classique et le secteur
informel) qui ne se mélangent pas. Des frontières existent entre les pratiques de l’une et celle
de l’autre, empêchant les particuliers et les entreprises d’avoir recours aux deux.
16 Exemple tiré de mon expérience en tant que stagiaire à la Mission Economique de Dakar en 2007.
15
Concernant le Sénégal, l'insuffisance des offres des banques commerciales a de tout temps été
avérée. Des prêts de faible volume, à une clientèle ne présentant pas de garanties matérielles,
sont coûteux à gérer (de l'octroi à la récupération) et sont risqués. Les principaux risques sont
les suivants :
• Aléas climatiques et économiques (vulnérabilité).
• Information insuffisante sur l'emprunteur (manque de transparence, non tenue de cahiers de comptabilité par exemple).
Une grande partie des opérateurs économiques et des ménages sénégalais n'ont alors pas
recours aux prêts formels et se tournent vers l'informel.
Cependant, l'inverse n'est pas forcément avéré dans le contexte du préexistant financier à la
microfinance sénégalaise. Des opérateurs économiques disposant de comptes bancaires dans
des institutions réglementées peuvent eux aussi avoir recours aux services informels. C'est ce
que révèle une enquête menée en 1989 (Hane, Gaye, 1994)17. Opérée auprès de 45 PME
tenues par des artisans et commerçants œuvrant dans les principales villes sénégalaises
(Dakar, Thiès, Saint Louis)18, elle met en lumière que la plupart des opérateurs ont des
relations avec les banques (97,8 % dont 57,8 % ont des comptes dans plusieurs banques),
mais ont également recours à l'informel. Cette enquête éclaire donc sur les pratiques
financières poreuses des PME avant les années 90, c'est-à-dire avant l’explosion de la
microfinance. Les PME ayant accès aux prêts bancaires classiques ont également recours aux
services financiers informels. L’enquête recense plusieurs raisons à ce comportement.
Les chefs d'entreprises formulent en effet plusieurs reproches à l'égard des banques
commerciales classiques :
• Des contacts jugés difficiles. Les entrepreneurs pensent que l'on n'accorde pas toute l'attention requise pour comprendre les problèmes des PME.
• Des visites peu fréquentes de la part des gestionnaires des dossiers des PME. Ils se contenteraient de jugement à partir de documents comptables ou de statistiques, ce qui ne satisfait pas les entrepreneurs.
17 Cf. Annexe 4, échantillon des résultats des questionnaires de l’enquête. 18 84% des PME de l’échantillon sont actives dans les domaines du commerce et du transport (artisanat : 7% ; industries de transformation : 9%)
16
• L'insuffisance des crédits accordés. Ni leur fractionnement, ni leur forme ne conviendrait aux PME, qui manqueraient de lignes de crédit pour financer l'expansion notamment.
• Des comportements abusifs de la part des banques : rupture de crédit pour des PME en phase d'expansion, diminution unilatérale du montant et des types de crédit à partir d'informations non vérifiées et trop hâtivement exploitées.
• La lenteur avec laquelle les banques répondraient aux sollicitations des PME, leur faisant souvent manquer des opportunités commerciales.
• L'inadaptation des garanties, jugées exorbitantes par la moitié des sujets sondés. Ils estiment que les banques demandent des garanties hypothécaires portant sur des immeubles dont la valeur dépasse très largement (deux à trois fois) le montant des crédits consentis.
• L'obligation d'expertises, financées par les PME, qui coûtent cher et dont les banques ne tiendraient finalement pas compte.
• L'obligation (souvent selon les sondés) des PME de constituer des dépôts importants en garantie d'opérations.
• Le non-respect de la parole donnée de la part de certains interlocuteurs bancaires quand des engagements seraient déjà pris par les chefs d'entreprise sur la base d'accords de principe verbaux.
Ces reproches signalent que les promoteurs de PME au Sénégal percevaient à la fin des
années 1980 le secteur bancaire comme étant incapable de satisfaire pleinement et rapidement
leurs besoins. Selon les PME interrogées, ce serait même les insuffisances du secteur bancaire
qui auraient entraîné la création d'un marché parallèle du financement. C'est pourquoi elles y
ont eu recours.
Outre les entrepreneurs, les ménages sénégalais réaliseraient le même calcul selon J.M. Servet
((2004, page 165). En effet, les ménages qui peuvent sans difficulté avoir accès aux
institutions financières formelles ne sont pas « les acteurs les moins actifs des institutions et
réseaux financiers informels ».
De plus dans les pays à fortes traditions familiales, comme au Sénégal, les solidarités
occupent une place importante. Pour satisfaire leurs besoins financiers, les ménages qui ont
accès aux services bancaires classiques n’arrêtent pas pour autant de s’appuyer sur des
17
réseaux différents, au sein desquels ils bénéficient de certains avantages. Ce sont des
protections et des solidarités familiales et de proximité.
Ainsi, tant les ménages que les PME au Sénégal multipliaient, avant l’explosion de la
microfinance, leurs sources de financement.
18
3. Les pratiques informelles de financement
Une fois définies les pratiques de financement des PME et d’une minorité de la population qui
a accès aux services bancaires classiques, il convient de détailler les pratiques de financement
utilisées par les ménages exclus de ces services classiques. Elles sont plus communément
qualifiées de « pratiques informelles », Leur non respect aux règles édictées par les
institutions financières classiques et les structures étatiques ne les rend pas moins complexes.
a. Définition de l'informalité financière
L’informalité financière est également qualifiée de finance « non organisée », « non
institutionnelle », « parallèle », ou encore « spontanée » et « instable ». La diversité de ces
adjectifs offre une vision globale des activités de financement informel. Il s'agit de « toutes les
transactions financières (emprunts et dépôts) qui ne sont pas réglementées par une autorité
réglementaire centrale ou par un marché financier central » (Adams et Fitchett, 1994).
Pendant longtemps, les activités du secteur «informel» étaient considérées comme
relativement marginales et cantonnées à des «affaires sociales» : solidarité pour faire face à
des frais de funérailles, de maladie ou de scolarité.
Des travaux ont cependant dénoncé le coût élevé de ce type de financement et « le pouvoir
excessif et monopolistique des emprunteurs informels, souvent qualifiés d'usuriers » (Guérin,
2005).
Des investigations menées au Sénégal en 1991 en zone rurale et en milieu urbain confirment
cette propension (ATOBMS, 1991). La rémunération acquise par les prêteurs est à peine
inférieure à 12% du montant du principal, pour un prêt accordé pour une semaine. Pour un
prêt accordé pour un mois, le taux est de 12,3% en moyenne. Calculés sur l'année, les taux
d'intérêt sont de 29 900 % pour un prêt remboursable au bout d'une semaine (soit quasiment
une multiplication par 30) et de 300 % si on prête pour un mois.
Selon Baumann (1998), la préférence psychologique pour le présent au Sénégal renvoie au
taux d'actualisation des emprunteurs, calculé à partir de considérations personnelles. Le fait de
19
disposer d’une somme immédiatement annihilerait le coût de l’accès au financement. En cela,
les pratiques informelles peuvent être perçues comme dangereuses pour l’emprunteur qui
n’anticipe pas sa capacité de remboursement. Ainsi :
«Au Sénégal […], le prix auquel les milieux populaires consentent pour accéder à un prêt ne
correspond qu'exceptionnellement, et toutes proportions gardées, à un prix de marché. Lors
de la détermination du prix de l'argent, des considérations non économiques interviennent
autant, sinon plus que des considérations économiques » (Baumann, 1998)
Entre les lignes de cette citation, une des légitimations explicites de la microfinance depuis sa
création apparaît : il s’agit de formaliser l’accès au crédit pour éviter les dérives et les abus
des prêts informels.
Néanmoins, pour d'autres auteurs, tels que Jean-Michel Servet (2006), il ne faut pas simplifier
la réalité des pratiques de financement informelles : « La croyance populaire voulait que ces
activités ne comprennent que les prêts usuriers ainsi que des crédits à la consommation
négligeables, accordés la plupart du temps à des amis »
Il existe en effet plusieurs systèmes de financement informel, comprenant des degrés de
complexité divers. Comme l'explique J.M. Servet, les pratiques informelles sont susceptibles
d'être complémentaires ou concurrentes des services proposés par les dispositifs
microfinanciers. De plus, nous verrons qu'elles relèvent de comportements sociaux
traditionnels complexes : issues de solidarités traditionnelles, les pratiques informelles
renforcent ou créent d'autres solidarités. Il convient donc de les étudier plus en détail.
b. Exemples de pratiques informelles au Sénégal
Au Sénégal, les systèmes de financement informels, nombreux, se sont développés pour
répondre aux problèmes spécifiques que connaît ce pays. Nous développerons ici les
exemples des associations villageoises d'épargne, des tontines de salariés, mais aussi des
différents types de prêts informels auxquels ont recours les ménages ou les petites entreprises.
Cette liste non exhaustive a notamment été construite grâce aux travaux conjoints de C.
Dupuy et J.M. Servet, (1994).
20
L'épargne associative est une forme d'épargne collective, ou solidaire, entre des individus se
reconnaissant d'un même groupe social. Les associations se créent en fonction de critères
d'appartenance particuliers. On trouve par exemple dans le village de Mendior (Casamance),
quatre associations, des hommes, des jeunes non mariés, des musulmans et des femmes du
Boulouf19. L’épargne associative est difficilement détectable car elle est totalement intégrée à
la vie quotidienne ; elle ne nécessite pas de démarche particulière comme se rendre dans une
officine par exemple. Les cotisations versées par les individus dépassent rarement les 10 000
FCFA par an (15 euros environ); elles sont extrêmement fractionnées, et donnent lieu à des
versements journaliers ou hebdomadaires de quelques centimes ou quelques francs. Le plus
souvent, c'est une association villageoise qui récolte, gère et redistribue l'argent pour le
financement d'un projet collectif destiné à augmenter les potentialités économiques du village
(puits, grenier, etc.).
Il existe également de nombreuses tontines au Sénégal, dont le principe répond généralement
au financement d'un besoin individuel. Elles regroupent des réalités très diverses. Elles
peuvent être composées uniquement d'hommes, de femmes ou être mixtes, entre salariés d'un
même bureau ou habitants d'un même quartier. Leur taille diverge, de trois à cinquante
membres, voire beaucoup plus. Les sommes collectées vont de quelques centaines à plusieurs
millions de FCFA20. Les mises des membres peuvent être identiques ou dépendantes du
niveau de revenus de chacun. Leur raison d'être reste pour autant la même : des individus se
réunissent pour mettre en commun régulièrement une partie de leurs économies et récolter à
tour de rôle les sommes ainsi réunies. L'affectation de l'épargne tontinière concerne
d'avantage la consommation que l'investissement21. Elle peut par exemple servir à l'achat de
matières premières pour un artisan, ou de stocks de marchandises pour des petits revendeurs.
Néanmoins, selon l'étude menée par Claude Dupuy et Jean Michel Servet (1994), cette
épargne est souvent destinée «à régler des problèmes», autrement dit à la consommation
privée.
19 Le Boulouf désigne un groupe d'habitants vivant sur la rive droit du fleuve Casamance. Il est peuplé du peuple Bluf Eblufayi en diola (singulier : Abluf) ou Ejugutayi) 20 Pour information, 100 FCFA =15 cents d’Euro ; 1 Million FCFA= 1 527 Euros. 21 Cf. Annexe 5 pour les résultats d’une enquête sur l’utilisation des fonds des tontines.
21
D’autres outils informels viennent financer la consommation privée des ménages :
• Les règlements en fin de mois (un moyen pour les commerçants de fidéliser leur clientèle), sont extrêmement développés à Dakar ou Kaolack.
• La vente avec paiement échéancé de biens durables. Le client paye le bien à un prix élevé, et négocie un terme de paiement. Ce système fonctionne dans les magasins où aucun prix n'est affiché ou pour les vendeurs ambulants qui sillonnent surtout les villages et les quartiers périurbains. Des tournées régulières leur permettent de récolter les sommes dues.
• L'opération de vente rachat-immédiat. C'est une forme d'usure cachée, puisque cette dernière, définie comme un prêt monétaire avec intérêt, est fortement condamnée par l'islam. Une personne désirant un prêt de 50 000 FCFA (76 euros environ) se rend chez un commerçant qui lui vend pour 75 000 FCFA (115 euros environ) de marchandise en indiquant au client où il pourra les revendre immédiatement pour obtenir 50 000 FCFA en liquide (la boutique d'un ami ou d'un membre de la famille du commerçant généralement). L'intérêt non officiel est dans ce cas très élevé : 25 000 FCFA (38 euros), soit 50% de la somme désirée.
Les petits entrepreneurs sénégalais vont recourir à ces outils, ainsi qu'à d'autres, comme le
prêt fournisseur ou le prêt d'argent (liste non exhaustive). Dans cette dernière catégorie, on
trouve par exemple les prêts d'argent avec partage des bénéfices. Une fois que le bénéfice à
tirer de l'affaire est connu et présente un intérêt pour le futur prêteur, celui-ci avance les fonds
et suit, tel un associé, l'opération du début à la fin, depuis l'achat de la marchandise jusqu'à la
livraison aux clients et à l'encaissement du prix de vente. Il supervise toutes les dépenses
intermédiaires (les frais de transport, de manutention et de dédouanement, etc.). En général, la
rémunération porte sur la moitié du bénéfice réalisé. Mais il arrive que le contrat porte sur un
montant fixé d'avance à payer par l'emprunteur quel que soit le bénéfice réalisé. Dans le
secteur du commerce de détail et de la pêche artisanale, les partenaires avertis et engagés pour
des opérations renouvelables peuvent aussi décider de partager le bénéfice en trois parties
égales: l'une est destinée au prêteur, la seconde à l'emprunteur et la troisième est remise dans
l'affaire en guise de fonds de roulement ou de provision pour investissement futur (par
exemple achat d'une senne tournante, d'une cantine, etc.) (Hane, Gaye, 1994).
Ainsi se déroulaient les pratiques financières informelles au Sénégal avant l’explosion de la
microfinance.
22
4. Pratiques informelles, reflets de solidarités tr aditionnelles
Les pratiques informelles de financement s'appuient sur des solidarités traditionnelles,
d’autant plus fortement au Sénégal que la société entière s’organise autour de réseaux de
solidarité. Parallèlement, on peut souligner que le recours aux pratiques informelles crée
également des solidarités.
Les pratiques informelles de financement et les solidarités traditionnelles s’organisent donc au
sein d’un cercle vertueux, les secondes encourageant les premières, et les premières
pérennisant les secondes.
a. Des pratiques adossées à la proximité et à la co nfiance
L'informalité se base sur la confiance et la proximité des acteurs. En effet, la proximité serait
un préalable essentiel à l'instauration de la confiance, notamment selon les économistes de la
proximité (Pecquer, Zimmermann, 2004).
On parle de proximité institutionnelle, pour définir l'existence de solidarités traditionnelles,
d'une culture commune, qui lie les membres d'une même famille, ou des connaissances. Cette
proximité est corrélée le plus souvent à une proximité géographique. Comme le souligne
Zimmermann (2004), la proximité géographique est une notion qui vient enrichir celle de la
coordination des acteurs économiques (ou proximité organisée).
Ce sont deux thèmes au fondement de l’économie de la proximité. La proximité géographique
se traduit par la distance kilométrique entre deux entités (individus, organisations, villes...),
pondérée par le coût temporel et monétaire de son franchissement, ainsi que par la subjectivité
des individus.
La proximité organisée n’est quant à elle pas d’essence géographique mais relationnelle. Par
proximité organisée, on entend la capacité qu’offre une organisation de faire interagir ses
membres. L’organisation facilite les interactions en son sein, en tous cas, les rend a priori
plus faciles qu’avec des unités situées à l’extérieur de l’organisation.
23
La première facilite la seconde selon Zimmerman(2004). Ainsi, la proximité géographique
facilite la coordination, dans la mesure où :
• Elle simplifie la rencontre et donc la mise en relation entre les agents, grâce à proximité institutionnelle.
• Elle peut, lorsque la relation est établie, faciliter l’interaction directe par le recours au face à face.
• Elle est susceptible de compense un défaut ou une insuffisance de proximité de nature non essentiellement géographique (organisationnelle ou institutionnelle).
Une fois cette précision donnée, intéressons-nous à la question de confiance, au cœur des
analyses des systèmes locaux. En favorisant les interactions locales, la confiance participe à
construire un avantage déterminant dans le succès des systèmes locaux. La confiance
faciliterait donc la proximité organisée si on l’applique aux théories de l’économie de
proximité.
Les penseurs de cette école ajoutent que la proximité, cognitive et géographique, produit des
externalités au profit des membres d’un groupe, à travers un effet « club », un processus de
construction d’un dedans par rapport au dehors.
Les pratiques de financement informel au Sénégal répondent à ces trois critères (proximité
géographique, organisée et effet « club »), d’où la pertinence de les étudier sous le prisme de
l’économie de proximité.
Au Sénégal, le niveau de la confiance interpersonnelle est le plus élevé d’Afrique22. 50% des
enquêtés par l’Afrobarometer en 2009 déclare faire « beaucoup » confiance aux autres. De
façon générale, les individus qui sont fortement intégrés dans la société présentent des taux de
confiance interpersonnelle plus élevés. L’enquête révèle également que la confiance semble
augmenter avec l’âge et l’appartenance communautaire.
Cette confiance interpersonnelle s’illustre au Sénégal dans les rapports financiers. Comme
nous l’avons expliqué dans la partie précédente, les caractéristiques du financement informel
22Afrobarometer briefing paper n XX, mai 2009. Baromètre sur le niveau de confiance interpersonnelle. Enquête avec une question “dans quelles mesures faites-vous confiance aux personnes que vous connaissez ? »
24
(tontine, épargne solidaire), suppose une confiance entre des individus appartenant à un même
groupe (famille, quartier, communauté, ethnie, etc.), ce qui créé une proximité organisée et un
effet « club ». Les systèmes locaux de financement informel tel que nous les avons définis
précédemment ne pourraient également pas exister sans une proximité géographique et
culturelle, tels que nous les avons définis ci-dessus.
Au Sénégal, la confiance et la proximité sont donc au centre des relations financières
informelles, et permet l'émergence de systèmes endogènes de financement, flexibles, qui
prennent en compte les comportements de chaque acteur de l'interaction.
Le souci de reproduire le système social et de resserrer les liens de solidarité familiaux et
amicaux au nom de la « tradition » seraient un des ciments de cette situation selon E.
Baumann, qui a réalisé une enquête sur la représentation du crédit à Dakar en 1998.
Ainsi, les rapports de confiance et de proximité permettent à la tradition orale de marquer
encore aujourd’hui la vie sociale dans le milieu informel. On se contente de la parole donnée
quand tous les éléments devant susciter la confiance sont réunis. (Hane, Gaye, 2004).
La confiance, favorisée par l’existence de solidarités familiales et amicales fortes au Sénégal,
et la proximité, sont donc les terreaux de la pérennité des systèmes de financement informel.
b. Articulation entre les sphères professionnelle e t familiale
L'informalité qui s'appuie sur des solidarités définit ainsi une articulation très étroite entre la
sphère professionnelle et la sphère privée (Baumann, 2004). Il semble qu’E. Baumann part du
postulat qu’une frontière est toujours érigée entre la gestion de l’activité génératrice de revenu
et celle de la vie quotidienne des ménages. Or, certains ménages notamment en milieu rural,
ne font pas toujours cette distinction. Par exemple, un ménage peut développer une agriculture
de subsistance en revendant le surplus pour dégager revenus. La vie familiale et l’activité
professionnelle sont dans cet exemple étroitement mêlés. Néanmoins, il est intéressant de
développer la théorie d’E. Baumann, qui s’avère pertinente dans la majorité des cas.
25
L'épargne des ménages constitue un mode de prévention non négligeable et peut prendre la
forme de biens privés (vaisselle, ustensiles de cuisine, tissu). Néanmoins, lorsqu'une activité
professionnelle connait des difficultés, l'épargne des ménages, au lieu d'être réservée à la
consommation familiale, est réorientée pour honorer des commandes de biens intermédiaires
ou de stocks futurs. Ainsi, l'épargne privée constitue également l'épargne professionnelle.
Un autre lien entre la sphère privée et la sphère professionnelle permis par l'informalité est la
diversification horizontale pour se prémunir de chocs. Un commerçant sénégalais, au lieu
d'agrandir sa boutique, va préférer ouvrir d'autres points de vente dans des lieux stratégiques
et les confier à un membre de sa famille, répondant par là, en même temps, aux obligations de
solidarité familiale, très importantes au Sénégal.
Le transfert de vulnérabilité se déploie également vers l'amont et l'aval de l’activité du micro-
entrepreneur informel. Ce dernier va fidéliser ses fournisseurs et sa clientèle, le tout « formant
une grande famille ». Néanmoins, la logique familiale rend délicate la sanction de retards ou
de situations d'insolvabilité.
De même, le transfert de vulnérabilité dans la sphère économique informelle se traduit par une
non-application des normes fiscales, des normes de sécurité routière, d'hygiène publique, etc.
Par exemple, un chauffeur de taxi à son compte va refuser l'entretien et l'assurance de son
véhicule.
Néanmoins, la gestion de la vulnérabilité s'appuyant sur des solidarités traditionnelles et la
non-application des normes est de plus en plus difficile depuis les années 1990, du fait d’une
volonté politique nationale et internationale d’une plus grande formalisation et d’un meilleur
encadrement des activités financières. De nouvelles institutions financières sont donc
nécessaires, un secteur intermédiaire entre les banques et l'informel, qualifié généralement de
financement « semi formel » et qui pourrait s'apparenter à la microfinance.
26
B. L'impact du paradigme de la mondialisation sur l ’essor de
la microfinance au Sénégal
Les experts s’accordent à dater l'explosion de la microfinance au Sénégal dans les années
1990. Néanmoins, nous souhaiterions démontrer que :
« Il y a dans la microfinance, comme dans la mondialisation, une certaine continuité,
d’autant plus que certaines institutions de microfinance existaient déjà quand on ne parlait
que de finance informelle. Il en était ainsi des mutuelles ou des coopératives d’épargne et de
crédit qui sont souvent les IMF les plus importantes et qui ont été implantées, en Afrique par
exemple, dès les lendemains de la dernière guerre. Les programmes d’appui en faveur de
certains secteurs, de certains métiers, de certaines populations existent depuis longtemps, tout
comme les ONG qui s’intéressent souvent au crédit » (Lelart 2008).
On pourrait donc remettre en cause l’idée « d’explosion » du secteur de la microfinance au
Sénégal dans les années 1990, qui suppose une apparition soudaine. Au contraire, il
conviendra de démontrer que la microfinance est née de plusieurs inspirations : le précédent
financier au Sénégal que l’on a décrit dans une première partie, mais aussi le paradigme
dominant des politiques de développement dans les années 1980 et 1990. La microfinance
s'inscrit donc dans une dynamique de construction particulière, dans laquelle la
mondialisation n’est pas étrangère.
1. Le paradigme de la mondialisation et du développ ement
La citation de Lelart ci-dessus (2008) peut être appliquée à l’évolution de la microfinance au
Sénégal, ceci dans le but de mettre à jour un lien potentiel entre microfinance et
mondialisation. La mondialisation aurait-elle permis, voire créer l'explosion de la
microfinance? Pour cela, il faut d'abord préciser de quelle mondialisation parle-t-on.
27
a. La mondialisation : Histoire et définitions
La mondialisation est le plus souvent envisagée sous le seul angle de la mondialisation
économique, conçue comme le développement accéléré des échanges de biens et de services,
accentuée depuis la fin des années 1980 par la création de marchés financiers au niveau
mondial.
Or, comme l'explicite Brunel (2007)23 et Carroué (2005), la mondialisation est avant tout un
processus, qui a débuté dès le premier siècle après Jésus Christ, en s’organisant autour de
l’empire Romain, dans l’espace méditerranéen. Une seconde mondialisation s'est ensuite mise
en place autour de l’Atlantique, culminante au XIXe siècle. On parle « d'économie-monde»
(F. Braudel, 1979). A cette époque, la diffusion économique est avant tout le fait de l'Europe,
dont les grandes découvertes ont entraîné une colonisation et une exploitation systématique.
Cette diffusion est bien mondiale, puisqu'au XIXe siècle, la colonisation concernait les quatre
cinquièmes des territoires émergés (F. Braudel, 1979).
On pourrait dater la première phase d’expansion de la mondialisation telle que nous la
connaissons aujourd'hui entre 1870 et 1914 (Barrot, 2007), qui a vu l'institutionnalisation
progressive des rapports internationaux et la naissance des premières organisations
internationales. La priorité était donnée à la régulation du commerce international. Après un
coup d’arrêt lié aux grands conflits mondiaux marquant la première moitié du XXe siècle, la
mondialisation a repris ses droits dés les années 1970.
C’est cette dernière phase, qui dure actuellement, qui nous intéresse tout particulièrement
dans ce mémoire. Selon Adda (2006), cette mondialisation, avant tout économique, se serait
instaurée durant la Guerre Froide, comme «l’abolition de l’espace mondial sous l’emprise
d’une généralisation du capitalisme, avec le démantèlement des frontières physiques et
réglementaires».
Plus précisément, les principales caractéristiques de la mondialisation actuelle sont l'explosion
des échanges commerciaux, le rôle prépondérant des firmes multinationales, et avant tout, la
23 Cf. Annexe 6, article de Sylvie Brunel sur la mondialisation
28
constitution d'un marché financier international. L'aspect financier est ainsi un élément
primordial de la mondialisation contemporaine, ce qui n'était pas le cas dans les phases
précédentes. Cela s'explique par l'augmentation des échanges sur le plan international, plus
importante que l'augmentation de la production de richesses. Une fois internationalisés, les
échanges financiers ont été dérégulés. On applique communément la règle des «trois D» pour
expliquer ce phénomène :
• Déréglementation dés 1971 : suppression par tous les États de toutes les barrières juridiques aux échanges financiers.
• Désintermédiation : les banques sont remplacées par des marchés boursiers dématérialisés pour organiser les échanges, ce qui permet leur instantanéité.
• Décloisonnement : communication entre les marchés financiers, rapide et continue, grâce aux NTIC.
Cette mondialisation a aussi été permise par l’unification des modèles économiques dans le
monde, dont la fin des années 1980 a été le terreau (C. Grataloup, O. Dolffus et J. Levy,
1998). Le capitalisme s’est ainsi imposé depuis la chute du bloc socialiste et la fin de la
bipolarisation du monde. La libéralisation a depuis été encouragée par des organisations
internationales telles que l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement
Economique) ou l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce).
Paradoxalement, la mondialisation actuelle s'est accompagnée d'un phénomène de
régionalisation dans le monde entier. On parle aussi «d'intégration régionale» qui revêt
plusieurs degrés : la zone de libre échange (suppression des barrières pour les échanges entre
les parties de l'accord), l'union douanière (adoption d'un tarif extérieur commun), le marché
commun (harmonisation des marchés de facteurs) et l'Union Economique et Monétaire
(harmonisation des politiques économiques et monnaie unique). Des unions monétaires
peuvent aussi voir le jour sans l'instauration préalable d'un marché commun. C'est le cas par
exemple de la zone du Franc CFA en Afrique de l'Ouest, à l'origine de l'UEMOA (Union
Economique et Monétaire de l'Ouest Africain). Le secteur de la microfinance au Sénégal s’est
appuyé sur cette régionalisation, ce que nous verrons plus en détail par la suite.
29
b. Le paradigme néolibéral de la mondialisation
Le terme de néolibéralisme est aujourd’hui très utilisé, pourtant il n’existe aucun consensus ni
sur sa définition ni sur ses origines. Il s’agit donc ici de s’intéresser à la naissance du néo-
libéralisme pour en comprendre le sens et son rôle dans la mondialisation. Pour ce faire, il
faut se pencher premièrement sur le courant libéral.
Au sens large, le libéralisme prône une société fondée sur la liberté d'expression des individus
dans le respect du droit du pluralisme et du libre échange des idées. Pour les auteurs libéraux
français (Turgot, Condillac, Say), le libéralisme économique est essentiellement l’application
de la philosophie libérale aux actes économiques. L’économie n'est qu'un des domaines de
l'activité humaine où l'État n'a pas de légitimité à intervenir autrement que comme un acteur
économique sans privilèges particuliers, et dans le plus petit nombre de domaines possibles :
la protection des citoyens, l'exécution de la justice et la défense contre d'éventuels agresseurs.
Les économistes libéraux jugent inutile et dangereuse toute intervention supplémentaire,
considérant que l'initiative privée relevant de comportement rationnel et guidée par le marché,
est à même de suppléer avantageusement la plupart des fonctions de l'État. Les libéraux
jugent également que l'extension de la sphère d'intervention de l'État conduirait à une
prégnance immaîtrisable de la sphère publique au détriment de l'initiative privée, et donc à
des inefficacités chroniques, voire à des « dérives totalitaires » (A. de Tocqueville, B.
Constant et J. S. Mill). Adam Smith et l’école classique anglaise prônent également un rôle
très limité de l'État, réduit à trois devoirs : protéger les membres de la société, les défendre,
ériger et entretenir des ouvrages et institutions publiques.
Quant à la signification du mot néolibéralisme, elle a beaucoup varié au cours du temps.
Finalement, s’inscrit-il dans la continuité du libéralisme, en s’adaptant aux contextes
économique et politique du milieu du XVIIIe siècle ou est-il au contraire synonyme de
rupture ? Le débat n’est toujours pas tranché aujourd’hui mais il convient de le développer ici,
afin d’en faire émerger une définition large et consensuelle, tant que faire se peut, du néo-
libéralisme. Cette définition servira ensuite de terreau au développement de notre
argumentation.
30
Selon Lippmann, la véritable transition du libéralisme au néo-libéralisme intervient après
1870. Comme A. Smith, Lippmann voit dans le marché, aidé par des institutions adéquates :
« un outil permettant aux hommes d’élaborer un champ de connaissances communes sur
lequel ils peuvent bâtir des solutions de compromis à leurs conflits d’intérêt » (F. U. Clave,
2005).
Néanmoins, selon Lippmann, le laisser-faire lui-même aurait causé le déclin du libéralisme ; il
rejoint en ce point l’analyse Keynésienne datant de 193124. Pour les deux penseurs, le laissez-
faire repose sur la croyance en une bienveillance universelle, ce qui conduit à un dualisme fort
entre le domaine étatique régi par les lois des hommes et le domaine économique fondé par
des lois naturelles, et donc à une inefficacité. Il en découlera une nouvelle conception du
libéralisme, à l’origine des politiques keynésienne où l’éthique et les politiques économiques
étatiques priment dans la recherche du bien commun.
Par opposition, le néolibéralisme défend l’autre part du dualisme. La politique et l’économie
sont deux sphères autonomes et indépendantes, la deuxième primant sur la première (E.
Mulot, 2002). La politique serait alors un obstacle aux comportements économiques, les seuls
à même d’assurer le bien commun et la coordination des rapports interpersonnels dans une
société. Les échecs des politiques keynésiennes dans les années 70 ont permis de donner un
nouveau souffle aux théories néolibérales, qui ont triomphé depuis dans le monde entier, en
défendant l'efficacité absolue du marché tout en remettant au goût du jour les théories de la
« main invisible » développée par Smith. C’est dans ce contexte que les politiques
économiques encouragent la dérégulation et la déréglementation se sont développées (G.
Dostaler, 2000).
Pour conclure sur ce débat, on retiendra que le néolibéralisme s’est inspiré des théories
libérales en les appliquant à toutes les sphères de la société, dans une conception extrême de
l’efficacité du marché et de la rationalité des individus. Il se caractérise ainsi par :
• une limitation du rôle de l'État en matière économique, sociale et juridique;
• l'ouverture de nouveaux domaines d'activité à la loi du marché;
24 La fin du laisser faire, Keynes
31
• une vision de l'individu en tant que "entrepreneur de lui-même" ou "capital humain" que celui-ci parviendra à développer et à faire fructifier s'il sait s'adapter, innover.
La mondialisation se trouve aujourd’hui sans paradigme concurrent suffisamment fort pour
contester le marché en tant que croyance universelle et principe organisateur (Guérin, Servet,
2003). Le néolibéralisme est donc le paradigme dominant aujourd'hui, et conduit la
mondialisation.
c. Influence sur les politiques de développement
Dans les années 1980, la crise de la dette touche les pays en développement, en commençant
par l'Amérique Latine, puis en s'étendant sur tous les continents. Les institutions
multilatérales prônent alors des «stratégies de développement favorables au marché», selon le
paradigme économique dominant chez les bailleurs de fond. «La mondialisation et le marché
veulent tout imprégner», notamment grâce aux institutions financières internationales telles
que la Banque Mondiale ou le FMI (Stieglitz, 2002). Dans ces conditions, il paraît opportun
de comprendre comment le thème de la lutte contre la pauvreté (développé dés les années
1930) s'est greffé à la logique mercantile des grandes institutions internationales dans les
années 1980.
i. Intégration de la lutte contre la pauvreté dans le discours des
bailleurs
Dés les années 1930, le développement était intimement lié à l'idée de croissance. Il faudra
attendre les années 1960 pour que se développe une approche orthodoxe du développement
consistant à reproduire mimétiquement le modèle d’industrialisation capitaliste, dont les
États-Unis représentaient l’exemple. Cette tendance s’est notamment traduite par la définition
de programmes de développement standardisés, très semblables les uns aux autres, et suivant
tous le même modèle d’accumulation du capital et le même schéma linéaire des «étapes de la
croissance économique» développées par Rostow en 1960 (Alexei Jones, 2005). Les
32
institutions de Bretton Woods devinrent les promotrices de cette approche du développement.
Dans ce contexte, la pauvreté était considérée comme un faible accès aux biens de
consommation du fait d'un manque de revenu. La croissance économique devait permettre à
elle seule d'augmenter le revenu par habitant et ainsi de réduire la pauvreté dans son acception
économique.
Au Sénégal plus particulièrement, le premier plan de développement standardisé est mis en
place en 1979. Il s’agit du premier «Plan d’Ajustement Structurel» (PAS)25. Des politiques
néolibérales sont instaurées, privilégiant la stabilisation dans un premier temps, puis
l'ajustement. Le PAS privilégie ainsi « des dispositions législatives favorisant l'initiative
économique, le fonctionnement du marché et les investissements étrangers propices au
développement, permettant entre autres l'ajustement spontané des agents économiques à la
situation locale et à l'environnement mondial »26.
Ces précisions correspondent bien aux composants de la théorie néolibérale précisés dans la
partie précédente.
Sur le plan des finances publiques, il s’agit d’éliminer progressivement le déficit en
comprimant les dépenses telles que la masse salariale, en vue de dégager une épargne
publique pouvant financer les investissements.
Le document-cadre de politique économique et financière soumis au Groupe consultatif pour
le Sénégal en décembre 1986 marque une rupture dans l’approche de cet ajustement. En effet,
le programme d’ajustement à moyen et long terme 1985-1991, appelé à maintenir les acquis
obtenus dans la réduction de la demande, a été centré sur la promotion des exportations et la
mise en œuvre des politiques sectorielles. C’est à ce titre qu‘ont été adoptées les Nouvelles
Politiques Industrielles (NPI) en juillet 1986, le désengagement de l’État dans les activités
marchandes en 1987 ainsi qu’une nouvelle approche en matière d’investissements. Aussi, le
25 Un programme d’ajustement structurel est un programme de réformes économiques mis en place par le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque mondiale (BM) afin d’aider les pays touchés par de grandes difficultés économiques. Certaines dispositions de ces plans agissent sur la conjoncture et d'autres sur les structures. Leur élaboration résulte d'une négociation entre un pays endetté et le FMI. Les crédits pour la mise en place du’ programme sont débloqués par tranches successives à mesure de son avancement. 26 Cf. le rapport annuel du FMI, 1980
33
système des incitations industrielles a été révisé afin de rendre le secteur plus compétitif sur
les marchés intérieurs et extérieurs.
Néanmoins, l'échec de ce modèle dans les années 80 (Sachs parlera dès 1979 de «croissance
perverse» impulsée par le modèle de développement traditionnel dans les PED) a entraîné une
crise de légitimité des politiques des grands bailleurs internationaux.
C’est dans ce contexte qu’a été érigé le discours de lutte contre la pauvreté comme corolaire
aux politiques de développement. Cette apparition coïncide aussi avec l’affaiblissement du
bloc socialiste dans le contexte de la Guerre froide et avec l’imposition de l’économie
néolibérale capitaliste, ouvrant la nouvelle ère de la mondialisation dés le début des années 90
(cf. la partie précédente). L’intégration de lutte contre la pauvreté dans les politiques de
développement pourrait alors être perçue comme un outil de légitimation du modèle de
l’économie néolibérale mondialisée (G. Van Parys, 2005).
Par ailleurs, l’apparition de la pauvreté dans les discours de développement est également liée
aux travaux d’Amartya Sen datant des années 198027. Il interpelle les décideurs politiques
concernant l’impact de la pauvreté sur la capacité des individus à être libres et à faire des
choix. Dans cette idée, A. Sen privilégie les réformes sociales de même que des améliorations
dans l’éducation et la santé publique, en tant que corolaires indispensables à une croissance
économique pérenne et profitable à tous. La pauvreté n’est plus seulement définie en termes
économiques ; ses incidences sur le capital social sont progressivement prises en compte.
Ces travaux ont fortement influencé les politiques de développement. Ainsi, la lutte contre la
pauvreté, dans le nouveau projet international, s’érige en pendant social, facteur de droits et
de liberté, rendu possible grâce à la mondialisation économique. Fidèle à cette dynamique, la
devise de la Banque Mondiale devient : « Notre rêve est un monde sans pauvreté ».
Dans cette optique, outre les politiques de caractère standard autour du rétablissement des
équilibres macro-économiques et financiers internes et externes, des mesures plus
27 Lire à ce sujet : Collective Choice and Social Welfare (1970), On Economic Inequality (1973, 1997), Poverty and Famines (1981), Choice, Welfare and Measurement (1982).
34
contextualisées et localisées se sont imposées dans les années 1990 et 2000. Ces outils sont
venus porter une logique d’amélioration des capacités mais aussi de bonne gouvernance.
ii. La promotion de la décentralisation pour une « bonne
gouvernance »
La prise de conscience de l'échec des politiques de développement mises en place dans les
années 1980, trouve également une explication dans la marginalisation des populations, non
intégrées à l’effort de développement standard. Elle est donc suivie de l'émergence de la
notion de participation.
Les Cadres Stratégiques de Lutte contre la Pauvreté (CSLP) mis en place en 1999 ont ainsi
innové par rapport au PAS, dans le contenu et dans la conception des programmes
macroéconomiques. L'action contre la pauvreté s'y dessine notamment en termes d'une
réflexion et d'une action collective « largement » ouvertes à la participation de la société
civile. En se concentrant sur l’accumulation de capital et sur la construction d’infrastructures,
les interventions de développement avaient en effet largement ignoré les populations et le rôle
qu’elles pouvaient et devaient jouer dans leur propre processus de développement (Alexei
Jones, 2005).
"Un rapport d'évaluation externe indique que les trois quarts des PAS échouent. Le FMI lui-
même reconnaît que cet échec peut s'expliquer entre autres par le fait que ces programmes ne
sont pas menés par la population elle-même »28
Une série d’études commanditées par la Banque mondiale ont finalement rapporté les
bienfaits que la participation était susceptible d’apporter dans l’efficacité et la réussite des
projets de développement, comme en témoigne par exemple une étude de 1975 portant sur
une cinquantaine de projets de développement rural en Afrique29. La participation populaire y
28 Ronald Janssen, in Bretton Woods contre syndicats, Labor Magazine, 200114(cité dans Notre rêve : un monde sans pauvreté, Isabelle Antal-Kapamadjian). 29 « Local participation may mean involvement in planning, including assessment of local needs. Even if local people do not participate in planning, at the very minimum, they should be informed of the plans designed for their areas if they are expected to consent and to cooperate in program implementation », Lele, U. J., The Design of Rural Development: Lessons from Africa, Johns Hopkins Press, 1975.
35
fut identifiée comme un élément crucial pour obtenir l’adhésion des populations et leur
coopération dans le déroulement du projet.
Le terme de gouvernance, conçue comme un mouvement de « décentrement » de la prise de
décision, avec une multiplication des lieux et des acteurs impliqués dans cette décision, dont
la société civile, entre alors dans les discours du développement. Le terme renvoie à la mise
en place de nouveaux modes de régulation plus souples, fondés sur le partenariat entre
différents acteurs.
Cette nouvelle notion peut néanmoins être considérée comme un nouvel outil
« économique ». En effet, pour certains chercheurs, l’essor du terme de gouvernance vient
renforcer le tournant néolibéral des années 1980, en participant à la décomposition de l’État.
Par exemple, pour Jean-Christophe Mathias (2009) :
« Le glissement du gouvernement à la gouvernance démontre que l'on est passé d'une
civilisation de la souveraineté populaire incarnée dans la loi républicaine, garante de
l'intérêt général, à une société pragmatiste, particulariste et utilitariste, garante d'intérêts
économiques singuliers, dans laquelle la notion de bien commun n'a plus de place véritable ».
Dans ce cadre, la décentralisation apparaît comme un corollaire nécessaire à la mise en place
d’une « bonne gouvernance ». C’est en tout cas le parti pris de la Banque Mondiale, qui
considère que la gouvernance en Afrique n’est bonne que si elle est locale, c’est-à-dire au plus
près des populations devant être administrées. La « gouvernance » telle que définie par les
bailleurs doit ainsi laisser le plus de place possible à la participation démocratique de la
société civile.
Au Sénégal, la politique de décentralisation est d’abord hésitante. Tout en reconnaissant des
entités décentralisées dés son Indépendance, le Sénégal peine à relâcher significativement le
contrôle de l'État central sur les centres locaux de décision (Piveteau, 2005). Il faudra attendre
1996 pour assister à un véritable renforcement de la décentralisation avec l'instauration d’un
contrôle de légalité a posteriori pour les collectivités locales et la création de dix régions. La
prise en compte de la participation de la population civile s’inscrira aussi dans les années
2000 à travers les politiques de croissance en faveur des pauvres, qui mettront l’accent sur la
participation des populations, notamment des organisations de la société civile, dans la mise
36
en œuvre de la politique de réduction de la pauvreté en favorisant des stratégies d'intervention
au niveaux régional et local, plus proches des populations30.
Ainsi la mondialisation, avant tout économique aujourd’hui, s’exprime dans les politiques de
développement par une empreinte néolibérale caractéristique dés les années 1980. Celle-ci se
traduit par une prise en compte croissante de l’individu et de ses capacités, dans une optique
de lutte contre la pauvreté et de bonne gouvernance.
30 Selon l’Unité de Coordination et de Suivi de la Politique Economique (UCSPE) du Ministère de l'Economie et des Finances (MEF) du Sénégal, http://www.dsrp-senegal.org/strategies.htm#croissance
37
2. La microfinance : outil du paradigme économique mondial au Sénégal
Il est possible de rendre plus explicite les notions de mondialisation et de référentiel
néolibéral à la lumière de la microfinance. En effet, cette dernière peut se concevoir comme
une émanation de la mondialisation, concentrant les grandes caractéristiques du paradigme
néolibéral conduisant la mondialisation et les politiques de développement.
a. La « vibration » du marché pour lutter contre l a pauvreté
L’explosion de la microfinance, notamment au Sénégal, peut perçue liée à la mondialisation,
comme une illustration des nouvelles préoccupations économiques déterminées au niveau
mondial dans les années 1980 et 1990.
La microfinance telle qu’elle a explosé à cette époque serait alors un élément concurrentiel
essentiel, «la vibration du marché» offerte aux plus pauvres. La microfinance est en effet
souvent présentée comme un outil de lutte contre la pauvreté, correspondant ainsi aux
préceptes des politiques de développement s’appuyant sur le marché dés la fin des années 80.
Plus précisément, la microfinance serait la réponse aux échecs des PAS, et correspondrait à la
redéfinition des moyens mis en place par les bailleurs qui ont comme objectif dans les années
90 la lutte contre la pauvreté. En effet, plusieurs organismes et agences ont progressivement
réalisé et reconnu que la marginalisation des populations était une des principales faiblesses
de leurs interventions de développement. Diverses études31 ont contribué à cette prise de
conscience selon laquelle l’exclusion des bénéficiaires dans le déroulement des projets de
développement, et notamment de développement rural, avait été à l’origine de l’échec de
nombreux projets. La microfinance, définie comme l’offre de services financiers aux exclus
du système financier classique, promeut le micro-entrepreneuriat32 ; en cela, elle est venue
répondre à cette prise de conscience, en instaurant au centre de la création de richesse,
31 Alexei Jones cite : Uphoff N., « Fitting projects to people », 1985 ; Talagune A.B., A Study of Operational Aspects of the Change Agent Programme, Slida, 1985 ; Johnston B.F. & Clark C.C., Redesigning Rural Development: A Strategic Perspective, John Hopkins University Press, 1982, etc. 32 Projet nécessitant un très faible capital pour créer une micro-entreprise.
38
l'individu lui-même. La microfinance vient offrir une compensation au manque de capacités
d’investissement des personnes ayant peu de moyens.
La mise en place des Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté (DSRP)33 au début
des années 2000, comme nouveau cadre de lutte contre la pauvreté dans les PED, confirme
l'importance de l'outil de la microfinance. Au Sénégal, la microfinance est un indicateur pris
en compte par le DSRP dés sa mise en place en 2003. Le DSRP II instauré en 2006 confirme
le rôle de « la vibration du marché » comme un «secteur d'appui à la création de richesse
pour lutter contre la pauvreté»34.
Du point de vue de Lelart, la mondialisation, son référentiel et la crise qu'elle a suscitée dans
les années 80, ont donc entraîné l'essor d'un nouveau mode de financement, appartenant à la
logique de marché, mais présenté comme alternatif. « Il y a cette fois une véritable rupture,
que l’on peut situer autour de 1995, quand le concept de microfinance est apparu dans la
littérature. Les raisons en sont bien connues : c’est surtout l’échec des politiques de
développement, la prise de conscience de la pauvreté et le succès confirmé de l’innovation
maintenant bien connue de M. Yunus. A partir de cette date la microfinance a vraiment elle
aussi explosé » (2006).
Or, on s’aperçoit qu’au Sénégal, la microfinance a effectivement explosé à cette période, dans
les années 1990, sous la forme de plusieurs modèles. Le portail de la microfinance
sénégalaise35 date l’émergence du système tel qu’on l’on connaît aujourd’hui et la mise en
place du cadre juridique entre 1993 et 1997. Au cours de cette période a été adopté un
dispositif transitoire relatif à l’organisation, aux conditions d’agrément et de fonctionnement
des structures mutualistes d’épargne et de crédit (Arrêté n°1702 du 23/02/1993). Ce texte a pu
favoriser l’agrément de 120 institutions.
33 Cf. Annexe 7, sur la fiche technique des DSRP élaborée par le FMI 34 In : http://www.dsrp-senegal.org/contenu.htm 35 http://senegal.portailmicrofinance.org/portail_senegal
39
b. La microfinance comme soutien à la mondialisatio n
Outre que la microfinance consacre la domination du marché, elle illustre également deux
autres phénomènes propres à la mondialisation et au référentiel néolibéral : le désengagement
de l'État et la régionalisation.
Ainsi, la microfinance peut être perçue comme un acteur subsidiaire de l'État dans la lutte
contre la pauvreté. C'est du moins le postulat défendu par Guérin et Servet (2003). La
microfinance serait un mode de subsidiarité de l'action publique, caractéristique du nouveau
visage actuel de l'État, ni Gendarme, ni Providence, mais «l'État qui fait faire».
E. Hoffman et K. Marius-Gnanou (2007) rejoignent cette idée :
« Et si le financement de programmes de microcrédit au profit essentiellement de groupes
pauvres […] était organisé dans le but de ne pas remettre en cause le désengagement de
l’État en matière de services publics ? »
La microfinance, en faisant croire que tout actif potentiel, notamment les individus les plus
pauvres et les plus vulnérables peuvent être entrepreneurs ou créer leur emploi, favorise de la
sorte le processus de mondialisation néolibérale. La microfinance participerait ainsi à la
dynamique de la mondialisation en devenant une forme de subsidiarité de l’action publique,
mais une subsidiarité inefficace et insuffisante face aux besoins pratiques et stratégiques
toujours grandissants comme corollaire de ce processus.
La subsidiarité se fait par le bas (la décentralisation), et par le haut (les organisations
internationales).
i. Une subsidiarité par le haut
La microfinance au Sénégal illustre bien la dynamique de subsidiarité par le haut défendue ci
dessus puisque la réglementation des services microfinanciers a été adoptée au niveau de
l'intégration régionale.
L'UEMOA est une intégration régionale d'ordre financier, qui a été créée par le Traité signé à
Dakar le 10 janvier 1994 par les Chefs d’État et de Gouvernement des sept pays de l’Afrique
40
de l’Ouest ayant en commun l’usage d’une monnaie commune, le FCFA36. L'objectif
principal de l'Union est le renforcement de la compétitivité des activités économiques et
financières des États membres dans le cadre d’un marché ouvert et concurrentiel et d’un
environnement juridique rationalisé et harmonisé. L'UEMOA, à ce titre, règlemente les
activités financières et bancaires, en votant des lois-cadres, s'appliquant ensuite dans chaque
pays membres. La BCEAO (Banque Centrale des États d'Afrique de l'Ouest) est l'organe
chargé de l'harmonisation des politiques monétaires et de l'émission de monnaie.
L'UEMOA est ainsi le cadre de la loi-cadre PARMEC ou « Projet d’Appui à la
Réglementation des Mutuelles d’Épargne et de Crédit ».
Les principaux objectifs de cette loi sont :
• la protection des déposants,
• la sécurité des opérations,
• la recherche d'autonomie financière des Systèmes Financiers Décentralisés,
• l'intégration de la finance informelle dans le cadre légal.
ii. Une subsidiarité par le bas
La subsidiarité s'exprimerait aussi selon Servet et Guérin par un transfert via les mouvements
de type associatif :
«A la place d’un développement directement impulsé par les gouvernements des États-
nations, dans la logique de ce que l’on a appelé l’interventionnisme keynésien, se diffuse la
croyance que l’intérêt privé est à même de répondre aux besoins collectifs de la société. Les
organisations dites non gouvernementales, et leur poids dans la diffusion des dispositifs de
microfinance est considérable, sont dès lors un vecteur essentiel de cette pseudo privatisation
des actions publiques » (2003)
36 Il s'agissait du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Niger, du Sénégal et du Togo. En 1997, la Guinée-Bissau est devenue le 8e membre de l'union.
41
Dans le cadre de l'État qui fait faire, le gouvernement sénégalais a effectivement impulsé et
financé des politiques de développement du secteur associatif visant la création d'entreprises
et le développement du secteur de la microfinance. En cela, la microfinance fait résonnance à
la dynamique de décentrement de la prise de décision voulue dans le cadre de l’instauration
d’une bonne gouvernance. La population locale aurait, grâce à la microfinance, les moyens
d’être actrice de son propre développement, en marge des mesures étatiques.
Des institutions sénégalaises chargées d’encourager ces dynamiques sont progressivement
créées. Un Ministère dédié aux PME a été créé en 2001. Il est à l'origine de la mise en place
du Fonds National de Promotion de l'Entrepreneuriat Féminin (FNPEF). Son rôle est de
renforcer le pouvoir économique des femmes par l'entrepreneuriat37. Nous pouvons aussi
parler de l’ADEPME, Agence de développement et d’encadrement des PME. Sa mission est
de participer à la densification du réseau des PME au Sénégal et de contribuer à augmenter
leur compétitivité pour qu’elles puissent participer au développement économique et social du
pays.
De plus, pour laisser une marge d'action aux ONG en microfinance, l'État sénégalais a mis en
place un dispositif spécifique. La convention-cadre adoptée le 3 juillet 1996 par le Conseil des
Ministres de l’UEMOA fixe les conditions d’exercice et les modalités de reconnaissance des
structures ou organisations non constituées sous formes mutualiste ou coopérative et ayant
pour objet la collecte de l’épargne et/ou l’octroi de crédit. Il s'agit en général de projets
montés par des ONG. La convention est signée pour une durée maximale de cinq ans,
renouvelable.
Par l'entremise de ces mécanismes, l'État sénégalais donne les moyens à la microfinance
d'augmenter le tissu entrepreneurial dans le pays. La microfinance peut en conséquence être
perçue actuellement au Sénégal comme un outil de la mondialisation et du marché, dans une
logique de désengagement de l’Etat.
37 Créé en 2004, le fonds a financé depuis lors 733 PME, pour un montant total de 1,92 Mds FCFA. Cela a permis de créer ou de consolider 1 826 emplois sur la période. 290 personnes ont également bénéficié du programme de renforcement des capacités. Les dernières données disponibles sur le site internet du fonds datent de 2007. Cf. http://www.pme.gouv.sn/fnpef.htm
42
C. Juxtaposition de la microfinance au préexistant financier
Actuellement au Sénégal, trois systèmes de financement existent et coexistent : la finance
informelle, qui perdure ; la microfinance, parfois qualifiée de système «semi-formel»; le
système bancaire classique. Outre l’influence de la mondialisation, la microfinance s'est
nourrie des deux autres pour exister. C'est pourquoi on privilégiera une approche de l'essor de
la microfinance dans la continuité, en parlant d'imbrication de la microfinance aux systèmes
de financement préexistants.
1. La dynamique actuelle de la finance informelle e t des banques
classiques
Le secteur bancaire classique a continué de se développer au Sénégal depuis les années 1990.
L’implantation de nouvelles banques, et l’adaptation des politiques bancaires ont permis au
système classique de se déployer au Sénégal. Néanmoins, la constante inadaptation du crédit
bancaire classique à une frange importante de la population (dont les entreprises informelles,
représentant encore 70% du tissu entrepreneurial sénégalais), a confirmé l’importance de la
finance informelle, malgré l’essor de la microfinance comme alternative.
a. Un constat : l'inadaptation du crédit bancaire
Compte tenu de la faiblesse de la clientèle potentielle dans une région (et donc du manque de
rentabilité supposée), et de l’insuffisance d'infrastructures, de nombreux espaces ont une très
faible densité d'établissements bancaires. Ainsi, le Sénégal compte 1,5 guichets pour 100 000
habitants, surtout concentrés à Dakar ou dans les grandes villes telles que Saint Louis, Thiès,
Kaolack et Ziguinchor38. Cette faiblesse de l'offre bancaire entraîne la permanence du recours
38 Source : http://www.finances.gouv.sn/PrintableVersion.php?Module=page_rubrique&Id=23
43
à la finance informelle, notamment en zone rurale où le taux de bancarisation est le plus
faible.
D'autres critères peuvent expliquer la constance de l'informel également en zone urbaine.
Selon E. Baumann (1998), outre la précarité de la vie matérielle (objectif de court terme), le
souci de reproduire le système social et de resserrer les liens familiaux et amicaux au nom de
la "tradition", joue un rôle central dans l'omniprésence de dettes et de créances (objectif de
long terme), comme on l’a évoqué précédemment39.
Ce point de vue est confirmée par Microcred S.A.40, qui a mené une étude de marché en 2006
afin d’évaluer les besoins en microcrédit des entrepreneurs sénégalais. Cette enquête montre
que la majorité des petits entrepreneurs n’a jamais fait de demande de crédit auprès d’une
banque ou d’un organisme de microfinance, et que la principale source de financement à
laquelle ils font appel reste le soutien des proches (amis et famille). Les entrepreneurs sont
pourtant relativement au courant de l’existence des sources de financement que représentent
les banques ou les IMF. Pour autant, ils jugent que les produits offerts ne sont pas en
adéquation avec leurs besoins et leurs possibilités.
L'incompréhension avec les banques découle notamment d'une préférence prononcée pour le
présent au Sénégal. Le petit entrepreneuriat sénégalais privilégie lui aussi le présent, en raison
des difficultés à se projeter dans l'avenir. Les causes sont multiples : maîtrise insuffisante des
techniques comptables, confusion fréquente entre fonds de roulement et budget familial,
inexistence de réserves susceptibles d'être affectées au remplacement de l'équipement
technique, précarité juridique quant à l'installation, absence d'appareil statistique approprié au
marché de la petite entreprise, etc. (Baumann, 1998). Il faut néanmoins faire attention à ne
pas généraliser ce constat. Les arguments avancés par E. Baumann datent d’une dizaine
d’années. Aujourd’hui au Sénégal, une partie des petits entrepreneurs, notamment ceux
évoluant dans l’informel, ont acquis des techniques et outils de gestion, via l’informatisation
notamment. Des documents comptables peuvent également être utilisés dans les entreprises
39 Cf. pp. 27 à 29 40 Microcred, IMF française, a démarré son activité au Sénégal en Octobre 2007, après avoir réalisé une étude de marché en Juillet 2006 qui a été mise à la disposition de la Mission Economique de l'Ambassade de France (dans laquelle j'ai effectué un stage en 2007).
44
informelles, ce qui laisse entendre une prise en compte du moyen-terme. Car, rappelons-le,
lar, rappelons-le, l’informalité concernant la plupart des petits entrepreneurs sénégalais, ne
signifie pas immanquablement un manque de gestion ou l’absence de comptabilité, mais la
non inscription aux registres du commerce.
b. Le choix de la finance informelle
Si la finance informelle perdure tant, c’est parce qu’elle résout des problèmes non (ou mal)
pris en compte par la plupart des systèmes financiers formels.
i. Les avantages comparatifs de la finance informelle
Selon Adams (1994), la finance informelle présente six avantages indéniables
comparativement aux systèmes de financement formels :
• Les types de services rendus : les dépôts et prêts de petits montants sur une courte durée représentent la majorité des transactions informelles, services rarement offerts par le formel.
• Un système fondé sur la discipline : les procédures organisées découlant de l'informel conduisent à des comportements disciplinés qui rassurent. La recherche de la solvabilité est partagée par le débiteur et le créditeur, à travers le partage de mêmes codes culturels.
• L'épargne : l'informel proposerait des systèmes de dépôts plus séduisants que le formel.
• La réciprocité : les services financiers informels sont donc plus accessibles
• Les innovations financières : la finance informelle s'adapte rapidement à des conditions variables telles que l'inflation, la prospérité, etc. Elle offre donc souplesse et flexibilité.
• Faiblesse des coûts de transaction, aussi bien pour l'intermédiaire financier que pour ses clients.
45
ii. L'insuffisance de l'offre de crédit
Le recours à la finance informelle ne s'explique pas seulement par ses avantages comparatifs.
La microfinance et le secteur bancaire traditionnel représentent une offre trop faible par
rapport à une demande en crédit croissante.
Au Sénégal, on estime que les PME représentent 90% du tissu économique. Leur demande
potentielle de crédit a atteint 186 milliards FCFA en 2005. Le Ministère des PME, de
l'Entrepreneuriat Féminin et de la Microfinance a estimé les données suivantes pour la période
2005-201041 :
La demande potentielle de crédit devrait passer, sur la période 2005-2010, de 204 milliards
de FCFA à 524 milliards soit une augmentation de 61%.
Or, fin 2007, le volume de crédit distribué par les IMF au Sénégal représentait 100 Mds
FCFA (contre 86 Mds en 2006). Les banques se sont engagées quant à elles à hauteur de
201 ,8 Mds FCFA envers les PME cette même année42. Il restait donc un « trou » de près de
223 Mds à combler d’ici 2010, ce qui n’a sûrement pas été réalisé43.
Concernant les ménages, Le taux de bancarisation au Sénégal reste faible, à 11,6%, ce qui
place le Sénégal au second rang dans la zone UEMOA, derrière le Togo.
Les ménages et entreprises sénégalaise continuent ainsi de se tournent logiquement vers la
finance informelle pour combler leur besoin de financement.
iii. Une question de survie
Par ailleurs, I. Guérin (2005) souligne le paradoxe entre la constance du financement informel
et ses risques pourtant conséquents pour les usagers (décapitalisation, servitude,
41En considérant les données de base suivantes : la population totale en 2005 (11,6 M, source : Banque Mondiale), le taux de croissance annuel de la population (2%, source : BM), les données statistiques des IMF au 31 décembre 2003 (source : MEF du Sénégal). 42 In Etude sur l’offre et la demande de financement des PME au Sénégal, 30 septembre 2009. 43 Aucune donnée financière précise ne vient confirmer cette hypothèse.
46
surendettement). L'auteure s'appuie sur l'exemple du système de l'avance en Inde, néanmoins,
une partie de sa réflexion peut s'appliquer au cas sénégalais, qui connaît des pratiques
informelles de financement similaires44. Rappelons-le, la majorité de la population
sénégalaise est exclue du système de financement classique, et une grande partie de cette
majorité ne peut prétendre à un microcrédit, qui nécessite en général l'existence d'une activité
génératrice de revenus, de cautions et de garanties. Or, outre le financement d'activités ou de
micro-entreprises, le recours à l'informel est aussi destiné à la consommation immédiate
comme on l'a vu dans la partie précédente. Il est donc, pour les ménages les plus pauvres, une
évidence, une obligation, pour répondre à des besoins prioritaires. En effet, les modes
informels de financement sont avant tout utilisés, notamment dans le rapport client-
commerçant, pour des dépenses quotidiennes (alimentation, santé) lorsque les revenus des
ménages sont tels qu'ils ne couvrent pas les besoins primaires. Le recours à l’informel répond
donc aussi à une question de survie.
c. La croissance continue du secteur bancaire class ique
En parallèle des pratiques informelles et de la microfinance, le secteur bancaire a tout de
même réussi à croître au Sénégal. En 2010, son système bancaire classique compte 18
banques et 3 établissements financiers.
Ses récents résultats attestent de sa bonne santé, et ceci malgré la méfiance sans cesse
réaffirmée des PME à l’égard des institutions de financement, jugées peu accessibles45. Les
crédits à la clientèle ont progressé de 16,4 % en 2008, contre 5,9 % en 2007. Les crédits à
court terme (FCFA 732 milliards) ont augmenté de 18,4 % par rapport à 2007, et ont
principalement concerné le commerce et les industries manufacturières. Les crédits à moyen
terme (FCFA 579 milliards) ont progressé de 12,9 % et ceux à long terme (FCFA 74
milliards) de 14,2 %, bénéficiant principalement aux services à la collectivité et au commerce.
44 Cf. pp 24-26 45 In Etude sur l’offre et la demande de financement des PME au Sénégal, 30 septembre 2009.
47
Les crédits distribués au Sénégal en 2008 représentent 27,1% des crédits distribués dans la
zone UEMOA46.
Le secteur bancaire est donc actif et attractif, ce qui explique les implantations de cinq
nouveaux groupes entre 2004 et 2006 : la Banque Régionale de Solidarité (BRS - Sénégal), la
Banque des Institutions Mutualistes d’Afrique de l’Ouest (BIMAO), créée par la
Confédération des Caisses Mutualistes d’Afrique de l’Ouest, Attijariwafa Bank Sénégal, une
filiale de Attijariwafa Bank Maroc, la Banque Atlantique Sénégal, une filiale de Atlantic
Financial Group, et l'International Commercial Bank Sénégal. En 2009, le groupe nigérian
UBA a également ouvert une filiale au Sénégal.
Ces nouvelles entités portent le nombre total de banques en activité à 17 en 2009. Ces chiffres
font du secteur bancaire sénégalais le plus étoffé d’Afrique de l’Ouest après le Mali.
La crise économique mondiale débutée en 2008 a néanmoins ralenti la dynamique du secteur
bancaire sénégalais, comme celui de l'ensemble de la zone UEMOA. Les dépôts dans la zone
ont diminué de 100 milliards de FCFA au mois d'août 2009 (comparativement au mois d'août
2008), dont une baisse de 50 milliards pour les banques sénégalaises. Parallèlement, le dernier
rapport Doing Business avancées pour le Sénégal indique un recul dans le domaine de l’accès
au crédit (149ème place en 2009 contre 141 en 2008).
46 cf. rapport annuel BCEAO, 2008, page 27. Cf. Annexe 8. Le rapport 2009 n’a pas encore été mis en ligne, d’où la caducité relative des données présentées.
48
2. L'essor de la microfinance dans la continuité d u préexistant financier
La microfinance ne s'est pas structurée en remplacement des pratiques de financement
informel au Sénégal. Outre les avantages comparatifs de l'informel, la constance de l’offre
informelle s'explique avant tout par une réalité numéraire. Les besoins en financement au
Sénégal sont tels que l’offre de microfinance s’avère bien souvent largement insuffisante pour
satisfaire les exclus du système bancaire classique. La microfinance vient donc s’implanter au
côté de l’offre informelle et classique, pour présenter une alternative en termes de
financement.
a. L'explosion de la microfinance sénégalaise
i. Une croissance exponentielle
En 2009, la microfinance représentait déjà une clientèle de plus d'un million d'individus au
Sénégal et 840 IMF.
Le cadre institutionnel régissant le secteur de la Microfinance définit la typologie suivante :
• Les MEC (Mutuelle d'épargne et de crédit) sont reconnues par la loi PARMEC et peuvent s'organiser en réseau. En 2007, 9 réseaux de MEC étaient en activité au Sénégal. Les MEC de base hors réseaux fonctionnent aussi avec un agrément.
• Les GEC (groupement d'épargne et de crédit). Ils représentent 80% des IMF. Ce sont des organisations informelles, non régies par la loi, qui fonctionnent sur le modèle mutualiste. Elles ne détiennent pas de personnalité juridique c'est-à-dire pas d’agrément mais une « reconnaissance ».
• Les 5 signataires de la Convention Cadre à l’été 200747 : les institutions de microfinance qui ne sont pas de type mutualiste (type ONG ou projets) signent une convention-cadre avec le gouvernement, renouvelable tous les 5 ans.
47 La convention-cadre adoptée le 3 juillet 1996 par le Conseil des Ministres de l’UMOA fixe les conditions d’exercice et les modalités de reconnaissance des structures ou organisations non constituées sous forme mutualiste ou coopérative et ayant pour objet la collecte de l’épargne et/ou l’octroi de crédit. Elle détermine
49
Les GEC, bien que majoritaires, représentent moins de 5% des crédits et des dépôts48. Ils
fonctionnaient pour la plupart avant la structuration du secteur de la microfinance au Sénégal,
et leur rôle est à ce titre reconnu par l'État sénégalais. Les trois réseaux de MEC dominant le
marché sont les suivants : Alliance de Crédit et d’Epargne pour la Production (ACEP) ; Crédit
Mutuel Sénégal (CMS) ; Union des Mutuelles du Partenariat pour la Mobilisation de
l’Epargne et le Crédit au Sénégal (UM-PAMECAS). Ils représentaient en 2007 plus de 80%
de l’encours de crédit soit près de 88 milliards FCFA d'encours de crédit (contre 65 Mds en
2005).
Viennent ensuite les quatre réseaux suivants :
• Réseau des Caisses d’Epargne et de Crédit des Femmes de Dakar (RECEC / FD) ;
• Réseau des Mutuelles d’Epargne et de Crédit de l’Unacois (REMECU) ;
• Union des Mutuelles d’Epargne et de Crédit (UMEC) ;
• Union des Mutuelles d’Epargne et de Crédit de l’Unacois (UMECU).
ii. Une structuration dans la continuité du passé financier
sénégalais
Les IMF sénégalaises sont présentes à 63% (en termes d'emplacement des agences) dans les
zones rurales et périurbaines. 37% des IMF sont implantées en zone urbaine au Sénégal. Ces
chiffres doivent être nuancés, car si les GEC, petites structures hors réseaux, sont par nature
présentes en nombre en zones rurales, cela représente peu de volume de crédits et de clientèle.
Les réseaux dominants sont par contre avant tout implantés en zones périurbaines et urbaines.
Aucun chiffre précis n'est avancé à ce sujet.
En effet, les zones rurales et reculées présentent de nombreux inconvénients à l'implantation
d'IMF, comme l'a démontré une étude du laboratoire d'études Cerise (1999). Tout d'abord la
faible densité de la population dans ces zones supposerait que l'IMF doive toucher plusieurs
également les règles de leur fonctionnement et les modalités de leur contrôle. La convention est signée pour une durée maximale de cinq ans renouvelable. 48 Les GEC et les MEC représentaient 2.3% des dépôts et 4.4% des crédits en 2003,
50
villages pour atteindre une masse critique de clients. Or, les villages sont souvent éloignés de
plusieurs kilomètres et les voies d'accès en mauvais état. D'autre part, les revenus des
habitants en zones rurales sont souvent plus faibles et plus précaires qu'en zones urbaines ou
périurbaines. Ce sont en effet avant tout des régions de cultures vivrières et la majorité des
productions se destinent à l'autoconsommation des familles. Les aléas climatiques rendent
précaires les revenus. Enfin, les infrastructures de base telles que le téléphone ou l'électricité
sont quasiment absentes des zones rurales (14,2% d'électrification en zone rurale en 2005,
contre 74,1% en zone urbaine ; les prévisions tournent autour d’un taux d’électrification
rurale de l’ordre 16 % pour l’année 2006)49. Plus de 10 ans après l’étude de CERISE, la
situation n'encourage toujours pas les IMF sénégalaises à s'implanter en milieu rural, où l'on
trouve finalement surtout de la finance semi formelle (GEC) et des projets microfinanciers
localisés soutenus par des ONG, destinés à soutenir les secteurs agricole et piscicole.
b. La législation, un encadrement croissant
i. Légiférer un secteur en pleine expansion
La législation concernant la microfinance est apparue dans les années 1990, pour encadrer un
secteur en pleine explosion. La tutelle de la BCEAO s'applique depuis à la microfinance, par
l'entremise de la loi PARMEC (1995, décret d’application de novembre 1997 au Sénégal). La
BCEAO a deux principales compétences en la matière : l'intervention (appui aux réseaux,
conventions, etc.) et l'information. Au Sénégal, la BCEAO assure la tutelle du secteur en
compagnie de la Cellule Microfinance (AT/CPEC) du Ministère de l'Économie et des
Finances (MEF). Un Ministère en charge de la Microfinance et de la Coopération
décentralisée a été créé en 2002. Mêler ces deux activités (microfinance et coopération
décentralisée) rejoint l’idée que la microfinance est perçue comme un outil du désengagement
des structures étatiques nationales, en participant à la subsidiarité des Etats.
La Direction de la Microfinance au sein de ce Ministère a quatre objectifs :
49 Source : Ministère chargée de l'énergie, http://www.sie-energie.gouv.sn/spip.php?article37
51
• Le renforcement du maillage des SFD.
• Le renforcement des capacités techniques et managériales des acteurs du secteur et de la Direction de la Microfinance.
• Le développement de la communication et du partenariat entre les acteurs, et le renforcement des capacités d’intervention du secteur l’institution.
• La mise en œuvre de la Politique sectorielle de la micro finance et de son Plan d’Actions.
ii. Faire évoluer la législation face à l'évolution du secteur
Depuis 2001 et afin de prendre en compte les mutations sectorielles et les nouveaux enjeux, la
BCEAO a travaillé en concertation avec différents acteurs sur la refonte de la loi PARMEC,
donnant naissance à une nouvelle loi votée par le conseil des ministres de l’UEMOA en 2009
et en attente de ratification et promulgation au sein des huit États de l’Union.
Cette nouvelle loi a pour objectifs premiers l’assainissement du secteur et son renforcement
par :
• La suppression des GEC.
• Faciliter les rapprochements entre mutuelles pour favoriser les synergies et donner naissance à des entités plus viables.
• Toutes les IMF devront être affiliées à leur association professionnelle nationale.
• L’extension du champ d’application de la loi en vigueur aux autres formes juridiques (sociétés et associations).
• Obligation aux IMF d’une certaine taille de faire certifier leurs comptes.
• Optimisation des règles prudentielles.
Cette réforme s'inscrit dans la logique des objectifs attendus pour les IMF actuellement, à
savoir atteindre la pérennité. Nous développerons ce point plus en deçà dans ce mémoire.
52
c. La microfinance, entre rupture et continuité
La microfinance est la plus active et la mieux encadrée dans les pays où les pratiques
informelles restent les plus développées (Afrique de l'Ouest, Amérique du Sud, Inde). On peut
lire dans ce constat un lien fort entre pratiques informelles et microfinance, les unes ayant
inspiré l'autre et inversement.
i. Les pratiques informelles comme source d’inspiration de la
microfinance
Le terreau des pratiques financières informelles a permis l'émergence rapide de la
microfinance et sa pérennisation. Le langage financier de la microfinance proposant une
alternative à l'usure pour les exclus du système bancaire traditionnel a séduit un grand nombre
de petits opérateurs économiques. L'expérience acquise des prêts informels peut être
considérée comme précurseur d'un prêt dans une IMF. Comme on l'a vu plus haut, Adams
(1994) met à jour la discipline issue de la pratique financière informelle50. Cette discipline a
pu donner confiance aux opérateurs économiques mais aussi aux IMF, pour la construction de
nouvelles relations financières. Les IMF s'appuient également sur des discours de proximité et
de confiance, issus de l'observation des pratiques financières traditionnelles, ce qui rassure la
nouvelle clientèle. Elle se différencie en cela des banques par leur implantation dans les zones
rurales et périurbaines mais aussi par le rôle clé de leurs agents de crédit. En microfinance, les
agents de crédit démarchent les clients dans la rue. Si l'opérateur économique donne son
accord tacite, les agents se rendent ensuite au domicile ou au lieu de travail du futur client
pour évaluer sa solvabilité. Les documents comptables, lorsqu'ils existent, sont pris en compte
mais également des entretiens avec la famille, le voisinage, etc. Une fois le prêt accordé,
l'agent de crédit effectue un suivi rapproché et fréquent par le biais de visites pour renforcer la
« culture » de remboursement. Ainsi, la microfinance s'appuie sur les fondements du
financement informel pour réduire le risque de non-remboursement. Cela produit un effet
vertueux pour la clientèle, qui reconnaît en l'agent de crédit une personne digne de confiance,
intégrant son cercle.
50 Cf. page 49
53
ii. La microfinance influence les pratiques informelles
En renversant le point de vue, on peut envisager l'influence de la microfinance sur les
pratiques informelles. Comme le souligne Adams, les pratiques informelles sont flexibles et
souples. En cela, elles peuvent s’imprégner d’influences diverses, dont les plus
contemporaines. Selon ce postulat, Adams avance l’hypothèse que les pratiques informelles
de financement se sont progressivement imprégnées des logiques de marché occidentales, qui
conduisent également aujourd'hui les politiques de microfinance dans le monde. C’est cette
théorie qui sert de structure à notre étude.
Les GEC au Sénégal pourraient être notre illustration de l'inspiration mutuelle entre
microfinance et pratiques informelles. Leur reconnaissance par l'État au moment de la
structuration d'un secteur de la microfinance dans les années 1990 peut être interprétée
comme le poids de la tradition et la prise de conscience de l'importance de ces structures
informelles pour le recours au financement d'une grande partie de la population. Leur
disparition prévue par la nouvelle législation pourrait, au contraire, annoncer l'imprégnation
de la microfinance par les logiques mercantiles. Néanmoins, la disparition des GEC est un
symbole fort, et peut aussi laisser présager d'une volonté de rupture avec le passé de la part
des acteurs de la microfinance dans la zone UEMOA.
54
Transition
Ainsi, la microfinance a explosé dans les années 1990, en venant « bouleverser » les
techniques de financements classiques des opérateurs économiques alors en place : le crédit
bancaire ou les techniques de financement informelles. Ce bouleversement tient plus de la
mise en place d'un triangle financier proposant des solutions complémentaires, que de la mise
en place d'une véritable concurrence. En effet, aussi bien le secteur bancaire que le secteur
informel sont toujours florissants. Il faudra néanmoins attendre encore quelques mois avant de
pouvoir mesurer les effets de la crise économique mondiale de 2009 sur le jeu des différents
acteurs de la finance au Sénégal, qu'ils soient bancaires, microfinanciers ou informels.
La microfinance, outil de lutte contre la pauvreté, s'est appuyée sur le préexistant financier
mais n'aurait pu connaître un tel essor sans son inscription dans le paradigme de la
mondialisation : le néolibéralisme. L'outil du marché pour lutter contre la pauvreté s'inscrit
donc bien dans la mondialisation, par une inscription idéologique. Il répond en effet à
plusieurs recommandations inspirées de la mondialisation : marché, entrepreneuriat,
décentralisation, émergence d'une société civile.
La microfinance ne doit pas alors se définir seulement comme l'accès aux produits financiers
pour les personnes exclues des systèmes bancaires traditionnels, mais comme un produit
financier «formalisé», s'appuyant sur les expériences d'anciens systèmes de financement
décentralisés, et « encadrés » pour les personnes exclues des systèmes bancaires traditionnels.
Une fois cette constatation faite, il convient d'étudier l'emprise actuelle de l'international sur la
microfinance. On développera ici le postulat que la microfinance reste aujourd'hui « pilotée »
par l'international, en en analysant les conséquences.
55
II. LA MICROFINANCE AU SENEGAL PILOTEE PAR
L'INTERNATIONAL : VERS L'UNIFORMISATION DE
L’OFFRE ?
Comme on l’a vu dans la partie précédente, les bailleurs de fonds, et à travers eux la
mondialisation, ont contribué à la définition de la microfinance au Sénégal. Ils y contribuent
toujours. C’est pourquoi l’on parlera d’une microfinance «pilotée par l’international», inspirée
d’une logique microfinancière descendante (top down), des institutions et organisations
internationales aux IMF sénégalaises.
«Au risque de choquer il nous paraît donc possible, sur la base de la mondialisation, de
confronter la microfinance au Coca Cola ou aux hamburgers Macdonald. On donne à voir la
microfinance à travers des groupes locaux de base, qui cherchent à s'en sortir par eux-
mêmes, et l'on présente plus rarement l'insertion très forte de la microfinance dans les
réseaux». (Servet, 2005)
Les dispositifs de microfinance sont en effet de plus en plus étudiés à l’échelle mondiale. Ce
sont alors des supports de flux techniques, d’informations et de capitaux qui relient des
instances et des institutions diverses. Au-delà des bailleurs de fonds et des ONG, on trouve
également l’intervention de fondations et groupes de pression institués, des gouvernements
locaux, nationaux et fédéraux et des institutions de coopération bilatérales et multilatérales
(Guérin et Servet, 2003)51.
Selon ces deux auteurs, les dispositifs de la microfinance s’inscrivent alors pleinement dans le
processus de la mondialisation. On parlera subséquemment de dimension «globale» de la
microfinance, autrement dit, de son inscription dans le processus de globalisation, grâce à son
intégration dans des «réseaux internationaux». On pourrait en citer plusieurs, sur lesquels il
conviendra de revenir dans le développement de cette partie : multinationales, organisations
de solidarité internationale, institutions financières internationales, etc.
51 Cf. Annexe 9, extrait de l’article.
56
On peut supposer que cette dimension globale apparaît d’autant plus fortement dans les pays
où la microfinance est très développée. Le Sénégal en est une illustration puisque le secteur de
la microfinance y est le plus avancé d'Afrique de l’Ouest, comme nous le détaillerons ci-
dessous.
Finalement, l’inscription de la microfinance dans la mondialisation contribue à une définition
singulière du système microfinancier sénégalais. De fait, aujourd’hui, la microfinance
sénégalaise se détermine en fonction des marchés financiers internationaux, privés et publics.
On peut se demander quels impacts cette intégration aux marchés peut-elle avoir sur la
définition de la microfinance sénégalaise. Les conditions du marché, de rentabilité et de
durabilité, n’entraineraient-elles pas en effet l’émergence d’un modèle «satisfaisant» unique,
d’institution de microfinance au Sénégal ?
57
A. La microfinance au Sénégal: un secteur dynamique intégré
dans la sous-région
La microfinance au Sénégal est l’une des plus avancées en Afrique de l’Ouest, en termes
d’actifs mais aussi en termes de clients. Sa croissance stable durant la dernière décennie
rassure et attire même les investisseurs étrangers. Ainsi, les bailleurs et les acteurs locaux ont
fait de la microfinance au Sénégal une des destinations les plus prisées des investissements
des partenaires microfinanciers étrangers.
1. Les indicateurs de la microfinance au Sénégal
Les bons résultats microfinance sénégalaise peuvent s’analyse en termes de volume de crédits
mais également en termes de clientèle. Pour caractériser la dynamique de ce secteur au
Sénégal, il conviendra également de développer une analyse comparative avec les autres
membres de la zone UEMOA et avec le continent africain en général.
a. Par rapport à la zone UEMOA
Pour une analyse comparative, les dernières données publiées par la BCEAO datent de juin
200652.
Tableau 1: Principaux indicateurs des SFD en UEMOA, juin 2006
SFD Membres/clients Dépôts* Crédits*
Bénin 684 246 39 732,8 71 623,8
Burkina Faso 626 054 36 178,1 28 867,0
Côte d’Ivoire 709 498 64 685,7 22 974,2
52 Cf. Annexe 10 pour plus d’informations sur la microfinance en Afrique de l’Ouest.
58
Guinée Bissau 9 325 177,7 174,1
Mali 637 748 35 533,2 35 126,3
Niger 94 547 3 661,9 4 670,1
Sénégal 740 950 69 844,1 80 856,8
Togo 296 000 30 722,7 22 472,1
Zone UEMOA 3 688 185 280 536,5 266 494,5
Statistiques communiquées par 100 institutions, réalisant 90% des transactions du secteur * encours, en millions de FCFA (indexé sur l’euro, 1 EUR = 655957 FCFA ) ** PAR à 31 jours. Source : BCEAO
Le tableau 1 ci-dessus illustre le poids du secteur de la microfinance sénégalais dans la zone
UEMOA puisqu’il représente, dans l’échantillon donné :
• 20, 1% des membres et clients de la zone UEMOA,
• 24,9% des encours de dépôt au 30 juin 2006,
• 30,3% des encours de crédit à la même date.
En 2006, c’est donc au Sénégal que la microfinance est la plus développée, comparativement
au reste de la zone UEMOA. Viennent ensuite le Mali, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso53.
Au 31 décembre 2008, la prédominance du Sénégal se confirme toujours, comme l’atteste les
données croisées de la BCEAO sur l’UEMOA et du MixMarket sur le Sénégal.
Selon le rapport 2008 de la BCEAO, le nombre de bénéficiaire des systèmes financiers
décentralisés aurait atteint 9,3 millions dans la zone UEMOA. Les dépôts des IMF s’y sont
accrus de 14,3%, pour se situer à 459,2 milliards de FCFA, tandis que les encours de crédits
ont progressé de 16,4%, pour ressortir à 441,8 milliards de FCFA.
MixMarket a pour sa part publié les données suivantes concernant le Sénégal :
53 Source : statistique de la BCEAO, www.bceao.net
59
Tableau 2 : indicateurs de la microfinance au Sénégal, décembre 2008, MixMarket54
Indicateurs Données MixMarket Conversion des données
Encours de crédit 261,6 M USD 133,5 Mds FCFA
Nombre d’emprunteurs 218 660
946 443 clients
Nombre d’épargnants 727 783
Epargne 199,9 M USD 101,8 Mds FCFA
Encore une fois, le Sénégal est à la pointe de la microfinance en Afrique de l’Ouest puisqu’il
y représente environ 11% des clients (en baisse par rapport à 2006) mais encore 29,1% de
l’encours de crédit. La prédominance sénégalaise en Afrique de l’Ouest s’est donc confirmée
au cours des années, grâce à une croissance forte et régulière de son secteur microfinancier.
Plus récemment, la croissance d'actifs au Sénégal est tombée en deçà de la moyenne de la
zone UEMOA (22, 5% en 2008 contre 32% en 2006) 55. Ceci s’explique par le fait que le
Sénégal a été l’un des pays précurseurs dans la mise en place de la microfinance en Afrique
de l’Ouest. La forte croissance des actifs dans la zone UEMOA or Sénégal présentée en 2007
s’explique par l’explosion tardive du secteur au Niger et en Guinée-Bissau notamment56.
b. Par rapport au continent africain
Le rapport sur la microfinance en Afrique publié par le CGAP en 2008 met en lumière les
résultats du secteur par zone géographique, et leur évolution entre 2006 et 2007.
54 Source : http://www.mixmarket.org/fr/mfi/country/Senegal 55 Source: Microfinance Information Exchange, Inc., 2007 Benchmarks. Les résultats sont les médianes des échantillons 2006 et 2007 (26 IMF). Echantillon sénégalais en 2007 : ACEP Sénégal, CMS, DJOMEC, MEC FEPRODES, PAMECAS, U-IMCEC, UMECU, Caurie SARL 56 Source : statistiques de la BCEAO, www.bceao.net
60
Il permet donc de comparer les résultats du Sénégal plus largement avec d'autres pays
d'Afrique.
Tout d'abord, la stabilité de la microfinance en Afrique de l'Ouest peut être mise en évidence
par rapport au reste du continent africain.
Dans le tableau ci-dessous, la clientèle des IMF d'Afrique de l'Ouest et leur portefeuille de
prêts représentent respectivement près d'un quart et 30% de la clientèle et du portefeuille de
prêts au niveau africain.
Les niveaux de croissance plus faible que les moyennes au niveau continental s'expliquent par
un taux de pénétration plus important en Afrique de l'Ouest.
Tableau 3 : Microfinance en Afrique en volume, par sous-région
Source: Africa Microfinance Analysis and Benchmarking Report, 2008. Echantillon : 111 IMF africaines
Le Sénégal est présenté comme le 3ème pays africain en termes de taux de pénétration de
l'activité de crédit. Il se classe derrière le Kenya (2,6%) et l'Éthiopie (2,0%). Le Sénégal est
également 3ème en termes de taux de pénétration de l'activité d'épargne (5%), derrière le
Kenya (9%) et le Togo (6%). Autrement dit, le rapport entre la demande sénégalaise réelle en
microcrédit et la demande potentielle est le plus important au Sénégal.
Notons que dans le classement des pays africains en termes de taux de pénétration, quatre des
dix premiers appartiennent à la zone UEMOA : le Sénégal, mais aussi le Togo, le Mali et le
Burkina-Faso.
61
Ainsi, la microfinance est très dynamique au Sénégal, mais également stable. En effet, la
stabilité politique et économique du pays, ainsi que la forte densité du tissu micro-
entrepreneurial et la relative faiblesse du taux de pénétration, laissent présager une croissance
durable et encadrée du secteur à moyen terme. C’est d’ailleurs sur la base de ces arguments
que Microcred, IMF française, s’est implantée au Sénégal en 2007 :
« M. Tissot qui est, par ailleurs, responsable de Microcred pour les pays francophone a
expliqué le choix [du Sénégal] par sa stabilité politique et économique et la densité des
micro-entreprises qui constituent la principale cible de la nouvelle structure initiée par
PlaNet Finance »57
Le MPMEEFMF lui-même souligne les bienfaits pour la microfinance de la situation
particulière du Sénégal en Afrique de l’Ouest, qui
« jouit d’une réelle stabilité dans une région en proie à des turbulences politiques entravant
le développement économique régional »58.
57Extrait de l’article MICROFINANCE : Microcred choisit le Sénégal pour sa stabilité, http://www.lesoleil.sn/article.php3?id_article=32429 58 Extrait de la « Lettre de politique sectorielle en Microfinance, plan d’action 2005-2010 »
62
2. Des opportunités de financement pour les parten aires extérieurs
La microfinance au Sénégal, de part sa solidité et sa stabilité, attire les financements
extérieurs. Le secteur en a besoin pour financer sa croissance.
a. Un secteur en besoin de financements
Pour les IMF africaines autorisées à collecter l'épargne, la part relative de l'épargne dans leur
structure de financement est très importante : 63% pour les Banques, 52% pour les
coopératives (dont l’ACEP au Sénégal) et 40% pour les institutions financières non
bancaires59. Au Sénégal, la loi PARMEC a jusqu’ici favorisé les IMF de types mutualistes
principalement en les exonérant d’impôt sur les bénéfices mais aussi en les autorisant à
collecter l’épargne de leurs clients. Cette spécificité propre à ce secteur vient modeler des
caractéristiques uniques : en médiane, 70% du portefeuille brut de prêts est financé par cette
collecte d’épargne. La réforme de la loi PARMEC étendant ce champ d’application aux autres
formes juridiques (sociétés et associations), l’épargne devrait devenir la première source de
financement des IMF en Afrique de l’Ouest à moyen terme.
Néanmoins, actuellement, les IMF ne sont pas encore parvenues à l’autonomie financière
avec un taux d’autosuffisance financière de 95,8% en 200860. La limitation légale de
plafonnement à 27% du taux d’intérêt ne permet pas à certaines IMF en besoin de
financement plus important de financer convenablement leurs activités.
Le Sénégal est aussi le seul pays de la zone UEMOA à montrer un rendement positif en 2008
même si il est en baisse passant de 2,5% à 1,4 % par rapport à 2007. La faible augmentation
des produits financiers n’a en effet pas permis de couvrir les surplus de charges
d’exploitation, conséquence du développement des activités (ouvertures de nouvelles caisses,
embauche de personnel, formations).
59 Source : http://www.lamicrofinance.org/content/article/detail/18581 60 In « Benchmarking et Analyse du Secteur de la Microfinance en Zone UEMOA 2008 », MIX, page 8
63
C’est pourquoi les IMF en Afrique de l’Ouest, et notamment au Sénégal, se tournent de plus
en plus vers des fonds issus de partenaires privés ou publics, commerciaux et/ou
internationaux.
80 % de ces fonds dans la zone UEMOA proviennent des institutions suivantes 61:
• 43% du système bancaire privé (banques commerciales),
• 23% par les institutions financières de développement,
• 15% par les banques publiques.
Les 20 % restants sont issus principalement des catégories « ONG/fondation » et «
gouvernement ». Les fonds d’investissements, axés essentiellement sur des investissements en
fonds propres, ne représentent que 1% des fonds extérieurs dans la zone UEMOA. Cette
répartition, et notamment la faible part des dons, s’explique par la prédominance des IMF de
type mutualiste qui ne peuvent accepter que des fonds sous forme de prêts (rappel : les
mutuelles représentent 90% des encours au Sénégal).
b. Un secteur « sain »
Le secteur de la microfinance au Sénégal est sain dans la mesure où il est stable comme on l’a
vu précédemment, tout en affichant de bons résultats en termes de couverture de risques et de
rentabilité.
En 2007, l'Afrique de l'Ouest est la seule région où la médiane des IMF faisant partie de
l'échantillon du benchmark du MixMarket atteint la rentabilité. Cela s'explique en grande
partie par la diminution des dépenses d'exploitation62, principalement en raison de la
diminution des dépenses de personnel, relativement à l’augmentation de la productivité. En
effet, la productivité du personnel a augmenté dans le même temps : un agent de crédit des
IMF échantillonnées gère 251 clients en 2007 contre 209 en 2006.
61 Idem, page 5. 62 Les principales charges d’exploitation sont communément la consommation de matières premières, les consommations externes (transport, énergie, publicité...), les frais de personnels, les impôts et les taxes.
64
Malgré toutes ces avancées, la qualité du portefeuille reste généralement faible dans la zone.
Elle est évaluée à partir de la proportion de risque de non paiement à 30 jours à partir de la
date officielle de paiement des mensualités (PAR63 à 30 jours).
22% des IMF annoncent un PAR à 30 jours supérieurs à 10%64. Parmi elles, trois IMF de
l'échantillon annoncent un PAR à 30 jours supérieur à 20 % et un grand nombre subit ce
même PAR à plus de 50%.
Les IMF présentant une faible qualité de portefeuille dans la zone sont pour la majorité des
coopératives et des banques en milieu rural, étant les institutions les plus exposées aux
variations de revenus (revenus agricoles face aux aléas climatiques).
Au sein de ces résultats, le Sénégal se distingue nettement par la qualité de son portefeuille. Il
représente en effet le risque le plus bas de la zone UEMOA, loin derrière la médiane de
l'Afrique de l'Ouest. Ce résultat en fait une des cibles majeures des sources extérieures de
financement.
Tableau 4 : Qualité du portefeuille des SFD en UEMOA, juin 200665
SFD Bénin
Burkina-
Faso
Côte-
d’Ivoire
Guinée-
Bissau Mali Niger Sénégal Togo UEMOA
PAR à
30j. 8,87% 8,28% 9,47% 11,21% 6,01% 14,25% 4,38% 5,12% 6,90%
Le Sénégal est également le seul à montrer un rendement positif, même si il est en baisse,
passant de 2,5% à 1,4 % (-1,1% dans la zone). Ceci s’explique en partie par la faible
augmentation des produits financiers, qui ne permet pas de couvrir les surplus de charges
63 PAR = ratio du portefeuille à risque 64 10% des prêts subissent un retard de remboursement des mensualités de plus de 30 jours. 65 Cf. Annexe 10
65
d’exploitation, conséquence du développement des activités (ouvertures de nouvelles caisses,
embauche de personnel, formations)66.
De plus, sur l'ensemble du continent africain, seul sept pays possèdent un service
d'Intelligence Financière67. Le Sénégal en fait partie (avec l'Afrique du Sud, la Mauritanie, le
Gabon, le Cameroun, le Niger, et le Nigeria).
Ce développement s’appuie sur les critères retenus généralement par les agences de notations
et les rapports de Benchmarking. Par exemple, le Benchmark de MixMarket sur la
microfinance en zone UEMOA en 2008 ne s’arrête aucunement sur la corruption ou la
qualité de la formation du personnel sénégalais.
Or, au Sénégal, l’ADEPME pointe elle-même du doigt certaines faiblesses de la microfinance
au Sénégal, qui viennent impacter négativement la bonne santé du secteur68 :
• La faible régulation des IMF. La régulation et la supervision des IMF, du fait de l’accroissement de leur nombre, sont de plus en plus difficiles pour la BCEAO et les Gouvernements.
• Le manque de transparence. Les multiples initiatives du secteur donnent une impression d’opacité. Les initiatives pour publier de l’information existent, mais le secteur reste mal connu.
• L’accès à la formation et à l’information. Les IMF ont besoin de personnel qualifié ; or les formations en microfinance sont rares. Les occasions d’échange d’expérience sont peu nombreuses, et les réussites et les échecs des uns et des autres ne sont pas connus.
Malgré ces faiblesses, le secteur sénégalais, se reposant sur 30 ans d’expérience et une
formalisation importante, attire ainsi de plus en plus de partenaires financiers extérieurs. Il
s’appuie pour cela sur de bons résultats financiers mais aussi sur le soutien de la coopération
internationale.
66 In « Benchmarking et Analyse du Secteur de la Microfinance en Zone UEMOA 2008 », MIX, page 7. 67 En anglais : Financial Intelligence Unit (FIU). 68 Source : page de présentation du secteur de la microfinance sénégalaise par le site de l’ADEPME : http://senegal-entreprises.net/secteur-financier.htm#faible
66
B. Le rôle évolutif de la coopération international e
Comme on l'a vu dans la première partie, les bailleurs de fond ont construit et alimentent
actuellement le postulat de la microfinance comme outil de lutte efficace contre la pauvreté,
qui doit avant tout être un outil pérenne. Leurs financements ont ainsi été progressivement
réorientés, pour participer à l’indépendance financière des IMF et à leur inclusion formelle
dans les flux financiers internationaux. C'est pourquoi l'on peut avancer l'idée que les bailleurs
pilotent l'évolution de la microfinance, notamment au Sénégal. Ils le font de plus en plus en
partenariat avec les acteurs locaux.
1. Les principaux bailleurs, sources de la politiqu e microfinancière
sénégalaise
Les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux ont participé à l’essor de la microfinance dès
les années 1980, conformément aux politiques de développement adoptées à l’époque.
a. 1er cycle : les bailleurs et l'aide directe his torique aux IMF sénégalaises
A l'aube de la microfinance au Sénégal, avant l'explosion qu'a connu le secteur dans les
années 1990, des réseaux se sont construits à l'aide de bailleurs de fond. Chaque réseau
disposait et dispose encore d’un bailleur de fonds principal. On peut citer : la France pour le
Crédit Mutuel du Sénégal (CMS), le Canada pour l’UM-PAMECAS, et les États-Unis pour
l’ACEP.
A l'origine «Caisse Populaire d'Épargne et de Crédit» (CPEC), le CMS a démarré en 1988, sur
l’initiative du Gouvernement sénégalais, du Ministère Français de la Coopération et du Centre
International du Crédit Mutuel (CICM). L’AFD (Agence Française pour le Développement)
est le principal partenaire financier du CMS depuis 1992. Directement ou par le biais de l'État
Sénégalais, l’AFD met à disposition du CMS des fonds pour financer l'extension de son
réseau, la formation de ses agents et le développement de son système d'information. La KFW
67
((la KfW Bankengruppe distribue l'aide publique allemande) est également un partenaire
financier conséquent du CMS. En 2006, dans le cadre du Projet de Promotion de l'Emploi en
milieu urbain, elle a octroyé au CMS par l'intermédiation de l'État du Sénégal une ligne de
crédit de 1,3 millions d'euros (1 milliard FCFA) pour développer ses produits vers les PME.
L'ACEP tire quant à lui ses origines d'un petit programme de prêts mis en place par l'USAID
(agence distribuant l'aide publique des États-Unis) en 1985. Le projet visait développement de
la communauté et de l’entreprise dans les régions de Kaolack et de Fatick qui étaient
considérées comme des zones à fort potentiel pour la production. Suite à un audit en 1988,
l'accent a été mis sur la composante de prêts, ce qui marqua le début d'une entité de crédit
indépendante qui devait devenir l'ACEP dès 1990. En 1993, lorsque le projet USAID prend
fin, l'ACEP est en mesure de prêter en puisant dans ses propres ressources. L’ACEP a
également bénéficié d’un appui financier de l’AFD sous forme de subventions en fonds
propres dans le cadre du projet PAME et d'un prêt de la KFW en 2005 pour développer des
produits financiers vers les PME.
L’UM-PAMECAS est pour sa part de création canadienne. En 1995 a été lancé «le Projet
d’appui aux Mutuelles d'Épargne et de Crédit au Sénégal». Ce projet a été financé par l'ACDI
(Agence Canadienne pour le Développement International). Il bénéficiait également à
l'époque d'un soutien technique de DID (Développement International Desjardins)69. En 1998,
le projet devient l’Union des Mutuelles du Partenariat pour la Mobilisation de l'Épargne et le
Crédit au Sénégal. Elle permet aux caisses d'entrer dans une phase de consolidation et de
rentabilité avec une autonomie financière totale atteinte depuis l'an 2000.
Actuellement, les bailleurs continuent de soutenir la croissance du secteur en accordant des
prêts ou des dons, directement ou par l'intermédiaire de l'État, à des institutions
microfinancières.
69 Sous la forme d’une expertise exécutive.
68
L’AFD propose par exemple une ligne de prêt à des IMF existantes. Le PNUD (Programme
des Nations-Unies pour le Développement), dans le cadre du programme Micro-Start, accorde
des dons, plafonnés à 150 000 USD, pour favoriser la création d’IMF. La KFW a également
mis en place une nouvelle ligne de prêt pour les trois grands réseaux sénégalais en 2007 et a
prévu la création d'une IMF rurale et d'une IMF urbaine dans le cadre de l'initiative pour la
microfinance en Afrique Subsaharienne (dont nous reparlerons ci-après).
b. 2e cycle : les bailleurs à l’appui des politiqu es publiques de microfinance
Au-delà de l’aide directe aux IMF, les bailleurs de fonds restent les partenaires privilégiés du
gouvernement dans l’élaboration de ses politiques de développement.
Le tour de table des bailleurs de fond qui s’est tenu à Dakar en 2005 a ainsi entériné
l’élaboration de la politique sectorielle de microfinance au Sénégal pour la période 2005-
2010. Elle est issue d’un processus participatif de réflexion mis en place en 2003, regroupant
des membres du gouvernement sénégalais, IMF et bailleurs de fonds. Le PNUD et le FENU
(Fonds d'Équipements des Nations-Unis) ont piloté ce processus.
L’idée directrice de l’élaboration de cette politique publique était la suivante :
« La microfinance est un outil important de lutte contre la pauvreté et doit être considérée
comme une des stratégies en vue d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le
Développement (OMD) notamment la réduction de moitié de la pauvreté d’ici à 2015»70.
Les OMD ont été élaborés, rappelons-le, en l'an 2000 par le PNUD.
Les axes d'action contenus dans la lettre sont les suivants :
• L’amélioration de l’environnement légal et réglementaire pour un développement sécurisé du secteur.
• Un cadre institutionnel permettant une gestion articulée et concertée du secteur et de la politique sectorielle.
70 In l’introduction de MICROFINANCE : Lettre de Politique sectorielle, stratégie et plan d’action 2005 - 2010
69
• Une articulation renforcée entre IMF et Banques, favorisant le financement des micros, petites et moyennes entreprises (MPME) et une intégration du secteur de la microfinance au secteur financier.
• Une offre viable et pérenne des produits et services adaptés, diversifiés et en augmentation, notamment dans les zones non couvertes par des SFD professionnelles.
Cette lettre illustre les nouvelles préoccupations envers la microfinance, centrées autour d’une
pérennisation et d’une sécurisation de l’offre microfinancière, propres à rassurer d’autant plus
les investisseurs. Cette nouvelle politique se justifie notamment par l’approche « gagnant-
gagnant » de la microfinance.
70
2. L’ambigüité de la vision commerciale de la micro finance
La microfinance a tendance à s’insérer de plus en plus dans la logique commerciale et
financière qui conduit la mondialisation aujourd’hui. Ce processus fait de la microfinance un
outil attractif et rentable pour les groupes financiers internationaux. Or, les résultats financiers
et commerciaux à eux seuls ne préjugent pas du bon fonctionnement d’une IMF.
a. L'argument « gagnant-gagnant » de la microfinanc e
L’objectif affiché au Sénégal est d’accélérer la croissance du secteur, non pas en créant de
nouvelles institutions mais en permettant aux organisations déjà existantes d'atteindre une
masse critique. Seul un accès aux marchés permettrait un tel développement. Ainsi, si l'on
souhaite permettre à un plus grand nombre d'individus l'accès aux services financiers, il faut
d'abord que les IMF aient elles même accès aux marchés financiers. L'argument selon lequel
la recherche de la pérennité profiterait autant aux institutions financières qu'aux clients est
donc plus que jamais d'actualité.
« L'approche gagnant-gagnant « a un objectif de moyen basé sur l’idée qu’une massification
de l’offre de crédit par l’intégration complète du secteur microfinancier dans les marchés
financiers formels permettra à terme d’éradiquer la pauvreté. Les subventions sont
considérées comme une barrière à cette intégration » (Simon Cornée, 2007).
Cédric Lombard, président de Blue Orchad Finance S.A71 résume autour de deux idées les
arguments de la vision commerciale de la microfinance et de la conception « gagnant-
gagnant ». Selon lui, la microfinance doit avoir accès à ces ressources en raison « d'une
double exigence de principe et d'impact » (2003, page 39) :
« La première, l’exigence de principe, relève de la contradiction dont ferait preuve une
institution de microfinance si elle se contentait de tenir à ses clients un discours sur
l’importance de la rigueur de la gestion commerciale tout en dépendant elle-même
71 Blue Orchad S.A est spécialisée dans la mise en réseau d'investisseurs et d'IMF.
71
continuellement de donations pour sa survie[...] La deuxième exigence, celle de l’impact,
provient du fait que l’IMF doit être à même de mobiliser des montants importants de sorte
qu’elle puisse tout d’abord adresser ses services à un nombre toujours plus nombreux de
clients et qu’ensuite, elle puisse garantir la continuité de leur offre en diversifiant la
provenance des fonds ».
Dans cette optique, Morduch a insisté dés 1999 sur l’importance du développement des
capacités institutionnelles et sur le management des IMF, la pérennité ne se réduisant pas à
l'autosuffisance financière.
b. Pour une vision commerciale de la microfinance
Alexandre Coster, cadre de Microcred S.A. en Côte d’Ivoire ajoute que :
« Les populations souhaitent avoir accès aux services microfinanciers comme tout autre
personne et être traités comme un consommateur à par entière, surtout pas comme un pauvre
à qui il faut venir en aide... La microfinance n'est donc pas plus la fille bienveillante du
capitalisme que tout autre secteur d'activité du privée »72.
Selon cette idée, partagée par les défenseurs d’une vision commerciale de la microfinance, les
emprunteurs eux-mêmes participeraient à construire un paradigme commercial, via une
relation stricte client/consommateur vs structure proposant un service.
De plus, toujours selon le témoignage d’Alexandre Coster,
« Le plus gros déficit social de la microfinance se trouve dans les familles ruinées à cause de
leur crédit. Or, les nouvelles institutions privées, dans un souci de rentabilité, utilisent des
méthodologies de crédit beaucoup plus prudentes et efficaces afin d'éviter au maximum les
impayés. Les clients sont mieux ciblés. Ainsi, sans être dans une logique sociale au départ,
l'impact social de ces institutions est souvent plus seines. De plus, les bailleurs de fonds
encore très présents, imposent à ces sociétés des réglementations et politiques favorables à
une progression sociale».
72 Dans le cadre d’un entretien réalisé le 9 mai 2010. Cf. Annexe 12
72
C’est également l’argument gagnant-gagnant de la microfinance que l’on retrouve dans cette
explication. Il a clairement influencé le développement de la microfinance au Sénégal, via
notamment la réorientation des aides des bailleurs. Cet argument est ambigu puisqu’il
s’appuie sur une vision commerciale de la microfinance tout en défendant son impact social.
La microfinance peut-elle allier les deux pendants ? Dans son étude intitulée La microfinance,
une industrie sociale ou commerciale?, François Seck Fall se pose la question tout en
admettant dés le titre que la microfinance peut être considéré comme une industrie.
Il analyse l’évolution au Sénégal :
« En Afrique subsaharienne, au Sénégal plus particulièrement, la commercialisation des
services de microfinance est moins répandue [qu’en Amérique Latine], du fait, notamment,
que cette industrie y est encore récente et en quête de maturité. Néanmoins, tout comme dans
les zones à forte maturité de la microfinance, on constate un changement de profil dans cette
industrie, où de plus en plus, l’action sociale cède le pas à des ambitions commerciales, sous
l’effet du retrait progressif des subventions. En effet, la conjugaison de ces deux objectifs est
souvent difficile pour les IMF. Beaucoup de structures de microfinance ont montré leur limite
à vouloir à la fois combattre la pauvreté et assurer leur rentabilité. La plupart des
programmes de microfinance qui ont réussi sans difficulté à atteindre ces deux objectifs ont
été largement soutenus par les bailleurs à travers les subventions » (Seck Fall, 2009).
Cette citation donne le ton de la problématique à venir au Sénégal. Les bailleurs encouragent
la pérennisation financière et la rentabilité des IMF, pour que les acteurs privés puissent
investir dans la microfinance sénégalaise. Ces encouragements supposent une baisse
progressive des subventions, ce qui entraînera irrémédiablement, selon F. Seck Fall, une
commercialisation de la microfinance sénégalaise.
73
3. La réorientation des aides pour une offre microf inancière durable et
attractive
Dans le cadre des nouvelles attentes sur la pérennité des IMF, les bailleurs de fonds et les
États privilégient désormais des politiques d’appui à la viabilisation financière et à
l'établissement d'un cadre juridique et réglementaire.
a. La recherche de la pérennité
La durabilité et l’efficacité deviennent progressivement les mots d’ordre des IMF.
Ce sont sur ces notions fondatrices que s’appuie la mise en œuvre de la politique sectorielle
sénégalaise depuis 2005. De façon plus précise, les principes conducteurs de cette politique
sont les suivants73 :
• Efficacité et pérennité sur la base d’accords liés aux performances pour toutes les actions d’appui financier et technique.
• Respect des options des IMF et de la conduite privée de leurs opérations en visant la viabilité et la pérennité, en inscrivant les relations contractuelles dans le cadre du renforcement de l’exécution de leurs plans d’affaires.
• Durabilité et réplication notamment pour les produits d’innovation.
• Recherche d’économies d’échelle par une mise en commun des efforts pour appuyer le secteur et développer des appuis profitables au plus grand nombre d’IMF.
Ces principes correspondent à l'axe stratégique 3 de cette même politique, à savoir :
«L’articulation renforcée entre IMF et Banques, favorisant le financement des MPE et PME,
et une intégration du secteur de la microfinance au secteur financier».
En fonction de ces principes, le rôle de chaque partenaire a pu être défini.
73 In MICROFINANCE : Lettre de Politique sectorielle, stratégie et plan d’action 2005 – 2010, page 38.
74
Les bailleurs de fonds sont chargés dans le texte de participer à la promotion des IMF, en
partenariat avec la Direction de la Microfinance. Les propositions pour une meilleure
promotion sont : le renforcement des moyens de la Direction Microfinance, l’organisation des
journées de sensibilisation et d’information, la publication de bulletins et de supports
d’information sur le secteur.
Avant tout, les bailleurs de fonds doivent considérer la SNMF (stratégie nationale de
microfinance au Sénégal) comme un cadre de mise en cohérence et d’augmentation de
l’efficacité de leurs interventions et d’application des bonnes pratiques internationalement
reconnues visant à la promotion d’IMF viables et pérennes. Pour cela, les bailleurs sont
invités, dans la lettre de politique sectorielle, à fournir :
«Davantage d’appui technique aux IMF et en cas de besoin, des ressources financières, sur la
base des plans d’affaire des IMF»74.
Plus précisément, les bailleurs de fond, avec les banques et les investisseurs privés, doivent
aider les IMF à mettre en place des «dispositifs pérennes pour le financement des
MPE/PME».75
Les Organisations de solidarité internationale, c'est-à-dire les ONG et les associations, sont
également sollicitées pour :
• Promouvoir le secteur à côté des bailleurs de fonds et des structures étatiques.
• Apporter une assistance technique.
• Améliorer les relations entre la clientèle et l’IMF.
• Proposer des modules de formation.
74 In MICROFINANCE : Lettre de Politique sectorielle, stratégie et plan d’action 2005 – 2010, page 32 75 Idem, page 37
75
b. Exemples de partenariats dans l'assistance techn ique : Planet Finance et le
CAPAF
Au Sénégal, deux exemples majeurs peuvent être développés pour illustrer l’importance
croissante de l’assistance technique et de la diffusion de bonnes pratiques dans le secteur de la
microfinance.
Le programme CAPAF est une initiative du Groupe consultatif d’assistance aux pauvres
(CGAP), avec le concours du ministère français des Affaires étrangères et de l'USAID. Le
programme a démarré en 2000.
La mission de CAPAF est la suivante :
«Promouvoir une approche de marché pour des services viables de renforcement des
capacités des institutions de microfinance (IMF), comprenant la formation, l’appui technique,
et la dissémination d'information, dans 15 pays d'Afrique francophone et en Haïti»76.
Les objectifs ainsi fixés sont :
• Renforcer la viabilité institutionnelle et la qualité des services des partenaires de CAPAF.
• Assurer la diffusion des cours dans les pays cibles grâce à des équipes de formateurs consolidés.
• Coordonner des initiatives sur les marchés émergents d’appui technique.
• Maintenir et enrichir la base de contacts régionaux.
• Assurer la diffusion de ressources pertinentes auprès des acteurs du secteur.
Les principaux moyens mis en œuvre pour y parvenir sont la formation, la mobilisation des
services techniques d'appui et l'information.
Le Sénégal est le pays dans lequel le plus de personnes ont été formées (par tout partenaire et
formateur confondus) avec 79 sessions et 1382 personnes formées par ses partenaires entre
2000 et 2008. Notons que les principales formations dispensées au Sénégal concernaient,
76Source : www.portail-microfinance.org
76
dans un ordre d'importance décroissant : la gestion des impayés et la fixation des taux
d'intérêt, l'analyse des risques opérationnels, l'analyse financière et l'élaboration des états
financiers.
Depuis le 31 janvier 2009, les activités coordonnées auparavant par CAPAF sont désormais
reprises par l’équipe Afrique du CGAP basée à Washington et par la représentante régionale
pour l’Afrique francophone basée à Abidjan. Les partenaires de CAPAF continuent d'offrir
les cours CGAP et certains d'entre eux organisent des nouvelles formations de formateurs.
Parallèlement, l'organisation française la plus reconnue dans le domaine du renforcement de
capacités au Sénégal est Planet Finance77.
Trois programmes sont actuellement en cours au Sénégal :
• Projet Microfinance en Milieu Rural (MFR) : assistance technique, Conseil et Renforcement des capacités pour 4 établissements de microfinance rurale : U-IMCEC, Caurie Microfinance, MECAPP et APIMEC. Ce projet, cofinancé par l'UE, concerne la période 2007-2010.
• Projet Micro entrepreneurs et TIC (2008-2010). Renforcement des capacités des IMF (SACASE, Caurie Microfinance, RECEC) par la formation de leurs clients aux outils informatiques.
• Projet Microassurance ADI : Assistance Technique, Développement de nouveaux produits pour l'IMF Caurie Microfinance (présente à Thiès, Kolda, Ziguinchor).
De fait, comme le souligne M. Jacquand (2005), les IMF connaissent actuellement de
nombreux obstacles à la levée de fonds. Les bailleurs de fonds peuvent aujourd'hui contribuer
à les résoudre en « préparant la privatisation des flux financiers en direction de la
microfinance », tout en donnant la priorité au « renforcement des capacités des institutions
sur le terrain ». L'insertion dans les flux financiers internationaux est alors présentée comme
la seule alternative possible au développement pérenne de la microfinance sénégalaise, sous
l'influence de la commercialisation croissante de la microfinance. Ce point de vue vient
77 Planet Finance est une organisation internationale active dans la lutte contre la pauvreté. En 2008, PlaNet Finance Advisory Services a mené 113 programmes avec 228 institutions de microfinance (IMF).
77
confirmer que la microfinance sénégalaise peut être perçue de façon indéniable comme un
outil de la mondialisation et non pas une alternative. C’est ce dernier point que nous allons
détailler et sur lequel nous pourrons ouvrir un débat ci après.
78
C. La microfinance sénégalaise intégrée dans les fl ux
financiers privés internationaux
Comme on l'a souligné ci-avant, les IMF ne peuvent financer leur activité seulement par
l'épargne et le revenu des taux d'intérêts. Or, la croissance du secteur doit avoir lieu, soutenu
par les politiques publiques nationales et de développement au niveau international, puisque la
microfinance est un outil de lutte contre la pauvreté, « fille bienveillante du capitalisme »
(Doligez, Gentil, 2007) selon les défenseurs de la vision néolibérale de la microfinance. En
effet, la tendance à la commercialisation du secteur de la microfinance au Sénégal présente le
financement des IMF sur les marchés financiers comme la seule alternative viable et pérenne.
On peut se demander si cette vision, contestée, risque de s’imposer complètement au Sénégal.
Pour apporter des éléments de réponse, il convient d’expliciter ici les arguments, les voies
d’accès aux marchés financiers des IMF sénégalaises et leurs conditions.
1. Argumentaire pour un accès aux marchés financie rs
Dans le paradigme commercial de la microfinance, le refinancement sur les marchés
financiers semble être le seul moyen de construire des dispositifs à grande échelle, capable de
s'adresser au plus grand nombre (Guérin, 2002).
On assiste donc à la construction d'une microfinance intégrée aux flux financiers, nationaux
puis mondiaux.
Les arguments à cette intégration ont été présentés lors d'une conférence organisée par la
société d'investissement, AfriCap Microfinance (« AfriCap ») sur le financement de la
croissance des IMF, qui s'est tenue à Dakar en 2003. Les investisseurs privés ont avancé les
arguments suivants :
• Les capitaux privés peuvent fournir des ressources suffisantes pour satisfaire le vaste potentiel du marché.
• Les capitaux privés fournissent un effet de levier.
79
• Les capitaux privés favorisent une approche holistique dans la prestation de service de microfinance.
• Les capitaux privés exigent la viabilité. Les IMF doivent donc prouver leur capacité à être rentables ; enjeu donc de l’élaboration d’un nouveau paradigme financier et des organismes d’évaluation.
• Les capitaux privés peuvent être une ouverture aux investisseurs à valeur ajoutée.
• Les capitaux privés facilitent le développement du secteur.
Alexandre Coster, cadre de Microcred S.A en Côte d’Ivoire illustre ces différents points de la
façon suivante :
« En effet, les investisseurs privés au Sénégal comme dans beaucoup d'autres pays jouent un
rôle très important dans le secteur de la microfinance. Les micro-entrepreneurs ont
aujourd'hui accès à des produits de crédits qui ne nécessitent pas d'épargne au préalable.
C'est un élément extrêmement important. De plus, la concurrence comme dans tous les autres
secteurs d'activité est toujours bénéfique pour les consommateurs finaux : les micro-
entrepreneurs. Ils vont voir les taux de rémunération d'épargne augmenter, la qualité des
services s'améliorer, etc. »
80
2. Les voies d’accès aux marchés financiers
Quatre principales voies d'accès aux marchés financiers existent. Leur description nous
permettra de préciser d’avantage les acteurs internationaux qui influencent la microfinance
sénégalaise, en marge des bailleurs de fonds.
a. 1ère voie : transformation d’une ONG, exemple d e l'ACEP au Sénégal
L'ACEP tire ses origines du second volet d'un projet de développement mis en place par
l'USAID dans les régions de Kaolack et de Fatick, en 1984. Il consistait en l'assistance auprès
de petites entreprises rurales dans le domaine de la gestion, de la comptabilité, des écritures,
et du crédit. Une ONG locale gérait ce projet. Une évaluation effectuée en 1987 a établi la
prédominance de l'activité de crédit dans le projet (384 prêts octroyés, 177 emplois créés)
ainsi que des problèmes de gestion de l'ONG locale (détournement de fonds par exemple).
Suite à cette évaluation, le rôle de l'ONG a été limité à l'activité de crédit, qui a continué de
s’étendre. L’État a alors créé une législation intermédiaire en 1991 pour permettre à l'ACEP
d'exercer en tant que mutuelle de crédit. Depuis, l'ACEP, qui a atteint l'autosuffisance
financière dès 1991, peut se tourner vers les bailleurs de fond mais également vers les sources
de financement privées pour financer sa croissance.
b. 2ème voie : l’IMF créée avec un accès au marché financier, l'exemple de
Microcred S.A
Microcred S.A. est une société d'investissement créée en 2005 par PlaNet Finance et des
investisseurs partenaires : la Société Financière Internationale (IFC), la Société Générale et
AXA Belgium. L'AFD, la BEI et Developing World Markets font aujourd'hui également
partie des actionnaires. Quatre institutions existent, au Mexique, au Sénégal, à Madagascar et
en Chine. Une création de filiale est actuellement en cours en Côte d'Ivoire.
Le premier prêt a été distribué au Sénégal en Septembre 2007. Microcred regroupe désormais
(juin 2010) près de 31 000 clients pour un encours de crédit de 10,1 M Eur. Cette rapide
81
croissance s'explique avant tout par les méthodes de sélection des clients, rapide et rigoureuse,
et une communication efficace. Le corolaire à cette croissance rapide est la sélection d’une
clientèle « la moins pauvre parmi les pauvres », comme en atteste le montant des garanties
demandées78. Ainsi, dans ce cas précis, la microfinance vient offrir des services aux personnes
exclues des systèmes bancaires classiques (en raison de leur activité informelle le plus
souvent) dans le cadre du paradigme commercial de la microfinance comme on l’a vu
précédemment. Les objectifs premiers de Microcred sont de développer son activité et
d’assurer sa rentabilité, tout en contribuant à réduire la pauvreté.
Parallèlement à l'exemple de Microcred, comme on l'a vu plus haut, la KFW a prévu la
création de deux IMF qui devraient prendre la forme de S.A., l'une urbaine et l'autre rurale.
Également, l'ONG Catholic Relief Service (CRS), signataire de convention au Sénégal, est
dans une dynamique de transformer son volet microfinance en Société à Responsabilité
Limitée (SARL).
L'avantage premier des SA (ou des SARL) est de pouvoir recevoir des investissements en
fonds propres (et pas seulement sous forme de prêts) par les fonds d'investissements. Cet
avantage devrait se confirmer avec la modification de la loi Parmec, en attente de ratification
dans les payes de l’UEMOA, qui va contribuer à faciliter la création d'institutions à but
lucratif, jusqu'à présent en marge du secteur.
c. 3ème voie : le rôle des banques commerciales dan s la microfinance au
Sénégal
L'axe stratégique 3 de la politique sectorielle parle effectivement d'interactions avec le secteur
bancaire. Aujourd'hui, de nombreux liens se tissent, ce qui profite aux PME à travers le
développement d’une branche intermédiaire où IMF et banques se rejoignent : la
Mésofinance.
78 Les garanties demandées sont : le nantissement du fonds de commerce, comprenant la valeur de la cantine (espace commercial) et le stock de marchandises, la caution personnelle, le nantissement du matériel détenu et/ou financé, et le gage sur véhicule. Source : http://www.microcredgroup.com/senegal
82
Les banques peuvent se lancer directement dans la microfinance par divers moyens :
• La Banque créé son unité de Microfinance, qui n’est pas une entité institutionnelle différente de la banque. C’est le cas de la CBAO au Sénégal.
• Elle créé une filiale financière spécialisée (création d’une ISF, différente de la banque). Les systèmes, les statuts, la gestion, et le personnel sont différents. La BACB au Burkina et Finadev au Bénin pourraient ouvrir la voie à des initiatives sénégalaises.
• Elle créé une société de services, différente de la banque mais non financière. Ce système permet des actionnaires de l’extérieur.
La banque peut également nouer un partenariat avec une IMF existante, en sous traitant des
opérations de détail, ou en partageant son système d'information par exemple. La banque a
aussi la possibilité de refinancer des IMF, ce que réalise la Caisse Nationale de Crédit
Agricole (CNCA). De son côté, la BICIS (filiale de la BNP au Sénégal) a signé une
convention d'assurance ARIZ avec l'AFD en 2007, permettant aux IMF ainsi qu'aux PME
d'avoir accès à un financement. Les prêts vont de 20 à 200 millions FCFA. La garantie ARIZ
supporte 50% du risque.
La naissance de la garantie ARIZ souligne un des problèmes majeurs auquel se heurtent les
IMF en recherche de financement : les garanties. C'est là que peuvent intervenir les fonds de
garanties, de plus en plus nombreux au Sénégal. Une étude de la KFW (2007), interrogeant 7
FG présents au Sénégal (FAGACE, FSA, GARI, SONAC, TANYO SAHFI, SOFIGIB,
ARIZ), démontre que tous s’intéressent à la microfinance, envisagent de le faire ou sont déjà
intervenus. La garantie des IMF est retenue dans leur stratégie et inclus dans leurs plans
d’affaires. Néanmoins, le manque de professionnalisme des IMF les effraie.
d. 4ème voie : le rôle croissant des «investisseurs sociaux»
Les investisseurs sociaux, tels qu'ils se dénomment eux mêmes, sont des ONG ou fondations
privées. Leur objectif, dans le domaine de la microfinance, est de venir en aide,
financièrement et techniquement, aux IMF qui respectent une certaine éthique du
développement, à vocation sociale. Les modalités d’intervention de ces investisseurs ont été
83
précisées lors d’un entretien avec Julien Sciau, chargé de développement de la fondation
Grameen-Crédit Agricole79,
« Il y a plusieurs types de Fondations et de bailleurs. Certaines ne font que des subventions,
d'autres des prêts subventionnées, et d'autres des prêts à des taux de marché. Les fondations
de droit français ne peuvent qu'octroyer des subventions ».
Au Sénégal, plusieurs investisseurs sociaux interviennent, dont les principaux sont :
• Oikocrédit. Créée en 1999, l'organisation se définit elle même comme « l’une des quelques opportunités d’investissements éthiques qui financent des projets de développement dans le Sud»80.
• ADA. Créée en 1994, l'organisation gère un budget annuel de plus de 3 millions d'euros.
• La SIDI (Solidarité Internationale pour le Développement et l’Investissement), est une société anonyme solidaire créée en 1983, qui contribue à la consolidation d’activités économiques dans les pays du Sud.
• La fondation Grameen-Crédit Agricole, créée en 2008, a pour objet de soutenir des IMF. Deux dossiers de financement au Sénégal ont été approuvés au mois de décembre 2009 par le comité d'investissements de la fondation. Ils concernent les mutuelles Caurie-Microfinance située à Thiès, et Mec Feprodes à Saint Louis.
Ces acteurs contribuent à accroitre l’accès au marché financier des IMF sénégalaises, c’est
pourquoi ils sont cités dans cette partie. Néanmoins, leurs rôles et impact, dans une
perspective socialement responsable, diffèrent de ceux des acteurs précédemment cités, ce que
l’on étudiera dans la dernière sous-partie de cette étude.
La recherche de financements extérieurs est donc de plus en plus d'actualité au Sénégal, pour
financer un secteur de la microfinance en pleine croissance. On peut s'interroger sur les
conditions de ces financements pour en déduire ensuite les conséquences sur la microfinance.
79 Lors d'un entretien réalisé le 28 octobre 2009. Cf. Annexe 11 80 www3.oikocredit.org, « qui sommes nous? ».
84
3. Une condition préalable : se rapprocher des norm es et standards
internationaux
La recherche de financements de la part des IMF les conduit à se rapprocher des normes et
standards internationaux du monde la finance. Ceci contribue à l'émergence de pratiques
standardisées. Il faudra cependant insister sur le fait que seules les IMF importantes sont
concernées par la recherche de financement sur les marchés, ce qui laisse présager une marge
de manœuvre pour les autres, comme nous le verrons dans la dernière sous partie de ce
mémoire.
a. Les conditions d'accès au financement privé
Littleberg et Rosengberg (2004) précisent que ce sont avant tout les grandes institutions de
microfinancement, les ONG tout comme les banques, qui :
« Laissent aujourd’hui jouer les forces du marché, utilisant les techniques et les règles de la
finance commerciale. Elles investissent dans des systèmes de gestion et d’information plus
perfectionnés, appliquent les normes comptables internationales, confient la vérification
annuelle de leurs comptes à des cabinets d’audit traditionnels et se soumettent à l’évaluation
d’agences de notation commerciales »
En effet, avant d’investir dans la microfinance, les acteurs commerciaux ont besoin de
comprendre le fonctionnement et les performances des IMF, afin de pouvoir, notamment, les
comparer entre elles. Se joue alors l'attribution de fonds, en fonction de la transparence et de
la standardisation de l'information financière des IMF.
De plus, comme l'expliquent les deux auteurs, la recherche de l'autosuffisance financière des
IMF, pour une microfinance pérenne, entraîne la diminution des subventions à mesure que les
institutions et les marchés approchent de leur maturité.
« C’est pourquoi un nombre croissant d’institutions de microfinancement cherche à se faire
agréer en tant que banques ou sociétés financières spécialisées pour pouvoir mobiliser des
85
fonds sur les marchés de capitaux et par l’intermédiaire des dépôts du public » (Littleberg et
Rosengberg, 2004)
Les IMF importantes jouent le jeu, conscientes que c'est dans leur intérêt. En mettant à
dispositions des informations plus précises et plus fiables, le secteur fait baisser le risque
d'investissement. Par conséquent, les IMF pourront augmenter leur capacité d'accès aux
marchés financiers tout en diminuant leurs coûts d'accès.
Cet état de fait est adopté et même revendiqué par l'ACEP, lors de la conférence organisée par
Africap :
«Nous avons besoin d’avoir des normes de comptabilité et d’audit, et un bon système
d’information de gestion ; en d’autres termes, nous avons besoin de mettre en place une
structure similaire à celle des banques». (ACEP, 2003)
b. Le rôle des agences de notation
«Les institutions de microfinancement commencent à faire appel aux agences de notation
traditionnelles. Cette initiative réduit les risques pour les institutions de microfinancement et
permet en outre à leurs clients d’établir une réputation de solvabilité qui les rend plus
attrayants pour les établissements et banques de détail traditionnels». (E.Littlefield, R.
Rosenberg, 2004)
Les IMF appellent donc les agences de notation dans un premier temps pour confirmer leur
qualité et leur solvabilité.
«Les ratios financiers ainsi que les relations avec la clientèle (approche « marketing ») sont
désormais privilégiés. A côté de ces données utilisées comme « proxi » des impacts à long
terme du secteur, on a vu apparaître à compter du milieu des années 1990 des évaluations
économétriques d’impact sur le revenu ou sur le résultat d’exploitation des activités
productives des emprunteurs ou des épargnants» (Coquart, 2005).
86
A titre d’exemple, au Sénégal, les IMF notées sont les suivantes81 :
Tableau 5 : IMF sénégalaises évaluées par des agences de Rating
Mec Feprodes
Umec Mec Afer Nord
Mec Delta
Corad Caurie MF
ACEP UM-PAMECAS
CMS
Microfinanza Rating
2008 2006
Planet Rating 2006 entre D et E
2008 C +
2007 D -
2007 B -
2004, 2006 B +
2003, 2005 B +
MicroRate 2005, 2008 A + ; B -
Les trois agences de notation intervenues au Sénégal fournissent une évaluation générale du
niveau de risque, en prenant en compte différents domaines. La note détaillée par domaine
permet d’identifier les forces et les faiblesses de l’institution. A partir de la performance par
domaine, un système de pondération permet d’obtenir le rating global, qui s’étend de "A+" à
"E".
La méthode Girafe mis au point par Planet Rating offre une illustration des domaines évalués
par les agences de notation.
Tableau 6 : la méthode Girafe, Planet Rating
Gouvernance Vérification de l'exercice de l'institution, de la protection des actifs, de la pertinence de la stratégie, des compétences de la direction et du personnel.
Information Évaluation de la qualité, de la sécurité et de la disponibilité des informations
Risques Contrôle des risques opérationnels (procédures de contrôle interne, leur respect, processus d'audit interne, environnement réglementaire et qualité de supervision de l'institution).
Activités Evaluation de la qualité de la gestion des activités, du portefeuille, des procédures de gestion du crédit et de leur application sur le terrain.
81 Tableau réalisé à partir des rapports publiés sur les sites internet des agences de notation.
87
Financement Correspondance entre financement actuel de l'institution et ses actifs. Analyse de la stratégie de financement future, et des prévisions de liquidité.
Efficacité Et rentabilité. Quelles pérennité et efficacité de l'IMF? Selon Planet rating, l'évaluation de ce domaine est nécessaire même si l'IMF n'a pas d'objectif de rentabilité.
Les évaluations deviennent progressivement une étape incontournable pour l'accès aux
financements extérieurs. Ce qui conduit les IMF à adopter, tout du moins, afficher, de bonnes
pratiques, correspondant aux normes financières internationales et aux préceptes encouragés
par les politiques de développement.
Par exemple, les meilleures notes ont été obtenues par les plus grandes IMF au Sénégal.
L’ACEP, l’UM-PAMECAS et le CMS ont ainsi acquis des notes entre B- et A+. Or, leurs
offres et système de fonctionnement ressemblent de plus en plus à ceux des banques
classiques.
Par exemple, Planet Rating évoque, dans le cas de l’UM-PAMECAS, « une structure
financière et organisationnelle solide qui lui permettra d’absorber et de gérer des
financements externes »82. L’UM-PAMECAS a toutefois obtenu en 2004 une note inférieure à
celle de 2003 (A-), en raison d’une rentabilité moindre, dont la raison principale est
l’installation d’un système d’information et de gestion informatisé (SIGI), encore une fois sur
le modèle de ceux utilisés par les banques classiques. Par ailleurs, les points forts notés dans
le rapport de Planet Rating sont aussi des caractéristiques du fonctionnement des banques
traditionnelles : création d’une direction propre pour l’étude des crédits supérieurs à 3 M
FCFA (plus de 4 580 euros), la mise en place d’un service de transferts internationaux, les
prémices de l’installation de SAF 2000 (un système de suivi de prêt intégré, dont l’installation
définitive a eu lieu en 2010), l’installation d’un système de contrôle interne, etc.
Ainsi, les grandes IMF au Sénégal, telles que l’UM-PAMECAS, ont tendance à mettre en
place de plus en plus d’outils utilisés traditionnellement par les banques dites classiques. Cela
leur permettrait, le cas échéant, d’attirer facilement des financements extérieurs, de la part
d’investisseurs privés.
82 In Rapport de Planet Rating sur l’UM-PAMECAS en 2004, page 2.
88
De ce fait, les IMF voulant attirer des financements doivent répondre aux critères des agences,
en se rapprochant le plus possible de conditions amenant à la note A, qui signifierait, selon
Planet Rating, que « l'IMF excelle dans le domaine évalué et peut servir de référence ». Par
conséquent, les IMF désirant se refinancer à l’extérieur doivent suivre le modèle des grandes
structures qui font l’objet des meilleurs rapports de la part des agences de notation, telle que
l’UM PAMECAS mais aussi l’ACEP et le CMS.
On peut donc se demander si la dynamique actuelle du secteur ainsi que l’importance
croissante des investissements étrangers, conditionnés généralement par les évaluations
d’agences de rating, ne vont pas entraîner un certain isomorphisme des institutions de
microfinance au Sénégal, conséquence de l’impact de la mondialisation.
89
D. Vers l’uniformisation d’un modèle au Sénégal?
La forte intégration au paradigme économique néolibéral des acteurs majeurs du secteur a
pour conséquence une forme de standardisation des pratiques des institutions de microfinance
au Sénégal, sur la base des critères recommandés par les agences de notation comme détaillés
dans la partie précédente. Ce phénomène se traduit notamment par la banalisation des
techniques financières commerciales et des normes comptables et financières internationales
(Littleberg et Rosenberg, 2004), qui encouragent l’émergence de modèles de référence, dans
une perspective à dominante économique.
1. L'émergence de modèles de référence
a. La réplication de modèles « commerciaux » perfor mants
Ainsi, des « institutions références » sont en train de voir le jour. Selon JM Servet, il faut
désormais prendre en compte :
« La diffusion d'un nombre limité de modèles de microfinance à l'échelle de la planète. Ces
modèles se diffusent d'autant plus facilement que, à de rares exceptions près, très rares sont
les dispositifs financièrement autonomes et bien peu ont capacité à le devenir en respectant
les objectifs de clientèles dites pauvres ; ainsi, via la distribution de capitaux et d'assistance
technique, les modèles de microfinance sont normalisés » (2005).
Cette citation de Servet souligne la diffusion de modèles «clés en main», encouragée par des
investisseurs et acteurs du développement étrangers (fondations, ONG, bailleurs, etc.). Ces
modèles s'appuient sur des success-stories, qui ont fait leur preuve et rassurent, aussi bien la
clientèle que les potentiels investisseurs.
90
L'AFD défend cette même logique en encourageant dans sa stratégie la réplication de
modèles performants83.
Le CGAP partage aussi cette vision : « il est important de choisir une IMF leader dans un
pays afin de montrer le modèle et développer une industrie performante»84 . Cette citation, en
comparant encore la microfinance à une industrie, révèle une fois de plus la logique
économique qui marque les réflexions autour de la microfinance.
Alexandre Coster, cadre de Microcred S.A. en Côte d’Ivoire, revient également sur la
comparaison de la microfinance à une société mercantile, en établissant une distinction entre
microfinance non mutualiste et mutualiste.
« La microfinance non mutualiste est la vente de produits et services financier par une société
capitaliste à but lucrative. Le simple fait que nous parlons de produits financiers cela posera
pour certain des problèmes éthiques mais nous sommes en réalité dans le même schéma
qu'une société qui importent des produits et marchandises classiques dans un pays du Sud ».
Au Sénégal, la majorité des IMF agissent sous la forme de mutuelle, comme c’est le cas des
grands réseaux. Néanmoins, le fonctionnement de ces derniers, de plus en plus semblable à
celui de banques classiques, et leur recherche de profits, remettent en cause la distinction
établie par Alexandre Coster.
Finalement, l’allusion à un modèle, qui devrait combiner bons résultats financiers et bonne
gouvernance, pourrait bien concerner, au Sénégal, le CMS, le principal réseau sénégalais, qui
a obtenu récemment la certification ISO 9001 version 2000 et une note A puis B+ par
l’organisme américain de rating MicroRate. Il est intéressant de souligner que la version 2000
de la certification ISO 9001 souligne les bonnes performances sociales d’un organisme, en
termes d’organisation interne et de relation aux clients. Cette consigne relève également d’une
stratégie commerciale et financière, comme le souligne Microrate. L’agence de rating
explique ainsi l’intérêt pour une IMF d’accroître ses performances sociales pour :
83 Source : www.afd.fr 84 Mrs Mohini Malhotra, Directrice du C.G.A.P, 1998.
91
• Réduire les risques de réputation en démontrant les efforts réalisés pour garantir la satisfaction et la protection de vos clients.
• Attirez de nouvelles compétences et sources de financement, et stimulez la motivation de votre personnel en consolidant votre image d’institution socialement responsable vous différenciant de vos concurrents.
• Augmentez votre transparence et répondez aux exigences de vos partenaires (bailleurs de fonds, organes de régulation, clients)
Dans ce domaine, le Crédit Mutuel du Sénégal fait donc office d’exemple.
b. L'uniformisation par la mise en réseau
L’organisation des mutuelles de microcrédit en réseau est une dynamique de plus en plus
admise, sous l’influence notamment de la réussite des trois premiers réseaux sénégalais.
En effet, la mise en réseau donne plus de poids aux IMF, et permet des externalités non
négligeables à leur fonctionnement85. Il existe deux dynamiques de mise en réseau, qui
conduisent à une certaine uniformisation des pratiques, par l'émergence de deux modèles de
réseaux aujourd'hui actifs au Sénégal.
Le premier type concerne les réseaux qui ont directement été pensés et construits sous cette
forme. Plusieurs caisses sont progressivement conçues pour être rattachées aux premières
créées. La construction de chaque caisse s’est ainsi faite pour alimenter l’expansion du réseau.
Les trois grands réseaux sénégalais (CMS, ACEP et UM-PAMECAS) sont nés cette forme de
mise en réseau.
A l’inverse, des réseaux peuvent être créés par le regroupement de mutuelles d’épargne et de
crédit préexistantes. Ce deuxième type de réseautage peut être subdivisé en deux. Le premier
groupe comprend les réseaux nés d’une dynamique initiée par les mutuelles elles mêmes, dite
“endogène”. Par exemple, l’Inter-CREC est un réseau de mutuelles d’épargne et crédit
85 On peut citer les externalités positives suivantes : économies d’échelle, échange de capacités et de bonnes pratiques, amélioration de l’accès au financement extérieur. Source : le « Zoom Microfinance », publication de SOS FAIM, n°22, juillet 2007, page 4
92
(appelées CREC) en Basse Casamance. Il regroupe, en décembre 2005, 17 caisses de base et 7
457 membres. Au départ, six CREC (Caisses Rurales d’Epargne et de Crédit) furent créées
par des organisations paysannes. Ces Mutuelles ont par la suite estimé judicieux de se
constituer en réseau et de créer leur propre union. D’autant qu’auparavant, les interactions
entre les CREC étaient déjà fréquentes, le personnel des caisses se connaissait et des
mécanismes d’entraide préexistaient (échange de “bonnes pratiques”, prêts entre CREC, etc.).
Le réseau est donc l’émanation de cette solidarité qui fut renforcée par le fait que les caisses
devaient compter uniquement sur leurs propres ressources.
Le second groupe reprend les réseaux nés d’une dynamique de mise en réseau initiée par des
acteurs externes (ONG, organismes publics de coopération étrangère, organisations
internationales), dynamique qualifiée d’“exogène”. Prenons l’exemple d’un projet dans la
région de Louga, initié par deux ONG : Aquadev (ONG belge) et le CISV (ONG italienne) ;
et financé par la Commission Européenne. Le projet a permis de créer en 2007 une Union de
mutuelles d’épargne et de crédit sélectionnées au sein des mutuelles existantes dans la région
de Louga.
Ainsi, la dynamique de réseautage paraît être un bon moyen de développement d’une IMF
Cette dynamique contribue à l'uniformisation des pratiques et érige le réseau comme un
modèle durable, viable et avantageux. C’est du moins ce qu’on peut en conclure si l’on
considère que les trois plus importantes structures de microcrédit au Sénégal sont organisées
en réseau.
93
2. La permanence de la diversité
Les dispositifs financiers, pour réussir, doivent se mouler dans le quotidien des sociétés et de
leur culture (Gentil, Servet, 2002). Il n'y aurait donc pas d'uniformité possible des IMF au
niveau mondial si le quotidien et la culture reste des critères premiers dans l’organisation de
ces dernières. Néanmoins, dans un pays tel que le Sénégal, où le secteur de la microfinance
est très développé et de plus en plus conduit par des logiques économiques, une tendance à
l’uniformisation est belle et bien perçue. L’adaptation des IMF ne s’effectuent plus seulement
face aux contraintes institutionnelles et culturelles du pays mais aussi envers les logiques
économiques et financières des banques classiques et des investisseurs, qui dépassent les
frontières. La tendance à l’uniformisation des pratiques des IMF devrait donc concerner
l’ensemble des pays dans lesquels la microfinance est suffisamment développée pour
intéresser les investisseurs étrangers.
Néanmoins, malgré la recherche et la détermination d’IMF « modèles » par les agences de
notation et les investisseurs, trois principaux critères peuvent expliquer la permanence d’une
certaine diversité dans les pratiques des IMF sénégalaises : la taille des structures, leur secteur
d’implantation et leur politique de fonctionnement.
a. L’impact de la taille des IMF
Comme l'explique Vincent (2008), les stratégies suivies par certaines IMF pour attirer des
sources de financements extérieurs ont conduit à la différenciation de deux types d'IMF.
• Les grandes IMF qui se sont institutionnalisées et sont des clients solvables des banques ou des investisseurs éthiques du Nord. Ce sont elles qui ont auparavant bénéficié de l’appui d’ONG en matière de formation de cadres et de renforcement institutionnel
• Les moyennes et petites organisations de microcrédit, qui ne sont pas auto financées parce qu’elles ont encore besoin d’appuis pour se renforcer, pour perfectionner leurs méthodes de travail, gérer leurs risques, trouver des marchés, améliorer leur produits. Ce sont en partie ces « manques » qui font qu’elles ne sont pas encore « banquables » et que le flux de capitaux ne vient pas à elles. Dès lors, la concentration des flux de la microfinance va vers les plus grandes IMF, alors
94
que les petites et moyennes institutions financières ne sont pas reconnues par les banques.
« Les bailleurs de fonds et institutions d’appui ont une part importante sur l’évolution du
tissu de la Microfinance : le souci de rendement du placement de leurs capitaux, un certain
conformisme dans l’appréciation des performances des IMF […] ont pour conséquence qu’en
Afrique comme en Amérique Latine toutes les Institutions de Microfinance n’ont plus les
mêmes chances initiales de se lancer comme il y a encore peu où l'apprentissage et le
renforcement d'expérience se faisaient par la pratique et l'analyse des échecs. La réflexion
sur la consolidation des fonds propres, indispensable pour la définition d’outils à la fois
innovants et pertinents de capitalisation durable, peut présenter le risque d’accentuer encore
le fossé qui se creuse » (Lesaffre, 1999).
On pourrait alors souligner un écart croissant entre les institutions qui se rapprochent du
système des banques classiques, et les autres qui ne peuvent attirer pour le moment l'attention
des fonds extérieurs, et qui ne peuvent donc financer une potentielle croissance de leur
activité. Cet écart croissant, source de diversité, tiendrait avant tout à la taille des IMF,
comme on peut le voir à travers l’exemple du Sénégal.
b. L’impact du lieu d’implantation de l’IMF
Cette caractéristique est fortement corrélée au lieu d’implantation de l’IMF. Une structure
agissant en zone rurale a de fait moins d’opportunités de développement (faible croissance de
la demande potentielle, coût de fonctionnement élevé en raison de l’accès aux réseaux
électrique et téléphonique, etc.). En cela, elle attire moins les acteurs étrangers intéressés par
un retour sur investissement.
Le Comité CERISE a entrepris une étude en 1999 qui insiste notamment sur le coût que
représente la mise en place d’un système microfinancier dans une zone rurale et enclavée en
Afrique Subsaharienne.
« Pour un bailleur, investir dans une zone reculée a un prix qu’il doit être prêt à payer, au moment où il s’engage » (CERISE, 1999)
95
Les coûts s’expriment en termes de86 :
• Durée : un programme de microfinance, de sa mise en place à son institutionnalisation complète, prendra une durée totale de huit à dix ans, dans un contexte reculé voire une région très enclavée et vulnérable.
• Financement : le coût d’implantation d’un réseau de microfinance dans une zone reculée est supérieur d’environ 80 % au coût de son implantation dans une région plus accessible selon l’étude de CERISE.
• Moyens humains : un projet de microfinance en zone rurale doit savoir s’entourer de l’expertise d’une équipe motivée et sensibilisée à cette problématique. L’enjeu de la continuité des chargés de projet est aussi important.
• Implication pour des outils adaptés : Selon l’étude de CERISE, « pour favoriser les relations entre les banques et les institutions de microfinance et lever les méfiances, [le bailleur doit contribuer à] améliorer les systèmes d’information, de favoriser la publication d’états financiers certifiés de ces institutions, voire encourager des mécanismes de rating selon des critères quantitatifs et qualitatifs ».
Ce dernier point avancé par CERISE précise bien les conditions requises pour nouer des
collaborations de refinancement. Les IMF en zones rurales seraient donc a priori aussi
concernées mais dans une moindre mesure que les réseaux microfinanciers urbains
bénéficiant de subventions extérieures. En effet, dix ans après la parution de cette étude, la
quasi-totalité des subventions ou prêts des investisseurs internationaux se concentrent encore
sur les IMF en zones urbaines, bien qu’aucune étude n’offre de statistiques exactes à ce sujet.
Les petites structures microfinancières en zones rurales ne sont alors pas forcément soumises
aux mêmes contraintes de fonctionnement et de contrôle que les réseaux microfinanciers
urbains bénéficiant de subventions extérieures.
Ainsi, les financements extérieurs sont d’avantage destinés aux principales IMF sénégalaises,
qui standardisent leur fonctionnement. Les évolutions parallèles de l'ACEP, l'UM-PAMECAS
86 Cf. « Les contraintes et les défis de la viabilité des systèmes de microfinance en zones rurales défavorisées en Afrique » étude de Cerise pour le FENU, 1999, pp 46 à 50
96
et le CMS, et leur recherche de développement des produits sur le modèle de ceux proposés
par les banques classiques, entérinent cette hypothèse.
c. Des politiques différentes de la part des financ eurs
L'implantation des IMF, mais également la politique de certains financeurs, permettent de
conserver un champ d’action large des institutions de microfinance au Sénégal. Comme le
rappelle Julien Sciau, certaines fondations n'orientent pas leur financement en fonction de la
taille de l'IMF, mais plutôt en fonction de ses perspectives sociales. La Fondation Grameen-
Crédit Agricole par exemple n'accepte aucun dossier de financement d'IMF se développant
sur le modèle bancaire. La fondation privilégie la mission de l'IMF et non la structure.
L’exemple du système de financement décentralisé Mec Delta évalué par Planet Rating en
2007, confirme cette idée. Créée en mars 1993, la MEC DELTA a pris le relais de deux
mouvements associatifs de la localité de Ronkh, dans la région de Saint Louis au Sénégal,
afin de mieux répondre aux besoins de financements des agriculteurs de cette localité,
principalement des riziculteurs. La mutuelle a choisi de ne s'affilier à aucun réseau. Son
principal financeur extérieur est Oikocrédit, considéré comme un investisseur social.
Néanmoins, rappelons ici que la prise de risque pour les financeurs extérieurs reste encadrée.
Mec Delta a fait l'objet d'une évaluation par une agence de notation. De même, dans l'exemple
de la Fondation Grameen-Crédit Agricole, si les dossiers acceptés concernent des IMF de
taille modeste, elles ont également fait l'objet d'un rating (Cf. Mec Feprodes, Saint Louis, en
2006 puis 2008), ce qui les classe parmi les IMF sénégalaises les plus attractives pour les
investisseurs étrangers. Il serait intéressant d'étudier les influences réciproques du
financement extérieur et de l'évaluation. Les financeurs extérieurs se tournent-ils
exclusivement vers des IMF évaluées ou les organismes d'évaluation ne prennent-ils en
compte que les IMF bénéficiant d'un financement extérieur?
Finalement, la taille n'est donc pas le seul argument de l'attribution de financement. Les
performances et les objectifs, financiers ou sociaux, interviennent également dans les choix
d’investissement selon la nature des financeurs.
97
Ainsi, on peut faire le postulat que l'émergence de plusieurs standards est effective. Au-delà
de la taille et des politiques des IMF, qui peuvent différer, la standardisation concerne avant
tout le fonctionnement structurel des institutions de microfinance sénégalaises. Elle
concernerait d’autant plus celles « capables de jouer les différents jeux » des bailleurs et
investisseurs internationaux.
98
3. Des réalités multiples : pour la diversité des m odèles
Si la diversité est préservée au Sénégal, il convient de préciser sous quels aspects. La
standardisation agirait alors plutôt sur la structure tandis que la diversité s’appliquerait
d’avantage aux missions. Des exemples viennent illustrer cette pensée.
a. Des modèles sur la structure des IMF
Nos précédentes observations nous inclinent à parler seulement de l'émergence d'un modèle
sur la forme, c'est-à-dire qui touche au système de gestion, de gouvernance, au
fonctionnement interne des IMF et de leurs différentes caisses, etc.
L'UM-PAMECAS fournit un exemple confirmant cette idée. Contrairement à beaucoup
d’Institutions de microfinance tournées vers le volet commercial, le réseau se positionne
différemment. En effet, d’après ses dirigeants, le réseau s’est investi dans le social au profit
des communautés de base pour lesquelles ses caisses se sont créées. Dans chaque caisse de
base existe un fond social prélevé chaque année sur les excédents. Par ce biais, depuis 2000,
le réseau injecte chaque année au moins 25 millions FCFA (plus de 38 000 euros) dans des
domaines aussi divers que la santé, l’éducation, les activités de jeunesse, la religion ou le
troisième âge. De plus, depuis mai 2003, en partenariat avec MECIB Prévoyance Santé
(située à Tally Boubess à Pikine), l'UM-PAMECAS est le premier réseau à proposer une
mutuelle de santé en marge de ses produits financiers classiques. Le mode de financement de
cette mutuelle est identique à celui du fonds social.
Quant au Crédit Mutuel du Sénégal, il se distingue particulièrement dans la configuration de
produits spécifiques de concert avec des ONG et partenaires locaux. Le CMS, dans sa
politique de diversification intense, a rejoint les recommandations faites par la Maison de la
microfinance luxembourgeoise (2008), pour la conservation des spécificités et l'innovation,
afin de viser toutes les catégories de populations vulnérables.
99
b. La permanence d’IMF « spécifiques »
Si un modèle émerge sur la forme de gestion des IMF au Sénégal, des différences perdurent
concernant les politiques et l’importance des structures. La diversité de l’offre
microfinancière sénégalaise est donc relativement préservée, et ceci d’autant plus en zones
rurales. Le potentiel de développement de la microfinance y est important et pourrait revêtir
plusieurs formes :
• Créer une IMF dans une région où qui ne présente aucune offre de services financiers pour ces populations. Dans ce cas, l’investissement en temps et en argent est important en vue de développer l’IMF jusqu’à sa viabilité.
• Développer un mécanisme de services financiers autogérés par la population ciblée, appelées aussi « caisses villageoises ». La Caisse Villageoise appartient à la communauté de ses membres qui la gèrent. Le crédit est donné d’abord sur la base des ressources de la collecte de l’épargne, afin de responsabiliser davantage les emprunteurs. Quand la Caisse Villageoise a fait les preuves de sa capacité de gestion et de son sérieux, elle peut accéder à un système de refinancement sur le marché financier qui permet alors de développer plus fortement la fonction de crédit. Elles correspondent au Sénégal aux MEC et aux GEC qui ont cours en milieu rural.
Outre la dichotomie urbain/rural, il convient de noter l’existence de produits financiers
spécifiquement adaptés à une population ciblée, les jeunes ou les femmes. Dans ce cas, il
s’agit de créer un lien particulier entre une IMF existante et un groupe cible particulier, en vue
de configurer un produit spécifique. Cette dynamique est déjà présente au Sénégal mais
devrait être amenée à se développer encore plus dans le cadre de l’insertion économique des
populations vulnérables, vision défendue par l’économie sociale et solidaire.
Le CIF, en collaboration avec ADA, a par exemple mis en place des produits financiers visant
l'insertion professionnelle des jeunes sénégalais et burkinabés. De même, de nombreux
groupements de femmes existent et sont soutenus par des financements extérieurs.
L’Association pour la Promotion de la Femme Sénégalaise (APROFES) est ainsi soutenue
notamment par OXFAM et l'ONG française Eaux Vives. La Mec-Feprodes que nous avons
100
déjà cité plusieurs fois est pour sa part une mutuelle regroupant les femmes productrices de la
région de Saint-Louis.
Cette réflexion amène à la conclusion suivante : la microfinance au Sénégal subit l’influence
grandissante des bailleurs et investisseurs internationaux, encouragée par les politiques de
développement actuelles. Cet état de fait conduit à l’émergence de modèles de référence, que
sont les grands réseaux sénégalais : UM-PAMECAS, CMS et ACEP. Les acteurs de la
microfinance au Sénégal s’accordent eux-mêmes pour souligner l’importance de modèles à
suivre, qui « rassurent » les financeurs. Ces modèles menacent-ils la diversité du paysage
microfinancier au Sénégal ? Il apparait que non si on analyse plus en détail la nature des
référentiels imposés par les financeurs. Si des modes de gestion type, pour pérenniser et
rentabiliser l’activité ont en effet tendance à s’imposer, les missions et positionnements des
IMF au Sénégal restent divers. Certains financeurs eux-mêmes encouragent cette diversité, en
donnant la priorité aux petites structures originales qui privilégient une mission économique
et sociale envers une population vulnérable. C’est notamment le cas de la Fondation
Grameen-Crédit Agricole. La diversité des IMF au Sénégal est également fortement corrélée
au lieu d’implantation de la structure. Les zones rurales par exemple présentent des
particularités telles que les projets microfinanciers qui s’y implantent sont de fait originaux.
101
Conclusion
Ainsi, l'étude développée ci-dessus tend à démontrer que la microfinance est pilotée par
l'international, depuis l'explosion du secteur dans les années 90. Ce pilotage est double :
• Une influence de paradigme : le modèle néolibéral de la mondialisation économique a fait de la microfinance l'outil du marché accordé aux « pauvres » pour permettre l'amélioration de leur bien-être. Pour aller plus loin, on peut envisager la microfinance comme une industrie à part entière, mettant en contact des bénéficiaires et des fournisseurs de services financiers.
• Un pilotage financier : la recherche de financements extérieurs pour atteindre une taille critique et la pérennité, créé une dépendance des IMF envers les normes internationales et les politiques de rentabilité des bailleurs.
La microfinance au Sénégal telle qu’elle est définie dans ce mémoire a ainsi émergé dans les
années 90 suite à un renouveau des politiques de développement, en s’intégrant dans le
paysage financier sénégalais comme un maillon entre la finance informelle et le système
bancaire classique. Elle a été encouragée en tant qu’outil de la mondialisation dans le sens où
elle a favorisé la perception du marché et de l’entrepreneuriat, de l’individualisme, ainsi que
le désengagement de l’Etat.
Par la suite, dans un contexte économique sénégalais dynamique et attractif pour les
investisseurs étrangers, la microfinance est devenue un marché rentable comme un autre.
En effet, le paradigme commercial de la microfinance, très prégnant aujourd'hui dans les
politiques de développement, promeut l'investissement financier privé, dont celui des
banques. Cette réinterprétation « ultralibérale » de la microfinance comme la qualifie Doligez
(2002), transforme les pauvres en micro-entrepreneurs formant simplement un nouveau
marché pour les investisseurs.
Dans cette optique, le repositionnement des politiques et programmes de développement
soutenant la microfinance a encouragé plus de transparence, et de performances, en proposant
d’implémenter dans les IMF en plein essor, des outils utilisés par le système bancaire
102
classique. C’est à ce prix, de standardisation bancaire, que la majorité des investisseurs
étrangers se sont intéressés au secteur microfinancier sénégalais.
En effet, lorsqu’on analyse les conséquences de la mondialisation sur un secteur, la
standardisation s’impose généralement. Cet argument est souvent repris pour dénoncer
l’affaiblissement des spécificités culturelles, politiques, etc.
Peut-on pour autant appliquer entièrement cette analyse au cas de la microfinance
sénégalaise? L’analyse développée ci dessus tend à souligner une uniformisation sur la forme,
des plus grandes IMF, il est vrai. Cependant, certains critères, tels que le lieu d’implantation,
la taille de l’IMF, ou la politique des financeurs permettent de conserver une certaine diversité
dans le paysage de la microfinance sénégalaise.
De même, le développement du secteur et la concurrence croissante devrait entraîner l’arrivée
sur le marché de nouveaux produits. Comme le suppose Alexandre Coster,
«Les institutions risquent de s'uniformiser dans le sens où elles vont toutes se construire sous
le même modèle. En revanche, une multitude d'offres de produits et services verront le jour,
des innovations dans le domaine vont continuer à se développer »
Enfin, les critiques récurrentes auxquelles doit faire face la microfinance, le discours croissant
pour un instrument plus efficace en direction de populations ciblée encourage le maintien de
la diversité des modèles, du moins pour un temps. Ces revendications proviennent en grande
majorité des institutions de recherche ou des acteurs internationaux sur le terrain, défenseurs
d'une vision plus « sociale » de la microfinance. C’est le créneau choisi notamment par
certaines fondations.
Finalement, l'influence des politiques de développement et des financeurs privés,
l’imprégnation de la mondialisation sur la microfinance sénégalaise, rendent sa définition
mouvante.
Les arguments de cette étude s'appuient en effet uniquement sur l'exemple de la microfinance
sénégalaise. L’argumentation et ses conclusions ne vaudraient donc que pour cet exemple. En
effet, la microfinance indienne, ou de certains pays d’Amérique Latine par exemple présente
103
d’autres caractéristiques singulières; il serait donc vain d'y appliquer la même argumentation
que pour le Sénégal.
Comme le rappelait Easterly :
« Les pays pauvres se composent d’une incroyable variété d’institutions, de cultures et
d’histoires […]. L’idée d’amalgamer toute cette diversité dans un « monde en développement
qui « décollerait » grâce à l’aide étrangère est une simplification héroïque » (2003).
Nous avons essayé de rappeler constamment cette logique dans le déroulement de ce
mémoire. Par exemple, la première partie vient démontrer que les solidarités traditionnelles
sénégalaises ont eu un impact sur la construction du secteur de la microfinance. Or, ces
solidarités ne sont pas les mêmes en Amérique Latine ou en Asie, ou même dans d’autres
pays d’Afrique.
Néanmoins, pour certains spécialistes, la microfinance telle qu’elle est définie aujourd’hui
peut être considérée comme un ensemble générique, et ses applications, bien qu’elles puissent
être différentes selon les pays, peuvent tout de même être perçues comme une
«Cconséquence de la mondialisation, tout comme la finance. Les flux financiers
s'internationalisent de plus en plus à tous les niveaux. La microfinance n'est qu'un nouveau
segment de marché, concernant une nouvelle population cible susceptible de consommer des
produits et services financiers déjà proposés aux populations plus aisées dans ces même
pays » (Alexandre Coster, 2010).
Cette vision de la microfinance pourrait bientôt dominer largement au Sénégal, et peut
s’expliquer par la mutation des influences. En effet, la nature des fonds et le degré
d’implication des bailleurs de fond et désormais des investisseurs privés ont impacté le
comportement des IMF en matière d’offre de services financiers aux populations pauvres, et
donc, in fine, les performances économiques et sociales de ce secteur.
Le passage de relais des bailleurs vers les investisseurs privés devrait signifier « plus de
rentabilité – moins de solidarité », malgré le rôle compensatoire des investisseurs sociaux.
Cette hypothèse rejoint les analyses de Servet qui défend que la microfinance ne peut
nullement prétendre être une forme quelconque de solidarité. Le marché de la microfinance
104
est une industrie financière comme toute autre cherchant à rentabiliser des niches de clientèles
traditionnellement exclues des circuits financiers officiels. La nature sociale de la
microfinance se justifie essentiellement par l’appui des bailleurs.
I. Guérin défend également ce positionnement depuis plusieurs années :
« Le discours actuel repose sur un mythe, celui du « pauvre entrepreneur », et sur une vision
erronée du marché » (2006).
La microfinance, comme le pensait Giraud à propos de la finance (2001), se transformerait-
elle alors en « commerce des illusions », sorte de bulle spéculative aux mains des
investisseurs privés, surestimant les revenus réels pour les micro-entrepreneurs?
C'est pour éviter ce risque, du moins le compenser, que des voix pour la nécessité d'étudier les
impacts de la microfinance, dans le cadre des particularismes locaux, doivent se faire de plus
en plus entendre. Il ne faudrait ainsi jamais s'éloigner de la finalité sociale des IMF (Doligez,
2002), rapportée aux populations-cibles et au contexte local de chaque IMF.
Ainsi, la microfinance pourrait-elle être le point de conjonction entre le global (influence des
acteurs internationaux) et le local (prise en compte des particularismes, proximité) ? Pour
apporter un début de réponse, il est possible de s’inspirer du courant de l'Economie de
Proximité, qui a développé le terme de glocalisation (Zimmermann, Pecqueur, 2004). La
glocalisation (ce qui est "glocal") est une combinaison de global et de local. C'est un concept
alliant les tendances globales aux réalités locales, en donnant des limites à la globalisation et
en s'adaptant aux réalités locales, plutôt que de les ignorer ou les écraser.
La microfinance, au Sénégal tout du moins, pourrait être la parfaite illustration de ce
néologisme.
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Liste des tables
Tableau 1: Principaux indicateurs des SFD en UEMOA, juin 2006 Page 57
Tableau 2 : indicateurs de la microfinance au Sénégal, décembre 2008, MixMarket
Page 58
Tableau 3 : Microfinance en Afrique en volume, par sous-région Page 60
Tableau 4 : Qualité du portefeuille des SFD en UEMOA, juin 2006 Page 64
Tableau 5: IMF sénégalaises évaluées par des agences de Rating Page 86
Tableau 6 : la méthode Girafe, Planet Rating Page 86
113
Annexes
ANNEXE 1
Vue d'ensemble de l’Afrique de l’Ouest In Perspectives économiques en Afrique, 2010, www.africaneconomicoutlook.org Afrique de l’Ouest La croissance du PIB en volume de la région s’est établie à 5.4 pour cent en 2008 – comme en 2007 – et elle devrait ralentir de plus d’un point de pourcentage en 2009, à 4.2 pour cent, avant de se consolider à 4.6 pour cent en 2010. Dans cinq des huit pays de l’UEMOA (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo), l’activité s’est améliorée ; elle a revanche reculé légèrement au Niger et au Sénégal. Le Togo se distingue, avec une croissance du PIB tout juste positive en 2008, à 0.8 pour cent, conformément à la trajectoire descendante sur laquelle le pays semble être engagé depuis quelques années. Les graves inondations de juin 2008 sont venues fragiliser un peu plus le PIB par habitant. La consolidation politique en Côte d’Ivoire – première économie de l’UEMOA – explique en partie l’amélioration de la situation dans la plupart des pays membres de l’Union. Son PIB a progressé de 2.3 pour cent en 2008, soit environ un demi-point de pourcentage de plus qu’en 2007. Au Sénégal en revanche, la croissance a reculé, tombant à 3.7 pour cent, plombée par une mauvaise production de céréales et d’arachides mais aussi de phosphates et d’engrais. La production de coton a augmenté, en particulier au Burkina Faso où elle a atteint des sommets en 2008. La croissance soutenue de la production agricole dans plusieurs pays de l’UEMOA est l’un des grands résultats positifs de l’année. Le Mali et le Niger ont par ailleurs respectivement profité de l’excellente tenue des cours de l’or et de l’uranium. Le Mali a également vu sa production de denrées alimentaires progresser raisonnablement. La croissance du PIB malien s’est établie à 3.6 pour cent (contre 3.2 pour cent en 2007) et celle du Niger à 4.8 pour cent – un résultat moins satisfaisant qu’en 2007 où elle avait atteint 5.7 pour cent. Dans les huit pays d’Afrique de l’Ouest non membres de l’UEMOA (Cap-Vert, Gambie, Ghana, Guinée, Liberia, Nigeria, São Tomé et Principe, et Sierra Leone), le Nigeria – de loin l’économie la plus importante de la région – a affiché un taux de croissance du PIB de 6.1 pour cent en 2008, plus ou moins identique à celui de 2007 malgré les troubles récurrents dans le delta du Niger qui, en perturbant la production de pétrole, ont provoqué un repli de 8 pour cent. En 2009, la croissance du Nigeria devrait se tasser, à 4 pour cent, à cause surtout des quotas de production de l’OPEP et d’un ralentissement des investissements. Le Cap-Vert continue d’afficher de bons résultats en 2008, à 6.1 pour cent (contre 6.9 pour cent en 2007). Le Liberia a connu pour la troisième année consécutive une croissance exceptionnellement robuste, à environ 7.3 pour cent, dopée par les dépenses d’infrastructures et la reprise de la production agricole depuis la fin du conflit. Le Ghana et la Sierra Leone s’en sortent bien, à respectivement 6.4 et 5.4 pour cent, grâce aux bons résultats du secteur du cacao et à la vive augmentation de la production alimentaire. Les prévisions pour 2009 sont mitigées mais, comme au Nigeria, la plupart des pays devraient connaître un ralentissement de l’activité, l’investissement public et privé marquant le pas, tout comme les cours des matières premières et les envois des expatriés. Le Liberia et la Sierra Leone se détachent du lot, avec une croissance qui devrait rester vigoureuse, dopée par la reprise post-conflit.
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ANNEXE 2 Rappel sur le Sénégal CIA – World Factbook 2010, Senegal, https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/sg.html
Economy - overview:
In January 1994, Senegal undertook a bold and ambitious economic reform program with the support
of the international donor community. This reform began with a 50% devaluation of Senegal's
currency, the CFA franc, which was linked at a fixed rate to the French franc. Government price
controls and subsidies have been steadily dismantled. After seeing its economy contract by 2.1% in
1993, Senegal made an important turnaround, thanks to the reform program, with real growth in GDP
averaging over 5% annually during 1995-2008. Annual inflation had been pushed down to the single
digits. As a member of the West African Economic and Monetary Union (WAEMU), Senegal is
working toward greater regional integration with a unified external tariff and a more stable monetary
policy. High unemployment, however, continues to prompt illegal migrants to flee Senegal in search
of better job opportunities in Europe. Senegal was also beset by an energy crisis that caused
widespread blackouts in 2006 and 2007. The phosphate industry has struggled for two years to
secure capital, and reduced output has directly impacted GDP. In 2007, Senegal signed agreements
for major new mining concessions for iron, zircon, and gold with foreign companies. Firms from Dubai
have agreed to manage and modernize Dakar's maritime port, and create a new special economic
zone. Senegal still relies heavily upon outside donor assistance. Under the IMF's Highly Indebted
Poor Countries (HIPC) debt relief program, Senegal has benefited from eradication of two-thirds of its
bilateral, multilateral, and private-sector debt. In 2007, Senegal and the IMF agreed to a new, non-
disbursing, Policy Support Initiative program. In September 2009, Senegal signed a Compact with
the U.S. Millennium Challenge Corporation, which will provide $540 million in infrastructure
development, primarily in road construction along Senegal's northern and southern borders, in
conjunction with adjacent irrigation and agriculture projects.
GDP (PPA)
$23.16 billion (2009 est.)
$22.04 billion (2008 est.)
Labor force- by occupation :
agriculture: 77.5%
industry and services: 22.5% (2007 est.)
GDP-real growth rate
5.1 % (2009 est.)
Unemployment rate :
48% (2007 est.)
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ANNEXE 3 Le financement des PME au Sénégal, Hamsatou HAROUNA DJIBO - Institut Privé de Gestion de Dakar (IPG) - Maitrise en Administration des Affaires. www.memoireonline.com
Section 3 : Historique du financement du secteur privé au Sénégal La reforme bancaire de 1975 introduite par la BCEAO a supprimé la distinction faite entre banques commerciales et banques de développement. Sur le plan réglementaire, des normes prudentielles plus strictes sont imposées aux banques suivant la nature des activités qu'elles financent. Dans ces conditions, les banques ne financent que les activités qu'elles jugent rentables et négligeront de plus en plus les PME. Vers la fin des années 80, le secteur bancaire a connu sa plus sérieuse crise. Comme conséquence de cette crise, des reformes importantes ont été mises en place en 1989. La structuration du système bancaire s'est, en particulier, traduite par la liquidation de huit banques dont cinq du secteur public et trois du secteur privé. Elle a été accompagnée d'une libéralisation partielle des taux d'intérêt, de l'allocation du crédit et de la création d'un marché monétaire ayant pour objectif d'encourager le développement d'un système financier moins administré, plus flexible et plus concurrentiel. La restructuration de 1989 a été un succès en ce que le système bancaire a été assaini. Les reformes structurelles n'ont pas donné les résultats escomptés en ce qui concerne le financement du développement. La liquidation des banques de développement a laissé un vide particulièrement dans le domaine du financement de la PME. En effet, la distribution de crédit par branche d'activité place le commerce en première position avec pas moins de 52% de l'encours en fin 1999 contre 45,7% en décembre 1994. Ce sont des activités de négoce qui constituent l'essentiel du financement des banques à l'économie. Depuis 1995, la BCEAO exige que 60% au moins du portefeuille des banques soient constitués de prêts approuvés. Ce système place certes, davantage, les banques en face de leur responsabilité en ce qui concerne l'appréciation du risque et la qualité des emplois, mais il traduit aussi le souci de la Banque Centrale de préserver la solvabilité et l'amélioration de la qualité des portefeuilles des banques primaires par le renforcement des ratios prudentiels. Ceci a constitué une raison supplémentaire pour les banques de marquer un certain recul face aux demandes de financement des Petites Entreprises. En effet, selon le « Rapport sur le développement humain» du PNUD pour le Sénégal de 1998, il a été relevé qu'en matière de crédit bancaire, les PME affichent des proportions de rejet très élevées qui s'établissent entre 75,80% et 100% des demandes. Ce constat n'est pas simplement spécifique aux PME de production parce que pouvant être étendu à l'ensemble des micros entreprises. La plupart de ces dernières n'avaient jamais eu accès au crédit bancaire. L'approche la plus classique du financement des investissements des PME qu'elles soient rurales ou urbaines, a été de fournir des lignes de crédit et/ou de fonds de garantie aux banques pour financer l'investissement des PME. Or, l'expérience a montré que les banques sont réticentes pour aborder la question du financement des PME. Dans le cas où elles accordent ce type de prêt, elles utilisent pour l'instruction du dossier et le suivi des remboursements, des méthodes adaptées à la clientèle des grandes entreprises. Le coût unitaire élevé du traitement des dossiers et le faible taux de recouvrement qu'elles obtiennent justifient à leurs yeux, le peu d'intérêt qu'elles portent à ce secteur.
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ANNEXE 4
Échantillon des résultats de l'enquête sur le marché parallèle au Sénégal, Menée par Hane et Gaye en 1994
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ANNEXE 5
Utilisation des fonds recueillis grâce aux tontines Enquête réalisée par Michel Dromain dans les années 80 sur 199 tontines In L’épargne ignorée et négligée : les résultats d’une enquête sur les tontines au Sénégal
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ANNEXE 6
Extraits de Brunel S. (2007) Qu’est ce que la mondialisation, in Sciences Humaines, mars. « Depuis le début des années 1990, la « mondialisation » désigne une nouvelle phase dans l’intégration planétaire des phénomènes économiques, financiers, écologiques et culturels. Un examen attentif montre que ce phénomène n’est ni linéaire ni irréversible. [...] D’abord et avant tout une globalisation financière [...] La mondialisation actuelle est d’abord et avant tout une globalisation financière, avec la création d’un marché planétaire des capitaux et l’explosion des fonds spéculatifs. La fin de la régulation étatique qui avait été mise en place juste après la Seconde Guerre mondiale s’est produite en trois étapes : d’abord, la déréglementation, c’est-à-dire la disparition en 1971 du système des parités stables entre les monnaies, qui se mettent à flotter au gré de l’offre et de la demande ; ensuite, la désintermédiation, possibilité pour les emprunteurs privés de se financer directement sur les marchés financiers sans avoir recours au crédit bancaire ; enfin, le décloisonnement des marchés : les frontières qui compartimentaient les différents métiers de la finance sont abolies, permettant aux opérateurs de jouer sur de multiples instruments financiers. [….] L'avènement des doctrines libérales Comment en est-on arrivé là ? Le tournant décisif se produit dans les années 1980. En 1979, l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan aux Etats-Unis et de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne signifie l’avènement des doctrines libérales. La même année, le Sénégal inaugure le premier « plan d’ajustement structurel » : la crise de la dette vient de commencer pour les pays en développement, obligés d’adopter des « stratégies de développement favorable au marché », selon la formule des institutions financières internationales (Banque mondiale et FMI). Cette unification des modèles économiques gagne non seulement le monde en développement mais aussi les pays de l’Est : c’est en 1979 toujours que la Chine libéralise son agriculture. Cinq ans plus tard, en 1984, elle ouvre ses premières zones économiques spéciales. Cinq ans après encore, la disparition du mur de Berlin annonce celle de l’Union soviétique en 1991, année où l’Inde, jusque-là nationaliste, protectionniste et autarcique, se libéralise à son tour. En dix ans, la face du monde a résolument changé. La fin de la guerre froide crée l’illusion qu’une communauté internationale est née, qui va enfin percevoir « les dividendes de la paix ». Le capitalisme paraît avoir triomphé, au point que Francis Fukuyama annonce « la fin de l’histoire ». Les firmes transnationales amorcent un vaste mouvement de redéploiement de leurs activités. La décennie 1990 est jalonnée par de grandes conférences internationales où les acteurs traditionnels de la diplomatie, les Etats et les institutions internationales, se voient bousculés, interpellés par de nouveaux acteurs, qui privilégient la démocratie participative. Filles de la mondialisation, dont elles utilisent un des ressorts essentiels, le pouvoir des médias et de la communication, les ONG se fédèrent en réseaux planétaires grâce à l’utilisation d’Internet. Elles imposent la vision nouvelle d’un monde interdépendant, où les grandes questions – pauvreté, santé, environnement – doivent être appréhendées de manière globale. Le Sommet de la Terre (Rio, 1992) inaugure ainsi l’ère du développement durable.
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ANNEXE 7
Fiche technique sur le DSRP, FMI, 2005 Source : http://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/prspf.htm Les documents de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP) sont établis par les gouvernements des pays à faible revenu selon un processus participatif dans lequel s'impliquent à la fois les parties prenantes au niveau national et les partenaires extérieurs du développement, dont le FMI et la Banque mondiale. Le DSRP décrit les politiques et les programmes macroéconomiques, structurels et sociaux qu'un pays mettra en œuvre pendant plusieurs années pour promouvoir la croissance et réduire la pauvreté; il expose aussi les besoins de financement extérieur et les sources de financement connexes. Quel est l'objectif des documents de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP) ? L'expansion continue de l'économie mondiale depuis quelques décennies est à l'origine d'une grande prospérité, qui a permis de tirer de la misère des millions de personnes, notamment en Asie. Dans les 25 années à venir, cependant, la population de la planète devrait s'accroître de quelque deux milliards d'êtres humains, qui naîtront en majorité dans des pays en développement ou des économies de marché émergentes. À moins que les pays ne s'efforcent, de façon concertée, d'adopter les politiques avisées qui les aideront à s'aider eux-mêmes et que la communauté des partenaires du développement ne vienne appuyer ces efforts en augmentant ses concours, nombre de ces populations resteront condamnées à vivre dans la pauvreté. Le dispositif des DSRP, mis en place en septembre 1999 par le FMI et la Banque mondiale, est concrétisé par des stratégies générales de réduction de la pauvreté pilotées par les pays. Ces stratégies assurent un lien essentiel entre les actions des autorités nationales, les concours des bailleurs de fonds et les résultats requis pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement (ODM) de l'Organisation des Nations Unies visant à réduire de moitié la pauvreté entre 1990 et 2015. Les DSRP forment la base des opérations de prêts concessionnels et d'allégement de dette du FMI et de la Banque mondiale dans le cadre de l' Initiative en faveur des pays très endettés (PPTE). Les DSRP des pays qui ont consenti à leur diffusion peuvent être consultés sur les sites respectifs du FMI et de la Banque mondiale. Principes fondamentaux du dispositif des DSRP Cinq grand principes régissent le dispositif des DSRP. Les stratégies de réduction de la pauvreté doivent être :
- pilotées par les pays et aptes à favoriser l'internalisation des stratégies grâce à une large participation de la société civile;
- axées sur les résultats et les mesures susceptibles d'avoir un effet bénéfique sur les pauvres;
- globales, dans la mesure où elles reconnaissent la nature multidimensionnelle de la pauvreté; - orientées sur le partenariat via la participation concertée des partenaires du développement
(gouvernement, parties prenantes au niveau national et bailleurs de fonds extérieurs); - et inscrites dans une perspective à long terme du recul de la pauvreté.
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ANNEXE 8
Rapport de la Commission Bancaire de la BCEAO 2008, extraits concernant le secteur bancaire au Sénégal
(*comparaison des taux entre 2007 et 2008, puis variation entre les deux)
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ANNEXE 9
Introduction de : M Servet, I. Guérin, L’économie solidaire entre le local et le global : l’exemple de la microfinance (2005)
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ANNEXE 10
La microfinance dans la zone UEMOA Extrait du Benchmarking 2008 de MIX Market
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ANNEXE 11
Extrait de l’entretien avec Julien Sciau, chargé de développement au sein de la Fondation Grameen Bank-Crédit Agricole Réalisé le 28 octobre 2009 1) Quels sont vos projets au Sénégal? Les deux IMF pour lesquelles nous avons rédigé des dossiers de financement sont Caurie-Microfinance située à Thiès, et Mec Feprodes à Saint Louis. Ces des deux projets passeront devant le Comité d'Investissement début décembre. Il s'agit de 2 IMF pour lesquelles des données sont disponibles sur le Mix. 2) Comment qualifieriez vous le rôle des fondations privées dans le financement des IMF, notamment en Afrique Subsaharienne? Il y a plusieurs types de Fondations et de bailleurs. Certaines ne font que des subventions, d'autres des prêts subventionnées, et d'autres des prêts à des taux de marché. On peut aussi trouver ces trois cas de figure au sein du même bailleur. Le rôle des Fondations, et des bailleurs en général à travers les financements accordés aux IMF, est pour moi d'accompagner les IMF dans leur développement lorsque les banques locales ne sont pas encore prêtes à assumer le risque "microfinance". 3) Quel est l'objectif de ces financements? L'objectif de ces financements est de participer à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion financière, par le biais d'un soutien financier et technique apporté aux IMF. Les financements de la Fondation sont essentiellement structurés de telle sorte qu'ils ne font pas subir aux IMF de risque de change. Les financements sont réalisés en monnaie locale, ou sous forme de garantie accompagnant les emprunts.
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ANNEXE 12
Extraits de l’entretien avec Alexandre Coster, cadre de Microcred S.A. en Côte d’Ivoire
1) Que penser de la phrase suivante "la microfinance est la fille bienveillante du capitalisme"? La microfinance non mutualiste est la vente de produits et services financier par une société capitaliste à but lucrative. Le simple fait que nous parlons de produits financiers cela posera pour certain des problèmes éthiques mais nous sommes en réalité dans le même schéma qu'une société qui importe des produits et marchandises classiques dans un pays du Sud. Pourquoi des services financiers ne pourraient pas être distribués par des sociétés capitalistes comme partout dans le monde ? Ces populations souhaitent avoir accès à ce service comme tout autre personne et être traitées comme des consommateurs à part entière, surtout pas comme des pauvres à qui il faut venir en aide .La microfinance n'est donc pas plus la fille bienveillante du capitalisme que tout autre secteur d'activité du privée. 2) Pensez-vous que la microfinance au Sénégal est en mutation du fait des investisseurs privés? En effet, les investisseurs privés au Sénégal comme dans beaucoup d'autres pays jouent un rôle très important dans le secteur de la microfinance. Les micro-entrepreneurs ont aujourd'hui accès à des produits de crédits qui ne nécessitent pas d'épargne au préalable. C'est un élément extrêmement important. Comment quelqu'un qui a besoin d'un crédit, peut il constituer soit même une épargne ? De plus, la concurrence comme dans tous les autres secteurs d'activités est toujours bénéfique pour les consommateurs finaux : les micro-entrepreneurs. Ils vont voir les taux de rémunération d'épargne augmenter, la qualité des services s'améliorer, etc. 3) Pensez-vous que l'accroissement des flux privés (ou autres raisons) va conduire à l'uniformisation institutionnelle des IMFs? Ou au contraire augmenter la diversité des IMF? Les institutions risquent de s'uniformiser dans le sens où elles vont toutes se construire sous le même modèle. En revanche, une multitude d'offres de produits et services verront le jour, des innovations dans le domaine vont continuer à se développer. 4) Penses-tu que la logique sociale est de plus en plus ou de moins en moins prise en compte par les acteurs de la microfinance, en fonction de la nature de ces acteurs? Le plus gros déficit social dans la microfinance se trouve dans les familles qui se sont retrouvées ruinées à cause de leur crédit. Or, les nouvelles institutions privées, dans un soucis de rentabilité, utilisent des méthodologies de crédit beaucoup plus prudentes et efficaces afin d'éviter au maximum les impayés. En conséquence, les clients sont mieux ciblés et donc plus pertinent pour les microentrepreneurs. Ainsi, sans être dans une logique sociale au départ, l'impact social de ces institutions est souvent plus sain. De plus, les bailleurs de fonds encore très présents, imposent à ces sociétés des réglementations et politiques favorables à une progression sociale de la clientèle. 5) Que penses-tu de la phrase suivante "la microfinance est une émanation de la mondialisation"? La microfinance est une conséquence de la mondialisation tout comme la finance. Les flux financiers s'internationalisent de plus en plus à tous les niveaux. La microfinance n'est qu'un nouveau segment de marché, une nouvelle population cible susceptible de consommer des produits et services financiers déjà proposer aux populations plus aisées dans ces même pays.